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LA BATAILLE DE MORHANGE 19-20 août 1914 Pourquoi, comment et conséquences par M. André BELLARD II n'y a que deux façons, pour ceux qui n'y étaient pas, de se représenter la guerre : les notes des témoins ; les ordres des chefs. André TARDIEU De nos jours, le passe récent s'ef- face si vite, et la guerre de Troie est mieux connue que celle de 19U... Jean GUITTON On laissé à connaît l'impression confuse que, selon Stendhal, avait Fabrice sa participation à la bataille de Waterloo. Et, bien sûr, nul combattant, et surtout subalterne, ne saurait se flatter d'avoir pu embrasser d'un seul regard les effets et les causes d'un des chocs homériques qui sont venus soudain éri- ger dans l'Histoire le nom de telle bour- ; gade jusqu'alors inconnue. Il faut laisser au temps le soin de rassembler, de révéler les renseignements /- que les historiens auront loisir d'exami- ner, de trier, d'ordonner et de présenter au public. C'est évidemment une tâche : de laquelle ceux qui ont vécu les événe- ments en cause ne sauraient se trouver forclos, nonobstant le jugement de Sten- dhal. Frotté de journalisme à « L'Echo du Loir », à « L'Impartial de l'Est », 1

LA BATAILLE DE MORHANGE 19-20 août 1914documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/34109/ANM_1964... · auteur, grisé par le succès légitime qui accueillit un très beau

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L A B A T A I L L E D E M O R H A N G E 19-20 août 1914

Pourquoi, comment et conséquences

par M. André BELLARD

II n'y a que deux façons, pour ceux qui n'y étaient pas, de se représenter la guerre : les notes des témoins ; les ordres des chefs.

André TARDIEU

De nos jours, le passe récent s'ef­face si vite, et la guerre de Troie est mieux connue que celle de 19U...

Jean GUITTON

On laissé à

connaît l'impression confuse que, selon Stendhal, avait Fabrice sa participation à la bataille de Waterloo.

Et, bien sûr, nul combattant, et surtout subalterne, ne saurait se flatter d'avoir pu embrasser d'un seul regard les effets et les causes d'un des chocs homériques qui sont venus soudain éri­ger dans l'Histoire le nom de telle bour-

; gade jusqu'alors inconnue.

Il faut laisser au temps le soin de rassembler, de révéler les renseignements

/- que les historiens auront loisir d'exami­ner, de trier, d'ordonner et de présenter au public. C'est évidemment une tâche

: de laquelle ceux qui ont vécu les événe­ments en cause ne sauraient se trouver forclos, nonobstant le jugement de Sten­dhal. Frotté de journalisme à « L'Echo du Loir », à « L'Impartial de l'Est »,

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j'aurai pu agrémenter d'un certain sens du reportage d'humbles fonctions de chef d'escouade, spécialisé d'ailleurs en patrouilles, reconnaissances, établissement de petits postes, etc. — et le tout à l'armée Castelnau. Ces impressions ont fait l'objet, quinze ans après les événements, d'une relation détaillée au jour le jour sous le titre De Nancy à Nancy via Morhange et Vitrimont. Il m'aurait suffi de les avoir consignées notamment à l'usage des miens, si le regain d'actualité procuré par un cinquantième anni­versaire ne venait de susciter une floraison d'ouvrages et d'articles propres à secouer la somnolence d'un vieux témoin qui, justement, n'a pas le droit de somnoler tandis qu'il peut encore porter un témoignage.

Morhange ! De combien de carences ou d'erreurs se seront rendus coupables tant d'auteurs qui, en son cinquantenaire, auront troussé études et récits inspirés par le drame de 1914 !

Telles cartes du front, prodiguées par journaux et revues, cessent à hauteur du paisible Verdun de 1914 de planter les jalons de la formidable empoignade d'août-septembre, et font de nos régions de l'Est une rassurante zone vierge, « no man's land » où il ne se passe rien. Joffre aurait-il rêvé, qui le 27 août 1914, avant le ressaisissement sur la Marne, avait lancé son ordre du jour inoubliable à la gloire des deux armées Dubail et Castelnau :

« Les I r e et I I e armées donnent en ce moment un exemple de ténacité et de courage que le général commandant en chef est heureux de porter à la connaissance des troupes sous ses ordres :

« Indépendamment des corps de couverture, dont quelques-uns ont combattu depuis l'ouverture des hostilités, ces deux armées ont pris, le 14 août, une offensive générale, obtenu de brillants succès jusqu'au moment où elles se sont heurtées à une barrière fortifiée et défendue par des forces très supérieures ;

« Après une retraite parfaitement ordonnée, les deux armées ont repris l'offensive en combinant leurs efforts et regagné une grande partie du terrain perdu. L'ennemi plie devant elles et son recul permet de constater les pertes considérables qu'il a subies ;

« Ces armées combattent depuis quatorze jours sans un instant de répit, avec une inébranlable confiance dans la victoire qui appar­tient toujours au plus tenace ;

« Le général en chef sait que les autres armées auront à cœur de suivre l'exemple fourni par les I r e et I I e armées. »

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De ceux qui ont compté, en ce temps-là, dans les rangs des unités combattantes ainsi proposées en exemple à toute Farmée française à la veille de la Marne, il n'en est plus beaucoup ici-bas. Leur doyen est incontestablement le général Weygand, mainte­nant âgé de quatre-vingt-dix-huit ans, à qui nous voudrions dédier la présente communication tandis qu'il affronte une cruelle épreuve * ; les plus jeunes sont septuagénaires — et combien de rescapés des combats de Lorraine auront trouvé la mort au cours des cinquante et un mois de guerre qui allaient se poursuivre, durant lesquels tant d'actions militaires de première importance allaient progressivement éclipser les souvenirs de 1914...

Il y a plus regrettable que ce phénomène normal. Un jeune auteur, grisé par le succès légitime qui accueillit un très beau livre

Cinq mois avant Morhange : une section d'infanterie française de l'armée active, 1 r e section de la 1 1 e Cie du 6 9 e R.I. (un quart de l'effectif se trouve hors cliché sur la droite). De gauche à droite : Sergent rengagé Burg, chef de section ; les deux chefs d'escouade : caporaux Bellard ( + ) et Arthur Bigot ( + + ) ; sous le signe (o), André Bigot, le seul soldat de l'unité qui tra­versera sans blessure les cinquante-deux mois de guerre. La tenue (capote bleue et pantalon rouge) est celle qui sera portée à Morhange ; les cartou­chières rigides d'exercice remplacées alors par les cartouchières à soufflets, dites de mobilisation.

* A ce préambule tracé le lendemain de l'accident qui allait avoir des suites mortelles, j'ai cru devoir ne rien changer lors de l'impression de ce travail.

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sur Verdun, abordait l'an passé l'étude de La Marne ; il ne s'y embarrasse pas du jugement de Joffre et, en conclusion aux événe­ments de Morhange, n'a point de vergogne à marquer : « Les Fran­çais avaient reculé en désordre jusqu'au Grand Couronné de Nancy et sur la ligne de la Meurthe. »

Comme il ne saurait être question de faire ici de polémique, nous nous contenterons, au passage, de montrer son béjaune à notre auteur ; mettant en scène un peu plus loin le général de Maud'huy, il va nous raconter qu' « à Morhange, au cours d'un combat de nuit, il s'était porté aux premières lignes au milieu de ses fantas­sins ; les mitrailleurs allemands tiraient, Maud'huy criait : « En avant avec moi ! » Comme deux hommes auprès de lui restaient couchés, il les avait secoués, indigné ; or, ils étaient morts ».

L'anecdote n'est pas mal troussée. Seulement, de Maud'huy n'était point à Morhange, et la 16 e division, qu'il commandait, ne comptait pas à l'armée Castelnau...

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Pourquoi Morhange ?

A cette question, la plus brève réponse comme aussi la plus pertinente tient en ces premières lignes du chapitre par lequel Foch, en ses Mémoires, présente « le 2 0 e corps dans l'offensive de Lorraine » : ' ! f 1 'I %j

« Une large offensive française en Lorraine pouvait se justifier comme une démonstration destinée à immobiliser dans cette région les importantes forces allemandes qui s'y trouvaient. »

Nous verrons ce qu'il en advint. Mais, tout d'abord, présen­tons les partenaires qui vont s'affronter sous Morhange. Côté fran­çais, ce sera l'affaire de la 2 e armée, armée de Castelnau, composée primitivement des 20 e , 18 e , 9 e , 15 e et 16 e corps d'armée, des 2 e et 10 e divisions de cavalerie et du 2 e groupe de divisions de réserve.

L'instruction générale n° 1 du général Joffre, en date du 8 août, disposait à son sujet que :

« L a 2 e armée, sous les ordres du général de Castelnau, devra se tenir prête à attaquer en direction de Château-Salins—Sarrebruck. Elle se servira, à cet effet, de la tête de pont de Nancy dont elle devra assurer la possession. Le 2 e groupe de divisions de réserve qui lui est affecté devra pouvoir être dirigé, au fur et à mesure de ses débarque­ments, vers la région de Nancy, pour s'opposer à toute intervention des forces allemandes pouvant déboucher de Metz, et assurer la cou­verture de la 2 e armée sur son flanc gauche. »

L'armée Castelnau s'articulait, à droite, à l'armée Dubail ( l r e armée), qui devait coopérer à l'offensive de la 2 e armée en attaquant au-delà de Baccarat en direction de Sarrebourg-Sarregue-mines, la droite de son gros suivant la crête des Vosges, et son extrême-droite, par la plaine d'Alsace, appuyant au Rhin le dispo­sitif général. A gauche de l'armée Castelnau, l'armée Ruffey (3 e armée), assumant la liaison entre les actions projetées sur la rive droite de la Moselle et celles intéressant le nord d'une ligne Verdun—Metz, devait se tenir prête à rejeter sur Metz et Thion-ville les forces allemandes qui en auraient débouché.

Effectivement, la masse principale allemande, établie devant Thionville et au Luxembourg, était en mesure de déboucher aussi bien vers l'ouest que vers le sud en s'appuyant sur la formidable place de Metz. Dans leur Historique des événements du 20 août,

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les Allemands établiront que l'attaque fut menée, de leur côté, par des éléments de la garnison de Metz ( 3 3 E division de réserve et 5 3 E brigade de Landwehr) opérant en direction de Nomeny ;

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Fantassins allemands du 1 3 1 e ; photo contemporaine de la précédente, postée à Morhange (Merchingen) le 10 avril 1914, cliché K. Montag à Bitche. A l'exception du pantalon noir du temps de paix, les soldats portent la tenue « feldgrau » de campagne qui sera la leur en guerre.

d'autre part, la 10 e division d'ersatz marchant de Rémilly sur la côte de Delme ; le I I I e corps d'armée bavarois marchant de Han-sur-Nied—Vatimont—Lesse (couvert par la 8 e division de cava­lerie et la division de cavalerie bavaroise) sur Hannocourt— Oron—Château-Bréhain ; le I I e corps d'armée bavarois marchant de Baronville et Morhange sur Hampont—Wuisse ; le X X I e corps d'armée marchant de Bénestroff sur Dieuze—Rorbach et, enfin, le I e r corps d'armée bavarois de réserve marchant sur Langatte.

Après avoir évoqué les forces qui'"s'affronteront dans la bataille de Morhange, il convient de brossef "là* topographie du

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vaste champ de bataille ; saurait-on faire mieux que d'en laisser le soin à Foch, en empruntant à ses Mémoires la description qu'il en a fait ? Il l'aborde après un préambule qui a aussi sa place ici :

« L'offensive en Lorraine ne pouvait aspirer à poursuivre, dans cette direction distincte et séparée du théâtre principal des opéra­tions, des succès de nature à modifier les conséquences de la grande rencontre qui allait mettre aux prises le gros de nos forces avec la principale masse ennemie dans une région forcément éloignée. Elle de­vait en outre présenter de sérieuses difficultés et de réels dangers. La Lorraine était, en effet, un théâtre d'opérations isolé, fermé, sauf à l'entrée, d'une structure spéciale et que l'art avait particulièrement renforcé. »

S'ensuit la description, d'une précision évocatoire toute mili­taire :

« Il se présentait sous la forme d'un triangle allongé dont la base, qui formait la frontière commune, était ouverte et dont les deux côtés étaient la Moselle à l'ouest et la Sarre à l'est, deux obstacles sérieux. La Moselle le séparait du théâtre de la rencontre du gros des forces, et cette rivière était commandée par la place de Metz-Thion-ville, qui en protégeait les rives à une grande distance. Par là était augmentée la valeur déjà considérable de la barrière existant entre la Lorraine et le théâtre d'opérations du Nord. Cette rivière fournissait également, avec la fortification étendue qui l'appuyait, une magnifique base de contre-attaque pour les nombreuses réserves que l'ennemi pouvait, à un moment donné, prélever sur la masse de ses armées en opérations et qu'il avait la facilité de transporter rapidement en utilisant les nombreux chemins de fer convergeant sur Metz et Thion-ville, comme aussi de réunir dans une région entièrement abritée sous le canon de ces places. De là, il lui était facile de les lancer dans la bataille de Lorraine s'il y avait un avantage. La Sarre, à l'est et au nord, constituait de même une ligne d'arrêt de valeur, soutenue en arrière et au sud par la place de Strasbourg et la ligne de la Bruche avec la fortification de Molsheim. Elle pouvait recevoir facile­ment les réserves d'une grande partie de l'Allemagne dans des condi­tions d'indiscutable sûreté. Elle formait ainsi une autre ligne de ma­nœuvre pouvant servir de base de départ à des contre-offensives puis­santes. Entre les deux rivières, vers le centre du triangle, la ligne de la Rotte-Albe, prolongeant celle de la Nied allemande, était depuis plusieurs années organisée et rattachée par la fortification à Thion-ville. Elle fournissait une solide transversale, autre ligne d'arrêt et de manœuvre facilement et avantageusement utilisable en combinaison avec les deux premières. De la côte de Delme, qui marquait l'extré­mité des organisations avancées de Metz, jusqu'à la Sarre de Sarre-bourg se présentait, sur une étendue de 45 kilomètres, le terrain disponible pour une offensive française. »

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Je vais anticiper ici sur le récit méthodique de l'action pour Morhange ; mais c'est le moment et le lieu d'emprunter quelques lignes aux Feuilles de route et remembrances que je faisais paraî-ter deux ans avant la publication des Mémoires de Foch ; elles n'ont donc pu être influencées par la lecture de ceux-ci. Cela se place en fin de matinée du 19 août ; j'écrivais :

« Nous traversons Morville sous les regards graves des habitants, et leur expression de compassion nous donne froid. Ces regards en ont confirmé plus d'un parmi nous dans le sentiment que nous entrions dans un piège. Par un long raidillon, nous parvenons à un point d'où nous apparaissent la vallée de la Petite-Seille et de nom­breux villages, à perte de vue.

« Ces lointains calmes, sous le soleil de midi, voilà le piège — mais nul n'y pense plus, tant est grandiose le spectacle. Il faudra, pour nous le rappeler tout à l'heure, les éléments de tranchées aban­données de Château-Voué—Dùrkastel ! — et leurs abatis sacrilège-ment faits de beaux mirabelliers. Puis le bruit d'un singulier orage qui commence à gronder au loin, dans la direction vers laquelle les « Prussiens » sont partis, un bruit sourd et rythmé. »

Après cette incidente où j'évoquais un piège, on comprendra que j'aime citer Foch à nouveau, car il poursuit, en ses Mémoires :

« En fait, la souricière allemande une fois tendue comme elle l'était en août 1914, pouvions-nous espérer, dans un vigoureux élan, l'enfoncer malgré sa profondeur de 60 kilomètres et passer au travers pour obtenir des résultats décisifs avant qu'elle ait eu le temps de jouer sur nous ? C'était plus que risqué. Mais il nous suffisait, par une offensive de démonstration à coups répétés, d'obliger l'adversaire à la maintenir tendue pour immobiliser les forces ennemies qu'elle renfermait, par là apporter notre aide à la grande bataille qui devait se livrer ailleurs. »

La bataille de Morhange ? Toute son économie est enclose eh ces lignes du futur vainqueur de la guerre.

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Comment s'engagea la bataille

Les opérations préliminaires ayant été entamées dans la jour­née du 14 août :

« ...la 2 e armée — c'est à nouveau Foch qui parle — la 2 e armée, se couvrant face au nord, doit d'abord agir offensivement en s'éten-dant à l'est, vers la région d'Avricourt, pour se lier à la I r e armée et attaquer ensuite en direction du nord-est à la gauche de cette armée. Cette action doit être exécutée par les 16 e , 1 5 e corps et le gros du 2 0 e

dans un dispositif échelonné, la droite en avant, le reste de la 2 e armée couvrant l'attaque.

« En particulier, le 2 0 e corps aura à marcher contre la crête Donnelay-Juvelize. A sa droite, le 1 5 e corps marchera en direction d'Hellocourt, le 1 6 e corps sur Avricourt, tandis qu'à sa gauche, le 9 e corps couvrira l'attaque depuis Marsal jusqu'à la Moselle.

« Enfin, en arrière, le 2 e groupe de divisions de réserve (59 e et 6 8 e , général Léon Durand), en cours de débarquement, s'établira au fur et à mesure de l'arrivée de ses éléments sur la position préparée à l'est de Nancy. »

On voit que l'attaque, pour ainsi dire frontale, sur Morhange se trouvait incomber au 2 0 e corps d'armée. C'était le corps d'armée de Nancy-Toul, dont Foch était venu prendre le commandement le 22 août 1913. Il comportait la division de Nancy, la 1 1 e — la « division de fer », général Balfourier — et celle de Toul, non moins mordante, la 39 e , général Dantant. La 1 1 e division était formée des 2 1 e brigade (26 e et 6 9 e régiments d'infanterie et 2 e ba­taillon de chasseurs à pied), 22 e brigade (37 e et 79 e régiments d'in­fanterie et 4 e bataillon de chasseurs à pied), du 8 e régiment d'artil­lerie de campagne, d'un escadron du 5 e hussards et de la compa­gnie 2 0 / 1 du 10 e génie. La 3 9 e division était formée des 77 e bri­gade (146 e et 153 e régiments d'infanterie), 7 8 e brigade (156 e et 160 e régiments d'infanterie), du 39 e d'artillerie de campagne, d'un escadron du 5 e hussards et de la compagnie 2 0 / 2 du 10 e génie.

C'est dès 7 heures que le 2 0 e corps débouchait en ses élé­ments de tête, « l a 1 1 e division à droite, la 39 e à gauche, couvert par un détachement placé sous les ordres du général Wirbel et

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opérant de part et d'autre de la route de Moncel en liaison avec le 9 e corps ».

Notre régiment — le 6 9 e d'infanterie — s'était mis en marche dès le soleil levant. Une fusillade ininterrompue était bientôt per­ceptible, quoique lointaine encore, en direction de l'est. Le général de Castelnau avait impérieusement rappelé « la nécessité d'orga­niser méthodiquement les attaques en faisant préparer et soutenir chaque bond en avant de l'infanterie par une artillerie puissante ». Hélas, en cet été 1914, il ne dépendait point du chef de la 2 e armée que nos troupes eussent été dotées de l'artillerie qui, précisément, leur était nécessaire. C'est une évidence qui n'aura point tardé à s'imposer aux « poilus » — et il aura fallu attendre le cinquan­tième anniversaire des événements pour voir l'un de nos chroni­queurs les plus lus * mettre en balance, entre autres les « 2.929 pièces d'artillerie de campagne eî; 436 pièces d'artillerie lourde » des Allemands avec les « un peu plus de 3.000 canons de campa­gne et 184 canons lourds» des Français, pour en déduire sans broncher que « les forces sont sensiblement égales ». A 436 contre 184 ? On jugera...

C'est André Tardieu, dans son admirable Avec Foch (août-novembre 1914), publié au mois de mai 1939 et que la « drôle de guerre» allait vouer à l'oubli, c'est André Tardieu qui, en peu de lignes, rassemble les éléments nécessaires à une saine appréciation de l'impardonnable carence qui ne put être compensée que par des flots de sang français :

« Notre 75 avait une magnifique supériorité de rusticité, de résis­tance et d'efficacité. Mais tout de suite, on s'aperçut qu'il manquait de munitions... Tous nos canons ensemble disposaient, en 1914, de moins de 5 millions d'obus, alors que, quatre ans plus tard, la production mensuelle dépassait 9 millions. Ce qu'on a pu faire, en pleine guerre, pour la production des munitions, condamne ceux qui, dans le temps de paix, n'avaient pas su la préparer.

* Raymond C A R T I E R , dans Paris-Match, no du 8 août 1964, p. 67 ; le même, p. 60, avance que « le nombre des mitrailleuses — six par régiment — est le même des deux côtés », ignorant que le commandement allemand disposait en outre de compa­gnies autonomes de mitrailleurs (coiffés du shiako et non du casque à pointe).

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« D'autre part, nous manquions totalement de canons lourds de campagne... Pourquoi l'armée française ne possédait-elle pas les pièces que les usines françaises fabriquaient, depuis plusieurs années, pour les pays étrangers ?

« Le fait est que, en août 1914, nous avions en tout et pour tout cent quatre canons Rimailho de 155 court à tir rapide. »

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Mais reprenons la marche. Dès l'après-midi de cette veille de l'Assomption, nos deux divisions, qui, dans la matinée, avaient fini par occuper facilement les hauteurs dominant la crête fron­tière, allaient se trouver soumises « au feu d'une nombreuse artil­lerie, pièces lourdes, tir parfaitement réglé, qui, grâce à leur por­tée, sont hors d'atteinte de nos canons de campagne ». Pour Foch comme pour nous, ce sera le premier contact avec les « gros noirs » — l'engagé volontaire du 4 e de ligne, en 1870, avait fini la cam­pagne à Chalon-sur-Saône, aimait-il rappeler, comme élève-capo­ral. Ses impressions de chair à canon, il les a gardées pour lui ; seul le stratège aura eu la parole, qui constatera flegmatiquement dans ses Mémoires :

« Dès à présent, il apparaît que l'artillerie conditionne l'entrée du champ de bataille avant que toute intervention y soit possible à l'infanterie ; celle-ci n'y peut faire circuler que de faibles détachei-ments ; sa volonté de joindre la ligne ennemie pour l'écraser de ses feux et l'aborder dans l'assaut se trouve barrée dès le début par l'artillerie adverse. Il va falloir combattre cette artillerie avec la nôtre avant de demander à celle-ci de préparer et d'appuyer l'attaque de notre infanterie ».

Dure nécessité, lorsque l'on sait la supériorité numérique et la supériorité de portée de l'artillerie lourde allemande — mais pourtant nécessité inéluctable, et qui rend compte de l'importance des pertes qu'il serait injuste de laisser imputer à des cadres sup­posés non ménagers du sang de leurs soldats ; au reste, c'est Foch lui-même qui poursuit : « Une première préoccupation de retenir des troupes par trop allantes et de leur faire préparer avec un grand soin leurs opérations, ne pouvant, dès à présent, échapper au haut-commandement ».

Les objectifs n'en sont pas moins atteints ; les éléments de première ligne se retrancheront donc sommairement sur leurs posi-

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tions pour pouvoir en déboucher commodément le lendemain ; Foch établit à Serres son quartier général.

Le 15 août, l'offensive reprend dès 4 heures, « le 2 0 e corps a plus particulièrement comme tâche de couvrir l'attaque du 15 e

sur Maizières en maintenant inviolable le front face au nord et en attaquant Donnelay » ; mais il lui faut attendre, pour débou­cher, que le 15 e corps soit parvenu à sa hauteur, et celui-ci, très éprouvé la veille, ne sera pas en état de reprendre l'offensive avant le lendemain : à la faveur de l'immobilité que lui impose ce contre­temps, le 2 0 e corps est pris à partie par l'artillerie allemande qui « dirige sur lui un feu violent et bien réglé de gros calibre ».

**

C'est le 16 août, tandis que la droite du 2 0 e corps a repris son avance dès 7 heures, que ma compagnie découvrira, en avant de Moncourt, parmi les débris habituels jonchant un champ de bataille, les premiers morts du combat du 14 : des fantassins du 112 e , au pantalon rouge gainé de molletières, qui gisent déséquipés, le visage recouvert d'une poignée d'épis mûrs, et sur lesquels le P. Tailliez, aumônier du 69 e , vient esquisser un geste d'absolution.

La marche reprend par sections, à travers champs, sous une pluie battante, et bientôt nous franchissons la frontière, que le poteau à l'aigle allemande, toujours debout, nous signale au pas­sage. Il y a dix jours déjà, au soir de notre baptême du feu à Pet-toncourt, que mon escouade a jeté bas un semblable poteau, et que j 'a i eu la joie sans prix de lui porter les premiers coups de pioche. Comme le poteau de Moncourt, resté debout, celui du « chemin des vignes » de Novéant à Arnaville demeurera planté jusqu'à ce que le général de Maud'huy lui fasse un sort — en 1918 — et c'est beaucoup plus tard que le plaisir m'adviendra de l'intégrer aux collections du Musée de Metz.

Trempés par la pluie et toujours à travers champs, nous dépassons Moncourt, arrivons à Ley sur les talons des Allemands et couchons sur leur paille. Un peu froids, les habitants, comme il sied à des gens qui se découvrent placés entre l'enclume et le mar­teau ; pourtant, bon nombre d'entre nous auront lieu de s'étonner de les entendre s'exprimer en français ; ils rapportent que les

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Allemands ont commencé de se replier en direction de Dieuze dans la matinée de l'Assomption, et que leur retraite s'est prolongée tout au long de la nuit. Partout des vestiges divers, lambeaux d'uni­formes, paniers d'obus fournissent d'ailleurs les témoignages d'une retraite hâtive ; de surcroît, des prisonniers vont reconnaître les effets terrifiants de notre 75. Foch presse ses divisions de recher­cher le contact sur tout le front du corps d'armée, d'occuper au plus tôt Donnelay et Juvelize ; en fin de journée, le 2 0 e corps y sera solidement installé, sa gauche tenant la Seille dans la région de Château-Salins.

Dès le réveil, le 17 au petit jour, le 6 9 e se regroupe au nord du village, dans les terres détrempées par une pluie qui n'a cessé tout au long de la nuit ; la 2 e armée tout entière entame un redres­sement face au nord en vue de l'offensive ; c'est formé en colonne que le régiment va gagner la grand-route — et c'est là, à hauteur de Lezey, que, pour la première fois, nous apparaîtra sur les bornes kilométriques le nom prestigieux de Metz. Les peupliers de la route, mutilés par les obus, des caissons d'artillerie allemande culbutés sur notre droite, tout témoigne de l'ardeur des récents combats, et un vieillard trépignant d'allégresse nous lance au pas­sage qu'une batterie entière gît anéantie entre Juvelize et Donnelay. Mais voici, un peu plus loin, un de nos frères d'armes, un fantas­sin encore, étendu sur la face, complètement équipé, dans le fossé de la route... Nous avons repris la direction de l'ouest, le corps d'armée serrant sur sa gauche, ses forces de tête ayant à se pré­senter face au nord sur les hauteurs sud de la Seille, entre Marsal et Chambrey, où elles parviendront en fin de journée ; après un engagement avec la cavalerie allemande, le 5 e hussards, que Wey-gand commande en second, occupe Morville-lès-Vic et Château-Salins. Pour nous, nous atteignons Bezange-la-Petite pour y pren­dre cantonnement ; le nom du village a été travesti à l'allemande en Klein-Bessingen. Nous y couchons le ventre creux ; dès le len­demain, après diverses évolutions dans la nature, nous nous retrou­verons à Bezange, où le ravitaillement en pain et viande nous rejoindra enfin à la tombée du jour. Nos va-et-vient s'expliquaient par une laborieuse mise en place en vue de l'offensive générale dont l'heure approche. Datée de ce 18 août, l'instruction n° 3 de l'armée fait le point, et non sans optimisme :

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« L'ennemi cède devant nous ; en particulier, il a abandonné Sarrebourg et Château-Salins ; dans l'intérêt général, il faut le pour­suivre avec toute la vigueur et la rapidité possibles ; le général com­mandant la 2 e armée compte sur l'énergie, sur l'élan de tous pour atteindre ce résultat ;

« Il invite les commandants de corps d'armée à inspirer à leurs troupes cet état d'âme différent de l'esprit de méthode qui s'impose vis-à-vis d'organisations défensives préparées ;

« Dans le même ordre d'idées, les éléments lourds, qui retardent la marche, seront rejetés en queue des colonnes, jusqu'au moment où leur entrée en action deviendra nécessaire. »

Hélas, parmi les éléments lourds, on ne s'avise pas encore de ranger l'équipement du fantassin, qui ne sera que plus tard dé­chargé de son sac ; le sac pleinement équipé, les cartouchières à soufflets bourrées de munitions, le fusil et la baïonnette ne totali­sent pas moins d'une quarantaine de kilos.

Un ordre du jour vient régler l'exécution des opérations du 19 août :

« Demain 19, l'armée poursuivra son offensive en vue d'atteindre le front Sarrebruck—Pont-à-Mousson ;

« Les têtes des gros franchiront à 8 heures la ligne Seille—canal des Salines et ne dépasseront pas en fin de journée la ligne marquée par l'Albe en aval de Léning prolongée par les lignes Virming— Morhange—Baronville ;

« Le 1 6 e corps d'armée, tout en couvrant l'armée vers l'est, se portera en direction générale de Léning—Saint-Avold.

« Le 1 5 e corps d'armée attaquera en direction générale de Ro-dalbe—Pontpierre ;

« Le 2 0 e corps d'armée débouchera à l'ouest de Marsal inclus en direction générale de Château-Salins—Faulquemont ;

« Le groupe des divisions de réserve couvrira le flanc gauche de l'armée dans la direction générale de Metz. Au fur et à mesure de sa progression, il s'établira face au nord-ouest pour être en état de résister à toute offensive débouchant de Metz. »

Le 18 e corps d'armée ayant cessé depuis le 17 août de faire partie de la 2 e armée, et le 9 e corps ayant été mis à la disposition du commandant en chef, le flanc gauche de l'armée Castelnau ne se trouvera plus protégé que par le groupe des divisions de réserve appelé à s'étirer sur plus de 50 km, protection « plus que précaire, inexistante en quelque sorte », constatera Foch, qui, conformément aux instructions reçues, « donne ordre au 2 0 e corps de marcher contre le front Baronville—Morhange, la 11 e division visant le

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front Morhange—signal de Baronville, la 3 9 e division visant Baron-ville et le signal de Marthille » ; sur sa gauche, le corps d'armée reste couvert par le détachement Wirbel, assurant la liaison avec la 6 8 e division de réserve.

C'est proprement la bataille de Morhange qui s'engage.

Pour nous, 69 e , c'est au petit jour que nous quittons Bezange-la-Petite. Je note que « deux jours de cantonnement n'ont pas pu compenser les nuits sans sommeil qui sont notre lot depuis le 30 juillet, et le soleil est chaud, et la musette est vide... A-t-on plus sommeil que faim ? Plus chaud que sommeil ? On ne sait pas ; on marche... Tous, paysans, ouvriers, gratte-registres ou petits bourgeois, les voilà tels qu'ils se sont montrés en toute occasion depuis bientôt deux ans de vie commune ; les « costauds » et les gringalets, ceux qui grognent hors de propos, ceux qui rient sans raison : tels qu'ils resteront sous les premiers gros noirs, tout à l'heure, la langue collée au palais par la soif et les yeux bouffis de sommeil ».

Vers 10 heures, on atteint Moyenvic où pendent déjà quel­ques drapeaux français et deux pavillons blancs timbrés de la croix rouge. Passé le pont sur la Seille, voici une maisonnette aux murs fraîchement percés de créneaux, puis quelques tranchées hâtivement creusées. Non loin de Salivai, le bataillon fait halte et la 1 1 e compagnie est mise au repos en bordure de la route : son commandant, le capitaine Noël, nous annonce que les chasseurs du 4 e bataillon sont là, dans les bois, sans ravitaillement depuis trois jours, tandis que nous ne jeûnons que depuis dix-huit heures... Et donc « quatre caporaux passent avec des sacs de campement — je fais ainsi la quête dans la première section — et les plus for­tunés d'entre nous y déposent la moitié du pain qu'ils avaient conservé : soit gros comme un oignon... » Puis sac au dos, et en route. Bientôt, abandonnant la route de Metz, nous . traverserons Morville-lès-Vic comme je l'ai déjà dit, puis, après six ou sept kilomètres vivement abattus, dépassés par des caissons d'artillerie roulant à folle allure, nous nous portons dans les prés, entre Wuisse et Dédeling : se profilant à l'horizon, le temple de garnison de Morhange évoque irrésistiblement la cathédrale de Strasbourg. Mais déjà, sur nos têtes, l'air est parcouru de souffles étranges ; derrière nous, plusieurs obus explosent mollement dans la terre

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grasse : les artilleurs d'en face s'appliquent à encadrer la 11 e du 6 /9 , qui, fort réglementairement, se déboîte par sections dans le plus grand ordre, pour restreindre la cible. Des impressions ?

«Voici comme un battement d'ailes lent et puissant — puis rrran ! Cette fois ça se rapproche. Et simultanément, deux choses parties du fond de l'horizon semblent accourir sur nous avec un bruit atroce de ferraille et de vapeur lâchée. Rrran ! Rrran ! A gauche, à droite. La terre en tremble sous nos pieds et sa vibration a gagné nos entrailles. Sur nos dos blottis en carapace, voici que retombent en pluie les mottes, la pierraille et les éclats d'acier qui ont giclé en une gerbe heureusement trop étroite.

« Desprez, oubliant les palpitations de cœur qui, naguère, lui interdisaient longues marches et émotions, lève la tête et glapit de sa voix aigre : « Mais crois-tu qu'on aura la guerre ? »

« Devant nous, décoiffé par l'explosion, un canonnier du 60 e , qui passait avec un caisson, enveloppe d'un large coup de fouet son attelage raidi sur ses jambes et, très calme, claquant de la langue, lui fait franchir la crête entre deux hautes colonnes de fumée sombre. »

Et ce sont nos premiers gros noirs.

#*

Mis à la disposition du colonel du 79 e en vue de la liaison avec le 15 e corps, nous faisons, dans la prairie, un va-et-vient de carrousel puis nous nous portons à la lisière de la forêt de Bride et de Kœking, tandis que des explosions régulières continuent de retentir sur notre flanc gauche, crevant de soudaines flaques de lumière une lourde fumée noire. Et puis des brancardiers refluent, en file indienne, longeant la lisière, lents, graves et muets, portant sur leurs épaules les couchettes de toile ensanglantée qu'ils posent parfois à terre avec des précautions maternelles.

Les obus continuent de nous chercher comme à tâtons dans le jour déclinant, cependant que nous entrons en forêt par le che­min de la Tuilerie ; reconnaissables à leur ferrure, des chevaux allemands gisent dans le fossé. Il est près de 23 heures quand nous atteignons la ferme du Haut-de-Kœking, aux confins de Lidrezing ;

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une fusillade nourrie, d'où se détache le crépitement régulier de plusieurs mitrailleuses allemandes, meuble le silence, si régulière qu'on évoque quelqu'usine au travail dans la nuit.

Murmures et craquements perçus autour de soi nous infor­ment que le bataillon se regroupe là en vue d'une attaquç sur la cote 343 ; mais un contre-ordre nous envoie vers Sotzeling en ren­fort d'éléments du 37 e ; derrière nous, les Allemands se ruent, en vain, sur la position que nous venons de laisser aux mains de camarades de notre division ; la ferme est en flammes. A Sotze­ling, le 37 e se trouve déjà renforcé par un bataillon du 79 e , son jumeau de brigade. La journée du 20 août vient de naître. Nous nous épuisons en marches et contre-marches, presque à tâtons, semées d'à-coups, si fatigués que les hommes se jettent à terre à l'occasion du moindre arrêt pour y chercher l'illusion du repos ; enfin, parvenus à Wuisse, nous y faisons halte pour un cantonne­ment de quelques quarts d'heure, au terme desquels le soleil levant nous voit en route vers Château-Voué.

A 5 h 15, Foch aura pu rendre compte que le 2 0 e corps a passé la nuit sur ses emplacements et qu'il va reprendre l'attaque à 6 heures ; soucieux de la sécurité de son flanc droit et de l'aide à donner au 15 e corps, il prescrit à la 1 1 e division de renforcer les éléments qui tiennent les hauteurs de Kœking. Or, déjà et dès avant le jour, de nombreux groupes ennemis ont pris à partie le déta­chement Wirbel et attaquent ses positions, puis une puissante artillerie, joignant ses efforts à celle des hauteurs de Marthille et de Baronville, se déchaîne de flanc et de front contre la 3 9 e divi­sion, dont deux groupes d'artillerie sont tôt mis hors de combat ; la division se replie sur Château-Bréhain et Bréhain. Du même coup sont enrayés les projets d'offensive sur Morhange de la 1 1 e

division, qui subit, elle aussi, de puissantes attaques et perd Con-thil, dont notre artillerie interdit pourtant tout débouché à l'infan­terie ennemie. La division parvient à se maintenir, de même que le détachement du Haut-de-Kœking. Vers 7 heures, l'ennemi a réussi à contraindre au repli la 3 9 e division, mais demeure contenu sur l'ensemble du front de la 11 e . A 7 h 15, le chef de la 2 e armée fait tenir à Foch l'ordre suivant : « Une forte offensive ennemie débouche de la forêt de Bride et Kœking dans le flanc de la 3 0 e

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division ; attaquez immédiatement vers Lidrezing pour enrayer cette offensive et dégager le 15 e corps d'armée. »

Ainsi fait le commandant du 20 e corps, prescrivant au gros de ses troupes de se maintenir par ailleurs solidement sur la défensive ; puis il ordonne d'organiser en arrière une ligne de résistance sur Château-Bréhain—Dalhain—bois d'Haboudange— Haut-de-Kœking.

Cependant, à l'ouest de Château-Bréhain, l'ennemi a fini par déborder le détachement Wirfoel et s'est introduit dans le bois de Viviers ; vers 10 heures, il contraint la 6 8 e division de réserve à abandonner Faxe et Viviers et à se replier sur Laneuveville-en-Saulnois, et bientôt son attaque, s'étendant jusqu'à la route de Delme à Château-Salins, va pouvoir menacer le flanc et les com­munications du 20° corps. C'est le moment où, pour son compte, sous un soleil de plomb, notre bataillon est lancé à l'attaque sur Conthil, où l'ennemi vient de bousculer des éléments du 37 e . Dé­ployée par sections, notre compagnie s'élance par bonds, sous les obus de 77 qui commencent à pleuvoir ; de l'avant nous parvient un bruit infernal de feux de mousqueterie, et les blessés refluent. Un nouvel ordre vient nous immobiliser sur place. Près de nous, des brancardiers déposent doucement sur le sol, hors du brancard, un capitaine du 79 e pour qui tous les soins sont inutiles, mais dont le képi neuf n'a pas quitté la tête. Par une effroyable rencontre, ce saint-cyrien, frappé à la tête et qui agonise sur les genoux d'un brancardier, n'est autre que Jean Kaufmant, le propre frère de notre chef de section, Pierre Kaufmant, lui aussi saint-cyrien, qui s'agenouille près de lui et essaie vainement d'en obtenir une parole...

Il est 10 h 10 : Castelnau vient d'ordonner le mouvement de retraite générale. Ici se place une anecdote qu'on ne saurait laisser perdre ; on la doit au commandant Charles Bugnet, confident du maréchal, qui la rapporte dans son inoubliable recueil d'inter­views En écoutant le maréchal Foch :

« Le 2 0 août, devant Morhange, une de ses divisions, la 39 e , monte à l'attaque des hauteurs tenues par les troupes du prince de Bavière. Echec ! Qu'importe ! La seconde division, la 1 1 e , est là, indemne, prête à rétablir la situation. Mais tout à coup : ordre de battre en retraite...

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90 LA BATAILLE DE MOR1HANGE

« Si jamais fai voulu désobéir, c'est bien aujourd'hui ! déclare Foch sans ambages au colonel Duchêne, son chef d'état-major 1 . A quoi celui-ci rétorque : « Vous ne savez pas ce qui se passe aux corps d'armée voisins ! » Et en effet, à gauche, le 9 e corps d'armée avait dû s'arrêter devant la menace de forces sorties de Metz, et, à droite, le 1 5 e corps reculer et découvrir le flanc du 2 0 e . »

L'ordre de retraite prescrivait : « au 1 5 e corps d'armée de venir s'établir sur le front Marsal—Mari-mont ; « au 16 e , de prendre comme direction de repli Maizières et Réchicourt-le-Château ; « au 2 0 e , de refuser son aile droite pour s'appuyer sur la Seille à Marsal et tenir le front Marsal—Hampont—Amelécourt—Fresnes-en-Saulnois—Jallaucourt. »

A 11 h 45, Foch ordonnait à ses divisions de faire mouvement vers le front fixé — quand, sur ces entrefaites, lui parvenaient de nouvelles instructions ; elles précisaient que :

« La mission générale du 2 0 e corps d'armée est de couvrir la retraite de la 2 e armée en se maintenant le plus longtemps possible sur la tête de pont de Château-Salins ; la 6 8 e division de réserve est mise sous ses ordres » 2 .

Le 2 0 e corps demeurera donc dans la gueule du loup. Pour notre compte, le 3 e bataillon du 69 e , retraitant par la route encom­brée d'un va-et-vient de caissons d'artillerie affairés à l'approvi­sionnement des pièces, gagne rapidement, par Hampont, les lisiè­res du bois de la Géline et s'y organise défensivement pour couvrir la retraite de la 11 e division. Foch, qui, vers 14 heures, y a trans­porté son poste de commandement, a établi sur la crête du bois toute l'artillerie lourde du corps d'armée ; il y restera de sa per­sonne jusqu'à la tombée de la nuit.

En ce moment, mon escouade, renforcée de quelques sapeurs du génie pourvus d'outils de parc, travaille fiévreusement, en avant de la lisière, en contrebas du chemin de Hampont à Haraucourt, à creuser une importante tranchée — et moi j ' a i reçu du capitaine

1 Le colonel Denis Duchêne était l'ancien colonel commandant le 69 e , que Foch nous avait pris lorsau'il reçut le commandement du 20 e corps, pour en faire son chef d'état-major, et qui eut pour successeur à la tête du régiment le colonel de Cissey, à qui il restait douze jours à vivre après les journées de Morhange.

2 Dès 16 h 50, la 68e division sera remise, par Castelnau, à la disposition du groupe de divisions de réserve pour être employée à la défense de la position fortifiée de Nancy.

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LA BATAILLE DE MORHANGE 91

Noël l'ordre de trouver le moyen de donner à manger à mes hommes. Les mieux nourris sont ceux qui réussirent à récolter quelque mai­gre pitance dans notre court passage à Wuisse (j'ai, pour ma part, pu y gober un œuf...). Tout compte fait, je recueille de deux hommes deux petites boîtes de farine de pois que je délaie dans un peu d'eau et fais chauffer vaille que vaille dans un couvercle de bouthéans : chacun de nous en recevra moins d'une cuillerée à soupe — on se rappellera que nul ravitaillement ne nous a atteint depuis Bezange, l'avant-veille, et notre jeûne n'est pas fini. Mais j'allais oublier le dessert : un des hommes de l'escouade a pu découvrir un jeune mira-bellier et remplir le quart d'un képi de ses fruits, qu'il nous distri­bue par pincées.

Cependant, par petits paquets, par dizaines d'hommes ou par sections entières, des camarades du 37 e débouchent de la corne sud-ouest de la forêt de Bride et de Kœking qui s'allonge sur notre droite, quelques-uns, blessés, s'aidant d'un bâton, le bras en écharpe ou la tête bandée, mais tous exténués, ils s'orientent près de nous, anxieux de se regrouper à l'arrière. Tous répètent la même tragique antienne : qu'il n'y a plus de 37, que tous les copains sont restés dans les avoines, fauchés par les mitrailleuses... Puis passent en cours de repli des éléments coordonnés des deux premiers batail­lons du 69 e ; quelques hommes jettent au passage qu'ils ne laissent personne derrière eux, sauf Hartmann. Héros incontestable, le lieu­tenant Fernand Hartmann, qui commandait la section de mitrail­leurs du premier bataillon, a ordonné à ses servants de retraiter, et puis est demeuré seul, approvisionnant sa pièce et tirant dès qu'il discerne du feldgrau. Depuis l'an passé, tous, au régiment, sont témoins d'un délabrement progressif de sa santé, mais qui n'affecte en rien son énergie ; il est manifeste qu'il a choisi de se faire tuer en coûtant cher aux occupants de son Alsace maternelle. Il est de ceux qui auront le plus efficacement découragé la poursuite, et, ayant pu décrocher à la faveur de la nuit, il connaîtra la joie amère de ne tomber au champ d'honneur que la semaine suivante, devant Lunéville, en pleine revanche de la 2 e armée.

3 Comme il en advint pour les godillots, les chassepots, les lebels, etc., les boutihéons — bientôt travestis en bouteillons — ou marmites individuelles, avaient tiré leur nom de celui de leur fabricant.

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Maintenant, inactifs sur notre belvédère, nous demeurons, enfants perdus, sans instructions nouvelles.

Sous nos yeux, le spectacle devient grandiose et terrible. Dans la brume du soir tombant, les fumées traînantes et la poussière, que déchirent les brefs éclairs des explosions d'obus battant sa route, la vieille 11 e division — la Division de fer — retraite en colonnes impeccables au-dessus desquelles éclatent, trop haut, des fusants de 77. A un moment donné, je ferme les yeux avec l'appré­hension de les rouvrir : une rafale de six obus vient d'éclater en plein au-dessus de la colonne. Quand je regarde enfin, je vois quatre sections qui ont déboîté et cheminent dans les champs parallèlement à la route, sans avoir laissé une seule victime... Six incendies jalon­nent l'horizon. De tous les beaux villages dénombrés la veille monte le tocsin... De-ci, de-là, des héros du 8 e d'artillerie, égaillés, sans soutien, servent fiévreusement les longues pièces grises aux abois rageurs. Au moment même où, spectateur forcé, je redoute que l'ennemi mette en batterie sur la croupe boisée qui ferme l'horizon vers Dédeling, quatre fulgurantes flaques de feu y soulignent la lisière. L'artillerie lourde allemande occupe-t-elle maintenant la position propice d'où elle mettra en tronçons le long serpent gri­sâtre de nos régiments en retraite ?

Les flaques lumineuses se renouvellent méthodiquement, à intervalles réguliers. Puis, au-dessus de nos têtes, je discerne enfin des souffles mous d'obus lourds qui se vissent dans l'espace — et ce sont, derrière nous, vraisemblablement démuselés sur l'ordre de Foch en personne, qui fait tenir son p.p.c. avant de regagner Moyen-vie, les rimailhos de la Géline qui sont entrés en action et hachent préventivement sous leurs terribles percutants la lisière dangereuse.

Cependant, le soir achève de descendre ; au loin, l'un après l'autre, les incendies s'apaisent ; les coups de canon ont cessé quand la nuit tombe enfin, au bruit de quelques courtes fusillades qui vont s'espaçant et cessent à leur tour. L'omlbre, apportant avec elle fraî­cheur et lourd silence, noie progressivement les routes où nos camarades en retraite ont fini de passer.

Peu avant midi, le 20 août, on se souvient qu'une instruction impérative prescrivait au général Foch que « la mission générale du 20 e corps d'armée est de couvrir la retraite de la 2 e armée en se

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maintenant le plus longtemps possible sur la tête de pont de Châ­teau-Salins » — instruction dont les termes mêmes se trouveront éclairer, expliquer la dépêche qui sera portée à la connaissance des éléments d'arrière-garde, le 21 août, au début de la nuit, transpor­tant d'enthousiasme des troupes pourtant harassées et qui, fait étrange, n'est rapportée dans aucun recueil des textes contemporains.

On a vu que, dans le décours de l'après-midi du 20 août, éma­nant d'Arracourt, une instruction du commandement de la 2 e armée avait prescrit à celle-ci de se dérober pendant la nuit sous la pro­tection d'arrière-gardes établies sur une ligne générale Maizières— Marimont — Donnelay — Juvelize — Marsal — Hampont — Fres-nes-en-Saulnois. A 21 h 45, ces directives recevaient confirmation depuis le quartier général replié à Nancy et d'où Castelnau, compte tenu des renseignements qui lui étaient parvenus alors, renouvelait à Foch ses instructions précédentes : « Le 15 e corps d'armée, très éprouvé, ne paraît pas en état de tenir à votre droite ; en consé­quence, j'estime qu'il vaut mieux que vous profitiez de cette nuit pour vous dérober. »

Effectivement, le 21 août, vers 4 heures du matin, les gros parvenaient au sud de la forêt de Bezange : moins d'une heure après, « les avant-postes sont de nouveau prêts à résister sur le front qui leur a été ordonné ». De tout quoi des auteurs se sont autorisés pour conclure tel récit des événements de Morhange sur ces mots : « Au soir du 20 août, hormis les morts et les blessés, il ne restait aucun des nôtres sur le champ de bataille. » Or, « j'étais là, telle chose m'advint », et je puis préciser que les 11 e et 12 e compagnies du 69 e ne décrochèrent des lisières du bois de la Géline, face à Hampont, qu'aux premières heures du 21 août. Par une progression silencieuse, l'une et l'autre eurent la chance de ne pas donner l'éveil à un peloton de uhlans venus occuper Morville-lès-Vic, de nuit, sur leurs arrières, et sans doute endormis dans la conviction, eux aussi, d'une totale retraite des troupes françaises. La 12 e compagnie attei­gnit Château-Salins sans encombre avant de mettre cap au sud ; quant à nous, la 11 e , après avoir atteint aux premières heures du jour naissant la route de Metz à Strasbourg à mi-distance de Mor-ville et de Salivai, nous marcherons trois heures durant et d'un bon pas avant de nous voir octroyer dix minutes de pause, trop heureux d'avoir déjoué la poursuite de l'ennemi. Trois heures auxquelles

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allaient s'en ajouter bien d'autres, puisqu'ayant débouché de la lisière est du bois de la Géline le 21 août avant 3 heures du matin, nous ne prendrons cantonnement qu'à 1 heure le jour suivant, 22, à la ferme de La Madeleine, à 2 kilomètres au-delà de Saint-Nico-las-de-Port.

On a entendu estimer à plus de 70 kilomètres la marche exem­plaire qu'avaient ainsi fournie, ultimes revenants de Morhange, les éléments derniers de l'arrière-garde du 2 0 e corps d'armée, et j ' a i contribué à accréditer une évaluation basée sur plus de vingt heures de marche effective. En fait, après un minutieux pointage sur la carte, il me faut préciser que nous avions couvert un peu moins de 45 kilomètres. Mais pour permettre de réaliser l'exacte valeur de cette performance, j'insisterai sur le fait difficilement croyable en temps de paix que nous marchions à jeun ou peu s'en faut. Tous nos vivres de réserve consommés — et quelque peu gaspillés — depuis longtemps, nous n'avions bénéficié d'aucun ravitaillement depuis la soirée du 18 août en notre cantonnement de Bezange-la-Petite : nous avons enduré les deux terribles journées de Morhange et l'interminable retraite du 21 août sans avoir perçu la moindre nourriture. Je puis témoigner de mon propre menu, qui rend compte en moyenne de celui de tous mes camarades : 19 août, un morceau de pain rassis gros comme un œuf, un quart de vin (acheté au fer­mier de Haut-de-Kœking), quelques pincées de blé cru ; 20 août, un œuf cru (cadeau d'une jeune fille de Wuisse), une cuillerée à café de farine de pois, deux ou trois mirabelles, quelques pincées de blé ; 21 août, un croûton de pain perdu par nos prédécesseurs, roulé sous leurs pieds, et décapé avec le canif, un quart de miel acheté à Athienville, deux pommes vertes et encore quelques pincées de blé vanné, en marchant, dans le creux de la main. C'est à la nuit tombée, devant Varangéville-la-Haute, que nous atteindrons enfin le ravitaillement, et chacun de recevoir un quart de boule de pain, un quart de vin, une tranche crue de viande de bœuf. Si loin de l'ennemi, il ne nous est plus interdit de faire du feu, mais si tard venus après les colonnes en retraite, il nous est impossible de décou­vrir plus que quelques brindilles mal sèches, à la maigre flamme desquelles nous présentons la viande fichée aux baïonnettes avant de la dévorer, chaude, mais toujours aussi crue, et sans sel. Il y a exactement soixante-douze heures que nous n'avons pu faire aussi copieux repas...

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Entre Arracourt et Athienville, nous avions remarqué dans les champs, de part et d'autre du chemin, des amas de quartiers de viande couverts d'essaims de mouches, et jetés là depuis deux ou trois jours par les trains d'équipage chargés du ravitaillement des troupes engagées. Peut-être faut-il penser, à leur décharge, que ces approvisionnements en viande crue avaient mal supporté le par­cours en voitures closes sous un soleil de plomb — car la cuisine roulante restait à inventer ; sans doute aussi faut-il se dire que l'extrême mobilité d'éléments effectuant d'incessantes navettes en rendait l'approche pratiquement impossible, et que les bordées de l'artillerie lourde de l'ennemi tracassant les arrières ne faisaient rien pour la faciliter... Quant à nos deux compagnies demeurées par ordre les dernières dans la gueule du loup, elles se trouvaient, il est vrai, exactement répondre à la dénomination d ' « enfants perdus » qui avait cours dans l'ancien vocabulaire militaire.

Enfin, ce fut ainsi — mais nous pourrons, en contrepartie, tenir pour un chef-d'œuvre de l'organisation ce fait dont j 'a i été le témoin le 21 août, vers 1 heure du matin : un lieutenant d'état-major qui avait cheminé presque à tâtons par les laies forestières déboucher près de moi, réclamant notre capitaine, et je surpris ces mots : « Mon capitaine, tout a très bien marché ; vous pouvez essayer de décrocher maintenant... »

Somnolents et transis — ces nuits d'août furent très froides —, nous étions résignés à laisser nos os au bois de la Géline ; mais reprendre conscience à point pour réaliser que la vie peut vous sourire encore, quelle fin de cauchemar...

* **

La retraite de Morhange ! Des âmes superstitieuses auraient trouvé matière à la penser inscrite dans les astres. Au cœur de la matinée, l'étrange lumière bistrée que la poussière soulevée sous nos pas ne suffisait pas à expliquer, était bel et bien celle d'une magnifique éclipse de soleil visible en Lorraine — mais ce ne sera que bien des semaines plus tard que j'en aurai connaissance au hasard d'une lecture d'hôpital. En tous cas, notre retraite, son com­ment, son pourquoi, les conditions dans lesquelles elle fut accom­plie, ont arraché au commandement en chef cette dépêche dont

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lecture nous fut donnée devant Varangéville et à quoi je faisais allusion : « Félicitations sans réserve glorieuses troupes 2 0 e corps : mission de sacrifice remplie. »

*

Or, Morhange et sa retraite, ce ne sont que l'un des volets du diptyque où l'Histoire, la vraie, devra fixer l'image des événements du mois d'août 1914 en Lorraine : nous allons esquisser le second.

Après un sommeil de brutes — pour quelques-uns, dont je fus, dans une soupente de La Madeleine, flanc contre flanc avec les valets de ferme polonais — les unités du régiment se regroupè­rent dans les prés au sud de Saint-Nicolas et revinrent, le soir venu, prendre cantonnement dans la petite ville ; dès la soirée du 23, Castelnau allait prescrire à sa gauche de se tenir prête à passer à l'attaque. Notre bataillon de se porter par chemins et vergers à mi-chemin de Rosières-aux-Salines pour s'y organiser comme sou­tien d'artillerie, en contre-bas de la co!e 308, au pied de laquelle coule la Meurthe. Foch avait rassemblé là, en avant du bois de Conroy, des éléments de choix de son artillerie, batteries du 8 e régi­ment d'artillerie de campagne aux pièces de 75 entrelardées pour ainsi dire de batteries lourdes de 155 Rimailho. En Foch, manifes­tement, l'artilleur et le tacticien attendaient leur heure : pour sage et méritoire qu'elle eût été, une retraite est une retraite, dont il guettait ici la première revanche ; comme dans la clairière de la Géline, il est présent de sa personne, et l'occasion va s'offrir à lui vers le milieu de la journée du 24 août ; le chef du 2 0 e corps se bornera à noter en ses Mémoires :

« Le 24, au milieu de la journée, des forces évaluées à deux corps d'armée au moins défilant du nord au sud en direction de Luné-ville, prêtant leur flanc droit à la direction de Nancy. Castelnau lance le groupe de divisions de réserve et le 2 0 e corps d'armée en attaque en direction de l'est. Bien appuyée par l'artillerie, elle progresse et atteint à 18 heures les hauteurs de Flainval et du bois de Crévic, sur lesquelles je l'arrête. »

Pour mettre un peu de couleur dans ce tableau, on me laissera tirer parti de mes propres notes. Mon escouade, pour avoir passé une nuit blanche en petit poste sur la Meurthe, bénéficiait ce jour-là

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d'attentions particulières et somnolait dans une clairière riche en noisettes, à quelques pas du poste d'observation de Foch :

« Si notre sommeil fut profond, c'est certain ; prolongé, c'est probable. En tout cas, il fut interrompu par le canon vers le milieu du jour. Derrière nous, tirés par les batteries dont nous sommes soutien, quelques coups ont claqué, répercutés par le bois. Quelques coups qui ont constitué les rapides opérations d'un réglage par les canonniers exercés du 8 e . De proche en proche, les batteries en posi­tion ont procédé à ces préliminaires, puis, soudain, toutes les pièces se trouvent engagées dans un déchaînement de tir rapide qui semble ne plus devoir cesser. C'est ce qu'on peut nommer un feu d'enfer. La détonation si particulière des pièces de 75, une espèce d'aboie­ment à la fois ample et bref, n'est plus perceptible dans le feu roulant qui sévit. Inutile de chercher à s'entendre. Ahuris, ensom­meillés encore, nous nous entre-regardons avec de larges rires silen­cieux, puis répétons parfois avec satisfaction ces mêmes mots qu'on peut lire sur les lèvres : « Ah ! Dis donc : qu'est-ce qu'ils prennent ! » L'appréhension d'une riposte éventuelle de l'ennemi ne nous effleure même pas l'esprit. Le tir s'arrête net. Mais, crachant toutes à la fois, voici que les pièces ont repris la danse infernale... »

C'est Foch qui, la tenant enfin, soigne sa première revanche, « bien appuyée par l'artillerie », selon ses propres termes. Castel-nau l'avait déchaîné par son ordre d'opérations du 24, 11 h 30, à la 2 e armée, comme nous l'avons vu ; au 20 e corps, il avait prescrit d'attaquer, en direction générale de Serres, le flanc ouest des colon­nes allemandes en marche vers le sud, tandis que les 15 e et 16 e corps en fixeraient les têtes en combattant sur les positions par eux orga­nisées, le corps de cavalerie s'employant à reconnaître et à gêner la progression de l'ennemi.

Il en fut ainsi. On a fait grand mérite à l'astuce allemande de nous avoir attirés, aux champs de Morhange, dans un secteur que des manœuvres antérieures lui rendaient familier. Nul de nos chefs n'a pris la peine de se targuer d'une réponse du berger à la bergère — et pourtant, Serres, Valhey, Drouville, Maixe, Haraucourt et le bois de Crévic, quels souvenirs ces noms lorrains faisaient lever en nos mémoires de soldats de l'active... C'est par là qu'avaient com­mencé, pour notre division, les dures manœuvres d'automne du 4 au 18 septembre de l'an 1913. Déjà Foch, qui venait deux semaines plus tôt de prendre le commandement du 20 e corps, les supervisait sous les yeux d'un invité de marque, le brigadier général Henry Wilson, futur maréchal d'Angleterre, en présence de la mission

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militaire russe du général-major Daniloff — et notre régiment s'ho­norait fort de voir botte à botte avec son colonel le prestigieux Tchermoïef, colonel des grenadiers de la garde du Tsar, attaché au 69 e pour le temps des manœuvres.

On me passera cette digression ; n'est-il pas vrai qu'elle aussi donne un peu de couleur aux présentes remembrances ? Ce sont choses peu connues, et qui ont bien du sel.

Au soir du 24 août 1914, l'ordre général n° 42, donné à 18 h 30 en vue de la journée suivante, débutait impérativement en ces ter­mes : « Demain 25 août, la 2 e armée, maintenant son front sur le Grand Couronné de Nancy, prendra l'offensive à 4 heures. »

Bénédiction de la grande tombe de Riche, le 25 août 1914, de la main du curé de Riche et de l'abbé Brech, archiprêtre de Morhange (fidèle au rabat gallican), l'autre tombe collective se trouve à Achain. A la gauche des sapeurs-pompiers Morhangeois, de part et d'autre d'un officier allemand à demi retourné, le rabbin et le pasteur de Morhange, puis les aumôniers militaires protestant et catholique allemands. Au fond, vers la droite, le détachement bavarois en armes, le casque à pointe sans housse, qui rendra les honneurs.

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Ainsi fut fait encore. La tête des colonnes allemandes, le 25 août, est arrêtée au nord e: à l'est de la forêt de Charmes par la 74 e division et le corps de cavalerie en liaison avec la l i e armée — 8 e corps : divisions Bajolle et de Maud'huy — et là encore, l'artil­lerie aura joué le rôle essentiel qui lui incombe, une centaine de pièces ayant été hissées à la faveur de la nuit sur les hauteurs de Borville. Non contentes de fixer l'ennemi, les troupes des 15 e et 16 e corps d'armée, grossies de la division Hollender — un ancien colonel du 6 9 e — prennent leur revanche de Dieuze, abandonnent la défensive et se ruent à l'attaque, tandis que le 20 e corps et les divisions de réserve poursuivent l'avance victorieuse stoppée la veille par la tombée de la nuit.

A 13 h 30 enfin, l'affaire bien en mains, Caslelnau lance, inoubliable, cet ordre assurément le plus bref de la guerre : « En avant, partout et à fond ! » Le 20 9 corps, pour sa part, s'y sera montré égal à lui-même. Foch, au soir du 25 août, ayant connu les résultats d'ensemble réalisés par la 2 e armée et pris acte de l'avance importante réalisée par les corps de droite, observera dans ses Mémoires :

« En définitive, la journée du 25 août a été dure pour le 2 0 e

corps d'armée. Avec des alternatives variées, il a livré une bataille des plus sérieuses et des plus vives. Il a donné un violent coup de boutoir dans le travers des entreprises ennemies. Si les progrès réalisés n'ont pas été sensibles sur tout le front, ce sont des forces très importantes de l'ennemi qu'il a appelées sur lui et auxquelles il a tenu tête. N'auront-elles pas fait défaut là où il s'agissait de percer, sur la route de Charmes ? »

Coup de boutoir de Morhange et coup de boutoir de Charmes... Donner des coups de boutoir, appeler sur soi l'ennemi et le bien recevoir, ce sera dès le début et jusqu'à la fin de la guerre comme la spécialité des valeureuses divisions de Nancy et de Toul.

*#

Ce jour-là, 25 août, notre brigade — la 2 1 e — est engagée sous Hudiviller, avec comme objectif, de part et d'autre de la route de Dombasle à Lunéville, une ligne théorique d'Anthelupt à la cote 275. Elle y sera sérieusement éprouvée : son chef, le général Delbousquet, est mis hors de comlbat ainsi que le colonel de Pouy-

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draguin, commandant le 26 e ; à noire colonel, Courtot de Cissey, incombe alors le commandement de la brigade — pas pour long­temps : dans une semaine, jour pour jour, il sera tué devant Luné-ville, tandis que le lieutenant-colonel Bernard, qui a hérité de lui le commandement du régiment, est grièvement blessé, mis hors de combat et passe le commandement à notre chef de bataillon, Petit-jean de Marcilly — lequel, promu lieutenant-colonel et confirmé dans son commandement, tombera à son tour neuf semaines plus tard à la reprise de Monchy-aux-Bois, dans le Pas-de-Calais, le 29 octobre 1914.

Faut-il persévérer dans un appel des morts ? Pour laisser sup­puter l'importance des pertes, je me bornerai à prendre les deux extrémités d'une filière hiérarchique de ces temps-là qui commen­cera au colonel pour s'achever à mon escouade, la l r e de la 11 e com­pagnie du 69 e : le caporal qui la commandait demeure le seul sur­vivant depuis le 22 mai 1915, date où mourut — avec le comman­dant Henri Guieu, successeur de M. de Marcilly à la tête de notre bataillon — le lieutenant Pierre Kaufmant, notre chef de section ; c'était devant Neuville-Saint-Vaast, où dix jours auparavant venait d'être tué notre ancien capitaine, Henri Noël, muté comme chef de bataillon au 146 e , le valeureux régiment de Toul.

Quant à la troupe ? Le 26 août 1914, devant Lunéville, sur la sanglante position de Friscati qui domine aujourd'hui le cimetière national du Mouton-Noir, le saint-cyrien Pierre Kaufmant reçoit sa première blessure et, seul gradé valide, il me faudra assumer le commandement de sa section : trente-trois hommes — et le soir venu, nous en aurons perdu onze, dont sept morts...

Le 26 août 1914, c'est le jour où Castelnau ordonnait de pour­suivre l'offensive et, selon ses propres termes, « jusqu'à l'extrême limite des forces ». On voit qu'il fut bien obéi.

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Les conséquences de Morhange

On renoncera à suivre pas à pas les actions qui allaient aboutir, le 12 septembre, à la reprise de Lunéville et à la libération de la Meurthe occupée. Retenons que, depuis le 25 août et citant de nou­veau Castelnau, « l'ennemi n'a pas cessé de goûter l'amertume de la défaite dans les durs combats et les rudes batailles livrées aux abords du Grand Couronné».

N'y prendrons-nous pas garde ? Le 12 septembre, jour où les régiments lorrains reprennent Lunéville, c'est aussi celui qui con­sacre la victoire de la Marne — et Foch en a écrit :

« De l'Ourcq à la Lorraine, les exécutants ont tous marché à la bataille dans une étroite union, un ensemble parfait, une énergie farouche... »

« Il est incontestable — observe de son côté Castelnau — que la bataille du 25 août a empêché la tenaille de se fermer sur la Marne, du côté droit... »

C'est à Foch que nous demanderons une conclusion, qui est celle du chapitre III de ses Mémoires (Le 20 e corps pendant la retraite de la Meurthe et la contre-offensive) :

« Le haut commandement allemand a montré une incontestable incertitude dans la conduite de la guerre en Lorraine. Malgré tous les préparatifs accumulés sur ce théâtre d'opérations et les forces supérieures dont il y disposait, il n'a pas essayé d'y livrer une bataille défensive à grand résultat, comme il aurait pu le faire en nous laissant nous engager dans le pays et en contre-attaquant seulement alors avec ses moyens réunis. A notre rapide décrochage le 20 août, il n'a fait suivre qu'une poursuite sans activité. Et quand il s'est décidé à prendre résolument l'offensive, c'est au mépris de nos forces de la Meurthe et du Grand Couronné qu'il a étroitement visé la percée de notre front à la trouée de Charmes. A la suite de notre attaque de flanc, il s'est trouvé dans l'impuissance de percer, même de maintenir son avance. Il s'est replié. Il a trouvé devant lui, toujours sous l'action de l'attaque de flanc, un Morhange retourné ». Et d'ajouter encore : « Ce début n'était-il pas le prélude de la bataille de la Marne ? x

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Un Morhange retourné ! J'évoquais un diptyque ; rêvons une médaille : à l'avers, le coup de boutoir de Morhange, qui s'achève en coup dur pour nos armes, et au revers, le coup de boutoir de Charmes. Cette fois, le coup dur est pour l'autre. Deux faits com­plémentaires, indissociables devant l'Histoire.

On ne comprend rien à Morhange si l'on n'a pas compris cela.

Chiffrer avec précision les pertes de l'armée française devant Morhange se révèle chose difficile : ce ne fut qu'à partir du mois d'octobre 1914 que put être organisé le décompte systématique des morts, blessés et disparus des actions engagées.

Pour les journées des 19 et 20 août 1914, les recherches que nous avons pu pousser, grâce à une bonne volonté toujours dispo­nible, jusqu'aux archives du Service historique de l'Armée, n'ont permis de connaître leurs pertes totales que pour deux unités, de celles il est vrai qui ont le plus souffert à Morhange : ce chiffre s'élève à 827 pour le 37 e régiment d'infanterie (Nancy) et à 746 pour le 4 e bataillon de chasseurs à pied (Saint-Nicolas-de-Port).

La mobilisation et l'appel des réservistes avaient presque doublé les effectifs des régiments d'infanterie du 20 e corps d'armée dès les premiers jours du mois d'août : de 1.750 hommes et 40 offi­ciers auxquels les avaient portés l'appel, fin 1913, et à quarante jours d'intervalle, des classes 1912 et 1913 par application du retour au service de trois ans, ces effectifs étaient montés à 3.350 hommes et 55 officiers.

On pourra remarquer d'emblée en quelle mesure la tradi­tionnelle évocation d'unités décimées se trouve insuffisante pour définir les pertes d'une formation engagée dans la bataille de Morhange : c'est près d'un combattant sur quatre qui y fut mis hors de combat.

Les déclarations du publiciste Thisse, secrétaire du Souvenir français de Morhange, basées sur les renseignements recueillis auprès des habitants de la contrée requis pour les inhumations du champ de bataille et coordonnés par l'inoubliable Laurent Sauveur, portent le nombre des combattants français regroupés au cimetière

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national de Riche à 1.500 identifiés et 3.500 non identifiés, soit un total global de 5.000 morts — la proportion des corps non identifiés s'expliquant suffisamment par une carence assez géné­rale affectant alors le port de la plaque d'identité.

Les combats acharnés dont, cinquante mois durant, Mor-hange s'est trouvé n'avoir été qu'une préface, expliquent seuls le silence qui s'est appesanti sur les sanglantes actions de Lorraine en 1914. On s'explique moins l'exaltation inconsidérée, de nos jours, des sacrifices subis en 1870 dans les combats du Pays-Haut. Le 10 août 1964, un reportage illustré consacré au musée de Grave-lotte dans les colonnes de l'édition messine de « L'Est Républicain » nous montrait en celui-ci un « musée militaire dédié au 65.000 sol­dats prussiens et français tués dans les différentes batailles de Gravelotte, Rezonville et Saint-Privat ». Cependant, dans les tra­vaux exhaustifs qu'ils ont consacrés à la guerre de 1870, le lieute­nant-colonel Rousset établit le nombre des morts français des 16 et 18 août 1870 à 2.513, à raison de 1.367 pour Rezonville et 1.146 pour Gravelotte et Saint-Privat, chiffres arrondis par le géné­ral Niox respectivement à 1.400 et 1.200. Et le général Chenet, commandant l'artillerie de la 6 e région, étudiant pour les officiers de la place « les combats sous Metz en 1870 », précisant que ce fut pour les régiments prussiens que « cela tombait comme à Grave­lotte », insistait sur ce que les pertes françaises y furent de soixante morts. Particulièrement meurtrière, la célèbre « chevauchée de la mort » des 7 e cuirassiers et 16 e uhlans de la brigade Bredow à Rezonville, s'était soldée par la perte de seize officiers, 363 cava­liers et 409 chevaux.

On ne saurait terminer cette étude sans un hommage fervent aux Lorrains de Morhange et environs, qui, encadrés par des offi­ciers allemands, assumèrent la mise en terre des victimes des san­glantes journées des 19 et 20 août. Les morts gisaient depuis trois et quatre jours sur le champ de bataille, sous un soleil de plomb alternant avec des nuits glaciales, lorsque les civils valides furent requis, à charge de se procurer les outils nécessaires, pour procé­der à leur inhumation. C'est à un ancien marchand de vins en gros

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de Morhange, Laurent Sauveur déjà nommé, que revint la pieuse initiative de rassembler à l'intention des familles — et avec la connivence des Vieux Morhangeois — les pièces d'identité et sou­venirs divers recueillis sur les soldats français, qu'il lui fallut dissimuler ultérieurement dans des futailles puis enterrer pour déjouer les perquisitions.

Il incombera en 1919 au lieutenant F. Liard, délégué de l'état civil militaire, de diriger les délicates opérations d'exhumation puis le regroupement des morts dans le cimetière national de Riche, dont, au dire des témoins, les corps étaient demeurés étonnamment conservés — ainsi Laurent Sauveur eut-il l'amer bonheur d'iden­tifier le fils du général de Castelnau.

Le dixième anniversaire des combats avait vu inaugurer solen­nellement devant Morhange, sur les hauteurs de Baronville, le puissant et sobre mémorial des combats ; vingt ans plus tard, les troupes hitlériennes dynamitaient celui-ci au cours de leur retraite. Vingt ans encore passèrent, et pour le 50 e anniversaire de Morhange se dressait un nouveau mémorial de semblable importance : un sentiment élémentaire de justice commande d'indiquer que, du siège du 20 e corps d'armée, garnison de la glorieuse division de fer, le consul de la République fédérale d'Allemagne à Nancy avait assumé une part très importante des frais de la réfection du monu­ment.

La photographie de Foch, en première page, le montre coiffé du képi roupe aux deux couronnes de feuilles de chêne en or surmontées d'un mince galon d'argent ; c'étaient les insignes du général de division commandant un corps d'armée, grade suprême de l'armée française en 1914.

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