Islam et croyance: Réflexion sur la liberté religieuse

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Islam et liberté religieuse : sont-ils compatibles ou condamnés à s'opposer? Abdullah Saeed examine ici les enseignements du Coran et les hadith-s du Prophète relatifs au statut des minorités religieuses vivant en société musulmane, interroge les perspectives des principaux théologiens musulmans aux quatre coins du monde sur une coexistence possible entre islam et liberté religieuse. Il aborde également la question de savoir si les sociétés musulmanes sont menacées par cette liberté religieuse ou n'auraient pas au contraire à y gagner - notamment une liberté d'explorer et d'interroger leur propre foi. Saeed estime que "malgré les nombreuses restrictions qui ont pu émerger face aux musulmans et aux non-musulmans au cours du développement de la théologie et du droit musulmans durant la période qui a suivi le décès du Prophète, les réalités du monde moderne amènent les penseurs et clercs musulmans à repenser ces restrictions et à défendre une liberté religieuse pour tous. Ce faisant, ces musulmans se rapprochent en réalité des enseignements du Coran et de la réelle pratique du Prophète Muhammad.

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  • Islam et croyanceRf lexion sur la libert religieuse

    ABDULLAH SAEED

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    ISLAM ET CROYANCE Rflexion sur la libert religieuse ABDULLAH SAEED SUR LA COUVERTURE La calligraphie en arabe sur la couverture est tire du verset 256, sourate 2 du Coran :

    Point de contrainte en matire de religion : droiture est dsormais bien distincte d'insanit. Islam et libert religieuse : sont-ils compatibles ou condamns s'opposer? Abdullah Saeed examine ici les enseignements du Coran et les hadith-s du Prophte relatifs au statut des minorits religieuses vivant en socit musulmane, interroge les perspectives des principaux thologiens musulmans aux quatre coins du monde sur une coexistence possible entre islam et libert religieuse. Il aborde galement la question de savoir si les socits musulmanes sont menaces par cette libert religieuse ou n'auraient pas au contraire y gagner - notamment une libert d'explorer et d'interroger leur propre foi. Saeed estime que "malgr les nombreuses restrictions qui ont pu merger face aux musulmans et aux non-musulmans au cours du dveloppement de la thologie et du droit musulmans durant la priode qui a suivi le dcs du Prophte, les ralits du monde moderne amnent les penseurs et clercs musulmans repenser ces restrictions et dfendre une libert religieuse pour tous. Ce faisant, ces musulmans se rapprochent en ralit des enseignements du Coran et de la relle pratique du Prophte Muhammad.

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    Table des matires Introduction 4 Libert religieuse pour les non-musulmans au sein d'Etats non-musulmans 4 Libert religieuse pour les musulmans 9 Pourquoi les musulmans ne doivent pas craindre la libert religieuse 17 1. Le Coran comme les pratiques du Prophte Muhammad, plaide largement en faveur de la libert religieuse 18 2. La libert religieuse est dans l'intrt des musulmans et de leurs socits 20 3. Les thologiens musulmans soutiennent la libert religieuse 21 Conclusion 24 Notes 26

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    Introduction Le Seigneur s'est adress au Prophte Muhammad afin de toucher le cur des hommes, de les convertir la connaissance de Dieu, et les amener croire en Lui. Sans la possibilit de se convertir, sans la possibilit de pratiquer ou de croire, au risque parfois d'aller l'encontre des sentiments religieux et politiques dominants, il n'y aurait personne pour croire au message relay par Muhammad. Ainsi, la foi individuelle et sincre se tient au cur mme de l'islam. Le Coran considre que la croyance en Dieu, Crateur de ce monde et Source de son maintien, est en soi un bien pour l'homme, et constitue l'assise d'une religion, d'une moralit et d'une thique senses. Par consquent, le droit une telle croyance doit tre protg par tous les moyens. C'est ce que sous-entend la notion de "libert religieuse", soit le droit de croire, dadopter une religion, de pratiquer sa foi, et de s'engager dans des dbats dinterprtation orients vers une meilleure comprhension et une meilleure pratique de cette foi. De la mme manire, protger le droit de croire et de pratiquer sa foi est une des tches les plus importantes des socits et des gouvernements. Ces structures sociales peuvent effectivement aider faire disparatre les obstacles qui se dressent entre les hommes et leur foi, en assurant les conditions ncessaires l'indpendance de la dcision religieuse, en dbarrassant celle-ci de toute pression. Un tel cadre requiert une libert de religion qui soit assure aussi bien aux non- musulmans vivants parmi les musulmans qu'aux musulmans eux-mmes. Libert religieuse pour les non-musulmans au sein d'Etats non-

    musulmans Le Coran fait preuve d'une grande tolrance l'gard des autres religions. Rvl en Arabie une poque de grande varit des traditions, institutions et valeurs religieuses, il admet que la diversit des traditions religieuses et des systmes de croyance (ainsi que l'incroyance) existeront toujours, et qu'une croyance impose quivaut une absence de croyance. Plusieurs versets attestant de l'origine divine des autres religions (Coran 3:84)1 sont gnralement complmentaires des enseignements de celles-ci (Coran 5:44), mme si certains versets peuvent paratre critiques2. Le Coran accorde une large place au judasme et au christianisme, qu'il considre lgitimes aux yeux de Dieu. Les critiques adresses ces deux religions portent davantage sur des points spcifiques que sur une remise en cause gnrale, et s'adressent habituellement des sous-groupes particuliers3. Le Coran considre que le judasme et le christianisme font partie des

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    religions rvles du Livre et approche leurs critures sacres avec respect. Il ne montre pas le mme respect toutefois envers les systmes de croyance faisant intervenir l'adoration d'idoles, largement rpandue en Arabie au temps du Coran. Les croyances, pratiques et valeurs de ces systmes ne sont pas reconnues comme lgitimes. Pour autant, le Coran engage les musulmans traiter tous les individus, y compris les idoltres, avec respect, dans la mesure o ceux-ci font galement preuve de respect. Tout comme il rejette fermement toute ide de forcer qui que ce soit se convertir l'islam ainsi que toute forme dhostilit envers une communaut non musulmane avec laquelle les musulmans auraient de bonnes relations. Les pratiques du Prophte refltent galement cet engagement du Coran en faveur de la libert religieuse et de la non- coercition. Aprs son dpart pour Mdine en 622, Muhammad a continu diffuser ce mme message de libert individuelle en matire de foi, et dfendre le principe selon lequel nul ne devrait tre oblig de se convertir l'islam. Une large communaut juive tait installe Mdine au moment de l'arrive du Prophte dans la ville. Un accord fut conclu sous son gide entre les musulmans et les juifs. Selon les termes de cet accord, connu sous le nom de "la Constitution de Mdine", les musulmans considrent les juifs comme une composante essentielle de la Communaut et estiment que, malgr leurs diffrences religieuses, toutes les parties doivent tre traites sur un pied d'galit et sans discrimination. A titre d'exemple, une des clauses de l'accord affirme que "les juifs de Bani Awf seront traits comme ne faisant qu'une et une seule communaut avec celle des Croyants (les musulmans). Les juifs ayant leur propre religion"4. La Constitution de Mdine a pos les fondations des relations futures entre l'autorit musulmane en place et les dhimma-s (minorits religieuses protges) qui se sont installes dans les principaux Etats musulmans. Le dhimmi (membre de ces minorits) conserve sa libert religieuse sur la base du principe coranique selon lequel il ne saurait y avoir de coercition en religion (Coran 2:256). En retour de cette garantie offerte par l'Etat musulman et en sus d'une exemption du service militaire, les adultes de sexe masculin et sains d'esprit doivent payer un cens (jizya)5. Le contrat tabli entre l'autorit musulmane et les dhimmi-s a ainsi offert aux non-musulmans la scurit de leur vie et de leurs biens ; l'Etat s'y est engag les dfendre contre toute attaque arme, et leur garantir l'indpendance dans la gestion des affaires de leurs communauts, ainsi que la libert de la pratique religieuse. Les dhimmi-s ont donc t autoriss maintenir leurs propres institutions religieuses et leurs propres codes de statut personnel, dont la gestion par leurs communauts des mariages, divorces, hritages et tutelles. Ces codes taient en effet appliqus par leurs propres "tribunaux". Ainsi, le statut lgal et

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    social des non-musulmans sous autorit musulmane a connu peu de modifications jusqu' l'Empire ottoman et les temps modernes.6 Aujourd'hui, compte tenu de l'volution de la nature de l'Etat-nation, les clercs musulmans ont tendance repenser les concepts tels que la dhimma, et plaident davantage en faveur de structures promouvant l'galit dans la citoyennet. En 631, une dlgation chrtienne de la province de Najran en Arabie, arriva Mdine pour rendre visite au Prophte. A cette occasion, un accord fut conclu qui rglementa le statut des chrtiens de Najran. Dans un acte de tolrance explicite envers les chrtiens, le Prophte les autorisa mme prier dans sa mosque7. Les termes de l'accord tablirent, par ailleurs, clairement que les ans de la communaut chrtienne avaient le droit de grer librement leurs propres glises, et offrirent des garanties protgeant les leaders religieux8. Cette libert religieuse accorde aux non-musulmans, en particulier aux "Gens du Livre", a t maintenue tout au long des premiers gouvernements de l'islam, notamment sous le rgne des quatre Califes (632-661)9. Selon Abou Zahra, universitaire rput du XXe sicle de l'Universit d'al-Azhar en Egypte, "les premiers musulmans ont pris grand soin de ne rien imposer qui que ce soit en matire de religion"10. Un exemple en est la faon dont le second Calife, Omar Ibn al-Khattab (634-644), a trait les chrtiens de Jrusalem : leur garantissant qu'aucun d'entre eux ne serait inquit sur la base de sa religion, il a assur leur scurit personnelle et le maintien de leurs glises"11. Le Pacte d'Omar, un document ancien attribu selon les sources Omar Ibn al- Khattab ou au Calife omeyyade Omar Ibn Abdel- Aziz, a influenc la pense musulmane et en particulier la conception dveloppe par celle-ci des relations entre les musulmans et les personnes extrieures leur communaut de croyance. Le Pacte avance propos des chrtiens que "leurs glises ne seront ni touches ni dtruites ; les chrtiens comme leurs familles ne subiront aucun dommage, tout comme leurs croix et leurs processions"12. Maintenant cette tradition, l'Empire ottoman, dans une priode plus rcente de l'histoire musulmane (du XVe au XXe sicle) s'est galement appuy sur la notion de dhimma dans sa gestion des communauts religieuses ("millets"). L'ide a mme t institutionnalise sous le nom de "systme des millets", soit "une srie d'accords ad hoc" qui a accord chacune des principales communauts religieuses "un certain degr d'autonomie et d'autorit juridique"13. Les millets ont ainsi pu tablir leurs propres lois, disposer de leurs propres tribunaux religieux, et rcolter et redistribuer leurs propres impts. Ce systme a garanti aux non-musulmans au sein de l'Etat musulman une large autonomie dans leurs affaires la fois religieuses et non religieuses14.

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    Le Coran sur la libert de religion Le Coran en lui-mme ne prsente pas d'indication spcifique ou dtaille quant aux liberts dont doivent bnficier les non- musulmans vivant au sein d'une communaut musulmane. Il semble tablir une diffrence nette entre deux types de non- musulmans : ceux qui se sont montrs hostiles l'mergence des communauts musulmanes et de l'Etat musulman, se sont prpars utiliser la violence contre ceux-ci ; et ceux qui ont choisi la coexistence et la coopration. Il indique galement que l'origine de toutes les religions rvles est la mme : Dieu. Ceci suggre que le Coran ne renie pas aux adeptes dautres religions la libert de choisir, de maintenir ou de pratiquer la religion laquelle ils souhaitent adhrer. Le fait est que le Coran ne renie pas totalement les chrtiens ni les juifs en tant que tels. Il avance qu'il existe parmi eux des croyants sincres, autant que des individus ne croyant pas rellement, cest--dire des croyants de nom. En outre, il tablit clairement que le message de Dieu s'adresse toutes les nations du monde. Alors que la thologie musulmane requiert d'un musulman qu'il croie en un certain nombre d'ides, le Coran, dans certains versets, retient une approche minimaliste dans l'identification qu'il fait de ceux que Dieu regarde comme des "croyants" ; commencer par : "tous ceux qui croient en Dieu et le Jugement Dernier, et qui font le bien seront rcompenss par le Seigneur, ils n'ont pas avoir peur ni pleurer" (Coran 2:62). Ceux qui ne croient pas en un Dieu unique et sont dans les faits des paens, doivent non seulement tre tolrs mais doivent tre considrs comme des partenaires de paix ; pourvu qu'ils ne se soient pas engags dans des hostilits l'encontre des communauts musulmanes. Le fait qu'une personne soit d'une autre religion ne signifie donc pas qu'on puisse lui faire du mal. La manire dont les musulmans doivent coexister avec leurs voisins paens en temps de paix est clarifie par le Coran :"Exception est faite en faveur des associants qui, lis vous par un pacte, nauront pas fait la moindre brche, et nauront soutenu personne contre vous : dans ce cas honorez pleinement leur pacte, pour la dure de leur engagement : Dieu aime les justes" (Coran 9:4). Par ailleurs, le Coran se rvle intransigeant l'gard des non- musulmans qui, travers une oppression d'ordre socio- conomique ou militaire, se montrent hostiles aux communauts musulmanes. Durant les deux dernires annes du Prophte Mdine, un certain nombre de versets du Coran au ton trs peu dispos au compromis ont t rvls. Ceux-ci recommandent une solution de nature politique un problme trs significatif de l'poque. Le nouvel Etat musulman est alors vulnrable, et les forces qui lui sont hostiles se tiennent prtes exploiter toute position de faiblesse des musulmans, en Arabie et au-del. Les musulmans reoivent ainsi l'ordre de combattre ces forces hostiles, qu'il s'agisse d'Arabes paens ou de Gens du Livre, et de les soumettre l'autorit de l'Etat musulman. Ils

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    fournissent alors un vritable effort pour sortir victorieux d'une longue priode d'hostilits, entre autres pour "tuer les associants l o vous les trouverez"(Coran 9:5), et les amener reconnatre l'autorit politique de l'Etat musulman, et abandonner les hostilits. Toutefois, il est important de reconnatre que, mme l'poque, le Coran n'a pas suggr que les non-musulmans hostiles soient forcs se convertir l'islam. Le Coran a tabli une claire distinction entre les problmes d'ordre politique - cest--dire la reconnaissance d'une autorit tatique - et les croyances religieuses des non-musulmans, qu'il ne convient pas de contrarier par l'emploi de la force. Malgr cette distinction faite dans le Coran entre autorit politique et croyance personnelle, les anciens thologiens et juristes musulmans ont commenc imposer de larges restrictions aux non-musulmans vivant en socit musulmane. A titre d'exemple, les musulmans ont souvent jouit davantage de droits, notamment dans le cadre de procs o ceux-ci devaient apporter la preuve de leur bonne foi. Ce faisant, ils ont renvoy l'image d'une supriorit musulmane au sein de l'appareil d'Etat. Plus tard, dans certaines socits musulmanes, d'autres restrictions ont t introduites, souvent justifies par divers prcdents. Ces restrictions ont port sur les emplacements o a t autorise la construction de nouveaux lieux de culte, le droit des glises faire sonner leurs cloches, ou le droit donner des lectures publiques de textes sacrs ; ainsi que le droit des non-musulmans participer publiquement des pratiques dclares interdites par les musulmans, comme la consommation d'alcool ou de viande de porc. D'autres restrictions ont abord le droit des non-musulmans construire le mme type d'habitations que les musulmans, ou utiliser les mmes moyens de transport. Bien que ces restrictions fassent partie de la littrature historique et juridique, le fait qu'elles aient t appliques et dans quelle mesure n'est pas clairement attest. Il se peut qu'elles aient exist en thorie mais utilises de manire limite ; par exemple en priodes d'incertitudes, de difficulties, ou de tensions avec un ennemi extrieur. Cela a largement dpendu de l'assurance politique du gouvernement un moment donn et du degr de confiance en ses capacits militaires. Lorsque l'Etat a dout de celles-ci, il a alors trouv utile de recourir de telles restrictions pour compenser sa faiblesse. Dans la plupart des pays musulmans d'aujourd'hui, l'Etat reconnat le droit des non-musulmans pratiquer librement leur religion, et ces derniers sont considrs comme des citoyens part entire. La plupart des nations majorit musulmane ont sign et ratifi le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), indiquant qu'elles acceptent la libert religieuse pour tous leurs citoyens ou sujets - au moins dans le principe. En outre, un certain nombre d'Etats musulmans ont insr ce principe dans leur Constitution - comme Oman par exemple, en 199615, et le Mali, en 199216. De la mme manire, la discrimination l'encontre des individus sur la base de leur religion ou confession est prohibe

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    dans de nombreux pays. La Constitution du Bangladesh, par exemple, tablit l'islam comme religion d'Etat mais reconnat aussi le droit de chacun suivre la religion de son choix17. Cette mesure est dans l'ensemble respecte en pratique18. Ces faits, ainsi que bien d'autres exemples, indiquent que de nombreux Etats musulmans autorisent leurs minorits religieuses adopter, pratiquer, et exprimer leurs croyances. En dpit de cela, de nombreux Etats musulmans ont du mal assurer un cadre juridique, politique, et social de libert religieuse. Trs souvent, les restrictions prennent la forme de tentatives de rgulation de l'apostasie ou du blasphme (cf. infra). Le gouvernement de Malaisie, par exemple, la fois au niveau de l'Etat central et au niveau fdral, interdit tout non- musulman de diffuser des doctrines ou des croyances religieuses parmi les musulmans, que ce soit par persuasion, par influence, ou par distribution de publications sur des religions non-musulmanes19. De telles lois muslent souvent le discours non violent orient vers un apaisement des segments de la socit disposs user de la violence en raction certaines controverses sociales ou religieuses20. Paralllement ces lois, certaines communauts musulmanes nourrissent une animosit sociale l'encontre de la libert religieuse, comme elles peuvent avoir une trs pauvre connaissance des enseignements du Coran, des hadith-s (traditions orales attribues au Prophte) et du soutien apport par les clercs de l'islam la libert de croyance. Cette hostilit sociale affecte frquemment les liberts religieuses non seulement des non-musulmans au sein des pays musulmans, mais galement des musulmans eux-mmes. Libert religieuse pour les musulmans Pour bien saisir la rencontre entre islam et libert religieuse, il convient de prendre en compte la libert religieuse des musulmans eux-mmes, commencer par les pays majorit musulmane. En effet, en islam, la libert religieuse est au cur de la croyance mme. Le point de dpart de notre argumentation n'est autre que le fait que le Coran reconnat le droit de chaque individu croire ou ne pas croire en Dieu, un droit que le Prophte Muhammad a respect sa vie durant. Malgr la position tolrante du Coran et du Prophte, le droit musulman traditionnel et la thologie musulmane ont dvelopp, aprs la mort du Prophte, toute une srie de restrictions l'encontre de la libert religieuse. Les plus significatives concernent les quatre domaines suivants : l'apostasie, le blasphme, l'hrsie, et l'hypocrisie.

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    1. L'apostasie Historiquement, le droit musulman dfinit l'apostasie (ridda) comme "l'incroyance d'un musulman qui avait auparavant embrass l'islam... de son plein gr". "Cette acceptation a lieu aprs que la personne ait pris connaissance des fondamentaux de l'islam et se soit engage suivre les rgles de l'islam"21. Un apostat est donc un musulman qui rejette l'islam et/ou se convertit une autre religion. La majorit des juristes musulmans soutiennent que l'apostasie - la rejection de l'islam par une personne identifie comme musulmane - est un "crime" que l'Etat musulman doit punir, et de la peine de mort, bien que cela soit de plus en plus remis en question par certains musulmans. Les lois modernes sur l'apostasie cherchent rglementer l'identification religieuse des individus et sanctionner la mobilit inter-religieuse. 2. Le blasphme Initialement, le concept de blasphme s'est focalis sur l'interdiction du langage injurieux l'encontre du Prophte Muhammad (sabb al-rasul). Par la suite, cette interdiction a galement inclus l'injure faite Dieu (sabb Allah), les anges et les autres prophtes. Quiconque utilise ce langage injurieux est considr comme un grand pcheur. A l'unanimit des juristes musulmans classiques, une telle offense lorsqu'elle est commise par un musulman, relve de l'apostasie et donc de la peine de mort. Commise par un non-musulman, elle ne relve que du blasphme mais est galement punissable de mort si la personne vit dans un Etat musulman. Les lois modernes sur le blasphme comportent toute une srie de sanctions l'encontre de commentaires ou comportements considrs offensants au regard de la sensibilit religieuse des musulmans. Tel est le cas dans plusieurs pays musulmans, dont le Pakistan et l'Indonsie. 3. L'hrsie Le concept d'hrtique" (zindiq) a t utilis par le droit pnal musulman pour dcrire, entre autres, une personne dont les enseignements constituent un danger pour l'Etat. Selon certains clercs, l'hrsie est un crime punissable de mort. Toutefois, il reste difficile de trouver un point de vue unanime parmi les juristes musulmans autour de la dfinition de zindiq. Si le concept a pu tre associ une rbellion intellectuelle juge offensante pour l'honneur du Prophte, il reste une notion ambigu, difficile rglementer par la loi22. 4. L'hypocrisie Le nifaq, ou hypocrisie religieuse, date du temps du Prophte. Durant la priode Mdine (622-632), les rvlations coraniques ont port de nombreuses rfrences aux hypocrites (munafiqun) et l'hypocrisie en gnral (nifaq). A

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    plusieurs reprises, le Coran met les musulmans en garde, affirmant que les hypocrites sont un danger pour la Communaut. Un verset somme mme le Prophte de lancer le jihad contre les hypocrites et les incroyants engags dans des hostilits l'encontre de la Communaut23. D'autres versets les menacent de finir en Enfer24. Pour autant, aucun verset dans le Coran n'ordonne aux musulmans de mettre mort les hypocrites ni mme avance qu'ils devraient tre mis mort. Certains juristes toutefois ont pu justifier la peine de mort pour hypocrisie25. Malgr le fait que de nombreux juristes et thologiens musulmans discutent souvent ces quatre notions d'apostasie, de blasphme, d'hrsie et d'hypocrisie, les anciens juristes n'ont gnralement pas fait l'effort d'tablir une diffrence nette entre eux ; l'hypocrisie et l'hrsie ont souvent t incorpores par exemple dans le concept plus large d'apostasie26. Un musulman accus de contradiction religieuse a pu ainsi tre dcrit comme apostat, blasphmateur, hrtique, hypocrite, ou incroyant. Ces termes tant souvent utiliss de manire interchangeable, nous nous focaliserons ici sur le concept d'apostasie ; celui-ci restant le plus significatif dans la discussion de la libert religieuse en droit musulman. L'apostasie en droit musulman Comme prcdemment explicit, le Coran contient des versets, rvls la fois durant la priode mecquoise et la priode mdinoise, qui soutiennent la libert religieuse. Pour autant, il aborde la conversion depuis l'islam vers une autre religion avec une consternation certaine. A plusieurs occasions, il y est dclar que ceux qui s'loignent du vritable chemin de Dieu et du Prophte seront condamns et punis du feu ternel dans l'Au-del. Toutefois, et conformment sa comprhension de la responsabilit individuelle et personnelle en matire de croyance et de religion, le Coran ne force pas les musulmans rester musulmans s'ils souhaitent se convertir une religion antrieure ou toute autre religion. Le Coran estime que ces personnes se rendent coupables d'un grave pch qui mrite punition dans la vie suivante27, mais leur prvoit une mort naturelle pour celle-ci. En effet, il n'y a pas de verset dans le Coran qui spcifie un type quelconque de chtiment dans cette vie pour avoir abandonn l'islam pour une autre religion, et srement pas la mort28. De la mme manire, il n'existe aucune preuve que le Prophte Muhammad ait lui-mme impos la peine de mort un apostat pour le simple fait de s'tre converti depuis l'islam29. Toutefois, certains ont interprt un nombre de hadith- s pour suggrer que les convertis depuis l'islam devaient tre chtis par la mort.

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    Paralllement cette question de sanction, la pense juridique et thologique musulmane autour de ce qui constitue l'apostasie en soi est trs fluide et n'est pas toujours arrte ni claire. Certains clercs ne qualifient une personne d'apostat que dans le cas o cette dernire ait reconnu l'apostasie ou commis quelque chose que les musulmans dans leur ensemble interprteraient comme un abandon de la communaut musulmane : comme insulter Dieu ou le Prophte Muhammad par exemple. D'autres coles de pense vont jusqu' qualifier un musulman d'apostat pour la moindre remarque non orthodoxe, comme dire ironiquement ; "Je ne sais pas ce qu'est la foi sincre"30, ou pour l'expression de points de vue qui seraient considrs comme "haineux" envers un aspect de l'islam. Un grand nombre de soi-disant listes d'actes d'apostasie, qui dtaillent les diffrentes manires selon lesquelles un musulman peut devenir apostat, existent aujourd'hui, rdiges par diffrentes orientations, groupes et coles de pense musulmans. Il n'existe pas de consensus gnral parmi les musulmans quant la validit du contenu de ces listes. Dans la tradition juridique musulmane, le fait d'tre ou non un apostat, pour un musulman, a t tabli de deux manires diffrentes. Premirement, la confession ou la reconnaissance constitue l'une des plus importantes formes de preuve au regard du droit musulman. Si une personne reconnat ne plus avoir foi en l'islam, cela est suffisant pour tre inculp. Deuximement, le rapport de deux tmoins probes sur un discours ou un comportement anti-musulman est galement suffisant. Toutefois, les coles de droit musulman ont des standards diffrents en termes de tmoignages recevables. Par exemple, les juristes hanafites imposent aux tmoins d'tre interrogs par un juge charg de s'assurer qu'ils ont correctement interprt les actes ou propos qu'ils dnoncent31. D'autres, comme les malikites, estiment que le tmoignage doit tre davantage sond, compte tenu de la gravit de l'offense32. D'autres conditions doivent galement tre remplies avant de pouvoir tablir qu'un musulman est devenu un apostat. Tout d'abord, la personne qui se rend coupable d'apostasie doit l'avoir fait volontairement, sans y avoir t force. Ensuite, la personne doit tre saine d'esprit ('aqil) et non malade mentalement (majnun). L'apostasie d'une personne dclare officiellement dmente n'est pas valide -tout comme son islam ne l'est pas. Les juristes sont unanimement d'accord sur le fait que l'apostasie d'un mineur qui ne comprend pas le sens de l'apostasie ni de l'islam n'est pas valide. Mais leurs points de vue divergent lorsqu'il s'agit d'un mineur qui peut comprendre ces notions et, pour autant, commet une offense menant l'apostasie. Pour les chafites, l'apostasie d'un mineur en gnral n'est pas valide. Mais pour les malikites, les hanbalites et certains hanafites, elle l'est. Ils considrent en effet que la profession de foi musulmane du mineur est valide, donc il en est de mme pour son apostasie. Toutefois, selon les juristes hanafites, Abu Hanifa (d. 767) et Muhammad ben al-Hassan al- Shaybani (d. 805), un mineur ne devrait pas tre

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    excut ni mme battu, mais duqu dans le sens d'une acceptation de l'islam33. Tous les juristes partent du principe que hommes comme femmes peuvent devenir apostats. Dans le cas de couples maris, malikites et hanafites estiment que si un des poux devenait apostat, le couple devrait tre spar. Les enfants ns avant l'apostasie du parent sont considrs comme musulmans et ne doivent pas tre autoriss suivre leur pre ou leur mre dans son apostasie34.

    L'apostasie dans le Coran Il nous faut garder l'esprit qu'alors que le Coran condamne l'apostasie en des termes trs clairs, il ne prvoit aucun chtiment terrestre pour le punir. Par exemple, les versets 4:90, 5:59 et 16:108 condamnent tous l'apostasie en termes svres et explicites mais ne prescrivent aucune sanction terrestre35. Mieux, des versets tels que 2:218 et 3:87-97 voquent clairement la mort naturelle pour l'apostat36. Le verset 4:137 semble offrir un argument de taille contre la peine de mort pour apostasie, puisqu'il mentionne des apostats ayant commis plusieurs fois la faute de l'apostasie, sans qu'aucune peine de mort ne soit recommande : "Ceux qui croient, puis dnient, puis croient, puis dnient, enfin s'enfoncent dans la dngation, ceux-l, Dieu se refusera leur pardonner, les guider sur aucun chemin." Dans son ouvrage Chtiment pour l'apostasie en islam, S. A. Rahman, ancien ministre de la Justice au Pakistan, attire l'attention sur le fait que le Coran reste muet sur la question de la peine de mort pour apostasie, malgr le fait que l'apostasie elle-mme soit voque pas moins d'une vingtaine de fois37. Selim al-Awa, un juriste gyptien renomm qui a longtemps discut le thme de l'apostasie, acquiesce et ajoute que la preuve dans la Sunna est ouverte l'interprtation38. Mahmud Chaltut a analys, quant lui, les ventuels lments probants qui en sont donns dans le Coran, et a conclu que l'apostasie ne portait aucun chtiment applicable dans ce monde. Pour lui, le Coran parle uniquement de chtiment dans l'Au-del39. L'apostasie dans les hadith-s Le soutien historique accord la peine de mort pour apostasie n'est habituellement pas trouv dans le Coran mais dans les hadith-s. En particulier, les juristes citent souvent le hadith selon lequel "Quiconque change de religion, tuez-

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    le"40, et autres textes allant dans le mme sens. Un certain nombre de ces textes peuvent tre trouvs dans des collections de hadith-s que les musulmans considrent comme authentiques, tel ceux de Bukhari et de Muslim. Un premier problme se pose, savoir le fait que ces hadith-s, qui paraissent soutenir la peine de mort pour apostasie et attribus au Prophte Muhammad, semblent contredire de nombreux passages du Coran sur la libert religieuse. Certains clercs musulmans ont avanc que les versets du Coran en faveur de la libert religieuse ont t "abrogs", donc rejets. Toutefois, il existe prs d'une centaine de versets dans le Coran qui soutiennent largement la libert religieuse. Ce nombre de versets coraniques en lui- mme met mal l'argument selon lequel ces versets peuvent tre abrogs face une poigne de hadith-s contradictoires. Les hadith-s les plus frquemment cits en soutien de la peine de mort sont par ailleurs problmatiques plus d'un gard. Par exemple, le hadith "Quiconque change de religion, tuez-le" est explicitement gnral et son sens est ambigu. Si l'on prend ce hadith au sens littral, quiconque change de religion, quelle qu'elle soit, peut tre mis mort dans un Etat musulman. Cela inclurait par exemple le cas d'hindous se convertissant au christianisme, ou mme de chrtiens se convertissant l'islam. Une telle position serait videmment absurde. Les juristes des premiers temps de l'islam ont frquemment rencontr ce genre d'ambigits dans les textes coraniques et les hadith-s, et taient d'ailleurs trs l'aise parfois les interprter, les rinterprter, ou donner priorit certains textes sur d'autres. Une telle ambigit a en effet assur aux juristes une large marge de manuvre pour interprter les textes d'une certaine manire ou pour en restreindre l'tendue du sens. Evidemment, le concept d'ambigit textuelle - davantage que celui d'unicit du sens d'un texte - n'est pas nouveau. Dans les faits, il a mme t au centre du dveloppement du droit musulman. Des juristes prominents, dont Abu Hanifa, Malik, et Shafi'i, ont parfois t amens dlaisser certains textes au profit d'autres au moment de rendre leurs jugements. Les textes ambigus ont d tre clarifis ou interprts. Les textes gnraux ont galement d tre clarifis au profit de certaines interprtations. Mme certains travaux islamiques des premiers temps sur les principes de la jurisprudence, tels Risala, de Shafi'i, font mention de ce souci, notamment dans son analyse de bayan (traduisible approximativement par "clarification du sens" de la substance de la communication faite par le Coran)41. La tradition juridique musulmane fournit un certain nombre d'outils pour traiter les ambigits des textes, et certains clercs musulmans contemporains estiment que ces ides doivent tre dveloppes et davantage appliques. Il s'agit d'un domaine de travail auquel les clercs musulmans contemporains peuvent beaucoup contribuer.

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    Un second problme est que malgr le fait que les hadith-s constituent une partie importante de la tradition musulmane, il convient de les approcher avec attention et mme une certaine prudence. Les collectionneurs de hadith-s et clercs des premiers sicles de l'islam nous ont prsent le fruit de leurs travaux en dterminant l'authenticit et la fiabilit des hadith-s. Mais les musulmans aujourd'hui, tout en construisant sur ces hadith-s, ont besoin de pousser leurs ides plus loin et de dvelopper leurs propres outils mthodologiques. Dans certains cas, il convient de questionner l'authenticit de certains hadith-s que les premiers thologiens ont prsents comme authentiques. Par exemple, bien que le hadith "Quiconque change de religion, tuez-le" soit mentionn dans la collection de Bukhari, il existe des points d'interrogation quant la fiabilit de certaines des personnes qui laient relay - au moins dans sa version la plus connue. Cette version est attribue au fameux cousin du Prophte, Ibn Abbas. Elle a t relaye par son esclave affranchi Ikrima, et popularise par un des tudiants d'Ikrima, Ayyub al- Sukhtyani, durant le second sicle de l'islam42. Au regard des tudes thologiques de ce hadith, le rle d'Ikrima comme source cl de ce hadith laisse planer des doutes sur son authenticit. Plusieurs universitaires renomms, contemporains d'Ikrima, voient en lui un menteur. Par exemple, Ali Ibn Abdallah Ibn Abbas, le fils d'Ibn Abbas, qui Ikrima attribue ce verset, a accus Ikrima de mensonge sur le compte de son pre, Ibn Abbas. De mme, Sa'id Ibn Jubayr avait une opinion dfavorable d'Ikrima ; tout comme Sa'id Ibn al-Musayyab, qui aurait dit son esclave : "Ne raconte pas de mensonges sur mon compte, comme le fait Ikrima sur celui d'Ibn Abbas"43. Bien que Bukhari ait accept le hadith rapport par Ikrima, Muslim, un autre thologien spcialiste des hadith-s et de la mme stature que Bukhari, l'a rejet. Il existe donc des preuves q'Ikrima n'tait pas fiable et que la version qu'il a rapporte du hadith est questionnable. Il est ainsi admis qu'il existe plusieurs versions de ce hadith, mais la plupart sont considres comme "faibles"44. En d'autres termes, l'authenticit de la version d'Ikrima peut tre largement considre comme suspecte - et il s'agit pourtant de la version le plus souvent cite pour dfendre la peine de mort pour apostasie45. Une tradition de tolrance envers la dissension dans l'histoire des socits

    musulmanes Il est important de noter le haut degr de tolrance dans lequel vivaient les premires socits de l'islam, pour bien souligner le fait que les interprtations restrictives n'taient pas les seules faire des adeptes parmi les jeunes gnrations de l'islam. De nombreux exemples attestent de la tolrance de toute une srie de points de vue, y compris les points de vue non orthodoxes, au sein des socits musulmanes. Abu Ala' al- Ma'arri (d. 1058), le fameux pote, s'est attaqu dans ses

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    pomes certaines croyances et pratiques religieuses cls de lislam, a pourtant vcu toute sa vie sans tre inquit et est dcd d'une mort naturelle. Parmi ses lignes critiques de la religion, on notera les suivantes : Ils sont dans le tort - musulmans, juifs Chrtiens et zoroastriens. L'Humanit l'une de deux sectes suit : La premire, celle de l'homme intelligent sans religion, La seconde, celle du religieux sans intelligence46. Ses attaques l'encontre de la pratique religieuse peuvent galement tre repres : idiots, rveillez-vous! Les rites par vous tenus sacrs Ne sont que duperie invente par des hommes gs Qui ont couru aprs les richesses et en ont tir jouissance Pour mourir dans la bassesse - et voir leurs lois tournes en poussire47. Le philosophe, libre-penseur, mdecin et alchimiste, Muhammad ibn Zacariyya al- Razi (d. 925 ou 935), a galement publi des rflexions tout aussi peu orthodoxes, certains diront hrtiques, et a vcu toute sa vie parmi les musulmans sans qu'aucun mal ne lui soit fait. Mme un thologien rvr comme al-Ghazali (d. 1111), dont les ides ont pu tre controverses durant certaines priodes de la fin de sa vie, a lui aussi vcu sans que l'on s'en prenne sa personne. Il ne s'agit que de quelques exemples parmi bien d'autres de la tolrance qui avait cours au sein des premires socits musulmanes. Pour autant, il reste vrai que l'intolrance envers la dissension a aussi exist dans l'histoire musulmane, et certains moments de celle-ci, de manire trs visible dans certaines socits musulmanes.

    Tolrance et intolrance des Etats musulmans Bien que de nos jours, de nombreux Etats musulmans considrent que l'apostasie est rprhensible, ils n'approchent pas tous la question de la mme manire. Certains n'autorisent pas le proslytisme des religions auprs des musulmans. Ces Etats interdisent galement aux musulmans de changer de religion et punissent svrement ceux qui s'y risquent. Au Ymen par exemple, un musulman qui se convertirait une autre religion est susceptible d'tre condamn mort. D'autres Etats, en revanche, accordent une certaine marge de manuvre dans le domaine. Au Maroc, la conversion volontaire depuis l'islam n'est pas ncessairement punie, bien que toute tentative de persuader un musulman de se convertir soit illgale. En Malaisie, le gouvernement semble avoir pour rgle de ne pas punir les apostats

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    tant qu'ils n'insultent pas l'islam. En Iran et Oman, le proslytisme destination des musulmans par des non-musulmans est regard avec suspicion ou est simplement interdit.

    Pourquoi les musulmans ne doivent pas craindre la libert religieuse

    1. Le Coran, comme les pratiques du Prophte Muhammad, plaide largement en faveur de la libert religieuse 2. La libert religieuse est dans l'intrt des musulmans et de leurs socits 3. Les thologiens musulmans soutiennent la libert religieuse. Au sein des socits musulmanes ont cours plusieurs dbats sur le droit la libert religieuse, et les individus prennent des positions diverses. A une extrmit se tiennent les pays majorit musulmane et les communauts o les musulmans sont minoritaires au sein de socits diversifies qui sont la recherche d'une libert totale pour pratiquer d'autres religions, et acceptent compltement les idaux exprims dans l'article 18 de la Dclaration universelle des droits de l'homme (DUDH). A l'autre extrmit, se tiennent les pays o l'Etat ne tolre pas d'autres religions que l'islam, o l'hostilit de la socit pour les autres religions est forte, et o la conversion d'un musulman une autre foi est punissable de mort. Tout comme il existe des communauts musulmanes minoritaires au sein desquelles l'hostilit socitale envers la libert religieuse est considrable. Entre ces deux extrmes se situent ceux qui imposent quelques restrictions la libert religieuse de leurs citoyens ou sujets. Ces restrictions peuvent prendre diverses formes, comme la rgulation stricte de la construction des lieux de culte, linterdiction d'importation d'objets religieux, l'interdiction du proslytisme en faveur d'autres religions que l'islam, rendant illgales ou limitant certaines coles de pense, certaines organisations ou activits musulmanes, et interdisant l'utilisation de certains symboles ou d'un certain vocable islamiques aux non-musulmans. Toutefois, comme dj expos, l'apostasie reste l'infraction la plus rglemente. Nombreux sont les musulmans qui estiment que la question du droit abandonner l'islam est un dfi. Ils admettent que le Coran et la Sunna reconnaissent la libert de croyance et le droit pratiquer d'autres religions, mais ne soutiennent pas pour autant le droit abandonner l'islam48. De leur point de vue, l'islam reste la religion vritable et definitive ; lui tourner le dos pour un autre systme de croyance, qui se retrouve tre faux par dfinition, ne peut tre tolr. De plus, le salut tant l'objectif le plus important pour tout tre humain, il convient de tout tenter pour maintenir l'individu musulman dans le giron de sa

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    foi - seule voie vritable vers le salut selon eux. Pour autant, la foi en l'islam requiert une fidlit au Coran et aux enseignements du Prophte Muhammad. Par consquent, ces deux sources d'autorit mritent qu'on les examine de plus prs.

    1. Le Coran, comme les pratiques du Prophte Muhammad, plaide largement en faveur de la libert religieuse Bien que la religion et la croyance en un Dieu Unique soient clairement prsentes dans le Coran comme un bien pour l'tre humain, le Livre Saint considre que tous les tres humains ne suivent pas ncessairement cette voie. Dans les faits, le Coran laisse une marge consquente aux tres humains dans le cas o ceux-ci venaient rejeter la religion s'ils le souhaitent et suivre leurs dsirs. Il permet lexercice de la volont libre, et ce ds l'apparition des premiers hommes. Il est ainsi avanc qu'Adam et Eve ont t dots de cette libre volont, travers laquelle Dieu les a mis l'preuve. Ils ont chou ce premier test, mais du point de vue du Coran, cet chec n'a pas rsult en la chute complte de la race humaine. Bien au contraire, le Coran prsente le libre choix et la mise l'preuve comme faisant partie d'un plan prvu par Dieu pour les humains - une des raisons pour lesquelles ils ont t crs. En ralit, c'est ce libre choix qui leur donne cette place importante dans l'ordre de la Cration. Une partie essentielle de cette libre volont et de cette mise l'preuve consiste en la libert de choisir de croire ou non en Dieu et Sa religion. Ce choix a galement voir avec la responsabilit. Les tres humains sont responsables de ce qu'ils russissent ou chouent raliser en ce bas-monde. Entres autres, croire en un Dieu unique, suivre les commandements et les interdits de Celui- Ci, et suivre le code thique et moral qu'Il a relay par l'intermdiaire de Ses prophtes. Le succs ou l'chec d'une personne dpend de la manire dont elle assume cette responsabilit. D'un point de vue coranique, le rsultat est un bonheur ternel au Paradis ou une damnation tout aussi ternelle en Enfer. Par consquent, si la libert de croire ou de ne pas croire est accorde, elle reste pour autant associe de lourdes consquences. Or, ces lourdes consequences, dont il est fait rfrence dans le Coran, ne sont en dfinitive pas de ce monde et relvent de la vie dans l'Au-del. D'un point de vie thologique, le Coran voit chaque tre humain comme une cration unique de Dieu, dote d'une intelligence et d'une volont libre. Il avance ainsi que Dieu a cr les tres humains "dans le meilleur des moules" (Coran 95:4), les a honors et leur a donn des privilges particuliers (Coran 17:70). Il insiste sur le fait que les tres humains ont une valeur et une dignit qui leur sont inhrentes, et que Dieu leur a donn lintelligence et les capacits de discerner entre le bien et le mal (Coran 2:256). Comme il leur a accord une autonomie personnelle pour considrer par eux- mmes les diffrentes options religieuses qui s'offrent eux. Par exemple, "Que croie celui qui veut, et que dnie celui qui veut"

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    (Coran 18:29) et "Qui suit la sainte direction ne le fait que pour lui-mme. Quand celui qui s'gare, dis : "Je ne suis l que pour donner l'alarme" (Coran 27:92). Cette dclaration est souvent attribue des prophtes et ne serait que rpte par le Coran. En outre, un large ventail de versets coraniques spcifie clairement que la question de la foi reste une affaire personnelle entre Dieu et l'individu. Il est ainsi affirm que "Qui bien se guide le fait pour soi-mme, qui s'gare le fait son propre dam ; nulle porteuse n'incombe la charge d'autrui" (Coran 17:15). Le Coran met en garde les croyants en indiquant qu'au final, Dieu tient les hommes responsables des choix qu'ils font durant leur vie terrestre. Le jour du Jugement dernier, les hommes devront se tenir devant Dieu et seront interrogs sur ce qu'ils ont fait ou chou faire, et comment ils ont trait les autres. Cela signifie que le salut, tout comme la croyance, est un effort individuel, pas une affaire collective ou communautaire. Dieu a rappel au Prophte Muhammad que lui-mme n'tait pas responsable des dcisions des autres. Il lui a ainsi conseill de dire : "A moi mes uvres, vous les vtres. Vous n'tes pas solidaires de ce que je fais, ni moi de ce que vous faites" (Coran 10:41). L'une des faons les plus importantes dont le Coran confirme l'autonomie et le libre choix de l'individu est en prenant position contre l'utilisation de la force en matire de foi. Le Coran affirme explicitement que personne ne doit forcer les autres croire : "Point de contrainte en matire de religion : droiture est dsormais bien distincte d'insanit. Dnier l'idole, croire en Dieu, c'est se saisir de la ganse solide, que rien ne peut rompre. Dieu est Entendant, Connaissant" (Coran 2:256). Dans d'autres versets, le Coran insiste sur le fait que personne ne devrait tre forc adopter une certaine religion ou une certaine foi. Pour le Coran, la foi impose est totalement inacceptable. Une personne ne peut venir l'islam que par le chemin de la conviction et de la croyance sincre. Le Coran encourage les musulmans inviter les autres l'islam "de la plus belle sorte" (Coran 29:46), en recourant au conseil courtois, au raisonnement sain et la persuasion lgante49, plutt qu' travers l'opposition et la discorde. La foi correcte vient de la certitude et de la conviction ; le Coran dnonce donc pratiques et attitudes qui promeuvent l'imitation aveugle de pratiques ancestrales plutt que la pense indpendante et la conviction personnelle (exemple, Coran 2:170). Tout aussi importantes restent les pratiques du Prophte Muhammad lui-mme. Bien qu'il existe quelques hadith-s qui prescrivent la peine de mort pour

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    apostasie, ils contredisent les vritables actions du Prophte. La conversion depuis l'islam existait certainement de son temps. D'ailleurs, plusieurs musulmans ont quitt l'islam aprs le fameux "voyage de nuit" du Prophte Jrusalem puis au Paradis, connu sous le nom d'al-Isra' wal-Mi'raj. Ces personnes ont mis en doute la manire dont le Prophte avait pu, comme il le dclarait, aller Jrusalem puis revenir la Mecque en une nuit, quand il fallait l'poque plusieurs semaines pour faire le trajet. De la mme manire, certains musulmans ont migr en Abyssinie lorsque la perscution des musulmans la Mecque est devenue intolrable ; une partie d'entre eux ont alors choisi l'apostasie et sont devenus chrtiens50. Le Coran tablit galement plusieurs rfrences l'hypocrisie (nifaq) et aux hypocrites (munafiqun) de la Mecque qui, pour des raisons pratiques, n'taient autres que des apostats. De manire intressante, aucun d'entre eux n'a t mis mort, et il n'existe aucune preuve que le Prophte ait l'poque ordonn ou mme considr la mise mort d'une personne sur la base de son changement de foi. 2. La libert religieuse est dans l'intrt des musulmans et de leurs

    socits La communaut internationale reconnat que la libert de religion et de foi joue un rle important dans la promotion de la paix et dans le maintien de la justice sociale. Par exemple, la Dclaration sur l'limination de toutes formes d'intolrance et de discrimination fondes sur la religion ou la conviction affirme que "la libert de religion et de foi doit galement contribuer la ralisation des objectifs que sont la paix mondiale, la justice sociale et l'amiti entre les peuples"51. Certains gouvernements dans les pays majorit musulmane, toutefois, rpondent que les restrictions l'encontre de la libert religieuse sont ncessaires au maintien de l'ordre public et la prvention de la violence entre les groupes religieux. C'est plutt l'inverse qui en ralit s'avre tre vrai. Les Etats qui restreignent la libert religieuse au nom de la stabilit crent souvent les conditions mme qu'ils tentent d'empcher d'exister. Et ce, car la rpression tend lgitimer voir alimenter une culture de discrimination, comme elle peut radicaliser les individus et groupes rprims52. Une tude mene par Brian Grim et Roger Finke (2007) dmontre que la bonne comprhension d'un conflit social ne peut faire l'impasse sur le rle particulier de la religion, surtout lorsque l'on enqute sur un cas de perscution religieuse. En particulier, cette tude avance que les hostilits au niveau social et la rglementation par le gouvernement offrent souvent une explication solide des divers degrs de perscution religieuse au sein de la socit. La rgulation par le gouvernement de la religion serait le premier indicateur de perscution religieuse,

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    mme en l'existence d'autres facteurs dexplication, tels le degr d'homognit religieuse, les conflits arms, la croissance de la population et l'ingalit des ressources. Ces rsultats dfendent l'ide que les tentatives en vue de rglementer la foi contribuent l'mergence d'une culture qui rprime toute dissension l'encontre de l'orthodoxie telle que l'a dfinie le gouvernement. Cela peut alors tablir un cercle vicieux de perscution53. Plus de rgulations entrane davantage de perscutions, qui leur tour signifient moins d'ordre et plus de violence54. En outre, des auteurs tels que Thomas Walsh estiment que la libert religieuse est en cohrence avec d'autres liberts et sert, en ralit, renforcer l'existence de celles-ci55. Il existe galement une forte connexion entre la restriction de la libert religieuse et le degr de militarisation d'un pays et de son engagement dans un conflit ventuel. Dans les pays faible libert religieuse, une partie plus importante du PIB est habituellement dpense en faveur des institutions militaires56. L'index 2007 des Failed States publi par le magazine Foreign Policy avance que "la libert religieuse... peut tre... un indicateur cl de stabilit. Les Etats vulnrables sont ceux qui affichent un degr important d'intolrance religieuse"57. Enfin, la libert religieuse encourage la foi authentique. Quand les individus sont libres de choisir leurs croyances religieuses au lieu d'y tre forcs par des restrictions lgales ou des pressions sociales, leur venue la foi a davantage de chances d'tre sincre, honnte face Dieu et aux autres. La foi librement choisie au niveau individuel et sans coercition ni conformisme impos est la foi vritable58. Cela est particulirement significatif pour les musulmans parce que le Coran condamne l'hypocrisie. Par consquent, il parat logique de voir un systme comme la menace de mort pour apostasie encourager les individus penser que mentir sur ses croyances - tre un hypocrite - reste prfrable admettre un manque de foi. 3. Les thologiens musulmans soutiennent la libert religieuseMalgr le fait que l'apostasie reste une question importante dans les pays majorit musulmane, plusieurs d'entre eux envisagent d'liminer la peine de mort pour apostasie. De nombreux musulmans dfendent fortement la peine de mort, mais de plus en plus nombreux sont les musulmans qui leur font face avec autant de motivation, dont quelques-uns des penseurs musulmans prominents. Ainsi, un nombre croissant de personnes prennent leurs distances avec le concept d'une religion impose, au profit d'un accord personnel entre l'individu et Dieu. Cette lecture est probablement plus proche de l'ide dfendue par le Coran dans le sens d'une non-coercition en matire de foi et de religion.

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    Il existe ainsi un nombre de plus en plus important de clercs qui questionnent les bases des lois sur l'apostasie et de la peine de mort qui lui est associe. De nos jours, un certain nombre de penseurs musulmans ont dj rexamin les textes associs au chtiment dans le cas d'apostasie, dmontrant qu'il n'existe pas de base coranique pour la peine de mort. Tout comme il n'y a rien dans les pratiques du Prophte qui soutienne la peine de mort pour apostasie. Selon eux, si la peine de mort a bien exist du temps du Prophte en punition de l'apostasie, elle a gnralement concid avec des cas o le crime dnonc tait un acte de trahison politique, et non un simple changement de foi. Par contraste, changer de foi dans le contexte actuel des Etats-Nations ne constitue plus en rien une trahison politique. En ces temps modernes, des penseurs musulmans tels Ahmad Khan, Muhammad Abduh, Rachid Rida et Muhammad Iqbal font partie des premiers avoir propos un cadre de rflexion lmentaire qui permette le questionnement de la conception classique de l'apostasie et de la peine de mort. Au XXIe sicle, certains leaders politiques islamistes comme Rachid Ghannouchi ont rejoint l'appel en faveur d'une libert religieuse pour tous y compris pour les musulmans. Aprs avoir analys les textes coraniques relatifs l'apostasie, S. A. Rahman avanait que "La position qui merge, aprs avoir tudi les versets pertinents du Coran, peut se rsumer dire que non seulement il n'existe pas de chtiment pour apostasie dans le Livre, mais que la Parole de Dieu envisage clairement une mort naturelle pour l'apostat. Il sera puni dans l'Au-del seulement"59. De la mme manire, aprs une tude approfondie des textes disponibles, il soutenait, propos de la "preuve" avance par le fameux hadith, qu' "il apparat que le rempart le plus solide de l'orthodoxie, savoir la Sunna, lorsque confronte un examen critique la lueur de l'histoire, ne russit pas appuyer la position de ceux qui cherchent tablir qu'un musulman qui se rend coupable d'apostasie doit tre condamn mort uniquement pour avoir chang de foi. Dans les cas o un tel chtiment semble avoir t inflig, on a trouv que d'autres facteurs coexistaient, qui auraient justifi une telle action allant dans le sens de l'intrt de la scurit collective"60. Un musulman qui estime qu'il n'existe pas de chtiment temporel pour simple apostasie est feu Muhammad Chaltut, un clerc gyptien de renom et cheikh d'al-Azhar de 1958 1963. Pour Chaltut, les condamnations mort du dbut de l'histoire musulmane taient en ralit autant de chtiments pour des crimes commis contre l'Etat. Il estime par ailleurs que le chtiment pour apostasie

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    s'appuie largement sur un seul hadith, et que les chtiments prescrits (hudud) ne peuvent l'tre sur la base d'un seul hadith (ahad). Selon lui, la non-croyance en soi ne justifie pas le chtiment61. Plusieurs autres clercs musulmans des temps modernes ont galement dfendu l'ide selon laquelle la peine de mort sert avant tout prvenir contre les crimes politiques plutt que les crimes religieux. Subhi Mahmassani, le juriste renomm, estime que la peine de mort est rattache la haute trahison - cest-- dire au domaine du politique - et non au simple acte de renoncement la foi62. Muhammad Hachim Kamali, de Malaisie, avance lui aussi qu' "il peut tre affirm en guise de conclusion que l'apostasie tait une offense punissable durant les premires annes de l'avnement de l'islam pour ses effets subversifs sur la Communaut et l'Etat musulmans naissants. Les preuves disponibles dans le Coran sont en revanche clairement en faveur de la libert de croyance, qui comporte naturellement le droit la libre conversion. Par ailleurs le Coran ne propose aucun chtiment pour l'apostasie bien que celle-ci soit mentionne de nombreux endroits dans le Texte. Telle est la position normative de la Charia sur l'apostasie non-subversive due uniquement des conditions et des croyances personnelles"63. Allant dans le mme sens, Kamali avance que "le Coran ne prescrit absolument aucune sanction temporelle pour apostasie et le Prophte, que la Paix soit sur lui, n'a jamais condamn quiconque mort sur la base de celle-ci"64. Muhammad Selim al-Awa, un penseur contemporain, introduit quant lui un lment de flexibilit en avanant que le chtiment n'est pas un chtiment prescrit (hadd) mais discrtionnaire (ta'zir). La diffrence est que si la sanction est prescrite, elle ne peut tre modifie, mais que si elle est discrtionnaire, elle peut tre modifie au cours du temps pour se conformer l'volution des principes dvelopps par le droit musulman. Awa n'est pas d'accord avec le point de vue commun des juristes musulmans traditionalistes qui considrent que l'islam prescrit de manire non quivoque la peine de mort pour apostasie65. Il avance que "les versets coraniques relatifs [ l'apostasie] n'ont prescrit aucune sanction pour l'apostasie et se sont contents de dclarer qu'il s'agissait d'un grand pch. Ensuite le Prophte qui a dit : "Quiconque change de religion, tuez-le" sur les apostats n'a lui-mme jamais mis un apostat mort"66. Pour feu Muhammad Sayyid Tantawi, cheikh d'al-Azhar de 1996 2010, les musulmans qui renoncent leur foi ou deviennent apostats devraient tre laisss tranquilles tant qu'ils ne reprsentent pas une menace pour l'islam ou qu'ils ne le rabaissent pas. Si les musulmans sont forcs d'agir l'encontre d'un apostat, dit-il,

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    cela ne devrait pas tre parce que la personne a abandonn la foi mais parce qu'elle s'est rvle tre un ennemi ou une menace pour la socit musulmane67. Shabbir Akhtar insiste sur l'importance de la sincrit de la croyance et estime que la foi ne devrait pas tre base sur l'hypocrisie ou la coercition : "Ainsi l'existence d'une libert religieuse prsuppose en effet le besoin de contenir la dsertion de la socit scripture. Que nous, musulmans, devions ou non autoriser des individus au sein de la Communaut exercer un choix libre et rflchi mrite en soi, bien sr, d'tre considr. Et bien sr, il reprsente le sujet d'un grand moment. Mon point de vue personnel ... est que les risques potentiels inhrents une offre de libert religieuse mritent d'tre pris. Pourquoi? Eh bien, si Dieu existe, dirais-je, on peut imaginer qu'a priori, Il attend une rponse volontaire ne d'une gratitude et d'une humilit authentiques, elles-mmes enracines dans une vraie rflexion et un choix moralement responsable. A cette lueur, l'hrsie et mme l'apostasie sont moralement plus acceptables qu'un attachement hypocrite une opinion orthodoxe par peur des sanctions publiques. Heureusement pour nous, nous disposons de la preuve prsente dans le Coran lui-mme, qui appuie ce point de vue : "Point de contrainte en religion" (Coran 2:256). Malheureusement toutefois, de nombreuses autorits pourtant bien informes ont travaill dtruire ces bons sentiments en recherchant au sein de l'ouvrage sacr des versets qui appuieraient l'opinion inverse. Il suffit de dire ici que mme d'un point de vue pragmatique, par opposition au point de vue moral ou religieux, il y a beaucoup avancer en faveur de la libert religieuse"68. Conclusion

    La possibilit offerte une personne de croire librement est centrale dans la conception coranique de la vritable croyance. Les conversions forces, la coercition dans le sens du maintien d'un lien individuel avec une religion particulire, et l'hypocrisie religieuse sont condamnes par le Coran. Celui-ci soutient avec force la libert de croire travers la mission du Prophte (610- 632) et le Prophte Muhammad lui-mme a systmatiquement soutenu ce principe. Malgr les nombreuses restrictions qui ont pu merger face aux musulmans et aux non-musulmans au cours du dveloppement de la thologie et du droit musulmans durant la priode qui a suivi le dcs du Prophte, les ralits du monde moderne amnent les penseurs et clercs musulmans repenser ces restrictions et dfendre une libert religieuse pour tous. Ce faisant, ces musulmans se rapprochent en ralit des enseignements du Coran et de la relle pratique du Prophte Muhammad.

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    En prparant un futur o les musulmans coexisteront aux quatre coins du monde cte cte avec les non-musulmans, parfois de manire majoritaire, d'autres fois de manire minoritaire, les musulmans ont besoin de faire la paix avec la libert religieuse la lueur la fois de l'histoire du droit musulman et des ralits socio-politiques modernes. Mon espoir est que cet essai contribue une meilleure comprhension et une meilleure acceptation de la libert religieuse par les musulmans. Cette tentative d'ouvrir davantage les portes de la libert religieuse ne cherche pas minimiser l'importance de la religion, mais plutt la protger la fois des caprices des desiderata politiques et des bourrasques violentes de l'extrmisme.

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    Notes

    1 See Mohammad Hashim Kamali, Freedom of Expression in Islam (Kuala Lumpur: Berita, 1994), 99. 2 See Abdullah Saeed and Hassan Saeed, Freedom of Religion: Apostasy and Islam, (Hants: Ashgate, 2004), 21. 3 See, e.g., Quran 2:75, 2:100-101, 2:146, 3:23, 3:78, 5:68-86. 4 Full Text of the Madina [sic] Charter, http://www.constitution.org/cons/medina/ macharter.htm (accessed 2 See Abdullah Saeed and Hassan Saeed, Freedom of Religion: Apostasy and Islam, (Hants: Ashgate, 2004), 21. 3 See, e.g., Quran 2:75, 2:100-101, 2:146, 3:23, 3:78, 5:68-86. 4 Full Text of the Madina [sic] Charter, http://www.constitution.org/cons/medina/ macharter.htm (accessed Nov. 15, 2011), article 30. 5 See Rachel M. Scott, Contextual Citizenship in Modern Islamic Thought Islam and ChristianMuslim Relations 18(1) (2007):118, p. 3. 6 Ibid. 7 See Aibek Ahmedov, Religious Minorities and Apostasy in Early Islamic States: Legal and Historical Analysis of Sources Journal of Islamic State Practices in International Law 2(3) (2006):117, p. 8. 8 Ibid. 9 See Ahmad Yousif, Islam, Minorities and Religious Freedom: A Challenge to Modern Theory of Pluralism, Journal of Muslim Minority Affairs 20(1) (2000): 2941, p. 37. 10 Mohammad Hashim Kamali, Freedom of Religion in Islamic Law, Capital University Law Review 21(1) (1992):6382, p. 70. 11 The Covenant of Umar, MidEast Web, http://www.mideastweb.org/ covenantofomar.htm (accessed Sept. 2, 2010). 12 Quoted in Ahmedov, Religious Minorities, 9. 13 Scott, Contextual Citizenship, 3. 14 See ibid. 15 Basic Statute of the State, chapter 3, article 17 (1996): All citizens are equal before the Law and share the same public rights and duties. There is no discrimination between them on the ground ofreligion, sect. 16 The Constitution of Republic of Mali, title I, article 4 (1992): Every person has the right to freedom of thought, conscience, religion, worship, opinion, expression, and creation in respect to the law. 17 Constitution of the Peoples Republic of Bangladesh, part 1, clause 2A (1971): The state religionis Islam, but other religions may be practiced in peace and harmony in the Republic. Also part 3, clause 28(1) : The state shall not discriminate against any citizen on grounds only of religion. 18 See U.S. Department of State, Annual Report on International Religious Freedom, 1999, 2001, http://www.state.gov/g/drl/rls/irf/2001 (accessed March 29, 2010). 19 See for example, section 4, Control and Restriction of The Propagation of Non- Islamic Religions Among Muslims, (Negeri Sembilan) Bill (1991). 20 See Asma Uddin, Blasphemy Laws in Muslim Majority Countries, Review of Faith and International Affairs (Summer 2011): 19, p. 3, http://ssrn.com/ abstract=1885757. 21 Abd al-Rahman al-Jaziri, Min Kitab al-Fiqh ala al-Madhahib al-Arba`ah, vol. 5, Beirut: Dar al-Fikr, n.d., 422423. 22 H.A.R. Gibb and J.H. Kramers, Zindik, Shorter Encyclopaedia of Islam, (Leiden: E.J. Brill, 1953), 659. 23 See Quran 9:73. 24 See, e.g., Quran 9:68. 25 See Jaziri, Min Kitab al-Fiqh `ala al-Madhahib al-Arba`ah, 5:428. 26 See Kamali, Freedom of Expression, 208209. 27 See Quran 63:3. 28 See Mohammad Hashim Kamali, Islamic Law in Malaysia: Issues and Developments (Kuala Lumpur: Ilmiah, 2000), 209. 29 See Kamali, Freedom of Expression, 91, citing S.A. Rahman, Punishment of Apostasy in Islam, 2nd ed. (Lahore, Pakistan: Institute of Islamic Culture, 1978), 6364.

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    30 See Ahmad ibn Naqib al-Misri, Reliance of the Traveller: A Classic Manual of Islamic Sacred Law, trans. Nuh Ha Mim Keller (Evanston: Sunnah, 1994), 596598. 31 See Saeed and Saeed, Freedom of Religion, 52, citing Abd al-Rahman al-Jaziri, Min Kitab al-Fiqh `ala al-Madhahib al-Arba`ah (Beirut, Lebanon: Dar al-Fikr, n.d.), 5:437. 32 See Saeed and Saeed, 52. 33 See Ibid. 34 See Ibid. 53. 35 See Turgut Subasi, The Apostasy Question in the Context of Anglo-Ottoman Relations, 184344, Middle Eastern Studies 38(2) (2002), 2, citing S.M. Zwemer, The Law of Apostasy in Islam (London: Marshall Brothers, 1924). 36 See Rudolph Peters and Gert J.J. De Vries, Apostasy in Islam, Die Welt des Islams, New Series, 17(1) (19761977): 125, p. 14. 37 See Kamali, Freedom of Expression, 91. 38 See ibid, citing Mohamed Selim El-Awa, Punishment in Islamic Law (Indianapolis, IN: American Trust, 1982), 55. 39 See Kamali, Freedom of Expression, 91. 40 This hadith is included in the collection of Bukhari. 41 See Imam Muhammad ibn Idris al-Shafii, al-Risala fi Usul al-Fiqh (Treatise on the Foundations of Islamic Jurisprudence), trans. Majid Khadduri (Cambridge, England: Islamic Texts Society, 2008), 67. 42 See Al-Alwani, La Ikraha fi al-Din. Cairo: Maktab al-Shuruq, 2006), 123. [The English translation of this is Taha Jabir Alalwani, Apostasy in Islam: A Historical and Scriptural Analysis. (London and Washington: The International Institute of Islamic Thought, 2011), translated by Nancy Roberts, p. 78.] 43 Ibid., 127. [In English translation, p. 79] 44 Ibid. 45 See ibid., 123139. [In English translation, pp. 78-89] 46 Al-Maarri, The Two Universal Sects, undated, http://www.humanistictexts.org/ al_ma%27arri.htm. 47 Al-Maarri, The Cheat of Sacred Rites, undated, http://www.humanistictexts.org/al_ma%27arri.htm. 48 See Kamali, Islamic Law in Malaysia, 203219. 49 See Kamali, Freedom of Expression, 100. 50 See Al-Alwani, La Ikraha fi al-Din, 101104. [In English translation, pp. 42ff.] 51 Preamble, Declaration on the Elimination of All Forms of Intolerance and of Discrimination Based on Religion or Belief (1981), http://www1.umn.edu/humanrts/instree/d4deidrb.htm. 52 See Monica Duffy Toft, Daniel Philpott and Timothy Samuel Shah, Gods Century: Resurgent Religion and Global Politics (New York: Norton, 2011). 53 See Brian J. Grim and Roger Finke, Religious Persecution in Cross-National Context: Clashing Civilizations or Regulated Religious Economies? American Sociological Review 72(4) (August 2007): 633658, http://sitemaker.umich.edu/comparative.speaker.series/files/roger_finke.pdf (draft text), 3435. 54 See Grim and Finke, Religious Persecution in Cross-National Context, 654. See also Brian J. Grim, Gods Economy: Religious Freedom & Socio-Economic Wellbeing, based on Religious Freedom in the World, Center for Religious Freedom, survey (2008), presented at World Trends in Religious Freedom, Hudson Institute, Washington, D.C. (July 9, 2007), 2, crf.hudson.org/articledocs/GodsEconomy.doc. 55 See Thomas Walsh, Religious Freedom and the Moral Society, presented at Religious Freedom and the New Millennium, International Coalition for Religious Freedom, Washington, D.C. (April 1719, 1998), http://www.religiousfreedom.com/index.php?option=com_content&view=article&id=380&Itemid=57. 56 See Grim, Gods Economy, 2. 57 As quoted in Study Shows Religious Freedom for Others Benefits Us All, The O Project (July 14, 2007), blog post, http://oproject.wordpress.com/2007/07/14/religious-freedom. 58 The European Court of Human Rights, for example, confirmed this view when it recognized that freedom of religion is one of the most vital elements that go to make up the identity of believers and their conception of life. (European Court of Human Rights, Kokkinakis v. Greece, chamber judgment, deliberated November 27, 1992 and April 19, 1993; decision issued May 25, 1993.)

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    59 S.A. Rahman, Punishment of Apostasy in Islam, 2nd ed. (Lahore, Pakistan: Institute of Islamic Culture, 1978), 54. 60 Ibid., 85-86. 61 See Mahmud Shaltut, Al-Islam: Aqidah wa Shariah (Kuwait: Matabi Dar al- Qalam, n.d.), 292293. 62 See Subhi Mahmassani, Arkan Huquq al-Insan fi al-Islam (Beirut, Lebanon: Dar al-`Ilm li al-Malayin, 1979), 123124. 63 Kamali, Islamic Law in Malaysia, 219. 64 Kamali, Islamic Law in Malaysia, 209. 65 See Awa, Punishment in Islamic Law, 50. 66 Awa, Punishment in Islamic Law, 54. 67 The Grand Imams of Al-Azhar (Shuyukhul Azhar), Shaykh Muhammad Sayyid Tantawi (1928 ), http://www.sunnah.org/history/Scholars/mashaykh_azhar. htm#tantawi (accessed January 31, 2002). 68 Shabbir Akhtar, A Faith for All Seasons: Islam and Western Modernity (London: Bellew 1990), 2122. See also Shabbir Akhtar, Be Careful with Muhammad! The Salman Rushdie Affair (London: Bellew, 1989), 7077 for a longer discourse on apostasy (and blasphemy and treason).

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    Il n'existe peut-tre pas de sujet plus important pour la pense musulmane contemporaine que celui de la libert religieuse. Celui-ci se rpercute sur toute une srie de positions sur les conflits, la citoyennet et les droits fondamentaux dans un monde de plus en plus pluriel. Dans ce livret, Abdallah Saeed pose des questions essentielles, interrogeant les textes sacrs, la thologie, le droit, l'histoire et la politique musulmans. Ce faisant, il offre un cadre propice la comprhension et une position courageuse pour le dveloppement venir de la pense musulmane. - Mahan Mirza, Universit de Zaytuna La rforme des droits de l'Homme dans le monde musulman requiert un retour approfondi sur la thologie musulmane. Islam et Croyance est une contribution importante ce projet essentiel. - Asma Uddin, fondatrice et rdactrice en chef www.AltMuslimah.com La question de la libert de croyance reste une question essentielle partout dans le monde, et ce livre apporte une rflexion succincte mais bien documente sur l'islam et le pluralisme. - Jonathan A.C. Brown, Universit de Georgetown Pour davantage d'informations sur les perspectives musulmanes autour de la libert religieuse, voir :

    IslamAndRF.org