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 Steve G. Lofts Husserl, Heidegger, Cassirer. Trois philosophies de crise In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 92, N°4, 1994. pp. 570-584. Citer ce document / Cite this document : Lofts Steve G. Husserl, Heidegger, Cassirer. Trois philosophies de crise. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 92, N°4, 1994. pp. 570-584. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1994_num_92_4_6880

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  • Steve G. Lofts

    Husserl, Heidegger, Cassirer. Trois philosophies de criseIn: Revue Philosophique de Louvain. Quatrime srie, Tome 92, N4, 1994. pp. 570-584.

    Citer ce document / Cite this document :

    Lofts Steve G. Husserl, Heidegger, Cassirer. Trois philosophies de crise. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrime srie,Tome 92, N4, 1994. pp. 570-584.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1994_num_92_4_6880

  • ETUDES CRITIQUES

    Husserl, Heidegger, Cassirer Trois philosophies de crise*

    Dans la mesure o le temps qui est le ntre est un temps de crise, il ne se distingue d'aucune autre priode de l'histoire humaine celle-ci ayant toujours t profondment marque par la prsence opinitre d'une crise ou d'une autre, chaque poque tant en fait forme et caractrise par une crise propre. Cependant, notre sicle se distingue dans la mesure o il a transform le problme de crise en un problme de pense, et ceci en deux sens: d'abord, en tant que la crise est devenue un problme reflt dans le discours philosophique; ensuite, en tant que la pense ou la rationalit elle-mme nous sont devenues problmatiques.

    Dans son livre, Husserl, Heidegger and the Crisis of Philosophical Responsibility, Philip Buckley explore le discours philosophique autour de la notion de crise dans les textes de Husserl et Heidegger. Pour tous les deux, la crise est une crise qui concerne la rationalit, mais, comme nous le verrons, pour Husserl la crise tient la faillite de la rationalit, tandis que pour Heidegger, elle rsulterait paradoxalement du succs de celle-ci. En tudiant l'ouvrage de Ph. Buckley, j'ai t frapp par la possibilit d'enrichir et d'approfondir les analyses de l'auteur en les mettant cte cte avec une analyse parallle de la philosophie d 'Ernst Cassirer. Encore que celui-ci ne soit pas d'abord connu comme un philosophe qui se serait pench sur la crise du xxe sicle, on trouve nanmoins dans son uvre bien des convergences (ainsi que des divergences) fort int-

    * propos de trois ouvrages rcents: Ernst Cassirer, Logique des sciences de la culture. Cinq tudes. Traduit de l'allemand par Jean Carro avec la collaboration de Jol Gaubert. Prcd de: Fondation critique ou fondation hermneutique des sciences de la culture? (Passages). Un vol. 23,5 x 14,5 de 233 pp. Paris, Cerf, 1991. Prix: 129 FF; R. Philip Buckley, Husserl, Heidegger and the Crisis of Philosophical Responsibility (Phaenomenologica, 125). Un vol. 24 x 17 de xxn-296 pp. Dordrecht/Boston/Londres, Kluwer Academic Publishers, 1992; Ernst Cassirer, Le mythe de l'tat. Traduit de l'anglais par Bertrand Vergely (Bibliothque de philosophie). Un vol. 22,5 x 14 de 404 pp. Paris, Gallimard, 1993. Prix: 250 FF.

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    ressantes si on le compare avec Husserl et Heidegger. Cette comparaison est facilite par la publication rcente, en traduction franaise, de deux ouvrages d'Ernst Cassirer dans lesquels le sujet de la crise est abord, savoir la Logique des sciences de la culture et Le mythe de l'tat.

    Pour des raisons de clart et de cohrence, je suivrai la structure de l'tude de Ph. Buckley dans ma prsentation, non seulement des ides de Husserl et de Heidegger, mais aussi de la pense de Cassirer. Cette structure s'articule en fait comme suit: 1 l'auteur tablit d'abord quelle est la nature de la crise, et ceci par une description de la manire dont elle se manifeste le plus videmment; 2 il dtermine quelle est la source de la crise en analysant son dveloppement historique; 3 il explore comment la crise pourrait tre surmonte; 4 finalement, il nous fournit une valuation critique centre sur les points suivants : (I) la paradoxale ncessit de la crise; (II) la mise en uvre, dans la sphre sociale et politique, d'une stratgie pour la surmonter; (III) le problme du volontarisme, c'est--dire la question de savoir dans quelle mesure le sujet peut vouloir que la crise soit vaincue et dans quelle mesure il peut ainsi tre considr comme responsable.

    La philosophie de crise husserlienne

    1 Le mot grec krisis dsigne une sparation, une coupure ou une division (p. xvn). Semblablement, pour Husserl la crise se montre le plus clairement dans la division et dans la sparation toujours croissantes entre les diffrentes sciences, et particulirement entre les sciences naturelles et humaines. tant donn, raisonne Husserl, qu'en dernire analyse il ne peut y avoir qu'une seule ralit, il faudrait qu'en principe un seul systme de savoir scientifique y corresponde. Or, l'existence de plusieurs cadres thoriques qui s'opposent, voire s'excluent mutuellement (et ceci malgr leur cohrence interne), indique l'chec de la raison dans la tche de construction d'un corps unifi du savoir. Puisque Husserl regarde la philosophie comme le modle et le paradigme des autres sciences, la faillite du projet scientifique rvlerait, un niveau plus fondamental, la faillite du projet philosophique. Qui plus est, comme, d'aprs Husserl, le credo de la culture europenne rside dans la poursuite de l'idal grec d'une rationalit scientifique universelle ou, autrement dit, dans la poursuite d'une vie philosophiquement critique,

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    l'chec de la philosophie en tant que science rigoureuse signe galement l'chec de la culture europenne. Comme le dit Ph. Buckley, la mort de la philosophie n'est rien d'autre, essentiellement, que la mort de la culture europenne (p. 30).

    2 Du point de vue historique, la crise a deux dimensions, dont la premire consiste dans l'chec de la philosophie dans la tche d'un rtablissement authentique (Nachstiftung) qui recrerait 1' tablissement originaire (Urstiftung) de l'idal grec du savoir. Le deuxime aspect de la crise est le dveloppement et l'tablissement rapides du paradigme objectiviste des sciences. C'est dans le cas de Galile que Husserl voit une excellente illustration de l'histoire de la crise. Premirement, Galile nous founit un exemple classique d'un vrai renouvellement de l'idal grec du savoir, car la science galilenne exemplifie le but principal de toute pense scientifique, qui est celui de situer les particuliers dans un cadre universel. Mais deuximement, Galile reprsente aussi, aux yeux de Husserl, une instance d'un rtablissement inauthentique, en tant qu'il ne parvient une mathmatisation de la nature qu'en lui attribuant tort les formes idales de la gomtrie euclidienne. Ce dont Galile ne s'est pourtant pas rendu compte, c'est que ces formes idales ne sont, en effet, que des constructions conceptuelles, ce que l'arrive de la gomtrie non euclidienne a mis au jour. Finalement, parce que les sciences modernes se sont dveloppes selon le paradigme galilen, Galile est galement, pour Husserl, l'exemple d'un tablissement originaire.

    Toutefois, le succs de l'objectivation de la nature opre par Galile s'est pay par la suppression de la dimension subjective du sujet individuel. Sous la prdominance du paradigme des sciences naturelles, le sujet est ou bien lui-mme conu l'intrieur du prjug objectiviste et, ds lors, oubli comme sujet, ou bien le point de vue objectiviste est dtruit d'une manire qui ne peut que mener au scepticisme (p. 92). La philosophie moderne de Descartes jusqu' Kant s'est efforce d'articuler la subjectivit transcendantale de l'individu d'une faon aussi rigoureuse que les sciences naturelles, mais sans se soumettre au paradigme naturaliste; cependant, la polarit des dimensions objective et subjective s'est avre difficile surmonter.

    3 D'aprs Husserl, la crise ne peut tre vaincue que par une redcouverte de ce qui a t supprim et oubli, savoir la subjectivit transcendantale de l'individu. Cette redcouverte se fera par le moyen d'un retour au monde vcu, ce qui est l'objectif de la phnomnologie transcendantale. Le monde vcu dsigne le monde concret et quotidien

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    dans lequel les significations culturelles sont vcues immdiatement; c'est le monde dans lequel nous nous trouvons toujours dj. L'approche objectiviste des sciences naturelles dforme ce monde immdiat en essayant d'intgrer sa nature personnelle et spirituelle dans une structure thortique qui lui est totalement trangre. Parmi toutes les sciences, la psychologie est considre par Husserl comme occupant une place privilgie eu gard notre retour au monde vcu. Cependant, d'une manire analogue au rle jou par Galile dans les sciences naturelles, la psychologie nous fournit une illustration des grandes potentialits des sciences humaines et leur faillite perptuelle. Car, sduites par le succs singulier des sciences naturelles, les sciences humaines se sont vertues galer celles-ci en adoptant leur mthodologie objectiviste. Par consquent, la vie consciente du sujet a t rduite aux termes naturalistes, savoir aux lois causales et au champ spatio-temporel de l'approche naturaliste. Une telle approche est pourtant mal quipe pour claircir les structures dynamiques et dialectiques de la vie consciente du sujet ou, en d'autres mots, les structures intentionnelles du sujet. Dire que la vie consciente, l'activit psychique est intentionnelle, crit en effet Ph. Buckley, revient dire que toute vie consciente est conscience de quelque chose, que tous les actes psychiques montrent une sorte de directionnalit (p. 103). Comme on le sait bien, Husserl distingue entre la pense ou l'acte intentionnel d'une part, et l'objet de cette pense ou de cette unit de signification d'autre part. Or, la phnomnologie trans- cendantale est la science de l'intentionnalit, rvlant la subjectivit transcendantale du chercheur. Pour Husserl, la phnomnologie trans- cendantale reprsente donc le rtablissement absolu de l'idal grec de la rationalit scientifique, parce qu'elle seule repose sur la certitude apodictique de la subjectivit (p. 106).

    4 (I) Dans le cinquime chapitre de son tude, intitul The Limits of Responsibility, l'auteur entreprend une valuation critique de la philosophie de crise dveloppe par Husserl. La premire problmatique qu'il aborde concerne ce qu'il nomme la politique de la crise. tant donn que Husserl accorde une primaut absolue au point de vue subjectif de l'individu, la rsolution de la crise semble tre entirement dpendante de l'activit de l'individu. Comment cette rsolution pourrait tre transpose dans une sphre sociale plus large, cela n'est pas parfaitement clair. De fait, Ph. Buckley dmontre que dans la solution propose par Husserl, nombre de problmes fondamentaux deviennent vidents quant la possibilit d'une transition de la sphre prive la sphre publique.

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    (II) La seconde problmatique dont traite Ph. Buckley concerne la paradoxale ncessit de la crise. Le fait que le progrs des sciences se fait dans une succession d' erreurs fructueuses n'est ni difficile voir, ni difficile accepter. Afin d'arriver la mathmatisation de la nature, Galile doit erronment attribuer les formes idales de la gomtrie euclidienne la nature. Car s'il s'tait aperu que ces formes idales ne constituent, en effet, que des structures thoriques, qui n'ont ni plus ni moins de relation la nature que n'importe quel autre systme gomtrique bas sur des axiomes diffrents (comme, par exemple, les systmes non-euclidiens), il est malais de voir comment il aurait pu accomplir la transition, voire le saut ncessaire pour la mathmatisation de la nature. En revanche, il est moins ais de comprendre et d'accepter que la mme ncessit paradoxale rgit aussi la philosophie. Toutefois, Ph. Buckley prsente une argumentation convaincante pour montrer que le progrs de la philosophie se fait galement dans un processus d'erreurs; que, de fait, l'chec de la philosophie est une condition ncessaire pour que nous puissions parvenir la phnomnologie transcen- dantale (cf. p. 129). Il n'en reste pas moins que, comme l'auteur le fait observer, Husserl (...) ne [pouvait] jamais admettre un tel oubli ncessaire l'intrieur de la raison elle-mme car ceci ne reviendrait rien d'autre qu' des moments ncessaires d'irrationalit l'intrieur de la rationalit elle-mme (p. 129). Ph. Buckley d'en conclure qu'il y a une lacune dans l'interprtation historique propose par Husserl au sujet de la crise et, ds lors, aussi dans sa comprhension de sa cause sous- jacente.

    (III) La dernire problmatique que notre auteur tudie dans son chapitre sur les limites de la responsabilit concerne le volontarisme de Husserl. Le rtablissement inauthentique est regard par Husserl comme ne constituant rien de plus qu'une espce de paresse intellectuelle. En fait, Husserl parle d'une activit-en-passivit. Cette activit-en-passivit a lieu lorsqu'on s'engage dans une activit, fonctionnelle ou autre, sans comprendre le sens de celle-ci. la diffrence de cette attitude de paresse, Husserl demande une activit-en-activit, dans laquelle l'agent adopte une attitude critique par rapport son activit et cherche comprendre son sens, c'est--dire qu'il cherche vivre dans un habitus de critique (p. 136). Pourtant, il est douteux que la crise puisse tre produite ou surmonte par un simple acte de volont.

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    Heidegger et la philosophie de crise

    1 Pour Heidegger, comme pour Husserl, la nature de la crise est caractrise par un oubli. Ce qui est oubli, c'est l'tre ou, plutt, la question de l'tre. Ds lors, le projet de Sein und Zeit ou, plus spcifiquement, de l'ontologie fondamentale est de surmonter la crise en rveillant la question de l'tre.

    Or, puisque le Dasein est l'tant qui est charg d'explorer le sens de l'tre, Heidegger commence ses recherches portant sur l'oubli de l'tre par une analyse existentiale du Dasein. En tant qu'tre-au-monde (In- der-Welt-Sein), celui-ci se trouve toujours dj l (da), toujours dj engag de faon proccupe (besorgend) dans le monde. Pour le dire autrement, le Dasein est fondamentalement orient vers des projets; cependant, il n'opte pas pour les projets dans lesquels il s'engage, mais ceux-ci (et d'ailleurs aussi les moyens pour les raliser) sont largement dtermins par le on (Man). La vie dans le mode du 'on', crit ce sujet Ph. Buckley, est une vie de crise et d'oubli, c'est une vie 'inauthentique' qui n'appartient pas vraiment au Dasein. La vie 'authentique', il est vrai, consiste pour le Dasein dans une certaine libration du Dasein par rapport au 'on', bien qu'il s'agisse l d'une libert qui ne consistera jamais en une ngation complte du 'on' (p. 164). Englouti dans l'un ou l'autre de ses projets, le Dasein n'est plus ouvert l'tre, et n'est ds lors plus en mesure d'explorer le sens de l'tre.

    2 L'oubli de l'tre a une histoire, et celle-ci est de fait intimement lie l'histoire du questionneur qu'est le Dasein. C'est par le concept de souci (Sorge) que Heidegger unifie des lments centraux de l'tre-au- monde du Dasein. Le temporalit sous-tend le Dasein en tant que souci; vrai dire, elle constitue mme son sens le plus intime et se trouve donc au cur de tout ce que le Dasein est ou fait, que ce soit de manire authentique, ou inauthentique. C'est pour cette raison que le Dasein peut se comporter authentiquement et inauthentiquement par rapport au pass, au prsent et au futur Heidegger dnomme ces diffrents comportements respectivement rptition (Wiederholung)/ oubli (Vergessenheit), instant (Augenblick)/ apprsentation (Gegenwrtigen) et marche d'avance (Vorlaufen)/ attendance (Gewrtigen) (voir Sein und Zeit, 9e d., p. 350). Cette structure temporelle se concrtise dans un processus d'historisation. Par ce dernier, le Dasein entre dans son propre destin (Schicksal). Avec cette notion de 'destin', Heidegger tente de trouver un terrain moyen entre libert et ncessit (p. 176). Comme le

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    Dasein n'existe pas seul dans le monde, les structures qui dterminent le Dasein individuel se rptent de manire analogue au niveau de la communaut des Daseine. De la sorte, il y a une co-historisation, par laquelle les Daseine entrent dans leur destin commun (Geschick). Une communaut s'historise en retournant son propre pass en tant que fondement des possibilits authentiques pour cette communaut. Pour Heidegger, l'historisation commune n'a lieu que par participation et lutte (p. 177). Expliquons-nous. La participation prend la forme d'une vritable appropriation de la tradition; mais une tradition n'existe pas comme un corps simple et homogne d'ides, car elle est plutt une unit de positions diverses qui sont en conflit entre elles. De fait, ce n'est que dans la lutte entre des positions opposes que l'tablissement et la prservation d'une tradition deviennent possibles. Participation et lutte peuvent tre lies dans la notion de 'dialogue' (p. 178). On pourrait donc dire que le Dasein, individuellement ou collectivement, existe d'une faon authentique uniquement en tant que, et dans la mesure o, il s'engage dans un vritable dialogue, un vrai change entre lui-mme et l'autre. Par contre, l'existence inauthentique est essentiellement un monologue du Dasein avec lui-mme ou mme d'une communaut avec elle-mme.

    3 Comme chez Husserl, la crise ne peut tre surmonte, dans la conception heideggrienne, que par le retour un fond plus primordial, c'est--dire par la rptition (Wiederholung) de ce qui a t oubli. Or, comme Ph. Buckley le dmontre, cette rptition est loin d'tre chose facile, comme c'tait le cas pour Husserl. La rptition de la question implique un retour au pass la lumire du futur ou une marche d'avance en marchant en arrire (p. 185). En fait, la rptition s'avre tre un curieux mlange d'activit et de passivit; car Heidegger cherche ici une troisime voie qui vite les ples extrmes de l' activit-en-passivit et de l' activit-en-activit husserliennes, parce que toutes les deux semblent, en effet, impliquer le Dasein dans l'activit du on. Dans la rptition on adopte, pour ainsi dire, intentionnellement une attitude non intentionnelle par rapport au monde, afin de rester ouvert aux possibilits inconnues de celui-ci. Pour Heidegger, une philosophie authentique reprsente, comme Ph. Buckley le fait remarquer, une activit consistant rpter la question de l'tre, tandis que l'oubli est caractris par son engagement dans l'activit de rpondre. La rptition ncessaire et continuelle de la question nous indique d'ailleurs que la question elle- mme est, d'une faon ou d'une autre, atteinte de l'oubli. Au vrai, il semblerait donc que l'oubli de la question constitue une partie ncessaire

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    de la possibilit qui fait en sorte que cette question puisse tre pose (cf. p. 188).

    4 (I) Le septime chapitre, qui s'intitule Fundamental Ontology and the Crisis of Paradox, revient sur les mmes points fondamentaux que l'auteur avait dj examins dans son valuation de Husserl. la diffrence de Husserl, Heidegger ne voit aucun problme dans la reconnaissance de la ncessit de l'oubli de l'tre. De fait, comme nous l'avons vu, cet oubli est un aspect ncessaire de l' auto-manifestation de l'tre. Dans une comparaison intressante avec la structure de l'identit personnelle, Ph. Buckley nous fournit une illustration de la fonction ncessaire de l'oubli dans la philosophie heideggrienne. La mmoire constitue la condition de la possibilit de l'identit personnelle, et l'acte d'oubli lui- mme est essentiel cet acte de mmoire. La perte de soi que nous appelons l'oubli est, ds lors, constitutive pour acqurir un sens de soi ou essentielle pour tre un soi (p. 196). C'est donc l'oubli qui ouvre la possibilit d'une identit personnelle, et ceci en tablissant de la diffrence. Oublier est crucial pour crer de la diffrence, et la diffrence est ncessaire pour l'identit (p. 167). Et comme on le sait, ce qui a t oubli dans la tradition est, selon Heidegger, la diffrence ontologique. Or, la question de l'tre ne peut tre pose qu'en face de la diffrence ontologique.

    (III)1 Quand nous traduisons ce que nous venons de dire dans les termes heideggriens d'authenticit et d'inauthenticit, nous nous apercevons que l'authenticit est la condition de possibilit de l' inauthenticit, ainsi que, en mme temps, une modification de l' inauthenticit (cf. p. 201). Si le fait de surmonter la crise implique tre authentique, alors videmment on doit essayer d'tre authentique. Mais comment? Comme nous l'avons vu dans le cas de la rptition, cet essayer d'tre nous engage dans une sorte de passivit-en-activit. Ph. Buckley nous fait remarquer que cette passivit-en-activit est conue par Heidegger comme une auto-projection rsolue dans laquelle le Dasein se met sur le chemin d'une dcouverte de soi (cf. p. 206). Cependant, cette dernire n'a lieu que si le Dasein est mis dans un tat d'angoisse et l'on ne peut provoquer un tel tat par la volont.

    (II) Dans le mouvement de la sphre prive la sphre publique, la tension subtile des oppositions entre l'authenticit et l' inauthenticit, l'activit et la passivit se perd. Une des raisons-clefs en est, selon notre

    1 Dans son analyse critique des positions heideggriennes, notre auteur a transpos l'ordre de ce que nous avons dsign comme les points 4 (ii) et (Hi). Nous le suivons dans cette transposition.

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    auteur, que la mort et l'angoisse, qui jouent un rle central dans l'essai du Dasein pour atteindre l'authenticit, n'ont pas de contrepartie au niveau social (cf. p. 219). Leur absence enlve l'exprience foncirement passive qui est pourtant requise pour la constitution de l'authenticit et, par consquent, ce sont les lments actifs qui deviennent dominants. C'est pourquoi, au niveau social, l'authenticit se transforme en une chose explicitement voulue et en dernire analyse, la volont qui veut l'authenticit est celle du Fhrer (cf. p. 224). Cette vidente dfaillance du systme heideggrien en face de la question d'une authenticit commune rvle que l'ontologie fondamentale de Heidegger ne peut pas fournir une thorie complte de la communaut (p. 226).

    Cassirer et la crise de notre conception de la rationalit

    1 Cassirer parle d'une crise de la rationalit en deux sens: d'abord, en tant que cette crise affecte le domaine thorique; ensuite, en tant qu'elle caractrise la sphre politique et sociale. Dans sa Logique des sciences de la culture, Cassirer dcrit le premier de ces deux types de crise en des termes qui ressemblent en fait ceux utiliss par Husserl, car il identifie la crise comme une faillite des sciences et, plus particulirement, de la philosophie dans leur tentative pour construire un corps unifi du savoir. Dans ce qui se lit presque comme un extrait de La Philosophie comme science rigoureuse, Cassirer dclare: La philosophie ne pouvait garantir cette unit et elle n'tait pas en mesure de donner un coup d'arrt ce morcellement croissant. Le systme hglien reprsente l'ultime grande tentative pour embrasser l'ensemble de la connaissance et l'organiser en fonction d'une ide directrice (p. 114). En accord fondamental avec Husserl, notre philosophe ajoute: Aucun aspect, peut- tre, ne caractrise mieux la crise interne dans laquelle la philosophie et la science se sont trouves au cours des cent dernires annes, depuis la mort de Goethe et de Hegel, que le rapport qui existait alors entre science de la nature et science de la culture (p. 113). Que ce morcellement toujours croissant constitue non seulement un problme thorique grave, crit Cassirer dans son Essai sur l'homme, mais une menace imminente pour l'intgralit de notre vie thique et culturelle est hors de doute2.

    2 An Essay on Man. An Introduction to a Philosophy of Human Culture. New Haven/Londres, Yale University Press, 1944, pp. 21 sq. C'est nous qui traduisons.

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    En dernire analyse, la crise dans le domaine thorique influe plus sur le fonctionnement de la philosophie que sur celui des sciences car videmment, ces dernires restent toujours efficaces. En revanche, s 'agissant de la vie sociale ou pratique, la pense rationnelle prsente tous les aspects d'une dfaite totale et irrvocable {Le mythe de l'tat, p. 18). C'est que dans le domaine pratique, la rationalit se trouve confronte un nouvel ennemi l'apparition d'un nouveau pouvoir: celui de la pense mythique {ibid., p. 17). Les architectes du national- socialisme ont us d'une technique de mythe inoue, par le moyen de laquelle ils furent en mesure de manipuler le peuple allemand et en face de laquelle la rationalit semblait tre sans dfense. Encore que le mythe ait toujours t un moyen pour produire une identit sociale, la nouvelle technique de mythe a pu fabiquer des mythes politiques en fonction des desseins d'un petit groupe de leaders politiques.

    2 La crise marquant la pense thorique est due une notion trs troite de l'objectivit et de la rationalit, savoir celle des sciences. Nous ne comprenons une science dans ses structures logiques que lorsque nous avons clairement saisi de quelle faon elle achve de sub- sumer le particulier sous le gnral {Logique..., p. 157). Cette structure logique doit partout se rattacher des articulations intuitives [anschauliche Gliederungen] {ibid., p. 95). En soulignant la ncessit d'une phnomnologie de la perception, Cassirer affirme que la perception [Wahrnehmung], (...), contient dj en germe l'opposition qui se manifeste sous une forme plus explicite encore entre les mthodes respectives de la science de la nature et de la science de la culture {ibid., p. 141). Encore que la perception soit toujours la perception d'une altrit, on peut distinguer l'intrieur de celle-ci entre le ple d'un a et celui d'un toi. Dans le premier cas nous (...) considrons [le monde] comme un tout d'objets spatiaux et comme la somme des changements temporaires qui affectent ces objets; dans l'autre comme quelque chose 'de notre espce'. L'altrit demeure dans les deux cas, mais une diffrence intrinsque s'y manifeste: le 'a' ['Es'] est tout simplement un 'autre chose', un 'aliud' alors que le 'toi' ['Du'] est un alter ego {ibid., p. 1 19). Dans la mesure o l'on trouve dj l'intrieur de la perception une tendance solidifier {verfestigen) son contenu {ibid., p. 162) et un processus de tri {Ausleseprozefi) {ibid.), grce auquel nous distinguons le rel de l'apparent, elle ne diffre pas de la science toto gnre, mais seulement par degr: II n'y a l qu'une diffrence, certes hautement significative, entre la perception et la

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    science: l'une se contente d'une simple estimation l o l'autre exige une dtermination rigoureuse (ibid., p. 163), laquelle est tablie par le concept. Or, tout concept scientifique opre moyennant une synthse entre le particulier et l'universel. En fait, dans son analyse de la structure du concept scientifique, Cassirer distingue entre deux types fondamentaux de concepts, qui sont la base de la totalit de notre savoir: savoir le concept de cause et le concept de forme ou de structure (ibid., p. 177). Tandis que le premier saisit une unit de Y tre, qui peut tre exemplifie concrtement, le second exprime une unit de tournure d'esprit (ibid., pp. 160 sq.) ou, en langage husserlien, une abstraction idifiante (ibid., p. 160), dont il n'y a pas d'exemple concret. Les deux types de concepts taient unifis dans la notion aristotlicienne de cause formelle, mais leur unit fut scinde ultrieurement par l'mergence de la forme mathmatique de la dynamique gali- lenne, laquelle forme limitait ce qui pouvait tre regard comme causa vera la cause mathmatique (cf. ibid., pp. 179 sq.). En acceptant ce standard d'objectivit comme le paradigme de toute objectivit, la pense thorique procde la rduction de toutes les qualits expressives des qualits mesurables et rifies. Cependant, ce monde des choses est absolument priv d'me; tout ce qui d'une manire ou d'une autre rappelle le 'vcu' personnel du moi est non seulement refoul mais vacu et ananti (ibid., p. 163).

    Toujours est-il que cette notion fort troite de l'objectivit constitue un lment ncessaire pour le fonctionnement de toutes les sciences, dont chacune ne s'intresse qu' un domaine spcifique de l'objectif. Aucune science particulire n'est en mesure de s'occuper du problme de l'objectivit comme tel; celui-ci appartient, ds lors, au domaine de la philosophie. Cassirer dfinit l'objectivit comme 1' action (Walten) d'un principe structurel cohrent (einheitliches Strukturgesetz) (ibid., p. 89), c'est--dire d'une Loi. Dans la tentative pour se constituer en une science, voire mme comme une science rigoureuse, la philosophie pche en se limitant la notion troite d'objectivit qui est celle de la science en se limitant, en d'autres mots, une conception troite de la Raison elle-mme, savoir la subordination logique de concepts. Cependant, on n'est pas autoris, selon Cassirer, rduire la Raison au langage ou la science, tout en excluant d'autres formes d'objectivit comme, par exemple, l'art, le mythe ou la religion, qui suivent d'autres voies et obissent d'autres lois que la subdivision logique des concepts (ibid., p. 95); car chacun d'entre eux possde une structure

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    rgie par des lois et, sans pouvoir puiser la totalit de la rationalit, en recouvre une partie.

    Pour ce qui est de la crise de la rationalit dans les sphres pratique et sociale, Cassirer est convaincu que l'attitude fataliste rpandue dans la pense de son temps avait affaibli et lentement min les forces qui auraient pu rsister aux mythes politiques modernes {Le mythe de l'Etat, p. 396). C'est en citant Der Untergang des Abendlandes de Spen- gler et le concept heideggrien de Geworfenheit en exemples que Cassirer nous affirme: une telle philosophie renonce ses propres exigences thortiques et thiques fondamentales et peut alors tre aisment utilise comme un instrument mis au service des leaders politiques {ibid.). Cette attitude de fatalisme, bien qu'elle n'ait pas, bien entendu, t directement responsable de l'mergence du national-socialisme, a sans aucun doute affaibli la rsistance la nouvelle technique de mythe employe contre le peuple allemand.

    3 Les deux crises que nous venons de discuter peuvent tre surmontes, aux yeux de notre philosophe, par sa philosophie des formes symboliques. Expliquons-nous. Le monde humain, en tant que monde culturel, est un monde de significations la fois idales et concrtes. Contrairement un monde d'instincts animaux, il est un monde indirect et mdiatis.

    L'lan initial [Antrieb] n'a pas seulement son origine dans l'urgence du prsent, mais il appartient galement au futur; ce dernier, pour devenir effectif de cette faon, doit tre d'une manire quelconque 'anticip'. Cette 'pr-conception' du futur caractrise toute l'activit humaine. Nous devons nous reprsenter en 'image' quelque chose qui n'existe pas, pour passer ensuite de cette 'possibilit' la 'ralit', du virtuel l'acte {La logique..., p. 104).

    L'homme projette une myriade d' images en dehors de lui-mme, en s'enveloppant dans l'un ou l'autre de ces mondes d'images {Bildwel- ten), et chaque Bildwelt lui ouvre un univers de significations dtermines. Or, comme nous l'avons vu, la tradition a t domine par ce que nous qualifierions aujourd'hui de logocentrisme; Cassirer, par contre, largit considrablement le domaine de l'objectivit et, ds lors, notre conception de la rationalit. Car il considre rationnelles des structures de pense qui auraient t regardes comme irrationnelles par la tradition non seulement la science et le langage, mais aussi l'art, le mythe et la religion, qui, chacun sa faon propre et selon ses propres lois de formation, constituent des modes distincts d'objectivit. Dans la

  • 582 Steve Lofts

    mesure o la philosophie des formes symboliques, comme critique de la culture, s'efforce d'analyser les diffrentes structures fondamentales de chacune de ces activits culturelles et de dterminer sa place dans l'organisme des formes symboliques, elle s'avre capable de reprendre son compte la prtention l'unit et l'universalit que la mtaphysique, sous sa forme dogmatique, avait d abandonner (ibid., p. 96).

    D'aprs Cassirer, la philosophie n'intervient pas uniquement la fin de l'histoire, comme c'tait le cas dans la conception hglienne, mais peut et mme doit prendre une attitude critique vis--vis du monde, et ceci en vue du futur. Et qu'en est-il de la prsence des mythes politiques dans le monde? Dtraire les mythes politiques dpasse le seul pouvoir de la philosophie (Le mythe de l'tat, p. 399). Plutt, le mieux que la philosophie puisse faire, c'est d'tudier les nouveaux mythes politiques et de nous protger par notre savoir ainsi gagn contre le danger de devenir leur victime.

    4 (I) Une crise ncessaire au sens dfini par Ph. Buckley est inconcevable dans le cadre de la pense cassirerienne. D'aprs Cassirer, l'histoire de la culture, aussi dialectique que dramatique, est une tragdie de la culture. Atteinte par des revers et des pertes de sens imprvus, aussi bien que par des incertitudes, cette tragdie se dploie indfiniment une lutte entre les forces de crativit et celles de la tradition dans laquelle il n'existe ni victoire ni dfaite ultime. Les tendances qui visent conserver ne sont pas moins importantes ou indispensables que celles qui visent renouveler, car l'innovation exige le durable et le durable ne peut exister que grce un autorenouvellement constant (Logique..., p. 207). Selon Cassirer, une crise est donc toujours bien spcifique, appartenant un temps bien particulier. On est pourtant surpris de voir la consternation de notre philosophe en face de l'apparition brusque des mythes. Car selon sa propre thorie, il n'est pas possible de refouler l'une ou l'autre des diffrentes formes symboliques. Cassirer insiste plusieurs reprises, qu'tant donn le caractre organique du systme des formes symboliques, il y a interaction et interdpendance entre elles, de sorte que, aprs un millnium sous la tyrannie de la rationalit scientifique, il n'est pas surprenant de constater une rvolte de la part de la pense mythique. Bien que, d'une part, Cassirer soit tout fait prt admettre la prsence d'un lment d'irrationalit l'intrieur mme de la raison, d'autre part il semble acharn dfendre la croyance des Lumires au pouvoir d'une pense critique. Tout compte fait, il est difficile de dire s'il s'agit l d'une simple navet ou d'une foi obstine...

  • Husserl, Heidegger, Cassirer 583

    (// & ///) Pas plus qu'il n'existe chez Cassirer la notion d'une crise ncessaire, il n'y a pas dans sa pense la distinction opre par Ph. Buckley entre l'action de l'individu d'une part et l'action sociale d'autre part. Car il n'y a pas, selon notre philosophe, de 'moi' fig, en soi achev, qui se mette en relation avec un 'toi' identique (Logique..., p. 133). Plutt, les deux se croisent et influent l'un sur l'autre continuellement, en raison des relations d'change qui interviennent entre eux sous forme de langage ou sous toute autre forme culturelle (ibid.). Le langage, par exemple, n'existe que dans la mesure o il y a des paroles, et, rciproquement, il n'y de moi qu'autant que je parle un langage, c'est--dire autant que je fais partie d'un processus d'change entre moi-mme et l'autre. Et ce n'est que dans ce double processus que s'difie une pense. (...) Dans la question et la rponse, le je et le tu doivent se partager et ainsi non seulement se comprendre l'un l'autre, mais aussi se comprendre eux-mmes: tous deux s'interpntrent constamment (ibid., p. 136). Alors que pour Husserl, le seul exemple de signification authentique ou pure est le soliloque o le sujet est immdiatement prsent lui-mme et que pour lui, le vrai objectif de la philosophie est celui de fournir des rponses, alors que pour Heidegger, c'est dans le dialogue en tant que processus hermneutique d'interprtation que l'on trouve du sens authentique, et le but de la philosophie est de poser des questions, pour Cassirer la dialectique qui caractrise toute signification

    n'apparat d'ailleurs pas seulement dans le dialogue proprement dit, il est dj dans le monologue. Car la pense solitaire est elle aussi, ainsi que le dit Platon, 'dialogue de l'me avec elle-mme'. Quelque paradoxal que cela puisse paratre, on peut dire que dans le monologue prdomine la fonction de ddoublement [Entzweiung] et dans le dialogue la fonction de runification [Wiedervereinigung]. Car le 'dialogue de l'me avec elle- mme' n'est pas possible sans une certaine scission de l'me. Elle doit assumer la tche de locuteur et d'auditeur, de questionneur et de rpondeur. Ce faisant, l'me en monologue cesse d'tre une pure singularit, un 'individu'. Elle devient une 'personne' au sens tymologiquement premier de ce mot, qui voque le masque et le rle de l'acteur (p. 137).

    On pourrait peut-tre rsumer la position cassirerienne en disant qu'elle a dfinitivement surmont l'opposition strile entre l'intrieur d'un moi et 1' extrieur de son environnement culturel ou, en d'autres termes, entre le moi et le je (en tant qu'entit linguistique qui inscrit le sujet dans l'ordre symbolique); car pour Cassirer, 1' autre est toujours dj en moi, et ceci mme dans une activit aussi solipsiste en apparence que le monologue.

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    Conclusion

    Le rsultat de la comparaison que nous avons propos de faire dans cette petite tude entre les positions respectives de Husserl, de Heidegger et de Cassirer au sujet de la crise doit sembler paradoxal. Car d'entre les trois penseurs que nous avons vus, Cassirer est habituellement regard comme le David; or, le dveloppement de la philosophie au xxe sicle n'a-t-il pas montr l'actualit de l'ide centrale de la Philosophie des formes symboliques, savoir la conviction que la rationalit humaine n'est pas un monolithe, mais qu'elle admet, par contre, maintes formes diffrentes, irrductibles les unes aux autres, irrductibles certainement la rationalit objectiviste qui est celle des sciences naturelles? Cassirer a, me semble-t-il, dj formul lucidement et clairement ce que Michel Foucault a ultrieurement identifi comme la multiplicit des pistmai l'intrieur de la raison humaine. La crise dont parlent Husserl, Heidegger et Cassirer est une crise de la raison objectivante; mais tandis que Husserl s'est content d'un essai pour renouveler la conception reue de la rationalit et que Heidegger ne nous a fourni qu'une critique fondamentalement ngative du logocentrisme, c'est Ernst Cassirer qui nous a le plus clairement indiqu le chemin pour sortir des impasses de la rationalit traditionnelle.3

    avenue de Cteaux, 14 Steve Lofts 1348 Louvain-la-Neuve.

    3 La prsente tude a t traduite d'un texte anglais par M. Philipp Rosemann. Nous le remercions trs vivement pour son travail.

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    PlanLa philosophie de crise husserlienneHeidegger et la philosophie de criseCassirer et la crise de notre conception de la rationalit