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N. IORGA HISTOIRE DES ROUMAINS DE TRANSYLVANIE ET DE HONGRIE 2-E EDITION BUCAREST 1940 II.

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N. IORGA

HISTOIREDES

ROUMAINS DE TRANSYLVANIE

ET DE HONGRIE

2-E EDITION

BUCAREST1940

II.

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N. IORGA

HISTOIREDES

ROUMAINS DE TRANSYLVANIE

ET DE HONGRIE

II.

2=1 EDITION

13UCAREST1940

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H[STO1RE DES ROUMAINSDE TRANSYLVANIE ET DE HONGRIE

II.

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XV.

Domination autrichienne en Transylvanie :union religieuse avec l'Eglise romaine.

L'entrée des troupes imperiales en Transylvanieeut lieu des l'année 1685, deux ans apres laliberation de Vienne assidgee par les Turcs. Lessoldats de l'empereur ne rencontrerent aucunesympathie, ni meme de la part des Saxons, dela même race que les envahisseurs, qui craignaientcependant la difficulte de l'approvisionnement etdes quartiers, ainsi que la possibilite d'une at-teinte a leurs libertes municipales, qui ne pouvaits'accorder qu'avec un état de choses herite dumoyen-age et que toute administration d'un 8tatmoderne devait chercher a amoindrir. Il estinutile d'insister sur les sentiments d'antipathieque l'invasion dut produire au milieu des nobleshongrois, a l'exception d'une minorité catholique.

L'année suivante, apres la retraite des premierssoldats entrés dans la province, le generalScherlienberg avanca jusqu'à Sibiiu pour imposera Apalfy la reconnaissance de l'empereur commesuzerain. En 1687, au moment oi: Serban Can-

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tacuzene commencait aussi ses négociations avecles Impériaux, leur demandant des places deretraite pour le cas d'une défaite, la diplomatieviennoise réussit A faire adopter par le princede Transylvanie, le 27 octobre, la conventiondont nous avons pule plus haut. II parait quecet acte fut accompli par Apaffy d'entente avecle Cantacuzene valaque, avec lequel if se trouvaitjuste A ce moment en relations secretes. Quelquesmois plus tard, le general Veterani, qui était entreen Valachie du Côté du Banat, malgré les instancesdu nouveau prince Constantin BrAncoveanu,prenait le commandement des troupes impérialesse trouvant en Transylvanie, ce qui amena larévolte de la ville de Brasov, dont la sournissionne devait pas tarder cependant. Les Szeklerpreterent A leur tour hommage au nouveaumaitre du pays. Apres que le general Heisslereftt pris la place de Veterani, Apaffy s'éteignitA Figiras, le 15 avril 1690, laissant un fils, qui,tolére pendant quelque temps, ne devait jamaisregner effectivement sur son heritage.

Constantin BrAncoveanu connaissait parfaite-ment la Transylvanie et avait des relations delongue date avec les representants sous differentsrapports de cette province. Propriétaire de maisonsA Brasov et de la splendide terre de SAmbita-de-Sus, dont les habitants le consideraient commeIeur prince", et non seulement comme leurseigneur terrien, il avait, sans doute, des visées

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sur la province voisine, mais, pour le moment,son souci principal était d'assurer a sa principautél'autonornie qui semblait menacee par les meniesdes Impériaux. La Cour de Vienne, qui Itvait entreles mains l'acte par lequel, quelques mois aupa-ravant, le nouveau prince, alors simple bolar,ainsi que son onc:e, l'influent Constantin Canta-cuzene, avaient prête serment a Leopold 1-er,attendait une alliance prompte et sans conditions,et, comme elle tardait, l'appui necessaire tut fie-corde volontiers au gendre de Serban, ConstantinBitlAceanu, qui ne desirait rien moins que rem-placer A Bucarest le traltre. En 1680, le mar-quis de Bade entrait en Valachie, et Heissletétait destine a tenir garnison dans le pays pen-dant l'hiver entier. Il y eut, certainement, unmoment oit on put croire que cette autre prin-eipaute sera reunie A la Transylvanie sous lesceptre de la Maison d'Autriche.

BrAncoveanu eut sous peti l'occasion de sevenger des dégfits causes A son pays et du dan-ger qui avait menace son tr8ne. Le Sultan efaitdecide A soutenir comme candidat au trOne deTransylvanie l'ancien roi de Hongrie", le re-voité Ernéric T8köly. Une expedition fut organisie,A laquelle participa le prince valaqui lui-rneme,et la victoire de Efirne0i, pres de Brasov, permitI Täkäly un voyage triomphaf i travers la par-tie méridionale de la province, jusqu'aux environs-de Sibiiu, oir, dans le village de Crastian (Gros-

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sau), il fut accepté comme prince de Transylvaniepar la grace de Dieu, proclamé par l'illustrePorte Ottomane". Quelques semaines apres, ildevait quitter le pays, ou les troupes impérialesavaient une supériorité incontestable.

En ce qui concerne les relations de Branco-veanu aveo les Roumains de Transylvanie, a roc-Lesion de cette intervention militaire, on le vit,comme certains de ses prédécesseurs, assister al'of f ice divin dans l'église de Saint-Nicolas a Bra-§ov, sur les murs de laquelle il pouvait contem-pier les portraits de son grand prédécesseurMichel-le-Brave et, probablement, du frere de cedernier, Pierre Cercel, un des grands bienfaiteursde ladite église.

Les armées vaincues A Zarne§ti furent attaquéespar les paysans roumains des environs, et une,chronique contemporaine dit que les seuls parmieux qui échapperent furent ceux qui, changeant.de vêtements, aiderent les laboureurs a leurstravaux des champs" 1

Des cadeaux furent offerts par les Saxons auprince victorieux, comme a l'époque de Michel,et Brancoveanu vit l'emplacement de la victoireremportee par son glorieux prédécesseur presde Sibiiu. A, l'occasion de l'installation de Melly,le prince de Valachie prit place dans- régliseavec ses boYars, d'un dite, alors que l'autre cOté4tait occupé par le prince de Transylvanie et les

1 Quellen der Staf Brassd, IV, iy. 300.

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nobles de son parti. On entendit un discours-occasionnel tenu en roumain par BrAncoveanului-même dans cette église saxonne, et Tä 1E14 seprésenta entre le représentant du Sultan A droite.et cet allié valaque A gauche.

L'empereur était resté maitre de la Transyl-wanie, dont il confirmait les privileges dans lesens féodal le plus strict, ce qui était une ne-cessité pour le moment, le 4 décembre 1691. Aumois d'avril de l'année suivante, Georges May4tait chargé du gouvernement de la province. Lestpaysans roumains, nourris du souvenir d'un ern-pereur de Rome qui n'était pas de langue alle-mande, étaient disposes A confondre cette notionprincipale de leur tradition politique avec la nou-Irene autorité qui se présentait devant eux. On ales bouts de papier, couverts d'une écriture par-lois illisible, sur lesquels ces hommes simples,4es pretres, les juges et les jurés a leur tete,pretaient serment a Leopold lui-meme et A sonills' Joseph, comme roi de Hongrie, de Iransylvanie et de toutes ses dominations", lui sou-thaitant paix et sante" et promettant d'êtrelideles a l'empereur allemane, de dénoncer toutce qui se tramerait contre ses intérêts au jugede la vine saxonne voisine (il s'agit dans ce casde Bistrija). Celui qui manquerait a ses devoirs .ne devrait pas payer seulement de ses biens,mais aussi de sa tee" 1.

I Hurmuzaki, XV, A cette date.

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Mais cela ne sulfisait pas. Le gouvernement4utrichien ne pouvait pas s'adresser aux noblesPoumains, car ils etaient tous du parti des Hon-_grois, qui n'osaient pas murmurer, mais auraientbien desire fake revivre l'epoque de leur domi-nation politique. II ne fallait pas meme penseraux elements d'une bourgeoisie qui commençait

peine a dessiner son influence; ce n'était quepar l'entremise des pretres qu'on pouvait parleraux paysans roumains et les maltriser. C'estpourquoi, des le 23 sat 1692, le clergé catho-hque, qui devait etre rétabli dans ses anciensdroits, nbtenait de la chancellerie imphiale ledécret par lequel ii etait decide que les pretresde rite grec, sans specifier leur nationalité, quis'uniraient a l'Eglise romaine, jouiront des memesprivileges tt des mêmes droits que le clerge-latin

La nomination de l'eveque Theophile eut lieubientôt selon des formules calvinistes qui n'avai-ent de valeur que pour cette aristocratie magyare,.encore représent& par le caractere national dunouveau gouverneur de Eldrif ly. Du reste, Hon-grois calvinistes et Saxons lutheriens avaient prisleurs precautions pour que l'egalité des confes-sions reconnue par l'ancien regime restat in-

' Ni Iles, Symbolae ad illustrandurn hisiortam Ec-clesiae orientalis in terris coronae S. Stephani, p. 162,§ 2; pp. 164-165, no. 1.

a

'.

tangible.

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A ce moment BrAncoveanu nourrissait encorecertaines espérances en ce qui ccmcerne soninfluence politique future en Transylvanie. Commele jeune Apaffy n'etait pas definitivement écarte,..le prince de Valachie négociait, par l'entremised'un liongrois de la famille Szekely, marie Aune Roumaine, pour faire remettre au nouveauprince l'argent necessaire A sa reconnaissancepar le Sultan ; en échange FAgAra et tout ledistrict lui seraient mis en gage. Lorsque le secondApaffy disparut definitivernent, bien qu'il n'abdiquAque plus tard, en 1696, et que la paix de Carlowitz n'intervint que trois ans apres pour regu-lariser la nouvelle situation de la Transylvanie,BrAncoveanu forma un nouveau projet : un Le-vantin, qui figure plus tard parmi les adminis-trateurs autrichiens de la Petite-Valachie, acquisea la suite d'une nouvelle guerre contre la Turquie,Nicolas de Porta, nous fait savoir qu'en 1694 leprince de Valachie pensait A marier une de sesfines avec le princeyhilippe de Liechtenstein, quie'tait agree par les nobles de Transylvanie, pourlui laisser la domination A Bucarest et passeriui-meme a la situation supérieure de prince deTransylvanie. Les Transylvains, qui avaient vrj&after le prince qu'ils pensaient avoir, qui craignaient pour leur liberte, selon l'exemple de la1-longrie, n'ayant pas un personnage de cetteimportance a cause des inimitiés acharnées contreeux, auraient accepté volontiers BrAncoveanu,.

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homme politique de grande importance, princecouronné, ayant une grande reputation d'habiletépour apaiser leurs discordes intérieures" 1

Les relations de Brancoveanu avec l'evequeroumain de Transylvanie etaient devenus tresTares, cet éveque vivant absolument sous la de-pendance du surintendant réforme, Etienne Vesz-premi, qui signait éveque transylvain réformé,magyar et roumain" 2

Mais aussitOt les catholiques cornmencerent leuroffensive pour se gagner la population routnainequi serait devenue, par ce changement de rite,des fideles assures de la Maison d'Autriche.

L'attaque commenca dans le Maramoureche,oh le calvinisme avait gagné les éveques deMunkács, qui prenaient le titre résonnant de :eveque de Munkács, de Machowicza, Zips, Kras-

' Giurescu et Dobrescu, Documente # regeste privi-toare la Constantin Brdncoveanu, Bucarest 1907, p. 74 :,Con questo matrimonio il Brancovani designava, conaderenza de'suoi correspondenti et alleati, di subentrareal principato di Transilvania, et il piencire Lechtisteinponerlo nel suo di Wallacchia. 1 Transilvani, che, vedendoescluso il loro figurato prencipe, dubitando della loroliberti ad essempio dell' Ungheria, non havendo altro-sogetto di tale eminenza, stante le simultã grave Ira dilow, volintieri haverebbero aderito al Brancovani, sogettoinsigne, prencipe coronato e con fama di gran politico.fer metter in assetto le .loro domestiche rivoluzioni".

I Ardeleanu, Istoria diecesei romdne greco-catolice alOradlei-Mari, If, Blaj, 1888, p. 85.

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nabroda, du Maramoureche et de toute la Hon-grie". Des l'annee 1677, dans la region de Sitmaret d'Orade, un Grec uniate, Théophane Maurocor-dato, avait commence l'oeuvre d'Union. II eut poursuccesseur un co-national, Joseph de Camillis,titulaire de Sivas, en Asie Mineure, qui portaitle titre de Théophane et en plus celui de laprovince de Komorn, en y ajoutant : vicaireapostolique des fideles de rite grec dans toutela Hongrie,. et conseiller de l'empereur". En 1696,tine nouvelle edition fut donnee du catechismecatholique traduit dans sa langue par un Roumaindu Banat, Georges Buitul, originaire de Caran-sebeq, qui avait été prédicateur et maitre d'ecoledans la Capitate de Transylvanie.

Quelques pretres, attaches A l'ancienne confession, protesterent et allerent jusqu'a couper laroute A leurs collegues pour leur montrer lelivre meme des 8critures, avec toutes les menaces-gull paraissait renfermer. Néanmoins, de Camillisfit réunir soixante prétres a Sitrnar, ou il neleur donna d'ailleurs que des instructions con-cernant la maniere dont its devaient sauvegarderleur dignité comme membres du clergé. Les pre-tentions de l'eveque uniate s'étendaient, non seule-ment sur le Maramoureche, car il s'intitulaitéveque de Munkács, mais aussi sur les territoiresvoisins d'Orade et de Chioar. A la diete deTransylvanie, tenue en 1693, il demanda aussifadministration religieuse de cette province et IL

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-itait soutenu dans cette tentative par le chef duparti catholique transylvain, le noble EtienneApor. 11 trouva enfin un appui dans un autreGrec, uni A l'eglise romaine, un ancien agent-que erban Cantacuzene avait envoyé en Russieet qui avait passé quelque temps comme pri-sonnier d'Etat en Hongrie et A Vienne, le moineEsaie de l'Athos, qui, apres avoir eté curd A,Nagy-Károly, s'était établi A Debreczen.11 croyaitpouvoir disposer en 1693 des Roumains du comté-de Crasna et de leurs pretres. Un peu plus tar&il affirmait avoir converti aussi le clergé roumaindu cOté d'Orade et du Bihor, et il recevait, anmois de janvier 1694, le titre de vicaire desRoumains dans les parties de la Hongrie". IIhabitait le monastere de Bicsail, oix il fut assassin6par des brigands en mai 1701 1

Une vraie résistence orthodoxe se rencontreseulement dans le Maramoureche, ou fonctionnaitun descendant des anciens boTars de la province,,Josepfr Stoics, qui avait dans son sceau un che-valier et qui, élevé en Moldavie, conseillé par le-grand patriarche de Jerusalem, régulateur de-I'orthodoxie roumaine, Dosithée, disposait d'une-autorité réelle sur les Roumains de sa province-et des territoires voisins. 11 portait le titre d'ad-ministrateur de l'Eglise de Transylvanie et, en

1 La plupart des informations, dans le livre cite dek_24 ifty.

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vertu de l'ancien privilege accorde au monastere-de Peri, d'exarque patriarcal. II traversait les vil--lages, recueillant ses revenus et présidant dessynodes. Tous les protopopes le reconnaissaient-volontiers comme successeur des anciens ad-ministrateurs du diocese septentrional transylvain...

Mais l'exercice vagabond de cette autorité épis-copale, limitée aux seules vallées d'une province-isolée, n'était pas de nature a inspirer des crain-tes a la propagande catholique, qui commencaitvictorieuse le tour de la Transylvanie.

Au mois tie mars 1697, un synode siege&pendant deux jours dans la Capita le de la province. Le noinbre des assistants, convoqu6s et-presides par Théophile, était tres restreint : a.

peine dix protopopes. L'evtque était decide apresenter la cause de l'Union. Ii parla longue-ment, exposant les souffrances du passe, mêlant-l'histoire aux fables et ajoutant des incidents qui.devaient produire impression. 11 finit par presenter-les propositions qui lui avaient été faites, ainsiqu'a son dere, par le Jesuite Baranyi au nomdu primat catholique de la Hongrie, le célebrecardinal Kollonics.

Ce que les Jésuites et leurs chefs voulaient,..c'était un acte d'abdication, qui aurait confonducette humble 2glise des barbares" a la puis-sante 8glise romaine. On comptait, pour con-vaincre les pretres roumains, sur leur habitude-

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de se soumettre toujours aux ordres de l'offi-cialitd laIque, sur leur amour exclusif pour le'rite, qu'on ne pensait pas a atteindre, alors que-ce rite sent avait été en butte aux attaques desgcalvinistes, sur !Instinctive inimitié contre l'aris-docratie magyare, qui, pendant deux siecles, avaitreprésentd la Réforme, sur le respect pour lemom sacré de l'empereur dont la feligion &aftle catholicisme. Les protopopes n'avaient rien a.objecter lorsqu'il s'agissait du dogme, qui leur-etait inintelligible et indifferent; les quatre points:du primat romain, de l'emploi de la communionsous les deux especes, de la reconnaissance duPurgatoire, de la procession du Saint Esprit duPere et du Fits en meme temps, auraient étégcertainement acceptés. Ce qu'ils voulaient ce-pendant c'était la conservation integrate de leurEglise, de leurs coutumes, de leurs lois ecclé-siastiques, de l'ancien calendrier, auquel étaientattachées toutes leurs fetes et, en meme temps,

et c'est ce qui prouve la force de cette me-Ifianee roumaine, encore instinctive, ils enten-Klaient se faire payer l'acte de l'Union par deglarges compensations politiques. Leur Eglise de-vait etre introduite formellement parmi celles.acceptées legalement dans le pays; ils deman-,daient que les uniates ne soient plus considérésgcomme toldrés', mais comme fits de la patrie".Pais les lees roumains qui seront unis a l'Egliseeromaine, devront etre avancés et admis dans

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toutes especes d'emplois au meme titre que lesmembres des nations et religions recues, clue-

leurs Ills soient 'mos sans distinction dans les.ecoles latines des catholiques et dans les fon-.dations scolaires".

Et dans le décret", redige le 21 mars, pourprouver l'adoption des dogmes romains, ii étaitquestion encore de l'égalité absolue entre leclergé uniate, en comptant les moines aussi, et le-clergé catholique, ou bien, dans les villages oild'autres confessions auraient eu la priorité, avec-ceux qui représentent ces confessions; les prams.ne pourront etre nommes que par l'eveque, sansaucune immixtion des laks.

En dehors des quatre points", quelle quefiat la redaction latine modifiée clans l'intérêt des.Jesuites , les protopopes n'entendaient Tien ac-cepter contre ce qui formait le patrimoine dedogmes de l'Eglise roumaine. Ils entendaientrnaintenir cette Eglise roumaine séparée. Kollonics.voulait cependant avoir les signatures de la ma-jor ité des membres du clergé de la Transylvanie..it obtint, par l'acte du 10 juin, une déclaration

Islec habeantur uniti amplius ut tolerati, sed utpatriae filii recepti." Valachi eaecularee Romanae Ec-elegise uniti ad omnie generis ()Richt, quemadmodum-aliarum in patria receptarum nationum et religionum.hominee, promoveantur et applicentur eorumque Mil a.ciecholas latinas catholicas et ad fundationes scholasticassine diecri mine suscipiantur" ; WIles, ouvr. cite. pp. 168-169..

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.signee par douze des chefs religieux de la po-pulation, et il faut observer que la plupart ye-naient des territoires de servage, dont la conditionhumble les faisait accepter n'importe quelle pre-tention pour se racheter d'un long esclavage.Les protopopes des villes et du domaine royaldes Saxons se tenaient A l'ecart, sans compter-ceux du Maramoureche et du FAggras calviniste.

Pen apres, Theophile mourait, laissant une-oeuvre inachevie et dont la valeur n'aurait pu-etre fixee que par une acceptation generale de4a part du clergé et par la realisation effective-des promesses faites par l'officialité catholique.

Son successeur, élu des la fin de l'annee 1697Rnais sans le diplorne du gouverneur calviniste,int un jeune écolier, d'une famille de paysansaisés : Athanase Anghel. II était fils du pretrede BobAlna, dans la region gagnee déjà par4a religion catholique. Moine depuis quelquesannées, il suivait encore les cours de l'écoleréformée dans la Capitate de la Transylvanie. Saconvene situation était due A l'appui de quelquesnobles influents de la province : Nicolas Bethlen,Naláczy, Roumain d'origine et qui avait déjàwendu ou comptait vendre son domaine dePoiana-Märului au prince BrAncoveanu, et Kewesztessy. A Bucarest, il dut faire cependant,malgré ses relations avec les réformés, encoretout puissants dans la province, une profession.de foi strictement orthodoxe, et le patriarche

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Dosithee de Jerusalem n'oublia pas de ['exhorter-et de lui donner des instructions abondantes surla conduite A tenir.

II fallait encore obtenir le diplôme du gouver-neur, et de nornbreuses interventions agirentdans ce but. On tardait cependant, vu l'incerti-hide générale touchant la nouvelle situation dela province. Le 14 avril 1698, l'empereur, deson OK étendait la mesure de protection ante-rieure pour le clergé uniate dans le royaume de-fiongrie sur la Transylvanie aussi et mention-nait d'une maniere spéciale qu'd concerne lespretres roumains de rite grec". D'ailleurs c'étaittine concession faite aux calvinistes , ceux quin'auraient pas voulu de ce nouveau lien, étaient-fibres d'opter pour les privileges des autres con-fessions auxquelles ils auraient préférd se rallierl..

Athanase, qui n'était encore qu'un eveque elu,.malgré sa consecration valaque, fut imité, parles catholiques cette fois-ci, a rassembler unnouveau spode. Il commença A siéger le 7 oc-tobre pour continuer ses seances jusque vers la,fin du mois.

L'assemblée adopta de nouveau les quatre-points", et les- protopopes déclarerent Solennel-lement qu'ils entendaient etre considérés comme-Jnembres de cette sainte 8glise catholique de-Rome", mais seulement si on respectait a leur

1 Nike, ouvr. cite, p. 195.

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-dgard le décret imperial de privileges. Ils insis-taient en outre sur la conservation entière deleur ancien rite, avec toutes les cérémonies, lesfetes et les jefinee, selon l'ancien calendrier et-sans aucune immixtion élrangere. Athanase, quin'était encore que I'dveque du rite valaque",-devait etre reconnu dans sa situation episcopate,avec le droit, pour le synode des protopopes,de choisir son successeur, que le Pape et l'Em-pereur devaient nécessairement confirmer. On-consentait bien, et c'était un point tres impor-lant , a renoncer a la consecration en Valachie,mais l'éveque devait etre consacré par un pa-lriarche du même rite, fat-ce meme par celui.qui se trouverait dans les possessions de l'em-pereur. Baranyi ne voulait pas de cette formepleine de reserves et de precautions; il imposaune nouvelle declaration qui garantisse l'incorpo-ration integrate dans l'Eglise romaine, les quatrepoints" n'étant que la partie principale de cetteincorporation. Et les Roumains trouverent leqnoyen d'éluder cet engagement, en introduisant,sous leur signature méme, un article aditionnel,'qui portait que leurs sceaux et leurs signaturesIn'ont aucune valeur si on ne les laisse, ainsi queleurs successeurs, dans le .même état de choses".IEt on insistait aussi sur le desk de maintenirAthanase comme &Nue de Transylvanie . II

1 Nilles, ouvr. cite, p. 208.

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Histoire des Roumrins de Tiansylva lie 19

faut tenir compte enfin que l'acte ne portait queles signatures et les sceaux d'une partie seule-ment du clergé, plus importante, évidemment,qu'a l'epoque de Theophile, mais hien éloignéede la totalité des membres du clerg6 roumainOn s'adressa bien aux prêtres directement, etles Jdsuites prétendaient avoir recueilli non moinsde 2.270 adh6sions, mais la maniere dont ellesavaient été obtenues rendait leur importance tresrelative.

Pour annuler ce qui avait dté obtenu sous cerapport, les réformds mobiliserent toutes leursforces et employerent tous leurs moyens d'in-fjuence parmi les Roumains, puisque, de fait, il

etait question, sous cette forme, des offres faitesa l'Eglise de la plupart des habitants de la pro-vince, de la priorité d'une nation ou de l'autre,des liongrois ou des Allemands, dans le nouvelordonnement de la province. Puisque les anci-ennes formes du moyen-Age devaient nécessaire-ment disparaitre, en dépit des privileges renou-velds, et que bientôt on allait se trouver devant-tine statistique des sujets, et non des privilegiésseuls, celui qui devait l'emporter était celui qui,par le moyen de la religion, puisque religionet nation étaient presque identiques en Transyl-vanie , aurait rallié autour de son drapeau cesmilliers de Roumains auxquels personne ne you-ilait reconnaitre le droit de garder, avec une

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religion strictement délimitée, le droit a uneexistence nationale autonome. Mais un instinctsain, plus fort que toutes les offres et toutes lespromesses, que tous les souvenirs douloureuxdu passé faisait deviner A cette masse humaine,peu cultivée encore, qu'il s'agissait de son avenirtout entier et que cet avenir ne résidait pas dans.la confusion avec les autres, quels que fussentles avantages matériaux, mais bien dans la con-servation de leur individualite nationale sous.tous les rapports, en n'employant l'étranger quecomme simple allié.

Dans le district de FAgiras, dans le pays dtsflateg tous les moyens furent employes pourretenir dans ces anciens liens avec l'eglise ré-formée la population roumaine, puis, apres qüedes rnesures locales furent prises un peu partout,on pensa A fonder une nouvelle Eglise roumaine,opposée A celle qu'Athanase avait fait entr&dans le bercail catholique. L'Ame qui pouvaitmener A bien cette mission avait &é découverte.Oitait un prttre du district de lnidoara, jeanTired, du village de Gambut. Il présenta, atzmois de juin 1700, des lettres d'élection, signées.par un certain nombre de protopopes, et demandaau métropolite de Moldavie, et non pas A celuide Valachie, a ce qu'il parait, la consecration.Puis, l'ayant obtenue ou non, il se présentadevant un synode des calvinistes, rassemblé A

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Cetatea-de-Baltà, pour declarer qu'il est disposeA se reunir A l'ancienne religion dominante.

Les soldats de l'empereur le poursuivirent Ala demande d'Athanase. II fut pris, mis aux fers,mais put s'échapper et trouva un abri dans leCollege réforme d'Aiud, et le gouvernement,qui appartenait encore A la noblesse calviniste,fit tout son possible pour sauver son protegecontre les intentions malveillantes du generalcommandant en Transylvanie, Rabutin, un catho-lique acharne. Des reprimandes furent adresseesA l'eveque uniate pour avoir commis des actesreprobables A regard d'un clerc. Sous l'apparenced'une lutte, entre ceux des Roumains qui étaientc nclins au calvinisme et entre les adherents del'eveque catholique, il s'agissait d'une autre riva-fite: celle entre la noblesse transylvaine groupéeautour de sa confession et entre l'autorité cen-trale, qui voulait imposer la confession catholique.

Cette tentative devait profiter a Athanase. Onavait retard& a Vienne, sa nomination jusqu'alors,afin de ne pas avoir l'air de soutenir une seuleforme religieuse uniate des Roumains de Transyl-vanie et ne pas offenser par cette attitude lessentiments religieux des reformes; mais, dumoment que ces réformés commençaient eux-memes la lutte et gulls périclitaient le nouveau Siege episcopal transformé dans son cara-ctere par la propagande des Jesuites, on pou-vait proceder A la reconnaissance formelle et.

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a !Installation solennelle d'Athanase. On convo-qua done, au mois de septembre 1700, peu desemaines apres l'apparition de l'eveque Tirci,un grand synode de l'Eglise roumaine unie. Lesprotopopes et les pretres furent exhortés etmeme forces de s'y rendre. Un grand nombre .de chefs de l'orthodoxie roumaine parurent pour-la premiere fois a cette occasion. On pouvaitcompter 54 protopopes, representant un nombrede 1.563 pretres. On pretend meme que lesboiars de Fagaras, qui avaient été jusque larecalcitrants a l'innovation religieuse, auraientdepute leurs envoyes, au nom de 400 familiesenviron, qui auraient consenti a rompre avec lecalvinisme. La grande eglise roumaine de Brasov,toutefois ne fut pas représentee au synode, bienque la signature d'un protopope de cette regionedt ete invent& afin d'accroftre le prestige del'acte imanant du synode.

Apres une premiere decision, qui ne faisait-que repeter les assurances d'union antérieuresle .synode s'occupa, le 14 du mois, de simples.rnesures de discipline et d'administration, commea l'époque de Sabbas Brancovitch et de sesprédécesseurs du XVII-e siecle. S'il y eut quel-que chose de nouveau, ce fut concernant Eeulement ce désir d'autonomie, de plus el plusprononce, des membres de l'Eglise roumaine:les synodes auront une autorité souveraine; les.candidats a la pretrise ne devront jarnais pre-

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senter des recommandations de seigneurs ter-liens, mais seulement une attestation de la partdu protopope, vrai confesseur". II est interditaux laIcs de se meler de ce qui touche a lamaison et a l'avoir du pretre, A moins d'unedelegation de la part des éveques et des pro-topopes; un pretre ne devra jamais etre appeleen jugement que devant son tribunal special.

Une grande partie de cette resolution ne faitque reproduire les instructions qui avaient étédonnées a Athanase au moment de sa consecra-tion par le patriarche de Jerusalem, le miroir del'orthodoxie en Orient 1.

Athanase devait se presenter A Vienne meme,devant ses chefs politiques et devant ceux del'Eglise catholique de 1-16ngrie. Ce voyage luiavait été demandé par Baranyi, son conseillersecret depuis longtemps, ainsi que par le synodede l'annee 1699. Cette lois, l'eveque lui-memecrut devoir se decider A faire ce pas. En ap-prenant sa resolution, les protopopes ne man-querent pas de lui fixer tout un programme quidevait le diriger, non seulement dans son propreintéret, mais aussi, et spicialement, dans celuide son Eglise. Le 6 janvier 1701, par une nou-velle resolution du synode, on déclarait solen-

I Ces actes, ainsi que d'autres, se trouvent dans Nilles,ouvr. cite, p. 250 et suiv., et aussi dans la publicationde Laurian et BMcescu, Magazinut istoric, vol. III.

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nellement que la volonté unanime était le main-tien d'Athanase avec le titre de métropolite eton ajoutait que personne, parmi les laics oules étrangers, ne doit se meter des affaires epis-copates sans l'approbation du synode".

A Vienne, une commission fut nommée poursoumettre A un examen Athanase, qui était con-siderd encore comme un neophyte en fait de foi,comme un simple candidat A la dignite d'eveque.Faisaient partie de cette commission le grandthéoricien de l'Eglise catholique de Hongrie,Hevenessi, et un Roumain du Banat, secrétairedu gouvernement de Transylvanie, Jean Fiat. Ondemanda A Athanase de détruire l'acte de con-secration qu'i! avait obtenu A Bucarest, de con-gédier les secrétaires réformes qu'il avait gardésjusque la, ainsi que les membres hétérodoxes duConseil administratif de son diocese. 11 les rem-placera par un pere jesuite, dont la mission serade decider aussi bien en ce qui concerne lesproces de divorce que la nomination des pretres.II prendra l'obligation de créer une école ayantun professeur étranger, catholique, pour la phi-losophie et le reste. Une condition beaucoupplus importante &aft celle d'adniettre la soumis-sion complete envers l'éveque catholique de laCapita le de la Transylvanie, de l'admettre commeco president dans les assernblees de son clerge,de conceder au cardinal-primat le droit de choisirle futur eveque roumain parmi les jeunes gens

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qui auraient fait leurs etudes dans les écoles ca-tholiques. Les derniers liens qui attachaient encore Athanase A l'Eglise d'Orient devaient dtrerompus : il ne devra desormais rien avoir Afaire avec le prince de Valachie, ni avec sonmetropolite". En echange, on pourrait lui con-ferer le titre de conseiller imperial.

Ce qu'Athanase voulait, était tout different :renouvellement du dipl6me de 1698 en faveurdu clerge uni; intervention du pouvoir seculierpour ernpêcher runion mensongere avec les cal-vinistes. Mais le contraste le plus criant étaitentre les demandes des cercles confessionels deVienne et entre les désirs des protopopes del'Eglise unie, qui voulaient avant tout et expres-sément ,la confirmation des immunités et desdroits que les princes de Transylvanie avaientaccordés aux eveques et au dere des Roumains".

Athanase n'était cependant rien plus qu'unprisonnier de ceux qui comptaient l'employercomme un simple instrument pour atteindre leursbuts. Ce qu'il pouvait demander c'etait seulementle titre d'éveque, et non de métropolite ou d'ar-cheveque de l'Eglise roumaine unie avec lescatholiques romains de Transylvanie et des partiesde la Hongrie Jennies A cette principauté", cetitre de conseiller imp_rial, une chaine d'or avecle portrait de l'empereur, l'expectative d'une do-tation en terres valant 6.000 florins et l'exemptionde charges serviles et de payements de douanes

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pour ses pretres. En échange, il acceptait, le 7avril 1701, l'adoption de la confession catholique,telle qu'elle était fix& par les resolutions duConcile de Trente, l'obligation de soumettre Acette gglise tons les membres de son dere,l'éloignement du nom du patriarche de Constan-tinople de toutes les prieres usuelles afin de leremplacer par celui du Pape. L'eveque allait siloin qu'il déclarait Ini-méme sa premiere con-secration comme nulle et sans valeur et deman-dait A Kollonics de l'ordonner A nouveau, selonles usages de l'Eglise catholique (cette cerémoniehumiliante eut lieu en effet A Vienne, bien quedans un cercle restreint). Il est evident que sespretres auraient dtt procéder de méme. Le seulcatéchisme qu'on répandra sera celui des catho-liques, et le théologien", le conseiller canoniquele mentor administratif qu'on voulait lui imposer,etait appele de tous ses voeux, car, cleclarait-il,il se rend compte A present du fait qu'il est, ence qui concerne beaucoup de choses, sans in-struction et sans experience". En ce qui con-cerne les relations avec la Valachie, il promettaitde mettre fin A toute correspondance et A touteamitie avec les schismatiques, les heretiques,parmi lesquels le prince de Valachie; il ne con-sentira clesorrnais A recevoir aucune lettre de sapart et ne reconnaitra plus le Bucarestois" (sic),le rnétropolite de Valachie, comme son arche-Neque et métropolite. Et, si pourtant il était

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necessaire d'écrire audit prince de Valachie ona un autre des schismatiques, la lettre sera pre-sentee d'abord au théologien et conseiller". Quanta sa personne, Athanase reconnaissait avoir admis

sa Cour des danses avec des femmes ou avoirperdu son temps A la chasse et autres distrac-tions, avoir tyrannise son clergé, avoir pennisson pere et a ses freres d'extorquer l'argent descandidats a la pretrise. 11 promettait de reformerdorenavant ses moeurs. Si pourtant II serait inca-pable de tenir ses engagements, il s'obligeait Aquitter son Siege apris la troisieme admones-tation" de la part de son archeveque, qui estcelui de Gran".

L'importance de cet acte est vraiment immense.L'eglise rournaine avait cesse de vivre; ellen'était qu'un vicariat de celle des catholiques deTransylvanie, un vicariat dont le chef reel étaitun étranger appartenant A un Ordre qui n'avaitrien a faire avec le rite meme des Roumains.Les rapports, si utiles pour les Roumains deTransylvanie, avec la principaute gouvernee parBrAncoveanu, nn riche et puissant patron, étaientcondamn's de la maniere la plus severe. Le lienhiérarchique qui avait éte établi apres des sieclesd'efforts par l'influence, et plus tard par la forcede conquerant de Michel-le-Brave était rompupour toujours. L'eveque hutuilie de cette Eglisevassale offensait dans sa declaration ceux qu'il

A

a

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avait consideres jusqu'alors comme ses bien-faiteurs et ses patrons. II transformait ainsi unacte de renoncement personnel en tine attaquecontre ce pouvait y avoir de plus essentielet de plus sacre dans la solidarite nationale deson peuple.

Toutefois les apparences de l'installation de cetransfuge furent extremement brillantes. jamaisles Roumains, a l'exception des princes venusd'au-delA des montagnes, n'avaient vu de telshonneurs rendus A un membre de leur nation.Le théologien Neurauter monta en chaire et donnalecture du diplôme de nomination, qui confirmait,ou, pour mieux dire, qui craft l'autorité pisco-pale d'Athanase. II y avait dans l'assistance 50protopopes et 1000 prêtres qui avaient accom-pagne la voiture dorde de leur chef pendantson trajet A travers les rues tle la Capitale. Etce fut tout.

Dans le diplôme meme, l'empereur avait pulede la haute opinion qu'il avait d'Athanase et desa nation, mais rien ne l'avait prouvé encOre. 11y avait bien un autre acte qui mentionnait aussila sympathie spéciale de l'empereur et roi pourla nation roumaine", qui promettait A tons ceuxqui s'uniront A l'Eglise cathplique, meme auxpaysans (et plebeae conditionis homines), pourvuque leur adhesion fat dument constatée par letheologien, d'être consideres aussittit comme fai-sant partie de l'état catholique. Ils seront ainsi

qu'il

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comptés parmi les membres de cet Etat et auroraleur part dans les lois dii pays et tous les bien-faits, n'Etant plus tolérés comme jusqu'à present,mais bien les égaux des autres fits de la patrie"

Cet acte, cependant, devait rester secret, l'em-pereur n'ayant jamais eu le courage de le faireconnaftre a ce gouvernement magyar de*Transyl-vanie, qui l'aurait considere comme l'attentat leplus cruel contre ses privileges et contre twat;la situation gagnée au cours d'un long develop-pement historique. Des ann.4es passerent avantque ce second diplOme de Leopold, cette se-cunda Leopoldina", arrivat a la connaissance desRoumains, et mettle Mors, ainsi qu'on le verra,leurs efforts désespérés pour en amener la pu-blication et surtout l'exéculion resterent vains.De tout ce qui avait été promis a une nationentiere pour obtenir son adhesion religieusela confession catholique, et par consequent sonattaehement aux intérets politiques de la Maisond'Autriche, rien n'avait été tenu, si ce West cesvains honneurs accordes a un homme indigne

' ,Quinimo clementee annuimus tit quicumque etiamsaecularis et plebeas conditionis homines toties rr emo-ratae Sacro-Sanctae Ecclesiae sese, secundum normama theologo praescribendam, univerint, immediate statuicatholico annumerentur sicque Inter status computenturcapacesque legum patriarum ac universorum beneficiorumnot% ut hactenus, tolelati, sed ad instar relLuorum patrine fijorum reddantuei Nifty, ouvr. cite, pp. 295-296.

t.

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de sa mission et qui consentait a afficher devantles yeux de toute sa nation de Transylvanie cetteindignité reconnue et scellee par la Cour deVienne.

Quelque chose restait encore a accomplir,quelque chose d'extremement douloureux : la rup-ture des liens seculaires avec l'Eglise et le tróriede Valachie.

En 1698 Brancoveanu avait fait elever la grandeeglise de Ffigfiras, consacrée a Saint Nicolas etlui avait cree des revenus sur le produit de sesdouanes. II gardait toutes ses relations avec l'or-ganisation roumaine de Brasov, que ses agents,David Corbea et autres, visitaient sans cesse. IIvenait meme de s'assurer un nouveau pied-a-terre dans cette ville, a savoir dans l'enceintemême de ses murs, et la municipalité dut bienceder lorsque le prince commença a prodderpar des représailles en reponse a son refus delui confirmer cette proprieté.

Telle était la situation du prince de Valachieenvers ses coreligionnaires et co-nationaux deTransylvanie lorsque les premieres nouvelles del'apostasie d'Athanase arriverent aussi bien aBrasov que dans la Capitale valaque. Le richemarchand Pater Ianos prit aussitôt la parole,accusant l'eveque d'avoir cache certaines chosesa la connaissance de ses ouailles, qu'il ne pourracependant pas cacher a Dieu ; ce qu'il a fait

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sn'est pas conforme aux instructions du synoderIli aux demandes faites par l'empereur ou parle cardinal-primat : il doit redouter la punition,qui ne peut manquer de l'atteindre. Nous som-mes disposes a servir l'ernpereur de tous nosmoyens, avec nos corps meme, a etre la pous-siere qu'il foulera aux pieds, mais notre religion,bonne ou mauvaise, nous entendons la conserver,et personne ne pourra nous en éloigner" t.

A ce moment, Athanase simulait encore son-adherence a l'orthodoxie. L'abécédaire qu'il publia,en 1699 contenait le Credo dans l'ancienne forme.II protestait aflirmant que toutes ses declarationsn'avaient d'autre but que celui d'assurer les pri-vileges aux pretres. Brancoveanu en fut convaincu

au mois de juin 1700, il confirms la posses-sion d'un bien-fonds sis en Valachie a la Me-tropolie de Transylvanie.

Lorsque les habitants de Brasov, inibranlables,clans leur adherence a l'ancienne loi, se plai-gnirent de ses agissements secrets, Athanase crutpouvoir employer un ton comminatoire : II nousappartient d'ordonner dans ces choses-la... Noussaurons bien vous punir... J'ai ete jusqu'ici lelils de la paix, mais, si vous comptez m'irriter,je serai comme un lion trahi". Ces menacesresterent sans aucun effet : les agents de Bran-

' Al. lipéclatu, dans la publication jubilaire PrinotSturdza, pp. 307-30 4.

.et,

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coveanu étaient la pour confirmer les membres-de l'église de Brasov dans leurs sentiments etpour leur offrir un appui, quelles que fussent les

-circonstances politiques.Lors de la ardmonie de !Installation, ii y eut

non seulement des murmures, mais aussi desprotestations publiques a la porte même de l'ancienne église de Alba-Julia. Lorsqu'un synode .fut convoqué pour entendre ce que l'evequeétait parvenu a obtenir a Vienne, ainsi que leslettres d'exhortation du cardinal-primat, et pourpreter serment sur l'acte de reunion a l'Eglise-catholique, le nombre des assistants fut tres res--treint et il fallut decider la convocation d'un autre-synode pout le mois de novembre. Afin degagner les Roumains de la region de Inidoara,on leur promettait de conserver loutes leurs an-ciennes coutumes, leur confession grecque etroumaine" integrate, sans y rien ajouter et sans.en rien éliminer". On leur demandait une seulechose : de reconnaitre l'autorité de l'eveque etde ne pas critiquer la confession de l'empereuret les quatre points', que personne ne leurdemandait par consequent d'adopter.

A ce moment l'Eglise de Valachie et le princelui-meme intervinrent pour lancer d'abord leurdesapprobation, puis l'anatheme solennel del'8glise d'Orient. Pour le bon vieux metropolitel'heodose, Athanase n'etait plus que ,ce diable",et Brâncoveanu était assure que Dieu saura

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hien punir ceux qui insultent et n'honorent pasla religion dans laquelle ils sont nes et A la-quelle ils ont fait des voeux a la face de Dieu";il a bien le droit de le dire, lui, qui est le patronde l'Eglise dpiscopale elle-même, fond& parles anciens princes de ce pays", et de l'eglisede Figiras aussi, qu'il a bâtie, non pour desintrus, mais pour les fils fideles de l'Eglise or-thodoxe. Ceux qui agissent de cette facon n'ac-complissent pas, selon l'opinion du prince, lesordres de l'empereur, qui a declare ne vouloircontraindre personne a accepter sa propre eon-lession 1

A ce moment un noble roumain de Transyl-vanie, des regions du Nord, qui avait servipendant quelque temps Athanase et s'etait separede lui pour des questions d'argent, se decide arecueiller des signatures sur une protestationformelle contre l'acte d'Union. Gabriel Nagyszegyidéclarait etre encourage par des declarationssemblables faites au nom des pretres de larcigion de Brasov et du district de Ffigiras. Ayantobtenu l'approbation d'une partie des Roumainsde la Capita le de la Transylvanie, entr'autres dela puissante corporation des bateliers, il présentarade de protestation devant le protonotaire Si-rossy, qui eut l'imprudence de lui donner, en

3 Ces antes se trouvent pour la plupart dans la c91lection de documents tires des archives de l'eglise deSchei, qu'a publiée M. Sterie Stinghe, a Stapv.

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l'authentifiant, une valeur légale, ce dont il futséverement puni ensuite par le gouvernement dela province. D'un dité, Nagyszegyi s'adressa auxRoumains pour leur demander de se rassembleret d'exposer A la Diete transylvaine leurs doléan-ces et, d'un autre cOté, il se présentait devantle gouvernement comme representant de tousles Roumains de Transylvanie et des comtésvoisins, adversaires decides de l'Union. Critiquantla conduite des eveques, gens ignorants, sansprestige, faciles A corrompre, il proposait A laCour de s'adresser désormais a un lak capablede représenter sa nation. 11 eut le même sortque Tirci, étant jete en prison par les soldatsdu general Rabutin, et même A ce moment ilmenacait ses adversaires d'une agitation aumilieu de la population, qu'il aurait pu dirigervers une emigration dans les principautés voi-sines, et de l'accroissernent du brigandage, quiétait une forme de protestation politique de lapart de ses congéneres. L'empereur se renditcompte du danger qui aurait résulté d'une in-transigeance conlessionnelle, et, par un acte du12 septembre 1701, il déclarait encore une lois,peut-être pour satisfaire Brancoveanu aussi, (lulln'entendait forcer personne A adopter sa confes-sion. Quatre mois plus tard, ces declarationsfurent renouvelées, en spécifiant que les Roumainsont toute liberté de garder leur ancienne loiet que quiconque s'efforcera de faire du pro.

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sdlytisme contre les intentions de la Cour ensera puni séverement, car il provoque des trou-bles dans le pays. Cette notification devait etrecommuniquée dans les villages aux paysans, etle gouvernement de Transylvanie, qui restaittntre les mails des réformes, décida aussitôt de'dormer une forme roumaine a ce diplôme, qu'ilcomptait bien employer pour conserver la situa-tion acquise par le calvinisme. En tout cas,-c'était pour la premiere lois que le monde officiel-de Transylvanie employait dans tin acte d'admi-nistration, ne fAt-ce meme que pour empecherune rdvolte imminente, la langue que parlait lamajorité des habitants du pays.

L'action d'Athanase faiblissait visiblement. Rienne distingue le synode, tres peu frequentd, quise réunit au mois de septembre 1701. Malgrésa prornesse, l'eveque espdrait pouvoir entretenirdes relations tres profitables sous tous les rap-ports avec la Valachie, demandant des livresd'office et meme des couvre-chefs pour sesmoines. Les livres qu'il publiait ne contenaient,sauf le catdchisme pour les écoles, rien quiportat atteinte a l'orthodoxie, et c'est justementa cause de cette faiblesse que Brancoveanu crutie moment propice pour prononcer la sentencecontre l'apostat.

Celui qui prit le premier la parole fut le pa-triarche Dosithée, qui commença par avertir Rat_

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lstfan, un des administrateurs de l'Eglise de"Transylvanie, du danger qu'il y avait a suivreles Jdsuites, des loups en peaux de brebis",pires que les calvinistes eux-memes, qui, dumoins, ne cachaient pas leur jeu. Dans unelettre adressde A Athanase, le patriarche lui rap-pelait que sa consecration avait été obtenue avecdifficulté, A cause des mauvaises refdrences qu'ortavait sur son compte, qu'il avait demandé des.

choses bizarres A cette occasion et que cetteattitude a dté continude par tout ce qui a dt6accompli au cours des années 1700-1 dans lebut de l'eloigner de l'orthodoxie. Pour la dernierelois un appel dtait adresse a sa conscience

Au printemps de l'année suivante, Theodose,qui avait reçu la copie du serment preté parl'eveque A Vienne, adressait la derniere somma-tion au traftre de son Eglise. Ddsormais, disait-il,pas un livre d'office ne passera la frontiere; leprince pieux cessera d'accroftre le nombre de-ses dons ; Theodose lui-meme renonçait au pa-yement des sommes que lui devait son colleguerebelle : que peut bien me profiter l'argent, Sic'est celui avec lequel un si grand nombred'Ames doit perk" ? Seul un dernier geste decontrition pourrait sauver celui qui n'est plus.le vrai pasteur de ses fideles. Quant au patriarche-de Constantinople, il lançait son anatheme, et

Hurmuzaki, XIV, pp. 340-342.1

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celui de Jerusalem avertissait les orthodoxes de-Transylvanie qu'ils ne doivent plus avoir de-relations avec cet héritique, dont la main mémene mérite plus d'etre baisée, car ce serait commesi on baisait la main d'un juge de village hon-grois, d'un cadi ou d'un calviniste" 1.

La reponse fut donnée par le pi-Oat qui conduisait l'Eglise catholique de Hongrie, l'éruditKollonics, en employant des termes qui n'étaientpas choisis dans le dictionna:re des graces dela prose latine. Si, pour Callinique, Athanase&ail un Sathanasius, un esclave de Satan%le metropolite ne sera que le representant duschisme trois lois maudit ths Grecs d'Orient",un instrument du faux patriarche de Constan-tinople". II devra renoncer a son ancien titre demétropolite de Hongro-Valachie (qui ne signiliaitautre chose. dans le langage officiel des pa-triarches de Constantinople, que chef de l'8gliseroumaine du cOte de la Hongrie) ; c'est un acted'impertinence que de s'intituter métropolite deTransylvanie et de s'arroger ainsi une especed'autorité dans ce pays ; c'eA une cause detres grandes dissensions et troubles entre letres-attguste et invincible empereur des Romainset votre prince de Valachie". Le puissant mo-narque aurait bien le droit de demander satis-

' Stinghe, ouvr. cite, 1, pp. 34, 37 ; les autres mentions-dans Hurmuzaki, XIV.

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faction pour une si grande présomption et unehardiesse intolerable... ll pourrait en deriver undanger de grands troubles, car, ainsi que leprince de Valachie ne peut réclamer des droitsen Transylvanie, de meme tu ne peux t'arrogerla-bas le moins du monde une autorité spirituellesans présomption". Et, lorsque l'ambassadeur-anglais a Constantinople, Paget, retournant dans-son pays par la Valachie et les pays de l'em-pereur, se présenta a Vienne pour soumettre ausouverain les doldances de 13rancoveanu, il recutcette reponse: Pourquoi ce prince, qui est unhomme comme il taut, s'occupe-t-il des decisionsque prend l'empereur dans son propre pays ence qui concerne des questions religieuses, alorsque l'Empire n'a jamais demandé au prince deValachie comment il procede dans des affairesde meme nature dans sa propre principauté" ' ?

Cependant l'empereur ne pouvait empêcherla transmission continuelle des produits de l'im-primerie établie par Brancoveanu et qui Ctaitdestinée spécialement a répandre au-dela desfrontieres de sa principauté la connaissance dela langue littéraire rournaine et de tout ce quipouvait en deriver. On trouve des exemplaires

,de ces livres, admirablement imprimes grace a

1 Cf. Nilles, loc. cit., pp. 353-355; Annales de l'Aca-4imie Roumaine, XXXVII, pp. 169-171.

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l'art du futur métropolite Anthime, un Georgien,dans tous les coins de la Transylvanie. Le princeen personne, son oncle, des membres de saCour, des prelats valaques se faisment un devoird'offrir ces livres, d'un prix tres élevé, A diffe-rentes églises fréquentées par les paysans rou-mains, leurs congeneres. Les notices qu'on y litcontiennent parfois des attaques contreavec l'Eglise catholique. Jusqu'aux limites duMaramoureche, le service divin était celebré enutilisant ces produits des imprimeries valaques,et il taut se rappeler qu'etienne Cantacuzene,successeur de Brâncoveanu, offrit a une pauvre-eglise de village, dans ce coin perdu de l'extreme-limite du territoire de la langue roumaine, un .ciboire en or.

Ceux qui n'avaient pas le bonheur de parti-ciper A ces larges dons recueillaient parmi leursvoisins du m8me village l'argent nécessaire pouracheter ces livres, bien supérieurs A ceux quis'imprimaient en Transylvanie et adoptés surtoutA cause de la stricte orthodoxie qu'ils represen-taient. II faut tenir compte aussi du fait que lesproduits de la presse transylvaine étaient si peunombreux qu'ils aurait éte bien difficile d'officiersans recourir aux livres d'église imprimés dansles principautes. Aurait-il été possible d'inter-rompre les rapports avec ces principautes, aumoment oit on trouve en Transylvanie des clercsqui avaient, comme ce Joasaph, du monastere

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-de Dais, un frere établi en Moldavie, a Back!,et un autre a Bucarest meme? Pour comprendre'la force de l'instinct qui maintenait ces relations,malgré toutes les interdictions formelles, il fautlire ces simples paroles du pretre Cyril le d'Aciva,lequel, ayant traduit du slavon une Anthologie,-en 1702, s'exprimait ainsi, dans la sincérité de-son atm: nous sommes, nous, les Roumains,-comme une trompette brisée, dont on ne peutplus entendre le son, lorsque nous entendons lesparoles saintes dans tine autre langue, sans en'firer aucune utilité", et il trouvait preferable detraduire ces paroles des saints dans son dialecteprovincial, dans notre langue roumaine, qui est-a langue la plus simple du monde".

La cause de l'Union &sit de fait presque deli-mitivement perdue, et il fallut plus tard desmoyens de pression sans scrupules pour refaire-tout ce qui avait échoué, dans cette premieretentative malheureuse. Athanase végétait dans-son siege de Alba-Julia, sous la surveillance du-,,theologien" étranger. La Cour se contentait deTenouveler. en 1703, l'ancien privilege d'Apalfypour les pretres roumains. A cette occasion,Athanase obtenait le titre d'éveque de toutes les-eglises roumaines de rite grec en Transylvanie",-d'apres l'ancienne formule de l'époque calviniste.En 1705, lorsqu'il s'agit de fonder une écolevalaquo-latine" dans les batiments de l'ancienne

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Monnaie de Transylvanie, l'eveque fut intitulé, enoubliant completement la decision de Vienne,,archeveque de l'Eglise d'Orient de rite grec enTransylvanie" bien que le privilege efit éte ac-cordé à la communauté roumaine recemmentunie"1.

Un autre fait s'ajouta aux agitations des fideleade l'ancienne loi, au profond inécontentement dupeuple et aux incitations des facteurs décisifs enValachie et des Roumains unis. Des l'annee1704 la province etait en pleine révolte sous ledrapeau du pretendant Francois Ralthczy. A cemoment, ainsi que le temoigne Nicolas Beth len,un des membres du gouvernement de Transyl-vanie, la plebe s'etait mise en fureur au-delade toute imagination humaine, ces paysans et la.noblesse inferieure, qui était presque corn plete mentroumaine, envahissaient la Transylvanie entiere,..violant la fidélite jurée a la Maison d'AutricheChaque paysan était un révolté; prenant l'anciennom des croisés de Dozsa, il se levait coutreson voisin, son frere, son maitre et seigneur,contre son pere merne" ; on devastait les mai-sons et les châteaux de la noblesse, les églises_Un ancien adherent de Täkd ly avait pénetre dans .

le pays, entrainant avec lui une foule de Hongrois, Bulgares, ArnautesTM, etc. Les Szekler

I NiHes, ouvr. cite, pp. 368 369.

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trouvaient aussi parmi les mecontents. Un pretreroumain s'était rendu en Pologne pour en ra-mener le nouveau prince, qui fut recu triompha-lenient dans le Maramoureche, dans la regionde Gherla et de Bistrita, par toute la populationroumame. On pense bien que l'eveque JosephStoica, appele tout récemment A Sibiiu afin delui extorquer une declaration d'Union, dut etreparmi les chefs des agitateurs. Tout le district deFaggras, restd opiniatrement calviniste, était pourla cause du prétendant, qui installait dans lechateau de Chioar des Rournains comme de-fenseurs et qui était représentd dans des mis-sions diplomatiques par le Roumain Talaba. Unautre Roumain, Theodore Corbea, rédigeait lacorrespondance échangée entre Ralóczy et Pierre-le-Grand. La ville natale de Corbea était restéecependant fidele au prince de Valachie, et Bran-coveanu, qui acceptait volontiers les révoltés ases frontieres, dut ressentir tin contentementprofond en voyant la faillite apparente de la causequi avait amend la rupture de ses relations aveczes congéneres de Transylvanie.

RalcOczy essaya de mettre a la place d'AthanaseJean 'circa, qui, devenu moine avait, pris le nomde Job. Apres avoir quitté la paroisse que lesref ormes lui avaient confiee du cdté de Inidoara,il végétait en Moldavie, lorsqu'au mois de juillet1706, il s'adressa au prince Francois pour luidemander de ne pas etre oublié par sa mi-

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sericorde", lui souhaitant que Dieu fortifie sesarmes pour pouvoir vaincre ses ennemis, dememe que le roi David a remporté la victoiresur les envieux de sa puissance". Il s'intitule acette époque : dvaque des Roumains de Iran-sylvanie", en ajoutant : avec la permission deSa Grandeur" l Peu apres, Tirca entrait dansle Maramoureche, bien accueilli par les pretresde cette province, alors que les jesuites nepouvaient rassembler en 1707 que trente pro-topopes pour souscrire un nouvel acte d'Union.Quant a Athanase, il était renfermé a ce momenta Sibiiu, avec les officiers impériaux.

II semble cependant que Rálthczy n'était pasdispose a donner a Tirci l'autorité plinieresur les Roumains de Transylvanie. II ne pen-sait guere a l'Union et aux droits d'Athanase,mais il parait que le puissant boTar ConstantinCantacuzene, oncle de Brancoveanu, qui en-.tretenait une riche correspondance a l'étran..ger, lui avait demandé de nommer un &Agueorthodoxe selon l'ancienne façon, élu et consacréA Bucarest. Le prétendant, dont toutes les sym-pathies allaient vers le calvinisme, s'efforçait dejustifier son indecision en objectant ne pas trouverparmi les Roumains un seul qui soit capablede s'entendre avec lui sans interprete" 2.

1 Nos Studli # docuntente, IV, p 72.8 Voy. la lettre dans Miles, coivr. cite, pp. 373-374.

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Les efforts du nouveau prince magyar deTransylvanie n'aboutirent pas cependant, bienqu'il résistat aux hostilités des Impdriaux jusqu'en1710. Pendant tout ce temps, Athanase, qui dutengager a des marchands ses vetements épis-copaux et meme les matdriaux de l'imprimerie,put bien revenir dans la Capita le de la provincemais sans regagner son ancienne situation, D'ail-leurs. Kollonics était mort en 1705, l'empereurJoseph I-er avait succéde A Leopold en 1711 ;l'ancien conseiller jesuite Baranyi avait dgalementcess4 de vivre; le general Rabutin avait quitté laTransylvanie. L'éveque uniate n'avait qu'un sentsouci: se maintenir, itlt-ce meme en abandon-nant l'Union, contre laquelle s'accumulaient lesprotestations des protopopes, dont le chef étaitle notaire meme du grand synode, Basile Daianul.H fallut que Hevenessy intervienne pour sauverles restes de l'oeuvre a laquelle il avait col-laboré avec tant de zele.

Athanase revint sur sa premiere decision le18 novembre 1711 et provoqua tine nouvelleconsultation de ses protopopes, dont trente-quatrese declarerent pour le maintien de l'Union. IIgagna meme, dans les derniers temps de sa vie,L'autorité sur les eglises de Mararnoureche, eaqui etait crautant plus facile qu'apres la mortde Joseph Stoica, son successeur, Etienne ouSeraphin de Petrova, consacre en Nloklavie,

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avait pris la decision de reconnaitre Athanasepour son supérieur '.

Mais, le 19 aotat 1713, l'6veque uniate finissaitses jours, apres avoir reçu l'extrême onctiondes mains de son théologien", un Magyar, et ases funérailles deux seuls discours furent pro-nonces, dont l'un en latin et l'autre en hongrois.Tout le caractere de son action comme chef del'Eglise roumaine se reflete dans ces circonstancesde sa fin.

' Nos Studii fi documente, XII. pp. 283-285.

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MR.

Decadence de rtglise uniate en lutte avecl'orthodoxie serbe. L'évéche de Fajitas.

Pour humilier encore cette pauvre Eglise uniate,restée sans dv6que, elle fut confide aux soinsd'etrangers, qui ne connaissaient pas meme leroumain, tels Wenceslas Franz, un Silésien, anciensecrdtaire d'Athanase, que les protopopes elurentmeme comme dveque, au mois de novembre1713, sans qu'il efit acceptd cette situation, puisun autre Allemand, Joseph Bardia, et enfin untroisieme Jdsuite, le Hongrois Georges Régai '.Le nombre des desertions augmentait chaquejour. Les boYars du Maramoureche rompirenttoutes leurs relations avec Sdraphin, parce qu'ilavait suivi l'exemple d'Athanase. On essaya del'intimider par une arrestation, mais cette mesurene profita qu'aux réformés, qui imposerent commeninspecteue religieux des villages roumains leprêtre Jean de Moiseiu, adherent de leur confes-sion. Jusqu'à sa mort, en 1717, Séraphin garda

1 Voy. aussi Silvlu Dragomir, dans la Revista teologlcd,annde 1915, p. 261 et suiv.

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cependant son titre d'éveque orthodoxe (sic) duMaramoureche. En échange, la Cour relusad'admettre comme son successeur André, proto-pope de la province de Cosfiu, élu A sa place.

11 fallut procéder cependant A l'élection d'un&Ague de Transylvanie. On se fixa, une vaineforme d'élection par un seul électeur sur lapersonne de Jean Giurgiu, noble de Patak, lequel,,en 1714 encore, n'était que simple missionnairedans le district de Ffigara§. Descendant d'unefamille originaire du district de Doboca, l'évequeJean, confirmé par l'empereur le 23 decembre1715, avait eu de nombreux partisans talcs poursa candidature, parmi lesquels, outre les adminis-trateurs de l'8glise uniate et la noblesse roumaineentiere, il faut rnentionner des nobles hongroisde l'importance de Sigismond Kornis et memele fils, réfugié en Transylvanie, de Serban Can-tacuzene, Georges, dont les 1m pEriaux voulaientfaire un prince de Valachie et auquel ils confie-rent plus lard l'administration des districts del'Olténie. Pataki méritait sans doute l'appui deses patrons, ayant fait des etudes brillantes ARome, oil ii obtint, aux Colleges allemand ethongrois, le titre de laurdat en théologie. II availété l'éleve des écoles catholiques de Cluj etde Raab et du College Pasmanien de Vienne-II airnait bien sa nation roumaine, cherchant arépandre des livres au milieu des simples villa-gems et contribuant a creer des ecoles.

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Son caractere episcopal ne pourrait etre quedifficilement Mini. Il devait etre l'eveque desRoumains uniates de Transylvanie et des regionsvoisines, mais aussi celui des Grecs, Rutheneset Serbes" de ces mernes regions, comme si onavait voulu éviter d'affirmer ainsi son vrai carac-tere national. On lui avait prornis, par le diplómememe de sa nomination, une fondation en terresd'une valeur de 3.000 florins, mais son actionfut immédiatement empêchée autant par la guerrequi éclata aussitest apres son election, que parles efforts opinifttres de l'eveque latin de Tran-sylvanie, Mártonffy, qui ne voulait admettre dansla province aucun autre prilat en relations avecle Siege de Rome, d'autant moins dans sa propreresidence de Alba-Julia, et qui enfin ne consen-fait pas a ce que celui qu'il considérait commevicaire de son autorité puisse dépendre de l'ar-chevAque de Gran. II fallut six ans de négocia-tions pour arracher a Rome une decision sur cepoint, et cette decision, venant d'une informationdélectueuse et d'une excessive prudence,louvoyantentre les intérdts de l'Eglise magyare de Tran-sylvanie et les instances de l'empereur, créa uneoeuvre tout aussi étrangere aux sentiments dela population, aux traditions du pays, qu'inca-pable de se développer et de se maintenir.

Pendant le temps oii le iheologien" Régaiadministra le diocese, l'orthodoxie ne faisait que

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se raffermir dans tous les districts de la Tran-sylvanie. A Brasov, chaque pretre, chaque proto-pope devait commencer par une stricte professionde foi dans le sens du passe ; tous les effortsdu théologien" d'imposer un protopope uniresterent vains. Bien que son candidat ,efit invo-gild une confirmation de la part du patriarcheserbe, le frere de ce candidat, maitre d'écoledans le faubourg roumain, dut jurer en 1721n'avoir rien A faire avec cet homme tout-a faitetranger A notre Eglise et A notre loi". Dans leMaramoureche, tandis qu'un nouvel eveque greco-magyar, originaire, A ce qu'il paralt, de Byzance,et qui s'intitulait Gennadius Byzanczy, portantle titre de ses prédécesseurs de la fin du XVII-esiecle, obtenait la reconnaissance d'une partie despretres roumains, un nouvel eveque, strictementorthodoxe, Dosithee Theodorovitch, qui avait étéconsacre en Moldavie et habitait l'ancien couventde Peri, apparaissait dans la province. II jouissaitde l'appui du prince de la principauté voisine,Michel Racovitä, que les Impériaux avaient tenté,au cours de la nouvelle guerre, de surprendredans sa Capitale de Jassy, alors que le princede Valachie, Nicolas Maurocordato était devenuleur prisonnier. Mais Racoviti eut vent de leursintentions et, s'appuyant sur le concours militairedes Tatars, il battit les envahisseurs sur le ver-sant de la colline de Cetituia, pres de Jassy, et,quelques semaines plus tard, il reussit A déloger

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les garnisons allemandes fixées dans les monas-teres de la montagne. Puis, vers la fin de l'annee1717, avec la meme collaboration tatare, Michelentreprit une grande expedition du cOte de Bis-trita, qui allait aboutir, en ce qui concerne leshordes qu'il entrafnait derriere lui, par une de-vastation systematique du Maramoureche. Dosithiedevait preparer cette invasion, qui réussit en effetet il faut relever a cette occasion que le princeMichel avait ordonne A son armee", dit unechronique contemporaine, de tuer les soldatsimpériaux ou bien de les mener en captivité,mais d'epargner la liberté des Moldaves, c'est-A-dire non pas des Moldaves de Moldavie, maisde ces Moldaves chrétiens orthodoxes, nes et éle-yes en Hongrie" ; les siens devaient mettle ca-cher ces Moldaves pour qu'ils échappent auxLipcans tatares". Pour en finir avec les agisse-ments de Dosithée, qui persistaient méme apresle depart de l'armée d'invasion, la Cour intervinten 1721 pour l'empecher de fonctionner. Elle allajusqu'i l'arréter, malgré l'adhérence des bolars etl'appui du comte Bethlen, un calviniste ; l'autreéveque, de Munkács, prétendait avoir été reçu entriomphe clans les regions roumaines de la pro-vince et avoir A sa disposition 150 des prétresdu Maramoureche ; toutefois, pour la majoritédu clerge, le vrai éveque, notre archeveque",était ce ptluvre prelat moldave poursuivi parle gouvernement.

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De son °Rd, Pataki faisait tout son possiblepour se gagner au moins la soumission des boYarscalvinistes de cette province de Fagfira qu'ilavait tant de lois traversee ; mais il dut conlesserla résistence opiniatre qu'il rencontra de la partde certains de ces nobles, A cause de l'ignoranceet aussi de la terreur qu'inspirait lc nom de pa-piste ou de catholique". Sur ce territoire, lenombre des petits couvents dans le voisinagedes eglises de village etait tres grand ; ils con-stituaient de vraies forteresses de l'ancienne loi.

Du reste on rencontre ces couvents, dont cer-tains datent du XVI-e siecle, stir tout le territoirede Transylvanie. A $telanca, A Prislop, qui venaitd'etre pillée par les soldats de Rikóczy, A Feleac,l'ancienne residence des &elves au XV-e et duXVI-e siècle, i Rameti, A Geoagiu, qui avait aussides traditions épiscopales, a Plosca, dans le voi-sinage de Inidoara, oh on conservait des livresslavons et grecs, ainsi que dans différentes lo-calités du Nord '.

Un autre appui de l'ancienne loi venait d'entreren action : A l'occasion de la grande guerre contreles Tures, terminee en 1699,1a Maison d'Autricheavait colonise un grand nombre de Serbes au-deli du Danube et de la Save. Ils étaient venus

1 Les renvois concernant ces centres de l'orthodoxiedans notre ouvrage roumain, Pp- 365-367-

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avec leurs chefs de villages, avec leurs pretreset leurs eveques plus ou moins canoniques etavec leur chef, le patriarche lui-m'eme, ArseneTschrnoIevitsch. Leur r6le était exclusivementmilitaire, et, en vertu de leur double qualité decolons et de soldats, ils devaient jouir deprivileges tres étendus. Des le premier momentifs eurent une organisation complete, et la freer,nité d'armes avec les soldats hongrois et allemandsdevait leur faire pardonner une action d'envahis-sement et de provocation. Comme ils resterentfideles lors de la révolte de Rákóczy, leur in-fluence en fut accrue.

La Cour essaya, il est vrai, de contraindrecertains des éveques serbes A une professionde foi catholique. Elle réussit en ce qui concernecelui d'Arad, Joannice Martinovitch (1713 5), quisuivit l'exemple d'Athanase et de Seraphin. Cesimulacre d'adhésion a la confession de l'em-pereur se fit au grand avantage de la propa-gande de la religion orthodoxe des Serbes, carce changement secret de confession permit aJoannice et a ses successeurs: Sophronius deRavanitza (1720-6) et Vincent Ioannovitch, quidevint par la suite metropolite de Be leade (Apartir de 1731), de pénétrer dans les districtshabités par les Roumains, oil, comme représen-tants de l'orthodoxie la plus severe, ifs catichi-saient les esprits pour les séparer de l'Egliseuniate. Cette politique tut suivieaussi sous Esaie

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Antonovitch, le sixieme de ces &agues d'Arad,et avec un succes de plus en plus grand. esaIeexergait sans contestation des droits entre leslimites du diocese catholique d'Orade. Entourede paysans arm ;s ou de soldats, ces &agues etleur vicaires apparaiss3ient au milieu des villa-geois de ces regions jusqu'à Beius, qui ab-horraient dans l'evaque catholique aussi leurseigneur terrien, vu que l'Eglise avait des do-maines tres étendus de ce We. Ils ne deman-daient que l'ancienne contribution, le revenu desamendes et n'oubliaient pas de signaler a cesgens simples le grand avantage qu'il y avaitse réunir a l'Eglise serbe, Etre Serbe et etrelibre était la 'name chose pour ces pauvresserfs ; aussi s'empressaient-ils de donner leuradhesion aux actes souscrits par leurs pratres.

Du cOte du Banat seulement, les Roumainsrefuserent d'admettre plus longtemps l'evaqueserbe. Dans une petition, did& du 10 f6vrier1717, les Roumains de Caransebes, d'Orsovaet Lugoj" s'adressent au general de TransylvanieStainville, au nom de douze pratres et de qua-rante knezes ou juges de villages, pour lui de-mander, au nom de Dieu, de les délivrer del'evaque qui est resté a la suite des Turcs, Molse,car il lance l'interdit, ii livre a Satan, il prendde l'argent, ii demande pour chaque maison 12sous et impose de lourdes taxes pour tous lesservices dfis par les pratres" ; a sa place ils

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vréféreraient avoir un autre prélat, du nom dePetronius, qui &aft peut-etre Roumain

Et enfin ii faut tenir compte de ce fait que la-guerre, commencée en 1717 par les Impériaux--contre les Turcs et conduite par le genie militaire-d'Eugene de Savoie, obtint pour la Maison d'Au-Ariche la possession de la Petite Valachie, lescinq districts qui s'etendent d'Orsova jusqu'à lairontière de l'Olt. Par ce fait, des relations jour-nalieres furent établies entre la Transylvanie et-cette region roumaine, autonome jusqu'alors sousla suzeraineté turque, &ant réunie a la principauté-de Valachie. Or, dans ces territoires, la litteraturereligieuse en roumain avait pris un essor inat-tendu, et les moines des riches monasteres deTismana, Bistrita, Hurez, Govora pouvaient serendre a cheque moment en Transylvanie, entre--tenant en meme temps la solidarité roumaine etla communauté de l'orthodoxie. L'éveché deRamnic avait joué un grand relle dans le déve--loppement de la civilisation roumaine sous l'é--veque Anthime, le grand artiste, l'actif imprimeur,i:levenu plus lard métropolite de Valachie, et sous-son successeur Damascene, qui donna a l'Egliseroumaine ses livres d'office en langue nationale.II est vrai que l'administration autrichienne, de-Aachant cet &eche de l'Eglise autonome deValachie, le soumit au Siege métropolitain de

L'acte se trouve dans Nines, ouvr. cite, pp. 445-446-

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Belgrade, ellacant son caractere national, mai&renforeant dans la même proportion l'autre Ca-ractere, orthodoxe. Si les habitants de Brasov-pouvaient être contraints par le gouvernement aabandonner leur dependance du Siege métropo-Main de Bucarest, personne ne pouvait leur inter-dire de lier des relations nouvelles, en omettantl'evêque uniate, avec cet autre Siege, de Râmnic,.qui fut dorénavant leur conseiller et leur patron.religieux.

Nous avons déjà signalé le caractere bizarrede la iondation créée par le Pape, le 18 mai1721. Se Ion les anciennes formes traditionnellesa Rome, on avait élevé l'8glise de FAgAraq A ladignite de cathédrale, pour créer un nouvemdiocese de ce nom. 11 n'était question ni d'Atha-nase, ni d'une Eglise romaine prtexistante, Wenque Pataki s'intitulAt en 1718 évéque des Rou-mains de Transylvanie". II s'agissait settlementd'une nouvelle fondation pour les quelquesmilliers de Grecs, Ruthenes, Roumains et Serbes-qui habitent la Transylvanie". Jusqu'a ce moment,.aucune autorité episcopate roumaine n'avait exist&pour le souverain pontife, la province entiere-dependant du Siege catholique; maintenant orkdétache de ce diocese latin FAgaras, ainsi que-certains territoires en relation avec cette villeet se trouvant dans son voisinage, pour créerune nouvelle forme, sans caractere national, dttcatholicisme en Transylvanie. Pour que le carac-

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lere vague de cette fondation ne Jut altéré sousaucun rapport, on négligeait meme de fixer ses'relations avec une autorité supérieure. Ce qui-est extraordinaire c'est que Vienne ait acceptécet acte, d'une si énorme ignorance et naïveté,-destine a augmenter seulement la confusion dans'les affaires religieuses de la province.

Ce ne fut que pendant Fete de l'année 172$que Jean Pataki put prendre sa residence afAgiras. II fut salué par le théologien Regal, et,au nom du peuple qui entendit la lecture entraduction roumaine de la bulle pontificale, par4e protopope Monea. Le gouvernement n'etaitpas represent& On n'a qu'A mettre en regard-de cette céremonie banale et &née l'entréeiriomphale d'Athanase, quelques années aupara-vant, dans la Capita le mettle de la province,*A ce moment, l'eglise et le convent de Michel-le-Brave étaient détruits pour ceder la place A lacitadelle destinée A dominer la Transylvanie, A.4a Karlsburg de l'empereur Charles VI.

Pour s'y maintenir, le pauvre éveque de FA-giras dut se repandre en protestations qu'il esttout aussi orthodoxe que ses prédécesseurs,qu'il n'a pas l'intention d'accroitre ses revenus,qu'il est malade et ne veut inquidter personne;qu'il demande seulement la formalité de sa re-connaissance, ainsi que des prieres pour rem-pereur qui nous a délivre de l'esclavage desTures". Le synode qu'il rassembla en 1723 ne

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s'occupa que des superstitions populaires, dtpvgtement des prgtres et des revenus du Siege.de Figfira.

Cependant ii eut une mission A remplir atvnom de cette nation qui ne voulait pas le re-connaltre. Apres avoir vécu un siecle entier sousla terreur des princes magyars de Transylvanie,.qui demandaient d'être reçus a grands frais parles villes et qui depensaient leurs revenus dans.des guerres catteuses, l'élément allemand de laprovince avait gagné une confiance extraordinairedans ses droits et dans sa mission. au momentoti les soldats, de même nation, de l'empereurde Vienne furent les maltres. S'ils ne pouvaientsupplanter la noblesse hongroise, les Saxonscrurent le moment venu de réduire cette po-pulation, hale, des Roumains, qu'ils avaientconsidérée des le debut comme des incendiaires.et des brigands, A la situation de serfs, destines.seulement A accrottre les revenus de leurs mattres._

Ils commencerent par expulser leurs voisins-roumains, assurant le gouvernement que leurpresence est plutôt préjudiciable aux autres habi-tants, utiles au fisc, et que, d'ailleurs, le nombre des.habitants saxons s'accroit sans cesse ; cependantd'autres se plaignent au meme gouvernernentque les Roumains, qui, comme serfs, n'auraientque le droit A un salaire, quittent leurs villageset laissent un desert dans les districts saxons._Des mémoires présentes au même gouvernement

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demandaient que les privileges des Roumains,bien que d'une si faible importance, comme celui-des bateliers du MuraS, a Alba-Julia, fussent an-mil& ; les patres qui passaient en Valachiedevaient payer au Trdsor une taxe spéciale aumoment ou ils quittaient la Principautd. Onxecommandait aussi des mesures contre lesRoumains employes aux mines du pays, qui seseraient enrichis a ce metier. Les villages quientouraient les villes saxonnes avaient joui, ainsi,qu'on l'a vu précédemment, d'une autonomieentiere. A ce moment les bourgeois de Sebe§ul-Sfisesc se plaignent que les paysans procedentA l'élection de leurs juges sans demander lapermission a personne. Partout on exige desservices féodaux de cette population libre jusqu'a,ce moment et ne devant que certains revenus al'autorité politique fix& dans la ville voisine.Les magistrats saxons recueillaient des rensei-gnements pour pouvoir confondre ensuite les,droits éventuels de certains nobles hongrois surune partie de la population roumaine avec leurspropres prétentions, qu'ils cherchent ainsi ajustifier. Le but dernier était de pouvoir as-sujettir cette population roumaine a toute espece4e travail, et a toute heure, sans aucun droit deprotester, et en deniant tout ce qui découlait en.sa faveur d'une tradition sdculaire.

Les prêtres roumains furent également atteints.par ces mesures. Les Saxons prétendaient que

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leur immunite, assurée par les recents privilegesde l'empereur, ne pouvait s'etendre que sur lesbiens de l'8glise, et non pas sur les fundi civilessur leurs possession en tant qu'individus. Lenombre des pretres roumains leur paraissaitexorbitant: deux seuls auraient suffi pour chaquevillage, méme s'il y avait plusieurs églises. Ils-demandaient qu'on leur interdise de couvrir de-leur immunité les veuves des pretres, chantreset autres parents qui habitaient sous le meme-toit, de vendre des boissons ; des investigateurs'plus siveres furent nommés pour une con-scription", et le résultat de cette enquete correspondit beaucoup plus aux intentions de ceux.qui l'avaient provoquee qu'à la réalite qu'ilsavaient pu constater. On vit des pretres roumains-dépouillés de leur bien, battus, mis en chafnes,.chasses de leurs paroisses. On leur imposait de-payer l'impot, les portions", dans les mêmes.conditions que les simples paysans. Bien que letheologien" eat demandé un sursis jusqu'kl'arrivée de l'eveque, les persecutions n'en con-linuaient pas mins, le but dernier &ant de fairepartir cette population abhorrée ou de la réduireau servage. Les penseurs politiques de la nationsaxonne prétendaient que les Saxons représentent,,non seulement une nation politiques, mais aussiune nationalité territoriale, et que la Transylvanieet les Transylvains se trouvent en dehors des_limites de leur domination, qu'ils entendaientnationaliser dans le sens allemand.

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Pataki intervint pour faire retirer des decisionsarbitraires, mais ii était incapable de modifier-les conceptions intéressees qui les avaient pro-voquées. Ii s'opposa contre les dimes que pre-tendaient les pretres saxons et contre les actesde violence qui atteignaient même la dignite de-son Eglise, et on lui répondit que le chapitre deHermannstadt a seul le droit de decider et qu'entout cas deux pretres et meme un seul suffisentpour chaque communauté rurale roumaine. L'éveque fut contraint de declarer que, si on refusetout respect a une confession qui est celle del'empereur, si on denie la valeur des privileges accordes meme par les princes reformés,ii usera lui-même de ces privileges et recourraau secours d'un patron" qui est plus fort quetous les privileges de Transylvanie. Le délégue-de Pataki, Maxay, Roumain d'origine, avait prepare une entente, mais, a ce moment meme, lemécontentement des Roumains éclata.

II devait se diriger contre tous ceux qui leuravaient fait du mal ou avaient de mauvaisesintentions manifestés a leur egard. Mais non, leursimple raison leur faisait croire que tous leursmalheurs dérivaient de l'acte d'abdication reli-gieuse qui avait été accompli par Théophile etAthanase, que cette malheureuse union avec Romeitait la cause de tous leurs maux, qu'en l'atta-quant, on s'en prenait a l'étranger lui-même, qu'onse vengeait meme contre l'empereur, qui avait

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promis en vain d'etre le redresseur des torts. Ce-qui devait etre uue resistance nationale commencapar etre une discorde entre les membres de lameme nation, profitant A ces dillérentes catego-ries d'etrangers qu'on avait l'interet de combattre.-C'était plus que ne voulaient meme ceux qui-avaient contribué A la decadence de la nationsous ce nouveau regime '.

Des 1720 les Roumains du côte de Inidoara-attaquaient Deva et oserent s'opposer memeaux soldats. En 1727 une autre révolte &late ducOte d'Abrud. Depuis la révolte de Francois RA-koczy, le mécontentement des paysans ne s'étaitpas manifesté par des actes de rebellion, mais-A ce moment les Roumains de Brapv essayentde s'organiser sous un protopope autonome,ayant des droits de jurisdiction sur les neuf-eglises des villages dans le voisinage de la ville.On espérait pouvoir gagner aussi l'adherencedes orthodoxes de Figira§ et de certains villagesdans d'autres regions de la Transylvanie, et jus--que dans le pays des Szekler. Pataki dut corn-battre pour conserver au moins l'eglise de saville de residence. Au synode du mois de février1725, tenu au milieu des paysans de SAmbita,il demanda , justice centre les Roumains de Fi-

' A partir d'ici une riche information de detail eatdonnee par M. Silviu Dragomir, dans son etude ourcette guerre civile, Istorla desroblril religioase, Sibiiu1920, 1930, 2 vol.

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Ora*, qui ne veulent pas le reconnaitre comme-eveque, ni le rnentionner clans leurs prieres";ne se soumettent pas dans le terme de quinzejours, ii appellera a son secours les Allemands",_c'est-a-dire les soldats. Mais le successeur de-Rabutin et de Stainville, Tige, n'avait guere l'hu-meur batailleuse, et il refusa énergiquement de-servir les Transylvains d'une confession qu'ilméprisait comme tout le monde, et il allait jus-qu'a offrir de defendre ces rebelles contre une-éventuelle action violente de la part de l'eveque._

Dans les regions occidentales, l'eveque d'Aractgagnait chaque jour du terrain sur le territoire-habité par les Roumains, qui déclaraient vouloirpluted mourir que de rester dans une situation,dans laquelle l'Union et le servage leur parais--saient equivalents. Et, lorsqu'il s'agissait de corn-battre cette propagande serbe, les agents dugouvernement ne pensaient pas a l'eveque de-Transylvanie, malgré son titre et ses droits, mais-bien a Michel Kebel, l'eveque catholique d'Orade,..qui les rnettait en action.

Et, pour signaler un dernier danger, ceux quirestaient fideles a l'Union étaient tentes de seconfondre dans l'8glise latine. L'eveque catholique-magyar avait commence par un office que célébradans sa residence un des protopopes rou-mains, clans sa langue nationale, puisque touteorganisation du ctite des Magyars manquait en-core. Les Roumains devaient payer cet honneur

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s'ils.

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par des concessions successives. En 1715 lespretres de cette nation porterent sur leurs épaulesle cercueil du provincial jdsuite ; on les vit seréunir a leurs collegues catholiques pendant laprocession de la Fete-Dieu. A Cluj on ne fai--salt presque pas de distinction entre l'Eglisede rite romain et celle de rite oriental; a Si-'Win le chef des Jesuites nommait des pretrespour les villages voisins; a Hateg le protopopeToumain servait d'interprete aux prédicateurs-catholiques.

C'est dans ces circonstances que Pataki mourut,encore tres jeune, le 9 octobre 1727, et, le len-demain meme de sa mort, les deux églises de-sa residence furent occupées par les adversairesde l'Union. Des agitateurs apparaissaient surdivers points de la province, et l'autorite militaireassistait impassible a leur action. Dosithde, l'é--veque du Maramoureche, bien que jetd en pri-.son a Cluj en 1726, avait regagné sa position,et il consacrait des pretres memes pour des

-villages de Transylvanie. L'administration dujesuite allemand Adam Fitter n'diait pas denature a gagner des fideles a l'Union et, lorsqu'ilfallut rassembler un synode, vu que Fagara§-dtait perdue, on choisit le village roumain pres-des portes de Cluj.

On aurait abandonnd l'eglise uniate entre les4nains de Fitter, si on n'avait fini par craindre A

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Vienne la mine complete des efforts faits pour-catechiser les Roumains. C'est pourquoi, au prin-temps de l'annee 1728, on procéda, sous la .

presidence de l'eveque catholique de Transyl-vanie, Antall ly, A l'élection d'un nouvel &Nue.Les candidats furent presentes par Fitter, et laCour désirait si peu maintenir le caractere na-tional A cette Eglise, qu'elle insistait pour l'élec-tion de liodermarski, un Ruthene, ancien éveque-uniate de Munkács, qui avait rendu des services Ala cause de la propagande catholique au milieudes Roumains. En seconde ligne figurait le curecatholique de FigAras, et, pour rappeler l'origineroumaine de cet éveché, on avait ajoute, commepar ironie, le nom d'un pauvre écolier, fils depaysans du village de Sad, pres de Sibiiu, JeanMicu. Ce fut ce dernier cependant que nommal'empereur, le 25 Wrier 1729.

L'acte de sa nomination contenait deux nou-veaux elements de déchéance pour son Siegeepiscopal: il devait dependre de l'archeveque-primat de Gran, et non pas du Pape, ainsi quecela avait eu lieu sous Pataki, et enfin, tandisque ce dernier avait échappé, par ses connais-sances étendues, A la surveillance du théolo-glen", ce surveillant était rélntégre dans ses..droits, vu la preparation, plus que mediocre, du,nouvel eveque.

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XVII.

La lutte pour les droits politiques desRoumains sous l'evaque Jean Innocent Klein.

L'empereur commenca par accorder au nouveleveque, pour accroitre son importance, le titrede baron, et A cette occasion on traduisit sonnom en allemand, de sorte que des ce momentil se fit appeler lui-meme avec ce nom donnepar l'empereur: Klein. Puis, l'eveque élu entradans les ordres, prenant le nom d'innocent.Apres un long noviciat a Munkács et des effortsaupres de la Cour romaine, que l'Age et la pre-paration si mediocre du candidat devaient étonner,ii fut préconise" par le Pape le 13 septembre1730 et sa consecration eut lieu le 25 octobresuivant de l'ancien style. Mais, comme ii fallaitterminer son education, le diocese roumain con-tinuait A rester sous l'administration des JesuitesGifirgey et Regai, jusqu'à l'installation de l'eveque,qui eut lieu le 28 septembre 1732.

Son administration devait avoir un caractererévolutionnaire que personne ne pouvait soup-conner a ses debuts. Cet écolier d'un Age milr

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N. (corga

qui n'avait recu aucune preparation speciale etauquel les affaires politiques étaient restées corn-pletement etrangeres, devait changer le point devue meme de la nation roumaine, qu'il entendaitreprésenter dans son entier en ce qui concerneses relations avec l'empereur et les nations pri-vilegiees de la Transylvanie. II n'avait été questionjusqu'a ce moment que des privileges accordésau clerge roumain et dont la mise en executionavait été retardée jusqu'alors. Le second diplOmeimperial n'était connu presque par personne, etii n'y avait parmi les Roumains aucune classe,aucun individu en état de demander des droitspolitiques s'étendant a la nation entiere. Athanasen'avait eu aucun inter& a relever, dans son hu-miliation perpetuelle et dans les vicissitudes desa situation, cette partie des concessions imp&riales qui concernait les laics. On ne pourraitaffirmer que Pataki fut initie dans les conditionssecretes du pacte de 1701 ; en tout cas, préoc-cupé exclusivement par une lutte malheureusecontre ceux qui ne voulaient pas reconnaltre sonautorité et, en outre, pretre avant tout, il nepensa jamais, pendant les quelques années deson administration, a jouer un role politique ona représenter, sous le rapport politique, sa nationentiere.

Au contraire, des le debut, Jean Innocent Micupose la question roumaine sur la base nationale,

qu'on l'entend aujourd'hui. Eveque des Rou.

CS

tette

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Fig. 2. Vue de Blaj.

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mains, il entendait etre leur chef national etreprésenter sa nation dans tons ses droits etdans toutes ses aspirations. Le 19 mars 1735,aussitôt apres son voyage a Vienne, il s'exprimaitde la fawn suivante sur les droits historiquesdes Roumains: nous sommes les maitres here-ditaires dans ce pays des rois des repoque deTrajan, bien avant que la nation saxonne futentree en Transylvanie, et nous y avons jusqu'-aujourd'hui des dornaines entiers et des villagesqui nous appartiennent en propre. Nous avonsété &rases par des charges de toute espece etpar des miseres millenaires de la part de ceuxqui ont ere plus puissants que nous" 1.

Il n'hesitait pas a declarer devant l'empereurlin-men-re que notre nation n'est pas inferieurea n'irnporte quelle autre de Transylvanie, soitpar la vertu, soit par la science, soit par l'expe-rience dans les affaires" a. Enfin, A une troisierneoccasion, il affirmait nettement que sur cetteterre de Transylvanie, la nation roumaine n'estpas seulement la plus ancienne, mais aussi laplus nombreuse". Et, se basant sur ce qua-druple droit: de l'ancienneté, des sacrifices faitspour le pays, du grand nombre et des qualitésnécessaires pour participer A la conduite des

I Nilles, ouvr. cite, pp. 527-529.2 Bunea, loan lnocentiu Klein, p. 37 note 2.4 Nilles, ouvr, cite, p. 519.

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affaires, il demanda et s'obstina A exiger lareconnaissance des Roumains comme une nationpolitique, l'assimilation de leur situation A celledes peuples voisins, leur introduction completeet solennelle dans la vie politique du pays.

On se demande quelle put etre pour cetecolier retardataire, la source de ces idees, quin'avaient jamais été exprimees par un clercroumain de Transylvanie. II ne taut pas oublierles relations qui se maintenaient, étroites, entreles Principautes et le clergé transylvain, le grandnombre de livres religieux qui entraient dansles églises de la province, mais il ne faut passe cacher non plus que rien dans la preface Ileces ouvrages ne rappelait l'origine romaine etne parlait de droits nationaux. 11 y avait ce-pendant aussi d'autres ecrits qui passaient enmanuscrit de ce côté des montagnes, A savoirces chroniques roumaines : moldaves, dues AMiron et Nicolas Costin, A Démetre Cantémir,prince de ce pays, ou bien valaques, comme laChronique des origines roumaines par ConstantinCantacuzene, qui, redigee pendant la sccondemoitie du XVII-e siecle et les premieres annéesdu siecle suivant, contenaient avant tout cesaffirmations énergiques et Beres du credo latin,des opuscules entiers étant consacrés A prouvercette descendance glorieuse. Les commencementsde !Wale historique en Transylvanie, parmi les

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representants de !aquae figurait le propre neveude Jean Innocent, Samuel, qui ne commencacependant son activite que quelques dizainestrannees plus tard, auraient eté impossibles sansla lecture assidue de ces manuscrits rares et sansl'adoption entiere des idées qui en découlaientet qui étaient capables d'inluser un courageinattendu a ces descendants de pauvres villa-geois, de pretres illettrés et de serfs a la dis-cretion de leurs maitres. Nous hésiterions ce-pendant a affirmer gull put y avoir une influencedirecte de ces chroniques sur l'esprit du nouveleveque. 1.;&ole confessionelle des catholiques,dont les maitres étaient pour la plupart desHongrois, n'aurait guere eu intéret a r6pandreparA ses éleves roumains des notions historiques qui pouvaient etre dangereuses pour l'avenir.Mais l'enseignement qu'on y donnait était avanttout latin, comme dans tous les établissementsdes jésuites; on communiquait surtout dans lalangue de Rome la connaissance de son histoire,du classicisme latin entier, qui était en memetemps romain, en ce qui concerne les tetidancespolitiques: il fallait bien peu pour qu'un esprit&eine, ou au moins tres attentif, comme l'étaitcelui de Jean Innocent Micu, mit en relation lesrécits d'histoire concernant Trajan et le passeromain et ce qui pouvait pénétrer de la propa-gande latine des chroniqueurs dans les villagesroumains de Transylvanie. C'est sans doute de

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cette !Ligon que se formerent pour le nouveaurepresentant de la race roumaine en Transyl-vanie les idées qui devaient dominer sa vieentiere et le mener jusqu'au sacrifice.

Nous avons déjà dit qu'il ne se considdraitpas seulement comme l'eveque de la partie,devenu tres restreinte, de sa nation, qui avaitadopté l'Union et qui tenait encore au dogmecatholique. Rien ne le rebuta dans ses efforts pouretre reconnu par tous les siens. S'étant adresseaux habitants de Bra§ov, qui lui répondirentqu'ils ne veulent rien avoir a faire avec lui, cequi s'explique bien a un moment ou ils soup-gonnaient meme l'eveque de Ramnic, a causede sa situation officielle, d'avoir fait aux Imp&riaux des concessions en ce qui concerne l'or-thodoxie, il eut le courage de se presenter, en1733, au milieu de cette importante communautéroumaine qui avait été pour longtemps l'antrememe du schisme. L'administration lui donnaun gite dans la forteresse, et il demanda auxRoumains la permission d'officier dans l'églisede Saint-Nicolas. La réponse fut dure : il n'arri-verait a le 1 aire qu'en employant la violence. Onne pouvait l'empecher d'assister tout au moins Al'office, telle fut l'objection de l'eveque. ll yassista en effet, bien que pas sur le siege épis-copal, mais assis sur une chaise qui avait etéapportée expressément et placée au milieu de

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Fig. 3. L'ev8que Jean Pataki.

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réglise". II demanda oeulement de ne pas re-peter les attaques contre l'Union. C'est tout ce

espérait pouvoir obtenir de ces schismati-ques recalcitrants que sa presence reavait paconvaincre

II ne pouvait pas esperer non plus des succesdu côté du Maramoureche oii, apres la mort deDosithee (1735), persecute jusqu'au bout parl'autorité militaire, l'eveque de Munkács avait étéen &at de réunir la province entiere sous sonautorité et d'empêcher l'election des évequesroumains dans la tradition orthodoxe de JosephStoica. Du reste, en 1733, la diete de Transyl-vanie avait reconnu le décret imperial de reuniondu Maramoureche avec la Hongrie.

Les Serbes d'Arad etaient tellement puissantsque rien ne pouvait etre entrepris contre leursaggressions continuelles.

En Transylvanie, Pataki avait compte 400 .

pretres qui ne voulaient se soumettre a ses ordresou qui etaient du moins satisfaits de tenir a.

l'ancienne loi, et une constitution officielle dugouvernement porte que meme ces pretres quétaient de fait uniates se rendaient, a la suite destroubles et des insultes, dans les deux princi-pautés roumaines, ainsi que dans le Banat et leMaramoureche, pour etre de nouveau consacrespar des eveques schismatiques"

Voir la Chronique de l'eglise, publiée par M. Stlughe.9 Hurmuzaki, XV, pp. 1627-1628.

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quit

I.

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Et cependant Jean Innocent Klein avait ungrand avantage sur tous ces rebelles a son. au-torité, et cet avantage lui permettait de s'intitulersans abus chef religieux des Roumains pourpouvoir etre le chef politique de leurs revendi-cations. Les partisans de l'ancienne tradition,bien que tres nombreux, n'avaient rien de com-mun entre eux sous le rapport hierarchique. Ilsformaient des communautés isolées, autonomes,mais n'avaient pas d'autre organisation que leursrelations capricieuses, sporadiques avec l'evequevalaque de RAmnic, dont l'autorité dut cesser en1739, lorsque l'empereur perdit la Valachie au-trichienne, ou avec ce Siege serbe de Belgrade,transporté, apres 1739, A Carlowitz, qui se trou-vait bien loin et dont l'action était, malgré leprivilege dont joilissait la nation serbe, vue demauvais oeil par l'officialité, ainsi qu'on le con-stata bien a l'occasion de l'inspection faite aBrapv par le délégue du métropolite slave, Ni-canor, éveque de Krouchédol. Or l'Eglise unieétait une organisation reconnue par Feat, pro-tegee, tout de même, par l'autorité, jouissant del'appui, bien que timide, de l'empereur. II n'yavait pas d'autre &eche pour les Roumainsayant a sa tete un chef résidant dans la provincememe, et c'est ce qui formait la supériorité évi-dente de l'eveque de Fagfira.

Un autre element de force, en ce qui concerneces relations avec l'empereur, celui qui lui per-

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mettait de se presenter comme mandataire d'un-peuple entier, dérivait des premieres relationsentre son Eglise et la Cour. Des le debut, l'em-pereur ne s'était adressé a personne autre, parmiles Roumains, qu'aux chef de leur tglise tra-ditionnelle. II en résultait la reconnaissance dece chef religieux comme chef de la nation elle-meme, puisque les concessions faites par LeopoldI-er ne concernaient pas le clergé seul, mais tousles représentants de la nation. C'etait un pointgagne une fois pour toutes, et les successeursd'Athanase pouvaient se prévaloir toujours decette reconnaissance pour parler a l'empereur aunom de tous les Roumains, de n'importe quelleclasse, et meme au nom de ces rebelles dont lasituation religieuse n'était que tolérée provisoire-ment et que l'empereur lui-meme aurait desirevoir entrer dans le bercail de ce pasteur.

Dans son oeuvre de revendications, Jean Inno-cent Klein ne pouvait s'adresser a personne autrequ'au souverain, directement. II savait bien quela noblesse de Transylvanie n'allait jamais per-mettre l'égalisation politique des Roumains: d'a-bord parce qu'ils étaient Magyars et qu'un instinctnational qui s'était developpé au cours du XVII-esitcle leur interdisait toute espece de pacte avecune nation qu'ils considCraient comme soumisepar la conquete a leur bon plaisir et ensuiteparce que, en tant que seigneurs terriens, ilsavaient tout intéret, de meme que les Saxons,

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leurs allies pout cette raison meme, A tenir sousle joug social les milliers de travailleurs appar-tenant a ce peuple qui ne devait jamais devenirune nation. Sans compter que, du moment quel'Eglise roumaine s'était ralliée A la confessioncatholique pour faire plaisir A l'empereur et pourattirer sur elle la grace du Trône, il ne pouvaitiplus etre question d'un appui venu de la parttie ces nobles, restes attaches pour la plupart ala confession réformee.

La diete de Transylvanie &all entre les mainsdes Saxons et des nobles. Klein obtint, il est vrai,le droit de parler dans cette diete, et nous ver-ions bientOt les declarations qu'il osa y faire etl'accueil qu'elles rencontrerent, mais il était tout--A-fait impossible de s'imaginer que les prétentionsroumaines eussent pu etre écoutées dans ce mi-lieu de privilegies acharnés, oh elles devaient,naturellement, soulever des protestations violenteset des offenses. La nation catholique°, récemment

.créée, n'avait pas de racines dans le pays, etceux qui la représentaient, des membres duclerge latin, etaient avant tout des Magyars. Restaitla Cour seule, le trône de l'empereur, pour re-cevoir les doleances et pour donner une satis-faction que l'eveque croyait etre due aux soul-frances et aux services, A l'importance numériqueet économique de son peuple.

Des l'année 1732 il découvrit le second diplômede Leopold l-er et, sur la base des concessions

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qui y dtaient comprises, il s'adressa a l'ernpereurCharles VI,. en lui exposant qu'aucune des pro-messes de sea antecesseurs n'avait realisee,que ses pretres payaient encore la dime memeaux seigneurs terriens et aux clercs d'autresconfessions, et non seulement au fisc, qu'ilsdtaient astreints aux douanes, aux peages, queles clercs roumains n'ont aucun droit a ceitedime payee par leurs fideles, qu'on demande derestreindre le nombre des pretres au-dessous desbesoins du service divin selon le rite oriental,que le role joue par le théologien" est inutileet genant pour son, autorité

L'empereur rdpondit, apres de longs ambages,en renvoy ant la petition de l'eveque uniate a laDiete de Transylvanie. La commission spécialequi devait rddiger le rapport comprenait aussiriveque catholique, un ennemi, a Me de Klein,qui obtenait ainsi le droit de participer aux sean-ces de l'assemblde.

La diete se montra tout-a-fait récalcitrante. Sonopinion fut que ces prétentions, qui concernaientaussi les lees, doivent etre soumises a un exa-men attentif : il taut une enquete concernant lenombre des pretres roumains et leurs revenus,mais, en rneme temps aussi, sur l'authentieité de

' La Worm de l'empereur se trouve dans Nilles,ouvr. cite, pp. 513-517, et dans Hurmuzaki, XV. Cf. pp.1659-16e0 du volume citd de ls collection Hurmuzaki.

ete

1.

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l'acte d'union a l'Eglise catholique. On objectaitencore que l'eveque ne fait pas tout ce qui serattpossible pour faire avancer cette oeuvre.

Ce ne fut qu'apres deux ans, et apres unenouvelle intervention de l'empereur, qu'une nou-velle commission entama ses travaux. Elle rejetala plupart des demandes de l'eveque, et pourles autres elle s'en rapportait a l'opinion de laDiete. Elle croyait que les Roumains non libres,meme s'ils appartenaient a l'Eglise unie, doiventrester dans leur condition antérieure et que ceuxmemes qui sont libres peuvent avoir des relationsde servage en ce qui concerne le territoire nonfibre qu'ils possedent.

Les Saxons de Sibiiu refusaient a ce momenta l'eveque lui-même le droit d'acheter un do-maine sur leur territoire et, de son We, le gou-vernement de Transylvanie, auquel les intentionsde l'eveque avaient eté revelees par indiscretion,presents ses observations dans le ton le plusinjurieux, tel que jamais une administration pu-blique n'a cru pouvoir l'adopter a regard d'unenombreuse population completement soumise ason autorité. II ne peut etre question, disait-il, del'union réelle, car ces Va !agues sont, sans excep-tion, des ignorants, des schismatiques invétérés,qui conservent encore leurs superstitions peen-nes, de vrais sorciers ; on ne peut esperer uneconversion sérieuse de la part de cette nationqu'au jugement dernier, lorsque l'humanité en-

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ttiere sera reunie sous un seul pasteur. Les pretresirleclarent forrnellement qu'ils ne jurent que pour4chapper aux charges sociales : partout l'ancienCredo est conserve, on emploie les anciens livres,.-on ne trouve nulle part l'explication du nouveaudogme ; on continue A faire des prieres pour lesalut de l'Ame des morts d'une maniere qui est4a negation de l'enseignement catholique. LesiRoumains sont en effet nombreux, mais dans-le sens strict du mot il est impossible de lesTommer une nation", parce qu'ils ne forment-qu'une masse de paysans, serfs dans leur gi-inéralité", vagabonds refugiés, a demi barbares,sinon barbares dans la pleine acception du terme,-adonnés A tous les vices et les crimes, ennemisdes catholiques et de la confession catholique etcapables d'etre les plus acharnés persEcuteurs de-cetle confession, s'ils en trouvent le moyen.'Quelques nobles detaches de cette plebe ne se-raient pas en Oat de remplir les fonctions admi-tnistratives. Pendant les troubles provoques parda révolte de Ráltdczy, presque tous les Rou-mains, nobles et paysans", ont suivi les drapeaux-du rebelle, cornmettftnt toute espece de pillages-aux dépens de la noblesse, dont ils ont verseaneme le sang; ils fournissent la plupart desbrigands qui dévastent la province, et les nobles-doivent se tenir toujours sur leurs gardes acause des empietements et des violences de leurs-serfs. Ces gens ne craignent pas Dieu, de mettle

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SO N. lopga

ne eraignent pas l'autorite; ii preferenttoujours se soustraire aux charges legaies euemigrant en Valachie, et, s la situation du pay.-san dans cette principauté était meilleure, pasun n resterait sur ta terre de Transylvanie.

A cote de ces injures on trouvait le moyen1par an bizarre artifice de logique, de montrer aufise imperial que ces Valaques ne rapportent,en, lin de compte, qi.se tres peu au Trésor : kursimpOts sont payes, disait le gouvernementi parles seigneur& terriens, oubliant que les sei-gneurs terriens reauraient rien pu payer sans leiabeur incessant de ces paysans II y avait mem&un passagei dans ce mernoire infame,. qui visaitAireeternent révéque lui-même il n'a pas dequell* politique, n'est pa& initie dans les affairesd'etat et ne connalt pas le droir ; ii n'est pas-en état de tenir un discours en hongrois; on nepeut lui reeonnaitre le droit de pagler au nomide sa nation, car la nation suppose an territoireiet ees vagabonds- sont parsemés au milieu desvraies nations, qui ont actuellement et qui onttoujours en ur territoire bien determine. Ad.mettre dans la Dieteo cet h*nme incapable, aunom d'une nation sauvage signifierait offenser les.principled families de Transylvanie, et memeles membres du elergé catholique.Itéveque aurait besoin de tout son temps pourilever ses prêtres au niveau de ceux deg autre&nations; dix eveques et théologiens ne sulliraient

quite

D'ailleurs

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Histoire des Roumains de Transylvanie 81

pas pour accomplir cette oeuvre difficile. On rele-vait encore ce fait que l'eveque roumain pourraitttre plus Age que son collegue latin et gagne-Tait ainsi une priorité sur ce prelat, auquel ilne peut prétendre etre égalisé sous aucunrapport 1

A ce moment, Klein se trouvait a Vienne, et_ii y avait présenté un nouveau mémoire, oft il

osait transporter la question roumaine sur la_

nouvelle base de revendications nationales. Ilobserve que le nombre des families roumainess'éleve, d'apres le recensement de 1733, a 85.857,que cette population a relevé et soutient l'étatwine des catholiques" en Transylvanie, que sesRoumains ont toujours été fideles, que des di--plômes solennels leur ont été accordes et gullsont le droit, non seulement d'être représentés Ala Diete, mais aussi d'avoir leur délégué dans legouvernement : il:exigeait cette place pour lui 8.

On demands l'avis du general commandantr.qui trouva ces prétentions absurdes. Un nouvelajournement intervint, a la mode autrichienne,puis, par le décret du 24 octobre de cette memeannée, l'empereur se borna a interdire deS in-novations en Transylvanie aux dépens du dereet de l'eveque uniate, gull prenait sous sa pro-tection 8.

' Hurmuzaki, XV, pp. 1649-1652.' Bunea, ouvr. cite, p. 37 note 2.3 Hurmuzaki, XV, pp. 1652-1654.

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82 N. lorga

II fallait donc se presenter de nouveau devantla Diete. Au mois de mai de l'année suivante,jean Innocent demanda a l'assemblée des pri-vilegies: l'exemption totale pour tout son clerge,la reunion de la nation entiere sous son autoritéreligieuse, en interdisant les relations avec l'evequede la Valachie autrichienne; puis la defense detoute immixtion de la part des laIcs dans lesaffaires de son clergé, des dédommagements.pour ceux qui avaient été persécutés, la con-cession de portions canoniques" pour l'entretien,des pretres roumains. Mais, et c'est ce quidevait provoquer un scandale énorme, il voulaitaussi l'application du second diplôme de Leopold1-er, qui était arrive maintenant A la connaissancegénérale, sans qu'il eilt été présenté A la Dieteet enregistre dans ses actes, ce qui &all denature A amoindrir sa valeur legate. Les paysansmemes n'étaient pas oublids: ils devaient avoirle drolt de demander le jugement de l'eveque,de jouir de leurs droits traditionnels sur le ter-ritoire des Saxons, y compris l'usage des fo-vets, des eaux et des montagnes$ ils auraient pa-désormais exercer divers metiers, ne payer Indime qu'A leurs propres pretres, célébrer leurs.fetes selon les coutumes et pouvoir envoyer leursenfants A l'école I.

La Diete prétendit etre etonnée par le caractere

I Nines, ouvr. cite, p. 544.

-

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insolent de ces revendications, qu'elle n'auraitpas crues possibles. II fallait bien un nouveauMai afin d'etudier A fond la question, et, lorsque,la Cour elle-meme ayant fait des propositionsdans ce sens, le gouvernement de Transylvaniedut intervenir pour avoir une reponse, fat-ellememe provisoire, cette reponse était rédigée dansles ter:nes suivants : L'éveque et le clergé uniatesd emandent des choses que personne, n'a jamais,demandées A nos ancetres et ne pourraient les-demander A nos descendants; ils demandent deschoses absolument contraires aux lois de lanation, des choses qui derogent au plus hautdegre aux privileges ou exemptions anciennes,obtenues des rois et des princes ; ils demandentdes choses qui ne concordent pas avec les prag-inatiques du pays, confirmées par l'empereuractuel; ils demandent des choses qui ruinent-dans leur fondement les droits et les libertesdont ont joui jusqu'A present en paix les nationsde la patrie; ils demandent des choses qui font.la plus grande violence A la noblesse et A laprerogative nobiliaire, dont nous avons la seule.garde; ils demandent des choses qui ébranlentde fait tout le systeme de ce pays dament con--serve jusqu'aujourd'hui, dans les affaires reli-gieuses aussi bien que dans le domaine politique--et fiscal; ils demandent, enfin, ce qui ne pourraitjamais convenir au clerge et A la plebe des-Valaques, étant donne leur caractere bien connu"

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N. lorga

Du reste, on se reservait de consulter le pays-et d'intenter un procts de calomnie A l'evequequ avait ose porter atteinte a leur dignite 1.

Une autre négociation se poursuivait A OM-de eelle dont le caractere politique était predo-minant. Par deux Jesuites, ses representants,.Klein avait demande A la Diete. aussi de fixer-définitivement, d'apres le premier diplome deLeopold, la situation de ses pretres, et il était,dispose A Lire des concessions importantesacceptant l'intervention du seigneur terrien quand4ii s'agissait de eonsacrer un de ses serfs, ad-,rnettant le payement d'une taxe pour les pos-sessions particulieres du pretre, etc. De softOld, la commission était disposée a reconnattre-certains droits du clergé roumain ; mais, lorsqu'onarriva a préciser en quoi consistaient ces droits,.it lut impossible de s'entendre. En merne tempson denoncait l'eveque comme ayant tralique desparoisses, ayant consacre un nornbre de pretressupérieur aux besoins des fideles et a l'encontre-du droit des seigneurs terriens; ii aurait admis.des prétres qui avaient abjure l'Union apres lamort de son prédecesseur, ii aurait reconnu ceux-qui ont été consacrés apres cette date, contraire-ment A la decision impériale; ii aurait permisie-second mariage des pretres et commis un certain

Bunea, ouvr. cite, pp. 43-443 HurmLzaki, XV, pp...3655-1666.

84.

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Fig. 4. Levéque Jean Innocent Micu (Klein).

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Fig 5. La cathedrale de Blaj.

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Histoire des Roumains de Tiansylvanie 85 .

nombre d'autres attentats A la dignité du clerge.et A la ligalitd r Le gouvernement, de son cifIté,_demandait aux Saxons de lui fournir des mate-riaux contre l'eveque incommode . De son côté,la Cour renvoyait la discussion de tous cespoints et de toutes ces doléances A la Diete, quine devait ouvrir ses seances qu'au mois deseptembre de l'année 1737.

Ce fut une séance memorable que celle dans,laquelle, le 28 de ce mois, Jean Innocent Kleinprésenta de nouveau ses pretentions, ses pre-t-entions de droit surtout, devant les ennemis.schemes de sa cause. II declare parler en sonpropre nom et en celui de la nation roumainede Transylvanie 8 II n'y a pas de nation valaque,.il y a des Valaques"- ou une plebe valaque",fut la reponse, entremelde de cris et de hurle-ments, de la part des privilégies sans distinction,.la nation" catholique faisant chorus avec les.autres. Il faut rétracter ces termes offensants.pour que l'eveque puisse continuer. Mais il nevoulut rien rétracter, meme au risque d'êtreoblige d'interrompre la lecture de son mémoire.Le terme meme de gens" (gent) en ce qui con--cerne les Roumains, avait été declare inadmis-sible '.

I Hurmuzaki, XV, pp. 1654-1658.3 Cf. Mid, p. 1653 et nth,.$ Burma, ouvr. cite, p. 45.4 Ibid., pp. 45-46.

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N. I orga

Mais Klein etait allé trop loin pour reculer. II4tait soutenu, du reste, sinon par une nationqui n'avait qu'instinctivement la conscience deses droits, du moins par une grande partie de-ses protopopes. On s'en rend bien compte parle synode du mois de mai 1739, lorsque, avantde reconnaltre le nouveau theologien", le Jesuitehongrois Nicolas lanossy,l'assemblée lui dernandad'intervenir devant toutes les instances, sans lienepargner, pour que les pretres ne soient plusjetés en prison, battus, chasses par les seigneursterriens et pour que tous ceux qui doivent jouirdes droits garantis par le diplôme de Leopold I-ersoient conserves dans leur situation ; le Jesuitene s'opposera jamais aux consecrations du nom-+bre nécessaire des prdtres et il devra accorderson appui pour obtenir A tout le clergé roumainles revenus tant de lois promis. Comme en 1698,on tenait a ce que rien ne fat change en dehorsdes quatre points de dogme et a ce que le droit-canonique traditionnel ne f6t pas remplacé parle droit canonique de l'Eglise romaine. En ce<qui concerne l'eveque, ledit Jesuite aura une-conduite respectueuse A son égard, ainsi qu'i-celui du dere", en public et dans leurs rela-lions particulieres", s'interdisant de presenter desdenonciations contre son supérieur. Pour la pre-miere lois, sous ['impulsion de Klein lui-meme,on rappelait A ce surveillant que son institutionme peut etre considérée comme tegale que sur

86

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la base du second diplôme de l'empereur Leo-pold et que, par consequent, pour l'admettrefaut que les concessions concernant les lecs,..contenues dans ce diplôme, soient mises aus-sitôt en application ; vu qu'il jouit d'une des clau-ses de cet acte, it doit employer tous ses efforts.pour que les autres deviennent aussi une

A ce moment la guerre contre les Tures avaitamené pour l'Empire des défaites et des humi-liations. Les conquetes d'Eugene de Savoie étaientsur le point d'être perdues par le traité malheu-reux de Belgrade. La wort de l'empereur Char-les VI survint bient6t, et sa fille, Marie-Therese,.ne pouvait devenir de fait reine de Hongrie quepar l'appui de cette noblesse énergique et enthou-siaste qui aurait été un état de soutenir sontr6ne contre l'aggression de Frederic, roi dePrusse. Offenser cette nation magyare, porteratteinte A ses privileges du moyen-Age, A soninfluence decisive sur les allaires publiques,sa coutume de denier toute vocation politique aupeuple soumis, aurait signifiée péricliter l'avenirmeme du nouveau regne. Ces peuples, bien quenombreux, auraient-ils eu l'organisation, la con-science, la prompte decision, les moyens de-civilisation nécessaires pour remplacer ces Hon-grois, qu'une suprématie presque millenaire ren-

1 Nilles, ouvr. cite, pp. 544-548,

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realitel..

1

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S8 N. Iorga

Asa seuls dépositaires de la force politique dansle royaume ?

La question se posa sans doute aussi pour-l'éveque Klein. II était trop sage pour ne pas-comprendre les difficultes au milieu desquellesse debattait cette pauvre jeune reine, mais sondevoir lui imposait d'aller droit devant lui, An'importe quel prix, f0t-ce meme celui d'incom-inoder sa souveraine et de risquer sa propreposition comme éveque. Il ne voulait pas etre

un chien mort" au moment oh les siens itaientsoumis A toutes les formes de l'oppression:pluttrt que son sang sok verse pour leur cause",disait-il. Un dernier effort devait etre entrepris aVienne meme, puis, si la Cour resterait insensibleA la justice fie ses revendications, eh bien, il y4 tine instance supérieure A toutes les autres:Rome. Rome et la révolte.

il essaya de se concilier la faveur de laCour en offrant 5.000 soldats payés par le clergéwoumain et commandes par des officiers de la'nation, et cela, disait-il, bien que nous soyonsexclus des faveurs alors que nous sornmesloujours disposes A prendre notre part des char-ges". On ne lui demands pas d'organiser cettearmee nationale roumaine, et la cause gull re-présentait fut livrée de nouveau aux lenteursintentionnées, aux protocoles dilatoires et A lamalveillance secrete des chancelleries et des-commissions spéciales.

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A ce moment, ses pretentions s'etaient precisees. Invoquant le diplôme de 1701,1 il déclarait .que, de fait, les Roumains ne sont plus toleres,4mais recepti, admis dans le, droit constitutionnel,de. hi Transylvanie, que c'est un point déja gagne.et gull n'abandonnera jamais; que les preten,tions des Saxons, en ce qui concerne le cares-t6ve de La population roumaine vivant dans leurvoisinage, ne sod pas admissibles, car leurfundus regius est une terre de liberte pourn'importe quels de ses habitants. Il n'y a pas

discuter sur le contenu du second diplomede Leopold, mais seulernent a faire les derniresformes necessaires pour sa reception"., Si on,l'ageuse de vouloir creer une nouvelle nation enTransylvanie, il est dispose a faire les seulesconcessions possibles : que les Roumains, dans.le sena de ce diplôme, soient aggreges (adnu-nterentur) aux autres nations constitutionnellesc'est-a-dire qu'il faut les agreger a la nationhongroise dans les comtes, dans les districtst des.Szekler a. la nation de ces Szekler, stir le ter-ritoire dit royal a la nation saxonne, et qu'ilssoient en etat de jouir de tous les benefices etd'oceuper toutes les fonctions", ce qui signifiaitde fait, obtenir la majorite pour les Roumains.dans presque toutes ces nations. IL a luil'evaque,le- (boa de parler ainsi, car, s!il n'y a aucunediffieulte pour que les Roumains supported-toutes les charges à l'egal des autres nations

A.

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,et même plus que toutes les autres nations-ensemble autant en ce qui concerne les contri-butions que le payement des dignitaires dupays, pourquoi ne pas les classer au memeniveau que ces nations aussi en ce qui concerne4es faveurs? Car le droit naturel lui.meme pros--crit que celui qui porte les charges doit en avoiraussi les avantages." D'abord confirmer le di-plôme et ensuite on peut s'adresser a la Diete IL'eveque entend etre conseiller imperial, ainsique l'a éte Athanase, mais aussi participer afaction du gouvernement. Que l'on n'objecte pas.kla presence parmi ces membres des catholiques,-ses coreligionnaires, scar ce sont des Hongrois,et non pas des Roumains, et par haine nationale41s veulent retenir les Roumains uniates sous leurjoug comme des serviteurs et des esclaves va-laques*. Ces deux eveques, le notaire du synodeet le theologien doivent etre reçus parmi lesciembres de la Diet; ou bien, si l'on trouve..que les membres du clerge catholique suffisent,_squ'on laisse y penetrer des Roumains laiquesunis, du rite grec". Les nobles, faisant partied'une classe dont on suppute le nombre a 800Jamilles, doivent avoir aussi leur place dans letribunal royal et dans les autres offices. Et,quant aux paysans, il faut les admettre dans les,corporations, car ces Roumains ne sont pas desimples serfs, ainsi qu'on le pretend : sur leIterritoire de liberté accorde par les rois de

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liongrie aux Saxons, leur nombre est superieurA celui de la population allemande. Mine pourceux qui sont serfs, c'est un devoir d'allegerleur situation en fixant leurs journées de travailA deux seules par semaine, alors qu'A l'encontrede l'ordonnance impériale de 1742,1es seigneursterriens les ont élevées A quatre ; les terresqu'on leur a ravies doivent etre restituées. Tousles abus provoques par la haine nationale dela part des magistrats saxons doivent cesser '.

Vienne avait toujours un moyen d'échapper Aune decision : le système de ses chancelleriesdemandait nécessairement l'avis des commissionset le renvoi A l'instance legate. On signifiait enmeme temps A l'eveque que sa presence aVienne n'etait plus desirable et que ses voyagesfrequents dans la Capitale ne correspondaientpas aux intentions du gouvernement. Quant ases pretentious, elles pourront etre prises enconsideration A une époque plus paisible".Ce qui avait été admis des points présentesdans son mémoire lui fut communique par laposte le 9 septembre 1743, pour eviler unereponse.

On nous traite pire que des Juifs-, s'EcriaKlein A la reception de ces communications;

I Pour tout ce qui concerne ces revendications, voyBunea, ouvr. cite, pp. 69-85.

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est-ce- donc tout ce qu'on peut faire pour unenation qui compte plus de 500.000 Ames et qui

toujours donnê les prelates de sa fidélitéabsolue ?" C'est tout ce pouvait faire a cemoment oil une action lui était interdite par lesgirconstances.

11 comparut devant la Diete de Transylvaniecomme un accuse et comme l'objet de la riséede ses collegues; ii dut s'entendre dire par lesreprésentants. légaux de la Transylvanie que sanation est composee d'émigrés et de brigands,cje paresseux incorrigibles, de gens sans parole,qui ont simuld l'Unioa pour en tirer profit,que tous les Roumains sont la propriété desseigneurs terriens" et, sous le rapport politique,une plebe tolérie". L'impératrice avait demandeque les Roumains unis fussent réunis a l'étatcatholique, ce qui signifiait mecontenter cet &atmans accroitre leur importance politique, le nombredes catholiques étant extremement réduit. LaDiete ne voulut admettre que les nobles seulset elle evita de, les grouper sous le drapeattcatholique, en décidant que chacurt des noblesayant des propriétés terriennes pourra etre agrégea la confession qui domine dans le district oilse trouvent ses terres

Le gouvernement avait promis, des l'année1738, en échange des domaines de SAmbita et

' Bunea, ouvr. cit4, p. 101.,

aquit

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de Cher la, qui avaient déjft ite accordés A Pataki,un autre domaine, d'un caractere unitaire, celui<le Blaj, mais la Diete trouva qu'on ne pouvaitreconnaitre A l'Eglise unie le droit A de nouvel-les donations impériales. Tous sont contrel'eveque", dit un de ses amis roumains, ,et ilest seul contre tous, au nom de son clerge etde sa nation, de sorte qu'il ne serait pas ex-traordinaire que par suite des persecutions detoute espece il perdit sa raison meme '."

Cette lois la nation *fit tine declaration solen-nelle A l'appui de ses droits, par la petition du19 juin 1744. Cette nation, le clergé en premiereligne, invoquait sa valeur numérique, ses servicesle droit naturel et eelui de l'histoire, le devoird'humanité et 4.:eux imposes par la religion chre-tienne, les intérets du pays et du Trône, et elleettaquait sans scrupules les quelques aliens,t alvinistes et lutheriens obstines" qui empeclientEaccomplissement des promesses impériales 2.

A ce moment l'eveque avait de nouveau éteappele A Vienne. Avant de partir, il voulut don-ner, outre cet acte ecrit, une grande manifestationpopulaire A l'appui des pretentions qu'il défendaitdepuis dix ans. II rassembla un synode, maisn on pas un synode habitue!: A côté des proto-popes et prétres, completement gagnés A sa cause,

I d, p. 100.' Hurmuzaki, VI, p 572 et suiv.

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il y avait des paysans en grand nombre : lapremiere assemblde populaire des Roumains deTransylvanie. Comme prétexte pour leur convo-cation, il mentionnait les troubles qui avaientéclatd sur divers points de la province et qui impo-saient le devoir de rassurer et conseiller ces genssimples sous l'egide de leur chef spirituel. Ondécida de continuer la lutte, ayant confiance dansla bontd de l'impératrice, mais, si on n'arriveraitcependant pas a aucun rdsultat, alors on abandonnerait l'Union. L'eveque était autorisd a presenterleur declaration solennelle, signée et scellde par'les chefs de la nation, devant le Trestle imperial.On demandait aussi, dans cet acte, dont on peutaffirmer l'existence, l'agrégation des paysansl'état constitutionnel auquel appartenait leur ter-ritoire, la restitution du texte dans lequet futconfirmé le diplôme de 1699, qui accordait auder& roumain uni la situation integrate de sescollegues de la confession A laquelle il s'est réuni,.la nomination d'un Roumain laique dans le gou-vernement, l'acceptation au moins du vicairecomme rnembre de la Diete et, point nouveaudans les revendications de la nation, l'éloignementdu théologiee, avec cette mention qu'il est d'uneautre nation et d'un autre rites '.

Si on avait fait venir A Vienne l'dOque, cen'dtait pas pour satisfaire A sa demande, mais

a Ibid., pp. 117-121.

A

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bien pour le rendre responsable de tout ce quis'était pasé dans le dernier temps parmi lapopulation rournaine de son diocese. On comp-tait faire son proces comme mauvais administrateur,comme faible défenseur de l'Union, cornrne auteuret fauteur des abus, comme révolutionnaire, enfin.Le premier parmi ceux qui deposerent contrelui fut son thdologien jésuite, le HongroisBalogh.

Une conference ministérielle" s'occupa de cetteaffaire, au mois de novembre. On décida desoumettre l'accusé a un interrogatoire, ce qu'ilrefusa énergiquement, comme étant contraire asa dignite et a ses droits. II sentait la cause desa nation perdue, et, puisqu'il ne s'agissait quede sa personne, il 6tait plus fort que ses per-sécuteurs. Le nonce apostolique le soutenaitdans sa resistance. Lorsqu'on lui cornmuniquaVordre de se presenter sans retard, il se decidaA partir, et, sans avertir personne, il se renditpar Venise a Rome pour comparaftre devantle Pape. Il devait y mourir vingt ans plus tardcomme exile: son tombeau, dans l'eglise d'A-racoeli, est depuis longtemps un but de peleri-nage pour les Roumains de Transylvanie.

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XVIII.

Révoltes des paysans roumains au nomde l'orthodoxie.

Le Siege roumain, dans les conditions déplo-rabies oit il se trouvait au XVIII-e siecle, combattudans son action par toute l'opinion publiquede l'epoque et appréciant outre mesure le secoursque pouvaient lui fournir les Etats, comme l'Au-triche, qui continuaient la tradition catholique,n'était évidemrnent pas en gtat de risquer uneseule parole au profit de la cause dont JeanInnocent Klein était tombd victime. II ne fit quedéfendre la personne de l'eveque, auquel, pendant-de longues annks, on demanda l'abdication pourpouvoir dormer un nouveau chef A son Eglise,et encore devait-it, A la fin, réunir ses efforts Aceux du gouvernement imperial pour amener lepauvre vieillard A renoncer définitivement a sasituation. II ne restait donc, pour la defense dea cause rournaine, que la revolte.

Elle était d'autant plus possible que dans lesderniers temps des ph6nomenes s'étaient passes

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dans la vie du bas peuple rournain qui devaientl'inciter a des mouvements violents.

Des l'année 1731, des paysans du district deFigara passaient en bande, pour &flapper auservage, dans la Valachie voisine, et le gou-vernement dut prendre des mesures pour ledésarmement de cette population. Le brigandageétait en progres, et dans chaque district il yavait des chefs redoutés. La défaite des arméesautrichiennes n'était pas de nature a assurerl'ordre public. Le manque de soldats avait amenéaussi l'enrôlement de paysans roumains, qui, enrevetant l'uniforme imperial, devenaient un exem-ple vivant de liberté pour leurs congéneres. Avantla paix de Belgrade, les Russes occuperent pen-dant quelque temps la Moldavie, et, pour qui-conque connait les chemins ténébreux qu'affecti-onne la politique russe, il est impossible de nepas admettre la presence d'émissaires au milieudes paysans orthodoxes de Transylvanie. Parleur convocation au synode de 1744,1es paysansunis avaient pu entendre la lecture du diplômede privileges accorde par leur souverain et ilsavaient pu constater la non-execution des clausescomprises dans cet acte. Du Me de Ffigiras,les anciens vecini, les inquilini, dont il a eteparle plus haut, étaient de plus en plus ramenesA la situation de serfs, au grand mécontentementde ceux qui avaient joui jusqu'alors (rune vieen quelque sorte dillérente. Lorsque lesdits pri-

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vileges furent communiques aux masses, a l'oc-casion du dernier synode de Klein, un grandcri s'éleva : Vos promesses sont mensongeres".

Du reste, il y avait une force organique enetat de susciter la révolte, de la provoquer pardes promesses de liberté et de la conduireselon les intérets d'une corporation politiqueetrangere. II s'agit des Serbes, qui avaient laferme intention d'employer leur situation privi-ligiee pour confondre leur cause nationale aveccelle de l'orthodoxie et annexer, au nom de laliberté des classes rurales, la Transylvanie entiere,avec tous les comtes extérieurs, a leur dominationnationale, sans que la Cour de Vienne, quiavait besoin de ces soldats, eat eu le couragede s'opposer par des mesures violentes a cetteaction de propagande incessante.

Tout au plus avait-on ose communiquer, en1732, au chef de cette Eglise ', que sa propagandeetait desagréable et qu'elle devait cesser. 11 &sitdésormais impossible d'empecher l'adhésion enmasse des Roumains a la cause serbe, qui étaitpour eux une cause de liberté sociale. S'il nousest permis", disaient les pretres, et que noussommes méme forces de travailler du matin ausoir, il faut bien nous permettre de penser Anotre Arne selon notre confession ".

' Hurmuzzki, XV, p. 1637.' Voir sortout l'artide du pere TAsiedan, dans la revue

Cultura CreAnd, I, p. 13 et euiv.

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A Orade, ville sacre pour la religioncatholique, car elle contient les restes du saintroi Ladislas, on voyait des processions de pre-tres roumains ayant A leur téte l'eveque serbeen vetements de céremonie. On essaya aussi defa violence, mais sans l'assentirnent de la C Air.Ledit éveque eut son cheval tue dans uneemeute, mais il n'en continua pas moins sesefforts. Appuyé sur le Banat entier, ou la tra-dition serbe de l'6veque Moise avait continuesous ses successeurs, Nicolas Dimitriévitch(1726.8), Maxime Nestorovitch (1738) et Eu-thyme Damianovitch, dont l'origine nationalecependant serait difficile A fixer, cette propagandeembrassait tout le territoire qui s'itendait jus-qu'aux limites occidentales de la Transylvanie.Elle avait une organisation parfaite, l'evequed'Arad jouissant, des 1742, aussi de droits epis-copaux a Caransebes et les emissaires serbespenetrant jusqu'd Brasov. L'eveque d'Arad s'in-titulait a cette époque aussi éveque d'Orade etdu district de Beius. Lorsque l'évéque catho-lique essayait de resister, son adversaire serben'hésitait pas a faire des declarations comme lasuivante: Je suis le maitre ici ; l'empereur m'adonné le droit de consacrer des pretres de maconfession, de fixer des paroisses, de les jugeret de les organiser selon mon bon plaisir, d'ou-vrir les églises a l'office divin ; tout cela m'ap-partient A moi, et non pas au pfispok Wegner'.

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On ne se génait guere de venter ouvertementles avantages de la nouvelle situation socialequ'aurait creee l'adhésion a l'orthodoxie. Si vousdevenez uniates, vous serez obliges de payer aus-sitat la dime", déclarait un de ces apotres, et lamultitude repondait qu'elle préferait moureque de revenir a l'ancien regime des taxes. Ceuxqu'on avait gagnés, devaient jurer de s'opposer

toute pression administrative. Des soldats serbesaccompagnaient leur éveque, qui apparaissait donea la tete d'une petite armee. Les pretres uniatesétaient battus et chasss; on leur arrachait lesclefs des eglises; on criait publiquement que lespapistes doivent etre enterrés vivants; on intro-duisait, dans des declarations redigées commedes contrats, la clause que ceux qui abandonnerontl'orthodoxie devront payer une amende de 500ducats. Lorsque les officiers de l'empereur ac-couraient pour retablir Vordre, ils trouvaient devanteux des centaines de paysans munis de batons,de fourehes et d'autres armes. Plusieurs lois laCour impériale decide une conscription pourmettre fin a cet eat de choses, mais, a chequenouvelle occasion, des protestations surgissaient,et cela finissait par des mouvements populairespires que ceux qui avaient amene cette mesurede pacification.

On n'a d'ailleurs qu'à comparer les chiffrespour se rendre compte, par la difference énormeentre le résultat d'une conscription et celui de

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l'autre, du caractere tout-a-fait factice de ces re-sultats. En 1736 la commission avail constaté140 communautes uniates et seulement 42 appar-tenant a l'orthodoxie; mais 102 villages n'avaientpas éte represent& du tout. En vain l'evequecatholique, Nicolas Csáky, homme tres riche,allait jusqu'a acheter des declarations confession-nelles en 4istribuant des vetements aux pretres.

Pour sauver au moins ce qu'il etait possibled'arracher aux Serbes, cet éveque prit la reso-lution de nommer une sorte de vicaire roumainavec le titre de grand protopope" ou de pro-topope de comte, et en effet en 1738 un pretrede Figiras appartenant a une famille de boiars,Basile Hatis, qui portait dans les actes latins lenom de Ladislas, un ancien candidat a l'évechd,qui avait &é vaincu par Pataki, fut installe aOrade pour y fonctionner jusqu'au mois de juin1746. Pour accroitre son prestige, une belleéglise fut batie dans cette ville pour les uniates,et l'eveque latin crea des bourses pour ceuxdes enfants des Roumains qui voulaient devenirpretres catholiques.

La propagande serbe continuait cependant. Ontenait des assemblées populaires. Tel pretre au-rait pris meme le titre de roi des Roumains°,préparant une vraie revolution au nom de l'or-thodoxie et pour le but supreme de la libertésociale et des droits politiques. Ce mouvementpopulaire trouvait d'ailleurs un appui aussi dans

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les moyens et l'influence de la grande commu--mute des marchands d'Orade, parmi lesquels iiy avait de riches Grecs de Macedoine. On re-presentait la confession catholique comme unekepouvantable hérésie, les uniates ayant le devoirde fouler aux pieds l'Evangile et la croix, detne pas observer les jettnes et de dire leursprieres la face tournee vers l'Occident"; la placememe ou ils se trouvent en est profanée". L'a-gitation entiere &all men& au nom de la nationde rite grec", et on écrivait ouvertement que leindtropolite Vincent de Belgrade avait obtenu del'empereur des privileges, non seulement pour

nation serbe", mais aussi pour toute lamation de confession grecque qui se trouve dansles provinces de l'empereur", et gull suffisait.donc de se soumettre a l'autorité supreme dumetropolite pour jouir de ces privileges extra-vrdinaires. Lorsque les envoyés des Roumains(le Brasov se présenterent, en 1736, a Krouchedol,Aont l'eveque avait visité quelques rnois aupara-vant leur communauté, on ne leur parts paslaeulement des droits de l'orthodoxie et de cesvagues privileges obtenus par le métropolite,mais l'eveque Nicanor leur presents aussi lesvases Précieux qui avaient servi jadis au dernierKlespote de la nation serbe1.

' Stinghe, Chronique de l'Eglise de $elsel, pp. 127wet Buhr.

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Ces projets politiques, incontestables, jouis-saient aussi de l'appni de certains des repré--sentants en exil des anciens princes nationauxde la Valachie.

Etienne Cantacuzene, successeur de Branco-veanu, avait eu le mtme sort que ce prince : il

avait &é execute par les Tures, ainsi que son.pere, le savant boYar Constantin Cantacuzene. Itlaissa deux fils : Radu et Constantin, dont le-

premier mena une existence d'aventurier a havers.l'Europe. Chef, Grand-Maitre de l'Ordre cons-tantinien" (nomme d'apres Constantin-le-Grand),il s'intitulait dans ses diplOmes Ange, FlaviusComnene, duc de Valachie et de Moldavie, deBessarabie, despote du Peloponese, prince deThessalie, de Macedoine, du Saint Empire Romaindes deux Empires, comte d'8pidaure, de Co-rinthe et du royaume apostolique de flongrie"marquis, baron et seigneur de differents districts,.villes et villages se trouvant dans l'heritage desa famille. Sa mere était morte en Transylvanie,oil il possedait dans le district de Fagfiras, laterre de Recea. Ses relations avec la noblesse etle clergé de Transylvanie itaient assez étroites,et l'éveque Jean Innocent lui-même ne dedaignapas de devenir membre de l'Ordre constantinien.Or ce Cantacuzene était un conspirateur plussérieux que ses titres. Comme Marie-Thereseavait refuse de l'avancer general, il se rendit aPétersbourg, oil son here Constantin habitait

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depuis longtemps, marie a une princesse Che-rémitev. Apres des conciliabules avec cet homme,de faible intelligence, general au service de laTzarine, il revint en Autriche pour passer ensuiteA Dresde et offrir en 1741 ses services A l'ennemi(les Habsbourg, Frederic de Prusse. Apres denouveaux voyages, il promit A Charles VII, lecontre ernpereur bavarois, d'organiser une grandecevolte de tous les orthodoxes de la monarchieautrichienne, a savoir Grecs, Valaques, Moldaves,Esclavons, Dalmatiens, Albanais" '.

11 y a des maiscontents beaucoup parmisles nations sclavone, vallaque, dans la Transyl-vanie, rossiene et croate, ceux du rite grecque,lesquelles ne peuvent jamais avoir bonne intel-ligence avec les Hongrois, depuis la rebellion(le Ragozzj, comme celes qui ont servit l'em-pereur Leopolde contre les Hongrois, et, comme.aujourd'hui la Hongrie at emporté la domination,sous pretexte de la religion, fait beaucoup deschicanes A la nation illyrique, de sort que, surle mMne pretexte sur la difference dans la reli-gion, le prince pourrait jouer son toure et causergrand brouillard de ce cote-la!"

1 Les actes concernant les agissements de Radu, qui sefaisait appeler Rodolphe, dans Papiu, Tesaur, III p. 106tt suiv., et dans nos Acte ;I Fragmente, 1, pp. 371-373.Les documents de son proces, dans Hurmuzaki, VI, p, 587et suiv.

Nous conservons dans ce qui suit de son memoirs Iebizarre style français et l'orthographe même du prétendant.

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On a conserve des lettres adressées par lesdeux freres au patriarche de Jerusalem, Chry-santhe: elles demandaient des livres, mais pa--raissaient avoir aussi d'autres intentions. Ceslettres sont datées de Serbie, et des relations.furent constatées entre ces deux princes, carConstantin était venu lui-meme en Autriche,et le pacha de Belgrade, plus tel moine mys-térieux tel boIar du village d'Arpas, dans ledistrict de Ffigiras, et surtout, bien entendu, lepatriarche serbe lui-meme, leur amitie pour le-métropolite Moise, prédécesseur de Vincent, &ant,notoire. Le secrétaire roumain de Radu Cants-cuzene, Vlad Botulescu de Mfiliiesti, un petitboTar de l'Olténie, fut aussi secrétaire dudit me-tropolite serbe. 11 avait en 1718 des relations.étroites aussi bien avec les Roumains de Trail-sylvanie qu'avec les Russes de Moscou 11 fautajouter encore ce fait qu'avant son depart deVienne Jean Innocent Klein lui-meme avait eu.des entrevues avec Cantacuzene. Tout cela devaitfinir par un grand proces de trahison, qui at-teignit Constantin seul, car Radu avait pris lesdevants : ii amena sa condamnation a mort, quihit commude en internement dans la prison de-

Voyez l'article de M. Silviu Eragomir our les WA--tions hierarchiques des Ruumains de Transylvanie avecles Russes au XV111-e siecle, dans rAnnuaire de l'Institutpidagogique et theologlque de Sibiiu pour 1914.

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Gratz, dont il ne sortit que pour mourir presqueaussitôt, en liberté.

Or, au moment meme oh on petit constateroes agissements, un moine originaire de KostaTnitza, en Bosnie, se presenta dans les regionsoccidentales de Transylvanie pour commencer, aDobra, A Or 4tie, puis dans les environs deSibiiu même, une propagande ouverte pour la-cause de l'orthodoxie. II s'appelait Bessarion Sarai,parlait de son pelerinage A Jerusalem, portaittin manteau rouge, et des images saintes étaientattachees a son chapeau. Une bande armee l'en--tourait, et les paysans, facilement gagnes parVaspect de cet êtranger qui ne savait pas mêmeparler leur langue et dans lequel ils voyaient-un apôtre et un sauveur, faisaient sonner les-cloches a son arrivée et semaient de fleurs sonchemin.

Klein n'avait pas encore quitté la Transylvanie,.et on l'accusa d'avoir, A regard de ce seducteur,qui fut mis en prison et disparut ensuite, uneattitude qui ressemblait A la connivence. II est-certain pourtant que ces troubles populaires luiitaient agréables, parce qu'il pouvait les employer-comme un nouvel argument pour le succes desa cause A Vienne.

En l'absence de l'eveque, le mouvementpopulaire devait se continuer d'autant plus que-ce qu'on racontait sur ses souffrances était faitpour accroitre le mécontentement general. Le&

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vicaires, - dont Pierre Paul Aaron, ancien con-seiner d'Athanase, devait etre son successeur -n'étaient pas de taille, Aaron etait un pauvreascete define d'energie, - a enrayer le mouvement..On recourut a toutes especes de moyens pourrétablir l'ordre, et pour la seconde fois on dis-tribua dans les villages roumains un acte dans-leur langue nationale, par lequel, rappelantanciens abus des calvinistes, on assurait les or-thodoxes que la Cour n'a guere l'intention deporter atteinte a la loi roumaine".

D'autres éveques, de creation populaire, sur-gissaient sur differents points de la province...Les Saxons accordaient tout leur appui auxfauteurs de troubles, espérant echapper ainsil'exécution des privileges garantis a l'8glise uniate,.et les nobles calviristes se faisaient un plaisirde soutenir les ennemis de l'empereur et de laconfession catholique. Le Roumain Maxay, devenu.comte du district de Cluj, essaya de rassemblerun synode, mais le nombre des protopopes.presents ne s'éleva qu'a dix-sept. Les emigrations_dans les Principautés et surtout en Moldavie re-commençaient : c'étatt un vrai effondrement.

En 1746 on fit un dernier effort pour sauverl'Union. Le nouvel eveque de Munkács, MichelManuel Olszavsky, accepté par les Roumains dela province, parut dans le village de Manastur,pres de Cluj, pour y tenir un nouveau synode,,,

les-

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auquel assisterent cinquante membres du clergé..On proposait de punir les révoltés, d'interdiretoute communication avec ces principautés rou-maines, d'expulser les moines, d'emprisonnerles pretres rebelles et surtout, ce que Vienne ne-voulait accorder a aucun prix, l'ambition perksonnelle de l'impératrice y &ant intéressee, derappeler l'eveque Innocent, dont le nom étaitinvoqué par les mecontents, leurs aspirations seresumant dans cet appel : Episcopul nostru tEpiscopul nostru 1" (Notre éveque, notre eve-que 16).

Un décret imperial du 5 avril, adressé au.clergé, aux nobles et A d'autres membres, den'importe quelle situation et condition, de la gent.des Roumains", rappelait, sans distinction con-fessionnelle, les faveurs comprises dans les deuxdiplOmes de Leopold I er et la concession duriche domaine de Blaj. 11 promettait de faireenregistrer dans le coJe des articles publics.de la Transylvaniea les nouveaux revenus despretres, pareils a ceux des serviteurs des con-fessions legates, l'agrégation de ces memespretres et des nobles aux categories constitu-tionnelles, l'exemption du clergé entier de toutedime et droits de douanes, de peage et autrescharges, la disposition d'accepter les Roumains.dans les fonctions, la permission d'envoyer méme-les fils des serfs dans les écoles. Le décret-contenait l'assurance formelle que personne ne

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-pensait A porter atteinte au rite roumain, qu'ono'a guere l'intention d'imposer les conversions,pourvu que les troubles prennent fin, car on-est decide A les r6primer par la force armee.Maxay devait faire partie de la commission deiluatre, chargde de garantir l'Union sous la di-lection de l'éveque de Munkács, et un autre Rou-main, un procureur general, Pierre Dobra, quiIraduisit en latin le droit canonique valaque, fi-gurait parmi les membres.

Ce qui rendit vaines ces promesses et cesassurances fut l'acte de désespoir de l'éveque.exile, qui lanca, le 12 novembre de cetle année,l'excommunication contre le theologien hongrois,lraitre envers sa personne, pour que, plus lard,la meme excommunication atteigne le vicairePierre Paul Aaron lui-meme, A la place duquel,des l'année 1747, fonctionnait comme vicaireNicolas de Balomir, un fauteur de l'orthodoxie,qui devait avoir des relations avec les Russes.Ce fat en vain que l'impératrice empecha Kleinqle recevoir ses revenus: il persista dans sadouble mesure contre ceux qui avaient empietésur ses droits et qu'il accusait d'avoir provoque-sa ruine. It ne craignait meme pas un proces<le lese-majesti.

L'excommunication eut un elf et foudroyant.Tout le monde voulait abandonner l'Union ; les-paysans baptisaient eux-memes leurs enfants etadministraient une espece de bizarre communion.

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Quand on rassembla un nouveau synode roumainen Transylvanie, ii repeta l'ancien programmepour lequel Innocent avait lutté jusqu'au bout,demandant entr'autres l'admission des Roumains.aux fonctions, pour que nous ayons des personnes disposees a prendre soin de nos miseres,de la misere de notre Am et de notre situationpolitique, le droit des paysans d'etre agrees-aux metiers et meme d'etre annoblis pour formerainsi une classe supérieure roumaine dans les.villages; le theologien d'un autre rite doit etre-éloigne et les Roumains reconnus comme nation..Notre nation, qui est, au-dessus de toutes les.autres, la plus nombreuse, doit etre déclarée pardipleime la quatrieme nation constitutionnellede la Transylvanie et des districts réunis et elledoit bénéficier de tous les bienfaits et de tous.les offices, au meme degre que les autres nations.constitutionnelles 1". Elle le mérite bien, car,entr'autres, elle surpasse les autres nations eace qui concerne son anciennetd dans la Dacie"..

On avait fait un pas plus loin que les revendications de Klein. Ce qu'on demandait maintenant ce n'était plus l'agrégation aux autres na

Si etiam natio nostra, in principatu, ptae caeteris, numerosissima, pro quarts recent& natione in Transylvaniaet partibus eidem annexis diplomatice declararetur es-setque capax omnium beneficiorum et officiorum adinstar aliarum receptarum natiunum"3 Bunea, ouvr.p. 285.

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lions constitutionnelles, mais bien ce que l'evtqueavait consenti A éviter : la creation de la qua-trieme nation pour les Roumains.

Ces demandes furent presentees a Vienne par-deux des disciples de Klein, revenus, depuis peu,,de Rome, ou Hs avaient fait leurs etudes, Syl-vestre Caliani et Gregoire Major. La Cour n'avaitplus le rnoyen de rejeter la responsabilité stirla Mete de Transylvanie, car depuis quelquetemps elle ne songeait guere A la convoquer.Son intention était A ce moment d'employer.d'autres moyens pour empecher les troublesparmi les Roumains : ceux de la violence ou.d'institutions nouvelles, d'un caractere ambigu,.devant satisfaire les mécontents par les appa-Tences seules, sans leur rendre justice au fond.

On commenca par el-6er un éveque roumainuniate A Orade, dependant du Siege catholique etin'ayant ni une denomination nettement exprimée,ni des frontier-es precises. Le 30 aciflt 1748, cettemission &ail confiée A un fils de marchandtroumain de Macedoine, originaire de Niagousta,pres de Salonique, Mélétius Covaciu, ancien pre-Ire soumis A l'hiérarchie serbe, qui avait aban-Aonne le clergi orthodoxe et avait été acceptépar les catholiques.1I devait etre eveque in partibusde Tégée, en Turquie, et remplir cependant dansle diocese catholique d'Orade les forictionsqu'un prelat latin ne pouvait remplir lui-merne.

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Un revenu annuel de 1.500 florins était assurea cet éveque auxiliaire", qui continua la tradi-tion du grand protopope" Ladislas Hata§. Pour-gagner la population, on publia en roumain leslettres pleines d'exhortations qui étaient adressees.a Mélétius par son supérieur hierarchique, I'd-veque d'Orade, Paul Forgdch, mais on l'aver-tissait, et on avertissait en meme temps ses-fideles, qu'il n'a pas le droit de faire des visites-canoniques, de convoquer des synodes, de nom-mer des pretres, de juger son clergé sans l'ap-probation de l'eveque latin ou de son vicaire-general; et cependant il était intituld notresecond eveque" I Et, dans un avertissement donne-au protopope, on pouvait lire ce qui suit :comme nous avons appris que tu crois dépendredans les affaires spirituelles de l'éveque NM&tins, je tiens a te donner l'assurance que Mélé-tins n'est pas éveque ici, oil nous sommes, le-seul chef spirituel, car il a eté consacre pourTegee, diocese se trouvant sous la dominationdes Infideles, de sorte qu'il ne peut s'y rendre,et c'est pourquoi nous l'avons pris aupres denous comme auxiliaire et pour accomplir certai-nes fonctions episcopates que nous ne pouvons.accomplir nous-mernes selon le rite grec. Tudois done savoir que le dit éveque Melétius n'Itaucune autorité ou puissance supérieure a cellequi lui frit confiée alors qu'il n'était que simple-archidiacre, qu'il ne petit consacrer les prêtres

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ni les dglises, ni les cloches; qu'il ne peut pas-visiter les pretres ou remplir d'autres fonctions4piscopales que dans le cas ou nous-mêmes oubien, en notre absence, notre vicaire general,l'dveque Fabri, hii aurait donne plein pouvoirdans ce but. Sans notre autorisation ou celle duvicaire il peut accomplir seulement des chosesd'une valeur inférieure, comme a I'dpoque oil il-etait archidiacre

Du reste on avait signifid au pauvre Mdletius,4es le commencement, gull n'est éveque qu'au-tant que durera notre bon plaisir" (unice usque.ad beneplacitum nostrum).

On pense bien quelles durent etre les occu-pations de ce prélat : il devait se débattre avecsla communauté orthodoxe d'Orade, qui ne con-sentait A le reconnaitre qu'A la condition de netrien changer A ses coutumes: on le volt de-mander l'intervention du gouvernement contre lesrdcalcitrants, sans avoir mérne la qualité tikes--saire pour pouvoir s'occuper de livres scolaires.Mais Vienne avait ce qu'elle avait desire: unifantólne episcopal destine A empecher l'immixtion{le l'hidrarchie serbe dans le domaine de son4veque latin.

Cependant, quelle que fAt la faiblesse de cet.dveque roumain, il eut plus tard le courage sde4commencer une vraie lutte avec son supdrieur,

1 Thiedan, dans la Cultura cre#ind, IV, pp. 265-276.

I".

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qui lui refill en 1749 la juridiction entière. Cinqans plus tard, le prelat roumain protestait devantune commission impériale, demandant, commel'avait fait Klein, pour la Transylvanie, l'exemp-tion de son clerge du payement de la dime etune organisation plus digne de sa Cour et deson administration episcopale. Il disirait avoirson vicaire, ses écoles populaires, une especede gymnase laique sous le titre d'orphanotro-phium, avec des cours en latin et en magyar,un seminaire, un monastere, des archidiacres,un secrétaire. II réussit A etre mande A Viennepour qu'une decision soit prise stir ses préten-Cons. Mais bientôt son rival latin obtint unepleine victoire; Mélétius n'eut qu'un entouragede clercs, parmi lesquels dominaient cependantceux qui appartenaient au rite latin. C'est dansces circonstances qu'il mourut en 1770, et levicaire latin magyar prit aussit6t, ainsi que l'avaitfait jadis le théologien pour le diocese de Fl-gfiras, l'administration des affaires.

Sa succession fut demandee par le protopopeSimeon et par un autre prélat, soupconne d'a-voir des intentions latinisantes, un fils de nobledu cOte de FAgAras, Dragoqi. Ce dernier futnommi par la Cour, le 5 novembre 1775, et le26 juillet de l'année suivante il obtenait sondiplôme. Cependant la Curie tardait A recon-naitre ce nouvel &Nue, qui ne fut canonise queplus tard. A cette occasion on fixait les limites

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de -son autorite, qui dtvait s'étendre aussi surte comte d'Arad et sur ceux qui formaient leBanat. Comme l'eveque de Transylvanie, ii etaitsoumis a l'autorité du Siege de Gran.

L'installation de Dragosi, qui administra sondiocese jusqu'aa 16 avril 1787, eut lieu au mi-lieu d'une grande manifestation de sympathie dela part du peuple, qui avait enfin un éveque au-thentique, et le gouvernement n'épargna rien pouraccroitre son prestige. Gregoire Maior, mainte-nant éveque de Blaj, etait venu de sa residencepour accomplir la cérémonie, au milieu des de-tonations d'artillerie de la forteresse. Dragosi,esprit sage, repondait aux felicitations par cesparoles de l'apôtre Paul: celui qui plante, n'estrien, ni celui qui Frrose, mais Dieu seul, quidonne le fruit". AussitOt apres, en 1781, il ob-tenait un domaine episcopal beaucoup plusitendu que celui de l'eveque uniate de Transylva-nie, et son clerge aussi tut allege de certainescharges qui pesaietlt sur lui antérieurement.

Mais cet &eche, richement doue, honore parla Monarchie, qui avait gagni une situation claireet definitive, n'avait, bien entendu, rien a voiravec les aspirations de la nation roumaine. Ja-

mais une pretention politique ne fut élevée,pour les masses paysannes ou pour les ele-ments supérieurs de ces fideles, par l'evequeDragosi.

It s'agissait maintenant de donner a la Tran-sylvanie aussi un autre lantOme episcopal, con-

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damnd a une existence d'oisiveté tout aussihonorable et d'une tout aussi solennelle impuis-sance. Mais il fallait d'abord liquider la situationde Klein.

C'était un peu difficile. L'agitation continuaitparmi les paysans. Le nouveau vicaire, tetroesepar l'administration, appele a Vienne pour rendrecompte de ses actions, avait quitte le pays pourse réfugier en Valachie. L'opposition contre 111-nion prit alors un caractere atroce. On creusaitdans les egli,es la place oil avaient fonctionnéles pretres rallies a l'eglise de Rome, afin defaire disparaitre toute trace de profanation ; onlavait les images saintes qui avaient recu leursbenedictions et on déterrait meme les morts quiavaient ete inhumes par les pretres excommu-nies, pour leur donner une meilleure sepulture;des bandes se presentaient sous les fenétres dugouverneur et apposaient des dcrits contre l'U-nion; des gens du commun, des bouchers, desouvriers, se rendaient a Vienne pour apporterles doléances du peuple. Une deputation de cinqpersonnes demanda l'eloignement des soldats misen quartier dans les villages pour en imposerau vulgaire. Le nombre de ceux qui cherchérentun refuge dans la principauté voisine de Va-fachie s'eleva a 16.000 hommes.

L'Eglise serbe employait, bien entendu, cetétat de choses pour l'extension de son influence.Au moment oil, dans les regions d'Orade, elleripandait la nouvelle que l'eveque Méletius a

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!Intention de se faire Allemand", on espéraitpouvoir gagner la Transylvanie entiere pour lepatriarche de Carlowitz. Enfin l'orthodoxie per-sécutée avait pris la decision de s'adresser al'autre protectrice, a celle qui représentait, aMoscou, l'ancienne foi orthodoxe.

De fait, depuis longtemps, ce voyage a Moscouqu'avait entrepris aussi Sabbas Brancovici et pht-sieurs membres du clergé roumain au XVII-esiecle, avait &é entrepris par tous ceux qui di-siraient obtenir des faveurs ou des secours. EnM90, puis en 1697, des pretres de Brasov reve-naient de Russie avec des livres d'office etd'autres presents ; en 1699 les Roumains de Si-biiu demandaient l'appui du Tzar pour obtenirla permission d'élever une église de leur con-fession dans l'enceinte de la ville. Le métropo-lite valaque Theodose avait denonci a l'arche-veque de Moscou, un patriarche, les violencesbites aux saintes églises de Transylvanie eta d'autres orthodoxes qui vivent en HongrieSuperieure" par les Jesuites, sous le prétexted'Union, en ajoutant que lui-meme et son princeont fait tout ce qui eait possible pour consoleret fortifier ses freres 1.

En 1743-1744, le protopope de Brasov, Eusta-tius, avait aussi rendu visite aux prelats russes,et la Tzarine tlisabeth avait accorde a l'eglise

I Silviu Dragomir, dans les Mémoires de l'AcadimieRountaine, anode 1913.

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de Saint-Nicolas l'argent nécessaire pour pou.voir entreprendre tine reparation radicale : sonnom fut écrit en lettres d'or sur le frontispice.

Lorsque Nicolas de Balomiri, le vicaire refugien Valachie, alla presenter des doléances a rim-pératrice, il tut accueilli tres favorablement. Lereprésentant de la Russie a Vienne fut invite afaire une intervention en faveur de ces pauvresorthodoxes sans defense, car les princes origi-mires du Phanar, de pauvres heres &Ins argentet sans influence, n'étaient plus en état de con-tinuer, au profit des Rouniains de Transylvanie,la politique qui avait fait la gloire d'un Cons-tantin Brâncoveanu et de ses prédécesseurs duXV1I-e siecle. En meme temps, un certain nombrede Roumains de Transylvanie précisaient leursdesiderata, demandant un eveque serbe. 11 fautse rappeler les anciennes relations des Serbes,qui s'intitulaient Serbo-Slovenes", avec les Russes,qui avaient envoyé au commencement du XVIII-esiecle le premier maitre d'école pour la province turque de Serbie, et l'émigration d'unnombre important de Serbes de Hongrie, des1751, en Russie, ou ils formerent la province dela Nouvelle Serbie. Des émigrés moscovites pa-raissaient dans les gtats de l'impératrice-reinepour raccoler de nouveaux habitants de ceUeprovince et pour acheter des chevaux de remonte.

Du reste, il y avait en Russie un certainnombre d'exiles roumains, comme le prétre Jeand'Aciliu, plenipotent du vicaire Nicolas, et comme

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ce moine Nicodeme, originaire de Belgrade, quiavait aussi êté chargé par les mécontents d'unemission A Vienne : les émissaires de la Tzarineavaient done le moyen d'être parfaitement in-formes sur les Oakes de cette province. Pluslard on retrouve la candidature d'un exarqued'Esclavonie", Gennadius Vassilievitch, qui you-lait etre l'eveque orthodoxe des Roumains, etle nouveau métropolite Paul Nenadovitsch re-commandait chaleureusement a ses coreligion-naires roumains d'intervenir aupres de Marie-Therese pour obtenir un éveque serbe d'uneorthodoxie assurée.

Des le 7 novembre 1750 le gouvernementautrichien avait cede aux instances de l'ambas-sadeur de Russie et avait accorde un edit de-

tolerance aux églises de Brasov, de Sibiiu etFfigiras, avec la faculté de s'adrninistrer commeelles l'entendaieut. Ce n'était pas sans doute unesolution de la question rournaine, devenue enapparence une question confessionnelle, maisc'était suivre la tradition viennoise d'ajourner,.d'ajourner sans cesse une decision desagréable,..

Le 8 octobre de cette rn3rne armee 1750,Klein s'étast decide enhn, presA par la misereet (ferule de toute protection, a se retirer; mais.ii ne signa l'acte si Iongterrips attendu par laCour de Vienne que le 7 mai de l'année sui-vante. L'ancien évéque recommandait A ses fideles,

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de se soumettre désormais au nouveau chefdesigné par l'impératrice '.

II fallait procéder maintenant a l'election deson successeur. Le synode tint ses stances le4 novembre de l'ancien style. Deux nobles rou-mains, deux fonctionnaires du gouvernementtransylvain en avaient la direction, Pierre Dobraet Maxay. L'impératrice aurait desire avoir comme&Nue Olszavski, qui aurait quitte son diocesedu Maramourtche pour venir s'etablir en Transyl-vanie. Des instructions forrnelles étaient donneesdans ce sens aux commissaires. On avait oubliécependant a Vienne que l'oeuvre de lutte po-litique accomplie par Klein devait necessairementavoir des consequences, que l'eveque dernissionniavait laisse dans sa patrie tout un groupe dejeunes disciples, qui étaient decides a perse-virer dans la meme voie de politique religieusemilitante et que ces clercs n'étaient guere disposesa tolérer la presence d'un &Nue &ranger a latete de leur diocese, qui était en meme tempsune forteresse de leur nation.

Ils objecterent qu'Olszavski ne connaissait pasle roumain, qu'en tous cas il n'était pas ni aumilieu de la population roumaine. Les troiscandidats qui devaient etre présentés a l'impera-trice furent done Aaron, le vicaire, Caliani et

1 Voy., sur les dernieres stinks de Klein, Z. Piclituinu,Corespondenfa din exil a episcopului Inochenlie MicuKlein, 1748-1768, Bucarest 1924.

6

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Gregoire Major, les deux chefs de cette jeunesseformée aux écoles de l'Occident, qui continuaitles traditions de Klein. Marie-Therese se résigna,bien qu'a contre-coeur, a nommer Aaron, etl'acte de nomination fut signé le 23 Wrier 1752.

La resistance qu'avait rencontrée cette candi-dature s'explique, non par les défauts personnelsd'Aaron, qui dtait, au contraire, un prelat d'unevie absolument pure, enclin a l'ascetisme, n'ayantnullement le souci de sa personne et dispose atout sacrifier pour sa confession catholique, qu'ilprisait avant tout, pour les dcoles et les institu-tions monacales qu'il comptait léguer a sa nation;mais il faisait partie aussi de ceux dont la pens&était dominée par le souvenir de l'origine ro-maine et par !Ideal qui en rdsultait. On a delui, en 1758, ces paroles qui montrent ie fondde sa pensee : il y a un reste des colons deTrajan et d'Adrien, selon le témoignage de l'his-toire, qui s'appellent jusqu'aujourd'hui Romainsou Roumains. Leur langage est latin, tres sem-blable a l'italien. Ils sont naturellement doux etenclins a tout art de la vie, ainsi qu'aux sciences,capables de vices aussi bien que de piétd. Maisjusqu'a ce moment ils ont &é cornpletementabandonnés et méprises par les peuples qui lesdominent, et meme par les hdretiques. C'estpourquoi ils sont tres rudes et denues de savoir.Les fardeaux imposes par le gouvernement etpar les seigneurs terriens les dcrasent comme

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les fils de Jacob en Pgypte ou comme les habi-tants contemporains du Paraguay ou du Bresir i.

On vit bien a Vienne, ou le nouvel eveque dutse rendre, qu'on n'avait pas A faire avec unsimple instrument. On voulait lui imposer letheologien etranger dans la personne d'un certainPállovics ou, apres que ce dernier efit obtenud'autres fonctions, dans celle d'un Allemand,Michel Salbeck, éleve A Jassy et qui connais-sait parfaitement le roumain. Mais Aaron etaitbien decide a ne pas accepter le surveillant, etVienne commencait a prendre ombrage, d'autantplus que ce moine ne voulait pas abandonnerles vetements qui rappelaient rtglise d'Orientpour revetir un habit selon la mode romaine,ainsi qu'on l'aurait desire 2.

Des mois se passerent sans qu'une resolutionflit prise. Caliani et Maior arriverent a Vienneen 1753 avec une nouvelle petition de la partdu clergé roumain. On redoubla d'efforts aupresd'Aaron pour lui faire accepter son théologien,et on recourut meme aux bons offices du Pape.Lorsque cette condition fut enfin acceptée, lenouvel eveque fut consacre, au mois d'aofit 1754,et en novernbre il pouvait commencer son ad-ministration.

, lorga, Sate # preofi, pp. 242-243.i Sur tout ce qui concerne Pierre Paul Aaron, voir

l'ouvrage de Bunea, Petra Paul Aaron.

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Ce qui avait été tranche n'était cependant quela question de la succession de Klein. A Vienneon avait bien nommé un nouveau theologien envertu du second diplôme de Leopold, mais, ence qui concerne les clauses favorisant l'élémentlaIque roumain et assurant A la nation une si-tuation constitutionnelle, personne n'y pensait.On troyait que Jean Innocent avait emporté dansson exil le drapeau de cette lutte qui ne devaitjamais plus recommencer et que les sujets rou-mains, utiles au fisc, allaient continuer leur exis-tence antérieure, muette et sans ideal.

On se trompait. Les paysans n'avaient pasfait le voyage de Vienne; ils n'avaient aucunintéret en fait de domaines et de situations; toutmoyen de les influencer manquait, pour les cer.des gouvernants. Tout-A-fait libres d'engagementset d'interets, ils se déciderent A continuer, dansleur rude maniere sauvage, la lutte que Kleinavait cornmencée dans les formes diplomatiquesde sa situation. Les Impériaux n'avaient obtenuqu'un seul résultat: celui de remplacer une actionlegate, sur laquelle ils pouvaient toujours exercerune influence, par des tumultes populaires, ca-pables de dégénérer en une vraie revolution,devant laquelle ils devaient ceder finalement.

Il n'y a personne qui ressente notre douleur:ni les seigneurs saxons, ni les seigneurs alle-mends et magyars", tel était le résumé desdoléances du peuple. Il croyait pouvoir compter

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sur l'appui des Serbes: reveque Synesius d'Arad,le metropolite Paul, qui ne manquaient pas d'at-tiser le mécontentement, gagnaient sans cessedu terrain sur la lisitre occidentale de la Tran-sylvanie, espérant, ainsi qu'il a déja été dit,pouvoir etendre l'action de rhiérarchie serbe surla Transylvanie entiere. Des agitateurs traver-saient la province, musiciens en tete, distribuantdes proclamations en roumain, rédigées a Car-lowitz, et recueillant des signatures pour la causeillyrique" et orthodoxe, dont la victoire auraitgaranti des privileges sociaux et politiques. AVienne, on ne se rendait pas précisement comptedu danger; on croyait que des mesures, commecelles qui furent prises en 1756, un simple aver-tissement adresse aux Serbes, suffiraient. Certainsparmi les conseillers de rimpératrice itaient aussid'avis qu'on pourrait permettre aux adherents del'orthodoxie de faire venir des pretres de laValachie voisine.

Mais le métropolite serbe protestait, déclaraptque c'était son droit de défendre l'orthodoxiepartout ou elle était menacde. II parlait de lapossibilit d'une emigration en masse vers laNouvelle Serbie russe. Comme, d'autre part, iaguerre de Sept Ans avait delete, il fallait tenircompte de toute espece de mécontentements.Aaron essaya d'une visite dans les districts pe-riclités ; a Sil4te, pres de Sibiiu, il fut insultépar la foule. Le pretre Jean etait revenu de

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Russie, et il travaillait dans son district, aussibien que dans ceux de Or4tie et de Ffigfira,qui étaient en pleine revolte. Un diplame impe-rial circulait, vrai ou faux, authentique ou trans-forme pour l'utilité de la cause, qui assurait lalibre pratique de l'ancienne loi". Et les Serbesrestaient inattaquables dans leur citadelle illy-rique, ayant une deputation" speciale, quis'occupait de leurs affaires a Vienne, qui lesavertissait de tout ce qui se tramait contre euxet les soutenait dans leurs pretentions.

Apres de longs debats, comme il &all impossible d'empecher la propagande, certains desministres, comme Bartenstein, furent d'avis qu'ilfallait nécessairement nommer pour les Roumainsun métropolite autonome. Il avait en vue unSerbe, l'eveque de Bude et des Champs deMoltke, Denis Novacovitch. Kaunitz luimême,le tout puissant chancelier, était d'avis qu'unéveque &Bit lquand même preferable A un chefde revolte. Parmi les Roumains de Transylvanie,beaucoup auraient volontiers accepté l'evequeserbe, et ils pensaient a Gennadius Vassiliévitch,

mais sans vouloir sa dependance de Carlowitz,car ils se rappelaient que les anciens évequesorthodoxes qui ont administre la Transylvanien'étaient pas consacrés par l'eveque de Carlowitz,rnais par celui de la Valachie". On aurait puadmettre que la Tzarine désignat le candidat,qui aurait eu des relations avec le synode russe,

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Fig. 7. Chateau de l'eveque de Blaj.

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*tout en conservant certains liens avec les Autri--chiens orthodoxes des possessions de l'empereur.

A ce moment les difficultés de la guerre s'i-talent accrues. Pour la deuxieme lois on deman-dait des soldats aux Roumains. Le regimentKálnoky se formait en Transylvanie en 1756.-Line assemblée speciale, composée des chefs du-clerge et de nobles de la nation roumaine, serassembla a Blaj, le 4 novembre de cette année,pour offrir un certain nombre de soldats, quiauraient servi sous le drapeau de notre nation,portant les enseignes de la Métropole; les troisarchanges". Et on observait que les soldatsallaient combattre plus volontiers sous ce dra-peau national que sous le drapeau des autresg.Le lieutenant qui les commandait fut Talabi, unlboTar du district de Figarm et parmi les offi--ciers on rencontre Pierre Rat, qui peut etre un-des descendants de la princesse valaque Zamfiradu XVI-e siecle. Du reste, d'autres Roumains-servaient dans divers regiments hongrois;Vienne il y avait un general qui portait le nomde l'ancienne famille, originaire du district deInidoara, I3udai. Ori peut ajouter que, vu que la-Tzarine &sit a ce moment l'alliée de Marie-'Therese, on lui offrit aussi des soldats roumainsorthodoxes, un r:girnent de mille hussards, et,dans l'acte par lequel on faisait cette offre, ii4tait dit: ,en ce moment nos freres de la meme

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loi versent leur sang pour la religion et l'Eglisemais, apres la guerre et la conclusion de la paix,.une autre persecution s'abattra sur nous, plus.terrible encore, et on ne tiendra nullement compte-de notre service fidele de jour et de nuit" '.

Des le 13 octobre 1758, l'impératrice avait-adopte l'opinion de Kaunitz, qui consistait anomrner un eveque, autonome" pour la Tran-sylvanie, sans toutefois specifier la personne..Les Serbes apprirent aussitôt cette decision ettravaillerent de toutes leurs forces pour fairedesigner un membre de leur nation. Dans unepetition, redigee en 1759, les droits des Roumainsetaient exposes d'une maniere claire et énergique,révoltee pour ainsi dire: Si la Reine a besoinde soldats, les Valaques sont prêts a marchern'importe oh des gens de bonne volonté sontdemandes; les Saxons ne marchent pas, les-autres nations pas davantage, les Valaques seulsmarchent toujours, et les Saxons disent que lesterres leur appartiennent, et de meme les autresnations, et ils prennent nos vignobles et nosterres, de sorte que nous n'avons plus oh nousabriter, et nous payons les contributions, nous,les Valaques, dans une proportion supérieure a-celles des autres nations qui se trouvent en

' Voir l'article de M. Silviu Dragomir, dans l'Annuaire-chi, et son aulre article, dans la Revista teologicd deSibiiu, Ill, p. 70.

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Transylvanie, et cependant ils disent que la terrefeur appartient. Quand il s'agit de quartiers etde transports, nous livrons plus, nous, les Va !a-ques, que toutes les autres nations ensemble.Nous demandons ou bien un éveque de loigrecque et serbe, ou bien, si on ne peut nousl'accorder, qu'on nous laisse la frontiere ouverte,pour que nous quittions le pays, étant libres denous établir là di notre religion sera admise etoil nous trouverons de la terre pour vivre" 1.

Et cependant la Cour de Vienne ajournaittoujours, se réservant de tenir cornpte des con-stitutions, des delimitations confessionnelles quitlevront etre !sites. Tout au plus avait-on donneau metropolite Nénadovitch l'assurance qu'il yaura un évêque non-uni, mais en ajoutant quel'hierarchie serbe n'avait aucun droit de se meterdes choses de Transylvanie. Le 13 juillet 1759enfin, un nouveau décret de tolerance fut accordé,avec une clause promettant l'amnistie, mais a lacondition d'arrêter definitivernent les troublesprovoques par les prétres étrangers et de rendred l'Eglise uniate tout ce qui lui avait été usurpe.Des ordres hes gracieux" devaient prochaine-ment venir de la part de la souveraine.

Or les Roumains interpréterent la tolerancecomme une permission de continuer leur mou-vement de révolte jusqu'au moment oil ils auront

' Silviu Dragomir, loc. cit., pp. 72-73.

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atteint leur but. Ce mouvement trouva bientótdes chefs inergiques. L'un était le protopope deSad, le pretre Molnar, dit Tunsul 1, c'est-i-dire leTondu, parce qu'on l'avait défroqué, et l'autre,un simple serf de la famille des Barcsai, pretredans le village de Chioar, Sophronius, qui selaisait appeler du nom, tres vulgaire, de Stanlorsqu'il n'était qu'un simple villageois parmi les.autres. Sophronius fut bientôt l'apOtre de larivolte, un apôtre adore par les paysans tres.nombreux qui l'accompagnaient en grand nombredans ses excursions et voyages. II imitait detoutes facons le moine bosniaque de 1745, Bes-sarion Sara. Vetu a la maniere paysanne, itportait dans sa poche un sceau grand commeun thaler imperial", qui devait prouver le Ca-ractere officiel de sa mission. II s'attribuait letitre de vicaire du Saint-Synode de Carlowitz",reconnaissant a son lieutenant, le pretre Georges.d'Abrud, dans les montagnes occidentales, celui dejure" de la meme instance ecclesiastique. Ses re-lations avec les Serbes et les Russes sont certaines.

Sophronius partit des districts de Zarand etd'Inidoara, traversant le Bihor, ou une commissionspéciale, envoyée par la Cour, avait tout recem-ment reconnu les droits de l'orthodoxie, mais ala condition habituelle de rendre aux catholiquesou aux uniates les églises qui avaient passe entre

A Voy les eludes de M. J. Lupas, dans les Mint. Ac,Roum,, 3 ème aerie.

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les mains des heterodoxes. Sur le drapeau dela révolte, il y avait ecrit: liberte de religion",et le vicaire" promettait une separation pro-chaine entre uniates et non-uniates, demandantdes declarations par ecrit et annonçant que touteplainte peut etre portée devant sa residence, quisera établie A Deva ; il ajoutait gull ne fallaitjamais ceder les églises.

On hesita avant de l'arreter et de le trans-porter dans la forteresse impériale de Alba-Julia,d'ofi la multitude le délivra aussit8t. II revint dansla region oil le mouvement avait éclaté toutd'abord. On essaya encore d'une proclamationimperiale imprimée en roumain dans la nouvelletypographie de Blaj, au mois de mars 1760, maissans aucun effet. Les paysans repondaient a laDiete provisoire de Déva dans ces termes: nousTie sommes pas des animaux, ainsi que le croitVotre Grandeur, nous avons nos églises". So-phronius parcourait comme un roi" les regionsd'Abrud et de Zlatna, oil les paysans du domaineToyal, employes aux mines de l'Etat, lui formaientTine garde Ore. Les routes, les foires étaient Ala disposition des révoltés, qui n'hésitaient pas adeclarer ouvertement que la puissance des sei-gneurs a cesse; c'est nous qui sommes main-tenant les seigneurs". Apres que le pretre Molnariut arrêté dans la region du Nord Est de laTransylvanie, Sophronius fut capture pour la.seconde lois par les soldats, et A savoir dans le

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centre de son action, Abrud. Mais, quelqueslieues plus loin, une bande de paysans s'abattitsur les gardiens, qui durent mettre en liberté denouveau l'apOtre", partout ceux qui avaientarretés durent etre relaches, sous les menaces.de la foule, qui ne tuait personne, mais n'é-pargnait pas non plus les injures et les coups..Seuls les edifices appartenant a l'empereur itaientpreserves. L'eveque uniate était considéré commele plus grand ennemi de la bonne cause, etAaron dut s'enluir a Sibiiu, alors que son thio-logien se cachait dans la Capita le de la province,

Vienne avait employe tour a tour les moyensde la violence et ceux de la douceur. Tout-a-coupselle changea d'attitude: Sophronius ne fut pasreconnu, bien entendu, comme un pillier de-l'ordre public, mais, afin de pouvoir conserver-des relations avec le tout-puissant chef des pay-sans, on lui délivra un sauf-conduit, qu'il employ&pour traverser la province entière et étendre les.limites de sa souverainete de révolte. On trem-blait a Alba-Julia pendant le synode qu'il y avaitconvoque, comme s'il avait été un évaque, aumois de février 1761, afin de prendre la decisionde ne pas rendre les églises et de ne pas ac-quitter les impOts.

Alors le grand coup fut porte pour rétablircan la paix. Le general Buccow fut envoyé,.au mois de mars suivant, avec deux collegues

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allernands, afin de rendre possible rdrection d'un,6feché non-uniate, employant les soldats dont i1disposait contre la rëvolte. 11 avait aussi la mis-sion d'alléger les taxes et de canaliser le pen-chant guerrier des Roumains, en les faisant entrerdans une nouvelle mince de frontiere. Personnene s'attendait A l'arriv6e du genéral, lorsqu'ilparut A la fin du mois de mars A Sibiiu. Sophro-nius ne résista pas; son instinct politique &sitcomplété par les conseils de certaines personnesqui avaient fait des etudes et qui l'entouraient.En qualité de secrétaire figurait le fils du pro-topope de Brasov, Eustatius Grid, qui avait ire-quenté les écoles de Pdtersbourg et en étaitrevenu avec des connaissances peu communes,ce Démetre Eustatievici, futur auteur de gram-maire et traducteur, qui, pour le moment, avaitrapporté de RAmnic une edition roumaine dutexte des privileges illyriques". Buccow n'avaitpas encore atteint les frontieres de la Transyl-vanie, lorsque lapôtre" fit paraitre une procla-mation, datCe du 10 mars de l'ancien style, par-laquelle il annoncait que l'impératrice a permisl'exercice de la loi orthodoxe que nous avonshéritée de nos peres et de nos ancêtres", qu'elleinterdisait seulement les injures entre les deuxcamps religieux, qu'elle laissait aux uniates leséglises, les maisons et les terres qui leur avaientappartenu, mais au village tout le reste et que la

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'Cour s'est decidée enfin i nommer un evequeorthodoxe"

Le 9 avril, la commision imperiale, de son.côté, publiait une proclamation, par laquelle elleassurait la population de l'amour que lui por-lait l'impératrice, de sa disposition a pardonner4es actes d'anarchie accomplis et a accorderl'eveque depuis longtemps desire: un deléguedes deux partis devait se presenter a Sibiiu le26 du mois, pour cheque comté, siege oudistrict".

Aussit6t Sophronius, entouré par la multitudedevenue pacifique, arrivait dans la vine et seprésentait devant le general avec le mémoire.comprenant ce que désiraient les Roumains deTransylvanie de rite grec non-uniate" Ils rappe-laient d'abord leurs droits: Nous payons les.contributions et remplissons tous les ordres im-périaux. Nous promettons de les accomplir do--Tel-levant aussi et meme de verser notre sangpour notre reine tres-gracieuse" ; ils n'insultentpas la religion uniate, mais ils refusent de la-Teconnaitre et de l'adopter. Leur désir est d'avoirun éveque avec la permission du pi-diet deCarlowitz et l'assentiment des magnats de Tran-

ylvanie"; leurs pretres doivent etre exemptesdes contributions, de même que sont exemptésPies cures des Saxons et beaucoup d'autres, car

' Voir- les actes publiés dans le vol. IV de nos Studii4i documente.

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nos prêtres aussi disent des prieres pour l&reine". Ils veulent que leurs églises et le ter-rain qui les entoure restent en leur possession,.car elles ont éte Wes par eux ou par leurspredécesseurs. Jusqu'A l'installation de l'eveque,,il faut bien permettre la consecration des pretres.dans les provinces roumaines voisines. Attri-buant aux arrestations les troubles qui avaient-sévi jusqu'alors, ils demandent la mise en li-berté de leurs delegués envoyés A Vienne, et en,premiere ligne celle du pretre Molnar. Quant &lui, Sophronius, il ne veut etre admis que-comme docteur" pour catichiser ces Roumainsauxquels il doit sa mission.

On arriva cependant a s'entendre. Pour le-

moment Sophronius signa un acte de pacifica-tion, a la condition que l'orthodoxie soit tole-rée ; mais la commission arriva A imposer sonpoint de vue : que les pretres ne doivent pas-etre consacres au-delA des frontieres, que per-.sonne ne doit se saisir des églises appartenant-aux uniates et de leurs propriétes, que tout ce-qui a Me occupé doit etre restitué, que les pre-.tres doivent payer leur portion". L'eveque non-uniate" ne sera nommé qu'au cas oh l'ordreserait respecté. On exemptera les pretres de la,capitation et on délivrera ceux des chefs arrétésqui se trouveraient encore en prison ; pent-etrememe un privilege serait accordé, pareil A celui;dont jouissaient les habitants de Brasov et les.

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'Grecs". Or ces habitants de Brasov, désiraienti'autonomie, avec des officiers sépares, desjuges et des jurés totalement distincts du magis-trat de la vine et detaches de l'obedience en verslui 1" On se demande bien ce qu'il pouva it yavoir de commun entre un simple privilege decommerce de la Compagnie grecque et entre lasatisfaction possible des prétentions légitimesd'une nation entiere.

Apres cela, le 4 septembre, Buccow installaitclans l'église de Saint Nicolas a Brasov l'evequeserbe Denis Novacovici, qui n'etait guere enchante-du rOle qu'on lui faisait jouer. Les troupes présen-ierent les armes, de beaux discours furent pro-nonces de part et d'autre, en latin, car l'eveque,connaissait aussi peu le roumain que le generallui-meme; il y eut méme un banquet pour clórele spectacle. Le diplOme pour la nominationde Denis ne devait arriver que plus tard.

Quant a Sophronius, il erra encore pendantluelque temps a travers la province, il tint encoretin synode a Zlatna, il nomma des protopopesselon son habitude, mais, peu de temps apres,les soldats de Buccow le poursuivirent dans lamontagne et le contraignirent a prendre la fuite.II fut condamné a cinq mois de prison et sonlieutenant a dix Tous ceux qui étaient soupcon-

I Voy. nos Sate # preoti. p. 303, note 3, et notrepublication Brapvut $1 Romdall, pp. 320-321.

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nés d'entretenir des relations avec eux étaientmis hors la loi.

Etait-ce bien la fin ? On pouvait le croire. Lepauvre éveque serbe, qui aurait bien desire re-venir a Bude au milieu de ses paroissiens pluscivilises, végetait tristement dans une maison devillage, a Raginari, pres de Sibiiu, aide seulementpar un secretaire serbe, Basile Mirolioub, parEustatievici et par un bofar de Figaras, DanielMarginai. 11 était reconnu par le metropolite de-Bucarest, par l'eveque de Ramnic, par certainsprotopopes uniate meme, par Mélétius Covacinet, bien entendu, par ses collegues serbes. Quanta la Compagnie grecque, elle ne voulait rienavoir a faire avec lui, et les Roumains de Brasovle contraignirent a signer une profession de foiorthodoxe, Les protopopes qui avaient joue ungrand role pendant la révolte le consicléraientcomme un intrus et faisaient des plaisanteries-sur sa qualité de Serbe, en hongrois Rdcz, nompouvant etre rapproché de ratA", qui en roumainsignilie canard". Comme la Cour lui imposaitde recueillir des impots pour soutenir les fraisde guerre, sa faible popularité en fut encorediminuée.

Ce qui rendait surtout sa situation difficilec'dtaient les mesures séveres qui furent prisesafin de propager par la force roeuvre de con-version. Les orthodoxes ne pouvaient obtenirune église que dans le cas oil le village enfier

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saurait abandonné l'Union ; autrement, meme au-cas ob la majorite aurait été orthodoxe, l'édificesacré ne pouvait lui revenir qu'au cas ob elleaurait pu prouver que l'église avait été batieavant 1700 et en prenant l'engagement d'éleverune autre église pour les uniates. Partout ob le-fisc avait contribué aux frais de construction del'église, elle devait appartenir aux uniates; lesbiens des églises qui venaient de la munificenceimpériale devaient appartenir au pretre uniate,meme s'il n'avait pas de fideles, pour passer,apres sa mort, au fisc, au seigneur terrien, a la-communauté, pourvu que ce ne soit pas au pretrecnon-uniate. 11 était permis a quiconque de passer4 l'Union, mais seul celui qui avait fait sa de-claration jusqu'au 30 mars 1761 pouvait etretonsidéré comme orthodoxe. A Figira, ofi desrtroubles avaient &late, le culte orthodoxe futtotalement interdit, et ceux qui ne voulaient pas4tccepter l'Union étaient chimes des corporations.Les soldats des frontieres devaient etre uniates,et, comme on vérifiait strictement cette qualitéTeligieuse, des mécontentements se produisirent,et ceux qui furent soupçonnés de les avoir-excites périrent par la corde ou par la roue. Lessoldats entraient a peine dans les villages, qu'ils41evaient les potences. Les habitants effrayés ne43emandaient rien de plus et allaient chercherrefuge dans les forets. Novacovici lui-meme étaitaverti dans des termes durs que sa religion

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n'était que tolérée en Transylvanie et qu'il n'avaitpar consequent a entraver d'aucune maniere lesprogres de l'Union (6 novembre 1762). On neiui permit pas même de s'établir aupres del'église de Saint-Nicolas, dans cette ville de Bra-.§ov, oil il croyait trouver le milieu urbain pouvantlui rappeler en quelque sorte celui de Bude,abandonné contre son gre.

Alors, les anciennes sympathies pour Sophro-nius se réveillerent de nouveau. De son abri,inconnu par l'oflicialité, malgré les efforts faitspour le découvrir, l'apOtre" envoyait des lettresmystérieuses, dans lesquelles il distribuait sesbenedictions et promettait de revenir bient6t, siDieu le lui permettra; il recommandait a sesfideles de ne pas visiter l'eveque: les infidelesne sont pas les plus forts, car il y a Dieu quiest plus fort que tous; il faut se débarrasser del'Union et en meme temps du servage: procu-rez-vous des fusils et des pistolets, car le tempsviendra di vous offrirez une charrue attelée pourun simple pistolet sans pouvoir vous le procurer;vous ne pouvez savoir l'heure ou l'ordre seradonne; vous croyez votre pere mort, mais toutce que vous faites parvient a sa connaissance"1.

Le 9 mars nouveau style 1764, Pierre PaulAaron, qui n'était pas de taille A combattre avec

' Voy. nos Sale fi preofl, pp. 275-277.

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des apôtres ayant ces allures, finissait sa vie aucours d'une visite canonique a Baia-Mare. Unederniere tentative du vieillard Jean Innocent Kleinde regagner son Siege resta vaine. Cependantil figure dans la liste des candidats que présentale synode d'election; ii avait obtenu soixante-douze voix, un peu moins que le vicaire AthanaseRednic, originaire d'une famille noble du Mara-moureche, qui fut nomme contre l'assentimentdes adherents de l'ancien eveque, des irreduc-tibles sous le rapport politique. La mort seulede Klein, qui arriva le 23 septembre 1768, devaitclore cette tragedie.

Si Rednic espérait etre reveque pacifique detous les Roumains, il se faisait illusion. Bienque la paix eat eté conclue entre l'Autriche et laPrusse, et que des soldats pouvaient monter lagarde aux portes des eglises uniates de Tran.sylvanie, l'agitation continuait au milieu du clerge.et des paysans. L'ancien chef de la révolte, lepretre Molnar, voulait se rendre a Vienne avecune nouvelle pCtition en 1765. L'émigration con-tinuait en masse, et certains des magistratssaxons, cornme ceux de Sas-Sebm devaientrecourir, pour l'empecher, a des mesures atroces,comme celle de fusilier ceux des Roumains ren-contres sur la frontiere ou de les brider vifs

Noe Sale # preofi, p. 278, note 4.,

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La population rurale roumaine fut complete-ment désarmée ; on promettait des sommes im-portantes a celui qui prendrait Sophronius, mortou vivant. Les noms de ses adherents etaientcries par des hérauts publics dans les foires,afin que Pon se saisisse de leur personne. Onetait a la quête des lettres de Sophronius et deses espions". L'Union &sit exécrée, et on levoit bien par une proclamation comprise dansles notes de voyage d'un pretre du Banat, duvillage de Saint-Miclfiu, Michel Popovici, quivisite Pétersbourg. II reproduit une plainte adresséeA la Cour de Russie au mois de juin 1768, danslaquelle l'histoire entiere de l'Union est presenteecomme une série de graves péchés et de ter-ribles punitions divines, qui frapperent Kleinlui-meme, fils d'un simple rustre roumain",que le Pape aurait contraint A abandonner l'an-cien calendrier et qui en fut puni, au moment,oil le saint Bessarion Sere commençait sa pro-pagande, par une maladie mysterieuse ; on disaitla même chose concernant Pierre Paul Aaronl'excommunie et Rednic, le persécuteur de l'or-thodoxie. Jadis, ainsi que vous pouvez le savoirpar ceux qui sont plus anciens parmi vous, laTransylvanie roumaine vivait sous la benedictiontie notre mere l'Eglise d'Orient, par l'interme-diaire de la sainte métropolie de Valachie, et ungrand nombre de vos prêtres et vous mémesvous y avez envoyé et continuez a y envoyer

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vos fils pour etre consacres par les chefs reli-gieux de la Moldavie et de la Valachie". Mais.le secours ne peut venir que de la Russie, dontles armees font briller le sabre en Pologne"pour la cause de l'orthodoxie, et quand ce de-jeuner" aura pris fin, les soldats victorieux vien-dront prendre Ieur repas du soir" en Tran-sylvaniel.

L'oppression des seigneurs terriens et des.Saxons contribuait aussi a accroltre l'énergie de-la resistance populaire. En 1714 la Cour deVienne avait decree un statut de servage extre-mernent rigoureux, qu'elle dut revoir ensuite em1742 et en 1747, confondant toute la massepaysanne non-libre dans une meme situation de-vrai esclavage. Les mesures prises par Marie-Therese, le 12 novembre 1769 et confirMees.ensuite le 6 juillet 1774, toleraient tout de mettle-quatre jours de travail par semaine de la partdu chef de la famille et n'admettaient pas dedistinctions dans la masse des travailleurs non-libres. On permettait tout au plus de concluredes contrats personnels moins rigoureux et de-se racheter une lois pour toutes; les dures con-stitutions approuvées" étaient maintenues en cequi concerne le devoir de la dime et de lanone", des transports, de la corvee, des pre--

I Nous avons publié le carnet de Popovici dans unfeuilleton du journal Tribuna, qui paraissait A Arad, etdans une brochure a part.

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sents a la cour du seigneur, etc. On interdisaitseulement des abus comme: l'entretien gratuit-du betail appartenant audit seigneur, la taxepour la garde des champs, le prelevernent d'unenouvelle dime lors du changement de domina-tion, les taxes pour les forets, le monopole dumoulin et du debit de boisson. Le seigneur avaitcependant l'obligation de donner un emplace-ment pour la construction de la maison du serf,un champ, un paturage, le bois de constructionet le bois de chauffage, le droit a l'abreuvoir ;les serfs devaient etre dedommages pour lesterrains qu'ils auraient rendus aptes a la culture;la veuve avait droit a un tiers de l'avoir meublede son mari. L'imperatrice chretienne et chari-table permettait la fustigation, qui &sit supputéeen ce qui concerne les femmes a vingt-quatrecoups de fouet" 1.

De leur Me, les Saxons étaient libres deehasser les Roumains des villages oil avaienthabité leurs ancetres, pour les remplacer pardes Allemands, des emigres, des prisonniers deguerre prussiens. Le droit d'élire les juges étaitparfois annulé. La théorie d'une propriété absoluesur l'ancien domaine du roi pour le seul elementsaxon s'était. imposée. Si des révoltes éclaterent,comme dans le district de Bra§ov en 1774 et1781, elles n'amenerent pas un changement es

' Bunea, Petru Pallet Aaron', pp. 404-411.

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sentiel de cette situation. Lorsque les habitantsde Saliste essayerent de se soustraire a la dime,la milice intervint et, dans un choc avec lesrévoltés, vingt personnes tomberent; les autresdurent conclure un contrat onéreux avec le ma-gistrat de Sibiiu. En 1750 les chefs des villagesdu district de Brasov avaient été condamnés 5recevoir vingt-cinq coups de baton et a travaillera la construction du lazaret de Timis. Lorsq'unacte fut rédigé pour etre présenté a Vienne, iltut déchiré en morceaux et les souscripteursmenaces d'etre roués de coups.

Cependant il &ail impossible de briser la ré-sistance d'une population nombreuse, qui avaitla conscience de ses droits. Apres chaque exi-cution il y avait de nouveaux mouvements po-pulaires. En 1774 les habitants roumains dumeme district de Brasov demandaient d'êtreenrôlés dans Vann& pour en finir une foispour toutes. En 1781 ils voulaient le droit detenir des debits de boisson et d'élire librementleurs juges. Parfois on osait meme demander lepartage des terres. Le magistrat urbain confir-mait les juges; on devait le lui demander parune requete, mais elle se terminait par ces pa-roles laconiques: nous n'en voulons pas tinautre". H faut noter qu'en 1776 le gouverneurde Transylvanie, un Saxon éclairé, Samuel Bruc-kenthal, reconnaissait que sur le domaine royalil n'y avait qu'un seul droit a la terre, a la forêt

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L evéque Gregoire-biaror.

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et au pAturage du betail, pour les Roumainsaussi bien que pour les Saxons l.

Lorsque les Principautés furent occupies, pen-dant cinq ou six ans, par les troupes russes,jusqu'au traité de Keutschuk-Kenardchi (1774), lesanciens agitateurs reprirent leur activité. Sophro-nius était A ce moment hégoumene du conventde Viero§, dans un district pres de la frontieretransylvaine, et, des 1774, l'administration de laprovince signalait que le fameux seducteurSophronius recommencait A répandre le poisonde la religion schismatique dans ce pays' 2.

Pendant ce temps, l'hierarchie de l'8glise uniate,aussi bien que celle de la nouvelle Eglise

orthodoxe, menait une existence miserable,presque sans aucun contact avec cette popula-tion continuellement en mouvement. Rednic n'en-treprit aucune action politique, et, apres sa mort,en 1772, Gregoire Maior, qui était sans douteun homme d'un temperament peu commun etqui avait subi meme l'exil et la prison pendantsept ans pour ses différends avec son prédeces-seur, ne fut en etat de rien accomplir, malgréla disparition du theologien au moment oitI Ordre meme des Jésuites fut supprimi (ledernier de la série était d'origine roumaine,

1 Voir notre Brwvul 0 Romdnii et surtout la die-cussion contenue dans l'ouvrage de Puacariu, Preda, Bor-cea, etc., sur la situation des Romaine sous ce rapport.

' Nos Sate 0 preori, pp. 282-283

7

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Etienne More, appartenant A une grande famillenobiliaire). Mais les empechements mis par laCour, qui soupconnait ses intentions, les chicanesdu gouvernement de Transylvanie le contraigni-rent a se retirer, au mois d'avril 1782.

Cette lois, Vienne trouva l'homme qui lui con-venait dans la personne du protopope de Mur4-Vaqarheiu, dans le pays des Szekler, fils d'unefamille de nobles du district de Chioar, JeanBob. Le parti national avait espére pouvoir elevera la dignite d'éveque Ignace Darabant, qui avaitété pendant de longues années le vicaire d'Orade.On préféra Bob, parce que ce prélat, d'un espritétroit, bien que soutenu par une activité dignede tout éloge, ne pensait pas merne a un autrerole que celui d'un administrateur économe deson diocese et d'un imitateur servile des usageset des formes de l'Eglise romaine.

Dans une humble maison de paysans pres deSibiiu, Denis Novacovici mourait le 8 décem-bre 1767. Il avait été remplacé, apres le refusde l'eveque de Vrsac, Jean Gueorguevitch, parle vicaire de Denis, Sophronius Chirilovici,jusqu'alors hegoumene du couvent serbe deGrabatz. En 1783 enfin, un troisieine Serb;Gédéon Nichitici, était appelé a administrer cediocese, dont la Cour souhaitait restreindre leslimites le plus possible. De fait, les affaires setrouvaient entre les mains d'un vicaire roumain,Jean Popovici de Hondo!, dont le nom ne rap-pelle aucune action, sous aucun rapport.

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XIX.

La Cour episcopale de BIaj et l'activite scolaireet litteraire de ses membres.

Le rdle politique de l'eveque de Blaj avaitcessd. II disposait d'un ancien château magyaret d'un domaine, contenant plutot des villagesroumains, que l'Empereur lui avait accorde. De1736 A 1738, un architecte italien avait bAti, A?usage de l'eveque, une cathddrale dans le pluspur style jesuite, qui subsiste encore. Klein lui-meme put ouvrir les portes du cloitre, qui abri-tait au commencement onze moines, dont unepartie avaient le titre de supdrieur de chanoine.En 1754 les écoles commencerent leur activité:une école populaire ayant un prof esseur laIque,une école latine et une école supérieure detheologie, qui avaient ensemble, en 1760, cinqcents &oilers. A Ole de l'ancien seminaire, quidependait plutOt des chanoines, coproprietairesdu domaine et par consequent rivaux de l'eveque,Pierre Paul Aaron avait élevé un seminairepratique et obligatoire, dans la cour meme desa residence, celui de l'Annonciation, ayant un

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domaine special, acheté aux frais de ce prelat.Quelques adolescents, les petits moines", habi-terent d'abord dans ces cellules, destines A etreles fideles auxihaires des éveques futurs. Des lecommencement, des bourses avaient été creeespour les jeunes Roumains qui aura ient vouluf sire des etudes dans les séminaires magyarsde la Hongrie, ainsi que dans l'institut pasinanien"de Vienne et dans les écoles supérieures de Rome.Parmi les habitants du couvent de Blaj, il yavait des respectables prétres de l'ancien regime,dont certains avaient fait des etudes en Russie,A Kiev, en Grece, comme Léonce Moschounas,qui %recut pendant longtemps parmi ses colleguesroumains, et dans des siminaires latins de lion-grie. II y avait parmi eux aussi certains qui s'étaientcccupes de littérature, comme Gironce Cotore, quirédigea des traités sur le schisme des Grecs, sur lesarticles contestes", sur la religion et les coutumesdes Tures", comme Alexius Murisanu, qui écrivitune grammaire roumaine-italienne, et d'autres;ils étaient capables d'accomplir des missionsjusqu'à Vienne et pouvaient figurer sans humi-liation A cOte de leurs collegues de rite latin.

Cependant cet &ague, honoré par le gouverne-ment, ces riches chanoines, ces lettres et profes-seurs connaissant le latin, le magyar, l'italien nereprésentaient pas plus pour le développementde la vie nationale des Rou mains que les simplespretres de village, que les secretaires, d'une

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education mediocre, qui entouraient a Risinaridans la maisonnette couverte de chaume, revalueserbe. Pour des années encore, le role politique,le seul qui pouvait etre intéressant, des deuxhierarchies ecclesiastiques avait cesse : Vienne lesavait etouffees par ses persecutions ou par sesbienfaits, le plus souvent par les unes comme parles autres, se succédant A tour de rOle. On n'aqu'A considerer les produits de la typographiebien outillee qui fut établie dans la residence del'evtque uniate, la seule pour tout les Roumainsde la province. Elle cherche a remplacer, pardes ouvrages (lament revus sous le rapport desdogrnes, ces belles publications roumaines quivenaient de Moldavie et surtout de Valachie,malgré les strictes mesures de defense qui, A plu-sieurs reprises, furent adoptées par l'admitristrationtransylvaine. Dans une trentaine d'années a peine,on eut une collection complete de livres sacreset de livres d'office, mais les orthodoxes se gar-daient bien de les employer et préferaient toutesles fatigues, toutes les dépenses, tous les risquespour se procurer ceux, d'une orthodoxie au-des-sus de toute critique, qui vensient de Bucarest.En dehors de ces livres, on ne rencontre quedes circulaires pour les pretres, des écrits de

.consolation, des livres de poldmique sur leConcile de Florence, en latin aussi, des dis-sertations vaines sur les moyens de rétablir lapaix et l'amourm entre les membres d'un memepeuple, des catichismes pour les écoles. Les

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orthodoxes, de leur côté, devaient recourir auxpresses du mdtropolite de Jassy pour faire pa-mitre quelques rares ouvrages, comme ,La douceorientation du pecheura, publiee par Vincent Ioano-visch, &Nue de Timigoara et de Lipova, en cachantsoigneusement le lieu d'impression, qu'il remplacaitpar la mention de son propre Siege de Timigoara.

Il n'y avait pas plus de vie intellectuelle, etsurtout de contact avec le peuple, dans lesnouveaux monasteres rétablis pour l'8glisa u-niate, A Alba-Julia et ailleurs. Quant aux anciens,considérds comme des repaires du schisme,comme les forteresses des adherents de Sophroniuset d'autres traitres, une mesure generale dedestruction les atteignit, sous la surveillance deBuccow lui-même. Ils disparurent par le feu, etleurs hôtes durent s'abriter ailleurs ou passer lafrontiere. Des oeuvres d'art d'une grande impor-tance, des edifices vénérables, des manuscritsprecieux disparurent par cet acte de vengeancebarbare contre un esprit qu'on croyait pouvoirsupprimer en meme temps que les établissementsoil il avait regné. Les derniers moines noterentavec des maledictions la date fatale qui vit ladisparition de leurs iglises et de leurs cellules,et certains se rappelaient que ces edifices avaienteti bitis pour la plupart par les princes deMoldavie et de Valachie".

Les nobles n'étaient pas en état d'assumer ladefense de l'individualité ethnique de leur peuple

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set de ses droits politiques. Le nouveau regimedevait amener leur lente disparition. Ils déchurent,-se confondirent parmi les paysans ou passerententre les rangs des fonctionnaires sans caracterenational, ne connaissant autre chose que leur devoir-envers l'empereur et le souci de leur carriere.Un nouveau regime économique, qui mettaitl'argent au premier rang, &sit destine A dominerces gens, qui avaient vécu jusqu'alors dans des-conditions tout-A-fait patriarcales, sans mentionnerque la centralisation a outrance, qui distingua

-toujours l'administration autrichienne, sa tendance-A assimiler les sujets impdriaux sans tenir comptedes pratiques, de l'esprit local et des differencesmationales, n'était pas faite pour permettre la.continuation des influences provinciales. La sepa-ration entre les nobles et les paysans, que le-calvinisme n'avait pas été capable de realiser,-s'accomplit de fait sous le regime catholique..Alors que les simples villageois persévéraient.clans l'orthodoxie ou avaient passé a l'Unionavec Rome, les petits nobles de province resterent-attaches jusqu'au bout A leur Eglise réformée.Par endroits il y eut des conflits entre ces nobleset les paysans, dont chacun voulait conserverl'eglise pour sa confession, et l'éveque Aaron,lui vint faire une enquete du cOte d'Inidoara etde Hateg, fut blessé au visage ; des coups delusil furent tires contre sa personne.

Supprimer toute autonomie, annuler tout pri

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vilige et laisser tomber en dessuetude tous les-souvenirs, tel etait le programme des adminis-trateurs allemands. Le district de Flgira§ perditpour la premiere lois tout ce qui pouvait rappelerson autonomie, puis il fut tout simplement an-nexe, en 1765, au domaine des Saxons. Désormaisles bolars de F-Agaras ne furent que des paysans,se distinguant sous le rapport de la confession,car ils passirent a l'Union au moment oit lesroturiers revinrent a l'orthodoxie de leurs voisins.Les beaux diplomes des princes de Transylvaniese conservent aujourd'hui renfermés dans desimples coffres en bois et ne servent qu'à eniretenir chez leurs propriétaires, porteurs encorede grands noms, une ambition qui les empéchede travailler a l'instar de leurs pareils. Quantaux Budai, aux Puj, aux Mara, aux Nopcea, ilsdevinrent des membres quelconques de la classedominante.

Le nombre des fonctionnaires roumains efait debeaucoup inférieur A la valeur numérique de lapopulation de cette race; ils sont cependantbeaucoup plus nombreux qu'on ne se l'imaginehabituellement. Nous avons déjà cite des nomscomme ceux de Maxay, de Dobra, auxquels itfaudrait ajouter ceux du conseiller Philippide,originaire de Gaia, d'un autre conseiller, EtienneCosta de Bein du vicomte d'Inidoara, PaulPonori, d'un Szakathiti, d'un Recsei, d'un JeanDragov, probablement parent de l'eveque d'Orade,

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et d'autres. Dire que ces fonctionnaires, parfoisdes hauts fonctionnaires, n'avaient plus aucune-attache avec leur nation, ce serait dementir lesfaits: Pierre Dobra, directeur des causes fiscales,iut pendant toute sa vie. le defenseur dévoud desa nation contre les abus des Saxons, et, quandils démolirent la croix commemorative d'Avrig,ii ordonna un proces de sacrilege contre lescoupables; lorsque les Roumains furent chasses,

Jidveiu et a Nocrih, de leurs champs herédi-Itaires, ii intervint en leur faveur; lorsqu'on leurdemanda de soutenir les dglises et les ecoles4trangeres, ii contribua a faire triompher la causeToumaine. Sur ses vieux jours, lorsque les Saxonsie contraignirent A se retirer, ii déclarait que,bien qu'éleve des Jésuites et catholique romain,,,il a le devoir de reconnaftre sa nationalite rou-maine", voulant donner un exemple à ceux,tres nombreux, qui, quelques années auparavant,passant A la confession réformée, voulaient êtreappelds Magyars".

Mais leur qualité meme de fonctionnaires lesempechait de faire plus que dans ce cas isoldde l'action de Dobra, qu'il finit par payer de sasituation. On ne pouvait pas meme penser auxrnarchands, bien que certains parmi eux étaientapparentés a de grandes familles valaques ets'etaient gagnés une situation tout a fait supd-rieure, tel liagi Constantin Pop de Sibiiu, filsd'un riche pdlerin A Jerusalem, Pierre Lucas, qui

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avait des relations avec Vienne, Trieste et four .nissait des marchandises occidentales aux boIarsde la Petite Valachie, auxquels il etait apparent6par sa femme. Le Ills de Pop, Zenobius, fut faitbaron et devint directeur de la Banque Nationale-a Vienne, sans cesser un moment ses rapports,.non seulement avec les Roumains de Transyl-vanie, mais aussi avec certains des representantsdes deux principautés.

Dans le mouvement révolutionnaire des pay-.sans il y eut pour:une dizaine d'années une inter-ruption. Elle est due en grande partie A l'éta-blissement de la milice des Grenzer, des soldatsde frontière. Le 12 novembre 1766, Marie-Therese.fonda deux regiments de fantassins et un de-cavaliers, formant un total de 7.500 hommes, qui.avaient tous le caractere national roumain, ainsiqu'on avait procédé avec les Serbes dans cer-taines parties du Banat.

Ces soldats étaient exemptes des devoirs du.servage, et leurs successeurs allaient etre fibres._Ils continuaient A travailler leurs champs dansdes villages ou l'église, l'école, l'administration.publique se trouvaient entre les mains de leursofficiers, en grande partie de nation allemande-(et jarnais saxonne). On les employait ordinaire-merit comme gendarmes, et en temps de guerrela defense de la frontiere &ail confiée a leur-bravoure. lls recevaient tin salaire temporaire,,

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des secours, des dedommagements, des privilegesIiscaux, l'immunité en ce qui concerne les guar-tiers et autres charges, ne devant fournir dutravail que pour les chateaux, les ponts, etc. Ladesertion était punie de mort, l'emigration enmasse de la confiscation des terres. Tout proces,meme en ce qui concerne le beta, etait soumisaux decisions du tribunal militaire. II y avait un-fonds pour les pensions des veuves et des or-phelins. Dans les premiers temps, avant d'intro--duire un uniforrne, ces paysans continuaient Aporter leur costume traditionnel, le bonnet depoil étant transforme en csako. Avant 1780 encore,qm trouve des Roumains parmi leurs officiers, tel-ce Jean de Groza, lieutenant valaquo-illyrique"-qu'on rencontre dans le Banat en 1780. Le rou-main etait enseigné dans leurs écoles élémen-taires, et les eleves de ces ecoles se distinguaientpar une tres belle deriture courante et par unsouci particulier du style.

Cependant il manquait quelqu'un pour repré-senter la marche ascendante d'une nation assoifféede liberté et de droits, desireuse d'cbtenir laparité avec les anciennes nations constitutionnellesde Transylvanie. Si l'Eglise se contentait desprivileges du clerg superieur, si les nobles serésignaient a végéter dans leur coin de province,imbus des préjugés du passe, si les fonction-naires n'avaient pas de soucis suptrieurs aux

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necessites de leur état, si enfin les paysans,.restes sans chefs, n'étaient pas en état de con-tinuer une lutte rnalheureuse dans ses derniers._Fesultats, certaines idées mattresses avaient sur-vecu a la catastrophe et dominaient la pensee-de certaines jeunes gens de qualité superieure-qui s'étaient formes aux premieres écoles rou-maines de Transylvanie dependant de l'Eglise-uniate. El les devaient contribuer essentiellementA accélérer les progres de la nation roumaine.Parmi ces idées, la premiere comme importance-était celle d'origine romaine.

La plupart des Roumains étaient encore des.serfs. Tout ce qui avait forme jadis l'importancepolitique et l'orgueil de cette nation se trouvaiten decadence. L'administration paternelle de-l'empereur menacait de tuer par l'assimilationtout ce qui avait forme jusqu'ici le caracteredistinctif du peuple. 11 y avait cependant quelquechose que les mesures administratives et la pre-paration scolaire tendencieuse n'étaient pas eneat de supprimer: l'orgueil légitime qui dérivaitde cette id& que ce peuple, en apparence le-

dernier, dérivait de ceux qui avaient eu jadis ladomination de l'univers. II n'y avait pas jusqu'audernier des chanoines de Blaj qui n'eat caresséce grand souvenir. Le moine Cotore se rappelaitavoir appris A l'ecole que cette nation roumaine,qui git insultée par tout le monde, sans force-et remplie de crainte plus que toutes les autres-

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Histoire des Roumains dc Transylvanie 157-

nations, dont elle est un objet d'insulte, &sitjadis célebre et glorifiee et en meme temps elle-etait celle qui donnait des ordres en Transyl-vanieu. Ceux qui se formerent plus tard sousl'influence de ces maitres, ceux qui continuerentleurs etudes, allant A Vienne et i Rome, qui senourrirent dans les bibliotheques de ces capitalesdes ecrits des érudits contemporains, un Benkö,un Cornides, un Kovacsics, occupis surtoutd'études concernant les antiquites, ceux qui de-couvrirent parmi les ouvrages latins et occiden--taux les manuscrits des chroniques rournaineset qui s'inspirerent des grandes lecons d'his-toire qui émanent des ruines du Forum et duspectacle glorieux de la Colonne Trajane, ceux-li devaient se separer de tous les honneurs,de tous les avantages de la société contem-poraine. Ils devaient renoncer aux dignités etaux faveurs, se mettre en guerre avec tout lemonde qui les entourait, se retirer dans descellules de moines, dans d'humbles maisons deprotopopes de province, dans les chambrettes ohhabitaient les traducteurs des livres en caracterescyrilliens A Pest, dont Fimprimerie avait unprivilege de l'Université, ou bien ils allaientchercher un dernier abri aupres de leurs éleves&rangers, pour pouvoir s'isoler dans cette penséeperpetuelle de l'origine roumaine du peuple etdu caractere latin de la langue, de tout ce quidécoule de ces faits initiels.

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Le premier qui suivit cette voie fut le neveu-du grand &Ague Klein, Stoe, qui fut appelécomme moine Samuel Micul, ou Klein, né enaeptembre 1745. Des 1768 il traduisait a Vienne-les écrits des Peres de l'Eglise orientale, il co-plait des manuscrits roumains d'histoire et pl.&parait de petites etudes théologiques en latin et-de lourdes compilations scolaires dans le meme-domaine. En 1774, lorsque Samuel se trouvaitdepuis longtemps a ienne, oil il avait trouvé.rentretien dans un college, arrivait a Blaj unadolescent de dix-huit ans (ne le 28 lévrier 1754),fils d'un boar du village de inca, Georges, dansl'état monacal Gabriel incai. En 1775 il partaitpour Rome, oil il passa quatre ans et y eut pourcollegue, des le premier moment, un autre jeuneRoumain, parent d'un protopope, Pierre Maior.(ne vers 1760). incai et Maior allerent ensuitea Vienne, en 1779, y étudier le droit cano-nique. Ils y firent la connaissance de Klein, quiétait alors directeur d'études du College Sainte-Barbare" et y passerent un an ensemble. Kleinne revint en Transylvanie qu'en 1783, alors queles deux autres étaient de retour trois ans au-paravant, $incai ayant été charge par le gouver-nement d'organiser la nouvelle école !ague daeA Joseph H et l'autre ayant été nommé professeurdans les ecoles épiscopales. Des 1784, tous lestrois demandaient a pouvoir abandonner le ye-tement monacal, qui n'avait rien A voir avec leur

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maniere de penser et les tendances superieure&de leur activité. Ils formaient une nouvelle milicede la propagation par écrit de ces idées qui ne-devaient produire que bien tard leurs dernier&fruits.

Pour le moment, ils étaient absolument isoles..L'éveque haissait leur sup4riorité intelectuelle;:ils etaient considerés comme des rivaux redoute&par les chanoines et les maltres d'école de Blaj-Leurs Ickes concernant l'Union étaient passable-ment hétérodoxes, car $incai parfait des gros.taureaux", du bouc aux cornes pointues" de-son hierarchie, des animaux du Pape", des.pauvres naIfs" qui consentent a vivre sous le-joug, Maior combattait énergiquement tout ce quirappelait les Italiens et les italianisants", capable&de verser leur sang meme pour la monarchie duPape. Mais les orthodoxes ne les en considé.-raient pas moins, bien qu'à un certain momentla dignite épiscopale Ifit offerte par un groupede fideles de Sibiiu a Samuel Klein , comme-faisant partie de cette Eglise uniate, si peu po-pulaire. Cette impopulariti, qu'ils partageaientnécessairement avec les leurs et dont ils s'étaientrevêtus, pour ainsi dire, aussi par leur prépara-tion intelectuelle d'érudits presque &rangers aux'affaires du monde, les poursuivit jusqu'à fin de-leur carritre, les empechant d'avoir des relations..suivies avec ces deux Principautés dont, dans.leurs livres d'histoire, ils avaient comm&ioré lest

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évinements guerriers, les triomphes et les soul-trances, ainsi qu'avec la grande masse du peuple,qui ne pouvait pas lire ces manuscrits de spé-cialité, tout couverts de citations latines ou ré-diges meme dans la langue de l'antiquité. L'His-toire de Klein, la grande Chronique de Sincai,le traite de Major sur les origines roumaines etplus tard son Histoire de l'glise des Roumains,les petites etudes dogmatiques et theologiques-qui émanerent de leur plume resterent pendantbien longtemps confines dans un monde tout agait special. A peine une dizaine d'individuspouvaient pénétrer dans les secrets de cette érU--dition aristocratique et réservée. Une école pourle peuple commençait a peine, nous entendo.nsune école roumaine, et non pas l'ecole de langue

;allemande de Joseph II, beaucoup mieux organisée,mais n'ayant pas de caractere national Les livrespour le grand public n'existaient pas encore, etpersonne ne suppléait par la parole vivante A-.ce défaut essentiel d'une civilisation naissante.L'criture Sainte, l'ancien commentaire des Evan-gites, rédige dans une langue admirable par lemétropolite de Moldavie Barlaam, au XVIIe-siecle, les récits apocryphes empruntés A l'Orientrnanichéen, les légendes et les anciens contes, lapoésie populaire, c'est tout ce dont pouvait senourrir l'esprit des gens du peuple, mais dansqout ceci n'y avait rien de nature A pouvoirzoroduire des idées politiques et A inciter une

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action destinée A les réaliser. La solidarite nationale dans des formes de civilisation accessibles.a tous ses membres dtait encore éloignée decette Transylvanie roumaine, pacilide par lesdivisions et la violence des diplomates de Vienne-et des soldats étrangers du general Bucow.

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XX.

L'empereur Joseph 11 et 1a revokede paysans de Horea.

Le co.regent, puis le successeur de Marie-"Therese, son fils Joseph II, est considere par lesRoumains comme le représentant d'une politiquefavorable a leur egard. Cet empereur, dominépar la passion des reformes, aurait eu une sym-pathie spéciale pour cette partie de ses sujetsqui était la plus opprimée et a laquelle il auraitcru devoir accorder enfin une satisfaction méritée,un redressement des torts accumulés pendantdes siecles. Créateur des ecoles nationales rou-maines, instigateur, selon la legende, du mou-velment de paysans qui éclata en 1784 sur leterritoire fiscal en Transylvanie, ennemi en prin-cipe du servage, qu'il abolit aussitOt apres, IIreste une figure extremement populaire pour lesRoumains, qui, du reste, ont conserve aussi unsouvenir reconnaissant a Marie-Therese, leurvraie mere" '.

' Studit ft documente, XII, pp. 292-293, no. xxVrir:He fut pour nous une vraie impératrice et une vraie

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164 N. lorga,

Les paysans se rappellent aussi les visites que-l'empereur avait faites dans le Banat et en Transyl-vanie, la bienveillance avec laquelle il accueillait les.doldances de la population rurale, des pauvresserfs, qui gardaient dans leur mémoire le sou-venir séculaire des anciens empereurs romainsles paroles de consolation adressées A eux dans.cette langue mdprisée, qu'ils s'étonnaient d'en-tendre se détacher des levres de l'empereur.

II faut en rabattre et de beaucoup. Joseph IIdtait avant tout un défenseur classique des tra-ditions et des intérets de cette Maison d'Autrichequ'il représenta de la maniere la plus caractd-ristique, dans ce qu'elle avait d'égoiste et deséduisant en même temps, sur le seuil deschangements provoquds par la Revolution Iran-çaise. Ce qu'il voulait, c'était dégager sa puis-sance absolue, et personne n'a étd plus con-vaincu des bienfaits naturels ddcourant de l'ab-solutisme. de tout ce qui, dans la tradition oudans d'autres domaines, pouvait entraver etenrayer son action. Personnellement, il etait sansdoute religieux, bon chretien et merne bon catho-

mere... C'est d'elle que nous, les tres-humbles, avons toutce que vous voyez A Blaj et ailleurs dans ce pays; et,lout dernierement, elle fit pour notre nation, a Vienneméme, un College splendide et une eglise plus merveil-leuse encore que celle de notre ville de Blaj (Panégy-rique de l'éveque Gregoire Major (Maier), a. la mort deMarie Therese; 3 decembre 1780)

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lique; il combattit cependant l'Eglise en ce qu'elleavait de dangereux pour la toufe-puissance del'Etat resume dans sa personne Imperiale. En cequi concerne la Hongrie et la Transylvanie, cespays qui avaient conserve une partie si impor-tante et si essentielle de leurs anciennes consti-tutions médievales, il se trouvait arrêté dans lesmesures de reforme qu'il comptait prendre parla force opiniatre et intelligente, cruellement in-téressee, des privilégiés. Quiconque était l'en-nemi de ces constitutions" et nuniversités" dumoyen-age &sit l'ami de son pouvoir, ftlt-il mettleun rude patre, protestant a coups de fourehecontre le regime seigneurial et contre une op-pression millenaire.

II ne faisait cependant aucune distinction entreles nationalités, preférant tout au plus celle quipouvait lui donner davantage, en demandantmoins. C'était le cas des Roumains, incapable&d'avoir une activité politique dont les tendanceseussent été divergentes par rapport aux interêtsde la monarchie. Comme ils étaient pauvres,peu cultives, sans notions plus claires concernantleurs droits dans l'Etat et leurs prétentions légi-times sous un autre rapport que le rapportsocial, ils devaient etre les auxiliaires préférés, etnon les favoris du souverain, qui était avant toutun maitre faisant le bien et le mal pour allirmerd'autant plus sa maitrise absolue.

S'il avait un ideal, en dehors de sa préoccu-

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pation continuelle comme monarque absolu, créa-teur d'institutions qui devaient faciliter l'exercicede son pouvoir, c'etait celui d'imposer a tousses sujets, sans aucune distinction, l'emploi, dansles limites de la possibilité, de la langue alle-mande. Mais, s'il ne faut pas le considerer commetin ami des paysans ou un protecteur senti-mental des Roumains, il ne faut pas non pluslui attribuer le caractere d'un apOtre convaincudu germanisme au XVIII-e siecle, qui, du reste,n'en comptait guere. L'allemand, qui devait etreenseigné dans toutes les ecoles de village a cotedu vulgaire, de la langue nationale destinee aintroduire les enfants dans les arcanes de cettedifficile langue étrangere, n'était pour lui qu'uninstrumentum regni, qu'un nouveau moven derégner plus facilement, a l'aide d'une nouvelleforme unitaire pour tout son Empire, qui auraitéte cette langue. Devenant Allemand" on de-venait meilleur sujet, et c'était tout pour lui.

Horea, le principal chef du mouvement despaysans de Transylvanie, avait fait quatre voya-ges a Vienne, vers 1780. II a prétendu avoir étereçu en audience par son empereur, qui luiaurait suggere son action ultérieure, en lui con-fiant meme un document forme], muni du sceauimperial, et qu'il montrait d'une maniere myste-rieuse a ses adherents pour raffermir leur cou-rage. Ce gull y a de certain c'est son voyage

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a. Vienne. Quant aux motifs de l'action de Horea,qui, au commencement, ne fut certainement pasdésagr6able a l'empereur, parce qu'elle favorisaitses intdrets aux cldpens de l'opiniatre noblessernagyare de Transylvanie, elle a des motifs plusvagues et plus profonds que des conseils donnés..A Vienne par le monarque lui-meme.

Basile Ursu, qui portait aussi le nom deNicolas Horea, était originaire d'Albac, village-situé sur le domaine du fisc transylvain, oil ilnaquit vers 1730. Ses deux compagnons, JeanGargfi, surnomé Cloca (né en 1755), et GeorgesMarc, surnomme Cripn (ne en 1733), étaientoriginaires des memes terres du domaine. IIfaut tenir compte aussi de leur age: si Clovan'avait pas encore trente ans au moment oh-eclata la révolte, Horea et Cripn étaient des-einquantenaires, et ils avaient sans doute parti-cipe a ces mouvements de paysans de l'époquede Sophronius dont il a été question plus hautet qui s'étaient développés sur ce meme terri-'Wire du fisc. On ne peut insister suffisammentsur l'influence que dut avoir sur les nouveauxtroubles le souvenir tres vivace d'un mouvementqui avail eu ses moments de triomphe et avaitamene tout de méme des changements dans lasituation religieuse, mais aussi sociale et politi-que, de la classe rurale roumaine en Transyl-vanie. On commet une grave erreur en consi-ddrant la révolte de Horea comme un fait isolé.

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Elle ne s'explique qu'en la mettant en relation avectoutes ces commotions des masses profondes quisignalerent, sous la forme extérieure, trompeuse,de rdvolte confessionnelle presque tout le XVHI.esiecle, l'4oque entiere de la nouvelle dominationautrichienne dans la province.

Les chefs des révoltés n'avaient pas, bien ert-tendu, un programme, et d'autant moins unprogramme écrit ; les quelques lettres qui ontété conservees sont d'un caractere vague, et il nefaut pas se fixer aux Idgendes, aux invectivesdes adversaires, ni méme aux proces-verbauxredigés a l'occasion du jugement de ces chefs,emprisonnés par des fonctionnaires publics quiavaient leurs intérets et leurs ressentiments etqui comptaient exploiter ce mouvement dans unecertaine direction. II paraft bien que Horea etses lieutenants recommandaient aux Magyars deretourner en Hongrie, laissant la Transylvanie,pays habité par les Roumains, entre les mains.de cette population, qu'il réclamait pour les siensle droit d'etre représentes dans l'administrationde la Transylvanie et, dans des moments decolere, il exigeait des &rangers qui voulaientrester au milieu des Roumains, organises commeseul element dominant, de renoncer a tous leurscaracteres distinctifs, de se confondre sous tousles rapports avec leurs anciens sujets. De fait, aucours de la révolte, au moment oa les chateauxdes nobles brillaient et ob des aetes sanglants.

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Fig. 10. Horea, Closes et CriSan, chefs paysans du mouvement de 1784,

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étaient accomplis contre les oppresseurs, uncertain nombre de femmes furent contraintes Ase remarier avec des paysans et a etre memerebaptisées selon la confession orthodoxe.

II s'agit certainement d'un instinct qui a puetre constaté des une epoque assez lointaine :celui de la valeur numerique et des droits poli-tiques de cette population A laquelle devait ap-partenir par consequent la terre aussi et le pouvoirdans toutes ses manifestations, mais, pour lereste, comme le motif confessionnel avait corn-pletement disparu, car parmi les revoltés il yavait tout aussi bien des uniates, et en grandnombre, que des orthodoxes, ces derniers formantnéanrnoins la majorite , il restait ce ramassisde formules vagues, empreintes de passion, dudésir de vengeance, d'aspirations vers la justice,qui distingue les declamations douloureuses desprotestataires sans nom et la rhétorique empouléede Sophronius.

Le fisc transylvain avait l'habitude d'affermerses revenus, et les fermiers, des Arméniens etautres hommes d'alfaires, n'épargnaient guere lapopulation en ce qui concerne l'exercice de leursdroits, parmi lesquels le monopole des boissons.Or les paysans étaient habitues depuis longtempsA vendre librement le produit de leurs vignes etde leurs vergers. Des conflits éclataient souvent,surtout A l'occasion des foires, tres frequentees.

Comme il n'y avait pas en Transylvanie une

s

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police organiste, comme une rivalité profondeséparaq l'administration provinciale, representéepar des Hongrois, et la force militaire, com-mandée par des Autrichiens, pour la plupartallemands, on n'intervenait que bien tard pourrétablir l'ordre, et, comme les punitions, parfoistres severes, trop séveres merne, n'atteignaientpas toujours les coupables, on se permettaithabituellement des actes qui auraient eté impos-sibles avec une justice plus rapidement et plussarement distribuee.

Horea avait conclu avec certains de ses amistine de ces unions traditionnelles qui s'appellentchez les Roumains fritie de cruce", confraternitéau nom de la croix. Ils étaient plus que desfreres de sang et devaient s'aider dans n'importequelle circonstance. Cette lois, il s'agissait d'unevraie conspiration : les freres" devaient se rendredans l'ancienne capitate de la province, a Alba-Julia, pour se saisir des armes conservées dansl'arsenal imperial. L'ernpereur en aurait donnel'ordre pour accomplir un but que Horea etaitseul a connaitre. On partit des deux villages deCurechiu et de Mestecfin4, dans les montagnesqui avaient servi de refuge a Sophronius. El nes'agissait, par consequent, que d'un mouvernenttout a fait local, intéressant les paysans du fisc,dirige contre les fermiers, et non principalementcontre les nobles, contre les Hongrois clans cette

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qualité de nobles, car il n'y avait pas, sur ceterritoire, de seigneurs. It est douteux que despretres en plus grand nombre aient eu connais-sance de ce qui se préparait, bien que plus tardl'autorité des deux eveques fut invoquée pourapaiser les esprits, le gouvernement leur deman-dant specialement des mesures contre les pretresqui auraient oublid leurs devoir de bons sujets.Mais il y avait, un peu partout, des Roumains,specialement des pâtres, qui, dans l'anarchiepresque permanente de certains regions, menaientune vie qui ne connaissait pas la contrainte deslois. Ils furent gagnés aussitót a la révolte, qu'ilest impossible d'expliquer dans son développe-ment, puisqu'il n'y avait aucune unite d'action,aucune responsabilité, aucune autorité reconnue,chacun faisant de son mieux pour assouvir savengeance ou sa cupidité. On parle néanmoinsd'une arfrOe de 30 a 40.000 hommes", mais ilserait bien difficile de suivre les mouvements decette armee".

De fait, il y avait des bandes, plus ou illoillsnombreuses, qui operaient dans certaines valleesde l'Ouest de la Transylvanie. Ce brigandage",ce tumultus rusticus, aurait pu etre bientót étouffé,si les nobles, menaces dans leur avoir et leurspersonnes par les rebelles, avaient pu disposerdes armees de l'empereur et si l'empereur avaitite decide des le commencement a supprimer unmouvement dont, au contraire, il attendait des

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résultats destines a faciliter l'execution de sesreformes. On pourrait dire meme que Joseph IItira les choses en longueur intentionnellementpour arriver a ce résultat, qu'll laissa aux cornt sd'administration autonome le soin, bien lourdpour leur organisation militaire, de vaincre cesmasses frénétiques de serfs en cours de jacquerie,avec des gardes forestiers et d'autres serviteursplus ou moins armés.

Apres que cette noblesse de Transylvanie, quiavait brisé par sa resistance les efforts des ern-pereurs antérieurs de transformer la provinceselon les intérets autrichiens, efit été dfimentterrorisi:e et amen& a demander avec déses-poir l'intervention de la K. K. Miliz", le momentde l'intervention arriva. L'Empereur apparaissaitd'abord comme un pacificateur, pour pouvoir"etre admis ensuite comme redresseur des tortset comme réformateur des conditions constitution-nelles et sociales malheureuses qui avaient amenela révolte. Des commissaires spéciaux furentnommes pour raablir l'ordre : Jancovitch deTemesvár, un Serbe, et Michel Bruckenthal, unSaxon. Les éveques roumains furent mis enmouvement pour catechiser, sous le rapport del'ordre public, leurs ouailles; on recourut auxservices du professeur Molnar ', qui, devenupresque &ranger a sa nation, donnait, au milieu

I Son nom roumain atait Pivariu.

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des troubles, en novembre 1785, des consulta-tions medicales A Vienne. Des les premiers chocsavec les rebelles, les bandes se disperserent.Horea fut poursuivi, par des pretres et des pay-sans gagnes A force d'argent, jusque dans laforet de ScorAcel, ou il fut arréte le 27 décembre1784; ses conipagnons furent decouverts A leurtour et arretés. Apres un proces sommaire, aucours duquel Crisan fut trouvé pendu dans saprison, les deux autres chefs expirerent, le 2février de l'année suivante, dans la forteressed'Alba-Julia, apres avoir subi le supplice atrocede la roue.

La mise en scene officielle cessait avec cetacte sanglant, et l'empereur pouvait recueillir lesfruits des efforts desespérés et des dernieressouffrances de ceux qui avaient été, en revantde liberté roumaine sur le sol de leurs ancetres,des instruments naIfs entre ses mains.

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Changements constitutionnels concernant lesRoumains sous Joseph II et Leopold II.

Joseph II présida A l'accomplissement de sonoeuvre de réformes.

Il commença d'abord par prendre des mesures.qui devaient empecher de nouveaux mouvementsrevolutionnaires ne pouvant plus servir désor-trnais ses intérets. Les juges et les jures d'un-village roumain devaient Ore dorinavant desthommes sftrs, charges de surveiller sans cesse!les habitants, ayant le droit de réveiller les pay-sans pendant la nuit afin de s'assurer s'ils n'ontpas quitte leur demeure ou, en cas d'absence,pour s'informer du motif de leur depart; ilsavaient meme le droit, dans des cas suspects,(l'attendre dans la demeure du paysan son re-tour, pour procéder A son interrogatoire et exigermeme des preuves écrites de ses assertions.Cheque village devait avoir un seul patron ;comme les maisons étaient parsemées capricieu-sement dans le village, ce qui rendait des en-quêtes de cette nature tres difficiles, ordre fut

XXI.

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donne de grouper les habitations, de les alignerdes deux côtés d'une seule rue, imposant memeaux paysans d'abandonner leurs vergers lorsqu'ilsétaient situ.s trop loin de cette rue unique. Encas de révolte, la famille des coupables seradéportée, et des sujets fideles prendront sa place.Ceux qui se rendent dans la fora ne peuventemporter des vivres que pour quelques jourstout au plus. II est interdit aux pâtres d'emporterdu homage pour plus d'une sernaine. Ceci pourempecher le ravitaillement dcs brigands. LesRoumains n'ont plus le droit d'acheter des armeset de la poudre: la poudre ne se a vendue qu'enyertu d'un permis accorde par l'administration,et le stoc de chaque marchand sera inspecté detemps en temps. Ceci fait penser aux mesuresnaves, encombrantes et abusives, prises dansla Macidoine disputée, par tous les regimes quise sont succedés au cours des dernieres annéesde Ia domination turque r.

II faut reconnaitre cependant que l'administra-,tion pensait aussi, sous l'impulsion donnée parl'empereur, a d'autres mesures, destinies, non .seulement a empecher toute révolte des Roumainsmicontents, mais a changer l'etat d'Arne quipouvait provoquer une révolte. L'eveque GideonNichitici fut invite a intervenir aupres de sesprotopopes, qui devaient precher l'observationdes devoirs envers Dieu et envers les puissance&

' Hurmuzaki, XV, A cette date.

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Histoire des Rounsains de Transylvanie 177

séculieres. Un registre de statistique devra etretenu par chaque administration ecclésiastiquepour les préches. La frequentation scolaire futimposée pour la premiere fois aux Roumains, etelle devait s'étendre jusqu'à vingt ans. Les classesretenaient les enfants jusqu'i rage de quatorzearts 2 ensuite les adolescents devaient suivre descours speciaux le dimanche et les jours de fee,ce qui &aft, bien entendu, plus facile A ordonnerqu'à mettre en pratique, car, avant tout, les pre-tres qui auraient dft satisfaire A ces nouvellesobligations et les maftres d'école pour ces vil-lages isolés manquaient presque completement,sans parler des charges qui pesaient sur lesserfs et qui absorbaient tout leur temps et celuide leur famille, ne leur permettant pas d'ecouterles sermons du pi-etre ou les lecons du magister.

II y avait cependant un avantage : on avaitdécouvert que cette Eglise orthodoxe, de la ma-jorité de la population, créée A un moment decrise, mais avec l'intention de la supprimer leplus t6t possible et de l'empêcher de prendreun caractère national, que cette Eglise serbe desRoumains, était capable de jouer un rOle, qu'ellepouvait pacifier une révolte, qu'elle pouvaitamener une relorme des moeurs et inculquerdes idées politiques. Or c'était un rCsultat de laplus grande importance pour son avenir, et elledevait se diriger bientOt vers cette forme nationale

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178 N. lorga

qui lui avait 616 sciemment refusée au debut deson existence.

Apres ces réformes qui concernaient les Rou-mains et avant l'abolition du servage, d'autresmesures furent prises qui portaient atteinte auxprivileges et aux intérêts des nations dominantes,tendant A unifier l'administration de la Transyl-vanie avec celle que l'empereur comptait intro-duire dans toutes ses provinces, ffit.ce meme auprix d'une guerre civile, comme celle qui Matsdans les Pays-Bas, ou d'une opposition acharnée,comme celle qui leva l'aristocratie magyare entierecontre les ordounances décretees pour la Hongrie..

Au mois de juillet 1784, une nouvelle distri-bution administrative de la Transylvanie fut or-donnée, qui devait écarter tout ce qui venait dumoyen-Age: comtés, districts, sieges. A la placede ces circonscriptions ,nationales", dans le sensmédiéval du terme nation', ii devait y avoirdix nouveaux comtés ayant A leur tete un comtesupérieur" (Obergespann)1, assisté pour les fi-nances d'un précepteur ou fiscal" et, pour l'ordrejudiciaire, d'un membre du tribunal, de la ,tabula",d'un notaire supérieur et d'un vice-notaire. Ma-gyars, Saxons, Szekler, Roumains se trouvaientenglobes dans la meme qualité et au meme

1 Cf. Zieglauer, Die politische Reformbewegung inStebenbargen zur Zeit Josefs It. und Leopolds IL.Vienne 1885.

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Histoire des Roumaios d: Ttansylvanit 179

titre, sans reconnaissance aucune de leur caracterenational different et de la parfaite demarcationqui les avait distingues jusqu'alors, dans cesnouvelles circonscriptions administratives. Si lesSaxons regrettaient leur Université", les Szeklerleur organisation militaire particuliere, Joseph II

n'en avait cure: il y avait la K. K. Miliz" pourempécher tout mouvement de resistance, et onPavait bien vue A l'oeuvre. On alla done si loinque la Cour de Vienne interdit l'emploi du nomde Saxon, qu'elle décréta la confiscation desarchives de cette oation", qui devait etre rdunieau gouvernement central de la Transylvanie;l'avoir entier de PUniversite" devait faire partiedésorrnais du Trésor de la province. Et, commeles Roumains n'avaient aucun privilege A con-server, comme tout jugement devait etre A leuravantage s'ils s'inspiraient du nouveau principede la philosophie d'Etat egalitaire, sinon toujours-liberate, il trouvaient leur avantage A ces ordon-nances.

Mais ce qui devait graver le nom de Joseph11 dans leur mémoire reconnaissante, fut la seriede mesures prises pour alleger la situation despaysans en supprimant le servage.

On avait dejA accordé aux serfs le droit d'avoirleur bien propre, de se matier A leur gre, apresune simple demande de permission adressee auseigneur terrien, d'apprendre des métiers , urt.

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ancien desideratum du temps de Sophronius; lesseigneurs n'auront plus le droit de les chasserde leur terre, de les etablir sur une autre pos-session appartenant au meme maitre; une patenteimpériale devait régler leurs droits envers lesagriculteurs etablis sur leurs terres. L'adminis-tration des nouveaux comtés avait recu l'ordred'intervenir toujours en faveur des pauvres dansles conflits qui surgiraient entre les seigneurs etleurs sujets. Apres que la révolte de Horea eatproduit son resultat naturel de terreur au milieude l'aristocratie terrienne, le décret, depuis long-temps attendu, qui abolissait le servage fut sign&enfin, le 22 aoat 1785, comme une derniere sa-tisfaction apportée aux manes des martyrs.

Les anciens serfs deviendront des colons, desimples paysans ; ils pourront transmettre leterritoire qu'ils habitent; leur liberté humaine estreconnue formellement par les lois; les procesen cours contre les serfs, pour des motifs con-cernant le servage, seront arretés; tout labeurfait au profit du propridtaire sera rérnunéré oubien sera mis en compte des jours de travaildus pour le travail des champs; chaque paysan.a le droit d'acheter ou de vendre des terres.

Ces mesures étaient indubitablement humaines,inspirées par un souci de la justice qui cadraitaussi avec les intérets de la monarchie absolue..Mais les agents de cette poqiique impériale se-

seraient trompés étrangement s'ils avaient cith

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Histoire des Roumains de Transylvanie 181'

que la question roumaine en Transylvanie, quietait cependant aussi une question paysanne,avait obtenu une solution definitive. Ce paysan,qui jouissait desormais de libertes" égales sous-le rapport humain avec ses mattres, n'avait niterre, ni argent, ni influence, ni conscience politique, ni organisation; ce qui disparaissait dans.les lois restait dans les moeurs, dans les besoinsinexorables d'une société qui, dans ses rapports.essentiels, n'avait subi aucune transformation.Precedemment tel serf pouvait etre delivre, quantau fonds, par les sentiments humains de sonpropriétaire ; désormais des paysans libres seront-retenus en servage par leurs nécessités &ono-miques et par la tendance du propriétaire d'éluderla foi avec les moyens nombreux qui étaient a.sa disposition. ll aurait fallu d'abord cuitiver etenrichir ce paysan pour qu'il pat soutenir parses propres moyens cette liberté qui est toujours,non seulement un droit sacré et un honneursupreme, rnais aussi un lourd fardeau.

Ces mesures législatives memes devaient etreretirees pour la plupart dans les circonstancesdifficiles of.1 se trouva bientât la monarchie autri-chienne. Commençant une nouvelle guerre contreles Turcs, aux côtés de la Russie, apres l'entente&abbe entre Joseph II et l'Impératrice Catherinepour accomplir le partage des provinces del'Empire Ottoman, l'Autriche ne rempurta qu'un

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tres maigre succes, et, si elle put occuper unepartie de la Moldavie, ainsi que la Valachieentiere, elle le dut principalement aux succesTemportés par les Russes, plus heureux contrel'ennemi commun ; mais, dans le Banat roumain,les paysans virent fuir devant les armées vic--torieuses du grand vizir Youssouf l'empereur_Joseph lui-meme. Comme, aussitôt apres, aucours de cette guerre, la Revolution francaiseéclata, menacant toutes les dynasties et tous lestames, il fallut se hater, entrer en négociationsavec les Turcs, grace a la bienveillante interven-tion de la Prusse, protectrice des interets otto-mans, et l'empereur tut tres heureux de pouvoirconclure a Svichtov, en 1791, un traité qui ren-dait au Sultan les provinces occupées.

Il ne faut pas oublier cette révolte des Pays-Bas qui retint pendant quelque temps l'attentionde Joseph II sur ces importantes possessions, oilson autorité était menac6e. Des le mois dejanvier 1790, un nouvel edit paraissait qui res-treignait les mesures antérieures, cette revocatio.ordinationum, qui était pour l'ame sensible defempereur une vraie abdication de principes,un suicide politique.

Le passé ne pouvait cependant pas revenir.De fait, le nouvel edit produisit plutot un vraichaos sous le rapport de l'ordre public. Bientótapres, l'empereur, touché au coeur, mourait, et

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Hiscoire des Ronmains de Transylvanie 183.

son successeur, n'ayant pas, publiquement, sa bar-diesse révolutionnaire, feconde en dangers, n'avaitpas non plus les qualites politiques qui distinguaient Joseph II.

La guerre contre la Revolution francaise occupait entierement Leopold II; il devait lui sa-crifier tous ses autres interets, et les intéretsautrichiens en Transylvanie n'étaient pas, bienentendu, parmi les plus essentiels.

Il s'adressa donc aux Etats de la province, A.ces privilégies que son predécesseur avait vouludétruire et qui s'étaient obstinés a vivre, pourleur demander conseil. II y eut d'abord une as-semblée nationale" des Saxons et puis uneDike generale du pays. Les Saxons traiterent,bien entendu, leurs seuls intérets particuliers;:quant a la Diete, dont les seances furent ouvertes.A Cluj, le 21 décembre 1790, pour durer pen-dant plusieurs mois, elle est de la plus hauteimportance aussi en ce qui concerne les phéno-menes qu'elle provoqua au milieu des Roumains..

II y avait dans cette Diete seulement I00,membres élus et l'administration disposait des232 autres, qui figuraient dans l'assemblée enraison de leur situation sociale ou économiqueseule, qu'on appelait en Autriche-Hongrie desrégalistes", par un terme qui derive des regalia,.des droits royaux du monarque. II n'y avait Ala Diete qu'un seul Rournain, Jean Bob, l'evequeuniate, comme représentant d'une confession, et

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mon d'une nation, car Joseph n'avait jamaispense, lui qui voulait détruire les nations" dumoyen-age aussi bien que les nations modernes,

créer, dans le sens medieval, une nouvellenation, destinee a se développer dans un sensmoderne fres dangereux pour ses inteMs. Cen'etait pas Bob, avec son lourd matérialismepompeux, qui aurait été en état de determinerune nouvelle manifestation nationale de ses ouail-les en tant que Roumains. Ce mouvement seproduisit cependant, et Joseph dut y concourir aurisque de perdre sa propre situation.

Ce qui détermina ce mouvement, c'est l'acti--vite littdraire, déja signalee, des principaux re-présentants de la classe intellectuelle récemmentere& au milieu des Roumains. Peu a peu, pardes prefaces précédant de simples livres d'ecoleou des conseils concernant les occupations eco-momiques du peuple, par des articles egarésdans les calendriers qui paraitront bientôt, parla lecture des manuscrits qui ne devaient etre

jamais imprimés, par des conversations particu-lieres, par toute l'atmosphere qui se formait dansles écoles, le nouvel esprit penétrait au milieude cette societe roumaine. On parlait des Ro-mains, d'un passé glorieux appartenant auxRoumains des Principautes, des droits qui décou-jaient pour n'importe quelle nation, surtout ayantun territoire, des principes philosophiques du

siecle, et c'etait tout ce qu'il fallait pour

A

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Histoire des Roumains de Transylvanie 185

une nouvelle ddclaration de la part des Roumainsvenant réclamer une nouvelle situation constitu.-tionnelle.

On pouvait risquer ces prdtentions dans lescirconstances particulieres ou se trouvait la Maisond'Autriche devant les revendications de cetteDiete de Transylvanie qui étaient souvent aussiridicules qu'absurdes. La Cour se montrait d'unetolerance angelique ; elle acceptait tout en prin-cipe, se réservant d'empecher plus tard les resultats de ses propres promesses. Aucune me-sure n'était prise contre ceux qui demandaient-le renvoi des fonctionnaires nommés par Jo-seph II dans leur patrie allemande.

Les Routnains osaient done aussi jouer unrole de rdvolutionnaires que les autres nationsse croyaient obligdes d'emprunter aux Francais.de 1789. C'est le moment oit apparaissaient lespremiers journaux hongrois, et, des 1793, unesocidtd rournaine s'était fortne A Sibliu pourpublier une gazette dans la langue nationale. Ondemanda même la permission de la censure. IIdtait question aussi d'dditer une bibliotheque-encyclopédique en roumain, projetde visiblementd'apres le modele de la Grande Encyclopddiefrancaise du XVIII-e siecle. Molnar et ceux parmiles membres du clergé roumain qui avaient des.sympathies pour la philosophic" de l'époque,..pour le doctrinarisme révolutionnaire, étaient dis-poses A fournir leur concours.

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Ce projet ne fut pas mis en execution, mais leseul fait qu'une pareille idée a pu surgir dans lesterveaux des principaux représentants de la nation,oubliant devant les principes de 1789 leur diver-gences confessionnelles et autres, qui ne pou-vaient avoir aucune importance devant le nouveauCredo de l'humanité, est sans doute un documentde progres.

Cependant, des le mois de mars 1791, onavait adresse a Vienne, par la poste, pour éviterle contr6le de l'administration, un rnémoire ex-posant la situation actuelle du peuple roumain,son passe, ses droits et ses aspirations. Ce Sup-plex libellus, rédigé en latin par un fonctionnaireimperial, Joseph Mehe§, qui, bien entendu, nese dévoilait pas, était signé, selon la mode re-volutionnaire, par tous les citoyens roumainsde Transylvanie" ou, pour reproduire meme lelibelle de cette signature politique, par le clergé,4a noblesse et le civicus status de toute la nationde Transylvanie des Valaques", sans un motooncernant la confession, qui avait forme jusqu'icifessentiel dans les manifestations publiques Onne pensait plus aux droits acquis par les dip16-/nes de l'empereur. 11 y avait bien une nationToumaine et, pour qu'elle existat, il n'était pasnicessaire de demander une nouvelle signature au.second Leopold, comme cela aurait eté indiqueepour créer une nation dans l'ancien sens consti-

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tutionnel du mot. D'apres les iddes de Rousseau,les nations existent par le droit unique de leurpropre conscience ; or, comme cette conscienceexistait, ii y avait une nation roumaine de Tran-sylvanie, et, si le clergd et la noblesse sontmentionnés, ainsi qu'on l'avait fait dans les con-vocations de l'assemblée francaise de 1789, iln'est plus question de marchands, d'artisans ou-de paysans. Tous ensemble sont des citoyensa,le tiers état roumain de la Transylvanie, dontfaisaient partie aussi des membres du clerge enrupture de ban, de vrais abbes" révolutionnaires,comme les chefs de l'intellectualité roumaine deTransylvanie. Mais, lorsqu'il s'agit de publier, sousVindication fausse en ce qui concerne la loca-lite, Jassy au lieu de Bude ou de Cluj, ce que4es adversaires ont appelé le Supplex libellus,il porta les signatures des chefs roumains sousl'ancien regime, qui étaient les deux éveques, Boblui-meme n'ayant pas ose refuser son adhesion.

Bien que, plus tard, mis A la disposition dupublic par cette edition, le memoire était destine,par sa forme latine et par son contenu abstrait,au gouvernement seul. 11 exposait l'anciennete desRoumains dans la province, leur permanence de-puis Trajan jusqu'A Leopold 11, pendant mille sixcents ans. On prétendait meme que les Roumainsavaient leur place dans l'ancien droit, car lestrois oations" medievales n'avaient pas le ca-ractere national, mais bien celu; social.

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Passant a la valeur numérique des Roumains,le memoire montrait que d'apres la conscriptionde 1760 ils representent deux tiers de la popu-lation de la province. Cette proportion s'est accruedepuis, et le nombre actuel de la nation peutetre évalue a un million. On rappelait l'etablisse-ment des deux regiments de Grenzer recrutesparmi les Roumains, ajoutant que dans lesautres regiments aussi les deux tiers des soldats.font Roumains et qu'un bon tiers des Roumainsse trouvent aussi dans la cavalerie des Szekler :peut-on leur refuser par consequent la qualitede quatriime nation dans le pays ? D'autant plusque dans le Banat, territoire de colonisation etdone de privileges, Ngalite de la populationroumaine avec la population serbe est reconnuepar les statuts et qu'il est injuste que des ancienshabitants aient sur le sol de leurs ancetres unesituation inferieure a celle des simples colons.

Le mem-oire demandait que la condition desRoumains Kit assimilée A celle des autres habi-tants, chacun selon la classe A laquelle ils ap-partiennent, ce qui signifiait repéter dans descirconstances nouvelles, mais sur la base de lameme argumentation, des demandes qui avaienteté presentees des le commencement du XVIII.es:ecle par les simples protopopes préoccupéspar la question de l'Union. On n'oubliait pas,du reste, aussi les droits d.0 clergé roumain parrapport A ceux dont jouissaient ceux des autres

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Histoire des Rournaira de Transylvanie 18g

confessions. Pour itnprimer plus énergiquementle caractere roumain a une partie de la provincehabitee par cette nation, le Sapp lex libellus de-mandait que, dans les comtes ou les Roumainsforment la majorité, le nom meme du comtéHit roumain. Comme a l'occasion de la nouvelledistribution administrative en France, dont ons'inspirait, les anciens noms historiques rappe-lant l'injustice et l'oppression, devaient etre rem-places par ceux empruntes aux montagnes, auxrivieres et ainsi de suite. Le droit aux fonctionsdevait etre reconnu, au meme titre que pour les.-autres nations, aux Roumains, et ils auraient pu,de meme que les Serbes du Banat, élire dansune assemblée special; au caractere en mêmetemps religieux et national, des deputes pour lesreprésenter a la Cour : la nation principale deTransylvanie devait jouir de ce droit. II s'agissaitdonc d'un vrai congris national et d'une repré-sentance nationale a Vienne.

Le 21 juin de cette même année 1791, laDiete de Transylvanie recevait cet acte, quiavait été soumis a ses deliberations par la Cour.Il y eut de nouveau des scenes d'indignation,comme celles qui avaient trouble d'autres Dietesde la province a chacune des reclamations del'eveque Innocent, d'autant plus que l'empereurparlait dans son rescrit de toute la nation va-laque de Transylvanie5 et demandait que des.mesures soient prises sans retard" pour lui

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accorder le droit de concivilite" dans l'interetdu bien public", en spécifiant qu'il s'agissaitdu libre exercice" de la religion, sans aucunedifference de rite, de l'entretien du clerge et dela fondation des ecoles, ce qui etait, bien entendu,par egard a l'importance des demandes consti-tutionnelles des Roumains, tout ce qu'il y avaitde plus modeste.

On reprit l'attitude de 1744. Comme il s'agis-sait d'une question tris importante et d'un me-moire fonde sur un exposé historique, la Dietedéclara avoir besoin d'un rapport rédige par unepersonne compétente, et c'est ce qui provoquaune nouvelle edition du Supplex libellus par le'savant Saxon Eder, qui accepta cette mission ;mais, en attendant ce rapport, on qualifiait lemémoire comme étant l'oeuvre de fauteurs detroubles". On taxait les Roumains d'étrangers,d'emigrés, qui pouvaient etre admis A partagerla situation sociale des elements indigenes seu-lement pour obtempérer aux instances de laCour. L'éveque orthodoxe pourrait etre reconnulegalement comme ayant le droit de surveillersea pretres, et on créera deux seminaires pourles deux confessions, mais reconnaftre une qua-trieme nation, une nouvelle religion, c'etait deschoses définitivernent et decidément impossibles..Ce qu'on offrait aux Roumains, c'était une simplegrace en ce qui concerne leur situation matérielle.Ceux qui s'étaient imagines cependant que cela

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Fig. 11. jube de la cathedrale de Blaj.

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suffisait pour mettre fin aux nouvelles réclama-tions de la nation avaient oublié le developpe-ment de cette lutte qui n'avait fini, cinquanteans auparavant, qu'avec l'exil et la mort del'eveque Innocent.

Le clerge uniate présenta, de son We, unepetition dans le meme sens. Les deux evequesfurent charges de se presenter personnellement AVienne, comme au temps d'Athanase, pour in-sister sur la reconnaissance constitutionnelle de1 eur nation, et, comme A l'époque d'Athanaseegalement, une assemblee de protopopes rou-mains donna, le 14 septembre 1791, un mandatimperatif a l'eveque Bob, avec des protestationsinergiques contre l'attitude de la Diete. Onparlait enfin, comme au moment oii Klein suc-comba, de tenir une assemblée nationale rou-maine", reunissant le clergé, les militaires, lesnobles et le peuplel.

Avant la fin de l'année, les deux eveques seprésenterent done A Vienne au nom de leurnation et pour les intérets de la nation". On adécouvert leur petition, qui porte la date demars 1792, et qui ttait adressee directement au

' Voir le feuilleton du pere J. Lupas dans le Telegra-(al Romdn de 1912: Misiunea Episcopilor GlzerasimAdamovicl si loan Bob la Curtea din Viena In anal1792. Cf. Silviu Dragomir, dans la Revista teologied.annie 1911, p. 400 et sulv.

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nouvel empereur Francois II. Elle precise lespoints contenus dans le Supplex libellus et de-mande que les Roumains soient elus membresde la Ditte, nommés cornme uregalistes '", qu'oaadrnette leur entree dans les fonctions, qu'oaaccorde aux pretres les revenus entiers dfis Al'Eglise par leurs ouailles ; que les paysans rou-mains eux-memes soient reconnus comme ayantle droit de figurer parmi les etats de la Tran-sylvanie. II etait question aussi du synode na-tional pareil a celui des Serbes et garanti parun garde militaire de soldats impériaux.

C'était A la veille du proces de Louis XVI etdes grands succes des révolutionnaires contreles armées de l'Autriche et de la Prusse. Des.concessions étaient inevitables, mais ii ne fallaitpas non plus toucher, aim de ne pas susciterd'autres mécontentements , a la situation con-stitutionnelle de la Transylvanie. Une rneilleuresituation tut créée donc A l'eveque orthodoxe, etles membres de son Eglise eurent aussi le droitd'être charges de fonctions. En merne temps onfaisait observer aux eveques qu'ils n'avaient pasla qualité de se presenter comme deputes deleur nation et que les accusations portées contrela Diete étaient inadmissibles.

Sans se décourager, ils revinrent a la chargeret une troisieme petition, datée du mois de

' Vovez plus haut le sens de ce mot.

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juillet 1792, fut sans doute un des actes lesplus nobles qui eussent été jamais rédigds pourla cause de la liberté roumaine en Transylvanie.Ils affirmaient avoir un mandat national; s'excu-sant d'avoir employé des termes peut-étre im-propres en ce qui concerne les états de leurprovince et declarant etre prêts A rétracter cestermes offensants, par respect pour le souverainils affirmaient leur droit de condemner l'attitudequ'avaient eue les privilegiés revenus A la jouis-sance de leur situation prépondérante enversles reclamations légitimes d'une nation importantepar son passé et par son present. Reconnaltreles prétentions naturelles, basées sur l'equité etla justice", c'est le seul moyen d'empêcher destroubles possibles, et, s'il est question de paixentre les nations cohabitant en Transylvanie, queceux qui ont toujours offense et opprime enprennent l'initiative.

Quel que dftt etre le résultat de cette petition,elle avait laissé au peuple roumain quelque chosede plus précieux que les concessions hypocritesde la Cour de Vienne: un patrimoine moral dedignité et le souvenir durable d'un grand actede courage national.

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XXII.

Les Roumains au cours des guerresnapoleoniennes.

Pendant environ trente ans, toute l'attentiondes cercles politiques de la monarchic autri-chienne fut consacree aux guerres de la Revo-lution francaise et de l'Empire. En Hongrie meme,les Magyars en profiterent pour tramer des cons-pirations, comme ce fut le cas pour celle d'I-gnace Martinovies, lequel, aide aussi par d'autreselements nationaux : des Croates, des Slovaques,des Polonais, revait de rétablir le royaume deHongrie sur des bases modern es, démocratiques.De pareilles tentatives pour changer l'ordre deschoses étaient cependant impossibles en Tran-sylvanie, oti la noblesse magyare ne pouvait etreinitiée au mouvement d'idees qui avait preparela Revolution et menait dans ses châteaux uneexistence obscure, consacrie aux occupations dumoyen-Age: la chasse, les banquets et les aven-tures. Quant aux Saxons, les aspirations qu'ilsavaient nianifestées lors des dernieres assembléesprovinciales furent bient8t abandonnées.

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Les Roumains donnerent a la monarchie un_grand nombre de soldats, qui furent sacrifiessur les différents champs de bataille de l'Europeet, en meme temps, ceux qui resterent chez euxlurent gravement atteints dans leurs interets, dansle developpement économique de leurs villages,par les lourdes pretentious du fisc, qui ruinait,on peut le dire, la classe rurale par l'introductiondu papier-tn3nnaie, qui fut rapidement presque

,completement depréciée.La grande generation des agitateurs d'idées

du XV1II-e siecle, les représentants de l'écolelatine" vivaient encore dans des conditions tresmodestes: Samuel Klein n'arriva pas A obtenirla situation episcopale qu'il avait revée un mo-ment dans l'8glise orthodoxe ; il finit ses jourscomme correcteur des ouvrages en lettres cyril-liennes qui étaient edit& dans l'imprimerie pri-vilegiée de l'Universite de Bude. Son successeura ce poste fut Pierre Maior; qui obtint finalementla situation de protopope a Reghinul-Sasesc, ducôté de Bistrita. Quant a 5incai, dont le caractere&sit beaucoup plus difficile et qui aimait adéc3cher des fleches contre ses adversaires reelsou meme imaginaires, il rompit les relationsavec ses co-nationaux pour se retirer, vers la finde ses jours, sur le bien-fonds de ses ancienséleves de la famille du comte Vass de Czege.

Le nouvel esprit moderne, la tendance versles agitations politiques, les grandes aspirations

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d'avenir se rencontraient sans doute parmi lesmembres de la nouvelle generation qui terminaitses etudes pendant cette ere critique pour l'Etatet qui chercherent A se caser dans l'administrationimperiale ou bien dans l'organisation ecclésias-tique de leur propre nation. Ainsi ce Jean BudaiDeleanu, qui, visiblement inspire par les ideesqui avaient circuld A l'epoque de Joseph II, écrivitdes satires, des memoires politiques et qui finitcomme fonctionnaire en Galicie, completementdétaché de la societe roumaine au milieu delaquelle il n'eut pas même l'occasion de pouvoirrépandre ses ecrits, restesen manuscrit. Une figuretres interessante est celle de Georges LazAr, ori-ginaire du village d'Avrig (en saxon : Freck),dans le pays de l'Olt, fils d'un serf appartenantA la famille de Bruckenthal et qui, recommandéA l'empereur comme un jeune homme d'avenir,jouit pendant de longues années d'une pensionprélevée sur les fonds de l'Eglise orthodoxe etbeneficia meme de la protection speciale dusouverain. Francois II voulait en faire, non seu-lement le premier parmi les professeurs dunouveau seminaire orthodoxe etabli A Sibiiu,ainsi qu'on le verra plus tard, mais aussi le chefde cette Eglise non-uniate.

Lazir fit des etudes sérieuses A Vienne, ou ilcomposa des ouvrages destines aux écoles et,revenu en Transylvanie, il commenca de fait seslecons au seminaire, oti il eut A !utter contre des

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intrigues et essuya meme des insultes qui fi-nirent bientôt sa carriere. II était, de plus, denonceau gouvernement comme ayant rapporté desidées dangereuses pour l'Etat, étant mettle alle siloin qu'il aurait osé porter un toast a la santedu tyran" Napoleon, dans un jardin public. Bref,il fut contraint, a la suite de toutes les entravesmises a sa carriere, d'abandonner la Transylvanieet de se rifugier en Valachie comme precepteurdes enfants d'une dame Bfircanescu; engagecomme professeur de rnathematiques pour pre-parer des ingenieurs destines a delimiter lesterres des !polars, it fut le promoteur, a l'école deSaint-Sabbas, a Bucarest, d'un nouvel enseignementsur des bases exclusivement nationales, dont il restale fervent ap6tre et auquel ii sacrifia toutes sesforces, car, s'étant retire bientôt en .Transylvanie,ii y mourut assez jeune encore. On pourraitciter aussi MoIse Nicoari, originaire du Banat,

comme cet adherent de la Revolution, le gram-mairien Paul lorgovici, esprit bizarre et inventif,caractere acariatre et brouillon, qui, revant desprojets les plus divers, passa la majeure partiede sa vie a les poursuivre en Moldavie et ail-leurs, jusqu'à ce finit sans avoir rendu lesservices que sa nation pouvait attendre de lui.

Quel que fist le succes de toutes ses tentativesde donner une nouvelle direction aux Roumainsde Transylvanie et de Hongrie par l'activité plusénergique d'une nouvelle série de combattants,

qu'il

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Fig. 12. Residence de l'eveque de Blaj.

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les progres de l'idée nationale roumaine n'enfurent pas moins sensibles pendant cette époque.Les listes des abonnes aux nombreux ouvragesqui parurent entre 1800 et 1820 nous montrentdans tous les grands centres scolaires de laHongrie et de l'Autriche un grand nombre dejeunes Roumains qui se consacraient l'étudedu droit pour entrer dans l'administration, a cellede la médecine, de la philosophie ou de la théo-logie, Si on ne rencontre pas d'intelligenceseminentes parmi eux, leur grand nombre devaitbientôt amener pour leur nation un progressensible sous tous les rapports. Un esprit communles animait : on ne pensait plus aux differencesconfessionnelles, ce qui était un grand avantage ;un chanoine meme, Nicetas Horvat, d'Orade,avait publii, des 1787, a Vienne, un ouvragedestine a défendre en meme temps les uniatescontre les calomnies de leurs adversaires con-lessionnels et a prouver que les orthodoxes eux-tnémes n'ont rien d'hérétique ni de schismatiquedans leurs croyances'.

Cependant, si l'Eglise uniate ou cette 8glisecirthodoxe nouvellement etablie avaient eu a leurtete des personnes d'initiative, se rendant comptede la mission qu'ils étaient appelés a remplir,ces progres de la nation auraient été sans doute

Nos Studii $i documente, XII, p. 16; Bianu et HodopBibliografia romdneascd veche, II, p. 317.

a

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sensiblement acceléres. Or Bob mena jusqu'a laiin de ses jours la meme vie de simple chefhierarchique, évitant tout contact avec la societé!ague et meme avec le dere qui appartenait al'autre confession. Quant aux orthodoxes, leursituation était encore inferieure : leur 8 glise futdministree pendant longtemps par de simples

vicaires: Jean Popovici de Hondo! (1746-1805),Nicolas Hutovici (1805), Aaron Budai, parent del'écrivain du même nom (1805-1810). S'il y dIvaitun avantage a ce que ces administrateurs fussentdes Roumains et non des Serbes, il faut néan-moins relever leur intelligence mediocre et leurmanque complet d'autorité. Lorsque, apres celong interregne, la Cour se décida a nommerun éveque appartenant a la nationalité roomainer.ce qui fut fait, a la suite d'une election préalabledes protopopes, au mois de septembre 1810, par-la confirmation imperiale en décembre suivant,.celui qui fut élu, en ecartant la personnalité, de-beaucoup superieure, d'un homme aussi doue-comme orateur et comme ecrivain que GeorgesLazar, dont il a ete question plus haut, fut uisimple pretre, d'un esprit tres peu élevi, humble-fonctionnaire ecclesiastique, soumis aux ordresdu gouvernement. Extremement timide et ayantcomme seule direction pendant sa longne admi-nistration le souci de caser ses parents, BasileMoga, ancien pi-etre de Sas-Sebe§, ne se distin-gua jamais que par ses moeurs pures et par ks

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beaux caracteres calligraphiques de son écriture..Ce n'itait pas l'homme qu'attendaient les Roumainslorsqu'ils demandaient, en 1809, la restauration"du Siege episcopal et lorsque l'empereur recom-anandait &are une personne laborieuse, con-naissant les (angues nationales et surtout lalangue coumaine, ainsi que les droits, les con-stitutions et les usages de ces memes nations"._Mais, comme Moga était tout ce qu'il pouvait yavoir de plus commode, il fut agree '.

Des le commencement, on avait permis A ceprelat, dont le titre etait eveque des non-uniatesde rite grec en Transylvanie", de resider A Clujimeme, sous la surveillance permanente du gou-vernement. 11 préfera habiter A Sibiiu, A proxi-mite de rancienne residence villageoise de sespredecesseurs serbes ; il fit une demande formelledans ce sens et finit par la faire accepter. Cceitait pas un fait indifferent que ce changementde residence. A Sibiiu, en effet, Moga devait-trouver la grande Compagnie de commerce desGrecs, qui, ainsi qu'il a été dit plus haut, itaitpour 1a plupart completement denationalisee,dormant aux Roumains une riche bourgeoisie(lulls n'avaient pas eue jusqu'A ce moment. Vers

I Voy. Convorbirt literare, amide 1910, p. 331 et suiv.;I. Lupas., dans la revue Biserica ortodoxd rorndnd, XXXV,p. 781 et suiv. 11 avait un frere ainé Zacharie; qui pen-dant son épiscopat resta protopope de Sebes ; Lupus,boc. cite; Studii # doeumente, XIII, p. 172, no. 597. Plusir6cernstent on a relevé lea ineri:es de Moga.

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le milieu du XIX-e siecle, la Compagnie grecquede cette ville allait même cesser d'exister, cédantses archives, ses propriétés et son influence A.l'Eglise roumaine orthodoxe, dont elle accrut lesrichesses et le prestige.

Moga ouvrit son siminaire, A Sibiiu egale-ment, dont Lazar fut un des premiers proles-seurs. C'était une école tres rnodeste, dont leséleves n'avaient le plus souvent presqu'aucunepreparation ; on devait leur donner des conseilssur la maniere de se comporter dans le monde,les obliger A peigner leurs cheveux, a couperleurs ongles, A laver leur visage et leurs mains.Ces jeunes villageois n'osaient pas méme regarderleur éveque et se cachaient derriere la portelorsqu'il entrait dans la chapelle ; l'enseignementse bornait a leur faire apprendre les lettres rou-maines" et les lettres latines; a leur donnerquelques connaissances du magyar, A leur incut-quer la grammaire et les éléments d'arithmetique,sans compter les lecons consacrées A l'ensei-gnement du rite et de tout ce qui concerne les-pratiques du culte.

Cette école de pretres de villages, auxquels per-sonne ne pensait a demander trop de connais-sances et de savoir-vivre, n'aurait pas été cepen-dant en état de preparer une nouvelle ere pourles Roumains de Transylvanie. Cette oeuvre etaitaccomplie par un labeur assidu, mene en silence,

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clans les nombreuses écoles élémentaires dontle commencement était dft aux mesures de Jo-seph II. Sincai lui-même fut pendant longtemps.directeur et catichiste des écoles normales deBlaj", qu'on nommait aussi écoles nationales".ou valachico-nationales". Le nombre de cesktablissements s'éleva bientôt a trois cents jusquevers 1794, et toute une série de livres, en corn-Tnencant par l'abécédaire et le catechisme et enpassant par la grammaire Iatine et l'arithmétiquepour arriver a l'histoire naturelle, fut élabordepar ce premier directeur, qui était un homme-suOrieur. D'un autre côté, les écoles impérialesdestinées aux orthodoxes eurent des directeurs,qui, sans pouvoir rivaliser avec Sincai en ce qui-concerne la distinction intellectuelle et les talents,.consacrerent avec dévouement tout leur tempspour le progres de cette institution. DernetreEustatievici, qu'on connait déjà, comme secrétairede Sophronius, eut pour successeurs le pretreRadu Tempea et le docteur Georges Haines,lequel fonctionnait encore au moment de l'élec--tion de Basile Moga.

On peut appricier le labeur qui se depensaitdans ces écoles par le grand nombre d'édi-tons des manuels qui y furent employes. C'estainsi que l'on peut compter neuf editions ouformes différentes de l'Abécedaire, parues aSibiiu, Brasov, Blaj, Budapest et Vienne. SamuelKlein fut parmi les collaborateurs de ces opus-

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cules. Des manuels d'arithmétique furent impri-més quatre lois jusqu'au commencement du XIX-e-siecle. Un prêtre des environs de Brasov assu-malt en 1777 les frais de l'impression de lagrammaire redigée par Tempea. Molnar tui-méme-publia une grammaire roumaine et allemandedestinée aussi aux &rangers. On rencontre en-core, parmi ces livres destinés surtout A la jeu-nesse, des manuels de calligraphic, des épisto--lakes, des catéchismes, des legons de devoirsmoraux et civiques, des explications des Evan-giles (par Eustatievici), des résumés de la Bible,des Psautiers destinés aux classes. Pour les prttres et les maitres d'écoles on éditait des ou-vrages d'orientation, comme celui qui parutVienne en 1785 et qui eut deux editions en uneseule armee, et autres livres semblables. Unimprimeur saxon, Pierre Bart, se mit A la dis-position des auteurs d'ouvrages roumains etdevint comme le fournisseur attitré des écolesvalaques" orthodoxes.

Klein et Molnar se préoccuperent aussi dedonner des livres d'etude pour les Eleves desclasses supérieures : telle la Rhétorique du pre-mier, parue A Bude (1798), la Logique de Bau-meister, traduite par Klein (Bude 1799), la Phi-losophie active" du meme (Sibiiu 1800) et deuxouvrages de theologie publiEs par Klein A Blaj;.,,l'Histoire universelle" de Millot eut aussi, grace-

Molnar, une Edition roumaine, a Bude, en 1800-1

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II ne faut pas oublier enfin les écoles alle-mandes et roumaines créées dans les villages deGrenzer, du côt6 de Hateg, de Sibiiu, de Is 'baud,.pres de Bistrita : leurs éleves écrivaient avec uneconnaissance parfaite de la grammaire et avecune écriture élégante. Une école pour jeuneslilies fonctionnait, grace aux memes fonds, aCaransebm et elle eut des maitres d'écolescapables d'être compares a ceux des autres na-tions. La premiere école normale fut fondée AArad grace a l'appui de personnages scolairesinfluents, qui, malgré la désinence slave, serbe,de leurs noms, appartenaient a la race roumaine..Une autre école normale devait etre creee pourles enfants des Grenzer" en 1807 dans le BanaLA Nasfiud, qui etait le centre de quarante-quatrecommunes militarises, il avait été question, des.1770, d'établir une école allemande et un gym-nase libre, avec quatre moines uniates pour profes-seurs, outre quatre écoles inférieures". II y euten échange, une école supérieure pour la for-mation de sous-officiers roumains. Comme, apres1820, les cours élementaires des villages defrontiere furent completement germanises, leConseil de guerre ordonna l'établissement denouvelles écoles communales ayant le roumaincomme langue d'enseignement.

II faut relever l'importance spéciale des écolesfonctionnant dans le Banat. Elles étaient organi-sees d'apres le modele de celles qui avaient et&

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londees pour les Serbes. Les Serbes représen-taient cependant une nation reconnue par l'Etatet ayant joui des les premiers moments de sacolonisation sur le territoire &ranger de privilegesnationaux. Leurs écoles ne pouvaient donc etreque nationales, et ce caractere national fut trans-anis aux écoles roumaines créées vers le com-mencement du XIX-e siecle. Un de ces institu-teurs ,nationaux", Démétre Tichindeal, fut unIraducteur actif d'ouvrages moraux, empruntéspour la plupart a la littérature serbe, surtout aDosithée Obradovitch, le criateur de la litteratureserbe moderne, qui luimême, pendant ses pere-grinations a travers l'Europe, avait appris leroumain et avait écrit meme des pages en rou--main, en qualité de précepteur d'enfants debolars de cette principaute.

Un contact frequent et sérieux avec les Prin.-cipautés roumaines, en plein développement decivilisation a cette époque et soumises a uneinfluence continuelle de la part de la civilisationoccidentale, surtout sous la forme française, aurait-certainement profite a cette nouvelle civilisationroumaine qui commençait a poindre aussi en-ce qui concerne les masses du peuple au-delades Carpathes. Malheureusement les mesures

-d'isolement prises par le gouvernement autri-cchien au XVIII-e siecle avaient créé une sepa-

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ration réelle et permanente entre les Roumainsde Transylvanie et leurs congineres libres. Ra-rement quelques voyageurs roumains venus deValachie ou de Moldavie s'intéressaient-ils A lavie de ces autres Roumains, de Transylvanie,dont beaucoup ignoraient presque l'existence.Le bdiar Barbe Stirbey, qui se rendit a Karts-bad A l'epoque de la Revolution francaise, eutdes relations avec les géneraux impériauxTimisoara, ii assista aux representations du theatre.allemand de cette ville, fut invite A diner pardes nobles etrangers et se présenta A Pest devantle general Barco, qui avait eu un rede pendantl'occupation de la Valachie par les Autrichiens ;mais II ne connut de ses congéneres que Molnaret sa soeur, mariee A un capitaine de postes&ranger. Le bdiar Dinu Golescu, qui voyage&jusqu'en Suisse pour placer ses enfants dans un .college de Geneve et qui dead, dans un ouvraged'une naïveté intéressante, touchante parfois, sesimpressions de voyage, appelle la TransylvanieSiebenbiirgen" et ne mentionne rien des Rou-mains que le bon accueil et les repas succulentsqu'il trouva chez les pretres des environs deBrasov ou bien le bel aspect de ces soldats defrontiere roumains du Banat, qui l'escorterenttravers cette province. Le riche marchand rou-main de Sibiiu Hagi Constantin Pop avait desrelations tres étroites avec les boTars de la Petite-

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Valachie, auxquels il fournissait tout ce dont ilsavaient besoin, en fait d'ameublement, des vete-ments et de luxe en general, dans la civilisationoccidentale; des éveques de Ramnic et d'Arge¢s'adressaient a lui pour certaines publications.d'église intéressant en meme temps les Roumainsde Valachie et ceux de Transylvanie; Molnar,collabora ainsi a l'édition des Mdnologes quiparurent a Bude avec le concours de l'evequeJoseph d'Arge. Vers la même ëpoque, un au-diteur militaire autrichien, Jean Horvat, appar-tenant au regiment illyro-valaque du Banat, ayanttraduit le droit naturel, s'adressait de Mehadia,en 1786, au prince de Valachie, pour demanderque ce livre Wit imprimé dans la typographie4iscopa1e de Ramnic, mais le Phanariote deBucarest n'ouvrit meme pas la lettre, que nousavons decouverte encore scellee.

Lorsque, dans les premieres annees du XIX-esiecle, certains bo'fars, comme Alexandre Callimachiou Dinu Golescu, penserent a fonder des écolesde nouveau systeme sur leurs terres, ils s'adres-serent a des Roumains de Transylvanie. Celuiqui fut employé par Golescu devint plus tardun des professeurs de gymnase et des écrivainsde la Renaissance roumaine, Florian Aaron,originaire d'un village pres de Sibiiu. Enfinun rnarchand avisé, Carcalechi, Grec d'origined'uue famille, appartenant a la Compagnie,mais completement roumanisé, eut l'idée de

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populariser parmi les bolars de Valachie les-ouvrages roumains qui se publiaient a Bude etmime de devenir a son tour éditeur de cer-tains livres qu'il croyait devoir satisfaire le gontde ces boiars.

Mais ce fut tout, et c'était bien peu.En ce qui concerne les livres des principaux

représentants du mouvement intellectuel en Transylvanie au XVI1I-e siecle, dont un tres petitnombre furent imprimés, comme celui que PierreMaior consacra a l'étude des origines rournainespour affirmer la latinité de la race, des exem-plaires pénétrerent aussi en Valachie et en Moldavie 1 Nous avons trouvé la publication eruditede Maior dans un catalogue de la bibliothequed'une famille de Botoqani, dans la premieremoitié du XX-e siecle ; tel boIar de l'Oltinieavait fait copier pour son propre usage la grandechronique de incai, qui ne fut imprimée quebeaucoup plus tard. Ces clercs de Transylvaniene se doutaient cependant guere que leurs oeuvres étaient répandues au-dela des Carpathes:pas un parmi eux ne pensa a s'établir au moment critique de son existence sur cette terredes Roumains libres, oil ils auraient certainementeC bien accueillis; aucun parmi eux n'avaitconnu , pour y avoir séjourné , ces princi-

1 Istoria pentru Inceputul Rontritzilor in Dacia, 1812

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.1) autds dont ils exposaient les fastes guerriersdans leurs annales et leurs livres d'histoire.II faut remarquer cependant qu'au moment oala société des deux Principautés prit goat auxchoses de l'Occident, elle préféra avoir commeprécepteurs des Français, des Allemands et.qu'elle aurait eu une consideration moindre pour-ces freres, bien qu'ils fussent tout aussi empreintsde cette influence de l'Occident.

Ce fut un fait tout A fait nouveau pour l'en-seignement roumain dans ces pays de libertdnationale, lorsqu'en 1820 le grand métropolitenoldave Benjamin Costachi chargea son conseillerscolaire Georges Asaki, qui avait fait des etudesA Vienne et A Rome, de faire venir quatre Rou-mains de Transylvanie, dont la mission était-surtout de donner des leçons de latin aux futurspi-Ores du nouveau séminaire de Socola: BasilePop, Jean Costea, Manly et Bob, qui se faisait.appeler Fabian, en latinisant son nom, bien qu'il-fat parent de l'evdque Bob de Blaj.

Cependant, apres la guerre entre Russes et"Turcs, terminée par la paix d'Andrinople (1829),une nouvelle constitution, A la mode occidentale,lut élaborée pour la Moldavie et la Valachie, sou-tnises presqu'au même regime par ce ReglementOrganique, qui fut discuté par des commissionsde bdiars, revu A Pétersbourg et approuvé aConstantinople. Malgré ses grands défauts etses tendances visibles de preparer l'annexion a

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la Russie, cette oeuvre legislative n'en est pasmoins un acte qui porte les traces de l'influencepolitique francaise. Parmi les rélormes créées, ontrouve aussi, et en premiere ligne, des fondationsscolaires qui devaient avoir un caractere unitaire,selon le programme des lycées et des écoles pri-maires de l'Occident. Des que le Reglement Orga-nique entra en vigueur, donc en 1834, la Moldavieeut son Academie, appelée Mihdileand, d'apres lenom du prince Michel (en roumain : Mihail) Sturdza,qui l'inaugura, et, a Bucarest, la modeste écolede Lazfir, dans les cellules de l'église de Saint-Sabbas, devint une école secondaire digne dece nom.

Il fallait cependant avoir des professeurs, etles anciens éleves de Lazir, parmi eux celuiqui avait profits le plus, Jean Eliad, qui fut aussiun des premiers écrivains modernes du pays,un traducteur et un imitateur des romantiquesfrancais, ne suffisaient pas. On s'adressa doncen Transylvanie. Outre ceux qui ont ite men-tionnés plus haut, on fit venir dans le pays ceRoumain de Figgra Jean Codru Drigu§anu,qui, a la suite d'un jeune noble de la famillede Ghica, passa plus tard de longues années aParis, devint maitre d'école en France et fut lepremier des Roumains qui laissaf des pagesvraiment vibrantes d'enthousiasme et pétillantesde bon sens et d'ironie sur la France elle-memeet sur l'Italie.

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Tempea fut par la suite professeur au semi-naire de Ramnic et eut des collegues originairesde la meme province. Le seminaire de Buzau, ohavait eté éveque Denis Romano, originaire de Si-cele, pres de Brasov, eut pour premier proles-seur Gabriel Munteanu, Roumain de Transylvanieaussi, qui fut plus tard directeur du gymnasede Brasov. Dans la bourgade de Villenii-de-Munte,le maitre d'ecole fut David Almfisanu, Transyl-vain, repute pour sa profonde connaissance dulatin. On a dejã parte de Florian Aaron. JeanTrifu ou Trifon, qui s'appela plus tard Maioreanuet enfin Maiorescu, fonctionna vers la memeepoque comme professeur dans la petite localitéde Cerneti. H fut plus tard un des grands pro-fesseurs de Craiova, la capitale de l'Olténie, etfinit par s'établir a Bucarest. On a de NicolasBálasescu, professeur au sérninaire de Bucarestdes 1836, un dictionnaire latin-roumain d'unegrande importance, qui ne fut pas continue.Bojinca, juriste, qui avait publie des articles dansles calendriers de Bude, devint tin des législa-teurs de la Moldavie. Euthyme Murgu, venudu Banat, qui devait etre meld aux troubles derannée 1848, eut aussi un role dans la nouvelleorganisation scolaire. Et on pourrait multiplierla liste.

On peut dire que les écoles du ReglementOrganique n'auraient pu etre organisées aveccette rapidité presque etonnante sans le concours

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actif et dévoué de ces freres venus d'outre-monts.Tous ces professeurs, qui n'étaient pas tres con-tents du regime politique et des moeurs, plutotorientates, qu'ils trouvaient dans les Principautes,entretenaient avec leurs parents et amis de Tran-sylvanie des relations des plus étroites, formantainsi un nouveau lien permanent entre les Rou-mains des deux versants des Carpathes, liensdont l'importance n'est pas moindre que celledu rapport qui avait existe jadis entre l'hierarchieroumaine de Valachie et de Moldavie et l'Eglisetransylvaine.

Malgré cette repulsion qu'inspiraient aux Rou-mains de Transylvanie certains côtés de la viepublique et privée en Moldavie et en Valachie,ils avaient aussi gagné a sejourner dans lesPrincipautés: ils y avaient trouve, malgré tout unEtat national roumain, une armee roumaine ser-vant sous le drapeau national, une littératurenaissante qui était consacrée entierement a pro-darner et a développer l'idéal national, des écolesob la seule langue d'enseignernent etait le rou-main, tout ce qui manquait, malgré le grandessor d'activiti intellectuelle qui s'était prononcependant le XVIII-e siecle, dans leur propre pro-vince de Transylvanie. Ils voyaient sur cet autreversant des Carpathes, dans une realisationpeut-etre mediocre, pretant a la critique, ce quijusqu'alors s'était trouve pour eux dans le seuldomaine des rêves. S'ils ne se rendaient pas

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compte de cette transformation qui avait eu lieudans leur âme, s'ils ne la confessaient pas dansleurs lettres et dans leurs articles, elle ne devaitpas moins exercer une influence profonde surleur activité en ce qui concerne spdcialementleurs relations avec leur pays d'origine.

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XXIII.

Premiers journaux roumains en Transylvanie.Manifestations politiques entre 1830 et 1848.

Dans l'activite littéraire des Rournains de Tran-sylvanie il y avait une grande lacune. Si lescalendriers étaient lus par le peuple, et il fautentendre par ce terme surtout les rnarchands etles artisans des villes, les pretres de village, lespaysans eux-memes étant trop peu prepares pourlire , ces calendriers ne pouvaient avoir d'in-fluence politique, et, meme en employant d'abordla forme benigne des conseils d'economie rurale,des recommandations morales, des informations,des faits-divers, des articles de popularisation,le journal était appelé A commencer l'éducationd'un peuple qui n'avait fait jusqu'alors qued'une maniere plutOt instinctive sa propre polltique, tout en servant celle des autres.

Les projets qui tendaient, A la fin du XVIII-esiecle, a donner aux Roumains une presse pe-riodique, n'avaient pas abouti. Pour risquer unepublication de ce genre, il fallait avoir, outrel'initiative vigoureuse d'un des membres de la

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nouvelle dasse intellectuelle roumaine, le capitalnecessaire, et on ne l'aurait trouvé que diffici-lement parmi ceux des Roumains qui pouvaientetre conscients de l'importance d'une pareilleentreprise. Cependant l'expérience faite par PierreBart était de nature a encourager d'autres écli-teurs saxons, qui se rendaient compte que larace illettrée des Roumains commencait a prendregout a la lecture. Le faubourg roumain de Bra§ovabritait depuis quelque temps un jeune proles-seur, originaire du Nord de la province, GeorgesBarit (ne en 1812), qui avait eté charge parles marchands de cette ville de donner unepreparation scolaire a leurs enfants Bra§ov. avaita cette époque comme translateur aupres dumagistrat saxon de la ville un Roumain, JeanBarac, qui employait ses loisirs a donner,dans des vers d'une lecture facile, des conieset des légendes romantiques, empruntes surtoutA la littérature allemande, au moment oh unsutre écrivain de la meme portee, Basile Aaron,qui habitait a Sibiiu, mettait en vers les légendesreligieuses pour le public des villages. Baracavait donc, au milieu de ces négociants assezriches et ayant le gout de la civilisation occiden-tale, un cercle de lecteurs. Un de ces marchands,Orghidan, s'offrit a soutenir une publication peri-odique, et le typographe saxon GI! Itt en futrediteur. C'est ainsi que parut, en 1837, la Feuillepour l'intelligence, le coeur (sic) et la litterature1,

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Fig.

14.

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Fig. 14. Georges Bari;

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rédigée par Barit avec le concours de quelquesjeunes gens a peine sortis des universités, etavec celui de Barac, un précurseur. Quant augouvernement, il &sit dispose a encourager unecertaine forme de périodiques roumains, qui,tout en servant ses intentions de répandre l'in-struction parrni le vulgaire, n'aurait pas tendu ael-der une conscience politique, pent-etre dange-reuse, au milieu des Roumains.

Les avantages que les Roumains de Transyl-vanie refit-trent de la publication de Barit furentinappréciables. II crea d'abord le style clair,vivace, de caractere populaire, pouvant sanspeine etre compris par les humbles et venantapres le lourd style des érudits qui avaient poseles bases de la littérature roumaine en Transyl-vanie. Les articles de Barit traitant de sujetsmoraux, d'incidents historiques, de découvertesdans le domaine des sciences naturelles, etc.,sont un vrai modele du genre. Ces articles cons-tituent un commencement d'encyclopédie a l'usagedu grand public. Le rédacteur touchait aussi auxquestions politiques, bien que sans s'occuper,bien entendu, de ses Roumains, mais, en parlantde faits qui avaient lieu dans d'autres pays, il

pouvait etre tenté d'en chercher la signification,de les utiliser comme des exemples pour sapropre nation, de commencer a la former sousce rapport également. En outre, comme il nesuffisait pas seul a la tache, il dut chercher des

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collaborateurs, de sorte que sa feuille" devintun point de ralliement pour cette nouvelle ge-neration, partie de divers points du territoirehabité par les Roumains, élevée a des écolesdifferentes et n'ayant pas encore une mentalitecommune dont se seraient &gages les elementsd'une action unique. Comme ses collaborateursaccidentels ne suffisaient pas, il fallut emprunterpoesies, nouvelles et articles a la littérature pe-riodique, de caractere plutôt cultural, qui avaitcommence son activité a Bucarest et a Jassy. Decette maniere le journal accomplissait la mememission que ces professeurs de Transylvanieetablis dans les Principautés, qui, dans leursrelations avec ceux qu'ils avaient laissés dans le-pays, contribuaient a creer, dans une forme spe-ciale, au XIX-e siecle, cette conscience d'unitéqui avait disparu dans les ruines de l'hierarchieunitaire des Roumains au XVIII-e siecle. CommeGekt aussi bien que Barit avaient des raisonsd'être satisfaits de l'accueil rencontre par la revuede connaissances générales qu'était cette feuille,on risqua sous peu la Gazette de Transylvaniea,destinée A publier des informations politiques.

II n'est pas possible de suivre sans interrup-tion le développement des tendances politiquesqui existaient cependant, meme a cette époque,apres la disparition temporaire des problemesintérieurs, en Autriche, a cause de la guerre

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européenne. On a vu que les preoccupations dela nation s'etaient dirigées surtout du We de lalittérature et de la preparation scolaire. C'estainsi qu'on trouve, en 1814, une petition desRoumains de la region d'Arad, adressee a l'em-pereur, pour lui demander la creation d'uneEglise orthodoxe sepal-6e de l'8glise serbe etayant un caractere national roumain. Les petition-naires invoquaient une statistique qui demontraitque dans le diocese d'Arad il y avait en 1777.un nombre de 480 pretres et 126 coadjuteurs,.appartenant a leur race ; que du Ole de Timi-§oara on comptait 287 paroisses roumaines;que meme dans le district de Vrsac, ou lesSerbes formaient la population preponderantedes villes, 239 pretres roumains aussi fonction-naient dans les villages. Ils invoquaient une sta-tistique un peu antérieure a l'annee 1769, afinde prouver que sur 450.000 habitants de cetteregion entiere, comprenant le Banat et les partiesvoisines de la Hongrie, 80.000 seulement appar-tenaient a la race serbe. Une fois de plus onrappelait l'ancienneté des Roumains sur ce ter-Moire : Notre mere elle-meme, la Hongrie, aconsidéré cette nation roumaine comme plusancienne que la nation magyare... Les Roumainsqui habitaient dans l'ancienne Dacie avant queles Magyars eussent pris possession de ce ter-ritoire, sont notablement plus anciensTM, et onattribuait l'indolence du peuple roumain aumanque total de droits nationaux et de libertés.

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En 1843, les deux &agues prdsentaient desdoléances concernant la situation des Roumainsdtablis sur le territoire royal. Ils accusaient avecdnergie les Saxons qui avaient continue leurancienne politique d'ecarter les Roumains etd'empêcher leur développement

Bient6t les doldances devaient reprendre soustine forme beaucoup plus dnergique, de plus enplus rdvolutionnaire, A cause des nouveaux almsqui se perpétuaient aux dépens de l'élément rou-main, de fa part de cette nation magyare, qui,reprenant son ideal du moyen-Age et tendant detoutes ses forces A dchapper aux dtreintes de

autrichien, aux tendances germa-nisatrices, voulait se saisir de la force politique,en Hongrie aussi bien qu'en Transylvanie, pourrétablir sous une forme moderne, d'exclusivismenational et d'intoldrance assimilatrice a l'élémentdominant, les traditions de Louis-le-Grand et deMatthias Corvin. Ce mouvement de reconquae"nationale éta4t incarné dans une personnalité ex-ceptionnelle par son énergie, par sa profondeconviction, par son honneteté absolue et sonesprit de sacrifice, ce Széchenyi, qui fut aussiun des fondateurs de l'Académie magyare. Aidedans sa propagande contmuelle, radicale parrapport aux idées, mais encore sensde en ce qui

1 PAcAtianu, Cartea de Attr, vol. 1, a cetta date.

1.

l'impérialisme

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concerne la forme, par la nouvelle litteratureromantique magyare, qui passa rapidement de laphase des reveries a celle d'une action énergique,violente, pour soulever les forces morales de lanation, pour les mobiliser en vue de l'ideal qu'ilfallait nécessairement atteindre, Széchenyi exei çaune influence enorme sur toute son époque. il

croyait fermement que la nation hongroise étaitélue par Dieu pour dominer toutes celles quise trouvaient A sa proximité : la Mer Adriatique,la Mer Noire devaient redevenir magyares. Commele poete Vorösmarty avait proclamé hautementque tout homme que supporte la terre et quele ciel recouvre doit etre homme et Magyar" 1,Széchenyi était persuade que l'heure viendra ounon seulement le .monde entier reconnaitra ledroit des Magyars d'accomplir leur mission con-querante, destructrice des autres nationalites, maisil s'inclinera devant les resultats favorables A lacivilisation que cette conquéte devait entrainer.

A cote du promoteur de cette nouvelle invasion,aussi impitoyable que l'autre, Wesselényi, unapOtre des plus violents dans ses cris de guerre,ne voulait reconnattre aux Slaves et aux Rou-mains que le droit A une langue d'usage dansla famille seule, et il prétendait que les paysans

' Une excellente analyse de ces conceptions dais PapiuIlarian, Istoria Romdnilor din Dacia superioard, 11,

Vienne 1852, p. XVIII et suiv.

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deviennent d'abord Magyars avant de pouvoirprétendre a des droits politiques pléniers.

Comme, des l'année 1834, l'ancien usage desDietes fut rétabli, en guise d'equivalent des Par-lements de POccident, elles servirent a transfor-mer en des réalités constitutionnelles et admi-nistratives les pretentions de ces philosophespolitiques. On avait déja decide que la langueofficielle des tribunaux serait pour la Transylvaniecomme pour la Hongrie le magyar, devenulangue d'Etat", et la procedure entière dut etreconduite dans cette langue; les communicationsavec le gouvernernent central se faisaient de plusen plus en magyar. On osait meme demanderaux Saxons de renoncer a leur langue allemandepour se plier aussi aux nécessités de la nouvellephase nationale magyare du pays : tout au plusaurait-on consenti a leur permettre d'employerle latin pour leurs communications. En 1836 ondéclarait que les registres de l'état civil doiventetre tenus par les pretres en magyar dans lescommunes oil cette langue etait employee dansla predication. En 1840 on décidait meme quetous les registres fussent tenus exclusivementdans cette langue ; tous ceux qui n'étaient pasen eat de le lake ne seront plus admis a occu-per des fonctions dans n'importe quelle église.On recommandait aux maltres d'école de pretertoute leur attention a l'étude de la seule languequi &sit de droit public. On commençait déjà a

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'fonder des asiles d'enlants pour faire desapprendredes rage le plus tendre aux futurs citoyens dela Hongrie et de la Transylvanie magyare leurlangue maternelle. On les qualifiait d'établisse-ments celestes", et Wesselkyi attendait de leur-action une denationalisation totale des autresraces dans un période de vingt ans. Comme il-voulait avoir des ce moment dans son completle programme qui fut celui des apOtres de lamagyarisation A notre époque, il y avait un pa-Tagraphe concernant les colonisations également :-on voulait attirer en Transylvanie la population-d'origine hongroise, les Ciangii (Csángók) decertains districts montagneux de la Moldavie, pourles établir au milieu de la population roumaine,dont on voulait briser ainsi l'unité. Dans cetteiolie romantique, excusable A cette époque, vules tendances exagérées qui avaient envahi dansbous les pays la vie publique et qui devaient seimiser devant la réalité lors des troubles de 1848,-on alla jusqu'A défendre aux églises roumaines(l'employer, A partir d'un certain terme, dans lesactes concernant leur administration intérieure,une autre langue que la magyar.

Meme A Blaj, ob, apres la mort, en 1830, de'Bob, un noble ties entiché de son titre, Jean deLemenyi, donnait des dehors magyars a sa petiteCour épiscopale, ces tendances cyniques provo-Aquerent un profond mécontentement et des actes,d'énergie defensive. On rappela le traité forme'

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conclu avec Rome et on affirma devant le gou-vernement le droit de cette 821ise uniate, d'em-ployer la langue nationale, puisqu'elle était na-tionale et devait l'etre pour toujours.

C'est a ce moment qu'on reprit l'ancien proces-contre les Saxons. Les deux éveques rappelaient-tout le contenu du Supplex libellus, sans lementionner, tous les arguments qui avaient étéapporOs précédemment pour affirmer les droits-de la population roumaine aborigene, nombreuse,brave et soumise. On demandait que les Rou-mains fussent desormais assures en ce qui con-cerne leurs droits, qu'on leur reconnOt celuid'être représentés dans le Conseil des communes,qu'on leur attribuat le nombre de places dansles fonctions, qui correspondrait a leur importancenumérique. On relevait a cette occasion qu'ungrand nombre de jeunes gens qui avaient fre-quenté l'Ecole de droit a Cluj et meme l'Urn ersitéde Bude étaient dcartés a cause de leur qualitéde Roumains et ne pouvaient etre ni avocats,ni fonctionnaires, a cause de ce seul caractereroumain de leur personne.

II est inutile de dire que cette petition futrenvoyée par la Cour de Vienne a la Diete, quela Diete prit son temps pour l'etudier et qu'ellefut enterrée comme tons les autres projets deréforme présentés par les Roumains a partir duXVII-e siecle.

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Les choses en dtaient arrivées a cette phasede leur développement lorsque, le 11 octobre1845, le vieil éveque Moga finit a Sibiiu salongue administration, si peu fructueuse song lerapport du développement politique de sa nation.Celui qu'on devait dlire a sa place avait unegrande mission : il etait appele A défendre l'exis-tence meme de son peuple contre cette politiqueconquérante des Magyars qui ne trouvait chezson collegue de Blaj qu'une resistance mitigiepar la faiblesse du caractere et les sympathiesnaturelles des nobles roumains pour cette causemagyare, qui était, malgré les dehors de la pro-pagande révolutionnaire, au fond, la cause del'aristocratie magyare.

Celui qui devait occuper le Siege de Sibiiu,André Saguna, était un homme tres distinguéet allait devenir le reprdsentant integral de lanation roumaine a la poursuite de ses droits, lechef politique de la race entiere sur le territoirede la Hongrie. De rname qu'au siecle precedentun eveque uniate, Jean Innocent Klein, avait etéamené par les circonstances a &hanger son dtroitcaractere confessionnel pour la majestd héroiqued'un grand role transformateur dans la vie po-litique de son peuple, cette mission &hut cettelois au chef, beaucoup mieux doué que sonprédécesseur, de l'gglise roumaine orthodoxe.

Aussi l'election de Saguna, sa nomination par

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l'empereur ouvrent de fait, quelques années avantles revolutions roumaines de 1848, une nouvelleire pour les Roumains, une ere exclusivementet energiquement politique.

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XXIV.

André $aguna, eveque de l'Eglise orthodoxeroumaine, et le mouvement roumain de 1848

André *aguna était le descendant d'une detes families de marchands originaires de Mace--doine qui s'étaient fixées depuis quelque tempsA Pest et a Vienne, ayant des relations tres éten-'dues avec les divers centres de commerce del'Occident. Dans ce milieu etranger ils n'avaientguere perdu la conscience de leur nationalité ;malgré la difference tres importante du dialecteToumain du Sud envers la langue roumaine litté-mire, ils se considéraient comme faisant partie-Tune nation unitaire et consacraient une partiede leurs riches revenus a encourager la littéra--ture naissante, aux tendances nationales. Ils s'é-laient créés meme un centre dans une sociétédestinee A cultiver le nouvel esprit. Leurs enfants-suivaient les cours d'une école spéciale, dont leprofesseur, Michel Boiagi, est aussi l'auteur d'uneintéressante grammaire dialectale. Un des leurs,Roja, écrivit meme un ouvrage plus étendudestine A fixer l'orthographe du roumain en

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lettres latines (car les Roumains de Transylvanie-aussi avaient employé, a l'exception de quelquestentatives faites par Klein et Sincai, l'anciertalphabet cyrillien).

Le pere de *aguna, un ndgociant, avait finidans des circonstances difficiles ; l'enfant futilevd par les soins de sa mere restée veuve, etil arriva cette chose, assez curieuse, que celui quidevait itre le défenseur convaincu, sinon into-ldrant, de l'Eglise orthodoxe, qu'il servit en mime-temps que les intérits de sa nation, fut gagnépendant ses premieres années par la propagandecatholique, qui lui offrait un appui pour sesetudes et sa carriere. Apres quelques annéescependant, il revint a l'orthodoxie de ses parents._

Ayant terminé ses etudes dans les etablisse-ments laIques de l'Autriche, il entra dans lesordres. On petit dire que ses debuts n'eurentpas un caractere national bien fixé. L'Egliseroumaine administrée par Moga n'était pas endtat de lui assigner un rOle qui OR correspondua sa naissance, a ses talents et a son ambition.En Hongrie, les Roumains venaient d'obtenir en1828 pour leur nationalité le Siege episcopald'Arad, ceux de Vrsac et de Timi§oara dtantoccupés encore par des Serbes, qui dtaient obli-gés de comprendre le roumain, et quelques foismime par des Roumains, comme Maxime Ma-nuilovici, qui cachait cependant son origine; mais.revique d'Arad, Nestor Ioanovici, ne pouvait pas..

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diriger les premiers pas de Saguna. Pour s'ini-tier a la theologie, a la connaissance du slavon,-gull ignorait précédemment, pour pouvoir aspirerensuite a la dignité supreme dans rEglise ortho-doxe de sa nation, il dut entrer dans ranciencouvent serbe d'Opovo, situé dans le Syrmiurn.

Le futur métropolite des Roumains non-uniatesde Transylvanie se trouvait encore dans ce con-vent lorsque survint la mort de Moga. Le gouver-nement ne se hata pas de procéder a relection deson successeur. On ne pourrait pas dire qu'ilprépara l'abolition du diocese qui etait une néces-site pour la vie spirituelle des sujets roumainsde rempereur, mais on continuait a mépriser, anégliger cette fondation religieuse qui avait dtearrachee a la Maison d'Autriche par la revolteet par l'anarchie. Des intrigues tramdes par ceuxqui esperaient la succession, parmi les fideles etsurtout parrni les parents de reveque defunt,purent aussi avoir leur influence pour retarderune nouvelle dlection. Cependant la Cour avaitdéjà devoild ses preferences en chargeatit lejeune Saguna du vicariat, des le mois d'aoat1846. Udlection eut lieu le 1-er décembre n. sL1847, et, comrne on pouvait s'y attendre, les qua-lités persotinelles du vicaire ne lui gagnerentpas la majorité des votants, qui craignaient pourle maintien de ces éléments de patriarcalité abusive-et rude auquels ils étaient accouturnes. Car

aguna avait montre des ses premiers actes-qu'il était un administrateur dnergique, intransi-

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geant, decide A employer tous les moyens a sa-disposition et le soutien assure de l'administra-lion pour imposer a cette Eglise encore branlantesur ses faibles fondements une organisation solide,tine forte discipline et la moralité civilisée, qu'ellene connaissait pas jusqu'alors.

Le premier parmi les candidats présentés Al'empereur fut, bien entendu, un membre de lafamille Moga, Jean, qui avait fonctionne jus-qu'alors comme professeur, assez mediocre, auséminaire. Le second fut le directeur des écoles,Moise Fulea, auquel on doit la traduction, dansune assez bonne langue populaire, d'un manueld'éducation. Le vicaire fut le troisieme sur laliste, et cependant ce fut celui que l'empereurnomrna, le 24 janvier de l'année tragique 1848.Du moment que la Cour s'était arretée sur sapersonne, on l'accepta, oubliant les accusationsqui avaient éte lancées précédemment contre sacandidature : qu'il c:tait Serbe, qu'il ne parlaitpas le roumain, et en diet il préferait s'exprimeren allemand, qu'il n'avait pas de liaisons plusanciennes avec ce diocese qu'il prétendait ad-ministrer. Des les premiers moments, il fut lemaitre obéi.

La popularité lui manquait cependant, et il

fallut les événements extraordinaires de l'année1848, les graves fautes politiques et le manquede consequence de son rival religieux, l'eveque

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Lemenyi, pour le mettre A la tete du grand'mouvement révolutionnaire qui devait &laterparmi les Roumains des deux confessions.

La Hongrie était préparée pour la revolution,.pour cette revolution nationale devant amenerl'établissement de l'Etat unitaire magyare quiétait au bout de toutes les agitations. Touteconduite du mouvement tendant A retablir le-

royaume de Hongrie ou mettle A créer une-Republique magyare selon le type de la Repu-blique française qui devait renaftre au mois de-Wrier 1848 avait passé entre les mains des.radicaux. Széchenyi était presque abandonne: saphilosophie politique paraissait pale et mediocre-A MC des incitations violentes de la rhétorique-enflammée de l'avocat Louis 'Kossuth, de natio.nalité slovaque, et des appels au combat que-lancait la nouvelle poésie d'un autre Slave, Petäfy,On n'attendait qu'un signal pour passer auxfaits, et c'était un de ces secrets que personne-n'ignorait. La Cour de Vienne n'était pas enétat de s'opposer, ni de prévenir: elle attendaitde la fortune qui l'avait toujours favorisée cetempechement de la révolte qu'elle n'aurait pas_été en état elle-meme d'imposer. En Transylvanie, de meme que dans les villes de la Hongrie,toute la jeunesse était enthousiasmée pour cequ'on allait accomplir. Comme ii s'agissait d'une-Hongrie unique, avec la preponderance exclusivede l'élement magyar, ces étudiants, ces jeunes.

la

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fonctionnaires, ces nobles de la nouvelle genera-tion, d'ardents kossuthistes, réformateurs et demo-crates, avaient pour cri de ralliement l'union"avec la Hongrie royale, condition absolue pourarriver politique magyare.

Cette classe de fonctionnaires et d'étudiantscomprenait aussi des Roumains, qui devaient-etre influences par cette propagande tumultueusequi bruissait dans leur milieu special. A l'Ecolede droit de Sibiiu, dans certains centres admi-nistratifs comme Murq-Vasarheiu, oü ii y avaittine Cour d'appel employant dans ses bureauxaussi des Roumains, on discutait journellementce qu'il fallait faire. L'orientation manquait com-pletement, et la plupart étaient disposes a oublierleur point de vue exclusivernent national pourse passionner de liberté, egalité et fraternité avecles anciens oppresseurs, qui promettaient demettre en pratique, apres l'heure de la victoire,le programme entier de toutes les revolutions Apartir de 1789. Dans cette atmosphere de ro-mantisme, de croyances naives, de rhetoriquefallacieuse, les idées directrices devaient fatale-ment s'affaiblir, perdre leurs contours distincts.L'instinct populaire n'était pas là pour redresserles erreurs. Ces fils de paysans, qui, avec lelourd sacrifice des faibles revenus de leurs pa--rents, avaient terminé les gymnases étrangerspour suivre les cours des écoles supérieures,avaient bien conserve le contact avec leurs pa-

a l'unite

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rents et leurs anciens amis d'enfance, rnais cecontact n'avait rien de politique. Les classeepaysannes roumaines de Transylvanie n'avaientguere que des revendications sociales. El lesetaient indignees contre les dernieres mesuresde r 'gularisation de la situation des classesrurales prises par le nouveau regime magyar enTransylvanie. L'urbarium de 1819 contenait deslardeaux plus pesants que sous l'ancien regime,.et on avait cherche a soutirer meme aux paysansune partie de leur droit A la terre, et, quant ala réglementation de 1847, qui permettait A l'an-cien seigneur de chasser le paysan devenu libre,elle était tenement dure pour les pauvres qu'onn'osait pas publier. Tout ce qu'on avait promisjusqu'alors aux Roumains pour les dgaliser ence qui concerne la possibilite d'une carrier&pour leurs descendants était reste lettre morte.Le Roumain qui habitait sur l'ancien domaineroyal aupres des Saxons voyait que les fils deson voisin pouvaient etre des fonctionnaires res-pectés, des artisans laborieux, de riches négo-ciants, alors que tout cela etait interdit aux sienspar le seul fait qu'ils etaient Roumains. On nevoulait pas de fonctionnaires étrangers et, avanttout, on désirait arriver enfin au droit de pleinepropriéte terrienne sous la seule autorité d'unEtat qui aurait preside avec plus de scrupule ence qui concerne la reputation des charges fiscales.

Le temps des rdvoltes paysannes semblait

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-avoir definitivement cessé : en tout cas, les classesrurales roumaines ne se seraient jamais soulevéessans que les représentants des classes supérieures,de l'intellectualite eussent inscrit sur leur drapeaud'autres revendications que celles qui avaientmend au combat les simples soldats de Sophronius.

La presence A Sibiiu de l'eveque des Roumainsmon-uniates n'avait pas encore crée un centreroumain dans cette grande ville, qui était alorsabsolument saxonne. Quant A l'Eglise de Blaj,.elle avait da enregistrer dans les dernieres annéesdes conflits aigus entre l'ancien parti de l'hierar-thie egoIste, preoccupe de revenus et de dignites,et entre cette jeunesse, qui, apres avoir fait desetudes qui ne concernaient pas seulement latheologie, avait eté chargée de donner des legons-dans les institutions scolaires soumises A l'auto-rite de l'eveque. Meme parmi les chanoines ily en avait qui désiraient autre chose que la-continuation de cette ere de Bob que nous avonsplus d'une lois qualifiée jusqu'ici. Mais c'étaitsurtout parmi les jeunes prof esseurs laiques queles nouvelles tendances se prononçaient violem-ment. Si l'érudit Timothée Cipariu, un membre dujeune clerge, homme d'une activité insatiable, deconnaissances encyclopédiques, d'un grand talentcomme philologue et meme doué comme écrivain,,hesitait encore A manifester son mécontentementtontre le regime de l'asphyxie permanente, un

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autre fils de paysans serfs, Simeon BArnut, néen 1804, avait pris, de propos delibére, la di-rection de cette opposition scolaire'et intellectuelle.Le conflit ne fut apaisé qu'apres des concessionsnotables faites par la direction ecclésiastique, etBarnut fut considéré, apres cette manifestationénergique, comme le chef de ceux qui voulaientinaugurer dans ce principal centre de civilisationroumaine une autre ere, nationale avant d'etreconfessionnelle, et meme sans avoir rien de cecaractere confessionnel. Cependant, malgré tout,les circonstances ob on vivait A Blaj etaient telles,qu'on ne pouvait s'attendre a ce que le premiersignal fftt donne de la hauteur mediocre d'unechaire de philosophie dans ce bourg appartenant..A l'eveque.

Ce fut donc la jeunesse libre d'engagementset de devoirs qui prit l'initiative. Ce qui devaitfinir par une jacquerie paysanne, par une parti-cipation nationale a la guerre civile qui éclataen Transylvanie, commenca par des declamationsde salles d'études ou de bureaux, par des cor-respondances mystérieuses et des complots d'e-tudiants. Ce qui donna de l'importance au mou-vement, ce fut le fait que, des le premier moment,ces apOtres de la liberté, qu'ils linirent par con-cevoir comme une liberti nationale roumaine,s'adresserent A la population mécontente desvillages avec un programme vague de revendi-cations, dans lequel ces oppresses et ces miprisés

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pouvaient decouvrir des promesses de libertésociale ; mais cela ne signifiait nullement que lespromoteurs d'un mouvernent dont ils ne pouvaientpas apprécier l'importance étaient unis en cequi concerne les tendances. Il y ava.t encore despartisans exclusifs de la liberté, de bons freresde la jeunesse magyare, qui croyaient, commeleurs anciens professeurs de Blaj, que la languemagyare avait le droit de réclamer la prioritecomme nlangue diplomatique dans l'administra-lion publique et dans les sciences plus élevees",que l'union avec la Hongrie etait desirable,non seulement dans son essence, mais aussi,sous plusieurs rapports pour la cause special edes Roumains, qui auraient obtenu, bien entendu,la reconnaissance de leur nation selon l'ancienneconstitution de la province, celle d'une religiongréco roumaine" au caractere pleinement officielet égal en ce qui concerne l'élection des deputes '.

Le journal de Barit, subventionné par lesmarchands de Bra§ov, pouvait parler vaguementde choses magniliques" qui devaient arriverpour accroitre le bonheur de toute notre patriemontagneuse". A vrai dire, il n'y avait qu'un

' Pour tout ce qui concerne ces idées, voir l'exce!-ent ouvrage du Papiu Harlan, Istoria Romdnilor dinDada superioard, et las Mêmoir,s de Jean Pu§cariuNotife despre intdmpidd cantimporane, Sibiiu 1913,ainsi que la partie qui s'y ra7porte dans le grand ouvragede Barit : Pdrfi alese din Istoria Transilvaniei. Cf, notreHistoire de Roumains, IX.

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seul Roumain completement orienté en ce quiconcerne la grave question du jour, et il n'avaitpas encore parle. C'itait Barnut, nourri d'ideespolitiques empruntées a l'antiquite, fanatique del'idee romaine, convaincu que sur la base de laconquete de Trajan et de la continuité de latradition rournaine on pouvait invoquer et obtenirbeaucoup plus que par n'importe quelle consi-deration concernant le droit public de la Tran-sylvanie ou les necessités politiques du moment.Refusant, dans son isolement, de tenir comptedes siecles qui s'étaient écoules, de tout ce qu'ilsavaient detruit et ce qu'ils avaient bâti, il croyaitpouvoir créer a nouveau, sur cette terre deTransylvanie, riche en souvenirs antiques, la Romeancienne, telle quelle avait été, avec ce materielsimple des paysans, serfs hier encore sur laterre de leurs oppresseurs &rangers. Sa mentalitéétroite et énergique, incapable de faiblesses etde concessions, etrangere a tout ce qui étaitcontemporain et ennemie de tout ce qui était&ranger, devait dorniner tout le rnouvement parla violence de sa conviction inébranlable.

Barnut s'était adresse aux étudiants par deuxproclamations, au mois de mars: il lui fallait uncongres national roumain", et, si ce congres,correspondant aux anciennes assemblées deRome, trouvait bon de proposer un pacte avecles Hongrois stir la base des droits nationauximprescriptibles des Roumains, dans ce seul

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cas, on pourrait s'entendre avec les anciens en-nemis. Les cercles, deja rnentionnes, des jeunesintellectuels, et jusqu'aux éleves du lycée de Cluj,qui avaient leur societe de lecture et ne negli-geaient guere de transposer dans des querelles .

d'enfants avec leurs camarades magyars les nou-veaux principes, furent enthousiasmés par lagrande idée des cornices politiques de la nation.Alors que les négociants de Brapv, ayant a leurtete l'avocat Jean Bran, demandaient seulementaux Saxons de nouvelles mesures d'égalisation,cette jeunesse appelait tous les paysans de laprovince a une grande assemblee a Blaj pourle premier dimanche aprPs PAques. Les elevease firent les porteurs de ces missives myste-rieuses, qui ne rnanquerent pas d'exercer uneprofonde influence sur les masses, d'autant plusque le langage employe par les réformateurs.leur était plus ou moins intelligible. Le nom de.Blaj, sacre pour les fideles de l'Eglise uniate,était aussi fait pour impressionner : Blaj, c'étaitl'êcole, Blaj c'était l'eveque, c'etait la civilisationroumaine dans ses formes estampilldes et pro-igies par I'Etat, et c'etait peut-etre le souvenir

du grand &Ague Jean Innocent Klein s'agitantvaguement dans les Ames de ceux dont lesgrand-peres avaient soutenu son action libératrice.Il y avait quelque chose d'officiel, pour ainsi dire,dans cette convocation, par le seul fait que laplace ou devait se tenir l'assemblée était celle

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oii une reconnaissance permanente de la partde l'Etat s'etait arretde sur les droits de la nationroumaine.

Un jeune professeur, Aaron Pumnul, qui devaitetre plus tard le grand prolesseur des Roumainsde Bucovine oii il se refugia, avait rédigé lacirculaire. Il demandait que chaque village envoyatses protopopes, deux pretres et deux paysans. L'or-ganisation épiscopale de Blaj eut connaissance dec et acte, mais n'osa pas resister. Quant a l'adminis-tration, au moment oa les flammes de la Revolu-tion s'etendaient sur l'Europe entiere et menacaientaussi l'ancien edifice leodal, noirci d'injusticesséculaires, de la monarchie autrichienne, elle nerisqua pas une intervention, espérant tout deméme que les paysans ne répondront pas al'appel qui leur était adresse. Lorsque cependantles paysans se réunirent en assez grand nombre,elle s'adressa a l'eveque pour lui en demandercompte, et Leményi eut le courage de faireobserver que la suppression de cette assembldepouvait d'autant moins etre &Ude, qu'il était acraindre que les hommes, irrités du procédé, neprennent une autre route, peut-etre étrangere aubut initial". Cependant on interdit la reunion, etdes mesures militaires furent prises. Toutefois,afin d'éviter l'éventualité dont l'eveque avait faitmention, cette administration imperiale permettaitaux deux dveques, chefs reconnus de la nation alitd,de convoquer pour un autre jour leurs proto-

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popes et quelques individus plus intelligents"(17 avril). La date du 3 mai fut admise, et les.paysans qui avaient malgré tout entendu le dis-cours de BArnut, ne manqua pas de toucherla question delicate du servage et qui avaientosé interrompre Lemenyi parce qu'il soutenaitle parti des seigneurs terriens" contre les jeunesprofesseurs savants", ne quitterent Blaj qu'avecla resolution de venir en plus grand nombre Ala date fixée de commun accord. Eu egard auxagissements, franchement révolutionnaires, fana-tiquement unionistes et dirigés visiblement contrel'ancien regime entier, de la jeunesse magyare,les fonctionnaires et les officiers de l'empereurne pouvaient pas etre hostiles en principe a l'idéed'une autre manifestation nationale, fidele a l'em-pereur, qu'on pouvait opposer aux declarationsdes adversaires, aujourd'hui, et, demain, a leuraction violente.

Une lois de plus, apres le precedent sanglantde 1784, la Maison d'Autriche essayait de corn-battre une revolution par une autre, quitteintervenir au dernier moment pour les écraserensemble et retablir, dans la mesure du possible,son pouvoir absolu.

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Revolution de 1848: Journee du 3 mai.

On pretend que le nombre des paysans quiassisterent a la grande assemblee du 3 mai s'élevajusqu'a 40.000 hommes. L'eveque Leményi dutprendre part aux scenes historiques qui suivirent,espérant pouvoir donner au mouvement, devenuinevitable, une autre tournure, pacifique, et mêmefavorable aux intérets du magyarisme conquerant,auquel il s'était raffle dans Fame. Celui qui futsalue cependant avec plus d'enthousiasme fut lenouvel éveque orthodoxe, aguna, qui venaitobtenir sa consecration des mains du patriarcheserbe, chef de l'orthodoxie dans la Monarchieautrichienne : pour la premiere fois un evequeorthodoxe fut accueilli dans la maison de celuiqui représentait l'ancien triomphe sur la confes-sion orientale.

Le role principal devait toutefois etre joue parces jeunes professeurs, par ces etudiants, queLem:.nyi venait justement de dénoncer au gou-vernement comme fauteurs de troubles. A Wede Cipariu, représentant le jeune clerge, il y

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avait aussi un representant de ces professeursroumains de Transylvanie qui avaient trouvé uneoccupation au-dela des Carpathes, Auguste Tré-bonius Laurian, qui commencait a jouer un rolepreponderant dans l'enseignement public en Va-lachie, comme philologue et historien de repu-tation. Le gouvernement avait envoyé des commis-saires, qui avaient les troupes a leur disposition.II leur avait éte impossible de réaliser leur premiereintention : a savoir d'éluder le caractere nationalde la grande assernblée et de faire venir sépa-rement, a des endroits différents, les fideles desdeux confessions.

Le 2 mai devait dtre un dimanche, et pourun public de paysans il fallait une assemblee,fat-ce même une assemblee préparatoire. Devantcelte multitude qui caressait un rêve indistinct,les deux évdques se présenterent fraternellement,et ce fut un des grands moments de la vie his-torique des Roumains de Transylvanie que celuioii, quels que fussent les sentiments de cesévdques, la seule organisation roumaine reconnuepar l'Etat se présentait d'une maniere absolumentunitaire. $aguna avait reçu des instructions dela part du gouvernement, et il pesa attentivementsei paroles, exhortant ses auditeurs a garder lecalme, a tdmoigner d'une loyauté absolue enversl'empereur, qu'il nom mait notre bon pere Fer-dinand". Cependant la vraie importance de l'as-semblée ressortit seulement lorsque celui des

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jeunes professeurs qui avait souffert pour lacause nationale, Simeon Barnut, prit la parole.C'était un homme savant, certainement inca-pable d'adopter un langage comprehensible pources paysans, du milieu desquels il s'était pour-tant éleve lui-merne, mais dont il avait Mini-tivement abandonné la maniere de penser etde s'exprimer. Son long discours s'inspira desprincipes d'une philosophie politique transcen-dentale, basée sur des arguments historiques quel'immense majorite du public n'était guere enétat de saisir; il presenta un programme dontl'énonciation abstraite affaiblissait le caractereactuel. Tout en s'occupant des Roumains et deleurs anciennes conceptions d'Etat, il dut parlernéanmoins de l'oppression, du servage et desoffenses qui pesaient sur sa nation, et ce fut alorsque, grace aux écoliers, qui étaient disseminesdans la foule, les paysans commencerent a com-prendre qu'en fin de compte il s'agissait d'euxdans cet expose savant, qui employait une langueroumaine quelque peu etrangere A leurs oreilles.Des cris d'approbation s'éleverent a ce momentvivant de l'eloquence de Barnut. II y avait, d'ail-leurs, parmi les auditeurs un assez grand nombrede chefs du mouvement roumain en Moldavie,dirige contre la tutelle russe représentee par leprince Michel Sturdza, et on aurait pu distinguerla figure sympathique du poete Alexandri et cellede ce jeune Alexandre Couza qui devait etre,

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onze ans plus tard, le premier prince des Prin-cipauts Unies.

Le programme énonce par 13firnut comprenaitla satisfaction pléniere des pr6tentions, plusieursfois exprim6es, a l'egalité des Roumains sur ceterritoire royal qui avait appartenu jadis auxSaxons. Il demandait le redressement de tonsles torts particuliers dont souffrait la plebe rou-maine. Mais ce qui etait important, et d'uneimportance extraordinaire dans le developpementde la nation, ce fut l'affirmation d'un principede droit dont personne ne pouvait plus se de-partir dans les luttes constitutionnelles des Rou-mains de Transylvanie : a savoir qu'ils torment,sans aucune distinction de classes ou confessions,de preparation intelectuelle, une nation autonome,partie intégrante de la Transylvanie, sur les basesd'une liberté egale". C'est dans cette qualite seulequ'ils consentaient a jurer, sous le drapeau dela Monarchie, une fidtlité indbranlable au pereFerdinand 1-er". Les idées qui avaient re9u uneforme plus precise dans le Supplex libellus, undemi-siecle auparavant, étaient proclamées enfindevant 40.000 hommes et acceptées comme lepremier point des revendications nationales.

Pour le moment, il fallait se contenter de cela.Toute organisation manquait ; ceux qui avaientassisté aux scenes mémorables du 2 et 3 mai,aux discussions qui suivirent jusqu'au 5, jourou une pluie torrentielle dispersa la multitude

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Fig. 16 renegue Jean Lamenyi.

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qui ne croyait pas encore avoir rempli sa mis-sion, n'avaient guere reuni autour des projetsd'action commune et des modalités concernar t lalutte des chefs de l'organisation officielle et del'intellectualité roumaine. Les circulaires des deuxchefs d'Eglise, constatant les résultats de l'as-semblée, avaient un caractere tout A fait different,et tine reserve froide les distinguait. II ne s'agis-sait pas pour eux d'un champ de la libertea,nom donne A la place, pres de la riviere de laTArnava, oil la foule s'était assemblée, ni d'unerevolution dans les conceptions de droit desRomains, ni d'une sommation respectueuse, maisdécidée, faite A la Cour de Vienne, mais seule-ment de doleances A satisfaire dans la mesuredes interets de l'Etat. On avait bien élu uncomite provisoire, distribué en deux sectionsconfessionnelles, et ses membres oserent exhor-ter les paysans A s'unir, a se procurer des armes,rappelant aux pretres leur devoir de ne pasceder aux considerations de la crainte ou del'intérêt et de ne pas abandonner la cause de lanation, leur rappelant les anciennes erreurs corn-mises A cause du separatisme confessionnel etdes sympathies qu'elles pouvaient el-6er en dehorsde ['unite organique de la nation. Et il faut notersurtout le point de depart, encore tres modeste,de aguna en ce qui concerne les interets desfideles de son 8glise, considerés comme race.11 rappelait que l'empereur avait clejA accordé

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une situation meilleure a la classe rurale rou-maine et qu'il voulait supprimer completementles restes de servage, le travail force imposecomme rachat des devoirs féodaux aux anciensserfs: il fallait tout attendre de cette grace im-periale que Marie-TNrese avait transmise parJoseph II a son successeur, le souverain regnant.

ne manquait pas meme d'ajouter pour epargnerdes troubles comme ceux de 1784 a la noblessemagyare, bien qu'elle ff1t en pleine effervescencecontre l'ernpereur, d'ajouter que vos superieurset les seigneurs terriens de mame, animés desentiments paternels, veulent que votre état etcelui de vos pretres soit ameliore", ce qui signi-fiait que, dans sa conception, comme dans celledes protopopes de 1700, il y avait des intérétsmateriels du clergé qui pouvaient passer memeavant les intérêts nationaux de leurs ouailles.Ce n'est que par la crainte du Dieu, par lafidélité envers notre empereur et par la reverenceet l'obedience temoignée envers vos fonction-naires séculiers que vous pourrez obtenir l'al-légement des fardeaux qui pesent sur les pauvres",car vos supérieurs veulent votre bien". Peut-ondonc s'étonner que Leményi, dont on connalt lepasse et dont on s'explique la conduite par saprovenance d'une noblesse presque confondueavec la noblesse magyare, s'exprimat, le 14 juin,dans ces termes : L'Assemblée fut tenue au-gement que selon notre ordonnation, qui vous a

II

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.ité communiquée par écrit", en effet les paysansqui revenaient de Blaj avaient commis certainsexces, par exemple dans le village de Mihalt ;comme nous vivons sous le regime de la loi,personne n'a le droit de se donner satisfactionfui-meme", provoquant de tristes incidents".

Deja a ce moment une Diete, oil les Rou-mains étaient en effet représentés, mais dansune proportion tout a fait inferieure, venaitd'admettre, alors qu'une plebe furieuse hurlaitsous les fenetres de la salle de convocation,a Cluj ; ,la liberté ou la mort", la reunion-constitutionnelle de la Transylvanie a la Hon-grie. Et l'eveque declarait que l'union avec laHongrie a eté conclue et confirmée par notretres-haut empereur, et par cette union la plupart-de noire nation, qui jusqu'a ce moment etait-considérée seulement comme tolérée, non seule-merit échappait au service clO au seigneur, mais.elle gagnait en meme temps des droits de touspoints semblables a ceux des autres nations".II n'y a plus de serfs désormais, il y a seule-ment des hommes libres, mais, en même temps,il n'y a plus, dans la conception de l'eveque,-des Saxons, des Roumains, des Hongrois audes Szekler: il n'y a que des citoyens de lamouvelle Hongrie unitaire : il faut nous consi---derer comme des frères". Cependant il croyaitnécessaire d'ajouter, par mesure de precaution.et par crainte de l'avenir, que cela ne donnait a

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personne le droit de contraindre les autres kchanger leur langue ou leur religion".

Mais void qu'une autre crainte surgit. une-crainte égoiste de la part du chef de l'Eglise-uniate representant la minorite du peuple rou-main : celle de voir son Eglise se confondreavec l'Eglise orthodoxe de la majorité sous le-nom national de Roumains, qui évitait la con-fession aujourd'hui et pouvait la ddtruire demain.Que personne ne se trompe et croie que l'as-semblée de Cluj ait decide que dorénavant nous.devons former un seul corps en ce qui concernela religion: il faut entendre seulement que lesuniates et les non-uniates doivent se considérerentre eux comme des freres appartenant A lameme nation et ayant desormais les memesdroits". II faut donc conserver une fidélité en-titre au Patriarche de Rome", et, quant auxorthodoxes, ifs feront ce que bon leur semblera,sans que pour cela on chit leur Umoigi.er de-notre ceité des sentiments non amicaux".

Le grand jour du 3 mai avait ete, comme onle volt, bien court et n'avait pas eu, sous lerapport politique, de lendemain. Seules les mas-ses conservaient fidelement le souvenir d'uneserment qui contenait le germe d'un avenirfibre et uni.

II y avait toutefois d'autres difficultés encore :-une grande partie des Roumains habitait au-dela

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des frontières de cette Transylvanie, dans leBanat et dans les regions voisines de la Hon-grie, jusqu'au Maramoureche, et ces Roumainsavaient envoyé tout au plus des delégués a Blaj,sans qu'ils se fussent attribues le droit de par-ticiper aux discussions, ni le devoir de se croire,en tant que membres d'une autre communautépolitique, engages par les decisions qui avaienteté prises.

Du reste, un probleme local les préoccupaitceaucoup plus que le grand probleme de l'u-nité roumaine reconnue par l'Etat. De mêmeque les Roumains de l'ancien fundus regius vi-saient avant tout a arracher aux Saxons unedeclaration d'égalite, les Roumains du Banatavaient devant eux comme ennemi l'hierarchieserbe, avec la dependance ecclésiastique et sco-lake qu'elle provoquait et maintenait, et ils al-laient si loin qu'ils voyaient dans les Magyarsdes allies naturels contre ces oppresseurs dememe religion. C'est pourquoi, en 1848, le com-bat fut livri contre ces voisins serbes seuls: uncomité de personnes plus ou moins anonymesfut forme, et il commenca ses deliberations se-cretes a Pest, pour presenter a la Cour une pe-tition au nom des comtés d'Arad, du Bihor, duTorontal et de la region des Cris. Le 3 juin,une assemblée du peuple, réunie a Timisoara etcomprenant, outre les Roumains du Banat, ceuxdu ctité d'Arad, au-dell de la riviere du Mures,rédigea une petition, adressee aux ministres hon-

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grois de rempereur, imposes par la revolutionet qui devaient le détrOner bientht, pour de-mander la reunion legate des deléguis roumainsde la confession orthodoxe en Hongrie, dans lebut d'ordonner, sur une nouvelle base, leursrapports avec les Serbes. Nous sommes", était-ildit dans cet acte deplorable sous le rapport po-litique, une nation ancienne ; nous avons rendudes services A la Hongrie ; nous entretenons dessentiments d'affection envers nos freres magyarset nous nourrissons de la sympathie et de laconfiance envers le premier-ministre hongroisindépendant". Comme, malgre l'ancienneté surcette terre et la noblesse d'origine des Roumains,des douleurs causees par le mauvais esprit dusiecle se sont abattues sur la nation", elle ose-presenter des desiderata légitimes", demandantla separation des Serbes, un vicaire de metro-polite pour les Roumains seuls, ayant deux con-seillers, dont l'un laIque : la repartition des cou-vents existants entre les deux nations et, parconsequent, celle des richesses de rEglise ortho-doxe, ce qui devait etre accompli par une com-mission mixte. Les Roumains allaient avoir aussileur synode ecclésiastique et politique, different-de celui des Serbes, et, en échange, ils s'offraientA accepter l'emploi du magyar, que les Rou-mains de Transylvanie ne voulaient admettre que-dans les communes de population mixte, ainsi.que dans les seuls rapports avec l'autorité cen-trale. Barit demandait meme que, dans les comités.

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oui les Roumains avaient la majoritd, les débatsdes assembldes aient lieu en roumain, que leslois et les ordonnances soient publides dans ceitelangue, que les fonctionnaires soient obliges de laconnaltre, qu'elle soit introduite dans les dcoles devillage et dans les écoles secondaires, ob le ma-gyar ne serait enseigne que comme langue &e-tude, au meme titre que le latin

Mais, aussitôt, le mouvement roumain dans leBanat prit un caractere plus actif, grace a cejeune juriste Euthyme Murgu, originaire deCaransebes, dont il a été question plus haut.Etabli a Lugoj, apres avoir fonctionné commeprofesseur A Jassy et Bucarest, Murgu, qui avait-eté meld A une conspiration rnystdrieuse et avait,été merne dénoncé dans les Principautds, pritla direction des assembldes populaires, le len-demain du jour oii ii dchappa A la prisonhongroise. Les freres" magyars commencerentquelque peu A einquiéter, bien que Murgu par-!At seulement de l'opposition que les Roumainsdevaient manifester contre les agissements desSerbes, contre leur audace impudique". Dureste, celui qui invitait les siens a s'armer,A nommer de.1 capitaines et prétendait quedes Roumains de son election soient nommescomme vicaires, voulant même un mdtropoliteTimisoara, comrnencait a s'attribuer le rOle gran-

' Les actes conc3rnant ces desiderata et pretentioussont publies dans la Cartea de Aur de Plcatianu, vol. I_

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diose de chef de la nation roumaine orthodox&dans le Banat. II répudiait toute relation avecles révolutionnaires de Blaj et dénonçait alesmachinations de ceux qui, excitant le peuple-contre les Magyars, cherchent a l'attirer de leur-côté pour le rendre ennemi de la Hongrie".

Mais l'acte du 29 mai, qui réunissait la Iransylvanie a la Hongrie, la confirmation extorquéea l'empereur le 10 juin devaient avoir des con-sequences, malgre le manqué d'orientation cornplete et d'organisation de combat de la part de&Roumains. Un moment avait certainement et.%

perdu, mais la cause roumaine allait avoir pouralike la lenteur que mettaient les Magyars a finird'une maniere radicale avec tous les liens qui lesattachaient encore a un Etat etranger et aux int&rets d'une dynastie de conquete, leur croyance follequ'on peut arriver avec les forces disseminées.d'une revolution, conduite par des avocats et despoetes, par des héros de tribune, a vaincre, nonseulemenr la résistance naturelle de la Maisond'Autriche, mais aussi tous les intérets monar-chiques qui devaient se coaliser pour collaborer asa résistance. Et cela allait procurer aux Roumains,sinon la délivrance qu'ils revaient, du moins la sa-tisfa.tion passionnée de tears grids seculaires, larevanche sanglante que les paysans attendaient depuis 1784. Contre une Hongrie ayant a sa têtecomme roi apostolique, le ban pere" Ferdinand,.

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ii aurait été difficile d'agir ; il en fut tout autrement-lorsque le patriarche couronne, l'héritier de Marie-Therese, était remplace par la personne, inconnue ouantipathique, n'ayant rien du prestige-du passe et de la légitimité historique, de LouisKossuth, president de la Hongrie libre.

Pour le moment, *aguna, qui entretenait des.relations fres froides avec le gouvernement deCluj, fut appele pour preter son serment d'éveque,.et les principaux représentants de sa confessionlui demandaient de donner des assurances paci-fiques au gouvernement. Quant a Leményi, ii

avait été entierement captive par le rnouvemententhousiaste des Magyars et devait expier plustard la naïve confiance avec laquelle ii avait vote-dans le sens des ultras. Mais une deputation deRoumains s'était presentee a l'empereur A Ins-bruck, la capitate de sa défaite et de son déses-poir. Elle était composee du protopope de Brapv,Popazu, de Laurian, de Bran, dejA mentionnés,_et de Cipariu, seul représentant des Roumainsde confession uniate. Leur petition, datée du 17mai et presentee le 30, portait aussi la signaturede Barit, le chef des modérés de Brapv, et deLemenyi lui-meme, qui n'en avait pas fini avecses inconséquences malheureuses. On demandaitune assemblée nationale, un comité national dedirection, une seule Métropolie roumaine, ayantdes synodes annuels, avec le droit pour les laIcs.

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25 t N. lorga

d'y participer selon l'ancienne coutume, l'electiondes éveques par ces synodes, des libertes pu-bliques comme en Angleterre, l'abolition du travail.obligatoire des anciens serfs, des privileges demetiers, des douanes intérieures, de la dime desmetaux pour les exploiteurs de mines, de ran-cien regime militaire. des Grenzer". Et, comme,on voulait y comprendre tout ce que chacun desmembres avait reve et en finir avec la questionroumaine par la satisfaction immediate d'unprogramme integral, ces naffs, qui n'apportaientencore a l'empereur la preuve d'ucun sacrificede la part de leur nation, restée pacifique, s'oc-cupaient d'une commission mixte agraire, del'organisation du clerge sur la base de l'élection,d'un nouvel enseignement national roumain, cul-minant dans une Université ou les cours seraientfaits dans cette langue, de l'abolition de tous lesprivileges fiscaux et de toute l'ancienne legisla-tion, défavorable aux intérêts de leurs commet--tants : il fallait que la Cour ne prit aucune de-cision definitive concernant l'union jusqu'a laconstitution definitive de la nation roumaine '.

Malgré sa jeunesse, *aguna était trop biendoue sous le rapport politique pour aoCiter desprogrames aussi hardis, mais aussi peu pratiquesque celui que venaient de soumettre les repré-sentants lafques des Roumains, qui paraissaient

1 Popes, loc. cit, p. 133 et euiv.

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vouloir oublier l'existence d'une Eglise constituéeseule garantie par les privileges de l'empereur.ll demands, de son Me, une audience pourcornmuniquer a l'empereur que le trésor le plussacré des Roumains est leur nationalité et leurlangue", que, d'apres les dernieres mesures con-stitutionnelles, le Roumain n'a plus le caractereroumain et ne représente plus sa nation", quecela constitue une injustice qui dame jusqu'auxcieux, ainsi que la destruction de leur existencepolitique nationale", car la langue roumaine-n'est respectée qu'en tant qu'elle n'est pas ex-tirpée"; il voit dans la nouvelle legislation élec-torale un attentat contre les droits des Roumainspauvres, qui se voient exclus par le cens exige.ll s'agit, dans le décret meme de l'Union, votepar une assemblée ob il n'y avait que vingt-deuxRoumains contre une majorité ecrasante d'etran-gers, d'un acte sans aucune valeur pour cesRoumains; il faut donc convoquer une nouvelleMete, oil les nations de Transylvanie soientrepresentees selon leur valeur numérique et leurutilité pour l'Etat: les resolutions d'une telleassemblée seront sans nul doute acceptées parles Roumains également.

Le 22 du mois, la chancellerie impériale, quicomptait, malgré tout, se concilier les Hongrois,osait presenter les mesures prises a Cluj commeune satisfaction pléniere des desks des Roumains,c'est-àdire, pour nous servir du texte meme de-

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.256 N. biz.;

-cet acte ,des sujets roumains de l'empereurdans la Transylvanie avec la Hongrie". Et on-ajoutait: votre nationalite sera garantie par uneloi spéciale, on créera des ecoles nationales, ons'occupera de ce que votre Eglise soit égalise-aux autres Eglises, mais, naturellement, selon laloi", et les Roumains seront admis dans les fon-Ttions au meme titre que ,leurs concitoyens aveclesquels ils doivent vivre en bonne intelligence".

Quelques jours plus tard, a un moment ou des-arrestations étaient ordonnées contre certains chefsroumains de Transylvanie, Saguna s'excusait enversses fideles en les invitant a garder toute leuriidélite envers l'empereur. Le parti laIque pensaalors A le rappeler, mais, au mois d'aoCit encore,,comme membre de droit de la Diete de Hongrie,ii intervenait pour obtenir la reconnaissance dessiens comme nation. Et, de fait, il avait obtenuplus que les représentants laIques, car la Courlui avait promis de tenir compte de ses obser-vations dans la nouvelle legislation pour la Hongrieentiere.

Ii laisait partie aussi de la commission transyl-vaine nominee par la Diete pour régulariser lanouvelle situation et, parmi les membres qui luirfurent adjoints, on trouve Cipariu, Bran et quel-ques autres, commission évidemment inutile,parce qu'elle commençait par admettre que lesRoumains, devenus citoyens de la Hongrie libre,ne peuvent plus avoir, au point de vue legal, des

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Histoire des Roumains de Transylvanie 257

revendications qu'en cette qualite de citoyens. Onleur demandait done que le magyar soit introduitdans les protocoles des communes, qu'il soitenseigné dans les écoles élémentaires, et, lorsqu'onleur opposa un projet qui demandait que les loisfussent publiées en rournain, que la langue rou-maine soit introduite aussi dans l'armée pour lessoldats de cette race, que roumaine soitsoumise A un mkropolite, que des évequessoient créés dans le Banat et A Arad, élus partin synode de quatre-vingt mernbres, pour lamoitié lees, on ne daigna pas meme leurdormer une reponse. Kossuth cleclarait definitive-ment, au moment oh le vieux Wesselényi, devenuaveugle, craignait que l'avenir ne fht aussi noirque la nuit de ses yeux", que les Roumains nesont pas un peuple, mais des individus A droitségaux, faisant partie de la nation politique magyare".

Les elements recalcitrants parmi les Roumainscontinuaient cependant A s'agiter au moment ohla milice des Orenzer" était dissoute pour etreconfondue avec les regiments magyars. Les sol-dats se rassemblerent avec leurs officiers étran-gers pour declarer vouloir conserver leur autonomie,leur avoir, cree par la Couronne, leurs écoles,leur organisation ecclésiastique et politique et sur-tout, malgre le respect envers la Constitution,leur fidélité entiere A l'empereur. Bient8t ils allerentplus loin encore et déclarerent, A Orlat et NAsAud,ne pas vouloir reconnaitre le Ministere hongrois.

l'8glise

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258 N. lorga

révolutionnaire et être délivrés de la suprématiedes Magyars.

Pendant ce temps, les civils jouaient aux comis-sions, nommaient celle de cent apres celle dedouze. Des assemblées furent tenues le 13 et le24 septembre a Blaj, sans atteindre le moins dumonde la valeur politique imposante de l'assembléedu 3 mai. Déja le gouvernement procédait d'unemaniere draconique contre les mécontents. Comme,a l'occasion du premier recrutement, il y eut desvillages qui s'y opposerent, on tira sur la fouleet il y eut des victimes. Cela fit prendre cependantles premieres mesures pratiques : on procéda A

l'armement des masses et, en meme temps, les-chefs du mouvement demandaient une assembléenationale, une Diete de Transylvanie, convoquded'apres les normes de l'absolutisme, un gouver-nement provisoire.

A ce moment Ferdinand I-er dissolva la Dietede Pest, proclama l'eitat de siege et confia laTransylvanie aux autorités militaires. Comme son-commissaire, Lamberg, avait été tué, dans les-circonstances atroces que Von sait, a Pest, le Bande Croatie, Jelacich, obtint la permission, depuislongtemps désirée par ce chef des Slaves, d'interArenir contre les Magyars abhorrés, armee contrearmee.

Mais le représentant militaire de Vempereur enTransylvanie, Puchner, n'avait guere les moyens

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Histoire des Roumains de Transylvanie 29

nécessaires pour prodder de mettle : ii dut dones'adresser aux Roumains, demander une levee enmasse, tolérer des actes révolutionnaires destines

étouffer la revolution elle-meme. De son cOte,le représentant de la Hongrie révolutionnaire, lecommissaire Vay, osa demander, bien qu'il eatpermis la devastation de leurs eglises, le concoursde cette race méprisee pour maintenir le nouveau_regime de Kossuth. Et Lemenyi, gagné par cettedernière forme déchue du mouvement nationalmagyar, exhortait les siens a sne pas oublierleur patrie", tout en gardant leur fidélité A rem-pereur. II devait linir dans un eouvent de Fran-ciscains, en 1871, comme prisonnier d'Etat, etSaguna le sur ses derniers jours, pleurerA chaudes larmes les fautes que son education-et sa faible intelligence lui avaient fait commettre.

Contre la revolution et selon la demande expressedu commissaire imperial, un Comité de pacifi-cation" fut forme, comprenant uniquement desreprésentants du parti laIque: Bfirnut, Cipariu,Bran, le professeur Balà§escu, l'avocat Miche§, quiavait éte arreté pendant un moment, et enfinBarit lui-meme. La pacification signifiait le desar-mement des Hongrois, soit le combat contre lesforces militaires de la revolution. A ce moment,dans les montagnes qui avaient vu tour A tourles premiers mouvements contre l'Union, la royautérévolutionnaire de Sophronius et les crimes ex-,piatoires des bandes de Horea, un des jeunes

vit,

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fonctionnaires de Murq-Vaprheiu, le juristeAvram lancu, organisait, selon des normes ro-maines, inspire par les idées de BArnut, des ar-mées imperiales de paysans, ayant a leur têtedes préfets" et des tribuns".

Bien que Saguna desapprouvAt dans sa cons-cience toute manifestation roumaine qui n'etaitpas en relation avec 1'8glise, ii céda a ses sen-timents de fidélité pour l'empereur et, sans avoirde relations plus étroites avec le comité de paci-fication, il donna, de son côté, le signal de lalutte, le 7 octobre.

Mais l'empereur devait abdiquer, et les Russesallaient intervenir pour soutenir le tr6ne malassure du jeune François Joseph 1-er. Le comitede pacification fut remplacé A la suite d'un ordrede la commission militaire de Puchner, par uneassemblée roumaine, convoquée A Sibiiu, le 16decembre, et présidée par Saguna. Elle se ralliaa l'idée de faire entrer les Russes dans le pays.II faut signaler cette lois encore l'habileté perfidedu gouvernement autrichien : ii ne voulait pass'humilier en appelant les armées du Tzar,mais bien le faire venir pour une interventionqu'aurait déterminee les petitions désespéréesdes coreligionnaires orthodoxes de Transylvanie.Saguna, toujours dispose A suivre la voie indi-quée au nom de l'empereur, acquiesça a cettesolution.

11 aurait pu faire mieux, s'il avait pu recevoir

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Fig 18. 'Portrait d'Avram lanai en 1848.

.-

171'

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Histoire des Roumains de Transylvanie 261

lune autre education, s'il avait &é plus roumain,non seulement par le sang, mais aussi par lemilieu oti il aurait vécu, et si l'impérialismen'avait [-pis une fois pour toutes son empreintesur son Arne loyale.

Une vraie guerre civile se déchainait entretemps dans les montagnes de la Transylvanie,dans laquelle les Roumains employerent jusqu'al'energie des femrnes et, avec de pauvres canonsren bois de cerisier, ils combattaient aux fondsdes vallées et sur les cimes des rochers contreles dernieres forces désespérées du magyarismeprincipiellement vaincu. L'héroisme ne manquaitpas, ni le dévouement absolu a la cause impe-l-late, confondue avec la cause nationale du peupleroumain. II n'y eut pas d'historien pour les dé-crire, et quelques notes tardives des tribuns"ne conservent qu'une partie des actes de hautebravoure qui distinguerent cette campagne desrévolutionnaires contre la revolution. Avram lancu,avec son temperament enthousiaste, avec sesvertus chevaleresques et son talent de harangueret d'exhorter les foules, dtait un vrai chef, et ilavait trouve dans Axentius Sever, dans Nicola et-autres membres de la jeunesse universitaire deslieutenants dignes de lui.

Mais il manquait certainement a ce mouvement,-qui offrait en sacrifice chaque jour des soldats

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262 NL lorga

dévoués a l'empereur, ce qui aurait fixe desrelations politiques entre ces insurgés et la Cour,ce qui aurait donné a cette levee en masse unevaleur supérieure par rapport aux revendicationsdes Roumains. Le devoir des membres du partilaIque, qui perdaient vainement leur tempssous les ordres de Puchner a Sibiiu, dans leurCommission de pacification, dont le nom lui-mêmeétait devenu ridicule, aurait été aussi le devoirde aguna, reste maintenant le seul éveque desRoumains, puisque l'autre avait trahi et avaitperdu ses droits : c'était celui de quitter cetteadministration sopçonneuse et de se mettre a la tetede la partie vivante et combattante de lair nationsur ce champ de bataille. Mais en Transylvanie,comme ailleurs, les Andreas Hofer restent isoléstout aussi bien des cercles officiels que des re-présentants supérieurs de la nation pour laquelleils risquent tout. On ne pourrait pas dire cequ'ont manqué A cette occasion Barit, Bfirnut, Ci-pariu et les autres professeurs et écrivains, mais$aguna a certainement perdu l'occasion de réunir,ainsi que l'avait fait pendant un moment JeanInnocent Klein en 1745, la nation entiere sousson sceptre archiepiscopal.

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XXVI.

Ere des experiences. Commencement duregne de Francois-Joseph I-er.

L'empereur Ferdinand avait abdique au milieudes troubles de la revolution, et son successeur,le jeune archiduc FrancoisJoseph, conseille parsa mere, l'archiduchesse Sophie, donnait A tousles mecontents, sauf les Magyars vaincus et hu-milies, de brillantes esperances d'avenir. Aussitôtapres son avenement, un nouveau comite roumainrédigea un mémoire pour le jeune empereur.Bärnut, Cipariu, Laurian étaient les auteurs decet acte politique. On demandait un Conseiladministratif pour l'administration de la Transyl-vanie, qui devait agir de concert avec Puchneret être constituée exclusivement par des membresdes nations non-compromises", ce qui signifiait,en ce qui concerne les Roumains, un vrai avi-lissement national, puisqu'on ne parlait plus dedroits historiques ou élementaires, mais seulement(lu caractere de loyauté lors des derniers troubles.

Le 21 décembre 1848, l'assemblée provincialeformée par Puchner avait ouvert ses seances et

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Saguna paria devant le gouverneur, deplorant-les villages depouilles et incendiés, les églises-prolanées, le grand nombre de nos freres, clercset laics, qui ont été condamnes et haineusementassassines, pour que leurs corps soient aban-donnés sur les champs et les grandes routesu.L'eveque savait hien distinguer entre l'impéria-lisme dont on avait parle dans les derniers tempspour leurrer les nationalités et le sentimentnational. Le premier était, selon son opinion,la tendance vers le libre développement desrelations entre l'Etat et les citoyens, alors quel'autre ne peut etre qu'une syrnpathie spécialeenvers tous ceux qui appartiennent A la merne-race, A la même nation et parient la meme Ian-gue". Mais $aguna n'oubliait pas d'engloberdans une seule conception politique tous les-habitants de la province, qu'll intitulait, pourfaire plaisir au gouvernement, le ,peuple tran-sylvano-autrichien"

En ce qui concerne les pretentions presentees_par les Roumains a cette occasion, elles con-sistaient a leur faire deposer les armes, gullspromeltaient de n'employer, a l'avenir égale-ment, que pour la seule cause de l'empereur,creer une Université roumaine, en commencantpar des classes complémentaires de droit A

Sibiiu aussi bien qu'A Blaj, A accorder des de--

' Les actes, dans la publication de Popea.

t.

A

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Histoirc des Roumains de Transylvanie 265

dommagements a ceux qui avaient été attaquespar les révoltés hongrois, a satisfaire les dole-ances des habitants des districts miniers. Enfait de droit public, on déclarait desirer la sepa-ration de la Hongrie, d'apres l'ancienne tradi-tion historique de cette province transylvaine, laconstitution d'un comité roumain permanent, laconvocation d'une nouvelle Diete pour la Tran-sylvanie, refection d'un chef" des Roumains etla formation d'une assemblée generale de cettenation, tout en proclamant qu'il ne s'agissait pasde séparatisme" ou d'aspirations républicaines1On n'oubliait pas de demander que les Saxonsabandonnent les abus traditionnels a l'égard desRoumains.

L'intervention militaire des Russes mit fin atous ces projets. Saguna était MI6 a Bucarestavec le représentant des Saxons, Gottfried Muller,pour demander aux généraux du Tzar de sauverla domination de François-Joseph sur la Tran-sylvanie et la Hongrie, et les troupes de Liidersavaient passé les Carpathes. A son retour, S a-guna se presenta a Olmiitz devant le jeuneEmpereur. II s'y trouvait le 6 février 1849 pourlui presenter une nouvelle liste de prétentionsnationales, qui torment sans doute un des actesles plus importants de la vie constitutionnelledes Roumains de Transylvanie.

Apres un long discours d'hommage, qui traite

12

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de la liberté et de l'egalité nationale, des longssacrifices faits par les Roumains, de la valeurdes soldats fideles, du bon sens politique despaysans de race roumaine de Transylvanie, desmilliers- de Roumains qui ont été tires dans leurscombats contre les rebelles,l'eveque, qui représentaitl'Eglise roumaine entiere, la seule organisationorthodoxe reconnue par l'Etat, demandait la reunionde tous les Roumains sujets a la monarchieautrichienne, au nombre de quatre millions, dansune seule nation independante sous le sceptredes Habsbourg. Et il ne s'agissait pas seulementdes Roumains de Transylvanie, du Banat et desregions voisines, mais aussi de ceux de Buco-vine, car, parmi ceux qui signent cette petition,on retrouve les freres Mocsonyi, Jean et Lucien,d'origine sud-roumaine, représentants de la cons-cience roumaine du côte du Banat, des Roumainsoriginaires des comtés extérieurs et, outre unplus grand nombre de Roumains de Transylva-nie, Eudoxe de Hurmuzaki, l'historien, originairede la Bucovine, dont il était, comme membred'une famille nombreuse et influente, le vraichef, et Michel Botnar, membre de la Dieteprovisoire de Cernauti. Parmi les émigrés venusdes Principautés, Jean Maiorescu, Transylvaind'origine, était d'avis qu'on pourrait réunir, ainsique le proposait, du reste, aussi le Saxon Roth,I cette communauté politique des Roumains dela monarchie autrichienne ceux qui avaient essayé

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quelques mois auparavant d'obtenir la libertepolitique entiere en Valachie et en Moldavie :tine nation entiere serait entrée, par la realisationde ce projet, dans les limites d'une nouvellemonarchie des Habsbourg, qui n'aurait eu d'autrecaractere que celui d'une libre reunion des na-tionalités amenées par la fatalite historique A nepas pouvoir constituer des ttats correspondantA leur valeur ethnique. II y avait parmi lesanciens chefs de la revolution valaque quelquesradicaux, comme Nicolas Bfilcescu, l'historien deMichel-le-Brave, qui, par haine contre le des-potisrne, essayaient de nouer des relations, pro-fitables aussi a leur nationalité, avec Batthydnyiet Kossuth, qui, de leur cote, croyaient preparerle terrain, dans la naïveté de leur fanatisme, tnparlant de leurs intentions d'amalgamiser lesRoumains de Hongrie" 1,

Si l'Empereur avait admis le projet de Saguna,il y aurait eu un congres gCnéral des Roumains,,un seul chef pour la nation entiere, sous le titrede voévode, un Sénat roumain et un chefunique de leur Eglise", ce qui montrait clairementl'intention de l'ev&lue orthodoxe d'employer cescirconstances exceptionnelles pour arriver a sup-planter completernent l'organisation de l'Egliseuniate et a etablir sur une large base nationale

1 Ion Ghica, Amintiri din pribegie, pp. 272, 329, 33I,.346, 362-363.

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son propre Siege episcopal. Le gouvernernentaurait employe le roumain dans toutes les alfakes intéressant la nation. Une assemblée na-tionale aurait été reprfisentée proportionnellementA la Diete impériale et, comme pour les Illyriens"serbes au X \All-e siecle, ils auraient entretenuaupres du Ministere un organe national", vraiambassadeur de la nation. Enfin, pour couronnerl'édifice, l'empereur lui meme aurait consenti aprendre le titre de Grand-Duc des Rournains".On ne pouvait etre plus Roumain et plus Autri-chien que dans ce mémoire, oh on rencontrel'inspiration évidente de Hurmuzaki, qui juraitjusqu'au dernier moment de sa vie sur la possi-bilitt de cette union entre sa nation et le tr6nedes Habsbourg, d'apres lui le seul moyen pratiquede résoudre la question roumaine.

La réponse impériale a la teneur suivante :,J'accepte avec joie l'assurance concernant lafidélité et Pattachement de la courageuse nationroumaine etje reconnais avec gratitude les lourdssacrifices qu'elle a faith pour mon trOne etpour ma monarchie unitaire contre un partiinfAme (ruclzlos), qui a attisé la guerre civile etpar son opiniAtreté la fait durer encore. Je dis-poserai que la petition de ma fidele nation rou-maine soit examinee attentivement et résoluedans le plus bref delai, A leur satisfaction".

II y avait done une nation roumaine, dont onreconnaissait le courage, les sacrifices et les

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droits et, en ce qui concerne les revolution-naires hongrois, ils n'étaient qu'un parti" in-fame". Le temps viendra bientet oh les Hon-grois, devant lesquels abdiqua bientôt la ven-geance impériale, allaient redevenir une nyfion,les Roumains &ant désormais eux-memes unvrai parti". Vienne est coutumiere de ces re-tours de conscience.

Quelques semaine plus tard, le 4 mars, l'em-pereur proclamait la nouvelle Constituth. n autri-chienne, qui reunissait A la Transylvanie, rede-venue libre, les comtés extérieurs et ajoutait lagarantie d'une meme situation légale pour toutesles nationalités et les langues de ce pays, danstous leurs rapports publics comme citoyens". LesRoumains se plaignaient seulement de ce qu'ungrand nombre des membres de leur nationalitésoit compris dans le territoire saxon", qui avaitété rétabli, et, de leur côté, leurs congéneres duBanat s'agitaient contre l'idée d'etre englobisdans l'organisation nationale serbe qu'on venaitde créer pour recompenser la fidelité de cetteautre nation, clans la Voevodina.

Mais, ainsi que l'avait dit l'empereur, l'opi-,niâtrete" du parti sans scrupules" continuait.On combattait encore en Transylvanie, et lesang des Roumains coulait pour Francois-Joseph,le bienfaiteur et le restaurateur de leur nation.Le 2 mars meme, le commandant des rebelles

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avait osé adresser aux combattants pour la causeroumaine, qu'il intitulait malheureux Valaques",ces lignes destinées a offrir la palme de la paix:Vous, qui avez été des esclaves sous lesRomains et qui avez continue A etre esclavesmeme plus tard, vous que les Magyars ont faitpour la premiere fois des hommes...., ne soyezpas victimes des tortures sanglantes des assas-sins, des brigands, des aventuriers qui se nom-ment tribuns, préfets ou centurions', alors qu'ilaurait mieux valu se réconcilier avec leurs anciensfreres, les Magyars.

Le 19 avril, Francois-Joseph était déclarddéposé par les Hongrois, apres un terrible acted'accusation. Un émissaire bien payé, Dragos,était envoyé dans les montagnes occidentales dela Transylvanie pour chercher A gagner les chefsdu mouvement roumain, et le delegué qui s'of-frit pour négocier, Buteanu, fut pendu aussit6t.Des bandes magyares pénétrerent dans Abrud,tuant tous ceux qu'elles rencontraient, mais ellesabandonnerent aussitôt ce bourg, car les combatsqui continuaient prenaient une tournure de plusen plus défavorable pour elles.

A ce moment, le 26 avril, les nations non-compromises* crurent pouvoir s'adresser collec-tivement A l'empereur pour lui demander, aunom des Roumains, des Croates et des Slova-ques, de ne pas conserver une Hongrie ou les

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Iiistoire des Roumains de Transylvanie 271

Magyars auraient eu quand meme une prépon-derance politique, mais de separer chacune desnations, laissant aux maltres de la veille un paysmagyar" qui leur appartienne sous le rapportethnique.

La reponse impériale en ce qui concerne lesRoumaas, émise au mois de juin, contient cetengagement: Je promets aux Roumains desconstitutions organiques correspondant aux vraisbesoins de ce peuple et en consonnance avecl'unité de la monarchie

Au mois de juillet, Francois-Joseph ajoutait :,,Vous pouvez etre certains que les désirs rai-sonnables et justes des Roumains seront ac-cornplisa.

On n'avait qu'a s'endormir la-dessus, et c'estce qu'on fit.

Au mois d'aota suivant, les derniers repré-tsentants de la cause révolutionnaire vaincue,-commandés par Gorgyei et par le chef polonaisBern, qui avait penétré dans cette region des Car-pathes de Moldavie, oü subsistaient des villagestiongrois, essayant de se créer un nouvel appuinational dans cette province, déposaient les armesdevant les troupes russes, a iria-Világos, et,-aussitOt apres, les combattants roumains des,Montagnes Occidentales licenciaient leurs troupes,

a Popes, loc. cit., p. 334 et suiv.

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sans que *aguna eat parte une seule fois, jusqu'au mois de juillet, de leurs exploi's et des-droits qu'ils créaient a la nation : tout au pluss'etait-il hasardé a proposer l'emploi contre leshonveds desespérés" des préfets experimentesdu landsturm roumain", en soumettant Avramlancu, leur chef distingue", au capitaine césaro-royal Albert Czyrka '.

Alors que certains parmi les chefs politiques des.Roumains pensaient a l'etablissement d'un puis-sant Empire daco-roumain, s'etendant du Dniesterjusqu'au Danube inférieur et de la Tisa jusqu'auPrut et a la Mer-Noire" et que des auteurs deprojets songeaient meme a proclamer commeroi de Roumanie" le prince de Leuchtenbergou un fils du Tzar, par opposition au projet del'empereur autrichien Grand-Duc des Roumains,.*aguna songeait a recueillir pour son Eglise lesfruits du mouvement. II voulait une organisationmétropolitaine pour cette eglise, qui auraitéchappé a la dépendance du Patriarcat serbe.

A la mort de l'eveque de Vrsac, bienne Po-povitch, $aguna, qui prenait le titre d'évequede l'Eglise orientate", sans parler cette fois des

1 Sur les combats livrés dans les montagnes occiden-tales, voir Die Romanen der österrelchischen Monar-chie, II; N. 131Inescu et V. MihAtlescu, Ion Maioresca,p. 281 et sulv ou encore Die Rechte der Romanischen-Nation gegen die Angriffe der Sachsen vertheidigt vote.einem Romtinea, Vienne 1850.

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gimites de la Transylvanie, se présentait A la-tete d'une deputation des Roumains du Banat,pour rappeler que les Serbes n'ont dans cediocese qu'une partie de la population, dans 30ur 300 paroisses, et pour demander que, con-

lorm.;ment aux decisions prises par les Rou-mains A Blaj et A Lugoj, ainsi qu'aux canons.de l'Eglise orientate, l'election du nouvel évequesoit faite librement par les fideles, proposantmême comme vicaire nomme par l'empereurpour ce diocese un membre roumain de con-sistoire de Carlowitz, Patricius Popescu.

En même temps, affirmant le caractere tres'linden de l'Eglise roumaine de Transylvanie,*aguna se présentait, dans les mémoires et lesbrochures qui furent publies pour le besoin dela cause, comme le successeur naturel des an-dens archevêques pour la province entiere,laissant de cOte tout ce qui avait été établi surune autre base confessionnelle des l'adoption dela confession catholique par les protopopesd'Athanase1.

Le 16 mars 1849, *aguna s'adressa A Rajacich,chef de l'Eglise serbe, qui avait reconnu, au moisde mai de l'année précédente, le droit des Rou-

1 Promernoria ilber das historische Recht der natio-.nalen Kirchen-Autonomie der Romanee, Vienne 1849,et Anfang zu der Promemoria", 1850, Cf. [Rajacichj.Antwort auf die Angriffe einiger Rornanen", Vienne 1851.

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mains d'avoir un metropolite et un Ban 1, pourdemander a ce collegue, qu'il n'aurait pas voulareconnaltre comme chef, de consentir a l'établis-sement de la Métropolie roumaine". Comme ity avait un dvéque roumain en Bucovine, qui-tait a cette 6poque liacman, d'origine nationale-

douteuse et de tendances absolument personnelles,_l'evtque de Transylvanie lui demandait, au moisd'avril, d'admettre l'union hidrarchique" et d'a-jouter son intervention aupres du patriarche.

Puisque l'evtque d'Arad, Gherasim Rat, unvieillard maladif, n'avait guere l'intention de per-sister dans sa liaison avec l'hiérarchie serbe, onagitait aussi de ce côté. Au mois de décembre,_le clergé et la nation roumaine du Banat décla-raient vouloir reconnaitre l'autorité de Saguna etdemandaient formellement au gouvernement larupture du lien qui les unissait au patriarcat,

Et, enfin, comme le Siege de Blaj était soumisA ce moment a un simple vicaire, Crainic, alorsque l'eveque, exile a Vienne pour ses fautes po-litiques, n'était pas en état d'intervenir, $agunane rencontra que l'opposition nationale des Ser-bes, contre laquelle il pouvait faire agir toutesles forces de sa nation et, entr'autres, le sentimentgeneral de l'intellectualité, de la jeunesse roumaine-qui, a Blaj, n'était guere dispose a représenter

1 Gaze/a Transilvaniei, 1848, no. 41 ; aussi dans Hi.-larion Puscariu, ouvr. cite, p. 93, note 1.

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et défendre le point de vue confessionnel. Seul,réveque d'Orade, Erdélyi, prélat ambitieux et detnanieres distinguées, mais sans aucune autre.qualité, croyait pouvoir parler au nom de l'Egliseuniate pour demander que son Siege soit reuni,sous le rapport hierarchique, a celui de Blaj, quidevait devenir une iVidtropolie et abriter aussi leiutur préfet ou gouverneur de la nation rou-maine entiere.

Mais le temps de ces prétentions hardies étaitAéfinitivement passé. L'Autriche victorieuse nepouvait plus se rappeler ce que l'Autriche vaincueet menacée dans son existence avait admis. Sa-guns revenait plein d'amertume" dans sa resi-lience de Transylvanie, et le gouverneur Wohl-gemuth lui signalait brutalement les conventiculessecrets", les machinations politiques", les pdti-lions innacceptables de son clergé, petitions danslesquelles il aurait trempé lui.méme. Mais l'evequelavait bien répondre A ces recriminations d'unchef militaire dénué de respect envers sa per-sonne : c'est une ,,calomnie odieuse", s'écria-tii,-et il parlait avec fierté de ces braves pretres,dont un grand nombre ont souffert la mort dumartyre pour leur monarque legitime" 1

Bientôt Wohlgemuth, qui avait commence agermaniser les écoles des anciens Grenzer" et-qui persécutait, sur le moindre mdice, les paysans

1 Popes, ouvr. cite, pp. 364-371, 380-381. Cf. noire.,,Histoire des Roumaine, IX.

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roumains, qu'on attachait A des chars et qu'or,jetait en prison, allait etre rappele, pour mourirbientOt apres. Pendant le temps de son admi-nistration, il était and jusqu'A demander A aguna.de reprendre son ancien titre, et l'eveque luirépondait qu'il a bien le droit de porter un titrequi avait été abandonné depuis cent cinquante-ans A peine, a cause des ,,circonstances défavo-rabies", que son 8glise n'admettait pas la cen-tralisation rigide, faisant abstraction des nationa-Wes, mais tenait compte de chaque race", qu'ita le droit d'employer, conformément aux canons,,la langue nationale, gull est Roumain parce queses fideles sont Roumains, - grec" a un autre-sens national que non uniate", qui est un titre-negatif, alors que sa mission est positive, - atqu'enfin il satisfait le désir general de ses dio-cesains en portant ce titre meme devant le mi-nistre autrichien de l'empereur.

Wohlgemuth insistait néanmoins pour deman-der l'abandon de la terminologje nationale, inad-missible pour une conception plus haute de lareligion, d'autant plus qu'il y a des Roumains.qui ne sont pas soumis A l'autorité de cet eve-que". Lorsque aguna pensa, A l'occasion del'ordonnance ministerielle du 18 novembre 1848,qui convoquait un unode episcopal A Vienne, Arassembler lui-meme un syr.ode préparatoire,distinct du synode serbe et auquel auraientparticipé aussi des laics, selon la tradition (12

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janvier 1850), on lui repondit, que le nornbrepropose (40 laics en regard de 40 protopopes-et 2 prolesseurs de théologie) doit etre diminuede moitie, en laissant de côte les laIcs et que-ce synode ne doit s'occuper que des affaires-concernant rEglise et recole.

aguna dut se soumettre, et c'est dans cesconditions qu'il rassembla le synode du 12 mars..On présida A relection des delegués et A cemoment le gouverneur intervint de nouveau, endeclarant que cela ne peut etre toléré dans aucunEtat organise, reveque ne pouvant nommer quedes Vertrauensmanner", des hommes de con-fiance". Le general ne voulait avoir qu'un Con-.seil episcopal, et non une assernblee élue. L'é-lection des membres du futur synode eut lieuseulement A Brasov. Aussitôt apres la reunionde l'assemblée, Wohlgernuth désigna un commis-saire de contrOle, Jean de Carabet, Arménien, ori-ginaire de Bucovine, espérant pouvoir empecherun développement des discussions dans le sensnational. Or le synode demanda que l'Eglise aitun caractere roumain et, comme un corollaire, quela nation elle-merne soil reconnue, que le synodesoit rétabli comme institution permanente, avecla participation des laics, que reveque puisseprendre le titre de m.:tropolite, que la situationreligieuse des Roumains soit égale A celle desautres nations, qu'une section soit creee a leurgard au Ministere des Cultes A Vienne, aussi

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bien qu'apres le gouvernement de Transylvanie,-clue les dommages causes aux Roumains par larevolution soient compensés et les appointementsdes pretres fixes par Mat. On ajoutait aussi le-désir d'avoir un enseignement national roumain,de pouvoir introduire des eleves roumains dansles écoles militaires, d'obtenir des bourses pour4es etudiants de cette nation. Saguna lui-même,qui se préparait a partir pour V ienne, declarait,au mois d'octobre, que le moment des resolu-tions a obtenir est deja passé".

On le vit bien lorsqu'on proceda a la nouvelledistribution territoriale de la rnonarchie : on netint compte alors que de l'élément géographique,-et de l'élément historique seulement afin d'an-nexer a la Transylvanie une partie des comtés-extérieurs et pour refaire le Sachsenland", lePays des Saxons". La Volvodina serbe obtint-une large partie du Banat roumain, malgré toutesles protestations véhementes des Roumains. Dansle Maramoureche, il y avait une meme distribu-tion administrative pour les Roumains et lesRuthenes, dans les comtés extérieurs, qui res-taient en dehors de la Transylvanie, la commu-nauté des Roumains avec les Magyars &sit audetriment des premiers. Et a ce moment lesfamilies de ceux qui s'étaient sacrifiés pourl'empereur mouraient de faim, et on les con-traignait meme a reconstruire les maisons de-

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truites des rebelles. Toute plainte formulee de-vant les autorités entrafnait l'emprisonnement ducoupable. Ce qu'on accomplissait par des fonc-tionnaires qui étaient en grande partie desMagyars, était vraiment, ainsi que s'exprimentles deputes roumains le 10 janvier 1850, unerecompense de la rebellion et une punition dusacrifice '.

Lorsqu'au cours du printemps de cette memeannée 1850, l'empereur envoys un commissairepour la Transylvanie, on lui adjoignit un corn-missaire saxon, ennemi des intérets des Rou-mains. Les Saxons obtinrent sur leur territoireune organisation nationale des tribunaux ; lors-que les Roumains demanderent d'avoir aussileur commissaire pour défendre leurs propresintértts, rappelant les anciennes promesses, its-furent refuses, car il s'agissait pour le momentde conserver en Transylvanie une citadelle alle-mande par ces Saxons qui n'avalent rien sacri-fie et de se réconcilier, A coups de concessions,les Magyars. Celui qui avait ordonné l'exEcutiondes martyrs" liongrois d'Arad recourait A toutesles habiletés sociales et politiques pour obtenirle concours de la nation qui avait proclamé so-lennellement sa dechéance et dont le coeur ap-partenait entierement a Kossuth l'exilé.

' Baiescu et MihAilescu, Ion Maiorescu, p. 400 et Buhr_

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Saguna voyait bien qu'il n'y avait qu'un seulpoint a gagner, a savoir la separation de l'Egliseserbe et la creation d'une organisation métropo-Maine pour les Roumains orthodoxes. II employe-thus ses efforts dans ce seul but, se restreignant,pour vaincre, dans les limites étroites que lui-créaient les circonstances. Le grand synode dei'8glise orthodoxe, annonce depuis longtemps,etait sans cesse retarde. II fallut pourtant bienarriver a sa convocation, malgré la maladie ma-lencontreuse du patriarche. Saguna voulait pre-senter a cette assemblée de l'orthodoxie autri--chienne un projet qui l'aurait retie directementavec l'autre patriarche, de Constantinople, quil'aurait fait métropolite pour tous les Roumains --de son rite en Autriche et lui aurait adjoint un-consistoire choisi parmi toutes les categories deson clergd; il aurait aussi gagné des séminaireset meme des seminaires pédagogiques pour lesmaitres d'école des villages, le droit de surveil-lance de l'école populaire confessionnelle soutenuepar le peuple, employant des inspecteurs et uninspecteur general, puis un fonds de pensionspour le clerge et l'administration autonome deses revenus (16 novembre).

Mais l'administration autrichienne voulait tout-entre chose. Le grand synode n'était selon sa-conception qu'une conference d'eveques". Hac-man ne demandait pas mieux que d'affirmer,selon le désir secret du gouvernement, son droit

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d'autonomie, et il proceda avec la derniere bru-talité envers celui qui revait d'etre son chef,.allant jusqu'a arracher des mains de l'éveque deKarlstadt le texte d'un projet que Saguna voulaitsoamettre a l'assemblée. Les éveques taient pourla plupart tout a fait &rangers aux conditions.nécessaires d'une discussion publique, et Sagunaleur demanda en vain de commencer par établirles relations extérieures de l'Eglise". Le gou-vernement objectait qu'une conference speciale-devra s'en occuper. Les Serbes se concentraient .inebranlables autour de leur patriarche, allant-jusqu'a nier l'existence de certains livres d'égliseimprimes en roumain a Bude; ils demandaientqu'aucun livre roumain ne fCit désormais publié-sans l'autorisation formelle de ce patriarche.

La maladie de l'eveque de Timipara permit-d'ajourner la conference pour trois mois. Onallait discuter la question des Roumains en pre-nant la mesure de precaution de ne pas inviter-aguna a la séance. Le ministre des Cultes dut

reconnaitre que pendant six mois on n'etaitarrive a aucun résultat", et l'empereur commit,niqua au patriarche, le 13 juin, que sa personne-impériale seule prendrait la decision nécessaire.

Le patriarche était d'ailleurs parti sans demanderconge a personne, et aguna décrit la pitoyablefin de cette assemblée qui n'avait jamais eu, nila conscience des droits de l'orthodoxie, ni celle-des droits des nations qui en faisaient partie.

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Mais, si l'empereur se réservait de prendre unedecision, il devait commencer, en ce qui con-cerne la Metropolie roumaine, par accorder cetitre superieur A ceux qui appartenaient A lameme Eglise catholique que sa dynastie. Oncommença d'abord par l'occupation du Siege deBlaj. On aurait desire que le synode réuni aumois de septembre 1851 fat non seulement tinvrai synode d'élection, mais aussi tine assembléenationale, selon la tradition du 3 rnai 1848 Uneintervention paternelle" du gouvernement mitfin A ce projet. Toute resistance aurait été im,-possible: ces Roumains uniates etaient devenus,- ce sont les termes qu'ils employaient dansleurs doléances, - une simple classe de la po-pulation".

Le vicaire du district de SAlagiu, qui fut eluAlexandre Sterca Sulu( (ne A Abrud, de 15 février1794), appartenait a la petite noblesse roumainede Transylvanie; il avait été tres bien élevé, dis-posait d'une certaine fortune, mais ses facultes in-

iellectuelles etaient pint& médiocres: il devait voirdans Saguna, qui pouvait etre son auxiliaire na-turel et le chef de la direction qu'il devait suivre,plutôt un adversaire confessionnel, et il faut re--connaftre que, de son côté, $aguna lui-memen'evitait pas suffisamment ce cote confessionnelqui devait séparer pour toujours_ les efforts deceux qui appartenaient A l'autre Eglise. La Courde Vienne avait voulu un &Nue qui n'eat rien

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faire avec les souvenirs de l'année 1848, unhomme paisible, n'ayant pas de tendances révo-lutionnaires et une intelligence capable d'etredirigée selon les seuls intérêts de l'Etat.

aguna poursuivait a ce moment ses revendi-cations 'confessionnelles. Patricius Popescu avaitété nommé vicaire a la place de Rat, mortau mois d'aocit 1850. 11 suivit avec attention cequi se passait dans le Banat, ob les Sieges épis-copaux étaient devenus vacants. Pour connaitreexactement les intentions de l'hiérarchie serbe,il consentit, en donnant l'assurance de ne pasvouloir se réunir a un autre archeveché, a prendrepart au nouveau synode orthodoxe du mois denovembre 1852 ; or le patriarche serbe déclaraqu'il ne pouvait admettre l'éveque de Transylva-nie, ce qui serait ,contre les privileges accordésa la nation serbe : l'empereur est maitre dema vie, mais non de ma. conscience, et je neveux pas consacrer des éveques nommés contrema volonté"

Le cornmissaire imperial Coronini finit par serattier a cet avis, et Saguna ddclara que l'assem-blée devenait par ce fait rebelle a l'ordre del'empereur et anti-canonique. II s'adressa a cet.empereur, refusant de nommer ses candidatapour les Sieges vacants et demandant, le 24covembre apres un long exposé historique, la

' Hilarion Puscariu, Documente, p. 111.

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creation d'une hierarchic roumaine propre. Viennese borna a faire des observations benignes aupatriarche, et ce ne fut que deux ans plus tardqu'on demanda a aguna un projet de reorga-nisation de son consistoire.

C'était se jouer de lui, et l'éveque s'obstina ane donner aucune reponse avant d'avoir prece-detriment tranche le point essentiel de ses pre-tentions : la fondation de la Métropolie. Il refusaavec obstination de figurer dans les actes officiels-comme éveque grec non-uniate du diocese de-Sibiiu", declarant que son autorité episcopateétait reconnue par les Roumains seuls, et parceux qui forment le noyau méme de la popu-lation roumaine".

11 avait eu la douteur de voir que l'evequecatholique de la minorité roumaine avait reçu,sans rien risquer et sans rien soultrir, la satis-faction d'etre reconnu comme metropolite, alors.que lui meme continuait a etre un simple évequede sa majorite. Des le mois de novernbre 1850,le tout.puissant ministre Bach, qui imprima lecaractere de sa personnalité a cette ere entiere,rassembla une conference episcopate de l'Eglisecatholique et, comme cette fois le ministre desiraitque des mesures décisives fussent prises, etsans retard, cette conference admit la creationde la Métropolie uniate, que l'empereur acceptades le 12 décembre, entamant aussit8t des ne-

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Fig 20. Le metropolite Alexandre Sterca*ulutiu.

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Tociations avec le Pape pour la creation de cetarcheveche gréco-catholique". En juillet 1851,revtque Alexandre fut consacre a Orade.

Rome approuva le projet presenté par l'em-pereur le 1-er mars 1853, mais des motifs inat-tendus amenerent un retard, de sorte que ce nefut que le 16 octobre 1855 que le prélat envoyépar le Siege apostolique arriva a Blaj pour ins-taller le metropolite, creant comme eveche suf-tragant, a WE de celui d'ancienne fondationd'Orade, deux autres, dont Pun a Cher la, pourle Maramoureche, et l'autre a Lugoj, pour leBanat. Aussitôt le métropolite uniate s'adressa atous les Roumains, depuis la Mer Noire a la'Thessalie et au-dela des Carpathes jusqu'auxbords de la Tisa", pour les inviter A se reunir acette 8glise uniate, ayant, par la Rome du Pape,des liaisons avec l'ancienne Rome imperiale,fondatrice de la nation roumaine. Saguna protestacontre les tentatives d'assimilation religieuse qu'ilcroyait avoir découvertes et il demanda a l'em-pereur justice, au nom de son Pglise. II fallutque le nouveau gouverneur, Schwarzenberg, clonaldes assurances formelles dans ce sens.

On dut attendre jusqu'au mois d'aofit 1860pour que l'idee d'etablir une nouvelle Metropoliepour les non-uniates, pour les orthodoxes, soitadmise par la Cour de Vienne. En 1857, le mi-nistre des Cu Res, Thun, exposait franchement a§aguna les motifs qui avaient conduit la Cour

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a ce retard : l'Eglise orthodoxe n'a pas un chefsupreme comme le Pape pour les catholiques,.en état de répondre de ses actions ; elle n'a pasde personnalites d'une valeur rnilitaire supérieure,et il invitait son ami Saguna, qu'il intitulait, fa-milierement, tres-vénérable° (Verehrtester), aadmettre au moins formellement un certain lienavec le Saint Siege. La petition presentee le 21aofit 1860 par Saguna était signee aussi par undélégue du Banat, André Mocsonyi, et par lebaron Petrino, comme representant de la Bucovine.Cette lois, l'empereur ordonna la reunion d'unnouveau synode general orthodoxe pour le 27septembre. II projetait a ce moment cette nouvelleConstitution qui fut decrétée le 20 octobre, et nevoulait pas avoir une opposition roumaine légi-timée. ll declarait meme ne pas etre hostile a lacreation d'une Métropolie roumaine de religionorthodoxe orientale.

Et pourtant il fallut attendre quatre années-encore jusqu'a la realisation complete de ce projet..

II y avait cependant aussi d'autres mCcontents:ceux qui avaient défendu la cause de l'empereurdans ces montagnes tragiques et avaient vu sedévelopper le combat acharne entre deux racesdepuis longtemps ennemies. On crut se tirerd'affaire a leur égard par des decorations. Dessubsides furent également accordes, mais, en cequi concerne Avram Iancu, il declara ne pas.

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pouvoir accepter cet argent du sacrifice et ledestina pour la cr,:ation d'un fonds culture!.Lorsqu'au mois de juillet 1852, l'empereur sedécida A visiter la province pour raffermir lesrelations entre son autorité et ses sujets de cetteprovince, l'ancien chef des délenseurs du trônerefusa de paraitre devant l'empereur, et il auraitdté maltraitd par les officiers impdriaux, par lescourtisans militaires de Vienne. II fut meme em-prisonné, alors qu'on fouillait dans les papiersde l'eveque uniate et que Baril était poursuivicornme ancien rédacteur (jusqu'en 1850) dujournal roumain de Brasov. lancu, devenu fou,mena, pendant de longues années, une existencede mendiant tragique, accueilli partout par lasympathie émue de ses co-nationaux, qui n'arri-vaient que rarement A recueillir les paroles sen-sees qui surgissaient dans l'obscurité profondede sa raison. Il mourut en 1872, et on lui attribuecette amere parole de desespoir lorsqu'il se seraitagi de voir une lois encore l'empereur : quepourrait bien dire un fou comme moi A unmenteur comme lui P.

A ce moment, le ministre Buol-Schauenstein,devenu arbitre de la situation, projetait unenouvelle Autriche rdendrée, s'étendant jusqu'auxbouches du Danube et patronnant l'expansiondconomique de la race allemande en Orient,remplagant, par consequent, la Prusse dans son

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role dirigeant. Or, pour accomplir un projet sivaste, on croyait avoir besoin du contentementabsolu et durable de la race magyare. On étaitenchanté a Vienne d'avoir sous la main unhomme d'un merite superieur, qui, abandonnantle radicalisme sentimental de Széchenyi et leradicalisme révolutionnaire de Kossuth, étaitdispose a s'entendre avec la Cour, sous lesauspices de la jeune impératrice Elisabeth deBaviere, une amie constante des Magyars, pouretablir ce dualisme austro-hongrois qui est leregime actuel des pays soumis aux Habsbourg,.Francois Dedk stit mértager a Elisabeth une-reception enthousiaste a Pest, et l'empereurprolita de cette occasion pour declarer etre-dispose a jeter le voile de l'oubli sur les erre-ments d'un triste passe, afin de pouvoir com-mencer ainsi une ere nouvelle.

La guerre de Crimie avait commence en 1853.Le probleme turc était pose a nouveau. La Rus-sie avait espére tine annexion hypocrite, sou-mettant le Sultan au contr6le brutal de cetempereur orthodoxe qui se considérait aussicomme tuteur légitime de la race greco-slave"en Orient. La France de Napoleon III, qui serappelait la defaite de 1812 et voulait légitimerpar une grande victoire son usurpation, l'Angle-terre, qui défendait les intéréts de son commerceoriental, se présenterent aussit6t pour délendrela Turquie menacte dans son indépendance,.

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sinon dans son existence meme. L'Autriche crutle moment venu pour utiliser les discordes desautres et étendre sa propre domination sur lesdeux Principautes, ou l'appelaient les intéretséconomiques de quelques boars moldaves, eel-.taines sympathies du prince valaque Stirbey etces projets de reveurs, que nous avons déjamentionnes, et qui attribuaient a la monarchiedes Habsbourg le role de concentrer, sous uneadministration douce et avec le respect des droitsnationaux, la race roumaine entiere. Comme lesRoumains s'offraient, il fallait gagner les Ma-gyars. Mais on n'était encore que dans la périodedes declamations et des promesses, pour cesderniers, des lenteurs calculées en ce qui con.cerne la satisfaction des droits, pour les premiers.La decision definitive ne devait intervenir queplus tard, detruisant d'un seul coup toutes lesespérances de ceux qui avaient cru servir leurpropre cause en defendant le trOne des Habsbourg.

Avant de délivrer le célebre diplOme du 20octobre 1860, confirmé ensuite par la patentedu 6 levrier 1861, l'empereur François.josephcrut devoir se consulter avec les représentantsdes nationalités dans une forme qui n'eOt riende révolutionnaire, ni meme de populaire. 11

crea donc, selon le conseil d'un de ses ministresconservateurs, une institution bizarre : un Senatinternational, lonctionnant ad hoc et portant le

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titre, tout plein de reserves, de VersteirklerReichsrath" (Conseil Imperial Augmente). De fait,

c'était une assernblee de notables.Elle se réunit au mois de mai 1860, A Vienne,

sous la présidence de l'archiduc Régnier, coin-prenant des membres de l'aristocratie autrichienneet inagyare et divers éveques. $aguna en faisaitpartie. Il avait eté averti des le commencementque le gouvernement imperial était decide Arespecter le principe des nationalités, dans lasupposition que ce principe pouvait contentertous les peuples". Les Roumains étaient repré-sentés encore par des aristocrates comrne AndréMocsonyi et le baron Petrino. On ne retrouvepas Su tut parmi ceux qui participerent auxseances. Le role des deputes se borna, du reste,A presenter les mémoires qui leur étaient adres-ses par les Rournains des provinces dont ilsétaient originaires.

De son cOté, aguna demanda le respect desdroits de la langue roumaine dans la vie pu-blique, la creation d'une section orthodoxe auMinistere des cultes, l'attribution de revenus auxécoles et églises roumaines; A l'encontre du Pa-friarche serbe, il désirait, avec le représentantdu Banat tt de la Bucovine, une assernbléegenerale ecclesiastique des Rournains avec unerepresentation proportionnelle", ou du moinsune conference de notables pour fixer les nor-mes de la nouvelle vie hiérarchique de sa nation.

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Du reste, il n'avait en vue que les interas deses co-religionnaires". Lorsque le baron Petrinosouleva la question, tres importante, si la Bu-covine devait etre réunie, dans la nouvelle cons-titution, A la Transylvanie roumaine ou a laGalicie polonaise et ruthene, Saguna ne crut pasdevoir intervenir, et il ne le fit pas non pluslorsqu'on s'occupa du fonds religionnaire",c'est a-dire du riche heritage laissé par les prin-ces de Moldavie a cette 8glise de Bucovine quiétait leur creation. Quant aux représentants desautres nationalités, la plupart avaient pour lesRoumains des sentiments comme ceux de l'his-torien Majláth, pourtant d'origine roumaine ,qui déclarait : Selon mes informations, il n'y a enHongrie que des Hongrois, quelle que soit lalangue qu'ils parlent: allemande, slovaque, ma-gyare ou roumaine".

De fait, l'empereur n'avait voulu que legitimerdes decisions deja prises. Ce Senat Augmenté"était décidément trop nul et avait trop peu derelations avec les différentes nations pour pouvoirfixer des points nouveaux ou determiner desréformes. Lorsque la Constitution fut décrétée,il fallut procéder A la reunion des Dietes pro-vinciales. Saguna crut nécessaire de s'entendreavec son rival de Blaj pour provoquer en Tran-sylvanie uie action politique commune. Dans salettre du 4 novembre 1860, il insistait sur rim-portance épocale du moment : se rappelant les

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vers du poke revolutionnaire de 1848, vers quietaient devenus l'hymne de l'irrédentisme rou-main,De§teapti-te RomAne 1" (Reveille-toi, Rou-main I"), il déclarait qu'il faut aujourd'hui oujamais bonne entente, vigilance et collaboration".Comme le nouveau chancelier de Transylvanieitait un Magyar, le baron Kemeny, dont on connais-sait les intentions rnalveillantes A l'egard des Rou-mains, a-.guna manifesta des craintes légitimesen ce qui concerne son action comme organisateurdu pays, et il prevoyait necessaire encore une de-putation A Vienne pour rappeler les dix pointsjadis proposes. La deputation devait etre com-posée aussi de représentants des marchands.

La proposition fut admise. ultit deinanda, decommun accord avec aguna, la nomination d'unchancelier roumain et une large participation Ala nouvelle conference qui devait se réunir aMba-Julia. L'eveque uniate fut chargé de se pre-senter devant l'empereur avec le protopope Po-pazu, qui représentait les Roumains orthodoxes.Le souverain se montra compatissant" et nenégligea pas de faire des promesses et de donnerdes assurances verbales.

aguna était cependant blessé de ce que l'em.pereur n'avait pas voulu recevoir la deputationentiere. Ce qui se passe me parait ressemblerétrangement aux circonstances de 1848, quandon nous disait de vaines paroles, mais quelleen a ité l'utilité ?1 Elles sont restées des pa-

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roles, et douze ans plus tard elles ne sont pasencore devenues des realites ; faut-il donc attendreune nouvelle période de douze ans? Pendantces douze ans, nos ennemis ont profile' de leuropposition, et, quant a nous, pouvions-nous pre-voir que douze ans plus tard nous nous trou-verions encore plus profondément embourbesdans la fosse des persecutions ?".

Le Congris national roumain" tint ses se-ances A Sibiiu pendant trois jours, en janvier1861. Les deux chefs ecclésiastiques avaientrassemble 160 notables. On présenta des plaintescontre Kemeny, qui n'avait accorde qu'un rOletres restreint aux Roumains dans sa chancellerie,qui attribuait A ses Magyars trois lois plus deplaces dans la conference qu'aux dits Roumains,grace a divers subterfuges constitutionnels. Ondemanda encore une lois que la nation roumainesuit reconnue par la Constitution, que les loisqui portent atteinte a ses droits soient suppri-mées. Comme on projetait pour le nouveau re-gime electoral un cens de cinq florins de con-tribution annuelle, comme, dans la Constitutionde l'an 1848, on voulait, afin de permettre auxmasses paysannes de participer A la vie cons-titutionnelle, réduire ce cens, une commissionpermanente de quatre", sous la direction deséveques, tut etablie pour poursuivre ces revendi-cations et pour empecher des froissements con-fessionnels ; on anathémisait tout Roumain qui

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essayerait de rompre ce lien fraternel". II etaitquestion aussi de la fondation d'une Associationpour la culture roumaine en Transylvanie. Commeon craignait que la Diete de Hongrie ne de-mandat la reunion de la Transylvanie avec leroyaurne, $ulut aurait desire un congres generalde tous les Roumains de Hongrie, du Banat etde la Transylvanie". Mocsonyi et *aguna décla-rerent ne pas pouvoir participer a la Diete deHongrie, dont ils étaient membres.

Les seances de la conference transylvaine fu-rent ouvertes le 11 février. Les Roumains avaientcinq représentants, parmi lesquels un qui par-tageait les idées politiques des Magyars et quifut emptche par les siens de participer aux se-ances. ulut fit un discours impressionnant,mais le chancelier attacha simplement au dossierles opinions disparates de la race méprisée.Comme il fallait elire les deputes a la Diete del'empereur, on organisa aussitOt les municipes",base du regime electoral. Les Roumains furenttraités a cette occasion avec les memes senti-ments d'antipathie et d'injustice que précédemment.Le cens n'avait été diminue que d'une manierepresque insensible.

Une Diete transylvaine préparatoire fut réuniefe 4 novembre. Elle devait constituer le gouver-nement et revoir les anciennes lois. 11 était ques-tion aussi de declarer regale la nation roumaine.

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Ibis le gouveniement de Transylvanie crut devoir-empecher cette nouvelle assemblée.

En fin de compte, tout ce qui se passait neservait qu'à mettre les Roumains en garde contreles intentions, les promesses splendides" de lanoble nation magyare". Bien que les evequesn'eussent pas ete des adversaires principaux del'union avec la Hongrie, conclue dans certainesconditions spéciales, ils etaient decides A défen-dre jusqu'au bout les droits de leur nationalitécomme organisme constitutionnel separe. On ne-gociait encore A Vienne dans ce but vers la finde l'année 1861.

De fait, on n'avait presque rien gagné, A l'ex--ception de cette Metropolie uniate que le gou-vernement comptait utiliser dans ses propresinterets et des promesses de créer l'autre Metro-polie, des orthodoxes, pour aguna. La languesroumaine n'avait été introduite dans aucune chan-cellerie; les fonctionnaires roumains, en nombretres restreint, devaient correspondre en allemand ;un bureaucratisme egoIste et inintelligent em-ployait souvent des elements magyars destines4 tirer profit de leur situation pour poursuivre<I'autres buts: ceux de l'absolutisme imperial.Les formes compliquées et incommodes destraditions autrichiennes emp6chaient tout (Mlle-loppement de la masse paysanne des Roumains,qui ne se reconnaissaient plus dans ce chaos.Les relations avec les Principautes étaient con-

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siderees comme suspectes. On défendait presque-completement l'introduction des livres itrangers"..Tout ceux qui avaient participe au mouvementde 1848 étaient surveillés et sournis a des en-quotes et a des perquisitions genantes; aucundes chefs intellectuels de la nation n'avait une-situation qui lui etit permis d'intervenir dans lesaffaires publiques. Le prosélytisme catholique.tendait A introduire l'organisation autonome del'Eglise uniate et a empecher l'établissementdefinitif de l'autonomie nationale des orthodoxes_Cornme on coquettait avec les Hongrois, c'est-a-dire avec les représentants nobles de la na-tion et que ces représentants étaient de grandsproprietaires terriens, intéressés a faire durer le-servage, la nouvelle réglementation des relations.agraires fut tres pesante pour la classe rurale-roumaine. On avait mis fin a cette liberté mili-laire des Rournains que représentaient les regi-ments de Grenzer". Les impôts s'etaient nailspour payer les dettes de la revolution et lareparation des dommages causes.

II n'y avait qu'une seule chose A faire pourle moment, A savoir: revenir A cette activit6culturale qui avait donne aux Roumains tout cequ'il possedaient vraiment de leur propre chef,sur leur territoire ancestral. Pendant les dernieresannées, l'activité des écrivains roumains d'au-delkdes Carpathes avait été presque nulle, toutes les

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intelligences ayant été absorbées completementpar des preoccupations politiques qui n'avaientpas rapporté de fruits. Apres la défaite, on pensade nouveau a l'école, aux associations culturelles,ux journaux et aux livres. On procéda en 1861

-.a la fondation de cette Association pour laculture de la langue et des lettres roumaines",-dont les premiers patrons furent les deux éveques-et le vrai initiateur ce Timothee Cipariu, le phi-lologue de Blaj, qui déclarait, dans son beau(liscours d'ouverture, qu'une puissante colonnepour l'avenir des Roumains avait été plongéedans la terre de Transylvanie". Des Roumainsdes Principautés s'empresserent de contribuerla creation d'un fonds pour cette institution, telle comte Scarlat Rosetti, qui avait fait poser aussiune pierre de marbre sur le tombeau delaissede Georges LazAr. Le programme concernaitaussi bien la littérature roumaine que la culturedu peuple roumain dans ses différentes branches,par des etudes, par l'elaboration et l'éditiond'ouvrages, par des primes et des bourses, parilifférentes spécialités de sciences et d'art, etc.";on décidait d'imprimer des chroniques, des do-cuments, dans une revue spéciale intitulee Tran-silvania", de réunir les inscriptions et tout témoi-gnage de vie roumaine dans le passé, ainsi queles ballades et les chants populaires. II étaitquestion aussi de bibliotheques, de muséesetablir; on se proposait d'entretenir des relations

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avec les Roumains de Transylvanie qui s'étaientitablis en Valachie et en Moldavie et meme avecles boIars de ces provinces. On n'avait pas oublie-Eudoxe Hurmuzaki, le chef intellectuel et po-litique des Roumains de Bucovine.

Cette lois encore, l'administration transylvaine-se montra revéche; elle declara ne pas pouvoiradmettre un but nettement national: les statuts-ne furent approuvés qu'avec difficulté. Pendantles premiers temps, l'Association fut contrainte-de se maintenir tres réservée ; elle fut toujours.suspectée dans son activité et n'arriva jamais aremplir tout au moins les points essentiels de-son programme. Ses départements" se mani-festerent, dans les cas les plus heureux, par des.conferences, et, si les reunions annuelles furenttres fréquentées, elles ne porterent que des fruits.médiocres pour la litterature et la culture des.Roumains, car elles s'occuperent surtout de ma-nifestations sociales, qui auraient &é presqueimpossibles sous une autre forme.

La grande preoccupation restait cependantencore celle de l'établissement de la Metropolie-orthodoxe. Hacman fut invite a demander lacreation d'une nouvelle Metropolie pour sa propre-personne, ayant deux suffragants, dont un evequede Bucovine et un éveque de Dalmatie, avec urrsynode résidant a Vienne, sous le contrôle d'un.procureur imperial; on emploierait comme langue-officielle l'allemand. En vain les membres de la.

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lamille des Hurmuzaki intervinrent-ils pour con-vaincre cet ambitieux rcalcitrant de la nécessitéd'une seule Métropolie roumaine orthodoxe, creéepour l'eveque de Transylvanie.

La chancellerie de Transylvanie demanda unnouveau mémoire, au mois de janvier 1862, Aun de ses fonctionnaires, pendant que l'agent deSaguna a Vienne, ainsi qu'Andre Mocsonyi, tra-vaillaient pour arriver A la realisation de l'ancienprojet, realisation rendue plus facile par la mortdu patriarche Rajacich, ennemi irréductible del'autonomie ecclesiastique roumaine. On esperaitavoir l'appui du parti national en Bucovine.Saguna devait etre mande a Vienne dans l'intéretde sa cause. Ses relations avec les chefs ecclé-siastiques des Rournains des comtés extérieursétaient restees les mernes.

Des le 15 mars, l'ancien projet fut présentédans une nouvelle forme par Saguna et lesreprésentants des Rjumains de Bucovine. Ondemandait en fin de compte la convocation d'un-congres ecclésiastique compose de pretres et de.soixante laIcs, des dioceses de Transylvanie,de Bucovine, d'Arad et du Banat, pour constituer-une unite hiérarchique roumaine sous la directionde Saguna. Malgré les protestations de Sulut,qui rotnpit ainsi le pacte fraternel conclu peu detemps auparavant, l'empereur se décida en prin-cipe pour la seconde Métropolie roumaine, des1e 25 juin 1863.

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Quelques mois auparavant. le 20 avril, le con-gres national roumain", approuvé par rempereurle 20 Wrier, ouvrait ses seances. Les deux con-fessions étaient representées par le nombre totalde 150 representants. Une deputation de laIcs,..car ils formaient la majorite, fut choisie pourpresenter A la Cour les doléances de la nation,et Vienne offrit un banquet a ces représentants..des Roumains. La reponse impEriale, datée du4 mai, contenait les memes assurances que pre-cidemment.

Le 15 juillet furent ouvertes les seances dela Diete de Transylvanie, qui devait s'occuper-aussi du droit des trois langues provinciales etde la parité constitutionnelle de la nation rou-maine". Le cens avait ete abaisse par la nouvelleConstitution, de sorte que les Roumains comp-taient un nombre beaucoup plus grand de re-presentants. Cette Diete dura deux ans, et ellene signifia dans les intentions de Vienne qu'unnouveau leurre donne aux appétits, encore revo-lutionnaires, peut-etre, des nations sujettes. H n'yeut, pendant tout ce temps, selon l'expressiond'un des fonctionnaires roumains de la province,que des manifestations, plus ou moins empreintesde talent, de la démangeaison de parler, pruritusloquendi. Pour les Roumains, cette Diete n'eutd'autre résultat que celui, tres malheureux, d'ac-croitre la rivalité entre leurs deux chefs eccle-siastiques.

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Fig. 21. Le metropolite orthodoxe Andre $aguna.

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Saguna continuait des efforts desesperes pourenglober la Bucovine dans sa future organisationmétropolitaine. Au mois de mars 1864 un synodeecclésiastique des Roumains orthodoxes affirmaitce point de vue. En ao6t, les représentants des-Roumains se presenterent a Carlowitz, ob devaitetre élu un nouveau patriarche, pour declarerseulement qu'ils n'entendaient pas participer aun acte qui ne concernait pas leur nationalite._Certains cercles avaient meme refuse d'elire des-délégues au congres.

On ne pouvait donc plus empecher ce quiétail inevitable. L'empereur confia au synode lamission d'accomplir la delimitation entre les deuxnationalités orthodoxes, ornettant l'organisationde la Bucovine, ce qui signifiait ne pas admettrel'unite hiérarchique des deux provinces roumaines.

Le 13 aat de meme armee, Francois-Joseph erse prononca formellement, et le nouveau patriar--che, Samuel, qui avait fait sans doute a l'occasionde son election des promesses dans ce sens,.manifesta des regrets de voir disparaltre desrelations hierarchiques qui avaient duré un siecleet demi, et il inaugurait le synode qui devaits'occuper des conditions memes du ditachementdes Roumains.

Saguna avait voulu avoir aussi des éveques aCluj et Timipara, mais il dut se contenter dedeux Sieges : celui d'Arad, déjà occupé par des-

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Roumains, et celui, d'ancienne fondation, de,Caransebef.

L'autographe imperial du 24 décembre créaitdone une Métropole des Roumains gréco-orien-taux de Transylvanie et de Hongrie".

C'etait tout ce que aguna avait pu obtenir,et c'était, certainement, même dans ces ccinditionsrestreintes, un des principaux points d'appui deia vie future des Roumains, auxquels toute autre..manifestation nationale que celle qui était enrelation avec leurs deux confessions était et devaitetre interdite.

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XXVII.

Le dualisme austro-hongrois et les Roumains

Le Miniestere Schmerling, qui avait tout dememe des sympathies pour les Roumains, se re-tira au mois de juillet 1865, et aussit0t, commele parti de Den venait de remporter la victoire,une nouvelle Diete transylvaine fut réunie aumois de novembre A Cluj, le grand centre desagitations magyares, pour la revision de laloi d'union de 1848", ce qui signifiait reprendreles traditions de l'annee revolutionnaire et ignorertout ce qui s'était passe au désavantage de larace magyare sous le gouvernement absolu. L'op-position hongroise avait triomphe. Saguna etaitconsidere comme satisfait, bien qu'on puisse sedemander si la Cour de Vienne ne lui avaitaccordd sa situation métropolitaine plutot pourle compromettre que pour le servir. Les laIcsne croyaient plus pouvoir combattre sous sadirection suspectée. Comme il crut devoir refuserla convocation d'un congres national" pourle 20 octobre, on le qualifia de traitre. 11 sedéclara adversaire de cette idee nitrite envers le

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gouvernernent et, dans une breve formule latine,ii manifestait envers les siens son point de vue,-empreint d'une profonde melancolie : possumflere, sed juvare non" (,je puis pleurer, maisnon rémédier").

Vu le cens tres élevé de l'année 1848, il n'y.eut que douze représentants emits des RoumainsA la Diete de Cluj, les autres étant les éveques,des magistrats, des conseillers du gouvernement,des conseillers de l'enseignement, des capitainesde districts et quelques intellectuels. La resolutionqui fut prise décrétait que la Transylvanie n'existaitplus dans le Bens des mesures constitutionnellesde 1848 et que la Diete de Hongrie seule pou-vait prendre des mesures législatives. Ce fut envain que les Roumains demanderent la convocation(Pune autre Diete, sur la base du droit electoralfixé par l'assemblée de Sibiiu. Si, le 25 décembre,l'empereur ajournait la discussion de la questionde droit, ii admettait néanmoins que la Transyl-vanie filt représentée A la Diete de couronnementde Pest par des délegués elus dans les conditionsde la loi électorale de 1848.

C'était la fin, et il était inutile de préciser, pourmontrer que le regime absolutiste avait cessé devivre et que le magvarisme faisait son entréetriomphale en Transylvanie.

Les Roumains devaient-ils participer a cetteDiite de Pest dont les decisions pouvaient etre

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prevues avec la plus grande certitude ? C'dtaitla grande question. II n'y avait personne pourPdlucider avec courage. aguna dtait retenu parles obligations qu'il avail rëcemment contracteeaet par le manque de confiance que lui témoignaitsa propre nation. $ulut se bornait a declarerqu'il n'aurait jamais cru les grands homilies de-ce monde capables de mentir". Les laics n'avaientaucune organisation et envisageaient avec me--fiance cette organisation ecelésiastique qu'ils n'a-vaient pas su conquérir, ni diriger et a laquelle-ils ne voulaient pas se soumettre. ll n'y avait-plus une jeune intellectualité vigoureuse pouragiter les paysans, et le gouvernement, avertipar ce qui s'était passé en 1848, connaissait bienles mesures qu'il aurait fallu prendre pour etoulfertoute manifestation populaire.

1.800.000 Roumains élurent donc 19 représen-tants sur les 377 qui figuraient au nom de toutela Transylvanie a la Diete de couronnement. Iln'y avait pas de personnes marquantes parmieux ; on ne distinguait que quelques richards,comme Gozsdu, celebre par le fonds, destine al'entretien des étudiants, qu'il Wgua plus tard asa nation, quelques écrivains, comme JosephHoclo, plus tard membre de l'Acadimie Rou-maine, et cet avocat Elie Micelaru, de Miercurea,qui lut pendant toute sa vie un des représen-tants irriductibles, d'une énergie rare, de sanation.

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En gendral, ces députés roumains auraientconsenti A une union avec la Hongrie, puis-qu'elle était inevitable, mais ils désiraient, sansen avoir les moyens, empecher un wfusionne-ment" avec le royaume.

Les seances de la Diete furent ouvertes aumois de décembre 1865. L'empereur parla desintérêts bien compris de notre royaume deHongrie" et il qualifia les députés magyars de:dignes successeurs de vos ancetres, qui ont étéfideles A la Maison de Habsbourg". C'était lereniement de toute une politique, et la guerremalheureuse qui devait commencer bientôt, aumois de juin, contre la Prusse, allait livrer la-dynastie entre les mains de cette nation hon-groise, fremissante sous rabsolutisrne et quietait decidée A ne pas accepter sa liberté commeun don du Souverain, mais A la considererTOIMIlle une conquete arrachée aussi bien par larevolution de 1848 que par une longue, activeet irréductible opposition.

En ce qui concerne les Roumains, ils pense-rent, un moment, A former une conférence"permanente, destinée A l'étude des questionsconcernant leur nationalité. II fut cependantimpossible de s'entendre. Ils étaient tellementdecouragés, gulls ne pensaient plus A !Idealnational complet qui avait &é agité en 1848, etils se bornaient A intervenir dans le domaine

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restreint des intérets provinciaux de la Transylva-nie. Cependant toute intervention devait se briser(levant l'opposition principielle et absolue desautres. On demandait A ces pauvres gens deprovince de leur signaler dans le passe de laHongrie quelque chose qui eat le caractere na-tional roumain, et leur faible education histori-que, aussi bien que leur inexperience dans lesdiscussions publiques ne leur permettaient pasde donner une reponse, qui aurait été facile.Deft, le principal ministre dans l'assemblée,promettait tout en ce qui concerne les privilegeslocaux, rnais il ref usait nettement des concessionssur le point principal, qui &ail la reconnaissanced'une seule nation politique, au dessus des na-tionalités organiques, et cette nation devait etre,selon la tradition et le droit public, magyare.A chaque revendication nationale on opposaitVintéret superieur de la patrie", qui devait etre,-elle aussi, magyare ; les nationalites itaient telle-ment eblouies par ce développement de rhétoriquegénéreuse, que Gozsdu, ami de Deák, auquel ilsoupconnait des origines communes, déclaraitformellement que, si le Magyar perit aujourd'hui,le Roumain périra demain", et un Slovaque as-surait avec fierté que mes co-nationaux et moisommes tout A fait des Magyars". Hodo§ seulsavait bien qu'entre la Transylvanie et la Hon-grie il n'y a qu'une seule chose de commun: lacouronne", que les changements constitutionnelsde 1848 n'ont qu'une valeur rivolutfonnaire et

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ne representent qu'une demonstration nationalemagyare dirigée contre la conscience des attires na-tions, que les Dietes suivantes ont crie un nouveaupoint de droit, qui est seul legal, que des as-semblées ont fonctionne sur la base de ce droit,qu'il se sent lui-meme la mission de riclarneravant tout l'integrite et l'indépendance de laTransylvanie, dans ses relations avec les pays.qui appartiennent A la Couronne de Saint-eienne`..

Apres la guerre, le parti laIque de Transylva-nie essaya de demander A l'empereur, par unmemorandum, que 5aguna desavoua, la convo-cation d'une Diete de Transylvanie ; Barit et lejeune avocat Jean Ratiu devaient se presenter aVienne avec cet acte. Ils eurent la desillusionde le voir retourner par la chancellerie avec cettesimple observation : Sa Majeste n'a daigné miendisposer en ce qui concerne cette petition%Ratiu seul avait éte recu en audience privée. Ace moment de profond découragement, oil toutes.les espérances s'évanouissaient, Sulut ne s'occu-pait de rien autre que de qualifier son colleguede traitre envers la nation", et Saguna répon-daft: que Dieu le recompense selon ses faits".

Les seances de la Diete avaient été reprisesaux cris de l'opposition magyare, qui déclaraitne pas vouloir reconnaltre l'empereur dans saqualite imperiale. Les choses continuaient leurcours fatal du côté des deputes roumains ; on

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risquait tout au plus quelques declarations timi-des qu'un Etat ne peut porter le nom ethniqued'une nation en minorite", et on leur opposaitpour la premiere lois, lorsqu'ils demandaientdes droits, que la principauti roumaine de Mol-davie n'accordait pas de droits nationaux auxquelques milliers de paysans ignorants qui re-présentent sur son sol la race magyare et quin'avaient jarnais manifesté des revendications na-tionales. Lorsqu'on essaya d'une petition signéepar 1.493 électeurs roumains", le roi de Hongrierépondit brievement : je compte sur votre fig

délité a l'avenir également, et, quant aux dEsirset aux demandes des Roumains, je les prendraien consideration" (décembre 1866).

Des le 18 février 1867, le comte AndrássyGyula, le principal adherent du programme deDeft, était premier-ministre de la Hongrie res-suscitée. Le 8 juin suivant, l'empereur devait.ceindre la couronne de Matthias Corvin. Peu detemps auparavant, le depute Macelariu essayad'adresser a la Diete un discours en roumain. Desles premiers mots, des cris violents s'éleverent:,a l'ordre I Oil est le president? I". Le president seprésenta pour dire qu'il est inadmissible d'em-ployer la langue roumaine, car aucun article dureglement de la Diete ne prévoit ce cas ; puis,comme radicle concernant la langue des natio-nalités existait, il fallut une ordonnance de l'em-pereur pour imposer comme seule langue des

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debats le magyar. Sans l'emploi de la languematernelle, la patrie et la nationalite ne sontqu'une illusion", déclara alors, prolondement emu,en hongrois, l'orateur. Et, lorsque la resolutionimpériale fut communiquée, Micelariu fit entendreces paroles : oui, mais le souvenir de ce droitn'a pas tte efface dans le coeur meme de lanation roumaine".

D'autres orateurs roumains itaient interrompuspar l'invitation brutale de s'en aller parler a Blaj.Exaspires, les orateurs roumains rappelerentles 40.000 Roumains sacrifiés pour le trOne en1848, et meme l'exemple terrible du supplicede Horea fut invoque, dans l'interruption d'undepute magyar. II y a une distinction, fut lareponse des Roumains : Horea est mort pour13 justice", et un second ajoutait : si vous voulezdes exemples de cruauté, cherchez-les dans l'his-toire de votre propre nation et ne les mettezpas sur le compte des autres".

Le pacte dualiste fut conclu le 27 juin de cettememe armee, trois semaines apres le couronne.ment, cérémonie a laquelle Saguna avait crudevoir assister, ce qui amena sa &mission for-cee, de la dignité de president de l'Association'..

Comme une nouvelle Hongrie avait été crééecontre la volonté de quatre millions de ses habi-tants, comme son existence meme était un &LAde justice pour le present et une menace pour

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l'avenir, les deputes roumains auraient dt1 aussi-tot abandonner un Parlement ota ils n'avaientplus rien a faire. Ils eurent la faiblesse de per-sister, de se meter a des questions indifférentesou futiles, d'abuser meme de la parole en trai-tant tous les points de detail dont ne dépendaitsous aucun rapport l'avenir de leur nation. Lesjeunes intellectuels de Blaj se rassemblerentalors pour désavouer leurs représentants, pouraffirrner que l'acte de 1848 seul pouvait avoirune valeur envers la nation entiere, qu'ils deman-dent la restitution de l'autonotnie transylvaineet des droits des Roumains entre les bornes decette antonomie. Au Parlement il fut questiond'un pronunciamento, et, au cours de la dis-cussion violente qui se developpa autour decette question, les stenographes notaient: Cris:Ceci ne peut etre tolére I Plusieurs deputes sur-sautent sur leurs sieges". Tranquillement, Mace-lariu répondait: nous ne sommes pas venusici pour un gagne-pain, ainsi qu'on le croit dansles cercles supérieurs, mais pour donner despreuves aux nations-soeurs que nous ne voulons.perdre aucune occasion de vivre avec elles pa-cifiquement et en bons termes, mais nous nepensons, aucun d'entre nous, a amoindrir parl'exercice de notre droit restreint l'autonomie dela Transylvanie".

On avait promis une loi des nationalités, eton s'en occupait, avec hypocrisie ou avec vio-

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fence. Les Roumains auraient desire, selon uneproposition de 1866, qu'en Hongrie les habi-tants roumains, la nation rournaine ; les Slova-ques, la nation slovaque ; les Serbes, la nationserbe ; les Allemands, la nation allemande ; lesRuthenes, la nation ruthene". Au cours de ladiscussion, un remarquable historien, Hundsdorfer,.qui s'était nationalise Hongrois : Hunfalvy, pro-fera ce qui suit : ,ne nous provoquez pasemployer envers les autres nationalités les rnoinsde désagregation totale qu'ont employe les Anglo-Saxons envers les Peaux-Rouges de l'Amériqueseptentrionale 1"

Cependant cette Diete de passion dut inarti-culer", reconnaitre la creation de la Métropolieorthodoxe, faite par un acte gracieux" de l'em-pereur et n'ayant pas, selon les conceptionsconstitutionnelles, le droit de légalité. Les soucisconcernant cette inarticulation" peuvent expli-quer la longue et douloureuse reserve de Saguna.Le second article de la loi qui fut votée recon-naissait ,la Métropolie, autonome et de droitégal a celle des Serbes, fondée pour les Rou-mains de religion greco-orientale, et de rnemel'élevement de l'éveché greco-oriental de Tran-sylvanie au rang d'archeveche. On admettait laconvocation d'un congres ecclésiastique roumainnational de confession greco-orthodoxe", commeinstitution permanente. Le gouvernement se re-

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servait de decider en derniere instance concernantles différends entre les deux 8g1ises orthodoxes:celle des Serbes et celle des Roumains, et, sion parlait aussi des droits des fideles de con-fession greco.orientale qui ne sont pas de langueroumaine", on ne pensait pas a la fiction ul-térieure des orthodoxes de langue magyare,mais bien aux restes des Compagnies grecquesexistant encore a Pest, a Brasov et ailleurs.C'était la reconnaissance d'une Eglise nationale,et aguna l'avait bien affirmé dans la Chambredes nobles en defendant les droits sacrés de lalangue" contre le patriarche serbe: Je puisparler mieux que jadis Saint Jean Chrysostome.je dis meme plus: s'il était donne a Saint-JeanChrysostome lui-meme de parler, et s'il le faisaitdevant un peuple qui ne pourrait le comprendre,sa bouche d'or ne serait d'aucun effet".

Le congres d'organisation ouvrit ses seancesa Sibiiu le 25 septembre 1868. Il comprenait60 laIcs sur 30 membres du clerge. Dansdouze seances on décida aussi bien la modalitéde l'election des éveques que la direction desaffaires de l'Eglise, sans aucun absolutisme del'hierarchie. *aguna avait abdiqué lui-meme sesdroits absolus, avec une complete satisfaction,dérivee du sentiment qu'il leguait a sa nation,non seulement un établissement religieux, maisaussi le moyen de se manifester completement

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sous le rapport national. ,,Je depose', disait il,avec un calme complet de mon Arne toute lacompetence legislative de notre Eglise nationaleentre les mains du congres present et des con-gres A venir, qui seuls sont les représentanteslégaux et canoniques de toute notre provincemétropolitaine et, par consequent, compétents depresenter et de conduire les affaires d'adminis-tration ecclésiastique, scolaire et fondationale.Le congres decida l'emploi general et exclusifdu roumain et la preparation du terrain pour lacreation des nouveaux évechés deinandés parles fideles A Orade et Timipara.

La grande oeuvre de ce congres fut cependantle Statut Organique, qu'un des orateurs qualifiaitde temple de la liberté confessionnelle et na-tionale". Saguna lui-meme l'avait dit: personnedans notre province metropolitaine n'est considérécomme un étranger; tous sont des membresactifs et egalement qualifies de notre Eglise". Leprincipe de l'élection fut établi pour le metro-polite aussi bien que pour le dernier des pr&reset des maltres d'ecole, pour les membres de tousles Conseils d'administration, et cela sur la pluslarge base populaire. C'était, de fait, l'gglise dupaysan que l'on établissait, et tout appartenait ace modeste soutien de l'édifice entier. En plus,chacun des organes eut son autonomie entiere,et le village roumain eut ainsi son petit parle-ment. Afin qu'il n'existAt pas une classe de

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pretres dans une nation qui ne connaissait pasles classes sociales, a tout moment les membresdu dere devait rencontrer leur frere le labou-reur. Le congres de 90 membres devait serassembler une fois par an; il fallait 120 mem-bres pour le congres extraordinaire devantprocéder a l'election du métropolite. Outre lamanifestation adequate d'une nation encore pa-triarcale, il y avait dans cette organisation commeun souvenir des anciens temps fraternels del'Eglise primitive.

Le 18 mai 1869, le gouvernement, approuvantcette constitution, y ajoutait certains points quidevalent faciliter son intervention. II se reservaitle droit de controle ; il admettait merne un certainprivilege de primaute aux Serbes, car, dans unéventuel synode commun, destine a élucider despoints de dogme, l'initiative allait partir du campserbe. Les chefs ecclésiastiques devaient pretera leur entrée en fonctions un serment de fidélite-aux lois de Hongrie. II fallait avertir le Souve-rain de la convocation de chaque nouveau synode.Et, enfin, dans ses relations avec l'Etat, l'Eglise,qui avait présenté son statut dans son originalroumain seul, sans aucune traduction, devaitemployer la langue magyare. On tint pas comptede la protestation qui lut presentee. La consti-tution commença a fonctionner dans ces condi-tions des l'automne de l'année 1870.

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Su lut &aft mort le 7 septembre 1867, apresavoir assiste, avec les sentiments qu'on peut luisupposer, a l'établissement de cette nouvelleEglise. Le premier mRropolite uniate avait été,malgré son insuffisance sous certains rapports,une Arne noble, profondement dévouée a sonpeuple. II affirmait en 1861 que, ,si le sort oules ennemis, car Dieu certainement ne l'a pasfait, ont voulu que les Roumains fussent par-tages entre deux confessions, ils torment cepen-dant une seule chair, un seul corps, un seul sang,une seule nation roumaine". Plus que cela même,les liaisons nécessaires avec les congéneres desPrincipautes ne lui échappaient pas et, tout enqualifiant de folie pour son époque l'idee d'unEmpire daco-roumain", ii déclarait formellementque dans notre coeur, ainsi que dans le coeurde toute nation, envers tous les membres de leurnation on trouve cette impulsion, ce sens sur-naturel par lequel nous aimons nos freres rou-mains qui habitent dans les Principautes danu-biennes ou dans n'importe quelle region dumonde, et nous leur désirons tout bien en touteprosperité".

Son successeur devait essayer, par le congresscolaire de 1873, d'introduire dans son Eglisecertains elements qui caractérisaient l'Eglise de

aguna ; ii y eut des Nies dans cette asseinbléequi traita des revenus ecclésiastiques et desquestions d'enseignement. Cependant, et malheu-

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reusement, l'Eglise uniate ne fut jamais en etat,grace aussi a la surveillance attentive du gou-vernement, de se tailler un privilege nationalaussi large que celui qui avait fait de l'8glisede $aguna la principale fondation nationale desRoumains de Transylvanie. Representer une nationdarts un regime constitutionnel qui deniait laqualité de nation aux nationalitesn, aux peuples",sous le rapport ethnographique, qui habitaient leterritoire de la Hongrie, tel etait le grave pro-blerne, insoluble autrement que par un change-ment impossible des conceptions originaires dela liberté" hongroise ou par tine revolutiontransformatrice, que se posaient en 1867 lesRoumains de Transylvanie.

On ne pouvait plus compter sur Saguna : sonrole était fini. ll était brisé par les fatigues, parles difficultés enormes qu'il avait dO surmonterpour arriver a cette organisation, encore defec-tueuse sous le rapport national, qui était sonC. glise. Les lees ne voulaient pas se subordonnera sa direction, et il n'était guere dispose a ac-cepter la direction des autres. Presque abandonnépar les siens, il vegeta pendant quelques années,pour finir ses jours en 1873. L'tglise uniate nepouvait pas donner un chef de la meme tailleau peuple roumain et, quant aux dits laIcs, ladénégation absolue des droits nationaux de lapart des Magyars rendait leur mission une vraie

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ache de Sisyphe : plus ils croyaient, par leursefforts desespérés, rejeter cette idée d'Etat magyarqui leur était opposée, plus elle retombait lour-dement sur eux.

ll nous faut maintenant assister a cette longuetragedie d'un activisme impuissant, remplace parle pacifisme démoralisant, qui devait finir lui-même par une nouvelle forme de l'activisme. Etcette forme aussi était destinee a ne pas etreplus heureuse que l'autre. Tout cela aux dépensde cette activité culturelle et economique quiseule aurait pu preparer le peuple roumain pourune grande revolution pacifique.

Tout manquait a ce moment critique aux Rou-mains de Transylvanie pour pouvoir poursuivreénergiquement une lutte politique contre desadversaires irreconciliables. La population rurale,malgre les 742 écoles élémentaires qui existaientsur 2.164 écoles qu'il y avait en Transylvanie,n'avait pas encore la preparation nécessaire poursoutenir ses chefs dans la revendication desdroits nationaux. Un des fonctionnaires du re-gime absolutiste, Jean Pu§cariu, publiait en vainun Commentaire de la patente impériale de1854 pour le peuple roumain", car le nombrede ceux qui pouvaient employer ces traités depopularisation était encore tres restreint. La lit-térature se bornait, surtout apres la retraite deBarit, comme rklacteur de la Gazeta Transilvaniei,

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t des traités didactiques, qui n'avaient pas deconnexité avec les problemes politiques dont lasolution interessait les Roumains. Saguna avaitdéveloppe une grande activité comme traducteuret compilateur d'ouvrages religieux, mais, avecl'établissement de la Métropolie, son activitecomme polémiste politique cessa. Le journalqu'il avait fonde en 1852, Telegraful Roman",paraissant a Sibiiu, et dont le premier rédacteuriut le professeur Aaron Florian, revenu de Vala-chie, était destine a un grand role; pourtant lapolitique purement conservatrice que les circons-lances imposerent au metropolite diminua debeaucoup l'influence de cette publication tressoignee. Le grand centre scolaire de Blaj n'avaitencore aucun periodique apres la disparitionde l'Organul rédigé par Cipariupendant les quelques mois de la revolution de1848, l'érudit chanoine et son éleve favori, lepere Jean Micu Moldovanu, consacraient tonsleurs efforts A la redaction d'une revue, Archivulpentru istorie i Biologie", destinée uniquement

discuter des questions de langue et A publierides documents concernant l'histoire ancienne dela province et de la nation roumaine en entier.La publication de l'Association, Transilvania",n'avait pas une mission autre que celle de l'Ar-chiv". Un des représentants de l'activisme roumainclans la Capitale du royaume de Hongrie, Sigismond Pop, fit paraitre tour A tour deux feuil-

Lurnindrii",

-A

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les, Amicul Poporului" et Democratia", alorsque la famille Mocsonyi, inspiree par le jeunepubliciste qui servait ses idées, Vincent Bab,,éditait le journal Albino. Plus tard, en 1871, il

y eut un mouvement de concentration politiqueautour du journal Concordia-, qui fut continueen 1878 par la Federatiunea". En dehors deces journanx, dont le tirage ne depassait pasquelques centaines de feuilles, il n'y avait quedes publications de spécialite, comme le SionulRoman", destine plutot a des articles de theologierou bien I'Amicul Scoalei" (L'ami de l'Ecole"),.que faisait paraitre en 18"i0, A Sibiiu, VisarionRoman. 11 ne faut pas oublier de mentionnerquelques journaux humoristiques, qui eurent unecertaine influence sur l'esprit public.

Tout cela ne fournissait pas cependant les-armes absolument nécessaires pour un combatacharne dont les vaincus devaient tirer toutesles consequences.

On commenca par se demander alors s'il nevalait pas mieux se retirer, declarer que le nou-veau regime etait injuste, que l'empereur avaitcommis une erreur envers ses propres intéretset envers les droits des nations qu'il dtait appeldA gouverner; si on n'avait pas l'obligation mo-rale de declarer qu'on ne pouvait reconnaitreune forme politique qui empêchait presque to-talement la manifestation de la nation roumaine,

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réduite A etre représente par quelques person-pages mediocres et dans une disproportion.criante avec le nombre et l'importance de la raceen Transylvanie et en Hongrie. Une agitation-commenca done vers 1869 pour imposer lapassivité. Des assemblées populaires, A Mier-curea, A Inidoara, se prononctrent dans ce sens.Le 14 janvier 1869 l'assemblée de Miercureaavait proclame la necessite de l'abstention aux4lections, et d'autres resolutions identiques fu-Tent prises dans divers points de la province.MAcelariu, qui représentait au Parlement le cerclede Miercurea, dut démissionner.

Malheureusement il y avait meme dans cettedecision disespérée deux gros desavantages : lepremier était l'impossibilité de coordonner Patti-tude des Roumains de Transylvanie avec cellede ces comtes extérieurs, de ce Banat surtout,dont la population roumaine était particulierement-énergique et décidée, habituee A une plus hautevie politique, qui entendaient participer par leurs-deputes aux querelles constitutionnelles de laHongrie nouvelle, espérant pouvoir recueillir desavantages pour leur nation. Alexandre Mocsonyi,-qui était un chaleureux délenseur des Roumains,publia A cette époque une lettre qui eut unegrande influence, pour proposer la formation d'unparti politique national et démocratique, qui devaitemployer toutes les voies legates pour arracher

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aux liongrois une situation de parité. Mocsonyirappelait que les Roumains habitent depuisdix-sept siecles cette terre", il affirmait qu'ilsont la vitalité et la volonté nécessaire pourvivre comme Roumains" et insistait sur ce prin.cipe incontestable: que la nation seule qui saitcombattre pour sa liberté la possédera entierea 1..

Les Roumains continuaient donc a etre repré-sentés dans la Diete, et parfois ils intervenaientavec énergie pour défendre, dans des questions.particulieres, les droits de leurs commettants. I/en fut ainsi a l'occasion du cas de Tótfala, ottle propriétaire, Apor, d'une ancienne famille ma-gyare, avait chasse ses anciens serfs, qui nes'éloignerent que jusqu'a la grande route et yattendirent patiemment la decision concernantleur sort. On entendit alors de la part des de-putes roumains la declaration qui suit : si leshabitants de Tótfahi seront chassés de la grandevoie aussi, eh bien, ils sont decides a choisirdemeure dans le cimetiere, sur les cendres de-leurs grand-peres et ancetres". Lorsque l'Asso-ciation élut parmi ses membres des savants de-Roumanie et que le gouvernement fit des obser-vations, les representants des Roumains protes-terent énergiquement contre cette mesure, quiportait atteinte a ,des liens culturels que l'Etatne peut que rarement créer et jamais rompreu.

1 PAcátianu, Cartea de Aur, V, p. 26 et suiv.

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La majorite magyare demandant une sommetres importante pour le Theatre hongrois, lesRoumains demanclerent, de leur Me, 200.000-florins pour créer un Theatre roumain en Hon-grie. Et, comme on leur objectait une lois deplus la presence d'une population magyare danscertains districts de montagne de la Moldavie,-dont la vie culturelle n'etait pas soutenue parl'Etat roumain, ils rappelerent que le princeCharles avait dépense des sommes importantespour aider a la construction de l'église reforméede Bucarest, dont les fideles étaient des Hongrois.

Parfois la discussion atteignait un niveau plus4leve. Joseph Hodq s'écriait : la liberté qui,relie fortement une nation A sa patrie n'est quela liberté nationale ; cette liberté n'est pas reconnuepour nous, et encore moins garantie". Une autredisait : Nous demandons a etre appele nation,parce que nous avons les memes droits que la3nation magyare, et la nation magyare s'appellemation". On objecta alors que les Magyars se-trouvaient chez eux. Nous sommes aussi bienqu'eux sur notre terre", riposta Vincent Babes.

En ce qui me concerne, ma famille, que je nesache, n'a jamais émigré ailleurs; nous habitionscette terre au moment ou les Magyars l'ontioccupée, et le peuple roumain a toujours sescondi la nation magyare dans ses efforts et-donne de son sang et de sa sueur pour lui"..Le protocole mentionne un mouvement d'émo

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tion" dans cette Chambre étrangere. Mais celane pouvait durer longtemps, et le chanoine-Moldovan avait raison lorsqu'il déclarait dansune assemblée que le peuple roumain est reduitA ses propres moyens: Oil est la mere qui-puisse nous entendre quand nous formulonsnos plaintes ? Le pere et la mere du peuple-roumain c'est le peuple roumain lui seul".

II ne faut pas oublier l'appui que cette lutte-devait rencontrer, malgré tout, dans l'gtat roumaincréé en 1859, par la reunion de la Moldavie etde la Valachie, dans les progres de cet etat,.dans l'établissement d'une dynastie étrangere,.reliée, A une des grandes families régnantes del'Europe, dans la preparation, par la formationd'une armee imposante, de cette independence-roumaine qui devait etre gagnee par le fer en,1877. Si les journaux magyars de l'époque trai-talent Charles I-er de prince d'un peuple sauvage-de porchers" et qui méritait d'etre enfermé dansla prison de Munkács et les aristocrates rou-mains de barbares A peine sortis d'une etable acochons", ces manifestations, aussi indécentes quefurieuses, ne faisaient qu'exaspérer la consciencenationale des Roumains de Hongrie.

Une nouvelle conference, en 1872, decide de-continuer et meme de raffermir l'attitude politique-de la passivité. Elle faisait appel A la solidaritd

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nationale pour que cet acte de fraternité fftt unmodele et que la postérité n'oubliat pas et n'af-faiblit plus ce pacte sacré". C'est en vain qua lecomte Lonyay, chef du gouvernement hongrois,demanda un mémoire pour pouvoir apprécierles prétentions des Roumains: il ne pensait passérieusement, lui-meme, aux consequences decette consultation. On demandait cette lois l'in-troduction de la langue roumaine dans les Ione-lions, l'autonomie du clerge uniate, demandenouvelle et de la plus haute importance a uneépoque oil on craignait, et sans raison, quel'Eglise catholique magyare n'engloutisse cetteformation autonome des uniates de Transyl-vanie. C'était au moment oti, au Parlement dePest, le professeur Roman rappelait aux Ma-gyars le secours militaire fourni par les arméesroumaines de la Couronne de Saint Etiennefors du grand peril turc et les exploits ac-complis par Jean Hunyadi, un Roumain, pourdéfendre contre les paiens les frontieres duroyaume, et, lorsque l'on parfait déja d'introduirele magyar comme langue exclusive de l'ensei-gnemedt élémentaire, M. Georges Pop de Base0i,qui est aujourd'hui le president du parti nationalroumain, s'avisa de demander a ses colleguesmagyars s'ils aura;ent les mettles idees dansle cas oh les événements auraient fait introduiredans l'école magyare l'enseignement en langue..,russe".

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A la veille de la guerre balcanique de 1876-9les relations entre Roumains et Hongrois devin-Tent encore plus acerbes. On craignait un grand-complot de la part des Roumains. Les succesde l'armde roumaine contre les Turcs, le grandreile qu'elle joua pour sauver les armees duTzar a Plevna exaspdrerent les ennemis desRoumains en Hongrie, et l'accroissement naturelde confiance que le peuple roumain de tous lespays devait avoir dans son avenir apres laguerre victorieuse au cours de laquelle les Ma-gyars avaient manifestd plus d'une fois leurssentiments de fraternité pour les armdes d'Osman-Pacha, fit qu'un nouveau mouvement vers l'ac-tivitd se produisit parmi les Roumains de Hongrie.On croyait que, cette fois, ils pourraient vrai-ment recueillir des fruits. Comme $aguna n'dtaitplus de ce monde, comme son successeur,reveque d'Arad, Procope Ivacicovici de faitIvascu, roumain, né dans un milieu roumain ,ne fit que passer sur le tittle archiépiscopal pourdevenir patriarche des Serbes, comme enfin lesuccesseur d'Ivacicovici, Miron Roman, originairedu Bihor, était un homme d'une intelligencerdelle, d'un haut sentiment de sa dignité person-nelle et de celle de son Eglise, une personnalitédnergique et opiniatre dans ses resolutions, onpouvait entrevoir la possibilité d'une nouvellelutte, conduite cette fois aussi par l'Eglise. 11 nefallait meme pas penser, bien entendu, a l'Eglise

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de Blaj, qui cependant avait, dans le sens del'organisation religieuse, un grand &Nue, JeanVancea, le createur Aes etablissements scolairesqui rappelleront longtemps son nom.

Cependant la presse quotidienne, vibrant desquerelles du jour, animee par l'ideal d'une nationentiere, faisait defaut. La Gazeta Transilvaniei"paraissait encore, sous la direction de la familleMurfisanu, des parents du poete, mais les feuil-les de Pest avaient cesse de vivre, et certainestentatives de creer de nouveaux journaux n'eurertpas de succes. Barit, le principal représentantde cette presse, était d'avis qu'il fallait continuera opposer au triornphe insolent de la causehongroise la conscience muette du droit roumain..Il serait humiliant", disaiil, pour le peupleroumain, de baiser la main qui le frappe, desolliciter son pardon. Un essai a éte fait en en-voyant des députés a la Diete de Pest, et nousavons vu la maniem dont ils ont &é traites."L'activisme, serait la frequentation de l'ennemi,et cela a un moment d'armistice.

Au lieu de songer a abandonner le passivisme,il fallait prendre des mesures pour empecher cer-tains cercles roumains de briser la solidarité dela nation. En 1878, des resolutions dans le sensdu pacifisme furent prises aussi bien en Iran-sylvanie que dans le Banat. Ceux qui s'en écar-taient, et il y en eut , étaient considéres

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comme traltres. On entendait prononcer des for-mules de radicalisme absolu : depuis quelquetemps la perseverance A demander dégenere dansune mendicité humiliante et abjecte, totalementcontraire au caractere du peuple roumain et A ladignite nationale". Ou bien : il faut que tout lemonde apprenne, et nos compatriotes aussi, quela nation roumaine ne veut rien avoir par grace,qu'elle insiste au contraire, pour obtenir lesdroits humains, civils, politiques et nationaux".

La situation politique devenait de plus en plusmauvaise, les Hongrois n'étant pas au bout deleurs mesures de persecution. L'ideal absurdede la magyarisation, propage par l'école, formaitde nouyelles generations incapables de penserautrement. On s'imaginait sérieusernent que lebudget de l'Etat, que sa police, sa gendarmerie,son armee rneme, sont A la disposition des teesthaudes qui, n'ayant personne A combattre au-dela des frontieres, assouvissaient toute leurhaine de l'etranger" contre leurs propres corn-patriotes, dont la grande faute était de parler lamtme langue que leurs ancetres les plus eloignéset de nourrir une conscience nationale par l'a-mour de cette langue. Tréfort, un Hollandaisd'origine, devenu ministre des Cultes et de l'Ins-truction, prsenta en 1879 un projet de loi pourl'emploi du magyar, rnêtne dans les écoles-elémentaires roumaines. Un contrôle severe devaitassurer A l'Etat l'accomplissement de cette mesure.

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Dans trois ou six ans, chaque instituteur devaitétre en etat d'enseigner la langue de l'Etat a seséleves, sous peine de quitter son poste. Or cesdcoles étaient créées et entretenues par les pay-sans, qui payaient en nArne temps tons lesimpOts de l'Etat servant a l'entretien d'ecolesdont ils n'avaient besoin, ni comme paysans,ni comme Roumains. Cette immixtion de l'Etatétait tout aussi immorale sous le rapport dudroit qu'absurde sous celui de la propriété.

La loi fut votee. Elle profita cependant plusaux Roumains qu'aux Hongrois. L'Etat n'avaitpas les moyens d'accomplir un projet aussihardi, mais, par son attaque aveugle conire lesfondations scolaires des Roumains, il rapprochaitles deux Eglises qui, depuis aguna et ulut,n'avaient pas connu le sentiment de la concorde.Comme du temps du Supplex libellus ou de lagrande assemblee de 1848, uniates et orthodoxesprocéderent de concert. Une deputation fut gluepour se presenter devant l'empereur. Elle comprenait de la part de l'Eglise uniate le metro-polite, l'eveque de Gherla, qui est aujourd'huile métropolite de cette Eglise, Victor Mihályi, Et,du côté des orthodoxes, le métropolite égale-ment et les deux évtques de Caransebq etd'Arad. On ne s'était pas adjoint des laIcs, afinque l'empereur, qui avait reconnu et confirme-l'organisation ecclesiastique des Roumains, fillforce de recevoir la deputation, qui avait um

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caractere absolument legal, l'école faisant partieintegrante de l'Eglise.

Et l'empereur dut répondre. Presse par sonministre hongrois, ayant besoin de l'appui desMagyars plus que de celui des nationalitesmelangées qui forment l'Autriche de langueallemande, il dut reprendre le role de bon perepour tous ses peuples et inviter ces représen-tants d'un peuple persecute, qui n'avait provoquepersonne et n'empiétait sur les droits de personne,a conserver la paix et la bonne entente entretoutes les nations". Quelques jours plus tard,on confirmait le projet de loi absurde, qui étaitadopté avec enthousiasme par les Chambres.

Mais, lorsque les éveques retournerent dansleur diocese, ils furent l'objet de demonstrationssignificatives. Joseph Hodos, s'adressant au me-tropolite ortodoxe, prononcait, a Sibiiu, cesparoles : Nous sommes Ici, et nous y resterons,rocher éternel d'un peuple fixé sur cette terrepar Dieu lui-meme".

Un des effets plus éloignés de cette loi fut laformation d'un parti national roumain".

Comme on avait vécu jusqu'alors dans deuxcamps constitutionnels différents : les Roumainsde Transylvanie, d'un Me, les Roumains deHongrie, d'un autre, il fallut deux convoca-tions, a deux heures différentes de la memejournée du 12 mai 1881, pour arriver a la pre-

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Histoire des Roumains de Transylvanie 331

paration de ce grand acte. Afin de se tenir dansles limites, étroitement surveillées par l'administra-tion, des droits constitutionnels, chaque convocation-tut faite au nom d'un comite electoral, et A savoirau nom de celui choisi pour la Transylvanie en1878 et au nom du Comite de sept, elu par laconference de Sibiiu en 1880. La derniere con-vocation concernait tous les electeurs roumains.De fait, l'initiative avait ete prise par vingt-deuxjeunes intellectuels, A Sibiiu meme, pour etreconfirmée A l'occasion de l'assemblée annuelle{le l'Association A Turda, ces vingt-deux per-sonnes fonctionnant comme Vertrauensmdnner,hommes de confiancea, terme usuel dans lesluttes constitutionnelles autrichiennes de la nation.Ce n'était pas sans doute une base bien solide,et on en verra bientôt les effets.

On partait de l'utilité et la possibilite d'uneaction politique et nationale commune sur labase de la solidarité en general"; on demandaitavant tout le respect des anciennes lois et on seproposait de demander des lois nouvelles. Leprogramme devait etre cependant élabore parl'assemblée pléniere, qui allait etre, bien en-tendu, conduite par les mémes membres du co-mite restreint, parmi lesquels on rencontre, dansune concorde parfaite, Barit, avec sa grandeautorité, le confident de Saguna, Nicolas Popea,qui devait etre éveque de Caransebes, GeorgesPop de Bäsesti, dont il a été question plus haut,

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le docteur Jean Rath!, qui s'etait dejà présentédevant l'empereur a Vienne, le professeur Vi-sarion Roman, publiciste, et un des meilleursfinanciers des Roumains de Transylvanie a cetteheure, M. Parthénius Cosma. Les debats durerentdu 12 au 14 mai ; l'Assemblee comprenait deuxdelégués pour chacun des cinq comtés de laliongrie et, pour la Transylvanie, des représen-tants de quarante-deux cercles et de sept villes.ll y avait en tout 155 personnes.

Le projet presente par le comité parlait de latriste situation des Roumains, des lois treserronees, prejudiciables", du caractere purementmagyar de l'administration, du manque de con-sideration systematique pour l'élement roumain.On s'adressait, d'une maniere vraiment loyaleet absolument patriotique", a tout le peuple rou-main pour l'engager a resister aux attaquescontinuelles de la part de l'élément dominant,surtout en ce qui concerne la question des écolesélémentaires et on énonçait en même temps leprincipe d'unir tous les Roumains de la Cou-ronne de Saint-tienna, afin d'organiser leur-force en vue de la defense des droits et des.intérets généraux, politiques et dconomiques, etsurtout de leurs propres intérets les plus decon-sidérés, nationaux et culturels".

Un comité electoral de neuf devait garantir lapassivité et travailler a l'accomplissement de ce-programme. Quand il fut question de preciser

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les différents points, on commit la faute de nepas s'en tenir au large programme de 1848,qu'on 6vita meme de rappeler, comme &antrévolutionnaire. On voulait l'autonomie de laTransylvanie sans rien parler des autres pro-vinces habitées par les Roumains, l'emploi dela langue roumaine dans la justice et l'admi-nistration, la nomination de fonctionnaires rou-mains ou connaissant la langue roumaine, larevision et l'application de la loi des nationalitéset l'autonomie de l'Eglise et des écoles, qui de-vaient recevoir des subventions de l'Etat, uneloi électorale plus douce, sur la base du suffrageuniversel", ou au moins des impôts directs. Puisla lutte contre la magyarisation, qui est mêmeun acte non patriotique", l'alliance avec tousceux qui travailleront dans le meme sens" etqui surtout tiendront compte des intirets et dela prospérité du peuple en général" (on pensaita une alliance avec les autres nationalités, sansoser le dire). Et, en ce qui concerne le dualisme,-comme cette question du dualisme n'est pas al'ordre du jour, le parti national se reserve dese prononcer ce sujet en temps opportun".

Ce n'ëtait pas un programme de conceptionphilosophique, de valeur pratique actuelle etsurtout de courage; il devait produire des dis-sidences, a cause du caractere vague de cesprescriptions meme ; on avertissait par consd-

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quent l'ennemi sur certains points de la tactiquequ'on entendait suivre, mais on n'organisait pasen meme temps les moyens propres pour resisterA son attaque.

On avait, de plus, neglige de s'entendre avecl'Eglise. Les resolutions prises sans l'avis del'ambitieux metropolite Miron amentrent de sa.part une declaration ennemie, contenue dansune circulaire a ses fideles. II admettait que lesRoumains doivent s'organiser, se donner uaprogramme, mais sans attaquer la base consti-tutionnelle de la Hongrie, sans nier l'etat actuelde droit"; declarant etre convaincu du besoinde consolider l'Etata, il chercha a former unparti constitutionnel et n'hésita pas a tendre lamain aux Hongrois mémes, se détachant ainsi,par un pur mouvement d'opposition personnelledes intérêts essentiels de sa propre nation etcompromettant ce Siege arhiépiscopal qu'il occupa pendant de longues années.

Les deputes qui furent élus sur la base duprogramme national, parmi lesquels Roman lui-meme, Szerb, le general Doda, avaient pris l'en-gagement de mener une lutte conséquente contreles tendances de la classe dominante en Hongrie.Le champ d'activité ne leur manquait pas, Tréfortayant présenté aussi une loi concernant les écolesmoyennes, qui prevoyait l'étude obligatoire dela langue magyare et meme, ce qui était moins

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excusable, l'introduction dans les écoles conies-sionnelles soutenues par les nationalites de l'étudede l'histoire en magyar. Les el/trines roumainsdurent se rallier nicessairement a l'oppositioncontre ces lois persécutrices.

L'empereur était plus que jamais entre lesmains de ses conseillers magyars. II arrive doncque, lors de sa visite a Szeged, a l'occasion dela catastrophe des inondations de 1879, quandles chefs des deux Eglises roumaines se pre-senterent devant lui, il recommanda d'une ma-niere blessante a Vancea de faire de la sorte queles Roumains ne soient pas seulement desadherents zélés de leur religion et de leur na-tionalité, mais en même temps des citoyensfideles de l'Etat hongrois". Miron, de son OW,recut des instructions de propager le vrai amourde la patrie et la reverence envers les lois'.Les deux métropolites en furent récompensespar des ovations enthousiastes, et Miron, quisavait parler a son heure et entendait etre res-pecte dans sa personne comme chef d'Eglise,diclara devant son peuple que la grace despuissants peut changer, mais la fidelité d'unpeuple reste constante. On elle meme jusqu'àjeter en prison ceux qui signaient des mémoirescontre la tentative de changer le caractere rou-main des écoles fondées avec l'argent des pauvresappartenant a cette nation.

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Au mois de mars 1884, les modérés cherche-rent A créer un nouveau parti d'opposition, surune autre base que celle du programme de1881. C'étaient pour la plupart des hommesriches, faisant partie de la Chambre des ma-gnats, imprégnés de l'esprit qui se dégageait decette société magyare au milieu de laquelle ilspassaient leur vie. Cette tentative, qui échouacomme les autres , toute moderation &ant con-damnee dans son origine mime chez un peuplequi devait defendre par tous les moyens sonexistence nationale , amena une concentrationdes radicaux, qui fonderent le premier grandjournal rédige dans une langue litteraire choisieet parfaitement comprehensible pour le peuple,la Tribuna", organe d'une nouvelle generationd'intellectuels.

Cette generation était nourrie par le mou-vement littéraire et philosophique de la Rouma-nie fibre. C'étaient des poetes, comme GeorgesCo§buc, qui devint un des plus reputes re-présentants de la littérature rournaine, des an-ciens étudiants A Vienne, passionnés d'histoire,d'ethnographie, de philosophie, qui sur la basede la philosophie politique allemande, deman-daient, avec des arguments que l'ancienne ge-neration n'avait pas connus, le respect deleur propre nationalité. Peut-etre étaient-ils plusphilosophes qu'historiens, et l'habitude de transposer toutes les questions d'une actualite pal-

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fitsroire des Roumains de Trans) Ivanie 337

pitante dans les spheres sereines de la penséemétaphysique n'était-elle pas de nature a enfaire des apOtres populaires de leur cause. Leurhaute intellectualité etait sans doute un em-pêchement, surtout envers un adversaire quine présentait pas des gendarmes philosophiquesdevant les revendications rournaines. Cette géné-ration s'imaginait, grace a son education juri-dique et philosophique, que certaines argumentsde droit ont une force tellement irresistible quel'ennemi le plus acharne du droit lui-meme doits'inchner devant leur valeur incontestable.

Il aurait fallu sans doute organiser le peuple,lui donner une conscience, lui imposer une soli-darite, fake passer devant ses yeux avides d'unavenir plus rapproche des conquetes possiblesA atteindre. Dans les villages memes, dans lesassemblées de comtés, qui gardaient du moyen-age une certaine autonomie, on aurait pu obtenirdes succes reels, et ces succes auraient dienourris par le progres dans les domaines del'economie nationale et de la culture élémentaire.Le peuple roumain n'avait pas assez de forcespour les consacrer A ces buts : l'affirmation locale,l'organisation du capital paysan, la consolidationde l'enseignement élémentaire et, si les mesuresd'Etat devaient l'entraver un jour, des associationscapables de le remplacer par l'enseignementlibre apostolique ou par une littérature militantefaisant fonction d'école.

15

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338 N Iorga

Mais l'autre conception prevalut. On se plai-sait A mettre l'empereur, malgre sa derniereattitude, révoltante, au-dessus des querelles entreles nationalités vivant sous son sceptre. Se rap-pelant le Supplex Libel lus, mais oubliant soninsucces, on se décida A presenter A Vienne unMemorandum contre la politique de magyarisa-tion suivie par le gouvernement liberal, con-centration du révolutionarisme" kossuthiste, mo-dere par des considerations d'opportunité, deColoman Tisza. Une delegation du parti nationaldevait presenter cet acte A Francois-Joseph I-er,en 1892, selon une decision de la cinquiemeconference annuelle tenue A Sibiiu. Une commis-sion de vingt-deux membres, inspirt.e par JeanRatiu, par le pretre Basile Lucaciu, par les prin-cipaux membres de la jeunesse acadernique,pour la plupart des juristes, s'occupa A rédigerle Memorandum.

Cet acte protestait respectueusement contreles envahissements de l'Etat dans tous les do-maines et surtout dans le domaine electoral, aunom du comité designe par l'assemblée gene-rale des représentants de tous les électeursroumains de Transylvanie et de Hongrie pourla redaction du dit Memorandum. On demandaitle respect absolu des lois en ce qui concernele fidele peuple roumain.

Le 28 mai, les membres de la deputation

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Histoire des Roumains de Transylvanie 339

roumaine se trouvaient a Vienne, mais le ministrehongrois refusa de consentir a ce que cet actesoit accepte par l'empereur. Ce fut en vain que leConseil municipal de Vienne, a la tete de laquellese trouvait le dr. Lueger, adversaire principiel desMagyars, provoqua des manifestations populairesautour de la deputation. D'ailleurs, Lueger étantencore tres mal vu par les cercles dirigeants,cette manifestation ne favorisa nullement la causeroumaine. Le docteur Ratiu, apres avoir longtempsattendu l'heure de son audience, dut se bornera deposer le Memorandum dans une enveloppeferrnee et scellée. Il fut communiqué ferme etscene au ministre hongrois et revint fermé etscellé entre les mains de Ratiu a Turda.

Les persecutions suivirent aussitOt, et elles fu-rent d'une violence, populaire et officielle, peucommune. La plebe de Turda cassa les vitres de-la maison de Ratiu, et des manifestations identi-ques eurent lieu contre les chefs du mouvernentdans toutes les villes. Comme les étudiantsroumains avaient redigé un mémoire de réponseA celui de leurs collegues magyars, qui les atta-quaient dans leur dignité nationale, le principalauteur de la Réplique", Aare le Popovici, hommed'un grand temperament, d'attitude dictatoriale,et deux autres réclacteurs furent appelés de-vant les tribunaux et condamnds. Popovici s'ex-patria. Le proces du Memorandum, qui ne visait

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pas seulement des itudiants, commenca aussit6t,au moment ob, dans une discussion au Parle-ment hongrois, on melait d'une maniere irrive-Tencieuse la personne du roi de Roumanie, quiaurait été le patron de cette Ligue Culture lle"dont le but était de populariser la cause rou-maine dans tous les grands centres de l'Europe.On pouvait prévoir le sort du proces par l'atti-tude de l'empereur, qui, A l'occasion d'un vo-yage A Boro§-Sebes, trouva bon de rappeler aunouveau métropolite orthodoxe, Jean Metianu(if mourut en janvier 1916), qu'il est le souverain de tous, sans distinction de nationa-lite ou de religion", et gull desapprouve acesagitations dangereuses, qui, dans certaines re-gions, tendent a siduire le peuple" ; on pouvaitinterpreter aussi d'une maniere qui ne concer-nerait pas uniquement et exclusivement les Rou-mains les declarations faites par Francois-JosephA l'evique uniate d'Orade, le grand philanthropeMichel Pavel, qu'il est nécessaire d'entretenirla concorde pacifique entre les nationalités", quemenacent les phrases vides d'un chauvinismeexagéré et les demonstrations condamnables dela rue".

Le proces du Memorandum produisit pour lapremiere lois une concentration des efforts duroumanisme entier sur un seul point. Jamais laconscience nationale des Roumains du royaume,leur solidarité naturelle avec leurs freres de

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Fig. 22 Delegués des Roumains de Transylvanie a l'empereur-roi François Joseph (1892)

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Histoire des Roumains de Transylvanie 341

Hongrie, ne fut plus forte qu'a ce moment. Cluj,oh fut jugé le proces, fut envahie par une mul-titude roumaine immense, au milieu de laquelleon distinguait des centaines de Roumains duroyaume ; l'administration se montra incapablecontenir le mouvement, qui ne cl6g6n6ra pas ce-pendant. Les accuses roondirent d'une maniereferme. Ils furent atteints par des condamnationsextraordinairement séveres, sans qu'on pfit pri-senter un seul point de vraie culpabilité enversles lois.

Le pere Lucaciu devait passer cinq ans enprison ; on partagea les autres accuses entreles deux prisons de Szeged et de Vdcz. Puis,le 16 juin 1894, l'action du parti national mu-main fut interdite par le gouvernement We-kerle, et les pénalités contre ceux qui oseraientse manifester dans cette qualite n'étaient paspublides seulement dans le journal officiel, maisplacardées dans les rues. La Hongrie eut ungouvernement special A l'usage des Valaques" :celui de Désidérius Ba'nffy, originaire de Tran-sylvanie, d'ancienne origine roumaine, mais quireprésentait tout le fanatisrne des hobereaux dede la province contre ces Valaques", dont ilseaient cependant descendus.

Ce qui s'est passé pendant les dernieres annéesavant la guerre est compose de persecutionsviolentes et d'accusations mesquines, de falsifi-cations electorates.

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On trouvera les details de l'histoire de cesvingt ans de souffrance dans les écrits publies,a leur heure, par la ,,Ligue Culture Ile" de Buca-rest 1 et dont une partie a été rédigée par l'au.teur du present ouvrage selon une stricte me-thode historique, ou bien dans le large exposéanglais de M. Seton Watson (Corruption inHungary).

II y eut bientôt l'avenement d'une nouvelle ge-neration, représentee par Theodore Mihali, pre-sident du club des deputes roumains au Par le-

ment de Pest, par M. M. Alexandre Vaida, JulesManiu, Vlad et autres, puis, un peu plus tarcl,par le poete Octavian Goga, generation dont lesmodalités de combat furent influencées par lecaractere plus énergi que, révolutionnaire et socia-liste, des mouvements politiques en Hongriememe, ainsi que par une solidarité beaucoup plusétroite avec les Roumains du royaume.

Mais apres la disparition de la Tribune", aumois d'avril 1903, on essaya, sous l'influence dugouvernement roumain, qui avait un traité d'al-liance avec l'autriche-Hongrie, d'opposer au ra-dicalisme une nouvelle forme de la moderation,en fondant a Arad le journal Tribune Poporului"(Tribune du peuple"). II fallu bien y renoncer,

I Memorial Roumain, 1, II, HI

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Histoire des Roumains de Transylvanie 343

.et les moderés finirent, ainsi que ce fut le caspour Basile Mangra, vicaire orthodoxe d'Orade,par deserter completement dans le camp defennemi. Les deux fractions du parti nationalroumain se rencontrerent, pendant quelques temps,en champ clos : Theodore Mihali representantone attitude plus traditionnelle, la jeunesse, grou-p& autour de Goga, opposait au journal of-ficiel, paraissant A Pest, leur Tribuna poporu-lui", devenue Tribuna", avec un caractere na-tional plus radical. Mais les deux fractions seréunirent dans la meme opposition prmcipiellenvers le gouvernement hongrois du secondTisza A l'occasion des conferences de pacificationimposées par l'Allemagne et favorisées par legouvernement de Bucarest, au commencementJzle l'annee 1914.

Elles ne purent pas amener l'apaisement queZésirait le roi de Roumanie, Charles I-er, quicommença A penser A d'autres perspectives.

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XXVIII.

La delivrance.

La guerre provoquée par les illusions austrotongroises de pouvoir gagner Phégémonie bal--canique contre la Russie devait amener les ré-sultats que n'avaient pas pu atteindre les effortsde tant de generations. Elle mena violemment-vers l'inivitable.

Pendant qu'i Budapest l'Allemagne, se rap-pelant ses attaches A la politique de Charles I-er,faisait son possible, par des interventions rditerées,pour amener le comte Tisza, fixé définitivement,nialgré ses apparentes discussions avec desiacteurs de la vie politique des Roumains de"Transylvanie n'ayant aucune qualité de traiter, aceder aux pretentious legitimes d'une nation sinombreuse, A laquelle il n'ofirait que des redres-sements pour la situation religieuse, des centainesde mille de Roumains, places au premier rangdu danger, saignaient pour une cause Mrangere.it n'y eut pas de négociations avec les chefs desdeux Eglises, Pun, Victor Mihilyi de Apa, un.octogénaire timide, resté itranger A la politique,.

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346 N. lorga

l'autre, le nouveau metropolite Basile Mangra.un lettre assez connu, depuis longtemps maladep-consentant a se mettre a la rescousse des int&refs magyars pour finir d'une façon obscure etmiserable. Parmi les chefs lees des Rournains,M. Jules Maniu prefera etre envoyé sur le frontitalien, les autres se gardant de prendre uneattitude sous la menace permanente de l'état desiege ; une partie des jeunes pasta en Rou-manie neutre, le poete Octavien Goga A leurtete, et avec eux se trouvait aussi le pretreLucaciu, jadis si populaire. Le gouvernementroumain, encore incertain sur la direction qu'ildevait prendre, évita une initiative dont les chancesétaient nulles, méme si la Roumanie avait suiviles Centraux dans leur guerre, qu'elle n'était pas .obligee par le traité d'alliance a soutenir.

Mais une atmosphere de suspicion et d'apeu-rement amena les pires exces contre les pretreset autres chefs locaux des Roumains, qui furentenfermés ou internes, souvent menaces de mort,.pour la seule faute d'avoir toujours representeles interéts legitimes de leur nation s. Les pi-Oatsdes deux organisations religieuses furent con-

1 Cf. les lettres du comte Tisza ; Oskar Czernin, Int,Weltkriege; Kleinwaechter, Der Untergang der oester-reichisch-ungarischen Monarchie, Leipzig 1920 ; les rem-seignements recueillis par M. Jean Clopotel, dans Revo-lutia din 1918 qi Unirea Ardealului cu Romania, clui1926.

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Araints, sous les pires menaces, a signer unmanifeste déshonorant, et, parmi les notabiliteslaIques certains ne purent pas resister a despressions violentes et répétdes. On pensait aune zone de frontiere dont la population rou-maine serait dcartée et a toute une serie demesures tendant A la rendre pour toujours inof-lensive. Le desespoir d'une situation perduepouvait seule les expliquer, sinon les excuser.

La justice immanente devait etre servie, apres-ces longs siecles d'oppression, par la défaite desCentraux en 1918. Aussitett le parti national, quin'avait pas pu fonctionner jusque la, ddclara, en-octobre, A Orade, qu'il s'attribue le droit de re-presenter seul les droits de la nation roumaine,t un sous-comité de six personnes, les chefs

connus de l'organisation, auxquels s'ajouterentles hommes de confiance des ouvriers roumains,lurent charges de prendre les mesures neces-saires, s'dtablissant a Arad. Une declaration futlue dans ce sens au Parlement de Budapest, parM. Vaida Voevod, affirmant que l'heure est venue-pour que les Roumains aussi jouissent du droit,-proclarné par le president Wilson, que toute nation-est appelde a decider de son sort. Dans rind&cision du résultat final, on n'allait pas, employant-des formules encore prudentes, jusqu'a tirer laAerniere consequence, c'est-a-dire la reunion a laRoumanie, qui, bien:qu'écrasee d'abord par la su-

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periorité technique de l'armée allemande, avaitreorganise ses forces militaires, gagnant la vic-toire d'élan de Mari§ti et celle, de supremeresistance, de Mir4e§ti. La decision, d'apres cetteformule wilsonienne, etait reservee a une assem-blee nationale.

Au milieu de l'anarchie militaire qui s'etaitaussitôt déchainée en Hongrie, des conseils etdes gardes nationales durent etre formées pourdéfendre, non sans l'assentiment d'un gouverne-ment central auquel manquaient tout autant laforce et l'autorité morale, la propriété et la vie-des Roumains, contre lesquels se tournaient denouveau, par des massacres en masses, les an-ciennes haines inassouvies. La guerre civile re-prit done dans les regions occidentales de laTransylvanie, ou, du reste, des elements de Par-nide roumaine, reprenant la guerre, avaient déjàpénétré. Des soldats roumains de Parmee auAro-hongroise participaient A Vienne et a Pragueau mouvement irresistible qui devait amener lafin de cette forme medievale qu'était la doubleMonarchie.

BientOt la situation appartenait aux formationsrévolutionnaires des Roumains et on pouvaitprocéder a la decision solennelle sur le sortque la nation entendait se creer. On faisaitsavoir, le 10 novembre, au gouvernement hon-grois improvise que les Roumains, déja cons-

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titués, entendent exercer le pouvoir administratitsur tout leur territoire national.

Les négociations A Arad avec M. Oscar Jaszy,nommé ministre des nationalités, ne pouvaientmener A aucun résultat ; la question pendanteentre les deux nations devait etre tranchée, mal-gré le défaut d'une organisation complete etreconnue, de la seule façon possible. Ce n'étaitpas la noble idéologie du sociologue magyarqui pouvait empêcher les evénements de suivreleur cours.

Le 21 novembre, l'assemblee generale fut con-voquée pour exprimer sa volonté decisive surson sort". Les troupes roumaines avancaient ence moment, comme ayant éte appelées par 'ecomité national pour garant;r la liberté entierede tous", sans distinction de race.

Les discussions prdliminaires de cette journéememorable du 1-er décembre n'offrent qu'unintérêt personnel pour les participants. Les mas-ses populaires ne pouvaient pas admettre uneautre solution que celle qui ressortait de la rid-cessitd des choses aussi bien que de la justicela plus élémentaire. Le premier point d'une longueresolution avait cette teneur : L'assemblde na-tionale de tous les Roumains de Transylvanie,du Banat de Timisoara et de Hongrie, rassem-bles par leurs représentants légitimes A Alba-'Julia, décident l'union de ces Roumains et de

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tous les territoires qu'ils habitent avec le royaumede Roumanieg.

Suivaient les points concernant un regime deliberte, aussi pour les autres nations de ce vasteterritoire. La proposition d'une autonomie pro-visoire, dont le sort serait determine par uneConstituante transylvaine, dut etre écartée par lavolonté des milliers de Roumains presses d'avoirla solution definitive. Sans cela il y aurait eutine revolution de la part de ceux qui ne vou-laient a aucun prix reprendre le joug.

Done l'autonomie provisoire", &cid& dansune séance fermée, de discussions ideologiquesentre les membres d'un comité improvise, setransforma nécessairernent dans la proclama-tion d'un grand Conseil National qui déléguaun simple Conseil d'administration, dirigeant",de quinze personnes.

11 ne put pas se maintenir devant la situa-tion intérieure du pays délivre et devant les dif-ficultés qui devaient surgir de la part du nouveaugouvernement de Budapest, qui, sous sa formecommuniste, déclancha une guerre de recupe-ration, bientôt terminée par la (Waite et l'occu-pation de la capitale de la Hongrie par l'arméeroumaine:

Le 11 décembre 1918 le roi Ferdinand, en vertuaussi de la victoire finale qui avait couronnél'oeuvre de délivrance pour laquelle, par suite

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d'un traité, fixant les frontières futures, avec lesAllies, il avait risque sa couronne et l'existencede son pays, proclama l'union des territoirescompris dans la decision de l'assemblée natio-nale d'Alba-Julia".

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TABLE DES CHAPITRES

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TABLE DES CHAPITRES

Pages

XV. Domination autrichienne en Transyl-vanie 3

XVI. Decadence de l'Eglfse uniate en lutteavec l'orthodoxie serbe. L'éveche deFigaras 47

XVII. La lutte pour les droits politiques desRomaine sous l'eveque jean InnocentKlein . 67

XVIII. Revoltes des paysans roumains au nomde l'orthodoxie 97

XIX. La Cour episcopale de Blaj et l'activitéscolaire et littéraire de ses membres 147

XX. L'empereur Joseph II et la révolte despaysans de Horea 163

XXI. Changements constitutionnels concernant les Roumains sous Joseph II etLeopold II 175

XXII. Les Roumains au coure des guerresnapoléoniennes 135

XXIII. Premiers journaux roumains en Transylvanie. Manifestations politiques entre1830 et 1848 215

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356 Table des chapitres

Pages

XXIV. André $aguna, 6veque de l'Eglise ortho-doxe roumaine et le mouvement rou-main de 1848 227

XXV. Révolte de 1848 : journde du 3 mai 241XXVI. Ere des experiences. Commencement

du regne de François-joseph 1 . , 263XXVII. Le dualisme austro-magyar et les Rou-

mains 303XXVIII. La délivrance 345

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

Fig. 1.

2.3.4.

- L'eveque Athanase Anghel .

Vue de BlajL'eveque Jean PatakiL'eveque Jean Innocent Micu (Klein)

Pages

25697385

5. La cathedrale de Blaj 856. L'eveque Pierre Paul Aaron 122

, 7. Château de Peveque de Blaj 1278. L'eveque Athanase Rednic . 1459. L'eveque Gregoire Maior . . 145

10. Horea, Closca et Crisan, chefs paysans dumouvement de 1784 . . . 169

11. Jube de la cathedrale de Blaj d 19112. Residence de Peveque de Blaj . . 199

, 13. L'eveque Jean Bob (Babb) . . 20414. Georges Barit 21715. Simeon Barnutiu 24316. L'eveque Tean Lemenyi . . 24417 Andre Saguna, comme eveque . 25318. Port ait d'Avram lancu en 1848 26119. Avram lancu . . .... . 26720. Lemetropolite Alexandre Sterca-Sulutiu . 28421. Le metropolite orthodoxe Andre $aguna 30122. Delegues des Roumains de Transylvanie

I l'empereur-roi Francois-Joseph (1872) 340

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Vilenii-de-Munte(Roumanie)