Henri de Dinant Revolution Communale XIII

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Henri de Dinant Revolution Communale XIII

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  • NO. 93-81202-] 7

  • MICROFILMED 1993

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  • A i THOR:

    POLAIN, MATHIEULAMBERT

    A ^MJj m

    HENRI DE DINANT

    PLACE:

    I I P/^CT

    DATE:

    1843

  • Master Ngative ft

    COLUMBIA UNIVEI^lTY LIBRARIESPRESERVATION DEPARTMENT

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    18^3. 0. lUpI

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    HElSfRI DE DINANT,

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    A inOIVSIErR VILLEMAO

    ,

    Ministre de l'Instruction Publique en France.

    j^omwrtQe rceprcUifu^ h V^uUnv,

  • i^e^m'^^i&^mi^i'iimies^^^Msksmi^s^im^ ^^'sg.#gafe^a;figsjtiaaK^

    L

    Robert de Langres,vque de Lige, tait mort le

    16 octobre de l'an 4246, et, depuis prs d'une anne,

    le sige demeurait vacant. Le plus grand dsaccord

    rgnait parmi les chanoines du chapitre de St.-Lam-

    bert touchant l'lection du nouvel evque. Dans la

    premire assemble tenue cet effet , ils ne choisi-

    rent pas moins de douze candidats; enfin, les suf-

    frages se runirent sur les deux principaux d'entre

    eux : Henri de Gueidre et Eustache de Rethel.

    2

  • 10

    Le peuple de Lige et prfr ce dernier que re-

    commandaient son affabilit et sa douceur; de plus

    ,

    il appartenaitau lignage de l'vque Hugues de Pierre-

    pont qui avait vaincu les Brabanons la warde de

    Steppes y cette grande victoire populaire dont les

    bourgeois gardaient avec orgueil le glorieux souve-

    nir (1). Henri de Gueldre, au contraire, tait dtest

    de tous, grands et petits^ on ne l'appelait dans la

    cit que Henri de Montfort ou Henri l'allemand.

    C'tait, disait-on, un homme qui tenait en grand

    mpris les pauvres gens des communes. Ses anctres

    avaient trahi les Ligeois la warde de Steppes

    ,

    aprs en avoir t aids plus d'une fois contre les

    ducs de Brabant. On ne manquait pas d'ajouter, que

    les gens du duch de Gueldre taient presque tou-

    jours en guerre avec ceux de Lige (2).

    Ces propos et beaucoup d'autres encore, taient

    rpts publiquement dans les rues ; mais Henri avait

    de puissants amis Rome et la cour des Othon;

    (1) Il estoyt bon et estoyt cusin a bon Hue de Pierpont qui

    fist li vengeancbe del warde de Steppe5. Chronique indite de

    Jean d'Oltremeuse. V. sur cet historien la notice que j'ai publie

    dins mes Mlanges historiques et littraires. Lic^e, 18S9,

    in-l8.

    (2) J\N D'OuTREMErSE.

    ^^S^i^^^^^

  • _ 12 bijoux prcieux. Enfin il tait peu instruit et savait

    peine lire (1).

    Le rgne de ce prince devait tre Tun des plus

    orageux de notre histoire. C'est alors que commen-

    crent les rvolutions dont la ville de Lige fut le san-

    glant thtre pendant prs de cinq cents annes.

    Mais , afin de mieux comprendre les vnements qui

    vont suivre , il est ncessaire de jeter un coup d'il

    en arrire et de bien dterminer l'tat de la cit

    cette poque et la condition sociale de ses habitants.

    Les premires chartes ;stipulant des privilges en

    faveur de la bourgeoisie ligeoise, datent del fin du

    douzime sicle. En 1198, levque Albert de Cuyck,

    qui s tait endette envers le comte de Hainaut dans les

    dmarches qu'il dut faire pour assurer son lection,

    trouva moyen de prlever une assez forte somme en

    accordant ses sujets une charte, o il ne fit^ il est

    vrai,que consacrer des coutumes et des franchises

    dont jouissaient dj les bourgeois , mais que ceux-ci

    (1) Horas canonicas, maxime cum eas nescias et ilMleratus

    jexistas praelermittens, lacalibusetinterdum purpureis veslibus

    \ te induis , zonis argenteis et deauratis uteris : ita quod te non

    , prlatum sed polis militem reprsenlas.^'jos/o/a Gregoriipap

    Ilenricoepisc. leodiensi,apudUocsi!.Tii, t, 'S.Chapeavilu, p. 302.

    mfmummmmvmmmmmmmim

    13

    ne furent pas fches de voir sanctionner par le prince

    d'une manire authentique et solennelle. Ces liberts^

    presque aussi anciennes que la cit elle-mme , se

    composaient de traditions plus ou moins effaces du

    rgime municipal romain, fondues avec la loi Salique

    et les Capitulaires des rois Carlovingiens ; aussi , la

    runion des diffrentes dispositions du droit cou-

    tumier de Lige, tait connue autrefois chez nous

    sous le nom de lot Charlemagne,

    La grande Charte d'Albert de Cuyck , confirme,

    l'an 1208, par l'empereur Philippe II , et renouvele

    trente ans plus tard par Henri VII , renfermait les

    points suivants qui devinrent comme le fondement

    du droit public ligeois (I).

    Les Citains ou bourgeois ne doivent ni tailles , ni

    cots , ni services militaires , ni aucune chevauche

    ,

    mme pour les biens qu'ils possdent la campagne.

    Si quelque chteau de l'Eglise ou quelque maison

    fortifie est assig ou envahi , Fvque doit rassem-

    bler ses gens d'armes, ses chevaliers, ses hommes

    de fief et les sursants du plat pays pour faire rparer

    le dommage.

    (1) On trouve celte charte dans le Recueil des dits , etc. de

    LocvREx , et dans la plupart des historiens h'geois.

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  • --^s&*^^=s^:.^.i3^*^:^s*=^i(^&iiimBW!ffl^^

    l-saient d'habitations peu lgantes et presque entire-

    ment bties de bois. Chaque profession , place sous

    le patronage de quelque saint , occupait une rue ou

    un quartier spare; ici taient les rues des foulons,

    des febves , des boulangers , des bouchers ;l celles

    des cloutiers , des tanneurs , despcheurs

    ,des

    drapiers et des tisserands (1). Les ouvriersdes m-

    mes mtiers formaient des confrries , descorpo-

    rations organises sparment, ayant leur tte des

    Gouverneurs ou doyens ; mais elles nepossdaient

    pas encore de bannires particulires,elles n'obtin-

    rent ce privilge qu'en 1297 (2).

    Au commencement du treizime sicle ,la cit tait

    divise en six grands Vi7ivesou quartiers , distin-

    gus les uns des autres parleurs blasons et leurs

    cris d'armes. C'taient lequartier de l'Ile, ceux du

    March, de Souverain-pont, appelautrefoisNeuvice,

    de Saint-Johanstre, de St.-Servaisetdes Des Prez.

    (1) C'est aussi letableau que fait des villes du

    nord de la

    France , M. Tailliar , dans sonexcellent livre : De Vaffranchis-

    sment des communes , etc. Cambrai, 1837 ,in-8.

    (2) FisEiv,Historia leodiensis, pars %, p. S.

    V. aussi

    Jynechon et Falloz ou le duel de laplace-verte dans nos Rcits

    historiques,^' dit. Bruxelles, 1842,in-8.

    17 Les habitants de ces vinves , l'exception du der-

    nier , se divisaient eagrands et en petits, (1).

    Les grands taient les riches bourgeois qui sui-

    vaient les chevaliers la guerre et les aidaient mme,

    au besoin , dans leurs entreprises contre le bas

    peuple. La plupart d'entre eux, gros marchands

    trafiquant dans les halles , oubliant peu peu leur

    modeste origine , se faisaient vaniteusement appeler

    seigneurs. Ils portaient des vtements de couleurs

    verte et grise , relevs sur les paules d'une toffe

    bigarre , la manire des bannerets. Ceux qu'on

    appelait les petits taient les artisans des communs

    mtiers, vaste assemblage de douleurs et de misres,

    gens opprims de tout temps par les nobles , ayant

    sans cesse redouter de nouvelles taxes ou des

    amendes qui les ruinaient, en proie tout ce que l'ar-

    bitraire et le despotisme offrent de plus odieux (2).

    (1) Et soiez vritablement informeis qu'il avoit a cely temps

    et encors at a prsent six vynaules a Lige , quy avoyent et

    encoront al temps prsent , blazon et cry d'armes. J. de Hem-

    RicooRT, Miroir des nobles de Hesbaye, Bruxelles , 1673, in-fol.

    p. 209. FiSEN , pars 2a , pag. 1.(2) Ceis borgois on nommoit [es grans , et les gens laburans

    des commons mesliers , on nommait les petits. Ibidem Om-nis civitas in optimales divisa erat et plebeios. lllos passim Par-

    vos scriptores nostrates appellant ; illos vernaculi Maynos

    vel insignes indigitant. Fisen , ibidem.

    [

  • 18

    -\

    Mais que pouvaient ces malheureux sans chefs

    ,

    sans argent , contre la puissante noblesse qui vivait

    cette poque au pays de Lige ? Un chroniqueur

    ,

    presque contemporain, assure qu'il s'y trouvait alors

    cinq six cents chevaliers dont la guerre tait Tu-

    nique occupation , et qui poursuivaient partout

    joutes et tournois afin d'y recueillir honneur et

    profit (1). Ces chevaliers avaient un nombreux train

    d'cuyers et d'hommes d'armes , et pouvaient . au

    besoin , former une arme toute barde de fer , qui

    et facilement cras lafaible pitaille des communes.

    La plupart de ces nobles habitaient le vinve des

    Des Prez, spar de la cit par la Meuse^ et solidement

    fortifie' contre les attaques imprvues de la bour-

    geoisie. Ils avaient fait construire, le long de la

    rivire , une haute muraille, dans laquelle il y avait

    deux portes massives avec des ponts-levis , l'une de-

    vant la rue des tanneurs, l'autre devant celle des

    pcheurs. De la sorte , ils pouvaient , volont^

    empcher les communications entre les deux rives

    (1) lh at le plus de temps eut continuellement en dit pays

    cinq ou scieiz cens chevaliers demorans qui parsievoyent les

    armes et Foneur du monde. Hemricodrt , Miroir des nobles de

    Heshaije, p. 2.

    :^s^^msm;^m:^mm^ *i*Ei#*(!iiS^^i^Wi*.-^j(aeife^f^B^*Si^i^^,^M^

    19

    du fleuve et se retrancher dans leur vinve (1).

    Ces prcautions taient ncessaires : les nobles^

    occupant seuls toutes les dignits du pays , avaient

    plus d'une fois abuse' de leur pouvoir. C'tait parmi

    eux que Ton lisait les chevins, magistrats qui

    n'taient pas seulement des juges , mais qui gouver-

    naient aussi la cit. Chaque anne , ceux-ci choisis-

    saient dans leur corps les deux chefs de la com-

    mune , alors appels matres temps et connus plus

    tard sous le nom de bourgmestres. Ces hommes

    ,

    presque toujours imbus des prjugs de leur caste,

    avaient en profond mpris les pauvres artisans et

    autres gens des mtiers. Tenant la bourgeoisie dans

    un tat de vasselage fort dur, ils y fomentrent,

    peu peu, ces ressentiments profonds, ces haines

    concentres , dont ils furent plus tard les victimes

    au milieu des meutes et des insurrections de la po-

    pulace (2).

    (1) Ly vipaule dlie chachie dlie Preit at tosjours de temps

    anchiens esteit warni de bonne chevalerie , et avoient bonne

    fermeteit de leur costeit et bon pont leviche et assy bonne

    porte et forte par devers eaz alencontre de cheaz de Lige,

    et encors y est ly fermeteit al devant de peixheuruwe. Hemri-

    couRT , Miroir des nobles , p. 209.

    (2) A cely temps (1247) . esloit li gouvernanche del citeit de

  • ;;Kn^te*a*MtoS!**MteJftiiE6KiiSJ-r

    20 L'Eglise avait bien tent quelquefois de mettre un

    terme cet immense dsordre social , mais elle ne

    Tavait essay que faiblement et s'tait mme pres-

    que toujours allie avec la noblesse contre la

    bourgeoisie. Ds l'avnement de Henri de Gueldre

    les choses changent compltement de face :

    ct de ces deux grands pouvoirs qui s taient jus-

    qu'alors partag la richesse et les honneurs , il en

    nat un troisime plus fort,

    plus nergique qui

    finit par les dompter et reste seul matre son tour.

    Lige fait par les grans et nobles si que allre fois dit est. Car

    ilh n'avoit homme Lige de la commone,ja tant fort riche

    d'avoir ne puissant d'amis, quy osast la parleir de chouse quy

    apparlenoit al gouvernanche dcl citeit ne soy entremelleir. Et

    estoient tenus desous pies en servage des esquevins, et des

    nobles et des clercs . car de leur eauz n'astoit nuz. Jean d'Od-

    trmcse.

    ^

    1

    II.

    A cette poque (1252) , vivait Lige un homme

    qui joue un grand rle dans les vnements que nous

    allons raconter. Il tait connu sous le nom de Henri

    de Dinant; les bourgeois le disaient n dans cette

    ville de parents nobles qui vinrent par la suite s'ta-

    blir Lige , on ne sait pour quel motif. C'tait un

    jeune seigneur de bonne mine , parlant volontiers

    aux gens des petits mtiers et s'en faisant toujours

    couter avec plaisir , car il les entretenait de leurs

    privilges qu'on n'observait point . des statuts de la

    \

  • - 22 -

    cit qu'on paraissait mettre en oubli , et leur expli-

    quait souvent en langage vulgaire la belle charte que

    leurs pres avaient achete de Tvque Albert de

    Guyck^ et que les chevins se gardaient bien de leur

    faire connatre , de peur qu'elle n'veillt dans l'es-

    prit des petits des ides de libert que ces magis-

    trats avaient si grand intit touffer (1).

    Henri de Dinant chauffait ainsi l'imagination des

    bourgeois , et les prparait insensiblement secouer

    la tyrannie des nobles et des clercs , sous laquelle ils

    gmissaient depuis tant d'annes. Une figure expres-

    sive, un caractre noble et lev^ un courage toute

    preuve, une loquence entranante le rendirent

    bientt l'idole du peuple. 11 ne fallait plus au futur

    tribun qu'une occasion favorable pour excuter ses

    vastes projets ; des circonstances fortuites^ et qu'il

    sut habilement exploiter, le rendirent enfin matre

    des destines de son pays.

    Grard de Vinalmont , varlet d'un chanoine de

    Saint-Lambert , ayant eu querelle sur la place du

    March avec un certain Renier de Fronstre , ra-

    (1) Chroniques manuscrites, Jean d'octremebse.Fisen.HocsEM ,passim, Corn. Zantfliet apud Martene JmpUssimacollectiOf tom. V. page 99.

    - 23 -

    massa la premire pierre qu'il trouva sous la main et

    en assna un coup violent sur la tte du bourgeois^

    qui tomba sans connaissance ses pieds (1).

    A l'aspect de cet homme renvers , le visage cou-

    vert de sang , la populace pousse un cri de vengeance

    et se met la poursuite de l'assassin. Mais Grard,

    se prcipitant aussitt vers l'glise des frres-mi-

    neurs, y arrive heureusement avant qu'on ait pu

    l'atteindre^ et nul n'osa le suivre dans le moustier.

    Sur le march , les clameurs continuaient ^ un ras-

    semblement nombreux entourait le corps de la vic-

    time et lui prodiguait des secours, tout en blasph-

    mant contre le meurtrier qui,grce au droit d'asile,

    allait chapper la justice civile des chevins. De la

    maison du Destroit o ils sigeaient ^ ceux-ci avaient

    t tmoins de l'affaire et venaient d'arriver sur le lieu

    du crime; fiers de leur autorit, excits d'ailleurs

    par les imprcations de la foule , ils oublirent les

    immunits ecclsiastiques , consacres par les an-

    ciennes chartes du pays, et, ordonnant ceux qui les

    accompagnaient de briser les portes du temple, ils

    s'avancrent vers le matre-autel o Grard se tenait

    \

    (I) Et tant que Grard a pris 1 pire en sa main et ferit Renier

    en la lieste qu'il a fait renverseir a terre. Jean d'outremeuse. HocsEM. Joannes Pkesbyter , apnd Chapeauvili.e.

  • 24

    cramponn. Ce fut grand peine que les frres-mi-

    neurs , furieux de celte violation de leurs privilges,

    parvinrent refouler la multitude au dehors et

    retirer le coupable de ses mains (1).

    La coutume de Lige portait que les chanoines

    avaient seuls la juridiction sur leurs serviteurs ;

    mais les chevins , voyant l'effervescence populaire,

    et contents de pouvoir porter ce premier coup

    l'autorit de l'glise^ revinrent au Destroit o iis

    condamnrent Grard de Vinalmont au bannis-

    sement. La sentence fut immdiatement crie au

    perron (2).

    Cependant Renier de Fronstre n'tait point

    mort, et, d'aprs les statuts, celui qui blessait

    un bourgeois avec un couteau ou tout autre ar-

    me, devait seulement payer un voyage de Ven-

    (1) Et li maires avecq les esqiievins aient aprs et debrisent

    les usserirrs et les portes del englise des cordeliers et querant

    Grard , qui vat muchier sus le grand alteit , mais ne lui valu

    i denier, car ilh le prisent l. Atant vinrent li moines , si ont

    Grard rescoss et ont bien battu le maire , les esquevins et

    leur maisnie et tout fors bouteit. Jean d'octremecse.

    (1) Si vont la meisme Grard forjugeir et proclameir al pe-

    ron , et che fust contre le loy. Jean d'outremecse. Scabinihune contra canonicorum privilgia proscripserunt. Hocsem

    page 280.

    cyy^ 25

    dme et vingt-cinq sols d'amende; le Wehrgeld

    ou la compensation pcuniaire tait mme encore

    admise pour le meurtre, lorsque les parents de

    la victime y consentaient (1). D'ailleurs, le juge-

    ment violait les privilges des chanoines, et

    ceux-ci adressrent aussitt leurs plaintes Henri

    de Gueldre , qui excommunia les chevins , et

    jeta l'interdit sur la ville jusqu' ce qu'on et

    amende suffisamment le dommage.

    Dans l'entretemps , l'empereur Guillaume, tant

    Maestricht, y rendit^ la prire de l'lu ,

    un dcret qui annulait la sentence des juges et

    leur ordonnait de se dsister de toute poursuite

    contre Grard de Vinalmont (2); mais, ces ma-

    (1) Anciens Statuts de iv cit , dans les archives du grand

    greffe des chevins^ au dpt de Lige. On lit aussi dans Hem-

    RicouRT, plusieurs passages qui montrent que le tcehrgeld exis-

    tait encore de son temps chez nous. D'aprs les records des

    chevins, conservs aux archives de la province, la compensa-

    tion pcuniaire pour le meurtre aurait subsist bien plus tard

    encore , et mme jusqu'au seizime sicle.

    (2) Charte de Guillaume , conserve aux archives de la

    province. Cette charte ne porte point de date, mais elle est de

    l'indiction XI, qui, d'aprs les Bndictins, correspond Tan

    12o3. Les archives de l'ancien chapitre de St.-Lambert, ren-

    ferment plusieurs chartes de Robert de Langres et de l'empe-

    reur Guillaume, relatives aux immunits ecclsiastiques.

    4

  • 26gistrats refusrent d obir, et l'interdit continua

    de subsister pendant plusieurs mois encore.

    Au milieu de ces troubles et de ces dsordresde toute espce , Henri de Dinant n avait pas un

    instant perdu de vue ses projets d'affranchisse-

    ment5

    il tenait , avec ses amis et ses affids , des

    conciliabules secrets o l'on parlait journellement

    des liberts populaires et des meilleurs moyens

    mettre en uvre pour tablir une bonne com-mune o les petits ne seraient plus la mercides grands

    ;il irritait ou calmait son gr les

    passions de la multitude et savait lui imprimer

    la marche la plus favorable au succs de ses

    desseins. Grce ses conseils, tantt les bour-

    geois aidaient la noblesse, tantt ils se jetaient

    dans le parti du clerg, et, de la sorte, ils

    affaiblissaient peu peu, l'une par l'autre, ces

    deux puissances rivales (1).

    Un second vnement, peu prs semblableau premier, eut lieu le 25 octobre de l'an 1253

    (1) Et Henris li esluil les excomegnat, par tout la citeit getatTenterdit por le fait et por l'engliese qui fut brisie

    , qui durt

    bien XVII mois et plus, dont multiplit grant mlancolie etdissension. Car Henris de Dynanl y brasst merveilhes, l'unefois contre li esluit , l'autre contre les nobles , et l'aulre contre

    les clers, et ilh estoit bien creu. Jean d'Outremeise.

    27 Ernekin de Vilhanche , maire d'Awans en Hesbaye

    ,

    tua dun coup de couteau , sur le march, An-

    seaux de Warnant , bourgeois de Lige , et le cou-

    pable sortit de la ville, sans que personne fit

    mine de s'opposer son vasion.

    Un tumulte effroyable suivit le dpart d'Ernekin;

    des groupes menaants se formrent tout--coup

    dans les environs du Destroit et de la Cathdrale,

    et Ton et dit qu'il se prparait une violente

    meute (1). Henri de Dinant tait arriv, l'un

    des premiers sur le lieu de la scne ; il cou-

    tait attentivement tout ce qui se disait, puis,

    quand il vit les esprits bien monts, il fit signe

    qu'il voulait prononcer quelques mots : Par

    Saint-Lambert^ notre patron , s'cria-t-il , ne voi-

    l-t-il pas , mes matres , une belle cite' que celle

    o l'on peut commettre impunment de tels cri-

    mes ? Notre lu ne vaut pas un denier,

    puis-

    qu'il laisse ainsi violer nos franchises et ne tire

    aucune vengeance des affronts que nous recevons

    chaque jour. Mais,qu'attendre de ce ribaud qui

    ne pense qu' ses plaisirs? Allons lui remontrer

    (I) Hinc magnus clamor popularis exoriUir, quod liberlas

    loci dprit propler negligcntiam prcesidentis. Hocsem, p. 281.

  • Il

    28 ceci pourtant , et voyons ce qu'il dcidera...(1).

    La multitude applaudit et se dirigea tumultueu-

    sement vers le pr Vvque j on appelait ainsi la

    place qui se trouvait entre l'glise de Saint-Lam-

    bert et le palais du prince. Henri de Gueldre,

    informe' des causes du dsordre, pensa que le

    moment tait venu d'attaquer son tour l'in-

    fluence de la noblesse ; il parut donc aux fentres

    de son palais , et s'adressant au peuple : Mes

    amis, leur dit-il, sachez que fai grand dsir de

    vous faire justice et de vous soutenir, mme con-

    tre les riches et les puissants: mais ils vous

    ameutent secrtement contre moi. Quand je suis

    en ma demeure, puis-je savoir ce qui se passe

    dans la cit ? ceux qui ne devraient jamais l'igno-

    rer , ce sont les chevins et le mayeur que je vous

    ai donns pour vous sauvegarder; eux seuls sont

    les coupables; mais, je ferai mon possible pour

    y mettre bon ordre (2).

    (1) Hz dienllaid l'esluit, criant ribaud el vilonies. Chro-

    nique manuscrite, Hz dienr que li esluit ne vall ung denier

    quant ilh governe leilemenl la citeit qu'il est ensy viole et

    quasse, et s'en vat li malfaisant ainsi de la citeit. Jeat d'Oc-

    TREMEUSE.

    (2) Seigneurs, sachies que je suy en grand volcnteit de vous

    29 Quand le peuple entendit ces paroles dbon-

    naires, il en fut fort aise. Monsieur de Lige, s'-

    cria l'un des assistants , dont la voix puissante et

    sonore tait bien connue de la bourgeoisie,prenez

    vengeance des chevins , nous vous y aiderons de

    toutes nos forces (1). Ensuite chacun se retira et

    tout rentra peu peu dans le silence.

    Huit jours aprs, Henri de Gueldre, voulant te-

    nir la promesse qu'il avait faite aux bourgeois , ou

    plutt poursuivant ses desseins contre les nobles,

    convoqua les chevins une assemble solennelle

    du chapitre. L, il leur parla longuement des af-

    faires de la cit , des meurtres qui s'y commettaient

    en plein jour et du peu de soin qu'ils prenaient de

    sa bonne ville; puis, il ajouta en finissant: Ce sera

    moi seul, messires^ qui rendrai dornavant la jus-

    tice ; le peuple dsire qu'il en soit ainsi et je le ferai

    faire justiche en corrigant les raalz si que poroit li povre deleis

    ii riche et sa chevanche faire , mains ilh at des vordeur entre

    vous de mal nature , qui vous informent contre moy sens

    cause. Quand je suys en mon palays , que sais-je con fait par la

    citeit. Je vous ay donn mayre et esquevins qui chu doient

    gardir, si les deveis demandeir. Jean d'Odtremeuse.

    (1) Si dient que ilh prende venganche des esquevins.

    Ibidem.

  • 30 -comme il m'en a prie. De la sorte, grands et pe-tits seront galement protgs et de pareils troublesn'auront plus lieu... (1))).

    Leschevinsjetrentleshautscrisuneproposition

    qui ruinait leur autorit; ils apostrophrent vivementrelu

    ,disant que c'tait l une grande flonie de sa

    part et jurant qu'ils le forceraient bien d'agir autre-

    ment: Oui , s'cria l'un d'eux , nomm Franck

    de Vis, avant que le peuple, aujourd'hui notre

    vassal, devienne notre gal en puissance ou notre

    matre, nous serons tous morts ou chasss de

    Lige jusqu'au dernier... (2). Et il frappait violem-

    ment du pied, gesticulait avec force et ajoutait d'au-

    tres propos que le tumulte empchait d'entendre.

    Radus, l'archidiacre de St-Lambert, voulant calmer ce

    furieux, lui donna sur l'paule un lger coup de la ba-

    (1) Respondit que ilh ne seroit plus ensi , comme ilhat esteit

    ,car ilh tinent malvaisement leur serment et fealteit

    ,

    siquil les convient priveir en partie de leur forche, car ensiFat accordeit li pueple. Jean d'Odtremeuse. Corra cunctisproposuit, quod ex alto dominio, paratus eratsic deJicta corri-gere, quod in unam simul dives et pauper possint conviverecivitatem. Hocsem, p. 281.

    (2) Quant 11 pueple qui est desouz nous en servage voreis

    mettre en auctoriteit miez que tuis soient buteit hors de la ci-

    teit ou tuis mors. Jean u'Oitremeuse.

    31 guette qu il tenait en main. Alors la colre de l'che-

    vin ne connat plus de bornes ; il quitte prcipitam

    ment le chapitre et accourt sur le march : Or

    tt , aux armes , messieurs les grands et les che-

    vaUers, dit-il, voici la cit en douloureuse d-

    tresse ; le chapitre veut passer au fil de l'pe tous

    les riches bourgeois et mettre le commun peupleau-dessus de nous; aux armes, vous dis-je et cou-

    rez vite assembler vos parents et vos amis... (1) .

    Lui-mme il se dirige vers le quartier des Des Prez,

    outre-Meuse^ o il a bientt amass un nombre assez

    considrable d'hommes dtermins, prts le

    suivre.

    Cependant , les sons lugubres de la cloche

    blanche retentissaient dans les airs; les boutiques

    se fermaient avec fracas; les artisans quittaient leurs

    ateliers , et les gens des petits mtiers , ignorant la

    cause de ce tumulte , s'attroupaient la hte sur

    difFrents points de la cit. D'un autre ct, les

    nobles , se dirigeant vers le lieu des sances du

    (1) Ortost, az armes, la citeit est perdue; la clergie vuetmettre a l'espe touz les borgois nobles et le serf pueple mettre

    en auctoriteit et estremaistre deseurnous. Jeand'Octremecse.

    Hune virg percussit, qui furibundus recessit vociferans quodclerus burgenses interficere niteretur. Hocsem , ibidem.

    i

  • 32

    chapitre , allrent en briser les portes et cherchrent

    s'emparer des chanoines ; mais ceux-ci s'taient

    enfuis au premier son de la cloche, et le prince,

    voyant que la populace, loin de Taider contre ses

    ennemis, se tenait dans une formidable inaction,

    s'empressa aussi de quitter Lige ; la journe finit

    par le pillage de la maison du prvt (1).

    Pendant 1 meute, Henri de Dinant avait fait

    dire ses amis de ne point bouger pour aider les

    chevins ou les chanoines , et de les laisser vider

    leur diffrend entre eux (2).

    fe:

    (1) Quand li canones l'entendent , si ont vuidiet la citeit

    tantoist.... Et li esluit s'en est partis aprs eauz, si ont tout

    emporleit avecque eauz fors que l'entredit quils ont laissiet

    Lige. Jean d'Oitremeuse. Hocsem.(2) Si dist Henri , ne muchies point en ces querelles.

    Chronique manuscrite.III.

    o

    La paix fut conclue peu de temps aprs , mais

    les nobles , devinant les projets de l'lu , cherch-

    rent les djouer. A cet effet , ils rsolurent de se

    liguer avec le peuple contre le prince,persuade's

    que, Tinfluence de l'Eglise abaisse, ils se dbarrasse-

    raient alors facilement de leurs nouveaux allis.

    Ils allrent donc trouver Henri de Dinant . dont ils

    5

  • 34 55

    connaissaient l'immense crdit parmi la bourgeoisie,

    et lui communiqurent leurs desseins (1).

    Henri , feignant de partager les ressentiments des

    nobles , les assura qu'il mettrait tout en uvre pour

    les aider, mais il ajouta qu'il avait peu d'espoir de

    russir : a Les artisans et les gens des petits mtiers,

    dit-il , ont galement se plaindre des chevins et

    de l'lu ; ils ne voudront point se mler de vos que-

    relles , moins d'y trouver quelque avantage. Vous

    crez chaque anne deux matres temps qui ad-

    ministrent les affaires de la cit ; laissez-les dor-

    navant choisir par le peuple en dehors du corps des

    chevins, cela satisfera la bourgeoisie. Je ferai dire

    publiquement dans tous les vinves que cette nou-

    veaut est dirige contre vous ^ mais, au fond , les

    matres vous seront secrtement dvous;quant

    l'lu et au chapitre nous obtiendrons, sans aucun

    doute, leur assentiment, car ils croiront que tout ceci

    est tram pour vous nuire (2)

    .

    (1) A Henri de Dinanl ont pris les esquevins conseilh cornentpouront avoir plus grande ocquaison contre le capille. Jean

    D OoTREHEusE. Scabini timentes ne electus propter eorumfore facta diruant suasdoraos.... elegerunt in civitate idolum

    qnemdam Henricum de Oyonanto. Joannes Presbyter , apiid

    ClI^PEAUVlLLCM, p. 282.

    (2) Et Henri dist ensi: Sgnours, vous ordenereis a Lige

    Les nobles approuvrent ce projet et pressrent

    Henri d'en hter l'excution. Celui-ci les avait peine

    quitts qu'il se rendit auprs de ses affides : t Le

    jeu est enfin bon pour nous, dit-il en les voyant ^

    nous allons tre les matres. (1). Puis il raconte

    chacun d'eux ce qui vient de se passer et leur re-

    commande d'chauffer l'esprit des bourgeois et de

    les prparer Taccomplissement de ses desseins ;

    lui-mme parcourt les rues , entre dans les tavernes ,

    profrant des discours sditieux et s'criant qu'il

    fallait briser le joug sous lequel le peuple gmissait

    depuis si longtemps.

    L'agitation et le tumulte rgnrent bientt dans

    toute la ville ; une foule innombrable d'artisans et

    d'hommes des mtiers encombraient la grande

    dors malslres qui pris seront andois entre les nobles, mains

    quilz ne soient esquevins.... Puis les at dit tous bas: Signours,

    j'enformeray secreement chi n,cbiin,que ilh dient publement

    que pour les fais honteux et les impressions et dangiers et

    exactions la ilz sont constralns par vos, ont entre eauz ordineit

    chest fait si con diroit par la citeit que chest contre vous , si

    que li esluit ne capitle ne vous poront imposeir che fait.

    Jean d'Octremecse.

    (1) Et Henri vat par la citeit informeir lepueple secreement

    en disant que li jeux est beauz pour eauz car ilh aront des

    maistes , etc. Ibidem.

  • 36 place du march

    ;pas un noble ne paraissait au mi-

    lieu d eux ; ils croyaient , avec les chevins, que

    Henri agissait d'aprs leurs conventions ; d'un autre

    cte' Tlu et le chapitre se rjouissaient de voir les

    passions de la multitude de nouveau dchanes

    contre leurs puissants adversaires (1). Le tribun

    parcourait les rangs pais de la populace,

    pres-

    sait les mains calleuses qui s'avanaient pour saisir

    la sienne , contemplait avec bonheur ces figures o

    se peignaient une sombre nergie et Tesprance

    d'un avenir meilleur;puis, montant sur les degre's

    de Saint-Lambert d'o il pouvait tre aperu de tous,

    il harangua pendant quelques instants les bour-

    geois et leur exposa le tableau des misres qui pe-

    saient sur la bonne ville : Il m'est avis que nous

    remdierions ces maux, dit-il, en nommant nous-

    mmes nos matres temps , et en leur faisant ju-

    rer de bien nous gouverner et de mieux observer

    nos privilges ; ainsi nous serions une franche et

    libre commune et nous n'aurions plus rien craindre

    des chevins ou de Tlu (2) >>.

    Une approbation unanime accueillit les paroles

    (1) Adont ne fisent 11 esluit etii capitle nulle parole pensant

    qu'il haoit les esquevins. JEA^ u'Outremeuse.

    (2) Chroniques manuscrites.

    P

    1

    &

    37 de Henri de Dinant : C'est vrai . disaient les uns ,

    il nous conseille bien^ le peuple doit nommer ses

    matres. Henri, Henri, s'criaient les autres, soyez

    notre matre temps et ayez soin de nos liberts,

    nous avons grande confiance en vous.... et une

    immense clameur sortit tout--coup des rangs de

    la multitude , rptant : Henri , Henri , soyez notre

    matre temps

    Que cela soit fait ainsi que vous le dsirez

    ,

    mes amis, rpliqua le tribun;je vous garderai bien,

    je vous le jure;je promets de dfendre vos privi-

    lges et vos franchises et de vous rendre bon compte

    des deniers de la commune.

    Le peuple battit des mains ce langage simple,

    mais nergique; les bourgeois se flicitaient entre

    eux d avoir enfin secou le joug des nobles et des

    clercs , et saluaient avec enthousiasme l'aurore de

    leur libert (1).

    Jean le Germeau,personnage entirement d-

    vou aux vues de Henri de Dinant, lui fut donn

    pour collgue, et les deux nouveaux magistrats

    (1) Excepta sunt hoec public omnium gratulalionej non

    secs ac si condita primm illo die civitas. Jara sibi demm

    vivere videbantur, poslquam excusso lam gravi jugo, asseruis-

    sent se in libertatem. Fisen , pars T, p. 5.

  • 38

    populaires se dirigrent aussitt aprs vers le Des-

    Iroit o les attendaient les chevins, fort joyeux

    du succs apparent de leurs intrigues. Lorsque

    Henri de Dinant et Jean le Germeau entrrent dans

    la grande chambre scabinale , ils aperurent , au

    fond, le mayeur Adam de Neuvice, couvert de sa

    robe rouge et tenant en main la verge , emblme

    de sa haute dignit. Il avait ses cts Arnould Des

    Prez , Eustache de Fleron , Ogier du Lardier, Pierre

    de Hozemont, Jean d'Isle^ Radus, sire de Chayne,

    Grard Mailhart de la Sauvenire, Thibaut Clarem-

    bault, Enguerrand Mailhart, Gilles de Rocourt,

    Collart de Haccourt, Lambert, le capitaine de Saint-

    Servaiset Guy de Fronstre. C'taient tous nobles,

    tous chevaliers , riches et puissants, et dont la plu-

    part^ dit Jean d'Outremeuse , estaient fort mlanco^

    lieux ^ et haoient les communes fortement

    .

    Le mayeur s'tant lev dans le dessein d'adresser

    ses flicitations celui qu'il considrait toujotns

    comme le complice des chevins^ Henri ne lui

    laissa pas le temps de parler , et s'adressant tous

    ceux qui taient l prsents : Messires , leur dit-il

    ,

    les bourgeois de cette cit m'ont nomm leur matre

    temps,etje viens^ en celte qualit, requrir de vous

    tous le serment d observer les franchises qui nous

    59 ont t octroyes par les empereurs et par Monsieur

    de Lige, Albert deCuyck, de bonne me'moire,

    vous enjoignant de bien les garder, et de ne pro-

    noncer jugements que d'aprs nos vieilles coutumes

    et nos anciens statuts (1) .

    Les chevins ne firent dabord que rire de ce

    qu'ils croyaient tre une comdie ; mais ils furent

    bientt dtromps par l'air ferme et dcid du tribun

    .

    Un aflFreux soupon pntre tout--coup dans leur

    me, et quelques mots outrageants de Henri ache-

    vrent de leur dessiller les yeux. Alors , ce fut qui

    lancerait la plus grossire injure celui qui les avait

    ainsi joues: Parjure^ faux tratre, s'crient-ils, tu

    as contre nous entrepris grande folie ^ car nous sau-

    rons abattre avant peu ton outrecuidance , et tirer

    une vengeance clatante de ta flonie. Quant au

    serment que tu oses exiger de nous , va dire aux

    bourgeois, tes pareils , que nous mourrons tous

    avant de nous abaisser le prter. Eh ! eh ! mesmatres

    , reprit Henri , en ricanant, un vieux re-

    (1) Henri de Dinant et son compaignon ont fait le seriment

    ,

    et puis sont venus de plain az esquevins et si les ont requis de

    faire seriment que iiii contre les franchises ne jugeront mie et

    les garderont toudis por le petit et por le grand. Jbais d'Oitre-

    9IEUSE.

  • 40

    nard,quand il est tomb dans les rets , est aussi

    facilement tenu qu'un jeune. Maintenant que vous

    voil pris au pige, vous vous en tirerez comme

    vous pourrez ; mais , soyez srs que , jamais plus ,

    vous ne deviendrez aussi puissants que vous l'avez

    t jusqu'aujourd'hui (1 )

    .

    En achevant ces mots^ Henri quitta le Destroit

    ,

    suivi de son collgue, et vint de nouveau haranguer

    les bourgeois qui attendaient impatiemment son re-

    tour, et faisaient de temps autre retentir l'air de

    leurs chants de triomphe. Vous savez, leur dit-

    il,quelle tait votre misre, et voil que , pre'sent,

    grces a mes efforts , notre cite' va devenir une

    bonne et franche commune. Mais ne croyez pas

    que tous verront avec plaisir ce grand changement.

    Des adversaires puissants et nombreux se lveront

    contre nous. Consultez-vous donc et voyez si vous

    prfrez vivre en libert ou rentrer dans votre an-

    cienne servitude. Nous voulons tre libres, s'-

    cria-t-on de toutes parts; montrez-nous ce qu'il faut

    faire... Vous seriez invincibles, rpliqua le tri-

    (1) Aussitt est pris un viel renart que un jovenez ; je vous

    ay si loyei que jamais ne poreis estre desloyez ne si gran que

    vous estiez devant; vostre eslat est ployez. Jea? d'Outremeuse.

    41 bun d'une voix forte et sonore , si vous aviez com-

    battre uo ennemi dclar et du dehors , mais vos

    adversaires sont dans nos murs, et ils saisiront la

    premire occasion favorable pour vous craser

    l'improviste. Djouez leurs projets par une union

    forte et durable ; formez-vous en bandes de deux

    cents hommes , commands par un brave capitaine;

    convenez , l'avance , de certains points de rassem-

    blement , et courez-y tous si quelque danger vient

    menacer la commune. Qu'au premier son de la

    Cloche blanche y personne ne reste en son logis;

    que chacun prenne ses armes et vienne sur la place

    publique recevoir les ordres de ses chefs. De la sorte

    vous serez plus forts que les nobles ne lont jamais

    t (1) .

    De bruyantes acclamations accueillirent ce dis-

    cours , et , l'instant mme , les milices bourgeoises

    furent organises d'aprs les conseils de Henri de

    Dinant.

    Les chevins apprirent avec stupfaction ce qui

    venait de se passer. En quittant le Destroit , le

    (1) Atant sont faites les XX'' ensi que dit est , si orent con-

    grgations et forche plus quilh navoient eyut onques devant.

    JEAIN d'OdtREMECSE. HoCSEM. JOANNES PrESBTTER.6

  • 42 mayeur Adam de NeuTice dit ses collgues : Mes-

    sires, nous avons tram l bien mauvaise entreprise,

    Dieu veuille que grand mal n'en advienne nous et

    nos enfants!.. (1))).

    (1) Adont sont li esquevins esmayez et dient: nos aslons

    dechius comme mesqueins; nos avons brasseit une maie bras-

    se , si nos le convient boire. Jean d'Octremeuse.

    --ffeC)o>SO r

  • 44de Flandres , sa raie. Henri de Gueldre pensa qu'il

    ne pouvait refuser des secours Jean d'Avesnes qui

    relevait son comt de l'glise de Lige, et, commec'tait l'usage en pareille occurrence, ilmanda sur-le-

    champ tous ses chevaliers, et requit les chevins

    de rassembler les milices et de faire tous les prpa-

    ratifs ncessaires pour son expdition (1).

    Ceux-ci, contents de pouvoir humilier les nou-

    veaux matres de la cit, s'empressrent d'excuter

    les ordres du prince, et firent crier ^w perron que les

    bourgeois, grands ou petits, riches traficants ou

    simples artisans des mtiers, eussent se tenir prts

    et appareills au premier son de la cloche blanche

    pour suivre Monsieur de Lige la guerre.

    A la nouvelle de ce qui se passait , Henri de Dinantvint sur le champ au Destroit, et, s'adressant auxchevins

    ,il leur demanda de quel ct 1 lu se pro-

    posait de conduire les gens de la commune: - Quet'importe, faux tratre, lui rpliqua violemment

    Arnould,sire de C hayne , tu le sauras assez temps

    quand tu seras de retour. - Eh ! bien,

    puisqu'il en

    est ainsi,Messires, s'cria le tribun, dites notre

    (1) Et mandat le VIi jor de juing les esquevins de Lige, siles at requis d'avoir IWst, et ilh dient qu'ilh l'aurai volenliers.

    JfciAlN d'OuTREMEUSE.

    45

    lu que les Ligeois ne verseront pas leur sang

    pour une cause trangre : d'aprs nos anciens

    statuts et les privilges d'Albert de Cuyck , nous ne

    sommes tenus qu' dfendre le territoire de la prin-

    cipaut et les possessions de l'glise de Lige. .. ) .Puis,

    sortant du Destroit, Henri fit son tour proclamer

    au perron que les bourgeois pouvaient demeurer

    tranquilles en leur logis et n'avaient point se mler

    des querelles particulires de leurvque (1).

    L'lu avait les passions trs-vives et souffrait dif-

    ficilement qu'on lui rsistt ; il devint furieux en

    apprenant la vive opposition du tribun ses projets

    de campagne, et, le lendemain, il abandonna la cit,

    jurant de venger l'affront qui lui tait fait par la

    (1) Quant Henri de Dinant soit chu , li et son compagnon

    vinnent tous preis devant les esquevins de Lige et demandans

    ou l'esuit devot aler. Et li esquevins respondent : que apar-

    lient toy, faux vilain , et chu dist Arnols sires de Chayneez ,

    tu le sauras mult bien ains quil soit revenu ; et dist Henris de

    Dynant: distes notre esluit qu'il n'en aurat point del oust

    por gure estraingne, car ilh ne doibt avoir silh n'est por d-

    fendre l'englise. Et se partit atant se vint al peron , si vat faire

    descrieir l'oust. Jeaw d'Octremeuse. Henricus ductor populicontradicit : non enim ait, pro causis extraneis , sed pro pa-

    tri, pro juribus electi et ecclesiae bellare tenemur. Hocsem ,

    p. 286.

  • 40

    bourgeoisie. Quant Henri de Dinanl , il poursui-

    vait tranquillement son uvre , l'mancipation du

    peuple , et ne ngligeait aucune occasion de ravaler

    rinfluence des chevins dans les affaires de la com-

    mune. Ceux-ci , de leur ct, lui avaient vou une

    haine mortelle ; ils piaient avec soin l'occasion de

    se dbarrasser d'un ennemi aussi redoutable, et

    l'un d'eux , Lambert de Saint-Servais , faillit mme

    l'assassiner un jour en plein chapitre (I). La popu-

    lace exaspre cette nouvelle, se prcipita tu-

    multueusement vers la cathdrale et se mit la

    recherche du coupable ; mais il parvint s'chapper,

    et la nuit suivante , les chevins et les membres du

    chapitre, ne se croyant plus en sret Lige , all-

    rent rejoindre l'lu.

    Ds ce moment la guerre civile commena. Henri

    de Gueldre lana de nouveau l'interdit sur la cit

    ,

    et ravagea le plat pays. Ses troupes, commandes

    par Grard deHaren, marchal de Tvch, taient

    en grande partie composes de chevaliers et de ba-

    (1) Lambert de sain Servais qui esloit bauz et hardis II at

    dit haltement : fils a piUain, trahitre et plains de tricherie et

    serf de masnies, bien priveis de paire et de maire , etc... Ensi

    dist Lambert qui tenait son cutel parle manche.... Jean d'Ou-

    TKEMEUSE.

    i

    *

    ^

    i

    il ix)ns^ dsireux de verser le sang des gens de la com-

    mune. Dans l'entretemps, les milices bourgeoises,

    conduites par Henri de Dinant , ne restaient point

    dans l'inaction ; elle couraient les campagnes pour

    brler et dmolir les chteaux des gentilshommes,

    et elles firent , de la sorte , un butin considrable.

    Mais, des deux cts , on se borna de lgres es-

    carmouches, et il n'y eut aucun engagement srieux

    avant le mois de mars de Tan 1255 (1).

    A cette poque , Henri de Dinant se mit visiterles villes de la principaut^ disant partout comment

    le peuple de Lige avait secou sa pauvret et sa

    misre et voulait vivre indpendant de la noblesse.

    Il racontait la multitude, qui coutait avidement

    ses paroles , ce que les gens de Lige avaient dj

    (!) Nous suivons, dans ce travail, la chronologie de Jean

    d'Outremeuse, qui parat avoir crit cette priode de son livre

    sur de bonnes traditions conserves dans la famille des Des

    Prez , laquelle il appartenait. Il existe, pour toute cette

    poque, une diffrence d'une anne entre Jean d'Outremeuse

    et la plupart de nos historiens ; l'original de la paix de Bier-

    set, dont il sera parl ci aprs , aurait tranch cette difficult

    mais nous Tavons vainement cherch. Cette diffrence n'est

    peut-tre que le rsultat du commencement de l'anne

    Pques ou au jour de Nol.

  • 48

    accompli, et l'exhortait se crer des matres--temps

    comme eux et s'organiser en compagnies toujours

    prtes au combat : Lorsque les yilles seront bien

    unies , ajoutait-il,qui pourra les soumettre? )> Son

    loquence entranait les populations ; Huy, Di-

    nanl^ Saint-Trond, partout les habitants suivirent

    l'exemple des Ligeois et jurrent de tenir la cam-

    pagne avec eux contre les troupes de l'lu (1).

    Henri venait de quitter Saint-Trond et chevau-

    chait avec son escorte vers Lige quand il fut sur-

    pris,prs d'Oreye , par cinq cents lances du parti

    de Fevque. Le sire de Berlo , qui les commandait

    ,

    tait un rude adversaire pour les pauvres gens des

    mtiers, encore peu habiles la guerre; on le voyait,

    dit la chronique , couvert de sa brillante armure,

    se prcipiter au milieu des compagnons du tribun

    ,

    frappant d'estoc et de taille , et pourfendant ceux

    (1) Henrys.. si est alleis h Hiiy a grande compaignie ,si les

    dist cornent, pour le povre pueple osteir de povreteit. avoit

    faites lesXX. Et pnys aat Dinant et azaltres bones vilhes lm

    aprs l'autre , si at li pueple tellement dechait par ses ser-

    mons que tous ont fait XX'' et seriment de aydier chis de

    Lige. Jean d'Outremeuse. Demagogus Henricus Hoyenses etSancti Trudonenses in adjulorium civilatis allicit, pro patri,

    sicut asserit , libertale luend , etc. Hocsem , p. 287.

    49

    qui osaient se mesurer avec lui. De son ct, Henri de

    Dinant faisait merveille et tait puissamment second

    par les hommes de son escorte. L'un d'eux , hardi

    boucher de Lige , arm seulement d'une hache

    ,

    avait pe'ntr presque seul au milieu des chevaliers;

    l, saisissant le sire de Berlo par lajambe^ il le ren-

    versa de cheval et il se disposait lachever, lorsque

    le seigneur d'Awans vint , fort propos^ au secours

    de son capitaine. D'un coup de sa bonne pe , il tua

    le boucher, et, relevant le sire de Berlo, il l'aida se

    remettre en selle. Enfin , accables par le nombre,

    les Ligeois s'enfuirent en desordre vers la cit (1).

    Ce lger chec ne compromit point la popularit

    du tribun. L'lection annuelle des matre--temps

    eut lieu quelques jours aprs, et deux de ses par-

    tisans les plus dvous, Mathieu d'Abe et Grard

    Baisier , l'un boucher et l'autre sellier, furent

    choisis son instigation; on le nomma lui-mme

    chef des milices de toutes les communes conf-

    dres (2).

    Henri fit aussitt crier au perron que les bour-

    geois se tinssent prts entrer en campagne, et

    (1) Jean d'Outremeuse.

    (2) Jean b Outresiei'Se. Fisen.

  • I

    50

    envoya des messagers ses allies des autres villes

    ,

    les priant de se rendre immdiatement Lige.

    Ceux de Huy arrivrent les premiers et se logrent

    dans les maisons des chanoines et des chevins

    fugitifs ; ils s'occuprent d'abord vider lescelliers

    de ces riches demeures , puis ils allrent aiderles

    gens de Lige moissonuer les bls de la Hesbaye

    ,

    dont on fit de vastes approvisionnements. Ensuite

    ,

    l'arme des communes , laissant la cite la garde

    des habitants de la banlieue , se dirigea vers Neuf-

    chteau sur l'Amblve, o le marchal de l'vque

    avait tabli ses magasins et renferm tout le butin

    fait dans la dernire campagne (t).

    Neufchteau tait une place fortifie par la nature

    et par l'art , et qui avait dj soutenu plusd'un

    sige meurtrier (2). De hautes et massives murailles,

    des bastions escarps , des parapetsmenaants ,

    hrisss de palissades, des crneaux dentels,des

    mchicoulis , des barbacanes , voil ce quis'ofiFrit

    aux regards tonns des assigeants. Les milices

    bourgeoises n'ayant point de machines de guerre

    ,

    (1) Jean d'Ootremeuse. Fisen.

    (2) Arx eral elegans , ingenio loci

    FiSEN, p. 6

    manuqiie munita.

    51

    se virent dans l'impossibilit de prendre cette for-

    teresse autrement que par ruse ; Henri de Dinant

    essaya donc dfaire sortir les assigs, les traitant

    de couards et leur criant de ne point se tenir en-

    ferms comme larrons et gens de mauvaise vie.

    Tantt il ravageait les alentours et tentait les enne-

    mis par l'appt d'un butin facile ; tantt aussi , il

    rangeait ses troupes comme pour livrer un assaut

    gnral ; mais la garnison restait indiffrente ces

    dmonstrations ; seulement quelques archers s'exer-

    aient lancer des flches contre ceux qui s'ap-

    prochaient imprudemment de la place , et , rare-

    ment, ils manquaient leur but (1).

    Enfin Henri leva le sige et ramena ses troupes

    vers la cit. Mais le marchal sire de Haren , qui

    ,

    depuis le commencement de la campagne , piait

    une occasion favorable pour attaquer les gens des

    communes, les surprit tout--coup au moment

    o ils s'y attendaient le moins. Les Ligeois sou-

    tinrent, avec courage , le choc de leurs ennemis

    ,

    (1) Jean dOutremecse. Obsessos erg arte primm ad pu-

    gnam elicere cogitant, ostentalis in proximo paucis divitem

    prdam abigentibus.... Quod ubi non processit, explicatis

    ordinibus , omnes copias in arcis conspeclum , ac prop inir

    teli jaclura constiluunt. Fisen , p. 6.

  • 52 et fondirent leur tour sur eux avec une ardeur

    indicible.

    La troupe du marchal se composait, en grande

    partie, de nobles et de chevaliers, qui avaient

    chacun leur suite quelques cuyers et hommes

    d'armes. Les chevaliers montaient d'excellents

    coursiers de bataille^ dont les selles taient fort

    hautes et sans lriers ; sur les caparaons de leurs

    montures, on voyait leurs blasons richement tra-

    vaills, et , sous le caparaon , un tissu de mailles

    qui dfendait le cheval. Tous ces seigneurs taient

    couverts de cottes de mailles artistement jointes;

    plusieurs avaient, en outre, autour d'eux, des

    plaques de fer qui leur servaient de garde-corps.

    Ils brandissaient une lourde pe deux mains et la

    redoutable hache d'armes pendait leurs cts. Les

    cuyers taient moins bien vtus et n'avaient que de

    simples cottes nommes panchires , avec un jupon

    de futaine par dessus. Ils suivaient leurs matres,

    agitant les bannires et faisant entendre le cri

    d armes particulier chacun d eux (1).

    (I)Tos chevaliers et esqiievins d'onenr soykebatoint sordes-

    1 riers ou sor coursiersde telle bonteit, qu'il soy powissent sus asse-

    gureir et estoient fort hautes selles de tournoy sains satoir, los

    53 Tous ces hommes taient habitues au mtier de

    la guerre et pouvaientexcuter d'habiles manuvres,

    tandis que la milice des communes n'offrait gure

    d'autre aspect que celui d'une population arme au

    hasard , combattant en dsordre et sans autre guide

    que son patriotisme et son courage. Un trs-petit

    nombre de ces soldats improviss avaient des casques,

    des targes et des hoquetons. Le glaive, la pique,

    le coutelas , l'arc , l'arbalte , le maillet et le bton

    ferr taient leurs seuls moyens de dfense. Les

    bouchers n'oubliaient point, il est vrai, leurs ter-

    ribles couperets ni leurs haches; les bouilleurs

    emportaient leurs pics , leurs havresses , leurs

    rimlaines ; enfin , chaque ouvrier ajoutait ses

    armes offensives quelques-uns des outils de sa pro-

    fession. Mais, ce qui faisait la principale force de ces

    milices indisciplines et devait les rendre, un jour,

    coviers de covertures overeez d'oevre debrosdure de leurs bla-

    zons armoyez et estoient armeis de plaltes et de bons barnas

    de menutfier, de chachies de menut fier, et hiet sor lesplattes,

    bons, riches wardecors d'arnaes armoiez de leurs blazons, et

    avoit cascon on heame sor son bachinet a on timbre bin jolit...

    et allres y avoit quy al desos de leurs covertures avoient leurs

    diestriers armeis de covertures de menues mailhes de fier por

    la dothanche de leurs chevaz.... J. de Hemricourt , Miroir des

    nobles de Hesbaye, p. 35-4 85i5.

  • I

    54

    si redoutables la noblesse, celait le sealiment ner-

    gique qui les animait . leur violent amour de la

    libert ^ mot magique, qui venait, pour la premire

    fois , de retentir leurs oreilles.

    Malgr Timmense avantage qu'offraient aux che-

    valiers leur forte armure et leur grande habitude des

    combats , la lutte , longtemps indcise , finit par

    leur tre fatale. Le sire de Haren s'tait jet au milieu

    des ennemis et en faisait une horrible boucherie

    ,

    quand il fut tout--coup vivement press par un

    gros de bourgeois du mtier des febves et renvers

    de sa monture. Le seigneur de Lexhy le tira grand'

    peine du pril et parvint heureusement le dga-

    ger (1).

    Sur d'autres points , la mle n'tait pas moins

    sanglante,grces aux efforts de Henri de Dinant et

    de ses braves compagnons. Thomas de Senzeille

    ,

    Jean de Latinne , le chevalier de Duras et plusieurs

    autres gentilshommes taient tombs sous leurs

    coups. Enfin, le marchal et les siens, environns

    de toutes parts , se virent contraints de prendre la

    fuite et abandonnrent honteusement le champ de

    bataille. Ils avaient perdu , dans cette affaire^ une

    55

    cinquantaine de chevaUers , et un nombre beaucoup

    plus considrable d'hommes d'armes (1).

    Le mmejour o les bourgeois remportaient cette

    victoire , les troupes de l'lu essuyaient un autre

    chec devant la ville de Saint-Trond qu'elles avaient

    tent de surprendre. La nouvelle de ce double succs

    arriva en mme temps Lige et y rpandit la plus

    vive allgresse. Vieillards^ femmes, enfants couru-

    rent au-devant des milices communales et le retour

    de Henri de Dinant dans la cit , fut un vritable

    triomphe (2).

    (1) Jean d'Odtremeuse.

    (2) Jeat d'Odtremeuse.

    redierunt. Fisen , p. 6.

    Victoria quasi ovantes Leodinm

    ^

    (1) Jean u'Outremeuse.

  • t
  • 58 dernire guerre, Henri de Dinanl avait fait adopterune taxe nouvelle

    , et il en exigeait le paiement desnobles aussi bien que des bourgeois. Les che-Tins invoqurent vainement leurs exemptions, Henriallait de porte en porte, percevant la taxe, et il osamme venir cet eflFet au Destroit.

    les chevins y taient assembls et parmi eux setrouvait Radus Des Prez

    , Tun des personnages lesplus influents de Lige, jeune homme fier et imp-tueux, plein d'ardeur et de courage, et qui voyaitque, si l'on n'y mettait ordre, toute chevalerie et sei-gneurie seraient bientt dtruites dans la cite. Fu-rieux de la hardiesse du tribun, il s'avana vers lui, etle contemplant avec indignation : Tratre

    , lui dit-

    il, homme vil et dloyal, il y a longtemps' que tumines sourdement notre puissance et que tu tramesnotre ruine

    ,mais sache le bien , tu seras mort avant

    que pareille chose arrive (1). - Donnez un marc,

    Messire, ainsi que les bourgeois l'ont dcid, r-pliqua froidement Henri , ou tous ceux d'entre vousqui refuseront de payer la taxe seront dclars mc^

    (1) Trahistre, desloiais, que vas tu brassant? Tu nous

    ciiidesdestruyre, mains nous toy destruyrons. Jean d'Outre-

    59

    batns et bannis. Toi , me chasser de Lie'ge, s-cria Radus exaspre , de Lige ," o mes anctres

    sont en grand honneur depuis le temps de Char-

    lemagne et d'Ogier le Danois , tandis que les tiens

    n'taient que de petits bourgeois de Dnant qui se

    rfugirent ici , sans doute cause de leurs mfaits ;

    n'y comptez pas , Messire , il y "a quelqu'un qui

    saura bien l'empcher (1) .

    En achevant ces mots , le chevalier saisit le poi-

    gnard qui pendait sa ceinture, et, se jetant sur

    Henri, lui en porta trois coups dans la poitrine. Le

    tribun tomba comme mort. A cet aspect , les che-

    vins effrays, abandonnent prcipitamment le Des-

    troit , et se rfugient outre-Meuse , dans le vinve

    habit par la noblesse , et qui portait, comme nous

    l'avons dit , le nom de chausse Des Prez. Ils parcou-

    rent les rues , crient aux chevaliers de s'armer , ra-

    contant ce qui vient d'avoir lieu, et les engageant

    (1) Adont respondit Henry az chevaliers ; Sires, vouspaie-

    reis ou vous sereiz fors de la citeit bannis. Respont messire

    Arnus : Trahistre vilain, Lige sont venus tes anchiestres

    deDinant hors canchans por malfaiteurs, etje suy deis al temps

    Ogier le Danois.... Jean d'Ootremeuse.

  • 60 ne point se laisser surprendre par la populace

    dont on prvoit l'irritation. Cheyaliers^ cuyers,

    hommes d'armes , tous sont bientt prts et volent

    dfendre les abords du Pont-des-Arches (1). Radus

    fait lever les ponts-levis qui se trouvaient devant

    les rues des Tanneurs et des Pcheurs, et, de la

    sorte , il n'existe plus aucun autre moyen de com-

    munication entre les deux rives,qu'un troit pas-

    sage forme par quelques poutres o cinq hommes

    peine pouvaient marcher de front. Les Des Prez se

    tiennent l'entre de ce chemin dangereux, jurant

    que pas un bourgeois, ft-ce le diable en personne,

    ne parviendra le franchir.

    Pendant que ces prparatifs continuaient outre-

    Meuse , une grande effervescence se manifestait dans

    la cite. La nouvelle du meurtre s'y tait rpandue

    avec la rapidit de l'clair ; les habitants accouraient

    en foule au Destroit , esprant que ce n'tait qu'une

    fausse alarme ; mais le corps inanim de Henri de

    (1) Et puis ne targent, si viennent en le cauchie Des Preis,

    oultre le pont des Arches, en leur sgnorie et hiretaige, et vont

    estour le pont declaweir et delachier les planches.,. Jean

    b'OcTREMEIiSE. Ch0?IQUES MANI'SCRITIS.

    61

    Dinant que l'on transportait dans sa demeure

    ,

    s'offrit bientt aux regards de la populace exaspre,

    et sema dans tous les curs un affreux dsir de

    vengeance (1). Les sons lugubres du tocsin se mlent

    aux clameurs furibondes de la multitude ; les bou-

    chers et les drapiers ferment leurs halles ; on envoie

    des messagers aux bouilleurs de Publemont et de

    Saint-Gilles qui arrivent aussitt , arms de leurs

    terribles instruments de mort. Les ateliers sont d-

    serts;pas un bourgeois

    ,pas un artisan ne reste en

    son logis; tous se prcipitent vers la grand'place

    du march;puis la foule s'avanant en masses ser-

    res par la rue du Pont, ou s'entassant dans les

    nombreuses ruelles qui aboutissent la Meuse , ar-

    rive enfin sur le pont qu'elle envahit aux cris mille

    fois rpts de : Lige! Lige! Saint-Lambert!

    Saint-Lambert ! . .

    .

    Radus Des Prez , Jean et Raes ses frres , ainsi

    que les autres chevaliers de ce noble et vaillant

    lignage soutiennent bravement le choc des assail-

    (1) Henrys de Dynant est porteis pour mort en sa maison et

    puis s'armt ly comon pueple et vienent contre cheauz Des

    Preis, Jean d'Octremeuse .

  • 62 lants(l). Ceux-ci se consument en efforts inutiles

    pour faire reculer les nobles qui dfendent l'entre

    de la chausse et dont chaque coup d epe abat un

    bourgeois. La populace s arrte un instant, tonne,

    devant ce petit nombre d'hommes qui ose lui rsis-

    ter; elle contemple leurs armures dj bossues de

    toutes parts ^ leur contenance mle et dtermine,

    puis se jetant de nouveau en avant , avec furie , elle

    parvient enfin enfoncer les rangs des Des Prez.

    Dj plus de deux cents bourgeois ont travers le

    \ pont ; des masses d'ouvriers s'lancent leur

    tour sur 1 troit passage form par les poutres ; mais,

    tout--coup, un horrible craquement se fait enten-

    dre; le bois flchit et se brise avec fracas , entra-

    nant dans la rivire une centaine d'hommes des

    communes, et laissant un gouffre profond entre les

    pauvres bourgeois qui s'taient avancs sur la chaus-

    se, et les masses populaires qui arrivaient toujours

    plus altres de sang et de carnage (2).

    En voyant cette affreuse catastrophe , le peuple

    (1) Radiis qui ferit Henrys de Dynant de cutel, Jobans et

    Raese ses frres astoient devant. Jean d'Outhemeuse.

    (2) Li Ligois butrent si enforchieemeut quil reculent obis

    DesPreis jus del pont et vinrent sus lecaucbie plus de II centz,

    etc. Jean d'Outremeuse. Chro^[qces manuscrites.

    ^

    63 pousse un immense cri de dtresse :((Hahay, hahay

    ,

    rpte-t-on de toutes parts , il faut aider nos frres

    qui sont l'autre ctde la Meuse. Les uns se jettent

    dans des bateaux , d'autres essaient de franchir le

    fleuve la nage, mais ils sont impitoyablement re-

    pousss, et pas un seul ne peut aborder Tautre rive.

    Cependant les bourgeois, que l'on avait tent vai-

    nement de secourir, continuaient la lutte avec les

    Des Prez. Sans espoir de salut, ayant devant eux

    toute la chevalerie de Lige, et derrire, un abme

    ,

    ils veulent, au moins, vendre chrement leur vie;

    ils combattent avec acharnement , et la foule qui

    encombre le pont , les contemple avec anxit' et les

    anime par ses clameurs. Mais le nombre de ces mal-

    heureux diminue peu peu; leurs forces s'puisent ;

    ils font de vains efforts pour rompre ce mur de fer N^

    que Radus et les siens opposent leurs coups. Re-

    fouls sur le bord du prcipice , ils luttent encore

    quelques instants avec rage, puis , blesss , mourants,

    ils se laissent tomber dans les eaux qu'ils rougissent

    de leur sang. La Meuse fut leur glorieux tombeau (1).

    (1) Jean d'Oulremeuse nous a conserv la date de cette ter-

    rible journe qui fut pour le peuple ce que devint plus tard,

    pour les nobles, la Mal St.-Martin : l comenchat estour, dit-il

    ,

    qui abassat les conunones. C'tait le 19 avril de l'an 1256.

  • 64 Le peuple lsa vus tous prir et jure de les venger.

    Heureusement pour les chevaliers , la nuit survint;

    les gens des mtiers,profrant d'horribles menaces,

    quittrent alors le pont et envahirent de nouveau la

    place du march o ils apprirent avec joie que Henri

    de Dinant n'tait point mort et que ses blessures

    offraient mme peu de danger. Ce fut une immense

    \ consolation pour les pauvres bourgeois au milieu du

    grand dsastre qu'ils venaient d'essuyer, et cette

    bonne nouvelle releva singulirement leur courage.

    On rsolut d'attaquer le vinve des Des Prez le lende-

    main au point du jour; mais les nobles, prvoyant que

    la lutte leur serait assurment fatale, abandonnrent

    la cit pendant la nuit ; TElu suivit leur exemple,

    et il ne resta dans Lige, avec la bourgeoisie,que le

    prvt de Saint-Lambert et quelques chanoines,

    dont les maisons avaient t' , comme nous Tavons

    dit,pilles par les chevaliers , et qui, depuis lors

    ,

    avaient franchement embrass le parti de la com-

    mune (1).

    L'lu, gros de fiel et depassion^ dit un naf chroni-

    queur, rsolut enfin de mettre tout en uvre pour

    dompter cette bourgeoisie rebelle. Il envoya des

    ()) Je\N d'OuTREMECSE. ChKONIQCES MAWUSCBITES*

    !

    f

    63

    messagers ses hommes de fief, leur ordonnant de

    venir le rejoindre sur-le-champ , et l'aider craser

    cette bruyante fourmilire de mutins. Il implora, en

    mme temps^ le sec^rs des princes voisins , et en-

    gagea, au duc de Brabant, les villes de Hougarde et

    de Bavechiennes , moyennant une somme d'argent

    qui lui tait indispensable pour entreprendre la

    guerre.

    Pendant que l'Elu s'occupait srieusement de ces

    prparatifs , il survint Huy un vnement qui

    gnralisa de nouveau les troubles. Les chevins

    de cette ville, en jugeant six bourgeois, omirent

    une formalit stipule dans la prcieuse charte de

    commune accorde aux Hutois par Tvque Tho-

    duin en l'an 1066. D'aprs cette charte, les juges

    ne pouvaient condamner l'une des parties avant de

    1 avoir ajourne trois reprises diffrentes , et d'a-

    voir convoqu la bourgeoisie au son de la cloche.

    C'est ce qui n'avait pas eu lieu (1).

    (1) Et avoient fait enqueste sens appelleir les parties; et

    li pueple disoit que che astoit contre loy. Jeaw d'Outremeuse.Multarant exilio scabini non servatjuris forma quam Theodui-

    nus episcopus olim prscripserat. Fisen, p. 8.

    Hocsem, p.

    287. Za?itfliet, apud Martine, tome V, p. 100.9

  • /

    66

    Les bourgeois s'opposrent donc rexcution du

    jugement et invitrent Henri de Dinant venir d-

    fendre leurs franchises devant le tribunal qui les

    avait violes. Celui-ci,que le dtable aidait, dit Jean

    d'Outremeuse , et qui n'allait plus par la cit qu'es-

    cort d'un grand nombre d'hommes des mtiers,

    prts mourir pour sa dfense , chevaucha droit

    Huy , o il fut reu avec pompe et honneur (1). On

    lui exposa le dbat, et, quand il fut bien inform de

    tout ce qui avait eu heu, il exigea des chevins

    l'annulation de leur sentence. Mais ils refusrent

    d'obir , et allrent rejoindre l'Elu qui venait de

    lancer un nouvel interdit sur les deux villes rebelles

    ,

    et qui se trouvait alors la tte d'une arme assez

    considrable.

    Parmi les principaux seigneurs qui en faisaient

    partie, on remarquait les comtes de Looz^ de Juliers

    et de Gueldres;puis le duc de Brabant , le fils de ce

    Henri, comte de Louvain^, qui avait pris Lige en

    l'an 1212, et essuy une si grande dfaite , Tanne

    suivante^ dans les plaines de Steppes. Les Ligeois

    (1) Et la vilhe H prsentt dois tonneals de vin d'assay et la

    li font granl honneur. Jeat d'Octremefse. Hocsem , p. 288.

    Joajvses Presbyter.

    67

    ne s'effrayrent point du nombre ni de la puissance

    de leurs ennemis. Conduits par Henri de Dinant,

    ils allrenj surprendre le chteau de Waremme et

    s'emparrent de plusieurs manoirs dont les pos-

    sesseurs avaient embrass le parti de Henri de Guel-

    dres. D'un autre ct , les Hutois attaqurent Moha ,

    et remportrent d'abord quelques lgers avantages;

    mais ils furent peu de temps aprs compltement

    battus^ entre Vinalmont et Antheit ^ par le comte

    de Juliers qui leur tua prs de huit cents hommes

    et les fora de rentrer dans leur bonne ville. L'Elu

    interrompit alors les communications entre Lige

    et Huy , au moyen d'un corps de troupes qu'il ta-

    blit Flne, sur les bords de la Meuse, et il vint

    lui-mme camper dans les plaines de Vottem , prs

    de Lige, jurant, par la Sainte-Croix, qu'il dtruirait

    la cit de Saint-Lambert, et la livrerait en pillage

    ses soldats (1).

    (1) Et li esluit de Lige atout son oust, vint tendre sestreis

    Voteme ety logat vin jours. Toute Hesbain astoit plaine de

    ses gens et juroit Sainte Croix que ilh destruroit la citeit. Jeai^

    d'Octremeuse.

    /

  • VI.

    Il y avait, par bonheur, dans l'arme de l'lu,

    des hommes qui n'avaient point oubli que Lige

    tait leur mre ^ et cependant , ces hommes taient

    peut-tre les plus redoutables ennemis de la com-

    mune. Fiers de leurs richesses et de leur haute

    origine , ils mprisaient ce bas peuple qu'ils avaient

    tant de fois cras du sabot de leurs chevaux et

    frapp du tranchant de leur pe. Mais ils ai-

  • ^^^ft4S!:l!aS>aaTi-T*-i-3=i,a.iw.^

    70

    maient Lige , le berceau de leur enfance , le lieu

    o reposait la cendre de leurs pres, la cendre

    de ces hauts-vous qui jettent tant d clat et de

    poe'sie sur les commencements de notre histoire.

    Connaissant les projets de Tlu , et redoutant

    les excs de la soldatesque , Arnould Des Prez,

    Radus son fils et tous les chevaliers de cette puis-

    sante famille, vinrent trouver Henri de Gueldre,

    et, quand ils furent prs de lui, ils s'agenouill-

    rent humblement et se prirent pleurer (1). L'v-

    que surpris, courut eux, et les relevant aussitt,

    il s'cria: Qu'est-ce, mes barons; que voulez-

    vous de moi ? Seigneur , rpliqua Radus , le li-gnage des Des Prez , le plus noble et le plus ancien

    du pays^ vient implorer votre merci. On assure

    } que vous avez dessein de dtruire Lige; eh bien!

    Messire , nous le proclamons hautement , celui qui

    vous a donn pareil conseil est un vilain sans cur.

    Vous avez le pouvoir d'agir de la sorte , assur-

    ment, mais qui sera le dommage alors, si ce

    n'est vous et la plupart de ceux qui vous accom-

    (1) Se sont engenolhiet devant rEsluitetploroienl fortement.

    .EA!S d'OuTRRMEUSE.

    71

    pagnent et sont ici pour vous aider. C'est sur Henri

    de Dinant , l'auteur de ces dissensions, que vous

    devez faire tomber votre vengeance , et non sur les

    pauvres gens de la cit, qui se sont laisse' sduire

    par ses paroles menteuses. Mettez-le en jugement,

    et que les chevins le condamnent ainsi que tous'

    ceux qui vous empchent de rentrer dans votre

    bonne ville (1).

    L'Elu , aprs avoir e'cout ce discours, contempla

    quelqu'es instants l'orateur , dans le plus grand si-

    lence,puis il s'cria : Radus Des Prez , brave

    et noble combattant, vous m'enseignez la vraie route

    que je dois suivre , et,par le Saint-Sacrement , j'agi-

    rai ainsi que vous le dsirez (2) .

    Le lendemain mme, Henri de Gueldre convo-

    qua les chevins, et , contrairement aux statuts qui

    dfendaient ces juges de siger ailleurs qu'au Des-

    troit, prs du perron de la cite' et aprs convocation

    du peuple au son de la cloche blanche , il e'tablit

    leur tribunal Vottem. Aussitt le mayeur fit crier

    (1) Jean d'Outremeuse. Chroniques manuscrites.(2) Radus , dist-ilh , trs noble combattant , vostre conselhe

    vat mon honeur ensengnant ; par le Saint Sacrement, tout

    ensy le feray. Jean d'Octremeuse.

    f'

  • w-i.p*ssifsa!B^BWft*^g^tS^.S#S^W^a im,m \

    72

    dans le camp par ses boutilhers ou sergents que le dix

    aot , il tiendrait un plaid solennel et public o il

    prononcerait sentence contre les rebellesde Lige (1).

    Au jour fix^ une foule immense de chevaliers

    ,

    d'cuyers et d'hommes darmes de l'arme de

    l'Elu , se dirigrent tumultueusement vers le Heu

    dsigne pour cette imposante crmonie, im-

    patients d'assister aux curieux dbats , annoncs

    d une manire tout--fait inusite.

    Sur le plateau qui spare aujourd'hui les houil-

    lres dites d'Ans et de Gaillard-Cheval, on avait

    construit une vaste estrade , au milieu de laquelle

    se dressait firement le perron de Lige. Derrire

    le perron, taient assis le mayeur et les chevins,

    revtus de longues robes rouges, attendant l'ou-

    verture du plaid et l'arrive de Radus Des Prez

    qui devait remplir l'office de Mambour -, c'est ainsi

    qu'on dsignait le plaignant. Devant ces magistrats

    tait le clerc de lechevinage, et aux deux cts de

    l'estrade, les boutilhers (2).

    (1) Jean d'Outremeuse.

    (2) On trouve des renseignements fort curieux sur les formesdes diffrentes judicai..res ligeoises au moyen ge, dans l'on-vragesi remarquable de Jacques de Hemricourt intitul: Zpatron de la temporalit. Utmr,

    77>

    De ce plateau, le site le plus riche et le plus vari

    se droulait aux yeux de la multitude et ajoutait

    encore la majest de cette grande scne. L'arme

    avait ses pieds l'admirable fond des Tawes , alors

    beaucoup plus bois qu' prsent, mais o l'on

    voyait dj. de verdoyantes prairies et quelques-uns

    des charmants cottages qui y sont si nombreux

    aujourd'hui. A gauche , les eaux argentes de la

    Meuse , longeant les prs marcageux de Droixhe

    et de Saint-Lonard , allaient , en serpentant , bai-

    gner les villages de Jupille et de Herstal , ce grand

    et potique berceau des rois carlovingiens. Dans

    le fond, on distinguait, travers une lgre va-

    peur blanchtre , les riantes collines qui environnent

    Lige, et l'on apercevait mme une partie de la

    cit. Les chevaliers contemplaient silencieusement

    les clochetons et les tourelles de leurs demeures

    ,

    maudissant le tribun qui les en avait chasss et se

    demandant quand ils pourraient de nouveau habiter

    leur vinve.

    Les diverses motions de la foule , en prsence

    de cet imposant spectacle, firent bientt place

    la curiosit la plus vive,quand on vit Radus Des

    Prez, monter d'un pas ferme les marches de Tes-

    trade et venir se placer debout devant le mayeur.

    10

  • *^^ K--r" S^^0 -^S^p -X^SfSfM:

    (

    74

    Un calme profond rgna tout--coup parmi cette

    multitude nagure si bruyante et si agite , et ,

    sur un signe des chevins , le Mambour s'exprima en

    ces termes :

    c( Seigneurs,partant que vous tes ici pour rendre

    jugement, comme vous ayez accoutumance de le

    faire, je vous requiers humblement de dclarer si

    vous tes en lieu convenable pour siger.... (1) .

    Les chevins se consultrent quelques instants,

    puis, Tun d'eux, s'adressant au mayeur: Messire, dit-

    il, nous recordons que tous jugements rendus ici par

    nous seront fermes et sans appel, et nous vous prions

    de mettre notre dclaration en garde de loi.... ; ce

    que le clerc de lechevinage fit sur-le-champ.

    Le Mambour prit alors de nouveau la parole :

    a Seigneurs, ajouta-t-il, d'une voix forte et sonore

    ,

    moi, Radus Des Prez, je suis ici prsent, devant vous,

    pour me plaindre de plusieurs mchantes gens qui

    ont brl et ravag le pays de monseigneur TElu , et

    caus nous tous grands dommages. Je requiers

    (1) Signoiirs esquevins , parlanl que vous esteis chiassis por

    rendre jugement si comme accouslume aveis, si vous require

    humblement que vuilhiez recordier si vous asteis en lieu por

    jugement doneir qui soit ferme de loy sains rapeal. Jean d'Oc-

    TREMEiSE.

    75

    justice et vous supplie de prononcer sentence contre /

    Henri de Dinant, Grard Baisier^ Arnold de Borl , l

    Guy Du Pont , Aynery de Pierreuse et leurs adh-

    rents au nombre de douze (1).

    Le mayeur couta attentivement la plainte , puis

    la fit mettre en garde de loi par le clerc de l'che-

    vinage ; ensuite , il dit quelques mots aux deux

    boutilhers qui , s'avanant chacun des coins de

    l'estrade , crirent haute voix et trois reprises dif-

    frentes : ce Henri de Dinant , Grard Baisier et au-

    tres accuss par Messire Radus , si vous tes ici , ve-

    nez en avant pour venger votre honneur et y tre

    jugs l'enseignement des hommes... (2) .

    Les trois citations furent rptes sans que per-

    sonne part. Alors, les chevins se .parlrent long-

    temps voix basse,puis l'un d'eux , montant sur

    les degrs du perron , appela de nouveau Henri de

    Dinant et ses complices , les dclarant tratres et

    flons , indignes de possder aucun fief du pays

    ,

    privs de leurs charges , oiBces , honneurs et di-

    gnits, et permettant chacun de leur courir sus (3).

    (1) Jean d'Outremecse.

    (2) J. DE Hemricocrt , Patron de la temporalit -^ indit.

    Jean d'Outremecse.

    () Jeaw u'Odtremeuse et Jacques de Hemricourt.

  • 76

    Des acclamations bruyantes accueillirent cesparoles,

    aprs lesquelles l'assemble se dispersa peu--peu. On

    n'aperut bientt plus dans la plaine que de petits

    groupes de soldats et d'cuyers, devisant du plaid

    ,

    ou s'arrtant pour entendre rpeter la sentence des

    chevins que les boutilhers criaient par tout le

    camp.

    Henri de Dinant, inform de ce qui venait de se

    passer Vottem , sentit que l'union des communes

    pouvait seule arrter les projets de vengeance de

    rlu et des nobles; il dpcha donc, sur-le-champ,

    d'adroits missaires Huy et dans les autres villes

    ,

    exhortant les habitants ne point sparer leur cause

    de celle des Ligeois et ne conclure , avec le prince^

    aucune paix particulire.

    Pendant que le tribun tait occup de ces soins

    importants^ la bourgeoisie de Lige avait appris,

    de son ct, la condamnation de ses principaux

    chefs , et la plus vive agitation se manifestait parmi

    le peuple. Des rassemblements nombreux ont lieu

    sur diffrents points; des clameurs menaantes se

    font entendre ; chaque bourgeois s'arme la hte et

    se prcipite vers le March dj envahi par la multi-

    tude, a A la mort, la mort, hurle la populace,

    nos statuts n'ont point t observs , la sentence

    77

    est nulle ; les chevins ont forjug Henri ; la mort

    ,

    mett07is Hanot leurs maisons^ et que pas une

    d'elles ne reste debout (t).

    Aussitt , les gens des mtiers , usant eux-mmes

    du droit de Hanot ou dfabattis , que la loi n'accor-

    dait qu' l'vque , saisissent des crocs , des pics , et

    courent dtruire ces riches demeures ; puis , en

    signe de drision pour l'lu et les chevins^ ils com-

    mencent^ avec les dbris du pillage, la construc-

    tion d'une nouvelle habitation qu'ils destinent

    Henri de Dinant (2).

    L'lu devint furieux en apprenant ces nouvelles ;

    il n'en fut que plus rsolu chtier svrement ceux

    de Lige, et, pour mieux y russir, il attaqua et sou-

    mit successivement les confdrs des autres villes,

    \

    (1) Je\^ d'Octremecse. On peut consulter sur le droit d'r-

    sin et d'abattis ou de Hanot, le travail de M. Leglay, intitul:

    De Varsin et de l'abattis de maison , dans le nord de la France.

    2dit. Lille, 18^2. Brochure excellente et curieuse comme

    tout ce qui est sorti de la plume du savant archiviste gnral

    du dpartement du Nod.

    (2) jEN D Odtremeuse. Tuuc populus , instinctu Dionan-

    tensis , domos funditus destruit scabinorum , de quarum trabi-

    bus et lapidibus Dionantensis sibi novam fabricat mansionera.

    HocsEM, p. 288,

  • L^,Si*iiWsTKi-W!^!S-'4"i* ir'ltf^^^SR*^'**^f!HP'*

    k

    78 pendant qu'une partie de ses troupes pressait vive-

    ment le sige de la cit et cherchait la rduire par

    famine. Les Hutois, battus prs d'Avvans , durent

    eux-mmes implorer la merci de l'vque, qui se

    hta d'enlever aux Ligeois ces redoutables allis.

    La paix se fit par l'entremise de l'abb de Neufmos-

    tier : les bourgeois de Huy s'engagrent rparer

    les dommages qu'ils avaient causs Waremme et

    Waleffe 5 leur tour de Damiette fut mise castel

    et leur cloche du ban brise en morceaux.

    Henri de Gueldre revint alors Vottem , suivi de

    toute son arme, et bien dcid en finir avec

    cette misrable rihaudaille^ comme il l'appelait , ces

    gens orgueilleux et mchants de la cit.

    Jk^,

    VIL

    Une afiFreuse disette rgnait dans Lige ; les vivres

    manquaient depuis longtemps, les greniers taient

    vides, et les troupes de l'lu interceptaient toutes les

    communications avec le dehors. Malgr leur extrme

    dtresse, les bourgeois, confiants dans l'alliance

    des autres villes, continuaient de se dfendre ; mais,

    quand ils apprirent les succs de l'vque et Tisole-

    ment dans lequel ils allaient se trouver , leur ardeur

    fit place au dcouragement le plus profond : a Voil

    ceux de Huy qui nous abandonnent, s'criaient-ils:

  • so-le prince les a reus a merci

    ;qu'allons-nous de-

    venir? (1) >^.

    Henri de Dinant et ses amis ne dsespraient ce-

    pendant pas encore de la cause populaire et voulaient

    que l'on s'ensevelt sous les ruines de la cite plutt

    que d'implorer la misricorde de l'Elu. La bourgeoi-

    sie , puise , tait loin de partager leur enthou-

    siasme et dsirait la paix. Le tribun, satisfaisant

    regret au vu de la multitude^ vint lui-mme trouver

    les matres--temps et les engagea traiter avec l'e-

    vque : a Monseigneur de Lige m'exceptera de la

    paix,je le sais bien , dit-il , il me hait parce que je

    soutiens vos droits et vos privilges , mais tchez au

    moins d'obtenir des conditions quitables pour la

    commune. Henri , rpliqurent les matres ,soyez assur que nous n'pargnerons ni soins ni

    veilles pour vous prserver de tout mal ; nous nous

    y emploierons aussi avant que cela sera en notre

    pouvoir (2) w

    .

    (1) Li uns disoit a Tatillre : nos raorons tons mescbief ,,

    dus de Huy nos ont falit. Jeain d'OuTREMEusE Tune omnesclamare cperunt qiiod pacem quam fecerunt Hoyenses ,

    vellent ipsi simililer observare. Hocsem, p. 289.

    (2) Adoncq li masires les ensemble et cascon por li respon-

    doit que !i ung et li altre si avant qu'il poroit li aideroit faire

    sa pais sens espargnier painc ne velhe. Jeaih d'Octremeusi.

    81

    Les matres--temps , accompagne's des abbs de

    Saint-Jacques, de Saint-Gilles et de Saint-Laurent

    ,

    sortirent alors des murailles et se rendirent auprs

    du prince^ Sainte-Walburge. Henri de Gueldrefit

    bon accueil aux dputs et les reut avec courtoisie,

    mais ne voulut entendre aucun arrangement : Je

    ne puis traiter avec ces mauvaises gens , disait-il

    ,

    jusqu' ce que je les aie merci pour faire couper

    la tte ceux que je voudrai. Ils ont ruin les mai-

    sons de mes serviteurs , chass mes officiers , brl

    mes chteaux et j'en aurai vengeance . Radus Des

    Prez assistait la confrence; ce brave seigneur,

    dont le caractre tait si noble et si chevaleresque

    ,

    prit encore une fois la dfense de la commune :

    Messire ^ dit-il , l'vque , laissez-vous flchir par

    les prires de ce pauvre peuple qui a follement suivi

    les conseils de quelques hommes pervers, et daignez

    le prendre en piti. 11 m'est avis , cher Radus ,rpliqua l'lu, que je ferais bien de chtier ces re-

    belles ; mais je ne veux agir que d'aprs les conseils

    de mes barons (1) .

    Henri de Gueldre consulta un instant les chevaliers

    et les chevins qui l'entouraient; s'adressant ensuite

    (f) Jean n'OiTREMErsi:.

    11

  • a -as^iss6tt*.Be>!HSsKWSsa^iS!iaee*WK*aa^

    82 aux dputs il leur parla en ces termes : Seigneurs^

    qui tes ici venus de la part de mes gens pour con-

    clure la paix , voici mes conditions , et sachez que

    je n'en veux point d'autres : Henri de Dinant et tous

    ceux qui , comme lui , ont t dclars tratres et

    flons, dans le plaid de Vottem, me seront livres pour

    en faire ce que bon me semblera : les statuts de la cit

    seront abolis; les compagnies et les milices bour-

    geoises seront dissoutes; seulement, comme preuve

    de ma clmence,je laisserai au peuple Tlection de

    ses maitrs--temps (1) .

    Les dputs rpondirent qu'ils n'avaient pas pou-

    voir d'accepter de telles conditions et regagnrent

    les portes de la cit o les attendaient un grand

    nombre de bourgeois : a Eh bien ! crirent ceux-ci,

    donnez-nous des nouvelles et dites-nous comment

    vous avez parlement Sainte-Walburge? )) Les

    matres baissrent tristement la tte : Allez sur la

    grande place du March, rpliqurent-ils , nous

    vous y ferons tantt connatre le rsultat de nos d-

    marches .

    Quand la multitude apprit les prtentions de

    l'Elu, il y eut une dsolation gnrale 5 c'tait grande

    piti de voir hommes et femmes pleurer, gmir, se

    (I) Jean d'Octremecse.

    83

    tordre les mains de dsespoir : Oh! le mchant sire,

    s'criaient les pauvres bourgeois, que faire en ce

    pril ? Leurs lamentations devinrent encore plus

    vives et plus bruyantes lorsqu'ils aperurent Henri

    de Dinant, qui se prparait les haranguer. Aussi-

    tt qu'il put se faire entendre : c( Bonnes gens ,

    leur dit-il, je vous ai loyalement servis nuit et jour;

    c'est cause de vous que je me trouve en pareil

    mal;je vous suis pourtant toujours aussi dvou ,

    et je viens vous offrir mon corps , que vous pouvez

    aller porter l'lu. Mais , soyez en srs, moi mort

    ,

    vous retomberez dans un servage pire qu'aupara-

    vant ; d'ailleurs , pensez la honte quirejaillira sur

    la commune , si vous faites la paix sans y compren-

    dre tous vos concitoyens; il vaudrait mieux pour

    elle tre compltement ruine que d'tre ainsi ds-

    honore (1) >5.

    En prononant ces mots, Henri versait des larmes

    abondantes , et