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363 ÉGYPTE CHRÉTIENNE ET ARABE Chroniqued’Égypte LXXXVIII (2013), fasc. 176 – doi: 10.1484/J.CDE.1.103764 (*) Nous remercions Jean Gascou pour sa lecture critique d’une version préliminaire de ce travail. (1) Le document a été découvert dans le kôm est, cadrant D3, dans les couches supé- rieures, le 6 février 2007. Une image du papyrus a été publiée dans D. MINUTOLI, « Recu- pero e restauro dei papiri nelle campagne di scavo 2003-2007 ad Antinoe », AntinoupolisI (Florence, 2008), pp. 75-99, en part. p. 78. (2) Les entagia de Nessana ont été rédigés dans les années 670 (P.Ness. III 60-67). (3) Sur le personnage, voir en part. U. RIZZITANO, « Abd al-Azīz b. Marwān, governa- tore Umayyade d’Egitto 65/85 Eg.-685/704 d. Cr. », Rendicontidell’AccademiaNazionale dei Lincei 8, 2 (1949), pp. 321-347 et W. KUBIAK, « Abd al-Azīz ibn Marwān and the Early Islamic Building Activity and Urbanism », AfricanaBulletin 42 (1994), pp. 7-19. (4) Sur ce personnage, voir en part. C.F. ROBINSON, Abdal-Malik (Oxford, 2005). Un entagion bilingue du gouverneur ꜥAbd al-ꜥAzīz ibn Marwān trouvé à Antinoé Lors de la campagne de fouilles menée à Antinoé en 2007, un entagion bilingue grec-arabe a été mis au jour dans la nécropole nord du site ( 1 ). Le document est adressé par la chancellerie du gouverneur Abd al-Azīz ibn Marwān aux habitants du village d’Hakôris. On exige d’eux qu’ils four- nissent, dans le cadre des opérations militaires de l’empire, deux marins, avec des vivres, pour une durée de deux mois. Le texte, daté de ḏūal-ḥiǧǧa 74 h., avril-mai 694, est intéressant à plus d’un titre : il s’agit d’abord de l’un des plus anciens entagia bilingues trouvés en Égypte ( 2 ), mais aussi de l’un des rares documents émis par le gouverneur Abd al-Azīz. Ensuite, il fait partie des ordres de paiement, peu nombreux, relatifs à des réquisitions d’hommes. Sa provenance enfin permet de mieux cerner l’usage de ces documents et par là de mieux saisir les procédures adminis- tratives et les rouages de la fiscalité à la fin du VII e et au début du VIII e siècle de notre ère. Fils cadet du calife Marwān ibn al-Ḥakam (684-685), Abd al-Azīz reçut la charge d’administrer l’Égypte ( 3 ), tandis que son frère aîné, Abd al-Malik, succéda à leur père comme calife ( 4 ). Le gouvernement conjoint des deux frères marque le début de la période marwanide, étape

ÉGYPTE CHRÉTIENNE ET ARABE - Apache Tomcat · 364 ÉGYPTE CHRÉTIENNE ET ARABE (5) On notera que c’est aussi à cette époque que se fixent les traditions religieuses musulmanes,

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    É G Y P T E C H R É T I E N N EE T A R A B E

    Chronique�d’Égypte LXXXVIII (2013), fasc. 176 – doi: 10.1484/J.CDE.1.103764

    (*) Nous remercions Jean Gascou pour sa lecture critique d’une version préliminaire de ce travail.

    (1) Le document a été découvert dans le kôm est, cadrant D3, dans les couches supé-rieures, le 6 février 2007. Une image du papyrus a été publiée dans D. MINUTOLI, « Recu-pero e restauro dei papiri nelle campagne di scavo 2003-2007 ad Antinoe », Antinoupolis�I (Florence, 2008), pp. 75-99, en part. p. 78.

    (2) Les entagia de Nessana ont été rédigés dans les années 670 (P.�Ness. III 60-67).(3) Sur le personnage, voir en part. U. RIZZITANO, « ̔ Abd al-῾Azīz b. Marwān, governa-

    tore Umayyade d’Egitto 65/85 Eg.-685/704 d. Cr. », Rendiconti�dell’Accademia�Nazionale�dei� Lincei�8, 2 (1949), pp. 321-347 et W. KUBIAK, « ̔ Abd al-῾Azīz ibn Marwān and the Early Islamic Building Activity and Urbanism », Africana�Bulletin 42 (1994), pp. 7-19.

    (4) Sur ce personnage, voir en part. C.F. ROBINSON, ῾Abd�al-Malik (Oxford, 2005).

    Un entagion bilingue du gouverneur ꜥAbd al-ꜥAzīz ibn Marwān trouvé à Antinoé

    Lors de la campagne de fouilles menée à Antinoé en 2007, un entagion bilingue grec-arabe a été mis au jour dans la nécropole nord du site (1). Le document est adressé par la chancellerie du gouverneur ῾Abd al-῾Azīz ibn Marwān aux habitants du village d’Hakôris. On exige d’eux qu’ils four-nissent, dans le cadre des opérations militaires de l’empire, deux marins, avec des vivres, pour une durée de deux mois. Le texte, daté de ḏū�al-ḥiǧǧa�74 h., avril-mai 694, est intéressant à plus d’un titre : il s’agit d’abord de l’un des plus anciens entagia bilingues trouvés en Égypte (2), mais aussi de l’un des rares documents émis par le gouverneur ῾Abd al-῾Azīz. Ensuite, il fait partie des ordres de paiement, peu nombreux, relatifs à des réquisitions d’hommes. Sa provenance enfin permet de mieux cerner l’usage de ces documents et par là de mieux saisir les procédures adminis-tratives et les rouages de la fiscalité à la fin du VIIe et au début du VIIIe siècle de notre ère.

    Fils cadet du calife Marwān ibn al-Ḥakam (684-685), ῾Abd al-῾Azīz reçut la charge d’administrer l’Égypte (3), tandis que son frère aîné, ῾Abd al-Malik, succéda à leur père comme calife (4). Le gouvernement conjoint des deux frères marque le début de la période marwanide, étape

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    ÉGYPTE CHRÉTIENNE ET ARABE

    (5) On notera que c’est aussi à cette époque que se fixent les traditions religieuses musulmanes, ainsi que le texte du Coran, cf. A.L. DE PRÉMARE, « ̔ Abd al-Malik ibn Marwān et le processus de constitution du Coran », Die�dunklen�Anfänge.�Neue�Forschun-gen� zur� Entstehung� und� frühen� Geschichte� des� Islam (Berlin, 2005), pp. 179-210 ; J.L. BACHARACH, « Signs of Sovereignty: The Shahāda, Qur᾿anic Verses, and the Coinage of ῾Abd al-Malik », Muqarnas 28 (2010), pp. 1-30.

    (6) Voir sur le sujet M. BATES, « History, Geography and Numismatics in the First Century of Islamic Coinage », Revue� suisse� de� numismatique 65 (1986), pp. 231-262 et L. TREADWELL, « “Mihrab and ῾Anaza” or “Sacrum and Spear”? A Reconsideration of an Early Marwanid Silver Drachm », Muqarnas 22 (2005), pp. 1-28, en part. pp. 1-3.

    (7) À l’exception bien sûr des protocoles, cf. p. ex. CPR III 3-11 et SB III 7240. On notera que le papyrus P.�Ryl.�Arab. I sect. 15, 59 (W. DIEM, « Der Gouverneur an den Pagarchen. Eine verkannter arabischer Papyrus vom Jahre 65 der Hiǧra », Der� Islam 60 [1983], pp. 104-111) a bien été écrit sous le gouvernorat de ῾Abd al-῾Azīz, mais rien ne dit qu’il a été émis par le gouverneur lui-même. Il pourrait en effet s’agir d’une simple corres-pondance entre officiels.

    (8) A. MERX, Documents�de�paléographie�hébraïque�et�arabe (Leyde, 1894), no 12.(9) W. DIEM, « Einige frühe amtliche Urkunden aus der Sammlung Papyrus Erzherzog

    Rainer (Wien) », Le�Muséon 97 (1984), pp. 109-158, en part. pp. 111-116.(10) N. GONIS & F. MORELLI, « Two Entagia in Search of an Author », BASP� 39

    (2002), pp. 17-25, en part. pp. 17-21.

    fondamentale dans l’évolution de l’empire musulman, entre autres en ce qui concerne l’administration des provinces conquises (5). Tous les signes extérieurs du pouvoir acquièrent une nouvelle identité à cette époque, suite à la politique d’arabisation et d’islamisation menée par les dirigeants, en particulier par le calife. Ainsi, c’est entre 72 et 77 h. (691-697) que sont frappées les premières monnaies strictement musulmanes – c’est-à-dire des pièces qui ne sont pas des imitations d’exemplaires byzantins – et entre 77 et 79 h. (697-699) que l’on bat les premières monnaies du type dit « épigraphique non figuré » (6). De la même manière, l’administration de cette époque rompt avec les pratiques anté-rieures, notamment dans les protocoles, ces timbres fiscaux écrits sur la première page des rouleaux de papyrus. Jusque-là écrits en grec, en conservant l’écriture perpendiculaire des exemplaires byzantins, les pro-tocoles deviennent bilingues, grec-arabe, et adoptent des formules musulmanes. Parallèlement, apparaissent les premiers documents admi-nistratifs écrits en arabe et traduits en grec, dont l’entagion d’Antinoé, daté de 694, constitue l’un des exemplaires les plus anciens. La rupture avec l’empire byzantin est désormais consommée.

    Nous ne possédions jusqu’à présent que quatre entagia de ῾Abd al-῾Azīz, sinon absent de la documentation papyrologique (7) : P.�Merx, daté de 78 h., soit 697/698 (8), P. Vindob. Inv. A.P. 355 et 356, dont la date précise est perdue (9) et P. Yale Inv. 71, sans doute daté de 693 (10).

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    UN ENTAGION BILINGUE

    (11) P. Stras. Inv. arabe 366, déjà signalé par C.H. BECKER, Papyri�Schott-Reinhardt�I (Heidelberg, 1906), p. 114. A. Delattre et N. Vanthieghem préparent l’édition et le com-mentaire de ce texte, découvert en même temps qu’un second entagion, copte cette fois, émis par Flavius Atias.

    (12) Les seuls entagia qui concernent des réquisitions d’hommes sont, à notre connais-sance, P.�Lond.�IV 1410 (710) et SB XVIII 13218 (713). On trouve cependant des lettres de Qurra ibn Šarīk qui font allusion à des entagia envoyés pour mobiliser des hommes, cf. p. ex. P.�Lond. IV 1342 ; 1366 et 1376.

    (13) Réédités dans A. DELATTRE, « Cinq entagia coptes », APF 54 (2008), pp. 79-86 (= SB�Kopt. IV 1781-1783). Des entagia ont aussi été découverts dans la tombe thébaine 29, mais il s’agit de papyrus réutilisés pour noter des laissez-passer émis par des autorités villageoises. Ces entagia coptes ont donc sans doute été expédiés aux destinataires avant d’être réutilisés dans le cadre de l’administration locale. Les documents seront publiés par A. Delattre et N. Vanthieghem.

    (14) On pourrait se demander pourquoi le document a été découvert dans la nécropole du site et non dans la ville elle-même. Cette provenance particulière est sans doute fortuite : selon toute probabilité, le document a été dans un premier temps archivé dans les bureaux

    Les trois premiers sont écrits en arabe, mais devaient vraisemblablement comporter à l’origine une partie grecque, aujourd’hui perdue, peut-être délibérément coupée par les marchands modernes. De même, le dernier est rédigé en grec, mais constitue sans doute la partie inférieure d’un bilingue. Il faut y ajouter désormais notre texte, le premier exemplaire dont des fragments arabes et grecs subsistent. On peut encore mentionner un entagion arabe-grec inédit du même gouverneur, conservé à la Biblio-thèque Nationale et Universitaire de Strasbourg et daté de rabī῾ II 76 h., 19 juillet - 17 août 695 (11).

    Le second point d’intérêt du document d’Antinoé touche à son contenu même. L’ordre de réquisition se distingue de la plupart des autres docu-ments du même type, car il ne s’agit pas ici de payer une taxe quelconque ou de livrer quelque subsistance à l’armée musulmane, mais plutôt de fournir des hommes qui serviront dans la flotte de l’empire. Jusque-là, seuls quelques entagia concernaient des réquisitions d’hommes (12).

    Enfin, la provenance du texte constitue aussi un élément important. L’entagion d’Antinoé est l’un des rares documents de ce type trouvés en contexte archéologique ; en effet, seuls trois entagia coptes d’Hakôris proviennent de fouilles scientifiques (13). Notre texte est justement adressé aux habitants de ce village, mais c’est à Antinoé qu’il a été mis au jour. On peut dès lors reconstituer ainsi le cheminement du document : l’enta-gion�a été écrit à Fusṭāṭ, dans les bureaux du gouverneur, et a été expédié ensuite à Antinoé, capitale de la pagarchie dont dépend Hakôris. Bien qu’adressé aux habitants du village d’Hakôris, il est donc resté dans la cité (14). Il semble dès lors que les entagia�bilingues étaient destinés à ne

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    ÉGYPTE CHRÉTIENNE ET ARABE

    de la pagarchie avant la dispersion des papiers, dont certains ont fini par échouer dans la nécropole voisine. On notera que plusieurs autres documents fiscaux de la fin du VIIe et du VIIIe siècle ont été trouvés dans la nécropole (cf. A. DELATTRE & R. PINTAUDI, « Les archives de Paule, fils de Petros, de la rue du Sauveur », Antinoupolis II, à paraître).

    (15) Quelques entagia grecs écrits par des pagarques mentionnent l’epistalma, « l’ordre » du gouverneur (CPR VIII 74, 4 et SB XXVI 16797 [= SPP VIII 1082, 4 ; N. GONIS & F. MORELLI, « A Requisition for the ‘Commander of the Faithful’: SPP VIII 1082 Revised », ZPE 132 (2000), pp. 193-195]). Il doit donc s’agir de documents émis par la pagarchie à partir des entagia bilingues arabe-grec. Ces documents proviennent du Fayoum, où le grec a pu se maintenir plus longtemps qu’ailleurs.

    (16) L. CASSON, « Tax-Collection Problems in Early Arab Egypt », TAPA 69 (1938), pp. 274-291, en part. pp. 275-279.

    (17) T.S. RICHTER, « Language Choice in the Qurra Dossier », The�Multilingual�Experi-ence� in� Egypt,� from� the� Ptolemies� to� the� Abbasids (Farnham, 2010), pp. 189-220, en part. pp. 214-217.

    (18) N. GONIS, « Reconsidering Some Fiscal Documents from Early Islamic Egypt III », ZPE�169 (2009), pp. 197-208, en part. pp. 197-199.

    circuler qu’entre l’administration centrale de la capitale et des relais admi-nistratifs importants, comme les pagarchies. Ils n’étaient pas directement transmis aux destinataires mentionnés dans le document. Au moment de faire parvenir l’ordre aux contribuables, le bureau de la pagarchie émettait un nouvel entagion adressé au village, écrit en copte cette fois, du moins dans la région d’Antinoé (15). Cette procédure, mise en évidence par L. Casson (16), et récemment par T.S. Richter (17), permet ainsi d’ex-pliquer pourquoi les entagia bilingues arabe-grec émis par le gouverneur Qurra ibn Šarīk, bien qu’adressés à divers destinataires, ont été, selon toute vraisemblance, conservés ensemble dans un bureau administratif d’une pagarchie, où ils ont été découverts par les fouilleurs clandestins. Les deux entagia de Strasbourg Inv. arabe 366 A et B confirment en quelque sorte cette procédure : à l’intérieur de l’ordre bilingue de ῾Abd al-῾Azīz ibn Marwān était glissé un entagion copte émis par Flavius Atias, qui est la traduction, légèrement adaptée, de l’ordre original. Une dernière étape s’ajoutait à la procédure : la rédaction de l’entagion individuel, adressé à un contribuable précis et écrit souvent en copte, au niveau de l’administration du village (18). Ainsi les entagia découverts à Hakôris sont-ils tous rédigés en copte et adressés à des individus particuliers, tan-dis que l’ordre arabe-grec destiné au village entier était conservé dans les bureaux de la pagarchie.

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    UN ENTAGION BILINGUE

    P. Ant. Inv. 6.2.2007 23,5 × 16,5 cm 3 avril - 2 mai 694Antinoé, nécropole nord FIG. 1 ḏū�al-ḥiǧǧa�74 h.

    Fragments de papyrus brun clair. La partie supérieure du document est perdue ; les autres marges sont en partie conservées. Les écritures arabe et grecque sont typiques de la chancellerie du premier siècle de la conquête. Le texte arabe, tracé à l’encre noire, est dépourvu de points diacritiques (sauf en un endroit, voir comm. l. 9). Conformément à l’usage, la partie grecque est écrite avec un calame plus fin, à l’encre noire également. Le résumé qui figurait sans doute après le texte grec est perdu. Le verso est vierge.

    [بسم الله الرحمن الرحيم] ↓[من عبد العزيز بن مرون الامير الى اهل]

    اقريوس مــ[ ن كورة انصنى فاعطوا لنواتية سفن امير] [ ] المومنين ] لجيـ ـ[ش] ] 5

    [ الشام مـ[ نوتيين ومعيشة] ][ ] [ ]

    وثلث] شهرين [ [ا]ردب قـ ـ[طنية وقسـ ـ]طين زيت

    وقسطين خل ونصف [قسط وكتب] يزيد 10[في شهر ذ]ي الحجة لســ[ نة ار]بع وسبعين

    [//] Ἐν ὀνόματι το Θε[οῦ Ἀβδελα]ζ̣ιζ υἱὸ(ς) Μαρο[υ]αν σύμβ[(ου)λ(ος)] [ῖν τοῖς]

    [ἀπὸ κώ(μης) Ἁκώ]εως παγρ[χίας Ἀντ]ινόου. Παράσχ(ετε) λ(ό)γ(ῳ) ναυ[ικ(οῦ) πλοίω(ν)]

    [τοῦ Ἀμιραλ(μουμνιν)] ἐξερχ(ομένων) εἰ(ς) Ἀνατολ(ὴν) [(καὶ)] [(ό)γ(ῳ) ἀ]ποκαταστά(σεως) πλοίω(ν) ἐγγό(μων) ν(υτῶν)

    15 [ ] εἰ(ς) κοῦρσ[ον Ἀ]νατλ(ῆς) [(καὶ) ...] να(ύτας) β δύο με(τὰ) δαπάν(ης) μ(ηνῶν) β

    [ ]ε[ ... ὀσπρ(έων) ἀρτ(άβας) γ’ τρί] [ἐ][αί] (ξέστας) β δύο ὄξου

    [(ξέστας) β δύο ἁλυ(κῆς) κ( )θ( ) ἥμισυ. Ἐγρά(φη) μ(ηνὶ) ... ... ἰνδ](ικτίωνος) ἑβδόμης.

    pap. 12 υιο pap. 13 λγ pap. 14 εξερχ ει/ ανατολ / ou ανατολ καταστα πλοιω εγ’γο ربنـــ 9ναν- pap. 15 ει ναν- με μ-μ- pap. 16 [ε]λ[αι]ου pap.

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    ÉGYPTE CHRÉTIENNE ET ARABE

    « (en�arabe) Au nom de Dieu, le clément, le miséricordieux. De la part de ῾Abd al-῾Azīz ibn Marwān, le gouverneur, aux gens d’Aquryūs de la pagarchie d’Antinoé : fournissez pour les marins des navires de l’Émir des Croyants ... pour le cursus du Levant ... deux marins et les frais d’en-tretien pour deux mois ... un tiers d’artabe de légumes secs, deux xestes d’huile, deux xestes de vinaigre, un demi ... de salaison. Écrit par Yazīd, au mois de ḏū�al-ḥiǧǧa�74 h.

    (en�grec) // Au nom de Dieu, ῾Abd al-῾Azīz ibn Marwān, le gouverneur, à vous, les habitants d’Hakôris, de la pagarchie d’Antinoé. Fournissez pour le compte de l’équipage des navires de l’Émir des Croyants qui partent vers le Levant et pour le compte du retour des bateaux chargés de marins ... pour le cursus du Levant et ... marins : 2, deux, avec les frais d’entretien pour deux mois... artabes de légumes secs : ¹∕³, un tiers ; xestes d’huile : 2, deux ; xestes de vinaigre : 2, deux ; k(�)th(�) de salaison : ½, un demi. Écrit au mois de ..., le ..., septième indiction. »

    3 Aquryūs Cette graphie est vraisemblablement la transcription du toponyme Hakôris. On notera que l’arabe ne note pas l’aspiration initiale du topo-nyme, qui dérive sans doute de l’anthroponyme Hkr/Hgr (cf. W. CLARYSSE, « Hakoris, an Egyptian Nobleman and His Family », AncSoc 22 [1991], pp. 235-243, en part. p. 239 ; BL X 1 ; nous remercions Nikolaos Gonis d’avoir attiré notre attention sur ce point). Par ailleurs, l’arabe a rendu ici la forme grecque du toponyme au génitif. Dans les entagia de Qurra ibn Šarīk, on constate que les scribes transcrivent la forme déclinée tantôt au génitif, tantôt au nominatif. Ainsi, par exemple, ἐποίκιον Βουνων dans SB I 5646 est transcrit šubrā�Bunān�et ἐποίκιον Κεραμίου est rendu dans SB I 5647 par šubrā�Kiramia, alors que μοναστήριον τῆς ἁγίας Μαρίας est transcrit dans SB I 5650 par les mots kanīsat�Mārya (« l’église de Mārya ») et que ἐποίκιον Πακαυνεως est rendu dans SB I 56 par šubrā�Baqawnis.

    3 mi[n kūrat Anṣinā] Pour la restitution, voir comm. l. 13. fa-᾿a῾ṭū Il existe deux formulaires d’entagion arabe ou arabe-grec (sur

    cette question, voir DIEM, « Einige frühe amtliche Urkunden » [n. 9], p. 114). L’un commence par un impératif, en général fa-᾿a῾ṭū (« Fournis-sez »), qui est traduit en grec par la forme παράσχετε (cf. par exemple P.�Ness.� III 60-67). Le second formulaire débute par les mots fa-᾿innahu�᾿aṣābakum� (« Il vous incombe »), qui est traduit en grec par les mots ἔλαχεν ὑμῖν (cf. par exemple P.�Heid.�Arab. I 5-6). Tous les entagia de la chancellerie de ῾Abd al-῾Azīz, à l’exception sans doute de l’entagion P. Yale Inv. 71, suivent le premier formulaire. Il faut donc restituer dans notre document fa-’a῾ṭū.

    3-4 [nawātiyat sufun ’amīr] | al-mu’minīn La restitution se base sur SB XVIII 13218, 3.

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    UN ENTAGION BILINGUE

    5-6 li-ǧay[š] | [a]l-Šām Quoique fragmentaire, le début du rasm du mot li-ǧayš est assuré et peut être comparé au rasm de ce que l’on trouve dans SB XVIII 13218, 4 (voir l’image disponible à l’adresse http://smb.museum/berlpap/index.php/00219).

    9 quṭniya Le terme qui équivaut au grec ὄσπρεον apparaît dans un autre entagion de ῾Abd al-῾Azīz (P. Vindob. Inv. A.P. 356, 7 ; cf. DIEM, « Einige frühe amtliche Urkunden » [n. 9]).

    qisṭ�Sur ce terme emprunté par l’arabe au grec ξέστης (du latin sextarius), voir A. GROHMANN, Einführung�und�Chrestomathie�zur�arabischen�Papy-ruskunde.�1:�Einführung (Prague, 1954), pp. 167-170. Le duel qisṭayn est ici noté par l’ajout d’une simple sinusoïde à la racine.

    zayt Le mot est pourvu de deux points diacritiques. L’un est est placé en dessous du yā, l’autre au-dessus du tā’. On notera que les points sont simples (ربنـــ) et non doubles (ريتـــ), comme on l’attendrait. Cette pratique est cependant courante au premier siècle de la conquête arabe, comme l’a montré A. KAPLONY, « What Are Those Few Dots for? Thoughts on the Orthography of the Qurra Papyri (709-710), the Khurasan Parchments (755-777) and the Inscription of the Jerusalem Dome of the Rock (692) », Arabica 55 (2008), pp. 91-112, en part. p. 108.

    10 kataba Yazīd Le scribe Yazīd est aussi attesté dans P.�Merx, 6 et dans P. Stras. Inv. arabe 366, 6. Il est à ce jour le seul scribe de tous les entagia de ῾Abd al-῾Azīz (du moins de ceux où le nom du scribe est conservé).

    11 fī šahr ḏī-l-ḥiǧǧa li-sa[nat ’a]rba῾a wa-sab῾īn Il est rare que les années soient précédées de la préposition li-, « de, pour », dans une date (pour un exemple, voir APEL I 57, 21). En général, l’année est introduite par la préposition min�(« de »), voire par rien.

    13 [κώ(μης) Ἁκώ]εως La restitution Ἁκώ]εως est assurée par la trans-cription arabe du toponyme (Aquryūs).

    παγρ[χίας Ἀντ]ινόου La même expression est attestée dans P.�Bal. 180, 2, un entagion émis par Qurra ibn Šarīk et adressé aux habitants du village de Saint-Kollouthos dans la pagarchie d’Antinoé. Le village d’Hakôris dépendait administrativement d’Antinoé à l’époque arabe (voir SB�Kopt. IV 1781, 2 et 1782, 2 = A. DELATTRE, « Cinq entagia coptes », APF 54 (2008), nos 1 et 2). Sur la pagarchie d’Antinoé, voir aussi P.�Lond. IV 1460, 37 (cf. aussi 14) ; 1461, 36.

    13-14 λ(ό)γ(ῳ) ναυ[ικ(οῦ) πλοίω(ν)] | [τοῦ Ἀμιραλ(μουμνιν)] ἐξερχ(ομένων) εἰ(ς) Ἀνατολ(ὴν) Pour un parallèle, cf. SB I 5643, 10-11 (BL XI, p. 197).

    14 [(ό)γ(ῳ) ἀ]ποκαταστά(σεως) πλοίω(ν) ἐγγό(μων) ν(υτῶν) Pour une expression similaire, cf. CPR XXII 44, 10 λ(ό)γ(ῳ) [ν]αυτικοῦ λοίω(ν) τοῦ Κ(σματος) ἐξερχ(ομένων) ἐγγό(μων) σίτ(ου) μ(ηνῶν)..., « pour le compte de l’équipage des navires de Klysma qui partent chargés de blé pour ... mois ». L’expression [[(ό)γ(ῳ) ἀ]ποκαταστά(σεως) est sans parallèle, mais peut se reconstruire par symétrie avec la locution λόγῳ ἀλλαγῆς (cf. P.�Lond. IV 1421, 9 ; 1441, 92 ; SB XVIII 13218, 10). La seule attestation du mot ἀποκατάστασις dans les archives de Basilios renvoie au retour des fugitifs (cf. P.�Ross.�Georg. IV, 1, 19).

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    ÉGYPTE CHRÉTIENNE ET ARABE

    15-17 με(τὰ) δαπάν(ης) μ(ηνῶν) β | [ ... ]ε[ ... ὀσπρ(έων) ἀρτ(άβας) γ’ τρί] [ἐ][αί] (ξέστας) β δύο ὄξου | [(ξέστας) β δύο ἁλυ(κῆς) κ( )θ( ) ἥμισυ On trouve une dapanê de deux mois dans P. Stras. Inv. arabe 366, émis également au nom de ῾Abd al-῾Azīz (voir supra). Sur base de ce qui est conservé dans le texte et des indications de P.�Lond. IV 1449, 34 et 36 ou SB III 7241, 59, on peut estimer que les frais d’entretien par marin et par mois consistaient en 1 artabe de pain ou de blé, ¹∕6 artabe de légumes secs, 1 xeste d’huile, 1 xeste de vinaigre et ¼ k(�)th(�)�de salaison. C’est ainsi que nous avons tenté de restituer le texte, même si le début de la séquence reste problématique. On remarquera cependant que les quantités ne correspondent qu’à la moitié des frais de subsistance des deux marins pour deux mois. Soit les chiffres indiqués s’entendent par marin, soit un mois était payé non en nature (ἐν εἴδει), mais en argent (ἐν ἀπαργυρισμῷ), suivant le système attesté notamment dans CPR XXII 44. Plus générale-ment, sur les rations des marins à l’époque arabe, voir aussi F. MORELLI, Olio� e� retribuzioni� nell’Egitto� tardo� (V-VIII� d.� C.) (Florence, 1996), pp. 81-122.

    17 ἁλυ(κῆς) κ( )θ( ) Sur l’expression, voir Ph. MAYERSON, « ἁλυκῆς κθ in the Aphrodito Papyri = κόλλαθον of Salt? », BASP 36 (1999), pp. 87-91. Selon l’auteur, ἁλυκή désignerait des produits salés, et le mot abrégé κ()θ() ne peut correspondre à κόλλαθον.

    Université�libre�de�Bruxelles� Alain DELATTREFirenze,�Biblioteca�Medicea�Laurenziana Rosario PINTAUDIAspirant�du�F.R.S.�–� Naïm VANTHIEGHEMFNRS,�Université�libre�de�Bruxelles

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    UN ENTAGION BILINGUE

    FIG. 1. — P. Ant. Inv. 6.2.2007 (60 %).