44
[parcours méditerranéens] ... série savoirs et savants colleion dirigée par Dionigi Albera www.editionsparentheses.com / Giordana Charuty — Ernesto De Martino, Les vies antérieures d’un anthropologue  / ISBN 978-2-86364-156-9

Giordana Charuty - Ernesto de Martino Les Vies Anterieures Dun Anthropologue

Embed Size (px)

DESCRIPTION

A thesis about the work of Ernesto de Martino

Citation preview

  • [ p a r c o u r s m d i t e r r a n e n s ]. . . s r i e s a v o i r s e t s a v a n t scollection dirige par Dionigi Albera

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • d i t i o n s p a r e n t h s e s / m m s h

    G i o r d a n a C h a r u t y

    ernesto de martino les vies antrieures

    dun antHropologue

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • coordination ditoriale : gisle seimandi

    ouvrage publi avec le concours de l'cole pratique des hautes tudes

    copyright 2009, ditions parenthses maison mditerranenne des sciences de lhomme

    isbn 978-2-86364-156-9 / issn 1771-5792

    en couverture :Ernesto de martino Rodi Garganico sur la cte adriatique, en 1957 [ Archives De Martino].

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    Je suis deux ou plus non pas un

    en danger de ntre personne

    en lutte pour tre quelquun.

    Ernesto De Martino

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 7zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    Considr en Italie comme le fondateur de lanthropologie religieuse, Ernesto De Martino est surtout connu en France, en dehors dun cercle restreint de spcialistes, pour lun de ses derniers livres, La Terre du remords, qui lie le nom du chercheur cette Italie mridionale des annes cinquante conjuguant, de manire troublante, les signes contradictoires du plus grand archasme et de lexprimentation sociale la plus inventive. Lenqute retrace, on sen souvient, lhistoire culturelle dune forma-tion religieuse mineure dorigine mdivale, centre sur la cure rituelle de maux symboliss par la piqre dune araigne mythique la tarentule dont le venin est expuls grce aux pouvoirs exorcistes de la musique, de la danse et des couleurs. partir des formes rsiduelles observables dans le Salento, lauteur reconstruit les diffrentes interprtations du taren-tisme produites dans le cadre de la magie naturelle, puis de la pense des Lumires, avant que les mdecins positivistes ne sen saisissent pour le soustraire son intgration au culte de saint Paul.

    Lauteur entendait renouveler la comprhension de la lanci-nante question mridionale en inscrivant dans la mmoire culturelle de la toute jeune rpublique italienne les premires reprsentations, combien raffines, de ce vert paradis des amours perdues et des rves de gloire inassouvis . Pourtant, les critiques qui ont recens louvrage au printemps 1966, dans sa

    Prologue...

    www

    .editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 8zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    traduction franaise dite chez Gallimard grce Michel Leiris et Pierre Nora, ont plutt invit les lecteurs de grands magazines culturels inscrire les possds des Pouilles parmi de plus sauvages cultes de possession en contexte christianis : adeptes hatiens des crmonies vodou ou sectateurs des cultes afro-amricains du candombl. Pass ce premier engouement, il faudra attendre le dbut des annes quatre-vingt, avec lintrt renouvel pour le sens du mal et la refondation dune ethno-logie de lEurope, pour que quelques chercheurs questionnent les procdures denqute mises en uvre par le Lvi-Strauss italien , afin dordonner la diversit des institutions et des savoirs qui se sont affronts autour de la dfinition du taren-tisme . Quant sa nouvelle conversion culturelle par le biais de lcriture romanesque, elle a, le plus souvent, effac le nom de lanthropologue italien.

    Dans la pninsule, en revanche, on assiste depuis le dbut des annes quatre-vingt-dix une multiplicit dentreprises, scientifiques et culturelles, universitaires et extra-universi-taires, qui ont pris De Martino pour figure tutlaire, voire pour objet exclusif de leurs activits. La fabrique culturelle investit librement dune gamme htroclite de valeurs la figure identi-ficatrice de De Martino, dmridionalis pour servir de rf-rence un usage gnralis de lhistoire orale, ou, au contraire, rinscrit dans le Mezzogiorno travers une inversion symbo-lique de la taranta, pour authentifier une nouvelle identit terri-torialise et un nouvel imaginaire du Sud. La transformation de lethnologie dmartinienne en bien culturel pour accompagner la renomme anthropologique de la Basilicate et de sa capitale rgionale, Matera, est dsormais luvre : lautomne 2006, le registre du voyage littraire est venu complter la pano-plie de formes de traditionalisation dusages rituels, dabord fixe dans le Salento, pour conjoindre les intrts du tourisme culturel et ceux des intellectuels et des ethnologues, locaux et nationaux. Pour se diffrencier dun notarentisme assi-mil une danse ethnique, la manifestation Balla coi libri [Danse avec les livres] proposait, notamment, un voyage dans le tarentisme du xvie au xxe sicle, guid par la lecture des textes mdicaux et des rcits ethnographiques avec leur accompagnement musical, dans lglise de San Piero Baresano, alternant avec des concerts de folk contemporain et la rci-tation de la chronique de Carlo Levi et des pomes de Rocco Scotellaro, pour faire advenir A terra du ricorde, La Terre

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 9zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    de la mmoire appele substituer La Terre du remords . En somme, il sagissait de faire cohabiter, pour les rconcilier, des figures emblmatiques de savants et dcrivains qui ont aliment des polmiques, fait lobjet dactivits historiogra-phiques spares et ont constitu des ressources culturelles disjointes ; dassocier des entreprises conomiques et scienti-fiques, des gnrations dintel lectuels, des langages expressifs htrognes avec pour fil conducteur, non plus le remords des annes cinquante, mais une mmoire pacifie.

    Lorsquon se tourne vers la construction, par les milieux acadmiques, dune rfrence partage susceptible dassurer la cohsion dune multiplicit dinstitutions et de savoirs, la situation apparat, en revanche, plus conflictuelle. Au milieu des annes soixante-dix, les anthropologues italiens inscri-vaient De Martino dans lhistoire nationale de la discipline en ractivant des dbats idologiques analogues ceux qui avaient marqu la mobilisation culturelle des annes cinquante. Dix ans plus tard, une approche plus distancie a, simultanment, produit les premires tudes sur la gense des conceptua-lisations empruntes la philosophie, lhistoire des reli-gions, la mdecine ainsi que la premire reconstitution des techniques denqute de terrain. Depuis le milieu des annes quatre-vingt-dix, lexploitation de plusieurs archives scientifi-ques a permis, outre la publication des carnets de terrain des premires enqutes collectives, une meilleure connaissance de la pratique ethnographique, la rvaluation de fonctions dito-riales, limportance intellectuelle de certains liens de parent ou damiti avec des figures controverses de la vie savante et politique. Enfin, en mme temps que tous les ouvrages sont rdits avec de nouvelles prfaces, chez les grands diteurs, les philosophes se sont, leur tour, engags dans un travail exg-tique. Alors que, de son vivant, De Martino na jamais exerc un vritable pouvoir institutionnel, on peut cartographier prci-sment les espaces gographiques et sociaux de ces affi-nits ou de ces concurrences entre philosophes, historiens des religions, antiquisants, ethnologues, mdecins universitaires

    travers lesquelles lanthropologie comme savoir unificateur cherche, nouveau, son identit : le De Martino de Pise nest pas celui de Rome, de Naples ou de Cagliari, le De Martino de Florence na que peu voir avec celui de Lecce

    Tous ces travaux sont, bien sr, un outil prcieux pour reconnatre, dans le temps dune vie, la diversit des champs

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 10

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    dactivit et des liens intellectuels qui la singularise. Mais cette pointilleuse rudition ne tend-elle pas brouiller les grandes lignes de force qui permettent dinscrire, de manire compa-rative, le projet dmartinien dans de plus amples entreprises intellectuelles ? En tout cas, elle soulve, avec encore plus dacuit, la question de la spcificit du point de vue dun biographe anthropologue. Celui-ci doit, en effet, composer avec une multiplicit de narrations qui nourrissent, du ct italien, le sentiment dune extrme familiarit de luvre-vie tandis que, du ct franais, la trajectoire personnelle est largement mconnue au profit de lethnologie mridionale ou de lanthropologie philosophique.

    Une simple notice de dictionnaire noncerait, brive-ment, quelques dates dune carrire acadmique tardive et brutalement interrompue par une mort prmature. On y apprendrait quErnesto De Martino est n Naples en 1908 ; quil a fait des tudes de philosophie avant de sorienter, dans les annes 1932-1934, vers un nouveau champ disciplinaire, lhistoire compare des religions, fond Rome par Raffaele Pettazzoni ; quassoci, entre 1953 et 1958, comme assistant volontaire en ethnologie et en histoire des religions luniver-sit de Rome, il a occup partir de 1959 la chaire dhistoire des religions luniversit de Cagliari, jusqu sa mort en 1965. Puis viendrait la succession des livres, selon leur ordre chronolo-gique de parution, complte par quelques mots de commen-taire. Tout dabord, la rflexion mthodologique conduite dans Naturalisme et historicisme en ethnologie (1941) pour rconcilier lhistoire et lethnologie laide de conceptualisa-tions empruntes la philosophie de Benedetto Croce ; puis la redescription des pratiques magiques proposes dans Il mondo magico (1948), partir dune lecture pragmatique de ces nig-matiques logiques daction quau mme moment Lvi-Strauss assigne une efficacit symbolique . cette anthropologie de cabinet tourne vers les mondes lointains, on opposerait le parti pris ethnographique qui a conduit lhistorien des reli-gions organiser, entre 1950 et 1959, une srie dexpditions en Lucanie, en Basilicate et dans le Salento, avec la participa-tion assidue de lethnomusicologue Diego Carpitella, celle plus ponctuelle du psychiatre Giovanni Jervis et de la jeune anthro-pologue Amalia Signorelli, et la prsence constante de photo-graphes Arturo Zavattini, Franco Pinna, Ando Gilardi. Mais on passerait sans doute sous silence les fonctions et le travail

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 11

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    assums par sa seconde compagne Vittoria De Palma. Et lon numrerait les livres issus de ces enqutes tour tour centres sur les lamentations funbres, la magie curative, le tarentisme : Morte e pianto rituale nel mondo antico : dal lamento pagano al pianto di Maria (1958) ; Sud e magia (1959) ; La terra del rimorso (1961). Enfin, on soulignerait limportance de la rflexion sur la notion de valeur, au cur du recueil darticles Furore, simbolo, valore (1962), avant de mentionner lultime recherche, reste inacheve, sur les millnarismes apocalyptiques dont le vaste corpus documentaire transdisciplinaire lhistoire religieuse, lethnologie, la littrature moderne, la psychiatrie fut publi titre posthume, La fine del mondo. Contributo allanalisi delle apocalissi culturali (1977). Cherchant identifier lunit problmatique dune uvre qui rcuse tout enfermement disciplinaire, on la crditerait dune lecture originale du chris-tianisme comme culture, fonde sur la singularit du langage conceptuel prsence et crise de la prsence , dshis-torisation religieuse , autonomie relative du symbolisme mythico-rituel labor pour penser lefficacit de ses rites de rparation dans le cadre dune anthropologie gnrale. Et lon conclurait lactualit de ce mot dordre humanisme ethnographique qui devait, selon lui, dfinir la porte thique dune science gnrale de lhomme.

    Or lintrt pour lhistoire des sciences sociales est en train de produire une srie de biographies qui posent, lanthropo-logue, la question des mthodes denqute pertinentes pour recomposer la trajectoire intellectuelle dun savant en posi-tion de fondateur ou de refondateur de sa propre discipline. Sagissant de luvre dmartinienne, la contextualisation historique du geste de rupture dont elle procde fait immdia-tement surgir une question : comment devient-on un anthro-pologue moderne au temps de la dictature fasciste, puis du combat dmocratique pour la reconstruction italienne ? Dans le mme temps, il faut bien constater que De Martino na jamais revendiqu le statut danthropologue mais sest constamment interrog, chaque nouvelle tape de sa recherche, sur le champ disciplinaire auquel rattacher son projet histoire des religions, ethnologie, folklore, histoire culturelle tout en ne cessant de mditer sur les conditions singulires du travail ethnographique par rapport toute autre forme de documen-tation historique. Maintenir ouverte cette incertitude ma sembl ncessaire.

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 12

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    Outre les nombreux travaux qui ont dj retrac la gense des ides qui sous-tendent une uvre dautant plus complexe quelle est inacheve, il faut bien sr retracer les cercles de sociabilit professionnelle, politique, culturelle que le cher-cheur a traverss ou crs. Mais il faut, tout autant, identi-fier les lieux et les modalits imprvisibles dapprentissage de toutes ces comptences relationnelles, techniques et rudites qui construisent la personne mme du savant lorsque celui-ci fait le choix du dtour par les autres , pour interroger la singularit des dynamiques culturelles de lOccident. Les silences, sur ce point, de lhistoriographie disponible ainsi que lampleur inattendue des contextualisations ncessaires pour relier entre elles des expriences clates entre des lieux et des figures premire vue sans commune mesure, mont conduite privilgier ces annes de formation. Aussi bien, cette enqute sarrte-t-elle au tournant dune entreprise intellectuelle pense comme une dcolonisation de lethnologie, avant mme llaboration de la grande trilogie mridionale, lorsque simposent des modalits plus acadmiques de lier problmati-sation scientifique et mthodes dinvestigation, un choix plus slectif des domaines de lexprience sociale explorer sur le mode ethnographique, en somme une diffrenciation plus nette entre le savant et le politique.

    Je me suis dabord interroge sur les lieux de lcriture de soi pratique par De Martino. Et, comme dautres chercheurs qui ont sollicit la mmoire de Vittoria De Palma, sa seconde compagne de vie et de travail, jai reu, en guise de viatique, quelques fragments de textes prlevs dans le trsor personnel quelle constituait, au jour le jour, du vivant de lauteur. Ces textes esquissaient un projet dautobiographie. Lun deux, en revanche, que lon peut dater du tout dbut des annes soixante, alors que le chercheur travaille sur les expriences

    individuelles et collectives de fin du monde, dlguait un futur lecteur la charge de restituer la cohrence dune uvre-vie. Lauteur sy offrait lui-mme comme objet dune histoire culturelle, en indiquant comment sy prendre : rta-blir les liens entre des manires dtre et des domaines daction clats. Vu posthume ? Cest beaucoup dire car, partager rgulirement la sociabilit des animateurs de lArchive De Martino, on peut avoir ltrange sentiment que lauteur nest pas mort il y a plus de quarante ans, mais quil est quasiment un contemporain. Jai pass de nombreuses heures couter,

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 13

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    avec les uns et les autres, Vittoria faire revivre l Ernesto de la vie domestique aussi bien que lintellectuel engag dans le travail personnel et les responsabilits militantes, tout en minquitant du genre denqute que jtais en train de raliser. Car elle avait dj, pour dautres chercheurs, clair de lint-rieur les faits qui me paraissaient susceptibles de figurer dans une biographie intellectuelle et quelle ne pouvait tmoigner, de la mme faon, des intrts et des activits de De Martino antrieurs leur rencontre. Rtrospectivement, il mapparat que ces premiers entretiens mont surtout permis dapercevoir une personne ordinaire, en de de lauteur construit par son uvre et, ce faisant, dcouter la plainte inscrite dans ce vu : Les mdecins ont mis mon corps en pices, les critiques nont considr que quelques aspects de mon me : les philosophes la mthodologie, les ethnologues lethnologie, les politiciens la politique, l aussi par fragments et morceaux. [] Jespre quun critique futur .

    Progressivement, je me suis installe, un peu la manire dun thrapeute, in media res cest--dire au centre dune crise gnralise qui touche tous les pans de lexistence non, bien sr, pour identifier des traumatismes personnels mais pour dcrire, en de de tout jugement normatif, la positivit dexp-riences en dpliant les condensations de sens contenues dans des dtails, des expressions surprenantes, des liens sociaux effacs qui participent en Italie dun sens commun historio-graphique ou qui font partie du savoir propre chaque cercle dtudes, mais qui suscitent lembarras lorsquon est tranger cette proximit culturelle. Il sagissait de reconstruire des rela-tions de parent, des activits et des convictions passes pour remplir les silences et les blancs des rcits dmartiniens : ceux, personnels, de sa propre mmoire comme, aussi bien, ceux de la mmoire historique que reconduisent, de fait, les tudes rudites. Ce parti pris nest pas seulement li la frquenta-tion darchives encore peu explores. Il implique, chaque pas, des changements de contextualisation de documents connus ou indits et, surtout, ladoption dune posture rigou-reuse dethnographe face aux multiples traces crites dune existence.

    De Martino na cess dvoquer, sous diverses formes, la tension difficile rsoudre entre le savant et le militant, tension que lon rapporte, habituellement, aux annes de laprs-guerre lorsquil assume une fonction dintellectuel public qui intervient

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 14

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    dans tous les grands dbats du moment. Lenqute rtrospective laquelle le lecteur est, ici, convi invite dcouvrir, non pas un autre De Martino, mais la forme initiale dans laquelle celui-ci a, personnellement, vcu et pens des bouleversements histo-riques assimils une crise de la civilisation europenne et les engagements existentiels quil sest efforc dassumer. Alors que les historiens admettent, depuis longtemps, que le projet anthropologique du fascisme italien constitue un chapitre important de notre histoire de la subjectivit, les ethnologues ont oubli le poids de cette exprience dans la formation de celui qui, la suite de Marcel Mauss, leur a, pourtant, appris reconnatre lhistoricit de la personne. Mais il faut, pour ce faire, dsingulariser le jeune De Martino pour le considrer, dabord, comme un acteur social ordinaire, avec le souci de ne pas nous le rendre trop vite contemporain.

    Pour ce faire, le biographe anthropologue ne saurait se contenter dtre un historien positiviste : les faits , les dcla-rations et les jugements documents par quelques dossiers de lducation nationale, de larme ou de la police politique ne prennent sens dans une vie que si on peut les laborer dans une interprtation. Cest dire, aussi, que laccs aux papiers privs na que peu voir avec le paisible inventaire des cartons dun dpt darchives. Il ncessite un travail dcoute et dimplica-tion relationnelle analogue celui que lethnographe met en uvre avec chacun de ses interlocuteurs, pour rendre possible lvocation dun pass toujours actif dans le prsent. Cest dire enfin quil faut cesser, pendant un certain temps, de se foca-liser sur les critures manant de la personne de De Martino, en ayant lil exclusivement sur le savant quil deviendra aprs la guerre, pour voir se construire diverses trajectoires dans le regard des autres et pour contraster le parcours singulier quil accomplit entre vingt et trente ans, avec dautres parcours possibles.

    Dans un second temps, il sagissait, au contraire, de restituer pleinement De Martino son statut dauteur pour identifier, prcisment, les lieux dacquisition de toutes ces comptences qui font un anthropologue moderne. La rupture que son uvre foisonnante introduit dans le champ de lanthropologie europenne est, dabord, le rsultat dun singulier parcours dapprentissage, en autodidacte qui se choisit une succession d initiateurs le plus souvent ill-gitimes, du point de vue acadmique. Ce qui nous oblige, et

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 15

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    cest bien lintrt dune enqute dans ces vies antrieures, de repenser nos manires dcrire lhistoire de la discipline. Jai lu les diverses correspondances, indites ou trs partiellement publies, non pour en extraire des donnes factuelles recom-poser dans une histoire des influences entre matres et disciples, mais en tenant pour acquis que la relation pistolaire est une pratique sociale de construction de soi commune aux lettrs de ce temps, dont la description ethnographique exige que lon se situe dans lespace relationnel spcifiquement construit par lcriture. Par une dcision identique de mthode, jai parcouru quelques archives en suspendant, provisoire-ment, les critres savants de classement qui distinguent des correspondances prives et des correspondances scientifi-ques, des genres dcriture intime, fictionnelle, savante, pour restituer la prgnance de ces langues familiales dont Nathalie Ginzburg a si bien su reconstituer le lexique. Sagissant, enfin, des archives constitues par De Martino de son vivant, Clara Gallini la dit avant moi, elles sont le laboratoire dun savant qui ne cesse dcrire pour penser. En considrant les traces de cette autoformation et les premiers programmes de recherche mis en chantier jai, de la mme faon, accord autant datten-tion aux notes de lecture et aux enqutes qui tournent cours quaux premires uvres publies, non pas pour reconstruire la gense dides dautres que moi sont engags dans cette histoire intellectuelle mais pour dcrire les manires impr-visibles dacqurir cette fameuse comptence dfinie, depuis Malinowski, par lexpression exprience de terrain .

    Limage du tissage simposait constamment De Martino lorsque, au dbut des annes quarante, il tentait de sexpliquer lui-mme limprieux besoin de se plonger dans dautres mondes pour restituer la biographie culturelle de lEurope. Cest aussi ce motif du tissage que lon pourrait voquer pour rendre compte de la mthode ethnographique que jai essay de pratiquer et, pour respecter lide que le jeune De Martino se faisait du mouvement de la vie une spirale , le lecteur est invit remonter le cours de ces vies antrieures afin de voir se cristalliser les interrogations sur les rapports entre le politique et le religieux qui ne cesseront, du dbut des annes trente au dbut des annes cinquante, de le mettre au travail.

    Respectant le mouvement rgressif de lenqute, la premire partie de ce livre nous plonge, tout dabord, dans leffervescence de la bataille culturelle du tout dbut des annes

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 16

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    cinquante laquelle participe une nouvelle figure de protagoniste , lethnologue autochtone, dont De Martino labore la charte mythique en entrecroisant plusieurs modles de reconnais-sance. Puis elle interroge les failles de cette narration biogra-phique, travers les traces dune intense amiti de jeunesse o se trouve dj esquiss le programme danalyses dune crise de la civilisation occidentale, et en remontant les tapes dun parcours initial davant-gardiste soucieux de mettre lhistoire des religions au service de la Rvolution nationale. Se trouvent, ainsi, mises en vidence les injonctions contradictoires et les difficults dadhsion au fascisme-religion comme forme authentique de religion civile.

    Place sous le signe dun ange tutlaire , la seconde partie de cette enqute dcrit les divers cercles de sociabilit fami-liale, amicale, professionnelle durant les annes de vie Bari, de 1935 la veille de la Seconde Guerre mondiale. Elle nous fait dcouvrir loriginalit, mais aussi les limites, de la rsistance dinspiration rpublicaine et librale qui sous-tend une vita-lit intellectuelle inattendue dans cette jeune capitale rgio-nale. Elle recompose, dans la biographie dmartinienne, les formes parallles de dprise de la langue totalitaire et de fami-liarisation avec plusieurs altrits culturelles quautorise une relation tonnamment complexe avec larchologue et histo-rien des religions Vittorio Macchioro. Habituellement circons-crite laide du substantif discepolato qui, dans la langue italienne, parat imposer sa pertinence, elle constitue, de fait, la premire relation ethnographique intensment vcue mais, seulement, en partie, reconnue.

    La troisime partie explore la constellation des luttes passionnment conduites par De Martino, du dbut des annes quarante au dbut des annes cinquante, pour faire se rejoindre et concider idalement lintellectuel organique et lethnologue chez soi. La premire est une guerre avec lui-mme comme chercheur, peine sorti de lemprise des fausses magies occidentales, pour trouver une issue thorique aux paradoxes conceptuels des logiques exotiques ou archaques. Les terrains loigns quil frquente alors mentalement, dans les pas des meilleurs explorateurs ou missionnaires ethnographes du dbut du xxe sicle, lui donnent la matrise de la description ethnographique. La seconde est celle du rfugi et du rsis-tant clandestin qui, durant la guerre civile, sengage dans une multiplicit de mouvements politiques, lchelle locale ou

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 17

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    nationale, pour traduire en actes les idaux dune religion de la libert . La troisime est celle du protagoniste , citoyen rformateur dune toute jeune rpublique qui, dans le contexte politico-culturel du mouvement noraliste, semploie faire concider les mthodes singulires et les exigences scientifi-ques du travail ethnographique avec les aspirations thiques dun renouveau des langages expressifs, au nom de valeurs culturelles progressistes.

    d

    Le chercheur qui dclare sengager dans un travail biographique na nullement faire au pass. Il ne peut, en effet, sabstraire de cette effer-vescence et de ces passions compliques, comme cest souvent le cas, par les problmes de droit de proprit intellectuelle qui, tour tour, lui ouvrent et lui ferment laccs aux traces matrielles dune existence, lvocation mmorielle, aux diverses archives rassembles par chaque collectif. Il faut en permanence dfaire les jeux subtils de pouvoir qui tendent, implicite-ment, immobiliser le chercheur dans le rle de scribe tour tour auto-ris ou rcus dun rcit collectif, en concurrence avec dautres rcits collectifs, pour construire une figure dexemplarit. Conserver une posi-tion dethnographe pour contribuer une histoire anthropologique de lanthropologie : tel aura t lenjeu de ces phases successives dimmersion dans et de mise distance dune fonction sociale de biographe .

    Jexprime tout particulirement ma gratitude Vittoria De Palma, Lia De Martino, Vera De Martino, Aurelio Macchioro, Felicit Nisio Cifarelli qui mont permis daccder des archives sans lesquelles ce travail naurait pas t possible.

    Nombreux sont les chercheurs qui ont accept de rpondre mes questions ou qui mont fait bnficier de remarques et de suggestions : Pietro Angelini, Gino Bendelli, Luciano Canfora, Dominique Casajus, Riccardo Di Donato, Jean-Jacques Glassner, Eugenio Imbriani, Cyril Isnart, ric Jolly, Jean-Baptiste Loubeyre, Elisa Miranda, Marika Moisseeff, Berardino Palumbo, Caterina Pasqualino, Claude Reichler, Anna Maria Rivera, Gino Satta, Valerio Severino, Adelina Talamonti, Martine Van Woerkens, Dionigi Albera, Daniel Fabre, Francesco Faeta, Jeanne Favret-Saada, Clara Gallini, Marcello Massenzio, Gabriele Palmieri mont fait partager, chacun leur faon, leur savoir et leur amiti en mouvrant leur mmoire, leur bibliothque ou en lisant divers tats du manuscrit.

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 18

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    Je remercie de leur attention et de leur aide les auditeurs de mon sminaire lEPHE, lAssociation internationale Ernesto De Martino, le Laboratoire dethnologie et de sociologie comparative de Nanterre, le personnel des Archives et de la Bibliothque Bonetta de Pavie, le Dpartement dtudes antiques de luniversit de Trieste, les archives municipales et les archives de la Curie piscopale de Naples, les ditions Laterza, le personnel de la salle Falqui la Bibliothque nationale Victor Emmanuel de Rome.

    Un grand merci Gabriele qui a cout ce livre scrivant.

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    P r e m i r e p a r t i e

    Entrer dans lhistoire...

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    d Album familial : Ernesto de Martino tudiant et militaire[Archives Vittoria De Palma].

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 21

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    Les paroles sont des pierresAprs lchec du Front dmocratique populaire aux lec-

    tions lgislatives davril 1948, qui met fin lespoir de voir sinstaurer en Italie un gouvernement progressiste, unissant les forces sociales et politiques qui se sont affirmes durant la Rsistance, la bataille culturelle prend le relais du combat poli-tique 1. Exprimentations sociales et entreprises ditoriales dans tous les domaines philosophie, littrature, arts, chro-niques et sciences sociales se relaient dans un mme souci de rendre aux hommes lintelligence dun monde rinventer. Ainsi, la demande du Parti communiste, la publication entre 1948 et 1952 par la prestigieuse maison ddition Einaudi des six volumes des Cahiers de prison de Gramsci, dont on ne connaissait alors quune analyse de la question mridionale et la correspondance entretenue en prison 2, fournit les instru-ments de pense ncessaires une double rupture scientifique et thique labandon de lidalisme crocien et lengagement de l intellectuel organique qui sont au cur du nouveau projet anthropologique. Deux revues qui font une large place aux sciences humaines Societ cre en 1945 par Bianchi Bandinelli et Cesare Luporini, comme revue culturelle du Parti communiste et, un peu plus tard, Nuovi Argomenti fonde par Alberto Moravia et Alberto Carocci en 1953 donnent au

    C h a p i t r e 1

    Toute historiographie est une autobiographie ...

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 22 e r n e s t o d e m a r t i n o

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    dbat sur le folklore nourri par la publication de la chronique de confinato du peintre et crivain Carlo Levi, Le Christ sest arrt Eboli (1945) et les analyses de Gramsci, un retentissement sans quivalent dans les autres pays dEurope 3. Par ailleurs, la rnovation des organisations syndicales aussi bien que lvanglisme socialiste qui anime de nombreux projets

    le mouvement Communaut fond en 1948 par Adriano Olivetti ou celui de Danilo Dolci en Sicile dveloppent des pratiques denqute sur les conditions de vie et de travail, les rapports de pouvoir, les savoir-faire techniques au sein de microsocits rurales et urbaines, en vue de leur rhabilitation conomique et politique 4. Ce faisant, le dbat sur la ou les cultures ne va pas rester confin aux problmes de rorganisation institu-tionnelle et scientifique, mais va traverser tout le champ des exprimen-tations sociales.

    tonnante richesse de ce moment historique, considrer les rali-sations les plus novatrices de lalliance entre avant-garde intellectuelle et mobilisation populaire, on assiste moins, comme on aurait pu le craindre, la mise en place de nouvelles formes dinculcation idologique, autrement

    1 Je reprends ici, avec quelques complments, une partie de mon article : Lethnologue et le citoyen , Gradhiva, Ernesto De Martino : un intellectuel de transition , no 26, 1999, pp. 83-98. d 2 La questione meridionale est parue dans Rinascita en fvrier 1945 ; les Lettere del carcere sont publies par Einaudi en 1947 comme premier volume de lentreprise ditoriale ngocie avec Togliatti. Elles ne seront traduites en France que six ans plus tard : Lettres de la prison, Paris, ditions sociales, 1953. d 3 Dorigine aristocratique, Ranuccio Bianchi Bandinelli (1900-1975) a renouvel lhistoire de lart antique et larchologie clas-sique travers son enseignement universitaire Pise, Cagliari, Florence, Rome. Fondateur de plusieurs revues dhistoire de lart et darchologie, il publie en 1948 son journal, Diario di un borghese, comme tmoignage dune trajectoire dintellectuel dsengag qui rejoint la rsistance clandestine, travers le passage de lidalisme crocien au marxisme et ladh-sion au pci en 1944. Le philosophe et critique littraire Cesare Luporini (1909-1993) a t llve de Heidegger Fribourg, entre 1931 et 1933. Il adhre dabord au libral-socialisme avant de rejoindre le pci. Tout comme Alberto Moravia, Alberto Carocci (1904-1972), ralli au Parti dAction en 1942, est un crivain et journaliste. En 1926, il a fond Florence la revue Solaria qui a fait connatre la littrature europenne en Italie et publie les premiers textes des nouveaux crivains de laprs-guerre. Originaire dune famille de socialistes pimontais, Carlo Levi (1902-1975) a fait des tudes de mdecine tout en commenant peindre et exposer ses tableaux. Avec Leone Ginzburg, il est responsable du mouvement Giustizia e libert pour le Pimont et la pninsule. En 1935, il est condamn au confino en Lucanie. Libr en 1939, il migre en France puis rentre en Italie en 1943, pour tre nouveau emprisonn jusquau 25 juillet. Militant du Parti dAction, il participe la libra-tion de Florence. Il sera lu snateur indpendant sur la liste du pci en 1963. Les textes du dbat sur le folklore ont t rassembls par Pietro Clemente, Maria Luisa Meoni, Massimo Squillacciotti : Il dibattito sul folklore in Italia, Milan, Edizioni di Cultura Popolare, 1976. d 4 Ingnieur et entrepreneur install Ivre, Adriano Olivetti (1901-1960) qui a sjourn aux tats-Unis et voyag en Union sovitique, rassemble lun des trois ples des groupes chrtiens et marxistes. Il entretient des liens troits avec la revue Esprit. La revue Comunit publie, rgulirement, des enqutes de caractre ethnographique et participe la valorisation des architectures paysannes rgionales. Originaire de la province de Trieste, Danilo Dolci (1924-1997) dcouvre en 1940 les villages de pcheurs de la Sicile occidentale. En 1950, il abandonne les tudes dingnieur, pour partager lexprience de Nomadelfia (communaut dinspiration chrtienne en milie), puis sinstalle Trappeto (Sicile) en 1952 o il entreprend de lutter contre la misre, le chmage et la mafia par la non-violence. En 1958, il cre le Centre dtudes et dinitiatives pour le plein emploi. Il publie plusieurs enqutes sur la situation socio-conomique de la Sicile. Dans les annes quatre-vingt, il se consacrera aux questions dducation. d

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 23l e s v i e s a n t r i e u r e s d u n a n t h r o p o l o g u e

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    5 Antonio Gramsci, Cahiers de prison, Cahiers 14, 15, 16, 17, 18, traduction F. Bouillot et G. Granel, avant-propos, notices et notes R. Paris, Paris, Gallimard, 1990 : Cahier 14, 59, p. 74 ; 64, p. 79 ; Cahier 15, 19, p. 130. Sauf indication contraire, nous nous rfrerons dsor-mais la traduction franaise, fonde sur ldition critique de lInstitut Gramsci, Quaderni del carcere, sous la direction de Valentino Gerratana, Turin, Einaudi, 1975, 4 vol. d

    dit une politique dunification sociale par lidologie, qu linvention des conditions dune prise de parole gnralise. Celle-ci se prsente, tout dabord, sous la forme dune intense valorisation du rcit biographique, largi tous les milieux sociaux, comme instrument de reconqute dune dignit sociale : la revendication dune position de sujet. Le souci premier des acteurs de cette mobilisation pour le droit une biographie nest pas, bien sr, dordre pistmologique. Et cependant, pour des raisons chaque fois diffrentes mais toujours lies des choix de vie personnelle, tous occupent, dans la socit locale o ils uvrent, une place singulire qui leur permet daccder une connaissance, la fois intime et distan-cie, de ses fonctionnements les plus subtils mais aussi les plus insaisissa-bles, et les plus opaques aux instruments habituellement dploys par les sciences sociales.

    Lactivit de connaissance qui accompagne les exprimentations sociales dans le Mezzogiorno prend la forme codifie denqutes de socio-logie applique et de psychologie sociale. Mais sinvente aussi, travers le travail de Rocco Scotellaro, de Manlio Rossi-Doria et de Carlo Levi, qui nest plus le confinato rduit limpuissance mais un tmoin actif de la condition paysanne et ouvrire en Calabre et en Sicile, ce que le peintre et crivain a, trs justement, appel une sociologie potique , fonde pour lessentiel sur le rcit biographique. Raconter sa vie, faire de sa vie une histoire est, en effet, la premire manire d entrer dans lHistoire , pour tous ceux et celles qui se rvoltent contre linjustice et la violence sociales. Cette prise de parole, prolonge par la mise en criture, na rien de spon-tan ; elle est sollicite et accompagne par ces mmes intellectuels qui veulent faire des hommes et des femmes du Sud des contemporains .

    Les rflexions trs aigus de Gramsci sur la valeur du rcit autobio-graphique pouvaient, dailleurs, justifier pleinement cette mobilisation. l acte dorgueil fond sur la croyance en loriginalit de son destin, Gramsci oppose une conception politique de lautobiographie comme description en acte des expriences civiles et morales qui transfor-ment une vie semblable mille autres vies pour louvrir une trajec-toire imprvisible. Et ce sont les Ricordi politici e civili de Guichardin qui lui viennent lesprit pour penser un projet autobiographique centr sur lexplicitation de leffort continu d un jeune Sarde du dbut du sicle

    provincial la puissance trois ou quatre pour sapproprier une culture europenne 5. Acte politique, dicter lenquteur sa biographie, ou faire soi-mme passer lcrit le rcit n dans la ferveur de la rencontre et de

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 24 e r n e s t o d e m a r t i n o

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    lchange, devient ainsi un pisode oblig dune longue lutte pour trans-former lexprience individuelle en savoir collectif. Devenir acteur de son histoire cest, dabord, devenir son nonciateur.

    I racconti sconosciuti [ Les rcits mconnus ] : sous ce titre, Rocco Scotellaro publie dans le premier numro de Nuovi Argomenti, en mars 1953, plusieurs textes crits par sa mre, Francesca Armento. Fils de paysans artisans de Tricarico, gros bourg de la province de Matera, dont Carlo Levi dcouvre, en 1946, la passion littraire et lengagement poli-tique il est, peine g de vingt-trois ans, le premier maire socialiste de Tricarico Rocco Scotellaro rejoint en 1950 lObservatoire dconomie agraire fond par le sociologue Manlio Rossi-Doria 6 Portici, o il parti-cipe la prparation dun plan rgional pour la Basilicate et au projet de cration dun Centre de sociologie rurale, en entreprenant une vaste enqute, commande par lditeur Vito Laterza, sur la culture paysanne du Sud. Figure emblmatique de militant et dcrivain paysan, il est aussi le mdiateur des anthropologues sociaux trangers qui conduisent des enqutes en Basilicate avec les financements amricains de lUnited Nations Relief and Rehabilitation Administration (unrra) 7. Sa mort prmature en dcembre 1953 interrompt un travail qui devait stendre la Campanie, la Calabre, la Lucanie et aux Pouilles. En prsentant aux lecteurs de Nuovi Argomenti les rcits maternels, qui seront republis dans Contadini del Sud, Rocco Scotellaro dcrit, de manire trs prcise, les multiples comptences dans lesquelles lactivit scripturaire de sa mre vient prendre place. Couturire, elle accueille les jeunes filles dans son atelier pour les aider confectionner leur trousseau ; assistante sociale , elle seconde parents et voisins aux noces et aux baptmes, prodigue ses soins aux malades et aux dfunts ; mais elle sert aussi dcrivain public pour les actes notaris, pour la correspondance avec les parents migrs et, parfois, pour les changes amoureux. Et ce sont, justement, toutes ces situations que Francesca Armento met au centre de ses chroniques villa-geoises. Mais Scotellaro est galement attentif la situation mme de lexercice dcrire, lequel prend possession de la personne comme une force difficile matriser :

    Le mtier de raconter Francesca Armento la appris et exerc en crivant des lettres pour les autres. Elle fait de vritables sances : elle prend dans le gros tas denveloppes apport par la commre la dernire lettre, la relit voix haute et vive allure, puis elle fixe avec ses lunettes la feuille blanche crire, alors

    6 Manlio Rossi-Doria (1905-1986) a adhr au Parti communiste italien la fin des annes vingt. Condamn par deux fois au confino, il est aussi exclu du pci, aprs le pacte germano-sovitique. Il sera membre du Parti dAction, puis du Parti socialiste. Cest lun des principaux spcialistes de la question mridionale et des problmes agricoles quil analyse lInstitut suprieur dagriculture de Portici. d 7 Friedrich Friedmann Matera (1950-1955), George Peck Tricarico (1950). d

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 25l e s v i e s a n t r i e u r e s d u n a n t h r o p o l o g u e

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    commencent les explications de la commre sur les faits dire et elle crit en suivant dune oreille ses paroles. Lorsquelle crit, ainsi absorbe, il lui arrive de ne plus voir ce qui peut arriver dans la maison, sil vient quelquun, si on lappelle dans la rue, si un petit neveu pleure, et elle tremble presque, tant son crayon court dun bord lautre de la feuille. Sa ponctuation est rare car lcrit suit le rythme du parler, ce parler recherch que lon adopte pour des vne-ments importants et ncessaires, ou pour communiquer au loin, ou pour cher-cher des explications la vie. Raconter, pour elle, cest mettre dans la tte dun autre ce quelle a dans sa propre tte 8. Ldition posthume de Contadini del Sud est prface par Manlio

    Rossi-Doria qui dirigeait alors, pour lUnesco, un programme de mono-graphies villageoises pour valuer lapplication de la rforme foncire. Nous lui devons de prcieuses informations sur les choix mthodologiques qui guidaient ce projet, longuement discut avec Carlo Levi, Vito Laterza, De Martino dont il guide les premiers pas dethnographe en laccueil-lant chez lui Tricarico 9. En aucun cas, le choix du rcit biographique ne rpond une quelconque valorisation de la vie prive et de lintrio-rit subjective. Il est li la ncessit dune autre approche du social, qui dpasse les habituelles partitions disciplinaires pour opposer la mca-nique des dterminismes politique, conomique, sociologique, lmer-gence de choix singuliers parmi les possibles disponibles, ou du moins lapprhension des formes imprvisibles dinteraction dune multiplicit de contraintes sociales et culturelles, dans lexprience intime dune situa-tion concrte. Sensible aux problmatiques de lanthropologie culturelle amricaine, mais dfiant lgard des technocrates imposant den haut des mesures inadaptes aux ralits locales, Rossi-Doria incitait son jeune assistant identifier des figures reprsentatives de la diversit du travail agricole dans le Mezzogiorno et des expriences personnelles face au chmage, aux choix politiques, aux transformations mises en uvre par la Rforme et les multiples plans de dveloppement. Lattention porte la pratique religieuse et aux recours magiques taient, sans doute, encou-rage par Carlo Levi et De Martino : lintrt que ce dernier porte, alors, aux innovations religieuses rpond ltonnant rcit autobiographique du mtayer Francesco Chironna luttant pour imposer sa nouvelle foi van-glique. Et, ce qui ne pouvait que rjouir Carlo Levi, le projet, nourri au dpart dexigences de scientificit, sinflchit progressivement, pour prserver une dimension potique qui rside, pour lessentiel, dans la diversit des registres de langage privilgis par chaque interlocuteur. Certains rcits sont dicts au biographe, dautres sont crits partir du

    8 Rocco Scotellaro, Luva puttanella, Contadini del Sud, Bari, Laterza, 1964, pp. 262-263. d 9 Manlio Rossi Doria, Prefazione Rocco Scotellaro, Contadini del Sud, Bari, Laterza, 1954. Sur les premires enqutes de De Martino Tricarico avec le jeune photographe Arturo Zavattini, fils du cinaste et crivain Cesare Zavattini, voir Francesco Faeta : Il sonno sotto le stelle : Arturo Zavattini e le prime fotografie etnografiche demar-tiniane in Lucania , Ossimori, no 8, 1997, pp. 57-67. d

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    T r o i s i m e p a r t i e

    Les guerres dun anthropologue...

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    d Ernesto de Martino avec les camarades , Matera, 1953.[Archives De Martino].

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 221

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    De Martino a trente-trois ans lorsquil publie, en 1941, son premier livre de chercheur, Naturalisme et historicisme en ethnologie, quil ddie Omodeo, son matre luniversit. Ethnologie, et non histoire des religions : comment dfinir le projet de cet ouvrage immdiatement entr au catalogue de Laterza, une maison ddition prestigieuse mais qui, jusqu prsent, ne sest jamais intresse ce savoir ? Il faut le rappeler demble : ce livre na eu aucune rception en France et, en Italie, il est vite devenu illisible. Remarqu au moment de sa parution par des milieux intellectuels contrasts, sur lesquels nous allons revenir, il a plus tard suscit lembarras des chercheurs historiens ou anthropologues agacs par le ton excessivement polmi-que du jeune auteur, la radicalit de ses jugements lencontre duvres fondatrices que lon stonne de voir rpudies en quelques lignes htives celle de Durkheim, par exem-ple alors que dautres, qui nous semblent depuis longtemps tre tombes dans loubli celle du pre Wilhelm Schmidt, en particulier font lobjet dune attention premire vue anachronique. La perspective biographique ici adopte permet-elle de redonner vie ce livre, en restituant lutopie anthropologique qui la port ? Il faut, pour se faire, se dtour-ner du texte lui-mme ou plutt dune stricte exgse philo-logique, pour se plonger dans le tourbillon de pense dont il nest que lcume la plus visible, tout en gardant lesprit la

    C h a p i t r e 1

    Le terrain loign...

    www

    .editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 222 e r n e s t o d e m a r t i n o

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    1 Archives De Martino, 1.13.3. d 2 Ernesto De Martino, Naturalismo e storicismo nellet-nologia, Bari, Laterza, 1941 [rd. : Lecce, Argo, 1995, p. 58]. d

    cartographie des politiques culturelles qui, dans la pninsule, contrlent, la veille de la Seconde Guerre mondiale, la pntration et le dveloppe-ment des sciences humaines. Seulement ainsi aura-t-on quelque chance de rendre nouveau perceptible le sens et laudace des gestes intellectuels dlibrment accomplis par De Martino, limmense travail solitaire dans lequel il sengage et qui reste largement invisible dans les premiers livres publis, lpret enfin des luttes idologiques qui ont entour, en Italie, la gense chaotique dune discipline aux contours incertains.

    Lide est un peu crue, mais il faut sy habituer

    De la tragdie du prsent, pense De Martino alors quclate la Seconde Guerre mondiale, toutes les explications politiques, conomi-ques, culturelles qui restent lintrieur des frontires europennes sont voues lchec et limpuissance. Il faut se rsoudre une ide un peu crue : parcourir les forts quatoriales, observer les sauvages tribus du continent noir, les civilisations primitives dAsie, dOcanie, dAfrique et dAmrique, sans oublier les documents que nous offrent la paloeth-nologie et le folklore 1. Dans une remarquable fidlit lui-mme, les motivations que lintellectuel public donnera, en 1949, de son travail dethnologue des magies primitives , reprendront trs exactement les termes dans lesquels, dix ans auparavant, le jeune chercheur exprime pour lui-mme, avant de les soumettre ses premiers lecteurs, limp-rieuse ncessit dun changement dhorizons et dune rforme discipli-naire. Nous ne disposons pas de tous les fils qui devraient nous permettre de comprendre la barbarie et la tragdie dans laquelle nous vivons. Le fil qui manque, crit-il dans lintroduction publie en 1941, est justement celui du monde primitif, comme on dit, de ce monde qui aujourdhui plus que jamais donne des signes de prsence, semblable une tradition fane qui reverdit, semblable un langage liturgique presque oubli qui revient au grand jour la mmoire 2. Mais ce monde primitif doit, lui-mme, tre regard avec des yeux neufs.

    Cest donc toujours proccup par la qute dune rponse la crise existentielle contemporaine que De Martino semble abandonner ses premiers programmes sur les formes antrieures de religion civile, pour reprendre son compte la double interrogation que se renvoient, au dbut du xxe sicle, la philosophie et lanthropologie : quelles formes de pense et de vie religieuse caractrisent les peuples primitifs ? Cest toujours anim de la mme question Notre poque est-elle capable de se

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 223l e s v i e s a n t r i e u r e s d u n a n t h r o p o l o g u e

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    3 Archives De Martino, 1. 14. d 4 E.E. Evans-Pritchard, La religion des primitifs travers les thories des anthropologues, Paris, Petite Bibliothque Payot, 1965, p. 6. d

    donner une religion 3 ? quil se dcide, pour y rpondre, emprunter dimprvisibles chemins de traverse. Aux changes entre le religieux et le politique dans lhistoire de lOccident, il substitue une autre enqute dont les horizons embrassent dsormais les quatre continents et dont les deux livres successivement publis, lun au dbut, lautre la fin du conflit mondial, ne rendent compte que fort partiellement. Les archives dmar-tiniennes en ont, heureusement, conserv dinnombrables traces notes de lecture, bibliographies, plans denqutes, brouillons darticles, de para-graphes ou de fragments de chapitres, rflexions personnelles qui nont fait lobjet, pour cette priode, que danalyses ponctuelles. Une premire lecture densemble fait apparatre tous ces matriaux comme lquivalent dun journal personnel, enregistrant lintense activit mentale qui nourrit et oriente la slection des objets particuliers sur lesquels se fixe le travail de pense : la surprise, alors, est de constater ltonnante continuit des objectifs poursuivis, travers lampleur des chemins parcourus et lht-rognit des moyens mis en uvre.

    Tous les spcialistes du religieux, pourra dire Evans-Pritchard en ouverture de la srie de confrences quil prononce en 1950, reconnais-sent que lanalyse comparative des pratiques primitives nous permet didentifier des proprits essentielles de la religion en gnral 4 . Dans le mme sens, De Martino a dcid que mditer les leons que dautres, avant lui, ont dj tires de la masse dinformations rapportes par des professionnels du rapport aux primitifs missionnaires, colons, voya-geurs, explorateurs tait la premire des tches accomplir avant dentre prendre, son tour, le voyage. Il sest donc plong dans la lecture des thoriciens anglais et allemands de la culture comme des classiques de la sociologie franaise : Tylor, bien sr ; toute luvre alors disponible de Lvy-Bruhl et les dbats quelle a suscits en France, en Angleterre, en Allemagne ; les grands textes de Durkheim ; des manuels dhistoire compare des religions : Pinard de la Boullaye ; les thoriciens du diffu-sionnisme et les manuels dethnologie de lcole historico-culturelle de Vienne : Foy, Graebner, Schmidt, Koppers ; quelques fonctionnalistes anglais : Radcliffe-Brown, Malinowski, Thurnwald. Et jugeant quaucune des boussoles disponibles ntait satisfaisante, il a commenc par se fabri-quer la sienne propre en tenant tous ces livres dune main, et de lautre les uvres de Benedetto Croce. Ce sont les quatre chapitres de Naturalisme et historicisme en ethnologie, qui entendent fixer les rgles dune ethnologie historiciste , cest--dire les bons et les mauvais usages de la catgorie de primitif , travers la critique des notions de mentalit, de religion, dhumanit primitives , lmentaires , primordiales . De Martino

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 224 e r n e s t o d e m a r t i n o

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    5 Tmoignage de Pasquale Inigo De Maria, 12 fvrier 1996, in Cesare Bermani, Tra furore e valore : Ernesto de Martino, Il de Martino, 1996, no 5-6, p. 42. d 6 Tmoignage de Mario Melino, 13 fvrier 1996, in Cesare Bermani, op. cit., pp. 44-45. d

    retrouve, ainsi, quelques-unes des questions canoniques de lanthropo-logie depuis que ce savoir, marqu par la rvolution darwinienne, inter-roge les socits les plus loignes de la civilisation occidentale pour y trouver limage de ce quelle a t : o, quand et en quel sens lhumanit est-elle primitive ? Les primitifs pensent-ils dune manire diffrente de la ntre ? Ont-ils une religion ou une magie ? Sa rflexion est alors dordre pistmologique et elle sattache, pour lessentiel, mettre en vidence lemprise, sur une pratique scientifique, des exigences thologiques de lglise catholique. Aussi bien, son livre est-il dabord une machine de guerre contre une confusion qui, en Italie, est toujours dactualit, au nom dune rigueur conceptuelle quil pense pouvoir trouver dans un idalisme philosophique, lhistoricisme crocien, quil a pourtant dabord cart comme incapable de rendre compte de la spcificit de la religion.

    La rencontre personnelle avec le Matre des intellectuels libraux de Bari a t, lvidence, dterminante. Quoi de plus enthousiasmant, trente ans, que de susciter la curiosit et lintrt dune imposante autorit intellectuelle et morale qui, de plus, bnficie du prestige de la dissidence ? Une rencontre que lon peut imaginer faite de sduction rci-proque, couter les rcents tmoignages de quelques-uns des jeunes gens qui purent observer, de prs ou de loin, la sociabilit de Villa Laterza. Le premier, Pasquale Inigo De Maria, fut dabord llve dAnna De Martino au lyce classique Orazio Flacco de la ville, avant de rejoindre le cercle le plus loign : De lavis dune personne de confiance, lorsque Croce venait Bari, il demandait tout de suite De Martino. Les autres, ctaient les correcteurs dpreuve. Tandis quavec De Martino, la discussion tait plus intense car elle se situait sur un plan culturel 5. Et dvoquer la jovialit de ses propres rapports amicaux avec De Martino que lon peroit, alors, comme un jeune professeur peine plus g que ses lves. Le second, Mario Melino, va faire partie du groupe clandestin de conjurs et sera, aprs la guerre, parmi les fondateurs du Parti dAction :

    Il tait trs ami de Croce et il venait de publier chez Laterza Naturalisme et historicisme en ethnologie, donc en 1941. Ctait un ami de Croce du fait, juste-ment, que la thorie quil dfendait tait diffrente de toutes les autres concep-tions, en Italie, sur ce sujet. Et je crois que Croce laimait beaucoup, puisquil a prsent le livre Laterza pour la publication. Je dois dire sincrement qu ce moment-l, il ny avait pas beaucoup de fans de cette thorie, parce quelle sortait vraiment de lordinaire. Mais une fois lu, le livre faisait une norme impression. Lui, cette poque, avait une perception des choses, une manire de les affronter, qui le rendait non seulement sympathique car on se sentait laise avec lui, mais qui tait presque, disons, un rapport de professeur lve. Cela dit, il tait aussi trs jovial, trs cordial, et trs amical avec nous 6.

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 345

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    Malgr lintense activit dploye au milieu des annes vingt par son fondateur, lhistoire des religions ne russit que partiellement exercer, dans lItalie mussolinienne, le rle fdrateur entre disciplines et spcialistes daires culturelles distinctes qui devait tre le sien. Il faut attendre la fin du rgime et la fin de la guerre pour que, sous cette mme dnomination, dautres outils denqute, de nouvelles rfrences conceptuelles, dautres proximits disciplinaires viennent nouveau questionner la lgitimit scientifique de son objet et rorienter lexercice de la compa-raison. En tmoigne ce fragment de trajectoire biographique qui vient bousculer la naissance, jusque-l admise, de lanthro-pologie dmartinienne.

    Au vu de limmense formation que le jeune chercheur sest invente, partir de lunivers intellectuel dominant dans les annes trente dans la pninsule italienne, il nest plus possible dinscrire exclusivement la gense de son uvre dans la filiation dune cole historique que dominerait la figure de Pettazzoni. Certes, De Martino demeure longtemps obsd par cet objet polmique la religion que lon nen finit pas de soustraire sa dfinition chrtienne, et par la qute dune dfinition a priori qui transformerait ce vocable de notre sens commun en instrument analytique pour toutes les socits, proches ou lointaines, vivantes ou mortes. Une qute qui le conduit parcourir lventail des disciplines historiques,

    pilogue...

    www

    .editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 346 e r n e s t o d e m a r t i n o

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    philosophiques, philologiques, psychologiques qui, en Occident, ont pris en charge lobjectivation dun ensemble distinct de phnomnes culturels penss comme homognes. Toutefois, tout comme les tudiants qui, Oxford ou Cambridge, recevaient pour conseil de mettre la distance exotique entre eux et leur premier terrain avant de revenir ven-tuellement en Europe, De Martino compose avec la cartographie locale des provinces du savoir, la faiblesse structurelle des sciences sociales et les comptences disponibles, pour se donner, par livres interposs, lquiva-lent dune initiation laltrit. En effet, considrer ses manires de lire et dcrire, la qualification danthropologie de cabinet si souvent employe pour caractriser la recherche conduite avant les enqutes en Lucanie et en milie-Romagne, parat singulirement rductrice. Lui reconnatre le statut dethnographie au second degr ce nest pas, bien sr, nier la spci-ficit de la confrontation empirique avec dautres mondes vcus mais cest tendre la lecture des textes scientifiques les mmes proprits de projection de soi et dincorporation de lexprience de lautre que nous sommes prts accorder notre rapport aux uvres de fiction.

    Avant de simposer dans lanthropologie italienne comme lanalyste des magies primitives et, quelques annes plus tard, de la christianisa-tion des rituels funraires du bassin mditerranen ainsi que de la forma-tion dun catholicisme coutumier, De Martino a, dabord, t lacteur passionn dune pluralit de mobilisations politiques empruntant leur efficace au registre de lengagement religieux. Aussi bien, les premires questions qui retiennent lattention du futur savant dplacent-elles, dans le registre dune exigence de scientificit, dintenses investissements intel-lectuels et existentiels, partiellement effacs par lauteur. Rtablir leur ralit empirique nous a, tout dabord, conduit concentrer notre enqute sur les annes davant-guerre les moins familires au public franco-phone, pour restituer tous les effets de sens de lexprience intime que De Martino possde du fascisme-religion. Car seulement ainsi se comprend la valeur de renversement structural de ce second moment dengagement politico-culturel et pas seulement idologique qui le fait passer dun programme de religion civile un programme de religion de la libert , puis de folklore progressiste .

    Outre une contre-ducation politique inscrite dans des pratiques humanistes dlaboration de la prsence soi, il aura fallu lexprience de la guerre, la lecture bouleversante de Gramsci et la dcouverte, tout aussi bouleversante, de la raison sensible luvre dans des rapports humains indits, pour remettre la religion civile sur ses pieds , selon la clairvoyante injonction reue de son ange tutlaire. Rtablir cette conti-nuit invite une constatation quil est bon de mditer : autant un enga-gement marxiste autorise, dans un premier temps, une gnralisation de

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 347l e s v i e s a n t r i e u r e s d u n a n t h r o p o l o g u e

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    la posture ethnographique, autant lengagement dans le fascisme-religion rend impraticable une ethnologie chez soi.

    Le devoir dingrence politique alors prescrit lethnologue nest ni une singularit dmartinienne, ni une singularit historique. On le sait, les premiers sociologues franais sinterrogeaient sur la manire de recrer le lien social dans des socits lacises soumises au bouleversement de lconomie industrielle et, en restaurant la dignit des populations colo-niales travers leurs savoir-faire techniques, lactivit dun Paul Rivet tait aussi bien politique que scientifique. Ce qui, en revanche, apparat bien comme une singularit dmartinienne cest le fait dtre durablement, tour tour, un praticien et un analyste de ces branchements des idiomes politiques et religieux dont le fascisme historique ne reprsente quune virtualit.

    Le parti-pris dethnographie dans les archives adopt pour dfamilia-riser cette gense labyrinthique dexigences existentielles et intellectuelles nous a conduit donner un sens inattendu lexpression ethnologie chez soi , habituellement employe pour dsigner la lgitimit des terrains europens. De Martino nest pas, comme son exact contemporain Jack Goody, un grand voyageur. Sil a sillonn la pninsule, si plus tard il se rendra en France et en Roumanie, pour de brefs sjours de travail, avant le milieu des annes cinquante il na jamais quitt lItalie. Mais, on la dit, il a beaucoup voyag en esprit, dans lespace et dans le temps, de la Sibrie la Terre de Feu en passant par la Grce, lAfrique centrale et lAustralie. Cependant, par ses relations de parent et par ltonnement intellectuel quelles ont nourri, ces lieux du voyage mental dont ses livres ont gard la mmoire, lon doit dsormais ajouter une autre rvolution mentale qui a, trs exactement, pris la forme que lhistoire de la discipline rserve, habi-tuellement, lpreuve personnelle de laltrit exotique. L encore, il a fallu dfaire lauteur construit par luvre et par la narration biographique qui la traverse, pour dcrire les modalits dimplication directe dans ces droutantes logiques daction qui permettent aux hommes de contrler ce qui, justement, chappe la matrise humaine. Chemin faisant, sest impose lintensit de la rencontre avec deux autres diversits culturelles

    la juive, lindienne que rien ne laissait prsager. En ce moment histo-rique o elles deviennent une exprience sensible et un objet de pense pour De Martino, elles ont en commun de placer dramatiquement en leur centre la question du devenir de la religion dans la construction diden-tits modernes. Question qui ne cesse de faire retour au rythme de la progression, en Allemagne, en Autriche et en Italie, de la catastrophe de lHistoire.

    Au terme de ce parcours dans luvre-vie de De Martino, jai acquis la conviction quil nous faut une autre histoire de lanthropologie.

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 348 e r n e s t o d e m a r t i n o

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    Le chercheur italien aura, une fois de plus, ouvert de nouvelles voies en nous incitant rviser nos faons dcrire la gense de nos pratiques savantes. En mefforant dcouter sa plainte, je nai srement pas dpli tous les sens qui sont enfouis en elle, mais il me semble que nous savons un peu mieux reconnatre une des figures didentification disponibles pour assumer la fonction danthropologue moderne lorsquil refuse la divi-sion entre comptence analytique et vocation subversive. Comme lartiste, celui-ci, ds lors quil nest pas un hritier de la reproduction universitaire, doit se donner un modle didentification : parmi les modles disponibles, celui de chaman inverse a, me semble-t-il, marqu ce moment nora-liste de lethnologie italienne. Les principaux registres de comptence que lon peut aujourdhui reconnatre ces experts de la mdiation cultu-relle se retrouvent, en effet, dans la diversit des registres daction poli-tique, thrapeutique, esthtique que De Martino sest fait un devoir demprunter. Et lanthropologue italien se serait certainement rjoui observer la vitalit des nochamans contemporains, lorsquils prennent en charge laffirmation politique de leurs peuples travers une tonnante inventivit culturelle que, dans un mouvement dinversion de lHistoire, ils entendent mettre au service du salut de la vieille Europe.

    Cette identification accompagne et prolonge une rvision dcisive, au plan conceptuel, des instruments disponibles pour dcrire la subtilit des techniques matrises par tous ces spcialistes religieux, lointains ou proches, en lesquels le Monde magique a invit reconnatre des hros qui ont su pactiser avec le chaos, autant dire des Christs magiques. Tandis que la crise du chaman lvi-straussien sera, limage de son savoir-faire, dordre intellectuel, les savoir-faire du chaman dmartinien, tout comme la crise qui lauthentifie, relvent dun registre communicationnel deffets sensoriels et motionnels rvl par une description que lon qualifierait, aujourdhui, de pragmatique. Le projet dhistoire gnrale des cultures dont le Monde magique, en tant que priode historique, entendait constituer le premier moment, se prsente, aussi bien, comme une gense provocante du sujet moderne. Lhybridation de thmes cassiriens et heideggeriens quelle ne cessera de mettre en uvre a dj longuement retenu latten-tion des commentateurs italiens. Ajoutons que, malgr lindiff rence lextrme varit empirique des situations sociologiques, leffet de moder-nit qui cohabite, trangement, dans ce livre avec la discussion dentre-prises obsoltes tient, tout autant, la manire dont De Martino se met lui-mme en scne dans une qute hroque de comprhension, qu la rcriture, dans une gale symtrie, des expriences contre-intuitives des primitifs et de leurs visiteurs dans un mme langage existentialiste. Sous cet angle, il appartient bien, en effet, au climat culturel qui a produit une version italienne de la charte mythique qui, dans les socits occidentales,

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 349l e s v i e s a n t r i e u r e s d u n a n t h r o p o l o g u e

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    sanctionne la reconnaissance dun hros culturel singulier, lethnologue de terrain.

    Avec pour horizon politique tous les mouvements de dcolonisation, ce moment de lanthropologie italienne participe de lintense mobilisa-tion des cinastes, des crivains, des photographes, des journalistes pour, travers un nouvel art de la chronique, refonder la langue parle, crite, visuelle dans son rapport la ralit. Se mettre lcoute de la voix anonyme dune poque : cette injonction qui a incit Italo Calvino entrer en criture a anim, aussi bien, tous ceux qui se sont, alors, exercs dans lurgence documenter des pans entiers de lunivers social proche, maintenus hors champ par la rhtorique du rgime, quil sagisse de la vie quotidienne dune rue, dun quartier, des mtiers des bois ou de la chambre dune voyante. Et lobjectivation, par un nouvel art de la descrip-tion, du catholicisme comme culture et comme coutume fut une exigence largement partage, avant de regagner lespace savant dune reconstruc-tion disciplinaire. Emprunt la critique cinmatographique, le terme noralisme sest, rapidement, impos pour dsigner, en de de toute cole et de tout manifeste esthtique, une atmosphre faite de rejets communs, dexprimentations et de thmatiques proches, inlassable-ment discutes au nom de valeurs et de rfrences relativement partages. Lhistoire culturelle a reconstruit pour chacune des principales formes expressives quil a affectes le cinma, la littrature, la peinture leurs modalits propres dactualisation dun pacte raliste valant comme geste politique. Plus rcemment, elle a aussi questionn limportance des fron-tires disputes et des espaces de circulation entre ces genres expressifs pour identifier les lments structuraux qui fondent la rupture nora-liste. Curieusement, ces remarquables analyses, qui rejoignent les int-rts de lanthropologie contemporaine, sarrtent la porte de latelier ethnologique.

    La proximit historique, les concidences et les affinits thmatiques de ce mouvement culturel avec la trajectoire de De Martino sont videntes. Toutefois, en qualifiant mon tour de noraliste ses pratiques denqute et son criture, je nentends pas seulement, par l, les contribu-tions quil a donnes aux dbats sur la responsabilit politique du crateur et sur lirruption du peuple en littrature, au thtre ou au cinma ; ni, non plus, les projets culturels quil a, un temps, cherch faire exister en leur apportant un avis dexpert soucieux de dprofessionnaliser lethno-graphie. Jentends une manire de pratiquer une sorte de matrialisme empirique, en suspendant la hirarchisation entre le politique, le social, le culturel dans les objets construits et en dfaisant la spcialisation des lieux de leur restitution fragmentaire par limage et lcriture grands quotidiens, presse interne de partis politiques, revues culturelles pour

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 350 e r n e s t o d e m a r t i n o

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    diffrents publics, magazines populaires pour brancher la diffrence ethnographique sur la vie quotidienne. Jentends aussi la valorisation dune pratique de lcoute, encore aussi inhabituelle en ethnographie que dans lanalyse politique o lon semploie, ordinairement, comme le notait Vittorio Foa, parler ou crire, moins pour dialoguer, que pour certifier une identit, laffiliation tel groupe, telle fraction, tel parti. Cette certifi-cation nest pas absente de lcriture dmartinienne de ce moment, mais elle passe vite au second plan, pour donner voir et entendre des rencon-tres, inscrites dans la matrialit des corps et des voix, de leurs attractions et de leurs rpulsions, indpendamment de toute analyse psychologique dtats dme individuels. La composition si singulire des textes dmar-tiniens, surtout lorsquils sont destins des revues culturelles savantes, assume dlibrment la rupture avec la langue acadmique pour une composition expressive qui se veut la forme ncessaire dun rve de dmo-cratie directe. La Cuciretta, Madeleine, Paolo Zasa, Angelo Venezia sont les hros minuscules dactions disperses, restitues de manire elliptique, dans la confusion des langues qui constituent le fonds sonore de leur vie quotidienne, non pour devenir lobjet dune rflexion humaniste, mais les hros minuscules qui parlent, vivent et rsistent, pour faire exister lhisto-rique au quotidien.

    Comme pour le cinma et la littrature, ce moment noraliste de lanthropologie italienne sera, la fois, phmre et dcisif. sa faon, la potique de limmdiatet quil a valorise ne fut quun moment de tran-sition pour reconstruire la discipline sur le plan institutionnel et, plus encore, au niveau de ses objets scientifiques et de ses modles cognitifs. Mais de cette ferveur lanthropologie dmartinienne gardera une trace indlbile : dans linsistance avec laquelle elle placera au cur de lanalyse des traitements culturels de la mort individuelle et du malheur, la descrip-tion du rite en action comme thtre vcu ; dans lambition renouvele de comparer lincomparable pour ouvrir lanthropologie de nouveaux objets, la littrature et les rgimes dhistoricit, dirions-nous aujourdhui ; dans le souci lancinant de fonder dautres ritualits civiles pour main-tenir, non lhorizon dune rdemption ou dun messianisme rvolution-naire, mais les exigences dun devoir tre : celui o la comprhension de la diffrenciation culturelle serait mise au service dune humanisation rciproque.

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 352 e r n e s t o d e m a r t i n o

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    d Lettre de Ernesto De Martino Vittorio Macchioro, 21 avril 1934, premire et dernire pages.[Archives Vittorio Macchioro].

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 353l e s v i e s a n t r i e u r e s d u n a n t h r o p o l o g u e

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 355

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    On trouvera dans cette bibliographie lensemble des livres publis ainsi que leurs rditions successives ; sagissant des articles et des correspondances, nous navons retenu que les principales publica-tions correspondant la priode tudie. On trouvera une biblio-graphie exhaustive sur le site de lAssociation internationale Ernesto de Martino (http ://www.ernestodemartino.it)

    LivresNaturalismo e storicismo nelletnologia, Bari, Laterza, 1941 (2e d. avec une

    introduction de Stefano De Matteis, Lecce, Argo, 1995).Guida per lo studio della Storia della Filosofia, ad uso dei licei classici e

    scientifici, Bari, Macr, 1941.Il mondo magico, Prelogomeni a una storia del magismo, Turin, Einaudi,

    1948 (2e d. 1958 ; 3e d. avec une introduction de Cesare Cases, Turin, Boringhieri, 1973 ; 4e d. Turin, Bollati Boringhieri, 1997 ; 5e d. avec une postface de Gino Satta, Turin, Bollati Boringhieri, 2007). Premire dition franaise : Le monde magique, Verviers, Marabout, 1971 (2e d. avec une postface de Silvia Mancini, Paris, Institut Sanofi-Synthlabo, Les empcheurs de penser en rond , 1999).

    Morte e pianto rituale nel mondo antico : dal lamento pagano al pianto di Maria, Turin, Einaudi, 1958 (2e d. Morte e pianto rituale : dal lamento funebre antico al pianto di Maria, Turin, Boringhieri, 1975 ; 3e d. avec une introduction de Clara Gallini, Turin, Bollati Boringhieri, 2000).

    Sud e magia, Milan, Feltrinelli, 1959 (2e d. Florence, Feltrinelli, 1993 ; 3e d. Milan, Feltrinelli, 1998). 1re d. franaise : Italie du Sud et magie, traduc-tion de Claude Poncet, Paris, Gallimard, 1963 (2e d., Paris, Institut Sanofi-Synthlabo, Les empcheurs de penser en rond , 1999).

    Bibliographie dErnesto

    De Martino...

    www

    .editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 356 e r n e s t o d e m a r t i n o

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    La terra del rimorso, contributo a una storia religiosa del Sud, Milan, Il Saggiatore, 1961 (rd. 1963, 1968 ; 4e d. avec une introduction de G. Galasso, Milan, Il Saggiatore, 1976). 1re d. franaise : La terre du remords, traduction de Claude Poncet, Paris, Gallimard, 1966 (2e d. Paris, Institut Sanofi-Synthlabo, Les empcheurs de penser en rond , 1999).

    dition anglaise : The Land of Remorse, A Study of Southern Italian Tarantism, traduc-tion et notes de Dorothy Louise Zinn ; prface de Vincent Crapanzano, Londres, Free Association Books, 2005.

    Furore, simbolo, valore, Milan, Il Saggiatore, 1962 (2e d. Milan, Feltrinelli, 1980 ; 3e d. avec une introduction de Marcello Massenzio, Milan, Feltrinelli, 2002).

    Magia e civilt, Milan, Garzanti, 1962.La fine del mondo, Contributo allanalise delle apocalissi culturali, sous la direction de

    Clara Gallini, introduction de Clara Gallini et Marcello Massenzio, Turin, Einaudi, 2005.

    Articles dans revues savantes (1933-1953) Il concetto di religione , La Nuova Italia (Florence), 1933, iv, pp. 325-329. I Gephyrismi , Studi e materiali di storia delle religioni (Rome), x, 1934, pp. 64-79. Alter e Ater , Religio (Rome), no 13, 1937, pp. 458-460. Ira deorum , Religio, 1938, 14, p. 77. Mentalit primitiva e Cristianesimo , Religio (Rome), no 14, 1938, pp. 241-249. Lineamenti di etnometapsichica , in Problemi di metapsichica, Rome, Societ Italiana

    di Metapsichica, 1942, pp. 113-139. Percezione extrasensoriale e magismo etnologico , Studi e materiali di storia delle

    religioni (Rome), xviii, 1942, pp. 16-19 ; xix-xx, 1943-1946, pp. 31-84. Magismo sciamanistico e fenomenologia paranormale , Metapsichica (Milan), no 3,

    1946, pp. 164-174. Intorno a una storia del mondo popolare subalterno , Societ (Florence), v, no 3, 1949,

    pp. 411-435. Ancora sulla storia del mondo popolare subalterno , Societ (Florence), vi, no 2, 1950,

    pp. 306-309. Note lucane , Societ (Florence), vi, no 4, 1950, pp. 650-667. Una spedizione etnologica in Lucania (30 settembre-31 ottobre 1952) , Societ

    (Florence), viii, no 4, 1952, pp. 735-737. Note di viaggio , Nuovi Argomenti (Rome), no 2, 1953, pp. 47-79 ; traduction franaise de

    Giordana Charuty, Daniel Fabre, Carlo Severi, Gradhiva, no 26, 1999, pp. 53-67. Etnologia e cultura nazionale negli ultimi dieci anni , Societ (Florence), ix, no 3, 1953,

    pp. 313-342.

    Articles dans journaux et magazines culturels (1929-1952) La crisi dellOccidente , Rivista del Gruppo Universitario Fascista Napoletano

    (Naples), no 2, 1929, pp. 27-28. Critica e fede , LUniversale (Florence), 17 septembre 1934, p. 4. Considerazioni attuali , LUniversale (Florence), 10 septembre 1934, p. 2. Noi e la religione , La Voce del popolo, i, no 14, 1944, 20 avril ; i, no 15, 25 mai. Noi e i cattolici , La Voce del popolo, i, no 16, 1944, 1er juillet.La Religione della Libert, Centre dtudes pil, 1944 Marxismo e religione , Socialismo (Milan), ii, 1946, pp. 55-56. La rappresentazione e lesperienza della persona nel mondo magico , Comunit (Ivrea),

    no 4, 1946, p. 12.

    w

    ww.editio

    nspa

    renthe

    ses.c

    om

    /Giordan

    aCha

    rutyEr

    nestoDe

    Martin

    o,Le

    sviesa

    ntrieures

    dunan

    thropo

    logu

    e/

    ISBN978-2-86364-156-9

  • 357l e s v i e s a n t r i e u r e s d u n a n t h r o p o l o g u e

    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

    I trenta di Masiera , Socialismo (Milan), ii, no 9-10, 1946, pp. 256-258. Terra di Bari, Relazione di Ernesto De Martino, Mario Potenza, Anna De Martino ,

    Quarto Stato (Milan), ii, no 25-26, 30 janvier-15 fvrier 1947, pp.