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M MICHEL MORANGE Georges Canguilhem et la biologie du XXe siècle/ Georges Canguilhem and twentieth-century biology In: Revue d'histoire des sciences. 2000, Tome 53 n°1. pp. 83-106. Résumé RÉSUMÉ. — Georges Canguilhem a réservé dans ses écrits une place limitée à l'étude des transformations intervenues au XXe siècle en biologie et, en particulier, à la révolution moléculaire. Le grand intérêt qu'il a porté aux modèles cybernétiques et aux métaphores informationnelles de la biologie moléculaire l'a empêché de percevoir que la nouvelle vision du vivant qui commençait à se mettre en place était proche du vitalisme rationnel qu'il avait visé à travers toute son oeuvre. L'étude des maladies génétiques ou les résultats obtenus par la technique d'inactivation génique illustrent bien ces nouvelles conceptions biologiques et leur résonance profonde avec les écrits de G. Canguilhem. C'est parce qu'il a cherché à élaborer une philosophie de la vie et non une philosophie de la biologie que G. Canguilhem a pu anticiper les transformations futures de cette science. Abstract SUMMARY. — Georges Canguilhem devoted only limited place in his various writings to the transformation of biology during the XXth century, in particular to the « molecular revolution ». He was fascinated by the models of cybernetics and the informational metaphors of molecular biology : this prevented him from realizing that the new vision of life which was being progressively constructed was very close to the rational vitalism that he was trying to outline throughout his life. The study of genetic diseases as well as the results obtained by the gene inactivation technology illustrate these new biological conceptions and their deep resonance with the major works of G. Canguilhem. The latter did not elaborate a philosophy of biology but a philosophy of life : this explains how he was able to anticipate the future transformations of this discipline. Citer ce document / Cite this document : MORANGE MICHEL. Georges Canguilhem et la biologie du XXe siècle/ Georges Canguilhem and twentieth-century biology. In: Revue d'histoire des sciences. 2000, Tome 53 n°1. pp. 83-106. doi : 10.3406/rhs.2000.2076 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_2000_num_53_1_2076

Georges Canguilhem et la biologie du XXe siècle

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M MICHEL MORANGE

Georges Canguilhem et la biologie du XXe siècle/ GeorgesCanguilhem and twentieth-century biologyIn: Revue d'histoire des sciences. 2000, Tome 53 n°1. pp. 83-106.

RésuméRÉSUMÉ. — Georges Canguilhem a réservé dans ses écrits une place limitée à l'étude des transformations intervenues au XXesiècle en biologie et, en particulier, à la révolution moléculaire. Le grand intérêt qu'il a porté aux modèles cybernétiques et auxmétaphores informationnelles de la biologie moléculaire l'a empêché de percevoir que la nouvelle vision du vivant quicommençait à se mettre en place était proche du vitalisme rationnel qu'il avait visé à travers toute son oeuvre. L'étude desmaladies génétiques ou les résultats obtenus par la technique d'inactivation génique illustrent bien ces nouvelles conceptionsbiologiques et leur résonance profonde avec les écrits de G. Canguilhem. C'est parce qu'il a cherché à élaborer une philosophiede la vie et non une philosophie de la biologie que G. Canguilhem a pu anticiper les transformations futures de cette science.

AbstractSUMMARY. — Georges Canguilhem devoted only limited place in his various writings to the transformation of biology during theXXth century, in particular to the « molecular revolution ». He was fascinated by the models of cybernetics and the informationalmetaphors of molecular biology : this prevented him from realizing that the new vision of life which was being progressivelyconstructed was very close to the rational vitalism that he was trying to outline throughout his life. The study of genetic diseasesas well as the results obtained by the gene inactivation technology illustrate these new biological conceptions and their deepresonance with the major works of G. Canguilhem. The latter did not elaborate a philosophy of biology but a philosophy of life :this explains how he was able to anticipate the future transformations of this discipline.

Citer ce document / Cite this document :

MORANGE MICHEL. Georges Canguilhem et la biologie du XXe siècle/ Georges Canguilhem and twentieth-century biology. In:Revue d'histoire des sciences. 2000, Tome 53 n°1. pp. 83-106.

doi : 10.3406/rhs.2000.2076

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_2000_num_53_1_2076

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Georges Canguilhem

et la biologie du xxe siècle

Michel Morange (*)

RÉSUMÉ. — Georges Canguilhem a réservé dans ses écrits une place limitée à l'étude des transformations intervenues au xxe siècle en biologie et, en particulier, à la révolution moléculaire. Le grand intérêt qu'il a porté aux modèles cybernétiques et aux métaphores informationnelles de la biologie moléculaire l'a empêché de percevoir que la nouvelle vision du vivant qui commençait à se mettre en place était proche du vitalisme rationnel qu'il avait visé à travers toute son oeuvre. L'étude des maladies génétiques ou les résultats obtenus par la technique d'inactivation génique illustrent bien ces nouvelles conceptions biologiques et leur résonance profonde avec les écrits de G. Canguilhem. C'est parce qu'il a cherché à élaborer une philosophie de la vie et non une philosophie de la biologie que G. Canguilhem a pu anticiper les transformations futures de cette science.

MOTS-CLÉS. — Vitalisme ; information ; biologie moléculaire ; maladies génétiques ; cybernétique.

SUMMARY. — Georges Canguilhem devoted only limited place in his various writings to the transformation of biology during the xxth century, in particular to the « molecular revolution ». He was fascinated by the models of cybernetics and the informational metaphors of molecular biology : this prevented him from realizing that the new vision of life which was being progressively constructed was very close to the rational vitalism that he was trying to outline throughout his life. The study of genetic diseases as well as the results obtained by the gene inactivation technology illustrate these new biological conceptions and their deep resonance with the major works of G. Canguilhem. The latter did not elaborate a philosophy of biology but a philosophy of life : this explains how he was able to anticipate the future transformations of this discipline.

KEYWORDS. — Vitalism ; information ; molecular biology ; genetic diseases ; cybernetics.

(*) Michel Morange, École normale supérieure, Département de biologie, Unité de génétique moléculaire, 46, rue d'Ulm, 75230 Paris Cedex 05.

Rev. Hist. ScL, 2000, 53/1, 83-105

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Confronter l'œuvre de Georges Canguilhem à la nouvelle forme de biologie, qui s'est mise en place pendant la seconde moitié du xxe siècle et pour laquelle nous adopterons, à défaut d'un meilleur terme, celui de biologie moléculaire, semble tâche ingrate. Non seulement cette science s'est développée apparemment dans une direction réductionniste, en totale opposition avec la philosophie du vivant dont les principales caractéristiques avaient été élaborées par G. Canguilhem dès ses premiers travaux (1), mais l'étude de la biologie contemporaine occupe dans l'œuvre du philosophe une place limitée, mineure, tant par l'extension des travaux qu'il lui a consacrés, que par la nature des jugements qu'il a portés sur son évolution.

Notre objectif dans cette contribution est, au contraire, de montrer qu'au-delà des réflexions souvent discutables de G. Canguilhem sur les transformations que subissait la biologie, la confrontation entre sa pensée la plus fondamentale sur le vivant et la nouvelle vision du monde biologique qui s'est progressivement mise en place est passionnante. G. Canguilhem a su définir les contraintes auxquelles toute explication du vivant devait se plier et, en cela, comme nous le montrerons, anticipé certaines des transformations récentes de la biologie moléculaire.

G. Canguilhem : une philosophie de la vie en réaction contre l'évolution de la médecine et de la biologie contemporaines

Claude Debru a très justement fait remarquer que « malgré son intérêt pour la biologie, l'identité fondamentale de G. Canguilhem était plutôt du côté de la médecine (2) ». Le premier ouvrage de G. Canguilhem, Le Normal et le pathologique, visait à replacer le patient au centre de la médecine, à redonner à la clinique la place que, peu à peu, le laboratoire lui avait dérobée. Les évolutions conjointes de la médecine et de la biologie ont été apparemment dans un sens opposé à celui souhaité par G. Canguilhem : la biologie contemporaine n'a fait qu'enrichir encore plus les moyens d'objectivation de la maladie, depuis la détermination en nombre toujours croissant des caractéristiques biochimiques des individus jusqu'à celle, plus récente, mais en développement très rapide, de

(1) Canguilhem, 1966, 1965. (2) Debru, 1995, 7.

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leurs caractéristiques moléculaires - la lecture directe de l'information contenue dans les gènes (3).

De même, le projet de nature réductionniste des biologistes contemporains - expliquer le fonctionnement du vivant par les propriétés de ses constituants moléculaires - heurte de front l'ambition de G. Canguilhem de redonner aux caractéristiques propres aux êtres vivants une place centrale en biologie (4). Même si G. Canguilhem acceptait, à la suite de Claude Bernard, que l'étude physico-chimique du vivant soit possible et même souhaitable, sa philosophie de la vie, d'inspiration holiste, s'opposait à celle des biologistes moléculaires (5).

Un intérêt limité pour la biologie contemporaine

Cela explique sans doute la faible part qu'occupent les travaux sur la biologie du xxe siècle dans l'œuvre de G. Canguilhem : quelques allusions dans La Connaissance de la vie, un article seulement parmi les Études d'histoire et de philosophie des sciences, une étude également dans Idéologie et rationalité, quelques allusions aux développements récents dans d'autres études du même ouvrage, enfin quelques mentions à des travaux de génétique biochimique dans la réédition de 1966 de l'ouvrage Le Normal et le pathologique (6).

Même lorsque les études historiques sont, selon G. Canguilhem lui-même, suscitées par le renouveau scientifique de la problématique comme Du développement à l'évolution au XIXe siècle ou « Le cerveau et la pensée » (7), bien peu est dit de ces travaux les plus récents. Sans doute l'épistémologie historique que développe G. Canguilhem demande-t-elle un écart dans le temps pour pouvoir se déployer et la mise en place de nouvelles rationalités ne peut-elle

(3) Avec la possibilité de prévoir, plusieurs années à l'avance, la survenue d'une maladie génétique comme la chorée de Huntingdon.

(4) Dagognet, 1997. (5) Du moins à la philosophie apparente des biologistes moléculaires. Une étude plus

attentive montre que le réductionnisme des biologistes moléculaires n'a toujours été que partiel : Morange, 1987. En outre (voir infra), la nouvelle biologie moléculaire qui s'est mise en place entre les années 1960 et 1980 est beaucoup moins réductionniste que celle élaborée par les pionniers de cette discipline.

(6) Les deux seuls textes consacrés directement à la nouvelle biologie sont dans : La nouvelle connaissance de la vie : Le concept et la vie, in Canguilhem, 1968, 335-364, et dans : Sur l'histoire des sciences de la vie depuis Darwin, in Canguilhem, 1977, 101-119.

(7) Canguilhem, Le cerveau et la pensée, in Georges Canguilhem, Philosophe, historien des sciences, 1993, 11-33.

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être appréciée qu'avec un certain recul. Il reste néanmoins étonnant que, par exemple, le développement de la génétique - mise à part l'attention portée par G. Canguilhem aux erreurs innées du métabolisme sur laquelle nous reviendrons - ait si peu suscité l'intérêt de l'historien. Sans doute les liens de cette discipline avec la médecine étaient-ils, à part le cas précédent, trop lâches : en quoi l'analyse génétique pouvait-elle aider le malade ? De la génétique, G. Canguilhem retient une leçon quasi unique, la mise en évidence des caractères fondamentaux de l'individualité (8). De même, si on trouve dans les écrits de G. Canguilhem plusieurs références à l'embryologie expérimentale (9), rien n'est vu du renouveau, dans les années soixante, de la biologie du développement. Seuls les résultats récents de l'immunologie sont pris en compte par G. Canguilhem (10), peut-être parce que certaines descriptions proposées par la nouvelle immunologie sont en résonance avec ses conceptions philosophiques : la notion de réseau immunitaire, la distinction du soi et du non-soi sont par leur appréhension holiste du fonctionnement de l'être vivant en décalage avec la conception réductionniste dominante de la biologie contemporaine.

Il était cependant impossible à G. Canguilhem d'ignorer que la biologie avait été transformée de manière radicale entre les années 1940 et 1960. Ignorance d'autant plus difficile que parmi les équipes dont les travaux engendrèrent cette révolution figuraient en bon rang des groupes français et que leurs leaders, non seulement diffusèrent largement les nouveaux résultats, mais les replacèrent dans l'histoire générale de la biologie et en examinèrent les conséquences philosophiques (11).

G. Canguilhem n'a le plus souvent de ces découvertes qu'une connaissance indirecte : l'histoire rapide qu'il en esquisse comporte des erreurs, tant de dates que de noms (12). Il n'utilise d'ailleurs

(8) Canguilhem, 1966, 210 ; Canguilhem, 1984, 122. Pour l'importance du concept d'individualité dans la philosophie de G. Canguilhem, voir Gayon, 1998.

(9) La formation du concept de régulation biologique aux xviif et XIXe siècles, in Canguilhem, 1977, 83-99, notamment 83 ; Aspects du vitalisme, in Canguilhem, 1965, 83- 100, notamment 89-90; Machine et organisme, in ibid., 101-127, notamment 119-120.

(10) Canguilhem, 1988, 23-24. (11) Lwoff, 1969; Monod, 1970; Jacob, 1970. (12) Par exemple, dans La nouvelle connaissance de la vie : Le concept et la vie, in Can

guilhem, 1968, la découverte de la structure en double hélice de Г ADN est datée de 1954 (au lieu de 1953) et attribuée à Wattson (au lieu de Watson) et Crick. Petites erreurs, mais récurrentes, qui soulignent le désintérêt de G. Canguilhem pour ces travaux et l'absence de consultation des sources primaires. De manière plus grave, l'histoire qu'il esquisse de la bio-

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qu'une seule fois le terme de « biologie moléculaire » et lui préfère en général celui, plus limité à la sphère d'influence française, de biochimie macromoléculaire (13). Par ailleurs, la description qu'il donne de ces résultats - les notions fondamentales de code génétique, de programme ou d'information - révèle des incompréhensions importantes (14).

De manière plus générale, le biologiste contemporain peut demeurer perplexe quant à la signification que G. Canguilhem confère à la révolution moléculaire. Lui qui avait su si bien distinguer la succession de rationalités différentes dans le champ de la médecine, a projeté sur la nouvelle biologie les rationalités antérieures, a lui-même adopté ce « classicisme de la rationalité » qu'il avait pourtant critiqué (15). Les deux erreurs d'interprétation les plus graves concernent le concept d'information.

La première est de surévaluer l'importance de la cybernétique et de la modélisation des phénomènes régulateurs. Canguilhem a - à juste titre - attribué une place majeure au concept de régulation dans l'histoire de la biologie, réalisant une étude sur sa formation aux xviiie et xixe siècles (16), qu'il a prolongée dans l'article régulation écrit pour Г Encyclopaedia universalis :

« [...] le concept de régulation recouvre aujourd'hui la quasi-totalité des opérations de l'être vivant : morphogenèse, régénération des parties

logie moléculaire dans Sur l'histoire des sciences de la vie depuis Darwin, in Canguilhem, 1977, est caricaturale : par exemple, A very, Mac Leod et Mac Carthy (au lieu de McCarty) sont censés avoir « démontré que les molécules d'ADN purifié transmettent d'une bactérie à une autre ses caractères héréditaires ». En 1971, lorsque ce texte est pour la première fois rendu public, et plus encore en 1977 lorsqu'il est publié, la place de cette expérience dans l'histoire de la biologie moléculaire a déjà été réévaluée (voir Morange, 1994, chap, in, pour une mise en perspectives de cette expérience).

(13) Voir par exemple Canguilhem, 1977, 24 et 130. Le terme de biologie moléculaire n'est utilisé à notre connaissance par G. Canguilhem qu'une seule fois, in Canguilhem, 1989a, 552.

(14) Deux exemples suffiront à illustrer notre propos : dans Le Normal et le pathologique (Canguilhem, 1966), Canguilhem écrit, p. 208, que « les enzymes sont les médiateurs par lesquels les gènes dirigent les synthèses intra-cellulaires de protéines ». Cette phrase est doublement incorrecte : elle distingue, de manière inutile dans ce contexte, les protéines et les enzymes ; elle introduit, de manière erronée, un intermédiaire (les enzimes) entre les gènes et les protéines. Dans Sur l'histoire des sciences de la vie depuis Darwin, in Canguilhem, 1977, 1 17, il est dit que « le code génétique est la conservation d'une information retenue après él

imination d'erreurs ». Georges Canguilhem confond - ce qui est assez courant mais, de sa part, plus étonnant - l'information génétique et le code génétique qui, lui, n'est qu'une règle de correspondance.

(15) Canguilhem, 1984, 112. (16) La formation du concept de régulation biologique aux XVlir* et XIXe siècles, in

Canguilhem, 1977, 81-99.

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mutilées, maintien de l'équilibre dynamique, adaptation aux conditions de vie dans le milieu. La régulation, c'est le fait biologique par excellence (17). »

L'évolution actuelle de la biologie ne dément en rien cette affirmation : l'étude des réseaux régulateurs - que nous décrirons rapidement plus loin - est un des domaines les plus actifs de la recherche biologique contemporaine.

De cette observation, G. Canguilhem tire deux conclusions que nous considérons comme inexactes. La première est historique : que la conjonction des disciplines - génétique, cytologie, microbiologie, biochimie - qui a engendré la biologie moléculaire a été rendue possible par l'ascendant exercé sur la pensée scientifique par la théorie de l'information et la cybernétique (18). Des travaux historiques, récents il est vrai, ont montré que les contacts entre spécialistes des sciences de l'information, cybernéticiens et biologistes moléculaires avaient été limités, souvent difficiles, et que l'usage - tardif - par ces derniers des termes informationnels était resté métaphorique (19). D'ailleurs certains de ces concepts avaient leur origine dans les travaux des biochimistes du métabolisme et des physiologistes. Leur introduction en biologie moléculaire n'était qu'un retour à la « maison mère », après un emprunt et une mise en forme par les cybernéticiens (20). La deuxième conclusion erronée selon nous est de voir le devenir de la biologie dans l'utilisation toujours croissante de modèles formels, issus en partie de la cybernétique (21). Qu'est devenu le principe d'ordre à partir du bruit, proposé par Henri Atlan, dans lequel G. Canguilhem espérait trouver la solution au problème de l'origine de l'information biologique (22) ? Contrairement à ce que pensait G. Canguilhem, l'interprétation des processus de régulation biologique ne cherche - pas plus aujourd'hui qu'hier - ses modèles les plus expressifs dans la théorie de l'information et dans la cybernétique. La biologie n'est toujours pas mise en forme mathématique, même, comme

(17) Canguilhem, 1989&, 712. (18) Canguilhem a plusieurs fois refait cette même analyse, dans Sur l'histoire des scien

ces de la vie depuis Darwin, in Canguilhem, 1977, 1 10 ; Canguilhem, 1966, 208, et 1989e, 552. (19) Kay, 1995, 1997. (20) Holmes, 1995. (21) Sur l'histoire des sciences de la vie depuis Darwin, in Canguilhem, 1977, notam

ment 110-111 et 118-119; Canguilhem, 1989A, 712. (22) Atlan, 1972, cité par G. Canguilhem, 1989a, 552.

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l'avait proposé René Thom, en utilisant cette branche de la mathématique qu'est la topologie (23).

Que penser de cette erreur d'appréciation de la part de G. Canguilhem ? S'agit-il d'un simple retard dans l'évolution de la biologie et G. Canguilhem aurait-il, malgré tout, raison? Rien, dans l'histoire récente de cette discipline, ne le montre. Il semble que G. Canguilhem ait oublié ce qu'il avait lui-même écrit de la rationalité et qu'il ait cherché à déduire le développement de la biologie à partir du chemin que les sciences physiques avaient suivi :

« Cette révolution dans l'objet et cette révolution dans l'optique n'eussent pas été possibles si les sciences physiques n'avaient commencé par donner l'exemple. Parce que les physiciens et les chimistes avaient, en quelque sorte, dématérialisé la matière, les biologistes ont pu expliquer la vie en la dévitalisant (24). »

Interprétation d'autant plus regrettable que l'évolution paradoxale de la biologie, cette transformation profonde sans formalisation, sans utilisation de l'outil mathématique, démontre ce que G. Canguilhem a affirmé dans tous ses écrits : que la biologie n'est pas une science comme les autres, a une originalité profonde qui la distingue des autres disciplines (25).

Dans ses derniers écrits, il a cru trouver les racines de cette originalité dans la découverte d'un texte au cœur du vivant. Découverte aux connotations aristotéliciennes, permettant de comprendre comment le concept peut appréhender la vie puisqu'il est niché au cœur de celle-ci (26). Cette vision est séduisante, mais naïve, car elle repose sur une conception erronée de ce que sont les gènes, et de la nature du « texte » génétique.

Il peut paraître injuste de reprocher à G. Canguilhem une erreur d'interprétation qui fut et demeure encore celle de nombreux biologistes. Cette erreur est double : elle est d'abord de ne pas avoir compris la nature du code génétique. Celui-ci est une relation parfaite entre l'enchaînement des constituants élémentaires de I'adn,

(23) La nouvelle connaissance de la vie : Le concept et la vie, in Canguilhem, 1968, et notamment 362-363 ; Thom, 1972.

(24) Sur l'histoire des sciences de la vie depuis Darwin, in Canguilhem, 1977, 119. (25) Voir par exemple La question de la normalité dans l'histoire de la pensée biolo

gique, in Canguilhem, 1977, 121-139, notamment 124 ; Canguilhem, 1989a et La nouvelle connaissance de la vie : Le concept et la vie, in Canguilhem, 1968, 335-364.

(26) Canguilhem, 1966, 209 ; La nouvelle connaissance de la vie : Le concept et la vie, in Canguilhem, 1968, 335-364.

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les nucléotides, et celui des constituants de base des protéines, les acides aminés. De cette correspondance, il ne faudrait pas déduire que la structure des protéines, leur activité, est contenue dans le message codé par I'adn. Cette structure résulte du repliement, guidé par les lois de la physique et de la chimie, d'une longue chaîne polypeptidique. Le codage de la structure des protéines est le résultat de la sélection naturelle qui a établi une relation forte entre une séquence d'ADN et une structure protéique particulière et a éliminé toutes les protéines mal repliées, peu actives. Cette relation - entre la structure d'un gène et celle, tridimensionnelle, de la protéine - est donc historique et non logique. L'adn n'est pas le support d'une information qui définirait la structure des composants élémentaires du vivant : il est simplement l'information qui permet aux cellules de reproduire la structure de ces composants. Les gènes n'ont pas non plus précédé les êtres vivants, n'ont pas permis la vie (27). Le texte génétique a suivi l'invention de la vie, comme l'écriture a suivi la parole. La vie serait possible sans texte génétique : l'invention du code génétique a simplement décuplé ses possibilités d'évolution. Les gènes ne sont pour les êtres vivants qu'une mémoire.

Pourquoi G. Canguilhem a-t-il adopté si facilement la vision naïve des biologistes et identifié I'adn à un texte ? Comme nous l'avons vu, cette identification semblait pouvoir expliquer pourquoi une connaissance du vivant était possible. Elle révèle, de la part de G. Canguilhem, une incompréhension de la nature de la « révolution » qui s'est opérée dans la biologie contemporaine. Il existe une branche entière de cette dernière que G. Canguilhem ne mentionne jamais, la biologie structurale, l'étude de la forme des molécules. Pour elle, les remarquables propriétés des êtres vivants reposent sur la forme élémentaire de leurs molécules, qui permet leurs fonctions et conditionne leurs interactions. Son représentant le plus important pour l'histoire de la biologie moléculaire est Linus Pauling (28).

A la décharge de G. Canguilhem, il faut reconnaître que la place de cette biologie structurale et de Linus Pauling dans le déve-

(27) Les biologistes s'accordent aujourd'hui à penser- que I'adn a été une invention tardive de la vie. Le premier monde vivant ne contenait qu'un type de macromolécules, les molécules d'ARNs, capables à la fois de s'autorépliquer et d'avoir des fonctions structurales et catalytiques, in Maurel, 1997.

(28) Hager, 1995.

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loppement de la nouvelle biologie n'a pas été suffisamment reconnue (29), particulièrement en France où, pour des raisons historiques complexes, cette branche de la biologie moléculaire s'est développée avec beaucoup de retard. Cette méconnaissance du rôle fondamental de la biochimie structurale explique en grande partie l'attention disproportionnée portée - par G. Canguilhem avec beaucoup d'autres - aux métaphores informationnelles.

Notre regard sur l'œuvre de G. Canguilhem, à l'issue de cette première partie, peut sembler sévère : G. Canguilhem n'a pas été un observateur attentif et perspicace des développements de la biologie moléculaire. Heurté sans doute par le réductionnisme parfois brutal de ses premiers partisans, il n'a pas su deviner les signes annonciateurs d'une transformation beaucoup plus complexe de la biologie. Un de ses principaux handicaps était de ne pas se référer directement aux publications des biologistes moléculaires et de se contenter de la vision atypique qu'en donnaient ses divulgateurs. En cela, G. Canguilhem était l'héritier et le prisonnier d'une tradition épis- témologique française, trop fermée sur elle-même et peu encline à se pencher directement sur les travaux récents des scientifiques. Peut-être, simplement, G. Canguilhem a-t-il vérifié à ses dépens les mots mêmes qu'il avait empruntés, dans Le Normal et le pathologique, à la suite de Koyré, à Whitehead :

« Les sciences se font des emprunts mutuels mais ne s'empruntent généralement que des choses vieilles de trente ou quarante ans. Ainsi les présuppositions de la physique de mon enfance exercent aujourd'hui une influence profonde sur la pensée des physiologistes (30). »

Le philosophe G. Canguilhem n'a pas su emprunter à la nouvelle biologie ce qui aurait conforté ses intuitions : c'est la biologie du début du siècle qui lui a servi de modèle.

Quel dommage que G. Canguilhem n'ait pas porté sur l'histoire de la toute jeune biologie moléculaire le même regard critique que celui qu'il a su porter sur celle du concept de réflexe (31). Car il y aurait trouvé une confirmation éclatante de beaucoup de ses études antérieures. Par exemple, c'est dans les conceptions vitalistes de Bohr et de son élève Max Delbriick (32) que, à travers la formation du groupe du phage, la biologie moléculaire a trouvé le moteur

(29) Sauf dans l'ouvrage de Kay, 1993. (30) Canguilhem, 1966, 65. (31) Canguilhem, 1955. (32) Kay, 1992 ; Fischer and Lipson, 1988.

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principal de son développement. Existe-t-il meilleur exemple de ce que les vitalistes ont été plus importants pour le développement de la biologie que les mécanistes (33) ?

Notre ambition dans la suite de cet article sera de montrer que, par-delà l'appréhension discutable que G. Canguilhem a eue de la biologie moléculaire, celle-ci n'en a pas moins commencé à dessiner une nouvelle rationalité du vivant, en l'occurrence très proche du vitalisme rationnel que G. Canguilhem avait visé à travers toute son œuvre.

Vers une nouvelle rationalité du vivant

Si la biologie contemporaine a si profondément transformé la vision du vivant, c'est d'abord parce qu'elle a su mettre au point des techniques lui permettant de modifier en douceur ce dernier. G. Canguilhem avait stigmatisé les expériences, souvent traumatisantes, de la physiologie - telle l'ablation d'organes - et montré tout l'intérêt des expériences - plus douces - de déplacement d'organes pour connaître la fonction de ceux-ci (34). Les biologistes moléculaires font mieux encore : ils peuvent pénétrer jusqu'au cœur des êtres vivants, altérer un seul gène, substituer à la copie en place, exactement à la même position, une copie légèrement modifiée, à l'activité altérée. Nul doute que de telles techniques ont largement contribué à façonner le nouveau rationalisme du vivant. Dans l'article vie de Y Encyclopaedia universalis, G. Canguilhem avait montré que, pour ses besoins techniques, l'homme avait toujours contrôlé les êtres vivants de manière différente des objets inertes, en respectant la vie (35). En conséquence, toute explication analytique de la vie s'en trouvait inconsciemment censurée. La transgenèse permet de lever cet obstacle épistémologique et psychologique à une connaissance analytique de la vie : cette technique permet de respecter la vie, tout en altérant les molécules qui permettent cette vie.

Un bon point de départ pour découvrir la nouvelle vision du vivant proposée par les biologistes - et montrer combien elle est en

(33) Aspects de vitalisme, in Canguilhem, 1965, 83-100, notamment 89-94. (34) Pathologie et physiologie de la thyroïde au XIXe siècle, in Canguilhem, 1968,

274-294. (35) Canguilhem, 1989a, 549.

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résonance avec les intuitions de G. Canguilhem - est de se pencher sur le problème des maladies génétiques, ces erreurs innées du métabolisme comme les avait baptisées leur découvreur, Archibald Garrod (36). G. Canguilhem a porté sur ces maladies un regard attentif (37). La démonstration du fait qu'elles résultaient très souvent d'une modification ponctuelle d'un gène, du remplacement d'un nucléotide par un autre, confirmait de manière éclatante sa théorie que la maladie ne provient pas d'un excès ou d'un défaut du fonctionnement normal, mais consiste en un mode différent de fonctionnement de l'organisme. En même temps, l'existence de ces maladies posait à G. Canguilhem un redoutable défi : car elles semblaient exister de manière indépendante de l'individu qui en était affecté. La maladie trouvait son objectivité non, comme l'avait toujours pensé G. Canguilhem, dans la conscience du malade, mais dans la structure d'une macromolécule présente au cœur des cellules de l'organisme. G. Canguilhem n'eut de cesse de dissocier le défaut moléculaire et la maladie : une même mutation peut engendrer des troubles d'intensité très variable chez des individus différents. Le fait qu'une mutation génique conduira ou non à une maladie dépend des autres gènes, mais aussi de l'environnement, du milieu, du mode de vie : bel exemple que l'anomalie n'est pas en soi une maladie et que l'anormalité n'apparaît que dans les relations avec un milieu particulier. Cette leçon de G. Canguilhem est toujours actuelle. Aujourd'hui où les biologistes disposent de moyens de plus en plus puissants pour repérer des altérations mineures du génome, le risque est grand de faire d'individus bien-portants des malades « objectifs » (38).

La génétique des populations permet même d'aller plus loin et d'éliminer le terme d'anomalie génique : il n'existerait que des formes géniques différentes qui, dans un milieu particulier, donnent, aux individus qui les portent, un avantage ou un désavantage reproductif. G. Canguilhem refusa cependant cette version panglos- sienne du néodarwinisme, selon laquelle il n'existerait pas de formes géniques « anormales » et l'unicité de notre composition génique serait toujours « bienvenue ». Bel exemple de courage intel-

(36) Garrod, 1909, rééd. 1963. (37) Canguilhem, 1966, 207-218 ; La question de la normalité dans l'histoire de la

pensée biologique, in Canguilhem, 1977, 121-139, notamment 135. (38) François Gros, Hommage à Canguilhem, in Georges Canguilhem, Philosophe, histo

rien des sciences, 1993, 104-109.

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lectuel de sa part, car en acceptant l'idée qu'il existe de « mauvaises » formes des gènes, G. Canguilhem remettait en cause la généralité de son interprétation de la maladie.

S'il y a donc erreur objective, il y a possibilité de correction, et l'espoir d'une guérison complète. Il est difficile, et même dangereux, de soigner des maladies qui correspondent à un nouvel équilibre, à un nouvel ordre de vie : il est par contre possible et souhaitable de soigner des troubles résultant de la simple erreur d'un copiste. Lorsque G. Canguilhem décrivait les maladies génétiques dans Г addendum à la nouvelle édition de l'ouvrage Le Normal et le pathologique, la correction de telles erreurs restait de l'ordre du virtuel. Tel n'est plus le cas aujourd'hui : les outils existent - ou existeront d'ici peu - pour éliminer les erreurs du texte génétique. Quelle attitude avoir face à ces nouvelles possibilités ? Le conseil que donne G. Canguilhem reste toujours aussi pertinent :

« On n'en conclura pas cependant à l'obligation de respecter un "lais- ser-faire, laisser-passer" génétique, mais seulement à l'obligation de rappeler à la conscience médicale que rêver de remèdes absolus c'est souvent rêver de remèdes pires que le mal (39). »

II est très intéressant de voir comment l'élucidation des mécanismes responsables de plusieurs centaines de maladies génétiques - à l'époque où G. Canguilhem écrivait, seules quelques maladies, dont la phénylcétonurie et l'anémie falciforme, avaient trouvé une explication moléculaire - a entièrement confirmé le point de vue de G. Canguilhem que la maladie est un nouvel état, une nouvelle manière d'être des organismes vivants, le résultat d'un processus dynamique et non une simple altération quantitative de l'état normal.

Il suffira d'un seul exemple pour illustrer notre propos, celui de la chorée de Huntington. Cette maladie génétique, dite dominante - car il suffit qu'une seule des deux copies du gène soit altérée pour que les individus porteurs en soient atteints -, entraîne, en général après l'âge de quarante ans, des anomalies graves du comportement, liées à une dégénérescence du système nerveux central, et la mort.

L'isolement du gène, dont la modification conduit à la maladie, a été particulièrement long et difficile, mais le résultat s'est révélé très instructif. La maladie résulte de l'insertion dans la huntingtine,

(39) Canguilhem, 1966, 212.

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protéine codée par ce gène, d'un nombre variable de résidus d'un même acide aminé, la glutamine. Plus ce nombre est grand, plus la maladie a une incidence précoce. L'erreur à la base de la maladie génétique est bien une erreur de copiste, une sorte de bégaiement pathologique.

Qu'en est-il du lien entre la maladie et la fonction normale du gène ? L'inactivation, chez l'animal, de ce gène engendre des anomalies de développement du système nerveux, mais ne mime pas la maladie. A l'inverse, la production, à l'intérieur de cellules nerveuses saines, du seul fragment de la protéine contenant les répétitions de glutamine suffît à faire apparaître la maladie (40).

Le chemin qui va de la modification génique à la maladie est long : on pense aujourd'hui que les insertions monotones de l'acide aminé glutamine perturbent les fonctions cellulaires. Ces dysfonctionnements provoquent la mise en route d'un programme de mort cellulaire dont le rôle est d'éliminer les cellules anormales ou en surnombre (41). La maladie est le résultat de la disparition des neurones dans des zones particulières du cerveau où la protéine hun- tingtine est normalement exprimée.

La maladie n'est donc pas une conséquence directe de la mutation du gène, mais la conséquence néfaste de la lutte que l'organisme a entreprise contre la modification protéique qui résulte de cette mutation génique. Comment comprendre la maladie sans connaître le fonctionnement des neurones, l'organisation du cerveau et ce mécanisme adaptatif, du moins habituellement adaptatif, que constitue la mort cellulaire ?

G. Canguilhem, à partir des exemples de l'anaphylaxie et des maladies de l'adaptation, réactions démesurées de l'organisme face à une agression, en avait déduit que toute maladie est un processus dynamique (42), la réponse de l'organisme aux changements auxquels il a dû faire face. Il eût trouvé, dans les maladies génétiques, de multiples confirmations de cette vision.

L'étude des maladies génétiques n'est qu'une loupe grossissante permettant de voir combien la nouvelle biologie est plus holiste que ne l'était l'ancienne. Paradoxe, puisque cette nouvelle biologie est

(40) Mangiarini et al, 1996. (41) Morange, 1998a. (42) Canguilhem, 1966, 138, 204-206.

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en grande partie née de la recherche d'une explication des phénomènes du vivant au niveau des molécules qui les constituent, et donc d'une approche réductionniste (43).

La transformation de la biologie moléculaire, son retour vers une vision plus intégrée des phénomènes vivants, s'est opérée silencieusement pendant les années 1960-1980. Cela s'est traduit du point de vue institutionnel par la survie ou même le développement de disciplines, telle la physiologie ou la biologie cellulaire, qui avaient paru menacées par la croissance rapide de la biologie moléculaire dans les années 1960 (44). Dès 1971, G. Canguilhem avait pressenti que l'étude, par les physiologistes, des processus d'intégration nerveux ou hormonaux conservait toute sa signification spécifique et n'était nullement menacée par l'essor de la biochimie et de la génétique (45). Nous avons montré, dans une étude antérieure (46), que cette transformation de la biologie est venue de l'étude, par les biologistes moléculaires, des organismes supérieurs, après celle des bactéries. Elle correspond au renoncement à une « idéologie » moléculaire (47) : les biologistes moléculaires ont découvert, souvent à leur corps défendant, qu'ils ne pouvaient expliquer les phénomènes physiologiques ou pathologiques complexes, comme le développement embryonnaire ou la formation de tumeurs, directement à partir de la structure des molécules. Car le vivant a une organisation hiérarchisée qui donne à chaque niveau son pouvoir et son autonomie. Comment expliquer le développement embryonnaire si on ne comprend pas que ce sont les cellules - et non les gènes qu'elles portent - qui vont interpréter les signaux de l'environnement, se diviser, migrer ou se différencier ? De même, si la mutation d'un gène peut entraîner la formation d'une tumeur, c'est parce que les cellules qui portent la forme mutée de ce gène ont acquis des propriétés de mobilité, d'interaction avec leurs voisines, qui les distinguent des cellules normales.

(43) Voir par exemple Kay, 1993. Tous les fondateurs de la biologie ne partageaient cependant pas cette vision réductionniste (cf. supra, n. 32).

(44) La place de la biologie moléculaire parmi les autres disciplines biologiques, in Morange, 1994, chap. XXI, 320-332 ; id., 19986.

(45) Sur l'histoire des sciences de la vie depuis Darwin, in Canguilhem, 1977, 101-119, notamment 117-118.

(46) Morange, 1998c. (47) Le réductionnisme dogmatique des premiers biologistes moléculaires est un bel

exemple d'idéologie dans les sciences contemporaines : G. Canguilhem, Qu'est-ce qu'une idéologie scientifique ?, in Canguilhem, 1977, 42-43.

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L'étude au niveau cellulaire n'est pas non plus suffisante pour décrire des phénomènes aussi complexes : c'est au niveau de l'organisme entier que les processus biologiques prennent leur sens, trouvent leur explication. Le développement d'une tumeur n'est pas seulement la mutation d'un ou de quelques gènes, ni même la formation de cellules individuelles aux propriétés nouvelles, mais surtout l'apparition d'une masse de cellules capables de se nourrir en attirant les vaisseaux sanguins et d'échapper ou de repousser les attaques du système immunitaire. Le développement embryonnaire est l'assemblage complexe d'un ensemble de cellules, la prolifération de certaines, la disparition d'autres. La mort cellulaire, active, « programmée », bien que décrite depuis le xixe siècle (48), n'a vu son importance reconnue que ces dernières années. Les gènes impliqués dans le programme de mort cellulaire ont été isolés et caractérisés. Leur description moléculaire n'est cependant pas suffisante car le phénomène lui-même ne trouve sa raison d'être qu'au niveau de l'organisme entier. Seul ce dernier peut se permettre de sacrifier certaines cellules, lorsqu'un organe entre dans une phase de ralentissement de son activité, ou encore lorsqu'il s'agit de sculpter la forme que prendra l'organisme adulte. Par exemple, les cellules situées entre les doigts qui donneraient à nos mains, si elles n'étaient éliminées, la forme de palmes, sont soumises au phénomène de mort cellulaire programmée (49).

L'attention que ce phénomène reçoit aujourd'hui de la part des biologistes moléculaires est emblématique de la nouvelle biologie. Le fonctionnement de l'organisme - et ses dysfonctionnements - ne trouve pas son sens seulement dans la hiérarchie de structures qui forme l'organisme. Toute cellule possède déjà de nombreuses voies de signalisation et des réseaux régulateurs : elle est ainsi construite pour répondre aux sollicitations du milieu extérieur. Un organisme aussi simple que la levure consacre au codage des composants de ces réseaux une part importante de son génome. Ce sont ces mêmes voies que les organismes supérieurs utilisent pour se bâtir. Le concept de réseau régulateur occupe aujourd'hui une place centrale. Il est un des composants de cette nouvelle rationalité du vivant que l'étude moléculaire a engendrée. Il permet de réconcilier l'unité de l'organisme avec la division de ce dernier en

(48) P. Clarke and S. Clarke, 1996. (49) Morange, 1998a.

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cellules indépendantes. La solution proposée par la biologie contemporaine est plus satisfaisante que celle avancée par G. Can- guilhem dans «la théorie cellulaire», inspirée - trop inspirée - par les recherches effectuées en Union soviétique (50). Dans ce cas-là comme dans beaucoup d'autres, le mérite de G. Canguilhem n'est pas d'avoir trouvé les solutions aux paradoxes posés par la recherche en biologie mais d'avoir mis en évidence ces paradoxes, souvent occultés par les chercheurs ; excellente démonstration que le travail du philosophe est important quand il ne se substitue pas à celui du scientifique.

Quels ont été, en plus de l'étude des organismes supérieurs, les déterminants de la mise en place de cette nouvelle biologie moléculaire ? G. Canguilhem disait que

« les occasions des renouvellements et des progrès théoriques sont rencontrées par la conscience humaine dans son domaine d'activité non théorique, pragmatique et technique [...] Si la témérité d'une technique, ignorante des obstacles qu'elle rencontrera, n'anticipait constamment sur la prudence de la connaissance codifiée, les problèmes scientifiques, qui sont des étonnements après avoir été des échecs, seraient bien peu nombreux à résoudre (51) ».

Une technique - que nous avons déjà évoquée - a en effet contribué, plus que toute autre, à la mise en place de cette nouvelle rationalité du vivant et à l'abandon du réductionnisme primaire, celle de l'inactivation génique, encore appelée knockout. Sous sa forme la plus générale, appelée recombinaison homologue, cette technique avait pour ambition initiale de permettre la correction des erreurs génétiques. Cependant, les très nombreuses expériences réalisées d'abord sur l'animal ont réservé un nombre considérable de surprises. Un gène que l'on croyait essentiel pouvait être inactivé sans que l'organisme n'en semble aucunement affecté. Ou bien l'inactivation des gènes révélait des fonctions jusqu'alors inconnues. Il existe même des cas où les animaux mutés se révèlent plus « performants» que les animaux sauvages. Sans doute ne faut-il pas oublier dans l'interprétation de ces résultats que, comme l'avait souligné G. Canguilhem, le laboratoire constitue un milieu bien particulier et que les animaux mutés ne sont « normaux » ou même « meilleurs » que dans cet environnement artificiel (52).

(50) La théorie cellulaire, in Canguilhem, 1965, 43-80, notamment 75-78. (51) Canguilhem, 1966, 62. (52) Ibid, 94, 119.

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Malgré tout, le recul de quelques années montre l'importance des observations faites. Grâce à cette technique, trois phénomènes distincts ont été découverts, qui tous renvoient à l'organisation en réseau des constituants élémentaires des êtres vivants : la complémentation fonctionnelle, qui masque l'action défaillante d'un gène par l'activité compensatrice d'autres gènes, la redondance - l'organisme fait appel à plusieurs gènes « en parallèle » pour assurer la même fonction -, qui a aussi pour conséquence que la déficience d'un seul gène sera effacée par l'action des autres, et la convergence fonctionnelle, qui conduit, à partir d'altérations différentes des composants élémentaires du réseau, à une même altération phéno- typique : le même état final du réseau, son nouvel équilibre, peut être atteint par des modifications différentes de l'état initial. Les trois phénomènes décrits précédemment conduisent bien à la même conclusion : par sa structure même, le réseau régulateur du vivant amortit les variations qu'il subit, et canalise ainsi le fonctionnement des organismes. Pour utiliser une image proposée pour la première fois par le généticien Conrad Waddington, le paysage fonctionnel du vivant, ses vallées et ses montagnes, ne dépend que de manière indirecte de l'action des composants élémentaires codés par les gènes (53).

Une question revient de manière récurrente dans les écrits de G. Canguilhem : si ce qui caractérise les êtres vivants est la possibilité de réagir à des situations nouvelles en trouvant un autre équilibre, comment imaginer que cette capacité d'adaptation n'intervienne pas dans l'évolution des êtres vivants? Mais comment restaurer un rôle de l'adaptation sans retomber dans les ornières du lamarckisme et sans renoncer à la rigueur du néodarwinisme ? G. Canguilhem a beaucoup hésité, manifestant dans plusieurs de ses écrits une certaine sympathie pour les tentatives de réhabilitation des théories de l'hérédité des caractères acquis. En 1943, dans sa thèse, G. Canguilhem se permettait de « demander si la théorie de l'action du milieu sur le vivant ne serait pas à la veille de se relever d'un long discrédit ». Dans une note, rajoutée en 1972, G. Canguilhem rectifiait : « Nous ne nous permettons plus de nous le demander aujourd'hui (54). » Entre-temps, dans « Le vivant et son milieu », il

(53) Waddington, 1939. (54) Canguilhem, 1966, 117.

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avait parlé du « retour en crédit de l'hérédité des caractères acquis » et porté un regard neutre sur la querelle du lyssenkisme (55). Enfin, dans un texte de 1971, G. Canguilhem affirmait que

« les mutations des génotypes, même quand elles se sont révélées impertinentes, n'étaient pas simplement des écarts à partir d'une règle interne, elles étaient aussi une réponse, une réaction sous l'action du milieu ».

Et d'ajouter :

« S'il y a aujourd'hui une quasi-unanimité pour en éliminer le recours à la finalité, nombreux sont encore ceux qui pensent que le recours au hasard n'en est pas une explication pleinement satisfaisante. Ni finalité, ni hasard, qu'est-ce donc que l'opportunisme des êtres vivants (56) ? »

Depuis quelques années, se dessine une réponse à cette question : sans renier le néodarwinisme, elle a élargi le champ d'adap- tabilité des êtres vivants, leur « opportunisme ». A la suite de Barbara McClintock qui avait fait l'hypothèse que les réarrangements du génome pouvaient être stimulés par des situations de stress (57), les généticiens ont montré que les êtres vivants étaient capables de moduler leur taux de mutation et, en particulier, d'augmenter celui-ci dans les situations anormales (58). Ainsi, face à un danger, un organisme vivant peut entamer la recomposition de son propre paysage génétique en même temps qu'il augmente les échanges de matériel génétique avec ses partenaires (59). D'autres pistes sont actuellement suivies par les biologistes pour tenter d'expliquer l'extraordinaire adaptabilitě des êtres vivants. Certaines protéines pourraient exister sous des formes différentes - le passage de l'une à l'autre de ces formes résultant, là encore, de conditions de stress (60). D'autres protéines pourraient, à l'inverse, masquer les mutations. L'inhibition de l'activité de ces protéines - dans de nouvelles conditions de milieu - permettrait à

(55) Le vivant et son milieu, in Canguilhem, 1965, 129-154, notamment 148-149. (56) Sur l'histoire des sciences de la vie depuis Darwin, in Canguilhem, 1977, 101-119,

notamment 117. (57) McClintock, 1992. (58) Observations discutées in Fox Keller, 1992. (59) Ces dernières observations sont le fruit du travail réalisé par le groupe de Miroslav

Radman, voir par exemple Matic, Radman, Rayssiguier, 1995. (60) La possibilité, pour des protéines, d'exister sous des formes différentes peut mal

heureusement avoir aussi des effets pathogènes. Des maladies neurodégénératives, comme la maladie de la vache folle, résulteraient de l'action de telles protéines, appelées dans ce cas prions. Voir Lindquist, 1997.

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l'organisme de révéler brutalement une diversité génétique jusqu'alors occultée (61).

Ces hypothèses demandent encore à être confirmées et leur généralité démontrée. L'existence, chez les êtres vivants, de solutions aussi élégantes pour faire face aux brutales altérations du milieu et utiliser au mieux la diversité des formes géniques aurait probablement ravi G. Canguilhem.

Ce long parcours, qui nous a conduit de l'attitude de G. Canguilhem face à la biologie moléculaire naissante jusqu'aux profondes transformations de cette discipline pendant les dernières années a mis en évidence un paradoxe. Si G. Canguilhem a eu du mal à apprécier le changement de rationalité qui se déroulait sous ses yeux, il a su, à partir d'une réflexion sur les notions de normal et de pathologique, de milieu et d'organisme, dessiner un cadre épisté- mologique pour les sciences du vivant dans lequel la nouvelle biologie moléculaire se moule avec aisance. Les résultats récents de la biologie viennent ainsi justifier le rapprochement proposé dès 1946- 1947 par G. Canguilhem entre machine et organisme (62). D'une part, ils ont fait du finalisme un compagnon indispensable pour les biologistes : aussi bien le retour en force d'une vision hiérarchisée du vivant, dans laquelle le niveau supérieur d'organisation impose ses règles au niveau inférieur, que la redécouverte - à travers les expériences d'inactivation génique - de Г adaptabilitě du vivant aux variations qu'il subit conduisent tout naturellement à prêter à l'organisme un projet qui dépasse l'assemblage mécanique de ses composants élémentaires. D'autre part, en expliquant les remarquables propriétés du vivant par l'existence de réseaux de régulation et de transfert d'information, les biologistes abolissent la distance entre le fonctionnement des organismes vivants et celui des machines construites par l'homme, et justifient a posteriori la définition de la technique comme une extension de l'organisme. La biologie a progressé sans que les biologistes aient à choisir - du moins ouvertement - entre mécanisme et finalisme. Le mécanisme est toujours là, sous sa forme moléculaire bien particulière. Le finalisme aussi, justifié plus ou moins bien par le jeu de la sélection naturelle.

(61) Rutherford, Lindquist, 1998. (62) Machine et organisme, in Canguilhem, 1965, 101-127.

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A la suite de Georges Cuvier et de Claude Bernard, G. Canguil- hem avait bien vu que ce qui caractérise la vie, c'est l'organisation (63). Les théories biologiques explorent des structures, non des forces (64). C'est ce qui donne à la biologie sa forme très particulière. Bien mieux que dans les derniers écrits de G. Canguilhem, qui représentent une tentative maladroite pour suivre les changements en cours - et n'échappent pas à une valorisation indue des observations « à la mode » (65) -, ce sont les premiers travaux de G. Canguilhem, Le Normal et le pathologique et les recherches rassemblées dans La Connaissance de la vie, qui apparaissent les plus profondément novateurs. Le paradoxe n'est qu'apparent : c'est parce que G. Canguilhem a cherché à élaborer une philosophie de la vie plus qu'une philosophie de la biologie qu'il a pu anticiper, et non pas suivre, les transformations de cette science. Beaucoup d'auteurs ont déjà souligné l'importance de l'ouvrage, Le Normal et le pathologique, pour juger de l'évolution récente de la médecine. Nous avons essayé de montrer comment la philosophie du vivant qui y est dessinée est aussi en étroite résonance avec celle qui se dégage des travaux récents des biologistes moléculaires.

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