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Date: 04.09.2012 La Liberté 1700 Fribourg 026/ 426 44 11 www.laliberte.ch Genre de média: Médias imprimés N° de thème: 840.6 N° d'abonnement: 1090991 Type de média: Presse journ./hebd. Tirage: 39'231 Parution: 6x/semaine Page: 29 Surface: 80'627 mm² Un livre peut aider à vivre ÉCRITURE La littérature nous rend capables d'empathie pour des individus différents de soi, postule Nancy Huston, écri vaine. Rencontre à Paris, où elle vit. VERONIQUE CHATEL, PARIS Nancy Huston sera la présidente d'honneur du Salon des auteurs Le li- vre sur les quais» à Morges le week-end prochain. Une occasion pour l'écri- vaine d'origine canadienne de venir défendre dans notre pays qu'elle affec- tionne sa vision de la littérature. Accepter d'être la présidente d'honneur du Livre sur les quais, c'est un acte mili- tant en faveur du livre et de la lecture? Une manière pour vous de défendre comme vous le faites dans votre essai «L'Espèce fabulatrice» le rôle de la littérature? Nancy Huston: Je ne suis pas de celles qui tiennent de grands discours sur l'avenir de la lecture! De tous temps, les passionnés de la littérature ont consti- tué une minorité et ils le seront tou- jours. En tant qu'auteure, je l'assume. Mais j'essaie autant que possible, no- tamment en intervenant dans les pri- sons auprès de détenus, de la partager. De montrer qu'un livre n'est pas un ob- jet culturel, élitiste et snob. Qu'il peut aider à vivre, à grandir, à repousser les murs de sa forteresse intérieure. C'est à cela que vous pensez lorsque vous écrivez? Surtout pas! Quand j'écris, je pense à l'histoire que je veux raconter et que je connais vaguement, aux personnages qui prennent vie dans ma tête, à des problèmes précis qui se posent les concernant et que je dois résoudre dans le feu de l'action. Les romanciers suscitent souvent l'incrédulité lorsqu'ils affirment que pour eux, leurs personnages sont aussi réels que des personnages en chair et en os. Comment ces fictions parviennent-elles à nous aider à vivre comme vous le dites? J'en parlerai aux jeunes de Morges, jus- tement! Nous vivons dans un monde de fictions qu'on le veuille ou non: fic- tion nationale, familiale, religieuse. L'univers comme tel n'a pas de sens. Il est silence. C'est l'homme qui a mis du sens dans le monde. C'est l'homme qui a nommé les choses, qui a tissé des liens entre le passé et le présent, construit ses mythes. On grandit dans un monde construit de fictions qu'on intègre, et qui bien que masquées, on prend pour la vérité. Or la littérature a cette vertu de se présenter ouverte- ment comme une fiction. Ce faisant, elle nous permet de nous identifier à des gens qui ne nous ressemblent pas, d'une autre confession, d'une autre couleur de peau, d'une autre époque, d'un autre sexe. La littérature nous rend humanistes, c'est cela? Pas humanistes au sens large. Elle nous rend capables d'empathie pour des in- dividus différents de soi. Contraire- ment à nos fictions religieuses, fami- liales et politiques, la fiction littéraire ne nous dit pas où est le bien, où est le mal. Sa mission éthique est autre, elle nous montre la vérité des humains, une vérité tissée de paradoxes, de question- nements et de doutes. La littérature nous rend plus nuancés et donc plus tolérants envers ceux qui ne nous ressemblent pas. Cela dit, vous n'êtes pas qu'une auteure de fictions, vous écrivez aussi des essais. Il arrive que les romans que j'écris m'amènent à me poser des questions théoriques, jamais l'inverse. Sinon ce serait didactique. «Lignes de faille» m'a fait écrire «L'Espèce fabulatrice» qui est une réflexion sur l'importance des his- toires dans la construction de l'iden- tité. «Infrarouge» m'a fait écrire «Reflets dans un il d'homme», un essai sur la différence des sexes. Je me souviens que Rena, l'héroïne d'«Infrarouge», m'a fait écrire une Tribune publiée dans «le Monde», «On ne naît pas homme», dans laquelle j'ai tenu des propos beaucoup plus arrêtés que si je n'avais pas été sous son emprise! Cet essai, «Reflets dans un oeil d'homme», vous a valu beaucoup de critiques de la part des féministes. Cela vous a surprise? Je trouve désolant qu'en France on ne puisse plus interroger la question sur la différence des sexes. Si on tient un dis- cours où l'on défend la notion de diffé- rence entre les sexes, on est considéré comme quelqu'un de droite et de réac. Si on tient un discours dans lequel on nie la différence entre les sexes au pré- texte que tout serait culturel, on est de gauche. Qu'on en soit encore là au )(Xie siècle est grotesque. Dans cette affaire- là, culture et nature se mélangent, c'est évident. Je défends depuis toujours l'égalité entre les sexes, pour autant, je ne considère pas que l'un est l'autre. Les hommes et les femmes, ça n'est pas pareil. Dans cet essai, vous évoquez le joug de la beauté qui pèse sur les femmes, et de plus en plus. C'est un paradoxe du XXe siècle. Dans le même temps que les femmes se sont Observation des médias Analyse des médias Gestion de l'information Services linguistiques ARGUS der Presse AG Rüdigerstrasse 15, case postale, 8027 Zurich Tél. 044 388 82 00, Fax 044 388 82 01 www.argus.ch Réf. Argus: 47153509 Coupure Page: 1/3

Genre de média: Médias imprimés N° de thème: 840.6 Un livre … · 2015-06-09 · Date: 04.09.2012 La Liberté 1700 Fribourg 026/ 426 44 11 Genre de média: Médias imprimés

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Date: 04.09.2012

La Liberté1700 Fribourg026/ 426 44 11www.laliberte.ch

Genre de média: Médias imprimés N° de thème: 840.6N° d'abonnement: 1090991Type de média: Presse journ./hebd.

Tirage: 39'231Parution: 6x/semaine

Page: 29Surface: 80'627 mm²

Un livre peut aider à vivreÉCRITURE La littérature nous rend capables d'empathie pour des individusdifférents de soi, postule Nancy Huston, écri vaine. Rencontre à Paris, où elle vit.VERONIQUE CHATEL, PARIS

Nancy Huston sera la présidented'honneur du Salon des auteurs Le li-vre sur les quais» à Morges le week-endprochain. Une occasion pour l'écri-vaine d'origine canadienne de venirdéfendre dans notre pays qu'elle affec-tionne sa vision de la littérature.

Accepter d'être la présidente d'honneurdu Livre sur les quais, c'est un acte mili-tant en faveur du livre et de la lecture?Une manière pour vous de défendrecomme vous le faites dans votre essai«L'Espèce fabulatrice» le rôle de lalittérature?Nancy Huston: Je ne suis pas de cellesqui tiennent de grands discours surl'avenir de la lecture! De tous temps, lespassionnés de la littérature ont consti-tué une minorité et ils le seront tou-jours. En tant qu'auteure, je l'assume.Mais j'essaie autant que possible, no-tamment en intervenant dans les pri-sons auprès de détenus, de la partager.De montrer qu'un livre n'est pas un ob-jet culturel, élitiste et snob. Qu'il peutaider à vivre, à grandir, à repousser lesmurs de sa forteresse intérieure.

C'est à cela que vous pensez lorsquevous écrivez?Surtout pas! Quand j'écris, je pense àl'histoire que je veux raconter et que jeconnais vaguement, aux personnagesqui prennent vie dans ma tête, à desproblèmes précis qui se posent lesconcernant et que je dois résoudredans le feu de l'action. Les romancierssuscitent souvent l'incrédulitélorsqu'ils affirment que pour eux, leurspersonnages sont aussi réels que despersonnages en chair et en os.

Comment ces fictions parviennent-ellesà nous aider à vivre comme vous ledites?J'en parlerai aux jeunes de Morges, jus-tement! Nous vivons dans un mondede fictions qu'on le veuille ou non: fic-tion nationale, familiale, religieuse.L'univers comme tel n'a pas de sens. Ilest silence. C'est l'homme qui a mis dusens dans le monde. C'est l'homme quia nommé les choses, qui a tissé desliens entre le passé et le présent,construit ses mythes. On grandit dansun monde construit de fictions qu'onintègre, et qui bien que masquées, onprend pour la vérité. Or la littérature acette vertu de se présenter ouverte-ment comme une fiction. Ce faisant,elle nous permet de nous identifier àdes gens qui ne nous ressemblent pas,d'une autre confession, d'une autrecouleur de peau, d'une autre époque,d'un autre sexe.

La littérature nous rend humanistes,c'est cela?Pas humanistes au sens large. Elle nousrend capables d'empathie pour des in-dividus différents de soi. Contraire-ment à nos fictions religieuses, fami-liales et politiques, la fiction littérairene nous dit pas où est le bien, où est lemal. Sa mission éthique est autre, ellenous montre la vérité des humains, unevérité tissée de paradoxes, de question-nements et de doutes. La littératurenous rend plus nuancés et donc plustolérants envers ceux qui ne nousressemblent pas.

Cela dit, vous n'êtes pas qu'une auteurede fictions, vous écrivez aussi desessais.Il arrive que les romans que j'écris

m'amènent à me poser des questionsthéoriques, jamais l'inverse. Sinon ceserait didactique. «Lignes de faille» m'afait écrire «L'Espèce fabulatrice» qui estune réflexion sur l'importance des his-toires dans la construction de l'iden-tité. «Infrarouge» m'a fait écrire «Refletsdans un il d'homme», un essai sur ladifférence des sexes. Je me souviensque Rena, l'héroïne d'«Infrarouge», m'afait écrire une Tribune publiée dans «leMonde», «On ne naît pas homme»,dans laquelle j'ai tenu des proposbeaucoup plus arrêtés que si je n'avaispas été sous son emprise!

Cet essai, «Reflets dans un oeild'homme», vous a valu beaucoup decritiques de la part des féministes.Cela vous a surprise?Je trouve désolant qu'en France on nepuisse plus interroger la question sur ladifférence des sexes. Si on tient un dis-cours où l'on défend la notion de diffé-rence entre les sexes, on est considérécomme quelqu'un de droite et de réac.Si on tient un discours dans lequel onnie la différence entre les sexes au pré-texte que tout serait culturel, on est degauche. Qu'on en soit encore là au )(Xiesiècle est grotesque. Dans cette affaire-là, culture et nature se mélangent, c'estévident. Je défends depuis toujoursl'égalité entre les sexes, pour autant, jene considère pas que l'un est l'autre.Les hommes et les femmes, ça n'est paspareil.

Dans cet essai, vous évoquez le joug dela beauté qui pèse sur les femmes, et deplus en plus.C'est un paradoxe du XXe siècle. Dans lemême temps que les femmes se sont

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Page: 29Surface: 80'627 mm²

émancipées et ont revendiqué plus dedroits, l'industrie de la mode, du prêt-à-porter, de la cosmétique ont explosé.Les femmes se sont battues pour deve-nir des sujets et depuis s'activentcomme jamais auparavant pour êtredes objets beaux à regarder. Plus ellesgagnent de l'argent, plus elles en dé-pensent pour répondre à l'injonctiond'être belles. C'est troublant, quandmême.

Vous êtes contente de venir en Suisse?J'y viens régulièrement et de plus enplus d'ailleurs, car j'y compte des amiset j'y mène des aventures profession-nelles. J'ai écrit une pièce, « JocasteReine », pour la metteuse en scène Gi-sèle Sallin, présentée au Théâtre desOsses à Fribourg, je travaille avec lemusicien Pascal Auberson, le comé-dien-metteur en scène Philippe Men-tha. J'aime la Suisse! I> Tous les livres cités dans cet article sont

parus aux Editions Actes Sud, à Paris.> Le livre sur les quais se déroule du 7 au

9 septembre à Morges.> Rendez-vous: Nancy Huston, accompagnée

par trois musiciens, présentera son spectacle«Le Mâle entendu» du 11 au 16 décembre pro-chain au théâtre Kléber-Méleau à Renens-Malley

> www.lelivresurlesquais.ch> www.kleber-meleau.ch

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Nancy Huston: «Je défends depuis toujours l'égalité entre les sexes, pour autant, je ne considère pas que l'un est l'autre». DR

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