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Tous droits réservés © CRÉPUQ, 2012 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 29 nov. 2020 13:01 Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire International Journal of Technologies in Higher Education Formation aux TICE des formateurs d’enseignants : un tissage entre formation et autoformation Pierre-François Coen Volume 9, numéro 1-2, 2012 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1012907ar DOI : https://doi.org/10.7202/1012907ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) CRÉPUQ ISSN 1708-7570 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Coen, P.-F. (2012). Formation aux TICE des formateurs d’enseignants : un tissage entre formation et autoformation. Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire / International Journal of Technologies in Higher Education, 9 (1-2), 136–147. https://doi.org/10.7202/1012907ar Résumé de l'article Cette recherche exploratoire rend compte des modalités de formation des formateurs d’enseignants dans deux établissements d’enseignement du canton de Fribourg, en Suisse. Neuf formateurs d’enseignants ont été interrogés sur leurs parcours de formation et d’autoformation en matière de compétences technologiques et d’intégration des TICE. Les résultats montrent que, même si ces formateurs ont acquis des compétences technologiques, les dispositifs d’enseignement-apprentissage qu’ils mettent en place pour former de futurs enseignants intègrent relativement peu les TICE. En outre, les propos tenus montrent que les formateurs déploient des stratégies d’autoformation plus ou moins efficaces et coûteuses en temps pour les aspects techniques, mais n’usent presque jamais de ce type de procédé pour développer une intégration pédagogique des TICE dans leurs cours. La fin de l’article reprend ces éléments et les discute en essayant de présenter quelques pistes en articulant formation formelle et informelle dans le contexte de la formation des enseignants.

Formation aux TICE des formateurs d’enseignants : un tissage … · d’autoformation en matière de compétences tech-nologiques et d’intégration des TICE. Les résultats montrent

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Tous droits réservés © CRÉPUQ, 2012 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 29 nov. 2020 13:01

Revue internationale des technologies en pédagogie universitaireInternational Journal of Technologies in Higher Education

Formation aux TICE des formateurs d’enseignants : un tissageentre formation et autoformationPierre-François Coen

Volume 9, numéro 1-2, 2012

URI : https://id.erudit.org/iderudit/1012907arDOI : https://doi.org/10.7202/1012907ar

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Éditeur(s)CRÉPUQ

ISSN1708-7570 (numérique)

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Citer cet articleCoen, P.-F. (2012). Formation aux TICE des formateurs d’enseignants : untissage entre formation et autoformation. Revue internationale des technologiesen pédagogie universitaire / International Journal of Technologies in HigherEducation, 9 (1-2), 136–147. https://doi.org/10.7202/1012907ar

Résumé de l'articleCette recherche exploratoire rend compte des modalités de formation desformateurs d’enseignants dans deux établissements d’enseignement du cantonde Fribourg, en Suisse. Neuf formateurs d’enseignants ont été interrogés surleurs parcours de formation et d’autoformation en matière de compétencestechnologiques et d’intégration des TICE. Les résultats montrent que, même sices formateurs ont acquis des compétences technologiques, les dispositifsd’enseignement-apprentissage qu’ils mettent en place pour former de futursenseignants intègrent relativement peu les TICE. En outre, les propos tenusmontrent que les formateurs déploient des stratégies d’autoformation plus oumoins efficaces et coûteuses en temps pour les aspects techniques, maisn’usent presque jamais de ce type de procédé pour développer une intégrationpédagogique des TICE dans leurs cours. La fin de l’article reprend ces élémentset les discute en essayant de présenter quelques pistes en articulant formationformelle et informelle dans le contexte de la formation des enseignants.

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Formation aux TICEdes formateurs d’enseignants : un tissage entre formation et autoformation

Recherche scienti�que avec données empiriques

Pierre-François CoenHaute école pédagogique de Fribourg (CH)

[email protected]

RésuméCette recherche exploratoire rend compte des moda-lités de formation des formateurs d’enseignants dans deux établissements d’enseignement du canton de Fribourg, en Suisse. Neuf formateurs d’enseignants ont été interrogés sur leurs parcours de formation et d’autoformation en matière de compétences tech-nologiques et d’intégration des TICE. Les résultats montrent que, même si ces formateurs ont acquis des compétences technologiques, les dispositifs d’ensei-gnement-apprentissage qu’ils mettent en place pour former de futurs enseignants intègrent relativement peu les TICE. En outre, les propos tenus montrent que les formateurs déploient des stratégies d’auto-formation plus ou moins efficaces et coûteuses en temps pour les aspects techniques, mais n’usent presque jamais de ce type de procédé pour dévelop-per une intégration pédagogique des TICE dans leurs cours. La fin de l’article reprend ces éléments et les discute en essayant de présenter quelques pistes en articulant formation formelle et informelle dans le contexte de la formation des enseignants.

Mots-clésFormation formelle, autoformation, TICE, for-mation des enseignants, formation des formateurs d’enseignants

AbstractThis exploratory research accounts for the training modalities of teachers’ trainers of the University of Teacher Education in Fribourg (Switzerland). Nine teacher’s trainers were interviewed about their training and self-directed learning on techno-logy use and ICT integration. The results showed that, though the trainers acquired some technology competences, ICT are relatively weakly integrated in the teaching-learning system they developed to train the future teachers. Moreover, they developed more or less efficient and time consuming strate-gies of self-directed learning in technical aspects, while they almost never used similar strategies to develop pedagogical integration of ICT during their lessons. The paper finally summarizes and discus-ses all these elements and suggests some ways to manage formal and informal learning in teachers’ training.

Keywordsformal learning, self-directed learning, ICT,teachers’ training, training of teachers’ trainers.

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Introduction

Depuis les années 2000, pouvoirs politiques et autorités scolaires ont consenti d’importants efforts pour faciliter l’intégration des technologies de l’in-formation et de la communication pour l’éducation (TICE) à l’école. Que ce soit au niveau des équipe-ments ou de la formation initiale ou continue des enseignants (ou des formateurs d’enseignants), de gros investissements ont été accordés et ont contri-bué à opérer le quatrième niveau d’arrimage des technologies (Karsenti et Dumouchel, 2010), celui qui consiste à utiliser les TICE comme de véritables outils au service des apprentissages. Dans le canton de Fribourg (Suisse), plus de 98 % des enseignants en exercice dans les degrés primaire (élèves de 6 à 12 ans), secondaire I (élèves de 13 à 16 ans) et se-condaire II (élèves de 17 à 20 ans) ont été formés. Les données produites par le Centre fri-tic1 – qui a pour mission de gérer les formations et d’effec-tuer un monitoring de l’intégration des TICE dans le canton – montrent qu’en 10 ans, plus de 65 mil-lions de francs suisses (payés par le canton et les communes) ont été consacrés à l’intégration des TICE. Cela équivaut pour l’année 2011 à environ 200,00 CHF par élève2. La répartition de ces res-sources a été faite sur trois domaines : la forma-tion (7 %), l’assistance technique et pédagogique (50 %) et les équipements proprement dits (43 %).

Dans le cadre de différentes recherches, il nous a été permis de suivre cette innovation. En 2006, nous avons interrogé près de 1 000 enseignants pour mesurer leur degré d’alphabétisation infor-matique et inventorier leurs pratiques d’intégration (Schumacher et Coen, 2006). En 2008, une enquête portant à la fois sur les usages des TICE et la mo-tivation a été conduite auprès de 3 000 élèves des principaux ordres d’enseignement du canton de Fribourg (Schumacher et Coen, 2008). En 2012, nous avons à nouveau testé le niveau d’intégration des TICE auprès des enseignants en recourant au

1 Sources : Centre fri-tic, rapport annuel : http://www.fritic.

ch/dyn/bin/33779-46007-1-enquete_2011.pdf

2 Cela correspond à environ 210,00 $. (au 24 sept. 2012)

même instrument3 qu’en 2006. Si, de manière gé-nérale, il y a une progression de l’intégration des TICE – sur une échelle de 1 à 5, on passe de 2,0 à 2,78 – (Pineiro, Rey et Coen, 2012), nous consta-tons qu’en un peu plus de 10 ans, nous n’atteignons pas encore le milieu de l’échelle, c’est-à-dire le niveau d’implantation. Par ailleurs, les indices de progression observés notamment chez les ensei-gnants qui utilisent les TICE depuis plus de 10 ans montrent une stagnation de cette progression. Ces résultats sont proches des résultats internationaux (Balanskat, Blamire et Kefala, 2006; British Edu-cational Communications and Technology Agency, 2006; Organisation for Economic Cooperation and Development, 2004) qui montrent que l’intégra-tion des TICE se situe encore en dessous des at-tentes escomptées. Compte tenu des moyens mis en œuvre, il semble légitime de s’interroger sur les raisons de cette demi-réussite. Viens (2007) nous rappelle que l’intégration des TICE relève d’un véritable processus d’innovation et qu’il convient de prendre en compte la dimension temporelle et les éléments des différents contextes. Raby (2004), pour sa part, détermine des facteurs (contextuels, sociaux, pédagogiques et personnels) influençant l’intégration des TICE. Bruillard et Baron (2003), quant à eux, soulignent que l’intégration des TICE ne peut se réaliser par la simple « addition » d’une compétence supplémentaire à un ensemble de com-pétences préalables des enseignants, mais nécessite un changement plus profond touchant à l’identité professionnelle. Ces différents éléments renvoient tous, de près ou de loin, à la formation des ensei-gnants et aux apprentissages qu’ils réalisent dans ce domaine. C’est la raison pour laquelle il nous a semblé opportun d’interroger les dispositifs – for-mels et informels – par lesquels les enseignants, mais aussi les formateurs d’enseignants, acquièrent ces compétences.

3 Cet instrument est constitué de vignettes présentant différentes situations d’intégration des TICE caractérisant – sur une échelle de 1 à 5 – un niveau d’adoption (1), un niveau d’implantation (3) et un niveau de routinisation (5).

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Nous nous proposons d’aborder, dans la première partie de notre texte, des éléments théoriques en lien avec les processus de formation et d’autoformation. Après avoir clarifié quelques éléments méthodolo-giques et relatifs au contexte, nous présenterons les résultats d’une première enquête exploratoire me-née auprès de formateurs d’enseignants, puis nous terminerons par une discussion où nous propose-rons quelques pistes de réflexion.

Cadrage théorique

De la formation…

D’une manière générale, les auteurs s’accordent pour dire que la formation constitue un élément es-sentiel dans l’intégration des TICE. En 1998, Tar-dif soulignait déjà qu’en la matière, il fallait consa-crer au moins 30 % des ressources à la formation. Guihot (2002) note pour sa part que la mise à dis-position de matériels techniques vantés pour leur efficacité éducative ne suffit pas pour générer leur usage en classe. Dans une enquête sur la formation continue aux États-Unis, Zhao et Bryant (2006) in-sistent sur l’importance de la formation sans que celle-ci soit nécessairement technocentrée. Ces re-commandations font écho à celles qui sont émises par Barton et Haydn (2006) et par Karsenti, Peraya et Viens (2002) qui suggèrent des pratiques de formation par modelage en proposant notamment aux enseignants de bons exemples d’utilisation des TICE en classe. C’est entre autres pour ces raisons que la plupart des établissements de formation d’enseignants en Suisse ont intégré une compo-sante « formation TICE » dans leurs programmes de formations initiale et continue. Lors d’une pré-cédente étude, Coen (2007) avait listé les caracté-ristiques des formations proposées aux enseignants de Suisse romande. Les éléments clés qui s’en dé-gagent se regroupent autour des thèmes suivants : des formations peu technocentrées qui mettent l’ac-cent sur des questions pédagogiques et pratiques, dans une logique socioconstructiviste alliant des dispositifs collaboratifs avec des principes comme l’isomorphisme et la formation d’adultes. Dans cet-

te logique, de nombreux enseignants ont suivi des modules de formation destinés à leur permettre à la fois de se mettre à niveau sur le plan technologique mais aussi – et surtout – de développer des dispo-sitifs d’enseignement-apprentissage intégrant les TICE. Cela dit et comme le relève justement Linard (2003), les compétences technopédagogiques exi-gées des enseignants renvoient aux moyens – aux formations – mis à leur disposition pour les acquérir mais également à leur autonomie (Glikman, 2002). Dans une vaste enquête française, Gentil et Verdon (2004) font remarquer que près de 70 % des ensei-gnants sondés estiment que les formations qui leur sont proposées ne sont pas suffisantes pour garantir une bonne intégration des TICE. Ces auteurs font en outre remarquer que l’autoformation est citée comme modalité d’apprentissage prépondérante par près des trois quarts des répondants.

C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de cette étude, nous nous intéressons aux apprentis-sages réalisés en dehors des formations proposées aux enseignants. Brougère et Bézille (2007) s’ac-cordent pour dire qu’il n’est pas aisé de définir la formation informelle. Ils rappellent que « l’édu-cation [et les apprentissages] ne se limite[nt] pas aux situations socialement construites en fonction d’objectifs éducatifs et […] que l’individu acquiert des connaissances dans une multitude de situations qui n’ont pas été faites pour cela » (p. 122). Selon ces auteurs, près de 80 % des apprentissages chez l’adulte s’effectueraient de manière informelle en dehors de cadres institutionnels. Par ailleurs, les apprentissages informels ne présentent pas un ca-ractère monolithique mais peuvent s’effectuer dans des situations extrêmement variées. Il demeure ain-si un « entrelacement continu entre apprentissages formel et informel » (Brougère, 2007, p. 11). Par ailleurs, l’idée d’apprentissage informel renvoie à la capacité d’autonomie du sujet face à des situa-tions où son savoir est limité ou insuffisant. C’est cette autonomie à chercher par soi-même des res-sources ou des réponses qui lui permettra de réali-ser de nouveaux apprentissages.

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… à l’autoformation

Carré (1993) rappelle que, dans le monde profes-sionnel, le concept d’autonomie s’appuie sur de multiples influences : innovations technologiques, mutations culturelles, changements dans l’organi-sation du travail et des entreprises, évolution des modèles pédagogiques destinés à la formation des adultes […] Ces éléments conduisent tous aux mê-mes nécessités – que l’on retrouve édictées dans les programmes de formation d’enseignants –, à savoir d’être autonome dans son action, responsable de son développement, réflexif et créatif.

Tremblay (1996) présente un modèle éclairant d’autoformation en quatre dimensions. La première fait référence à « l’apprendre autrement ». Contrai-rement aux contextes formels qui déterminent sou-vent des progressions linéaires et organisées par l’enseignant, lorsque le sujet apprend de manière spontanée, c’est lui qui organise son propre avance-ment en fonction de ses intentions. Les procédures sont fortement influencées par le milieu et les cir-constances, elles sont parfois aléatoires et souvent créatives. La seconde dimension permet de mettre en évidence l’importance des autres. L’autoforma-tion s’avère plus efficace si l’individu s’appuie sur un réseau et tisse des contacts avec des membres d’une communauté; en ce sens, des compétences sociales s’avèrent plus que nécessaires. La troisiè-me dimension renvoie à un apprentissage en action et au principe d’énaction (Ohlsson, 1983). Il s’agit pour le sujet apprenant de connecter de manière di-recte les actions et les apprentissages qu’il réalise tout en alternant action et réflexion. Cette troisième dimension conduit à la quatrième, qui s’attache aux aspects métacognitifs. L’apprenant doit être capa-ble d’objectiver ses processus, d’évaluer ses pro-pres apprentissages et de les réguler.

Comme le précisent encore Danis et Tremblay (1985), la logique d’un apprentissage autonome re-pose sur une dynamique d’action et de créativité qui s’accommode difficilement de la linéarité et de la planification habituellement de mise dans les for-mations formelles. Cependant, il ne s’agit pas ici de réfuter toute approche formelle, car comme le

souligne Bataille (2010), la formation formelle est comme un « fil de fer, une ossature que l’informel va compléter » (p. 35). Reste à voir dans quelle mesure et de quelle manière s’effectue ce complé-ment. C’est tout l’enjeu de notre réflexion. Ainsi, notre recherche vise à répondre aux questions sui-vantes : de quoi est faite cette ossature et quelles sont les compétences déclarées par des formateurs d’enseignants en matière d’intégration des TICE? Comment ces compétences se sont-elles dévelop-pées et continuent-elles à se développer pour com-pléter ce socle de base? Quel regard les formateurs portent-ils sur les dispositifs ou modalités de for-mation (formels ou informels) par lesquels ils ont développé leurs compétences?

Méthodologie

La présente recherche est effectuée en parallèle à un projet plus vaste. Le volet que nous présentons ici a un caractère exploratoire et est centré unique-ment sur les formateurs d’enseignants. Nous avons interrogé neuf formateurs d’enseignants primaires (N = 7) et secondaires (N = 2) exerçant dans deux établissements différents4. Le panel est composé de cinq femmes et quatre hommes qui forment des en-seignants depuis quatre ans au minimum et 32 ans au maximum. Deux sujets présentent des compé-tences expertes en matière de technologies, deux ont de faibles compétences et les cinq autres, des compétences moyennes. Cinq formateurs ont suivi des formations minimales en matière d’intégration des TICE, deux ont suivi plusieurs formations dans ce domaine et les deux derniers présentent des com-pétences suffisantes pour avoir pu s’en passer.

L’entretien d’une trentaine de minutes était structu-ré en trois parties. La première était destinée à faire l’inventaire des compétences technopédagogiques des formateurs et à capter leurs représentations sur les usages des TICE; la seconde visait à repérer les

4 La Haute école pédagogique de Fribourg et le Centre d’enseignement et de recherche pour la formation des enseignants du secondaire I et II de l’Université de Fribourg.

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circonstances habituelles de formation, les straté-gies mises en œuvre en cas de problèmes et le re-gard porté sur l’efficacité des formations vécues; enfin, la dernière partie nous a permis d’établir les dispositifs de formation intégrant les TICE que nos répondants ont mis en place dans leurs établisse-ments respectifs. Les entretiens ont été retranscrits, codés et analysés dans le cadre d’une analyse ca-tégorielle de contenu (Bardin, 1998; Robert et Bouillaguet, 1997). Ces différentes catégories font l’objet d’une présentation dans la partie suivante.

Résultats

Dans cette partie, nous proposons de traiter dans un premier temps les éléments liés aux compéten-ces technopédagogiques des formateurs. Dans un second temps, nous présenterons les aspects en lien avec les formations suivies (types de formations et satisfaction à leur égard), ce qui nous permettra d’aborder, dans un troisième temps, les stratégies d’autoformation mises en œuvre par nos répon-dants lorsqu’ils sont en face de problèmes ainsi que l’efficacité qu’ils leur attribuent. Enfin, nous relate-rons les avis des formateurs sur l’intérêt d’intégrer les TICE dans leurs enseignements comme moyen de former leurs étudiants, futurs enseignants.

Les compétences déclarées des formateurs d’enseignants

Notre premier constat est que tous les formateurs interrogés utilisent quotidiennement les technolo-gies dans le cadre de leur travail. Les principaux usages sont la messagerie électronique, Internet, le traitement de texte et les logiciels de présen-tation : « On est bien obligé de le faire parce que tout passe par le mail maintenant » [REP1]; « On est constamment en train de chercher des infos sur Internet, de répondre à un mail, […] Pour tout, […] pour réserver une salle, pour voir une liste d’étu-diants, […] il faut utiliser l’ordi » [REP3]; « Moi je l’utilise pour le courrier, […] je maîtrise la suite bureautique pour tout ce qui est du traitement de texte et pour les présentations, pour mes cours,

c’est plutôt PowerPoint » [REP4]. Ces usages prio-ritaires sont complétés par l’utilisation de logiciels plus spécifiques comme des tableurs ou des logi-ciels statistiques utiles pour des tâches particulières (recherche). D’autres compétences liées à la prépa-ration des cours sont évoquées : « J’ai appris à uti-liser des images, à les copier et les mettre dans les supports de cours. […] Je sais aussi un peu utiliser le son, par exemple passer un extrait de son dans le cours, ça j’ai dû apprendre » [REP2]. Six d’entre eux évoquent l’usage régulier de plateformes d’en-seignement-apprentissage. Cependant, il convient de souligner qu’ils ne sont que deux à mentionner une utilisation diversifiée et complète intégrant dif-férentes fonctionnalités : « J’utilise Moodle pour faire des tas de choses, pas seulement pour dépo-ser des documents, mais je donne des devoirs aux étudiants, ils doivent intervenir sur des forums ou des wikis, répondre à des sondages, etc. » [REP7]. Un répondant nous dit être « revenu en arrière. Avant, j’utilisais Moodle, mais bon, j’ai vu que les étudiants n’y allaient jamais, alors maintenant je mets les documents du cours sur l’espace commun sur le serveur et ils peuvent aller prendre ce qu’ils veulent » [REP5]. Les répondants mentionnent en-core l’utilisation de logiciels plus spécifiques tels que l’agenda électronique (4), les gestionnaires de tâches (1), un gestionnaire de références bi-bliographiques (5), des logiciels de conversation à distance (4). Enfin, tous nous disent maîtriser suf-fisamment les fonctions de base du système d’ex-ploitation et si quatre d’entre eux éprouveraient des difficultés à installer une nouvelle imprimante, ils pourraient recourir à un technicien présent dans l’établissement pour résoudre ce problème.

Les formations suivies

La plupart des formateurs interrogés ont suivi des formations de base : « Quand il a fallu se mettre à l’e-mail ou bien à utiliser le multimédia, les ima-ges, les films tout ça, […] Eh ben, je me suis dit qu’il fallait que je me mette à niveau. » [REP2]. Deux d’entre eux nous ont dit suivre de manière as-sez systématique les formations proposées : « Moi, je me trouvais tellement nul que je me suis dit qu’il

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fallait que je suive tous les cours. À une époque, j’en ai suivi plusieurs par année » [REP5]; « Je suis attentive aux annonces de formations proposées. Par exemple pour les plates-formes, j’ai été suivre des cours, je trouve que c’est un bon moyen pour commencer ». Un seul répondant n’a suivi aucun cours, mais pour de bonnes raisons : « En fait, moi je ne suis aucun cours parce que très souvent, c’est moi qui les donne » [REP7]. Ce formateur a une formation antérieure dans le domaine de l’informa-tique.

D’une manière générale, les motifs évoqués par nos répondants pour suivre des formations sont liés à la nécessité d’avoir des connaissances de base : « Si tu as le minimum, après tu peux te débrouiller seul, il me semble, c’est un peu comme si on t’apprend l’alphabet durant les cours et après, toi, tu écris les mots toi-même » [REP3]; « Avoir une base sans devoir trop faire d’efforts, car c’est au début que c’est difficile et décourageant, après c’est plus fa-cile, […] après tu te débrouilles » [REP2]. Les ré-ponses des formateurs nous ont en outre permis de voir que les formations suivies étaient toutes propo-sées dans le cadre de leur établissement et qu’elles étaient gratuites. Dans certains cas, des décharges horaires ont même été proposées par l’établisse-ment : « Je trouve ça quand même pas mal, parce que non seulement, on ne payait rien, mais en plus on avait droit à des heures de décharge, je ne sais plus exactement combien, pour faire nos scénarios pédagogiques dans nos cours » [REP5].

Regard sur les formations

Les avis des répondants sur les formations suivies sont dans l’ensemble assez positifs. Ils reconnais-sent volontiers les compétences des animateurs : « Les personnes qui nous donnent ces cours sont très compétentes et j’ai pas eu l’impression de per-dre mon temps. Alors bon, il faut faire le tri, pren-dre ce qui est utile » [REP6]; « Moi, je trouve pas mal ces formations un peu systématiques » [REP3]. Plus de la moitié de nos répondants évoquent ce-pendant des réserves sur certains aspects : « Le problème c’est que quand on est en formation, ça

va bien, parce que l’animateur est là, il t’aide et te dit ce qu’il faut faire, mais après tu te retrouves tout seul et si tu as pas tout noté, c’est impossible » [REP1]; « J’ai des fois l’impression que ce qu’on apprend dans ces formations n’est pas directement lié à ce dont on a vraiment besoin, il y a des décala-ges, alors si on utilise pas tout de suite, on oublie » [REP2]. Les principales remarques qui apparaissent sont surtout liées à l’adéquation des contenus avec les opportunités de les utiliser immédiatement : « C’est vrai que j’ai appris plein de trucs dans ces formations, mais bon, si tu n’utilises pas les cho-ses tout de suite, tu les oublies » [REP5]; « Pour moi le problème c’est que dans les formations tu as des marches à suivre précises, on te les donne et là, tu n’as pas de problème, […] Mais ces mar-ches à suivre ne marchent justement pas toujours quand tu as le problème » [REP4]. Un élément qui est partagé par quasiment tous les répondants est l’ambiguïté de l’objet de la formation : est-ce une formation strictement technique ou une formation à l’intégration pédagogique des TICE : « Je vois par exemple quand on me dit comment je dois préparer un cours avec les technologies ou, disons, définir des objectifs d’apprentissage, je me dis que c’est pas ça que je suis venu chercher. Moi, j’ai besoin qu’on m’explique comment fonctionne telle ou telle chose, mais sur le plan didactique, je suis au point » [REP1]; « Quand je prépare mes cours, j’ai plein d’idées qui viennent pour utiliser les techno-logies, alors j’ai besoin qu’on me dise par exemple comment je dois faire pour mettre un film d’Inter-net dans mon cours ou comment je dois faire pour enregistrer les étudiants, pas comment je dois gérer un groupe ou planifier des contenus » [REP2]. Si on leur demande d’être plus précis sur l’efficacité des formations, ils portent un regard un peu plus criti-que : « Je dois dire que je ne regrette pas d’avoir fait ces formations, ça donne une base sur laquelle on peut construire, mais c’est vrai que c’est de loin pas là que j’ai appris tout ce que je sais » [REP6]; « C’est pas une perte de temps, mais ça pourrait être plus efficace, ça devrait être plus différencié, mieux s’ajuster à nos besoins » [REP8].

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Les stratégies de déblocage et d’autoformation

Dans la seconde partie de notre entretien, nous nous sommes intéressés aux éléments qui touchaient les stratégies d’autoformation de nos répondants et ceci particulièrement lorsqu’ils se trouvaient face à des problèmes, des blocages techniques ou des ques-tionnements pédagogiques. La première réaction de l’ensemble de nos répondants est d’abord affec-tive : « Quand je suis planté, je m’énerve, […] ça m’énerve que je ne puisse pas continuer » [REP4]; « Je pleure un bon coup – rire! » [REP3]; « Alors, d’abord ça m’angoisse, disons, ça m’inquiète, je me trouve nul, je pense que je devrais savoir résou-dre le problème seul et je sais pas le faire » [REP3]; « J’essaie de prendre les choses avec philosophie, ne pas m’énerver, j’ai plus l’âge » [REP2]. Cette première réaction passée, huit personnes sur les neuf interrogées nous disent essayer de résoudre le problème seules par tâtonnement. Le premier ré-flexe étant de tester différentes pistes, pas toujours cohérentes et pas toujours de manière systéma-tique : « Bon, j’essaie de refaire le truc, ou bien, je tâtonne, je clique un peu partout » [REP1]; « Il me semble que ce que je fais c’est que je procède par essais-erreurs. Ça dépend du problème, mais si c’est un truc qui plante, j’essaie d’abord par moi-même parce que si je demande à quelqu’un, il faut que je puisse lui dire que j’ai déjà essayé ça et puis ça » [REP5]. C’est après cette première phase que la plupart d’entre eux se tournent vers un collègue situé généralement à proximité : « Alors, c’est pas compliqué, moi je vais demander autour de moi, je me dis que c’est encore le meilleur moyen et sou-vent le plus rapide » [REP6]. Quatre répondants sur cinq estiment qu’il y a dans leur entourage im-médiat des collègues capables de répondre au pro-blème : « En fait, d’être un peu nul, c’est une bonne solution parce qu’on trouve toujours quelqu’un de plus doué que soit [sic]. Et je dois dire que la plu-part du temps, les collègues m’aident volontiers parce qu’ils savent que je suis pas doué » [REP7]. Un seul répondant fait clairement référence aux for-mations qu’il a suivies : « Alors bon, je me rappelle

que dans le cours, on avait reçu une petite marche à suivre, alors je la cherche, je me dis, ça marchait comment déjà ce truc et puis j’essaie de résoudre le problème comme ça » [REP2]. Une autre per-sonne (experte) se trouve dans le cas contraire et parvient à résoudre assez facilement les problèmes quotidiens. Par contre, si le problème est plus im-portant, ce formateur dispose de contacts auprès de spécialistes qui peuvent lui venir en aide.

Partant de ces situations de blocage, nous avons également demandé à nos répondants de nous dire dans quelle mesure ils recouraient aux différents types d’aides (non humaines) à leur disposition dans les environnements de travail. Cinq d’entre eux – les moins à l’aise avec les TICE – disent ne pas recourir à l’aide en ligne : « J’ai l’impression que l’aide en ligne, c’est fait pour ceux qui ont déjà la solution. En tout cas moi, je sais jamais comment m’en servir » [REP1]; « C’est vrai, il y [a] l’aide en ligne, mais moi je préfère quand même le contact humain, la personne qui est là, à côté de toi, et qui peut vraiment répondre à ton problème. Peut-être que ce serait mieux de regarder l’aide après avoir régler [sic] le problème, pour retenir ce qui n’al-lait pas » [REP2]. Parmi les autres répondants, on constate que le recours à l’aide en ligne ou encore aux démonstrations et explications présentes sur YouTube, par exemple, est plus fréquent sans être systématique.

D’une manière plus générale, en réponse à nos questions portant sur les stratégies de déblocage, la plupart des sujets répondent qu’elles constituent une source d’énervement et de pertes de temps : « Je me passerais bien de ces moments car c’est vrai que je perds un temps précieux, parce que c’est justement quand t’es pressé que ça plante » [REP1]; « Ça énerve, ça c’est vrai, mais peut-être qu’on devrait prendre plus de distance dans ces moments-là » [REP2]. Dans ce sens-là, ils admet-tent volontiers que le tâtonnement pour essayer de résoudre des problèmes n’est peut-être pas la solu-tion la plus rapide et efficace. Cependant, la plu-part d’entre eux relèvent que ce qu’ils ont appris dans ces situations est plus durablement retenu et réinvesti dans des situations ultérieures. L’un d’eux

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nous a dit que les blocages informatiques sont aussi l’occasion de discuter avec des collègues et qu’en ce sens, la chose peut être vue assez positivement.

Comment nos répondants s’y prennent-ils lorsque le problème dépasse le cadre strictement technolo-gique pour déborder sur le domaine didactique ou pédagogique? Dans l’ensemble, on peut dire que ces aspects font plutôt l’objet d’un questionnement en amont, avant même une réflexion sur l’intégration des TICE. En effet, les aspects liés à la planification des cours, à la conduite des activités et plus généra-lement aux objectifs poursuivis dans une séquence d’enseignement ne semblent pas être connectés à priori avec des aspects techniques : « Je discute beaucoup avec ma collègue pour la planification de nos cours parce qu’on donne un cours en parallèle. Des fois, je discute également avec des collègues qui ne donnent pas les mêmes cours que moi, mais il me semble que c’est pas le même genre de pro-blème » [REP1]; « J’ai l’impression que si on pense à un truc technique ensemble et que c’est faisable, ça va s’intégrer automatiquement. Le problème, il est là quand j’ai envie de faire quelque chose de particulier, par exemple un petit film et puis que je ne sais pas comment faire. Alors là, c’est vrai, il faudrait que le technicien puisse venir filmer et puis ensuite faire le montage et moi je pourrais en-suite exploiter tout ça […] Mais ça, c’est une uto-pie compte tenu de nos agendas et notre emploi du temps » [REP2].

Intégrer les TICE dans les cours comme moyen de former les étudiants

Dans la dernière partie de notre entretien, nous avons questionné nos formateurs sur la valeur que leurs pratiques pédagogiques (notamment en ma-tière d’intégration des TICE) pouvaient avoir sur leurs étudiants (de futurs enseignants). La grande majorité des répondants (7 sur 9) estiment que faire vivre aux étudiants des situations où ils utilisent les technologies pour apprendre est un bon moyen pour effectuer un transfert dans leur propre prati-que : « Oui, je pense que c’est important qu’ils [les étudiants] vivent des situations de formation où les technologies sont présentes. Je crois que c’est un

peu le cas ici » [REP4]; « Je ne dis pas qu’on doit être des modèles, mais en tout cas, il ne faudrait pas qu’on soit des contre-exemples » [REP2]; « En uti-lisant les TIC ici, ils apprennent à les utiliser pour apprendre » [REP9]. Même si nos sujets considè-rent ce principe d’isomorphisme comme impor-tant, ils s’empressent d’ajouter que leurs étudiants auront à les intégrer dans des contextes très diffé-rents de ceux de la formation puisqu’ils enseigne-ront à l’école primaire ou secondaire : « Dans mes cours, plus des trois quarts des étudiants viennent avec leur ordinateur, ils prennent des notes, font des recherches, etc. C’est pas du tout le cas dans les classes [où ils sont en stage], donc même si c’est bien que je montre l’exemple, c’est pas vraiment pareil, ils peuvent faire des transferts, mais pas sur tout » [REP6]; « Il faut relativiser parce qu’on [n’]a pas les mêmes conditions, moi je ne peux pas faire les mêmes types d’activités qu’on peut faire avec les élèves » [REP5].

Discussions et conclusion

Le premier but de notre recherche était de nous questionner sur les compétences des formateurs d’enseignants sur le plan technique et en matière d’intégration des TICE. Les entretiens que nous avons conduits nous montrent que les formateurs d’enseignants interrogés ont de bonnes connaissan-ces techniques. Elles sont le résultat de formations de base (dispensées par l’établissement) que la plupart d’entre eux ont suivies. Elles s’appliquent principalement à la circulation de l’information (courriel, usage des serveurs), elles touchent la bu-reautique au sens général (traitement de texte, pré-senteur, tableur…), la gestion des étudiants (suivi des crédits et des notes) et plus marginalement l’utilisation de logiciels spécifiques, par exemple pour des travaux de recherche. S’agissant de ces différents domaines de compétence, lorsque l’utili-sateur est face à un problème, il essaie de le résou-dre par lui-même plus ou moins efficacement avant de demander de l’aide autour de lui. La plupart du temps, il trouve des réponses satisfaisantes (au prix de quelques tâtonnements) et ce faisant, il enrichit

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ses compétences techniques. Nous voyons là une articulation entre formation formelle (de base) et informelle acquise « sur le tas » dans l’exercice du métier où il y a un enrichissement de la première par la seconde.

Lorsqu’on évoque l’intégration pédagogique des TICE (allant au-delà de la maîtrise technique des logiciels pour toucher la présence de technologies dans les dispositifs d’enseignement-apprentissage), les répondants sont moins explicites car, pour la plupart d’entre eux, les formations traitant de cet aspect semblent plutôt éloignées des situations d’enseignement qu’ils vivent et peu ajustées à leurs besoins. En ce sens, elles ont peu de prise sur les pratiques elles-mêmes. Par ailleurs, ils n’évoquent pas non plus de « blocage » particulier sur cet as-pect et sollicitent donc peu de ressources informel-les pour pallier leurs manquements. Pour eux, la présence de technologies intégrées à un dispositif de formation ne constitue pas à priori un question-nement. En ce sens, on peut dire qu’il y a peu – ou pas – de formation informelle dans ce domaine.

Même s’il est difficile de dissocier les aspects techniques des contingences pédagogiques, ces réflexions nous poussent à nous questionner sur l’intérêt de développer davantage une articulation entre formation formelle et informelle pour les di-mensions pédagogiques de l’intégration des TICE. Nous l’avons constaté, sur le plan technique, nos répondants ont développé des stratégies pour ré-pondre aux problèmes qu’ils rencontrent. Certes, c’est parfois au prix d’errances ou d’énervements, mais il semble que chacun ait trouvé un moyen pour dépasser un obstacle technique tout en déve-loppant des compétences à partir d’un tissage entre formation formelle (ce dont ils se souviennent des formations) et informelle (ce qu’ils acquièrent sur le terrain avec l’aide de collègues ou par leurs pro-pres moyens). C’est en quelque sorte une manière d’habiller ce que Bataille (2010) décrit comme l’ossature issue des formations formelles. À nos yeux, il pourrait en être de même pour une intégra-tion pédagogique des TICE (encore déficitaire dans nos établissements) où la notion même de problème

n’apparaît pas explicitement dans les discours de nos sujets. En effet, les formateurs que nous avons interrogés n’ont pas de difficultés sur le plan didac-tique dans l’enseignement de leur discipline. Ce-pendant, certains d’entre eux souhaiteraient essayer de nouvelles approches ou dépasser d’éventuelles frustrations en recourant notamment aux TICE. Comme il n’existe pas à priori de modèles « tout faits » à appliquer dans ce domaine (Boéchat-Heer, 2011), il semble que des pistes intéressantes pour-raient être développées à travers des échanges de pratiques comportant une confrontation des regards des formateurs sur les dispositifs de formation des-tinés aux étudiants. Ce faisant, les souhaits des uns seraient possibles à déterminer et les difficultés et les écueils pédagogiques des autres constitueraient le cœur d’une réflexion sur le rôle que les TICE peuvent jouer dans les apprentissages. Ces moda-lités d’échange et de formation informelle seraient à encourager et à valoriser dans les établissements. Elles permettraient à la fois de disséminer les ex-périences positives et d’accroître les compétences des formateurs.

Dans un autre ordre d’idées, plusieurs de nos ré-pondants nous l’ont dit, la confrontation à un pro-blème mobilise beaucoup d’énergie. Lorsqu’on est dans l’urgence et qu’il faut dépasser un obstacle, le temps est précieux et il faut rapidement trouver des solutions. En ce sens, il serait souhaitable que les formations proposées s’attachent davantage à développer des compétences d’autoformation qu’à former les apprenants sur des aspects particuliers. Sur le plan technique, cela semble évident car les savoirs acquis en formation sont rapidement dé-suets compte tenu de la rapidité de développement des appareils et des logiciels. La chose se défend également sur le plan pédagogique, notamment si l’on songe au développement de nouvelles ap-proches pédagogiques liées notamment à l’en-seignement à distance (e-learning, m-learning). Former les formateurs à la constitution de réseaux d’échanges personnels (par exemple sur Internet), à la découverte et à l’appropriation d’expériences positives d’intégration des TICE ou encore à l’éla-boration d’un portfolio numérique rofessionnel fa-

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vorisant le partage d’expériences avec d’autres col-lègues constitueraient des enjeux intéressants pour des formations qui leur seraient destinées.

Enfin, à ces propositions pourrait s’ajouter celle d’un accompagnement des formateurs d’ensei-gnants dans ces dispositifs. Cela permettrait de mettre en lumière ce que Tremblay avait déjà dé-signé comme des manières d’apprendre autrement, de convoquer le collectif de manière systématique dans le développement de compétences, d’inscrire l’acquisition de connaissances dans les lieux mê-mes de l’exercice de l’action et de développer un regard distant sur les processus en jeu. Ces diffé-rents éléments constituent selon nous les compo-santes d’une véritable innovation à construire avec les acteurs eux-mêmes (Jacquinot-Delaunay et Fichez, 2008). Comme le souligne Linard (2003), en matière de technologie, ce sont moins les équi-pements et les humains que les conceptions de la connaissance et les méthodes d’apprentissage qui sont en cause. Selon nous, des espaces informels de réflexion et de formation constitueraient sans doute de bons endroits où il conviendrait d’interro-ger précisément ces conceptions et les modalités de formation des étudiants. Il s’agirait pour cela de dé-velopper dans les établissements des espaces de for-mation informelle, de proposer aux collaborateurs des occasions d’apprendre autrement, de leur offrir la possibilité de capitaliser le savoir et de pouvoir le partager avec d’autres, créant ainsi de véritables communautés apprenantes propres à construire ce rapport aux technologies indispensables selon nous si l’on attend une véritable imbrication entre finalités pédagogiques, dispositifs d’enseignement-apprentissage et usages des TICE. Les formateurs d’enseignants commencent à se saisir de ces objets et à explorer ces pistes. Gageons qu’ils poursuivent cette réflexion jusqu’à une implantation complète et cohérente de manière à ce qu’un transfert soit possible et surtout effectué sur le terrain par les fu-turs enseignants qui sont leurs étudiants.

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