Les fonctions de la Fte
Epreuve de culture gnrale et expression
Ce dossier sur les fonctions de la fte a t ralis par le groupe
de travail acadmique compos de sept professeurs: Mme Bras-Charavin
Florence, Monsieur Fabre Jean-Claude, Monsieur Gerbal Yves, Madame
Joucla Vronique, Madame Lck Frdrique, Madame Massot Michle, Madame
Ropolo Mickal, pilot par Madame Grare Christabel IA-IPR de
Lettres.
1. Synthse:
Vous ferez une synthse objective, concise et ordonne des
documents ci-joints consacrs aux diffrentes fonctions de la
fte.
Document 1 : Loc JOFFREDO : Les ternels retours (consultable sur
le site
http://www.cndp.fr/RevueTDC/som766.asp.
Document 2 : Claude IMBERT : Un ballon tricolore , Editorial de
1'hebdomadaire Le Point
(18 juillet 1998)
Document 3 : Dossier Les fonctions des ftes du point de vue
sociologique
http://tecfa.unige.ch/tecfa/teaching/UVLibre/0001/bin59/spsycho.htm
2. Ecriture personnelle: au choix
Sujet 1: Vous rpondrez dune faon argumente la question suivante
en vous appuyant sur les textes du corpus et sur vos lectures
personnelles:
Pensez-vous que les ftes actuelles favorisent la cohsion du
groupe?
Sujet 2: Vous rpondrez dune faon argumente la question suivante
en vous appuyant sur les textes du corpus et sur vos lectures
personnelles:
Pensez-vous, comme Loc Joffredo, que les ftes actuelles sont
devenues des affaires prives?
Document 1 : Loic JOFFREDO : Les ternels retours
LES LECONS DE LA FETE
Le temps sacralis prdispose la fte remplir une fonction
essentielle : I'intgration du groupe. Toute fte est un
rassemblement massif d'individus, mus, comme en une pulsion, par un
besoin de se runir dans un espace et de commmorer un mme fait. Par
I'organisation des crmonies et la prparation des spectacles dj, le
consensus s'effectue autour d'une mmoire commune de la fte qui se
rpte chaque anne. Lieux, dcors, costumes, activits et rites divers
fixent I'imaginaire et concourent la cohsion du groupe. La fte
gomme les fractures sociales : il n'y a plus ni acteurs ni
spectateurs, mais un mme ensemble de clbrants tous associs aux mmes
formes rituelles, unis par un mme sentiment d'appartenance une
communaut religieuse, sociale, nationale. En outre, I'intensit de
la fte croissant, les hommes perdent toute individualit pour se
fondre dans la grande matrice universelle. Dpense corporelle,
alcool, drogues et autres psychotropes sont de la fte, ils la
fondent mme.
Cependant, la fte est une initiation aux rgles de la socit et
I'ordre des choses. Remarquons que c'est la jeunesse qui gouverne
la fte traditionnelle. Celle-ci lui est mme destine. En ractivant
la mmoire du groupe, en transmettant des usages, des modles et une
tiquette, en codifiant les relations entre hommes et femmes par le
biais des danses, en contenant leur puissance virile dans les rgles
des comptitions et des joutes, en les soumettant la discipline
militaire des cortges, la fte fait intrioriser aux jeunes les
fondements d'une vie en socit.
Le rassemblement obit une sorte de pulsion, il se fait toutefois
autour d'une parole institue, une sur-parole . C'tait jadis un
pome, la bndiction du prtre ou le message lu par le hraut qui
inaugurait la fte ; c'est aujourd'hui le discours du maire, l'hymne
national ou le concert de I'idole qui proclame Que la fte commence
!
Autre aspect essentiel : la fte reproduit, en les ritualisant,
les hirarchies en usage, se place sous les auspices d'un pouvoir,
religieux si la fte est sacre, politique si elle est profane... ou
conomique si elle est sponsorise! Saints patrons et rois conduisent
toujours la fte, mme dsigns par une fve, ou gants de pacotille,
comme dans les ducasses du Nord.
DESORDRES ET VIOLENCES
Si la fte assure la continuit du temps et se rvle facteur de
cohsion sociale, elle scrte aussi la rupture et le dsordre. Son
drglement lui est mme propre. Au dfil crmonieux du 14 Juillet
succde le bal populaire dbrid, le ramdam de la nuit musulmane
compense le jene rituel de la journe, Carnaval n'existe que par
rapport au Carme venir.
Les ftards transgressent ainsi rituellement les normes de la vie
sociale, en mme temps qu'ils les respectent. La fte, crit Freud,
est un excs permis, voire ordonn, une violation solennelle d'un
interdit. Le premier interdit est alimentaire. Tandis que
I'essentiel de I'anne d'une socit traditionnelle est tourn vers la
survie, la restriction, voire la privation, la fte est le moment
des ripailles et du gaspillage qui conjurent I'incertitude des
lendemains. Le temps des carnavals, qui culmine lors du mardi gras
, est I'occasion de manger tout son saol, avant que la priode de
carme ne vienne priver de viande (carne levare en latin, d'o le
carnaval) le fidle et le contraindre une priode d'abstinence de
quarante jours jusqu' Pques.
Le deuxime interdit est social. Les hirarchies prcdemment voques
peuvent tre railles, inverses lors de saturnales ou de carnavals
(le jeune devient vieux, le sage fou, I'homme animal et le pauvre
riche) ;
I'autorit suprme, royale ou divine, est brocarde dans la drision
(I'lection d'un contre-pouvoir parodique) ou le blasphme (se
travestir, s'affubler d'un masque et d'une nouvelle identit, c'est
dj contrevenir au pouvoir crateur de Dieu). Vacarmes, injures,
drglements de toutes sortes miment la brisure du consensus social.
Le carnaval est, par excellence, I'occasion licite de toutes les
revanches, la ncessaire soupape de scurit de socits aux moeurs
rigides, comme ce fut le cas en Occident au Moyen ge.
Le dernier interdit transgress est bien sr sexuel. L'homme fait
la femme, et vice versa ! Mais ces transgressions, toujours
symboliques, dsignent d'autant mieux les limites ne pas franchir
d'ordinaire qu'elles ont souvent pour fonction de rgler des
conflits. Ainsi des charivaris, dans lesquels les jeunes gens des
socits d'autrefois harcelaient bruyamment les veufs et veuves d'ge
mr afin de les empcher de se remarier avec plus jeunes qu'eux.
Lors de ces ftes du dsordre, le groupe ne cesse en fait de
contrler 1'individu. Or, la purgation peut se transformer en
sdition. La force du drglement se rvle telle que la fte constitue
un danger pour le groupe, ses codes et surtout ses autorits.
Terrain d'lection de la circulation des opinions peine voiles et
des pamphlets plus subversifs, elle rassemble une foule qui, de
joyeuse, devient dangereuse. La fte est alors dvoye et engendre la
rvolte ; Romans, en 1580, le carnaval dgnre en affrontements
violents anims par d'autres rituels de purification. Mais la rvolte
peut aussi se rvler fte : les grves et occupations d'usines de 36
ou 68 ont t les thtres de mmorables liesses, o des rituels nouveaux
se mettaient en place...
FETES D'AUJ0URD'HUI
La fte n'est pas plus absente de nos socits modernes que jadis.
Les valeurs dominantes du travail et de I'individualisme, la
concurrence d'autres loisirs (sportifs, mdiatiques) ont certes
rduit I'importance sociale des grandes ftes traditionnelles. En
outre, leur dimension sacre a perdu sa justification dans des
socits o la religion s'rode, o la libration des moeurs rend vaine
la symbolique transgression des usages, et o la surconsommation
vide la bombance festive de son sens. Les grandes commmorations
collectives ne font plus recette. Cependant, la fte est toujours
vivace. Ou plutt les ftes, multiples et multiformes.
Deux temporalits s'y opposent. La premire, lente, archaque,
s'attache encore aux grands retours cycliques. Elle exprime dans la
floraison des petites ftes locales, que les associations ou les
municipalits, souvent des fins touristiques, font revivre : ftes
paysannes, culturelles, de quartier, fest noz ou ferias animent les
saisons estivales et profitent de la nostalgie des racines perdues
et des sociabilits I'ancienne . La seconde, plus rapide, spontane,
parpille, est celle de la fte des jeunes , largement observe par
les sociologues. On s'y clate , tous points de vue. D'abord parce
que les innombrables modes et cultures qui lui donnent ses
apparences traduisent les appartenances micro-identitaires du
groupe des jeunes : entre le rallye de la jeunesse dore, les
parades gays et le concert de hard rock, il y a en effet tout un
monde ! Ensuite parce que, s'cartant radicalement des usages de
convivialit enseigns par les parents et des codes festifs
traditionnels, les jeunes recomposent le rythme de leur fte : le
rassemblement au caf ou chez I'un d'eux ; le non-repas (inverse du
banquet, centre de la fte traditionnelle), compens par I'alcool ;
le passage en revue des lieux festifs (boums, botes, bals,
concerts...) permis par les facilits de circulation ; la qute
(parfois vaine) de la fte , celle o I'ivresse atteint son paroxysme
; la drive festive, ailleurs, en des lieux plus insolites, plus
surrels, plus interdits (la route grande vitesse, le parking, les
catacombes...). Enfin, la recherche de I'abandon de soi, dans un
univers o I'absence de normes est la norme, constitue souvent le
but ultime ; elle est la preuve paradoxale qu'on existe, peut-tre
semblable en cela ces orgies qui, lors des pestes de jadis, se
rvlaient une chappatoire la misre des temps : carpe diem contre le
no future.
Diverses, joyeuses ou inquitantes, institues ou spontanes, les
ftes d'aujourd'hui tmoignent ainsi de la fragmentation de nos
socits et de I'impossibilit d'avoir dsormais un rythme social
commun. La rjouissance est devenue une affaire prive.
Loc JOFFREDO : Les ternels retours (consultable sur le site
www.cndp.frlRevueTDC/sm766.asp).
Document 2 : Claude IMBERT : Un ballon tricolore
Cest entendu, pour cette coupe du monde, tout fut au mieux:
1'organisation, le retentissement plantaire, et, pour couronner le
tout, la victoire franaise, premire du genre. De quoi jeter notre
nation dans une prodigieuse allgresse. Ma foi, tant mieux! Toqu ou
non de football, chaque Franais s'en rjouit : dans un pays depuis
longtemps mlancolique, une telle exultation ne se refuse pas. Cela
dit, comment mesurer I'effet de 1'exploit sur 1'humeur nationale?
Comment dceler les ressorts cachs de cette extase sans tomber dans
1'hystrie interprtative ?
Pour comencer par le plus sr, disons que le parcours franais
vaut dj notre pays une faveur internationale palpable. La sidrante
mdiatisation mondiale achve d'y faire dgringoler 1'effigie du
Franais pantouflard bret et baguette de pain qui ne survit plus que
dans la presse de caniveau britannique. L'conomie marchande
carburant, on le sait, 1'image, la dmonstration d'efficacit
franaise nous sera, coup sr, urbi et orbi profitable.
Pour valuer ensuite les retombes de 1'extase populaire, il
importe de bien raliser qu'aujourd'hui la diffusion globale et
instantane de tout vnement public fait exploser sa charge motive.
Elle rassemble et agrge d'abord les passionns puis les hsitants (
il faut en tre... ) dans une sorte de commotion publique. La joie
tourne la transe. Nous avons connu le mme phnomne d'mulsion sociale
avec la mort de Diana. Ici hystrie d'affliction, l hystrie de
joie!
Il est d'ailleurs piquant de constater que les technologies les
plus modernes de communication, en reconstituant les foules
nouvelles du village audiovisuel, rveillent les houles et pmoisons
des foules primitives. Ainsi nos politiques devraient-ils viter de
trop se monter le bourrichon sur ces effusions de masse en
confondant le peuple avec la foule. Car le peuple est en haut, mais
la foule est en bas... (1).
Faut-il alors recaler tous ces discours sur la patrie retrouve,
sur 1'unit nationale reconquise? Non, les relativiser seulement !
Car ces drapeaux, ces Marseillaise ne comptent pas pour du beurre.
La patrie n'est pas de bois, je veux dire de codes et de lois. Elle
est faite de rves et de symboles, de fanions et de chansons, de
monuments et de clichs, de hros lgendaires et d'images d'Epinal.
Elle se nourrit d'une mythologie guerrire, tant il est vrai que la
grandeur d'une patrie ne fut souvent fonde que sur les dfaites de
ses voisins. Le tournoi sportif, substitut ludique de la guerre,
sacrifie pacifiquement la mme mythologie. Dimanche, dans
1'explosion de joie populaire, se glissait le dsir d'apaiser, dans
cette campagne de France sportive, une demande de fiert nationale.
D'en finir avec une longue maussaderie, de renouer vaguement avec
une fraternit perdue. Images fugaces, lans fugitifs d'une communaut
festive qui retombera vite dans ses cases et ses castes? Sans
doute! Mais ces images et ces transports claircissent 1'humeur
nationale. D'ailleurs, les politiques ont vite pris le vent.
Jacques Chirac, le premier, aura gonfl sa voile de ce bel aquilon.
Dans notre symbolique constitutionnelle, quand la patrie resplendit
(c'est rare!) le prsident s'illumine.
1. Citation extraite de L'anne terrible de Victor Hugo.
Claude IMBERT : Un ballon tricolore , Editorial de
1'hebdomadaire Le Point
(18 juillet 1998)
Document 3 : Dossier Les fonctions des ftes du point de vue
sociologique
La fte relve la fois de la spontanit et de 1'institution. En
tant que phnomne social, elle possde des rgles et une logique
propre qu'on peut retrouver dans nombre de socits au cours de
1'histoire, de 1'Antiquit 1're industrielle. Les traces les plus
anciennes que nous possdons sur les ftes proviennent de Msopotamie,
berceau de plusieurs civilisations. Cependant, il est nul doute que
les ftes aient exist depuis 1'aube de 1'humanit. En effet, la fte
remplit des fonctions essentielles pour la communaut.
Une premire fonction est celle de favoriser la cohsion et
1'homognit du corps social. La fte renforce symboliquement le
sentiment d'appartenance un groupe. Elle a aussi une fonction de
conservation, en transmettant de gnration en gnration un ordre qui
peut remonter aux origines. En effet, elle renouvelle priodiquement
les croyances et les mythes fondateurs du groupe, permettant ainsi
de relier le prsent au pass et d'inscrire les membres de la
communaut dans une histoire qui les dpassent en tant qu'individus.
Il arrive aussi que 1'on choisisse au cours d'une fte un bouc
missaire, que lon charge de tous les maux de la communaut. Par
cette coutume, la communaut se trouve purifie.
Une autre fonction est celle de conscration : par le culte des
dieux et les crmonies, elles doivent permettre le progrs moral des
individus.
La rupture avec la vie quotidienne
On pourrait dfinir la fte comme un vnement sacr vcu par la
communaut comme un moment de vie intense en rupture complte avec la
vie quotidienne. Ainsi, la fte interrompt le cours de la vie
quotidienne, qui s'oppose 1'effervescence de la fte au cours de
laquelle 1'individu se sent soutenu et transform par des forces qui
le dpassent. L'existence des ftes vient justifier la banalit d'une
vie tisse d'obligations.
La spcificit de la fte n'apparait que si on 1'analyse par
opposition avec la vie quotidienne. Les ruptures avec la vie
quotidienne s'effectuent sur diffrents plans :
Rupture du temps : la fte marque un retour au temps origine],
mythique et, par l, la reprise du pass dans le prsent. Le moment de
la fte est vcu comme sacr et hors du temps. Les jours de ftes n'en
sont pas moins placs certains moments prcis de 1'anne : changement
de saisons, rythme des travaux agricoles, commmoration d'vnements.
La fte est la fois 1'abolition et la commmoration du temps.
Rupture de 1'espace : la fte permet une ouverture entre des
espaces habituellement spars :
- entre 1'intrieur et 1'extrieur de la communaut. La fte atteste
priodiquement de 1'unit de la communaut, qui peut alors admettre de
nouveaux membres.
- entre monde rel et imaginaire : la fte sert aussi crer un
monde nouveau, par ses costumes, ses
personnages, ses lgendes qui violent les lois de la vie relle,
comme dans le cas du Carnaval. - entre monde divin et monde humain.
La fte favorise 1'immersion de 1'me humaine dans une ralit qui la
transcende.
- parfois mme entre le monde des vivants et des morts, comme
dans 1'exemple d'Halloween. La fte permet donc de rconcilier des
forces contraires. Ainsi, elle traduit une recherche par la
communaut d'un quilibre entre ses membres.
Rupture des normes du groupe : il y aurait deux types de ftes.
Les premires sont les ftes de 1'ordre, qui suivent un double
conformisme : rptition dans le temps et rigidit du droulement de la
fte. Les secondes sont les ftes du dsordre. Dans ce cas, la fte est
un vritable renversement des moeurs et des rgles en vigueur dans la
communaut. Elle a une dimension transgressive, souvent souligne par
les analyses anthropologiques. Au moment de la fte, l'ordre premier
de la communaut est remplac par un ordre inverse et temporaire qui,
loin de remettre en question la stabilit de 1'organisation sociale
antrieure, tend la consolider. Ainsi, le chaos apparent est en
ralit trs strictement rglement. De mme, le retour 1'ordre antrieur
est prvu et prpar. Le groupe mobilise ses forces pour assurer son
avenir. Selon ce point de vue, la fte a fonction purificatrice et
sert rgnrer priodiquement la socit. Freud dveloppe la mme thse dans
son ouvrage Totem et tabou: la fte est un excs permis, une
violation solennelle d'une prohibition. Elle permet 1'individu et,
plus largement, la communaut de librer les pulsions que la socit
contrle fortement en temps ordinaire. L'exemple le plus connu des
ftes du dsordre est le Carnaval. En effet, le Carnaval est une
priode de licence, pendant laquelle les rgles de la vie normale
sont temporairement inverses.
Les ftes racontent aussi 1'histoire, la mime, la critique. Par
exemple, le Carnaval de Rio peut tre vu comme une revanche
symbolique des communauts africaines occupant historiquement le bas
de 1'chelle sociale.
Dossier Les fonctions des ftes du point de vue sociologique
http:/ltecfa.unige.ch/tecfa/teaching/UVLibrel00011bin59/spsycho.htm
