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Après l'inceste est paru chez InterEditions : L’auteur nous propose dans ce livre un véritable reportage, aboutissement d’un travail intime et personnel, qui va à l’essentiel au-delà du discours de la plainte et de la colère.Noëlle Le Dréau apporte un nouveau regard sur l’inceste et bouscule les idées reçues : en remontant à travers sept générations de femmes et d’hommes, elle narre sa propre vie et l’inceste qu’elle a vécu dans l’enfance jusqu’au dévoilement du secret à l’âge adulte. Elle démontre ainsi la pertinence de l’analysetransgénérationnelle qui permet de mettre en lumière dans quels schémas parentaux s’origine le crime de l’inceste.Premier livre à associer aussi magistralement témoignage et étude clinique, l’ouvrage de Noëlle Le Dréau sera précieux pour toutes les victimes d’inceste ou de viol, autant que pour leur entourage, les praticiens et les acteurs sociaux.« Si la violence est une atteinte à notre dignité et à nos droits fondamentaux à la vie et à la sécurité, le témoignage de Noëlle nous montre à quel point la violence de l’inceste opère un véritable meurtre identitaire et transgénérationnel » (extrait dela Préface du Docteur Muriel Salmona, psychiatre).
Citation preview
1
NOËLLE LE DREAU
APRES L’INCESTE … Comment je me suis reconstruite avec la psychogénéalogie
Courts extraits et Table des matières
InterEditions
2
Avant-propos
A FAMILLE DE NAISSANCE (ma mère, ma fratrie, mes
tantes…), ainsi que deux de mes trois enfants pour-
tant adultes, n’ont pas avalé le morceau ! Ma famille a explosé
lorsque, tétanisée, j’ai enfin osé dire, à cinquante ans, avoir
été victime d’inceste paternel. C’était en 1996, il y a quinze
ans.
En sortant le secret de son tombeau, je n’avais pas imaginé
la « Famille unie » plastifier mon vécu dans le déni, s’enrouler
ainsi sur elle-même, d’un seul Corps, se mettant en quaran-
taine. S’excluant, m’excluant. Violemment.
Démanteler ce fatras de mensonges déversés contre moi !
Le temps vint ainsi pour moi de ne plus être vaincue par ce
chaos, par ce vide creusé, par ces relations parties en lam-
beaux, ces valeurs désagrégées comme si rien de sensé n’avait
jamais compté entre nous, grands et petits.
Tenant à sauver ma peau pour ne pas ajouter d’épreuves à
mon mari, ma famille d’origine et ma famille nucléaire, j’ai
dû apprendre à faire « sans »… sans l’aîné ni la benjamine de
mes trois enfants, sans ma mère, mes sœurs, frère, neveux,
oncles et tantes… un parcours sombre, pourtant jonché
d’humanités, et l’amour d’Alain m’a donné la force de réin-
venter ma vie, de libérer en moi ce livre tant de fois remanié
et enrichi par un long chemin d’analyse psychologique,
d’analyse et d’apprentissage psychogénéalogique.
Aujourd’hui, après ce travail personnel de plus de quatorze
ans sur le lien familial qui m’a donné le recul nécessaire pour
analyser des situations complexes, je témoigne donc intime-
ment et psychogénéalogiquement, afin :
M
© InterEditions, 2011
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de faire œuvre utile dans le collectif ;
donner des outils susceptibles de coopérer en faveur de la
prévention de l’inceste et du mieux-être des personnes
agressées et leurs accompagnants voulant bien accepter
que l’« on peut s’en sortir », que l’on peut ne pas rester
victime à vie, et se sentir un jour libéré du poids de cette
trahison, de ce meurtre psychique qu’est l’inceste.
Être libéré de l’inceste pour moi, c’est :
ne plus se sentir coupable d’être victime de ce crime qui
n’est pas imaginaire ;
avoir senti peu à peu la colère s’apaiser en soi, jusqu’à dis-
paraître ;
avoir remarqué la dévalorisation de soi s’amenuiser ;
avoir vu peu à peu décliner les symptômes physiques,
émotionnels et mentaux (dépression, addictions, troubles
du sommeil, de l’appétit…) ;
se sentir récupérer de l’énergie, de la créativité, l’envie de
vivre, et se mettre en action pour cela.
Se libérer de l’inceste avec la psychogénéalogie c’est :
avoir pris conscience que la famille n’a pas qu’une facette,
elle ne s’inscrit pas dans une logique aussi banale que moi,
papa, maman, mes frères et sœurs ; elle est un ensemble,
dont chaque membre, vivant ou décédé, est interdépendant,
héritier, transmetteur (et le plus souvent à son insu).
Ainsi, on inscrit dans les faits que l’on vit une existence in-
teractive ;
avec celles de tous les membres d’une famille, des groupes
familiaux et des générations nous ayant précédé ;
avec des logiques comportementales et des croyances aptes
à produire une « survivance » de ce groupe dont nous
sommes issus mais que nous faisons également vivre du
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seul fait d’en être né biologiquement (ou symboliquement
lorsque l’on a été adopté).
Ainsi, pour survivre, par logique biologique, la famille est
composée d’individus eux aussi pourvu d’émotions et de res-
sentis, capables du meilleur mais aussi de trahison, de secret,
de non-protection de l’enfant, de duplicité le cas échéant, afin
de ne pas trahir l’ordre de survie du groupe.
Chaque famille est composée de multitudes composantes
s’inscrivant dans les contraintes et les lumières de la vie, avec
des effets rétro-actifs, tels des systèmes se reproduisant ou se
modélisant de générations en générations, de fratries en fra-
tries. Recomposer l’Arbre des générations nous ayant précédé,
le décrypter, fait naître en soi un sentiment d’appartenance, de
compréhension, donne du sens à l’histoire familiale et par
conséquent à la sienne propre.
Cela apporte un ressenti de pacification, chacun récupérant
« sa » place :
les morts dont on n’avait jamais entendu parler mais dont
les deuils non faits, en écho, gênaient la famille sans que
les efforts soient faits par les uns ou les autres pour identi-
fier l’origine de ce malaise ;
et les vivants, dont SOI.
But de la psychogénéaologie
En résumé, en matière d’inceste, la psychogénéalogie a ce but de :
• démonter visuellement le mécanisme et mettre en perspective les dynamiques transgénérationnelles ayant fait basculer l’immense désarroi du passé fami-lial (souvent provoqué par des faits et/ou ressentis de violences, trahisons, injustices) dans un présent désta-bilisant, déstabilisé, terriblement souffrant ;
• pour exprimer une compréhension de la systémie ayant conduit à ce délit ;
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• au fil du temps s’autoriser à y trouver « le sens » de ce non-sens ;
• se libérer de ces répercussions en chaîne de la famille incestueuse et du poids des émotions du drame ;
• pour enfin se sentir et être libre progressivement de ce crime d’inceste, se sentir le droit de vivre, et, pour ce-la, mettre tout en place dans une conduite de succès.
DEMARCHE PSYCHOGENEALOGIQUE
Recueillir les informations du passé des membres de notre
famille pour donner du sens à leurs inconsciences ou folles
postures n’est parfois plus possible, de vive voix. Mais
toutes, tous nous avons un acte d’état civil, et toutes, tous
nous pouvons remonter au moins sur trois, quatre, voire
cinq générations, grâce à la généalogie. Sauf cas excep-
tionnel de personnes issues de pays n’ayant plus ou jamais
eu d’archives, tous nous avons le pouvoir d’aller de l’avant
dans les vieux grimoires des archives contemporaines.
Une fiche technique se trouve en fin d’ouvrage.
Puis, grâce à ces informations, dessiner sur un schéma, ap-
pelé génogramme, constitué de carrés et de ronds, ces
« anciens », ces anciennes dont jusqu’à hier nous n’avions
jamais pensé qu’ils nous avaient légué aussi de leurs si-
lences, de leurs chagrins jamais guéris (des morts
d’enfants, ou à la guerre, ou victimes d’intempéries, ou
ruptures d’alliances, ou mésalliances, ou…)
Chemin faisant, la grille de lecture s’articule comme sur
une partition de musique, parsemée de croches ou doubles
croches, de pauses, de soupirs, mais aussi de répétitions… de
cycles, de rythmes… et c’est ainsi que se déploie sous nos
yeux, une multitude de logiques, d’explications des position-
nements des uns avec les autres, de leurs conditionnements,
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des valeurs que chacun a fabriquées, transmis, des drames vé-
cus par eux dont les échos ont ricoché dans l’espace-temps
familial jusque dans le contemporain. Ainsi se dessine un
lourd trajet de non-dits, de médits, de sens et de non-sens, ex-
plicitant, au moins un peu, les comportements même odieux
de tel ou tel parent contre nous.
Cette découverte n’excuse personne, ni n’accuse. Elle revêt
une importance majeure de décryptage de sens, de
l’usurpation de ce qu’aurait dû être notre place dans notre fa-
mille et par répercussion dans la société. Nous devenons alors
capables d’ouvrir une nouvelle expérience de vie.
Ainsi, être libéré de l’inceste, pour moi, ce n’est pas se
rendre amnésique. C’est pouvoir « vivre avec » en ayant pris
de la distance avec les blessures occasionnées.
C’est avoir, en soi, dégagé les ressentiments, les colères.
C’est s’être désidentifié de la posture de victime, pour ne plus
être prisonnier d’un système manipulateur et sclérosant. C’est
être enfin ancré dans sa vie, la sienne, éclairée pourtant du
monde ancien de la famille qui fut telle qu’elle fut, même si
elle fut écorchée, éprouvée, violente, narcissique, hypocrite,
comme la majorité des familles incestuelles. C’est aussi avoir
accepté ces faits auxquels on ne peut rien changer.
Puis avoir transmis l’histoire de ces racines familiales et la
nôtre oralement ou par écrit à nos enfants, petits-enfants, cou-
sins, nièces, afin que l’organisation familiale puisse se faire
désormais sans confusion, sans missions à récupérer, sans re-
productions à opérer, mais avec conscience, si les individus le
désirent.
Nous sommes devenus résidents de notre Vie.
Psychogénéalogie de l’inceste pour une prévention de
l’inceste et de l’incestuel :
Lorsque l’on a découvert que l’« ancien » se perpétue et se
répète dans le présent, cette vision panoramique des généra-
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tions et fratries de la famille nous permet d’anticiper les pro-
jections possibles du passé ou du présent dans le futur en revi-
sitant les attitudes, comportements, croyances intégrées de la
famille !
Repérer les mécanismes relationnels transgénérationnels
(toujours contextualisés par rapport à l’environnement fami-
lial, structurel, sociétal, géographique), permet donc de
protéger les enfants ;
aider « l’autre parent » à s’alarmer, à identifier aussi ses
propres croyances et comportements inconscients, à « voir
réellement ce qui se passe vraiment dans son environne-
ment, ALERTER » et protéger son enfant ;
éduquer chacun, parents et jeunes adolescents, familles ou
acteurs sociaux ;
aider à repérer et prévenir sur les conditionnements du pas-
sage à l’acte possible de l’inceste ;
aider les dynamiques relationnelles crues jusqu’alors par
les acteurs tout bonnement affectueuses alors qu’elles sont
confusionnelles, à s’équilibrer avec des changements cons-
tructifs.
Ce travail est un travail à long terme. On n’établit pas un
génogramme en un jour, ni un mois, sauf si l’on possède déjà
un arbre généalogique de trois à quatre générations avec les
fratries.
Ce travail s’inscrit dans une durée.
Cependant il est immédiatement utile pour favoriser les
prises de conscience, prévenir, soulager et, progressivement,
conduire à une possible résilience.
Noëlle Le Dréau, 2011
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(Page 28 dans l’ouvrage : extrait issu de la 1ère
partie : L’inceste, une
bombe à retardement ! (ou….comment s’interroger, comment révéler
l’inceste quarante ans plus tard pour enfin vivre et non sur-vivre ! Et les
mécanismes de l’emprise incestuelle familiale))
PEU D’ESPERANCE POUR LES ENFANTS PRISONNIERS DE L’INCESTUEL
Ce couple, ces parents, cette famille incohérente trichaient.
Je grandissais en rageant, me sentant seule, sans qu’aucun
membre de ma famille prétendument unie, carillonnée unie,
pestilentiellement unie semble percevoir mon désespoir. J’en
avais assez. Je me sentais comme un tubercule, une courge, un
rutabaga. Une ogresse maman disait. Peut-être me fallait-il
admettre désormais que ma mère avait raison. Après m’avoir
mise à la hauteur de son nombril et de sa perfection, après
m’avoir portée aux nues, encensée, isolée de mes frère et
sœurs, incorporée puis placée sur une stèle d’enfant supé-
rieure, modelée, attisée, créée à son image fantasmée, alors
que je n’avais pas répondu à ses attentes narcissiques, non hé-
roïne comme elle, la voilà qui me reprochait violemment de
ne « jamais faire et n’être pas comme tout le monde » ! Et
même de « me croire sortie de la cuisse de Jupiter »… posture
à laquelle elle avait pourtant tenu, à laquelle elle m’avait obli-
gé de me cramponner, que dis-je… m’arque-bouter, sans
plier, contre vents et marées si à son goût il y avait un risque
que je devienne trop banale, posture à laquelle je devais mon
salut auprès d’elle, ma déesse ! À ne plus rien y comprendre.
« Il faut toujours que tu te distingues ! » Vraiment ? Quelle
déception ! À perdre la raison ! Un blizzard froid passait sur
moi. Et maintenant, qu’est-ce qui me prenait de me mettre en
colère moi aussi, du haut de mes douze-treize ans. Ça avait
jailli de moi comme une pompe à bicyclette faisant éclater une
chambre à air usée trop gonflée, jamais je n’aurai cru ça de
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moi, jamais j’aurais cru possible qu’un énorme cri puisse sou-
lager autant. C’était un cri non contrôlé, non attendu, versatile
dans cette bouche de future jeune fille muselée malgré les ap-
parences d’enfant heureuse, démolie intérieurement sans que
personne à ma connaissance en ait la moindre intuition. Le
cœur cassé. Et, paradoxalement, sans pouvoir baisser ma voix,
freiner mon impulsivité, combattre mes colères. Une éruption
de colères ! Jusqu’à ce que je me rende à l’évidence, la colère
ne servait pas ma cause. Alors que je nourrisse mon désespoir
autrement, en mangeant compulsivement, en enfournant
comme pour retrouver une sensation de sécurité, trouvant au
bout du compte consolant le chocolat, le saucisson, la flûte de
pain dont j’avais dû me passer des semaines, des mois pour
maigrir. Et puis que j’entende de nouveau des engueulades,
leurs insultes, ces mots qui tuent.
VIOLENCES VERBALES PARENTALES QUI TUENT
Alors que je m’emmure dans mes bouquins, ou me remette
en colère dans cette famille dite unie, mais hypocrite. Puis dé-
sespérée, que j’aille faucher de la confiture ou de la sauce to-
mate ou du beurre dans le frigo, en douce pour éviter le pire.
Puis revendique de nouveau. Puis me taise. Trop tard. Des
« espèce de sale teigne, brebis galeuse, charogne, vacharde,
sac à viande » brusquement m’atteignaient, balancés sur moi
par ma mère qui n’avait ni l’intention ni le sentiment de me
faire du mal… et de cela paradoxalement j’en suis certaine !
Tandis que d’autres horribles mots qui tuent s’en suivaient,
des… « gros tas, ou espèce de taupe, ou espèce de denrée,
bourrin, chienne… » hurlés sur moi par mon père dépossédé
de lui-même qui n’avait pas plus qu’elle l’intention de me
faire du mal et de cela aussi j’en suis sûre ! Des insultes ta-
guant moi leur grande qui, disaient-ils alors, leur « pourrissait
la vie », « regimbait » et « faisait un plat pour rien ». Insultes
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alibis qui anesthésiaient leurs désespoirs, exprimaient en véri-
té d’autres de leurs souffrances internes qui les harcelaient
mais qu’ils ne savaient gérer et refoulaient consciencieuse-
ment pour éviter d’autres drames entre eux deux ! Inconsé-
quences, immaturités psychologiques parentales, manque
pertinent de remise en cause personnelle non excusables, pé-
nétrant comme un loup hurlant mon âme et mon système ner-
veux…
Une maltraitance psychologique traumatique humiliante
bien que sporadique, qui pourrait être portée aujourd’hui en
justice.
La violence verbale
C’est de ce genre de manifestation qui vous imprègne
comme un spectre dans votre vie, vous marque au fer
rouge, vous prédispose à la dévalorisation, vous handi-
cape malgré vous, vous déstabilise encore trente, qua-
rante ans plus tard même après un travail de
développement personnel approfondi… c’est comme
une ombre en filigrane sur certains points de votre quo-
tidien, une mémoire réactivée par moments dont on doit
faire l’effort de se distancier lorsque le phénomène se
produit, une vigilance dévoreuse d’énergie.
Faisant la brave, mais harcelée et polluée par ces énormes
insultes et disqualifications parentales, je me sentais Vraiment
mauvaise. Est-ce que… ? Oui, probablement. Sûrement
juste… ma mère ne pouvait avoir tort. Mes parents ne fai-
saient-ils pas tout pour moi, pour « mon bien » ? Une mère
désespérée qui se sacrifiait pour moi, bataillait à me faire
maigrir depuis que j’avais neuf ans, un père qui « brave
comme tout » malgré ses engueulades « à l’emporte-pièce »
disait maman au lieu de nous protéger de ses dégradantes et
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obscènes insultes, faisait tout pour faire bouillir la marmite.
Tous les deux si courageux de nous élever si bien. Forte de sa
réalité antérieure, Mère vagabondait ainsi du monde paradoxal
de sa jeunesse à la mienne, faisant basculer ses champs de ré-
férences dans la précarité singulière des rapports dysfonction-
nels que nous vivions ensemble alors qu’elle les croyait
lumineux ! Incohérence maternelle tentant diplomatiquement
de calmer le jeu de son conjoint au mépris de mon innocence
qu’elle sacrifiait sans contrôler sa conduite ! Car franchement
inutile pour elle de se soucier : je n’avais pas reçu de raclées
comme elle, tout pouvait donc être absous à ce mari moins
brutal que son père ! Et moi je ne savais pas toujours quoi
penser.
N’était-il pas anormal qu’elle, oui elle ma propre maman,
me traite à tout bout de champ aussi de monument, de dif-
forme, de tour de Babel, d’hippopotame, de pachyderme, et de
mastodonte et d’adipeuse, de grosse toutoune et me prenne à
partie « regarde-moi cette bidoche », et… autres roucou-
lades ? Je n’étais pas la bonne et belle fille que j’aurais dû
être ? J’en avais assez, me passais la tête sous l’eau pour évi-
ter de me confronter aux dégâts que cela imprimait en moi,
sans trop réfléchir, à cause de son immense dévouement pour
moi à se saigner aux quatre veines pour me payer
« son/mon/notre » lycée et « son/mon/notre » conservatoire
bourgeois, à s’appliquer à me faire maigrir coûte que coûte.
À cause de son emprise dévorante à laquelle je n’y voyais
goutte ! Pas plus qu’elle ? Il en est paradoxalement ainsi de la
plupart des jeux toxiques relationnels… ma mère n’étant en
aucune façon apte, ni à ce moment-là, ni plus tard, à renoncer
à quelqu’une de ses attitudes (si tant soit peu elle avait su pos-
sible de s’appliquer à les éclairer a minima), elle à peine sortie
du monde terrifiant de la guerre mais aussi conditionnée dès la
petite enfance dans ce décalage sinistre du parent tyran et
l’autre passif : si elle avait du renoncer à ses traumas et ses
postures qui s’en suivaient, qu’en aurait-il été de sa survie ?
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Mais mon père, croyant malin de lancer en plus en rotant
d’autres fréquents :
– Tu m’l’as, tu m’lèches.
Dans notre cellule familiale, il était de bon ton d’en rire
après que ma mère ait lancé un tendre :
– Oh, ce qu’il est obsédé, on ne le changera jamais celui-là,
quel gamin ! Allez… Jean… arrête !
Là, envers lui, maintenant mon sang ne faisait qu’un tour !
Son vocabulaire vomissant de nouvelles proses favorites lan-
cées mille fois par jour à la cantonade, tel « la main de ma
sœur dans la culotte d’un zouave » me dégoûtait ! Il avait été
spahi (régiment de cavalerie d’origine turc), ce qui était simi-
laire au zouave (régiment d’infanterie turc aussi), l’un et
l’autre régiments intégrés plusieurs décennies avant aux Chas-
seurs d’Afrique. Les deux mots se superposaient. Spahi et
zouave ne faisaient plus qu’un. Et cette main de ma sœur dans
la culotte du zouave suppurait à mes oreilles. Nauséabonde
impression.
Je n’ai jamais su ce que ma fratrie ressentait de ces agres-
sions psychologiques sexuelles.
Les enfants d’une même fratrie biologique n’ont pourtant pas les mêmes « parents » !
Frères et sœurs sont nés à des moments où les désirs, les
projections, les expériences, les maturités psychiques et
affectives des parents sont à chaque fois différentes,
d’autant plus qu’elles s’insèrent dans des contextes so-
ciaux, économiques et historiques différents.
D’autre part, le sexe, puis la place dans la fratrie, le rap-
prochement ou les écarts entre les uns et les autres exer-
cent aussi un rôle majeur dans les préférences, les
identifications des parents en leurs enfants, faisant qu’ils
n’investissent pas de façon identique la relation avec
chacun d’entre eux.
© InterEditions, 2011
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Idem, aucun enfant d’une même fratrie n’est sensible pa-
reillement à une même information circulant dans le lo-
gos familial, et au même moment.
(Page 46 dans l’ouvrage, autre extrait issu du chapitre « Est fort de dé-
voiler l’inceste »)
Pourtant, oui, leur parler de ces amaigrissements forcenés
suivis de dépression mobilisant ensuite toute la famille à
m’aider dans ce cauchemar, comme d’un seul corps… chacun
là sans faillir, si besoin, comme pour légitimer les toxicités de
la famille unie. Famille ne s’étant pas vue sidérée dans le dé-
potoir de notre exemplaire esprit de famille. Famille ne son-
geant pas à s’attarder sur nos passés, mon enfance accidentée
par l’inceste parental et cet esprit de famille incestuel que
chacun aveugle avait vécu et intégré sans ronchonner. Oui,
parler également à mon frère, mes sœurs, loyaux à notre mère
et à notre père que nous aimions et qui nous aimaient aussi et
nous le prouvaient.
Délicat, mais je dois faire cet effort de me dire. Cesser de
faire l’autruche. Pour cela peut-être serait-il bon que je pour-
suive logiquement…
Il y a des voyages que notre corps n’oublie pas. En cours
de traitement antidépressif, je me suis, à l’instar de maman
mettant au monde elle aussi à vingt-sept ans sa troisième en-
fant, laissée surprendre par une troisième grossesse mais, au
contraire d’elle, cela m’a enchantée. Après mes deux fils, ma
fille est née, adorable. Douce, lumière. Un trésor. Une fleur.
Ma fille, elle au moins, au prénom choisi en ce sens, ne serait
pas comme moi une « vilaine fille » qui ferait souffrir sa mère
comme cela m’avait été trop souvent reproché par la mienne.
À cinq six ans, ma fille forçait toujours mon admiration et
l’admiration de nous tous par sa gaieté tendre, sa retenue, ses
expressions distinguées, son amour pour les robes de mariée,
© InterEditions © InterEditions, 2011
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et son engouement pour se coiffer de tout ce qui lui passait par
les mains, serviettes, dentelles de « mariette » ou mariée…
peut-être par identification à ma chance d’être née « coiffée »,
et d’en avoir d’autorité, beaucoup de chance ? On eut dit
qu’elle arrivait tout droit, princesse ou comtesse d’un siècle
passé. Ses frères la câlinaient aussi. Ma petite famille riait.
Cette énergie de bonheur, certes éphémère comme tous les
bonheurs, a toujours une place dans mon cœur. Confiante,
avec l’accord de mon médecin, je me suis alors risquée à
prendre ma santé en mains autrement, de façon plus naturelle,
décidant d’entreprendre un sevrage de mes antidépresseurs
dont on connaît aujourd’hui l’effet prégnant de dépendance.
Même aidée par l’acupuncture et la sophrologie, dur parcours.
Supprimer les antidépresseurs par infimes fractions et dans le
prolongement de plusieurs semaines, un parcours important
pour moi. Ils ne m’ont pas vraiment aidée à combattre ces ter-
rifiants réveils nocturnes provoqués par les crises d’angoisse.
Contenir plus consciemment la peur de devenir folle,
d’intenses tremblements de froid harponnant mon corps de la
tête aux pieds, troubles ne pouvant se dissiper que sous une
douche chaude… salle de bains, vite ! Pénible d’y accéder…
Panique. Vais-je avoir la volonté de résister à l’appel délirant
de me jeter de mon douzième étage en me levant ? J’ai peur.
Déjouer le suicide. Ces crises d’angoisse qui vous prennent
l’âme, le corps, la vie depuis des siècles ! Vous triturent à
l’intérieur comme un moulin à prières déréglé. Je saute ? Ou
je saute pas ? Comment faire pour me retenir ? Mon corps va-
t-il cette fois se propulser à travers les baies vitrées sans que je
puisse le contrôler ? À tout prix éviter ça. Je dois faire des
grands pas. C’est ça. Des grands pas. Et en même temps cou-
rir afin de ne pas avoir le temps de regarder la fenêtre et être
attirée par le vide en rejoignant le lavabo. Je compte jusqu’à
deux, trois, je me dépêche, fonce, deux pas, quatre, six, huit,
vingt, ouf j’arrive sous la douche ! J’ai réussi. Vite l’eau, ah
ce maudit robinet, il lui faut trois plombes avant qu’elle soit là
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l’eau chaude, qu’elle m’insuffle sa chaleur, me détende, écra-
sant un à un mes forts tremblements intérieurs sous les bulles
jaillissantes. Voilà, elle est là. Je me réchauffe. Cinq minutes ?
Dix minutes ? Réussir, oui réussir à calmer cet assourdissant
fiasco de mon corps. Enfin. Bienfaisance malgré l’épuisement
de cette lutte contre l’angoisse de mort. Une victoire. Puis une
autre. Une nuit, trois, enfin cinq mois, puis six, neuf peut-être.
Une soirée après une autre, j’ai réussi ce sevrage comme je
réussis mon amaigrissement de cinquante-six kilos un an plus
tard, avec une volonté de fer, cette fois en allant dans un
groupe utilisant les mêmes méthodes que les Weight Watchers
pour lesquels j’ai écrit l’Agenda Croque-Semaines paru chez
Belfond cinq six ans plus tard.
Sondage IPSOS AIVI mai 2010.
• 98 % des victimes d’incestes se sentent ou se sont sen-ties « régulièrement très déprimées » contre 56 % dans le reste de la population.
• 86 % des victimes d’inceste affirment même avoir ou avoir eu des idées ou pulsions suicidaires, 53 % ont déjà tenté de se suicider, à une ou plusieurs reprises.
• 92 % disent « se sentir régulièrement irritables ou avoir des explosions de colère », contre 53 % dans le reste de la population.
Vais-je poursuivre ainsi ? Peut-être…
– Maman, frangin, frangine, Vous vous souvenez sans
doute de mon vaste chantier d’amaigrissement de cinquante-
six kilos qui prenait toute la place dans mes conversations et
vous envahissait probablement, chantier au bout duquel, en-
thousiaste, j’ai créé mon institut d’amaigrissement par dyna-
mique de groupe « Choisir d’être mince », certes novatrice
(1980), fédérant pour la première fois en France diététique,
comportementalisme, relaxation, yoga, danse Martha Graham,
© InterEditions, 2011
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et autres disciplines corporelles. Idées venues de l’expérience,
mises en place avec le cœur. Un service réel aux personnes
souffrant de surpoids. Mais initiative qui vous effrayait et
avec le recul je peux comprendre en partie pourquoi. Ma
pub ? J’ai choisi d’être mince, mon premier livre accepté avec
enthousiasme dès réception aux Presses de la Renaissance1.
Waouh ! sous mon prénom et mon nom marital d’alors2. Vous
vous rappelez ? Mon titre à moi « Moi l’obèse déguisée en
mince », beaucoup plus réaliste mais beaucoup moins ven-
deur. Dans ces premiers pas vers le marketing, j’ai lâché du
lest, renâclé mais accepté, les joues en feu, une édition grati-
fiante mise en place en quelques jours, et près de quatre di-
zaines de milliers d’exemplaires vendus. Inattendu ! La
sincérité du témoignage a propulsé l’ouvrage, mon impact so-
cial aussi. Plusieurs passages à la télévision dont celui aux
« Dossiers de l’écran » du 1er
juillet 1980 où ma prestation en-
thousiaste a fait exploser les standards, nombre d’interviews
radios et télé, d’articles de journaux, de pleines pages de ma-
gazines si nombreuses que j’en suis encore stupéfaite ont été
rarement commentés par la famille… l’occasion d’un regard
affûté pour moi sur l’étrangeté des familles unies sachant être
chaleureuses, généreuses, mais tout aussi mordantes, aléa-
toires lorsqu’un oiseau sort du nid.
– Devrai-je faire le point sur cette période faste pour moi ?
Je crois qu’elle n’a pas été facile pour vous, ma famille, cette
entourloupe magistrale que j’ai faite à La Famille discrète
masquant ses violences verbales, en me sortant des griffes de
son ronron consensuel de façon brillante sous les éclats des
projecteurs télé et médias. Nous échangions peu alors sur ce
qui faisait de mon existence un vrai feu d’artifice. Je ne ris-
quais pas de vous parler de mes furieux combats pour accepter
1 Je dois à mon frère une reprographie bénévole du manuscrit afin que je puisse
faire partir en nombre le manuscrit aux éditeurs parisiens. 2 Mes enfants portant ce nom je ne souhaite pas le révéler.
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et résider en ce nouveau corps alors. J’avais ce besoin, pour
oublier la peur, de me laisser entraîner dans ce tourbillon de
notoriété, montrant une image de moi pétillante, légère, sans
nul doute un tantinet trop extravertie, mais qui me permettait
d’exorciser ma frousse de ce corps aminci sollicitant de moi
tellement d’efforts pour que je puisse même le reconnaître et
le ressentir bien à moi. Souffrance silencieuse. Il m’arrivait
d’avoir envie de recoller les morceaux de mes cinquante-six
kilos perdus, pour que cesse l’angoisse du « qui suis-je deve-
nue » ? Même les admirations que provoquait autour de moi
cet amaigrissement m’angoissaient bien qu’elles me flattent.
Mais je ne vous l’ai jamais confié tellement je devais conti-
nuer le rôle de « celle qui fait des choses remarquables », et
tant je me sentais enfin heureuse de vous montrer, enfin, de
quoi j’étais capable, vous habitués à me voir dans une cy-
clique déconfiture depuis l’adolescence, je masquais mon in-
quiétude.
Un exécrable positionnement qui était le résultat de tout un
passé auquel nous avions tous adhéré, complices chacun du
système familial hanté par un acte délictueux dont il va bien
falloir que je parle. Comment ne heurter personne en évoquant
cela ?
Mes frères et sœurs provoquent décidément en moi beau-
coup de tendresse, mais encore un malaise. Je crois que c'est
réciproque. Comment m'y retrouver ? Leur réserve, en son
temps, n'avait-elle pas pour moteur l'inquiétude de me voir
aussi beaucoup occupée professionnellement malgré mes
charges maternelles ? Ou ont-ils pu se sentir un brin jaloux de
ma montée en puissance dans les médias, des congrès aux-
quels j'avais à m'exprimer, des débats de haute volée que
j'avais à animer par exemple à la Cité des Sciences de Paris ?
Ou se sentaient-ils déstabilisés de me voir à nouveau,
comme dans notre enfance, être mise en lumière sur les de-
vants de la scène eux décidément en retrait ? Que se passait-il
en eux alors ? Qu'est-ce qui se réactivait, se rejouait ? Et en
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Maman, qui me faisait des moues dubitatives lorsqu'il m'arri-
vait de lui confier certaines rencontres élogieuses pour moi,
alors qu'elle m'avait toujours fait miroiter son désir de me voir
monter « haut » dans la société ? Pourquoi n’appréciait-elle
pas que je sois désormais reconnue, diablement heureuse,
belle, et libre... Sans elle. À moins que… craignait-elle de me
voir dériver comme sa sœur, ma marraine, qui jadis, après son
divorce, était devenue péripatéticienne ?... contentieux qu'elle
avait toujours peu ou prou projeté sur moi sa première fille en
me lâchant des insultes y référant au temps de mon adoles-
cence.
Dans cette nouvelle séquence de vie il se peut que j'aie
bousculé chacun, en n'y voyant que du feu, le nez rivé sur le
guidon de mon enthousiasme à me chercher et renaître. Un
vrai marathon que d'être en un temps record, une femme ex-
épouse qui assume un divorce, une femme maman qui cajole
ses trois enfants, dirigeante d'une petite structure, engagée sur
une voie médiatique, mais surtout dans le chemin spirituel
sans n'appartenir à aucun mouvement (tenant plus que tout à
une vraie liberté de pensée), se formant en communication,
entretiens, comportementalisme, socle de mon professionna-
lisme mais ignorant les bases de la comptabilité (erreur ma-
jeure !). J'ai fendu l'air, avancé, propulsé des dynamiques
d'amaigrissement sensé, amélioré mes techniques, … aidé à
perdre douze tonnes (pour de vrai !) aux adhérentes et adhé-
rents de mon institut « Choisir d'être mince », tout en ne te-
nant pas assez compte de mes frousses avant de commencer
de conséquents travaux pour obtenir des locaux plus mo-
dernes, adaptés au développement corporel aussi. Mal conseil-
lée par une expert-comptable, j'ai foncé, creusé, fouillé,
aménagé... Malgré l'essor de mon activité, mes efforts de per-
fectionnement et tant de témoignages positifs… faillite quatre
ans plus tard. Bilan déposé. Sans opprobre familiale, ni
contre, ni pour, distanciation, présence discrète toutefois si
besoin. Puis le hasard m'apportant une nouvelle fois cette
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preuve irréfutable que décidément, oui, j'ai de la chance, l'an-
tenne d'Europe n°1 m'ouvre un espace d'une heure tous les
après-midi avec Christian Morin, Madame Soleil, pour que
j'informe en direct les auditrices sur des sujets Forme et Santé
à quinze heures, et que j'assure en synergie, sous l'égide de
Mireille Delannoy, une chronique quotidienne à treize heures,
la « Minute pleine forme ». Aïe, quelle frousse pour affronter
ces nouveaux défis ! Mais quelle expérience aussi cette pous-
sée d'adrénaline me donnant l'énergie pour me dépasser, entrer
dans cet espace inconnu du vaste champ des possibilités inhé-
rentes à tous, à progresser à la rencontre de ces germes en moi
d'audace, de créativité, d'aubade au mouvement de la vie ! La
frousse ? Mais non, rappelle-toi, ma belle tu auras toujours de
la chance, même dans tes heures les plus sombres. Repense
aux paroles de ta bonne fée le matin de tes premiers langes.
Existe, va, crée, danse avec le destin, ressens comme la vie
s'illumine lorsque tu la laisses travailler en ton cœur.
MERE INCESTUELLE : NON MA FILLE TU N’IRAS PAS DANSER !
Lorsque j’annonce à maman mon embauche sur cette
grande antenne, ses yeux une fois de plus s’étirent dans le
vide, me fuient, se perdent dans un coin, elle marmonne un
vague compliment, sans s’attarder. De toute évidence je lui
donne une nouvelle fois du fil à retordre. Morsure. Désillusion
une nouvelle fois de ne pouvoir partager avec elle mes joies,
et m’être embarquée sur ce sillon d’un naufrage intime assu-
ré : mon contentement venant d’une initiative qui n’est pas la
sienne, je ne peux qu’être suspectée, chassée de ses bonnes
dispositions à mon encontre. Je me sens triste. Décidemment
son emprise m’accapare encore. Je me comporte comme une
gamine ! Pourtant j’ai trente-huit ans.
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Sondage IPSOS AIVI 2010
Les victimes d’inceste attendent en moyenne seize an-
nées avant de révéler leur agression, 22 % attendant
même plus de 25 ans.
J’ignore si, même avec toutes les connaissances et prises de
conscience actuelles, j’aurais pu parler de son vivant à mon
père, lui rappeler les faits, le mettre en face de ses responsabi-
lités, de ses actes incestueux, de ses insultes destructrices. En
fait, non, je ne crois pas, car les membres de la famille unie se
sont toujours tenus par les coudes pour ne pas faire de vagues,
et moi, connectée à cette énergie de promesses d’union par-
faite pour une équité réciproque depuis cinquante ans, je crois
que finalement, plus que de mon père, j’ai eu une trouille
bleue du groupe familial tout entier, ce grand corps compact
plus solide qu’un blockhaus accoudé sur une falaise, rigide,
meurtrier dans sa duplicité incohérente à vouloir anoblir ce
qui est au plus abject. Prise en otage moi-même du mythe fa-
milial je crois que je n’aurais jamais pu parler de son vivant,
j’aurais eu trop honte, trop peur de briser la famille soudée à
ces parents en brisant le silence, pas plus que je ne me suis au-
torisée à parler depuis son décès à bien y réfléchir. Et cela ne
m’est pas venu comme ça d’accepter de me voir réellement
ainsi prise de panique et beaucoup plus fanfaronne et stupide
que je le croyais, moi pourtant renommée dans la famille
pour, en même temps que ma corpulence, avoir une « forte
personnalité », et même, dixit la Jeanne, une « tête de ca-
boche, tête de pioche ». Il faut également de cette naïveté dé-
sastreuse pour croire possible de révéler aux membres d’une
famille régulée par l’incestuel et l’inceste, ces choses exactes
mais taboues que surtout ils ne veulent pas connaître, ou
qu’ils souhaitent ne pas reconnaître, cette vibrante réalité ve-
nant percuter leur système de fonctionnement habituel, ayant
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déjà massacré le groupe certes mais si peu en regard de ce
qu’ils auront à vivre si la vérité éclate. Alors se cramponner,
la retenir, la juguler, la perforer cette vérité ! Mais là, dans ma
famille, ce n’est pas possible, cela n’ira pas jusqu’à
l’esclandre. Non. J’évalue la situation… On s’aime. On est in-
telligents. Et tous, on est de notre temps, on a fait comme le
monde, on a évolué pardi ! Je n’ai pas encore mesuré que,
s’en tenant à ses vertus, ma famille parfaite est capable du
meilleur autant que du pire, qu’elle se laisse agir par des élans
de bonté certes, mais aussi
par une néfaste manie de croire qu’elle seule détient la Vé-
rité, ce qui la dispense de mettre de l’ordre en son sein ;
par une méconnaissance sur le fait qu’elle se laisse agir
aussi par des fantômes du passé qui ont configuré ses re-
pères, amenuisé ses repères générationnels, manipulé sa
psyché à confondre amour et compromission, articulé le
système familial autour de négativismes et croyances enjo-
livées pour éparpiller les souvenirs dégoûtants, les vio-
lences, hontes, désespoirs, inhumanités trop douloureuses ;
par une instrumentalisation du bon ordre social par la
louve notre mère, faisant que la famille n’hésitera pas, si je
révèle l’inracontable, à faire corps pour dire que je suis
folle, dans son illusion de toute-puissance capable de sau-
ver son humanité méritante, plutôt qu’elle-même
s’appliquer à chercher la vérité ;
à moins que le dévoilement de l’inceste dénonce aux yeux
de toute la famille, la faille de l’autorité de maman, la
faille de sa vigilance, la faille de sa force de maîtresse
femme, de sa réputation de mère parfaite qu’elle veut avoir
incarnée ?
à moins que notre mère redoute bien pire, une contamina-
tion du dévoilement dans ma fratrie ? et qu’elle s’assure
une protection morale en prenant le risque de manipuler et
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guider le groupe à une séparation irrémédiable avec moi la
tarée ?
(Page 149 dans l’ouvrage : extrait issu de la deuxième partie « A la dé-
couverte du père »)
SECRETS DE FILIATIONS
MASCULINES
LOUIS LE PREMIER, L’ENFANT MORT
Je ne sais pas ce que tous ses « rejetons » (drôle
d’expression familiale pour surnommer les enfants !) connu-
rent de la vie de leur père Louis, mon grand-père, avant qu’il
ne soit légionnaire. Mes fouilles généalogiques m’obsédaient
presque, tant je pressentais des secrets d’alcôves aux vues de
tant de déchirures entre parents, enfants, couples, tout au long
des générations de cette lignée, y compris dans le contempo-
rain ! Et je me mis à feuilleter page par page chaque registre
de l’état civil de Honfleur pour ne laisser passer aucun « lap-
sus ou acte manqué généalogique » possible dans les tables
décennales3 !
3 Une table décennale est un petit registre, sorte d’index collectant les noms et
dates des naissances, mariages, décès, sur dix ans, qui s’ajoute à ceux des précé-
dentes décades et celles à venir pour les archives de plus de soixante-dix ans
consultables en Mairie et Archives départementales. La table décennale permet
de relever les références de l’acte ou des actes que l’on souhaite consul-
ter/photographier dans le ou les registres officiels originaux, à demander eux
aussi à l’archiviste.
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Bien m’en prit, il y avait bel et bien eu un oubli sur le rele-
vé des tables décennales de 1880 à 1890, le fantôme transgé-
nérationnel le plus symptomatique de la lignée : un petit Louis
inconnu jusque-là qui surgissait là sous mes yeux après que
j’aie feuilleté plusieurs dizaines de registres, tenue par un élan
intuitif ! Cette découverte ? Une pépite d’or ! Le premier
Louis, cet inconnu de la famille, et même de Tante Hélène,
pionnière des généalogistes de la famille, je venais de le sortir
de la crypte aux fantômes, et discerner que mon grand-père
Louis en était le « succès damné », et par ricochet ma grand-
mère Louise puis mon père Louis de même ! Ainsi donc mon
grand-père Louis, père de l’enfant Louis mon père, tenait-il
son prénom Louis d’un frère aîné Louis (né de père inconnu
lui aussi), mais ce petit Louis était décédé à deux ans et demi,
toujours sous le nom de famille de leur mère Alexandrine,
deux ans avant la naissance du deuxième Louis, mon grand-
père légionnaire ! Ce dernier, avait donc été « enfant de rem-
placement », métaphore de ce « vide de Louis décédé » pour
la maman. Et ce Louis légionnaire avait par la suite magnifi-
quement égayé la plaie familiale en s’organisant inconsciem-
ment pour épouser une Louise, du même prénom, permettant
inconsciemment que se fasse l’homéostasie du système fami-
lial, et en ce cas spécifique fabriquant encore de l’incestuel !
C’était un changement notable dans la perception du réseau
inconscient ayant depuis longtemps construit la logique du
monde incestueux familial. Une famille ne voulant pas en-
tendre ce qu’il en résulte des dédales d’amours confusion-
nelles.
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Figure 5.1 – Logique systémique de répétitions de prénoms, dues à un deuil non fait de frère décédé.
Ce monde généalogique n’est-il pas peuplé de fantômes
avant que d’être aussi un grand échiquier nourri d’humour ?
Et l’amour dans tout ça ? Les neurobiologistes s’activent sur
le sujet avec déjà quelques résultats.
Ainsi Louis né en 1882 épouse Louise alors qu’il a lui-
même eu un frère décédé, tenu secret, prénommé Louis. Il
projette cette perte en laissant prénommer son fils comme lui,
engendrant ainsi une perte de repères identificatoires généra-
tionnels.
LES DEUX LOUIS ETAIENT-ILS NES D’AMOURS AMOUREUSES, HONTEUSES, INCESTUEUSES ?
Par quels hommes le lit d’Alexandrine leur mère (et mon
AGMP) avait été investi ? Comme je l’ai mentionné plus haut,
aucune archive civile, militaire et religieuse consultée ne fai-
sait état, de près ou de loin, de la présence d’Isidore l’homme
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qui deviendrait le mari d’Alexandrine lorsque le deuxième
Louis, mon grand-père, aurait trois ans, Isidore dont pourtant
toute la lignée paternelle porte le nom de famille. Aucune
mention dans les registres des recensements de la population,
ni au moment de la conception, de la naissance et du baptême
des deux enfants Louis et pas plus dans l’acte de décès du
premier ! pas plus dans les événements de la fratrie
d’Alexandrine. Si Isidore était réellement le père biolo-
gique…, comment expliquer qu’aucun de ces très nombreux
actes ne portent la trace de sa signature au moins comme dé-
clarant, ou comme témoin, ou comme parrain !
Il est envisageable que le deuxième Louis (mon GP) n’ait
pas connu son père biologique, mais aussi qu’il ait ignoré que
sa mère avait eu un fils aîné avant lui, un frère de même pré-
nom que lui, né quatre ans avant sa propre naissance et que lui
Louis le second et non plus le premier, était né seize mois
après la disparition de ce grand frère Louis aîné ! La tradition
voulait qu’on ne parle pas de « ces choses-là ». Mais les in-
formations circulent de cerveaux à cerveaux, d’inconscients à
inconscients. Ne pas informer un enfant qu’il succède à un en-
fant décédé et le remplace allait de soi jusqu’à récemment,
même s’il portait le même prénom que le petit mort, tout le
monde ignorait qu’il y aurait inévitablement des répercussions
engendrées par ce mot d’ordre parental subjectif et incons-
cient : « Sois toi-même mais ne le sois pas, sois lui ! »
Enfant de remplacement
La charge est lourde que de succéder à un enfant mort, a
fortiori le remplacer avec le même prénom. Devoir exis-
ter « deux en un » fait échouer les meilleurs plans !
Il peut « remplacer » un enfant mort dans le contempo-
rain et même avoir été conçu sciemment pour cela, ou
avoir été conçu après une fausse couche ou IVG ayant
provoqué des chagrins à la mère,
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ou remplacer un décédé deux, trois générations avant,
sans même que les parents contemporains aient eu con-
naissance du drame… jusqu’à ce qu’ils découvrent des
similitudes de prénoms, de dates de naissance, concep-
tion, décès entre les deux enfants, ce qui laisse à penser
que le drame refoulé a continué à diffuser ses ondes,
s’introjecter dans l’inconscient générationnel pour fina-
lement ré-émerger, se « réincarner » dans l’Arbre avec la
naissance d’un « enfant de remplacement ». Dans ce jeu
de chaises musicales… à qui appartiennent les enfants ?
L’enfant de remplacement subit bien souvent ce sort dés-
tabilisant : qui suis-je, je ne me sens jamais à ma place,
qui me re-connaît en tant que moi, individu unique ?
La plupart des « enfants de remplacement », même de-
venus adultes, se piègent dans des situations d’échecs
répétitifs, se sentent rarement à leur place quoi qu’ils
fassent, ou ont « trop à faire », comme s’ils travaillaient
pour deux, ou se retrouvent dans des postures de
« double », double métiers, double foyers, double… En
même temps qu’ils officient leur identité, cela se passe
comme s’ils s’employaient à assurer une réédition de ce
qui a été vécu par le décédé, et de ce qui était attendu de
lui par ses proches comme dans un monde magique dif-
férent de la réalité, bien qu’entièrement dedans.
Ces enfants dits de remplacement, peuvent, et ce n’est
pas rare, présenter un symptôme alarmant à la date anni-
versaire de la maladie, ou du trauma, ou de la mort de
l’enfant dont ils ont pris le relais. Difficile d’exister, se
sentir libre et le droit d’être soi-même !
Cette systémie invisible hante bien involontairement
l’organisation familiale, et le nouveau sujet qui ne peut
trouver sa place et évoluer franchement jusqu’à compré-
hension du système et travail de libération émotionnelle
et de réappropriation de soi.
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(Page 296 dans l’ouvrage)
EPILOGUE
Je viens de terminer mon manuscrit face à l’océan et la
plage de la baie d’Audierne que j’aime tant. L’océan, étran-
gement calme, m’apaise. Un ruban couleur de nacre et sem-
blant doux comme du velours, là tout près, ourle les longues
vagues venant s’abandonner sur le sable fin. Les oyats, ces
hautes herbes ondulantes fixant le sable sur les dunes, frisson-
nent sur le haut de la grève. Des mouettes aux couleurs argen-
tées s’amusent à se laisser porter par le vent léger. Confiantes.
Rieuses. Elles me font du bien. Tout se lie et se délie
d’estimable façon, sans que jamais affleure la moindre cica-
trice, sans que l’espace lui-même soit pourfendu, sans que la
moindre étincelle, la moindre goutte d’eau, le moindre tire
d’ailes n’y laissent trace de leur existence. Ainsi le mouve-
ment est roi et en même temps il est intemporel. Il ne sait pas.
Il ne sait pas qu’une mouette et une vague ont la même impor-
tance, sont capables d’offrir la même charge émotionnelle que
le déploiement des comètes, que le mouvement des êtres, ou
le mouvement de la Terre. Il suffit que le soleil se lève à
l’horizon dans ce mouvement renaissant pour que le monde
soit neuf au regard de l’être humain. Pourtant ce n’est pas le
soleil qui fait le monde nouveau, ni le vent ou la mouette qui
l’illuminent de beauté. C’est le tout, le soleil, la mouette, la
vague, l’oyat et puis la brise, les uns visibles et l’autre qui ne
l’est pas. Les uns et l’autre ne sont beaux que parce qu’ils sont
ensemble, uniques, séparés et pourtant interdépendants, indis-
sociables, autant que l’être humain de son histoire généalo-
gique, l’un visible, l’autre qui ne l’est pas, et pourtant là ici
présente.
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QUELLE SOCIETE DEMAIN ?
En société, plus que jamais le mot famille inspire des sens,
des représentations, des idéologies multiples. Il s’inscrit dans
des réalités où l’imaginaire n’aurait jamais osé se promener il
y a vingt ans, même dix. Et dans cette aube du troisième mil-
lénaire, de par notre émancipation chacune et chacun d’entre
nous apportons notre pierre à un état de la Famille peuplée de
nouveaux paradigmes. Ils se sont imposés au rythme des révo-
lutions scientifiques, génétiques, sociologies, géopolitiques,
culturelles, sociales et même spirituelles, interagissant les uns
avec les autres, happant nos désirs, frappant nos consciences
ou restant dans le flegme de notre mental, générant alors de
multiples conceptions du fantasme familial. Ainsi, au siècle
où l’univers montre avec l’astro-physique sa riche expansion
macroscopique se démultipliant sans limites dans l’espace, et
où les nanosciences révolutionnent à l’inverse notre concep-
tion de « l’invisible pour les yeux », ces sciences bousculant
ainsi nos certitudes et normes établies, nous découvrons en
miroir une expansion macroscopique et nanoscopique de di-
versités familiales que l’on dirait elles aussi capables de
s’auto-créer à l’infini dans le champ de l’expérience humaine.
DE LA PREVENTION DE L’INCESTE
De la famille homogène aux familles recomposées, mono-
parentales (parent masculin ou féminin), couples mariés, non
mariés, pacsés, hétérosexuels, homosexuels, parents biologi-
quement technicisés grâce à des technologies dites de pointe,
GPA gestations pour autrui et mères porteuses, FIV féconda-
tions in vitro avec ou sans don de sperme ou d’ovules, choix
des embryons mâles ou femmes aux États-Unis, choix de la
couleur des yeux, au cœur de la remise en cause des fonde-
ments ontologiques et éthiques de ces procréations artificielles
(remise en cause aggravée par les bouleversements des prin-
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cipes de l’identité avec la dernière loi française sur le libre
choix du legs patronymique paternel ou maternel ou les deux
accolés à la naissance), on connaît également désormais des
mères de soixante ans ayant elles procréé artificiellement
(avec le sperme d’un frère pour un enfant à tout prix), floutant
les limites sexuelles générationnelles, grands-parentales, pa-
ternelles et maternelles et fraternelles dans un paroxysme fou.
Et sans pudeur. Advient encore désormais chez les femmes le
boom sur « donner naissance à plus de quarante ans », mode
ayant pour effet de flouter les distances générationnelles lors-
que le père ou la mère est déjà grand-parent !
Dans chaque cas spécifique, ce sont des expériences hasar-
deuses pour la construction psychologique et sexuelle des en-
fants et des parents dont l’on sait à coup sûr qu’ils auront à se
relever de ces franchissements de « l’ordinaire ». Répercus-
sion de ces expériences humaines à inventorier et analyser
dans trois décades, le temps de deux générations…
Pour l’heure, tel un vaisseau à la conquête de la plus grande
liberté dans son espace illimité, la Famille se fait fi de renver-
ser les derniers conforts et contreforts du repère identitaire ou
générationnel, hâtivement, tel pourrait le faire un adulte infan-
tile gourmand, capricieux, égocentré sur une réalisation im-
médiate de ses désirs y compris sexuels prônés dans les
médias, outils et gadgets de communications de pointe. Fulgu-
rance d’une autre société détrônant les clichés, les tabous ? Ou
réalité sociétale introduisant une nouvelle conception de ce
que pourrait être l’être humain à longue échéance ? Je suis
troublée, à force d’avoir déroulé le psychodrame familial et
ses conséquences inéluctables sur plus de deux siècles et
compris l’importance de repères identificatoires et généra-
tionnels sécurisants, stables.
© InterEditions, 2011