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Extrait de la publication

Extrait de la publication · 2018. 4. 13. · Les éditions de la Pleine Lune remercient le Conseil des Arts du Canada de l’aide . accordée à leur programme de publication et

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  • Extrait de la publication

  • Collection « MIROIRS »dirigée par Ivan Steenhout

    Extrait de la publication

  • À VRAI DIRE

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  • Les éditions de la Pleine Lune223, 34e AvenueLachine (Québec)H8T 1Z4

    www.pleinelune.qc.ca

    Illustration de la couverture© Lino

    Maquette de la couvertureNicole Lafond

    Photo de l’auteureRon Diamond

    Photos des pages intérieuresMichaël Delatte

    Mise en pages et traitement d’imagesJean Yves Collette

    Diffusion au Québec et au CanadaDiffusion DimediaTéléphone : 514- 336-3941Courriel : [email protected]

    Distribution en FranceDistribution du Nouveau MondeTéléphone : (01) 43-54-49-02Courriel : [email protected]

    Extrait de la publication

  • Mary Soderstrom

    À VRAI DIRE

    traduit de l’anglais par

    Élise de Bellefeuille et Michel Saint-Germain

    nouvelles

    éditions de la

    pleineLUNE

  • Les éditions de la Pleine Lune remercient le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à leur programme de publication et de sa contribution à la traduction de cet ouvrage. Elles remercient aussi la SODEC, Société de développement des entreprises culturelles, pour son soutien financier, et reconnaissent l’aide finan-cière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour leurs activités d’édition.

    Titre original : The Thruth IsPublié par Oberon Press, 2000© 2000, Mary Soderstrom© 2004, éditions de la Pleine Lune, pour la traduction française

    ISBN 978-2-89024-163-3 (papier)ISBN 978-2-89024-251-7 (pdf )

    Dépôt légal – troisième trimestre 2004Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

  • À la mémoire de Léa, Leo et Jeanette Roback

  • L’avenue du Parc à Montréal est l’une des principales artères nord-sud de la partie centrale de la ville. Elle part du centre-ville, longe la limite est du mont Royal en traversant des quartiers densément peuplés, dont certains sont en train de s’embourgeoiser et d’autres pas.

    Ces nouvelles sont des histoires inventées. Si elles présentent des gens et des incidents qui rappellent au lecteur des choses vraies, c’est que l’auteure a fait son travail.

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  • La vérité

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  • En supposant toujours que vous voulez savoir la vérité

    Je vais m’exercer à dire la vérité. J’essaie d’y arriver depuis de très nombreuses années, et maintenant, j’aimerais que vous m’aidiez. Veuillez donc vous imaginer ce qui suit :

    C’est le troisième jeudi de septembre, une journée très chaude. Deux femmes dans la mi-vingtaine traversent le grand hall de la gare centrale de Montréal. L’endroit sent le diesel des locomotives en marche sur les rails en dessous. Une petite foule s’est massée à l’extrémité ouest, autour des escaliers qui mènent aux trains de banlieue, mais comme ce n’est que le milieu de l’après-midi, la ruée de fin de journée n’a pas commencé.

    La femme aux cheveux noirs (appelons-la Sheila) se dirige tout droit vers le comptoir des renseignements. Mince, elle porte des verres fumés, et ses jambes bronzées contrastent vivement avec sa courte robe de coton rose. La femme qui la suit est presque aussi grande, mais elle ne sait pas où elle s’en va. Ce manque de certitude, de même que ses jambes plus courtes, la font paraître lourde, plus terre à terre.

    Sheila pianote avec ses ongles sur le comptoir en attendant que le représentant des chemins de fer finisse d’aider une femme d’un certain âge. Ils parlent français et Sheila fronce les sourcils. Puis, dès que la femme s’éloigne, Sheila n’attend

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  • my m

    pas que l’homme s’adresse à elle. « Je voudrais de l’information à propos d’un cercueil », dit-elle. Elle parle fort. Elle a dit à son amie que ça facilite les choses de parler fort aux gens qui s’expriment en français.

    L’homme la regarde. Son amie aussi. Le frère de Sheila est mort ; ses verres fumés cachent des yeux probablement rougis par les larmes. Elle est venue s’assurer que sa dépouille ne ratera pas la correspondance et sera mise à bord du train qui la ramènera à la maison, à Halifax.

    « Un cercueil », répète l’homme. Il est grisonnant, a la barbe forte, et les yeux tristes, aussi. « Je ne suis pas au courant pour les cercueils. »

    Sheila le regarde fixement à travers ses verres fumés. « Vous n’êtes pas au courant pour les cercueils », répète-t-elle. Elle reste immobile et son amie n’est pas certaine de la suite. Puis, après une pause longue comme un sanglot, Sheila se penche, s’appuie sur son coude et pose sa tête sur sa main. Elle secoue à peine la tête et ses épaules tremblent.

    C’est ce que son amie redoutait. Elle n’a qu’une petite expérience du chagrin, ça la rend mal à l’aise, mais elle sait que ça ne doit pas être facile, et elle aimerait se rendre utile. Ce qui complique les choses, c’est qu’elle ne connaît pas très bien Sheila. Elle vient d’arriver à Montréal et se trouve à la gare, cet après-midi, parce qu’elle n’avait pas grand-chose d’autre à faire quand Sheila lui a raconté son histoire.

    « Demain, c’est vendredi, et il doit arriver chez lui avant le coucher du soleil », dit doucement Sheila, le visage caché. « Sinon, ma mère sera encore plus malheureuse. » Sa voix s’élève

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  • légèrement. « C’est la loi juive », dit-elle. Elle s’arrête, attend une réponse.

    « Écoutez, je ne peux pas vous aider, mademoiselle », dit l’homme en la regardant dans les yeux. « Je ne pourrais pas vous aider même si Dieu le Père descendait me le demander. »

    Non, je suis désolée. Nous devons nous arrêter ici. L’amie de Sheila, c’est moi, Frances, et je crois bien que j’avais envie de rire. Je ne me rappelle plus très bien, mes sentiments n’ont aucune importance, de toute façon. Ce qui compte, c’est de savoir la vérité, et je m’efforce depuis lors de me rappeler exactement ce qui s’est passé cet après-midi-là et par la suite. Comme si, en consignant les détails, je pouvais trouver leur sens caché.

    Sautons donc rapidement jusqu’à un point où les choses sont plus claires : les portes de l’ascenseur s’ouvrent, et Sheila et moi arrivons dans la zone où l’on décharge les bagages des wagons. Elle est fortement éclairée, surtout par contraste avec l’espace alentour. Là où les voies ferrées se perdent dans l’obscurité de la gare.

    Un homme, qui ressemble beaucoup au préposé du comptoir des renseignements, se tient à l’intérieur d’une petite cabine, qui doit être son bureau. S’il entend l’ascenseur s’ouvrir, il n’en fait pas de cas. Il continue à feuilleter des connaissements ou des instructions, ou peut-être des lettres obscènes. (Comment savoir, après tout, lorsque des documents sont fixés sur une planchette à pince ? Tout paraît officiel sur une planchette à pince.)

    Nous nous tenons devant lui. L’odeur de diesel et de métal chaud est plus forte ici que dans le grand hall. Je sens aussi ma propre odeur : la chaleur a fait fondre mon désodorisant. Mes

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  • my m

    pieds sont sales dans leurs sandales. Mon visage est couvert d’une sueur grasse. Je ne suis pas à Montréal depuis longtemps, et cet endroit me dépasse.

    « J’ai besoin d’aide, s’il vous plaît », dit Sheila très fort, en frappant à la fenêtre de la cabine.

    L’homme lève les yeux, surpris et irrité. « Qu’est-ce que vous faites ici ? » demande-t-il. Le public n’est absolument pas autorisé à entrer ici.

    « Je suis venue m’occuper du cercueil de mon frère, dit Sheila. Il est censé être mis à bord du train pour Halifax ce soir, et ma mère veut s’assurer... »

    « En provenance de quelle ville ? » dit l’homme en feuilletant ses papiers.

    « De Sudbury », dit Sheila. Elle se redresse. Je crois qu’elle se prépare mentalement, car il est très difficile de répéter ce qu’elle a à dire. « Il est mort avant-hier et il faut qu’il arrive à Halifax demain, car s’il arrive samedi, on ne pourra rien faire... »

    L’homme écoute. Puis, il consulte à nouveau ses papiers. « Je ne vois rien concernant un cercueil », dit-il. Platement, simplement : c’est comme ça.

    Sheila porte sa main à ses yeux. Juste au moment où elle me semble être sur le point de pleurer, j’interviens.

    « Téléphonez à Sudbury, dis-je à l’homme. À quelle heure est-ce que le cercueil a été expédié, Sheila ? Sais-tu quelle maison funéraire s’en est occupée ? »

    Elle secoue la tête. À présent, ses deux mains couvrent ses yeux, son sac glisse le long de son bras jusqu’à son coude. Elle paraît plus petite. J’ai beaucoup de peine pour elle.

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  • « Ils sont juifs, et vous ne savez probablement pas ce que ça veut dire, qu’un mort arrive le samedi, quand on est juif », dis-je, repensant à tout ce que j’avais appris d’amis juifs, et même d’Isabelle, la coloc de Sheila qui, la semaine précédente, m’avait expliqué comment elle, une Canadienne française, s’était convertie au judaïsme après être tombée amoureuse d’un juif. « On ne peut pas préparer le corps pour l’enterrement, on ne peut pas planifier les funérailles. Et de plus, on est censé enterrer les gens rapidement. Alors, sa famille est coincée. D’une façon ou de l’autre, elle va à l’encontre de ses convictions au moment même où elle a besoin de tout le soutien que la religion peut offrir... »

    J’aurais pu continuer. Mais elle me fait signe d’arrêter. « Non, dit-elle. Ça suffit. Ils l’auront sur la conscience. Je vais téléphoner à ma mère et... » Elle ne regarde même pas l’homme. Elle me laisse mettre mon bras autour d’elle. De toute évidence, elle ne veut plus que j’en parle.

    Une scène tragique. Elle s’effondre contre moi dans le taxi que nous prenons pour rentrer à la maison. Nous grimpons les trois volées de marches jusqu’à nos appartements voisins. « Merci d’être venue avec moi », me dit-elle en me serrant dans ses bras avant d’ouvrir sa porte.

    « Pas de problème », dis-je, en me retournant rapidement pour ouvrir la mienne. Je suis triste et gênée. Je passe le reste de la soirée à essayer d’imaginer ce que je ressentirais si je perdais un frère, si j’étais impuissante, si j’étais coincée à Montréal parce que ça coûte trop cher (d’après Sheila) de prendre l’avion pour chez moi.

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  • my m

    Bon, quelle leçon pourrions-nous en tirer si c’était la vérité, si on s’arrêtait là ? Quelque chose sur la bureaucratie et l’émotion, peut-être. Ce qui vous resterait en tête, c’est la chaleur, l’odeur et l’impossibilité d’arriver à quoi que ce soit. Une brève description de l’enfer.

    Mais ajoutez autre chose et vous changez le tableau.Avançons jusqu’au samedi soir de la semaine suivante. (Je

    me souviens mieux de cette partie que de tout le reste, les faits me paraissent plus nets, j’espère être plus proche de la vérité.) Mon mari et moi allons au cinéma avec Sheila et un de ses copains. Bernie, qu’il s’appelle. Un représentant des ventes, de notre âge, présentable, qui prononce ses th comme des d : un Montréalais de la classe ouvrière en pleine ascension sociale. Il me fait penser à des gens de certains quartiers de New York ou de Philadelphie que j’ai connus. Des juifs. Je suppose donc qu’il est juif.

    Mais, après le film, alors que nous sommes chez Ben’s en train de manger du smoked meat et des cornichons (ce qui, bien sûr, renforce mon impression), il nous dit son nom de famille : McLaughlin. C’est mon nom de jeune fille, un nom qui peut être irlandais ou écossais, protestant ou catholique. Jusque-là, je n’avais jamais rencontré de McLaughlin juif.

    Je suis ébahie et légèrement ravie. À l’université, les gens les plus intelligents et les meilleurs professeurs étaient juifs. J’aimerais croire qu’il y a des McLaughlin juifs, tout comme il y a des Irlandais juifs, comme Leopold Bloom.

    Mais quand je lui en fais part, il est outré. Il n’est pas juif. Les juifs sont, disons... différents. « Faut pas se méprendre, j’en

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  • connais beaucoup, dit-il. Mais je ne suis pas juif. Et Sheila non plus. »

    Je suis sidérée. Abasourdie. Je ne sais pas quoi dire.« C’était une blague », me dit alors Sheila, en tendant la

    main pour caresser la mienne, comme si ça allait changer les choses, comme si ça allait expliquer l’après-midi à errer dans la gare torride.

    Je lui demande faiblement : « L’histoire de ton frère aussi ? » Oui, je dois l’avouer, je me sens faible, déstabilisée, dépassée par les événements.

    Elle fait signe que oui et sourit à Bernie. Elle lui signifie que c’est moi la toquée, pas elle.

    Ou peut-être qu’elle me regarde tout simplement avec surprise : « Tu t’es trompée. »

    Peu importe, je suis soufflée. Je reste là à regarder mon mari se tortiller, et je me sens stupide, trop sonnée pour faire une scène. Nous finissons nos verres, nos sandwiches, et partons, souriants, comme si de rien n’était. C’est seulement plus tard que je commence à me demander pourquoi elle a menti et où est la vérité.

    Je ne voulais pas revoir Sheila après cela et, parce que je ne travaillais pas, je pouvais m’arranger pour l’éviter. Le matin, j’attendais d’entendre sa porte claquer et ses talons se hâter dans l’escalier avant de sortir. Quand j’entendais sa voix dans l’entrée principale, je faisais le tour de l’immeuble pour entrer par le garage.

    Sa coloc, c’était une autre affaire. Elle était petite et blonde, et souriait tout le temps. De plus, elle me laissait essayer de

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  • my m

    lui parler français. On ne parlait pas de choses profondes : la température, l’arrivée soudaine du froid à la fin d’octobre, l’état lamentable dans lequel le concierge laissait l’escalier. Mais j’étais toujours contente de lui parler, cet hiver-là. Je mentirais si je ne disais pas qu’il y avait également une raison économique : j’avais trouvé un emploi vers la mi-novembre, mais c’était un job pourri. Il me fallait parler français pour décrocher un poste plus intéressant et mieux payé : le travail de secrétariat en anglais, c’était l’enfer.

    Nous ne parlions pas beaucoup de Sheila. Je prenais bien garde de ne pas parler du cercueil ni de Bernie McLaughlin, car je ne voulais pas paraître stupide, et comme Isabelle était juive, même depuis peu, je craignais qu’elle soit offensée par l’histoire. Qui était un mensonge, après tout.

    Et il paraissait clair qu’elle et Sheila ne s’entendaient pas très bien. Isabelle n’était pas souvent là – je me disais qu’elle devait passer les week-ends avec son copain. Mais j’entendais des choses. À cause de la disposition de nos appartements, une conversation dans leur vestibule s’entendait de notre salon, un mot de colère prononcé dans la chambre à coucher d’Isabelle était nettement audible de notre chambre d’amis.

    Alors, vous avez probablement raison de demander où est la vérité, encore une fois. Ce que je vais vous dire, maintenant, n’est rien de plus que de l’écoute aux portes et des rumeurs. Du ouï-dire, inadmissible devant un tribunal. Cet aveu d’indiscrétion jette une ombre sur moi, n’est-ce pas ? Mais c’est bien ce que j’ai fait.

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  • L’édition électronique de

    À vrai dire

    composé en Garamond corps 13

    a été complété en novembre 2011.

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