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Extrait de la publication
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André-Clément Decouflé
dirige à Paris le Laboratoire de Prospective Appliquée
dont les recherches intéressent principalement
la prospective sociale.Il a fondé une Société pour l'étude de l'an 2000
dont le présent ouvrage inaugure les travaux.
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous les pays.
© Éditions Gallimard/Julliard, 1975.
Extrait de la publication
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Parler au futur
1
Extrait de la publication
Vingt-cinq ans « peine l'espace d'une génération
nous séparent de l'an 2000. Echéance à la fois familièreet redoutée.
Familière parce que le rythme millénaire est inscrit
depuis l'origine dans la mémoire et la sensibilité col-
lective du peuple chrétien, qu'il est clôture d'une his-toire révolue et ouverture d'un monde nouveau, elles-
mêmes associées it l'attente du retour du Messie et
de sa victoire sur les forces du mal conduites par
l'Antéchrist. Redoutée parce qu'à l'approche de la fin
du deuxième millénaire, une conjugaison de périls pla-
nétaires semble préparer la fin du monde en tout cas,l',celle d'un monde angoisse de la guerre nucléaire, sur-
population, dégradation des équilibres écologiques, bref,destruction de l'homme par l'homme.
Prédire?
Déjà l'enfant Rimbaud s'inquiétait des silences de
la terre Les sentiers sont âpres. Les monticules secouvrent de genêts. L'air est immobile. Que les oiseaux
et les sources sont loin! Ce ne peut être que la fin dumonde, en avançant.
Et voici qu'aujourd'hui des hommes de science, ennombre croissant, ne craignent plus de dater l'échéancefatale
Parler au futur
L'examen objectif de l'information disponible nousa fait conclure qu'à l'heure actuelle, la situation de laTerre est critique. Sauf renversement de la tendance encours, l'effondrement de notre société, et la rupturedéfinitive des systèmes qui permettent le développementde la vie sur notre planète, sont inévitables; nous yassisterons peut-être d'ici à la fin du siècle nosenfants, certainement'.
Cette proposition est publiée en 1972, alors que
sèche à peine l'encre d'un classique de la futurologie
dont l'auteur annonce son parti pris d'optimisme.
Bien des choses ont été écrites sur le monde à venir,
mais la plupart des livres en dressent un tableau grin-çant. Ces pages, en revanche, s'intéressent au boncôté de l'avenir, c'est-à-dire à son côté humain, et
[qu'lelles analysent les étapes que nous aurons sansdoute à franchir pour y parvenir. Elles parlent dequestions banales et terre à terre des produits
que nous achetons et que nous jetons, des endroits quenous quittons, des entreprises où nous travaillons, desgens qui traversent notre vie à une allure de plus enplus rapide. Elles s'interrogent sur l'avenir de l'amitié etde la vie familiale. Elles se penchent sur des sous-cultures et des styles de vie nouveaux et étranges, etpassent en revue toute une série de questions qui vont
de la politique aux terrains de jeu, du saut en para-chute au sexe 2.
Pourquoi pas, en effet? Ce n'est pas faire une prédic-
tion bien aventureuse que de dire de notre avenir qu'il serafait à la fois de catastrophes écologiques et de change-
ments spectaculaires dans l'aménagement de la vie quoti-dienne mais c'est parler pour rien. Tenter de dire quelque
chose du futur est un exercice de difficultés extrêmes,même et surtout si, comme Anatole France le fait rap-
peler par un des personnages de Sur la pierre blanche,un de ces récits trans-temporels où il excelle
Extrait de la publication
C'est une disposition ordinaire aux esprits de valeurde rechercher dans le présent et dans le passé les condi-tions de l'avenir. J'ai remarqué chez les hommes lesplus savants et les mieux avertis que j'ai connus, Renan,Berthelot, une tendance marquée à jeter, au hasardde la conversation, des utopies rationnelles et desprophéties scientifiques 3.
Mai.s il n'y a point de prévisions innocentes et, pasdavantage, de prédictions naïves.
Monsieur, je veux connaître l'avenir et faites-moila grâce de m'accepter pour élève.
Hélas! Monsieur, je suis un professeur sans écoleet je ne pourrais guère enseigner que sur la placepublique, ce que M. le préfet de police ne sauraittolérer.
J'attends en vain la création d'une chaire de pré-diction raisonnée au Collège de France, mais les tempsne sont pas révolus.
A la vérité, j'ai eu des disciples. Je comptais naguèreparmi mes élèves un homme politique, un industrielet un écrivain. Mais quand j'ai prédit au premier lafin probable du parlementarisme, au second la haussecroissante des salaires et au dernier la disparition du
livre imprimé, ils sont entrés tous trois dans une vio-lente colère et m'ont traité de visionnaire.
Ainsi j'ai connu une fois de plus que les hommescherchent seulement, dans les prédictions, la satisfac-tion de leurs ambitions ou de leurs désirs 4.
Tout propos tenu sur le futur a donc une fonctionsociale, qu'il faut préciser, sous peine de ne rien enten-dre de ce qu'il s'efforce de signifier.
Parler au futur
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Divination
Il y a six façons de parler de l'avenir, ou de n'en pointparler tout en le vivant comme l'obsession d'un dis-
cours impossible et dès lors d'en parler malgré soi.La première est de le deviner, et d'en dire ce que
l'on en augure divination, et son cortège de mancies.Une récente Encyclopédie de la Divination5 ne recensepas moins de deux cent trente mantiques, depuis la divi-nation par le vent (Anéinoscopie) jusqu'à la divina-
tion par les menstrues (Ménomancie), en passant parl'Aitomancie (divination par le plongeon d'un oiseau
de mer), la Lycomancie (divination par les loups) et
l'Encromancie, qui, comme chacun peut s'en douter,
est la divination par les taches d'encre. Personne en
tout cas n'oubliera que la première des nomenclatures
modernes des pratiques divinatoires est celle que Rabe-lais fait réciter à Epistémon au vingt-cinquième chapitre
du Tiers-Livre. Allez chez Herr Trippa, près de l'île
Bouchart, et vous saurez comment, par art d'astrologie,géomancie, chiromancie, et autres de pareille farine,il prédit toutes choses futures. Ou bien, à défaut, paralectryomancie, c'est-à-dire par le moyen d'un coq. Olt
encore par nécromancie: toutefois, si vous avez peurdes morts, comme ont naturellement tous cocus, j'use-rai seulement de sciomancie c'est-à-dire de divination
par les ombres 6.
La forme la plus répandue de la divination est,
aujourd'hui, l'astrologie. Qu'importent les équivoques
de son statut scientifique son marché est considérable 7,et sa fortune s'explique moins sans doute par la capacité
de divination de ses interprètes que par leur sens dela psychologie utile et leur docilité à l'égard du monde
tel qu'il est, c'est-à-dire de celui au sein duquel leurs
clients ont si grand mal à vivre.
Les astres ne postulent jamais un renversement del'ordre, ils influencent à la petite semaine, respectueux
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du statut social et des horaires patronaux [.]Les astressont moraux, ils acceptent de se laisser fléchir par lavertu le courage, la patience, la bonne humeur, lecontrôle de soi sont toujours requis face aux mécomptestimidement annoncés 8.
C'est qu'il s'agit en tout cas, pour l'astrologie laplus répandue et, de loin, la plus populaire derassurer et de conseiller les âmes en peine avant quede deviner leur destin. Quand on l'interroge sur lanature de sa « voyance », Madame Soleil se récrie
Je ne suis pas Dieu le Père, je ne devine pas, moi,je prévois, j'explique [.]On voit à la tête de quelqu'uns'il est angoissé, inquiet, s'il est nerveux, s'il est hépa-tique, si c'est un anxieux, on voit ces choses-là. Maisdéfinir son problème avant qu'il n'en ait parlé, cherMonsieur, je serais un phénomène 9.
Prophétie
La deuxième façon de parler l'avenir est en effet de
le désigner, et de le proclamer par avance prophétie.Une des figures clés de la prophétie est la révélation,le dévoilement c'est-à-dire, au sens propre du terme,la parole apocalyptique. L'Apocalypse de Jean n'est passeulement vision, mais parole anticipée
Moi, Jean, votre frère et votre compagnon dansl'épreuve, la royauté et la constance, en Jésus. Je metrouvais dans l'île de Patmos, à cause de la Parole de
Dieu et du témoignage de Jésus. Je tombai en extase,le jour du Seigneur, et j'entendis derrière moi une voixclamer, comme une trompette « Ce que tu vois, écris-le dans un livre pour l'envoyer aux Sept Eglises àEphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Phila-
Parler au futur
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delphie et Laodicée.Je me retournai pour regarderla voix qui me parlait; et m'étant retourné, je vis septcandélabres d'or, et, au milieu des candélabres, comme
un fils d'homme revêtu d'une longue robe serrée à lataille par une ceinture en or [.]A sa vue, je tombaià ses pieds, comme mort; mais il posa sur moi sa maindroite en disant Ne crains pas, je suis le premier etle dernier, le Vivant; je fus mort, et me voici vivant pourles siècles des siècles, détenant la clé de la mort et
de l'Hadès. Ecris donc ce que tu as vu le présent etce qui doit arriver plus tard 10.
La prophétie a de nos jours réputation plutôt dis-crète. Pentecôtistes, Adventistes du Septième Jour,Témoins de Jéhovah ne font pourtant point défaut, etinnombrables sont, en terres « christianisées» d'outre-
mer, les messianismes prophétiques.Du reste, il serait malséant de confondre en un même
commentaire les grands prophètes de la tradition hébraï-que comme Isaïe, Ezéchiel, Jérémie, Daniel, avec
le tout-venant de la prophétie populaire telle qu'ellecontinue à fleurir aujourd'hui et même avec ceux
Un livre d'Albert Marty Le Monde de demain vu patles prophètes d'aujourd'hui, Nouvelles éditions latines, Paris,1962 propose des résumés bienveillants des prophéties lesplus populaires des xix" et xx* siècles, des fillettes de Fatima(1917) à sœur Marie-Angélique Millet (1879-1944) à laquelleune voix mystérieuse annonce, le 2 juillet 1943, que l'ArméeBlanche va triompher de l'Armée Noire par son grand chefau pouvoir immense (op. cit., p. 148). Dès le milieu duxrx' siècle, Anne-Catherine Emmerich avait rappelé que Luci-fer doit être déchaîné cinquante ou soixante ans avant l'an2000 du Christ, si je ne me trompe (sur cette voyante alle-mande, voyez, bien entendu, le livre du R.P. Schmoeder,Fribourg-en-Brisgau, 1870, traduit par l'abbé de Casalès, Brayet Retaux éd., Paris, 1872). Quant aux prophéties « populaires »,voyez aussi Suzanne Jacquemin, Les Prophéties des dernierstemps, La Colombe, Paris, 1958, qui propose un classementthématique des prophéties qu'elle recense prophéties rela-tives aux révolutions, à la Grahde Guerre, allemandes, rela-tives à l'Angleterre, prophètes écossais, d'après les mystèresde l'Inde, relatives aux musulmans, relatives à la Pologne,russe (au singulier), relatives au Grand Monarque, au SaintPontife, à l'Antéchrist, au jugement dernier, à la fin des
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que l'on peut nommer les prophètes intermédiaires,tels que Nostradamus ou Malachie
Les prophètes de première génération les
« grands » parlent à peu près exclusivement parsymboles et paraboles. Ils sont dès lors et pourl'éternité non point indéchiffrables mais, en quelquemanière, en situation de décalage constant (et sansdoute volontaire) par rapport à l'événement. L'« his-toireàlaquelle ils renvoient est proprement intempo-relle pour partie révolue, pour partie actuelle, pourpartie encore à venir.
Les prophètes intermédiaires parlent par allusions etmétaphores. Dans la dédicace de la première éditiondes Centuries (1555), Nostradamus fixe les règles dugenre à l'intention de son fils César:
J'ai composé livres et prophéties contenant chacuncent quatrains astronomiques de prophéties, lesquellesj'ai un peu voulu rabouter obscurément et ce sont deperpétuelles vaticinations, pour d'ici à l'année 3797 [.].Si je venais à référer ce qu'à l'avenir sera, ceux du règne,secte et religion et foi trouveraient si mal accordant àleur fantaisie auriculaire, qu'ils viendraient à damner ceque par les siècles à venir on connaîtra être vu et aperçu.
La prédiction n'est donc qu'une partie du futur, et
n'a de sens que par l'événement qui vient, tôt ou tard,
la sanctionner. Toute parole dite à l'avance ne peut
qu'être à moitié prononcée. Du reste, fait remarquerà peu près à la même époque Paracelse, alchimiste
autant que médecin, et quelque peu devin à ses heu-
res Si tout était exposé en clair, quel ne serait pas le
temps, à la fin du monde et de la Science, etc. Cette nomen-clature, que l'on croirait démarquée de Jorge-Luis Borges,égaie un peu la rubrique des petits prophètes, par ailleursinfiniment triste.
Michel de Nostredame, dit Nostradamus (1503-1566). SaintMalachie (t 1143). Le premier est connu pour ses célèbresCenturies, le second pour ses prophéties des Papes. Les com-mentaires provoqués par ces deux ensembles de textes sontinnombrables. Il s'en publie encore chaque jour.
Parler au futur
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frisson d'horreur qui secouerait le monde comme unroseau?
Du trop précis.
C'est la caractéristique commune à tous les pro-phètes du troisième rayon les populaires que deviolenter le code de la profession. De « dévoiler » la
parole, de parler clair, en multipliant les révélationsles plus précises et dès lors souvent les plusinsensées.
Un prête vaticinateur, l'abbé de la Tour de Noé,publie en 1873 un ouvrage qui, en douze ans, n'aura
pas moins de dix rééditions La Fin du monde en 1921,
ou proximité de la fin des temps n. Il commence pary affirmer sans réplique qu'il a assez longtemps méditécette terrible question pour pouvoir, à l'aide de lascience, de la raison et de la foi, fournir la signification,sinon vraie, du moins vraisemblable de ces expressionsun peu vagues la fin du monde! Puis ajoute, à l'inten-tion des libres penseurs et des positivistes contempo-rains, ces idiots pernicieux du XIXe siècle, qu'il n'a quemépris pour leurs élucubrations
Les bêtises outrecuidantes de ces ignorants phraséo-logues ballonnés par un incommensurable orgueil for-
ment un tas à la hauteur duquel ne montèrent jamaisles romans de la géologie, les vanités des chronologistesfantastiques et les rapsodies accumulées des sièclesécoulés.
Ma vive émotion ne saurait étonner personne. Lesbévues doctrinales qu'osent écrire des plumes civiliséessurexcitent mes nerfs à un degré supérieur à celuiqui agitait le pouls du vertueux comte de Maistre quandil stigmatisait les blasphèmes de ce misérable Voltaire,dont l'impiété a fait école.
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Sa prédiction à lui est à prendre ouà laisser. Toutau plus accepte-t-il de se souvenir qu'il a rencontré
des hommes furieux de [lui] voir marquer la secondeprécise de la fin du monde et qu'il s'en abstiendra doncdésormais, puisque cet instant cruel leur fait peur
Cette concession à la faiblesse humaine étant faite,
il faut que chacun le sache bien
Le cataclysme général est imminent. Donc, « quecelui-là entende, qui a des oreilles pour entendre ».Faibles et coupables mortels, voulez-vous devenirmeilleurs « Souvenez-vous de votre fin suprême.»Mais, hélas! qui donc y songe aujourd'hui? Pour épar-gner quelques embarras à certains de mes lecteurs, je
leur dois un avis important. Il existe des prophétiesabsolues, indépendantes de toute condition, et quis'accomplissent toujours, par exemple le monde finiraen 1921. Il y en a d'autres qui sont relatives ou condi-tionnelles. Elles sont vraies aussi, et pourtant ellespeuvent ne pas se vérifier, puisque leur accomplissementdemeure subordonné à un événement libre et contin-
gent. Ainsi Pie IX mourra, comme tous les papes,avant vingt-cinq ans de règne, s'il ne définit pas le
dogme de l'Immaculée Conception; s'il le proclame,il dépassera ces années. Voilà pourquoi il ne s'est pieu-sement éteint qu'en 1878, ce grand pontife, dont deuxprédictions conditionnelles avaient annoncé la mort,l'une pour 1871, l'autre pour 1874. Le trépas si mer-veilleusement différé de cet auguste vieillard avait
reculé les évolutions formidables qui bientôt étonne-ront le monde, et qui étaient comme attachées à
La première édition du livre de l'abbé précisait en effet(p. 120) que la fin du monde aurait lieu le 13 juillet 1921 à7 heures et 3 minutes. Mais il a mauvaise mémoire la seconden'était pas précisée. Cent ans après, un des humoristes lesplus destructeurs de sa génération n'ose pas aller si loinLa fin du monde a eu lieu le 23 août 1967 et personne ne s'enest aperçu (Cavanna, Le saviez-vous? Ed. du Square, Coll.Folio, Paris, 1974, p. 133).
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l'heure de sa mort. Maintenant que le protégé de Marien'est plus, elles se rapprochent les dates des faitsimmenses que l'avenir nous réserve.
Il est encore utile d'observer que ma fin du monde
est une thèse que je soutiens en présence de tous. Jesuis donc forcé d'adopter une forme appropriée auxmasses, un langage que la multitude comprenne. Puis-qu'il ne m'est pas donné d'employer le dialecte dechacun de mes lecteurs, afin que tous m'entendent, jedois laisser de côté la langue de l'Académie pour parlercelle du peuple.
au trop général
On peut pourtant, n'en déplaise à notre abbé, tenir le
langage du peuple en ne prophétisant rien qui n'ait desolides racines dans la sagesse populaire. Il se distri-buaità la fin de l'an dernier, sur les foires et marchés
du Lyonnais et des Alpes du Nord, un Almanach pourl'an de grâce 1975 contenant des prévisions, pronos-tics sur les saisons ainsi qu'une documentation agricole
et touristique où l'on pouvait lire ces étonnantes pré-visions du Père Benoît, véritable vade-mecum du petitprophète rien, ou à peu près, que du vraisemblable,
pour qui du moins, le dimanche, risque au pari tiercé
une modeste mise et va bon an mal an consulter quelquevoyante somme toute, pour la majorité des badauds.
Ce sera la grande interrogation. Les peuples, commeles hommes, vivront cet an de grâce ou de disgrâce?
1975 avec la question les tenaillant jusqu'au plusprofond d'eux-mêmes, la Grande Question la Guerreou la Paix?
Depuis trente ans, vaille que vaille, et malgré denombreux conflits ici ou là à travers le vaste monde,
la guerre avec deux grands G, la Grande Guerre du
monde atomique, on n'y croyait plus vraiment. On se
disait ce n'est pas possible, avec les nouveaux enginsnucléaires, les satellites, les capsules spatiales, non cen'est pas possible, les destructions seraient trop grandes.
Ou alors, il faudrait que le monde soit devenu fou.Et si, justement, il devenait fou, le monde?
Jusqu'ici, depuis trente ans, entre les Etats-Unis etl'U.R.S.S., s'était établi une sorte de mariage de raison.Et si, des deux côtés, l'on devenait déraisonnable?
Jusqu'ici, depuis une vingtaine d'années, entre Fran-çais et Allemands, entre Européens on avait fait desefforts pour bien s'entendre. Et si maintenant personnene voulait plus écouter l'autre?
La tension sera si grande, à un moment, entre lemonde occidental et le monde communiste qu'il faudraaller chercher, dans sa retraite, l'ancien président Nixonpour le dépêcher en ambassade extraordinaire à Moscouet Pékin pour empêcher un conflit mondial d'éclater.Tout aura commencé par un incident dans la mer duJapon pour le contrôle d'un groupe d'îlots peu habitésmais représentant une importance stratégique consi-dérable. Après d'innombrables conférences et palabres,la menace de conflit mondial paraîtra s'apaiser maisles choses ne seront pas pour autant réglées, et le feucontinuera de couver sous la cendre.
En Europe, on assistera à une flambée de nationa-lisme opposant la France et l'Allemagne à la suitede l'achat par les Allemands de nombreuses exploi-tations agricoles et de terrains chez nous. De très vio-lents incidents opposeront des cultivateurs françaisà des touristes germaniques dont l'un trouvera la mort.Cela provoquera une campagne de presse hostile ànotre pays outre-Rhin et il faudra beaucoup de tactet de démarches pour rétablir un semblant d'harmo-nie.
Qui l'eût cru? A la surprise générale, en Grande-Bretagne, réputée depuis des centaines d'années commela mère des démocraties, on verra se manifester un
mouvement militaire pour tenter de mettre fin à un
Parler au futur
Extrait de la publication
véritable effondrement économique du pays. On l'appel-lera « le mouvement des majors»par analogie aurégime des « colonels» grecs ou des « capitaines» por-tugais.
La souveraine, la reine Elisabeth, fera l'objet d'unemanière de chantage politique, mais la monarchie etles libertés seront quand même maintenues.
En revanche, en Italie, on assistera à de véritables
batailles de rues, pour ne pas dire à une guerre civile,entre mouvements de Droite et de Gauche.
Le Pape tentera d'empêcher l'affrontement décisif,mais n'y parviendra pas. Il en sera mortellement tou-ché.
Pour en terminer avec la politique internationale,une offensive sera lancée par les pays noirs indépen-dants contre l'Afrique du Sud et la Rhodésie, bastionsblancs du continent africain. Les massacres seront
abominables de part et d'autre.L'Etat d'Israël, après avoir procédé à une expérience
nucléaire, fera savoir qu'il est prêt à utiliser l'armeatomique si les pays arabes ne proclament pas qu'ilsreconnaissent son existence. L'U.R.S.S. menacera d'in-
tervenir elle aussi avec des armes nucléaires, et comme
pour l'affaire d'Extrême-Orient, on se demandera unenouvelle fois si une troisième guerre mondiale n'est
pas près d'éclater.En France, le grand scandale sera l'effondrement
en Bourse d'un très grand nombre de sociétés de porte-feuilles auxquelles de multiples épargnants avaientconfié leurs économies. Le président de la Républiquesera lui-même obligé d'intervenir pour garantir auxvictimes du krach une indemnisation, mais qui, bienentendu, sera loin de couvrir la totalité des pertes.
A l'occasion de l'implantation d'une super-usinenucléaire destinée à pallier le manque d'énergie clas-sique, de grands rassemblements de population s'orga-niseront pour manifester leur hostilité. Un débat publics'établira pour savoir si oui ou non les Français accep-tent la nouvelle ère atomique. Ce sera, en fait, le
grand problème économique et politique de l'année,mais il ne sera pas résolu.
Valéry Giscard d'Estaing devra renoncer à ses goûtsantiprotocolaires, et à mener une vie de simple parti-culier, parallèlement à celle que lui imposent ses trèshautes fonctions. Il sera, en effet, victime d'un attentat
au cours d'une escapade, et alors qu'il était dépourvude toute protection rapprochée.
Un fait divers tiendra en haleine les télespectateurs,l'incendie d'une tour de plusieurs dizaines d'étagestout un ensemble de bureaux sera comme pris en sand-wich entre deux brasiers, l'un au-dessous, l'autre en
dessus, empêchant à la fois les secours d'arriver du solpar les échelles des pompiers, d'ailleurs trop petites,et d'autre part les hélicoptères de se poser sur lesterrasses supérieures pour évacuer les malheureux. Ondéplorera plusieurs morts dans des conditions atroces.
Tout le problème de la sécurité dans les tours feral'objet d'une révision complète.
Les problèmes paysans seront d'un autre ordre, cetteannée. Une nouvelle épizootie frappera et décimeralittéralement les clapiers à lapins. Mais ce fâcheuxévénement sera moins grave, malgré tout, que cetteespèce de phylloxéra nouvelle manière qui s'attaqueraaux arbres fruitiers. Il faudra traiter les plants à toute
vitesse et en catastrophe, pour éviter d'immenses pertes.Ce sera aussi une année difficile pour les pêcheurs en
mer qui verront se raréfier leurs bancs traditionnels. En
revanche, et c'est une bonne nouvelle pour les pro-ducteurs de viande, la crise internationale fera flamber
les cours à la production, chaque pays étant soucieuxde se constituer des stocks. Mais naturellement, les
prix monteront aussi au détail, et de telle manière qu'ily aura une véritable levée de boucliers contre lesbouchers, lesquels ne sont pourtant pas automatiquementresponsables de cet état de choses.
Les manifestations contre la vie chère provoqueront
de véritables émeutes, avec intervention de la troupe.
Parler au futur
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