581
d'ordre : 2546 THÈSE présentée à L'UNIVERSITÉ BORDEAUX I ÉCOLE DOCTORALE DE GEOSCIENCES ET SCIENCES DE L’ENVIRONNEMENT par Laure Dubreuil POUR OBTENIR LE GRADE DE DOCTEUR SPÉCIALITÉ : Préhistoire et Géologie du Quaternaire ********************* Etude fonctionnelle des outils de broyage natoufiens : nouvelles perspectives sur l’émergence de l’agriculture au Proche-Orient. ********************* Soutenue le : 30 septembre 2002 Après avis de : Mme. Anna Belfer-Cohen, Professeur, Université Hébraïque de Jérusalem ………… Rapporteurs Mme. Katherine Wright, Lecturer, London College…………………………………… Devant la commission d'examen formée de : MM. Ofer Bar-Yosef, Professeur Jean-Michel Geneste, Conservateur du patrimoine Jacques Jaubert, Professeur Jean-Philippe Rigaud, Conservateur Général du Patrimoine et Directeur de l’UMR 5808 Hugues Plisson, Chargé de recherche au CNRS - 2002 -

Etude fonctionnelle des outils de broyage natoufiens

  • Upload
    vutram

  • View
    246

  • Download
    8

Embed Size (px)

Citation preview

  • N d'ordre : 2546

    THSEprsente

    L'UNIVERSIT BORDEAUX ICOLE DOCTORALE DE GEOSCIENCES ET SCIENCES DE

    LENVIRONNEMENT

    par Laure DubreuilPOUR OBTENIR LE GRADE DE

    DOCTEURSPCIALIT : Prhistoire et Gologie du Quaternaire

    *********************

    Etude fonctionnelle des outils de broyage

    natoufiens : nouvelles perspectives sur lmergence

    de lagriculture au Proche-Orient.

    *********************

    Soutenue le : 30 septembre 2002

    Aprs avis de :

    Mme. Anna Belfer-Cohen, Professeur, Universit Hbraque de Jrusalem Rapporteurs

    Mme. Katherine Wright, Lecturer, London College

    Devant la commission d'examen forme de :

    MM. Ofer Bar-Yosef, Professeur

    Jean-Michel Geneste, Conservateur du patrimoine

    Jacques Jaubert, Professeur

    Jean-Philippe Rigaud, Conservateur Gnral du Patrimoine et Directeur de lUMR 5808

    Hugues Plisson, Charg de recherche au CNRS

    - 2002 -

  • RemerciementsJe remercie mes directeurs de thse, Jean-Philippe Rigaud et Jean-Michel Geneste, pour avoir

    accept de suivre cette recherche. Jean-Philippe Rigaud m'a assur des conditions de travail,

    un soutien logistique et un suivi sans faille. Son appui, les relectures critiques de mes

    diffrents projets et du manuscrit final ont t pour moi essentiels. Je tiens signifier toute ma

    gratitude Jean-Michel Geneste pour son exigence et sa volont d'amliorer sans cesse. Ses

    corrections, nos discussions m'ont permis de retrouver ma motivation dans les moments les

    plus difficiles, de tirer le meilleur de mes recherches. J'estime lui devoir beaucoup.

    Je remercie Mesdames et Messieurs les membres du jury d'avoir accept de lire et de juger ce

    travail.

    Certaines personnes ont occup une place particulire dans le parcours de cette thse. J'ai

    rencontr Hugues Plisson lors de mon anne de DEA. Son soutien a toujours t depuis lors

    prcieux pour moi. Je teins le remercier pour son aide, ses conseils, son regard sans

    concession sur l'avancement des travaux. Jaimerai aussi remercier l'ensemble de l'quipe de

    Valbonne qui m'a accueilli de nombreuses fois dans leurs locaux et m'a toujours fait bnficier

    de conditions de travail excellentes. C'est au cours de l'une de ces visites que j'ai eu

    l'occasion de rencontrer Liliane Meignen. Elle est en grande partie l'origine de mon premier

    voyage en Isral et de ma rencontre avec le Natoufien. J'ai beaucoup appris avec elle sur le

    terrain, je la remercie pour son coute et ses conseils. Sur les fouilles d'Hayonim, Ofer Bar-

    Yosef et Anna Belfer-Cohen m'ont offert d'appliquer la problmatique de recherche que j'avais

    dveloppe en DEA au matriel de broyage natoufien. Je les remercie de m'avoir donner ma

    chance.

    A cette premire collection s'est ensuite ajoute celles des fouilles effectues par Jean

    Perrot, Franois Valla et Hamudi Khalayli. Je tiens leur exprimer ma reconnaissance pour

    m'avoir confi l'tude du matriel de Mallaha et de la terrasse d'Hayonim. Une mention

    particulire Genevive Dollfus et Bernard Vandermeersch qui ont toujours t d'une

    disponibilit et d'une gentillesse rarement rencontres et dont laide a t prcieuse.

    Ce travail a ncessit de nombreux sjours en Isral, il n'aurait pas t possible sans

    l'obtention de diffrentes bourses. Je tiens en particulier remercier Naama Goren,

    responsable du projet d'change europen TMR, qui m'a t d'une grande aide. Je remercie

    aussi le Ministre des affaires trangres qui a financ un long sjour (bourse Lavoisier) me

    permettant de terminer ma thse ainsi que le Centre de Recherche Franais de Jrusalem. La

    fondation Dina Surdin a financ quant elle les derniers moments de rdaction, cette bourse

    m'a permis de consacrer tout mon temps ma thse, je l'en remercie vivement.

    J'aimerais par ailleurs exprimer ma gratitude diffrentes personnes et institutions qui ont

    permis et facilit mon travail en Isral :

    - le Dpartement des Antiquits Israliennes a mis ma disposition collections, locaux et outils

    d'analyse. Un merci tout particulier au personnel du dpt archologique de Romema et

    Zinovi.

  • Hamudi Khalalily m'a donn de prcieux conseils et a facilit bien des fois les dmarches

    administratives et les contacts avec cette institution. J'aimerais lui signifier toute l'importance

    qu'a eu pour moi son soutien discret et efficace, sa confiance.

    - l'Universit Hbraque de Jrusalem, en particulier le dpartement d'Archologie, m'a

    accueilli, ouvert les tiroirs des collections et des bibliothques. Merci Anna Belfer-Cohen

    pour son aide et sa confiance, Nigel Goring-Morris pour m'avoir montr des boites de

    trsors, j'espre trouver le temps de m'y intresser de plus prs.

    - Eitan Tchernov, directeur du dpartement de palontologie de l'Universit de Givat Ram a mis

    ma disposition le systme d'acquisition d'image numrique qui m'a permis de prendre de

    nombreuses photographies du matriel archologique. Je tiens l'en remercier vivement. Je

    voudrais aussi remercier tous les tudiants et le personnel du laboratoire pour leur accueil

    chaleureux.

    - mon vritable camp de base lors de mes sjours a toujours t le Centre de Recherche

    Franais de Jrusalem qui m'a offert les meilleures conditions de travail possibles. Je tiens

    remercier tout le personnel du Centre pour leur attention et leur soutien moral : merci

    Dominique Bourel, directeur du centre, Elisabeth Warschawski, Lise Baer-Zerbit, Marjolaine

    Barazani, Eva Telkes, Florence Eiman et Charles Sraphin, les gardiens de maison ainsi qu'

    Sylvana Condemi et Mireille Loubet qui ont pris soin de moi comme des grandes surs.

    Enfin tous mes amis dcouverts aux fils des voyages qui m'ont fait me sentir chez moi :

    Leore, Gonen et toute leur famille, Nira, Agard, Tali, Yaron, Efrat, Ro, vous me manquez tous.

    De retour en France, l'IPGQ a t mon autre camp de base. Je tiens tout d'abord remercier

    vivement Michel Lenoir pour ses relectures du manuscrit et l'intrt qu'il a port ce travail.

    Pour ma recherche bibliographique, l'aide de Genevive Raubert a t essentielle. J'ai

    bnfici des discussions et des conseils de nombre des chercheurs travaillant l'Institut,

    j'aimerais remercier en particulier Francesco d'Errico qui m'a form la technique des prises

    d'empreintes et qui s'est toujours montr d'une grande disponibilit. Maria Sanchez Goni (du

    Dpartement de Gologie et Ocanographie) ma grandement aid en ce qui concerne les

    reconstitutions climatiques. Une mention spciale Michle Charuel et Eric Pubert pour leur

    disponibilit et leur gentillesse. Enfin, merci tous mes "camarades de classe" et amis qui ont

    suivi de prs mes hauts et mes bas et qui m'ont aid chacun leur faon : Vronique,

    Blanche, Arnaud, Marian, Framy, Cdric, Jean-Guillaume, Hlne, Fanny et Nicolas. C'est

    Eugne qui a trouv le titre dfinitif de ma thse, merci pour cela et aussi pour nous avoir fait

    beaucoup rire, j'espre que tous tes rves se raliseront.

    Enfin je remercie ceux qui ont toujours t l et que j'ai peu eu l'occasion de voir ces dernires

    annes. J'espre qu'ils seront heureux du dnouement de cette histoire. Un grand merci donc

    ma famille : Franoise, Jean-Claude, Hlne, Anne, Yvan et mon petit prince Maximilien.

    A mes grands-parents, Louis et Andre, Adrien et Edith

  • Introduction

  • 6

    Nous aimerions situer ce travail avant tout comme une recherche mthodologique visant

    dvelopper des outils pour une analyse fonctionnelle d'une catgorie d'artefacts encore peu

    tudie selon cette perspective : le matriel de broyage.

    Cet outillage (comprenant notamment les meules, molettes, mortiers et pilons) est connu pour

    des priodes anciennes de la Prhistoire. Son dveloppement semble nanmoins

    correspondre lEpipalolithique, priode de transition entre des socits de chasseurs-

    cueilleurs et dagriculteurs. Cet essor est gnralement compris comme tant li une

    modification des modes dexploitation des ressources vgtales. Cette hypothse reste

    cependant dmontrer. En effet, l'tude des sries archologiques a le plus souvent t

    limite une classification selon des listes types. Contrairement lindustrie de silex, les

    mthodes danalyse fonctionnelle des outils de broyage restent ce jour peu dveloppes.

    Elles apparaissent pourtant essentielles pour comprendre le dveloppement de cette

    technologie ainsi que son lien avec les systmes d'exploitation des ressources vgtales.

    Cette problmatique prend tout son sens dans le contexte de l'Epipalolithique du Levant. En

    effet, la diversification et la multiplication des outils de broyage au Natoufien ont t

    interprtes comme indiquant une augmentation de limportance des plantes dans lalimentation

    des populations laube du Nolithique. Lobjectif de notre recherche a t de tester et de

    prciser cette hypothse. Par ailleurs, les diffrentes tapes du processus ayant conduit la

    production des ressources alimentaires restent mal connues. La caractrisation des modes

    d'exploitation des vgtaux des priodes prcdant l'tablissement d'un mode de vie

    pleinement agricole apportera de nouveaux lments pour la comprhension de ce

    processus. Ce travail s'inscrit donc au sein de la problmatique plus gnrale de la

    nolithisation du Proche-Orient. Nous esprons que nos rsultats permettront de discuter les

    diffrentes thories proposes dans ce domaine.

    D'un point de vue technologique, l'outillage de broyage peut tre dfini comme un dispositif

    impliquant deux lments complmentaires, lun tant actif et transmettant la force motrice,

    lautre passif et contenant la matire travaille. La matire travaille est intercale entre les

    surfaces actives des deux lments, elle constitue le troisime lment du systme technique

    conformment aux donnes fondamentales de la tribologie (e.g. Georges, 2000). Ce dispositif

    permet de concasser, broyer, rduire en poudre.

    Parmi les outils typiques, deux couples sont gnralement distingus :

    - les meules et molettes correspondent des formes dites "plates" ; les zones des objets en

    contact sont lgrement convexes concaves, les gestes d'utilisation sont inscrits dans un

    plan horizontal ;

    - les mortiers et pilons : le mortier peut tre considr comme un rcipient creux de

    dimensions variables, le pilon, de forme oblongue, est actionn selon un mouvement vertical.

    Les enqutes ethnologiques attestent de la diversit des matires transformes l'aide de

    ces outils chez diffrents peuples de chasseurs-cueilleurs, d'horticulteurs ou d'agriculteurs.

    Les modes d'utilisation comprennent, entre autres, le travail des crales et dautres

    vgtaux, le broyage de los, de la viande, de toutes sortes de nourriture, la prparation de

  • 7

    colle et de colorants, etc. Le broyage est particulirement appropri pour la transformation de

    certaines ressources vgtales. Il permet d'liminer les parties toxiques, daugmenter la

    digestibilit et lapport nutritionnel des plantes.

    Les tudes fonctionnelles appliques aux outils de broyage connaissent un dveloppement

    rcent. Diffrents travaux ont mis en vidence la diversit des approches possibles (tudes

    morphologiques, ptrologiques, tracologie et recherche de rsidus) et leur complmentarit.

    Cependant, pour certains de ces domaines de recherche, les mthodes d'analyse restent

    encore tablir ou prciser.

    Nous avons choisi de nous intresser l'approche tracologique car elle peut tre applique

    l'tude de collections anciennes et permet d'effectuer une analyse exhaustive des

    assemblages. Une partie importante de notre travail a t consacre l'tablissement d'un

    rfrentiel exprimental visant valuer le potentiel d'une tude tracologique des outils de

    broyage et proposer des critres de diagnose fonctionnelle.

    La dmarche d'analyse dfinie exprimentalement a t applique l'tude de trois

    assemblages natoufiens : ceux de la grotte et de la terrasse d'Hayonim et celui de Mallaha

    (Figure 1).

    Figure 1 : localisation des sites tudis

  • 8

    Ce mmoire s'organise en cinq parties :

    1. la premire partie est consacre la prsentation dtaille du contexte archologique

    comprenant une synthse des donnes sur le Natoufien qui seront replaces dans le

    cadre du processus de nolithisation au Proche-Orient ainsi qu'un bilan des tudes

    effectues sur le matriel de broyage de l'Epipalolithique levantin. Nous conclurons

    sur la dfinition de notre problmatique de recherche.

    2. dans la seconde partie nous tablirons un bilan des recherches mthodologiques

    relatives l'analyse fonctionnelle des outils de broyage ;

    3. la troisime partie sera consacre la prsentation du rfrentiel exprimental

    constitu et de son apport pour l'tablissement d'une approche tracologique des

    outils de broyage.

    4. dans la quatrime partie, la dmarche d'analyse propose dans les parties II et III sera

    synthtise et applique l'tude des trois assemblages natoufiens prsents plus

    haut.

    5. nous proposons dans la dernire partie, une synthse et une discussion des

    rsultats de l'tude des collections archologiques ainsi que de nos recherches

    mthodologiques.

  • Partie I.

    Contexte archologique et

    problmatique

  • 10

    Cette premire partie a pour objectifs de donner une prsentation dtaille de notre contexte

    de recherche, de dfinir prcisment les problmatiques du Natoufien ainsi que l'apport d'une

    tude du matriel de broyage pour la connaissance de cette priode et la comprhension du

    processus de nolithisation au ProcheOrient.

    Dans un premier chapitre, nous replacerons les recherches effectues sur le Natoufien dans

    leur contexte historique et proposerons une dfinition synthtique de cette culture que nous

    situerons dans le cadre chrono - culturel, gographique et environnemental du Proche-Orient.

    Nous nous intresserons ensuite deux dbats qui apparaissent de premire importance

    pour l'tude du dveloppement des socits d'agriculteurs au Levant : modes d'implantation et

    stratgies de subsistance au Natoufien.

    Nous dtaillerons dans un troisime chapitre l'apport d'une tude du matriel de broyage

    concernant ces deux axes de recherche. Un bilan des travaux effectus sur l'outillage

    levantin depuis le Palolithique suprieur jusqu'au Nolithique nous permettra de dfinir notre

    problmatique et de justifier l'approche mthodologique adopte dans ce travail.

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    11

    Chapitre 1. Une dfinition du Natoufien

    1. Cadre historique, environnemental et

    chrono-culturel

    1.1. Historique des recherches

    Le Natoufien, culture de l'Epipalolithique du Levant, a t identifi et dcrit en premier lieu par

    Garrod (1932, 1957) suite aux fouilles de la grotte de Shukbah situe dans le Wadi en-Natuf et

    de Mugharet en Wad dans le mont Carmel. Garrod (op.cit) caractrise cette culture notamment

    par son industrie lithique, qui comporte des microlithes de type segment de cercle (considrs

    comme un fossile directeur) et des lments de faucille, par l'importance de l'outillage en os,

    du matriel de broyage et la prsence de structures construites. Elle attribue le Natoufien au

    Msolithique (dat alors de 4000 5000 BP), et considre que son origine n'est probablement

    pas locale.

    Neuville, aprs diffrentes campagnes de fouilles effectues dans le dsert de Jude,

    repousse les dates proposes par Garrod aux Xme - XIIme millnaires avant notre re (in

    Valla, 1987a). Par ailleurs, il situe les dbuts de l'agriculture au Natoufien. L'hypothse est

    reprise par Garrod qui envisage une domestication du chien cette priode, les datations

    restent un point de dsaccord. Les travaux effectus Jricho ainsi que les premires dates

    C14 obtenues pour les niveaux nolithiques pr-cramiques de ce site (VIIIme millnaire

    avant notre re), conduisent considrer le Natoufien comme antrieur au Nolithique et

    reculer considrablement son ge (Valla, 1987a).

    L'hypothse d'un dbut de l'agriculture au Natoufien sera remise en question, en premier lieu

    par Braidwood (in Boyd, 1999) puis par Perrot (1966) partir des rsultats des recherches

    effectues sur le site de Mallaha : l'tude de la faune indique que les animaux ne sont pas

    domestiqus et les premiers indices d'une agriculture remontent alors au PPNB (seconde

    priode du Nolithique pr-cramique). Selon Perrot (op.cit), les vgtaux sont collects

    l'tat sauvage Mallaha, leur exploitation devenant probablement intensive cette priode. Il

    propose de rattacher le Natoufien l'Epipalolithique et considre l'industrie lithique comme un

    prolongement des prcdentes, ses origines sont rechercher sur place. Il situe le Natoufien

    la priode de transition entre le Plistocne suprieur et l'Holocne soit entre 10.000 et 8.000

    av J.C (Perrot, 1968).

    A la fin des annes 70, les travaux de Valla et Bar-Yosef, O. ainsi que le dveloppement des

    datations, permettent de prciser la chronologie du Natoufien. Une division en deux phases

    (Natoufien ancien et rcent) est retenue sur la base des variations de la frquence de la

    retouche bifaciale oblique parmi les segments de cercle et de la taille moyenne de ces outils

    (Bar-Yosef, O. et Valla, 1979 ; Valla, 1981, 1984, 1987a). Ce schma est aujourd'hui

    largement accept. En 1984, Valla propose de distinguer une troisime phase, le "Natoufien

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    12

    Final". Cette dernire subdivision est cependant controverse (comme le constate l'auteur in

    Valla, 1995a).

    Le cadre chronologique du Natoufien est dsormais fix, la culture couvre une priode situe

    entre environ 12.500 et 10.200 BP, elle peut tre considre comme une phase de transition

    entre des modes de vie de chasseurs-cueilleurs et l'tablissement des premires

    communauts agricoles. L'image de la "culture natoufienne" se prcise par ailleurs par la

    publication ou la fouille de sites dans la zone centrale du Carmel et de la Galile, o cette

    culture a t en premier lieu reconnue, ainsi que dans les rgions "priphriques". Ces

    travaux permettent d'apprhender la diversit des adaptations aux diffrentes zones

    environnementales. Ils apportent, en outre, de nouvelles donnes concernant les modes

    d'implantation des populations, d'exploitation des ressources et leurs expressions

    symboliques. En 1989, le colloque "The Natufian Culture in the Levant" (Bar-Yosef, O. et

    Valla, 1991) fait le point sur l'avanc des travaux. Sont constats des affinements dans la

    dfinition du cadre environnemental, une meilleure connaissance d'une part de l'aire de

    diffusion du Natoufien et des diffrents facis rgionaux contemporains et d'autre part des

    pratiques funraires et modes de subsistance (Bar-Yosef, O. et Valla, 1990). Cependant,

    plusieurs points de controverses discuts alors, tels que la pratique d'une agriculture au

    Natoufien ou d'un mode de vie sdentaire, restent aujourd'hui d'actualit. Les discussions

    portent par ailleurs sur les modalits d'exploitation des ressources vgtales et carnes, la

    "gographie culturelle" de cette priode, mais aussi sur l'organisation sociale des populations

    (Delage, 2001a).

    1.2. Les donnes environnementales

    1.2.1. La rgion

    Le Proche-Orient comprend l'Anatolie, les montagnes du Zagros, la Msopotamie, le Levant, le

    dsert Syro-Arabique et la pninsule du Sina. Le Levant (nom donn aux pays de la cte

    orientale de la Mditerrane) est caractris par une grande variabilit topographique et

    climatique. Il recouvre une aire d'environ 250 350 km de large pour 1.100 km de long, depuis

    les flancs Sud des montagnes du Taurus en Turquie jusqu' la pninsule du Sina. La rgion

    est borde l'Ouest par la valle du Moyen-Euphrate, les bassins de Palmyre, de Gebel ed-

    Druz, d'Azraq et d'El-Jafr. Les principaux ensembles topographiques (Planche 1) sont

    organiss grossirement selon un axe nord - sud et comprennent une frange ctire troite,

    deux chanes de montagnes parallles spares par la Valle du Rift ainsi que le plateau du

    dsert syro-arabique, sillonn de nombreux wadi1 et accusant un pendage vers l'est (Bar-

    Yosef, O. et Belfer-Cohen, 1989).

    Le Proche-Orient est aujourd'hui domin par deux saisons, un hiver doux et pluvieux, un t

    chaud et sec. Sa localisation au carrefour des trois grandes masses continentales de

    1 afin d'viter des problmes de traduction notamment pour certains noms de site ou localisations, nousgarderons dans ce mmoire le terme de wadi pour dsigner les oued, lit de rivire le plus souvent sec,prsentant un rgime d'coulement spasmodique (Derruau, 1988, p.237).

  • Planche 1

    Planche 1 : gographie physique du Levant

    Pninsuledu Sina

    Valle del'Euphrate

    Montagnes du Taurus

    DsertSyro -

    arabique

    Jour

    dain

    Mer morte

    Mer mditerrane

    chelle 1 : 25 000 000

  • Planche 2

    Planche 2 : zones phyto-gographiques du Proche-Orient, rpartition actuelle desdiffrents types de vgtation, d'aprs Miller (1997, p.198).

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    13

    l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique dtermine son systme atmosphrique. De forts contrastes

    topographiques, l'effet des variations de temprature et de pluviosit dfinissent la rpartition

    des biomasses animales et vgtales (Bar-Yosef, O. et Meadow, 1995).

    La distribution actuelle de la vgtation permet de diffrencier trois zones

    phytogographiques principales (Planche 2) (Zohary, 1973 ; Miller, 1997) :

    1. la zone mditerranenne caractrise par un climat doux comprenant les forts duLevant, de la cte et des hauts plateaux d'Anatolie (il est important de signaler que la valle du

    Jourdain doit tre exclue de cet ensemble) ;

    2. la zone kurdo-zagrossienne et irano-touranienne prsentant un climat pluscontinental, une vgtation de type fort, steppique ou dsertique. Cette aire comprend aussi

    les chnaies du Nord du Taurus-Zagros, les formations de pistachier - amandier du sud du

    Zagros et les steppes du Nord de la Msopotamie ;

    3. la basse Msopotamie et la rgion ctire du Golfe prsentant un climat plus tropical.

    La reconstitution des zones phytogographiques passes repose sur plusieurs donnes. Les

    modifications gomorphologiques et les reconstitutions paloclimatiques apparaissent de

    premire importance. Ensuite, la rpartition actuelle des ensembles vgtaux sert de base la

    comprhension des aires d'habitat et de rpartition des diffrentes plantes. Enfin, l'tude des

    pollens et des macrorestes vgtaux retrouvs sur les sites archologiques permet d'tendre

    cette image au pass (Miller, 1997).

    1.2.2. Reconstitutions paloclimatiques etenvironnementales

    L'volution climatique globale peut tre caractrise par des tendances gnrales long

    terme (glaciaires et interglaciaires) interrompues d'accidents climatiques courts mais intenses

    tels que les vnements de Dansgaard Oeschge, de Heinrich, le Dryas Rcent etc.

    (Grousset, 2001). Ces vnements, qui correspondraient, pour les premiers, des relargages

    massifs dicebergs dans lAtlantique Nord (Grousset, op. cit), ont t reconnus lchelle de

    lhmisphre Nord. Ils sont ainsi considrs comme des phnomnes globaux. Nanmoins,

    leur intensit et leur chronologie ont probablement vari selon les rgions (ceci a t mis en

    vidence pour l'Holocne par Rohling et. al, 2002). Qu'en est-il pour le Proche-Orient ?

    1.2.2.1. Les donnes

    La carte, prsente sur la planche 3 a., reprise de Sanlaville (1997), rpertorie l'essentiel des

    chantillons palynologiques disponibles pour le Proche-Orient. Les carottes marines sont une

    des sources principales de donnes. Elles prsentent l'avantage d'tre diversifies et bien

    dates, cependant un certain laps de temps est ncessaire avant que les modifications du

    milieu terrestre soient enregistres (Bar-Yosef, O. et Meadow, 1995). Le calage

    chronologique des squences palynologiques lacustres levantines (Ghab au Nord-Ouest de la

    Syrie et Houl dans le Nord d'Isral) a pos diffrents problmes (Salanville, 1996). Un

    rchantillonage et une srie de datations de la squence du lac Houl (van Zeist et Bottema

    1991 ; Baruch et Bottema, 1991) ont permis de prciser les reconstitutions

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    14

    paloenvironnementales du dernier maximum glaciaire jusqu' l'Holocne. Cependant, les

    rsultats des datations sont toujours discuts (Rossignol-Strick, 1997 ; Sanlaville, 1997).

    Pour la rgion levantine, les reconstitutions proposes souffrent ainsi du manque de donnes

    continentales bien dates. Cependant, les rcentes tudes de splothmes effectues par

    Bar-Matthews, Kaufman et collaborateurs dans la grotte de Nahal Soreq ont apport dans ce

    domaine des informations fondamentales (Bar-Matthews et al., 1997, 1998, 1999, 2000 ;

    Kaufman et al., 1998)

    1.2.2.2. Reconstitutions proposes

    Entre Europe et Proche-Orient des rapprochements peuvent tre effectus au niveau des

    grandes tendances climatiques : aprs le dernier maximum glaciaire, le Tardiglaciaire (15.000

    10.000 BP, Magny 1995) apparat comme une phase de rchauffement amorce

    probablement avant 15.000 BP pour la zone qui nous intresse. Mais lidentification dpisodes

    de fluctuation climatique courts, tels que lvnement de Heinrich 1 (15.000 13.000 BP, si l'on

    prend les dates les plus extrmes publies par Elliot et. al., 1998), dans la rgion levantine

    restent controverse (Planche 4) :

    - selon ltude des splothmes de la grotte de Nahal Soreq (proche de Jrusalem),

    dats entre 17.000 et 10.000 BP, l'volution climatique est marque par la rpercussion

    d'vnements globaux tels que ceux de Heinrich (Bar-Matthews et al., 1997 ; Kaufman

    et al., 1998). En particulier, les auteurs constatent vers 14.500 BP, une priode dite

    courte de dgradation climatique qui pourrait correspondre au Heinrich 1. Les travaux

    de Frumkin et al. (1999) confirment les possibilits d'identifier des variations de courte

    dure partir de l'tude des splothmes. Sur la base de l'analyse des foraminifres

    d'une carotte provenant du Sud-Est de la mer Ege, Geraga et al. (2000) identifient

    aussi un pisode froid dat autour de 13.700 BP considr comme correspondant

    l'vnement de Heinrich 1.

    - selon Sanlaville (1997, Planche 3 b.), la premire phase du Tardiglaciaire est

    caractrise par une amlioration climatique nette, il est probable que le rapport

    prcipitation/vaporation ait alors t plus lev qu'il ne le sera l'Holocne. Un

    pisode trs froid et sec est attest sur diffrents sites et dat entre 12.700 et 12.100

    BP Wadi Judayid (Jordanie). Vient ensuite un pisode chaud et humide

    correspondant l'Allerd qui dure jusqu' environ 10 800 BP. Une phase d'amlioration

    climatique est aussi identifie par Rossignol-Strick (1997). Cependant, elle correspond

    selon l'auteur au Bolling-Allerd et couvre une priode situe entre 12.500 et 11.000

    BP.

    - la crise du Dryas Rcent est reconnue par tous mais fait aussi l'objet de controverses

    portant sur la chronologie exacte de cette aridification, son intensit et son

    droulement. Selon Rossignol-Strick (1995), le Dryas Rcent peut tre globalement

    dat, tout comme en Europe, entre 11.000 et 10.000 BP. Il correspond la priode la

    plus froide et aride du Tardiglaciaire. Sanlaville (1997) note qu'un climat sec et frais est

    bien attest dans toute la rgion levantine cette priode. A Abu Hureyra (moyenne

  • 15 000

    14 000

    13 000

    12 000

    11 000

    10 000

    14 500

    12 500

    12 700

    11 500

    10 800

    10 200

    Dates (BP) Cadre europen Entits culturelles

    TARD

    IGLA

    CIA

    IRE

    HO

    LOCE

    NE

    Zonesmditerranennes

    Steppes etdserts

    NATOUFIENFINAL

    HARIFIEN

    NATOUFIENRECENT

    NATOUFIENANCIEN

    KEBARIEN AGEOMETRIQUES

    RAMONIENTERMINAL

    NIZZANIEN NIZZANIEN

    KEBARIEN AGEOMETRIQUES

    ET PROTO-MUSHABIEN

    MUSHABIENCLASSIQUE

    RAMONIENANCIEN

    Dernier MaximumGlaciaire

    DRYAS ANCIENou vnement de

    HEINRICH 1(phase

    de dtriorationclimatique)

    DRYAS RECENT(Episode sec

    et froid)

    BOLLING - ALLEROD(Episode chaud

    et humide)

    Cadre du Proche - Orient

    d'ap

    rs

    San

    lavi

    lle(1

    996)

    d'ap

    rs

    Ros

    sign

    ol-S

    tric

    k(1

    995)

    d'ap

    rs

    Bar

    -Mat

    thew

    set

    .al(

    1997

    )

    Con

    text

    eg

    nra

    ld'a

    ml

    iora

    tion

    clim

    atiq

    ueam

    orc

    ede

    puis

    15.0

    00B

    P

    pis

    ode

    froi

    det

    sec

    duD

    ryas

    rce

    nt

    pis

    ode

    froi

    det

    sec

    Con

    text

    eg

    nra

    ld'a

    ml

    iora

    tion

    clim

    atiq

    ueam

    orc

    ede

    puis

    15.0

    00B

    P

    Alle

    rod

    :p

    isod

    ech

    aud

    ethu

    mid

    e

    pis

    ode

    froi

    det

    sec

    duD

    ryas

    rce

    nt

    Am

    lio

    ratio

    ncl

    imat

    ique

    pis

    ode

    froi

    det

    sec

    duD

    ryas

    rce

    ntC

    limat

    froi

    det

    sec,

    poss

    ible

    corr

    espo

    ndan

    ceav

    ecl'

    vne

    men

    tde

    Hei

    nric

    h1

    NATOUFIENRECENT

    Planche 4

    Planche 4 : Diffrentes reconstitutions climatiques proposes pour la priode du Tardiglaciaireau Proche-Orient et squence culturelle.

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    15

    valle de l'Euphrate) par exemple, une phase trs aride aurait dbut vers 10.600 BP

    et continu jusqu' environ 10.000 BP. Les analyses palynologiques de diffrents sites

    de la valle du Jourdain et de Galile montrent que les arbres auraient presque

    totalement disparu cette mme priode (Leroi-Gourhan, Ar. et Darmon, 1991 ;

    Darmon, 1996). Selon Bottema (1995), pour la rgion levantine, un changement vers

    des conditions plus froides est enregistr partir de 11.500 BP. L'auteur constate

    cependant une importante variation de l'volution climatique cette priode pour l'Est

    de la mditerrane. Bar Matthews et al. (1997)2 identifient pour leur part un pisode

    froid et sec vers 11.500 BP qui est considr comme correspondant au Dryas Rcent.

    Geraga et al. (2000) mettent en vidence un refroidissement des eaux dans la mer

    Ege entre 11. 800 et 10. 800 BP qu'ils associent aussi au Dryas Rcent.

    - l'Holocne est reconnu par tous comme une priode d'amlioration rapide des

    conditions climatiques. Dans diffrents sites du Nord du Levant, la part des crales

    dans la vgtation augmente tandis que celle des chnopodiaces, indiquant un

    environnement aride, diminue (Sanlaville, 1997). Selon Sanlaville (1997), dans le Sud,

    les conditions climatiques paraissent instables et auraient t dfavorables jusque

    vers 9500 BP.

    Diffrents auteurs considrent que l'volution paloclimatique aurait t synchrone au Moyen-

    Orient, depuis l'Anatolie jusqu'au sud de L'Arabie et l'Egypte (e.g Rossignol-Strick, 1995 ;

    Sanlaville, 1996, 1997). La plupart s'accorde en dfinitive sur une tendance gnrale

    d'amlioration climatique amorce vers 15.000 BP (peut tre mme avant), un pisode trs

    froid et sec au Dryas Rcent (dont les limites chronologiques varient selon les tudes) suivi

    d'une volution rapide vers des conditions climatiques proches de l'actuel l'Holocne.

    L'identification de variations climatiques au cours des phases du Tardiglaciaire prcdant le

    Dryas Rcent apparat plus problmatique (Planche 4).

    1.2.2.3. Incidence sur les formations vgtales, concidence entre

    variations climatiques et culturelles

    L'enjeu de ces reconstitutions a plus particulirement port sur la concidence entre

    changements culturels et climatiques ainsi que sur l'estimation des disponibilits en

    ressources vgtales comestibles en particulier les crales.

    - Sanlaville (1996) considre qu'il est possible d'tablir un lien entre les variations

    climatiques et la distribution gographique des sites ainsi que leur densit. Par ailleurs,

    " il semble bien qu'entre 20 000 et 7 000 ans BP, des changements socio-

    conomiques dcisifs aient concid avec des priodes climatiquement

    dfavorables" (1996, p.25). Si le Natoufien correspond gnralement une priode

    chaude, son dbut se place dans une phase de pjoration climatique tandis que sa fin

    concide avec la phase froide et sche du Dryas Rcent (Sanlaville, op. cit).

    Cependant, l'pisode froid et sec du dbut du Natoufien mentionn par l'auteur n'est

    2 afin deffectuer une comparaison avec les autres reconstitutions climatiques proposes, nous nous rfrons la chronologie BP publie par les auteurs en 1997. Celle-ci a t depuis prcise en adoptant des dates

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    16

    apparemment identifi que dans les sites archolgiques. La planche 4 montre qu'il est

    difficile, eu gard aux diffrentes reconstitutions proposes, d'tablir une relation

    entre les changements climatiques et culturels. O. Bar-Yosef (pers. com) suggre

    pour sa part un lien entre lamlioration climatique du Bolling amorce vers 14.500 cal.

    BP et le dveloppement du Natoufien, cette hypothse serait renforce par la

    chronologie calibre publie par Aurenche et al. (2001). La prise en compte de

    datations absolues permettra probablement lavenir de prciser les reconstitutions

    proposes.

    - l'incidence exacte des fluctuations climatiques sur les formations vgtales est difficile

    estimer. Selon Miller (1997), les donnes palynologiques indiquent une extension de

    la steppe de type irano-touranienne durant la priode glaciaire, une expansion de la

    fort mditerranenne partir de 13.000 BP suivie d'un retrait de courte dure durant

    le Dryas Rcent. Tchernov (1997) considre que la fort aurait atteint son extension

    maximale dans le Sud du Levant vers 12/11. 000 BP. Selon Hillman (1996), crales

    sauvages et herbaces annuelles auraient accompagn cette vague d'expansion qui

    correspond plus gnralement un enrichissement en ressources vgtales

    comestibles. Au Proche-Orient, plutt que les fluctuations de tempratures, la variation

    des prcipitations apparat de premire importance pour la distribution des biomasses

    (e.g Bar-Yosef, O. 1996). L'tude des splothmes de la grotte de Nahal Soreq

    (proche de Jrusalem) a permis de donner une estimation des tempratures et de la

    pluviomtrie pour la priode de 25.000 BP 7000 BP (Bar-Matthews et Ayalon, 1997) :

    entre 17.000 et 10.000 BP, la tendance gnrale est un rchauffement de 2 3 par

    rapport la priode prcdente et une augmentation graduelle des prcipitations

    annuelles qui sont estimes entre 680-850 mm. Une vgtation de type C3 s'installe et

    restera dominante par la suite. La priode comprise entre 12.000 et 10.000 B.P est

    considre comme transitionnelle par rapport la suivante. Les tempratures

    moyennes sont situes entre 14.5 et 18. Un changement abrupt vers des conditions

    plus froides est enregistr au Dryas Rcent. Plusieurs donnes indiquent par ailleurs

    une aridification durant cette crise climatique. Entre 10.000 et 7.000 BP, les conditions

    s'approchent de l'actuel.

    1.3. Cadre chrono - culturel : Epipalolithique et

    dbut du Nolithique au Levant

    Bar-Yosef, O. (1989) distingue deux approches dans l'tablissement d'un cadre chrono-

    culturel au Levant. Une premire consiste assimiler un assemblage, des niveaux et des sites

    dans de grandes units telles que l'Epipalolithique 1, 2, 3... ou ancien, moyen, rcent. La

    seconde dfinir des entits archologiques sur la base de la distribution gographique et

    chronologique de certains traits typologiques. Ceci rejoint les remarques de Goring-Morris et

    Belfer-Cohen (1997). La prsentation du cadre chrono-stratigraphique de l'Epipalolithique du

    Levant propose par ces auteurs (tableau 1) nous servira de trame pour dresser un rapide

    datations absolues.

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    17

    bilan des entits mises en vidence la fin de l'Epipalolithique et de leurs caractristiques.

    Les auteurs adoptent le point de vue des "diviseurs" car il reflte mieux, selon eux, la

    complexit des adaptations dveloppes face aux diffrents environnements. Les divisions

    effectues au sein des grands ensembles chrono-culturels recoupent en gnral une

    dichotomie environnementale opposant la zone mditerranenne et les zones steppiques au

    Sud ainsi que les dserts du Negev et du Sina.

    1.3.1.Les diffrentes entits culturelles de l'Epipalolithiqueet du dbut du Nolithique levantin

    Les complexes du Kbarien gomtriques (14.500-12.500) et du Mushabien prcdentl'apparition du Natoufien. La premire entit drive directement du Kbarien, les sites sont

    distribus dans la zone mditerranenne, dans le Negev, le Sina ainsi que dans les dserts

    syro-jordaniens. Les ensembles lithiques sont caractriss par une forte frquence de lames

    et de lamelles transformes principalement en microlithes de type trapze-rectangle. Du

    matriel de broyage est frquemment dcouvert dans les sites de la zone mditerranenne.

    Les bilans effectus par Byrd (1994) et Henry (1997) pour le bassin de Jordanie attestent

    d'une spcificit des complexes industriels dans cette rgion. Par ailleurs, ces tudes

    remettent en question l'existence d'pisodes de dpeuplement des zones arides, propose

    dans la synthse de Belfer-Cohen et Goring-Morris (1997).

    Le complexe Mushabien (14.500-12.500) est localis dans le Nord du Sina et dans leNegev. Il est contemporain du Kbarien gomtriques et, dans sa phase finale (le

    Ramonien), du Natoufien Ancien. L'industrie lithique montre des affinits avec les industries

    microlithiques du Nord-Est de l'Afrique. L'utilisation intensive de la technique du micro-burin

    ainsi que certaines formes de microlithes apparaissent comme des phnomnes nouveaux

    dans la rgion (Bar-Yosef, O. et Belfer-Cohen, 1992). Kbarien gomtriques et Mushabien

    pourraient reprsenter deux groupes distincts. Si l'origine nord-africaine du Mushabien se

    confirme, cette entit pourrait rsulter d'une expansion de ces groupes dans la rgion. Pour

    les deux complexes, la taille des sites est interprte comme refltant une occupation par de

    petits groupes trs mobiles (Bar-Yosef, O. et Belfer-Cohen, 1992).

    Si la priode de la fin de l'Epipalolithique (12.500 - 10.200/100 BP) est souvent assimile au

    Natoufien en tant qu'entit gnrale, celle-ci doit tre, en fait, perue comme trs varie,

    comprenant une srie de phases chronologiques distinctes et de variations rgionales

    (Belfer-Cohen et Goring-Morris, 1997). Garrod (1932, 1957) avait propos une origine Nord

    africaine du Natoufien. La thse d'un dveloppement local, favorise par Neuville, est

    aujourd'hui largement accepte (Belfer-Cohen, 1991b). Cependant, les conditions de ce

    dveloppement restent prciser (la planche 5 prsente une carte de rpartition des sites

    natoufiens).

    Le Natoufien Ancien (12.50011.500 B.P) a t reconnu en premier lieu dans la zonemditerranenne du Mont Carmel et de la Galile. Cette rgion est considre comme un

    "centre" dans la mesure o elle livre les sites les plus riches (Valla, 1995a) et, jusqu'

    prsent, les plus anciens (Weinstein-Evron, 1991 ; 1998). Beaucoup d'entre eux sont

    localiss en grotte, souvent dans des zones intermdiaires entre la plaine ctire et les

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    18

    hauteurs (Valla, 1995a). Les plaines ctires elles-mmes semblent avoir t abandonnes.

    Des indices tnus d'une prsence dans le Nord du Levant sont connus (Cauvin, MC. 1991 ;

    Cauvin, J. et al. 1997). Dans le bassin jordanien, la rpartition des sites indique une

    occupation des hauteurs (Erq el-Ahmar) et des fonds de valles (Fazael VI, Salibiyah XII et

    peut tre Jricho). Henry (1982) propose une origine locale du Natoufien, les datations de

    diffrents sites suggrant un dveloppement trs ancien dans cette rgion. Byrd (1998)

    favorise aussi l'ide d'une continuit entre le Natoufien et les cultures prcdentes. Il

    considre cependant que des datations supplmentaires sont ncessaires afin de valider

    l'hypothse d'Henry (Byrd, 1994).

    Dates (B.P) et Unitsstratigraphiques Entits culturelles

    Zone mditerranenne Steppes et dserts

    Epipalolithique

    Ancien

    20.0 16.0 Masraqan (Ahmarienfinal)

    Masraqan

    17.5 16.0 Kbarien ancien Kbarien ancien

    16.0 14.0 Kbarien rcent Kbarien rcent

    16.5 15.5 Nizzanien Nizanien

    14.5 12.5 Moyen

    14.0 13.0 Kbarien gomtriques

    K. G. et Mushabienclassique

    13.0 12.5 Kbarien gomtriques

    Ramonien ancien

    Rcent

    12.5 11.5 Natoufien ancien Ramonien Terminal

    11.5 10.8 Natoufien rcent Natoufien rcent

    10.8 10.2 Natoufien final Harifien

    Nolithique ancien

    PPNA

    10.2 10.0 Khiamien Harifien final

    10.0 9.5 Sultanien Abu Madi I

    PPNB

    9.4 9.0 PPNB ancien PPNB ancien

    9.0 8.1 PPNB moyen/final PPNB moyen/final

    8.1 7.6 PPNB final (PPNC) PPNB final (PPNC)

    tableau 1 : units chrono-stratigraphiques et entits culturelles au Nord (zone mditerranenne) et au Sud(zone de dsert et de steppe) du Levant pour l'Epipalolithique et le dbut du Nolithique. D'aprs Goring-Morris et Belfer-Cohen (1997, p.75).

  • Planche 5

    Planche 5 : carte de rpartition des sites natoufiens au sein des diffrentes zonesenvironnementales, d'aprs F. Valla et M. Barazani

    Mer

    Mditerrane

  • Planche 6

    Planche 6 : exemples d'outils de silex et d'os, de matriel de broyage natoufiens(d'aprs Bar-Yosef, 1998a) : 1 et 2. segments de cercle ; 4 et 5. microburins ; 6.lamelle troncature ; 7. peroir ; 8. burin ; 9 et 10. : lames-faucille ; 11. : pic ; 12 et13. outils appoints en os ; 14. manche de faucille dcor ; 15 19. parure en os ;20. spatule en os dcore ; 21. pilon ; 22 et 23. mortiers ; 24. pointe de Harif.

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    19

    Au Sud du Mont Hbron jusqu'au Nord du Sina, l'industrie du Ramonien Terminal n'apparat

    pas en rupture avec les adaptations prcdentes. Le Ramonien, reconnu dans le Negev etle Sina, est caractris par la prsence des pointes de Ramon, lamelles dos concave et

    troncature oblique. Plusieurs lments tels que les segments de cercle retouche hlouan

    attestent d'un certain degr d'interaction avec le Natoufien de la zone mditerranenne

    (Goring-Morris, 1995a).

    Au Natoufien Rcent (11.50010.800 B.P), la densit des implantations se rduit l'exception du Nord du Levant, sur les flancs Est des monts de l'Anti-Liban et le long de

    l'Euphrate. Dans le Sud, la transition entre le Ramonien Terminal et le Natoufien Rcent est

    perue comme abrupte, ce qui traduirait une rupture entre les deux. Par ailleurs, l'aire de

    rpartition des sites s'amenuise bien que l'on constate une exploitation nouvelle des hauteurs.

    Le Natoufien Final (10.800-10.250 BP) reste une priode mal connue, documente dans unpetit nombre de site (Valla, 1984 ; Valla et al., 2001). Les fouilles rcentes entreprises

    Mallaha par F.R Valla et H. Khalayli attestent de la prsence de structures construites non

    retrouves sur les autres gisements de la zone Carmel-Galile. Valla et al. (op. cit)

    considrent que cette dernire phase du Natoufien connat un recul de la sdentarit qui est

    peut tre mettre en relation avec une intensification de la chasse.

    A cette priode, la culture du Harifien (10.750-10.100 BP) se dveloppe dans le Sud,probablement en continuit avec celle du Natoufien Rcent. Les sites de plus grande taille ont

    t trouvs sur le plateau d'Har Harif, de plus petits sites sont localiss dans l'Ouest du Negev

    et le Nord du Sina. Les assemblages des premiers apparaissent plus diversifis, comprenant

    notamment du matriel de broyage. De petites structures gnralement de trois mtres de

    diamtre sont aussi signales (Goring-Morris, 1987, 1990 et 1991 ; Bar-Yosef, O. et Belfer-

    Cohen, 1992).

    Les priodes suivantes peuvent tre considres, selon Aurenche et Kozlowski (1999),

    comme un "Protonolithique", tous les lments dfinissant les socits nolithiques n'tant

    pas alors attests. Sur la base de la squence de Jricho, deux phases Pre PotteryNeolithic A et B (PPNA de 10.200 9.500 et PPNB de 9.400 7.600) sont distingues.Elle sont marques par la succession et la coexistence de diffrentes cultures. Dans la valle

    du Jourdain, le Sultanien est caractris par une industrie lithique comportant des nuclei

    lame plan unipolaire, des pointes d'El-Khiam, des lames de faucille de grande taille, des

    tranchets et les premires haches polies en calcaire ou en basalte. Dans le Sud du Levant, le

    Khiamien est dfini comme une culture de transition entre le Natoufien et le Sultanien. Le

    Mureybtien du moyen-Euphrate, l'Aswadien dans le centre du Levant et le Sultanien dans le

    sud constituent trois ensembles rgionaux correspondant aux horizons PPNA. Selon Belfer-

    Cohen (1994), dans la valle du Jourdain, les industries lithiques attestent d'une continuit

    entre le Natoufien et le PPNA. Le PPNB est divis, selon le systme propos par J. Cauvin, en

    quatre priodes (PPNB ancien, moyen, rcent et final) auquel l'auteur ajoute des facis

    rgionaux (in Aurenche et Kozlowski, 1999) ; il est contemporain dans sa phase finale des

    premires productions de cramiques. La limite entre PPNA et B, les sous-divisions l'intrieur

    des deux priodes font cependant l'objet de dbats (e.g Aurenche et al, 1981 ; Aurenche et

    Kozlowski, 1999 ; Belfer-Cohen, 1994). Le PPNB correspond au dveloppement des

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    20

    premires communauts agricoles (e.g Bar-Yosef, O. et Belfer-Cohen, 1989 ; Cauvin, J. 1994

    ; Aurenche et Koslowski, 1999).

    1.3.2. Considrations chronologiques : l'apport de lacalibration

    Aurenche et al. (2001) ont rcemment publi une chronologie calibre des cultures dites

    Proto-Nolithiques et Nolithiques du Proche-Orient. Il ressort de ces travaux que la priode 1,

    qui selon la chronologie propose comprend le Natoufien, est comprise entre 12.500 et 9.500

    cal BC., elle apparat ainsi plus longue que ce que l'on envisage gnralement. Par ailleurs, les

    auteurs constatent un recouvrement entre cette premire phase et la priode 2 correspondant

    au PPNA. Si diffrents problmes de mthodologie restent rsoudre, ces recouvrements

    sont nanmoins considrs comme significatifs.

    2. Particularit et diversit des adaptations

    natoufiennesHistoriquement, la dfinition du Natoufien est fonde sur son industrie lithique ainsi que sur

    diffrents caractres marquant une rupture avec les priodes prcdentes. Ils comprennent

    essentiellement le dveloppement de l'outillage lourd, de l'industrie osseuse, des

    manifestations artistiques, des structures d'habitat ainsi qu'une modification des pratiques

    funraires (e.g. Bar-Yosef, O. 1980, 1981, 1998a et 1998b ; Bar-Yosef, O. et Belfer-Cohen

    1989, 1992 ; Belfer-Cohen, 1989, 1991b ; Byrd, 1989b ; Henry, 1981, 1989 ; Valla, 1988a,

    1988b, 1995a, 1999).

    Si cette dfinition est propose dans de nombreuses synthses, elle est aussi la plupart du

    temps remise en cause. En effet, elle ne permet pas d'apprhender la variabilit du Natoufien

    comprenant des phases chronologiques distinctes et des variations rgionales.

    Nous prsenterons en premier lieu une synthse de cette dfinition. Nous chercherons

    ensuite dcrire cette "diversit natoufienne".

    2.1. Dfinition d'une entit culturelle

    2.1.1. La culture matrielle

    2.1.1.1. L'industrie lithique

    Les systmes de production comprennent dbitage lamellaire et d'clats. L'industrie lithique

    est caractrise par l'utilisation exhaustive des nuclei oriente vers l'obtention de supports de

    petite(s) taille(s). Le Natoufien se distingue des autres priodes de lEpipalolithique par la

    prsence constante de peroirs et de poinons. Sa particularit sexprime par ailleurs dans le

    groupe des microlithes, comprenant des segments de cercle retouche bifaciale oblique

    (hlouan) ou dos, des trapzes rectangles et des triangles (Planche 5). L'industrie se

  • Planche 8

    Planche 8 : exemples de spulture et de "maisons" natoufiennes

    Mallaha

    L'abri 26 Sol pltr dans l'abri 1

    La grotte d'Hayonim

    A gauche spulture en cours de fouille, la fosse a t amnage dans un des locus ( droite,une fois la spulture dgage).

    Les sites du dsert du Ngev

    Upper Besor 6 Abu Salem

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    21

    caractrise aussi par la prsence de lames-faucille et de pics ainsi que d'un outillage plus

    massif, gnralement en calcaire, les "heavy duty tool" (Bar-Yosef, O. 1998a ; Belfer-Cohen,

    1991b).

    Lapparition des lames-faucilles, prsentant un lustre prononc rsultant d'une utilisation pour

    la rcolte des gramines3, est considre comme un phnomne natoufien. Cependant des

    manifestations antrieures de lustre sur des lames ont dj t mentionnes (Bar-Yosef, O.

    1981 ; Anderson, 1991). Ces outils semblent en fait plus abondants partir du Natoufien dans

    les sites de la zone mditerranenne alors quils seraient peu reprsents dans la zone aride.

    Des pics, considrs comme les anctres des pics nolithiques, font leur apparition cette

    priode.

    La plupart des chercheurs insistent sur le ct "rducteur" d'une caractrisation du Natoufien

    sur la seule base de l'industrie lithique. Cependant, pour certains sites localiss en marge de

    la zone centrale Carmel-Galile, celle-ci reste le principal "dnominateur commun" (Belfer-

    Cohen et Grossman, 1997).

    2.1.1.2. Le mobilier de pierre

    Le Natoufien est marqu par l'augmentation et la diversification du mobilier de pierre (chez les

    auteurs anglo-saxons : "pecked and ground stone", "ground stone" ou "ground-stone tool")

    (Planche 5). Cette catgorie regroupe tous les artefacts utiliss et/ou mis en forme par

    piquetage et abrasion. Elle rassemble des objets divers tels que les meules, molettes, vaisselle

    en pierre, haches polies, disques perfors, pierres rainure mais aussi pendentifs et pierres

    graves (e.g. Moholy-Nagy, 1983 ; Wright 1992 a et b ; Voigt, 1983). Nous voquerons

    quelques unes des catgories mentionnes en commenant par les pierres rainure dont la

    fonction est dbattue.

    Les pierres rainure

    En effet, l'apparition au Natoufien des pierres rainure est souvent considre comme un

    indice de la prsence de l'arc cette priode. Les donnes ethnologiques indiquent en effet

    que le redressement de fts de flches est une des fonctions courantes de ce type d'outil

    (Bar-Yosef, O. 1998a). Cependant, les modes d'utilisation des pierres rainure pourraient

    tre en dfinitive plus divers (Valla, 1987b ; Christensen et Valla, 1999).

    Le matriel de broyage

    Le "matriel de broyage" ou "matriel de mouture et de broyage" (grinding-stones), comprend

    lensemble des outils employs pour des actions de concassage, pilage, crasement, broyage

    autant de termes induisant la fragmentation voire la rduction en poudre dune matire. Cet

    outillage peut tre caractriser comme un systme comprenant un lment actif avec lequel

    3 Gramines (selon Aurenche et Koslowski, 1999, p.120) : famille de plantes laquelle appartiennent lescrales (bl, orge, seigle et avoine), et un grand nombre d'autres appeles vulgairement herbes, dont lesfleurs sont regroupes en pis et en grappes : plantes fouragres comme le brome, le paturin, la ftuque oules roseaux. Les gramines sont associes des milieux ouverts (steppe, forts claires de chnes, vallesintermontagnardes du Zagros).

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    22

    on transmet la force motrice et un lment passif. On distingue deux couples d'outil renvoyant,

    pour reprendre la terminologie de Leroi-Gourhan, An. (1971) (Planche 7), un mode dominant

    d'application de la force avec l'lment actif (percussion lance ou pose) :

    - les formes plates, tmoignant dune utilisation principale en percussion pose sont

    dnommes molettes (pour les outils actifs) et meules (pour les outils passifs), "mano" et

    "metate" dans la plupart des tudes portant sur lAmrique du Sud, "handstone" et "grinding

    stone" pour lensemble du monde anglo-saxon ;

    - les formes creuses, fonctionnant principalement en percussion lance sont dnommes

    mortiers (outils passifs) et pilons (outils actifs) soit "pestle" et "mortar".

    Au Levant, cet outillage est attest dans des ensembles archologiques datant du

    Palolithique. On constate partir du Natoufien une augmentation significative des

    assemblages et une diversification des types d'outils reprsents. Ceci est interprt comme

    la preuve probable d'une exploitation intensive des ressources vgtales. Bar-Yosef, O.

    (1998a, p.165) signale cependant la mise en vidence d'une utilisation pour le broyage de

    minraux tels que le calcaire et l'ocre. Nous prsenterons plus en dtail cet outillage et

    discuterons des diffrentes interprtations proposes quant son dveloppement dans le

    chapitre 3.

    2.1.1.3. L'industrie osseuse

    Lindustrie osseuse est, elle aussi, beaucoup mieux reprsente et plus diversifie au

    Natoufien qu'aux priodes prcdentes. Les objets typiques sont les outils appoints, les

    harpons, les hameons (Campana, 1989 ; Stordeur, 1991) (Planche 5). Les ensembles sont

    marqus par la prsence de quelques outils pouvant tre interprts comme des "manches"

    de faucille. Les tudes tracologiques effectues par Campana (1989, 1991) indiquent qu'une

    grande proportion de cet outillage a t utilise pour le travail de la peau ou pour des activits

    de vannerie et non comme projectile ou encore pour des oprations de boucherie.

    2.1.2. L'art natoufien

    Le dveloppement de l'art dans la rgion levantine est attest partir du Natoufien (Belfer-

    Cohen, 1988a). C'est un art essentiellement mobilier comprenant des lments de parure

    (perles en os, pierres et coquillages), des figurines, des dalles graves et des objets

    fonctionnels dcors (Garrod et Bate 1937 ; Neuville, 1951 ; Perrot, 1957, 1966 ; Henry, 1976

    ; Pichon, 1983 ; Belfer-Cohen, 1991a ; Marchal 1991 ; Noy, 1991 ; Weinstein-Evron et Belfer-

    Cohen, 1993 ; Weinstein-Evron, 1998 ; Valla et al. 1999, 2001). Selon Valla (1995b), les

    tmoins artistiques peuvent tre classs en trois catgories : les objets simples, les outils et

    les lments d'architecture. Les thmes reprsents comprennent des reprsentations

    humaines et animales ainsi que des motifs gomtriques de type quadrillage, combinaisons de

    lignes parallles, motifs en chevron.

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    23

    2.1.3. Architecture

    En ce qui concerne les modes d'implantation, la priode est marque par la prsence de

    structures construites qui caractrisent les sites dfinis comme des "camps de base" mais

    aussi par loccupation des grottes et abris sous roches, peu employs au Kbarien et au

    Kbarien gomtriques (Bar-Yosef, O. et Belfer-Cohen, 1989). Ces structures ne sont pas

    fondamentalement nouvelles dans le registre archologique mais, ici encore, on constate une

    augmentation notable dans leur frquence ainsi qu'un investissement plus important dans leur

    construction (quelques exemples sont prsents Planche 8). Par ailleurs, elles ne sont

    gnralement plus isoles mais groupes. Ainsi, le site de Mallaha a t interprt comme un

    "village primitif" (Valla, 1981, 1991).

    Ces structures sont gnralement ovales circulaires, leur diamtre variant entre 3 et 6 m

    (Bar-Yosef, O. 1998a). Les techniques de construction sont diverses : elles sont "semi-

    enterres" Mallaha, les murs s'appuient sur une leve de terre et peuvent comporter

    plusieurs assises (Perrot, 1960, 1962, 1966, Valla et Khalaily, 1997 ; Valla et al, 1999 et

    2001). Des trous de poteaux trouvs dans l'Abri 131 suggrent la prsence de

    superstructures en matriaux prissables (Perrot, 1974 ; Valla, 1988b). Dans la grotte

    d'Hayonim, l'espace entre les locus a t combl par l'apport d'une grande quantit de pierres

    servant d'appui aux murs des constructions (Bar-Yosef, O. et Goren, 1973, Belfer-Cohen,

    1988c, p.42-43). A Abu Hureyra, les structures semblent avoir t creuses dans le substrat

    meuble, de nombreux trous de poteaux sont aussi attests (Moore, 1991 ; Moore et al., 2000).

    Outre ces structures, souvent considres comme des "maisons", les activits de

    construction comprennent aussi l'amnagement de foyers, de sols enduits, de fosses

    pouvant elles aussi prsenter un enduit. Ces dernires sont peu nombreuses, elles ont

    parfois t interprtes comme des structures de stockage. L'analyse de leur contenu, la

    variabilit de leur forme indiquent nanmoins, plus probablement, une plurifonctionnalit de ces

    fosses (Valla, 1995a, 2000). Lassociation des spultures et de lhabitat semble tmoigner

    dun changement dans la perception de lespace, en particulier du lieu dhabitat, qui serait

    mettre en parallle avec le dveloppement de la sdentarit (Bar-Yosef, O. 1981 ; Valla,

    1991).

    2.1.4. Les pratiques funraires

    En 1999, lors d'une runion marquant la fin du dernier programme de fouille Hayonim, B.

    Arensburg et A-M. Tillier proposaient un bilan des restes humains mis au jour au Levant

    depuis le Palolithique Moyen. Les estimations sont de : 10 vestiges humains pour le

    Palolithique Moyen, 19 pour l'Aurignacien. A ce jour, 450 spultures natoufiennes ont t

    mises au jour (A. Belfer-Cohen, com. pers.). Les documents permettant d'apprhender les

    populations et leurs pratiques funraires deviennent donc nombreux au Natoufien.

    L'tude dmographique et biologique de Belfer-Cohen et al. (1991) ralise sur 370 individus

    constate une certaine variabilit morphologique de la population natoufienne en fonction des

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    24

    sites qui tmoignerait d'une adaptation l'environnement local. Les marqueurs de pathologie

    ou de stress alimentaire sont peu nombreux.

    Les pratiques funraires peuvent tre caractrises de la faon suivante : comme nous

    l'avons mentionn, dans la zone Carmel-Galile, les spultures sont associes l'habitat. A

    Mallaha, les donnes des fouilles anciennes et rcentes suggrent que les morts aient t

    enterrs dans certains cas sous le sol des maisons (Valla, 1995b ; Valla et al., 2001). Bar-

    Yosef, O. (1998a) considre que les tombes sont creuses soit dans des constructions

    abandonnes soit en dehors et proximit des maisons. Leur emplacement est parfois

    marqu par des pierres cupules ou des fragments de mortier comme Nahal Oren (Stekelis

    et Yisraeli, 1963).

    Le traitement des morts est gnralement limit l'inhumation. Ds le Natoufien ancien, le

    prlvement des crnes se dveloppe sur certains sites (e.g Valla, 1999). Cette pratique se

    gnralisera au PPNA (Belfer-Cohen, 1988b ; Bar-Yosef, O. 1998a ; Valla 1995b ; Kuijt, 1996).

    La plupart du temps, les corps sont dposs dans des fosses rarement amnages. Des

    spultures multiples et individuelles, primaires et secondaires sont dcrites (Belfer-Cohen,

    1991b et 1995). Selon Bar-Yosef, O. (1998a), les spultures secondaires seraient plus

    frquentes au Natoufien rcent. Sur le site de Mallaha, Perrot et al. (1988) constatent que

    l'inhumation primaire individuelle domine au Natoufien ancien et final, le regroupement de

    plusieurs dfunts est plus frquent au Natoufien rcent. Par ailleurs, cette priode, les

    enfants de moins d'un an se retrouvent exclus des fosses collectives (Bocquentin et al.,

    2001). Pour le Natoufien en gnrale, les modes de dpt des corps sont trs variables,

    aucune orientation particulire ne semble prvaloir (Valla, 1995a). Belfer-Cohen (1995, p.16)

    note que ".. besides some broad similarities in the treatment of the dead, every site had its

    very own local set of traditions as regards the burials.".

    Du mobilier n'est pas systmatiquement associ, le cas chant, il comporte gnralement de

    l'outillage en os, des objets de parure, des pierres, des restes fauniques. Le statut particulier

    de ces derniers empche de les considrer comme des offrandes de nourriture (Valla, 1995a

    et b). Ils comprennent : chiens, bois de gazelle, dent de cheval, carapace de tortue. Une des

    spultures les plus remarquables du Natoufien a t mise au jour lors des fouilles de la

    Terrasse d'Hayonim par Valla (1995b), trois individus ont t inhums avec deux chiens. Bar-

    Yosef, O. et Belfer-Cohen (en prparation ; Belfer-Cohen et Bar-Yosef, O., 2000) constatent

    une absence la fin du Natoufien de spultures dcors et dobjets associs aux dfunts.

    Selon les auteurs, ceci pourrait indiquer le passage d'une socit non galitaire une socit

    galitaire.

    2.1.5. Conclusion

    Ces caractristiques correspondent donc celles reconnues dans diffrents "camps de

    base" de la zone Carmel-Galile, o le Natoufien a t en premier lieu identifi. Le

    dveloppement des recherches dans diffrentes zones gographiques a entran une remise

    en question de cette dfinition. En mme temps qu'un "fond culturel" commun, on constatait de

    forts particularismes rgionaux. La controverse a en particulier port sur les sites du Nord du

    Levant : devait-on les considrer comme natoufiens ? Plus gnralement, l'appellation devait-

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    25

    elle tre rserve aux implantations prsentant toutes les caractristiques voques

    prcdemment ? Ces dbats ont gnr une rflexion mthodologique et thorique sur les

    moyens de dcrire, d'organiser et de comprendre ces particularismes rgionaux, ils ont ainsi

    permis de prciser l'image de la culture natoufienne.

    2.2. La diversit des adaptations "natoufiennes" : les

    variations rgionales

    2.2.1. Comment dcrire cette diversit ?

    Les particularismes rgionaux s'expriment travers plusieurs lments :

    - la prsence ou l'absence de structure construite et de spultures ;

    - la taille des sites ;

    - la composition des assemblages notamment en ce qui concerne le matriel de broyage

    (prsence/absence et type d'outils reprsents) ;

    - les techniques de production ou attributs stylistiques de l'outillage lithique.

    Cette diversit a t apprhende de diverses manires : travers la constitution de typologie

    de site (Bar-Yosef, O. 1980), de synthses rgionales (e.g. Goring-Morris 1987 pour le Ngev

    et le Sina), de recherches spcialises (par exemple, analyse de l'industrie osseuse par

    Stordeur, 1981 et 1991).

    L'tude des variations typologiques et technologiques des industries lithiques a en particulier

    t dveloppe. Une des dmarches a consist effectuer des analyses multifactorielles des

    ensembles visant dfinir des sous-groupes. Ceci peut tre illustr par les travaux de Henry

    (1973, 1989), Olszewski (1986, 1988) et Byrd (1989b). Les sous-groupes ainsi dfinis

    recouvrent, dans les trois tudes, des zones environnementales. Les variations typologiques

    des ensembles lithiques sont gnralement interprtes comme relevant d'adaptations

    fonctionnelles aux conditions locales. Olszewski (op.cit) et Henry (op.cit) prennent aussi en

    considration des attributs technologiques et stylistiques. Selon Henry (op.cit), les principales

    variations technologiques observes peuvent tre relies des contraintes fonctionnelles ou

    sont significatives pour la chronologie relative de la priode. Olszewski (op.cit) constate de

    son ct d'importantes diffrences d'un point de vue technologique entre le Sud et le Nord du

    Levant et propose en consquence de ne pas les regrouper dans le mme ensemble culturel,

    hypothse soutenue par d'autres (en particulier Moore, 1991 ; Moore et al. 2000).

    Les problmes soulevs par l'interprtation des caractristiques technologiques ou

    stylistiques de l'industrie lithique peuvent tre illustrs par le dbat portant sur la signification

    des variations gographiques de l'utilisation de la technique du micro-burin. Celles-ci sont

    considres par certains comme relevant de choix culturels (Valla, 1995a) et par d'autres

    comme lies des contraintes fonctionnelles (Henry, 1989 ; Grossman et al., 1999). Ces

    problmes touchent des questions thoriques fondamentales telles que la signification

    culturelle des industries lithiques, les possibilits de dfinir des "groupes ethniques" partir

    des donnes archologiques et plus gnralement, comme le souligne Cauvin, M-C. (1987),

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    26

    la dfinition conceptuelle d'une "culture". Belfer-Cohen (1991b) insiste sur la ncessit de

    considrer en particulier les domaines de l'expression artistique et des pratiques funraires,

    plus significatifs si l'on cherche tablir des divisions culturelles fines. Une tude globale des

    pratiques funraires et des tmoins artistiques n'a pas encore t entreprise dans ce sens.

    Les mthodologies qui permettraient de rpondre de telles problmatiques restent

    prciser. Les diffrentes synthses effectues sur les pratiques funraires (e.g. Belfer-

    Cohen, 1995 ; Byrd et Monahan, 1995 ; Valla 1995a) laissent entrevoir des variations inter-

    sites importantes, donnant l'image d'une gographie sociale trs morcele.

    2.2.2. Quels ensembles sont pressentis et quelles seraientleurs relations ?

    2.2.2.1. Diffrentes hypothses

    En 1981, M-C. Cauvin distinguait plusieurs groupes au sein de la culture natoufienne : celui de

    l'Euphrate, du Mont Carmel et de la Valle du Jourdain, du Ngev. Ces ensembles ont t

    depuis prciss en intgrant une perspective chronologique.

    Ainsi, Belfer-Cohen et Goring-Morris (1997) identifient un groupe Natoufien restreint la zone

    mditerranenne pour la priode ancienne. Une extension au Sud et au Nord caractrise le

    Natoufien Rcent, les systmes d'changes mis en vidence attestent de liens importants

    entre le Ngev et la zone mditerranenne. Enfin, pour le Natoufien Final, Goring-Morris

    considre que la culture du Harifien, qui s'tend du Mont Hbron jusqu'au Ngev voir au Nord

    du Sina, constitue " a distinctive regional, but nevertheless integral facies of the Natufian

    entity." (Goring-Morris, 1991 p.210). Pour les sites du Ngev, le systme d'change se tourne

    alors vers la Mer rouge et le Sina (Bar-Yosef, D. 1989 ; Belfer-Cohen et Goring-Morris, 1997).

    Les rcentes tudes de Salabiya I et de Fazael IV (basse valle du Jourdain) attribus la fin

    du Natoufien (Belfer-Cohen et Grossman, 1997 ; Grossman et al. 1999) favorisent l'hypothse

    de sites spcialiss dans l'exploitation saisonnire de certaines ressources et lis aux camps

    de base de l'aire mditerranenne.

    Ceci rejoint en partie les propositions de Valla (1995a, 1998) qui isole un "centre" culturel (au

    sens d'une diffusion limite) dans le Carmel, la Galile et la moyenne valle du Jourdain, des

    sites retrouvs dans le bassin de la Jordanie, dans le Ngev et le Nord du Sina, dans la valle

    du Moyen-Euphrate (Valla, 1998). Au Natoufien ancien, les diffrences constates entre les

    sites ainsi qu' un niveau rgional expriment selon l'auteur "people's awareness of their social

    "belonging" at a village, regional and cultural level." (Valla, 1995a, p.179). Plus l'on s'loigne

    du centre, plus l'abondance et la diversit de l'industrie lithique et osseuse tendent diminuer.

    Les spultures sont beaucoup plus nombreuses dans la zone centrale. Ce centre pourrait

    reprsenter le lieu d'adoption d'un nouveau mode de vie diffus par la suite dans le bassin

    jordanien et adapt aux conditions locales. Au Natoufien rcent, l'influence natoufienne

    s'tend au Sud et au Nord mais certaines spcificits rgionales et locales sont maintenues.

    Au Natoufien final, l'influence du centre semble s'affaiblir, Valla (op.cit) constate pour le

    Ngev et l'Euphrate une tendance se dissocier des pratiques du centre, ces rgions

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    27

    dveloppant leurs propres traditions locales. Le centre lui-mme connatrait alors une

    volution vers un mode de vie plus mobile. Par ailleurs, la majorit des sites est abandonne.

    2.2.2.2. Discussions autour de la notion de centre et de priphrie

    L'ide de centre et de priphrie est ainsi dveloppe dans beaucoup de travaux. Le centre

    "Carmel Galile" est conu comme un lieu d'innovation et de diffusion. Belfer-Cohen (1991b),

    reprenant les hypothses avances par Goring-Morris (1987) pour le Ngev, propose un

    mcanisme de diffusion par l'tablissement de groupes originaires de la zone centrale dans

    les rgions priphriques s'adaptant aux conditions locales. Valla (1998) semble y voir plutt

    la diffusion d'un mode de vie ou encore d'une idologie.

    Deux variantes importantes ce modle peuvent tre signales :

    - Henry (1982) propose la prsence de deux centres de dveloppement du Natoufien l'un

    dans la rgion Carmel-Galile l'autre dans le Bassin de la Jordanie. L'adoption synchrone dans

    diffrents lieux d'un nouveau mode de vie serait lie l'expansion de la fort

    mditerranenne. Cependant O. Bar-Yosef (pers. com) considre que dun point de vue

    dmographique cette sparation en deux centres de dveloppement nest pas recevable.

    - autre variante, celle de Moore (1991 ; Moore et al. 2000) et Olswesky (1986, 1988) isolant

    les sites de l'Euphrate du reste de la culture natoufienne. Cette hypothse plaiderait en faveur

    de l'adoption, dans des lieux diffrents, d'un nouveau mode de vie ou d'une diffusion des

    ides et techniques sans mouvements de population. Sellars (1998) considre la suite de

    Byrd et Colledge (1991) que la dichotomie entre aire centrale et zones priphriques reflte

    plus probablement l'intensit des recherches effectues dans les diffrentes rgions.

    2.3. Conclusion

    Si la dfinition du Natoufien ne fait pas aujourd'hui l'objet d'un rel consensus, il faut souligner

    en conclusion la richesse des discussions suscites et leur apport pour la connaissance de

    cette priode. Le problme principal rside dans l'interprtation de la diversit de la culture

    matrielle (types d'outil, techniques de production), des implantations et des modes

    d'occupation des sites durant le Natoufien. Les rponses reposent sur la dtermination des

    stratgies d'exploitation des ressources, des systmes d'implantation des populations, de leur

    organisation sociale et des mcanismes d'change. Diffrentes mthodologies ont t

    dveloppes dans ce sens. Cependant, l'interprtation des donnes se heurte au problme

    rcurrent de diffrencier les variations relevant de contraintes fonctionnelles ou de choix

    culturels ainsi qu' la dfinition d'une gographie culturelle. Pour ce dernier aspect, l'tude des

    pratiques funraires et des tmoins artistiques semble privilgier. Si l'on adopte ce point de

    vue, au sein par exemple de la zone centrale Carmel-Galile, les donnes anthropologiques

    attestent d'une variabilit inter-site donnant l'image d'un territoire trs morcel. D'abord plus

    ais pour le prhistorien, la dtermination des stratgies de subsistance et des modes

    d'implantation des populations ont fait l'objet de nombreuses tudes. Nous ferons le point sur

    ces problmatiques dans la partie suivante en les replaant dans un contexte plus large, celui

    du processus de nolithisation au Proche-Orient.

  • Partie I - Chapitre 1 : Une dfinition du Natoufien

    28

    A la variabilit rgionale que nous avons pu constater au Natoufien se surimposent des

    modifications diachroniques des modes d'implantations, des techniques et systmes

    symboliques. Le bilan des donnes relatives aux modes de subsistance nous permettra de

    discuter de l'volution des stratgies d'adaptation au cours de cette priode ainsi que de la

    place du Natoufien au sein du processus de Nolithisation.

  • Partie I Chapitre 2 : Un tat de la question concernantles modes dimplantation et de subsistance au Natoufien

    29

    Chapitre 2. Un tat de la question sur deux

    problmatiques : modes d'implantation et

    de subsistance au NatoufienNous nous intresserons dans un premier temps aux diffrents modles proposs pour

    expliquer le processus de nolithisation. Ces modles ont en effet fortement orient les

    travaux relatifs aux deux problmatiques considres ici. Le milieu de la recherche au

    Proche-Orient est international et connat l'influence de diffrentes coles. La dmarche

    amricaine hypothtico-dductive (selon la dfinition donne par Coudart, 1992) fonde sur la

    constitution de modles thoriques confronts aux donnes archologiques y apparat

    particulirement dveloppe.

    Une attention plus particulire sera donne dans cette partie la question des modes

    d'exploitation des ressources vgtales car elle apparat directement lie aux problmatiques

    de l'apparition des conomies de production et du dveloppement du matriel de broyage.

    L'objectif de ce chapitre est aussi de complter notre prsentation du Natoufien. Aprs avoir

    tablit un bilan des reconstitutions proposes concernant les modes de subsistance et

    d'implantation, nous ferons le point sur un dernier aspect que nous avons jusqu'ici

    occasionnellement voqu : celui des variations diachroniques des adaptations natoufiennes.

    Nous confronterons en conclusion les donnes du Natoufien au diffrents modles ou

    processus de nolithisation proposs.

    1. Processus de Nolithisation au Proche-

    Orient : les modles proposs

    1.1. Un bref rappel des donnes

    Cauvin, J. et al. (1997) dfinissent la nolithisation comme le processus qui va faire passer

    les socits du Proche-Orient et d'ailleurs du stade de prdateurs au stade de producteurs de

    subsistance. Selon Aurenche et Kozlowski (1999, p.132), le Nolithique, identifi tout d'abord

    en Europe, est en premier lieu dfini sur des critres "technologiques" (pierre polie,

    cramique) puis, la suite de Childe (1936, 1952) sur des critres conomiques (agriculture4

    et levage), l'auteur introduisant la notion de "rvolution nolithique" dont l'origine est situe au

    Proche-Orient. Trois centres de dveloppement de ce nouveau mode de vie sont reconnus

    aujourd'hui, le Mexique, la Chine et le Proche-Orient, ce dernier tant l'origine de sa diffusion

    en Europe (Smith, 1995 ; Guilaine, 2000).

    4 Selon Aurenche et Kozlowski (1999, p.101), lagriculture se rfre au fait de semer ou planter (avec ou sansprparation du sol) et de rcolter des vgtaux.

  • Partie I Chapitre 2 : Un tat de la question concernantles modes dimplantation et de subsistance au Natoufien

    30

    La domestication des plantes apparat antrieure celle des animaux5. Au Proche-Orient, elle

    aurait t effectue dans une zone gographique rduite, celle du croissant fertile6 (les

    indices dune pratique de lagriculture sont en effet plus tardifs dans les rgions arides du Sud

    du Levant ainsi quau Nord-Est du corridor levantin : Garrad et al., 1996 ; Harris, 1996b ;

    Harris et Gosden, 1996 ; Meadow, 1996) . Selon Zohary (1996), elle rsulterait probablement,

    au moins en ce qui concerne lengrain, les lentilles et les pois, d'un "vnement unique", sa

    diffusion tant assure par celle des semences. Selon Lev-Yadun et al. (2000), cet

    vnement se serait droul dans une aire encore plus rduite, proximit des rives droites

    du Tigre et de lEuphrates correspondant actuellement au Sud-Est de la Turquie et au Nord de

    la Syrie. Willcox (2000a et b) considre pour sa part que la variabilit des assemblages de

    crales des sites dats du PPNA et du PPNB ancien ainsi que les rsultats des analyses

    ADN indiquent plutt une domestication des plantes effectue en plusieurs lieux et de faon

    indpendante. La domestication des animaux, chvres et moutons tant les premiers, semble

    s'tre droule dans diffrentes zones du Proche-Orient au PPNB (Bar-Yosef, O. et Meadow,

    1995 ; Horwitz et al., 1999 ; Peters et al., 1999 ; Vigne et al, 1999 ; Zeder, 1999 ; Vigne,

    2000).

    Selon les derniers travaux de Moore et collaborateurs (2000), le site d'Abu Hureyra (Valle de

    l'Euphrate au Nord de la Syrie) livrerait les plus anciens restes de crales domestiques

    trouvs dans des niveaux dats de la fin du Natoufien. Pour cette priode, ils reprsentent les

    seuls indices d'une domestication des plantes mis au jour jusqu' prsent. Les donnes

    viennent ensuite du PPNA, plus particulirement du site de Tel Aswad, le premier livrer un

    assemblage consquent de graines de bl domestique (Triticum dicoccum), dont les formes

    sauvages en sont par ailleurs absentes (Miller, 1991 et 1992 ; Zohary, 1992 ; Bar-Yosef, O. et

    Meadow, 1995). Cependant, Kislev (1989) considre que la mauvaise conservation des

    restes ne permet pas de dterminer si les graines sont effectivement domestiques. Selon

    Willcox (2000a et b), il faut attendre le PPNB moyen pour attester avec certitude de la

    prsence de formes domestiques au sein des assemblages. L'ventail des premires cultures

    couvre plusieurs espces de gramines (engrain, bl amidonnier et orge) mais aussi

    diffrentes lgumineuses (lentilles et pois), l'arboriculture se dveloppe plus tardivement

    (Zohary et Hopf, 1988).

    La mise en vidence du dbut de l'agriculture pose diffrents problmes. Bar-Yosef, O. et

    Meadow (1995) constatent que, malgr une meilleure comprhension des relations entre

    morphologie des plantes et domestication, les attributs considrs comme diagnostiques des

    plantes domestiques sont sujets dbat (par exemple, en ce qui concerne les crales :

    Hillman et Davis, 1990 ; Kislev, 1989, 1992 ; Zohary, 1992). Ceux-ci ont t essentiellement

    dvelopps pour les crales. Zohary et Hopf (1988) ainsi que Kislev (1992) attestent des

    5 Ceci si lon exclue le cas des chiens qui selon Tchernov et Valla (1997) pourraient bien avoir tdomestiqus au Natoufien mais selon un processus inconscient, ces animaux devant alors tre considrscomme des commensaux.6 Croissant fertile : selon Aurenche et Kozlowski (1999), notion introduite par l'orientaliste amricainBreadsted pour dsigner le territoire englobant le couloir levantin, les versants et pimonts du Zagros et duTaurus. Pratique de manire traditionnelle, l'agriculture ncessite un apport d'eau naturel, on parled'agriculture sche. La ligne de dmarcation entre une pluviosit infrieure et suprieure 200-250 mm paran, l'agriculture sche tant possible dans ce dernier cas, suit la carte du croissant fertile.

  • Partie I Chapitre 2 : Un tat de la question concernantles modes dimplantation et de subsistance au Natoufien

    31

    difficults de diffrenciation entre forme cultive et sauvage pour une grande proportion de

    plantes. De plus, comme le souligne Digard (1999), la domestication est un tat biologique

    rsultant d'un processus, de pratiques "proto-domestiques", cest--dire prcdant le

    dveloppement de formes domestiques, priori peu visibles archologiquement et qu'il est

    ncessaire de mettre en vidence. Ceci reprsente un des enjeux des recherches sur le

    Natoufien. Par ailleurs, comme nous le dvelopperons plus loin (p.39-40), la domestication est

    la consquence de techniques prcises de manipulation des plantes. Au regard des donnes

    ethnologiques, les modes dexploitation des vgtaux apparaissent trs diversifis ainsi la

    prsence de formes domestiques de plante indique une gnralisation de certains dentre eux.

    Lorsque lon regarde le pass, il fait envisager la possible existence dautres modes

    dintervention sur le milieu vgtal nentranant pas de domestication (e.g. Harris, 1996a ;

    Ingold, 1996) . Le phnomne de nolithisation implique quant lui une importance conomique

    significative des ressources domestiques imprimant sa marque sur les organisations sociales

    des populations.

    Ainsi, outre les critres conomiques voqus (agriculture et levage), la nolithisation peut

    tre caractrise par une rorganisation des modes d'implantation territoriaux et des

    organisations sociales. Elle est fonde selon Cauvin, J. (1994) sur une mutation des

    mentalits. Diffrents traits de la culture natoufienne, tels que le dveloppement de structures

    construites, peuvent tre considrs comme annonciateurs des modes de vie nolithiques.

    1.2. Des modles de Nolithisation

    Nous explorerons les principales thories dveloppes pour expliquer l'origine de la

    nolithisation. Ceci nous permettra de cerner les problmatiques qui vont orienter les

    recherches effectues sur le Natoufien, mais aussi de comprendre les systmes

    d'interprtation et prsupposs adopts par diffrents chercheurs.

    Les modles proposs s'intressent plus particulirement deux lignes de recherche : le

    remplacement d'une conomie de chasse et de cueillette par une conomie de production ; la

    modification des systmes d'implantation territoriale et des organisations sociales.

    1.2.1. L'apparition de l'agriculture

    Les principaux mcanismes considrs comme pouvant tre l'origine du dveloppement

    d'une conomie de production comprennent : crise climatique (e.g Childe, 1936 ; pour une

    discussion voir Blumer, 1996), pression dmographique (e.g Binford, 1968 ; Boserup, 1969 in

    J. Cauvin & M.C. Cauvin, 1983 ; Flannery, 1969, 1973), organisations sociales devenant plus

    complexes (e.g Bender, 1978 ; Runnels et van Andel, 1988 ; Hayden, 1990a), volution des

    mentalits et des techniques (e.g Braidwood, 1960 ; Braidwood et Howe, 1960 ; Cauvin, J.

    1994, 2000).

    Deux concepts dvelopps dans ces thories ont plus particulirement marqu dans les

    recherches effectues sur le ProcheOrient :

    - la notion de pression dmographique : les situations de pression dmographiquesont gnralement comprises comme rsultant d'une augmentation de la population

  • Partie I Chapitre 2 : Un tat de la question concernantles modes dimplantation et de subsistance au Natoufien

    32

    entranant un dsquilibre entre taille du groupe et ressources disponibles (Cohen, 1977).

    Cette conception reprend, comme le souligne Rosenberg (1998), les principes issus du

    malthusianisme posant une propension naturelle des populations s'accrotre. Les

    principales critiques faites cette thorie ont port sur la difficult attester d'une

    augmentation de population partir des donnes archologiques et l'existence de

    mcanismes d'autorgulation chez les chasseurs-cueilleurs (Rosenberg, op.cit).

    - la notion de broad spectrum revolution ou d'conomie large spectre : Flannery(1969, 1973) pose l'adoption d'une base de subsistance large spectre comme une

    condition ncessaire l'apparition de l'agriculture. Plutt qu'une volution d'une conomie

    spcialise diversifie, cette "broad spectrum revolution" reflte un largissement de la

    gamme des espces exploites, certaines constituant toujours une contribution majeure

    de l'alimentation. Elle se dveloppe au Proche-Orient ds 20.000 BP. Cette diversification

    des ressources exploites, la prsence de traits dits "pr-adaptatifs" tels que les

    techniques de broyage ont permis, dans des conditions de pression dmographique, le

    dveloppement de l'agriculture. Flannery plaide tout comme Binford (1968) pour une

    premire apparition dans des environnements pauvres en ressources.

    Facteurs conomiques et sociaux apparaissent intrinsquement lis. Les diffrents modles

    proposs mettent parfois en avant l'un ou l'autre mais considrent gnralement leur

    interaction. Cette dmarche est d'autant plus incontournable que le passage d'une conomie

    de prdation une conomie de production s'accompagne du dveloppement de nouveaux

    modes d'implantation des socits dont la tendance gnrale peut tre caractrise comme

    une sdentarisation. L'adoption d'un mode de vie sdentaire est communment associe un

    ensemble de modifications socio-conomiques. Les concepts de pression dmographique et

    d'organisations sociales complexes ont plus particulirement t mis en relation avec la

    sdentarisation des socits. Les modles proposs pour expliquer ce dveloppement et en

    dterminer les consquences socio-conomiques sont intrinsquement lis ceux relatifs

    l'apparition de l'agriculture.

    1.2.2. Modification des systmes d'implantation et desorganisations sociales

    La sdentarit est considre par beaucoup comme un pr-requis au dveloppement de

    l'agriculture (Rafferty, 1985), elle est aussi perue comme un lment moteur de la

    nolithisation.

    1.2.2.1. Des origines

    Dans une perspective volutionniste, deux problmes sont poss quant l'apparition et au

    dveloppement des socits sdentaires :

    - celui de ses origines et de son mode de dveloppement (graduel ou rsultant d'un

    changement radical des modes d'implantation) ;

    - celui des consquences socio-conomiques de l'adoption d'un mode de vie

    sdentaire.

  • Partie I Chapitre 2 : Un tat de la question concernantles modes dimplantation et de subsistance au Natoufien

    33

    Price et Brown (1985) distinguent deux tendances dans les thories portant sur l'origine de la

    sdentarisation :

    - les hypothses posant une abondance en ressources comme une condition

    ncessaire et suffisante au dveloppement de la sdentarit ;

    - celles qui considrent que les chasseurs-cueilleurs ont adopt un mode de vie

    sdentaire en rponse une crise de subsistance.

    Rosenberg (1998) qualifie ces modles "d'adaptatifs", la sdentarit tant perue comme une

    rponse un changement de situation. Selon Rafferty (1985, p.118), derrire les premires

    sries d'hypothses se cache souvent le prsuppos d'une tendance naturelle s'tablir de

    faon sdentaire ds que cela est possible. Par ailleurs, le facteur crucial ne serait pas

    l'abondance des ressources mais leur disponibilit au long de l'anne. Certains chercheurs

    posent la primaut des facteurs sociologiques : pression dmographique, organisation sociale

    devenant plus complexe. On retrouve en dfinitive les mmes schmas de raisonnement que

    ceux mis en uvre pour expliquer l'origine de l'agriculture.

    Selon les auteurs, ce passage est conu comme graduel ou comme une "rvolution" (Kelly,

    1992). Dans ce dernier cas, amliorations ou pjorations climatiques servent gnralement

    expliquer l'adoption d'un mode de vie en rupture avec les adaptations prcdentes. Les

    conceptions graduelles envisagent la sdentarit comme un point dans un continuum de

    systme d'implantation plus ou moins sdentaires (e.g Rosenberg, 19