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ENQUÊTE A utomobile N°50 SUPPLY CHAIN MAGAZINE - DÉCEMBRE 2010 46 Ces dernières années, les constructeurs automobiles ont réellement pris conscience de la criticité de la Supply Chain sur toute la filière. Le coup d’arrêt brutal de la crise et les difficultés des fournisseurs à faire face quelques mois plus tard aux remontées en cadence incitent désormais l’ensemble des acteurs à davantage de transparence, notamment en matière de prévisions. Pour gagner en flexibilité et en efficacité, les donneurs d’ordre sont amenés à adopter une attitude plus collaborative avec leurs fournisseurs, notamment en matière de bonnes pratiques logistiques. En attendant peut-être de faire appel à des ressources inexploitées du Toyota Production System dans la manière de piloter les approvisionnements tout le long de la Supply Chain afin d’éviter le fameux « effet coup de fouet ». Automobile La filière veut sortir du brouillard ©DACIA PITESTI-RENAULT

ENQUETE-50:Mise en page 1 - Supply Chain Magazine · vant de Toyota avec ses sous-traitants, la firme ayant été conduite, pour accompagner la croissance de ses parts de marché,

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N°50 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - DÉCEMBRE 201046

Ces dernières années, les constructeurs automobiles ont réellement prisconscience de la criticité de la Supply Chain sur toute la filière. Le coup d’arrêtbrutal de la crise et les difficultés des fournisseurs à faire face quelques moisplus tard aux remontées en cadence incitent désormais l’ensemble des acteurs à davantage de transparence, notamment en matière de prévisions. Pour gagneren flexibilité et en efficacité, les donneurs d’ordre sont amenés à adopter une attitude plus collaborative avec leurs fournisseurs, notamment en matièrede bonnes pratiques logistiques. En attendant peut-être de faire appel à des ressources inexploitées du Toyota Production System dans la manière de piloter les approvisionnements tout le long de la Supply Chain afin d’éviter le fameux « effet coup de fouet ».

AutomobileLa filière veut sortir

du brouillard

©DACIA PITESTI-RENAULT

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Un choc, voire même unélectrochoc. La très forteplongée des ventes audeuxième trimestre 2008a conduit la filière auto-

mobile à prendre davantage cons-cience de ses faiblesses. Avec desconséquences récentes sur les chan-tiers prioritaires en matière de SupplyChain. Fin 2009, les ventes sontremontées significativement, notam-ment grâce aux éphémères primes à lacasse, mais la reprise n’a pas encoreun caractère durable. L’ensemble de lafilière (en particulier les équipemen-tiers de rang 2 et 3 ) a ainsi pu mesu-rer l’effet « coup de fouet » de cesfortes variations de la demande et ladifficulté d’adapter les capacités deproduction et les stocks aux brusqueschangements de cadence sur une Sup-ply Chain très complexe à gérer (trèsgrande diversité, haute sophistication,grande diffusion). « Il y a des inci-dences très fortes. Des sociétés ontfermé car elles avaient du stock, pré-

voyaient de l’activité, avaient investidans des machines. En amplifiant lerisque sur la pérennité de certainséquipementiers et sur les ruptures delivraison, la crise a fait prendre cons-cience aux donneurs d’ordres de lanécessité de communiquer de manièreplus efficace, plus intelligente avecleurs fournisseurs », constate Jean-Claude Fichera, Directeur associé chezAsapp Consulting. Une évolution quis’explique aussi par la forte consoli-dation du secteur des équipementiers.« Auparavant, quand le fournisseurétait malade, il suffisait d’en changer.Mais quand ce sont même les grosmastodontes de rang 1 qui sont mis àmal, c’est comme s’ils se tiraient uneballe dans le pied », ajoute-t-il.

Blocages sur la Supply ChainApparemment, les constructeurs ontréellement pris conscience de manièreaigüe de la fragilité potentielle de leursfournisseurs, même ceux de rang 1.« Des constructeurs comme Renault etPSA ont été amenés à réfléchir à desmécanismes permettant de soulager latrésorerie de leurs fournisseurs cri-tiques pendant la crise, il y a un rap-prochement qui s’est fait à ceniveau-là. Et les rang 1 dépendentd’équipementiers de rang 2 qui peu-vent être des sociétés de 5.000 commede 10 personnes, dont les éventuellesdéfaillances impactent très fortementla Supply Chain de l’ensemble de la filière », détaille Laurent Meslin,Senior Manager chez PEA Consulting.« En 2008-2009, vu le ralentissementde la production, il était nécessaire de repenser les approvisionnements.Nous avons accompagné la réductionconjoncturelle des échanges avec nosfournisseurs pendant que la Directiondes Achats travaillait à réduire l’im-pact négatif de ces mesures chez leséquipementiers, confirme d’ailleursYves Caracatzanis, Directeur de laSupply Chain Monde de Renault. Etd’ajouter : Lorsque la demande estrepartie, notamment grâce aux dispo-sitifs de primes à la casse, la SupplyChain a accompagné les remontées en cadence. » Jean-Claude Ficheraobserve par ailleurs que la baisse del’activité n’a pas entraîné de réductiondes délais, bien au contraire. « Sur

Jean-Claude Fichera, Directeur associé

chez Asapp Consulting : « La crise a fait prendreconscience aux donneursd’ordres de la nécessité

de communiquer de manière plus efficace,

plus intelligente avec leurs fournisseurs ».

Yves Caracatzanis, Directeur de la Supply Chain

Monde de Renault : « En 2008-2009, nousavons accompagné la

réduction conjoncturelledes échanges avec nosfournisseurs pendant

que la Direction des Achats travaillait

à réduire l’impact négatifde ces mesures chez les équipementiers ».

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toute la chaîne, les stocks de fonc-tionnement avaient fondu, en atten-dant une meilleure visibilité. Auniveau du prévisionnel, les équipe-mentiers s’appuient un peu sur lesprévisions des constructeurs, maissurtout sur l’historique, sur l’activitépassée, pour assurer ce fonds de rou-lement. Normal, car les délais delivraisons sont très courts (J+1 ouJ+2), alors que les process de fabri-cation sont souvent de plusieurssemaines. Cette Supply Chain a étécomplètement bloquée ».

Travailler sur la transparence A part une remise en cause profondedu processus d’approvisionnement dela filière (voir article page 53), le principal levier pour réduire au maxi-mum à l’avenir ce genre de phéno-mène semble être de s’attacher àrendre la chaîne logistique plus trans-parente, plus en phase avec lademande réelle, afin d’accroître saflexibilité. C’est ce qui explique lestravaux en cours en France, notam-ment au sein d’un comité logistique

chez Galia (depuis mai 2009), pourvalider les bonnes pratiques enmatière de transmission des prévisionstout au long de la filière automobile. « Ce qui a changé, c’est qu’à traversGalia, on se penche ensemble sur leproblème des prévisions à moyenterme, alors que pendant longtemps,la communauté automobile se focali-sait sur les prévisions court terme,envoyées sous forme de messages EDI,souligne Damien Derlot, ResponsableLogistique Centrale du sous-traitantSNOP. La maille est aujourd’hui de 12 mois et on essaye de la faire pas-ser autour de 18-24 mois ou d’un vrai 12 mois glissants. Chez SNOP, c’est laprévision moyen terme que l’on intè-gre depuis 10 ans qui nous a permisd’améliorer la gestion de l’entreprise.Un taux de charge moyen à l’échelleeuropéenne sur un horizon de deuxans, c’est essentiel. Et si on raisonneuniquement sur ce qui se passe dansles deux ou trois mois, on ne peut pasprendre de décision. » Les travauxportent non pas sur la qualité ou lafiabilité des prévisions mais sur lescontenants (les messages EDI), sur leurstructure et la régularité des échangesde données. En parallèle, l’autreobjectif est de passer progressivementd’une maille mensuelle à une maillehebdomadaire, ce qui permettraitd’anticiper plus vite les variations àvenir. Cette démarche fait égalementl’objet de travaux en interne chez les

constructeurs. « En matière de prévi-sions avec nos fournisseurs, nousfonctionnons aujourd’hui sur un pro-cessus itératif mensuel, avec trois foispar an des échanges à horizon 12-18mois. Dans la phase d’exécution, nouslaissons quatre à cinq jours de préavispour les livraisons fermes (telle quan-tité de telle pièce, tel jour, dans tel cré-neau horaire). En 2011-2012, nousallons introduire un stade de pro-grammation hebdomadaire, à mi-che-min entre prévisions et exécution, uneprévision « affinée » à deux semainesd’avance qui permettra au fournis-seur d’optimiser son ordonnancementet de faire du lissage hebdo ma daire »,nous confie Alain Besnard, Directeurprogrammation et logistique opéra-tionnelle de PSA Peugeot Citroën. « Depuis moins de deux ans, nousavons mis en place des processus ausein de la Supply Chain à deuxniveaux : H+6 mois pour s’assurerque les fournisseurs auront la capa-cité et à plus court terme pour leur per-mettre d’optimiser la programmation »,déclare de son côté Christian Mardrus,Managing Director de l’Alliance GlobalLogistics Renault-Nissan.

Améliorer les prévisionsIl reste également du pain sur laplanche pour améliorer le niveau definesse des prévisions transmises parles constructeurs aux équipementiersde rang 1, 2 et 3. Surtout pour les

Christian Mardrus,Managing Director de l’AllianceGlobal Logistics Renault-Nissan : « Depuis moins de deuxans, nous avons mis enplace des processus ausein de la Supply Chain

à deux niveaux : H+6 moispour s’assurer que

les fournisseurs auront la capacité et à plus

court terme pour leur permettre d’optimiser la programmation ».

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Les leçons des rappels massifs

Surchauffe ? Brusque retour sur terre ? Crise de qualité ?Les observateurs se sont lâchés pour décrypter les

leçons des rappels massifs de millions de véhicules, en rai-son de défauts présumés, qu’ont connu notamment Toyota,BMW, PSA (effet indirect des rappels Toyota dû à l’usinecommune de Kolin en République Tchèque), Honda et plusrécemment Nissan depuis fin 2009. Evidemment, c’est l’em-blématique Toyota, le modèle en matière de production etde Supply Chain depuis des décennies, qui est dans la lignede mire. L’hypothèse la plus courante pour expliquer ceproblème de qualité : un rapport moins étroit qu’aupara-vant de Toyota avec ses sous-traitants, la firme ayant étéconduite, pour accompagner la croissance de ses parts demarché, à travailler avec un plusgrand nombre de fournisseurs quin’avaient pas une connaissanceapprofondie de la culture indus-trielle du groupe. « Si Toyota a rap-pelé des millions de véhicules, c’estl’effet tâche d’huile de la standardisa-tion. Quand une pièce fonctionne bien,la technologie est réutilisée dans d’au-tres gammes de véhicules. C’estlogique, car l’effet de volume simplifiela logistique », considère pour sapart Jean-Claude Fichera (AsappConsulting). Dominique Honder-

marck (Argon) est un peu du même avis : « On n’imaginaitpas qu’une défaillance d’un rang 2 pourrait avoir un impact surplusieurs millions de véhicules. Ce n’est sans doute pas étrangerà la volonté de massifier, de rationaliser les portefeuilles achats,les portefeuilles fournisseurs. Mais l’augmentation du nombrede rappels peut être aussi liée à une meilleure traçabilité ». De son côté, Laurent Meslin préfère rester prudent : « Statistiquement parlant, le nombre et l’amplitude de ces rap-pels ne permettent pas d’affirmer qu’ils sont liés à des pro-blèmes de Supply Chain trop complexe ou mal maîtrisée.D’autant qu’il existe aujourd’hui une hypersensibilité desconstructeurs aux défauts qui pourrait aussi contribuer à expli-quer le phénomène ». ■

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fabricants de pièces à options, ou avec des couleurs différentes (commeles sièges par exemple) et qui sont très soumises à la variabilité de lademande. « Les quantités annoncéesémanent de la Direction marketing etcommerciale et elles ne sont pas assezdétaillées au niveau des nomencla-tures de véhicules pour être réellementutiles aux équipementiers. Il leur estaujourd’hui extrêmement difficile depouvoir appréhender les besoins dumarché derrière cet écran de fumée »,estime Jean-Claude Fichera. Les cons-tructeurs ne font pas la sourde oreille.« Il y a une forte attente de la part denos fournisseurs sur la qualité desprévisions qu’on leur fournit. Il y a unchantier en cours sur des prévisionsde volumes de pièces ou d’équi-pements avec répartition dans lesgammes au niveau de la famille devéhicules, de la finition et de la moto-risation. Le projet a été lancé depuisquelques mois, il se déroulera surl’année 2011 », indique Alain Besnard(PSA). Sur le long terme, d’autres infor-mations pourraient également être fortutiles aux fournisseurs. « Avec la bana-lisation du principe de Carry Over, quiest de réutiliser sur d’autres véhiculesdes pièces conçues à l’origine pour unmodèle donné, le fournisseur doit savoirsuffisamment tôt si ses pièces auront ounon une deuxième vie car les volumespeuvent brusquement augmenter sansque rien n’ait été coordonné », expliqueDamien Derlot (SNOP).

Les limites de la transparenceMais il est également évident que toutne peut pas s’écrire, ni se dire, et quela transparence totale du besoinappartient encore au domaine del’utopie. Les constructeurs tiennent àconserver leur « jardin secret », à nepas trop divulguer d’informations surla manière dont ils gèrent l’aspectmarketing et stratégique. « Il y a désor-mais une volonté des constructeurs demieux maîtriser la chaîne, avec uneattitude plus collaborative et la recher-che d’une plus grande transparence àl’égard de l’ensemble des fournis-seurs, ressent Dominique Honder-marck, Directeur Associé chez ArgonConsulting, qui se méfie toutefois dusyndrome « usine à gaz », avec EDI à

Alain Besnard, Directeur programmation et logistique opérationnelle de PSA Peugeot Citroën :

« En 2011-2012, nousallons introduire un stade

de programmation hebdomadaire, à mi-chemin entre

prévisions et exécution,une prévision « affinée »

à deux semaines d’avancequi permettra

au fournisseur d’optimiserson ordonnancement et de faire du lissage

hebdomadaire ».

Dominique Hondermarck,

Directeur Associé chez Argon Consulting :

« Il y a un vrai décalageentre les constructeurs

qui ont un temps d’avance en termes de maturité etle monde des fournisseurs

qui a un peu de mal à suivre le rythme

imposé par l’EDI ».

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tous les étages. ll y a un vrai décalageentre les constructeurs qui ont untemps d’avance en termes de maturitéet le monde des fournisseurs qui a unpeu de mal à suivre le rythme imposépar l’EDI. Parfois, un bon échange defax, de mail avec une information fia-ble et renouvelée fonctionne tout aussibien, voire mieux. Il faut un certainpragmatisme, pour aider les fournis-seurs de rang 1 à communiquer avecceux de rang 2 et ainsi de suite. Ettrouver la bonne maille au cas par

cas, en fonction du délai de fabrica-tion et d’appros en composants, quidiffère pour chaque fournisseur. »

Les projets Leanremontent la filière

En France, cette volonté d’accompa-gner ses fournisseurs pour ne pas met-tre en péril ses propres appros est toutà fait en phase avec la PFA, la Plate-Forme de la Filière Automobile, miseen place en avril 2009 suite aux EtatsGénéraux de l’Automobile. L’objectif :

Suite de la page 46

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aujourd’hui les limites en terme deréduction des temps de cycle notam-ment via la chasse à la surproductionqui a pour effet d’assécher les stocksintermédiaires et de contraindre trèsfortement la chaîne d’approvisionne-ment. On est un peu arrivé au bout dubout et il faut tenir compte désormais

et en priorité des tensions que celaengendre chez les fournisseurs », noteLaurent Meslin. La crise aura peut-êtreeu cette vertu d’ouvrir les yeux auxconstructeurs sur le fait qu’ils ne sontpas simplement des « donneurs d’or-dres », selon la formule consacrée ! ■

Jean-Luc Rognon

©Renault-Flins

« rénover » les relations entre cons-tructeurs et fournisseurs et améliorerleur compétitivité économique de lafilière, notamment avec la diffusiondes méthodes d’amélioration de lacompétitivité et d'excellence opéra-tionnelle, en particulier les bonnespratiques du Lean Manufacturing oul’évaluation à partir de référentielslogistiques tels que le standard GlobalMMOG/LE. « Avant la crise, on parlaitbeaucoup de projets Lean, mais c’estseulement récemment que la filièreautomobile met réellement les moyenset les équipes projet sur ce type d’ac-tions », précise Luc Baetens, DirecteurFrance du cabinet de consultantsMöbius. Attention cependant à ne pasaller trop loin. Les récents rappelsmassifs de véhicules prouvent quemême le modèle Toyota n’est pas àl’abri de problèmes de qualité (voirencadré page 49). « Je suis convaincudes avancées significatives que le Leana permis dans l’automobile, mais jepense malgré tout que l’on atteint

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Chez PSA Peugeot CitroënLa Direction Supply Chain

Même si explicitement le terme Supply Chain n’est pas uti-lisé, la Direction programmation et logistique opération-nelle de PSA Peugeot Citroën, en place depuis 2007, résultedu regroupement de sept entités dans des diverses direc-tions du groupe. Sa mission : piloter la Supply Chain et ins-taurer une approche par les flux du client final vers lefournisseur.

Quelques réalisations ■ Réduction de près de 30 % des stocks de pièces et de 20 % du stock véhicules en deux ans■ Sur l’amont : approche par petits colis, livraisons fractionnées

Zoom sur deux chantiers en cours■ Logistique petits colis : chantier démarré il y a trois ou qua-tre ans de refonte, réingénierie des flux pour réorganiser lespièces dans de petits conditionnements afin que l’opérateuren bord de ligne puisse avoir tout à sa disposition dans unrayon de 5 m. Cela implique des livraisons « horodatées »,dans des tranches de deux heures de la part des fournisseurs.Le groupe est en train de le généraliser pour toutes les lignes.■ Le projet Corail : refonte des process et du SI, du fournis-seur aux usines. Démarre fin 2011 avec les fournisseurs del’usine russe de Kalouga (généralisation en 2013-2014). Impactsur l’informatique (EDI, étiquettes, éditions de documents),sur l’organisation (magasin, expéditions, ADV), sur les engage-ments (nouveau mode d’approvisionnement avec engagementde livraison), sur la traçabilité (utilisation de l’étiquette PSA).

Les projets en interne chez Renault et PSA en bref

Chez Renault NissanLa Direction Supply Chain

Créée en 2008, la Direction Supply Chain Monde de Renaulta pour mission de livrer aux clients des produits conformesaux standards de qualité Renault à l’heure et au meilleur coût,de synchroniser les flux de pièces depuis les fournisseursjusqu’au client final, avec une approche transversale (elle tra-vaille avec l’ingénierie, les Directions des Achats, Commer-ciale, des fabrications et de la Qualité).

Quelques réalisations■ Les coûts globaux de la Supply Chain ont baissé de 9 % entre 2006 et 2009■ Les retards de livraison ont baissé de 30 % et les dommagescausés par les transports de 40 %

Zoom sur deux chantiers en cours■ La création de l’Alliance Global Logistics : elle opère desarbitrages entre les Supply Chains de Renault et Nissan pouridentifier et mettre en place des mises en commun de moyens.En 2010, les synergies devraient générer à elles seules 130 M€ d’économies.

■ Généralisation de la mise en commun entre Renault et Nis-san des appels d'offres transporteurs et des moyens por-tuaires, optimisation des centres de pièces détachées etpartage des centres de cross-dock et des centres de regrou-pement

©Marc Barthélémy-Renault©PSA Peugeot-Citroën

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DÉCEMBRE 2010 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°50 53

Depuis plus de 30 ans, lesconstructeurs automobiles du monde entier tentent de

reproduire l’efficacité du Toyota Pro-duction System (TPS) imaginé et misen place par Taiichi Ohno dès lesannées 1950. Avec plus ou moins de

succès et des résultats souvent en deçàdes espérances. « On s’est tous arrêtéen chemin, en oubliant une partieessentielle du TPS et on a laisséToyota creuser l’écart. Les gains deproductivité attendus ne sont atteintsqu’à hauteur de l’ordre de 50 % à

70 % des objectifs visés », constateYves Mille dans un ouvrage choc quivient de paraître aux éditions duDauphin, intitulé « Dépasser leToyota Production System ». Cetancien chercheur de haut niveau,devenu patron de production du mon-tage à Peugeot Sochaux, sait de quoiil parle. Il n’a eu de cesse depuis 1977d’observer et de rechercher tout ce quise rapportait au juste-à-temps et auKanban pratiqués chez Toyota pourl’appliquer avec succès d’abord àSochaux (en 1981-82), puis dansl’usine de Madrid (en 1986) avantd’avoir la mission de le généraliser àl’ensemble des usines en 1988, dans lecadre du système RECOR (Remplace-

Le trésorcaché

du systèmeToyota

La parution du livre d’Yves Mille, ancien patron

dans la principale usine de Peugeot Sochaux,

fait l’effet d’une véritable bombe.

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ment De Consommation réelle) dugroupe PSA. En apportant une inno-vation, l’application des méthodesstatistiques au calcul de stocks« supermarché » en bord de ligne (nonaffecté à des commandes ou desordres de fabrication). C’est le débutde ce qu’il, appelle « l’exception fran-çaise », qui se poursuivra à partir de1995 chez Renault avec le projet de « Kanban deuxième génération ». En1991, à l’initiative du Directeur desachats de PSA qui voulait faire profi-ter les fournisseurs de cette avancée,Yves Mille quitte le groupe PSA etfonde sa propre structure de conseil,Gopal, du nom de la formation qu’il acréée. Depuis, il enchaîne les projetschez divers constructeurs et équipe-mentiers. Sa méthode : passer d’unegestion à l’article à un pilotage parligne de flux avec remplacement syn-chronisé à la consommation réelle àl’aide d’étiquettes, en respectant lescharges et les trains de priorités. Avecà chaque fois, selon lui, des résultatsspectaculaires : plus de problèmes demanquants en bord de ligne, optimisa-tion des surfaces et des volumes destockage, temps de défilement divisé par10, augmentation de productivité, etc.

Le pilotage planifié des ERP sur la sellette

Mais revenons à l’idée de départ qui estla clé de voûte de l’ouvrage. Pour YvesMille, tout un pan du TPS reste inex- ploité : grâce aux progrès de l’informa-tique, le pilotage des approvisionne-ments et de la production synchronisé àla consommation réelle (Kanban) estaujourd’hui tout à fait applicable à tousles niveaux de la Supply Chain mondiale,par transmission quasi instantanée, pasà pas, d’étiquettes partant des points deconsommation jusqu’aux ateliers de pro-duction, quel que soit leur éloignement.Conséquence non négligeable : le pilo-tage planifié des ERP devient obsolète.Cela signifierait l’abandon du système deprogrammation classique de flux poussésà cycle long basé sur l’asservissement dela circulation des produits et du stockaux commandes et aux OF (ordres defabrication). Le raisonnement peut sem-bler totalement décalé, d’autant quedepuis le milieu des années 1980, le pilo-tage au moyen du Kanban classique a été

balayé par les progiciels de GPAO, puispar les ERP, basés sur le MRP-2, à partirde 1990. « Les ERP traditionnels fonc-tionnent toujours à la gestion à l’article,avec des nomenclatures et des tempsd’opérations, mais vous perdez toutes lespriorités et vous ne maîtrisez pas lacharge ni les délais, ce qui est le plusimportant dans un atelier », soutient YvesMille. C’est de cette programmation tra-ditionnelle de la production et des appro-visionnements que découleraient selonlui des calculs erronés de stocks intermé-diaires sur toute la Supply Chain et deseffets chaotiques de type « coup de fouet »infligés à toute la filière, d’une amplituded’autant plus élevée au fur et à mesureque l’on s’éloigne du constructeur. « Toutse passe comme si toute la filière s’étaitinstallée de façon masochiste dans unsystème d’auto perturbation global com-posé de manquants et retards chez lesclients, d’urgences en production pour yrépondre, de modifications de com-mandes aux fournisseurs et ainsi de suitesur toute la filière. La perte de producti-vité qui en résulte est en moyenne de 20 % et peut dépasser plus de 40 %pour les fournisseurs de rangs supérieurs,producteurs de composants diversifiés »,affirme Yves Mille.Pour lui, le TPS a été cantonné trop

rapidement à une technique d’amélio-ration à court terme de la partie atelier,en mettant de côté, consciemment ounon, les possibilités d’amélioration enmatière d’organisations transverses. Unfait qu’il rapproche tout de même d’unepart de l’apparition en 1988, dans unrapport du MIT, du concept de LeanManufacturing, « dont les experts oppo-sent aujourd’hui encore leurs démarchesà tout ce qui est informatique », et d’au-tre part du « tsunami » des ERP, « quimarque l’ascendant pris par les Direc-tions Informatiques sur toutes les autresDirections des entreprises industrielles ».Ce qui aboutit au partage actuel, qu’ilqualifie d’artificiel : le Kanban à l’ateliersans informatique, et les logiciels ERPsouverains pour les applications infor-matiques. Même s’il ne remet pas encause les processus PIC et PDP, « indis-pensables pour préparer l’appareil deproduction », Yves Mille a bien cons-cience que sa vision du Kanban appli-qué à toute la Supply Chain est unvéritable choc culturel. Il rejoint parailleurs la volonté actuelle affichée parla filière automobile (voir page 47) demettre fin au cloisonnement des prévi-sions avec les fournisseurs. « La straté-gie devrait être de créer une transpa-rence qui va de la consommation à la

Les deux piliers du TPS

La thèse d’Yves Mille : le « Lean Manufacturing » n’est qu’un des deux piliers du TPS.L’autre, le pilotage par synchronisation à chaque stade de la Supply Chain, n’a pas étéexploité par les autres constructeurs automobiles.

Points clés du système de production de Toyota (2009)

AUTONOMATION JUSTE A TEMPS

Arrêt de ligne par Opérateur

« LEAN MANUFACTURING »

Arrêt de ligne cause « Manquants »

Autonomiedes lignes et équipes

Réactivité etPrévention arrêts de ligne

Accélération des actions de progrès continuL’équipe au cœur de l’organisation (Cercles Qualité, suggestions, ...)

(TPM, TQM, Segmentation par petits lots, SMED), mise en ligne,élimitation permanente opérations inutiles, etc.)

Actions partagées avec filièrefournisseurs

Pilotage par synchronisation physiqueà chaque stade de la filière (Supply Chain)

- Engagement et équipe personnel par CE et CM- Ligne au lieu de poste individuel- Rotation équipe et polyvalence...

- Arrêt automatique Poka Yoké- Andon (alerte visuelle)- Système à l’épreuve des erreurs- Alerte visuelle opérateurs (évolution produits...)

- Besoins bruts exploités à tous les niveaux de la Supply Chain- Distinction stocks « Supermarché » et « Attente »- Lignes de flux et gammes de flux pour maîtriser capacités finies (installations et surfaces), priorités et lead-times

- Trace étiquette kanban (qualité et évolution produits)- Lignes et gammes de flux (incidence évolution produits et lead-times)So

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production, que ce soit aux fournis-seurs de rang 1 ou rang 2 sans retra-vailler les données en cours de routeavec des histoires d’ajustement destocks en jours de couverture. ChezToyota, le besoin brut est accessible partous les acteurs de la Supply Chain ». La conclusion du livre se veut moinspolémique. « Pourquoi ces expériencessont restées sans lendemain sur lessystèmes de gestion et d’informa-tions ? L’histoire a été écrite ainsi et iln’y a pas de coupables. Arrêtons doncd’échanger sur la qualité des prévi-sions et mettons en chantier des sys-tèmes de pilotage performants maisimpliquant la transparence de fonc-tionnalités informatiques.Le chantier est décisif pour l’avenir et lasurvie de tous les acteurs de la filièredans l’environnement internationald’aujourd’hui ». Cela tombe bien, lechaînon manquant entre les ERP et leterrain existe, c’est le logiciel GSP(Gopal Software Package) de gestion desflux et de pilotage synchronisé à laconsommation réelle, résultat d’un pro-jet labélisé innovation européenne quiavait reçu le soutien de Louis Schweit-zer, l’ancien Président de Renault. Etreun iconoclaste n’empêche pas de prê-cher pour sa paroisse… ■ JLR

« On s’est tousarrêté en chemin,en oubliant une partie essentielle du TPS et on a laisséToyota creuserl’écart », dénonce Yves Mille,qui vient de publierun livre intitulé « Dépasser le ToyotaProduction System ».

©JLR