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Extrait du livre "Au Péril des Idées", un dialogue sur les grandes questions de notre temps entre Edgar Morin et Tariq Ramadan. Tariq Ramadan (...) Nous nageons dans le populisme bon teint, un populisme ordinaire qui exprime la victoire de la pensée binaire sous toutes ses formes Le politique qui saura se montrer dur avec "eux" (et ce peuvent être ici "les immigrés", là "les Roms", là-bas "les musulmans" et qui saura nous rassurer emportera la mise, à gauche, à droite ou à l’extrême droite, sans distinction. Voilà pourquoi je ne cesse de dire aux Français de confession musulmane qu'il faut sortir de cette équation binaire, car c'est un piège très pernicieux. J'essaie de faire entendre ce message:" Si l'on remet en cause votre statut de "vrais Français" parce que vous êtes musulmans, ou en vous rappelant votre origine algérienne, marocaine, tunisienne ou turque, la meilleure réponse n'est pas de vous empêtrer dans la contestation de cette perception. C'est, à mon sens, de réconcilier la France avec ses propres valeurs, au-delà de cette distorsion conjoncturelle au sein du débat politique actuel." Ces discours, ces propos binaires ne sont pas les valeurs françaises, ils ne représentent pas l'histoire de la France et ses multiples facettes; ils trompent la France sur sa propre histoire, son identité plurielle et ses valeurs fondamentales. Il faut effectuer un travail profond de réconciliation et, pour ce faire, sortir de la marge, du piège que représente ce "eux" de l'intérieur, ne pas rester cantonnés dans la "communauté autre", symboliquement, par la culture ou la religion, ou même géographiquement, par la banlieue ou la référence aux "gens du voyage. Il est impératif de sortir de la marge, d'exprimer ce "nous" du texte qui s'écrit ensemble, avec des valeurs communes qui ont d'abord célébré la diversité et non l'uniformité ou l'uniformisation stigmatisante. Certains politiques, intellectuels ou même journalistes n'aiment pas s'entendre dire, alors qu'ils n'ont qu'à la bouche que cette référence à "la France", "nous", "notre république", notre histoire", "notre identité" que, somme toute, ils réduisent cet héritage et ils trahissent, ce faisant, les valeurs de la France. Edgar Morin C'est très juste. D'autant plus que, dès la Révolution, le protestantisme banni par Louis XIV a été reconnu, ainsi que le judaïsme, aussi étranger à la tradition française que l'islam (il y avait encore, à l'époque, deux sources indigènes juives en Provence et en Alsace). Il faut donc dire que ce qui fut pour le judaïsme continue pour l'islam, deux religions qui, en fin de compte, ont un fondement commun dont l'étrangeté devrait moins apparaître que la similarité. La grande difficulté de la France est d'avoir tendance à rester figée dans un laïcisme desséché, au lieu de revenir aux grandes sources de la Renaissance. Bien que je ne sois membre d'aucun parti, je me considère de gauche. Qu'est-ce que cela signifie pour moi ? C'est l'union de ce qui, au départ, allait de pair: l'idée de socialisme (améliorer la société), l'idée d'anarchisme, de libertarisme. (aspirer à ce que les individus soient libres) et l'idée de communisme (nécessité d'une communauté fraternelle). Marx n'affirmait-il pas que la dictature du prolétariat était provisoire pour arriver à la fraternité universelle? Lénine l'a d'ailleurs dit en évoquant la société sans état. A ces trois sources, j'ajoute une quatrième: la source écologique, la nécessité de rétablir un rapport sain avec la nature. Pour moi, être de gauche revient à unir ces traditions, ou plutôt ces sources, puisque les traditions ont dégénéré. Mises ensemble, elles peuvent régénérer la vie politique grâce à une analyse adéquate du monde contemporain et donc la volonté de comprendre un tant soit peu ce que signifie, dans son ambivalence, dans ses dangers, ses possibilités, la mondialisation. Faute de quoi, nous sommes dans la nullité totale. (...) Quand on pense qu'il y a peu on proclamait la fin des idéologies, alors que triomphe le

Edgar Morin et Tariq Ramadan. - IRTS de Lorraine · Extrait du livre "Au Péril des Idées", un dialogue sur les grandes questions de notre temps entre Edgar Morin et Tariq Ramadan

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Extrait du livre "Au Péril des Idées", un dialogue sur les grandes questions de notre temps entre Edgar Morin et Tariq Ramadan. Tariq Ramadan (...) Nous nageons dans le populisme bon teint, un populisme ordinaire qui exprime la victoire de la pensée binaire sous toutes ses formes Le politique qui saura se montrer dur avec "eux" (et ce peuvent être ici "les immigrés", là "les Roms", là-bas "les musulmans" et qui saura nous rassurer emportera la mise, à gauche, à droite ou à l’extrême droite, sans distinction. Voilà pourquoi je ne cesse de dire aux Français de confession musulmane qu'il faut sortir de cette équation binaire, car c'est un piège très pernicieux. J'essaie de faire entendre ce message:" Si l'on remet en cause votre statut de "vrais Français" parce que vous êtes musulmans, ou en vous rappelant votre origine algérienne, marocaine, tunisienne ou turque, la meilleure réponse n'est pas de vous empêtrer dans la contestation de cette perception. C'est, à mon sens, de réconcilier la France avec ses propres valeurs, au-delà de cette distorsion conjoncturelle au sein du débat politique actuel." Ces discours, ces propos binaires ne sont pas les valeurs françaises, ils ne représentent pas l'histoire de la France et ses multiples facettes; ils trompent la France sur sa propre histoire, son identité plurielle et ses valeurs fondamentales. Il faut effectuer un travail profond de réconciliation et, pour ce faire, sortir de la marge, du piège que représente ce "eux" de l'intérieur, ne pas rester cantonnés dans la "communauté autre", symboliquement, par la culture ou la religion, ou même géographiquement, par la banlieue ou la référence aux "gens du voyage. Il est impératif de sortir de la marge, d'exprimer ce "nous" du texte qui s'écrit ensemble, avec des valeurs communes qui ont d'abord célébré la diversité et non l'uniformité ou l'uniformisation stigmatisante. Certains politiques, intellectuels ou même journalistes n'aiment pas s'entendre dire, alors qu'ils n'ont qu'à la bouche que cette référence à "la France", "nous", "notre république", notre histoire", "notre identité" que, somme toute, ils réduisent cet héritage et ils trahissent, ce faisant, les valeurs de la France. Edgar Morin C'est très juste. D'autant plus que, dès la Révolution, le protestantisme banni par Louis XIV a été reconnu, ainsi que le judaïsme, aussi étranger à la tradition française que l'islam (il y avait encore, à l'époque, deux sources indigènes juives en Provence et en Alsace). Il faut donc dire que ce qui fut pour le judaïsme continue pour l'islam, deux religions qui, en fin de compte, ont un fondement commun dont l'étrangeté devrait moins apparaître que la similarité. La grande difficulté de la France est d'avoir tendance à rester figée dans un laïcisme desséché, au lieu de revenir aux grandes sources de la Renaissance. Bien que je ne sois membre d'aucun parti, je me considère de gauche. Qu'est-ce que cela signifie pour moi ? C'est l'union de ce qui, au départ, allait de pair: l'idée de socialisme (améliorer la société), l'idée d'anarchisme, de libertarisme. (aspirer à ce que les individus soient libres) et l'idée de communisme (nécessité d'une communauté fraternelle). Marx n'affirmait-il pas que la dictature du prolétariat était provisoire pour arriver à la fraternité universelle? Lénine l'a d'ailleurs dit en évoquant la société sans état. A ces trois sources, j'ajoute une quatrième: la source écologique, la nécessité de rétablir un rapport sain avec la nature. Pour moi, être de gauche revient à unir ces traditions, ou plutôt ces sources, puisque les traditions ont dégénéré. Mises ensemble, elles peuvent régénérer la vie politique grâce à une analyse adéquate du monde contemporain et donc la volonté de comprendre un tant soit peu ce que signifie, dans son ambivalence, dans ses dangers, ses possibilités, la mondialisation. Faute de quoi, nous sommes dans la nullité totale. (...) Quand on pense qu'il y a peu on proclamait la fin des idéologies, alors que triomphe le

libéralisme, cette idéologie incroyable qui se présente comme science, exactement comme, hier, le marxisme! On s'est trompé. Le totalitarisme n'est pas la concentration de tous les pouvoirs aux mains de l'Etat, c'est le phénomène d'un parti qui a tout le pouvoir et qui prend le pouvoir sur l'Etat; ce n'est pas l'Etat qui est totalitaire, c'est le parti qui se sert de lui, de sa police et du reste. Voilà pourquoi il est très important, dans des pays comme le Maroc, qu'existe l'Etat, qu'il fasse respecter les libertés, qu'il aide à combattre la corruption, etc... Tariq Ramadan En vous lisant et en vous écoutant, je me disais que, au cœur même de mon champ de référence, j'essaie de faire la même chose. J'ai entrepris avec la réforme radicale, de repenser le rapport aux textes, aux contextes, aux sciences et à l'histoire, mais aussi, bien sûr, le rapport à l'autorité, aux pouvoirs - à tous les pouvoirs-, en repensant également les références politiques, les systèmes économiques, les relations femmes-hommes, l'environnement, la consommation jusqu'aux arts, à la culture et aux divertissements. Il faut toujours poser la question du " qui "parle, et avec quel "pouvoir". Il faut aussi s'intéresser aux " et, au pouvoir du "contre-pouvoir. C'est essentiel quand il s'agit de l'éthique. Je défends l'idée du contre-pouvoir éthique. Aujourd'hui, dans le monde majoritairement musulman, on parle de l’"Etat civil", avec une référence islamique. La formule est neuve, certes, mais elle n'est pas claire: on évite le cœur de la question en adaptant, encore une fois la terminologie. Quelles sont les prérogatives deb l'Etat? Qui décide de la référence? qui a "autorité" Quel est le rôle de la " société civile"? Nous avons besoin de l'Etat, j'en suis d'accord, il est une nécessité de l'Histoire et de la gestion de l'espace commun; néanmoins, il faut s'engager dans une réflexion plus large sur les pouvoirs, les interdépendances: la pensée politique fragmentée et partielle est dangereuse (...) Edgar Morin: Je suis plus que d'accord. Un des maux de notre civilisation actuelle, c'est que tout est séparé. Tout ce qui devrait être relié est séparé, morcelé (...). Notre époque est appelée "ère des communications", mais on ne communique absolument pas d'un secteur à l'autre, d'un groupe à l'autre (...). Entre les générations, c'est du pareil au même: tout est morcelé. La séparation est inouïe. J'ai un mot d'ordre: relier, relier, relier. Relier les connaissances, relier les êtres humains, relier les membres d'une même société, relier les sociétés les unes aux autres. Tariq Ramadan

LE MESSIANISME CORANIQUE L’auteur du Coran – du moins de son noyau primitif – est un arabe converti, au début du VII° siècle, à une forme peu connue de judéo-christianisme qu’on appelle le judéonazaréisme. L’influence du messianisme juif, sous la forme sectaire dont témoignent les manuscrits de la mer Morte, y est grande. Il faut dire qu’on sait peu de choses de ce « Muhammad » – malgré l’immense légende qui s’est constituée sur son souvenir mythique. Le texte du Coran tel qu’il nous est parvenu témoigne de réécritures successives, d’ajouts et de corrections nombreuses : pour un exégète de la Bible, ceci n’a rien d’étonnant.

Le messianisme coranique porte à la fois l’empreinte de ses origines, un judaïsme rabbinique exalté, et la marque politique des Califes qui firent réviser le texte, avant de le publier dans sa forme actuelle.

Lui aussi, il attend une apocalypse. Mais le fidèle coraniste ne peut pas, comme le juif ou le chrétien, se contenter d’attendre la fin de ce monde-ci : il doit – et c’est l’honneur que Dieu lui fait – en hâter l’arrivée. Il ne se contente pas de patienter : il collabore activement avec Dieu, en contribuant à l’élimination des impies (les infidèles), et des mondes mauvais qu’ils ont construits.

Lorsqu’il tue, ou qu’il se fait exploser en public, le coraniste est donc un auxiliaire de Dieu : et c’est pourquoi il a conscience d’aller directement au paradis – où Dieu se doit de réserver une place à ses lieutenants. L’appel au Djihad matérialise cette coopération avec Dieu : l’avènement du monde nouveau est à ce prix.

On dit souvent qu’il existe deux sortes de Djihads : l’appel à la Guerre Sainte, et l’appel à la conversion du cœur. Le premier serait un avatar de l’Histoire, le second serait l’enseignement de Muhammad. Ceci est un mensonge politique : le texte du Coran ne connaît qu’un seul Djihad, par la violence et par le sang.

Contrairement au juif, mais comme le chrétien, le messianisme coranique a une vision mondialiste : son ambition est de convertir la planète au Coran, et ses fidèles ne seront pas en paix tant que la terre entière ne se prosternera pas cinq fois par jour vers la quibla, qui indique la direction de La Mecque.

L’utopie coranique connaît un préalable : la reconquête de la Jérusalem terrestre, et sa purification de tout infidèle. Comme pour les juifs, c’est une ville qui est au centre du monde, et cette ville n’est pas La Mecque, qui n’existait pas au début du VII° siècle. L’importance centrale de Jérusalem va être confirmée par la légende du voyage nocturne de Muhammad. Il s’envole de La Mecque sur la jument Bouraq, parvient sur le rocher du Temple : là, au cœur de la ville sainte, il aurait donné un coup de talon qui l’aurait propulsé jusqu’au ciel. L’empreinte du pied de Muhammad est toujours gravée sur ce rocher, et la tradition fait mentir le Coran pour lui faire dire que ce voyage a bien eu lieu.

Ville sainte, point de départ du voyage nocturne de Muhammad, porte du ciel : la reconquête de Jérusalem fait partie intégrante de l’utopie coranique.

Quant au Messie, le Coran mentionne bien son retour. Mais dans la pratique Muhammad, qualifié de « sceau des prophètes », a pris sa place (1).

Le messianisme juif prônait une conquête guerrière et violente, mais limitée à un territoire précis. L’ambition chrétienne était de convertir la planète, sans jamais prescrire officiellement la guerre. Le Coran a retenu à la fois l’apologie de la violence juive, et l’ambition planétaire chrétienne.

Une dernière remarque : le Coran apparaît au moment où l’Empire romain finit enfin de définir la divinité de Jésus-Christ, au début du VII° siècle. Et c’est après une longue période de sommeil que

l’utopie coranique s’est réveillée, en ce milieu du XX° siècle où l’Occident voyait disparaître son propre messianisme.

Pareilles coïncidences, aux yeux de l’historien, parlent. Comme si le rêve messianique, élaboré pour la première fois par des exilés juifs hantés par leur déclin, se transmettait dans une même famille, malade de sa consanguinité.

Le mélange de mondialisme et de violence légitime dont témoigne le Coran est en soi très dangereux. Mais il devient détonnant s’il rencontre un jour, en face de lui, une idéologie qui lui ressemble (1).

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« Lettre ouverte au monde musulman » Abdennour Bidar – 29 septembre 2014

Abdennour Bidar est normalien, philosophe et musulman. Il a produit et présenté tout au long de l’été sur France Inter une émission intitulée « France-Islam questions croisées ». Il est l’auteur de 5 livres de philosophie de la religion et de nombreux articles.

Cher monde musulman, je suis un de tes fils éloignés qui te regarde du dehors et de loin – de ce pays de France où tant de tes enfants vivent aujourd’hui. Je te regarde avec mes yeux sévères de philosophe nourri depuis son enfance par le taçawwuf (soufisme) et par la pensée occidentale. Je te regarde donc à partir de ma position de barzakh, d’isthme entre les deux mers de l’Orient et de l’Occident !

Et qu’est-ce que je vois ? Qu’est-ce que je vois mieux que d’autres sans doute parce que justement je te regarde de loin, avec le recul de la distance ? Je te vois toi, dans un état de misère et de souffrance qui me rend infiniment triste, mais qui rend encore plus sévère mon jugement de philosophe ! Car je te vois en train d’enfanter un monstre qui prétend se nommer État islamique et auquel certains préfèrent donner un nom de démon : DAESH. Mais le pire est que je te vois te perdre – perdre ton temps et ton honneur – dans le refus de reconnaître que ce monstre est né de toi, de tes errances, de tes contradictions, de ton écartèlement entre passé et présent, de ton incapacité trop durable à trouver ta place dans la civilisation humaine.

Que dis-tu en effet face à ce monstre ? Tu cries « Ce n’est pas moi ! », « Ce n’est pas l’islam ! ». Tu refuses que les crimes de ce monstre soient commis en ton nom (hashtag #NotInMyName). Tu t’insurges que le monstre usurpe ton identité, et bien sûr tu as raison de le faire. Il est indispensable qu’à la face du monde tu proclames ainsi, haut et fort, que l’islam dénonce la barbarie. Mais c’est tout à fait insuffisant ! Car tu te réfugies dans le réflexe de l’autodéfense sans assumer aussi et surtout la responsabilité de l’autocritique. Tu te contentes de t’indigner alors que ce moment aurait été une occasion historique de te remettre en question ! Et tu accuses au lieu de prendre ta propre responsabilité : « Arrêtez, vous les occidentaux, et vous tous les ennemis de l’islam de nous associer à ce monstre ! Le terrorisme ce n’est pas l’islam, le vrai islam, le bon islam qui ne veut pas dire la guerre mais la paix ! »

J’entends ce cri de révolte qui monte en toi, ô mon cher monde musulman, et je le comprends. Oui tu as raison, comme chacune des autres grandes inspirations sacrées du monde l’islam a créé tout au long de son histoire de la Beauté, de la Justice, du Sens, du Bien, et il a puissamment éclairé l’être humain sur le chemin du mystère de l’existence… Je me bats ici en Occident, dans chacun de mes livres, pour que cette sagesse de l’islam et de toutes les religions ne soit pas oubliée ni méprisée ! Mais de ma position lointaine je vois aussi autre chose que tu ne sais pas voir… Et cela m’inspire une question – LA grande question : pourquoi ce monstre t’a-t-il volé ton visage ? Pourquoi ce monstre ignoble a-t-il choisi ton visage et pas un autre ? C’est qu’en réalité derrière ce monstre se cache un immense problème, que tu ne sembles pas prêt à regarder en face. Il faudra bien pourtant que tu finisses par en avoir le courage.

Ce problème est celui des racines du mal. D’où viennent les crimes de ce soi-disant « État islamique » ? Je vais te le dire, mon ami. Et cela ne va pas te faire plaisir, mais c’est mon devoir de philosophe. Les racines de ce mal qui te vole aujourd’hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre – et il en surgira autant d’autres monstres pires encore que celui-ci tant que tu tarderas à admettre ta maladie, pour attaquer enfin cette racine du mal !

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Même les intellectuels occidentaux ont de la difficulté à le voir : pour la plupart ils ont tellement oublié ce qu’est la puissance de la religion – en bien et en mal, sur la vie et sur la mort – qu’ils me disent « Non le problème du monde musulman n’est pas l’islam, pas la religion, mais la politique, l’histoire, l’économie, etc. ». Ils ne se souviennent plus du tout que la religion peut être le cœur de réacteur d’une civilisation humaine ! Et que l’avenir de l’humanité passera demain non pas seulement par la résolution de la crise financière mais de façon bien plus essentielle par la résolution de la crise spirituelle sans précédent que traverse notre humanité tout entière ! Saurons-nous tous nous rassembler, à l’échelle de la planète, pour affronter ce défi fondamental ? La nature spirituelle de l’homme a horreur du vide, et si elle ne trouve rien de nouveau pour le remplir elle le fera demain avec des religions toujours plus inadaptées au présent – et qui comme l’islam actuellement se mettront alors à produire des monstres.

Je vois en toi, ô monde musulman, des forces immenses prêtes à se lever pour contribuer à cet effort mondial de trouver une vie spirituelle pour le XXIème siècle ! Malgré la gravité de ta maladie, il y a en toi une multitude extraordinaire de femmes et d’hommes qui sont prêts à réformer l’islam, à réinventer son génie au-delà de ses formes historiques et à participer ainsi au renouvellement complet du rapport que l’humanité entretenait jusque là avec ses dieux ! C’est à tous ceux-là, musulmans et non musulmans qui rêvent ensemble de révolution spirituelle, que je me suis adressé dans mes ouvrages ! Pour leur donner, avec mes mots de philosophe, confiance en ce qu’entrevoit leur espérance !

Mais ces musulmanes et ces musulmans qui regardent vers l’avenir ne sont pas encore assez nombreux ni leur parole assez puissante. Tous ceux là, dont je salue la lucidité et le courage, ont parfaitement vu que c’est l’état général de maladie profonde du monde musulman qui explique la naissance des monstres terroristes aux noms de Al Qaida, Al Nostra, AQMI ou « État Islamique ». Ils ont bien compris que ce ne sont là que les symptômes les plus visibles sur un immense corps malade, dont les maladies chroniques sont les suivantes : impuissance à instituer des démocraties durables dans lesquelles est reconnue comme droit moral et politique la liberté de conscience vis-à-vis des dogmes de la religion ; difficultés chroniques à améliorer la condition des femmes dans le sens de l’égalité, de la responsabilité et de la liberté ; impuissance à séparer suffisamment le pouvoir politique de son contrôle par l’autorité de la religion ; incapacité à instituer un respect, une tolérance et une véritable reconnaissance du pluralisme religieux et des minorités religieuses.

Tout cela serait-il donc la faute de l’Occident ? Combien de temps précieux vas-tu perdre encore, ô cher monde musulman, avec cette accusation stupide à laquelle toi-même tu ne crois plus, et derrière laquelle tu te caches pour continuer à te mentir à toi-même ?

Depuis le XVIIIe siècle en particulier, il est temps de te l’avouer, tu as été incapable de répondre au défi de l’Occident. Soit tu t’es réfugié de façon infantile et mortifère dans le passé, avec la régression obscurantiste du wahhabisme qui continue de faire des ravages presque partout à l’intérieur de tes frontières – un wahhabisme que tu répands à partir de tes lieux saints de l’Arabie Saoudite comme un cancer qui partirait de ton cœur lui-même ! Soit tu as suivi le pire de cet Occident, en produisant comme lui des nationalismes et un modernisme qui est une caricature de modernité – je veux parler notamment de ce développement technologique sans cohérence avec leur archaïsme religieux qui fait de tes « élites » richissimes du Golfe seulement des victimes consentantes de la maladie mondiale qu’est le culte du dieu argent.

Qu’as-tu d’admirable aujourd’hui, mon ami ? Qu’est-ce qui en toi reste digne de susciter le respect des autres peuples et civilisations de la Terre ? Où sont tes sages, et as-tu encore une sagesse à proposer au monde ? Où sont tes grands hommes ? Qui sont tes Mandela, qui sont tes Gandhi, qui sont tes Aung San Suu Kyi ? Où sont tes grands penseurs dont les livres devraient être lus dans le monde entier comme au temps où les mathématiciens et les philosophes arabes ou persans faisaient référence de l’Inde à l’Espagne ? En réalité tu es devenu si faible derrière la certitude que tu affiches

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toujours au sujet de toi-même… Tu ne sais plus du tout qui tu es ni où tu veux aller, et cela te rend aussi malheureux qu’agressif… Tu t’obstines à ne pas écouter ceux qui t’appellent à changer en te libérant enfin de la domination que tu as offerte à la religion sur la vie toute entière.

Tu as choisi de considérer que Mohammed était prophète et roi. Tu as choisi de définir l’islam comme religion politique, sociale, morale, devant régner comme un tyran aussi bien sur l’État que sur la vie civile, aussi bien dans la rue et dans la maison qu’à l’intérieur même de chaque conscience. Tu as choisi de croire et d’imposer que l’islam veut dire soumission alors que le Coran lui-même proclame qu’« Il n’y a pas de contrainte en religion » (La ikraha fi Dîn). Tu as fait de son Appel à la liberté l’empire de la contrainte ! Comment une civilisation peut-elle trahir à ce point son propre texte sacré ?

De nombreuses voix que tu ne veux pas entendre s’élèvent aujourd’hui dans la Oumma pour dénoncer ce tabou d’une religion autoritaire et indiscutable… Au point que trop de croyants ont tellement intériorisé une culture de la soumission à la tradition et aux « maîtres de religion » (imams, muftis, shouyoukhs, etc.) qu’ils ne comprennent même pas qu’on leur parle de liberté spirituelle, ni qu’on leur parle de choix personnel vis-à-vis des « piliers » de l’islam. Tout cela constitue pour eux une « ligne rouge » si sacrée qu’ils n’osent pas donner à leur propre conscience le droit de le remette en question ! Et il y a tant de familles où cette confusion entre spiritualité et servitude est incrustée dans les esprits dès le plus jeune âge, et où l’éducation spirituelle est d’une telle pauvreté que tout ce qui concerne la religion reste quelque chose qui ne se discute pas !

Or cela de toute évidence n’est pas imposé par le terrorisme de quelques troupes de fous fanatiques embarqués par l’État islamique. Non ce problème là est infiniment plus profond ! Mais qui veut l’entendre ? Silence là-dessus dans le monde musulman, et dans les médias occidentaux on n’entend plus que tous ces spécialistes du terrorisme qui aggravent jour après jour la myopie générale ! Il ne faut donc pas que tu t’illusionnes, ô mon ami, en faisant croire que quand on en aura fini avec le terrorisme islamiste l’islam aura réglé ses problèmes ! Car tout ce que je viens d’évoquer – une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive – est trop souvent l’islam ordinaire, l’islam quotidien, qui souffre et fait souffrir trop de consciences, l’islam du passé dépassé, l’islam déformé par tous ceux qui l’instrumentalisent politiquement, l’islam qui finit encore et toujours par étouffer les Printemps arabes et la voix de toutes ses jeunesses qui demandent autre chose. Quand donc vas-tu faire enfin cette révolution qui dans les sociétés et les consciences fera rimer définitivement spiritualité et liberté ?

Bien sûr dans ton immense territoire il y a des îlots de liberté spirituelle : des familles qui transmettent un islam de tolérance, de choix personnel, d’approfondissement spirituel ; des lieux où l’islam donne encore le meilleur de lui-même, une culture du partage, de l’honneur, de la recherche du savoir, et une spiritualité en quête de ce lieu sacré où l’être humain et la réalité ultime qu’on appelle Allâh se rencontrent. Il y a en Terre d’islam, et partout dans les communautés musulmanes du monde, des consciences fortes et libres. Mais elles restent condamnées à vivre leur liberté sans reconnaissance d’un véritable droit, à leurs risques et périls face au contrôle communautaire ou même parfois face à la police religieuse. Jamais pour l’instant le droit de dire « Je choisis mon islam », « J’ai mon propre rapport à l’islam » n’a été reconnu par « l’islam officiel » des dignitaires. Ceux-là au contraire s’acharnent à imposer que « La doctrine de l’islam est unique » et que « L’obéissance aux piliers de l’islam est la seule voie droite » (sirâtou-l-moustaqîm).

Ce refus du droit à la liberté vis-à-vis de la religion est l’une de ces racines du mal dont tu souffres, ô mon cher monde musulman, l’un de ces ventres obscurs où grandissent les monstres que tu fais bondir depuis quelques années au visage effrayé du monde entier. Car cette religion de fer impose à tes sociétés tout entières une violence insoutenable. Elle enferme toujours trop de tes filles et tous tes fils dans la cage d’un Bien et d’un Mal, d’un licite (halâl) et d’un illicite (harâm) que personne ne choisit mais que tout le monde subit. Elle emprisonne les volontés, elle conditionne les

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esprits, elle empêche ou entrave tout choix de vie personnel. Dans trop de tes contrées tu associes encore la religion et la violence – contre les femmes, les « mauvais croyants », les minorités chrétiennes ou autres, les penseurs et les esprits libres, les rebelles – de sorte que cette religion et cette violence finissent par se confondre, chez les plus déséquilibrés et les plus fragiles de tes fils, dans la monstruosité du jihad !

Alors ne fais plus semblant de t’étonner, je t’en prie, que des démons tels que le soi-disant État islamique t’aient pris ton visage ! Les monstres et les démons ne volent que les visages qui sont déjà déformés par trop de grimaces ! Et si tu veux savoir comment ne plus enfanter de tels monstres, je vais te le dire. C’est simple et très difficile à la fois. Il faut que tu commences par réformer toute l’éducation que tu donnes à tes enfants, dans chacune de tes écoles, chacun de tes lieux de savoir et de pouvoir. Que tu les réformes pour les diriger selon des principes universels (même si tu n’es pas le seul à les transgresser ou à persister dans leur ignorance) : la liberté de conscience, la démocratie, la tolérance et le droit de cité pour toute la diversité des visions du monde et des croyances, l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes de toute tutelle masculine, la réflexion et la culture critique du religieux dans les universités, la littérature, les médias. Tu ne peux plus reculer, tu ne peux plus faire moins que tout cela ! C’est le seul moyen pour toi de ne plus enfanter de tels monstres, et si tu ne le fais pas tu seras bientôt dévasté par leur puissance de destruction.

Cher monde musulman… Je ne suis qu’un philosophe, et comme d’habitude certains diront que le philosophe est un hérétique. Je ne cherche pourtant qu’à faire resplendir à nouveau la lumière – c’est le nom que tu m’as donné qui me le commande, Abdennour, « Serviteur de la Lumière ». Je n’aurais pas été si sévère dans cette lettre si je ne croyais pas en toi. Comme on dit en français, « Qui aime bien châtie bien ». Et au contraire tous ceux qui aujourd’hui ne sont pas assez sévères avec toi – qui veulent faire de toi une victime – tous ceux-là en réalité ne te rendent pas service ! Je crois en toi, je crois en ta contribution à faire demain de notre planète un univers à la fois plus humain et plus spirituel !

Salâm, que la paix soit sur toi.

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NON À L’USURPATION DE LA LAÏCITÉ PAR HENRI PENA-RUIZ PHILOSOPHE ET ÉCRIVAIN, AUTEUR DU DICTIONNAIRE AMOUREUX DE LA LAÏCITÉ (PLON) (extrait d'un débat dans le journal l'Humanité)

La critique de l’islamisme politique et de ses crimes est juste, et nécessaire. Mais pas au nom d’un christianisme absous de ses violences millénaires par une mémoire sélective. Amnésique, l’extrême droite se situe dans la logique du choc des civilisations chère à Samuel Huntington. Elle affirme que les principes émancipateurs consignés dans le triptyque républicain seraient issus d’une tradition religieuse propre à l’Occident, alors qu’ils y ont été conquis dans le sang et les larmes, à rebours d’oppressions sacralisées par le christianisme institutionnel.

Faire dériver les trois principes de liberté, d’égalité et de fraternité du transfert aux autorités séculières de valeurs religieuses est une contrevérité. Pendant près de quinze siècles de domination temporelle, et pas seulement spirituelle, de l’Église catholique en Occident, jamais le christianisme institutionnalisé n’a promu les trois valeurs en question. Il les a bien plutôt bafouées. Ces valeurs, à l’inverse, sont nées d’une résistance à l’oppression théologico-politique. Qu’on en juge.

Liberté ? Le droit canon de l’Église n’a jamais fait figurer la liberté de conscience (être athée, pouvoir apostasier une religion, en changer, etc.) dans ses principes essentiels. Tout au contraire. La répression des hérétiques (les cathares, par exemple), des autres religions (protestante, juive, puis musulmane), de la science (Giordano Bruno, Galilée), de la culture (l’index des livres interdits supprimé seulement en 1962) ne procède pas d’une philosophie de la liberté mais d’une théologie de la contrainte. En 1864, un syllabus de Pie IX (encyclique Quanta cura) jette encore l’anathème sur la liberté de conscience.

Égalité ? L’Église a toujours considéré que l’inégalité était inscrite dans l’ordre des choses et voulue par Dieu. Elle a entériné et sacralisé le servage de l’ordre féodal, la monarchie absolue dite de droit divin, et même, avec le pape Léon XIII à la fin du XIXe siècle, la domination capitaliste. La répression des jacqueries paysannes se fit le plus souvent avec sa bénédiction. La seule égalité qu’elle a affirmée est celle des hommes prisonniers de leur finitude et de leur tendance au péché, et jamais elle n’en a fait la matrice d’une émancipation sociale ou politique. Ceux qui le tentèrent furent réprimés. La théologie de la libération, en Amérique latine, fut condamnée par Jean-Paul II. La collusion de l’ordre social et de la religion fut représentée par les soldats du Christ d’une noblesse peu soucieuse de ses serfs, à l’époque des croisades. Lors de l’affaire Dreyfus, l’Église n’a pas brillé dans la défense de la liberté et de l’égalité, et n’a guère mis en garde contre l’abjection de l’antisémitisme.

Fraternité ? Si en principe les hommes sont frères comme fils du Dieu chrétien, ils ne le sont que dans la soumission et non dans l’accomplissement, toujours stigmatisé comme « péché d’orgueil ». La transposition de la fraternité issue de la condition commune des êtres humains en tant qu’êtres mortels en fraternité sociale et politique est l’invention d’un concept tout nouveau. Elle doit bien plus au droit romain d’une humanitas que Cicéron tenait pour source de la République, qu’au décalque d’une fraternité de finitude.

La réécriture cléricale de l’histoire visant à faire d’une tradition religieuse particulière la source des principes universels de l’émancipation est devenue courante, malgré son évidente fausseté. Elle consiste à nier les apports du droit naturel (jusnaturalisme souligné par les historiens du droit) issu de l’Antiquité gréco-latine. Mais, surtout, elle fait l’impasse sur les luttes et les souffrances qui furent les vrais leviers de l’émancipation, en dessinant les idéaux qui, en creux, dénonçaient les oppressions.

(...)

Le processus de laïcisation, qui obligea le catholicisme à renoncer à sa domination multiforme sur la société, n’est pas réservé à une seule religion. Il peut concerner l’islam et le conduire à rejeter toute violence perpétrée en son nom. Nombre de ses fidèles prennent leurs distances avec l’intégrisme, dont ils sont souvent les premières victimes. Ils accomplissent ainsi le même geste critique que les chrétiens qui ont condamné les bûchers de l’Inquisition et vivent leur foi sans l’imposer aux autres. Il faut cesser d’essentialiser des données historiques. La culture, en son sens émancipateur, ce n’est pas la soumission à la tradition mais le courage de s’en affranchir.

48 Le mal au nom de Dieu

FOC US

L' Apocalypse de Jean fut rédigée après la chute de Jérusalem dans un contexte d'inquiétude pour les chrétiens. Détail d'une miniature représentant la Bête à sept têtes et le dragon. Début du XII/" siecle.

Petite approche comparative de l'Apocalypse

L e judaïsme, le christianisme et l'islam sont mus par la fin des temps, terme du chemin

du croyant, barrière de péage vers la vie éternelle, et dénouement du feuilleton plurimillénaire qu'est la recherche de la Vérité. Des enjeux colossaux face auxquels les religions guident le croyant dans son attente du libérateur, transformant la fin des temps en dynamique spirituelle. «Apocalypse» est la transcription du mot grec signifiant «révélation». Cette notion couvre la totalité du dévoilement de Dieu aux hommes jusqu'à leur union dans la vie éternelle: signes d'annonce, acteurs et étapes. Les apocalypses donnent une version imagée de l'eschatologie - la fin des temps - d'une religion. C'est au judaïsme que l'on doit l'invention du genre littéraire, mais le terme s'est imposé avec l'Apocalypse de saint Jean. Les apocalypses juives et chrétiennes sont des pseudépigraphes, c'est-à-dire qu'elles ont été écrites bien après la mort de leur auteur respectif Esdras

ou saint Jean, mais placées sous leur autorité. Apparaissant en période de crise, elles donnent une dimension mystique aux souffrances, rassurent sur un avenir angoissant et créent une mobilisation par leur encouragement à faire de bons choix. Les religions abrahamiques partagent l'idée d'un libérateur. La bataille finale entre le Bien et le Mal, la résurrection des morts, le jugement dernier et la vie éternelle participent à ce socle commun. Les juifs, les chrétiens et les musulmans s'opposent en revanche sur le mode de révélation, sur certains signes et sur la nature du personnage attendu.

TROIS INTERPRÉTATIONS, UNE CONVICTION Les Livres de Daniel et d'Ezéchiel sont les seuls textes à portée apocalyptique intégrés dans la foi juive. Néanmoins, la tradition en compte d'autres, rédigés sous les noms d'Hénoch, d'Esdras, ou de Baruch. Dans l'apocalypse juive, la fin des temps est précédée d'une ère de souffrance mondiale et du

combat des peuples de Gog et Magog, qui incarnent le mal, contre les Justes, dans laquelle Dieu sauve Israël en envoyant le Messie. Peu axée sur la destruction, la révélati judaïque est la renaissance du on peuple élu dans un monde de pai son retour à Jérusalem et la x, reconstruction du Temple. Les chrétiens, eux, espèrent en l'avènement du Christ sur Terre t la venue de son règi:ie dans la vi: éternelle. Dans les Evangiles, Jésus met en garde contre les faux prophètes, annonce la destructio du monde par le péché et exhort n, ' , L d e a s y preparer. e texte e référenc traitant de la fin des temps est e l'Apocalypse de saint Jean, qui fut rédigé après la chute de Jérusalem (70 de notre ère) dans un contexte d'inquiétude pour la communauté chrétienne. Il foisonne de symboles souvent repris et actualisés, comme le chiffre 666 attribué à la Bête. Les signes de la fin des temps décrits dans le Coran et les hadiths sont impressionnants de détails. Nombreux et classés en signes éloignés ou proches, majeurs ou mineurs, on compte parmi eux l'invasion des peuples de Gog et Magog, le lever du soleil à l'ouest les guerres entre musulmans et le retour de Issa (Jésus) sur Terre pour donner le pouvoir au Mahdi, le Sauveur. La Terre est détruite et toute vie est anéantie avant la résurrection et le Jugement dernier. Ces signes sont parfois sources de division, comme entre chiites et sunnites concernant le Mahdi. Preuve de la force du discours apocalyptique, le point de désaccord profond entre juifs, chrétiens et musulmans pouvant mener au conflit armé est précisément celui sur lequel ils se trouvent au parfait unisson: la conviction d'être le groupe désigné sous l'étiquette des «bons» dans la bataille contre le Mal. Catherine Bossard

Le Monde des Religions I rauvicr-fèvncr :Zü l G

VIOLENCE ET RELIGION Le pape François a souligné début septembre que : "la guerre n’est jamais un moyen satisfaisant pour réparer les injustices". …« La guerre entraîne, dit-il, les peuples dans une spirale de violence qui s’avère difficile à contrôler par la suite ; elle démolit ce que des générations ont pris peine à construire et prépare la route à des injustices et à des conflits qui sont encore pires".

Ce faisant notre frère François, dans la tradition évangélique, vise à rompre avec ce que les religions portent en elles de haine de l'autre, de violence et d'atrocité ainsi que l'histoire mondiale, à commencer, hélas, par la chrétienne, nous l'apprend.

Certains textes, dans la Bible, annoncent que Jérusalem deviendra la capitale du monde entier ; tous les peuples viendront y faire allégeance à son Seigneur. Faire de Jérusalem la capitale du monde justifie la violence, d’autant que cette manière de faire a été transposée dans d’autres lieux selon un processus de détermination d’un lieu saint (la Mecque…) ou d’une ville sainte (Rome, Moscou…). Si aujourd’hui Jérusalem reste un centre de conflit, c’est parce qu'on considère cette ville comme un lieu saint. Pire un lieu dont au moins trois traditions se disputent le monopole. Si l'on veut éviter les guerres religieuses ou idéologiques, il faut d'abord refuser l'idée même de lieu saint, quel qu'il soit. L'univers tout entier est empli de l'Esprit de Dieu nous dit aussi la Bible et il n'y a pas de lieu plus sacré qu'un autre. Ce qui est sacré est la vie de mon frère humain quel qu'il soit et donc la pratique de la justice et de l'amour. La violence fréquente que manifestent les religions dans l'histoire de l'humanité vient aussi de la certitude sans faille qu'ont souvent les croyants et leurs autorités d'avoir toujours raison, de posséder seuls la Vérité. Ce qui les mène à exiger d'exercer eux-mêmes le pouvoir politique ou de se subordonner les pouvoirs politiques .Elles utilisent une conception de la révélation divine qui serait en toutes circonstances la leur, absolue et unique. Toute autre pensée, toute autre religion, si elle se distingue de ses conceptions est à rejeter, fut ce par la violence. Pour moi parler de guerre sainte, au nom de n'importe quelle divinité ou croyance, est inhumain. Les institutions religieuses, enfin, demandent souvent à leurs membres une obéissance inconditionnelle. Celle-ci peut sinon contredire l’usage de la raison, du moins l’humilier. L'obéissance à une autorité sacralisée, et par là même contradictoire avec la pensée libre, n'est pas une vertu. Penser librement ce n'est pas émettre une opinion spontanée, impersonnelle et irréfléchie, mais le résultat d'un travail intellectuel et spirituel individuel et collectif. Cette recherche ne peut être féconde que dans la non-violence. Notons que le pape invite toutes les traditions religieuses, je dirais toutes les traditions spirituelles même athées, à apporter dans l’« esprit d’Assise », une contribution à la paix. Et cela signifie que les religions et les convictions doivent débattre, dialoguer et remplacer l'unicité totalitaire par le respect des diversité .Et pour ceux qui croient en une réalité divine prier ensemble dans la diversité même de leurs formes de prières. Jean Riedinger Radio RCF Lorraine Nancy