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Numéro de dossier File-number COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS Conseil de l'Europe – Council of Europe Strasbourg, France REQUÊTE APPLICATION présentée en application de l'Article 34 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, ainsi que des articles 45 et 47 du règlement de la Cour under Article 34 of the European Convention on Human Rights and Rules 45 and 47 of the Rules of Court IMPORTANT : La présente requête est un document juridique et peut affecter vos droits et obligations This application is a formal legal document and may affect your rights and obligations. 1

ECHR : Case Le Ber v. France : application

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ECHR CEDH Case Le Ber v. France (23905/07) Lawyer : Me Laurent CoutelierApplication

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Numéro de dossierFile-number

COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMMEEUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS

Conseil de l'Europe – Council of EuropeStrasbourg, France

REQUÊTEAPPLICATION

présentée en application de l'Article 34 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme,ainsi que des articles 45 et 47 du règlement de la Cour

under Article 34 of the European Convention on Human Rightsand Rules 45 and 47 of the Rules of Court

IMPORTANT : La présente requête est un document juridique et peut affecter vos droits et obligationsThis application is a formal legal document and may affect your rights and obligations.

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I. LES PARTIESTHE PARTIES

A. LE REQUERANT/LA REQUERANTETHE APPLICANT

1. Nom de famille : LE BER née FOURNIER 2. Prénom (s) : Lélia, Hortense Surname First name (s)

Sexe : féminin Sex : female

3. Nationalité : Française 4. Profession : Chef d'entreprise Nationality Occupation

5. Date et lieu de naissance : XXXXX à Porquerolles (Var – France) Date and place of birth

6. Domicile : XXXXX, Ile de Porquerolles, 83400 HYERES (France) Permanent address

7. Tel. N° XXXXX.

8. Nom et prénom du/de la représentant(e) : Maître COUTELIER Laurent Name of representative

9. Profession du/de la représentant(e) : Avocat Occupation of representative

10. Adresse du/de la représentant (e) : 155 Avenue Franklin Roosevelt, 83000 TOULON (France) Address of representative

11. Tel. N° 04.94.46.92.30. Fax N° 04.94.42.24.23.

B. LA HAUTE PARTIE CONTRACTANTETHE HIGHT CONTRACTING PARTY

L'ETAT FRANÇAIS

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II. EXPOSE DES FAITSSTATEMENT OF THE FACTS

En 1912, Monsieur FOURNIER a acheté l'île de Porquerolles.

A cette époque, l'île comptait moins de 50 habitants et se trouvait dans un état de nature originelle, c'est-à-dire dépourvue de tout équipement et donc exposée à tous les dangers inhérents à cet état.

La gestion de Monsieur FOURNIER, puis de ses héritiers, ainsi que des efforts d'investissements systématiques et considérables ont contribué à un équipement de l'île qui a abouti à un accroissement important de la population et en même temps a permis une large ouverture au public (pièces 1 et 2).

Le développement du tourisme sous toutes ses formes et, en particulier, du tourisme balnéaire et nautique a engendré une augmentation considérable de la fréquentation de l'île.

La beauté du site, son caractère unique, a également attiré l'attention de promoteurs et hommes d'affaires désireux de mettre en "valeur" à leur profit l'île de Porquerolles.

Les héritiers FOURNIER, dont la requérante, ont été approchés et avaient entamé des pourparlers avec "le Groupe de Porquerolles" composé à hauteur de 10 % par le CREDIT AGRICOLE afin de céder une part significative de leur propriété.

Cependant, au moment où "le Groupe de Porquerolles" demandait que lui soit consenti une promesse de vente à des conditions financières excellentes pour les Consorts FOURNIER, le Président Georges POMPIDOU, Chef de l’Etat Français, qui venait régulièrement à sa résidence du Fort de BREGANCON et qui connaissait très bien l'île de Porquerolles a souhaité mettre en œuvre une démarche tendant à permettre l'acquisition des terrains par l'Etat.

Il échet de rappeler qu'à l'époque le seul document d'urbanisme applicable à l'île était le règlement national d'urbanisme (pièce 3) qui permettait une large urbanisation de l'île qui aurait pu devenir un lieu de villégiature pour une clientèle particulièrement fortunée.

A l'époque, une option d'achat avait été consentie à l'un des membres du "Groupe de Porquerolles" pour une quantité de 230 hectares au prix de 0,79 € (5,20 FF le m²), soit 1.823.290,25 € (11.960.000,00 FF) (pièce 4).

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Dès cet instant, le rôle de l'administration est devenu plus actif.

En effet, dans cette période émergeaient les balbutiements de l'écologie et l'Etat, dans le cadre de la protection de la nature et de l'environnement nouvellement mise en œuvre, a souhaité maintenir l'île de Porquerolles dans l'état où l'avait conservé la famille FOURNIER (conf. Discours de CHICAGO du Président POMPIDOU) (pièce 5).

C'est dans ce contexte que le 29 Octobre 1969, Madame LE BER a reçu de Monsieur Jérôme MONOD, spécialement mandaté par le Ministre délégué chargé du plan et de l'aménagement du territoire, une lettre (pièce 1) dans les termes suivants :

"Au moment où la politique d'aménagement du territoire fait une place croissante à la protection de la nature et à la sauvegarde de "l'environnement" de l'homme et où l'opinion publique se montre de plus en plus sensible à cette indispensable action, l'attention des pouvoirs publics se porte notamment sur l'île de Porquerolles.

En tant que propriétaire d'une partie de cette île, vous avez su lui conserver ce qui fait aujourd'hui la valeur toute particulière de cet ensemble : maintien de son caractère forestier et rural, large ouverture au public, etc...

Ce capital doit être protégé et c'est dans cet esprit que, réfléchissant de concert avec les différentes administrations intéressées aux perspectives d'avenir de Porquerolles, il nous est apparu souhaitable, eu égard à vos droits et à vos intérêts, que nous entrions sans tarder en rapport…"

Au mois de Février 1970, un Comité Interministériel restreint d'aménagement du territoire a été réuni avec pour objet "Communication sur l'île de Porquerolles" (pièce 4).

La lecture et l'analyse du compte rendu de ce comité est primordiale pour la compréhension de la problématique de l'époque.

Il a été notamment indiqué lors de la réunion de ce comité :

"Dans la politique dite de l'environnement, et notamment de sauvegarde des espaces naturels (I), ainsi que dans celle du tourisme, l'île méditerranéenne de PORQUEROLLES ne peut manquer d'occuper une place privilégiée.

En effet, il existe en France peu de sites présentant un intérêt aussi spécifique, notamment face à une côte en voie d'urbanisation.

Le "problème" PORQUEROLLES – souvent évoqué au cours des dix dernières années – est aujourd'hui concrètement posé, du fait que les 4 principaux propriétaires à 90 % de l'île, cette fois décidés à vendre, sont en pourparler avec un important groupe financier et promoteur...........Le moment est venu de synthétiser les données de base de l'affaire, de préciser les facteurs de changement, de proposer des méthodes et des orientations d'action, compte tenu d'un objectif reconnu...........

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I – DONNEES DE BASE –

I.I. – Partie de la commune et de l'archipel d'Hyères, éloignée du continent d'environ 3,5 kilomètres, PORQUEROLLES, la plus grande des trois "iles d'or", s'étend sur 1.300 hectares (7 km de longueur sur 1,5 km de largeur).

Voisine de l'île de PORT-CROS – qui a été érigée en parc national en 1963 – elle offre, elle-aussi, les plus belles et rares qualités naturelles, encore bien préservées à l'heure actuelle...........Actuellement quatre propriétaires - évaluation approximative des Domaines en Janvier 1970 : 42 millions pour 1.100 hectares.

I.3. – L'appropriation par la famille FOURNIER, s'est avérée bénéfique dans la mesure où leur activité, jusqu'à maintenant essentiellement agricole, a préservé le cadre naturel de l'île, et où leur libéralisme en a permis le libre accès au public.

L'île n'est pas construite, à l'exception de l'ensemble formé par le petit village d'environ 400 habitants groupés derrière le port...........Si bien qu'au moment où ce statu quo arrive à son terme, la sauvegarde du rare site naturel que constitue cette île méditerranéenne et la confirmation de son ouverture au public, se présentent comme un OBJECTIF formulable...........2 – FACTEURS DE CHANGEMENT..........Les propriétaires,.........., s'orientent nettement vers la réalisation de leur capital par la voie de projets touristiques et immobiliers...........La réglementation fait ressortir des droits à construction de l'ordre de 300 logements en zone d'habitation et une simple faculté d'édifier environ 650 logements en zone forestière...........Par contre, depuis quelques mois, se dégagent de nouvelles et plus concrètes perspectives d'aménagement, dues à l'initiative de MM. BLITZ et TRIGANO (agissant à titre personnel semble-t-il) et un important groupe financier serait disposé à de larges (sinon totales) acquisitions foncières dans l'île : il s'agit du groupe EMPAIN, agissant avec la Banque de l'Union Européenne en liaison avec la Société pour le Développement du Tourisme (SODETO) et une participation du CREDIT AGRICOLE.

3 – METHODES ET ORIENTATIONS D'ACTION

3.I. – Ce qui vient d'être dit permet de ne pas retenir longtemps l'hypothèse de l'application pure et simple du plan du Groupement d'Urbanisme des Maures, sans autre intervention de la puissance publique.

S'il n'accorde que des droits de construire limité, ce plan ouvre deux risques principaux, dès lors que les intentions de construire se manifestent effectivement:

- utilisation "émiettée" des droits de construire, c'est-à-dire sans plan d'utilisation d'ensemble mis au point préalablement avec les 4 Consorts FOURNIER ou leurs ayants droits ;

- hausse rapide et voyante du prix des terrains, et "privatisation" effective de l'accès et de l'usage de l'île jusqu'ici très ouverte au public.

Un tel processus conduirait à faire de PORQUEROLLES un site exclusivement réservé à des personnes très fortunées. Certes, cette situation se rencontre ailleurs, mais s'agissant d'un site assez célèbre et jusqu'ici fréquenté par le public, ce changement ne passerait pas inaperçu et susciterait probablement des réactions.

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Certains remous avaient déjà été provoqués l'été dernier par la mise aux enchères (à partir de 120.000 FF) des 2 hectares de l'îlet domanial du Petit Langoustier ; de concert entre la DATAR, les Armées et les Finances...........3.2. – Plus satisfaisante serait une négociation tripartite propriétaires, promoteur, Etat visant à définir et à réaliser un plan global de promotion touristique pour PORQUEROLLES ; d'autant que s'est manifesté un groupe promoteur et qu'existent des procédures juridiques appropriées, essentiellement celle dite des zones d'aménagement concerté et celle de l'Article 19 de la Loi d'orientation foncière qui lie l'autorisation de construire sur un dixième d'une superficie d'espaces verts à la rétrocession des parties non construites à la collectivité (ce qui répondrait au souci de l'ouverture)...........3.3 – On peut ainsi se demander s'il ne conviendrait pas de rechercher l'achat délibéré de PORQUEROLLES par l'Etat...........3.4. – Position des différents Ministères

Equipement : réf. Lettre du 26 Novembre 1969. Favorable à l'orientation 3.2 l'insuffisance des crédits dont dispose l'Etat pour ce genre d'opération ne permettant pas de retenir l'hypothèse de l'acquisition, il est proposé de choisir la solution combinant aménagement privé et intervention de la puissance "publique"...solution mixte permettant à la puissance publique d'engager le dialogue avec les 4 propriétaires concernés sans pour autant que par la suite, le budget de l'Etat soit trop lourdement grevé par cette opération.

Agriculture : réf. Lettre du 29 Octobre 1969. Il paraît certain qu'à terme la conservation des sites, paysages et richesses naturelles de l'île, ne pourra être assurée que si la collectivité, et particulièrement l'Etat, devient propriétaire des fonds à préserver".

Affaires culturelles (sites) : réf. Lettre du 21 Janvier 1970. IL est indispensable de préserver le patrimoine naturel de l'île, d'assurer sa tranquillité et de maintenir largement ouvert au public cet espace exceptionnellement privilégié...........3.5. – Finalement, assurer la sauvegarde et confirmer l'ouverture au public de cet île méditerranéenne constitue un objectif largement reconnu.

En toute hypothèse, sa poursuite impliquera un certain "aménagement" de PORQUEROLLES...........qu'il y aura toujours, à un moment ou à un autre, concertation entre divers éléments publics et privés.

La volonté pressante des propriétaires de vendre est l'élément extérieur déterminant.

L'existence d'un important groupe promoteur (valable) en est un autre.

Dans ces conditions, on peut estimer :..........- Une procédure de classement, outre sa lourdeur et son aspect quelque peu "stérilisant", serait également génératrice d'indemnisation, et n'assurerait pas automatiquement l'ouverture de l'île."Une expropriation nécessiterait une juste définition de "l'utilité "publique", et les indemnités fixées par le juge sont fréquemment supérieures aux évaluations des Domaines (42 millions dans le cas présent).L'acquisition à l'amiable paraît la bonne voie, avec des propositions réalistes, reconnaissant en outre l'action jusqu'à maintenant préservatrice de l'appropriation FOURNIER et le libéralisme dont cette famille a fait preuve en permettant le libre accès à PORQUEROLLES.

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CONCLUSION

En conséquence, il est demandé au Comité de bien vouloir :

a) approuver l'objectif : protection et entretien du cadre naturel, confirmation de l'ouverture de l'île (tourisme nautique et terrestre) ;

b) fixer, dans le domaine des moyens, l'enveloppe des crédits reconnus mobilisables dans la perspective d'un achat de l'île ;

Un niveau réaliste serait de l'ordre de 40 à 45 millions sur trois ans (des plus récents contacts avec les propriétaires, ressort la demande d'un premier acompte de 50 % et d'un solde indexé...)..........Sur les terrains RICHET, M. BLITZ aurait une option (valable jusqu'en Juillet 1971) avec une offre de 4 millions pour 1/3 non localisé du lot de 230 hectares- soit un prix moyen au mètre carré un peu supérieur à 5 francs...........En conclusion, il ressort des droits à construction de l'ordre de 300 logements autour du port et une simple faculté de construction, de l'ordre de 650 logements, en zone forestière. (I logement = 100 mètres carrés = 4 lits)...........

Pour apporter la preuve d'une possibilité d'entente entre eux, les quatre principaux propriétaires ont adopté et déposé à la Direction de l'Equipement du Var en Mars 1968, un plan d'aménagement dit ARAGON-DELALANDE se caractérisant par la construction d'environ 1800-1900 logements sur 300 hectares, en quatre principaux groupements, avec une dominante agricole sur le Brégançonnet, un centre hippique sur 12 ha dans la plaine du village, un parc des sports sur 25 ha dans la plaine de la Courtade et un golf sur 40 ha dans la plaine Notre-Dame...........L'intervention de l'Etat pour faire baisser les seuils de constructibilité impliquerait d'une façon ou d'une autre une participation de financement, notamment pour achat de terrains...........ANNEXE F

- Achat de l'île par l'Etat"

Il apparaît en résumé que l'Etat voulait acquérir les terrains mais n'en avait pas les moyens financiers, même en prenant pour base les évaluations des Domaines dont l'Etat lui-même admet qu'elles sont fréquemment dépassées par les Juges.

L'Etat admettait également que l'acquisition contre la volonté des propriétaires ne pouvait se réaliser que dans le cadre d'une expropriation qui nécessiterait une juste définition de l'utilité publique et le paiement d'indemnités nécessairement supérieures aux 42 millions de francs (6.402.858,72 €) correspondant à l'estimation des Domaines.

Enfin, le classement de l'île, outre sa lourdeur, serait génératrice d'indemnisation et n'assurerait pas l'ouverture de l'île au public (pièce 4 – page 8).

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La seule voie possible s'ouvrant à l'Etat consistait à convaincre les Consorts FOURNIER d'accepter de céder une partie de leurs biens à un prix très largement inférieur à l'évaluation des domaines, à charge bien évidemment d'offrir en contrepartie une garantie quant à la valeur des terrains conservés.

Dans le cadre de cette démarche, Madame LE BER a reçu le 4 Mars 1970 une lettre de Monsieur BETTENCOURT, Ministre chargé du plan et de l'aménagement du Territoire, confirmant qu'une négociation pourrait s'ouvrir sur les bases de la 1ère

approximation (c'est-à-dire 42 millions pour l'ensemble) et que cette négociation serait l'occasion d'examiner notamment le maintien des résidences familiales (pièce 6).

L'Etat, lors de ces négociations, s'est employé à démontrer à Madame LE BER quel était l'intérêt de traiter avec lui en insistant sur le fait que s'il ne pouvait rivaliser avec les prix offerts par les acquéreurs privés, ni même offrir une valeur correspondant aux évaluations des domaines, il était en revanche possible de garantir la valeur de la part de propriété non vendue en figeant et garantissant les droits à bâtir.

L'Etat a su également persuader Madame LE BER que les terrains acquis par lui seraient conservés à l'état de nature originelle ou d'exploitation agricole, évitant ainsi une urbanisation à outrance de l'île (pièce 2).

C'est ainsi que le 17 Décembre 1970, une promesse de vente a été consentie par Madame LE BER (pièce 7).

Dans cet acte, il est stipulé que Madame LE BER cède 164 ha 40a 38ca pour le prix de 838.469,59 € (5.500.000,00 FF), soit 0,511 € / m², payable moitié dans les trois mois de la signature de l'acte et moitié le 31 Mars 1972.

Il échet de constater que le prix de 0,511 € / m² est inférieur aux modes de calcul les plus bas de la valeur du terrain, tel qu'il ressortait des annexes B et C de la Communication sur l'Ile de Porquerolles établie par le Comité Interministériel restreint d'Aménagement du Territoire (pièce 4 – pages 11 et 12).

Il était également prévu que Madame LE BER cède certains droits à construire à l'Etat sans que cette cession ait cependant pour effet de conférer à l'Etat la possibilité de construire sur les terrains cédés mais afin de figer les droits résiduels de construire sur les parcelles restant lui appartenir.

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Le 18 Janvier 1971 un rapport (pièce 29 – pages 10, 11, 12 et 17) a été établi par Messieurs LEFEVRE et PHILIPPE, pour le compte de l'Etat français, dans lequel il est notamment écrit :

"Si l'on prend comme base d'évaluation la valeur agricole et celle des droits de construire relevant du Groupement d'Urbanisme des Maures, on parvient à un total théorique se situant entre 50 et 60 millions ; la première phase de négociations a confirmé que c'est une somme de cet ordre qui représentait l'objectif des héritiers Fournier.

Il n'était évidemment pas question de traiter à ce prix : dès le départ, le Gouvernement avait exprimé le souhait que le prix d'acquisition de l'île se situe à l'intérieur d'une fourchette de 30 à 40 millions de francs. Ces chiffres découlaient de l'estimation du Service des Domaines qui concluait à une valeur globale de 44.000.000 F pour l'ensemble des biens appartenant aux consorts Fournier situés en dehors du périmètre d'agglomération et ne constituant pas leur habitation personnelle.…a) Limitation du droit de construire :…Sur le plan de la règlementation urbanistique, le règlement d'urbanisme des Maures et l'interprétation qui en est donnée par les services du Ministère de l'Equipement et du Logement permettent de considérer qu'on peut construire sur l'ensemble de l'île environ 1.500 logements de 100 m², soit en moyenne un peu plus d'un logement par hectare.

Il importait donc de limiter ce droit de construire sur les parcelles à un chiffre exprimé en mètres carrés très inférieur permettant seulement la satisfaction des besoins des familles des propriétaires actuels appréciés de manière relativement libérale. Mais il fallait aussi que ce chiffre soit exprimé ne variatur et qu'il ne puisse être affecté en aucune manière par les vicissitudes du Groupement d'urbanisme des Maures qui comprend, en particulier, les communes d'Hyères, du Lavandou, de Sainte Maxiem et de Saint Tropez.…Mme LE BER qui demandait 7.500.000 F au départ désire conserver 59ha 38a 98ca, et à développer son exploitation agricole. Elle est disposée à céder à l'Etat 164ha 40a 38ca ainsi que 4.800 m² de droit de construire sur les 6.000 m² correspondants aux biens conservés moyennant le prix de 5.500.000 F, à condition de pouvoir en outre agrandir son hôtel et entreprendre la réalisation d'une institution en faveur des inadaptés.

L'estimation domaniale portant sur les terrains est de.................5.900.000 F

à laquelle il faut ajouter la valeur du droit de construire que l'on peut arbitrer sur la base minimale de 200 F par m², soit 4.800 X 200.....960.000 F

6.860.000 F"

Le 20 Janvier 1971, le délégué à la DATAR a adressé à Madame LE BER une lettre rendant hommage à l'action persévérante de la famille FOURNIER ainsi qu'à la compréhension dont elle avait fait preuve (pièce 2).

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Le 22 Janvier 1971, la Direction Générale des Services Fiscaux a signifié à Madame LE BER la levée d'option de la promesse de vente du 17 Décembre 1970 et a précisé que l'opération serait constatée par la passation d'un acte administratif devant le Préfet du Var.

Le 19 Février 1971, le Ministre de l'Economie et des Finances a décidé l'acquisition des biens de la famille FOURNIER (pièce 8).

Madame LE BER a vu proposer à sa signature un document établi par le Préfet du Var lui-même, agissant en qualité de rédacteur d'acte de cession, Madame LE BER se trouvant ainsi privée de l'intervention d'un Notaire, Officier Ministériel indépendant, garant de l'équilibre des intérêts en présence.

Le 4 Mai 1971, le Préfet du Var, agissant en tant que rédacteur d'acte a établi l'acte de cession de 164ha 40a 38ca (pièce 9).

Cet acte, outre la cession des parcelles, comporte également la cession d'une partie des droits à construire attachés aux parcelles conservées par la venderesse et stipule :

"Celle-ci (la venderesse) aura la faculté de construire sur lesdites parcelles :

A – Les bâtiments nécessaires à l'extension de l'hôtel et du restaurant dénommés "MAS DU LANGOUSTIER" dans la limite du doublement des superficies développée existantes actuellement.

B – Des bâtiments à usage d'habitation d'une superficie de 1200 mètres carrés. Cette superficie est exprimée en mètres carrés de plancher développée hors œuvre au sens de l'Article 20 du Décret N°70-1016 du 28 Octobre 1970 relatif aux plans d'occupation des sols. Il est précisé en ce qui concerne les bâtiments à usage agricole que leur importance devra rester en rapport avec les seuls besoins que l'exploitation agricole de la venderesse sur l'île.

C – Des bâtiments nécessaires à la réalisation d'un établissement ayant vocation pour accueillir des personnes handicapée, dans l'hypothèse où elle serait entreprise. Dans ce cas, et pour ces bâtiments, il ne serait pas tenu compte de la limite de 1200 mètres carrés fixée ci-dessus au paragraphe B".

Dans l'esprit des parties, il ne faisait alors aucun doute que le laps de phrase "aura la faculté de" consacrait les droits à bâtir résiduels dont bénéficiait Madame LE BER qui avait la croyance légitime que les droits de construire figés dans l’acte de vente lui étaient garantis par l’Etat.

Les droits à construire de Madame LE BER consacrés dans cet acte passé avec l'Etat ont d’ailleurs été inscrits dans tous les documents d'urbanisme jusqu'au mois d'Août 1979 (pièce 10).

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Bien que bénéficiant de très larges droits de construire (même s'ils étaient figés par l'acte du 4 Mai 1971), Madame LE BER, toujours respectueuse de la préservation de l'île, ne s'est pas empressée de déposer, dès l'acte signé, de multiples demandes de permis, rassurée par l'acte et cette "faculté de construire" qui y était expressément définie.

En effet, compte tenu des engagements pris par l'Etat, Madame LE BER ne pouvait imaginer que les accords pris entre les parties ne soient pas honorés.

Cependant, Madame LE BER eut la stupeur de constater que sur une demande de permis concernant "LE MAS DU LANGOUSTIER", présentée le 22 Août 1977, l'Etat lui opposait une décision de refus (pièces 12 et 13).

Le rapport de présentation du plan d'occupation des sols de la Commune de Hyères (pièce 10) mentionnait :

"Grands évènements récents

Le rachat d'une partie importante de l'île par le domaine privé de l'Etat est à l'origine d'un problème foncier important de par la nature même des conditions d'acquisition.

Les conditions d'achat prévoyaient en effet l'abandon de droits à construire sur les terrains restant aux vendeurs. L'application des accords passés étant lourde de conséquences pour l'équilibre naturel et humain de l'île de Porquerolles".

Le plan d'occupation des sols (pièce 31) n'a quant à lui tenu aucun compte des engagements qui avaient été pris par l'Etat, alors même que le Préfet disposait d'un pouvoir d'intervention pour que soient intégrés dans ce document les engagements pris par l'Etat français.

Madame LE BER avait pourtant pris le soin d'adresser un courrier le 11 Septembre 1984 (pièce 11) au Commissaire enquêteur, dans lequel elle rappelait les engagements pris à son égard.

Le plan d'occupation des sols, publié le 30 Septembre 1982, a définitivement mis à néant les engagements pris par l'Etat à l'égard de Madame LE BER.

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Suite au rejet de la demande de permis de construire, Madame LE BER a saisi Monsieur le Préfet du Var de demandes tendant à voir juger que ses droits à construire avaient été garantis par l'acte et à défaut à se voir allouer une indemnité de 853.714,50 € (5.600.000,00 FF) (pièce 14).

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Par Jugement du 8 Juin 1983, le Tribunal Administratif de Nice, se reconnaissait compétent, a rejeté les demandes de Madame LE BER tant en ce qui concerne la reconnaissance des droits à construire qu'en ce qui concerne l'indemnisation du fait de la méconnaissance par l'Etat de ses obligations (pièce 15).

Madame LE BER a formé un recours contre cette décision devant le Conseil d'Etat.

Le Conseil d'Etat, dans un Arrêt du 10 Mars 1989 (pièce 16), a jugé :

d'une part, que le silence gardé par le Préfet à la suite de la demande de Madame LE BER tendant à voir reconnaître ses droits à construire ne constituait pas un acte faisant grief et donc n'était pas susceptible de recours,

d'autre part, que le contrat n'avait pas pour effet de confier à Madame LE BER l'exécution d'un service public et que, dès lors, les tribunaux judiciaires étaient seuls compétents pour connaître de la demande en tant qu'elle était fondée sur la méconnaissance par l'Etat des obligations qui seraient nées dudit contrat,

que le Tribunal Administratif était incompétent pour connaître du problème du manquement par le Préfet à son devoir de conseil, seuls les tribunaux judiciaires étant compétents pour connaître des trois causes juridiques de demande de Madame LE BER.

Cet Arrêt du Conseil d'Etat figure dans le Jurisclasseur Administratif (pièce 17) avec l'analyse suivante :

"Une administrée avait procédé à une cession gratuite et renoncé à de nombreux droits contre l'assurance de pouvoir construire sur la partie conservée des terrains. Cette assurance a été jugée sans fondement, des droits acquis ne pouvant résulter que d'un certificat d'urbanisme ou d'un permis de construire (CE, 10 Mars 1989, M. FOURNIER, Rec. CE. Table p.776). En cette affaire, le Conseil d'Etat a renvoyé au Juge Judiciaire le soin d'indemniser éventuellement l'intéressée, le contrat étant de droit privé (même Arrêt Droit Administratif 1989 N° 227)".

C'est en cet état que Madame LE BER a saisi, comme l'y avait invitée le Conseil d'Etat, les Tribunaux de l'ordre judiciaire afin d'obtenir l'indemnisation de son préjudice.

Au terme d'une assignation en date du 9 Décembre 1994 (pièce 18), Madame LE BER a demandé au Tribunal de Grande Instance de Toulon de :

"PRONONCER la résolution judiciaire de l'acte de vente signé le 4 Mai 1971 entre Madame LE BER née FOURNIER le 15 Décembre 1921 à PORQUEROLLES (Var), de nationalité française, demeurant et domiciliée Villa Fournier, 83400 PORQUEROLLES, et l'ETAT FRANÇAIS, aux tors exclusifs de ce dernier, publié et enregistré à la Conservation des Hypothèques de Toulon, 2ème Bureau, le 21 Mai 1971, dépôt 464, Volume 366, numéro 6.

CONDAMNER l'ETAT FRANÇAIS à payer la somme de 12.000.000,00 FF de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation.

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DIRE et JUGER que compensation faite avec la restitution du prix de vente des terrains, l'Etat devra payer à Madame LE BER la somme de 6.500.000,00 FF de dommages et intérêts.

CONDAMNER l'Etat Français à payer la somme de 150.000,00 FF en application des dispositions de l'Article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

SUBSIDIAIREMENT si mieux n'aime le Tribunal

CONDAMNER l'Etat Français à payer à Madame LE BER la somme de 17.769.262,53 FF avec intérêts au taux légal à compter de la présente assignation.

Dans tous les cas, ORDONNER l'exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel et sans caution.

Dans tous les cas, CONDAMNER l'Etat Français en tous les dépens à distraire au profit de Maître COUTELIER, Avocat sur sa due affirmation".

Par des conclusions postérieures, Madame LE BER a renoncé à l'action résolutoire pour ne maintenir que sa demande de dommages et intérêt à hauteur d'une somme principale 853.714,50 € (de 5.600.000,00 FF) augmentée des intérêts au taux légal capitalisés depuis le 4 Mai 1971, soit au 4 Mai 1994 2.708.906,58 € (17.769.262,34 FF).

L'Etat, avec un cynisme rare et en méconnaissance de tous les engagements pris à l'égard de certains membres de la famille FOURNIER a soutenu qu'il n'avait rien promis ni garanti aux Consorts FOURNIER ("seuls artisans de leur malheur pour avoir tardé à construire"), s'arc-boutant sur les termes de l'acte particulièrement mal rédigé par son représentant, le Préfet du Var.

Le premier Juge, perdant totalement de vue que l'Etat ne peut imposer une cession à un prix inférieur à l'évaluation des Domaines (pour la totalité des terrains vendus par les héritiers FOURNIER et 838.469,59 € au lieu de 1.263.137,26 € pour les terrains appartenant à Madame LE BER, dans l'hypothèse la plus basse), s'en est tenu (imparfaitement d'ailleurs) au sens littéral des termes de l'acte, refusant d'appliquer les dispositions de l'Article 1156 du Code Civil (pièce 19).

Bien mieux, le Tribunal a jugé que l'Etat n'avait accepté de payer aux Consorts FOURNIER une somme inférieure à la valeur des terrains que contre l'abandon par ceux-ci d'importants droits de construire.

Ainsi, à en lire le Jugement rendu, les Consorts FOURNIER :

qui disposaient de plusieurs acheteurs privés, par exemple de Monsieur TRIGANO, de Monsieur BLITZ, du Groupe EMPAIN et, enfin, du "Groupe de Porquerolles" composé à hauteur de 10 % par le CREDIT AGRICOLE prêt à débourser 60 millions de francs pour l'acquisition,

qui bénéficiaient de droits à construire importants sur les parcelles non vendues,

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qui ne pouvaient être tenus de céder leurs terrains à l'Etat à une valeur inférieure à 42 millions de francs (estimation des Domaines dont l'Etat reconnaît lui-même qu'elle est généralement largement dépassée par les juges)

ont accepté de céder pour seulement 4.725.919,53 € (dont 838.469,59 € pour Madame LE BER) non seulement les terrains mais, également, une partie des droits à construire qui avaient une très grande valeur.

Certes, il a toujours été rendu hommage par l'Etat à l'attitude et à l'œuvre de la famille FOURNIER mais, de là à se laisser déposséder dans de pareilles conditions, il y a un pas que Madame LE BER n'a jamais voulu franchir.

Par Jugement en date du 13 Décembre 1999 (pièce 19), le Tribunal de Grande Instance de Toulon a débouté Madame LE BER, ainsi que sa sœur Madame PRODROMIDES, et les ont condamnées à payer à l'Etat 1.524,49 € (10.000,00 FF) au titre de l'Article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Madame LE BER ainsi que Madame PRODROMIDES ont interjeté appel de ce Jugement qui a méconnu les règles d'interprétation des contrats.

La Cour d'Appel d'Aix-en-Provence, par un Arrêt en date du 26 Mai 2005 (pièce 20), a confirmé le Jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Toulon, après avoir examiné l'acte sous le seul angle de l'objectif recherché par l'Etat et en faisant abstraction de la commune intention des parties, la Cour allant même jusqu'à affirmer :

"Dès lors, il apparaît totalement inutile de rechercher l'intention des parties au travers d'autres documents qu'ils soient antérieurs ou postérieurs aux actes en cause…"

Madame LE BER s'est pourvue en Cassation et la Cour de Cassation, par un Arrêt du 19 Décembre 2006 (pièce 21), a rejeté le pourvoi.

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III. EXPOSE DE LA OU DES VIOLATION(S) DE LA CONVENTION ET/OU DES PROTOCOLES ALLEGUEE(S), AINSI QUE DES ARGUMENTS A L'APPUISTATEMENT OF ALLEGED VIOLATION(S) OF THE CONVENTION AND/OR PROTOCOLS AND OF RELEVANT ARGUMENTS

15.

I - SUR LA VIOLATION DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE ADDITIONNEL A LA CONVENTION DE SAUVEGARDE DES

DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES, TEL QU'AMENDE PAR LE PROTOCOLE N°11

Il résulte des faits précédemment rappelés que la famille FOURNIER, et en particulier de Madame LE BER, avait reçu des offres d'acquisition de leur propriété particulièrement alléchantes, émanant de groupes financiers et immobiliers importants selon l’aveu même des services de l’Etat Français.

L'Etat français, informé de cette situation, a décidé de lancer un processus en vue de l'acquisition de la maîtrise foncière de la majorité de l'Ile de Porquerolles.

Toutefois, l'Etat n'avait pas les moyens financiers de ses ambitions, puisque l'enveloppe budgétaire consacrée à cette opération, du propre aveu des services de l'Etat, était largement inférieure à la valeur des terrains résultant de l'estimation des Domaines et, a fortiori, des offres faites par les promoteurs privés (pièce 22).

C'est dans ces circonstances que l'Etat a persuadé Madame LE BER qu'en raison des prérogatives de puissance publique dont il disposait, il pouvait garantir à Madame LE BER la possibilité de construire sur les terrains restant sa propriété dans des limites qui avaient été contractuellement définies entre l'Etat et Madame LE BER.

Ainsi, dans une séance de la Commission Nationale des Opérations Immobilières et de l'Architecture du 18 Janvier 1971 (pièce 23 – page 3), on peut lire :

"L'Etat doit pouvoir acquérir la maîtrise foncière de Porquerolles et, pour cela, se rendre propriétaire non seulement des terrains à vendre, mais obtenir en outre qu'une série de concessions soit acceptée par les propriétaires sur les terrains appelés à rester dans leur patrimoine. Des servitudes contractuelles assez lourdes ont été ainsi imposées aux propriétaires.

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En particulier, le droit de construire sera figé et ne sera pas lié au règlement d'urbanisme. Monsieur LEFEBVRE précise que le prix global obtenu de 29.950.000 FF est inférieur aux prétentions initiales des vendeurs et à l'évaluation des Domaines… Monsieur PHILIPPE signale ensuite que les négociations ont été difficiles en raison des promesses très généreuses par les promoteurs privés aux propriétaires (de l'ordre de 60 millions de francs)…"

Il est très clairement établi que la famille FOURNIER pouvait vendre les terrains de l'aveu même de la Commission Nationale des Opérations immobilières et de l'Architecture pour un prix de 9.146.941,03 € (60 millions de francs pour 1150 ha) contre 4.497.246,01 € (29.500.000 FF) payés par l'Etat dont 5.500.000 FF pour Madame LE BER, soit 838.469,59 € au lieu de 1.307.645 €.

Ainsi, dans la pire des hypothèses (celle de l'expropriation), Madame LE BER ne pouvait se voir déposséder de son bien que pour une somme correspondant au minimum à l'évaluation des Domaines.

Il est impossible d'imaginer que dans le cadre d'une négociation, Madame LE BER ait pu laisser intervenir une dépossession dans des conditions qui auraient été bien plus mauvaises que la pire des hypothèses pour elle.

Force serait de constater que, si le raisonnement de l'Etat était admis, l'Article 1 du protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'Homme aurait été violé.

Madame LE BER avait d'ailleurs, devant la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence, fait observer que l'Etat avait violé l'Article 1 du protocole additionnel à la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme (pièce 24).

En effet, l'économie du contrat passé entre l'Etat et Madame LE BER ne fait aucun doute.

Madame LE BER acceptait de céder une grande partie des terrains lui appartenant à l'Etat français à une valeur inférieure aux évaluations les plus basses de l'estimation des Domaines, en contrepartie de quoi, l'Etat garantissait à Madame LE BER la faculté de construire sur les terrains restant sa propriété.

L'acte de vente (pièce 9) stipule :

"Celle-ci (la venderesse) aura la faculté de construire sur lesdites parcelles".

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Cette phrase étant suivie d'une définition très précise de cette faculté :

doublement de la superficie du MAS DU LANGOUSTIER bâtiments à usage d'habitation de 1200 m², outre bâtiments à usage agricole

en rapport avec les besoins de l'exploitation bâtiments pour un établissement pour personnes handicapées "avoir la faculté" signifie, selon la définition du dictionnaire,"avoir le droit

de..."

L'analyse de ces documents est édifiante sur les accords qui avaient été pris entre la famille FOURNIER, d'une part, et l'Etat français d'autre part.

Dans le rapport sur l'achat par l'Etat de l'Ile de Porquerolles (pièce 22), il est écrit :

"L'attitude des trois autres héritiers FOURNIER (dont Mme LE BER) était toute différente. Ils entendaient continuer à participer à la vie de Porquerolles. Une des conditions qu'ils ont apportée était d'ailleurs que je précise par lettre les intentions générales de l'Etat quant à l'avenir de "l'île.

Ils faisaient donc une condition sine qua non de la conservation d'un domaine personnel d'une certaine importance (une cinquantaine d'hectares en moyenne) qui leur permettrait de poursuivre à la fois une exploitation agricole (et pour Mme LE BER la gestion d'un hôtel restaurant de qualité) et de garder la "disposition de leurs propriétés personnelles éventuellement "agrandies en fonction des besoins de leur assez nombreuse famille.

"J'ai la conviction qu'il eût été inutile et maladroit de tenter de les faire revenir sur cette position car cela eût été nié du même coup leur attachement à Porquerolles. En revanche, l'expérience m'a prouvé qu'il était possible en utilisant positivement ce facteur psychologique, d'obtenir la cession de la plus grande partie des droits de construire attachés aux parcelles conservées et d'aborder dans un climat favorable les questions financières".

Un peu plus loin, Monsieur Jérôme MONOD précise (pièce 22 – pages 4 et 5) :

"Si l'on prend comme base d'évaluation la valeur agricole (environ 3 FF le m²) et celle des droits de construire relevant du groupement d'urbanisme des Maures (environ 250 FF le m² constructible), on parvient à un total théorique se situant entre 50 et 60 millions. L'étude des options prises par le Groupe BLITZ sur la propriété RICHET confirme que c'est une somme de cet ordre qui représentait l'objectif des héritiers FOURNIER.

Même en ne retenant que l'évaluation plus modeste faite par les Domaines (42 millions pour la totalité des terrains leur appartenant, soit 3,75 FF le m²), on était au départ très au-dessus des possibilités financières de l'Etat.…

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Ces dispositions permettent de concilier deux facteurs avantageux :

- elles assurent la présence sur l'île de trois des quatre héritiers et de leur famille, ce qui est important pour son aménagement, il suffit pour s'en rendre compte de noter qu'ils entendent développer les surfaces cultivées en particulier un vignoble délimité de qualité supérieure, agrandir l'excellent hôtel du "Petit Langoustier" et créer une fondation pour jeunes inadaptés (Mr et Mme LE BER dont l'un des enfants est dans ce cas se préoccupent beaucoup de ce problème)."…

4) J'ai promis de proposer au Gouvernement de donner les autorisations nécessaires pour que les trois opérations immobilières que j'ai évoquées ci-dessus, et qui d'ailleurs me paraissent souhaitables, puissent être réalisées. D'autre part, j'ai évoqué la possibilité de donner une solution favorable à certains problèmes qui préoccupent les propriétaires (entreprise de batellerie de Mr RICHET, fondation en faveur des inadaptés projetée par Mr et Mme LE BER, droits de circulation actuels des propriétaires).

J'ai la conviction que l'accord que les propriétaires sont disposés à signer a été conclu à des conditions parfaitement acceptables pour l'Etat. En tous cas ils forment un tout et je ne serais pas en mesure d'en renégocier les éléments".

La faculté d'agrandir l'hôtel du Langoustier, de construire un établissement pour enfants handicapés, de développer les surfaces cultivées, etc… constituaient bien les éléments d'un tout et ne pouvait être dissociés de l'acquisition elle-même.

L'Etat dans le contrat a consacré des droits de construire très précisément définis.

Madame LE BER a toujours retenu que la différence entre l'évaluation des Domaines (ou avec la valeur réelle des terrains) et le prix payé avait pour contrepartie les droits à construire tels que fixés par l'acte et qu'il s'agissait d'un mode de paiement du prix.

¯¯¯

LE DROIT DE CONSTRUIRE EST UN DROIT PATRIMONIAL CONSTITUANT UN BIEN PROTEGE AU SENS DE LA CONVENTION EUROPEENNE

1) Rappel des principes dégagés par la Cour Européenne

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"Le droit de propriété occupe une place non négligeable dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme .Ce droit est perçu sous ses multiples aspects, qu'il s'agisse d'un bien immobilier ou de la concrétisation d'un droit à valeur patrimoniale, qu'il s'agisse d'un titre de propriété ou du simple usage des biens…

Il est un droit social parce qu'il garantit l'espace nécessaire à la vie d'une famille et d'une communauté…"(Extrait du commentaire de S. Marcus-Helmons, "Le droit de propriété est-il un droit fondamental au sens de la Convention Européenne des Droits de l'Homme?").

"Une progression se dessine graduellement…au-delà de la notion de propriété:…on s'achemine sans doute vers la notion bien plus large de patrimoine, à savoir l'ensemble des intérêts découlant de rapports à contenu économique qu'une personne a pu effectivement et licitement acquérir: quoi d'autre pourrait d'ailleurs signifier l'idée exprimée par la Cour, d'après laquelle l'article 1 s'applique à tout droit privé…s'analysant en une valeur patrimoniale, donc en un bien…C'est bien le patrimoine des particuliers, toutes composantes confondues, qui forme l'objet de la protection prévue par l'article 1 du Protocole. ..

A notre sens, d'après la jurisprudence, chaque composante du patrimoine individuel semble pouvoir être prise en compte, lorsque trois conditions sont réunies: celle d'avoir une valeur économique appréciable, celle de représenter un bien faisant partie de façon actuelle et inconditionnelle de la sphère juridique du particulier intéressé, et celle de se rapporter à un objet, matériel ou immatériel, déterminé et identifiable." "(Extrait de: "La Convention Européenne des droits de l'Homme .Commentaire article par article". L.E.Petit. Coll. Economica.)

Dans sa jurisprudence, la Cour Européenne précise clairement qu':" En reconnaissant à chacun le droit au respect de ses biens, l'article 1 garantit en substance le droit de propriété. Les mots "biens", "propriété", "usage des biens", en anglais "possessions", et "use of property", le donnent nettement à penser…Le droit de disposer de ses biens est protégé par l'article 1 compte tenu du fait que ce droit constitue un élément traditionnel fondamental du droit de propriété… "(Arrêt MARCKX c. Belgique 13 Juin 1979, série A n°31, p.27, §63. et Arrêt HANDYSIDE du 07 Décembre 1976, série A n 24, p.29, §62.)

"Par conséquent, l'article 1 protège non seulement contre l'atteinte portée au droit de propriété dans sa globalité (par exemple: expropriation), mais aussi contre les atteintes aux différents éléments constitutifs de ce droit, pris séparément."(Extraits clés de jurisprudence, G. Dutertre, Editions du Conseil de l'Europe, 2003).

Dans l'affaire SPORRONG et LÖNNROTH c. SUEDE, (23 Septembre 1982, série A n°52, pp.23-24, §60) la Cour reprend ce principe, et le précise encore:" S'ils laissaient juridiquement intact le droit des intéressés à disposer et user de leurs biens, les permis d'exproprier n'en réduisaient pas moins dans une large mesure la possibilité pratique de l'exercer. Ils touchaient aussi à la substance même de la propriété….le droit de propriété des requérants devenait ainsi précaire et révocable."

La Cour, dans sa jurisprudence, a reconnu qu'une créance, née de la responsabilité contractuelle de l'Etat, pouvait constituer un "bien" au sens de la Convention. (Arrêt

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Raffineries grecques STRAN et STRATIS ANDREADIS c.Grèce, 09 Décembre 1994, série A, n°301 B, §59.)

Elle constate, à l'identique, la reconnaissance de l'existence d'un droit à une juste indemnisation. (Arrêt ALMEIDA GARRETT, c. Portugal, 11 Janvier 2000, §47.)

"D'une manière générale, le requérant doit pouvoir invoquer une créance actuelle, certaine, et exigible….Ces conditions sont remplies …lorsque les requérants pouvaient prétendre avoir une espérance légitime de voir concrétiser leur créance…" (L'influence de la Convention européenne des droits de l'homme sur le droit civil, A. Debet, Nouvelle bibliothèque de thèses, Dalloz, 2002.) (Arrêt PRESSOS COMPANIA NAVIERA c.Belgique 20 Novembre 1995, série A, n°332, §31.)

2) L’application des principes au cas d’espèce

En l'espèce, les autorités Françaises n'ont pas procédé à une expropriation formelle de Madame LE BER, mais ont prétendu pouvoir concéder des facultés de construire bien définies et délimitées en contrepartie d'une minoration du prix du terrain.

Madame LE BER a librement consenti à vendre certaines parcelles et en a librement conservé d'autres.

Mais son consentement n'a existé qu'à la condition principale, essentielle, d'assurer la protection du droit de construire sur les parcelles conservées (pièce 22).

Plus précisément, la substance de la volonté des parties se matérialisait ici par la protection contre toute précarité de la possibilité de construire que l'Etat s'engageait à garantir, en contrepartie d'un prix de vente dérisoire accordé par les vendeurs.

Ainsi, en examinant la réalité de la situation, l'économie du contrat, il convient de considérer que le prix des parcelles vendues était constitué de deux éléments :

- d'une part, la somme d'argent prévue, représentant la moitié, environ, de leur valeur réelle sur le marché ;

-d'autre part, la protection particulière du droit de construire sur les terrains conservés.

C'est ce droit de construire qui est constitutif d'un droit à valeur patrimoniale, au sens de l'article 1er du protocole 1.

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En privant Madame LE BER de l'usage effectif de ce droit, qu'il avait contractuellement accordé, l'Etat Français s'est rendu coupable d'ingérence, en violation de la Convention.

Si la Cour ne retenait que la somme d'argent en paiement du prix, force serait de constater l'existence d'une dépossession: le prix payé (30,95 MF pour la totalité des terrains de l’hoirie FOURNIER) n'atteint même pas l'évaluation émanant des propres services de l'Etat qui avait évalué à 44 MF pour la totalité de l'île.

L'Etat s'engageait à protéger le droit de construire sur les terrains conservés en leur conférant un caractère irrévocable, nonobstant les possibles fluctuations des choix d'aménagement issus des différentes politiques locales.

Pour cela, il décrivait précisément, dans le contrat de vente, le contenu des droits qu'il entendait ainsi protéger.

Cette description constituait, en outre, une limitation de la protection apportée, par souci de préserver l'intérêt général.

Madame LE BER a ainsi abandonné la possibilité de vendre ses terrains aux conditions normales du marché, car l'Etat Français lui apportait en contrepartie la croyance légitime d'une protection particulière de son droit de construire sur les parcelles conservées.

En ne permettant pas sa concrétisation, l'Etat Français a gravement porté atteinte à la substance du droit patrimonial qu'il avait accordé.

L'Etat reste débiteur, à l'égard de Madame LE BER, de l'obligation de permettre la mise en œuvre du droit de construire contractuellement établi.

Il convient enfin de rappeler l'importance patrimoniale du droit ainsi négocié pour Madame LE BER : les possibilités de construire garantissaient la protection de l'espace de vie, l'avenir économique de la famille FOURNIER :

- possible extension de l'hôtel familial, - possible construction d'un établissement de balnéothérapie, la famille étant sensibilisée

au sujet du handicap, eu égard à l'état de santé d'un de leurs enfants.

L'Etat Français avait reconnu un droit à Madame LE BER.

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Cette reconnaissance était faite à titre onéreux et avait été contractuellement négociée par les parties.

Ce droit était constitutif d'un bien patrimonial pour la famille FOURNIER.

Par suite, son impossible concrétisation a impliqué une évidente diminution de la disponibilité du bien en cause.

Le droit ainsi limité, est devenu précaire, soumis aux changements successifs des choix politiques locaux d'aménagements fonciers.

S'il n'a pas complètement disparu, le droit de construire, tel qu'il avait été négocié, a été vidé de sa substance, caractérisant une ingérence manifeste dans la jouissance du droit des requérants au respect de leurs biens.

Si on refusait de considérer que l'Etat Français a apporté à l'économie du contrat un droit de construire sur les parcelles conservées, il ne resterait plus, en conséquence, à examiner, que le seul prix payé de 838.459 € au lieu de 1 307 645 €, soit une somme très inférieure à celle émanant des investisseurs privés.

Une telle situation serait alors constitutive d'une expropriation de fait : il y a bien eu transfert de la propriété de Madame LE BER et paiement, en contrepartie, d'un prix inférieur à celui qui aurait sans doute été prononcé par le juge, si une procédure d'expropriation formelle avait été menée.

En l'espèce, la spoliation subie par Madame LE BER est d'autant plus caractérisée, qu'aucune indemnisation n'a jamais été accordée, l'Etat Français préférant nier l'existence de ses obligations.

3) L'application du principe du "Juste équilibre"

Tout en protégeant les droits fondamentaux des individus, il est certes essentiel de préserver la liberté d'action des Etats.

Leur marge d'appréciation dans le choix des mesures qu'ils estiment nécessaires, le caractère discrétionnaire des décisions étatiques, doivent être respectés.

Cependant, en admettant que les Etats soient seuls juges de la nécessité d'une ingérence, la Cour Européenne se réserve le pouvoir d'en contrôler la légalité, et la finalité.

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Pour cela, elle met en place la technique de la recherche du "juste équilibre".

A partir de 1982, avec l'arrêt SPORRONG et LÖNNROTH, la Cour Européenne utilise la notion de manière autonome, comme critère lui permettant de contrôler les diverses mesures étatiques affectant la propriété.

En l'espèce, il s'agissait de permis d'exproprier, maintenus pendant des décennies, qui, d'après la Cour avaient rendu le droit de propriété "précaire et révocable", faisant peser sur les particuliers visés "une charge spéciale et exorbitante", en créant une situation qui "…a rompu le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l'intérêt général."

Ainsi :"le contrôle requis par le principe du juste équilibre comporte inévitablement, d'une part, une appréciation de l'utilité publique constituant le fondement de la mesure incriminée et, d'autre part, une pesée du sacrifice imposé au particulier, dans le but de jauger si ce dernier est excessif, et de ce fait injustifié par rapport à l'importance de l'intérêt général.

…Cependant, une violation de l'article 1er de la part d'un Etat ne saurait être retenue qu'au cas où la mesure prise par l'Etat s'avérerait manifestement dépourvue de base raisonnable….

Du principe du juste équilibre ne découle pas la conséquence que tout déséquilibre créé entre l'intérêt général et l'intérêt du particulier est source d'illégalité: seul un déséquilibre majeur, pesant sur celui-ci de façon excessive ou exorbitante justifierait une telle conclusion…Encore, si l'on veut utiliser la notion équivalente de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, on dira que ce qui viole la Convention est une disproportion pouvant être qualifiée de grave ou manifeste."(Convention E.D.H., commentaire article par article, précité.)

En l'espèce, il convient de se demander pourquoi l'Etat Français a refusé aux requérants la possibilité d'user effectivement du droit qu'il leur avait expressément consenti contractuellement ?

Quelles exigences d'intérêt général pouvaient justifier cette opposition à l'exercice des possibilités de construire telles qu'elles avaient été accordées ?

La préservation de l'environnement ? La limitation des constructions sur un site naturel exceptionnel ?

Cet argument, d'une valeur incontestable, est inopposable en l'espèce, car l'Etat, au cours de la négociation contractuelle initiale, avait déjà tenu compte de cet impératif.

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C'est justement en raison de cet impératif qu'une partie des droits à construire que Madame LE BER détenait avaient été cédés et que les droits résiduels avaient été figés.

Il n'était donc pas possible pour l'Etat français d'invoquer à nouveau cet impératif pour supprimer purement et simplement les droits à construire résiduels dont était titulaire Madame LE BER.

La rédaction de l'acte de vente, effectuée par le Préfet, stipulait très précisément en le limitant strictement, l'étendue du droit de construire reconnu à Madame LE BER sur les parcelles conservées.

Il aurait donc suffi aux juridictions administratives de qualifier juridiquement l'élément exorbitant du droit commun contenu dans le contrat visé, pour pouvoir en examiner l'économie, procéder à l'analyse de la volonté des parties, et obliger l'Etat à respecter ses obligations contractuelles envers Madame LE BER…

L'ingérence de l'Etat est caractérisée par son opposition à permettre la concrétisation d'un droit qu'il avait lui-même négocié contractuellement.

Aucune cause d'utilité publique n'est plus présente en l'espèce, qui aurait pu justifier un tel refus, encore qu'il eût fallu en examiner la proportionnalité avec la charge supportée de ce chef par Madame LE BER.

Il échet donc de constater que le juste équilibre a été rompu, au préjudice des requérants. La violation de l'article 1er du protocole 1 est ainsi indéniablement établie.

Si, comme l'a soutenu l'Etat Français dans son argumentation en défense, le contrat de vente ne contenait aucun élément exorbitant du droit commun, et le droit de construire de Madame LE BER sur les terrains conservés restait soumis aux règlementations successives pouvant intervenir, sans bénéficier d'une quelconque protection particulière de l'Etat, alors, il conviendrait de raisonner sur le seul prix payé pour les parcelles vendues, et par suite, constater l'existence d'une dépossession, en violation du principe de légalité.

En effet, pour qu'une mesure de dépossession soit conforme à la Convention, deux conditions essentielles doivent être rassemblées :

- elle doit trouver son fondement dans une exigence d'intérêt général, - elle doit être adoptée (sous peine d'illégalité) dans le respect de la loi nationale pertinente.

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En l'espèce, l'Etat Français aurait dû établir que son intention d'acquérir les terrains visés se justifiait par sa volonté de préserver le site naturel de l'île de Porquerolles contre les investisseurs privés.

La requérante est cependant en droit de s'interroger sur la volonté réelle de l'Etat de préserver l'environnement lorsqu'elle constate qu'un véritable hameau de 4.800 m² a été bâti par l'Etat ainsi que le démontrent les photographies versées au débat (pièces 25, 26 et 27).

Les objectifs de protection de la nature, ou de l'environnement constituent des objectifs non contestables. (Arrêt FREDIN c. Suède, 18 Février 1991, série A, n°163, et Arrêt PINE VALLEY DEVELOPPMENTS c. Irlande, 29 Novembre 1991, série A n°222).

L'existence d'un but légitime, dans la volonté de préserver l'environnement, et par voie de conséquence, l'intérêt général étaient, sans doute, ainsi démontrables.

Mais le respect des lois nationales aurait alors commandé qu'une procédure d'expropriation soit mise en œuvre, et que la famille FOURNIER soit justement indemnisée sur la base des offres qui lui avaient été faites ou, à tout le moins, de la valeur des terrains dans le cadre d'une expropriation qui, selon Monsieur Jérôme MONOD, délégué DATAR, se situait entre 50 et 60 millions de francs (pièce 22 – page 4), soit pour la part de Madame LE BER 1.307.645 € au lieu de 838.469,59 €.

Mais, l'Etat Français ne voulait pas s'astreindre au paiement d'une telle somme.

Il a donc préféré engager une négociation contractuelle avec Madame LE BER et finir par obtenir d'elle un consentement à vendre à vil prix, moyennant sa croyance en une protection particulière du droit de construire sur les terrains conservés, qu'il a d'abord accordée, puis postérieurement reniée.

Il faut rappeler que la Commission Nationale des opérations immobilières et de l'Architecture écrivait dans sa séance du 18 Janvier 1971 (pièce 23) :

"Le droit de construire sera figé et ne sera pas lié au règlement d'urbanisme".

Les services de la Direction Départementale de l'Equipement, et donc l'Etat français, dans le cadre d'une étude d'impact sur l'île de Porquerolles (pièce 28 – pages 1, 2, 3, 11, 32 et 37) écrivaient en 1977 :

"Or, lors des acquisitions des sols, et pour en faciliter la négociation, l'Etat a conclu avec les vendeurs des accords aux termes desquels des droits de construire ont été reconnus à certaines parcelles qui sont restées leur propriété personnelle : il s'agit

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de volumes assez importants dont on trouvera le détail ci-après, et dont l'impact sur le paysage risque d'être fort..........."Dans le même temps, la Direction Départementale de l'Equipement du Var, Service du Contentieux, a procédé à l'analyse juridique de ces conventions et en a conclu :

- que l'Etat, lors de la signature des conventions d'acquisition ne pouvait attribuer aux héritiers FOURNIER "des droits publics,

- que la non consécration par le projet du plan d'occupation des sols de la Commune de Hyères des droits de construire contenus dans les conventions, ne pouvait entraîner, pour ce fait, l'annulation du document mis au point,

- que cette non consécration par le plan d'occupation des sols pouvait conduire les héritiers FOURNIER à demander soit l'annulation des conventions passées (ce qui entraînerait de leur part la restitution des sommes encaissées), soit l'attribution de dommages intérêts, correspondant au préjudice subi.

Devant cette situation juridique confuse, et lourde de conséquence, l'étude d'impact (et des possibilités de substitution) peut servir de guide aux responsables concernés, quant aux solutions à rechercher.

INVENTAIRE DES DROITS CONVENTIONNELS DE CONSTRUIRE

Madame LE BER (propriétés du Langoustier et du Brégançonnet)

. possibilité d'étendre l'hôtel du Langoustier dans la limite du doublement (environ 2000 m²),. possibilité de construire 1200 m² à usage d'habitation...........Au total, et non compris les constructions à usage agricole l'Etat a reconnu des droits à construire de :..........(héritiers FOURNIER) :(1200 + 1800 + 5000 + 1500) = 9500 m²"

Il y a lieu de qualifier cette situation d'expropriation de fait, effectuée au mépris du principe de légalité, en violation des dispositions de l'article 1er du protocole 1.

En tout état de cause, qu'il s'agisse de la privation de l'usage effectif d'un droit établi, dont la valeur patrimoniale a été démontrée, (assimilable à un bien au sens de la convention) ou que l'on raisonne sur l'existence d'une expropriation de fait, en violation de la législation nationale, le principe selon lequel toute privation de propriété ne se justifie pas sans paiement d'une indemnité trouve ici son entière application.

La Cour l'affirme précisément à travers une jurisprudence désormais établie sur ce point :

"…Sans le versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constituerait normalement une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l'article 1er" (Arrêt JAMES, 21 Février1986, série A n°98, §54;Arrêt LITHGOW, 08 Juillet 1986, série A n°102, §121).

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II- SUR LA VIOLATION DE L’ARTCILE 14 DE LA CONVENTION

L’article 14 de la convention dispose :

“La jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politi4ues, ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, ou toute autre situation.”

Il s’agit en l’espèce d’établir que les requérants ont été privés du droit à une information objective sur les conditions contenues dans le contrat de vente des terrains .qu’ils possédaient.

Tout acte de vente d’un bien immobilier doit, selon le droit interne, être rédigé par un notaire.

Ce dernier, extérieur à l’acte, est investi d’un devoir de conseil envers les parties contractantes. La rédaction de l’acte s’effectue après avoir informé les parties de leurs droits et obligations respectives, ainsi que des conséquences patrimoniales de l’acte à venir.

Or, dans le contrat de vente en cause, l’Etat Français a fait rédiger l’acte de vente par le préfet.

Le rédacteur de l’acte était ainsi partie à l’acte, puisque représentant de l’Etat.

Force est de constater que les requérants ont été privés d’un conseil préalable objectif qu’ils auraient dû recevoir selon le droit commun applicable.

Cette information de nature à éclairer leur décision, a fait défaut en l’espèce, créant une inégalité entre les parties au contrat.

L’Etat Français qui a tout mis en œuvre pour modeler les dispositions contractuelles à son propre avantage financier, a pris soin de confier la rédaction de l’acte à un représentant de sa propre autorité.

En l’espèce, Madame LEBER a été privée du droit à information objective sur les conditions de la vente.

En effet, en droit français tout acte de vente d’immeuble doit être publié à la conservation des hypothèques et vendeur et acquéreur bénéficient de l’assistance d’un officier ministériel indépendant, le notaire.

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Tout vendeur d’immeuble dispose des conseils du rédacteur qui éclaire les parties sur l’étendue de leurs droits et de leurs obligations ainsi que sur les conséquences patrimoniales de l’acte à intervenir.

Or, dans le contrat de vente en cause, l’Etat Français a joué les rôles d'acheteur et de rédacteur puisque c'est son propre agent, le Préfet, qui a été chargé de la rédaction.

Madame LE BER a donc été privée d'un conseil préalable objectif et neutre de la part du rédacteur de l'acte.

Le Préfet a en effet modelé les dispositions contractuelles de telle façon que les maladresses rédactionnelles créent une ambigüité suffisante pour permettre à l'Etat d'échapper à ses engagements depuis maintenant 37 ans.

La requérante a été victime d'une discrimination liée à sa situation de contractant de l'Etat Français.

Il existe en effet dans les décisions de justice rendues d'une part une grave incohérence consistant à dire à Madame LE BER lorsqu'elle agit devant les Tribunaux Administratifs que le contrat est un contrat de pur droit privé ne comportant pas d'élément exorbitant du droit commun qui ne relève pas des juridictions administratives, et, d'autre part, de priver Madame LE BER du concours d'un Notaire comme dans toute vente de droit privé .

La requérante privée de son droit légitime à une information préalable objective, a ainsi été victime d’une discrimination injustifiée, constitutive d’une violation des dispositions de l’article 14 de la Convention.

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IV. EXPOSE RELATIF AUX PRESCRIPTIONS DE L'ARTICLE 35 § 1 DE LA CONVENTIONSTATEMENT RELATIVE TO ARTICLE 35§1 OF THE CONVENTYION

16. Décision interne définitive (date et nature de la décision, organe – judiciaire ou autre – l'ayant rendue)Final decision (date, court or authority and nature of decision)

- Arrêt de la Cour de Cassation du 19 Décembre 2006 (pièce 21)

17. Autres décisions (énumérées dans l'ordre chronologique en indiquant, pour chaque décision, sa date, sa nature et l'organe – judiciaire ou autre – l'ayant rendue)Other decisions (list in chronological order, giving date, court or authority and nature of decision for each of them)

- Jugement du Tribunal Administratif de Nice du 8 Juin 1983 rejetant le recours de Madame LE BER (pièce 15)

- Arrêt du Conseil d'Etat du 10 Mars 1989 (pièce 16)- Jugement du Tribunal de Grande Instance de Toulon du 13 Décembre 1999 (pièce 19)- Arrêt de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence du 26 mai 2005 (pièce 20)

18. Dispos(i)ez-vous d'un recours que vous n'avez pas exercé ? Si oui, lequel et pour quel motif n'a-t-il pas été exercé ?Is there or was there any other appeal or other remedy available to you which you have not used ? If so, explain why you have not use dit.

Tous les recours ont été exercés devant les ordres judiciaires et administratifs.Madame LE BER ne dispose d’aucun recours qu’elle n’aurait pas exercé.

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V. EXPOSE DE LA REQUETESTATEMENT OF THE OBJECT OF THE APPLICATION

19.

SUR L'EVALUATION ET L'INDEMNISATION DU PREJUDICE SUBI

"Lorsque l'Etat est amené à s'ingérer dans le droit de propriété, il va de soi que, dans la grande majorité des cas, la seule garantie qui subsiste pour le propriétaire est son droit à une compensation, à une indemnité."(Chronique de S.Marcus-Helmons, précitée.)

Madame LE BER est fondée à solliciter une indemnisation "adéquate, et effective."

La CEDH exige :"une indemnisation intégrale des préjudices subis par les propriétaires concernés constituant une réparation satisfaisante, car en plus du remboursement des dommages, l'administration est tenue de payer aussi l'équivalent de la dépréciation monétaire à partir du jour de l'acte illégitime". (Arrêt ZUBANI c.Italie 07 Aout 1996 §49).

Plusieurs éléments sont à considérer pour évaluer le préjudice subi en l'espèce par Madame LE BER :

La durée du préjudice subi :

Pour la Cour, "l'indemnisation du préjudice subi par l'intéressée ne peut constituer une réparation adéquate que lorsqu'elle prend aussi en considération le dommage tenant à la durée de la privation Elle doit en outre avoir lieu dans un délai raisonnable."(Arrêt GUILLEMIN c. France, 21 Février 1997, §54).

En l'espèce, Madame LE BER n'a perçu aucune indemnisation.

Plus encore qu'un simple élément d'évaluation du préjudice, la Cour, après avoir constaté l'inaction de l'autorité à donner la juste compensation, a estimé qu'elle était constitutive d'une violation de l'article 1er.

L'importance du critère n'est donc pas contestable, puisqu'il peut à lui seul fonder le constat d'une atteinte aux biens.

Dans l'affaire "SPORRONG et LÖNNROTH", malgré l'absence de toute expropriation formelle, et face à une interdiction de construire opposée aux requérants, la Cour va rechercher si : "un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu."

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Mais elle relève particulièrement le fait que :" la pleine jouissance du droit de propriété des requérants a été entravée au total pendant vingt-cinq ans pour la succession SPORRONG et douze ans pour Mme LÖNNROTH."…pour en conclure que la violation de l'article 1er du protocole 1 est caractérisée, sans avoir à "rechercher si les requérants ont réellement subi un préjudice",…mais parce que:"c'est dans leur situation juridique même que l'équilibre à préserver a été détruit". (Arrêt SPORRONG et LÖNNROTH, 23 Septembre 1982, série A, vol.52.).

La durée du préjudice subi va donc autant permettre d'identifier une violation de l'article 1er, que servir de critère d'évaluation pour calculer le montant d'une juste indemnisation.

Il conviendra de remarquer en l'espèce, que l'acte de vente intervenu entre l'Etat Français et la famille FOURNIER a été établi le 04 Mai 1971.

Le 22 Août 1977, Madame LE BER a présenté une demande de permis de construire portant sur l'agrandissement de l'hôtel, "le Mas du Langoustier", conformément au droit qui lui avait été consenti dans le contrat de vente initial susvisé. (04 Mai 1971)

Contre toute attente, un refus de l'administration lui a été opposé.

Cette situation perdure depuis trente sept ans, nonobstant l'épuisement des voies de recours internes, et sans qu'aucune indemnisation n'ait jamais été accordée aux requérants en réparation du préjudice ainsi subi.

Depuis trente ans, la famille FOURNIER est titulaire d'un droit contractuellement établi par l'autorité étatique qui lui en refuse l'exercice effectif.

Depuis trente sept ans, la famille FOURNIER est dépossédée de ses terrains, cédés à vil prix, en contrepartie d'une croyance légitime en une faculté de construire sur les terres conservées, qu'elle ne peut concrétiser.

Dans l'évaluation d'une indemnisation adéquate, il conviendra de tenir compte :

- de la perte principale résultant de la différence entre la valeur réelle des terrains cédés, et le prix payé par l'Etat, à laquelle il sera nécessaire d'ajouter les intérêts légaux dus pendant trente ans,

- des intérêts économiques de la famille FOURNIER, liés à la gestion de l'entreprise familiale: l'impossibilité d'agrandir l'hôtel du "Mas du Langoustier" selon leurs prévisions a évidemment impliqué de lourdes conséquences patrimoniales, interdisant, trente ans durant, une exploitation optimale de l'établissement.

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Madame LE BER tient cependant à préciser qu'elle a pu, dans le cadre du plan d'occupation des sols, agrandir de 30 % l'hôtel du Mas du Langoustier au lieu du doublement contractuellement prévu.

Les droits attachés à l'exercice d'une profession constituent des biens au sens de l'article 1ER.

La progression des revenus de Madame LE BER, attachée à la valeur de l'hôtel, à l'importance de la clientèle, constituait un intérêt économique fondamental pour la famille, lequel a été gravement atteint.

- au-delà, des intérêts patrimoniaux de toute une famille, dont l'espace de vie garanti par l'Etat qui consacrait leur droit de construire sur les parcelles conservées, se sont trouvés maintenus, pendant trente sept ans, dans une situation de précarité, d'incertitude juridique.

L'absence totale d'indemnisation :

Les différentes juridictions nationales, arguant de prétextes procéduraux, ou se réduisant à une stricte interprétation littérale, ont toujours refusé d'examiner la réalité de l'économie du contrat de vente, pourtant largement établie par les pièces que Madame LE BER produisait à la procédure.

En violation même des dispositions de l'article 1156 du Code Civil, les juges Français n'ont pas voulu rechercher la volonté des parties.

En conséquence, le préjudice subi par les requérants a été purement et simplement ignoré, et aucune indemnisation, de ce fait, n'a jamais pu exister, depuis plus de trente ans.

Il conviendrait, dès lors, d'allouer à la famille FOURNIER :

- d'une part, une réparation, due par l'Etat Français, en tant que conséquence de la violation de ses obligations, laquelle prendrait valeur de dédommagement,

- d'autre part, une indemnité, due au titre de l'expropriation de fait, déterminée de façon à prendre en compte la valeur des parcelles vendues et compenser la disproportion manifeste existant avec le prix octroyé par l'Etat.

S'il semble admis, en matière d'indemnisation, que:" les objectifs d'utilité publique poursuivis peuvent légitimement amener à envisager un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande…et que: "…chaque Etat pourra fixer à sa guise les modalités et conditions en fonction de ses besoins et de ses ressources évalués dans l'exercice de son large pouvoir d'appréciation," "c'est à la condition :" qu'une telle guise ne se révèle pas manifestement dépourvue de base raisonnable"…

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"à apprécier en étudiant les circonstances de l'espèce à la loupe du juste équilibre"…(Convention E.D.H. Commentaire article par article, p.992, L.E Petit, précité).

En l'espèce, il semble que les critères d'une indemnisation "raisonnable", "appropriée", ou "équitable" amèneraient, pour le moins, à effectuer le calcul sur la base des 60.000.000 F (9.146.141 €) offerts par les promoteurs privés, encore que celle-ci soit bien inférieure à la pleine valeur marchande des terrains visés, et qu'une correction soit nécessaire, eu égard aux trente sept années écoulées.

La satisfaction équitable :

Madame LE BER est bien fondée à solliciter en application de l'article 41 de la Convention une satisfaction équitable

1) Rappel des principes : Satisfaction équitable : Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée s'il y a lieu, une satisfaction équitable."

"…Bien entendu, il se peut que lors de l'adoption d'une mesure de dépossession un Etat engage sa responsabilité….du fait par exemple d'enfreindre un engagement conventionnel comme celui de verser une indemnité équitable aux particuliers concernés.

Dans ce cas, et à ce stade seulement, il y aura un fait illicite donnant naissance à l'obligation de réparer: cependant, il est clair que l'illicéité à réparer n'est pas …l'expropriation, mais le fait de ne pas avoir versé au particulier concerné une indemnité équitable.

Ces remarques doivent être tenues en compte lorsqu'on se penche sur la satisfaction équitable prévue à l'article 41 de la Convention et qu'on se préoccupe d'en identifier le montant approprié.

Comme le libellé même de l'article 41 le fait clairement ressortir, la satisfaction équitable appartient sans aucun doute à l'univers de la réparation et doit donc être mesuré en fonction de la violation dont elle est censée contribuer à effacer les effets. Or, étant donné qu'en cas de dépossession non indemnisée le fait illicite n'est pas la dépossession mais la non-indemnisation, il s'en suit de toute évidence que le montant de la satisfaction est à rapporter à celui de l'indemnisation équitable qu'il aurait fallu accorder afin de préserver le juste équilibre….."Convention E.D.H Commentaire précité.)

2) En l'espèce, l'Etat Français a enfreint de manière évidente son engagement conventionnel en ne permettant pas la concrétisation du droit de construire qu'il avait accordé.

En conséquence de ce fait, Madame LE BER a été dépossédée de ses terrains sans que le prix octroyé ne soit plus assimilable à une indemnité équitable.

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En réparation de ce manquement de l'Etat, il conviendra d'évaluer le montant de la satisfaction équitable, correspondant à la perte de l'usage effectif du droit de construire pendant trente sept années, ainsi qu'à la diminution de valeur des terrains restant appartenir à la requérante.

La satisfaction équitable consiste à octroyer à Madame LE BER la différence entre le prix payé soit 838.469,59 € et la valeur vénale réelle telle qu'elle résulte de l'aveu de l'Etat Français (compte rendu de la Commission Nationale des Opérations Immobilières), soit 1.307.645 €.

La satisfaction équitable ne saurait être inférieure à 1.307.645 € - 838.469 € = 469.176 € revalorisée en fonction de l'indice du coût à la construction depuis 1971, soit la somme de 469.176 x 1406 (indice du 4ème trimestre 2006 : 224 (indice du 2ème trimestre 1970) : 2.944.923 €.

En tout état de cause, l'indemnisation de Madame LE BER ne saurait en aucun cas être inférieure à la différence entre le prix de vente payé (5.500.000 F) et l'évaluation de ses terrains faite par les rapporteurs de l'Etat lui-même lors de la séance de la Commission Nationale des Opérations Immobilières et de l'Architecture du 18 Janvier 1971 (pièce 29 – page 17) et 6.860.000 F, soit 1.360.000 F (207.330,66 €) réactualisée en fonction de l'indice du coût de la construction (pièce 30), soit :

1.360.000 F (207.330,66 €) X 1406 / 224 = 1.301.370,12 €

Madame LE BER sollicite la condamnation de l'Etat Français au paiement de cette somme de 2.944.923 €, sauf si la Cour Européenne ne préférait enjoindre à l'Etat de délivrer à Madame LE BER les droits à construire tels que définis dans l'acte du 4 mai 1971 à savoir :

"Celle-ci (la venderesse) aura la faculté de construire sur lesdites parcelles :

A – Les bâtiments nécessaires à l'extension de l'hôtel et du restaurant dénommés "MAS DU LANGOUSTIER" dans la limite du doublement des superficies développée existantes actuellement.

B – Des bâtiments à usage d'habitation d'une superficie de 1200 mètres 'carrés. Cette superficie est exprimée en mètres carrés de plancher développée hors œuvre au sens de l'Article 20 du Décret N°70-1016 du 28 Octobre 1970 relatif aux plans d'occupation des sols. Il est précisé en ce qui concerne les bâtiments à usage agricole que leur importance devra rester en rapport avec les seuls besoins que l'exploitation agricole de la venderesse sur l'île.

C – Des bâtiments nécessaires à la réalisation d'un établissement ayant vocation pour accueillir des personnes handicapée, dans l'hypothèse où elle serait entreprise. Dans ce cas, et pour ces bâtiments, il ne serait pas tenu compte de la limite de 1200 mètres carrés fixée ci-dessus au paragraphe B".

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Dans cette dernière hypothèse, Madame LE BER serait néanmoins fondée à solliciter une satisfaction équitable des 37 ans durant lesquels elle a été privée de ses droits à construire qui pourrait raisonnablement être fixée à 1.000.000 €.

Il semble opportun de rendre compte à ce stade l'une des dernières jurisprudences de la Cour :L'Etat Français avait été condamné par la Cour, dans deux arrêts du 06 Octobre 2005, sur le fondement de l'article 1er du protocole 1, pour atteinte portée aux droits des requérants au respect de leurs biens.

En ce qui concernait la somme à octroyer aux requérants pour tout dommage matériel ou moral résultant de la violation constatée, la Cour avait estimé dans son arrêt principal que la question de l'application de l'article 41 ne se trouvait pas en état, et l'avait réservée.

Elle avait alors "invité" l'Etat Français et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur la question, et, en particulier, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient parvenir. (Arrêt DRAON, §119 à 122, et dispositif, point 7).

Madame LE BER n'est pas opposée à rechercher un accord amiable avec l'Etat français.

En résumé, au titre de la satisfaction équitable, Madame LE BER sollicite au principal le paiement d'une somme de 2.944.923 € indexée sur l'indice du coût de la construction depuis le 4ème trimestre 2006 et, subsidiairement, le paiement d'une somme de 1.301.370,12 €, à moins qu'un accord amiable ne soit trouvé avec l'Etat français permettant à Madame LE BER de concrétiser les droits à construire qui lui ont été consentis, auquel cas Madame LE BER limiterait sa demande à 1.000.000 € pour tenir compte des trente ans durant lesquels son patrimoine a été gelé.

En tout état de cause, Madame LE BER sollicite, au titre de ses frais et dépens, l'allocation d'une somme de 50.000 €.

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VI. AUTRES INSTANCES INTERNATIONALES TRAITANT OU AYANT TRAITE L'AFFAIRESTATEMENT CONCERNING OTHER INTERNATIONAL PROCEEDINGS

20. Avez-vous soumis à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement les griefs énoncés dans la présente requête ? Si oui, fournir des indications détaillées à ce sujet.Have you submitted the above complaints to any other procedure of international investigation or settlement ? If so, give full details.

Aucune autre instance internationale n'a été saisi.

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VII. PIECES ANNEXEESLIST OF DOCUMENTS

21.

N°1 (1 page) – Lettre du Ministre chargé du plan en date du 29 Octobre 1969N°2 (2 pages) – Lettre du Ministre chargé du plan en date du 20 Janvier 1971N°3 (4 pages) – Rapport du Service des Domaines du 14 Novembre 1969N°4 (15 pages) – Rapport de Communication sur l'île de Porquerolles établi par le Comité Interministériel restreint d'aménagement du territoire en Février 1970N°5 (1 page) – Discours de Chicago du Président POMPIDOUN°6 (1 page) – Lettre du Ministre chargé du plan en date du 4 Mars 1970N°7 (8 pages) – Option de vente du 17 Décembre 1970N°8 (2 pages) – Décision d'acquisition de l'île de Porquerolles par le Ministre des Finances en date du 19 Février 1971)N°9 (11 pages) – Acte d'acquisition amiable par l'Etat en date du 14 Mai 1971N°10 (3 pages) – Rapport de présentation du plan d'occupation des sols publié le 30 Septembre 1982N°11 (2 pages) – Lettre de Madame LE BER du 11 Septembre 1984N°12 (1 page) – Demande de permis de construireN°13 (1 page) – Refus de permis de construire du 6 Janvier 1978N°14 (8 pages) – Recours gracieux adressé au Préfet du Var le 6 Janvier 1981N°15 (3 pages) – Jugement du Tribunal Administratif de Nice du 8 Juin 1983N°16 (3 pages) – Arrêt du Conseil d'Etat du 10 Mars 1989N°17 (1 page) – JurisclasseurN°18 (12 pages) – Assignation devant le Tribunal de Grande Instance de Toulon du 9 Décembre 1994N°19 (17 pages) – Jugement du Tribunal de Grande Instance de Toulon du 13 Décembre 1999N°20 (11 pages) – Arrêt de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence du 26 Mai 2005N°21 (9 pages) – Arrêt de la Cour de Cassation du 19 Décembre 2006N°22 (7 pages) – Rapport de Monsieur Jérôme MONOD du 4 Janvier 1971N°23 (10 pages) – Procès-verbal de la séance de la C.N.O.I.A. du 18 Janvier 1971N°24 (32 pages) – Conclusions récapitulatives prises par Madame LE BER devant la Cour d'Appel d'Aix-en-ProvenceN°25 (1 page) – Photographie aérienne des constructions réalisées par l'Etat français au cœur d'un espace boiséN°26 (1 page) – Photographie aérienne des constructions réalisées par l'Etat français au cœur d'un espace boiséN°27 (1 page) – Photographie aérienne des constructions réalisées par l'Etat français au cœur d'un espace boiséN°28 (33 pages) – Etude d'impact de l'île de Porquerolles réalisée par le Ministère de la Culture et de l'Environnement en Mars 1977N°29 (22 pages) – Rapport de Messieurs LEFEVRE et PHILIPPE auprès de la Commission Nationale des Opérations Immobilières et de l'ArchitectureN°30 (6 pages) – Indice du coût de la constructionN°31 (39 pages) – Plan d'Occupation des SolsN°32 (1 page) – Procuration de Madame Lélia LE BER en date du 3 Juin 2007

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VIII. RESUME DU DOSSIER

Madame LE BER, propriétaire d'une grande partie de l'Ile de Porquerolles que son père avait maintenu à l'état de nature originelle tout en en laissant le libre accès au public, a été approchée au cours des années 1969/1970 par un groupe financier important qui offrait pour la totalité de l'Ile de Porquerolles une somme de l'ordre de 60 millions de francs, soit 9.146.941 €, soit pour les 160 ha 40 a et 38 ca de Madame LE BER une somme de l'ordre de 1.307.645 €.

L'Etat, après avoir envisagé une opération d'expropriation, a dû renoncer à son projet car, d'une part, les évaluations les plus basses des domaines (42 millions de francs, soit 6.402.858 €) excédaient les moyens financiers de l'Etat, et, d'autre part cette opération risquait d'engendrer des restrictions quant à l'ouverture au public de l'Ile.

L'Etat a donc négocié avec Madame LE BER en créant la croyance légitime chez celle-ci qu'une partie du prix pourrait être converti en « droits à construire ».

C'est ainsi que dans un acte rédigé par le représentant de l'Etat lui-même, les droits à bâtir ont été très précisément définis.

Cette définition des droits à bâtir faisait suite à une réunion de la commission nationale des opérations immobilières et de l'architecture qui avait déclaré le 18 janvier 1971 :

"Le droit de construire sera figé et ne sera pas lié au règlement d'urbanisme".

Forte de l'assurance que lui conférait un contrat passé avec l'Etat lui-même, Madame LE BER ne s'est pas précipitée pour utiliser le droit à construire que lui conférait l’acte de vente.

Cependant lorsque Madame LE BER a voulu utiliser ses droits, l'Etat a refusé de respecter ses engagements en indiquant qu'il n'avait pu dans le contrat conférer de droits particuliers à Madame LE BER.

En conséquence, Madame LE BER s'est trouvée dépossédée de son terrain pour une valeur largement inférieure aux offres qui lui avaient été faites et même pour une valeur inférieure à l'estimation des domaines du fait du dol commis par l'Etat Français qui avait fait naître la croyance légitime chez la requérante qu'elle disposait de droits à construire immuablement figés par le contrat.

Madame LE BER sollicite donc qu'une satisfaction équitable lui soit accordée par la condamnation de l'Etat Français au paiement de la somme de 2.944.923 € outre 50.000 € au titre de ses frais.

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IX. DECLARATION ET SIGNATUREDECLARATION AND SIGNATURE

Je déclare en toute conscience et loyauté que les renseignements qui figurent sur la présente formule de requête sont exacts.I hereby declare that, to the best of my knowledge and belief, the information I have given in the present application form is correct.

Lieu/Place

Date/Date

(Signature du/de la requérant (e) ou du/de la représentant (e))(Signature of the applicant or of the representative)

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