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UNIVERSITE DE LYON UNIVERSITE LUMIERE LYON 2 INSTITUT DTUDES POLITIQUES DE LYON Des « réformes Hartz » à la loi sur lintroduction dun salaire minimum national: adaptation ou évaporation du « modèle allemand » des relations sociales face aux défis du XXI ème siècle ? MARIE-LEA ROUSSEAU Mémoire de recherche 2013-2014 « La construction européenne à la croisée des chemins : évaporation, dislocation, approfondissement, fédéralisme » Sous la direction de M. Laurent GUIHERY Jury: M. Laurent Guihery M. Bernd Finger Soutenu le : 2 septembre 2014

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UNIVERSITE DE LYON

UNIVERSITE LUMIERE LYON 2

INSTITUT D'ÉTUDES POLITIQUES DE LYON

Des « réformes Hartz » à la loi

sur l’introduction d’un salaire

minimum national: adaptation ou évaporation du « modèle

allemand » des relations sociales face aux défis du XXIème siècle ?

MARIE-LEA ROUSSEAU

Mémoire de recherche 2013-2014

« La construction européenne à la croisée des chemins : évaporation, dislocation, approfondissement, fédéralisme »

Sous la direction de M. Laurent GUIHERY

Jury: M. Laurent Guihery

M. Bernd Finger

Soutenu le : 2 septembre 2014

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Rousseau Marie-Léa

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Sommaire

PARTIE I. : LES « LOIS HARTZ » : DES REFORMES DU MARCHE DU TRAVAIL AU CŒUR D’UNE REFONDATION DE LA CONCEPTION DES RELATIONS SOCIALES DANS LE « MODELE ALLEMAND » ...............9

CHAPITRE.I. LE« MODELE ALLEMAND » FACE AUX DEFIS DE L’ENTREE DANS LE XXIEME SIECLE : VERS LA REMISE EN CAUSE

DU SYSTEME SOCIO-ECONOMIQUE ALLEMAND DE L’APRES-GUERRE ? ........................................................................10 A. Le modèle capitaliste rhénan : un modèle socio-économique traditionnellement fondé sur un dialogue social « stakeholder » ...........................................................................................................10 B. L’Allemagne « lanterne rouge de l’Europe » au début des années 2000 : le « modèle allemand » en perdition ? ......................................................................................................................................26

CHAPITRE.II. LA MISE EN PLACE D’UNE POLITIQUE DE COMPETITIVITE-SALAIRE PAR UNE REFORME DU MARCHE DU

TRAVAIL DANS LES ANNEES 2000 : VERS UNE HYBRIDATION DU « MODELE ALLEMAND ..................................................36 A. L’évolution des relations sociales par une réforme du marché du travail allemand : les lois Hartz 37 B. Des conséquences sur les relations professionnelles de plus en plus controversées ....................53

PARTIE II. : L’INTRODUCTION D’UN SALAIRE MINIMUM NATIONAL: SIMPLE CORRECTION DES EFFETS NEGATIFS DES « REFORMES HARTZ » OU EXPRESSION D’UN NOUVEAU CHANGEMENT DE CAP? ..............65

CHAPITRE.I. LA MISE EN PLACE DU SALAIRE MINIMUM : L’EXPRESSION D’UN CHANGEMENT DE CAP ...........................66 A. Le projet de loi sur l’introduction du salaire minimum : une solution qui a progressivement fait consensus ...........................................................................................................................................66 B. Le projet de loi sur l’introduction du salaire minimum : la volonté de renforcer le système de la Tarifautonomie ...................................................................................................................................83

CHAPITRE.II. LE SALAIRE MINIMUM: RENFORCEMENT OU AFFAIBLISSEMENT DU « MODELE ALLEMAND »? ............ 104 A. Le salaire minimum: une réponse efficace aux faiblesses du modèle allemand ? ...................... 104 B. Après l’introduction d’un salaire minimum national: quelle avenir pour le « modèle allemand » ? 124

ANNEXES: .................................................................................................................................................. 135

ANNEXE I : LE MANIFESTE BLAIR-SCHRÖDER ..................................................................................................... 135 ANNEXE II : LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DES « LOIS HARTZ » ........................................................................... 143 ANNEXE III : ENCADRE DU RAPPORT DU BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL 2012 ................................................. 144 ANNEXE IV : LA LOI SUR LE SALAIRE MINIMUM (MILOG) EN SCHEMAS ................................................................... 145 ANNEXE V: LES ETUDES SUR LE SALAIRE MINIMUM ............................................................................................. 148

TABLE DES MATIERES ................................................................................................................................ 152

BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................................... 155

OUVRAGES/ REVUES .............................................................................................................................. 155 SITOGRAPHIE ........................................................................................................................................ 157

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Des « réformes Hartz » à la loi

sur l’introduction d’un salaire

minimum national: adaptation ou évaporation du « modèle

allemand » des relations sociales face aux défis du XXIème siècle ?

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REMERCIEMENTS

Mes remerciements vont en premier lieu à mon directeur de mémoire, M. Laurent Guihery,

pour sa disponibilité, son enthousiasme et ses précieux conseils. Je tiens également à

remercier mes proches pour leur soutien, leur patience et leurs relectures durant cette

longue période de rédaction.

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Introduction

Depuis l’éclatement de la crise financière mondiale (2008) puis de la crise de l’euro

(2010), l’existence d’un « modèle allemand » suscitant à la fois admiration et rejet semble

une évidence au vu de l’abondante littérature qui lui est consacré. Depuis la réunification

du 3 octobre 1990 entre la République Fédérale d’Allemagne (Bundesrepublik

Deutschland) et la République Démocratique Allemande (Deutsche Demokratische

Republik), l’Allemagne ne cesse d’intriguer les observateurs qui l´érigent tour à tour

comme un modèle à suivre ou à ne surtout pas suivre. Cependant, que faut-il comprendre

par un tel concept? Dans le sens commun, un modèle renvoie à un exemple à reproduire, à

une référence vers laquelle tendre. Qualifier telle chose de « modèle » (ou de son

antonyme) revient à émettre un jugement sur la valeur sur celle-ci, impliquant

nécessairement un point de vue subjectif. Par ailleurs, lorsqu’il est question d’un modèle

national (français, suédois, etc…) cela renvoie également à un ensemble de caractéristiques

propres à un pays dont les autres chercheraient éventuellement à s’inspirer. Ce double

visage (modèle/contre-modèle) trouve son ancrage dans les années 90 lorsque

l’essoufflement inéluctable du modèle socio-économique allemand qui avait prévalu

depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale était prédit. L’inquiétude autour de la santé

économique de l’Allemagne, que la réunification devait consacrer « locomotive

européenne »1 de la croissance, a crû au cours des années 90 au point que le quotidien

britannique The Economist en vienne à qualifier ce pays d’« homme malade de l’Europe»2.

Quelles sont les caractéristiques spécifiques de ce supposé « modèle allemand » générant

tant de littérature à son propos? Dans le contexte de la réunification allemande,

l’économiste français Michel Albert a publié l’ouvrage Capitalisme contre capitalisme3

dans lequel il identifie deux modèles capitalistes qui s’affronteront dans le nouvel ordre

mondial succédant à la Guerre Froide. Pour Michel Albert, le système capitaliste défendu

par les Etats-Unis est indéniablement sorti vainqueur de son combat de quarante ans contre

1 HARASTY Hélène, LE DEM Jean, « Réunification allemande et croissance européenne un espoir déçu

?», Revue de l’OFCE, Observations et diagnostics économiques n° 39, Janvier 1992, p.195-217, p. 195

2 « The sick man of the euro » [En ligne] The Economist, Germany stalls, the euro falls, mis en ligne le 3

juin 1999, consulté le 25 mai 2014. URL : http://www.economist.com/node/209559 3 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350 p.

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le système communiste prôné par l’URSS. L’idéologie communiste ne représentant plus un

adversaire de poids, l’affrontement devrait avoir lieu entre deux modèles capitalistes ayant

leurs caractéristiques propres : le capitalisme rhénan contre le capitalisme anglo-saxon. La

thèse centrale du livre de Michel Albert est que le capitalisme rhénan représente certes le

modèle le plus vertueux des deux mais que dans le nouvel ordre mondial émergeant il

s’effacera progressivement face au capitalisme anglo-saxon en raison de ses rigidités

inhérentes. Michel Albert se montre particulièrement élogieux envers le capitalisme

rhénan, auquel il associe le système socio-économique allemand de l’après-guerre, en

raison du fonctionnement particulier des relations entre les acteurs. Ce mode

d’organisation, dont nous aurons l’occasion de décrire les mécanismes, repose sur la

stabilité des relations entre les parties prenantes. L’analyse montrera en quoi les bases du

« modèle allemand » ont été mises à mal par les difficultés persistantes du pays, et

pourquoi les réformes structurelles des années 2000 censées redresser le pays ont suscité

des débats houleux. Parmi les réformes menées, nous nous intéresserons particulièrement

aux lois de modernisation des prestations de services sur le marché du travail (Gesetze für

moderne Dienstleistungen am Arbeitsmarkt), plus connues sous le nom de « lois Hartz »

(Hartz-Gesetze). Nous analyserons les conséquences de ces réformes de flexibilisation du

marché du travail allemand sur l’évolution du rapport salarial, et par conséquent sur leur

rôle dans la pérennité ou le démantèlement des fondements « modèle allemand » des

relations sociales de l’après-guerre. Ces réformes ont-t-elles menées à un renouvèlement

ou à un affaiblissement du capitalisme rhénan en Allemagne comme le prédisait Michel

Albert ? Par ailleurs, les « lois Hartz » ont suscité de vives controverses, que leur impact

ait été considéré comme positif ou négatif. Elles auraient notamment encouragé

l’expansion des secteurs à bas salaires sur le marché du travail grâce à l’inexistence d’un

salaire minimum généralisé, amenant certaines instances à accuser l’Allemagne de faire du

dumping social par rapport à ses voisins européens. Ces critiques récentes de plus en plus

vives ont déplacées le débat sur les « lois Hartz » vers une autre mesure phare pour

l’évolution future du « modèle allemand » : l’introduction d’un salaire minimum généralisé

(der flächendecke Mindestlohn). L’arrivée au pouvoir en décembre 2003 de la seconde

Grande Coalition réunissant le parti démocrate-chrétien (CDU) et le parti social-démocrate

(SPD) dans le gouvernement Merkel III a précipité l’émergence d’une telle mesure.

Respectivement adopté le 3 et le 11 juillet 2014 par le Bundestag et le Bundesrat, le projet

de loi sur le salaire minimum (das Mindestlohngesetz, MiLOG) entrera en vigueur à partir

du 1er janvier 2015. Cette réforme représente un autre tournant pour le système socio-

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économique allemand qui n’a jamais connu de salaire minimum. Comment faut-il

comprendre la mise en place d’une telle mesure dix ans après celle des « lois Hartz »? La

question est de savoir quelle place occupe cette réforme phare dix ans après l’adoption des

lois de flexibilisation du marché du travail, c’est-à-dire si elle remet en cause ou complète

ces dernières. Par ailleurs, il faut également nous interroger sur l’impact futur de cette

réforme sur l’évolution du « modèle allemand » des relations sociales, c’est-à-dire si cette

loi sur le salaire renforcera ou affaiblira d’autant plus les bases fondamentales du système

socio-économique de l’après-guerre. Ces interrogations multiples nous amène au

questionnement central suivant : Les « réformes Hartz » du début des années 2000 ont-

elles conduit à l’adaptation ou à l’effacement de la conception rhénane des relations

sociales face à l’émergence d’un nouvel ordre mondial dans les années 90, et comment

interpréter l’adoption de la loi sur l’introduction d’un salaire minimum national dix ans

après leur entrée en vigueur progressive ? Dans un premier temps, nous mettrons en avant,

d’une part, que les « réformes Hartz » sont la conséquence d’une adaptation nécessaire du

modèle capitaliste rhénan à la conjoncture mondiale, qu’il a été possible d’appliquer sans

heurts majeurs grâce à l’ancrage de la culture du consensus dans les entreprises

allemandes. D’autre part, nous montrerons que les conséquences sociales des « lois

Hartz » ont conduit à davantage qu’une simple adaptation du modèle capitaliste rhénan à la

conjoncture mondiale, c’est-à-dire à une restructuration de ce modèle socio-économique

des relations sociales autour du conflit entre salaires et compétitivité, de sorte la question

de la pérennité de ce modèle se pose à long terme. Dans un second temps, nous nous

intéressons à la portée éventuelle de la récente loi sur l’introduction du salaire minimum

national en analysant d’une part les raisons à la fois nationales et européennes ayant

conduit à l’adoption d’une telle mesure. D’autre part, nous anticiperons les conséquences

d’une telle mesure sur la situation économique de l’Allemagne à partir d’études

comparatives tout en mettant en avant en quoi cette mesure constitue-t-elle un changement

de cap dans l’évolution du « modèle allemand ».

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Partie I. : Les « lois Hartz » : des réformes du marché du travail au cœur d’une

refondation de la conception des relations sociales dans le « modèle allemand »

Dans un premier temps, l’analyse sera consacrée aux conséquences de l’évolution

du « modèle rhénan » depuis la fin des années 90 sur le fonctionnement des

rapports sociaux dans les entreprises allemandes, posant la question de la pérennité

de ce modèle suite aux transformations opérées en Allemagne au début du XXIème

siècle. Le « modèle rhénan » a en effet été positivement associé à l’Allemagne,

avant de connaitre une crise profonde après la fin de l’ordre bipolaire imposé par la

Guerre Froide. Amenée à s’adapter à une nouvelle conjoncture mondiale et

nationale, l’Allemagne a dû répondre à ses difficultés par des réformes qui

s’avéraient nécessaires, mais qui soulèvent le problème de la conformité des

mesures prises aux caractéristiques traditionnelles du « modèle rhénan ». En

d’autres termes, il s’agit de s’interroger sur la thèse de Michel Albert, selon laquelle

le capitalisme anglo-saxon devait inéluctablement l’emporter sur le capitalisme

rhénan malgré la supériorité du second sur le premier4.

4 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350 p.

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Chapitre.I. Le« modèle allemand » face aux défis de l’entrée dans le XXIème siècle : vers la remise en cause du système socio-économique allemand de l’après-guerre ?

En premier lieu, il convient d’analyser les caractéristiques traditionnelles du

« modèle allemand » en tant que système socio-économique entrant dans le champ

du capitalisme rhénan défini par Michel Albert. Ce modèle est en effet perçu

comme vertueux en raison d’un mode de fonctionnement des relations

professionnelles intégrant toutes les parties prenantes au processus de décision,

basé sur des mécanismes privilégiant le consensus. Il nous faut démontrer pour

quelles raisons ce « modèle allemand » a été profondément remis en cause à la fin

des années 90, au point que la question de son éventuelle évaporation soit posée.

A. Le modèle capitaliste rhénan : un modèle socio-économique traditionnellement fondé sur un dialogue social « stakeholder »

Premièrement, nous devons procéder à la description des caractéristiques du

« modèle allemand » associé au système socio-économique dit ordolibéral mis en

place durant la période de l’après-guerre. Plus précisément, il s’agit d’expliquer les

bases sur lesquelles repose le « modèle allemand » à l’aune du « capitalisme

rhénan » décrit par Michel Albert.

A.1. Les fondements du capitalisme rhénan dans l’Allemagne de l’après-guerre

D’une part, il nous faut définir précisément ce qu’est le « capitalisme rhénan » pour

ensuite expliquer sur quels fondements repose le modèle socio-économique

allemand de l’après-guerre.

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A.1.1. Capitalisme rhénan contre capitalisme anglo-saxon : conception « stakeholder » contre conception « stockholder »

Tout d’abord, nous allons définir ce à quoi se rapporte le capitalisme rhénan,

notamment dans Capitalisme contre Capitalisme de Michel Albert. Il faut d’emblée

préciser que le « capitalisme rhénan » ne se limite pas au cas de l’Allemagne, bien

que l’analyse se concentre exclusivement sur ce pays. En effet, Michel Albert

l’associe certes à l’Allemagne, mais aussi au Japon, en le qualifiant de modèle

« germano-nippon » et en renommant par la même occasion les Japonais

« Allemands de l’Asie »5 (Albert, 1991). Par ailleurs, les pays « allant de l’Europe du

Nord à la Suisse » (Albert, 1991)6 y sont également inclus. Par conséquent,

l’Allemagne des années 90 décrite par Michel Albert n’est pas présentée comme un

cas isolé. Cette précision étant faite, nous pouvons procéder à la définition du

« capitalisme rhénan », que Michel Albert identifie d’emblée comme l’opposé du

capitalisme anglo-saxon, tout en reconnaissant cependant que « la terminologie «

modèle anglo-saxon » versus « modèle germano-nippon » n’est utile que si l’on

regarde les choses de loin » (Albert, 1991)7. Pour autant, il les différencie clairement

en qualifiant le premier de « capitalisme stockholder » et le second de « capitalisme

stakeholder », et en illustrant cette opposition par les propos du sociologue Jean-

Gustave Padioleau : « Le spéculateur prend le dessus sur l’entrepreneur industriel ;

les gains faciles à court terme sapent les richesses collectives de l’investissement à

long terme » (Albert, 1991)8. Ainsi, le capitalisme anglo-saxon se caractériserait par

la prédominance de l’actionnaire dont l’objectif est d’accumuler des richesses le plus

rapidement possible, notamment par le biais de la spéculation et de la maximisation

des profits. Cette conception dite stockholder fait de l’entreprise un bien marchand

comme tous les autres, où la formation professionnelle des travailleurs tient une

place infime en raison des coûts immédiats de cet investissement à long terme. Or, le

« capitalisme anglo-saxon » privilégierait plutôt le court terme dans la mesure où son

5 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350 p., p. 21 6 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350 p. , p. 118 7 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350 p. p. 21-22 8 Cité dans : ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire

immédiate, 1991, 350 p, p. 118

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crédo serait de « maximiser les profits immédiatement » (Albert, 1991)9. De même,

l’emploi est perçu comme un investissement de court terme dont les conditions au

sein de l’entreprise dépendent avant tout de l’impact de la conjoncture sur la santé

économique de cette dernière. Autrement dit, les modifications de salaires sont

tributaires non seulement de la réussite de l’entreprise mais surtout « des conditions

instantanées du marché » (Albert, 1991)10. Le capitalisme rhénan se caractériserait

au contraire par l’étroitesse des liens entre les acteurs du système économique.

L’entreprise correspond en effet autant à une communauté (community) qu’à un bien

marchand (commodity), ce qui souligne également l’étroitesse des liens entre les

acteurs qui s’y côtoient11. Par conséquent, cette conception stakeholder implique que

les relations entre les acteurs se construisent plutôt sur le long terme, notamment par

le biais d’emplois stables. Quant aux salaires, ils sont « largement fixés […] en

dehors de la productivité du salaire » (Albert, 1991)12, c’est-à-dire indépendamment

de la situation conjoncturelle de l’entreprise. Cependant, les deux capitalismes sont

bien de même nature de par leur appartenance au libéralisme économique en dépit

des différences décrites précédemment, ce qui amène à s’interroger sur celle du

système socio-économique de l’Allemagne de l’après-guerre.

A.1.2. L’ordolibéralisme, base fondamentale du système socio-économique de l’après-guerre le « modèle allemand » dans le giron du « capitalisme rhénan »

Ensuite, nous devons expliquer les fondements sur lesquels repose le « modèle

allemand » décrit par Michel Albert au début des années 90, en insistant notamment

sur le fait que ses bases libérales en font bien un système socio-économique

capitaliste. Michel Albert s’étonne précisément de la difficulté de l’Allemagne à

faire reconnaitre son système socio-économique comme « authentiquement

9 ALBERT Michel Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350 p. p. 21 10 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350p. , p. 122 11 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350 p., p. 122 12 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350p, p. 122

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libéral »13, ce qui implique d’expliquer la nature des bases économiques à l’origine

du « modèle allemand». Cette confusion vient en premier lieu du rôle de

l’Allemagne bismarckienne de la fin du XIXème dans la construction d’un Etat

dépassant ses fonctions régaliennes pour permettre la mise en place du premier

système de protection sociale. En second lieu, la République de Weimar (1920-

1933) est le premier régime politique en Europe à étendre réellement les fonctions

de l’Etat à un rôle social, et a esquissé les premières bases d’un Etat-Providence.

L’Allemagne a donc joué un rôle précurseur dans l’émergence des droits

économiques et sociaux, consacrés par la Déclaration Universelle des Droits de

l’Homme (DUDH) de 1948 en tant que seconde génération des droits de l’Homme

En dépit de sa dimension sociale avant-gardiste, l’Etat allemand a pour autant

construit sa politique de l’après-guerre autour de fondements économiques

authentiquement libéraux qu’il convient d’analyser. L’économie sociale de marché

(Sozialmarktwirtschaft), dont le père fondateur est le démocrate-chrétien Ludwig

Erhard devenu ministre de l’économie en 1949, constitue l’adaptation majeure du

système socioéconomique traditionnel durant la période de l’après-guerre

(Harding, 1999)14. S’imposant comme pilier du « modèle allemand » dans les

années 50, elle aurait pour fondement théorique l’ordolibéralisme, défini comme

« le programme de recherche fribourgeois des règles constitutionnelles de

l’économie de marché » (Simonin, 2003)15. Ce système de pensée née à la fin des

années 30 a pour créateurs les économistes de l’Ecole de Fribourg, parmi lesquels

Walther Eucken et Franz Böhm. D’après eux, l’ordolibéralisme a pour fondement

l’Ordnungsthéorie qui en tant que « théorie constitutionnelle [analysant] les lois et

institutions de l’ordre économique » doit mener à une Ordnungspolitik, à savoir

« un cadre légal et institutionnel » (Simonin, 2003)16. Autrement dit,

13 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350p, p. 138 14 HARDING Rebecca, “Standort Deutschland in the globalising economy: An end to the economic

miracle?”, German Politics, Vol. 8, n°1, p. 66-88, p. 72 15 SIMONIN Laurence, « Le choix des règles constitutionnelles de la concurrence : ordolibéralisme et

théorie contractualiste de l’Etat ». Dans : COMMUN Patricia et al., L’ordolibéralisme allemand. Aux

sources de l’économie sociale de marché, Cergy-Pontoise, Travaux et documents du CIRAC, 2003, p.67-76, p.67

16 SIMONIN Laurence, « Le choix des régles constitutionnelles de la concurrence : ordolibéralisme et

théorie contractualiste de l’Etat ». Dans : COMMUN Patricia et al., L’ordolibéralisme allemand. Aux

sources de l’économie sociale de marché, Cergy-Pontoise, Travaux et documents du CIRAC, 2003, p.67-76, p.72

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l’Ordnungstheorie consiste à prôner un rôle actif de l’Etat dans le processus

économique par la création d’un ordre économique (Wirtschaftsordnung)

empêchant la formation de monopoles dans le but d’assurer les conditions de libre-

échange sur le marché. Pour Eucken, la Wirtschaftsordnung renvoit à « un système

cohérent et ordonné qui intègre facteurs et fonctions économiques, selon des

normes et principes donnant un sens à la vie économique d'une communauté »

(Constantinesco, 1960)17. Paradoxalement, l’Etat se fait ainsi le garant du respect de

la concurrence sur le marché face à l’intervention de tout acteur qui chercherait à

limiter celle-ci. Une telle conception peut effectivement paraitre singulière dans la

mesure où l’Etat intervient dans ce processus économique pour inhiber toute

« tendance planificatrice des pouvoirs économiques publics » (Simonin, 2003)18,

c’est-à-dire émanant éventuellement de lui-même. L’Etat se voit uniquement

reconnaitre un rôle de guide du processus économique dépassant certes ses

fonctions régalienne mais ne le prédisposant pas non plus à inhiber la concurrence

pure et parfaite sur le marché pour des raisons sociales. Dans cette conception, le

risque le plus redouté est donc l’interventionnisme excessif de l’Etat, ce qui fait

bien de l’ordolibéralisme une théorie authentiquement libérale. Par ailleurs, la

constitution d’un cadre légal assurant les conditions de la concurrence exige la mise

en place d’une Ordnungspolitik reposant sur des règles constitutionnelles, c’est-à-

dire sur un contrat entre l’Etat et les citoyens : la constitution économique (die

Wirtschaftverfassung). Dans les faits, aucune constitution économique n’est

intégrée dans la Loi Fondamentale (das Grundgesetz) qui organise le système

politique de République Fédérale d’Allemagne depuis 1949. Cette expression fait

référence à l’idée de « structure économique de l’Etat » (Constantineo, 1960)19 et

ne doit en conséquence pas être confondu avec la constitution au sens juridique du

terme. Cependant, si la Loi Fondamentale (das Grundgesetz) ne consacre pas

formellement un ordre économique ordolibéral, elle ne le reconnait pas moins 17 Cité dans: CONSTANTINEO L.-J. « La constitution économique de la République fédérale allemande »

[En ligne] Revue économique, Volume11 n°2, 1960, p. 266-290, consulté le 15 mai 2014. URL : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1960_num_11_2_407406, p.268

18 SIMONIN Laurence, « Le choix des régles constitutionnelles de la concurrence : ordolibéralisme et

théorie contractualiste de l’Etat ». Dans : COMMUN Patricia et al., L’ordolibéralisme allemand. Aux

sources de l’économie sociale de marché, Cergy-Pontoise, Travaux et documents du CIRAC, 2003, p., p.72

19 CONSTANTINEO L.-J. « La constitution économique de la République fédérale allemande » [En ligne]

Revue économique, Volume11 n°2, 1960, p. 266-290, consulté le 15 mai 2014. URL : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1960_num_11_2_407406, p.267

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implicitement (Constantinesco, 1960)20, de par le compromis entre une composante

libérale incarnée par les droits fondamentaux d’une part et une composante sociale

incarnée par l’Etat social d’autre part. En effet, si l’Etat doit avant tout créer un

ordre économique capable d’assurer le libre-échange face aux planifications, il n’en

possède pas moins une dimension sociale que l’économie sociale de marché tente

précisément de concilier avec la dimension économique. Dans cet ordre

économique, l’individu ne devrait disposer de ses droits qu’à la condition d’avoir

rempli ses devoirs, d’où l’idée que la liberté devrait être contrebalancée par la

responsabilité. L’Etat coordonne donc les règles qui assurent et limitent à la fois la

liberté des individus dans cet ordre économique nécessitant l’entente entre toutes

les parties prenantes. C’est pourquoi, le système socio-économique allemand de

l’après-guerre correspond-il bien au capitalisme stakeholder, qui privilégie plutôt

les relations entre les parties prenantes, plutôt qu’au capitalisme stockholder, qui

privilégie davantage l’appât du gain. L’analyse des fondements théoriques du

système socio-économique amène clairement à qualifier celui-ci de libéral ainsi

qu’à l’associer au capitalisme rhénan.

A.1.3. Le fonctionnement du système socio-économique allemand: un réseau limité d’acteurs partageant des liens étroits

Enfin, les relations traditionnelles entre les acteurs économiques allemands se

traduisent de fait par l’étroitesse des liens entre ces derniers, en premier lieu entre

les banques et les entreprises qui forment non seulement une « communauté

industrialo-bancaire » (Albert, 1991)21, et même une « communauté de travail »

(Albert, 1991)22. Cette relation de proximité s’explique par le caractère universel

des banques allemandes qui ne se contentent pas de faire des prêts mais participent

à la stratégie des entreprises sur le long terme. Cela les incite à inscrire leur

partenariat avec les entreprises dans la durée, et par conséquent à agir de sorte à

assurer les intérêts de ces dernières sur le long terme. La banque est donc un

interlocuteur privilégiée de l’entreprise allemande dans la mesure où son influence

20 CONSTANTINEO L.-J. « La constitution économique de la République fédérale allemande » [En ligne]

Revue économique, Volume11 n°2, 1960, p. 266-290, consulté le 15 mai 2014. URL : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1960_num_11_2_407406, p.279

21 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L’histoire immédiate, 1991,

350p, p.132 22 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L’histoire immédiate, 1991,

350p, p. 127

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dépasse la seule sphère financière. Par ailleurs, cette relation stable d’actionnariat

des banques tranche avec la relation instable d’actionnariat des spéculateurs qui

inscrivent leur partenariat avec l’entreprise en fonction de la rapidité des résultats.

En second lieu, ce système correspond à un « capitalisme négocié » (Utterwedde,

2003) 23 qui n’établit pas seulement des relations privilégiées entre les entreprises et

les banques mais qui favoriserait de fait le consensus entre tous les acteurs. Cette

importance du consensus dans le système socio-économique allemand a également

été mise en avant par Rebecca Harding qui soulignait le fait que « toute discussion

entre l’entreprise et les salariés d’une part, et l’entreprise et les actionnaires

d’autre part, dans les entreprises allemandes, doit tenir compte de l’intérêt des

autres parties » [Notre traduction] (Harding, 1999)24. Elle expliquait par la même

occasion que cette culture du consensus émane de la très forte interdépendance

entre tous les acteurs du système. Michel Albert évoque pour sa part l’existence

d’un « réseau d’intérêts croisés » réunissant un groupe d’individus qui finissent par

nouer des relations étroites en raison de leur nombre restreint (Albert, 1991)25. La

particularité du système économique allemand réside dans l’importance de son tissu

de Petites et Moyennes Entreprises (Mittelstand), dont la définition d’une part et le

poids d’autre part sont résumés par les Figure I et Figure II présentées ci-dessous26.

23 UTTERWEDDE Henrik, « Le capitalisme rhénan n’est pas mort », Regards sur l’économie allemande,

bulletin économique du CIRAC, no 40/2003, p. 38 24 HARDING Rebecca, “Standort Deutschland in the globalising economy: An end to the economic

miracle?”, German Politics, Vol. 8, n°1, p. 66-88, p. 72: “Any discussion of either the relationship between management and employees or the relationship between management and capital within German companies has to take into account the interests of other parties”

25 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350 p, p.131 26 Im Firmen-Puzzle dominiert der Mittelstand [En ligne] Institut der deutschen Wirtschaft Köln (IW) [page

consultée le 3 juin 2014]. URL: http://www.iwkoeln.de/de/infodienste/iwd/archiv/beitrag/grafikstrecke-mittelstand-im-firmen-puzzle-dominiert-der-mittelstand-117687

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Figure I : Classification des entreprises selon leur taille en fonction des définitions par l’Allemagne et l’Union Européenne

Source: Im Firmen-Puzzle dominiert der Mittelstand [En ligne] Institut der deutschen Wirtschaft Köln (IW) [page consultée le 3 juin 2014]. URL: http://www.iwkoeln.de/de/infodienste/iwd/archiv/beitrag/grafikstrecke-mittelstand-im-firmen-puzzle-dominiert-der-mittelstand-117687

Figure II: Poids du Mittelstand en Allemagne (en %)

Source: Im Firmen-Puzzle dominiert der Mittelstand [En ligne] Institut der deutschen Wirtschaft Köln (IW) [page consultée le 3 juin 2014]. URL: http://www.iwkoeln.de/de/infodienste/iwd/archiv/beitrag/grafikstrecke-mittelstand-im-firmen-puzzle-dominiert-der-mittelstand-117687

D’après la Figure I, le Mittelstand correspond selon la définition allemande aux

entreprises de moins de 500 salariés et au chiffre d’affaires inférieur à 50 millions

d’euros par an. Selon la définition de l’Union Européenne, il engloberait les

entreprises de moins de 250 salariés, au chiffre d’affaires inférieur à 50 millions

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d’euros et au bilan inférieur à 43 millions d’euros par an. D’après la Figure II, le

poids des petites et moyennes entreprises (PME) est particulièrement important dans

l’économie allemande. En 2010, le Mittelstand regroupait presque la totalité des

entreprises (99,6%), plus de trois-quarts des stagiaires (83,2%), deux-tiers des actifs

(60%) et un-tiers du chiffre d’affaires (36,9%). Or, la présence d’une part aussi

importante de PME réparties sur l’ensemble du territoire allemand implique une

double conséquence. D’une part, l’étalement de ce tissu sur tout le territoire

allemand permet d’éviter la concentration du pouvoir économique dans un pôle

unique, ce constat renvoyant à l’organisation du pouvoir politique qui n’est lui-même

pas centralisé. Cette répartition des centres de décisions a notamment conduit à

l’émergence de « capitales secrètes » telles Munich, Hambourg, Stuttgart,

Düsseldorf ou Francfort (Barmeyer & Davoine, 2008)27. D’autre part, le poids du

Mittelstand dans l’économie allemande permet d’envisager une conception des

relations sociales horizontale en comparaison à d’autres pays où la proportion de

PME est moins élevée. Ainsi, cette description des fondements théoriques et du

fonctionnement global du système socio-économique allemand de l’après-guerre à

l’aune des caractéristiques du capitalisme rhénan amène à analyser plus précisément

l’organisation traditionnelle des rapports sociaux au sein des entreprises allemandes.

A.2. L’entreprise dans le « modèle allemand »: une conception « stakeholder » des rapports sociaux entre les partis prenantes

D’autre part, il nous faut analyser le mode de fonctionnement des relations

professionnelles dans les entreprises allemandes, en particulier leur impact sur le

parcours des individus. Cette culture du consensus associée au capitalisme rhénan en

Allemagne s’explique par la structure du système économique qui présente plusieurs

caractéristiques favorables à cela.

27 BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».

Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et

Télé-universités (UQAM), 2008, p. 1

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A.2.1. Les particularités du « Tarifautonomie »: la constitution d’un « esprit de branche »

Tout d’abord, la première particularité tient à la catégorisation des entreprises par

branche d’activités autonomes, au niveau desquelles des décisions spécifiques à

chacune d’entre elles sont prises. Les règles encadrant le fonctionnement des

entreprises sont négociées selon le principe constitutionnel du Tarifautonomie,

garanti par l’article 9.3 de la Loi Fondamentale (das Grundgesetz) selon lequel « le

droit de fonder des associations pour la sauvegarde et l'amélioration des conditions

de travail et des conditions économiques est garanti à tous et dans toutes les

professions »[Notre traduction]28. Ce principe implique donc le droit de réguler les

conditions de travail par des contrats de branche (Tarifverträge) à l’issue de

négociations entre les représentants de toutes les parties prenantes (entreprises,

salariés, syndicats, etc…). Dans ce mode de fonctionnement, l’Etat ne s’interpose pas

dans les négociations par branche, se contentant de jouer son rôle de garant de l’ordre

économique. Cette régulation sans l’Etat se fait à deux niveaux (Barmeyer &

Davoine, 2008)29 , à savoir au niveau des conventions collectives de branche

(Tarifvertragsgesetz) et au niveau de l’entreprise elle-même

(Betriebsverfassungsgesetz). Ainsi, c’est en raison de sa supposée non-conformité au

principe de l’autonomie des branches que l’instauration par d’un salaire minimum

généralisé par l’Etat fédéral suscite des controverses, ce que nous aurons l’occasion

de démontrer plus tard (voir p.65). Par ailleurs, le système socio-économique

allemand accorde une place prépondérante aux syndicats en tant que représentant des

intérêts des parties prenantes dans la mesure où la plupart des décisions sont le fruit

de négociations branche par branche. La confédération syndicale la plus importante

est la Confédération des syndicats allemands (der Deutscher Gewerkschaftsbund,

DGB) qui regroupe 80% des adhérents et qui a fixé le principe initial: une entreprise,

un syndicat (Dribbusch, 2010)30. Ceci étant dit, les entreprises peuvent se répartir

28 GG-Einzelnorm (art.9) [En ligne] Bundesministerium für Justiz und Verbraucherschutz [page consultée le

18 juin 2014]. URL: http://www.gesetze-im-internet.de/bundesrecht/gg/gesamt.pdf : „Das Recht, zur Wahrung und Förderung der Arbeits- und Wirtschaftsbedingungen Vereinigungen zu bilden, ist für jedermann und für alle Berufe gewährleistet“

29 BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».

Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et

Télé-universités (UQAM), 2008, p. 5 30 DRIBBUSH Heiner, « Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux », Friedrich Ebert

Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p.1

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selon les huit syndicats interbranches adhérents à la DGB, comme le montre le

Tableau I (Dribbusch, 2010)31.

Tableau I: Syndicats membres de la DGB représentant les principales branches allemandes

Source : Dribbusch Heiner, « Les syndicats en Allemagne : organisation, contexte, enjeux », Friedrich-Ebert Stiftung, Janvier 2010, 1-13 p, p.11

En 1990, la DGB représentait huit millions d’adhérents avant de s’élever à presque

douze millions sous l’effet de la réunification entre la République Fédérale

d’Allemagne (die Bundesrepublik Deutschland) et la République Démocratique

Allemande (die Deutsche Demokratische Republik). En dehors du Deutscher

Gewerkschaftbund (DGB), deux autres confédérations syndicales existent : der

Beamtebund (le syndicat de la fonction publique) [Notre traduction], qui regroupait

1,8 millions d’adhérents en 2008 ; der Christlicher Gewerkschaftbund Deutschlands

(l’Union syndicale chrétienne allemande) [Notre traduction], qui regroupait 280 000

adhérents en 2008. Une telle configuration favorise de fait la constitution d’un

« esprit de branche » qui peut cependant laisser craindre des blocages importants lors

des négociations en raison d’intérêts certes croisés mais qui n’en demeurent pas

moins opposés (Albert, 1991) (Utterwedde, 2003)32. C’est pourquoi, une culture du

consensus entre les acteurs apparait essentielle pour éviter les blocages à répétition.

31 DRIBBUSH Heiner, « Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux », Friedrich Ebert

Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p.11 32 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350 p.

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A.2.2. Le rôle du système de formation professionnelle : la « Berufausbildung » au cœur de la socialisation des

employés

Ensuite, cette culture du consensus se retrouve dans le fonctionnement de chaque

entreprise, qui favorise l’intégration de toutes les parties prenantes dans le processus

de décision, en particulier celle des salariés. Christoph I. Barmeyer et Eric Davoine

ont d’ailleurs consacré un article au système de management allemand qu’ils

qualifient de « machine bien huilée » pour reprendre l’expression de Geert

Hofstede33 en raison, d’une part, du système de formation professionnelle et, d’autre

part, de la pratique du pouvoir. D’une part, le système éducatif allemand participe de

cette « machine bien huilée » par la valorisation de l’apprentissage professionnel

(Berufsausbildung) autant que la formation universitaire. C’est pourquoi, une part

importante de la population allemande se tourne encore vers ces formations courtes

dites duales où l’apprenti apprend son métier pour une durée de trois ans au sein

d’un centre de formation intégré dans une entreprise. D’après Christoph I. Barmeyer

et Eric Davoine, 55% de la population active détenait un brevet de formation

professionnelle avant la réunification34. Cette tendance est confirmé par les chiffres

de Michel Albert qui affirmait que les formations professionnelles duales

représentaient 53% des actifs allemands contre 25% des actifs français35 Depuis une

UTTERWEDDE Henrik, « Le capitalisme rhénan n’est pas mort », Regards sur l’économie allemande,

bulletin économique du CIRAC, no 40/2003. p.34

BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ». Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et

Télé-universités (UQAM), 2008, p. 1 33 Cité dans : BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine

bien huilée ». Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et Télé-universités (UQAM), 2008, p. 1

34 BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».

Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et Télé-universités (UQAM), 2008, p.1

35 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350 p, p.135

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vingtaine d’années, cette part est demeurée relativement stable, avec 52% des actifs

impliqués dans la formations duale en 2004 (voir Figure III)36.

Figure III: Structure d'une cohorte d’âge en fonction du niveau de diplôme

Source : HIPPA-SCHNEIDER Uta, KRAUSE Martina, WOLL Christian, „Berufsbildung

in Deutschland. Kurzbeschreibung“, Cedefop Panorama series 136, Luxemburg: Amt für amtliche Veröffentlichungen der Europäischen Gemeinschaften, 2007, p. 1-89, p.26

Par ailleurs, la formation professionnelle duale correspond à une « période de

socialisation professionnelle » (Barmeyer & Davoine, 2008)37 favorisant

l’identification du futur salarié non seulement à l’entreprise qui le forme mais

également à la branche d’activité auquel il appartient. Par ailleurs, Christoph I.

Barmeyer et Eric Davoine constatent que les particularités de la socialisation

professionnelle en Allemagne amènent à des conceptions différentes de l’évolution

des carrières dans l’entreprise entre l’Allemagne et la France. Le salarié allemand

voit sa carrière progresser lentement et acquérir progressivement une autorité

légitime sur les critères de l’ancienneté d’une part et des compétences techniques

36 HIPPA-SCHNEIDER Uta, KRAUSE Martina, WOLL Christian, „Berufsbildung in Deutschland.

Kurzbeschreibung“, Cedefop Panorama series 136, Luxemburg: Amt für amtliche Veröffentlichungen der Europäischen Gemeinschaften, 2007, p. 1-89, p.26

37 BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».

Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et Télé-universités (UQAM), 2008, p.9

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d’autre part. Comme le montre la Figure IV (Barmeyer & Davoine, 2008)38,

l’évolution des carrières dans le modèle allemand n’intervient qu’après une longue

phase d’identification à l’entreprise.

Figure IV: Comparaison des "modèles" latins et "allemand"d'ascension des salariés dans l'entreprise

Source : Christoph I Barmeyer, Eric Davoine, “Culture et gestion en Allemagne : la

machine bien huilée » dans Eduardo Davel, Jean-Pierre Dupuis et Jean-Francois Chanlat (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et Télé-universités (UQAM), 2008, p. 11

Le parcours type d’un salarié allemand correspond à celui d’un « alpiniste »

(Barmeyer & Davoine, 2008)39 qui commence en bas de la hiérarchie pour gravir

lentement mais sûrement les échelons au gré de l’acquisition de compétences qui

font de lui un expert reconnu. L’entreprise s’impose donc comme une seconde

famille pour le salarié qui construit son parcours professionnel le plus souvent dans

la même entreprise, voire dans la même fonction (Barmeyer & Davoine, 2008)40

38 BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».

Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et

Télé-universités (UQAM), 2008, p. 11 39 BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».

Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et

Télé-universités (UQAM), 2008, p. 13 40 BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».

Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et

Télé-universités (UQAM), 2008, p. 10

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24

A.2.3. Le système de cogestion: des relations équilibrées entre le capital et le salariat

Enfin, la structure du pouvoir dans les entreprises participe de cette « machine bien

huilée » en construisant les relations sociales autour de la valorisation des

compétences à tous les niveaux hiérarchiques, ce qui implique une pratique du

pouvoir au sein de l’entreprise plutôt horizontale, c’est-à-dire davantage bottom-up

que top-down. La régulation des relations sociales au sein de l’entreprise est assurée

par un système de cogestion, aussi connu sous le nom de codétermination (die

Mitbestimmung), qui consiste « à négocier un équilibre entre les intérêts du capital,

de la gestion et des salariés » (Barmeyer & Davoine, 2008)41. Le pouvoir se répartit

surtout entre deux instances: le conseil d’établissement (der Betriebsrat) d’une part,

et le conseil de surveillance (der Aufsichtsrat) d’autre part. Le premier s’occupe de la

gestion de l’entreprise elle-même et représente les intérêts du patronat tandis que le

second s’occupe de la surveillance de l’entreprise et représente les intérêts des

actionnaires. Comme le fait remarquer Michel Albert, la coopération entre ces deux

instances correspond donc à un « système de check and balances entre actionnaires

et dirigeants » (Albert, 1991)42. Cependant, il permet surtout aux salariés d’avoir leur

place dans la prise de décision. Le système de cogestion remonte pour sa part au

milieu du XIXème siècle lorsque l’Assemblée Constituante du Parlement de Francfort

(die Frankfurter Nationalversammlung) réclama lors du Printemps des Peuples la

création de comité de fabrique pour défendre les intérêts des travailleurs. Plus tard, la

loi du 4 février 1920 imposa la création de conseils d’entreprise pour toutes les

entreprises employant plus de 20 travailleurs. Le système de cogestion n’émergea

réellement qu’avec la loi du 21 mai 1951 et celle du 7 aout 1956 mais se limitèrent

aux entreprises minières et sidérurgiques. La participation des salariés au conseil

d’établissement (der Betriebsrat) des entreprises de plus de 50 salariés est

actuellement régulée par la Constitution d’Etablissement (das

Betriebsverfassungsgesetz) du 11 octobre 1952. Ce conseil d’établissement, dont les

membres sont élus par les salariés, dispose d’un pouvoir de codécision « pour toutes

41 BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».

Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et

Télé-universités (UQAM), 2008, p. 4 42 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350 p. p. 132

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les questions sociales de l’établissement » (Albert, 1991) (Barmeyer & Davoine,

2008)43. Autant l’accord du Betriebsrat sur les questions économiques est facultatif,

autant son approbation sur les questions sociales (recrutement, licenciement,

formation, règlement intérieure, conditions de travail, etc…) est obligatoire. La loi de

cogestion (Gesetz über die Mitbestimmung der Arbeiter) du 4 mai 1976 a pour sa

part imposé la création de conseils de surveillance paritaires dans lesquels les

représentants sont aussi nombreux que ceux des actionnaires. Cependant, la voix du

président du Conseil d’Administration compte double en cas d’égalité parfaite, ce qui

laisse malgré tout un avantage aux actionnaires. Pour les entreprises de 500 à 2000

salariés, un tiers des membres du conseil de surveillance sont des salariés. Quant au

dispositif de concertation général, il concernerait la totalité des grandes entreprises et

les trois quarts du Mittelstand (Barmeyer & Davoine, 2008)44. Enfin, le mode de

représentation et la conception horizontale des rapports de pouvoirs au sein de

l’entreprise se révèlent particulièrement favorable pour les salariés, du moins dans

l’Allemagne du début des années 90 dépeinte par Michel Albert. Ce dernier lie

d’ailleurs directement la coresponsabilité avec le paradoxe qui permet aux salariés

allemands de disposer de rémunérations plus élevés que leurs homologues étrangers

tout en travaillant davantage (Albert, 1991)45. Si Michel Albert reconnait que le

processus de négociation à tous les niveaux peut paraitre paralysant, il affirme que ce

système s’avère en réalité favorable aux entreprises, plus précisément à la

compétitivité de ces dernières (Albert, 1991)46. En effet, il évoque l’attitude des

parties prenantes lors de la crise du début des années 80 au cours de laquelle les

salariés avaient accepté de limiter la hausse de leur salaire au point de perdre jusqu’à

quatre points de pouvoirs d’achat pour enrayer les difficultés de leur entreprise

43 BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».

Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et Télé-universités (UQAM), 2008, p. 6

44 BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».

Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et

Télé-universités (UQAM), 2008, p. 6 45 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350 p., p. 134 46 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L’histoire immédiate, 1991,

350 p, p. 132-133

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26

(Albert, 1991)47. Le « modèle allemand » d’après-guerre semble disposer de toutes

les recettes favorisant le sentiment d’appartenance non seulement à une entreprise,

mais aussi à un corps de métier, et plus généralement à une communauté de travail

qui tente de concilier les intérêts de toute les parties prenantes. Cette structure des

relations professionnelles se rapproche bien de la conception « stakeholder »

associée au capitalisme rhénan, que nous avons décrit précédemment. Ainsi, les

bases traditionnelles des relations sociales dans les entreprises allemandes ayant été

expliquées à partir des caractéristiques du capitalisme rhénan et des théories

économiques de l’après-guerre, les limites de ce modèle socio-économique doivent

être analysées à la lumières des difficultés rencontrées par l’Allemagne à la fin des

années 90.

B. L’Allemagne « lanterne rouge de l’Europe » au début des années 2000 : le « modèle allemand » en perdition ?

Deuxièmement, l’Allemagne réunifiée de 1990 apparait dans Capitalisme contre

Capitalisme (Albert, 1991) comme un modèle à suivre, notamment en raison de son

système de cogestion permettant aux salariés de défendre leurs intérêts en obtenant

des salaires élevés et aux entreprises de défendre les leurs en protégeant leur

compétitivité. L’Allemagne de l’Ouest était de fait une puissance économique dans

la Communauté Economique Européenne (CEE) à la fin des années 80, et la

réunification du 3 octobre 1990 laissait entrevoir l’émergence d’une puissance

politique en devenir. Or, le « modèle allemand » dépeint par Michel Albert comme

une forme parmi tant d’autres du capitalisme rhénan a connu une crise profonde face

aux défis de la fin du XXème siècle. Ces difficultés qui ont suivi la parution de

Capitalisme contre capitalisme ont mis en lumière les fragilités du système

traditionnel et posé la question de sa pérennité.

B.1. Le « modèle allemand » face aux bouleversements

D’une part, Christoph I. Barmeyer et Eric Davoine constatent dans leur article

consacré à la culture managériale allemande que « le modèle évolue depuis le début

des années 90, sous l’influence d’un ensemble de facteurs » (Barmeyer & Davoine,

47 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350 p. p. 135

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Rousseau Marie-Léa

27

2008)48. Le modèle allemand a dû en effet affronter des bouleversements au cours de

la décennie suivant la parution de Capitalisme contre Capitalisme (Albert, 1991) qui

ont amené l’Allemagne de l’espoir de devenir la « locomotive de l’Europe »49 à la

désillusion d’être devenu la « lanterne rouge » 50de l’Europe.

B.1.1. L’Allemagne à la veille du XXIème siècle : de la « locomotive européenne » à « l’homme malade de l’Europe »

Tout d’abord, l’Allemagne du début des années 90 connait un bouleversement

politique majeur avec la réunification du 3 octobre 1990 entre la République

Fédérale d’Allemagne (RFA) et la République Démocratique Allemande (RDA),

symbole de la fin de l’ordre mondial bipolaire maintenu pendant quatre décennies

par la Guerre Froide. L’Allemagne fraîchement réunifiée dépeinte par Michel Albert

dans Capitalisme contre capitalisme apparait économiquement en bonne santé. Par

ailleurs, la réunification allemande laissait entrevoir l’espoir d’une Allemagne jouant

le rôle de « locomotive de la croissance européenne » (Harasty & Le Dem, 1992)

(Benassy-Quéré & Villa, 1995)51. Dans un premier temps, elle a effectivement ravivé

la croissance de l’Allemagne en 1990, qui a égalé son meilleur résultat depuis 1976.

Quant au chômage, il a atteint un taux particulièrement bas durant l’année 1991 en

comparaison des années précédentes. Cette embellie a cependant été de courte durée

puisque l’Allemagne a connu un ralentissement de son activité économique dès

l’année 1992 pour se retrouver en situation de récession au cours de l’année 1993.

L’économie allemande a d’ailleurs connu une croissance faible au cours de la

période 1995-2001 avec une moyenne de 1,6% contre 2,5% dans les pays de l’OCDE

(2,8% pour la France) (Utterwedde, 2003)52. Parallèlement, la courbe du chômage

48 BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».

Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et

Télé-universités (UQAM), 2008, p. 17 49 HARASTY Hélène, LE DEM Jean, « Réunification allemande et croissance européenne un espoir déçu

?», Revue de l’OFCE, Observations et diagnostics économiques n° 39, Janvier 1992, p.195-217, p.195

50 SINN Hans-Werner, « Der kranke Mann Europas : Diagnose und Therapie eines Kathedersozialisten“,

Institut für Wirtschaftsforschung e.V. 2003, 12 S. 51 HARASTY Hélène, LE DEM Jean, « Réunification allemande et croissance européenne un espoir déçu

?», Revue de l’OFCE, Observations et diagnostics économiques n° 39, Janvier 1992, p.195-217 52 BENASSY-QUERE Agnès, VILLA Pierre, « Les options de politique économiques en Allemagne

réunifiée : un modèle dynamique », Economique internationale, n°61, 1er trimestre 1995, p.33-70, p.35

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Rousseau Marie-Léa

28

est régulièrement montée à partir de 1991 jusqu’à atteindre la barre des 5 millions

d’actifs inoccupés en 2003. L’économiste Hans-Werner Sinn identifie d’ailleurs le

chômage comme le problème central de l’économie allemande dans un discours

prononcé le 15 novembre 2003 à la Ludwig-Maximilian Universität (Sinn, 2003)53.

Ce discours est resté célèbre car Sinn y a qualifié l’Allemagne d’« homme malade de

l’Europe » [Notre traduction] (Sinn, 2003)54, s’inquiétant non seulement de sa

situation par rapport à ses voisins mais surtout de son décrochage par rapport à la

France.

B.1.2. L’identification des causes expliquant le retournement de

situation de l’Allemagne dans les années 90

Ensuite, parmi les facteurs responsables de l’enrayement de la « machine bien

huilée », la réunification d’une part et la mondialisation d’autre part sont les plus

citées. Roland Czada traite par exemple de la question du « modèle allemand » face à

ce « problème endogène » [Notre traduction] que représente la réunification d’une

part et ce « problème exogène » [Notre traduction] qu’est la mondialisation d’autre

part (Czada, 1998)55. Le processus de réunification de la République Fédérale

d’Allemagne avec la République Démocratique Allemande est un facteur perçu

comme responsable de la germano-sclérose dans cette nouvelle configuration

géopolitique succédant à l’ordre bipolaire de la Guerre Froide (Barmeyer & Davoine,

2008) (Harasty & Le Dem, 1992). Cependant, cet espoir s’est rapidement épuisé, en

témoigne les propos de Roland Czada qui affirme que « la réunification allemande

ne s’est malheureusement pas déroulé comme la plupart l’aurait attendu ou

souhaité » [Notre traduction] (Czada, 1998)56. Ce dernier analyse d’ailleurs la crise

du modèle ouest-allemand comme la conséquence direct de la réunification. En effet,

celle-ci a constitué un défi majeur dans la mesure où la RFA a dû intégrer les cinq

53 SINN Hans-Werner, « Der kranke Mann Europas : Diagnose und Therapie eines Kathedersozialisten“,

Institut für Wirtschaftsforschung e.V. 2003, 12 S. 54 SINN Hans-Werner, « Der kranke Mann Europas : Diagnose und Therapie eines Kathedersozialisten“,

Institut für Wirtschaftsforschung e.V. 2003, 12 S. 55 CZADA Roland, „Vereinigungskrise und Standortdebatte. Der Beitrag der Wiedervereinigung zur Krise

des westdeutschen Modells“, Leviathan, Zeitschrift für Sozialwissenschaft, Heft 1, 26 Jahrgang,1998, S 24-59, S. 27

56 CZADA Roland, „Vereinigungskrise und Standortdebatte. Der Beitrag der Wiedervereinigung zur Krise

des westdeutschen Modells“, Leviathan, Zeitschrift für Sozialwissenschaft, Heft 1, 26 Jahrgang,1998, S 24-59, S.24: „Die deutsche Vereinigung ist leider nicht so verlaufen, wie es die meisten erwartet und

gewünscht hätten“

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Rousseau Marie-Léa

29

Länder de l’ancienne RDA, soit 17 millions d’habitants. L’intégration politique a été

réussie puisque l’Allemagne est dépeinte sept ans après la réunification comme « un

Etat politique et institutionnelle fortement intégré » [Notre traduction] (Czada,

1998)57. L’intégration économique a en revanche été plus délicate en raison de trois

conséquences majeures de la réunification, qu’il n’est pas utile d’expliquer en détail.

La première est l’immigration est-allemande vers l’Allemagne de l’Ouest. La

deuxième est la percée des produits ouest-allemands qui représentaient 80% des

importations de l’Allemagne de l’Est en 1991, ce qui a cependant engendré la

réduction d’un tiers de la production est-allemande en raison de la désaffection des

Ossis 58 pour les produits. La troisième est l’héritage de comptes sociaux est-

allemands profondément déficitaires. Le fossé économique entre les deux Allemagne

a donc dû être comblée par une politique de rattrapage à l’aide de transferts massifs

représentant 4% du PIB en 1990 et 5,5% en 1991 (Harasty & Le Dem, 1992)59 , de

sorte que l’endettement public de l’Allemagne réunifiée est passé de 46,3% du PIB à

57,8% au milieu de l’année 1993 (Benassy-Quéré & Villa, 1995)60 L’intégration

sociale a pour sa part donné lieu à des tensions en raison de différences culturelles,

conséquence de l’influence de deux systèmes idéologiques opposés pendant trente

ans. Commentant les travaux du psychologue allemand Michael Geyer comparant les

Wessis aux Ossis, Christoph I. Barmeyer et Eric Davoine supposent que les

anecdotes « [laissent] aisément imaginer ce que pouvaient être les différences de

comportement et de valeurs au travail » (Barmeyer & Davoine, 2008)61 entre ces

deux groupes en raison de leur histoire respective. D’autre part, l’Allemagne

réunifiée subit de plein fouet les conséquences de l’émergence d’un nouvel ordre

mondial depuis les années 80, que les auteurs identifient sous le nom de

57 CZADA Roland, „Vereinigungskrise und Standortdebatte. Der Beitrag der Wiedervereinigung zur Krise

des westdeutschen Modells“, Leviathan, Zeitschrift für Sozialwissenschaft, Heft 1, 26 Jahrgang,1998, S

24-59, p.24: „politisch-institutionnelle hoch integriertes Staatwesen“ 58 Les Ossis désignent les Ex-Allemands de l’Est par opposition aux Wessis, Ex-Allemands de l’Ouest 59 HARASTY Hélène, LE DEM Jean, « Réunification allemande et croissance européenne un espoir déçu

?», Observations et diagnostics économiques n° 39, Janvier 1992, p. 195-217, p.198 60 BENASSY-QUERE Agnès, VILLA Pierre, « Les options de politique économiques en Allemagne

réunifiée : un modèle dynamique », Economique internationale, n°61, 1er trimestre 1995, p.33-70,p.44 61 BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».

Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et

Télé-universités (UQAM), 2008, p. 18

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30

mondialisation. Roland Czada tire d’ailleurs le constat que l’identification de la

mondialisation comme cause de la crise du « modèle allemand » a été étudié plus

intensément que la réunification (Czada, 1998)62. Rebecca Harding définit la

mondialisation comme « un phénomène débuté dans les années 80 qui ne reconnait

aucune frontière géographique, et bouleverse la manière dont les entreprises

organisent leur production et leur transaction » [Notre traduction] (Harding,

1999)63. Gabriel Colletis opère pour sa part une différence entre la mondialisation,

qui a trait selon lui à l’interdépendance croissante des espaces en raison de la

mobilité des facteurs, et la globalisation, qui renvoie à l’internationalisation de la

stratégie des firmes. Il constate d’ailleurs que la croyance qui domine les publications

sur l’état économique de l’Allemagne dans les années 90 est que cette dernière

devrait s’adapter à la mondialisation, et que les caractéristiques du « modèle

allemand » de l’après-guerre constituent un obstacle à cela (Colletis, 2004)64. Henrik

Utterwedde, par exemple, corrobore cette analyse en mettant en avant dès le résumé

de son article que le « modèle allemand est mis à mal par la mondialisation »

(Utterwedde, 2003), tout en insistant sur la capacité du modèle allemand à se

maintenir dans cette nouvelle configuration65.

B.1.3. La mise en lumière des rigidités inhérentes au système socio-économique allemand

Enfin, ces deux phénomènes qui émergent dans les années 90 en réaction au

changement d’ordre mondial ne seraient en réalité pas responsables des difficultés de

l’Allemagne réunifiée. Ils seraient plutôt révélateurs de l’essoufflement du « modèle

allemand » qui menaçait déjà de s’affaiblir peu avant la réunification, c’est-à-dire au

moment même de la parution de Capitalisme contre capitalisme. Selon Hélène

Harasty et Jean Le Dem, la réunification a même représenté un sursis de courte durée

62 CZADA Roland, „Vereinigungskrise und Standortdebatte. Der Beitrag der Wiedervereinigung zur Krise

des westdeutschen Modells“, Leviathan, Zeitschrift für Sozialwissenschaft, Heft 1, 26 Jahrgang,1998, S

24-59, p.24 63 HARDING Rebecca, “Standort Deutschland in the globalising economy: An end to the economic

miracle?”, German Politics, Vol. 8, n°1, p. 66-88, p. 82 64 COLLETIS Gabriel, « Mutation du « modèle rhénan » et avenir du modèle européen », Regards sur

l'économie allemande [En ligne], 67 | 2004, mis en ligne le 08 octobre 2009, consulté le 16 octobre 2012. URL : http://rea.revues.org/3793, p.12

65 UTTERWEDDE Henrik, « Le capitalisme rhénan n’est pas mort », Regards sur l’économie allemande,

bulletin économique du CIRAC, no 40/2003. p.34

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en provoquant l’arrivée massive des Ossis en Allemagne de l’Ouest (Harasty & Le

Dem, 1992)66. Ces deux phénomènes, en particulier la réunification, ont permis de

mettre en lumière les rigidités inhérentes au système socio-économique allemand

(Utterwedde, 2003)67. Pour Alain Fabre, la réunification a permis de prendre

conscience du risque de « germano-sclérose » en raison du manque de flexibilité du

système de l’après-guerre (Fabre, 2013)68. Ainsi, le passage de « locomotive » à

« lanterne rouge » de l’Europe au début du XXIème siècle a fait naître des soupçon

quant à la validité du « modèle allemand » d’après-guerre face à cette nouvelle

conjoncture. Le capitalisme rhénan était-il pour autant destiné à disparaître?

B.2. La mise en lumière des failles du « modèle allemand »: un système dépassé ?

D’autre part, Henrik Utterwedde pose la question de la survie du capitalisme

rhénan, pierre angulaire du « modèle allemand » face aux défis précédemment

évoqués. Il se demande si le capitalisme rhénan n’est pas de facto condamné et si

par conséquent il ne constitue pas un « obstacle au renouveau allemand »

(Utterwedde, 2003)69. Le questionnement central de son analyse est de savoir si

l’Allemagne doit changer de capitalisme, et si le capitalisme-saxon finira par

s’imposer.

B.2.1. Des critiques à l’égard des rigidités inhérentes aux

mécanismes du consensus du « modèle allemand »

Tout d’abord, ce raisonnement fait écho à la thèse centrale de Michel Albert dans

Capitalisme contre Capitalisme. Ce dernier se montre certes élogieux envers le

capitalisme rhénan qu’il considère comme supérieur au capitalisme anglo-saxon.

Pour autant, il prédit que c’est paradoxalement le modèle le moins vertueux qui

finira par l’emporter. Dans quelle mesure l’Allemagne se trouvait-elle au carrefour

66 HARASTY Hélène, LE DEM Jean, « Réunification allemande et croissance européenne un espoir déçu

?», Revue de l’OFCE, Observations et diagnostics économiques n° 39, Janvier 1992, p.195-217 67 UTTERWEDDE Henrik, « Le capitalisme rhénan n’est pas mort », Regards sur l’économie allemande,

bulletin économique du CIRAC, no 40/2003. p.36 68 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.20 69 UTTERWEDDE Henrik, « Le capitalisme rhénan n’est pas mort », Regards sur l’économie allemande,

bulletin économique du CIRAC, no 40/2003. p.36

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entre ces deux systèmes concurrents au début du XXème siècle ? Les bases du

« modèle allemand » ont effectivement suscité des critiques de plus en plus

virulentes à la fin des années 90. Michel Albert reconnaissait lui-même que les

dispositifs régulant les rapports sociaux dans les entreprises pouvaient paraitre

lourds bien qu’il ait insisté sur leurs apports plutôt que sur leurs inconvénients

(Albert, 1991)70. Christoph I Barmeyer et Eric Davoine constatent, quant à eux, que

le système de cogestion est régulièrement critiqué par les représentants du patronat

depuis le milieu des années 90 en raison de la lenteur du processus de décision qui

oblige les entreprises à retarder la prise de décision au nom du consensus

(Barmeyer & Davoine, 2008)71. Or, la mondialisation, qui se caractérise par une

circulation des biens et des capitaux toujours plus rapide, exige de la part des

entreprises une capacité de réaction et d’adaptation de plus en plus vive pour

conserver leurs parts de marché. Henrik Utterwedde considère que la recherche du

consensus ne constitue pas le problème mais qu’elle dépend de l’usage qui en est

fait. Elle est susceptible d’en devenir un lorsqu’elle conduit à des blocages

importants entre les parties prenantes72.

B.2.2. Des rigidités qui entravent la compétitivité des entreprises ?

Ensuite, cette culture du consensus a été mise à rude épreuve durant

l’administration Kohl (Harding, 1999)73 en raison de l’incapacité du système à

remplir les conditions qui faisaient le succès du « modèle allemand ». En effet, la

réussite du « modèle allemand » mise en avant par Michel Albert est la capacité de

ce système à allier efficacité et prospérité, en satisfaisant autant la compétitivité

des entreprises que le maintien d’emploi durables à rémunération élevés pour les

salariés (Albert, 1991)74. En effet, les salariés allemands pouvaient disposer de

70 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L’histoire immédiate, 1991,

350 p, p. 132-133 71 BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».

Dans : DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre & CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et

Télé-universités (UQAM), 2008, p.24 72 UTTERWEDDE Henrik, « Le capitalisme rhénan n’est pas mort », Regards sur l’économie allemande,

bulletin économique du CIRAC, no 40/2003. p.38 73 HARDING Rebecca, “Standort Deutschland in the globalising economy: An end to the economic

miracle?”, German Politics, Vol. 8, n°1, p. 66-88, p.70 74 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350 p., p.118

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salaires élevés en dépit d’un temps de travail plus faibles que leurs voisins, sans que

cela ne nuise à la compétitivité des entreprises ni à leur capacité à dégager des

excédents. Le « modèle allemand » remplissait les conditions du triptyque

salaires/compétitivité/excédents. Concernant les salaires ils n’ont pas enregistré de

baisse importante depuis le début des années 90 avec même une augmentation

constante des salaires nominaux entre 1991 et 2012 d’une part, et certes une

stabilisation à la baisse des salaires réels sur la même période. Cependant, ce

maintien des salaires s’est réalisé grâce à la diminution du temps de travail dans

certaines branches, qui avait commencé avec les accords de 1984 dans la

métallurgie (Chagny, 1998)75 D’après Michel Albert, les salariés allemands

travaillaient en moyenne 1633 heures par an dans l’industrie manufacturière, ce qui

prouve selon lui le paradoxe selon lequel l’Allemagne parvient à procurer des

salaires élevés aux travailleurs tout en les faisant travailler moins. En 1996, la

durée du travail était pour l’emploi total de 1 560 heures par an dans les

anciens Länder, et de 1 578 dans l’Allemagne réunifiée, soit encore moins qu’au

moment de la réunification (Chagny, 1998)76. La priorité dans la seconde moitié des

années 80 était la préservation du niveau de vie par le maintien des salaires, ce qui

passait par la réduction du temps de travail et une compensation salariale.

Cependant, la volonté de préserver l’emploi est depuis le milieu des années 90

privilégiée par rapport au maintien du niveau de vie, d’où les revendications au

recours à des mesures de flexibilisation qui ont abouti à la loi sur le temps de travail

de 1994. La compétitivité des entreprise, pour sa part, a été mise à mal au cours des

années 90 (voir Figure V)77.

75 CHAGNY Odile, « Flexibilité et réduction du temps de travail en Allemagne», Revue de l’OFCE-

Observations et diagnostics, n°67, Septembre 1998, p.229-284, p.233 76 CHAGNY Odile, « Flexibilité et réduction du temps de travail en Allemagne», Revue de l’OFCE-

Observations et diagnostics, n°67, Septembre 1998, p.229-284, p.230 77 SIEBERT Horst, “Verliert die deutsche Wirtschaft Wettbewerbsfähigkeit?”, Institut für Weltwirtschaft an

der Universität Kiel (IfW), 22 avril 2002, p.1-14, p.3

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Figure V: Evolution des parts de marché mondiales de l'Allemagne entre 1975 et 2001

Source : SIEBERT Horst, “Verliert die deutsche Wirtschaft Wettbewerbsfähigkeit?”,

Institut für Weltwirtschaft an der Universität Kiel (IfW), 22 avril 2002, p.1-14, p.3

Mais qu’entend-on exactement par compétitivité? Celle-ci se rapporterait « à la

capacité à maintenir ou augmenter ses parts de marché face à la concurrence »

(Mathis et al. 1988)78. Elle se mesure d’une part par la compétitivité-prix, qui porte

sur le prix du produit, et d’autre part par la compétitivité hors-prix, qui porte sur la

qualité du produit. L’Allemagne a en effet enregistré des pertes de parts de marché

au cours des années 90, passant de 12% à 9%. La compétitivité des entreprises

n’étant plus assurée à la fin des années 90, posant la question des stratégies à adopter

pour regagner des parts de marché à l’international, les raison de telles pertes doivent

être analysées. Cette « asphyx[ie] » de la compétitivité allemande aurait été généré

par la progression régulière des dépenses sociales depuis les années 80, qui ont

connu une forte progression en raison des transferts à hauteur de 4% du PIB vers les

cinq Länder de l’Est (Fabre, 2013)79. Le système de cogestion se retrouve également

accusé d’être « un handicap à la compétitivité des entreprises »80.

78 Cité dans : CHAGNY Odile, HUSSON Michel, LERAIS Frédéric, « Les salaires : aux racines de la crise

de l’euro ? », La Revue de l’IRES, n°73, 2013, p.69-95, p.70 79 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71. p.24 80 LASERRE René, « La cogestion allemande à l’épreuve de la globalisation », Regards sur l'économie

allemande [En ligne], 72 | juillet 2005, document 1, mis en ligne le 16 avril 2008, consulté le 22 juin 2014. URL : http://rea.revues.org/246

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B.2.3. Le « modèle allemand », condamné à disparaitre ?

Enfin, les chercheurs étaient partagés sur l’avenir du capitalisme rhénan à la fin des

années 90, la question étant de savoir si le capitalisme était capable de se renouveler

sans pour autant remettre en cause les bases qui le différencient du capitalisme anglo-

saxon. Or, l’émergence de la mondialisation avec la montée en puissance des

marchés financiers animés par la logique de la shareholder value fait craindre aux

observateurs dans la lignée de Michel Albert que les bases traditionnelles du

« modèle allemand » ne succombe au capitalisme anglo-saxon au cours du XXIème

siècle, ce qui est précisément la question posée par Henrik Utterwedde. Ce dernier se

veut cependant rassurant : le capitalisme rhénan devrait pouvoir s’adapter sans perdre

son identité, notamment parce que le capitalisme anglo-saxon n’est pas aussi adapté à

la mondialisation qu’il peut le paraitre. Reprenant la formule de Michael Porter, il

affirme que la course à la compétitivité « est un marathon, pas un sprint »

(Utterwedde, 2003) 81. Par conséquent, la stratégie des entreprises, et plus

généralement de l’Allemagne, doit s’envisager sur le long terme. Rebecca Harding

partage le même optimisme qu’Henrik Uterwedde sur l’avenir du capitalisme rhénan

en raison de « sa capacité à s’adapter progressivement sans perdre sa base » [Notre

traduction] (Harding, 1999)82. Elle partage également la même analyse sur l’apport

d’un changement de modèle : le capitalisme anglo-saxon n’est pas efficace sur le

long terme. Or, selon elle, l’importance des réseaux est plus forte que celle des

marchés (Harding, 1999)83. Quant à Gabriel Colletis, il estime que le capitalisme

anglo-saxon constitue une impasse en raison de ses instabilités, notamment dans la

sphère financière (Colletis, 2004)84 Par conséquent, le capitalisme rhénan en

Allemagne devrait davantage s’adapter que se transformer profondément. En

revanche, d’autres auteurs sont plus sceptiques sur la pérennité du capitalisme rhénan

comme c’est le cas de Roland Czada. Pour ce dernier, le « modèle allemand » se 81 Cité dans: UTTERWEDDE Henrik, « Le capitalisme rhénan n’est pas mort », Regards sur l’économie

allemande, bulletin économique du CIRAC, no 40/2003. p.38 82 HARDING Rebecca, “Standort Deutschland in the globalising economy: An end to the economic

miracle?”, German Politics, Vol. 8, n°1, p. 66-88, p.72: “its capacity to adapt to change gradually without losing its core competence”

83 HARDING Rebecca, “Standort Deutschland in the globalising economy: An end to the economic

miracle?”, German Politics, Vol. 8, n°1, p. 66-88, p.82 84 COLLETIS Gabriel, « Mutation du « modèle rhénan » et avenir du modèle européen », Regards sur

l'économie allemande [En ligne], 67 | 2004, mis en ligne le 08 octobre 2009, consulté le 16 octobre 2012. URL : http://rea.revues.org/3793, p.12

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trouve sur la voie de l’échec » [Notre traduction] (Czada, 1998)85.Ainsi, nous avons

montré que ce « modèle allemand » du début des années 90 s’est retrouvé face à des

difficultés économiques importantes qui ont mené à une remise en cause de

l’efficacité des fondements mêmes du système socio-économique traditionnel.

L’Allemagne a réagi au début des années 2000 par la mise en place de réformes de

flexibilisation du marché du travail dans le but de restaurer la compétitivité des

entreprises.

Chapitre.II. La mise en place d’une

politique de compétitivité-salaire par une réforme du marché du travail dans les années 2000 : vers une hybridation du « modèle allemand

En second lieu, il convient de décrire les solutions mises en œuvre par le

gouvernement de coalition rouge-vert (SPD-Grünen/Bundnis 90) sous l’autorité du

chancelier Gerhard Schröder. Donnant raison à la conviction d’Hans-Werner Sinn

selon laquelle le chômage était le problème majeur de l’Allemagne au début des

années 2000, le gouvernement a cherché à contrer la mise en échec du « modèle

allemand » par des réformes d’ampleur sur le marché du travail : les « lois Hartz ».

L’analyse se concentrera sur l’efficacité de ces réformes, c’est-à-dire si elles ont

réussi à atteindre les objectifs initiaux fixés par le gouvernement d’une part, et quel

l’impact sur l’évolution des relations sociales au sein de l’entreprises en a résulté.

Les lois Hartz ont-elles permis de préserver le «modèle allemand » de l’après-guerre

ou ont-elles franchi une étape de plus vers la fin du « capitalisme rhénan » en

Allemagne ?

85 CZADA Roland, „Vereinigungskrise und Standortdebatte. Der Beitrag der Wiedervereinigung zur Krise

des westdeutschen Modells“, Leviathan, Zeitschrift für Sozialwissenschaft, Heft 1, 26 Jahrgang,1998, S

24-59, p.24: „Das deutsche Modell steht am Scheideweg“

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Rousseau Marie-Léa

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A. L’évolution des relations sociales par une

réforme du marché du travail allemand : les lois Hartz

Premièrement, il nous faut analyser les principales mesures prises au début des

années 2000 pour préserver le « modèle allemand » de l’échec en se focalisant sur

les mesures de flexibilisation du marché du travail connues sous le nom de

« réformes Hartz ». Nous verrons en quoi ces mesures qui ont démontré leur

efficacité concernant l’objectif de réduction du taux de chômage sont cependant de

plus en plus controversées. Ces réformes ont-elles réellement permises au système

socio-économique allemand de s’adapter ou ont-elles contribué à son érosion ?

A.1. Les « réformes Hartz » au cœur des mesures

d’adaptation du marché du travail face aux défis

du 21ème siècle

D’une part, l’Agenda 2010 mis en place par le gouvernement Schröder constitue

l’axe majeur de la réponse allemande aux difficultés structurelles de l’après-

réunification par un ensemble de réformes révolutionnant les règles du marché du

travail. Certains auteurs l’analysent d’ailleurs comme la réforme des politiques de

l’emploi « la plus importante […] depuis la dernière décennie» [Notre traduction]

(Eichhorst, 2007)86, voire « la plus grande réforme du marché du travail de tous les

temps » (Lestrade, 2013)87

A.1.1. « The Third Way/Die neue Mitte »: le Manifeste Blair-Schröder comme prélude aux “réformes Hartz »

Tout d’abord, il faut rappeler le contexte précis dans lequel l’Agenda 2010 est mis

en place, à savoir sous le deuxième gouvernement Schröder, ancré à gauche en

raison de la coalition entre le parti social-démocrate (Sozialdemokratische Partei

Deutschlands) et le parti vert (Die Grünen/Bündnis 90). Celle-ci arrive au pouvoir

86 EICHHORST Werner, „Der Arbeitsmarkt in Deutschland: Zwischen Strukturreformen und

sozialpolitischem Reflex“, IZA Discussion Paper n° 3194, Bonn, November 2007, S.1-42, S.12: „Die vor

etwas mehr als fünf Jahren mit der Bericht der Hartz-Kommission initiierten Arbeitsmarktreformen verkörpern das wichtigste von Veränderungen an den rechtlichen Rahmenbedingungen des Arbeitsmarktes […] während der letzten Jahrzehnte“

87 LESTRADE Brigitte, « Entre réussite économique et précarité sociale : l’Allemagne dix ans après les lois

Hartz », Institut francais des relations internationales (Ifri), Comité d’étude des relations franco-allemandes, Notes du Cerfa, n°101a, Mai 2013, p. 1-34, p.1

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le 27 octobre 1998 après quatorze années d’administration par le parti démocrate-

chrétien (Christlich Demokratische Union Deutschlands) et le parti libéral (Freie

Demokratische Partei). Le gouvernement Schröder hérite d’un taux de chômage de

4, 3 millions de personnes contre 2,5 millions en 1990, 2 millions en 1983 et 1

million en 1980 (Fabre, 2013)88. Comment cette coalition de gauche, confrontée à

la crise du « modèle allemand » va-t-elle aborder les défis de l’entrée dans le

XXIème siècle ? D’après Alain Fabre, elle a été rapidement confrontée à l’état

préoccupant du pays au point qu’une seule alternative se présentait: « les réformes

ou la faillite » (Fabre, 2013) 89. Paradoxalement, la volonté du gouvernement

allemand de réformer en profondeur s’est manifesté pour la première fois dans un

document cosigné le 8 juin 1999 par le chancelier Gerhard Schröder et le premier

ministre britannique Tony Blair en vue des élections au Parlement Européen. Resté

célèbre sous le nom de « Manifeste Blair-Schröder », « La Troisième Voie » - ou

« The Third Way » ou encore « Die Neue Mitte » - invite la gauche à se moderniser

face à la nouvelle conjoncture mondiale en prônant l’émergence de la social-

démocratie face à la gauche traditionnelle (voir Annexe I ). Trois idées principales

en ressortent. Premièrement, la conjoncture mondiale a changé et il faut en

conséquence s’adapter en mettant sur pied « des politiques publiques […] capables

de relever les défis du 21ème siècle » (voir Annexe I 90. Le « Manifeste » affirme que

cette adaptation à « une économie en voie de mondialisation» (voir Annexe I )91 ne

concerne pas seulement l’Allemagne et la Grande-Bretagne, mais également les

autres pays membres de l’Union Européenne dans son ensemble. Par ailleurs, le

« Manifeste » insiste par deux fois sur la nécessité de trouver des solutions réalistes

face à ces défis, sans préciser réellement ce que cela implique. Deuxièmement, la

gauche doit se moderniser en incarnant une troisième voie entre le néolibéralisme et

le socialisme qui sont autant dépassés l’un que l’autre. Si la critique du

néolibéralisme n’est guère surprenante, celle du socialisme peut le paraitre 88 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.24 89 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.12 90 BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte » [En ligne] Juin 1998.

p.1 URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html 91 BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte ». [En ligne] Juin 1998.

p.3 URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html

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39

davantage. Le « Manifeste » critique avant tout l’interventionnisme qui a mené au

développement excessif de l’Etat-Providence et finalement à l’augmentation

continue des déficits publics en une vingtaine d’années. Pour autant, le

« Manifeste » insiste bien sur la volonté, non pas de démanteler, mais de

moderniser l’Etat-Providence. Troisièmement, cette adaptation passe par des

mesures favorisant la baisse du chômage qui est présenté comme « [la meilleure

garantie] d’une société soudée » (voir Annexe I ). Or, le «Manifeste » tire le

constat que le chômage structurel est beaucoup trop élevé dans la plupart des pays

européens, ce qui constitue un défi majeur à relever. Il propose comme solution un

compromis entre la nécessité de faire évoluer les bases traditionnelles tout en

restant fidèle à l’esprit sur lequel celles-ci reposent. Par ailleurs, la mise en place de

réformes s’avérait nécessaire au début des années 2000, la situation ayant de fait

empiré à la fin de la première mandature de Gerhard Schröder. Ce dernier avait en

effet promis de ramener le chômage à 3,5 millions de personnes d’ici 2002. Bien

que la courbe ait stagné au cours des quatre années du gouvernement Schröder, le

chômage représentait 4,5 millions de personnes à la veille des élections législatives

de 2002. Quant à la croissance, Alain Fabre affirme que la croissance allemande

durant la période 1995-2003 était bien inférieure celle de l’Union Européenne, tout

comme nous avons précédemment mis en avant qu’elle était nettement en dessous

de la moyenne de l’OCDE. Elle a même plongé l’Allemagne dans la récession au

cours de l’année 2003 avec un recul de 0,4% du PIB, soit dix ans après la récession

de 199392.

A.1.2. Les lois Hartz : des réformes de flexibilisation du marché du travail

Ensuite, le chancelier Schröder décida au début des années 2000 la mise en place de

l’Agenda 2010, qui s’inscrit tout comme le « Manifeste » dans une logique

européenne selon Alain Fabre. En effet, cet ensemble de mesures se revendiquait

clairement de l’application de la stratégie européenne d’économie compétitive de

Lisbonne en 2000 (Fabre, 2013)93 . L’Agenda 2010 fut lancé par un discours du

Chancelier Schröder devant le Bundestag le 14 mars 2003, un peu plus d’un an après

92 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.23 93 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.27

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la mise sur pied de la « Commission pour la réduction du chômage et la

restructuration de l’Office fédéral du travail » (Kommission zum Abbau der

Arbeitslosigkeit und zur Umstruktierung der Bundesamt für Arbeit) autour de

l’économiste Peter Hartz. Englobant quatre lois, l’Agenda 2010 se donne pour

objectif de flexibiliser le marché du travail par des mesures favorisant la

responsabilité individuelle. Selon Alain Fabre, l’esprit de l’Agenda 2010 repose sur

l’idée de mettre fin à la dérive de l’Etat social pour remettre le principe d’équité

plutôt que d’égalité au centre du lien social (Fabre, 2013)94. Ces « lois pour la

modernisation des prestations de services sur le marché de l’emploi » (Gesetze für

moderne Dienstleistung am Arbeitsmarkt) dites « réformes Hartz » sont

progressivement entrées en vigueur entre le 1er janvier 2003 et le 1er janvier 2005. Il

apparait nécessaire pour la conduite de l’analyse de rentrer dans le détail de ces lois

à partir du tableau synthétique réalisé par Odile Chagny (voir Annexe II) La loi dite « Hartz I » du 1er janvier 2003 a pour principale disposition la

création d’Agences de Services Personnelles (Personal Service

Agenturen) dont le rôle est d’accompagner les chômeurs de longue durée

en leur fournissant des emplois intérimaires. Par ailleurs, elle contraint

les chômeurs célibataires sans enfants à la mobilité dès lors qu’une

possibilité d’emplois s’offre à eux. Enfin, chaque chômeur peut

bénéficier d’un bon de formation si la probabilité est quasi-certaine qu’il

retrouve un emploi par la suite.

La loi dite « Hartz II » du 1er avril 2003 facilite le recours à toutes les

formes d’emplois partiels, tout en permettant notamment le cumul de ces

emplois. Les principales dispositions concernent la libéralisation des

Minijobs, rémunérés 400 euros par mois, et la création de Midijobs,

rémunérés entre 400 et 800 euros de l’heure. L’objectif est de

développer le secteur à bas salaires pour permettre aux personnes les

plus touchées par le chômage d’occuper un emploi plutôt que de toucher

des prestations de chômage. Par ailleurs, « Hartz II » encourage la

création d’entreprises unipersonnelles par les personnes touchant

94 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.12

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l’assistance chômage à travers la mise en place d’un statut d’auto-

entrepreneur appelé l’« Ich-AG ».

La loi dite « Hartz III » du 1er avril 2004 se concentre quant à elle sur les

conditions de gestion et de versement de l’assurance chômage en

durcissant son accès pour les chômeurs. Il ne faut plus avoir cotisé un an

mais deux ans avant de toucher les allocations. De plus, la durée

d’indemnité, qui pouvait aller de 12 à 32 mois, est réduite à 12 mois

pour les actifs de moins de 55 ans et 18 mois pour les actifs de plus de

55 ans. Enfin, les chômeurs sont obligés d’accepter les emplois proposés

par l’Agence Fédérale pour l’Emploi, crée par la loi pour remplacer

l’Office du Travail de Nuremberg. Un seul motif de refus est considéré

comme valable : le chômeur est tenu de prouver en quoi le refus d’un

post est justifié, à savoir en quoi celui-ci est « inacceptable »

(zumutbar). Or, un emploi ne peut être perçu comme inacceptable que si

il est rémunéré 30% en dessous du poste précédent.

La dernière loi dite « Hart IV » du 1er janvier 2005 réforme le régime

d’assistance sociale en s’attaquant aux deux piliers de celui-ci,

l’Arbeitslosenhilfe d’une part, et la Sozialhilfe d’autre part. Jusqu’à la

réforme Hartz IV, les deux aides n’étaient non seulement pas limitées

dans le temps mais pouvaient être cumulées. Depuis l’entrée en vigueur

de cette loi, les deux indemnités ne sont plus cumulables. La Sozialhilfe,

pour sa part, n’est désormais accessible qu’aux personnes apportant la

preuve d’une incapacité à travailler plus de trois heures par jours. Quant

à l’Arbeitslosenhilfe, les conditions de son versement demeurent

inchangées : elle correspond toujours à l’aide accordée aux chômeurs

qui ne perçoivent plus l’assurance chômage et prend le nom

d’« Arbeitslosengeld II ».

A.1.3. L’Allemagne dans les crises mondiales et européennes : de la « lanterne rouge » à la « locomotive européenne »

Enfin, l’Allemagne du début des années 2000 que Hans-Werner Sinn qualifiait d’

« homme malade de l’Europe » espérait sortir de son marasme économique grâce

aux réformes engagées par le gouvernement Schröder. Or, ces réformes n’ont

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apparemment pas eu d’impact positif dans l’immédiat puisque l’Allemagne se

trouvait toujours face à ses difficultés économiques au milieu des années 2000.

Bien qu’ayant progressé durant la période 2000-2005, la croissance allemande

demeurait pourtant faible (voir Figure VI)95

Figure VI: Evolution du PIB allemand sur la période 1992-2013

Source: Wirtschaftswachstum Deutschland - Veränderung des BIP zum Vorjahr bis 2013 | Statistik [En ligne] Statista [page consultée le 11 juin 2014]. URL: http://de.statista.com/statistik/daten/studie/2112/umfrage/veraenderung-des-bruttoinlandprodukts-im-vergleich-zum-vorjahr/

L’Allemagne a effectivement connu une embellie de sa croissance à la fin des

années 90, marquant son entrée dans le 21ème siècle par son taux de croissance le

plus élevé depuis 1992 : 3,1%. Cette recrudescence de la croissance laissait

espérer au gouvernement Schröder la sortie des difficultés économique, démentie

par le taux de croissance nulle de 2002 puis la récession de 2003. Or, les

« réformes Hartz » adoptées dans ce contexte n’ont pas eu d’impact positif

immédiat sur l’économie allemande, de sorte que le taux de croissance demeurait

faible au moment des élections législatives de 2005. En revanche, l’Allemagne a

connu un véritable rebond de sa croissance économique sur la période 2006-2008,

au cours de laquelle elle a enregistré une augmentation de 8,1% sur ces trois ans.

Bien que l’année suivante ait été marquée par une récession record de 5,1%, Alain

95 Wirtschaftswachstum Deutschland - Veränderung des BIP zum Vorjahr bis 2013 | Statistik [En ligne]

Statista [page consultée le 11 juin 2014]. URL : http://de.statista.com/statistik/daten/studie/2112/umfrage/veraenderung-des-bruttoinlandprodukts-im-vergleich-zum-vorjahr/

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Fabre met en avant que les « réformes Hartz » n’auraient paradoxalement déployé

leurs effets qu’à partir de 2009 en pleine contraction de l’activité économique

dans le contexte de la crise mondiale96. Par la suite les années 2010 et 2011 ont à

nouveau été marquées par des taux de croissance forte. Mais surtout, c’est le fait

que les indicateurs semblent être au beau fixe pour l’Allemagne par rapport à ses

voisins d’après la série de données suivante qui l’érigent en modèle par rapport

aux autres pays membres de l’Union Européenne (voir Figure VII, Figure VIII et

Figure IX)97.

Figure VII: Croissance du PIB en volume entre 1998 et 2014

Source : Artus, P. (Juin 2014), « L’Allemagne soutient-elle les autres pays de la zone euro ? », Recherche économique n° 519, pp.1-7, URL : http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=77564, p.2

96 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p. 32 97 ARTUS Patrick « L’Allemagne soutient-elle les autres pays de la zone euro ? » [En ligne] Recherche

économique n° 519, Juin 2014, p.1-7. URL : http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=77564

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Figure XVIII: Evolution de la balance courante de l'Allemagne (en % du PIB valeur) entre 1998 et 2014

Source : Artus, P. (Juin 2014), « L’Allemagne soutient-elle les autres pays de la zone euro ? », Recherche économique n° 519, pp.1-7, URL : http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=77564, p.3

Figure IX: Evolution du taux de chômage (en %) entre 1998 et 2014

Source : Artus, P. (Juin 2014), « L’Allemagne soutient-elle les autres pays de la zone euro ? », Recherche économique n° 519, pp.1-7, URL : http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=77564, p.3

Tout d’abord, la progression de la croissance allemande a été globalement plus

faible que la moyenne établie par ses voisins européens jusqu’en 2009. En

revanche, sa croissance se révèle supérieure par rapport aux autres membres de la

zone euro à partir de 2010 après avoir subi une récession globalement plus forte

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l’année précédente. Cependant, la différence se révèle encore plus importante

lorsque l’on observe l’évolution d’autres indicateurs. Ensuite, la balance courante

allemande, qui correspond à l’addition de trois soldes intermédiaires (balance des

biens et des services ; balance des revenus ; balance des transferts courants), est

largement excédentaire en comparaison de la moyenne de la zone euro. Les deux

balances étaient pourtant déficitaires et pratiquement au même niveau au début des

années 2000 pour ensuite fortement diverger. Enfin, le taux de chômage de

l’Allemagne a fortement reculé par rapport à la moyenne de la zone euro au cours

de cette même décennie. Tout comme les balances courantes, les taux de chômage

se confondaient au début des années 2000, notamment en 2002. Par la suite, le taux

de chômage de l’Allemagne est certes régulièrement monté jusqu’en 2005 pour

ensuite fortement décélérer de manière quasi-continue jusqu’en 2014. Le taux de

chômage allemand n’est que légèrement remonté au moment de la forte récession

de 2009 puis a inexorablement baissé alors que celui de la zone euro a dans le

même temps constamment augmenté. Par conséquent, alors que le taux de chômage

actuel en Allemagne s’élève à peine 5 %, celui de la zone euro se trouve à 14%. Ce

ne sont certes que quelques indicateurs parmi tant d’autres mais ils font partis de

ceux qui ont été le plus mobilisés pour faire de l’Allemagne la nouvelle locomotive

européenne dans la crise. Ainsi, ces indicateurs largement commentés dans la

presse autant que dans les publications scientifiques ont soulevé la question de la

viabilité du système économique en tant que modèle à suivre. Or, la position de

leadership prêtée à l’Allemagne a suscité autant d’enthousiasme que de rejet en

raison de la perspective de devoir importer un modèle ayant apporté la preuve de sa

capacité à se renouveler mais dont la cause supposée du renouvèlement est sujette à

polémique. Il nous faut donc mesurer l’impact des « lois Hartz » dans le

retournement de situation économique de l’Allemagne, en mettant en lumière

autant les atouts que les failles d’une telle solution.

A.2. Les « lois Hartz » : des mesures efficaces mais controversées

D’autre part, il nous faut analyser les effets des « lois Hartz » dix ans après leur

introduction progressive, même si Eugen Spitznagel admet que du recul manque

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encore pour en mesurer définitivement l’efficacité (Spitznagel, 2009)98. Toujours

est-il que ces réformes se révèlent controversées du point de vue de certains

chercheurs et décideurs politiques, à un niveau tel que la politique allemande est

même devenue l’objet de « querelles françaises » (Fabre, 2013)99. Comme

l’analyse l’a montré précédemment, l’Allemagne suscite à la fois fascination et

rejet quant au choix de ses mesures de sortie de crise, dont son voisin d’Outre-

Rhin désormais en difficulté, hésite à s’inspirer.

A.2.1. Des mesures efficaces en termes de lutte contre le chômage

Tout d’abord, les « réformes Hartz » ont effectivement permis de réduire le

chômage de masse dont souffrait l’Allemagne depuis la fin des années 1990, lui

permettant finalement d’atteindre l’objectif fixé par le « Manifeste Blair-

Schröder », même si les effets sur le marché de l’emploi ont été tardifs. Le taux de

chômage a en effet continué à augmenter pour atteindre 4,7 millions de personnes

en 2005 (Spitznagel, 2009)100. En revanche, les effets des réformes se sont fait

ressentir lorsque l’Allemagne a vu sa situation économique soudainement

rebondir au cours de la période 2006-2008. Parallèlement, le pays a connu le

phénomène « Job Wunder » qui s’est traduit par la diminution drastique du

chômage durant cette même période (voir Figure X)101 .

98 SPITZNAGEL Eugen, « Un marché de l’emploi en mutation », Regards sur l'économie allemande [En

ligne], 91 | 2009, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 01 janvier 2013. URL : http://rea.revues.org/3671, p.13

99 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71. p.9 100 SPITZNAGEL Eugen, « Un marché de l’emploi en mutation », Regards sur l'économie allemande [En

ligne], 91 | 2009, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 01 janvier 2013. URL : http://rea.revues.org/3671, p.5

101 SPITZNAGEL Eugen, « Un marché de l’emploi en mutation », Regards sur l'économie allemande [En

ligne], 91 | 2009, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 01 janvier 2013. URL : http://rea.revues.org/3671, p.1

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Figure X: Evolution du nombre d'actifs occupés et inoccupés en Allemagne entre 1991 et 1998

Source : Spitznagel, E. (2009). Un marché du travail en mutation. Regards sur l'économie allemande, n°91, pp. 5-16. p.1

Alors que le nombre de chômeurs montait régulièrement depuis 1991 pour

atteindre son point culminant en 2005, ce chiffre a drastiquement diminué en

l’espace de deux ans, passant de 4,7 millions en 2006 à 3,2 millions en 2008. Pour

Alain Fabre, les « réformes Hartz » n’auraient paradoxalement déployé leurs

effets qu’à partir de 2009 en pleine contraction de l’activité économique dans le

contexte de la crise mondiale102, en passant de 4,9 millions à 2,3 millions d’actifs

inoccupés entre 2005 et 2012, soit de 11,3% à 5,5%. Dans le même temps, le taux

de chômage des jeunes de moins de 25 ans est descendu de 15,6% à 8,1%, alors

que celui de la France est monté de 21,3% à 24,6% (Fabre, 2013)103. La

comparaison entre l’Allemagne et la France concernant l’évolution de leur taux de

chômage respectif sur la période 2000-2012 met en lumière l’écart croissant entre

les deux pays (voir Tableau II) (Fabre, 2013)104.

102 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71. p.32 103 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71. p.15 104 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71. p.32

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Tableau II: Comparaison des taux de chômages allemand et francais en fonction de l'age de la population active entre 2000

et 2012

Source : Fabre, A. (2013). Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ?, Les Notes du Benchmark, Septembre, pp. 1-71. p.32

Selon Alain Fabre, c’est la division par deux du chômage de longue durée, passé

de 2 millions à 1 million de personnes, qui est la principale cause du recul du

chômage allemand en général. Par exemple, le nombre de semaines passées au

chômage chez les bénéficiaires de Hartz IV est passé de 98 à 71 semaines entre

2005 et 2012 (Fabre, 2013)105. Par ailleurs, il faut également s’intéresser à

l’évolution de la structure des emplois. La période 2006-2008 a été propice à la

création d’emplois à temps plein (550 000) en raison de l’augmentation du

volume d’heures travaillées de 3,7% (Spitznagel, 2009)106. Le nombre de postes

vacants a quant à lui augmenté, amenant mêmes certaines entreprises à constater

un manque de main d’œuvre. Cependant, il ne faut pas occulter que la réduction

du chômage a été possible grâce à l’évolution de la structure des emplois vers des

formes partielles. Intéressons-nous au tableau d’Eugen Spitznagel sur l’évolution

de la structure des emplois entre 2000 et 2007 (Spitznagel, 2009)107 .Pour

commencer, la part des contrats à durée déterminés (CDD) a certes peu augmenté

durant cette période, mais représentait quand même 40% des embauches en 2007.

Par ailleurs, le nombre de travailleurs intérimaires a effectivement doublé,

105 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71. p.32 106 SPITZNAGEL Eugen, « Un marché de l’emploi en mutation », Regards sur l'économie allemande [En

ligne], 91 | 2009, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 01 janvier 2013. URL : http://rea.revues.org/3671, p.8

107 SPITZNAGEL Eugen, « Un marché de l’emploi en mutation », Regards sur l'économie allemande [En

ligne], 91 | 2009, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 01 janvier 2013. URL : http://rea.revues.org/3671, p.8

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passant de 328 à 715 millions de personnes, mais le poids reste minime dans la

mesure où ils ne représentaient que 2% des emplois en 2007. Sur l’ensemble la

période 2006-2008, les emplois intérimaires ont généré 25% de hausse d’emploi

et 60% de la création de postes à temps plein. Quant à la croissance des emplois

partiels, elle a certes été forte après les « réformes Hartz » mais pas autant qu’à la

fin des années 90. Entre 1999 et 2001, la majeure partie des emplois crées étaient

partiels, parmi lesquels 778 000 Minijobs. En revanche, la création de ces emplois

s’est ralenti entre 2006 et 2008, avec seulement 130 000 Minijobs crées. Il y a

donc bien eu une évolution vers une part plus importante des emplois partiels,

mais celle-ci a en réalité été moins manifeste qu’à la fin des années 90.

A.2.2. Une politique de compétitivité par la pression sur les coûts salariaux

Ensuite, ce « miracle de l’emploi » a pu avoir lieu grâce à ces mesures de

flexibilisation du marché du travail, non seulement en raison de l’augmentation des

formes d’emplois partiels mais aussi de l’augmentation de la compétitivité des

entreprises. Les réformes de flexibilisation du marché du travail ont clairement

permis de rétablir « la compétitivité perdue lors de la décennie précédente »108. Ces

réformes engagées par le gouvernement Schröder au début des années 2000 sont

avant tout le reflet d’une politique de « nouvelle désinflation compétitive »109

exerçant des pressions sur les coûts salariaux, qu’ils soient unitaires ou réels.

D’après la définition de l’INSEE, le coût salarial est « constitué par l'ensemble des

dépenses qui incombent à l'entreprise pour l'emploi d'un salarié »110. Le coût

salarial unitaire (CSU) renvoie pour sa part « aux coûts salariaux par unité de

valeur ajoutée produite »111, à savoir aux salaires brut (rémunérations, primes,

congés payés, commissions et honoraires, etc…) augmentés des charges patronales.

108 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71 109 CREEL Jerôme, LE CACHEUX Jean, "La nouvelle désinflation compétitive européenne.", Revue de

l’OFCE, n°98, Juillet 2006, p.9-36 110 INSEE - Définitions et méthodes - Coût salarial [En ligne] Institut national de la statistique et des études

économiques (INSEE) [page consultée le 18 juin 2014]. URL : http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/cout-salarial.htm

111 INSEE - Définitions et méthodes - Coûts salariaux unitaires [En ligne] Institut national de la statistique et

des études économiques (INSEE) [page consultée le 18 juin 2014]. URL : http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/cout-salariaux-unitaires.htm

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Rousseau Marie-Léa

50

Selon Jérôme Creel et Jacques Le Cacheux, cette stratégie de désinflation

compétitive s’explique avant tout par l’évolution du rapport de forces entre salariés

et actionnaires du fait de l’importance toujours plus forte des marchés financiers,

caractéristique associée au capitalisme anglo-saxon. Pour Alain Fabre, la mise

d’une politique de compétitivité par les salaires s’avérait nécessaire en raison d’une

évolution plus rapide des coûts salariaux que de la productivité du travail, qui

remontait au-delà de la réunification allemande de 1990. Les « lois Hartz »

auraient notamment permis aux entreprises de pratiquer la modération salariale et

par conséquent d’améliorer leur compétitivité en raison l’augmentation moins

rapide du cout du travail par rapport à leur productivité (Fabre, 2013)112. Alain

Fabre affirme même que, du point de vue de l’évolution du coût du travail,

l’Allemagne et la France ont échangé leur position entre les années 90 et les années

2000. Alors que les salaires allemands évoluaient plus vite que la productivité entre

1991 et 1999 (3,95% > 3,29%), la situation s’est inversé entre 2000 et 2008 (1,56%

< 3,03%). Sur les deux mêmes périodes, la France a connu exactement les

situations inverses à celles de l’Allemagne. Cependant, la véritable différence entre

l’Allemagne et la France dans les années réside dans l’écart du coût du travail (voir

Tableau III)113.

112 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p. .29 113 NOUEL Bertrand (avec la collaboration de FRANCOIS Philippe), « L'Allemagne, un exemple pour la

France? ». Société civile n°98, Janvier 2010, p.12-23. p.16

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Rousseau Marie-Léa

51

Tableau III: Comparaison des couts et des salaires horaires allemands et français en 2006

Source : NOUEL Bertrand (avec la collaboration de FRANCOIS Philippe), « L'Allemagne, un exemple pour la France? ». Société civile n°98, Janvier 2010, p.12-23. p.16

Le Tableau III nous montre que le salaire brut annuel moyen est plus élevé en

Allemagne qu’en France aussi bien d’après les statistiques d’Eurostat que de

l’OCDE. Par ailleurs, le salaire brut apparait également légèrement plus élevé en

Allemagne qu’en France selon Eurostat. En revanche, le coût du travail horaire

apparait pour sa part moins élevé en Allemagne selon Eurostat. Quant aux

cotisations sociales, elles s’avèrent deux fois moins élevées en Allemagne qu’en

France : un employeur allemand doit payer 28 euros de charges pour un salaire

brut de 100 là où un employeur français devrait payer 50 euros pour le même

montant. Cela s’explique par le fait que le cout du travail a augmenté deux fois

plus vite en France qu’en Allemagne au cours des années 2000 : 39,2% contre

19,2% entre 2001 et 2011 (Fabre, 2013)114 Ce fait est prend d’autant plus

d’ampleur lorsqu’il est question des différences de prélèvement aux entreprises,

notamment les cotisations sociales (voir Figure XI)115.

114 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.29 115 NOUEL Bertrand (avec la collaboration de FRANCOIS Philippe), « L'Allemagne, un exemple pour la

France? ». Société civile n°98, Janvier 2010, p.12-23. p.15

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Rousseau Marie-Léa

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Figure XI: Comparaison des prélèvements obligatoires entre la France et l'Allemagne en 2006 (en % du bénéfice)

Source : NOUEL Bertrand (avec la collaboration de FRANCOIS Philippe),« L'Allemagne, un exemple pour la France? ». Société civile n°98, Janvier 2010, p.12-23. p.15

La stratégie de compétitivité est devenue une véritable source de croissance pour

l’Allemagne car la modération salariale a permis de contrôler le niveau de

l’inflation aboutissant au gain de parts de marché par l’exportation de produits bons

marchés. Par conséquent, la balance commerciale de l’Allemagne est devenue

excédentaire grâce à la stagnation durable des salaires allemands. Cependant, nous

verrons que cette stratégie suscite des critiques de plus en plus vives car l’excédent

commercial de l’Allemagne renforcerait les déficits des autres pays membres de

l’Union Européenne. Le pays est ainsi régulièrement accusé de pratiquer du

dumping social, pratique théoriquement interdite par l’Union Européenne, en

profitant de l’absence de salaire minimum généralisé pour recourir à des emplois

très peu rémunérés (voir p.66).

A.2.3. Des mesures controversées: des réformes responsables d’une

hausse de la précarité?

Enfin, il nous faut expliquer pourquoi les « réformes Hartz » sont controversées

bien qu’elles aient atteint leurs objectifs initiaux. L’évolution du marché du travail

suscite des critiques car les réformes sont accusées par leurs détracteurs d’avoir

engendré de la précarité. Premièrement, les réformes auraient entrainé le

développement des bas salaires, ce qui pose potentiellement problème dans la

mesure où la préservation des emplois passe par l’octroi de rémunérations

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Rousseau Marie-Léa

53

insuffisantes pour couvrir les besoins des salariés (Spitznagel, 2009)116. Cela

oblige, soit ces derniers à cumuler des emplois, soit l’Etat à créer de nouveaux

dispositifs contre la pauvreté. Deuxièmement, la multiplication des emplois non-

traditionnels serait également créatrice de précarité à long terme car ils

permettent rarement de mener à un emploi stable. Les critiques se concentrent

également sur les Minijobs qui ne rémunèrent leurs détenteurs qu’à hauteur de 400

euros par mois. En 2012, 7,3 millions de personnes travaillaient dans le cadre d’un

Minijob, devenu le symbole de la précarité allemande. Pourtant, leur nombre a

fortement augmenté fortement entre 1996 et 2006 mais a stagné depuis.

Troisièmement, la pauvreté aurait augmenté, d’où les critiques virulentes à l’égard

des réformes. Pourtant, le taux de pauvreté aurait augmenté plus vite en

Allemagne (3,6%) qu’en France (1%) sur la période 2005-2011 (Fabre, 2013)117.

Parallèlement, la diminution de des prélèvements pouvait laisser craindre des

difficultés à financer l’Etat social. Or, les réformes de flexibilisation du travail ont

permis de faire reculer les dépenses publiques consacrées au chômage de 31

milliards d’euros, soit une baisse de 35,7%, entre 2005 et 2011 (Fabre, 1999).

Ainsi, ces dépenses ne représentaient plus que 56,4 milliard d’euros en 2011, soit

2,2% du PIB, contre 87,7 milliard en 2005, doit 3,7% du PIB. Quant aux

prestations de chômage, elles ont presque diminué de moitié sur la même période,

passant de 22,2 milliard d’euros à 12,1 milliards. Les uns interprètent le recul de

ces dépenses comme un sauvetage de l’Etat social alors que d’autres y présagent

le démantèlement de ce dernier.

B. Des conséquences sur les relations professionnelles de plus en plus controversées

Deuxièmement, la question centrale reste de savoir si le « modèle allemand »

traditionnel a su se renouveler sans remettre en cause ses principes de base les

réformes des années 2000, que les réformes de flexibilisation du marché du travail

soient perçues comme un échec ou une réussite. Les réformes de flexibilisation ont-

elles fait évoluer les relations sociales au sein de l’entreprise d’une conception

116 SPITZNAGEL Eugen, « Un marché de l’emploi en mutation », Regards sur l'économie allemande [En

ligne], 91 | 2009, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 01 janvier 2013. URL : http://rea.revues.org/3671, p.13

117 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.34

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Rousseau Marie-Léa

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« stakeholder » à une conception « stockholder » ? Concernant l’Allemagne,

Michel Albert a t-il eu la bonne intuition en affirmant que le capitalisme anglo-

saxon l’emporterait sur le capitalisme rhénan?

B.1. Une évolution vers le « modèle anglo-saxon »…?

D’une part, il nous faut montrer en quoi les « lois Hartz » peuvent être

légitimement analysées comme des réformes conformes à une conception anglo-

saxonne des relations sociales au sein de l’entreprise, pouvant ainsi corroborer la

thèse de l’évaporation du « capitalisme rhénan » au profit du « capitalisme anglo-

saxon ».

B.1.1. Des réformes à l’esprit social-libéral ?

Tout d’abord, il faut rappeler que si l’Allemagne et la Grande-Bretagne se sont

associées en 1990 par la signature d’un manifeste commun, c’est avant tout en

raison de l’admiration du chancelier Schröder pour la social-démocratie incarnée

par Tony Blair en Grande-Bretagne et par Bill Clinton aux Etats-Unis. Or, cette

volonté de rapprochement avec les pays capitalistes dit anglo-saxons pose la

question de leur influence sur l’évolution du système socio-économique de

l’Allemagne. Le « Manifeste Blair-Schröder » a d’ailleurs suscité des critiques non

seulement en raison de sa remise en cause de la gauche traditionnelle mais aussi du

tournant libéral prôné par ses auteurs. Sur le papier, ce document se veut en effet

rassurant sur la volonté des deux dirigeants à se montrer « fidèles à leurs

valeurs »118, notamment celle de ne pas démanteler l’Etat-Providence, garant de la

solidarité. Ils cherchent notamment à montrer leur volonté d’incarner une troisième

voie conciliant précisément les valeurs auxquelles ils souhaitent rester fidèles (ex :

solidarité) avec celles auxquelles ces dernières s’opposent idéologiquement (ex :

esprit de responsabilité). Or, si cette volonté de conciliation semble réelle,

l’inquiétude qu’a pu susciter ce document est légitime en raison d’éléments se

rapportant clairement au modèle capitaliste anglo-saxon. Le « Manifeste » affirme

vouloir moderniser l’Etat plutôt que le démanteler mais construit sa critique contre

l’Etat-Providence, autour des dérives de la justice sociale qui aurait entrainé deux

confusions. D’une part, la justice sociale aurait été confondue avec l’égalité, qui

118 BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte ». [En ligne] Juin 1998.

p.3 URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html

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Rousseau Marie-Léa

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aurait pour effet pervers de dissuader la créativité des individus et par conséquent

d’encourager la médiocrité. D’autre part, la justice sociale aurait été confondue

avec l’augmentation continue des dépenses publiques, soit une extension croissante

des interventions de l’Etat dans tous les domaines, notamment sur les marchés où il

n’est censé que construire un cadre légal. La priorité aux valeurs comme la justice

sociale, l’égalité et la solidarité, aurait ainsi contribué à la formation d’un système

socio-économique dans lequel les droits auraient été élevés au-dessus des

obligations. Par ailleurs, le « Manifeste » affirme que l’équilibre entre les actions

individuelles et les actions collectives a été rompu, et insiste en particulier sur la

responsabilité individuelle de chacun à travers « la construction autonome de soi »,

« le succès personnel » ou encore «l'esprit d'entreprise ». L’Etat devrait donc être

réformé de sorte à laisser chacun responsable de la situation dans laquelle il se

trouve en témoigne la volonté des auteurs de « transformer la bouée de sauvetage

des droits sociaux en un tremplin pour la responsabilité individuelle »119. Par

ailleurs, les individus devraient être à l’origine de la réussite des entreprises dont le

rôle dans la création de richesses aurait été par ailleurs sous-évalué et par la même

occasion inhibé par les interventions excessives de l’Etat. Le « Manifeste » propose

donc de libérer l’esprit d’initiative en soulageant les entreprises de l’excès de

charges qui les incombe120, ce qui revient précisément à limiter l’action de l’Etat

dans ce domaine. Pour terminer, le « Manifeste » insiste sur l’importance de la

performance, notamment de la performance individuelle121. Or, cette importance du

rôle du marché, cette méfiance envers l’Etat, cet appel à la responsabilisation

individuelle impliquant la performance sont autant de traits associés au capitalisme

anglo-saxon défini au tout début de notre analyse.

B.1.2. Le « modèle anglo-saxon », moteur des réformes de flexibilisation du marché du travail ?

Ensuite, les deux pays livrent leur conception commune de l’emploi et du chômage

dans le « Manifeste Blair-Schröder ». Ils font le constat que l’économie mondiale,

119 BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte ». [En ligne] Juin 1998.

p.6 URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html 120 BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte ». [En ligne] Juin 1998.

p.1&6.URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html 121 BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte ». [En ligne] Juin 1998.

p.3 URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html

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Rousseau Marie-Léa

56

de fait, ne permet plus aux individus d’occuper un emploi à vie, d’où le risque

grandissant de périodes de chômage et la montée inexorable des emplois partiels.

La vision chère au « modèle allemand » du salarié alpiniste, gravissant petit à petit

les échelons dans la même entreprise sur plusieurs décennies, s’en trouve par

conséquent fragilisée. Par ailleurs, ces emplois partiels sont perçus comme un mal

nécessaire puisque les bas salaires qui leurs sont associés sont considérés comme

valant mieux que le chômage car ils sont censés représenter « une passerelle vers

des emplois stables et mieux payés »122. Le « Manifeste » sous-entend par ailleurs

que les actifs inoccupés ne se saisiraient pas suffisamment des opportunités

d’emplois qui leur seraient proposés, entretenant ainsi l’idée d’abus du système

d’allocation chômage. C’est pourquoi, il prône la mise en place d’une politique

dynamique de l’emploi qui encourage, voire oblige, les chômeurs à renoncer à leur

inactivité en acceptant les propositions à leur disposition. Or, les mesures prises

dans le cadre de l’Agenda 2010 vont dans le sens d’une conception anglo-saxonne

de l’emploi. Par exemple, la loi « Hartz I » de janvier 2003 s’inspirait directement

du modèle britannique des Jobs Centers en créant les Personal Service Agenturen,

mesure pourtant abrogées en 2008 (Fabre, 2013)123. De même, elle contraint les

chômeurs célibataires à accepter un emploi loin de leur domicile si une opportunité

se présente à eux.

B.1.3. Le « modèle allemand » remis en cause ?

Enfin, les évolutions engendrées par les « lois Hartz » posent la question de

l’effacement du modèle allemand face au « modèle anglo-saxon » comme l’avait

pressenti Michel Albert. Tout d’abord, le recours toujours plus important au temps

partiel ainsi que le cumul des « petits boulots » représentent une remise en cause de

l’idéal-type des relations sociales cher au « modèle allemand » : comment

construire un sentiment d’appartenance envers une seule et même entreprise lorsque

les contrats de travail sont à durée limitées, et obligent par conséquent les salariés à

changer régulièrement d’employeurs ? Si cette logique est suivie, le lien social

traditionnel basé sur la stabilité des relations professionnelles devrait

122 BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte ». [En ligne] Juin 1998.

p.7. URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html 123 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.23

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Rousseau Marie-Léa

57

progressivement se distendre. Par ailleurs, l’évolution des carrières tendrait à

reposer davantage sur la performance des individus plutôt que leur ancienneté.

Michel Albert mettait déjà en avant que l’évolution fulgurante des carrières

caractéristique du capitalisme anglo-saxon présentait plus d’attrait pour les jeunes

salariés que la progression « sage » du salarié allemand dans l’entreprise124. De

plus, les « réformes Hartz » ont révélé une préférence pour l’emploi plutôt que sur

le salaire, ce qui signifie que l’un ne pouvait être préservé sans sacrifice de

l’autre125. Or, l’Allemagne de l’après-guerre était parvenue à satisfaire le triptyque

salaire/compétitivité/excédents. Concernant les conditions de travail, les salariés

allemands étaient non seulement peu touchés par le chômage, recevaient les salaires

les plus élevés de la Communauté Economique Européenne (CEE) et bénéficiaient

de surcroît de la diminution du temps de travail dans certaines branches. Force est

de constater que ces conditions ont été mises à mal en raison de l’arbitrage entre

compétitivité et salaires. Les salaires n’ont pratiquement pas augmenté depuis le

milieu des années 90, les emplois ont pu être préservés au prix du recours au temps

partiel et les salariés ont dû accepter des augmentations de temps de travail dans le

cadre d’accords compétitivité-emploi. Pour terminer, ces réformes ont mis à mal la

culture du consensus en raison des vives oppositions qu’elles ont suscitées au

moment de leur adoption. Le gouvernement Schröder a d’ailleurs payé le prix de

ses réformes au moment des élections de 2005 à l’issue desquelles le chancelier

sortant s’est vu refuser la confiance du Bundestag, notamment de la part de l’aile

gauche du SPD qui jugeait ces réformes trop libérales.

B.2. ...ou un retour aux sources du « modèle rhénan »?

D’autre part, la présence d’éléments allant dans le sens d’une anglicisation du

« modèle allemand » ne doit pas faire occulter le rôle prépondérant de ces réformes

dans la survie de ce système socio-économique d’après-guerre. Précisément, ces

réformes nécessaires à la survie du « modèle allemand » n’auraient-elles pas permis

un retour aux sources plutôt qu’elles n’auraient menées à son évaporation ?

124 ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,

350p, p. 138 125 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.32

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Rousseau Marie-Léa

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B.2.1. La responsabilité individuelle placée au cœur des réformes

Tout d’abord, il faut rappeler, comme précisé plus haut, que l’Allemagne subit des

critiques concernant les conséquences des « lois Hartz » en raison de la dimension

sociale de son système socio-économique qui fait souvent occulter sa nature

profondément libérale. D’après certains auteurs, l’Allemagne n’a en réalité fait que

revenir aux fondements idéologiques de son modèle socioéconomique. Selon Eugen

Spitznagel, l’Agenda 2010 devait renouer avec le pacte d’origine du modèle rhénan

qui devait faire correspondre l’existence de droits à celle de devoirs.126 Pour Alain

Fabre, ces réformes avaient pour objectif de revenir à « l’esprit d’origine » de la

conception rhénane de l’Etat, ce qu’il appelle « l’aide à l’auto-assistance » (Fabre,

2013)127. Il explique que, dans cette conception, l’Etat ne se substitue pas à la

responsabilité individuelle mais la complète lorsqu’elle est insuffisante. L’individu

doit en conséquence prouver qu’il a mérité ce recours à la solidarité collective, dans

la mesure où la responsabilité individuelle tend vers le collectif. Celle-ci s’inscrit en

effet dans le cadre d’une communauté de devoirs qui légitime l’accès à une

communauté de droits. Au-delà de ses composantes anglo-saxonnes, le

« Manifeste » porte également bien la marque de la conception allemande de la

responsabilité individuelle qui doit contribuer au sentiment collectif. En effet, la

critique du « Manifeste » porte sur le fait que les droits ont été placés au-dessus des

devoirs alors qu’« on ne peut pas se débarrasser de ses responsabilités, envers soi-

même, sa famille, son voisinage ou l’ensemble de la société, sur l’Etat et s’en

remettre à lui seul »128.Cette conception avait été affirmé par le président Horst

Köhler au moment de son discours inaugural le 2 juillet 2004 dans lequel il estimait

qu’il fallait « changer les mentalités, pour trouver un nouvel équilibre entre la

responsabilité individuelle et la protection collective » (Fabre, 2013)129. Comme

mis en avant plus tôt dans l’analyse, c’est parce que le modèle allemand est

126 SPITZNAGEL Eugen, « Un marché de l’emploi en mutation », Regards sur l'économie allemande » [En

ligne], 91 | 2009, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 01 janvier 2013. URL : http://rea.revues.org/3671, p.36

127 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.12 128 BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte ». [En ligne] Juin 1998.

p.2 URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html 129 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.37

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authentiquement libéral qu’il a cherché à lutter contre les excès de l’Etat social en

remettant la responsabilité individuel au centre du lien social qui permet aux

citoyens de former une communauté. C’est pourquoi, le slogan de l’Agenda 2010 se

résumait en la formule « Soutenir et Exiger » (Fördern und Fordern)130 qui devait

incarner cet équilibre entre responsabilité individuelle et protection collective. Cette

conception de la responsabilité individuelle devait théoriquement permettre à

chaque individu de nouer le lien social avec l’ensemble de la communauté de droits

et de devoirs, d’où le second slogan, « Activation et Participation » (Aktivierung

und Teilhabe), qui consacre également les deux faces d’une même pièce

(Spitznagel, 2009)131

B.2.2. La dimension sociale du système socio-économique allemand toujours présente

Ensuite, les réformes ont certes représentées des sacrifices davantage que des

avancées sociales132, mais la dimension sociale du modèle allemand n’a pour autant

pas disparu. Comme l’affirme Alain Fabre, l’admiration de Gerhard Schröder pour

la social-démocratie incarnée par Bill Clinton aux Etats-Unis et Tony Blair au

Royaume-Uni ne l’a pas amené à « répudie[r] la dimension sociale de son modèle

économique»133. Par ailleurs, il soutient que les critiques visant la responsabilité des

« lois Hartz » dans la précarisation de la société allemande « relèvent pour

l’essentiel de la rhétorique »134. Tout d’abord, si les entreprises ont pratiqué la

modération salariale depuis une dizaine d’années, les salaires allemands demeurent

supérieurs à la moyenne européenne. Bien qu’ils aient peu augmenté depuis le

milieu des années 90, ils ont repris leur progression à partir de 2010 : 1,6% en

130 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p. 12 131 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.12 132 COLLETIS Gabriel, « Mutation du « modèle rhénan » et avenir du modèle européen », Regards sur

l'économie allemande [En ligne], 67 | 2004, mis en ligne le 08 octobre 2009, consulté le 16 octobre 2012. URL : http://rea.revues.org/3793, p.11

133 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.12 134 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.12

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2010, 1,5% en 2011, 2,6% en 2012135. La part des bas salaires est certes passée de

14 à 22% entre 1998 et 2010 mais leur progression la plus forte aurait eu lieu avant

les « réformes Hartz » qui auraient conduit à leur stabilisation à partir de 2006. Les

réformes n’auraient donc pas engendré l’explosion des emplois à bas salaires, en

témoigne les propos de Michael Hüther, directeur de l’Institut d’Etudes

Economiques de Cologne : «Nous ne constatons toujours aucune augmentation à

long terme de la part de l’emploi à bas salaires »136. De plus, le taux de pauvreté137

se situait à 15,8% de la population (12,8 millions de personnes) en 2011, soit une

progression de 3,6 point par rapport à 2005. Sur la base d’un indice général

multicritères de pauvreté (monétaire relative, monétaire subjective, privation

matérielle et difficultés financières), Christoph Schröder a établi que l’Allemagne

se trouvait en septième position dans l’Europe des 27. Enfin, les inégalités de

revenu se seraient stabilisées durant la crise alors qu’elles auraient globalement

augmenté dans la zone de l’OCDE dans la mesure où la modération salariale n’a

pas été de pair avec la fin de la redistribution des richesses (Fabre, 2013)138. Par

conséquent, la perception de la pauvreté en Allemagne est différente de celle de son

voisin d’Outre-Rhin, en témoigne les écarts entre les ménages français et allemands

sur leur estimation du degré de difficulté à « joindre les deux bout » (Tableau IV).

135 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p. 29 136 Cité dans : FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du

Benchmark, Septembre 2013, p.1-71, p. 29 137 D’après Eurostat : taux de pauvreté relative après impôts et transferts avec un seuil de 60 % du revenu

médian, soit un revenu annuel inférieur à 11 278 € par an 138 Cité dans : FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du

Benchmark, Septembre 2013, p.1-71, p. 48

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Rousseau Marie-Léa

61

Tableau IV: Comparaison du degré d´incapacité à joindre les deux bout des ménages allemands et français entre 2005 et

2011

Source : Fabre, A. (2013). Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ?. Les Notes du Benchmark, Septembre, pp. 1-71. p. 29. p.48

Cette comparaison des différences de perceptions des ménages allemands et français

sur leur niveau de difficulté à « joindre les deux bouts » fait apparaitre des résultats

édifiants. D’une part, les trois premières lignes du tableau montrent que les ménages

allemands représentent une proportion moindre que les ménages français à boucler

difficilement leur fin de mois. D’autre part, leur part a régressé sur la période 2005-

2011 alors que celle des ménages français a au même moment augmenté. La

quatrième ligne « Sous total avec difficulté » est d’autant plus instructive : la part des

ménages allemands concernés a reculé de 26,2% sur la période 2005-2011 alors que

celle des ménages français a augmenté de 4,3%. Tout ceci amène Alain Fabre à

conclure que ces réformes de flexibilisation du marché du travail ont permis

d’assurer la longévité de l’Etat social plutôt que de la démanteler139

139 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.13

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Rousseau Marie-Léa

62

B.2.3. La modération salariale, fruit de ce système consensuel

Enfin, il nous mettre en avant que la modération salariale au cœur des critiques

visant les réformes de flexibilisation du travail a été paradoxalement obtenu par le

biais de cette culture du consensus mise en avant plus tôt dans l’analyse. Tout

d’abord, les réformes ont certes été adoptées dans un climat parlementaire tendu

mais sont le fruit de compromis multiples et complexes entre le Bundestag et le

Bundesrat, l’Etat fédéral et les Länder et enfin le patronat et les syndicats140. Par

ailleurs, les gouvernements ayant succédé à l’administration Schröder n’ont pas

cherché à remettre en cause ces réformes, jusqu’à ce que la question de

l’instauration d’un salaire minimum soit soulevée. De plus, le « Manifeste Blair-

Schröder », en dépit d’éléments se rapprochant du capitalisme anglo-saxon, porte

malgré tout la marque du modèle rhénan cher au système socio-économique

allemand. Il est ainsi précisé que le gouvernement social-démocrate avait pour

ambition de créer une Alliance pour l’Emploi, la Formation et la Compétitivité des

entreprises qui devait regrouper toutes les parties prenantes autour du thème de

l’évolution du rapport salarial. Cette structure devait reposer sur deux objectifs :

d’une part, le gouvernement souhaitait que le partage de la valeur ajoutée donnât

lieu à des négociations entre salariés et employeurs ; d’autre part, le gouvernement

voulait réaffirmer son soutien aux droits des salariés face aux changements sur le

point de s’opérer. Or, les « sacrifices » des salariés face à la mauvaise conjoncture

de leur entreprise évoqués par Gabriel Colletis font partie intégrante du processus

de négociation entre les acteurs concernés141. Le poids de la responsabilité

individuelle dans le « modèle allemand » implique de se résigner à des conditions

de travail moins rémunératrices pour préserver l’ensemble du groupe. Michel

Albert avait été déjà mis en avant le fait que les salariés avaient concédé, dans le

but de préserver leurs emplois, des baisses de salaires diminuant de trois à quatre

points leur pouvoir d’achat jusqu’à ce que la conjoncture s’améliorât. Dans les

années 2000, plusieurs accords de compétitivité-emploi au sein d’entreprises ont été

conclus dans ce sens. Les premiers datent de février 2004 lorsque l’entreprise

industrielle IG-Metall et le syndicat Gesamtmetall ont conclu à Pforzheim (Bade- 140 FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,

Septembre 2013, p.1-71, p.35 141 COLLETIS Gabriel, « Mutation du « modèle rhénan » et avenir du modèle européen », Regards sur

l'économie allemande [En ligne], 67 | 2004, mis en ligne le 08 octobre 2009, consulté le 16 octobre 2012. p.11.URL : http://rea.revues.org/3793

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Rousseau Marie-Léa

63

Wurtemberg) des accords engageant l’entreprise à ne pas délocaliser en échange de

l’allongement du temps de travail de 35 à 40 heures hebdomadaires sans

compensation salariale. En 2004 et 2006, 850 accords de cette nature ont été

conclus pour permettre aux entreprises de s’adapter à la concurrence sans impliquer

de pertes d’emplois pour leurs salariés.

Ainsi, il a été question de comprendre ce qui définit non seulement le capitalisme

rhénan, mais surtout le « modèle allemand » de l’après-guerre. L’analyse a montré

que le capitalisme rhénan correspond à une forme de capitalisme dit stakeholder

dont le fonctionnement se base sur l’importance des relations entre les parties

prenantes. Le système économique, et plus précisément l’entreprise, y sont perçus

comme des communautés d’intérêts où le consensus entre les parties prenantes est

particulièrement important. Une telle conception se retrouve dans le système

économique allemand de l’après-guerre qui s’est construit autour de l’économie

sociale de marché, elle-même issue de l’ordolibéralisme. L’Etat ayant uniquement un

rôle de guide du processus économique par la création d’un cadre légal favorisant la

concurrence, les négociations sont menées par les acteurs directement impliqués dans

le processus de décision. Cela entraine une conception du pouvoir horizontale qui

favorise l’existence de plusieurs pôles de décisions sur tout le territoire allemand

grâce à la répartition géographique du Mittelstand. Par ailleurs, ce refus du dirigisme

s’observe également au sein des entreprises ou la Mitbestimmung permet d’intégrer

toutes les parties prenantes, y compris les salariés, au processus de décision. De

même, le parcours traditionnel d’ « alpiniste » permet aux salariés de devenir des

membres à part entière de leur entreprise, et de s’identifier à cette dernière. Ce

modèle défini comme vertueux par Michel Albert a cependant été remis en question

par les bouleversements des années 90, en particulier la réunification, qui ont mis en

lumière les rigidités de ce système. Or, Michel Albert prévoyait que ce modèle

vertueux finirait par s’estomper au profit du capitalisme anglo-saxon, évolution qui

divisait les chercheurs à la fin des années 90. L’Allemagne a réagi à ses difficultés

par la mise en place des « réformes Hartz » qui ont notamment favorisé le recours

aux emplois partiels pour lutter contre le chômage, quitte à exiger des sacrifices de la

part des salariés en termes de conditions de travail et de rémunération. Ces réformes

sont de fait parvenues aux objectifs fixés et ont par la même occasion renoué avec

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Rousseau Marie-Léa

64

l’esprit initial du « modèle allemand » selon lequel les droits sont conditionnés par

les devoirs. En revanche, elles sont aussi accusées d’avoir encouragé une certaine

précarité parmi la population active allemande, bien que la précarité en Allemagne ne

soit dans la moyenne européenne et moins forte que chez son voisin français.

Cependant, nous allons voir que ces critiques sont devenues plus incisives ces

dernières années et qu’elles ont notamment émané d’institutions internationales et

européennes qui ont incité l’Allemagne à remédier à certains effets des « lois

Hartz ». L’adoption récente de la loi sur l’introduction d’un salaire minimum

national pose la question d’un nouveau tournant dans la politique de l’emploi de

l’Allemagne et dans l’évolution future du « modèle allemand » des relations sociales.

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Rousseau Marie-Léa

65

Partie II. : L’introduction d’un salaire minimum

national: simple correction des effets négatifs des « réformes Hartz » ou expression d’un nouveau

changement de cap?

Dans un second temps, l’analyse sera consacrée au projet de loi sur l’introduction

d’un salaire minimum généralisé (der flächendeckende Mindestlohn) en Allemagne

tel que le prévoyait l’accord signé le 27 novembre 2013 à l’issue de longues

tractations entre le parti démocrate-chrétien (CDU) et le parti social-démocrate

(SPD) après les élections législatives du 22 septembre 2013. Or, l’instauration d’un

salaire minimum généralisée constitue non seulement un tournant majeur par

rapport aux « réformes Hartz » menées dix ans plus tôt mais également par rapport

au système socio-économique allemand de l’après-guerre dont l’évolution apparait

de plus en plus contestée. Bien que nous ayons conclu sur l’adaptation plutôt que

l’évaporation du « modèle rhénan » sous l’effet des « lois Hartz », des critiques de

plus en plus virulentes se sont élevées contre les effets négatifs des mesures de

flexibilisation du travail. En dépit du fait que ces mesures aient eu pour objectif de

remettre la responsabilité individuelle au cœur du système allemand des relations

professionnelles, elles n’en restent pas moins accusées par leurs détracteurs d’avoir

fragilisé le rapport d’équilibre entre patronat et salariat. L’introduction d’un salaire

minimum généralisé peut-elle renforcer les bases du « modèle allemand»?

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Rousseau Marie-Léa

66

Chapitre.I. La mise en place du salaire minimum : l’expression d’un

changement de cap

En premier lieu, il convient d’analyser les raisons qui ont progressivement mené au

consensus parmi les parties prenantes du système socio-économique allemand

(partis politiques, syndicats, opinion publiques, etc...) quant à l’introduction d’un

salaire minimum national. La mise en place d’une telle mesure n’apparait pourtant

pas comme une solution évidente au vu des fondements du « modèle allemand » de

l’après-guerre. C’est pourquoi, cette question occasionne des débats vifs à partir du

milieu des années 90, qui se sont fortement intensifiés à partir du milieu des années

2000.

A. Le projet de loi sur l’introduction du salaire

minimum : une solution qui a progressivement fait consensus

Premièrement, il nous faut procéder à la description du projet de loi sur

l’introduction du salaire minimum (MiLOG) qui a été adopté récemment par le

Bundestag et le Bundesrat, et dont les dispositions entreront en vigueur dès le 1er

janvier 2015.

A.1. Le salaire minimum : une solution qui a fait progressivement consensus en Allemagne à partir des années 90

D’une part, il nous faut décrire précisément le contexte qui a mené à ce que l’idée

de l’introduction du salaire minimum fasse consensus dans la classe politique

allemande.

A.1.1. L’Allemagne face aux critiques des institutions

internationales et européennes

Tout d’abord, l’accord du 27 novembre 2013 signé par la CDU et le SPD intervient

dans un contexte de critiques de plus en plus virulente contre les « réformes Hartz »

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Rousseau Marie-Léa

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qui ont pourtant permis à l’Allemagne de sortir du marasme économique au milieu

des années 2000 et de faire face aux crises mondiales et européennes depuis 2008.

L’Allemagne, désormais perçue comme la locomotive de l’Union Européenne, se

voit régulièrement reproché son manque de loyauté en basant sa réussite sur des

relations déséquilibrées avec ses partenaires européens. Parmi les critiques

formulées, certaines ont émanée d’institutions internationales et européennes qui

ont enjoint l’Allemagne de changer de cap quant à sa politique de l’emploi. Il nous

parait utile de citer trois exemples particulièrement récents. La première critique

provient d’un rapport du Bureau International du Travail (rattaché à l’Organisation

Internationale du Travail), intitulé « Tendances mondiales de l’emploi 2012 :

prévenir une aggravation de la crise de l’emploi ». Ce rapport de 129 pages, publié

le 24 janvier 2012, consacre un encadré à l’évolution des salaires en Allemagne

(voir Annexe III) (Bureau International du travail, 24 janvier 2012). Dans le titre

de l’encadré, le Bureau International du Travail fait d’emblée le lien entre

l’évolution des salaires en Allemagne depuis la réunification allemande et les

difficultés de la zone euro. En se basant sur les chiffres de l’Organisation de

Coopération et de Développement Economique (OCDE), le Bureau International du

Travail (BIT) met en avant que la nécessité de surmonter l’épreuve de la

réunification a conduit l’Allemagne à pratiquer une déflation salariale en faisant

pression par le bas sur les salaires allemands. Le tableau de l’OCDE utilisé montre

que la productivité par rapport aux autres pays de l’OCDE est demeurée stable en

1995 et 2010 alors que les salaires réels ont significativement diminué dans le

même temps. D’après le BIT, cette politique des bas salaires renforcée par les

« réformes Hartz » a non seulement limité la consommation des ménages, pourtant

si importante pour le dynamisme de l’activité économique dans une perspective

keynésienne, mais elle a surtout eu un impact sur celle des autres pays européens

qui auraient tendances à considérer la déflation salariale comme la solution à leurs

problèmes de compétitivité. Sans l’affirmer explicitement, le BIT semble imputer à

l’Allemagne la responsabilité des difficultés dans la zone euro en raison du cap

qu’elle a choisi pour sortir de son propre marasme économique dix ans auparavant.

La seconde critique émane de la Commission Européenne lorsque celle-ci a décidé

d’ouvrir une enquête le 13 novembre 2013 sur les excédents allemands. Le rapport

sur le mécanisme d’alerte de 2013, rendu public par un communiqué de presse le 28

novembre 2012, préconisait « un bilan approfondi de l’évolution des déséquilibres

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Rousseau Marie-Léa

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macroéconomiques dans 14 pays membres »142 (Belgique, Bulgarie, Danemark,

Espagne, France, Italie, Chypre, Hongrie, Malte, Pays-Bas, Slovénie, Finlande,

Suède et Royaume-Uni). Il n’était donc nullement question de l’Allemagne, qui ne

faisait pas partie des pays visés. En revanche, la publication du rapport du

mécanisme d’alerte 2014 le 28 novembre 2013 a donné lieu à l’ouverture

d’examens approfondis sur 16 pays, dont l’Allemagne faisait cette fois-ci partie.

Cependant, au-delà de l’examen approfondi, c’est l’ouverture d’une enquête sur les

excédents commerciaux qui a visé l’Allemagne. Or, les résultats d’une enquête

peuvent éventuellement mener à des sanctions de la part de la Commission

Européenne à l’égard de l’Etat concerné à hauteur de 0,1% du PIB si le plafond fixé

par les institutions européennes est dépassé. L’Allemagne a notamment été

critiquée par José Manuel Barroso, président de la Commission Européenne dans

un discours du 5 octobre 2013 dans l’église Saint-Paul de Francfort, soit quelques

semaines avant l’ouverture officielle de l’enquête143. Ce dernier avait notamment

souligné que l’Allemagne devait apporter sa contribution à la résolution des

déséquilibres macroéconomiques au sein de la zone euro. Il visait en particulier les

excédents commerciaux allemands, conséquences du fait que l’Allemagne exporte

davantage qu’elle n’importe depuis 1952. L’excédent commercial de l’Allemagne,

le plus élevé du monde avec 6,9% du produit national brut allemand, dépasse de

fait le seuil de 6% au-delà duquel il est jugé excessif car facteur de déséquilibre

envers les partenaires de la zone euro. Or, cette problématique de la balance

commerciale excédentaire peut être reliée à celle des salaires allemands : elle est en

effet le fruit d’une compétitivité des produits qui est elle-même en partie la

conséquence de la faible croissance des salaires des années 90 qui entraine une

faible progression de la consommation des ménages. Le député socialiste français

Liêm Hoang-Ngoc, membre de la commission des affaires économiques et

monétaires a d’ailleurs réagit à l’ouverture de cette enquête en résumant la situation

de la manière suivante :

142 EUROPA - COMMUNIQUES DE PRESSE - Communiqué de presse - La gouvernance économique de

l'UE en clair [En ligne], Europa.eu Press release database, mis en ligne le 10 avril 2014, consulté le 2 août 2014. URL : http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-13-318_fr.htm?locale=FR

143 “Barroso urges Germany to act on euro imbalances”[En ligne], EurActiv | EU News & policy debates,

across languages, mis en ligne le 6 novembre 2013, consulté le 2 aout 2014. URL : http://www.euractiv.com/euro-finance/barroso-urges-germany-act-euro-i-news-531535

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« Les déséquilibres en termes de performances économiques et sociales minent les fondements même de la zone euro : si la Grèce ne peut pas vivre éternellement à crédit, l'Allemagne ne peut pas non plus se satisfaire d'exporter sa forte production de biens vers ses partenaires tout en affichant plus de 8 millions de travailleurs pauvres»144

La Commission a publié les conclusions de cette quatorzième enquête sur un pays

membre le 7 mars 2014, sachant qu’aucune des précédentes n’avait abouti à des

sanctions. L’Allemagne a de fait évité les sanctions mais n’a pour autant pas été

épargnée par les critiques concernant son excédent commercial. La troisième

critique que nous évoquerons provient de l’affaire opposant la Belgique à

l’Allemagne concernant le montant des salaires dans l’industrie de la viande. Le 19

mars 2013, Johan Vande Lanotte, ministre belge de l’économie, et Monica de

Coninck, ministre belge de l’emploi, ont conjointement porté contre l’Allemagne

devant la Commission Européenne pour dénoncer des pratiques de concurrence

déloyales. D’après eux, le secteur de la viande allemand emploie massivement des

travailleurs des pays de l’Est environ 60 heures par jour et à environ trois à quatre

euros de l’heure. Les deux ministres ont ainsi accusé l’Allemagne de pratiquer du

dumping social, pratique interdite par l’Union Européenne, qui consiste à faire

augmenter sa compétitivité au mépris des règles sociales. Or, les deux ministres ont

précisément critiqué l’absence de salaire minimum dans l’industrie de la viande qui

permet de pratiquer cette concurrence déloyale qui consiste à attirer les entreprises

par le biais de salaires anormalement bas145. Ainsi, le poids des critiques à l’échelle

européenne a donné de l’écho aux principaux acteurs internes revendiquant la mise

en place d’un salaire minimum, alors que cette mesure n’apparaissait pas évidente.

D’une part, le salaire semble remettre en question les « lois Hartz » de

flexibilisation du travail pourtant mises en place au début des années 2000 et

d’autre part il représente une réforme majeure quant au système allemand de

144 « Bruxelles s'interroge sur l'excédent commercial allemand » [En ligne], EurActiv | EU News & policy

debates, across languages, mis en ligne le 13 novembre 2013, consulté le 2 aout 2014. URL : http://www.euractiv.com/euro-finance/barroso-urges-germany-act-euro-i-news-531535

145 « Faire découper la viande en Allemagne coûte beaucoup moins cher, polémique » [En ligne],

RTBF.be|Info, mis en ligne le 19 mars 2014, page consultée le 31 mars 2014. URL : http://www.rtbf.be/info/societe/detail_la-belgique-denonce-le-dumping-social-de-l-allemagne?id=7950659

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l’après-guerre, ce qui pose la question de la place de cette mesure dans l’évolution

du « modèle allemand ».

A.1.2. Le salaire minimum : une solution qui fait désormais consensus

Ensuite, la complexité de l’introduction du salaire minimum généralisé réside dans

le fait qu’une telle mesure n’a jamais existé. La loi de 1952 intitulé Gesetz für die

Festsetzung von Mindestarbeitsbedingungen146 constitue l’une des seules réformes

sur les conditions de travail issue de l’Etat fédéral. Cette loi fixe les conditions de

travail minimales que les entreprises sont tenues de respecter dans trois cas précis

(Löwisch, 2008)147 :

Les syndicats ou associations de travailleurs ou n’existent pas dans

un secteur de l’économie ou qu’ils ne regroupent qu’une minorité

d’actifs

La mise en place de conditions minimales de travail apparait

essentielle pour satisfaire les besoins économiques et sociaux des

actifs

La règlementation des rémunérations ou de toutes autres conditions

de travail censées s’appliquer à tous les salariés concernés par un

tarif de branche ne s’applique pas correctement

L’idée d’introduire un salaire minimum généralisé en Allemagne est

« l’aboutissement d’un long processus initié au milieu des années 2000 [ayant]

conduit à un relatif consensus sur la nécessité de mieux protéger les salariés du

dumping salarial en vigueur dans certains secteurs ou certaines entreprises »

(Chagny & Lebayon, 2014)148. La Deutscher Gewerkschaftsbund (DGB) a été le

146 « Mindestlohn » [En ligne], Bundeszentrale für politische Bildung, mis en ligne le 15 novembre 2011,

consulté le 17 juillet 2013. URL : http://www.bpb.de/politik/innenpolitik/arbeitsmarktpolitik/55329/mindestlohn

147 LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen

Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu

Ordnungsökonomik, Avril 2008, S.1-35, S.7-8 148 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, Un petit pas pour l’Europe, un grand pas pour l’Allemagne [En

ligne], Sciences Po Paris OFCE, mis en ligne le 11 juillet 2014, consulté le 13 juillet 2014. URL : http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/salaire-minimum-en-allemagne-un-petit-pas-pour-leurope-un-grand-pas-pour-lallemagne/

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Rousseau Marie-Léa

71

premier syndicat à se prononcer officiellement pour l’instauration d’un salaire

minimum généralisé, et depuis la plupart des syndicats défendant les intérêts des

travailleurs ont adopté la même position. Parmi les partis politiques, le SPD et les

Verts ont été les premiers à opérer un revirement alors que leur coalition sous le

gouvernement Schröder était pourtant l’instigatrice des « lois Hartz ». Pour sa part,

la CDU/CSU s’est rallié très récemment à l’idée d’introduire un salaire minimum

généralisé. Le 4 novembre 2011, l’Antragskommission149 s’est d’ailleurs exprimé

sur le sujet lors du congrès de la CDU à Leipzig, affirmant que le parti se

prononçait pour des seuils (Lohnuntergrenze) dans les branches mais refusait

l’introduction d’un salaire minimum généralisé, selon les termes suivants :

"Die CDU Deutschlands hält es für notwendig, eine allgemeine verbindliche Lohnuntergrenze in den Bereichen einzuführen, in denen ein tarifvertraglich festgelegter Lohn nicht existiert. Die Lohnuntergrenze wird durch eine Kommission der Tarifpartner festgelegt, die Höhe der Lohnuntergrenze soll sich am Tarifabschluss für Zeitarbeitnehmer orientieren. Wir wollen eine durch die Tarifpartner bestimmte und damit marktwirtschaftlich organisierte Lohnuntergrenze und keinen politischen Mindestlohn“.

La formation de la première grande coalition à l’issue des élections législatives de

2005 n’avait abouti à aucun accord entre la CDU et le SPD quant à la mise en place

d’un salaire minimum généralisé. En revanche, le traité de coalition comportait bien

une clause prévoyant d’étendre le salaire minimum à plusieurs branches de

l’économie allemande selon deux procédures. L’une consiste à autoriser les

syndicats et les fédérations patronales à conclure des salaires minimums dans le

cadre d’une convention de branche. Le gouvernement peut leur conférer force de

loi par le biais de la procédure d’extension prévue par la Loi sur les travailleurs

détachés (Arbeitsentsendegesetz) à deux conditions : d’une part, ces conventions

doivent valoir sur l’ensemble du territoire allemand et d’autre part, elles doivent

concerner au moins la moitié de l’ensemble des salariés de la branche. En juin

2007, la Grande Coalition est parvenu à un accord prévoyant explicitement

l’extension de la Loi sur les travailleurs détachés à plusieurs branches150. Les

149 L‘Antragkommission correspond à l’organe d’un parti politique, chargé d’organiser les congrés

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Rousseau Marie-Léa

72

demandes auprès du gouvernement fédéral pouvaient être déposées par les parties

prenantes des branches jusqu’à la fin du mois du mars 2008151. Deux conditions

pour accéder à la mise en place d’un salaire minimum généralisé à l’ensemble de la

branche devaient être remplies : d’une part, seules les conventions tarifaires

couvrant la moitié des salariés pouvaient faire l’objet d’une demande pour être

étendues à l’ensemble de la branche ; d’autre part, la loi de 1952 sur les conditions

minimales de travail devait être remplacée au profit d’une loi prévoyant

explicitement le salaire minimum dans les secteurs économiques comportant des

conventions tarifaires minoritaires ou qui tout simplement inexistantes (Löwisch,

2008)152. L’extension des salaires minimum aux branches s’est donc fait en deux

étapes distinctes. La première étape a consisté à laisser les parties prenantes des

branches conclure elles-mêmes des accords portant sur la mise en place d’un salaire

minimum dans la tradition du système économique allemand de l’après-guerre.

L’Etat se contente donc de créer un cadre et de laisser les acteurs économiques

prendre eux-mêmes leurs décisions. La deuxième étape a consisté en une

intervention de l’Etat par la modification des dispositions de la loi de 1952 pour

permettre de fait l’extension des conventions tarifaires à l’ensemble des salariés

d’une branche. Les modifications de la loi sont entrées en vigueur le 28 avril

2009153, et permettent à l’Etat de fixer de nouveaux standards minimum selon la

procédure suivante. Une « Commission principale », réunissant des représentants

des syndicats, du patronat et des milieux scientifiques, est chargée de déterminer si

les conditions de travail dans une branche constitue une situation « d’urgence

sociale » (soziale Verwerfungen). Si une telle situation est constatée, une

« Commission technique » (Fachausschuss) est mise sur pied pour déterminer le

montant d’un salaire minimum154. En revanche, le gouvernement noir-jaune de la

151 « Mindestlohn » [En ligne], Bundeszentrale für politische Bildung, mis en ligne le 15 novembre 2011,

consulté le 17 juillet 2013. URL: http://www.bpb.de/politik/innenpolitik/arbeitsmarktpolitik/55329/mindestlohn

152 LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen

Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu

Ordnungsökonomik, Avril 2008, p.1-35, p.7-8 153 Mindestlohn - Branchen mit Mindestlöhnen [En ligne], www.lohn-info.de - Informationen zur Lohn

und Gehaltsabrechnung, mis en ligne en 2014, consulté le 1er aout 2014. URL: http://www.lohn-info.de/mindestlohn.html

154 BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,

[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05 juillet 2014, p.30. URL : http://rea.revues.org/3900

Page 73: Des « réformes Hartz » à la loi sur l introduction d un ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · stabilité des relations entre les parties prenantes. L’analyse

Rousseau Marie-Léa

73

CDU et de la FDP réaffirme dans son traité de coalition son opposition au salaire

minimum généralisé : «Nous refusons le salaire minimum généralisé » [Notre

traduction]155. Depuis, tous les partis politiques au Bundestag hormis le FDP sont

désormais favorables au salaire minimum. L’opinion publique allemande se révélé

d’ailleurs très majoritairement favorable à la mise en place du salaire minimum.

Entre 2008 et 2012, la part des partisans du salaire minimum est passée de 55% à

72%, soit de la moitié au trois-quarts de l’opinion en l’espace de quatre ans (Brenke

& Müller, 2013)156. Le gouvernement fédéral a d’ailleurs utilisé cet argument sur le

site suivant157, rattaché au Ministère du Travail et des Affaires Sociales158. D’après

la Figure XIII, environ 80% de chaque classe d’âge approuve l’introduction du

salaire minimum

155 « Mindestlohn » [En ligne], Bundeszentrale für politische Bildung, mis en ligne le 15 novembre 2011,

consulté le 17 juillet 2013. URL : http://www.bpb.de/politik/innenpolitik/arbeitsmarktpolitik/55329/mindestlohn : „Einen einheitlichen gesetzlichen Mindestlohn lehnen wir ab“

156 BRENKE Karl, MÜLLER Kai-Uwe, Gesetzlicher Mindestlohn, kein verteilungspolitischer Allheilmittel,

DIW Berlin _ Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung.e.V, DIW Wochenbericht nr. 39/2013, 25. September 2013, S.3-16, S.16

157 Der Mindestlohn kommt-Nicht geschenkt sondern verdient [En ligne] Bundesministerium für Arbeit und

Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohn-kommt.de/ml/DE/Startseite/start.html

158 Der Mindestlohn - Was denken die Deutschen [En ligne], Der Mindestlohn kommt-Nicht geschenkt

sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohn-kommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohn-umfrage.pdf?__blob=publicationFile

Page 74: Des « réformes Hartz » à la loi sur l introduction d un ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · stabilité des relations entre les parties prenantes. L’analyse

Rousseau Marie-Léa

74

Figure XIII: Sondage d'opinion de la population allemande sur le salaire minimum national en fonction de l'âge

Source: Der Mindestlohn - Was denken die Deutschen [En ligne], Der Mindestlohn kommt-Nicht geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohn-kommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohn-umfrage.pdf?__blob=publicationFile

Par ailleurs, l’approbation du salaire minimum est également largement

majoritaire en fonction de l’appartenance politique (voir Figure XIV)159. Alors

que 98% des sympathisants de la Gauche (Die Linke), soit presque la totalité,

contre 74% des sympathisants de la CDU/CSU, soit les trois-quarts, estiment que

le salaire minimum est gage de justice. Au minimum trois-quarts des

sympathisants de chaque groupe politique estiment que le salaire minimum est

une bonne chose pour l’économie.

159 Einstellung zum Mindestlohn in Deutschland nach Parteipräferenz | Umfrage [En ligne], Focus Statista

2014, consulté le 24 juillet 2014. URL: http://de.statista.com/statistik/daten/studie/207474/umfrage/einstellung-zum-mindestlohn-in-deutschland/

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Rousseau Marie-Léa

75

Figure XIV: Sondage d'opinion de la population allemande sur le salaire minimum national en fonction de l'appartenance

politique

Source: Einstellung zum Mindestlohn in Deutschland nach Parteipräferenz | Umfrage [En ligne], Focus Statista 2014, consulté le 24 juillet 2014. URL: http://de.statista.com/statistik/daten/studie/207474/umfrage/einstellung-zum-mindestlohn-in-deutschland/

Etant donné l’évolution de l’opinion publique sur la question du salaire minimum,

les parties prenantes au dialogue pouvaient difficilement ne pas prêter attention à

cette tendance.

A.1.3. L’adoption du projet de loi sur l’introduction d’un salaire

minimum généralisé en Allemagne

Enfin, il nous faut décrire en quoi consiste précisément la Mindestlohngesetz

(MiLOG) dont les dispositions entreront en vigueur dès le 1er janvier 2015. Comme

le souligne la ministre du Travail et des Affaires Sociales Andrea Nahles dans son

discours du 3 juillet 2014 devant le Bundestag, l’arrivée du salaire minimum

généralisé était explicitement prévu par la signature de l’accord de coalition du 27

novembre 2013 entre la CDU et le SPD160. Le salaire minimum constitue la première

mesure emblématique à avoir été menée à terme par le gouvernement de Grande

160 Der Mindestlohn – Zeitplan für den Gesetzgebungsprozess [En ligne], Der Mindestlohn kommt-Nicht

geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohn-kommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohn-umfrage.pdf?__blob=publicationFile

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Rousseau Marie-Léa

76

Coalition en à peine six mois. Celle-ci a donc commencé avec les négociations dans

les branches qui ont permis d’aboutir à la présentation d’un projet de loi le 19 mars

2014 par le ministère du Travail et des Affaires Sociales. Par la suite, le Bundesrat,

par le biais du Conseil des Ministres (Bundeskabinett) réunissant les Premiers

Ministres (Ministerpräsident) des Länder, a pris position sur ce projet de loi au cours

du mois d’avril et a procédé à la première lecture au cours du mois de mai tandis que

celle au Bundestag a commencé au mois d’avril. La dernière lecture au Bundestag

s’est tenue lors de la session du 3 juillet 2014, au cours de laquelle Andrea Nahles a

prononcé un discours. Elle souligne notamment le fait que ce projet de loi constitue

« une étape majeure dans la politique sociale et de l’emploi de la République

Fédérale d’Allemagne »161 Le compte-rendu du Bundestag parle quant à lui d’une

décision à la portée historique162. La ministre souligne notamment que les

caractéristiques accolées à de nombreux actifs - « travailleurs, bon marché, sans

protection » [Notre traduction] vont prendre fin avec l’arrivée du salaire

minimum163. Elle met également en avant que la protection des actifs par la fixation

d’un salaire minimum est une question de concurrence loyale, l’inverse étant

reproché à l’Allemagne par ses partenaires européens. Par ailleurs, elle insiste sur le

fait que la loi concerne tous les actifs aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est, dans tous les

Länder et dans toutes les branches. Elle concède quelques exceptions, que nous

aurons l’occasion de détailler lors de la description précise du projet de loi. Bien que

le consensus sur la nécessité d’introduire un salaire minimum se soit installé dans la

classe politique allemande, les prises de positions des différents partis ont donné lieu

à des débats enflammés sur certains détails. Klaus Ernst, député de l’opposition (die

Linke) a critiqué le projet de loi et réclamé une « salaire minimum généralisé sans

161 BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, mis en

ligne le 3 juillet 2014, consulté le 5 juillet 2014. URL: http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/Andrea-Nahles/rede-14-07-03.html: Es ist nicht übertrieben, zu behaupten : Wir setzen heute einen Meilenstein in der Arbeitss-und Sozialpolitik der Bundesrepublik Deutschland

162 Deutscher Bundestag - Arbeit und Soziales: Mindestlohn von 8,50 Euro ab 2015 beschlossen[En ligne],

Deutscher Bundestag, mis en ligne le 3 juillet 2014, consulté le 7 juillet 2014], http://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2014/kw27_de_tarifautonomie/286268: Als Entscheidung mit historischer Tragweite haben Redner aller Fraktionen die Zustimmung des Bundestages zur Einführung eines flächendeckenden Mindestlohns in Deutschland ab 2015 gewürdigt

163 BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, mis en

ligne le 3 juillet 2014, consulté le 5 juillet 2014. URL: http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/Andrea-Nahles/rede-14-07-03.html: "Fleißig, billig, schutzlos, das ist bisher Realität für Millionen Arbeitnehmer. Und damit ist jetzt Schluss"

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Rousseau Marie-Léa

77

exception »164. Brigitte Pothmer, députée de l’opposition (Bundnis 90/Die Grünen) a

certes reconnu la dimension historique de la loi mais a estimé qu’elle n’était pas

assez juste en raison des exceptions qui subsistent. Karl Schwiewerling, député de la

coalition (CDU/CSU) a mis en avant le fait que la loi revenait aux fondements du

système allemand de l’après-guerre basé sur la Tarifautonomie en soulignant que la

loi permettrait un équilibre entre le capital et le travail. Katja Mast, députée de la

coalition (SPD) a quant à elle souligné la fierté des députés du SPD d’avoir mené la

réforme au bout. Malgré quelques différences de positions, le résultat du vote a été

sans appel. Sur 631 sièges au total, la Grande Coalition en disposait de 504 sièges, ce

qui permettait de lui assurer une large majorité165. Au total, 535 députés ont approuvé

le projet de loi, 61 se sont abstenus et 5 l’ont refusé166. De même, les amendements

de l’opposition ont été rejetés de façon très majoritaire. La Gauche (die Linke) a vu

son amendement 18/2019 sur l’annulation des exceptions sur les personnes de moins

de 18 ans et pour les chômeurs de longue durée rejeté avec 479 voix contre et 122

voix pour. De même, l’amendement 18/2021 proposé par les Verts qui préconisant

également de supprimer les exceptions au salaire minimum. Quatre autres

amendements de la Gauche (18/2017, 18/2018, 18/2020 et 18/590), de même ont

également été rejetés à une majorité large167, dont l’amendement 18/590 qui

préconisait la mise en place d’un salaire minimum à hauteur de 10 euros pour tous

les actifs. Quant au Bundesrat, il a approuvé le projet de loi sur l’introduction du

salaire minimum le 11 juillet 2014 en deuxième lecture. Le projet de loi a par

conséquent été définitivement adopté et pourra entrer en vigueur comme prévu le 1er

janvier 2015.

164 Deutscher Bundestag - Arbeit und Soziales: Mindestlohn von 8,50 Euro ab 2015 beschlossen [En ligne],

Deutscher Bundestag, mis en ligne le 3 juillet 2014, consulté le 7 juillet 2014. URL: http://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2014/kw27_de_tarifautonomie/286268: „Wir brauchen

einen flächendeckenden Mindestlohn ohne Ausnahmen.“ 165 Wahlergebnis [En ligne] Brandenburgische Landeszentrale politische Bildung, Der neu gewählte

Bundestag wird nach dem endgültigen amtlichen Ergebnis, mis en ligne 9 décembre 2013, consulté le 3 juin 2014. URL: http://www.politische-bildung-brandenburg.de/node/9626

166 Deutscher Bundestag - Arbeit und Soziales: Mindestlohn von 8,50 Euro ab 2015 beschlossen [En ligne],

Deutscher Bundestag, mis en ligne le 3 juillet 2014, consulté le 7 juillet 2014. URL: http://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2014/kw27_de_tarifautonomie/286268: „Wir brauchen

einen flächendeckenden Mindestlohn ohne Ausnahmen.“ 167 Deutscher Bundestag - Arbeit und Soziales: Mindestlohn von 8,50 Euro ab 2015 beschlossen [En ligne],

Deutscher Bundestag, mis en ligne le 3 juillet 2014, consulté le 7 juillet 2014. URL: http://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2014/kw27_de_tarifautonomie/286268

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Rousseau Marie-Léa

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A.2. Les dispositions de la loi sur l’introduction d’un

salaire minimum généralisé

D’autre part, il nous faut expliquer les principales dispositions de la loi sur le

salaire minimum (MiLOG), et la façon dont est celle-ci est censée s’appliquer une

fois entrée en vigueur.

A.2.1. Le rôle de la «Mindestlohnkommission»

Tout d’abord, la Mindestlohngesetz (MiLOG) prévoit la mise en place d’une

Mindestlohnkommission, sur le modèle de la Low Pay Commission en Grande-

Bretagne (Bruckmeier & al, 2014)168, qui sera chargée de faire appliquer

progressivement les dispositions à partir du 1er janvier 2015. Elle se composera de

neuf membres qui seront élu tous les cinq ans comme le montre la Figure XXIX

(voir Annexe IV ). Le président devra être élu à la fois par les représentants du

salariat et du patronat. Il en va de même pour six autres membres, les trois premiers

devant être issus des représentants du salariat et les trois autres des représentants du

patronat. Les deux derniers membres doivent être des scientifiques compétents sur

le sujet, nommés par le gouvernement, réputés pour leur indépendance. La

principale mission de cette Commission est de déterminer l’ajustement adéquat du

salaire minimum en fonction de la conjoncture. Le projet de loi prévoit que les

dispositions de la loi entrent pleinement en vigueur le 1er janvier 2018. La

Commission devra donc se prononcer sur la hauteur du salaire minimum à compter

de cette date au cours de l’année 2016169, et en tout cas ne pas dépasser la date

fatidique du 20 juin 2017 selon l’article 9 du projet de loi170. A partir du 1er janvier

2018, elle devra procéder à cet ajustement tous les ans. Chaque décision de la

Commission doit faire l’objet d’une justification écrite. La procédure de décision au

sein de la Commission est résumée par la Figure XXX (voir Annexe IV ). Pour

168 BRUCKMEIER Kerstin & al., Zur Stärkung der Tarifautonomie und Einführung eines allgemeinen

gesetzlichen Mindestlohns, Institut für Arbeit und Berufsforschung, IAB-Stellungnahme, Mars 2014, p.1-28

169 Fragen und Antworten zum Mindestlohn [En ligne], Der Mindestlohn kommt-Nicht geschenkt sondern

verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohn-kommt.de/ml/DE/Ihre-Fragen/Fragen-und-Antworten/faq-zum-mindestlohn-info.html

170 Entwurf eines Gesetzes zur Stärkung der Tarifautonomie (Tarifautonomiegesetz) [En ligne],

Bundesministerium für Arbeit und Soziales, Gesetzentwurf der Bundesregierung, mis en ligne le 2 avril 2014, consulté le 10 avril 2014. URL: http://www.bmas.de/SharedDocs/Downloads/DE/PDF-Pressemitteilungen/2014/2013-04-02-gesetzentwurf-tarifpaket-mindestlohn.pdf?__blob=publicationFile

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79

qu’une décision soit adoptée par la Commission, il faut qu’une majorité simple se

dégage parmi les membres ayant le droit de vote. Les deux scientifiques nommés

par le Bundesregierung sont les seuls à ne pas en disposer. Quant au président, il est

tenu de s’abstenir au cours du vote. Une majorité de quatre contre deux est donc

nécessaire pour que la décision s’applique. Si la majorité simple n’est pas atteinte,

le président doit présenter aux autres membres une proposition intermédiaire entre

les deux positions (der Vermittlungsvorschlag). Si la majorité n’est de nouveau pas

atteinte à l’issue de cette seconde étape de la procédure, alors la voix du président

compte. La mission confiée à la Commission relève d’une importance haute

puisque c’est sur elle que va reposer le montant du salaire minimum à partir du 1er

janvier 2018, et par conséquent le niveau de salaire des actifs. Le poids du dilemme

suivant pèse donc sur elle: d’un côté, le salaire minimum est censé assurer aux

actifs un niveau de revenu suffisamment élevé par rapport à la valeur de leur

travail ; d’un autre côté, le niveau du salaire minimum ne doit pas conduire á des

pertes d’emplois trop importantes. Comme le résument Andreas Knabe et al. , « le

débat sur le salaire minimum tourne autour de la question de savoir dans quelle

mesure le salaire minimum aide à atteindre le premier objectif, et à ne pas mettre

en danger le second » (Knabe, et al., 2014)171.

A.2.2. La période d’adaptation jusqu’à l'entrée en vigueur complète des dispositions de la loi

Ensuite, il nous faut décrire les dispositions les plus importantes de la

Mindestlohngesetz. D’une part, la loi est censée s’appliquer à tous les salariés, sauf

aux quelques rares exceptions qui ont été déterminées par le Bundesregierung dans

un premier temps puis adopté par le Parlement allemand. Dans son discours devant

le Bundestag, Andrea Nahles a expliqué pourquoi la loi ne s’appliquerait pas à

certains groupes de personnes. Ces exceptions (Ausnahmen) sont clairement

énumérées à l’article 22 de la loi. Le site suivant procure un schéma récapitulatif à

destination des citoyens (voir Annexe IV.C, Figure XXXI)172 :

171 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, Der flächendeckende Mindestlohn, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, p.1-42, p.1 172 Der Mindestlohn – Für fünf Gruppen gelten besondere Regeln [En ligne], Der Mindestlohn kommt-Nicht

geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohn-kommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohn-umfrage.pdf?__blob=publicationFile

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Rousseau Marie-Léa

80

Les jeunes en dessous de 18 ans (die Jugendliche unter 18 Jahre alt)

Comme l’explique Andrea Nahles dans son discours devant le Bundestag concède

cette exception tout en affirmant que celle-ci est justifiable. Selon elle, l’attrait du

salaire minimum ne doit pas encourager les jeunes en difficulté scolaire à écourter

leurs études173

Les apprentis (die Auszubildende)

Concernant les apprentis, la ministre du Travail et des Affaires Sociales n’en parle

absolument pas dans son discours. L’article 22 se contente d’affirmer que la loi ne

régule pas les conditions de rémunérations des personnes suivant une formation

professionnelle.

Les stagiaires (die Praktikanten)

Concernant les stagiaires, la ministre du Travail et des Affaires Sociales conteste le

fait que les règles spéciales s’appliquant aux stagiaires constituent une exception174.

Les stages obligatoires au cours de la scolarité, des études ou des formations

professionnelles ne sont pas soumis au paiement d’un salaire minimum. En

revanche, un stage volontaire au-delà de trois mois soumet automatiquement

l’employeur à verser un salaire minimum. Bien qu’Andrea Nahles soutienne qu’il

ne s’agit pas d’une exception, cette affirmation est contestable. La plupart des

stages volontaires dure rarement au-delà de trois mois, et une telle mesure pourrait

d’ailleurs dissuader les employeurs d’accepter des stagiaires volontaires d’une

durée supérieure. On peut donc supposer que pratiquement aucun stagiaire ne

pourra toucher un salaire minimum dans les faits.

Les chômeurs de longue durée (die Langzeitsarbeitslose)

173 BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, mis en

ligne le 3 juillet 2014, consulté le 5 juillet 2014. URL: http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/Andrea-Nahles/rede-14-07-03.html: „Gerade schwache

Schulabgänger sollen nicht durch einen ungelernten Job davon abgehalten werden, eine Ausbildung zu machen“

174 BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, mis en

ligne le 3 juillet 2014, consulté le 5 juillet 2014. URL: http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/Andrea-Nahles/rede-14-07-03.html: „Ich sage es ganz

klar: die sogenannte Ausnahme „Praktika“ ist keine Ausnahme“

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Rousseau Marie-Léa

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Concernant les chômeurs de longue durée, la ministre du Travail et des Affaires

Sociales s’est justifiée sur le fait que la loi n’obligera les employeurs à payer un

actif sortant d’une longue période de chômage qu’au bout de six mois. Cette

exception a été particulièrement critiquée par les membres de l’opposition qui ont

accusé la loi de ne pas protéger les actifs les plus fragiles face à la conjoncture sur

le marché du travail. La ministre a répondu à ces critiques en rappelant ce qu’elle

estime être la réalité : « Il y à peine assez d’employeurs qui sont prêts à donner une

chance à des chômeurs de longue durée » [Notre traduction]175. La crainte de la

ministre est que la mise en place d’un salaire minimum pour les actifs inoccupés de

longue durée désinciterait d’autant plus les employeurs à leur donner un emploi.

Andrea Nahles se montre cependant prudente et admet qu’elle ne sait pas si cette

règle spéciale (Sonderregel) va porter ses fruits. Elle a ajouté qu’en conséquence,

une évaluation de celle-ci devrait être menée d’ici deux ans pour en mesurer

l’efficacité.

Les bénévoles (die Ehrennamtliche)

Concernant les bénévoles, La ministre n’a pas évoqué cette exception. D’après la

loi, le bénévolat n’entre pas dans la définition d’un travail qui donnerait lieu au

versement d’un salaire minimum.

D’autre part, des exceptions par rapport au salaire minimum vont également

s’appliquer dans les branches pendant la période d’adaptation (die Übergangszeit)

régulée par l’article 23 de la Mindestlohngesetz. L’adaptation des salaires dans les

branches concerne celles qui possèdent déjà un salaire minimum en deça de 8,50

euros de l’heure, et dont les conventions tarifaires ont été étendues à l’ensemble de

la branche dans le cadre de l’Arbeitnehmer-Entsendegesetz. Les parties prenantes

doivent conclure des accords de branches qui prévoient le relèvement progressif du

salaire minimum au niveau requis par la loi d’ici le 31 décembre 2016 (Lesch, et

al., 2014)176. Par conséquent, les dispositions de la loi n’entreront réellement en

vigueur qu’à partir du 1er janvier 2017 pour les conventions tarifaires procurant des

175 BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, consulté

le 3 juillet 2014, consulté le 5 juillet 2014. URL : http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/Andrea-Nahles/rede-14-07-03.htm: „Wir finden kaum genügend Arbeitgeber, die überhaupt bereit sind,

Langzeitarbeitslosen eine Chance zu geben“ 176 LESCH Hagen, MAYER Alexander, SCHMID Lisa, Das deutsche Mindestlohngesetz: Eine erste

ökonomische Bewertung, Institut der deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, Avril 2014, p.1-22, p.3

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Rousseau Marie-Léa

82

bas salaires177. Jusqu’à cette date, les entreprises couvertes par ces conventions

pourront donc repousser de deux ans l’application de ces dispositions.

A.2.3. Le contrôle et l’évaluation des dispositions de la loi sur l’instauration sur le salaire minimum

Enfin, la loi ne pourra réellement s’appliquer si elle ne fait pas l’objet d’un

véritable contrôle qui permette de sanctionner les branches et les entreprises ne se

conformant pas aux dispositions dans le délai imparti. Comme l’a expliqué Andrea

Nahles, la mise en place d’une telle mesure nécessite le recrutement de 1600

employés de plus au sein du Finanzkontrolle Schwarzarbeit (FKS) afin de renforcer

le dispositif de surveillance. Selon Odile Chagny et Sabine Lebayon, 6800

fonctionnaires travaillaient au service de l’inspection du travail en 2013 et

l’adaptation au salaire minimum nécessiterait au moins 2000 fonctionnaires de plus

(Chagny & Lebayon, 2014)178. Elles affirment par ailleurs dans un autre document

que le contrôle doit être considérablement renforcé dans la mesure où « 36% des

salariés percevant moins de 8,5 euros brut par heure n’ont pas de durée du travail

fixée dans leur contrat de travail [et] 70% des salariés qui perçoivent moins de

8,50 euros de l’heure travaillant dans des établissements sans conseil

d’établissement » (Chagny & Lebayon, 2014)179. A ce sujet, Karl Brenke et

Gert.G.Wagner soutiennent la meme position: « Il faut en premier lieu prêter

attention au fait que le décompte et la surveillance des salaires horaires sera

difficile pour tous les métiers pour lesquels il n’existe aucune règlementation sur la

durée du travail » [Notre traduction] (Brenke & Wagner, 2014)180. Quant à

177 Deutscher Bundestag - Arbeit und Soziales: Mindestlohn von 8,50 Euro ab 2015 beschlossen [En ligne],

Deutscher Bundestag, mis en ligne le 3 juillet 2014, consulté le 7 juillet 2014. URL : http://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2014/kw27_de_tarifautonomie/286268

178 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :

genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, Juin 2014, p.1-18, p.14

179 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, Un petit pas pour l’Europe, un grand pas pour l’Allemagne [En

ligne], Sciences Po Paris OFCE, date de publication : 11 juillet 2014 [consulté le 13 juillet 2014] : http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/salaire-minimum-en-allemagne-un-petit-pas-pour-leurope-un-grand-pas-pour-lallemagne/

180 BRENKE Karl, WAGNER Gert. G. , Gesetzliche Mindestlöhne: mit der Einführung kommen die Tücken

der Umsetzung [En ligne] Wirtschaftsdienst: Zeitschrift für Wirtschaftspolitik, 93. Jahrgang, Heft 11, p. 751-757, mis en ligne en 2013, consulté le 23 juin 2014. URL : http://www.wirtschaftsdienst.eu/archiv/jahr/2013/11/mindestloehne-die-tuecken-der-umsetzung/: „Dabei

ist zum Ersten zu beachten, dass die Berechnung und Überwachung von Stundenlöhnen bei all denjenigen Jobs schwierig werden wird, bei denen es überhaupt keine Regelung über die Dauer der Arbeitszeit gibt“

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l’évaluation des effets de l’introduction du salaire minimum, la loi prévoit de

l’effectuer en 2022.

B. Le projet de loi sur l’introduction du salaire minimum : la volonté de renforcer le système de la Tarifautonomie

Deuxièmement, il nous faut mettre en avant les principaux arguments avancés par

les partisans de l’introduction d’un salaire minimum national, parmi lesquels

l’affaiblissement inéluctable du système de l’autonomie tarifaire.

B.1. Les arguments des défenseurs de l’introduction

d’un salaire minimum

D’une part, il nous faut esquisser les principaux arguments qui justifient la mesure

prise par le gouvernement de second gouvernement de Grande Coalition.

B.1.1. Le salaire minimum existe dans la très grande majorité des pays

Tout d’abord, le premier argument qui revient régulièrement dans les publications

consultées est que le salaire minimum généralisé existe dans la plupart des pays. Le

premier salaire minimum a été instauré en Nouvelle-Zélande en 1896, et a été pour

la première fois introduit sur le continent européen au Royaume-Uni en 1909

(Schulten, 2013)181. D’après Thorsten Schulten, il existe trois catégories de salaire

minimum dans le monde (Schulten, 2013)182: le salaire minimum national ; le

salaire minimum régional; le salaire minimum de branche (branchenspezifische

Mindestlohne). Par définition, le salaire minimum national vaut sur l’ensemble du

territoire national. C’est la forme la plus répandue étant donné que la moitié des

pays en posséderait un (Brenke & Wagner, 2014)183, voire les deux-tiers (Schulten,

181 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 3 182 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 3 183 BRENKE Karl, WAGNER Gert. G. , Gesetzliche Mindestlöhne: mit der Einführung kommen die Tücken

der Umsetzung [En ligne] Wirtschaftsdienst: Zeitschrift für Wirtschaftspolitik, 93. Jahrgang, Heft 11, p. 751-757, mis en ligne en 2013, consulté le 23 juin 2014] : http://www.wirtschaftsdienst.eu/archiv/jahr/2013/11/mindestloehne-die-tuecken-der-umsetzung/

Page 84: Des « réformes Hartz » à la loi sur l introduction d un ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · stabilité des relations entre les parties prenantes. L’analyse

Rousseau Marie-Léa

84

2013)184. En reprenant les chiffres d’un rapport de l’Organisation Internationale du

Travail (OIT), Thorsten Schulten affirme que le salaire minimum existe dans plus

de cent pays (Schulten, 2014)185. Le salaire minimum régional est pour sa part

beaucoup moins répandu et peut agir comme complément au salaire minimum

national. Par exemple, aux Etats-Unis, tout Etat peut fixer un salaire minimum

régional dès lors qu’il est au-dessus du salaire minimum national (Schulten,

2013)186. Le salaire minimum par branche est quant à lui le fruit de négociations

salariales entre les différentes parties prenantes du secteur économique et serait

présent dans 40% des pays du monde (Schulten, 2013)187. Plus important encore, le

salaire minimum national est largement majoritaire dans l’Union Européenne

puisqu’il existe dans 20 membres sur les 28. Les pays n’en disposant pas sont :

l’Allemagne, l’Autriche, la Chypre, le Danemark, la Finlande, l’Italie et la Suède

(Schulten, 2013)188. Le salaire minimum en Europe varie très fortement d’un Etat à

l’autre, entre 157 euros brut mensuel en Bulgarie (0,91 euros par heure) contre

1874 euros brut mensuel au Luxembourg (11,10 euros par heure) comme le montre

la Figure XV (Schulten, 2013)189. Avec 8,50 euros brut par heure, l’Allemagne

deviendrait le cinquième pays de l’Union Européenne à disposer du salaire

minimum brut le plus élevé derrière le Luxembourg, la France, les Pays-Bas, la

Belgique et l’Irlande (voir Figure XVI) (Schulten, 2014)190

184 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 3 185 SCHULTEN Thorsten, WSI-Mindestlohnbericht 2014–stagnierende Mindestlöhne, WSI Mittellungen,

Februar 2014, p. 132-139, p.132 186 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 5 187 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 5 188 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 6 189 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 7 190 SCHULTEN Thorsten, WSI-Mindestlohnbericht 2014–stagnierende Mindestlöhne, WSI Mittellungen,

Februar 2014, p. 132-139, p.132

Page 85: Des « réformes Hartz » à la loi sur l introduction d un ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · stabilité des relations entre les parties prenantes. L’analyse

Rousseau Marie-Léa

85

Figure XV: Salaire minimum dans les pays membres de l'Union Européenne

Source: SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p.

Page 86: Des « réformes Hartz » à la loi sur l introduction d un ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · stabilité des relations entre les parties prenantes. L’analyse

Rousseau Marie-Léa

86

Figure XVI: Classement des salaires minimums dans les pays membres de l'Union Européenne

Source: SCHULTEN Thorsten, WSI-Mindestlohnbericht 2014–stagnierende Mindestlöhne, WSI Mittellungen, Februar 2014, p. 132-139, p.132

B.1.2. Le système de la Tarifautonomie mis à mal dans les années 90

Ensuite, le second argument consiste à défendre l’idée que le système de la

Tarifautonomie s’est affaibli depuis la réunification et que cette tendance doit être

enrayée. C’est pourquoi, la loi sur le salaire minimum (MiLOG) est aussi connu sous

le nom de « loi pour le renforcement de l’autonomie tarifaire » (Gesetz für die

Stärkung der Tarifautonomie) qui s’inscrit d’emblée dans la filiation avec

l’économie sociale de marché comme base fondamentale du modèle allemand. La

ministre Andrea Nahles a d’ailleurs insisté sur le fait que l’objectif de renforcement

du système de la Tarifautnomie doit être compris comme étant la substance de cette

loi tout en qualifiant cette mesure d’« économie sociale de marché moderne au 21ème

siècle »191. Selon nombres d’auteurs, la perte d’influence du système de la

Tarifautonomie depuis la réunification allemande ne fait aucun doute. D’après

Heiner Dribbusch, le compromis social de l’après-guerre s’est fissuré dès le milieu

191 BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, mis en

ligne le 3 juillet 2014, consulté le 5 juillet 2014. URL : http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/Andrea-Nahles/rede-14-07-03.html: „Das ist moderne soziale Marktwirtschaft im 21. Jahrhundert“

Page 87: Des « réformes Hartz » à la loi sur l introduction d un ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · stabilité des relations entre les parties prenantes. L’analyse

Rousseau Marie-Léa

87

des années 80192. L’appartenance syndicale a, par exemple, régulièrement baissé pour

tomber à moins de 6,5 millions d’adhérents en 2008, soit une diminution d’environ

50% depuis la réunification (Dribbusch, 2010)193. Selon Eva Rindfleisch, les

syndicats et associations de travailleurs sont confrontés à des difficultés

grandissantes (Rindfleisch, 2012)194, et le système de la Tarifautonomie est de plus

en plus confronté au spectre de l’affaiblissement. Pour Odile Chagny et Sabine Le

Bayon, le taux de couverture par une convention collective a considérablement chuté

au cours depuis la fin des années 90195. Comme le montre la Figure XVII196, la

moitié des salariés dans les Länder de l’Ouest était couvert en 2013 contre presque

trois-quarts en 1996 alors qu’à peine un tiers des salariés dans les Länder de l’Est

étaient couverts en 2012 contre un peu plus de la moitié en 1996.

192 DRIBBUSCH Heiner, Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux, Friedrich Ebert

Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p.10 193 DRIBBUSCH Heiner, Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux, Friedrich Ebert

Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p.11 194 RINDFLEISCH Eva, Ein Mindestlohn für Deutschland- Aber wie?, Konrad Adenauer Stiftung, Analyse

und Argumente, Ausgabe 101, Februar 2012, p.1-8, p.4 195 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :

genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.5 196 Der Mindestlohn – Branchentarifbindung der Beschäftigte [En ligne], Der Mindestlohn kommt-Nicht

geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne en 2014, page consultée le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohn-kommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohn-umfrage.pdf?__blob=publicationFile

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Rousseau Marie-Léa

88

Figure XVII: Comparaison de l'évolution des conventions de branches dans les anciens et les nouveaux Länder entre 1996 et

2013

Source : Der Mindestlohn – Branchentarifbindung der Beschäftigte [En ligne], Der Mindestlohn kommt-Nicht geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohn-kommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohn-umfrage.pdf?__blob=publicationFile

La répartition des salariés selon leur protection par les conventions collectives et les

Betriebsrat se fait selon quatre modalités qui sont résumé par la Figure X (Chagny

& Lebayon, 2014)197

Salariés couverts par les conventions collectives (au niveau de la branche) et représenté par un conseil d’établissement (au niveau de

l’entreprise)

Salariés couverts par les conventions collectives mais non représenté par un conseil d’établissement

Salariés non couvert par les conventions collectives mais représentés par un conseil d’établissement

Salariés ni couverts par les conventions collectives ni représentés par un conseil d’établissement

197 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :

genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.7

Page 89: Des « réformes Hartz » à la loi sur l introduction d un ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · stabilité des relations entre les parties prenantes. L’analyse

Rousseau Marie-Léa

89

Figure XVIII: Comparaison des couvertures des salariés dans les anciens et les nouveaux Länder en 2012

Source : CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum

général en Allemagne : genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international

de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.7

Plus précisément, 34% des salariés des Länder de l’Ouest contre 45% des salariés

des Länder de l’Est ne sont couverts ni par des conventions collectives au sein des

branches, ni par un Betriebsrat au sein des entreprises. Ils n’ont donc aucune

protection qui leur soit assurée par le système de la Tarifautonomie. Par ailleurs,

cette couverture des salariés dépend également de la taille de l’entreprise.

D’ailleurs, 10% des entreprises de petite taille (5 salariés et plus), qui représentent

presque la moitié de la totalité des entreprises allemandes, ont un comité

d’entreprise. En revanche, 90% des entreprises de grande taille (500 salariés et

plus) dans les Länder de l’Ouest et 85% dans les Länder de l’Est en possèdent un

(Dribbusch, 2010)198.

198 DRIBBUSCH Heiner, Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux, Friedrich Ebert

Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p. 7

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90

Figure XIX: Comparaison des couvertures tarifaires dans les pays de l'Union Européenne

Source: Europäische Union: Über due Hälfte der Arbeitnehmer wird nach Tarif bezahlt| Destatis [En ligne] Destatis : Europa in Zahlen, page consultée le 15 juillet 2014.URL:https://www.destatis.de/Europa/DE/Thema/BevoelkerungSoziales/Arbeitsmarkt/Tarifbindung.html;jsessionid=6F1F08891775765CF114E6226EF93422.cae1

De façon plutôt surprenante, la comparaison européenne en matière de négociations

collectives (Tarifbindung) ne place pas l’Allemagne parmi les meilleurs élèves de

l’Union Européenne comme le montre la Figure XIX199. Sur l’ensemble des pays

membres, 62% des actifs en 2010 étaient rémunérés selon des conventions tarifaires

alors que seule la moitié des salariés allemands l’était. Dans le but d’insister sur

l’affaiblissement du système de la Tarifautonomie, il peut être mis en avant que la

généralisation des conventions tarifaires au sein de certaines branches représente en

réalité une part très faible de l’ensemble des conventions tarifaires. En 2012, seuls

506 conventions tarifaires sur les 68 000 conventions tarifaires valent sur

l’ensemble des branches, c’est-à-dire à peine 0,74% de toutes ces conventions

(Schulten, 2013)200. Le système de la Tarifautonomie apparait donc en voie de

199 Europäische Union: Über due Hälfte der Arbeitnehmer wird nach Tarif bezahlt| Destatis [En ligne]

Destatis : Europa in Zahlen, page consultée le 15 juillet 2014. URL: https://www.destatis.de/Europa/DE/Thema/BevoelkerungSoziales/Arbeitsmarkt/Tarifbindung.html;jsessionid=6F1F08891775765CF114E6226EF93422.cae1

200 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p.11

Page 91: Des « réformes Hartz » à la loi sur l introduction d un ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · stabilité des relations entre les parties prenantes. L’analyse

Rousseau Marie-Léa

91

désagrégation, ce qui peut être relié à un autre phénomène contre lequel la loi est

censée lutter : l’extension du secteur des bas salaires.

B.1.3. L’absence de salaire minimum cimente la précarité

Enfin, le troisième argument utilisé pour justifier l’introduction du salaire minimum

est ce que le gouvernement considère comme la conséquence logique de la perte en

influence de la Tarifautonomie. Certains auteurs sont d’ailleurs de cet avis, comme

c’est notamment le cas de Gérard Bosch. Ce dernier se demande comment un pays

comme l’Allemagne, où les inégalités étaient si faibles dans les années 90, a pu

laisser le secteur des bas salaires s’étendre ? Son opinion est que l’absence de

salaire minimum ou même de « planchers salariaux contraignants » (Bosch,

2009)201combinée à l’affaiblissement de la politique tarifaire a facilité cette

extension Cependant, cette tendance s’est effectivement accompagnée de la volonté

de « créer un segment des bas salaires pour soutenir l’emploi en général et plus

particulièrement celui des actifs á bas salaire » (Bosch, 2009)202. Odile Chagny et

Sabine Lebayon sont d’un avis similaires : elle explique que l’incapacité du

système de la Tarifautonomie à assurer son rôle dans la construction de relations

équilibrées salariat et patronat est à l’origine de l’extension du secteur des bas

salaires en raison de zones d’hyperflexibilité de plus en plus nombreuses qui

s’expliquent davantage par cette affaiblissement du système face aux évolutions du

marché que par les « lois Hartz » elle-même (Chagny & Lebayon, 2014)203. De

fait, l’évolution des salaires en Allemagne se révèle faible depuis ces dix dernières

années. D’après la Figure XX (Dribbusch, 2010)204, l’évolution des salaires a été

certes positive mais faible entre 2000 et 2003 et est devenu négative entre 2004 et

2009, impliquant par conséquent un léger recul des salaires en raison du fait que les

syndicats n’ont pu décrocher d’augmentation significative. Si l’on se réfère à une

201 BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,

[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05 juillet 2014, p.26. URL : http://rea.revues.org/3900

202 BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,

[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05 juillet 2014, p.26. URL : http://rea.revues.org/3900

203 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :

genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.7 204 DRIBBUSH Heiner, Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux, Friedrich Ebert

Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p.4

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Rousseau Marie-Léa

92

comparaison européenne de l’évolution des salaires réels entre 2000 et 2009, celle

des salaires allemands a été inférieure à la moyenne des pays membres de l’Union

Européenne, et plus faible que celle des onze pays choisis à titre de comparaison.

Alors que les salaires dans l’ensemble des pays de l’Union Européenne ont

augmenté de presque 8% au cours de cette période, ceux de l’Allemagne ont

augmenté d’à peine 1,3% dans le même temps. (voir Figure XXI).

Figure XX: Augmentation des salaires allemands sur la période 2000-2009

Source : DRIBBUSH Heiner, Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux, Friedrich Ebert Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p.4

Page 93: Des « réformes Hartz » à la loi sur l introduction d un ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · stabilité des relations entre les parties prenantes. L’analyse

Rousseau Marie-Léa

93

Figure XXI : Comparaison de l'augmentation des salaires réels des travailleurs dans 12 pays membres de l'Union Européenne

Source : DRIBBUSH Heiner, Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux, Friedrich Ebert Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p.5

En conséquence, Heiner Dribbusch conclut sur le fait que la part d’actifs pauvres, c’est-à-

dire payés en dessous des deux tiers du salaire moyen, a augmenté de moitié entre 1995 et

2007 en Allemagne. Ces travailleurs pauvres représentaient 6,5 millions d’actifs

(Dribbusch, 2010)205. Quant à Brigitte Lestrade, elle estime que 8 millions d’actifs gagnent

moins de 9,15 euros de l’euro, soit presque l’équivalent du SMIC français (Lestrade,

2013)206. Concernant la taille de l’entreprise, la part des salariés gagnant des bas salaires

est en moyenne de 17% en dessous de 8,50 euros et de 26% en dessous de 10 euros.

Cependant, les situations varient en fonction de certains paramètres, notamment en

fonction de la taille de l’entreprise d’une part et des branches d’autre part comme le montre

le Tableau V207. La part des salariés percevant des bas salaires est d’autant plus forte que

l’entreprise est de petite taille. Concernant les branches, la part des salariés avec des bas

salaires varie énormément selon les branches. La part la plus élevée (<8,50 euros: 36% ;

<10 euros : 49%) se trouve dans la branche de l’Agriculture et de la Pêche (Land-und

Fortwirtschaft, Fisherei) tandis que la part la moins élevée (< 8,50 euros : 6%; <10 euros : 205 DRIBBUSH Heiner, « Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux », Friedrich Ebert

Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p. 7 206 LESTRADE Brigitte, « Entre réussite économique et précarité sociale : l’Allemagne dix ans après les lois

Hartz », Institut francais des relations internationales (Ifri), Comité d’étude des relations franco-allemandes, Notes du Cerfa, n°101a, Mai 2013, p. 1-34, p.28

207 BRENKE Karl, MÜLLER Kai-Uwe, Gesetzlicher Mindestlohn, kein verteilungspolitischer Allheilmittel,

DIW Berlin _ Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung.e.V, DIW Wochenbericht nr. 39/2013, 25. September 2013, S.3-16, S.8

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Rousseau Marie-Léa

94

9%) se trouve dans la branche des fonctionnaires (Staat, Interessenvertretungen). De

même, les situations varient en fonction de la région choisie comme le montre le Tableau

VI208, qui laisse entrevoir des inégalités entre l’Ouest et l’Est. Les écarts entre les deux

anciennes République Fédérale d’Allemagne et République Démocratique Allemande sont

d’autant plus forts que le salaire est élevé. La part moyenne des salariés gagnant en dessous

de 5 euros s’élève à 3,2 euros et l’écart Ouest-Est est très faible, à peine 1,4 %. La part

moyenne des salariés en dessous de 10 euros s’élève à 25, 5% et l’écart Ouest-Est est

élevé, à savoir de 17,5%.

Tableau V: Part des actifs gagnant des salaires bas en fonction des branches et de la taille des entreprises

Source : BRENKE Karl, MÜLLER Kai-Uwe, Gesetzlicher Mindestlohn, kein verteilungspolitischer Allheilmittel, DIW Berlin _ Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung.e.V, DIW Wochenbericht nr. 39/2013, 25. September 2013, S.3-16, S.16

208 LESCH Hagen, MAYER Alexander, SCHMID Lisa, Das deutsche Mindestlohngesetz: Eine erste

ökonomische Bewertung, Institut der deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, Avril 2014, p.1-22, p.4

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Rousseau Marie-Léa

95

Tableau VI: Répartition des actifs en fonction du montant horaire de leur salaire dans les anciens et les nouveaux Länder

Source : LESCH Hagen, MAYER Alexander, SCHMID Lisa, Das deutsche Mindestlohngesetz: Eine erste ökonomische Bewertung, Institut der deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, Avril 2014, p.1-22, p.4

Karl Brenke et Kai-Uwe Müller affirment qu’un seizième des Allemands sont

menacés de pauvreté et mettent en avant que cette pauvreté touche invariablement

les salariés en fonction de leur niveau d’études : deux tiers des salariés touchant un

salaire faible ont une formation professionnelle. Par effet d’accumulation, les

salariés gagnant des bas salaires sont aussi ceux qui sont le plus touchés par les

heures supplémentaires non rémunérées (Brenke & Müller, 2013)209 Citant les

travaux de Brenke et Müller, Odile Chagny et Sabine Lebayon mettent en avant

qu’une grande partie que les personnes gagnant moins de 8,50 euros sont en sous-

emploi puisque qu’ils « travaillent en moyenne en moyenne 31 heures par semaine,

contre 37 heures pour les autres » (Chagny & Lebayon, 2014)210. A la lumière de

ces éléments, Gérard Bosch appelle à un changement de cap par l’instauration d’un

salaire minimum qu’il qualifie d’ « uniforme et de généralisé » car il devrait

s’imposer à toutes les branches avec un montant identique qu’il fixe à 7,50 euros de

209 BRENKE Karl, MÜLLER Kai-Uwe, Gesetzlicher Mindestlohn, kein verteilungspolitischer Allheilmittel,

DIW Berlin _ Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung.e.V, DIW Wochenbericht nr. 39/2013, 25. September 2013, S.3-16, S.4

210 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :

genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.15

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Rousseau Marie-Léa

96

l’heure (Bosch, 2009)211. Brigitte Lestrade appelle également à la mise en place

d’un salaire minimum généralisé tout en se montrant plus mesurée. Elle prévient

notamment que le salaire minimum ne constitue pas une recette miracle pour

permettre aux actifs de sortir de la précarité, et que dans tous les cas cette mesure

ne saurait être le seul facteur pour lutter contre ce problème (Lestrade, 2013)212.

B.2. Le salaire minimum: un instrument progressivement introduit dans certaines branches d’activité pour lutter contre l’évolution de la

Tarifautonomie

D’une part, il nous faut montrer que le salaire minimum par branche a déjà été un

recours dans la lutte contre l’extension des bas salaires en raison des difficultés du

système de la Tarifautonomie.

B.2.1. L’introduction des salaires minimums de branche : une logique de contrepartie aux « lois Hartz »

Tout d’abord, l’extension du secteur des bas salaires depuis le milieu des années 90

a effectivement justifié la mise en place de salaires minimum dans certaines

branches, et l’extension progressive du salaire minimum à un nombre croissant

d’entre elles ces dernières années. Selon Odile Chagny et Sabine Lebayon, il

n’existait aucun salaire minimum en Allemagne jusqu’à ce que la branche du

bâtiment (BTP) s’empare du débat au milieu des années 90, au moment où la plus

grande partie des syndicats et de la classe politique se prononçait contre une telle

mesure (Chagny & Lebayon, 2014)213. Ce qui a prévalu dans l’introduction du

salaire minimum dans la branche du BTP était précisément la lutte contre le

dumping social en raison du recours massif des entreprises à des travailleurs

étrangers qui, en l’absence de tout seuil réglementaire, pouvaient être payés selon

les normes de leurs pays. A l’époque, les réformes de flexibilisation du marché du

211 BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,

[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05 juillet 2014, p.32. URL : http://rea.revues.org/3900

212 LESTRADE Brigitte, « Entre réussite économique et précarité sociale : l’Allemagne dix ans après les lois

Hartz », Institut francais des relations internationales (Ifri), Comité d’étude des relations franco-allemandes, Notes du Cerfa, n°101a, Mai 2013, p. 1-34, p. 31

213 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :

genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.7

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Rousseau Marie-Léa

97

travail n’avaient pas encore été mises en place ni même esquissées. Comme le

montre Gérard Bosch, les secteurs économiques ont été plus fortement impactés

que leurs voisins par les directives de l’Union Européenne sur l’ouverture à la

concurrence des anciens services publics (télécommunications, transports urbains,

services postaux, etc…). En effet, l’absence de plancher salarial permet aux

employeurs d’être « libres de pratiquer tout salaire accepté sur le marché,

conduisant à la mise en place de modèles économiques basés sur la concurrence

salariale » (Bosch, 2009)214. Cette tendance est d’autant plus facilitée par le fait

que les décisions de justice, qui sont prises au regard de la législation en vigueur, ne

fixent pas de seuil précis. D’après Odile Chagny et Sabine Lebayon, la seule

restriction en vigueur est la prohibition de « salaires contraires aux bonnes

mœurs » qui selon les auteures n’a aucun contenu réel puisqu’une décision du

tribunal de Cottbus d’avril 2014 (en plein débat sur le salaire minimum généralisé)

a estimée qu’un salaire de 1,54 euros de l’heure n’entrait pas dans cette catégorie.

De même, l’absence de durée légale du travail facilite le recours aux heures

supplémentaires non rémunérées comme nous l’avons mis en avant précédemment

(Chagny & Lebayon, 2014)215. Par ailleurs, Gérard Bosch soutient que cette

tendance a été encouragée par les pouvoirs publics qui ont souhaité créer et étendre

un secteur des bas salaires dans une logique de conservation des emplois. Les « lois

Hartz » découlent directement de cette logique, d’autant plus facilité par l’absence

de salaire minimum dans le modèle allemand (Bosch, 2009)216. Pour Brigitte

Lestrade, c’est l’absence de salaire minimum qui a cimenté la précarité plutôt que

les « lois Hartz » elles-mêmes qui ne peuvent expliquer à elles seules cette

évolution (Lestrade, 2013)217. C’est pourquoi, le débat sur les « lois Hartz » s’est en

réalité déplacé vers le salaire minimum. Bien que les réformes aient eu des effets

214 BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,

[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05 juillet 2014, p.23. URL : http://rea.revues.org/3900

215 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :

genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.7 216 BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,

[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05 juillet 2014, p.32. URL : http://rea.revues.org/3900

217 LESTRADE Brigitte, « Entre réussite économique et précarité sociale : l’Allemagne dix ans après les lois

Hartz », Institut francais des relations internationales (Ifri), Comité d’étude des relations franco-allemandes, Notes du Cerfa, n°101a, Mai 2013, p. 1-34, p.27

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Rousseau Marie-Léa

98

bénéfiques sur les dépenses publiques, cette tendance à la précarisation des salariés

représente malgré tout un coût non négligeable pour la collectivité. Les aides pour

les travailleurs pauvres (Aufstocker) versées par Hartz IV ont généré pas moins de

53 milliards d’euros entre 2007 et 2011 en raison de revenus trop bas (Lestrade,

2013)218. Les « lois Hartz » n’auraient finalement été que la conséquence de cette

absence de salaire minimum qui a permis de pousser la logique des bas salaires. S’il

est incontestable que ces réformes ont permis efficacement à l’Allemagne de sortir

de la spirale du chômage et de résister face aux crises de ces dernières années, le

salaire minimum peut être perçu comme une contrepartie aux sacrifices de la

population active allemande. Cette logique de contrepartie a d’ailleurs certainement

prévalu dans l’extension des salaires minimums à plusieurs branches.

B.2.2. L’extension progressive des salaires minimum de branches

Ensuite, le débat sur le salaire minimum en Allemagne est cependant plus ancien

puisqu’il remonte au milieu des années 90, la réunification allemande (et la fin de

la Guerre Froide en général) a entrainé l’immigration massive d’une main d’œuvre

dite bon marché venue de l’ancienne République Démocratique Allemande et des

pays de l’Est a tiré les salaires vers le bas. Le premier salaire minimum par branche

a été mis en place en 1996 dans la branche du bâtiment (Bauhauptgewerbe) par le

biais de La loi sur les travailleurs détachés (Arbeitsnehmerentsendegesetz, 1996)

précisément pour cette raison (Schulten, 2013)219. L’objectif était alors clairement

de contrer la tendance selon laquelle une « main d’œuvre croissante issue des Etats

du sud, du centre et de l’est de l‘Europe [était employé dans ce secteur] selon les

normes salariales en vigueur dans leur pays d’origine »220. Cette tendance

entraînait une concurrence déloyale entre les entreprises du bâtiment, ainsi qu’entre

les salariés allemands et étrangers. Cependant, le salaire minimum dans la branche

du bâtiment est demeuré une exception en raison de l’opposition que suscitait une

218 LESTRADE Brigitte, « Entre réussite économique et précarité sociale : l’Allemagne dix ans après les lois

Hartz », Institut francais des relations internationales (Ifri), Comité d’étude des relations franco-allemandes, Notes du Cerfa, n°101a, Mai 2013, p. 1-34, p.30

219 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 11: „Um diesen Lohnwettbewerb zu verhindern, wurde 1996 das Arbeitnehmerentsendegesetz erlassen“

220 BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,

[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05 juillet 2014, p.29. URL : http://rea.revues.org/3900

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Rousseau Marie-Léa

99

telle mesure parmi les acteurs du dialogue social. Les syndicats s’opposaient en

effet massivement à l’extension du salaire minimum à d’autres branches,

considérant que le salaire minimum aurait abouti à une compression des salaires.

Cette mesure a donc été laissé de côté par les différentes parties prenantes jusqu’au

milieu des années 2000, lorsque les « lois Hartz » ont commencé à avoir de l’effet

et à être tenues responsables par leurs détraqueurs de l’extension des bas salaires.

Le salaire minimum a été étendu en 2009 à sept branches, qui sont les suivantes: les

services spécialisés dans le secteur minier (Bergbau-Spezialgesellschaften);

l’entretien des bâtiments (Gebäudereinigerhandwerk); la gestion des déchets

(Abfallwirtschaft); les métiers de l’électricité (Elektrohandwerk); les peintres en

bâtiments (Maler- und Lackiererhandwerk); les couvreurs (Dachdeckerhandwerk);

les teintureries (Wäschereien im Objektkundengeschäft); le secteur des soins

(Pflegebranche) (Bosch, 2009) (Schulten, 2013)221. Par la suite, le salaire

minimum a été étendu aux branches suivantes : les sociétés de surveillance (Wach-

und Sicherheitsgewerbe) depuis le 1er juin 2011222; les entreprises d’installation

d’échafaudages (Gerüstbauhandwerk) depuis le 1er novembre 2011 ; les métiers de

la formation continue (Berufliche Aus- und Weiterbildung) depuis le 1er juillet

2012; Par ailleurs, il existe des branches possédant juridiquement un salaire

minimum mais qui ne sont pas entrés en vigueur ou ont été abandonnés. Les

représentants du secteur des services postaux (Briefdienstleistungen) avaient

programmé un salaire minimum en novembre 2007, avant que la Cour

Constitutionnelle (Bundesverfassungsgericht) ne le juge anticonstitutionnel. Le

secteur du démontage et de la démolition navale (Abbruch-und Abwrackgewerbe)

avait également instauré un salaire minimum variant de 9,10 à 11,96 euros mais qui

a pris fin le 31 décembre 2008. Le secteur de l’extraction minière

(Bergbauspezialarbeiten auf Steinkohlebergwerken) avait pour sa part institué des

salaires minimums différenciés en fonction de la qualification (11,53 euros pour les

221 BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,

[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05 juillet 2014, p.32. URL : http://rea.revues.org/3900

SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S. 1-42, S.12 222 “Mindestlohn im Wach-und Sicherheitsgewerbe gilt”| Bundesregierung [En ligne] Die Bundesregierung,

mis en ligne le 13 mai 2011, page consultée le 15 août 2014. URL : http://www.bundesregierung.de/ContentArchiv/DE/Archiv17/Artikel/2011/05/2011-05-04-mindestlohn-im-wach-und-sicherheitsgewerbe-beschlossen.html

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Rousseau Marie-Léa

100

ouvriers contre 12,81 pour les ouvriers spécialisés) qui ont disparu le 31 mars 2013.

Le secteur des services de nettoyage et de blanchisserie (Wäschereidienstleistungen

im Objektkundengeschäft) avait quant à lui introduit des salaires minimums

différenciés en fonction de la région (7,51 euros à l’Ouest contre 6,36 euros à l’Est)

qui ont également disparu le 31 mars 2013. Par définition, le salaire minimum par

branche implique des différences plus ou moins importantes de rémunérations entre

les salariés en fonction des secteurs économiques concernés. En 2012, les salariés

travaillant dans la branche de la blanchisserie (Wäschereibetrieb) touche un salaire

minimum de 6,36 euros de l’heure contre 13 euros pour les salariés travaillant dans

la branche du bâtiment (Baugewerbe (Rindfleisch, 2012)223. Ces différences de

salaire minimum dans les branches s’observent encore une fois entre l’Ouest et

l’Est (voir Figure XXII)224. Seules quatre branches sont réglementées par un salaire

minimum au même niveau à l’Ouest comme à l’Est : la branche de gestion des

déchets (Abfallwirtschaft) : 8,68 euros ; la branche d’installation d’échafaudage

(Gerüstbauerhandwerk) : 10 euros ; la branche des peintres en bâtiments (Maler-

und Lackerhandwerk) : 9,90 euros ; la branche des couvreurs

(Dachdeckerhandwerk) : 11,55 euros. Toutes les autres branches procurent aux

salariés de l’Est des salaires inférieurs à ceux de l’Ouest. Sur les toutes les branches

citées, cinq ont un salaire minimum inférieur à 8,50 euros, dont une seule à l’Ouest

comme à l’Est, et vont devoir relever celui-ci durant la période d’adaptation.

223 RINDFLEISCH Eva, Ein Mindestlohn für Deutschland- Aber wie?, Konrad Adenauer Stiftung, Analyse

und Argumente, Ausgabe 101, Februar 2012, S.1-8, S.5 224 Branchen mit tariflichen Mindestlöhnen in Euro/Stunde, nach dem Arbeitnehmer-Entsendegesetz [En

ligne] Institut Arbeit und Qualifikation der Universität Duisburg Essen (IAQ), Kommentierung und Methodische Hinweise, April 2014, S1-4, S.1, page consultée le 17 juillet 2014. URL: http://www.sozialpolitik-aktuell.de/tl_files/sozialpolitik-aktuell/_Politikfelder/Einkommen-Armut/Datensammlung/PDF-Dateien/abbIII4a.pdf

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Rousseau Marie-Léa

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Figure XXII: Comparaison des salaires minimum en fonction des branches en avril 2014

Source: Branchen mit tariflichen Mindestlöhnen in Euro/Stunde, nach dem Arbeitnehmer-Entsendegesetz [En ligne] Institut Arbeit und Qualifikation der Universität Duisburg Essen (IAQ), Kommentierung und Methodische Hinweise, April 2014, S1-4, S.1, page consultée le 17 juillet 2014. URL: http://www.sozialpolitik-aktuell.de/tl_files/sozialpolitik-aktuell/_Politikfelder/Einkommen-Armut/Datensammlung/PDF-Dateien/abbIII4a.pdf

Par ailleurs, les branches des métiers de l’électricité (Elektrohandwerk), du bâtiment

(Baugewerbe), du nettoyage industriel (Gebäudereinig) et de la formation continue

(Aus-und Weiterbildung) ont procédé à des augmentations de leur salaire minimum

en janvier 2014225. Malgré cette extension progressive, les salaires minimums de

branches touchent à peine 3,85 millions de la population, soit moins de 10 % de la

population. S’ils ont pu protéger les salariés contre de faibles rémunérations, ils n’ont

contribué qu’à une protection pour le moins sélective (Lestrade, 2013)226.

L’introduction du salaire minimum sera donc progressive et n’aura d’impact dès

2015 que pour les salariés non couverts par une convention collective. Pour les

225 Mindestlohn nach Branchen [En ligne] mindestlohn.org, Verein für soziales Leben e.V, consulté le 31

juillet 2014. URL: http://www.mindest-lohn.org/branchen/ 226 LESTRADE Brigitte, « Entre réussite économique et précarité sociale : l’Allemagne dix ans après les lois

Hartz », Institut francais des relations internationales (Ifri), Comité d’étude des relations franco-allemandes, Notes du Cerfa, n°101a, Mai 2013, p. 1-34, p.27

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Rousseau Marie-Léa

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autres, soit le plancher de 8,50 euros s’applique déjà, soit un calendrier de

convergence sera adopté pour permettre d’atteindre le niveau de 8,50 euros au

plus tard au 1er janvier 2017.

B.2.3. Des branches et des Länder anticipant la future loi sur l’introduction du salaire minimum

Enfin, certaines branches, voire certains Länder, ont anticipé l’arrivée prochaine du

salaire minimum en négociant l’augmentation progressive de leur propre seuil.

Dans le secteur de la viande (Fleischwirtschaft), la convention tarifaire a été signé

le 13 janvier 2014 avec pour objectif d’éradiquer les différences Est/Ouest autant

que se mettre aux normes de la future loi227. Conformément à ce document, le

salaire minimum a dû être relevé à 7,75 euros de l’heure le 1er juillet 2014 et devrait

atteindre 8,75 euros au 1er décembre 2016. Par ailleurs, le secteur de la coiffure

(Friseurhandwerk) a également anticipé la nouvelle loi en généralisant le salaire

minimum à l’ensemble de la branche dans un document publié le 13 décembre

2013. La première augmentation avait eu lieu dans les faits dès le 1er novembre

2013 avec l’instauration d’un salaire différencié entre Ouest (7,50 euros) et Est

(6,50 euros). La seconde augmentation a eu lieu au 1er aout 2014 avec pour objectif

de réduire l’écart Ouest-Est (8 euros contre 7,50). La dernière augmentation devrait

avoir lieu au 1er aout 2015 et devrait permettra non seulement de se conformer

précisément à la loi tout en éradiquant le décalage Est/Ouest228. La branche

journalistique (die Zeitungsbranche) a pour sa part prévu que le salaire minimum

des distributeurs de journaux devait représenter 75% de celui prévu par la loi en

2015, 85% en 2016 et 100% en 2017229. Parmi les seize Länder en Allemagne,

certains, dont la Sarre, se sont également emparés du débat sur le salaire minimum

et les partis au pouvoir ont fini par proposer un projet de loi sur l’introduction d’un

salaire minimum national de 8,50 euros. Ce projet venant des Länder avait été

adopté le 1er mars 2013 par le Bundesrat (où le SPD et les Verts venaient d’obtenir

227 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :

genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.9 228 Mindestlohn - Branchen mit Mindestlöhnen [En ligne] Lohn-infog.org: Informationen zu Lohn und

Gehaltsabrechnung [consulté le 18 juillet 2014]. URL: http://www.lohn-info.de/mindestlohn.htm 229 Deutscher Bundestag - Arbeit und Soziales: Mindestlohn von 8,50 Euro ab 2015 beschlossen [En ligne],

Deutscher Bundestag, mis en ligne le 3 juillet 2014, consulté le 7 juillet 2014]. URL : http://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2014/kw27_de_tarifautonomie/286268

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Rousseau Marie-Léa

103

la majorité) mais le Bundestag (où la CDU et le FDP avaient encore la majorité) s’y

était à l’époque fermement opposé (Lestrade, 2013)230. Le 28 novembre 2011, le

Land Baden-Württemberg a introduit son propre salaire minimum. Depuis, les

entreprises ne se conformant à un salaire minimum de 8,50 euros de l’heure ne sont

plus autorisées à candidater pour l’obtention des marchés publics. Le

Ministerpräsident Winfried Kretschmann (Bundnis 90/die Grünen) a justifié cette

mesure en déclarant que le « dumping social ne peut pas être un modèle de

société »[Notre traduction](231. Par ailleurs, Brême a été le premier Land à conclure

une Landesmindestlohngesetz le 17 juillet 2012 à hauteur de 8,50 qui est entré en

vigueur le 1er septembre 2012. La loi s’applique pour les catégories suivantes

(Schulten, 2013):

Les actifs de la ville hanséatique, de la communauté de commune

et du port de Brême (§ 3)

Les actifs travaillant pour le compte d’entreprises publics et de

structures majoritairement financées ou dont la direction est

surveillé par le Land ou la ville de la communauté de commune

de Brême. (§ 4)

Les actifs travaillant pour le compte d’organisations et

d’associations recevant des financements de la part de Brême (§

5)232

Cette décision peut notamment s’expliquer par le fait que le Landesarbeitsgericht

de Brême avait décidé qu’un salaire minimum de cinq euros par heure est

anticonstitutionnel dans la mesure où ce salaire se trouvait un tiers en dessous du

salaire fixé par les conventions tarifaires (Schulten, 2013)233. Hambourg a fait de

230 LESTRADE Brigitte, « Entre réussite économique et précarité sociale : l’Allemagne dix ans après les lois

Hartz », Institut francais des relations internationales (Ifri), Comité d’étude des relations franco-allemandes, Notes du Cerfa, n°101a, Mai 2013, p. 1-34, p.31

231 Baden-Württemberg führt Mindestlohn ein [En ligne] Verkehrs RUNDSCHAU| Das Portal für Spedition,

Transport und Logistik, mis en ligne le 28 novembre 2012, page consultée le 4 juin 2014. URL : http://www.verkehrsrundschau.de/baden-wuerttemberg-fuehrt-mindestlohn-ein-1183360.html

232 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p.13 233 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p.13

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Rousseau Marie-Léa

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même le 24 avril 2014 en imposant par une Landesmindestlohngesetz un salaire

minimum de 8,50 euros aux entreprises qui emploient des salariés dans le Land. Le

sénateur Detlef Scheele (SPD) a également justifié cette mesure en soutenant que

« le travail doit être rémunéré à sa valeur » (Schulten, 2013)234.

Chapitre.II. Le salaire minimum: renforcement ou affaiblissement du « modèle allemand »?

En second lieu, il nous faut nous demander dans quelle mesure l’introduction du

salaire minimum constitue non seulement une solution efficace quant aux

problèmes auxquels fait face le « modèle allemand », y compris depuis les « lois

Hartz », mais aussi dans quelle mesure il peut renforcer ce dernier.

A. Le salaire minimum: une réponse efficace aux faiblesses du modèle allemand ?

Premièrement, nous allons nous interroger sur l’efficacité du salaire minimum

national à partir d’études menées non seulement au niveau international mais aussi

sur les secteurs économiques concernés par les salaires minimum de branche.

A.1. Les effets du salaire minimum d’après les études

internationales

D’une part, nous déterminerons l’impact du salaire minimum, notamment sur la

politique de l’emploi, tel que différentes études internationales l’analysent.

A.1.1. L’étude des salaires minimum: des résultats contradictoires

Tout d’abord, il nous faut d’emblée reconnaitre que les multiples études consultées

pour les besoins de l’analyse concluent pour la plupart soit à des résultats

contradictoires, soit à des résultats peu évidents. Pour commencer, les études sont

bien évidemment imprégnées par les théories économiques dont découle une prise

de position par rapport aux effets attendus du salaire minimum. Ainsi, nombre

d’études consultées citent la théorie néoclassique pour laquelle le salaire minimum 234 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p.13

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105

ne peut avoir que des effets négatifs car celle-ci fait l’hypothèse de l’existence d’un

marché parfait remplissant précisément les conditions d’une concurrence pure et

parfaite235. L’offre (salarié) et la demande (employeur) de travail sont censées

s’ajuster d’elle-même, notamment en fonction du niveau de rémunération recherché

par l’offre et proposé par la demande. Or, le salaire minimum constitue une règle

rigide qui ne peut que mener à une augmentation du chômage car la rémunération

des actifs est censée s’adapter à la conjoncture de sorte que les entreprises ne se

retrouvent pas en difficultés. Sans cette option de flexibilité, les entreprises sont

poussées à une moindre embauche en cas de conjoncture difficile. De même, le

salarié qui estime que son salaire est inférieur à sa productivité changera

d’employeur, d’où l’émergence de la notion de chômages volontaire qui correspond

à la durée de recherche d’un nouvel emploi (Rindfleisch, 2012)236. Bien que la

théorie keynésienne n’ait pas été citée dans les études consultées, il nous parait

essentiel de la décrire brièvement à partir de nos propres connaissances dans la

mesure où elle est considérée comme l’opposé à la théorie néoclassique.

L’économiste britannique John Maynard Keynes (1883-1946) a publié en 1936 son

ouvrage le plus célèbre, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie,

dans le contexte de la Grande Dépression ayant succédé au Krach Boursier du 24

octobre 1929. Keynes conteste la notion de « chômage volontaire » en mettant en

avant que des millions d’Américains étaient prêts durant ces années à travailler

pour des salaires extrêmement faibles. Or, il considère que la solution pour créer de

la croissance, et ainsi sortir du marasme économique, consiste à augmenter les

salaires pour encourager la consommation des ménages qui permet par la suite de

booster la production et in fine de créer des emplois. Cela accrédite la théorie du

marché imparfait selon laquelle l’ajustement de l’offre et de la demande sur le

marché ne se fait jamais dans des conditions parfaites qui permette à la première

d’égaler la seconde, ce qui peut justifier une intervention extérieure au marché. Il

en résulte que cette théorie laisse une « place importante au salaire minimum »

235 SCHETTKAT Ronald, „50 Millionen Gutmenschen für gesetzlichen Mindestlohn in Deutschland“, WSI

Mitteilungen, Volume n° 60, September 2007, S.466. 236 RINDFLEISCH Eva, Ein Mindestlohn für Deutschland- Aber wie?, Konrad Adenauer Stiftung, Analyse

und Argumente, Ausgabe 101, Februar 2012, p.1-8, p.4

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106

[Notre traduction] (Bruckmeier & al, 2014)237. Par ailleurs, l’analyse des études sur

l’impact du salaire minimum d’une balance entre la politique salariale et la

politique de l’emploi (Löwisch, 2008)238. Ce choix constitue un dilemme dans la

mesure où le salaire minimum devrait conduire à une augmentation de la

productivité des travailleurs sans pour autant que son niveau n’aboutisse à une

contraction du marché du travail (Rindfleisch, 2012)239. Or, nombre d’études

précisent à quel point les conséquences de l’introduction d’un salaire minimum sont

incertaines et difficilement quantifiables. Pour Karl Brenke et Kai-Uwe Müller,

l’introduction du salaire minimum est « un champ expérimental qui devrait être

regardé avec circonspection » [Notre traduction] (Brenke & Wagner, 2014)240. Ils

ajoutent même que les effets du salaire minimum, notamment sur l’emploi sont

incertains (Brenke & Müller, 2013)241. De même, Manfred Löwisch affirme qu’il

s’agit d’« une grande expérimentation aux résultats incertains » [Notre traduction]

(Löwisch, 2008)242. L’Internationale Währungsfonds (IWF) prévoit également que

les « effets espérés du salaire minimum sont peu fiables»[Notre traduction]243.

237 BRUCKMEIER Kerstin & al., Zur Stärkung der Tarifautonomie und Einführung eines allgemeinen

gesetzlichen Mindestlohns, Institut für Arbeit und Berufsforschung, IAB-Stellungnahme, Mars 2014, p.1-28, p.12

238 LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen

Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu

Ordnungsökonomik, Avril 2008, S.1-35, S.18 239 RINDFLEISCH Eva, „Ein Mindestlohn für Deutschland- Aber wie?“, Konrad Adenauer Stiftung, Analyse

und Argumente, Ausgabe 101, Februar 2012, p.1-8, p.4 240 BRENKE Karl, WAGNER Gert. G. , Gesetzliche Mindestlöhne: mit der Einführung kommen die Tücken

der Umsetzung [En ligne] Wirtschaftsdienst: Zeitschrift für Wirtschaftspolitik, 93. Jahrgang, Heft 11, p. 751-757, date de publicaation : 2013 [date de consultation : 23 juin 2014] . URL : http://www.wirtschaftsdienst.eu/archiv/jahr/2013/11/mindestloehne-die-tuecken-der-umsetzung/: „Die Einführung eines allgemeinen Mindestlohns in Deutschland wäre ein Feldexperiment, das mit Bedacht angehangen werden sollte“

241 BRENKE Karl, WAGNER Gert. G., Gesetzliche Mindestlöhne: mit der Einführung kommen die Tücken

der Umsetzung [En ligne] Wirtschaftsdienst: Zeitschrift für Wirtschaftspolitik, 93. Jahrgang, Heft 11, p. 751-757, date de publicaation : 2013 [date de consultation : 23 juin 2014]. URL : http://www.wirtschaftsdienst.eu/archiv/jahr/2013/11/mindestloehne-die-tuecken-der-umsetzung/: „Die

Einführung eines Mindestlohns ist ein Feldexperiment, dessen erfolgreicher Ausgang keineswegs gewiss ist - insbesondere hinsichtlich seiner Beschäftigungseffekte“

242LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen

Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu

Ordnungsökonomik, Avril 2008, p.1-35, p.17: „Der Mindestlohn ist ein volkswirtschaftliches

Großexperiments mit ungewissem Ausgang“ 243 Cité dans: „Währungsfonds warnt vor Arbeitlosigkeit durch Mindestlohn“ [En ligne] Frankfurter

Allgemeine Zeitung (FAZ)|Beschäftigung, mis en ligne le 21 juillet 2014, page consultée le 27 juillet 2014. URL: http://www.faz.net/aktuell/wirtschaft/wirtschaftspolitik/beschaeftigung-waehrungsfonds-

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Andreas Knabe et al., pour leur part, estiment qu’il est nécessaire de se montrer

prudent quant à l’interprétation des résultats des études sur les salaires minimum et

affirment que l’introduction du salaire minimum national en Allemagne est « une

grande expérimentation liée à des risques sociaux importants » (Knabe, et al.,

2014)244. De même, l’incertitude pèse sur les effets financiers de la

Mindestlohngesetz selon l’étude du Bundesministerium für Arbeit und Soziales

(BMAS)245, notamment sur l’augmentation des prix qu’il est impossible de

quantifier. Par ailleurs, au-delà du fait que les résultats sont incertains, ils peuvent

aussi se révéler contradictoires. Selon Gerhard Bosch et Claudia Weinkopf, les

études sur les salaires minimums ont évolué depuis leurs débuts dans les années 30.

A l’origine, elles concluaient systématiquement à des effets négatifs du salaire

minimum sur l’emploi. Depuis, une nouvelle génération d’études est arrivée et ont

généralement conclu que le salaire minimum n’avait globalement pas d’effet

négatif sur l’emploi (Bosch & Weinkopf, 2014)246. Cependant, cette tendance ne

semble pas confirmée sur le Tableau VII trouvé sur le site de la Bundeszentrale

Politische Bildung (voir Annexe V.A)247. Ce dernier montre que sur 37 études

portant sur les effets sur salaire minimum sur l’emploi dans dix pays de régions

différentes, les résultats rassemblés dans le tableau sont partagés. Autant d’études

concluent à des effets négatifs et positifs sur l’emploi. De même, Thorsten Schulten

reprend l’analyse de Neumann et Wascher menée en 2006 et dont les résultats

apparaissent dans la Figure XXXII (voir Annexe V.B). Sur 99 études rassemblées

dans ce graphique, la majorité aboutissait à un impact négatif du salaire minimum

warnt-vor-arbeitslosigkeit-durch-mindestlohn-13057381.htm: “Die erhofften Wirkungen des

Mindestlohns sind dabei unsicher” 244 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, p.1-42, p.16: „Die Einführung des

flächendeckenden gesetzlichen Mindestlohns von 8,50 Euro ist ein großes, mit vielen sozialpolitischen Risiken verbundenes Experiment“

245 Gesetzentwurf eines Gesetz zur Stärkung der Tarifautonomie [En ligne] Bundesministerium für Arbeit

und Soziales, Gesetzentwurf der Bundesregierung, mis en ligne le 2 avril 2014, consulté le 10 avril 2014. URL: http://www.bmas.de/SharedDocs/Downloads/DE/PDF-Pressemitteilungen/2014/2013-04-02-gesetzentwurf-tarifpaket-mindestlohn.pdf?__blob=publicationF

246 BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der Beschäftigung nicht“,,

Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.1 247 « Mindestlohn » [En ligne], Bundeszentrale für politische Bildung, mis en ligne le 15 novembre 2011,

consulté le 17 juillet 2013. URL: http://www.bpb.de/politik/innenpolitik/arbeitsmarktpolitik/55329/mindestlohn

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Rousseau Marie-Léa

108

sur le marché du travail (Schulten, 2013)248. Roland Bachmann et al. vont

également dans ce sens en montrant que les résultats des études sur le salaire

minimum concluent à un impact plutôt négatif, que ce soient des études empiriques

traditionnelles ou des études « quasi-expérimentales. Nous avons résumé les

chiffres de Bachmann et al. dans le Tableau VIII (voir Annexe V.C) (Bachmann &

al, 2008) 249

A.1.2. Les études sur les effets du salaire minimum aux Etats-Unis

Ensuite, la plupart des études portant sur le salaire minimum se concentrent sur les

Etats-Unis où un salaire minimum national existe depuis 1938, dans les années qui

ont suivi la Grande Dépression (Knabe, et al., 2014)250. A cela s’ajoute des salaires

minimums spécifiques aux Bundesstaat à condition qu’ils soient plus élevés que le

salaire minimum national, à hauteur de 7,25 dollars en ce moment même.

L’administration Obama a d’ailleurs proposé que le ce salaire minimum soit

augmenté en trois étapes de sorte à atteindre 10,10 dollars par heure d’ici 2016, ce

qui devrait mener à des pertes à hauteur de 500 000 emplois d’après le bureau

fédéral du budget (Alni & al., 2014)251. L’intérêt pour les études sur le salaire

minimum s’est accru au début des années 90 et le projet de l’administration Obama

a mené à une intensification des études sur les effets du salaire minimum. Les

conclusions se révèlent cependant très différents d’une étude à l’autre. Certaines

d’entre elles mènent à des résultats qui ne sont pas significatifs comme l’affirment

notamment Andreas Knabe et al. (Knabe, et al., 2014) 252. Selon eux, les premières

études qui avaient été menées peu de temps après 1938 par le département

américain du travail n’ont conclu à aucun effet significatif sur le marché du travail

248 SCHULTEN Thorsten, „Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet“, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 33 249 BACHMANN Ronald et al. , „Mindestlöhne in Deutschland, Beschäftigungseffekte und fiskale Effekte“,

Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung, Heft 43, RWI: Materialen, 2008, S.1-56, S.53 250 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42 251 ALNI Patrick et al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche Evaluation“,

Forschungsinstitut zur Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28 252 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.28

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Rousseau Marie-Léa

109

mais dont les résultats furent cependant contestés (Knabe, et al., 2014)253. Par

ailleurs, des études sur le salaire minimum ont été menées à la suite du

rehaussement du salaire minimum en 1977. Ces études ont conclu que

l’augmentation du salaire minimum a certes conduit à des conséquences plutôt

négatives pour les jeunes de 16 à 19 ans, de même pour les jeunes de 20 à 24 ans.

En revanche, aucun effet significatif pour les autres actifs n’a été constaté. Gerhard

Bosch et Claudia Weinkopf ont quant à eux repris les travaux de Doucouliagos et

Stanley (2009) qui ont conduit une analyse sur les résultats de 64 études

américaines menées entre 1972 et 2007 pour mettre en avant que la plupart d’entre

elles ne constataient aucun effet sur le marché du travail254. D’autres études

concluent pour leur part à des effets qui ne sont pas négatifs sur le marché du

travail. D’après Andreas et al. , une étude menée par l’OCDE en 1998 dans neuf

pays a conclu à des effets négatifs du salaire minimum sur l’emploi des jeunes

(Knabe, et al., 2014)255. Neumark et Wascher ont également deux études

respectivement en 2007 et 2008, rassemblant pas moins de 100 études sur le salaire

minimum, qui ont conclu à des effets globalement négatifs sur l’emploi (Bosch,

2009)256. En revanche, aucune de ces études citées ne révèle d’effets clairement

positifs sur l’emploi.

A.1.3. Les études sur le salaire minimum dans les pays de l’Union

Européenne

Enfin, les études sur les salaires minimums dans les différents Etats membres de

l’Union Européenne ont mené à des résultats tout aussi divers. Comme nous

l’avons déjà cité, 20 Etats sur 28 ont un salaire minimum national. D’après Andreas

Knabe et al., ces expériences sont régulièrement citées pour justifier l’introduction

du salaire minimum en Allemagne car le salaire minimum n’aurait pas mené à de

253 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.7 254 Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der

Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.7 255 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.13 256 BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der Beschäftigung nicht“,,

Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.7 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.13, S.10

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110

« vastes effets négatifs pour les emplois » (Knabe, et al., 2014)257. Les travaux de

Beldman et Wolfson (2013), qui ont analysé les résultats de 27 études menées à

partir de 2000, ont conclu que les effets du salaire minimum sont faibles, voire

particulièrement faible (Bosch & Weinkopf, 2014)258. Nous allons nous concentrer

sur les expériences du salaire minimum dans deux pays ou un nombre suffisant

d’études ont été menées : la Grande-Bretagne d’autre part et la France d’autre part.

En Grande-Bretagne, le salaire minimum a été introduit en 1909 et a fait figure de

première expérience en Europe. Il a été supprimé sous l’ère Thatcher (1980-1991)

jusqu’au retour au pouvoir du Labor Party à travers le gouvernement de Tony

Blair. Jusqu’en 1993, il existait des Wages Council qui étaient chargés d’établir des

salaires minimums dans des branches d’activité, ce qui signifie que pendant six ans

plus aucun de salaire minimum de toute sorte n’existait plus en Grande-Bretagne.

Une Low Pay Commission, qui va servir de modèle à la Mindestlohnkommission en

Allemagne, a été d’emblée instauré pour réintroduire un salaire minimum à partir

du 1er avril 1999259. Cette Low Pay Commission est également chargée d’évaluer les

effets du salaire minimum sur l’emploi et sur la fiscalité de sorte à adapter

l’augmentation ou la diminution de ce salaire en conséquence. La plupart des

analyses en Grande-Bretagne ont conclu que l’introduction du salaire minimum n’a

mené à aucun effet ou à des conséquences mineures sur le marché du travail

(Bruckmeier & al, 2014)260. Dolton et al. (2012) ont également analysé les effets du

salaire minimum en Grande-Bretagne pour le compte de la Low Pay Commission et

ont conclu à un impact positif sur le marché du travail mais aussi sur la réduction

des inégalités (Alni & al., 2014)261. Entre 1999 et 2012, les salaires ont réellement

augmenté en moyenne de 17,9 % et le salaire minimum de 28,2%, ce qui signifie

que le second aurait augmenté plus vite que le second. Cette tendance se vérifie

257 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42 258 Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der

Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.7 259« Mindestlohn » [En ligne], Bundeszentrale für politische Bildung, mis en ligne le 15 novembre 2011,

consulté le 17 juillet 2013. URL : http://www.bpb.de/politik/innenpolitik/arbeitsmarktpolitik/55329/mindestlohn

260 BRUCKMEIER Kerstin & al., Zur Stärkung der Tarifautonomie und Einführung eines allgemeinen

gesetzlichen Mindestlohns, Institut für Arbeit und Berufsforschung, IAB-Stellungnahme, Mars 2014, S.1-28, S.9

261 ALNI Patrick et al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche Evaluation“,

Forschungsinstitut zur Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28, S.6

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111

certes en Grande-Bretagne mais aussi en France262. En France, le salaire minimum

interprofessionnel garanti (SMIG) a été introduit par la loi du 11 février 1950 avant

d’être remplacé par loi du 2 janvier 1970 sur le salaire minimum interprofessionnel

de croissance (SMIC) (Lesch, et al., 2014)263. Cette mesure avait été justifiée par la

Constitution de 1946 qui garantit les droits économiques et sociaux et introduit

ainsi la seconde catégorie des droits de l’Homme. Actuellement, le SMIC est le

second salaire minimum le plus élevé dans l’Union Européenne avec 9,53 euros

brut de l’heure. Une étude d’Eurostat à la fin de l’année 2012 a conclu qu’un quart

des jeunes en dessous de 25 ans sont sans-emplois, et que le salaire minimum

pouvait en être la cause264. En revanche, selon Patrick et al. (2014), le salaire

minimum aurait contribué plus que dans d’autres pays à réduire des inégalités entre

les salaires élevés et faibles (Alni & al., 2014)265. En revanche, d’après Andreas

Knabe et al., le salaire minimum en France ne permet pas de tirer des conclusions

probantes sur l’impact éventuel du salaire minimum futur sur le marché du travail

allemand266

A.2. Les effets du salaire minimum en Allemagne

D’une part, il s’agit maintenant d’évaluer l’impact des salaires minimums dans les

différentes branches ou ils ont été introduits, en particulier dans le secteur des

transports.

262 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, p.1-42, S.20 263 LESCH Hagen, MAYER Alexander, SCHMID Lisa, Das deutsche Mindestlohngesetz: Eine erste

ökonomische Bewertung, Institut der deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, Avril 2014, S 1-22, S.9

264 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, p.1-42, S.17 265 ALNI Patrick & al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche Evaluation“,

Forschungsinstitut zur Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28 266 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, p.1-42, S.19

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Rousseau Marie-Léa

112

A.2.1. Les effets de l’introduction du salaire minimum dans les

branches

Tout d’abord, la première étude sur les effets du salaire minimum dans le secteur du

bâtiment a été publiée par König et Möller en 2008267. En 1997, ce salaire

correspondait à 8,69 euros dans les Länder de l’Ouest et à 8 euros dans les Länder

de l’Est. D’après Andreas Knabe et al. (2014), les Länder où le salaire minimum a

entrainé un changement de structure des salaires ont vu le niveau d’emploi reculer

(Knabe, et al., 2014)268. Cependant, de manière générale, aucun effet négatif n’a été

observé à l’Ouest et peu d’impact négatif a été constaté à l’Est (Bosch & Weinkopf,

2014)269. Tout comme dans les études internationales, les résultats des études sur

les salaires minimums de branche sont divers. Certaines enquêtes ne permettent

pas d’aboutir à des effets significatifs. D’après Möller (2012), la plupart des études

sur les salaires de branche n’ont pas mené à des résultats significatifs sur l’emploi

en raison de données incertaines (Knabe, et al., 2014)270. Gerhard Bosch et Claudia

Weinkopf ont quant à eux recensé différentes enquêtes menées dans six branches :

le secteur de la gestion des déchets (Abfallwirtschaft), le secteur du bâtiment

(Bauhauptgewerbe), le secteur des couvreurs (Dachdecker), les métiers de

l’électricité (Elektrohandwerk), l’industrie du nettoyage industriel

(Gebaüdereinigung) et le secteur des peintres/vernisseurs (Maler/Lackier). Les

principaux résultats ont été résumés dans le Tableau (Bosch & Weinkopf, 2014)

(voir Annexe VI ). Dans l’industrie des déchets (Abfallwirtschaft) aucun résultat

probant n’a pu être mesuré si on se réfère à l’enquête de Gürtzgen et al. (2012)

repris par Gerhard Bosch et Claudia Weinkopf. Cette affirmation peut être

confirmée à la lecture de l’article de Thorsten Schulten (Schulten, 2013)271 qui cite

également les travaux de Gürtzgen et al. (2012) en reprenant leur conclusion selon

267 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.14 268

KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, Zusammenfassung 269BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der Beschäftigung

nicht,,Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11 270

Cité dans: KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie

Universität Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, p.1-42 271

SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S.1-42, S.22-23

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113

laquelle le salaire minimum n’a mené à aucun effet significatif. Dans le secteur des

bâtiments, des résultats similaires sont observés par Appel et al. (2012)272 pour qui

les effets sur l’emploi n’étaient pas mesurables. Thorsten Schulten a eu une

interprétation légèrement différente des résultats de cette enquête : tout en

constatant une diminution respective de l’emploi à hauteur de 6,1% à l’Ouest et de

6,2% à l’Est, il se rallie au fait que ses résultats ne sont pas significatifs (Schulten,

2013)273 Dans le secteur des couvreurs (Dachdecker), Aretz et al. (2011)274 ont

conclu que le salaire minimum n’a apparemment pas modifié le marché de

l’emploi. Les conséquences du salaire minimum ne laissent d’ailleurs pas apparaitre

de résultats significatifs. Thorsten Schulten, cette fois-ci, fait une interprétation des

résultats différente par rapport à l’enquête qu’il cite. Selon lui, les résultats sont au

contraire sans appel : le salaire minimum a clairement eu des effets négatifs sur le

taux d’activité de la branche dans les Länder de l’Est275. Dans les métiers de

l’électricité, Bookmann et al. (2011)276 concluent que le salaire minimum n’a pas eu

d’effets négatifs sur l’emploi. Thorsten Schulten conclue quant à lui également que

le salaire minimum ne semble pas avoir eu d’effets significatifs et que les résultats

négatifs doivent être considérés avec prudence en raison de problèmes

statistiques277. Dans le secteur du nettoyage industriel, Bosch et al. (2012)278 ont

tiré des conclusions similaires, selon lesquelles le salaire minimum n’a pas eu

d’effet négatif sur l’emploi. Reprenant les résultats de l’enquête, Thorsten Schulten

conclue que « les effets positifs du salaire minimum sont globalement dominants»

272Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der

Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11 273

SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S. 1-42, S.24

274

Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der

Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11 275 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S. 1-42, S.25 276

Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der

Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11 277 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S. 1-42, S.25-26 278

Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11

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(Schulten, 2013)279. Quant au secteur des peintres et vernisseurs, Bookmann et al.

(2011)280 affirment qu’aucun impact fort du salaire minimum n’a été constaté.

Thorsten Schulten conclue pour sa part que des effets négatifs ont été observés mais

que ces résultats sont faussés par des problèmes d’estimation (Schulten, 2013)281.

Par ailleurs, ce dernier a également réuni des études sur deux autres branches. Dans

la branche des soins (Pflegebranche), il cite l’étude d’Harsch et de Verbeek (2012)

pour conclure qu’aucun effet significatif n’a pu être constaté (Schulten, 2013)282.

Dans les services de nettoyage (Wäscherdiensleistungen), l’enquête de Messaro et

Weinkopf (2012)283 a conclu que les résultats sont incertains quant aux effets

positifs ou négatifs du salaire minimum, bien qu’au premier abord il semble que le

taux d’activité ait été réduit284. Par ailleurs, le ministère du Travail et des Affaires

Sociales a publié une étude en 2010 portant sur l’évaluation du salaire minimum

dans huit branches avec pour résultat que le salaire minimum ne menait

globalement pas à des effets négatifs sur l’emploi. Comme pour les études

internationales, nous pouvons constater que les effets ne sont (presque) jamais

évalués comme clairement positifs en termes d’emplois, au mieux comme ne

produisant pas d’effets négatifs (lorsqu’ils ne sont pas incertains ou immesurables).

Il est donc difficile de tirer une conclusion unanime sur l’efficacité des salaires

minimums à la lumière de ces enquêtes. Il nous faut cependant tenter de déterminer

les effets futurs du salaire minimum généralisé en Allemagne.

279 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S.1-42, S.27: „Die positive Wirkung der Erhöhung des Mindestlohns überwiegt insgesamt (Bosch et al., 2012, 227)“

280 Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der

Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11 281 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S.1-42, S.27-28 : „Zwar sind einige der Effekte signifikant

negativ, statistische Schätzprobleme begrenzen jedoch die Aussagekraft der Ergebnisse“ 282 SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen

Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S.1-42, S.28 : „ Insgesamt gesehen können keine signifikanten

Effekte für die finanzielle noch für die personelle Betroffenheit der Beschäftigten vom Mindestlohn festgestellt werden (Harsch/Verbeek, 2012, 371)“

283 Cité dans: SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der

deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S.1-42, S.28: „Zusammenfassend lässt sich auf Basis

der Befragungsergebnisse nicht sagen, ob Mindestlöhne das Beschäftigungswachstum in positiver oder negativer Weise beeinflusst haben (Mesaros/Weinkopf, 2012, 292)“

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Rousseau Marie-Léa

115

A.2.2. Les possibles effets sur l’emploi de l’introduction du salaire

minimum généralisé en Allemagne

Ensuite, les possibles effets du futur salaire minimum prévu par la Gesetz für die

Stärkung der Tarifautonomie doivent être anticipés bien que les études sur les

salaires minimum par branche n’aient pas abouti à des résultats probants. La loi

devrait toucher une fourchette de salariés dont le nombre dépend des critères

retenus pour prétendre à un salaire minimum. Or, Odile Chagny et Sabine Lebayon

mettent en avant qu’en raison d’une définition floue, « l’éventail va ainsi de 4,7

millions (13,6%) à 6,6 millions de personnes (19,2%)» (Chagny & Lebayon,

2014)285. D’après Hager Lesch et al., le salaire minimum devrait concerner 4,6

millions d’actifs, soit 13,7 % de l’ensemble de la population active (Lesch, et al.,

2014)286. Il devrait toucher différemment les actifs en fonction de leur temps de

travail (Tableau VII)287. La très grande majorité serait des Minijobers, en particulier

dans les Länder de l’Est où ces derniers représenteraient plus de 80% des actifs.

285 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :

genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.13

286

LESCH Hagen, MAYER Alexander, SCHMID Lisa, Das deutsche Mindestlohngesetz: Eine erste ökonomische Bewertung, Institut der deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, Avril 2014, S.1-22, S.2

287 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, p.1-42p.26

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Rousseau Marie-Léa

116

Tableau VII: Population active potentiellement concernée par un salaire minimum à 8,50 euros en fonction de la nature des

emplois

Source : KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende

Mindestlohn“, Freie Universität Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge,

Februar 2014, p.1-42,S.26

L’introduction du salaire minimum devrait avoir des effets plus ou moins négatifs

sur le marché du travail allemand. Trois situations sont possibles288 :

L’effet statique (statischer Effekt) : le salaire minimum ne

provoquerait aucune réaction particulière sur le marché du

travail, et la situation resterait inchangée

L’effet sur l’offre de travail (Arbeitsgeboteffekt) : le salaire

minimum entrainerait des rémunérations plus avantageuses pour

les actifs qui seraient encouragés à se présenter sur le marché du

travail

L’effet sur la demande de travail (Beschäftigungseffekt) : le

salaire minimum entraine mécaniquement une augmentation des

couts salariaux pour les entreprises qui peut décourager ces

dernières à embaucher

Nombre d’auteurs mettent en avant un risque d’effet sur la demande de travail avec

des destructions d’emplois plus ou moins élevés en fonction des études. Comme

pour les études précédentes, les auteurs sont en désaccords quant aux conséquences

288 ALNI Patrick & al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche Evaluation“,

Forschungsinstitut zur Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28

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117

impliquées par l’instauration salaire minimum à l’échelle nationale. Manfred

Löwisch estime que la recherche sur le salaire minimum est trop peu développée et

peu utile pour tirer des conclusions. Il considère non seulement que les études sur

les salaires minimums dans les branches sont trop récentes mais également trop peu

précises pour anticiper les effets du salaire minimum généralisé. De plus, la

première vague d’études sur les salaires minimums de branche n’a pas abouti à des

résultats significatifs (Löwisch, 2008)289. Enfin, il met en avant que si la plupart des

études internationales montrent un impact négatif, les évaluations sur les salaires

minimums de branches ne constatent pas d’effets négatifs (Löwisch, 2008)290.

Concernant les études anticipant les conséquences du futur salaire minimum

national sur le marché du travail, les résultats sont également très contrastés d’une

étude à l’autre. Certaines études prévoient que le salaire minimum national

n’entrainera pas ou peu d’effets négatifs, sans pour autant avoir un impact

clairement positif. Il devrait permettre tout d’abord de dynamiser la croissance

allemande, la Deutsche Bundesbank prévoyant une croissance d’environ 2% dans

les deux années à suivre291. Gerhard Bosch et Claudia Weinkopf mettent en avant

que si de plus en plus de voix s’élèvent contre le salaire minimum, les études les

plus récentes se montrent majoritairement rassurantes sur le fait que le salaire

minimum ne mène pas à une contraction pas le marché du travail. Pour eux, la

question n’est pas de savoir s’il faut introduire ou non un salaire minimum mais

comment il doit être instauré (Bosch & Weinkopf, 2014)292. Cependant, la plupart

des études que nous avons pu consulter s’inquiètent de l’impact éventuellement

négatif du salaire minimum, notamment sur l’emploi. D’après Patrick Arni et al. ,

570 000 emplois devraient être perdus sous l’effet du salaire minimum293. Manfred

289 LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen

Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu

Ordnungsökonomik, Avril 2008, S.1-35, S.10 290 LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen

Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu

Ordnungsökonomik, Avril 2008, S.1-35, S.22 291 Cité dans: „Währungsfonds warnt vor Arbeitlosigkeit durch Mindestlohn“ [En ligne] Frankfurter

Allgemeine Zeitung (FAZ)|Beschäftigung, mis en ligne le 21 juillet 2014, page consultée le 27 juillet 2014. URL: http://www.faz.net/aktuell/wirtschaft/wirtschaftspolitik/beschaeftigung-waehrungsfonds-warnt-vor-arbeitslosigkeit-durch-mindestlohn-13057381.htm

292 BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der Beschäftigung nicht“,,

Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.12 293 ALNI & al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche Evaluation“, Forschungsinstitut

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Rousseau Marie-Léa

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Löwisch parvient également à la même estimation, ce qui représente des pertes

d’emplois pour 1,6% des actifs (Löwisch, 2008)294. Selon l’IWF, ce chiffre pourrait

varier entre 60 000 et 850 000 emplois perdus. Comme le confirme la Figure

XXI295, Ronald Bachmann et al. anticipent qu’un salaire minimum à hauteur de

7,50 euros ferait perdre leur emploi à environ 1 millions de personnes dans les

Länder de l’Ouest et 220 000 dans les Länder de l’Est (Bachmann & al, 2008)296.

Par ailleurs, l’étude de l’Institut der deutschen Wirtschaft du 16 octobre 2013

semble quant à elle aboutir à l’idée que le salaire minimum aura des effets négatifs

sur l’emploi, sans citer de chiffre précis297. Le Währungsfond ne se montre pas non

plus précis mais estime que le salaire minimum pourrait mener à des « pertes

d’emplois significatives »298.

zur Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28, S.5 294 LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen

Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu

Ordnungsökonomik, Avril 2008, S.1-35 295 BACHMANN Ronald & al, , „Mindestlöhne in Deutschland, Beschäftigungseffekte und fiskale Effekte“,

Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung, Heft 43, RWI: Materialen, S.1-56, S.10 296 BACHMANN Ronald & al, , „Mindestlöhne in Deutschland, Beschäftigungseffekte und fiskale Effekte“,

Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung, Heft 43, RWI: Materialen, S.1-56, S.53 297 Mindestlohn - Branchen mit Mindestlöhnen [En ligne] Lohn-infog.org: Informationen zu Lohn und

Gehaltsabrechnung [consulté le 18 juillet 2014]. URL: http://www.lohn-info.de/mindestlohn.html 298 Cité dans: „Währungsfonds warnt vor Arbeitlosigkeit durch Mindestlohn“ [En ligne] Frankfurter

Allgemeine Zeitung (FAZ)|Beschäftigung, mis en ligne le 21 juillet 2014, page consultée le 27 juillet 2014. URL: http://www.faz.net/aktuell/wirtschaft/wirtschaftspolitik/beschaeftigung-waehrungsfonds-warnt-vor-arbeitslosigkeit-durch-mindestlohn-13057381.htm: „Der Fonds selbst nennt keine Zahl, warnt aber vor „bedeutenden Arbeitsplatzverlusten“

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Rousseau Marie-Léa

119

Figure XXIII: Pertes d'emplois à anticiper sous l'effet du salaire minimum en fonction du montant horaire de celui-ci

Source : BACHMANN Ronald & al. , „Mindestlöhne in Deutschland,

Beschäftigungseffekte und fiskale Effekte“, Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung, Heft 43, RWI: Materialen, S.1-56, S.9

Par ailleurs, la réaction des entreprises face au salaire minimum, se traduisant par

des destructions d’emplois, devrait différer en fonction des branches (voir Figure

XXIV). Le graphique ci-dessous retranscrit les résultats d’un sondage cherchant à

évaluer la part des entreprises qui réagirait par des suppressions d’emplois en

fonction de leur appartenance à telle branche. Les résultats laissent apparaitre des

écarts très importants d’une branche à l’autre. Les employeurs de la branche

technico-sanitaire (Sanitärtechnik) sont peu nombreux à prévoir des destructions

d’emplois (1,7% dans les Länder de l’Est contre 10% dans les Länder de l’Ouest)

en réaction au salaire minimum alors que la proportion d’employeurs dans le

secteur de la sécurité privé (Wachgewerbe) envisageant des destructions d’emplois

est beaucoup plus importante ( 75% dans les Länder de l’Ouest contre 21,5% dans

les Länder de l’Est). Par ailleurs, le graphique permet une nouvelle fois de constater

des écarts importants entre les Länder de l’Ouest et les Länder de l’Est.

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Rousseau Marie-Léa

120

Figure XXIV: Pertes d'emplois anticipées dans les branches en cas de salaire minimum horaire de 7,50 euros

Source : BACHMANN Ronald & al. , „Mindestlöhne in Deutschland,

Beschäftigungseffekte und fiskale Effekte“, Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung, Heft 43, RWI: Materialen, S.1-56, S.11

A.2.3. Les possibles effets du salaire minimums sur les coûts supportés par les entreprises

Enfin, l’introduction du salaire minimum devrait également avoir des effets sur les

coûts supportés par les entreprises. Selon Odile Chagny et Sabine Lebayon,

l’introduction du salaire minimum devrait aboutir à des revalorisations salariales

d’en moyenne 38% en se basant sur les rémunérations de l’année 2012 qui serait

différencié en fonction des secteurs et de la taille des entreprises (Chagny &

Lebayon, 2014)299. Pour Karl Brenke et Gert G.Wagner, le salaire minimum devrait

avoir des conséquences sélectives sur l’augmentation des rémunérations en fonction

de la situation des actifs, avec une augmentation pour un septième des salariés à

temps partiel contre un dixième des salariés à temps pleins d’une part, et une

augmentation pour un quart des salariés dans les Länder de l’Est contre un septième

des salariés dans les Länder de l’Ouest (Brenke & Wagner, 2014)300. Cette

299 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :

genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.16

300 BRENKE Karl, WAGNER Gert. G. , Gesetzliche Mindestlöhne: mit der Einführung kommen die Tücken

der Umsetzung [En ligne] Wirtschaftsdienst: Zeitschrift für Wirtschaftspolitik, 93. Jahrgang, Heft 11, p. 751-757, mis en ligne en 2013, consulté le 23 juin 2014. URL : http://www.wirtschaftsdienst.eu/archiv/jahr/2013/11/mindestloehne-die-tuecken-der-umsetzung/

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Rousseau Marie-Léa

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augmentation des rémunérations devrait générer des couts supplémentaires pour les

entreprises. D’après Andreas Knabe et al., un salaire minimum devrait entrainer une

augmentation de 57% chez un salaire net mensuel de 1017 euros. Il entrainerait

également une augmentation des couts salariaux de 70% chez un salaire brut de

1360 euros, soit 668 euros de plus301.De même, le salaire minimum devrait

engendrer des dépenses publiques supplémentaires, entrainant un déficit annuel à

hauteur de 4,3 milliards d’euros dans le modèle standard (théorie néo-classique) et

de seulement de 900 millions d’euros dans le modèle monopsone (Knabe, et al.,

2014)302. C’est pourquoi, Andreas Knabe et al. anticipent que le salaire minimum

ne devrait pas dépasser 6,22 euros pour limiter les effets négatifs (Knabe, et al.,

2014)303 Comme la Figure XXV (Bachmann & al, 2008)304 le montre, le salaire

minimum engendrerait des coûts importants pour l’Etat.

301 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.30 302 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.30 303 KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität

Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.30 304 BACHMANN Ronald & al., „Mindestlöhne in Deutschland, Beschäftigungseffekte und fiskale Effekte“,

Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung, Heft 43, RWI: Materialen, S.1-56, S..10

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Figure XXV: Effets fiscaux anticipés du salaire minimum en fonction du montant horaire de celui-ci

Source : BACHMANN Ronald & al., „Mindestlöhne in Deutschland,

Beschäftigungseffekte und fiskale Effekte“, Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung, Heft 43, RWI: Materialen, S.1-56, S..10

Par ailleurs, le salaire minimum ne peut en réalité être perçu comme un instrument de

la politique de l’emploi, notamment dans la lutte contre les inégalités comme

l’estiment Patrick Alni et al. qui affirment que le salaire ne constitue pas un

instrument de réduction des inégalités de revenus (Alni & al., 2014)305. Comme le

montre l’étude de Müller et Steiner (2013), le salaire minimum n’a pas d’effets

positifs sur la répartition des salaires306. Il pourrait même entrainer une compression

des salaires qui permettrait d’aboutir à une réduction des écarts de salaires par le bas,

c’est-à-dire en poussant les entreprises à réduire les salaires des actifs gagnant au-

dessus du salaire minimum. Le salaire minimum aura également des conséquences

sur l’attitude des entreprises. D’après les travaux de Schmitt (2013)307, les entreprises

devraient compenser les augmentations des coûts salariaux en exigeant

305 ALNI Patrick & al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche Evaluation“,

Forschungsinstitut zur Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28, S.17: „Der

Mindestlohn ist demnach kein besonders zielgenaues Instrument zur Verminderung von Einkommensungleichheit“

306Cité dans: ALNI Patrick & al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche

Evaluation“,Forschungsinstitut zur Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28, S.11 307 Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der

Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11

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l’augmentation de la productivité des travailleurs (dont une partie devrait être

encouragée par l’augmentation de leur salaire). L’introduction du salaire minimum

amène à s’interroger sur son impact sur la compétitivité des entreprises et leurs

réactions par rapport à cela. Selon Odile Chagny et Sabine Lebayon, la compétitivité

des entreprises devrait varier d’un secteur à l’autre, le risque étant le plus élevé pour

l’industrie de la viande qui basait sa réussite sur le dumping social. Elles se montrent

rassurante en estimant que les entreprises devraient disposer de marges suffisantes

pour éviter de subir de plein fouet l’instauration du salaire minimum et ainsi être

obligées de répercuter les couts de production sur les prix de production (Chagny &

Lebayon, 2014)308. Le salaire minimum devrait enfin engendrer des attitudes

déviantes de la part des entreprises envers la Mindestlohngesetz. Odile Chagny et

Sabine Lebayon estiment que « plusieurs stratégies de contrournement de la

légilation sont pointées » (Chagny & Lebayon, 2014)309. Selon elles, la première

solution consisterait pour les entreprises à multiplier les heures supplémentaires non

rémunérées, puisqu’aucune limite légale du travail n’existe. La seconde option serait

de multiplier les salaires à la tâche (Werkvertrag) pour remplacer les contrats de

travail classiques (Arbeitsvertrag). Une troisième possibilité serait le recours d’autant

plus massifs aux Minijobs occupés par des chômeurs de longue durée, dont le contrat

ne fixe pas de durée de travail, et dont l’embauche n’oblige pas les entreprises à les

rémunérer à hauteur du salaire minimum avant six mois. Une quatrième conséquence

pourrait être l’augmentation du travail au noir310, qui est interdit par la législation

allemande, ce qui pose la question du contrôle de l’application de la loi. Le risque est

que la loi ne puisse s’appliquer réellement faute de contrôles suffisants, bien que

1600 fonctionnaires doivent être affectés à l’inspection du travail pour renforcer ces

contrôles

308 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, Un petit pas pour l’Europe, un grand pas pour l’Allemagne [En

ligne], Sciences Po Paris OFCE, ajouté le 11 juillet 2014 [consulté le 13 juillet 2014] : http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/salaire-minimum-en-allemagne-un-petit-pas-pour-leurope-un-grand-pas-pour-lallemagne/

309 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :

genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.13

310 Mindestlohn - Branchen mit Mindestlöhnen [En ligne], www.lohn-info.de - Informationen zur Lohn und

Gehaltsabrechnung, mis en ligne en 2014, consulté le 1er aout 2014. URL: http://www.lohn-info.de/mindestlohn.html

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Rousseau Marie-Léa

124

B. Après l’introduction d’un salaire minimum

national: quelle avenir pour le « modèle allemand » ?

Deuxièmement, il nous faut tenter d’anticiper l’impact de cette mesure en tant que

successeur des réformes de flexibilisation du marché du travail bien que très peu

d’études aient été menées sur ce sujet en raison de l’adoption rapide et récente de la

Mindestlohngesetz (MiLOG). Au-delà de l’éventuelle remise en cause des lois

Hartz, cette réforme remettra-t-elle d’autant plus en cause les fondements du

« modèle allemand » ou les renforcera-t-elle?

B.1. Le salaire minimum national : une remise en cause du principe des « lois Hartz » ?

D’une part, il nous faut nous interroger sur la place de cette mesure par rapport aux

« lois Hartz » de flexibilisation du travail en mettant en avant que si elles semblent

a priori remettre en cause celles-ci, on peut également supposer qu’elle les

complètent.

B.1.1. Une mesure a priori en opposition avec les réformes de flexibilisation du travail

Tout d’abord, il apparait a priori évident que la loi sur le salaire minimum constitue

une rupture par rapport aux mesures de flexibilisation du marché du travail

incarnées par les « lois Hartz ». Le discours du 3 juillet 2014 de la ministre du

Travail et des Affaires Sociales Andrea Nahles semble d’ailleurs aller dans ce

sens comme le révèle les propos suivants : « Travailleurs, bon marché, sans

protection : c’est la réalité vécue par des millions d’actifs, et cela prend fin avec le

salaire minimum » [Notre traduction]311. Le salaire minimum est par conséquent

perçu comme une protection envers les travailleurs actifs contre les dérives de

l’extension des bas salaires. Or, comme le rappelle Gerhard Bosch, les « lois

Hartz » ont précisément répondu à cet objectif d’étendre le secteur des bas salaires

afin de limiter des coûts salariaux jugés trop élevés par les entreprises et ainsi

faciliter les créations d’emplois. Comme dit précédemment, la priorité de

311 BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, mis en

ligne le 3 juillet 2014, consulté le 5 juillet 2014. URL: http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/Andrea-Nahles/rede-14-07-03.html : « Fleißig, billig, schutzlos- das ist doch die Realität für Millionen Arbeitnehmer in Deutschland, und damit ist jetzt Schluss”

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Rousseau Marie-Léa

125

l’Allemagne au début des années 2000 était de sortir du marasme économique non

seulement par la lutte contre le chômage mais aussi par la lutte contre le déficit

grandissant de l’Etat. La flexibilisation du marché a été considérée comme la

solution la plus pertinente pour lutter contre ces problèmes persistants. A ce titre,

l’extension souhaitée du secteur des bas salaires a été d’autant plus facilitée par

cette absence de salaire minimum national. L’objectif des réformes était de

restaurer la compétitivité des entreprises, en difficulté persistante depuis le milieu

des années 90. Alors que le « modèle allemand » mis en avant par Michel Albert

avait été capable d’allier compétitivité pour les entreprises et salaires élevés pour

les actifs, les « lois Hartz » ont opéré un choix en faveur de la première, privilégiant

le maintien des emplois au prix de salaires bas. L’objectif était donc de permettre à

chacun d’avoir un emploi quitte à offrir des conditions de travail et de

rémunérations moins satisfaisantes. Ce choix opéré dix ans auparavant s’avérait

nécessaire pour permettre à l’Allemagne de se réformer. L’émergence du débat sur

le salaire minimum a remis à jour le dilemme entre politique des salaires

(Lohnpolitik) et politiques de l’emploi (Beschäftigungspolitik) dans la mesure où la

préoccupation des défenseurs de cette mesure est de permettre à chacun de vivre

décemment de son travail quitte à accepter une augmentation de la part des actifs

inoccupés. Par ailleurs, l’instauration du salaire minimum implique mécaniquement

une rigidification de la politique du marché du travail en limitant la marge de

manœuvre des entreprises sur la détermination des conditions de travail de leurs

employés. Le salaire minimum devrait notamment faire nettement reculer les

Minijobs, devenus le symbole de l’impact des « lois Hartz ». Il est donc tentant de

les percevoir comme un changement de cap dans la politique allemande de l’emploi

et dans la conception du rapport salariale.

B.1.2. Une mesure qui complète les réformes de flexibilisation du marché du travail

Ensuite, la loi sur le salaire minimum peut être également perçue comme la

conséquence logique des « réformes Hartz » de flexibilisation du travail, et par

conséquent compléter leur mission plutôt que de les remettre en cause. Comme

nous l’avons déjà mis en avant, les « lois Hartz » étaient nécessaires au début des

années 2000 et ont de fait contribué à réformer l’Allemagne de sorte que celle-ci a

pu résister aux crises de la fin des années 2000. Cependant, nous avons aussi

montré que ces réformes ont impliqué des sacrifices pour la population allemande,

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Rousseau Marie-Léa

126

risquant de menacer l’équilibre entre les parties prenantes au dialogue social, si

important dans le « modèle allemand » traditionnel. La loi sur le salaire minimum

peut donc être considérée comme un geste à l’égard des travailleurs pour ne pas

rompre cet équilibre. Le site suivant, piloté par le Ministère du Travail et des

Affaires Sociales a même pour sous-titre : « Nicht geschenkt, sondern verdient »312.

Cette formulation sur un site officiel rattaché à un ministère n’a rien anodin. Elle

peut-être interprétée comme le fait que le salaire minimum n’est en aucun cas un

cadeau consenti par le gouvernement fédéral envers les actifs sans la moindre

contrepartie. Elle est au contraire l’expression d’une récompense suite aux efforts

consentis par les travailleurs allemands pour redresser la situation économique de

l’Allemagne. Plus généralement, elle est l’expression d’un souci éthique : qui

travaille doit percevoir une rémunération correspondant à la valeur de ses efforts

pour la collectivité. Selon Odile Chagny et Sabine Lebayon, « les préoccupations

d’ordre éthique ont joué aussi, voire plus important que les préoccupations d’ordre

économique » (Chagny & Lebayon, 2014)313 dans le débat sur l’instauration du

salaire minimum. Patrick Arni et al. estiment quant à eux que le salaire minimum

s’inscrit dans une logique de correction du marché de sorte à permettre à chacun de

pouvoir vivre de son travail (Alni & al., 2014)314. Le salaire minimum aurait donc

pour objectif éthique, que la mesure soit efficace ou non, de protéger les actifs

contre le dumping social. Par conséquent, la responsabilité, au cœur des « lois

Hartz », demeure une substance importante dans la loi sur le salaire minimum.

L’objectif de l’introduction du salaire minimum est donc non pas de remettre

complètement en cause les « lois Hartz » mais de corriger les dérives qui en ont

découlé de sorte à ce que celles-ci ne nuisent pas à long terme au lien social entre

les parties prenantes. Cette mesure peut donc être vue comme opérant un

312 Der Mindestlohn kommt [En ligne], , Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne en 2014,

page consultée le 21 juillet 2014. URL : http://www.der-mindestlohn-kommt.de/ml/DE/Startseite/start.html

313 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :

genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.16

314 ALNI & al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche Evaluation“, Forschungsinstitut zur

Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28, S.2: „Für die Einführung eines

Mindestlohns spricht der Vorsatz, die Verteilungswirkungen der Marktwirtschaft zu korrigieren und "jeden von seiner Hände Arbeit leben zu lassen“

Page 127: Des « réformes Hartz » à la loi sur l introduction d un ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · stabilité des relations entre les parties prenantes. L’analyse

Rousseau Marie-Léa

127

mouvement de balancier consistant à faire des concessions aux salariés, après avoir

fait des concessions au patronat.

B.1.3. Une mesure qui devrait malgré tout laisser les entreprises conserver une certaine marge de manœuvre

Enfin, il ne faut pas oublier que si l’introduction du salaire minimum fait désormais

consensus au sein de la classe politique, le projet de loi n’en a pas moins été

critiqué par l’opposition comme nous l’avons précédemment montré. L’exception

sur les chômeurs de longue durée a fait l’objet des critiques les plus virulentes

contre le projet de loi, les opposants l’ayant accusé de ne pas protéger les actifs les

plus fragiles face à la conjoncture sur le marché du travail. La ministre du Travail et

des Affaires Sociales s’est justifiée sur le fait que la loi n’obligera un employeur à

payer au salaire minimum un actif sortant d’une longue période de chômage qu’au

bout de six mois La ministre a répondu à ces critiques en rappelant ce qu’elle

estime être la réalité : « Il y à peine assez d’employeurs qui sont prêts à donner une

chance à des chômeurs de longue durée »315. Sa crainte est que la mise en place

d’un salaire minimum pour les actifs inoccupés de longue durée désinciterait

d’autant plus les employeurs à leur donner un emploi. Andrea Nahles se montre

cependant prudente et admet qu’elle ne sait pas si cette règle spéciale (Sonderregel)

va porter ses fruits. Elle a ajouté qu’en conséquence, une évaluation de celle-ci

devrait être menée d’ici deux ans pour en mesurer l’efficacité. Malgré ces

explications, force est de constater que les critiques de l’opposition ne sont pas

infondées. Même si le salaire minimum devrait logiquement entrainer un recul du

secteur des bas salaires, il est à prévoir que les chômeurs de longue durée se verront

uniquement proposer des contrats de moins de six mois permettant aux employeurs

de compenser l’application du salaire minimum à l’ensemble des autres travailleurs

(hormis les quelques autres exceptions prévues par la loi). Les entreprises

conserveront une certaine marge de manœuvre de sorte qu’une minorité de

travailleurs sera d’autant plus touché par le risque de multiplier les contrats de

courte durée.

315 BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, mis en

ligne le 3 juillet 2014, consulté le 5 juillet 2014. URL : http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/Andrea-Nahles/rede-14-07-03.html : „Wir finden kaum genügend Arbeitgeber, die überhaupt bereit sind, Langzeitarbeitslosen eine Chance zu geben“

Page 128: Des « réformes Hartz » à la loi sur l introduction d un ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · stabilité des relations entre les parties prenantes. L’analyse

Rousseau Marie-Léa

128

B.2. Le salaire minimum national: renforcement ou affaiblissement de la Tarifautonomie?

D’autre part, il nous faut nous interroger sur le rôle du salaire minimum dans le

« modèle allemand » des relations sociales qui a tant évolué depuis les années 90.

Le salaire minimum, mesure correctrice des lois Hartz, opèrera-t-il un retour vers

les bases initiales du capitalisme rhénan ?

B.2.1. Le salaire minimum: une mesure qui, à première vue remettre en cause les bases du modèle allemand

Tout d’abord, la Mindestlohngesetz semble à bien des égards constituer un

bouleversement des bases du système socio-économique allemand de l’après-

guerre, en premier lieu car il n’a jamais existé de salaire minimum national sur le

territoire allemand et que l’introduction de salaires minimums de branches est non

seulement récente et peu étendue. Pour Odile Chagny, l’instauration d’un salaire

minimum généralisé constitue une rupture majeure pour le « modèle allemand »

non pas quant à éventuelle efficacité sur la situation économique mais quant au

« tournant opéré du point de vue de la conception de la valeur du travail » (Chagny

& Lebayon, 2014)316. Dans la conception traditionnelle du « modèle allemand » de

l’après-guerre, les différences de statuts, reconnaissance et de rémunération peuvent

se justifier sur la base de critères tels l’ancienneté et les compétences techniques.

Par ailleurs, une telle mesure peut légitimement se heurter au système de la

Tarifautonomie qui est aussi bien garantie par le droit constitutionnel allemand que

le droit européen. D’une part, la Tarifautonomie est garantie constitutionnellement

par l’article 9-3 de la Loi Fondamentale (Grundgesetz) comme nous l’avons déjà

évoqué. D’autre part, elle est également défendue par l’article 28 de la Charte des

droits fondamentaux (Grundrechtscharta) de l’Union Européenne (Löwisch,

2008)317. C’est pourquoi, bien que le projet de loi ait été adopté, il n’est pas exclu

qu’il fasse l’objet d’un examen devant la Bundesverfassungsgericht à la demande

d’opposants. Il est probable que ce projet de loi sur le salaire minimum ait été

316

CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, Un petit pas pour l’Europe, un grand pas pour l’Allemagne [En ligne], Sciences Po Paris OFCE, ajouté le 11 juillet 2014, consulté le 13 juillet 2014, URL : http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/salaire-minimum-en-allemagne-un-petit-pas-pour-leurope-un-grand-pas-pour-lallemagne/

317LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen

Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu

Ordnungsökonomik, Avril 2008, S.1-35, S.27

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Rousseau Marie-Léa

129

habilement nommé das Gesetz für die Stärkung der Tarifautonomie par le Ministère

du Travail et des Affaires Sociales en raison de la prévisibilité des critiques à son

égard.

B.2.2. Une loi qui laisse une place prépondérante aux acteurs de la Tarifautonomie

Ensuite, la loi sur le renforcement de l’autonomie tarifaire aurait explicitement pour

objectif de remédier à l’affaiblissement du système de la Tarifautonomie depuis le

milieu des années 90 que nous avons constaté dans une section précédente. Bien

que l’Etat impose l’instauration d’un salaire minimum sur l’ensemble du territoire

et dans l’ensemble des branches sans exception, Odile Chagny met en avant que

« les partenaires sociaux garderont […] un rôle prépondérant » (Chagny &

Lebayon, 2014)318 de deux manières différentes :

Les syndicats des branches dont le salaire minimum se situe en

dessous de 8,50 euros sont chargés de déterminer eux-mêmes des

accords relevant progressivement ce seuil à celui exigé par la loi.

Comme révélé précédemment, certaines branches ont d’ores et déjà

conclu des contrats dans ce sens.

Les syndicats nommeront les membres de la Mindestlohnkommission

qui déterminera de manière indépendante l’évolution du salaire

minimum à partir de 2016.

La loi prévoit de faciliter l’extension des accords de branches portant sur

l’ensemble des conditions de travail (grilles salariale, congé, horaires, etc…) à tous

les salariés d’une branche. Odile Chagny et Sabine Lebayon reprennent la notion de

« quasi-négociation » forgée par Thorsten Schulten (2014) en mettant en avant

qu’il n’y aura pas de représentant du gouvernement dans la Mindestlohnkommission

par respect du principe de l’autonomie de décisions des parties prenantes (Chagny

318 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, Un petit pas pour l’Europe, un grand pas pour l’Allemagne [En

ligne], Sciences Po Paris OFCE, ajouté le 11 juillet 2014 [consulté le 13 juillet 2014] : http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/salaire-minimum-en-allemagne-un-petit-pas-pour-leurope-un-grand-pas-pour-lallemagne/

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Rousseau Marie-Léa

130

& Lebayon, 2014)319. Eva Rindfleisch met quant à elle en avant que la loi a l’intérêt

de préserver le système de la Tarifautonomie en remettant la décision de

l’adaptation du salaire minimum à la conjoncture entre les mains des partenaires

sociaux et par conséquent en faisant peser les conséquences de leurs décisions sur

eux-mêmes (Rindfleisch, 2012)320. Ulrich Preis et Daniel Ulber reconnaissent pour

leur part que l’introduction du salaire minimum constitue bien une intervention de

l’Etat dans le système de la Tarifautonomie mais contestent que cette mesure

n’affaiblisse celui-ci. Selon eux, cette mesure permettra au contraire de renforcer la

capacité fonctionnelle de la Tarifautonomie (Preis & Ulber, 2014)321.

B.2.3. Une intervention de l’Etat pour définir un changement d’orientation nécessaire

Enfin, l’intervention de l’Etat apparait paradoxalement nécessaire pour permettre ce

changement de cap dans la politique de l’emploi de la République Fédérale

d’Allemagne. Bien que l’article 9-3 consacre le principe de la Tarifautonomie,

l’article 74-1 garantit pour sa part une compétence partagée (konkurrierende

Gesetzgebungskompetenz) de l’Etat fédéral et des Länder en matière de droit du

travail. Gerhard Bosch explique que le salaire minimum est apparu tardivement

dans le secteur du bâtiment et dans d’autres branches car les parties prenantes

« [considéraient] que l’Etat n’était pas compétent en la matière » (Bosch,

2009)322.Un décret a cependant étendu les compétences de l’Etat fédéral en matière

de législation régulant non seulement l’instauration du salaire minimum mais aussi

la loi sur le travail au noir (Schwarzarbeitsbekämpfungsgesetz), la règlementation

des professions de l’artisanat, du commerce et de l’industrie (Gewerbeordnung), la

loi sur les travailleurs détachés (Arbeitnehmer-Entsendegesetz) et la loi sur le

319 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, « L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :

genèse et portée d’une rupture majeure », Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.9

320 RINDFLEISCH Eva, „Ein Mindestlohn für Deutschland- Aber wie?“, Konrad Adenauer Stiftung, Analyse

und Argumente, Ausgabe 101, Februar 2012, S.1-8, S.6-7 321PREIS Pr.Dr. Ulrich, Ulber Daniel, „Die Verfassungsmäßigkeit des allgemeinen gesetzlichen

Mindestlohns“, Hans-Böckler Stiftung, Köln, Mai 2014, S.1-16, S.9 322 BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der Beschäftigung

nicht,,Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11

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Rousseau Marie-Léa

131

louage de main d’œuvre (Arbeitsnehmerüberlassungsgesetz)323. Les compétences

de l’Etat se sont donc étendues au-delà de celles prévues par la Loi Fondamentale,

sans que cela n’ait abouti à une remise en cause par la Bundesverfassungsgericht.

Pour Odile Chagny et Sabine Lebayon, la loi sur le salaire minimum constitue

certes une remise en cause du « principe de subsidiarité qui fonde l’Etat social

[allemand] » (Chagny & Lebayon, 2014)324. Selon elles, cette base fondamentale

du modèle allemand ne permet plus la garantie des droits des travailleurs depuis

une vingtaine d’années, ce qui justifie une intervention dans le sens d’une

protection renforcée des travailleurs. Leur thèse principale est résumée de la

manière suivante : « [L]’affaiblissement des acteurs sociaux est tel qu’il

légitime une intervention de l’État contraire au principe de leur autonomie »

(Chagny & Lebayon, 2014)325.

323 Entwurf eines Gesetzes zur Stärkung der Tarifautonomie (Tarifautonomiestärkungsgesetz) [En ligne]

Bundesministerium für Arbeit und Soziales- Gesetzentwurf der Bundesregierung, S1-69, S.34, page consultée le 12 juillet 2014. URL: http://www.bmas.de/SharedDocs/Downloads/DE/PDF-Pressemitteilungen/2014/2013-04-02-gesetzentwurf-tarifpaket-mindestlohn.pdf?__blob=publicationFile

324 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :

genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.3 325 CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :

genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.3

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Rousseau Marie-Léa

132

CONCLUSION

Ainsi, l’objectif de notre analyse était de mener une réflexion sur l’évolution du système

socio-économique allemand dont les bases traditionnelles sont souvent présentées comme

un modèle à suivre. Nous avons constaté que le capitalisme rhénan, pierre angulaire de ce

« modèle allemand » de l’après-guerre, a été remis en cause dans les années ayant suivies

la réunification de l’Allemagne. Ce système né dans le contexte de la reconstruction tant

économique que politique de l’Allemagne s’est construit autour de mécanismes rigides

favorisant le consensus entre toutes les parties prenantes dans le processus de décision.

Cependant, cette conception « stakeholder » a subi des critiques toujours plus fortes à la fin

des années 90 en raison de l’incapacité du pays à s’adapter au nouvel ordre économique

mondial ayant émergé avec la fin de la Guerre Froide. Le « modèle allemand » s’est donc

retrouvé au centre de cet affrontement entre capitalisme rhénan et capitalisme anglo-saxon

prédit par Michel Albert dans Capitalisme contre Capitalisme. Ce combat devait mener

inéluctablement à l’effacement du capitalisme rhénan, et par conséquent de la conception

allemande des relations sociales. L’Allemagne a mené des réformes d’envergure au début

des années 2000 dans le but non seulement de sortir du marasme économique mais aussi de

préserver son modèle menacée en particulier par la montée du chômage. Or, les « réformes

Hartz » qui flexibilisent le marché du travail ont été controversées car elles auraient de fait

affaibli l’identification des salariés aux entreprises en favorisant les emplois précaires qui

ne permettent plus de relations sociales stables entre les parties prenantes. Pour autant, les

défenseurs des réformes arguent en faveur de leur efficacité à faire gagner de la

compétitivité aux entreprises allemandes, tout en ayant restauré l’esprit initial du « modèle

allemand » qui s’ancre dans une communauté de droits et de devoirs. En une dizaine

d’années, l’Allemagne est ainsi passé d’ « homme malade » à la « locomotive de

l‘Europe » en devant certes adapter son modèle sans complètement renier ses bases de

sorte qu’un modèle hybride à mi-chemin entre capitalisme rhénan et capitalisme anglo-

saxon semble émerger. Pour autant, les critiques à l’égard de cette locomotive allemande

n’ont cessé de croitre parmi ses voisins européens, notamment en raison de l’inexistence

d’un salaire minimum généralisé. Ces critiques de plus en plus véhémentes au niveau

international et européen ont effectivement donné du poids aux opposants aux réformes de

flexibilisation du marché du travail. L’ouverture par la Commission Européenne d’une

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Rousseau Marie-Léa

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enquête sur les excédents allemands en novembre 2013 a en particulier constitué un signal

fort à l’adresse de l’Allemagne concernant sa pratique de la modération salariale. L’arrivée

de la deuxième « Grande Coalition » après les élections législatives de 2013 a mené à

l’adoption d’un salaire minimum généralisé de 8,5 euros de l’heure par le Bundestag et le

Bundesrat les 3 et 11 juillet 2014. Cette mesure inédite en Allemagne a été en particulier

motivée par la volonté de lutter contre une expansion trop forte du secteur des bas salaires,

bien que nous ayons démontré que celle-ci était limitée par rapport à celle des voisins

européens. Cette expansion est perçue comme la conséquence de l’absence de salaire

minimum national qui aurait encouragé la logique du dumping social par le biais des « lois

Hartz ». Plus précisément, l’affaiblissement de fait de la Tarifautonomie depuis les années

90 combiné à l’absence de salaire minimum, ne permet plus d’assurer un équilibre des

rapports entre les parties de prenantes. Paradoxalement, la mise en place de cette mesure

contraire au principe constitutionnel de la Tarifautonomie, base fondamentale du « modèle

allemand », s’est justifié par la volonté de renforcer ce système en difficulté. La loi sur le

salaire minimum pourrait donc a priori se comprendre comme l’opposé aux « lois Hartz »,

permettant en quelque sorte de réaffirmer la place du capitalisme rhénan face au

capitalisme anglo-saxon en Allemagne, de réaffirmer la stabilité face à la flexibilité des

relations sociales. Pour autant, il serait plus pertinent de les comprendre comme une

continuité avec les « lois Hartz », leur objectif étant de préserver ce « modèle allemand »

d’une autre façon. Les « réformes Hartz » ont en effet permis à l’Allemagne de sortir du

marasme économique qu’elle subissait depuis la période post-réunification, en privilégiant

la compétitivité des entreprises et le maintien des emplois quitte à exiger des sacrifices de

la part des salariés quant à leurs conditions de travail et de rémunérations. Ces réformes

paradoxalement réussi à préserver l’Allemagne de difficultés économiques graves depuis la

crise financière mondiale de 2008, ainsi que la confiance des Allemands envers leur

économie. Par ailleurs, l’objectif principal a été atteint puisque le chômage a reculé de

moitié. En revanche, les dix ans de l’Agenda 2010 ont été l’occasion de tirer le bilan de ces

réformes et de constater qu’une correction des effets négatifs était certainement nécessaire.

L’introduction du salaire minimum peut-être perçue comme un signal envoyé à la

population active allemande pour lui signifier que les sacrifices au cours de la décennie

précédente ont porté leurs fruits et que le gouvernement allemand est prêt à suivre

l’opinion publique. La question des effets de l’introduction du salaire minimum national

reste cependant posée car les nombreuses études consultées parviennent à des résultats

contradictoires, lorsqu’elles ne constatent pas que les effets ne sont pas suffisamment

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Rousseau Marie-Léa

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significatifs pour être mesurés. Toujours est-il que les principaux risques résident

précisément dans la montée du chômage, des coûts salariaux et des dépenses de l’Etat, à

savoir les problèmes qui avaient motivé la mise en place des « lois Hartz » dix ans plus tôt.

La question à se poser est désormais la suivante : les « réformes Hartz » ont-elles

suffisamment imprégné la politique économique allemande pour limiter les éventuels effets

négatifs de la future loi sur le salaire minimum ? Dans tous les cas, la combinaison de ces

deux mesures phares pour l’évolution du « modèle allemand » dans ce nouvel ordre

mondial en ce début de XXIème siècle devrait aboutir non pas à la réaffirmation ou à

l’évaporation mais à l’hybridation de ce dernier. Contrairement au système socio-

économique allemand décrit par Michel Albert, le système actuel peut plus difficilement

combiner la compétitivité des entreprises avec des emplois stables, biens rémunérés et un

taux de chômage faible pour la population active. Pour assurer sa pérennité, le système

devrait donc effectuer des mouvements de balancier pour satisfaire autant les intérêts du

patronat que du salariat.

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Annexes:

Annexe I : Le manifeste Blair-Schröder

La Troisième voie - Le Nouveau Centre Par Tony Blair & Gerhard Schröder326

Introduction Les sociaux-démocrates sont au pouvoir presque tous les pays de l'Union Européenne. Si la social-démocratie a retrouvé une nouvelle adhésion populaire, c'est parce qu'elle a engagé un renouvellement de ses idées et de son programme, dans le respect de ses valeurs originelles. C'est aussi parce qu'elle a su s'engager non seulement pour la justice sociale, mais également pour le dynamisme économique et pour la libération de la créativité et de l'innovation. La marque de cette nouvelle approche, c'est le " nouveau centre " en Allemagne et la " troisième voie " au Royaume-Uni. D'autres appellations ont cours ailleurs en Europe, mais au-delà des différences culturelles, institutionnelles ou de langue, c'est partout la même motivation. La plupart des gens ont abandonné depuis longtemps la représentation du monde inspirée du dogme de la droite et de la gauche. Et c'est à ces gens-là que les sociaux-démocrates doivent s'adresser. Honnêteté et justice sociale, liberté et égalité des chances, solidarité et esprit de responsabilité envers autrui ces valeurs sont intangibles et la social-démocratie n'en fera jamais le sacrifice. Mais les rendre opérantes dans le monde

contemporain nécessite des politiques publiques réalistes et tournées vers l'avenir, capables de relever les défis du 21ème siècle. La modernisation, c'est l'adaptation aux conditions nouvelles de notre époque, ce n'est pas la simple réaction aux sondages d'opinion. De la même manière, nos politiques publiques doivent être conçues dans un nouveau cadre économique, adapté aux réalités d'aujourd'hui, avec une règle d'or : le gouvernement doit tout faire pour soutenir les entreprises et ne jamais croire qu'il puisse s'y substituer. Le rôle essentiel des marchés doit être complété et amélioré par l'action publique, mais non pas entravé par elle. Nous sommes pour une économie de marché, mais pas pour une société de marché. Nous partageons un destin commun dans l'Union Européenne. Nous faisons face aux mêmes défis : développer l'emploi et la prospérité, offrir à chacun les conditions de son épanouissement personnel, combattre l'exclusion sociale et la pauvreté, réconcilier le progrès technique et le développement durable, s'affronter aux dangers communs qui menacent la cohésion sociale (la criminalité, le trafic de drogues), et enfin faire de l'Europe une force politique pour le bien dans le monde. Nous avons besoin de renforcer nos politiques publiques en confrontant nos expériences en Angleterre et en Allemagne, mais aussi avec les autres gouvernements de gauche en Europe et dans le monde. Nous avons à apprendre les uns des autres et évaluer nos résultats grâce aux bonnes pratiques et aux expériences menées dans d'autres pays. Avec cet appel, nous invitons les autres gouvernements sociaux-démocrates d'Europe, qui partagent nos ambitions réformatrices, à nous rejoindre dans cette entreprise. I - Ce que nous retirons de nos expériences passées Nos deux pays peuvent être fiers de leur parcours jusqu'à aujourd'hui. Cependant, nous devons trouver des réponses réalistes et viables face aux nouveaux défis de nos deux sociétés et de nos deux économies. Cela exige à la fois fidélité à nos valeurs et volonté de changer nos approches et nos moyens d'action traditionnels. Dans le passé : l'enjeu de la justice sociale était parfois confondu avec le mot d'ordre de l'égalité des revenus. La conséquence en

était le peu d'attention portée à la récompense personnelle dans l'effort et dans la responsabilité ; on risquait aussi

326 BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte » [En ligne] Juin 1998.

p.1-8. URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html

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Rousseau Marie-Léa

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d'associer dans les esprits " social-démocratie " avec " conformité et médiocrité " au lieu d'incarner la créativité, la diversité et la performance. Le coût du travail était alourdi par des charges toujours plus élevées.

Les outils pour avancer vers une plus grande justice sociale se sont identifiés avec toujours plus de dépenses

publiques, sans souci de leurs finalités ou de l'impact des impôts sur la compétitivité, l'emploi et le niveau de la vie des personnes. Disposer de services publics corrects est une vraie préoccupation pour les sociaux-démocrates, mais cela ne peut se mesurer à la seule aune de la dépense publique. La vraie évaluation passe par un examen attentif de la dépense, de ses modalités concrètes et du bénéfice réel pour la population ainsi capable de se prendre en charge par elle-même.

La croyance selon laquelle l'État devrait s'attaquer à tous les défauts ou lacunes du marché a trop souvent conduit à

une extension démesurée des missions de l'administration et à une bureaucratie croissante. L'équilibre entre les actions individuelles et l'action collective a été rompu. Des valeurs importantes pour les citoyens - la construction autonome de soi, le succès personnel, l'esprit d'entreprise, la responsabilité individuelle et le sentiment d'appartenance à une communauté - furent trop souvent subordonnées aux garanties sociales universelles.

Trop souvent, les droits furent élevés au-dessus des obligations, mais on ne peut pas se débarrasser de ses

responsabilités, envers soi-même, sa famille, son voisinage ou l'ensemble de la société, sur l'État et s'en remettre à lui seul. Si on oublie le principe d'obligation mutuelle, c'est le sentiment d'appartenance collectif qui s'affaiblit, ce sont ses responsabilités envers ses proches ou ses voisins qui disparaissent, c'est la délinquance ou le vandalisme qui augmentent, et c'est tout notre appareil légal qui ne peut plus suivre.

La capacité des gouvernements à régler avec précision leur économie nationale, afin de favoriser la croissance et

l'emploi, a été exagérée. L'importance des entreprises et des acteurs économiques dans la création de richesses a été sous-évaluée. En fait, on a exagéré les faiblesses du marché et sous-estimé ses qualités.

II - De nouveaux programmes pour des réalités différentes Nos idées ne devraient jamais devenir un carcan idéologique pour nous, gens de gauche. Les politiques publiques du " Nouveau centre " et de la " Troisième voie " abordent toutes les préoccupations des gens qui vivent et font face aux changements rapides de nos sociétés, à la fois ceux qui s'en sortent et ceux qui ne suivent plus. Dans ce monde en émergence, les citoyens veulent des responsables politiques qui abordent les problèmes sans préjugés idéologiques mais attachés à des valeurs essentielles, et qui recherchent [honnêtement] des solutions concrètes grâce à des politiques publiques pragmatiques et durables. Les électeurs, de qui on attend initiative et adaptabilité dans leur vie de tous les jours, ont la même exigence vis-à-vis de leurs gouvernements et de leurs responsables politiques. Dans un monde où la mondialisation et les transformations techniques s'imposent de plus en plus vite, nous avons

besoin de créer les conditions les meilleures pour la prospérité et l'adaptation des entreprises existantes, comme pour la création et le développement de nouvelles entreprises.

Les nouvelles techniques modifient en profondeur le travail humain et internationalisent l'organisation de la

production. D'un côté, elles tendent à déqualifier et rendre obsolètes de nombreuses entreprises, et de l'autre, elles permettent la création de nouvelles entreprises et donnent leur chance à de nouveaux entrepreneurs. La tâche la plus importante, c'est d'investir dans le capital humain : rendre les personnes et les entreprises adaptées à une nouvelle économie basée sur le savoir.

Occuper le même emploi toute sa vie n'est plus concevable. Les sociaux-démocrates doivent marier les demandes

croissantes en faveur de la flexibilité et les exigences sociales en faveur de conditions de vie normales ; ils doivent aider les familles à suivre le changement et redonner leur chance à tous ceux qui n'arrivent pas à suivre le rythme.

Nous avons devant nous un défi de plus en plus fort qui consiste à réconcilier le progrès technique nécessaire à la

société avec la préservation de l'environnement pour les futures générations. Nous devons marier la responsabilité en matière d'environnement avec une approche économique moderne. Dans le domaine de la protection de l'environnement, les techniques les plus modernes sont les plus économes en énergies et en matériaux ; elles ouvrent la voie pour de nouveaux marchés et permettent la création de nouveaux emplois.

Le poids de la dépense publique sur le P.I.B. a atteint les limites de l'acceptable. L'inertie du budget de l'État nous

oblige à une réforme radicale de l'ensemble du secteur public afin d'assurer la valeur de la monnaie. Le secteur public doit être au service du citoyen : nous n'hésitons pas à promouvoir les concepts d'efficacité, de compétition et de haute performance.

Les systèmes de sécurité sociale ont besoin d'être rénovés pour tenir compte des transformations sociales :

augmentation de l'espérance de vie, nouvelles structures familiales, nouveaux rôles des femmes. Les sociaux-démocrates doivent trouver les moyens de combattre efficacement les problèmes croissants de la délinquance, de la surconsommation de drogues, de la désaffiliation sociale. Nous avons à montrer l'exemple dans la reconnaissance de droits égaux pour les hommes et les femmes.

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La criminalité est une question politique essentielle pour les sociaux-démocrates d'aujourd'hui. Nous considérons que la sûreté dans les rues est un droit essentiel. Mener des politiques publiques en faveur de la ville vivable permet de stimuler le sentiment d'appartenance à la communauté, de créer de nouveaux emplois de proximité, de sécuriser les quartiers d'habitation.

La précarité demeure une préoccupation centrale, surtout lorsqu'elle atteint des familles avec enfant(s). Il faut mettre

en place des mesures à l'intention de ceux qui sont le plus menacés par la marginalisation et l'exclusion sociale. Tout ceci exige de moderniser notre manière de gouverner : l'Etat ne doit pas ramer, mais tenir le gouvernail : juste ce qu'il faut de contrôle, tel est le défi. Les solutions doivent

toujours être rattachées aux problèmes. dans le secteur public, la bureaucratie doit être réduite à tous les niveaux ; des objectifs de résultats concrets doivent

être formulés ; la qualité des services publics évalués en permanence, et les dysfonctionnements éradiqués. les sociaux-démocrates modernistes abordent les problèmes à la bonne échelle : certains d'entre eux ne peuvent l'être

qu'au niveau européen ; d'autres comme les récentes crises financières nécessitent une coopération internationale très large. Mais, en règle générale, la compétence devrait être décentralisée à l'échelon le plus bas possible.

Pour le plein succès des nouvelles politiques publiques, il faut promouvoir une mentalité de gagnant et un nouvel

esprit d'entreprise à tous les niveaux de la société. Cela requiert :

une main-d'œuvre compétente et bien formée, qui soit désireuse de prendre de nouvelles responsabilités ; un système de sécurité sociale qui donne une nouvelle chance, tout en encourageant l'esprit d'initiative, la

créativité et l'envie de relever de nouveaux défis ; un climat favorable aux entrepreneurs, à leur indépendance et à leur esprit d'initiative. Il faut faire en sorte que

la création et la survie des petites entreprises soient facilitées ; nous voulons une société qui met à l'honneur ses chefs d'entreprise, comme elle le fait pour les artistes et les

footballeurs, et qui revalorise la créativité dans tous les domaines de la vie. Nos pays ont des modes de régulation et de négociation différents, entre l'Etat, les entreprises, les syndicats et les groupes sociaux. Cependant, nous partageons la conviction que les conflits traditionnels du travail doivent être surmontés. Par dessus tout, cela signifie qu'il faut renouer des liens entre l'esprit de communauté et la solidarité, le partenariat et le dialogue entre tous les groupes sociaux. Cela signifie aussi qu'il faut adopter un nouveau consensus sur le changement et les réformes. Nous voulons que tous les groupes sociaux partagent notre engagement réciproque exprimé par cette Déclaration. Immédiatement après sa prise de fonction, le gouvernement social-démocrate allemand a réuni autour d'une même table les représentants du monde politique, du patronat, des syndicats de salariés afin de forger une Alliance pour l'Emploi, la Formation et la Compétitivité des entreprises. nous voulons voir s'engager un partenariat réel entre les salariés et les employeurs pour le partage des fruits de la

croissance ; nous soutenons les syndicats qui protègent les droits des salariés contre les comportements arbitraires et qui

coopèrent avec les employeurs pour conduire les changements nécessaires et pour favoriser la prospérité durable. En Europe, dans le cadre du Pacte Européen pour l'emploi, nous nous efforcerons de poursuivre un dialogue fructueux avec les partenaires sociaux qui soutiennent les changements économiques indispensables, sans chercher à les entraver. III- Une nouvelle politique de l'offre pour la Gauche C e qui attend désormais l'Europe, c'est de relever le défi d'une économie en voie de mondialisation tout en préservant la cohésion sociale, dans un contexte d'incertitude réelle et ressentie. La diminution du chômage et la croissance des offres d'emploi sont les meilleures garanties d'une société mieux soudée. Ces vingt dernières années du laissez-faire (en français dans le texte) néo-libéral sont dépassées. Pour autant, il n'est pas question de revenir aux vieilles recettes des années 1970 mêlant déficit public et interventionnisme de l'Etat. Une telle approche ne serait plus judicieuse, aujourd'hui. Nos économies nationales et nos relations avec le reste du monde ont connu de profonds changements. Il nous faut ré-évaluer nos idées classiques et promouvoir de nouveaux concepts à la lumière de ces nouvelles réalités.

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Dans de nombreux pays européens, le chômage est beaucoup trop élevé, et pour une part importante, il s'agit d'un chômage structurel. Pour relever ce défi, les sociaux-démocrates européens doivent, tous ensemble, reformuler et mettre en oeuvre une nouvelle politique de l'offre pour la Gauche. Notre ambition est de moderniser l'Etat-providence, pas de le démanteler : se lancer dans de nouvelles voies favorisant la solidarité et la responsabilité, cela ne veut pas dire de se baser sur le seul intérêt personnel des agents économiques. Les principaux éléments de cette nouvelle approche sont les suivants :

Un cadre solide pour une économie de marché compétitive La libre compétition entre les agents de production et le libre-échange sont essentiels pour stimuler productivité et croissance. Pour cette raison, il est nécessaire de se doter d'un cadre qui permette aux forces du marché de fonctionner convenablement : cela est essentiel pour la croissance économique et c'est une condition préalable à une politique efficace en faveur de l'emploi. L'UE doit continuer à agir en faveur de la libéralisation du commerce international ; elle doit contribuer à la réussite complète du marché unique en renforçant un cadre économique propice à la croissance de la productivité.

Une politique fiscale en faveur d'une croissance durable

Dans le passé, les sociaux-démocrates étaient accusés d'être favorables aux impôts élevés, particulièrement à l'encontre des entreprises. Les sociaux-démocrates modernistes admettent que, dans des circonstances particulières, la réforme fiscale et la réduction des impôts peuvent contribuer à la réussite des politiques sociales. Par exemple, les réductions d'impôts sur les entreprises augmentent la profitabilité de ces dernières et renforcent les incitations à investir. Des investissements plus élevés favorisent l'activité économique et accroissent le potentiel productif. Cela contribue à créer un cercle vertueux de croissance, elle-même favorable aux rentrées fiscales et aux cotisations sociales. Les impôts sur les entreprises devraient être simplifiés et leurs taux diminués, comme cela l'a été par les Travaillistes modernistes (New Labour) au Royaume-Uni et comme cela est envisagé par le gouvernement fédéral d'Allemagne. Pour garantir le niveau de vie des salariés et pour améliorer la [qualité] du système fiscal, les impôts supportés par les familles et les salariés devraient être allégés, à l'instar du de la loi de réduction des impôts en Allemagne ou de la création de très bas taux d'imposition pour l'impôt sur le revenu et le crédit d'impôt pour les familles modestes en Grande-Bretagne. La propension des entreprises – en particulier les PME – à investir devrait être renforcée par des réformes sur les impôts sur les entreprises (en Allemagne et en Grande-Bretagne) et la réforme des travaillistes relatives aux plus-values. Surtout, les taxes sur le travail manuel et les entreprises de main-d'œuvre devraient être réduites. Cette diminution

d'impôts devrait être compensée par des éco-taxes, par exemple. L'Allemagne, la Grande-Bretagne et d'autres pays européens gouvernés par des sociaux-démocrates seront en pointe pour montrer la voie dans ce domaine. Au niveau européen, la politique fiscale devrait mener un combat incessant et rude contre les pratiques déloyales et l'évasion fiscale. Cela nécessite une coopération renforcée et non pas une uniformisation des règles. Nous ne soutiendrons pas des mesures conduisant à l'alourdissement des impôts, à un affaiblissement de la compétitivité européenne et à des risques de pertes d'emploi.

Politiques de l'offre et de la demande sont indissociables et non pas alternatives

Dans le passé, les sociaux-démocrates ont souvent donné l'impression que leurs objectifs de croissance et de lutte contre le chômage seraient assurés par la seule action publique sur la demande. Les sociaux-démocrates modernistes reconnaissent que des réformes fiscales et des baisses d'impôts peuvent contribuer grandement à réaliser leurs objectifs en matière sociale. Aujourd'hui, la plupart des décisions publiques ont un double impact, à la fois sur l'offre et sur la demande. les programmes réussis de retour à l'emploi augmentent le niveau de vie de ceux qui étaient chômeurs en même

temps qu'ils accroissent la main-d'œuvre disponible pour les employeurs. Les politiques économiques modernes visent à augmenter les revenus des salariés, après impôt, tout en diminuant le

coût du travail pour les entreprises. La réduction des coûts non salariaux, grâce à une réforme de la sécurité sociale et à des systèmes fiscaux et de cotisations favorables à l'emploi, est donc tout à fait importante.

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L'ambition de la politique social-démocrate est de dépasser la contradiction apparente entre " politique de l'offre " et " politique de la demande " pour parvenir à une alliance fructueuse entre la flexibilité (d'un point de vue micro-économique) et la stabilité à l'échelle macro-économique.

Pour parvenir à une croissance plus forte et à un plus grand nombre d'emplois, les économies contemporaines doivent être adaptables : les marchés flexibles sont une juste ambition pour la social-démocratie moderniste. La politique macro-économique garde une légitimité essentielle : elle établit les conditions d'une croissance durable pour éviter l'alternance de surchauffe et de dépression. Mais les sociaux-démocrates doivent reconnaître que cela ne suffit pas à stimuler la croissance et à multiplier les emplois. La politique des taux d'intérêt ou la politique fiscale n'entraîneront pas automatiquement la croissance des investissements et de l'emploi, à moins que l'économie soit assez adaptable pour y répondre. Si nous voulons que l'économie européenne soit plus dynamique, il nous faut aussi la rendre plus flexible. les entreprises doivent avoir suffisamment de marges de manœuvre pour agir et pour profiter des occasions qui se

présentent : elles ne doivent pas être entravées par trop de règles. Les marchés du travail, du capital et des biens doivent tous être flexibles : il n'est pas possible de s'accommoder de

rigidité dans un secteur de l'économie et d'ouverture et de dynamisme dans un autre secteur.

L'adaptabilité et la flexibilité sont des avantages de plus en plus rentables dans une économie basée sur la connaissance

Nos économies sont dans une phase de transition – d'un système industriel à un économie des services et du savoir – transition dont les sociaux-démocrates doivent saisir la chance pour notre réussite économique. Nous avons là l'occasion de rattraper les Etats-Unis : nous pourrons ainsi procurer des emplois à des millions d'Européens, leur permettre d'acquérir de nouveaux savoir-faire, dynamiser leur vie professionnelle, créer et développer de nouvelles activités. En bref, l'occasion se présente à nous qui permettra aux Européens de réaliser leurs espoirs d'une vie meilleure. Mais les sociaux-démocrates doivent reconnaître que les données de base de la réussite économique ont changé. Les services ne peuvent se stocker : leurs clients doivent pouvoir les utiliser quand ils ont en besoin, à tout moment de la journée, en dehors des heures normales de travail. La révolution de l'information, particulièrement le potentiel énorme du commerce électronique, risque de modifier profondément notre manière de consommer, de communiquer, d'apprendre ou de se reposer. Les rigidités de tous ordres et la sur-réglementation entravent la pleine réussite de cette économie du savoir. Elles ont pour conséquence de réduire le potentiel d'innovation qui favorise la croissance et crée l'emploi. Nous devons être toujours plus souples, pas le contraire.

Un gouvernement actif, aux missions renouvelées, a un rôle essentiel à jouer dans le développement économique

Les sociaux-démocrates modernistes ne sont pas des néo-libéraux adeptes du laissez-faire. La souplesse des marchés doit être associée à un Etat actif dont les missions auront été redéfinies. Nos priorités doivent être l'investissement dans le capital humain et social. Pour parvenir au plein emploi durable, les salariés doivent accepter les variations de la demande. Nos économies souffrent d'un trop grand fossé entre les emplois qualifiés à pourvoir (par exemple dans le secteur de l'information et de la communication) et l'existence d'une main-d'œuvre suffisamment qualifiée. L'éducation ne doit plus être une chance unique : l'éducation et la formation tout au long de la vie sont la principale garantie dans notre monde contemporain. En conséquence, les gouvernements ont une responsabilité majeure pour mettre en place un système éducatif permettant à chacun de renforcer sa qualification et de parvenir à son maximum. Ce doit être la première priorité des sociaux-démocrates aujourd'hui. Il faut relever les niveaux dans toutes les classes ainsi que toutes les capacités des élèves. Il faut se colleter aux

difficultés rencontrées en lecture ou en calcul, sinon l'on condamne les personnes sans expérience au bas salaire, à la précarité et au chômage.

Nous voulons que chaque jeune ait la possibilité d'avoir sa place dans le monde du travail grâce à une formation

professionnelle qualifiée. Avec l'ensemble des partenaires (chefs d'entreprise, syndicats,...), nous devons nous assurer que l'offre en matière d'éducation et de formation corresponde aux besoins du marché local du travail. En Allemagne, les responsables politiques encouragent cette démarche grâce à un plan d'action en faveur de l'emploi et de la formation ; ce dernier permettra à 100 000 jeunes de trouver un poste ou un stage ou bien d'acquérir une qualification. En Grande Bretagne, ce sont 95 000 jeunes qui ont pu trouver du travail avec le programme public pour l'emploi.

La formation continue est à repenser et à améliorer afin de faciliter ultérieurement l'adaptabilité et l'employabilité.

Les gouvernements doivent inciter les salariés à épargner afin d'assumer le coût de la formation toute au long de la vie. Les gouvernements doivent aussi élargir l'accès à l'enseignement à distance.

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Il faut faire en sorte que la formation occupe un rôle significatif dans notre politique publique pour l'emploi en direction des chômeurs.

Un système éducatif moderne et efficace, accordant une large place aux disciplines scientifiques, distingue une économie créatrice d'emplois. Les fonds publics doivent être orientés vers toutes les activités favorables à la croissance et aux changements structurels.

Les sociaux-démocrates modernistes devraient être les champions des PME Le développement des PME prospères doit devenir la priorité absolue pour les sociaux-démocrates modernistes. C'est là que réside le plus gros potentiel de croissance et de création d'emplois dans la société future basée sur la connaissance. Des actifs de toutes conditions sociales sont désireux de devenir chef d'entreprise qu'il s'agisse de travailleurs indépendants, récents ou de longue date, d'avocats, d'informaticiens, de médecins, d'artisans, de consultants en entreprise ou de professionnels de la culture et du sport. Il faut libérer l'esprit d'initiative, encourager les prises de risque, favoriser la création de nouveaux produits ou concepts, alléger les charges sur ces créateurs d'entreprise, ouvrir les marchés en abolissant les frontières Les marchés financiers européens devraient être simplifiés et leur accès plus aisé aux entreprises de croissance. Cela est essentiel pour les entreprises à hautes technologies, vis-à-vis de leurs concurrentes nord-américaines : ensemble, nous sommes décidés à y travailler. Il faut faciliter la création d'entreprise individuelle et la croissance des jeunes entreprises, grâce aux allégements des démarches administratives, à l'exonération de certaines règles pour les toutes petites entreprises, et à un accès plus aisé au marché financier. Ces très petites entreprises doivent pouvoir embaucher des cadres et des ingénieurs : cela sera possible par une diminution des coûts non salariaux et des obligations sociales. Il faut encore renforcer les liens entre entreprise et science, en incitant les chercheurs à devenir entrepreneurs et en créant des " pépinières d'entreprises de hautes technologies ".

Des finances publiques saines, fierté des sociaux-démocrates Dans le passé, les sociaux-démocrates ont trop souvent été associés au "plus d'État" et au "plus de dépenses publiques", au profit de l'emploi et la croissance. Nous n'excluons pas que les déficits publics permettent de contrebalancer une conjoncture déprimée. Ni même que l'emprunt pour financer des investissements publics, dans le respect des règles keynesiennes, puisse renforcer l'offre dans nos économies. Malgré tout, il ne faut pas croire que les déficits publics puissent surmonter les faiblesses structurelles de nos économies, préjudiciables à la croissance et à l'emploi. Les sociaux-démocrates doivent également s'élever contre un niveau excessif de la dette publique. Un endettement croissant est une charge intolérable pour les générations à venir. Il entraînerait des effets pervers en matière de redistribution. Surtout, l'argent consacré au service de la Dette ne serait plus disponible pour les autres priorités de l'Etat : éducation, formation, infrastructures de transports. Dans la perspective d'une politique de gauche de l'offre, il est essentiel que le haut niveau d'emprunt public se réduise progressivement. IV - Une politique dynamique de l'emploi, menée par la gauche L'État doit devenir un agent dynamique dans la lutte pour l'emploi et non pas seulement l'ambulance passive devant les accidents de la vie économique. L'exclusion du monde du travail - pour les jeunes ou pour les chômeurs de longue durée - entraîne deux conséquences très dommageables : une déqualification profonde qui empêche d'être compétitif sur le marché de l'emploi ; mais aussi des difficultés personnelles et sociales, dans tous les domaines, qui rendent plus difficile l'insertion dans la vie sociale. Si un système de solidarité en arrive à bloquer l'accès au monde du travail, pour les moins qualifiés, il doit être réformé. Les sociaux-démocrates veulent transformer la bouée de sauvetage des droits sociaux en un tremplin pour la responsabilité individuelle. Dans nos sociétés modernes, l'idéal de justice sociale ne doit pas se limiter aux versements de minima sociaux. Notre objectif est bien plutôt l'égalité des chances, indépendamment de la race, du sexe ou du handicap, pour combattre l'exclusion sociale et garantir l'égalité entre les hommes et les femmes. La population réclame à juste titre des services publics de qualité et la solidarité pour les démunis, mais aussi plus d'égards pour tous ceux qui financent cela par leur travail et leurs impôts. C'est pourquoi la politique sociale doit accroître l'égalité des chances, encourager l'autonomie et la responsabilité individuelle.

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C'est dans cet esprit que les gouvernants allemands ont entrepris la réforme du système de santé et d'assurance vieillesse, en tenant compte de l'allongement de la vie et des différentes formes d'emploi au long de la vie, et en respectant le principe de solidarité. En Grande-Bretagne, la même philosophie inspire l'introduction des fonds de pensions dans le régime des retraites et la réforme des allocations pour invalidité. Les périodes de chômage, dans une économie où il n'existe plus d'emploi à vie, doivent être l'occasion de renforcer ses qualifications et d'entretenir son développement personnel. Le travail à temps partiel et les bas salaires valent mieux que le chômage parce qu'ils sont une passerelle vers des emplois stables et mieux payés. Les programmes publics d'emplois et de formation pour les chômeurs sont une priorité des sociaux-démocrates - Mais on peut attendre, en retour, de chaque chômeur qu'il se saisisse de cette chance offerte. Cependant, donner une meilleure qualification et des savoir-faire n'est pas suffisant. La fiscalité et le système d'allocations ne doivent pas dissuader les chômeurs d'accepter un emploi. C'est pourquoi nous devons engager la réforme de ces deux systèmes, élément essentielle de notre programme dynamique en faveur de l'emploi : Nous devons maintenir le niveau de vie des travailleurs et de leurs familles. La plus grande part de leur revenu doit

rester disponible pour eux. Nous devons encourager les employeurs à proposer des "emplois de démarrage", en réduisant les cotisations sociales

et les impôts sur les emplois à bas salaires. Il nous faut explorer la piste des éco-taxes pour alléger les coûts non salariaux du travail.

Nous devons mettre en place des programmes très ciblés sur les chômeurs de très longue durée et les populations

très défavorisées, afin de leur permettre de se réinsérer sur le marché du travail. Ces programmes seront inspirés par le principe des droits et devoirs réciproques.

Examiner la situation de tous les allocataires, y compris les bénéficiaires d'allocation invalidité, d'âge actif, en

fonction de leur aptitude à travailler, et réformer les services publics de l'emploi afin d'aider les personnes aptes à travailler à trouver un emploi correct.

Soutenir la prise de risque des créateurs d'entreprise, en tant que moyen de sortir du chômage : ces risques sont très

importants pour ceux qui s'y engagent et nous devons les aider à les assumer. La politique de l'offre de la gauche permettra d'accélérer les changements nécessaires mais elle les rendra aussi plus faciles à supporter et à assumer. S'adapter au changement n'est jamais aisé ; son rythme apparaît très rapide, encore plus avec les nouvelles technologies. En outre, ces changements détruisent inévitablement des emplois, mais ils en créent de nouveaux. Cependant, il peut y avoir des temps morts entre les pertes d'emplois dans un secteur et la création de nouveaux postes ailleurs. Indépendamment du bénéfice à long terme pour la société et l'économie nationale, certaines entreprises ou certaines communautés risquent de subir les inconvénients du changement bien avant d'en connaître les bienfaits. Pour cette raison, nous devons centrer nos efforts sur ces problèmes de transition. Les effets négatifs du changement seront d'autant plus douloureux qu'on aura attendu pour les affronter, mais il est naïf de croire qu'on peut s'en désintéresser. L'ajustement sera d'autant plus aisé que les marchés du travail et de la production fonctionneront mieux. Les handicaps d'une trop faible productivité doivent être réduits si l'on veut que les salariés licenciés pour cause de productivité accrue retrouvent un emploi ailleurs. Le marché du travail a besoin d'un secteur à bas salaire afin de permettre les personnes peu qualifiées de trouver un emploi. Le système fiscal et les allocations peuvent s'ajouter aux bas salaires et par la même permettre des économies sur les budgets consacrés aux allocations chômage. V - Un droit d'inventaire politique pour l'Europe Définir et incarner une nouvelle politique social-démocrate en Europe, tel est le défi qui nous attend. Nous ne prônons pas un seul modèle européen, encore moins la transformation de l'Union Européenne en un État fédéral. Nous sommes pro-européens et favorables à une réforme de l'UE. Les peuples européens soutiendront de nouvelles avancées vers l'intégration à chaque fois qu'il y aura une vraie valeur ajoutée et une vraie justification : dans la lutte contre la criminalité, dans la protection de l'environnement ou bien encore pour l'établissement d'objectifs sociaux communs. Mais, dans le même temps, l'Europe a un besoin urgent d'être réformée, pour rendre ses institutions plus efficaces et transparentes, pour améliorer des politiques désuètes ou pour mieux lutter contre le gaspillage et la fraude. Nous présentons ces idées comme un canevas, mais comme un programme tout fait. Les politiques de la Troisième voie et du Nouveau centre sont déjà à l'œuvre dans de nombreuses villes, dans des politiques publiques d'État, dans la

coopération européenne ou dans de nouvelles initiatives internationales.

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A cette fin, les gouvernements allemand et britannique ont décidé d'affermir leur accords actuels par des discussions sur une approche plus large encore. Nous le ferons de trois manières : premièrement, par des rencontres de niveau ministériel, entre les ministres concernés et leurs cabinets respectifs;

ensuite par des contacts avec les responsables politiques des pays européens qui veulent avancer dans la voie de la

nouvelle social-démocratie. Nous voulons engager ces contacts dès à présent ; enfin par un réseau d'experts, de prospectivistes, de rencontres politiques et de forums de discussion. Nous

approfondirons ainsi progressivement les concepts de Nouveau centre et de Troisième voie. C'est une priorité pour nous.

L'ambition de cette déclaration est de donner une impulsion décisive à la modernisation. Nous invitons tous les sociaux-démocrates européens à ne pas laisser passer cette chance historique pour le renouveau. La diversité de nos idées est notre plus grand atout pour l'avenir. Nos sociétés attendent que nous réunissions nos expériences très différentes dans un nouveau programme cohérent. Construisons ensemble la réussite de la social-démocratie pour le siècle à venir. Faisons de la Troisième Voie et du Nouveau Centre la nouvelle espérance de l'Europe.

Traduction : Bruno Gouyette

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Annexe II : Les principales dispositions des « lois Hartz »

Figure XXVI: Principales dispositions des « lois Hartz »

Source : CHAGNY Odile « Les réformes du marché du travail en Allemagne » [En ligne] La Revue de l'Ires 2 (n° 48), 2005, p. 3-41. URL : www.cairn.info/revue-de-l-ires-2005-2-page-3.htm.

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Annexe III : Encadré du rapport du Bureau International du Travail 2012

Figure XXXVII: Structure de la "Mindestlohnkommission"

Source : Bureau International du Travail (24 janvier 2012), « Tendances mondiales de l’emploi

2012 : prévenir une aggravation de la crise de l’emploi», Organisation Internationale du Travail (OIT), Genève, p.1-132, p.52

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Annexe IV : La loi sur le salaire minimum (MiLOG) en schémas

Annexe IV.A : Structure de la « Mindestlohnkommission »

Figure XXXVIII: Structure de la commission sur la "Mindestlohnkommission"

Source : Der Mindestlohn – Besetzung der Mindestlohnkommission [En ligne], Der Mindestlohn kommt-Nicht geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohn-kommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohn-umfrage.pdf?__blob=publicationFile

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Annexe IV.B : Procédure de décision au sein de la « Mindestlohnkommission »

Figure XXIX: Processus de décision de la "Mindestlohnkommission"

Source : Der Mindestlohn – Wie arbeitet die Mindestlohnkommission [En ligne], Der Mindestlohn kommt-Nicht geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohn-kommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohn-umfrage.pdf?__blob=publicationFile

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Annexe IV.C : Règles particulières à certains groupes

Figure XXX: Groupe de personnes concernées par des exceptions au salaire minimum

Source : Der Mindestlohn – Wie arbeitet die Mindestlohnkommission [En ligne], Der Mindestlohn kommt-Nicht geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohn-kommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohn-ausnahmen.pdf?__blob=publicationFile

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Annexe V: Les études sur le salaire minimum Annexe V.A : Les effets du salaire minimum

Tableau VII: Catégorisation des études sur le salaire minimum en

fonction de l'impact de celui-ci

Untersuchungen zum Beschäftigungseffekt von Mindestlöhnen

Analysiertes Land Negativer

Effekt

Widersprüchliches

Ergebnis

Positiver oder

neutraler Effekt

Frankreich 1 1 3

Griechenland 1

Kanada 1 1

Kolumbien 1

Mexiko 1

Neuseeland 2 1

Österreich 1 1 1

Großbritannien 3

USA 9 2 7

Summe 15 7 15

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Quelle: Ragacs, Christian (2003):

Mindestlöhne und Beschäftigung. Ein Überblick über die

neuere empirische Literatur. Wirtschaftsuniversität Wien.

Working Paper 25; Wien.

Source: « Mindestlohn » [En ligne], Bundeszentrale für politische Bildung, mis en ligne le 15 novembre 2011, consulté le 17 juillet 2013. URL: http://www.bpb.de/politik/innenpolitik/arbeitsmarktpolitik/55329/mindestlohn

Annexe V.B : Les effets du salaire minimum d’après les études regroupées par Neumann et Wascher (2006)

Figure XXXI: Catégorisation des études sur le salaire minimum en fonction de l'impact de celui-ci (d'après Neumann&Wascher,

2006)

Source: SCHULTEN Thorsten, „Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet“,

Institut der deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 33

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Annexe V.C : Les effets du salaire minimum d’après les études regroupées par Bachmann et al. (2012)

Tableau VIII: Classification des études sur le salaire minimum en fonction de l'impact de celui-ci (d'après Bachmann et al, 2012)

Catégorie d’études Négatif Positif Pas significatif

Traditionnelles 61 5 33

Quasi-expérimentales 39 18 42

Source: Ronald Bachmann & al, Mindestlöhne in Deutschland, Beschäftigungseffekte und fiskale Effekte, Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung,2012, p.53

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Annexe VI : Les études sur le salaire

minimum

Tableau XIX: Classification des études sur le salaire minimum en fonction de l'impact de celui-ci 327

327 BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der Beschäftigung nicht“,,

Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.9

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Table des matières

PARTIE I. : LES « LOIS HARTZ » : DES REFORMES DU MARCHE DU TRAVAIL AU CŒUR D’UNE REFONDATION DE LA CONCEPTION DES RELATIONS SOCIALES DANS LE « MODELE ALLEMAND » .................... 9

CHAPITRE.I. LE« MODELE ALLEMAND » FACE AUX DEFIS DE L’ENTREE DANS LE XXIEME SIECLE : VERS LA REMISE EN CAUSE DU

SYSTEME SOCIO-ECONOMIQUE ALLEMAND DE L’APRES-GUERRE ? ................................................................................. 10 A. Le modèle capitaliste rhénan : un modèle socio-économique traditionnellement fondé sur un dialogue social « stakeholder » ................................................................................................................ 10

A.1. Les fondements du capitalisme rhénan dans l’Allemagne de l’après-guerre ..............................................10 A.1.1. Capitalisme rhénan contre capitalisme anglo-saxon : conception « stakeholder » contre conception « stockholder » ..........................................................................................................................................................11 A.1.2. L’ordolibéralisme, base fondamentale du système socio-économique de l’après-guerre le « modèle allemand » dans le giron du « capitalisme rhénan » ...............................................................................................12 A.1.3. Le fonctionnement du système socio-économique allemand: un réseau limité d’acteurs partageant des liens étroits .........................................................................................................................................................15

A.2. L’entreprise dans le « modèle allemand »: une conception « stakeholder » des rapports sociaux entre les partis prenantes ........................................................................................................................................................18

A.2.1. Les particularités du « Tarifautonomie »: la constitution d’un « esprit de branche » ..........................19 A.2.2. Le rôle du système de formation professionnelle : la « Berufausbildung » au cœur de la socialisation des employés .............................................................................................................................................................21 A.2.3. Le système de cogestion: des relations équilibrées entre le capital et le salariat .................................24

B. L’Allemagne « lanterne rouge de l’Europe » au début des années 2000 : le « modèle allemand » en perdition ? ............................................................................................................................................... 26

B.1. Le « modèle allemand » face aux bouleversements.....................................................................................26 B.1.1. L’Allemagne à la veille du XXI

ème siècle : de la « locomotive européenne » à « l’homme malade de

l’Europe » ...................................................................................................................................................................27 B.1.2. L’identification des causes expliquant le retournement de situation de l’Allemagne dans les années 90 28 B.1.3. La mise en lumière des rigidités inhérentes au système socio-économique allemand.........................30

B.2. La mise en lumière des failles du « modèle allemand »: un système dépassé ? .........................................31 B.2.1. Des critiques à l’égard des rigidités inhérentes aux mécanismes du consensus du « modèle allemand » .................................................................................................................................................................31 B.2.2. Des rigidités qui entravent la compétitivité des entreprises ? ...............................................................32 B.2.3. Le « modèle allemand », condamné à disparaitre ? ...............................................................................35

CHAPITRE.II. LA MISE EN PLACE D’UNE POLITIQUE DE COMPETITIVITE-SALAIRE PAR UNE REFORME DU MARCHE DU TRAVAIL

DANS LES ANNEES 2000 : VERS UNE HYBRIDATION DU « MODELE ALLEMAND .................................................................. 36 A. L’évolution des relations sociales par une réforme du marché du travail allemand : les lois Hartz ... 37

A.1. Les « réformes Hartz » au cœur des mesures d’adaptation du marché du travail face aux défis du 21ème

siècle 37

A.1.1. « The Third Way/Die neue Mitte »: le Manifeste Blair-Schröder comme prélude aux “réformes Hartz » 37 A.1.2. Les lois Hartz : des réformes de flexibilisation du marché du travail .....................................................39 A.1.3. L’Allemagne dans les crises mondiales et européennes : de la « lanterne rouge » à la « locomotive européenne » ............................................................................................................................................................41

A.2. Les « lois Hartz » : des mesures efficaces mais controversées ....................................................................45 A.2.1. Des mesures efficaces en termes de lutte contre le chômage ...............................................................46 A.2.2. Une politique de compétitivité par la pression sur les coûts salariaux ..................................................49 A.2.3. Des mesures controversées: des réformes responsables d’une hausse de la précarité? .....................52

B. Des conséquences sur les relations professionnelles de plus en plus controversées ......................... 53 B.1. Une évolution vers le « modèle anglo-saxon »…? ........................................................................................54

B.1.1. Des réformes à l’esprit social-libéral ? .....................................................................................................54 B.1.2. Le « modèle anglo-saxon », moteur des réformes de flexibilisation du marché du travail ? ...............55 B.1.3. Le « modèle allemand » remis en cause ? ...............................................................................................56

B.2. ...ou un retour aux sources du « modèle rhénan »? ......................................................................................57 B.2.1. La responsabilité individuelle placée au cœur des réformes ..................................................................58 B.2.2. La dimension sociale du système socio-économique allemand toujours présente ..............................59 B.2.3. La modération salariale, fruit de ce système consensuel .......................................................................62

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PARTIE II. : L’INTRODUCTION D’UN SALAIRE MINIMUM NATIONAL: SIMPLE CORRECTION DES EFFETS NEGATIFS DES « REFORMES HARTZ » OU EXPRESSION D’UN NOUVEAU CHANGEMENT DE CAP? ................... 65

CHAPITRE.I. LA MISE EN PLACE DU SALAIRE MINIMUM : L’EXPRESSION D’UN CHANGEMENT DE CAP ................................ 66 A. Le projet de loi sur l’introduction du salaire minimum : une solution qui a progressivement fait consensus ................................................................................................................................................ 66

A.1. Le salaire minimum : une solution qui a fait progressivement consensus en Allemagne à partir des années 90 ........................................................................................................................................................................66

A.1.1. L’Allemagne face aux critiques des institutions internationales et européennes .................................66 A.1.2. Le salaire minimum : une solution qui fait désormais consensus ..........................................................70 A.1.3. L’adoption du projet de loi sur l’introduction d’un salaire minimum généralisé en Allemagne ...........75

A.2. Les dispositions de la loi sur l’introduction d’un salaire minimum généralisé ............................................78 A.2.1. Le rôle de la «Mindestlohnkommission» .................................................................................................78 A.2.2. La période d’adaptation jusqu’à l'entrée en vigueur complète des dispositions de la loi ....................79 A.2.3. Le contrôle et l’évaluation des dispositions de la loi sur l’instauration sur le salaire minimum ...........82

B. Le projet de loi sur l’introduction du salaire minimum : la volonté de renforcer le système de la Tarifautonomie ........................................................................................................................................ 83

B.1. Les arguments des défenseurs de l’introduction d’un salaire minimum ....................................................83 B.1.1. Le salaire minimum existe dans la très grande majorité des pays .........................................................83 B.1.2. Le système de la Tarifautonomie mis à mal dans les années 90 ............................................................86 B.1.3. L’absence de salaire minimum cimente la précarité ...............................................................................91

B.2. Le salaire minimum: un instrument progressivement introduit dans certaines branches d’activité pour lutter contre l’évolution de la Tarifautonomie ..............................................................................................................96

B.2.1. L’introduction des salaires minimums de branche : une logique de contrepartie aux « lois Hartz » ...96 B.2.2. L’extension progressive des salaires minimum de branches ..................................................................98 B.2.3. Des branches et des Länder anticipant la future loi sur l’introduction du salaire minimum ..............102

CHAPITRE.II. LE SALAIRE MINIMUM: RENFORCEMENT OU AFFAIBLISSEMENT DU « MODELE ALLEMAND »? ................. 104 A. Le salaire minimum: une réponse efficace aux faiblesses du modèle allemand ? ........................... 104

A.1. Les effets du salaire minimum d’après les études internationales ............................................................104 A.1.1. L’étude des salaires minimum: des résultats contradictoires..............................................................104 A.1.2. Les études sur les effets du salaire minimum aux Etats-Unis ...............................................................108 A.1.3. Les études sur le salaire minimum dans les pays de l’Union Européenne ...........................................109

A.2. Les effets du salaire minimum en Allemagne .............................................................................................111 A.2.1. Les effets de l’introduction du salaire minimum dans les branches ....................................................112 A.2.2. Les possibles effets sur l’emploi de l’introduction du salaire minimum généralisé en Allemagne.....115 A.2.3. Les possibles effets du salaire minimums sur les coûts supportés par les entreprises .......................120

B. Après l’introduction d’un salaire minimum national: quelle avenir pour le « modèle allemand » ? 124 B.1. Le salaire minimum national : une remise en cause du principe des « lois Hartz » ? ...............................124

B.1.1. Une mesure a priori en opposition avec les réformes de flexibilisation du travail..............................124 B.1.2. Une mesure qui complète les réformes de flexibilisation du marché du travail .................................125 B.1.3. Une mesure qui devrait malgré tout laisser les entreprises conserver une certaine marge de manœuvre ...............................................................................................................................................................127

B.2. Le salaire minimum national: renforcement ou affaiblissement de la Tarifautonomie?..........................128 B.2.1. Le salaire minimum: une mesure qui, à première vue remettre en cause les bases du modèle allemand 128 B.2.2. Une loi qui laisse une place prépondérante aux acteurs de la Tarifautonomie ..................................129 B.2.3. Une intervention de l’Etat pour définir un changement d’orientation nécessaire .............................130

ANNEXES: ....................................................................................................................................................... 135

ANNEXE I : LE MANIFESTE BLAIR-SCHRÖDER .......................................................................................................... 135 ANNEXE II : LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DES « LOIS HARTZ » ................................................................................ 143 ANNEXE III : ENCADRE DU RAPPORT DU BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL 2012 ...................................................... 144 ANNEXE IV : LA LOI SUR LE SALAIRE MINIMUM (MILOG) EN SCHEMAS ........................................................................ 145

Annexe IV.A : Structure de la « Mindestlohnkommission » .................................................................................145 Annexe IV.B : Procédure de décision au sein de la « Mindestlohnkommission » ..............................................146 Annexe IV.C : Règles particulières à certains groupes..........................................................................................147

ANNEXE V: LES ETUDES SUR LE SALAIRE MINIMUM .................................................................................................. 148 Annexe V.A : Les effets du salaire minimum ..........................................................................................................148 Annexe V.B : Les effets du salaire minimum d’après les études regroupées par Neumann et Wascher (2006)

.......................................................................................................................................................................................149 Annexe V.C : Les effets du salaire minimum d’après les études regroupées par Bachmann et al. (2012) .....150

TABLE DES MATIERES ..................................................................................................................................... 152

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BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................................. 155

OUVRAGES/ REVUES ................................................................................................................................... 155 SITOGRAPHIE ............................................................................................................................................. 157

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selbst nennt keine Zahl, warnt aber vor „bedeutenden Arbeitsplatzverlusten“

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Résumé

L’objectif de cette analyse est de mener une réflexion sur l’évolution du « modèle

allemand » des relations sociales alors que celui-ci est présenté comme un exemple à

suivre ou à ne pas suivre depuis l’éclatement de la crise financière mondiale et de celle

de la zone euro. Se basant notamment sur les travaux de l’économiste français Michel

Albert, cette étude entend démontrer comment l’Allemagne a réagi face aux difficultés

de son système socio-économique traditionnel, mis à mal à la veille de son entrée dans

le XXIème siècle. L’analyse se focalise dans un premier temps sur les « réformes

Hartz » de flexibilisation du marché du travail, perçue comme une solution nécessaire

à la sortie de crise de l’Allemagne au début des années 2000, mais ont été accusées de

fragiliser d’autant plus les bases fondamentales du « modèle allemand ». Puis, dans un

second temps, elle se concentre sur les raisons de l’adoption récente de la loi sur

l’introduction du salaire minimum (MiLOG) qui semble constituer un nouveau

changement de cap dans l’évolution du « modèle allemand ». Il s’agit donc de

comprendre l’évolution du « modèle allemand » depuis une dizaine d’années à l’aune

de ces deux réformes phares.

Mots-clés :

modèle allemand

capitalisme rhénan

réformes Hartz

salaire minimum

flexibilité du travail

Tarifautonomie