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Résilience face au changement climatique Se faire entendre à Rio+20 Sécurité alimentaire au 21 ème siècle Juin 2012, volume 28.1 S P E C I A L E D I T I O N Des champs paysans à Rio+20 l’agro écologie en marche

Des champs paysansà Rio+20 - l’agro écologie en marche

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This special issue of Agriculturas provides an overview of the importance of small-scale farming and of an agro-ecological approach to agriculture, looking in detail at four key areas: food security, poverty alleviation, energy and climate change.

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Résilience face au changement climatique

Se faire entendre à Rio+20

Sécurité alimentaire au 21ème siècle

Juin 2012, volume 28.1

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Des champs paysans à Rio+20

l’agro écologie en marche

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6–9 novembre 2012 Addis-Abeba, Éthiopie

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des chaînes de valeur agricoles au profit des petits producteursresserrer les liens

Téléchargez l’application lecteur QR sur votre téléphone pour lire le code.

ET RENDEZ VOUS SUR NOTRE SITE WEB!

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Focus sur les producteurs

Davantage que des rendements plus élevés

traditionnellement, l’élevage a joué une partie intégrale des systèmes agricoles dans la partie indienne de l’Himalaya, mais les agriculteurs

font presque toujours face à une pénurie saisonnière aiguë de fourrage, ce qui se traduit par une faible production de lait, un bétail en mauvaise santé, un travail pénible pour les femmes et une dégrada-tion de la forêt. A présent, plus de 8.000 foyers des zones de colline de l’Uttarakhand participent à un programme de la Himmotthan Society en vue de promouvoir une gestion écologiquement viable et intégrée de l’élevage et sont en train de faire pous-ser diverses variétés de fourrage. La plupart des gra-minées fourragères introduites par le programme sont à feuilles persistantes, tandis que d’autres four-nissent suffisamment de fourrages secs nutritifs pour passer l’hiver. Le projet a participé à la préservation des forêts voisines et à l’augmentation de la teneur en humidité du sol. Et il ne s’est pas limité à encoura-ger la culture de fourrages, car il a aussi appuyé des

activités telles que la préservation des fourrages, de meilleures pratiques d’alimentation, le renforcement des capacités et la mobilisation communautaire. Aujourd’hui, plus de 1.500 agriculteurs ont mis en place de petites pépinières fourragères dans la zone du projet. En outre, des Groupements d’éleveurs ont été mis sur pied dans chaque village, permettant aux communautés de mettre en place un programme d’épargne et de crédits et de développer des micro-entreprises. Les familles d’agriculteurs ont augmenté leurs ventes en lait et ont également enregistré un accroissement du nombre de têtes de bétail. Mais il en résulte bien d’autres avantages plus importants et qui vont au-delà des rendements et des revenus : les questions écologiques font davantage l’objet de dis-cussions et de prise en charge, les familles contrac-tent des prêts et davantage d’enfants vont à l’école.

Texte et photo : Vishal Singh / Centre pour la Recherche et le Développement de l’Ecologie

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coNteNts

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3 Focus sur les producteurs

6 Introduction de la thématique: Des preuves à foison

8 La sécurité alimentaire eu vingt et unième siècle Jean Marc von der Weid

14 Des approches agroécologiques pour renforcer la résilience Clara Nicholls et Miguel Altieri

20 Intelligence organisationnelle du crowd sourcing : Capitaliser les expériences des OP Giel Ton

22 Interview : Manuel Gozalez de Molina

24 Evènement : Se faire entendre à Rio

26 Réduction de la pauvreté : Dignité, croissance économique ou juste une question d’argent P.V. Satheesh

32 Renforcer le débat pour une véritable transformation

34 Le dilemme de l’énergie Flemming Nielsen

40 Interview : Ann Waters-Bayer

42 Une approche systémique de la petite agriculture durable

Ce numéro a été produit avec

l’appui de l’Organisation

Mondiale pour l’Alimentation

(FAO) et le Réseau International

pour la Sécurité Alimentaire

(IFSN)

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ÉdItorIAl

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Nous ne savons pas encore ce que Rio+20 nous lèguera. Mais déjà, les préparati-fs ont déclenché un flot phénoménal d’informations à propos de la petite agriculture familiale et de l’agroécologie, même si la société civile en reste le

moteur principal. Plus que jamais auparavant, des preuves s’accumulent pour soutenir l’affirmation selon laquelle les systèmes agroécologiques sont productifs, résistants et viables. Pourtant, l’aveuglement quant à l’agriculture familia-le, c’est-à-dire cette incapacité à reconnaître les forces des familles d’agriculteurs, reste encore très répandu. En consé-quence, l’avenir de nombreuses communautés d’agriculteurs à travers le monde fait face à une menace inouïe. Comment franchir l’obstacle ? Il est à espérer que les discussions à Rio se concentreront davantage sur comment promouvoir la transition vers davantage de systèmes alimentaires viables, plutôt que de se demander si nous devons les promouvoir. Le sentiment général qui règne en ce moment est qu’il n’y a pas de temps à perdre, mais nous devons veiller à ne pas laisser ce sentiment d’urgence nous attirer dans le piège de la recherche de solutions technologiques rapides, souvent présentées comme la seule option pour nourrir le monde d’ici à 2050.

Dès 1992, notre magazine (qui s’appelait alors le Bulletin de l’ILEIA) publiait des articles sur les mêmes questions exactement dont nous débattons encore aujourd’hui. La souveraineté alimentaire est un thème clé. Via Campesina n’avait pas encore inventé le terme, mais les idées étaient bien là, dans l’esprit des agriculteurs et des auteurs d’articles publiés dans notre magazine. La gestion holistique des ressources, la synergie accrue entre éleveurs et agriculteurs, et le renforcement des systèmes semenciers locaux ont été préconisés comme stratégies cruciales pour vaincre la désertification. Alors quoi de neuf dans nos contributions au débat sur le changement climatique ? La question de l’énergie (quel type d’énergie utiliser : fossile, humaine ou bio ?) a également été traitée sans détour et le savoir d’expert des agricultrices a été reconnu.

Vingt ans plus tard, les expériences réussies sont abon-dantes, mais elles sont souvent restées localisées. La mise à l’échelle a constitué un défi majeur et continue de l’être.

le

changementviendra du champ et de la rue

L’une des principales explications de cet état de fait est que les politiques agricoles n’arrêtent pas d’encourager la pratique d’une agriculture tributaire des apports et technolo-gies externes. Toutefois, des exemples d’approches agricoles viables existent et qui ont vraiment été mis à l’échelle ; on pourrait penser au Système d’intensification de la rizicultu-re développé la toute première fois à Madagascar dans les années 1980. Nous avons publié un article à ce sujet en 1999 et de nombreuses réactions positives nous sont parvenues de la part de lecteurs qui l’ont testé directement. Aujourd’hui, des millions d’agriculteurs dans près de 50 pays pratiquent le SRI. Nombre d’affirmations bien documentées avancent que ce système conduit à un doublement des rendements et à une réduction de moitié de la quantité d’eau utilisée. Pourtant, de nombreux chercheurs travaillant sur le riz conti-nuent de s’interroger sur cette méthode. Pourquoi ?

Des changements profonds s’opèrent, à peine visibles, car échappant à l’oeil nu. Ouvrons donc les yeux plus largement et soyons plus perspicaces, pour voir la multitude de trans-formations qui, ensemble, forment le cadre d’un processus beaucoup plus grand et irrésistible de changement. Ce processus, déclenché par des familles d’agriculteurs et leurs organisations, représente une réponse cohérente à la crise agraire profonde qu’a provoqué le modèle agro-industriel.

Nous dédions cette édition spéciale Rio +20 à tous ces agriculteurs du monde qui ont fait le saut du changement vers une agriculture écologiquement saine, à ceux qui sont en train de le faire, et à ceux qui désirent le faire. Ce numéro est une production conjointe du AgriCultures Network, ou Réseau AgriCultures : nos rédacteurs du Brésil, du Pérou, du Sénégal, de l’Inde et des Pays-Bas ont tenté de présenter les histoires les plus édifiantes recueillies autour du globe. Nous espérons que vous les lirez avec plaisir, à Rio et à la maison !

Si vous n’êtes pas encore abonné à Farming Matters ou à l’une de nos éditions régionales, nous nous réjouissons d’avance de vous accueillir en tant que nouvel abonné. Nous vous prions de bien vouloir visiter notre site Web www.agriculturesnetwork.org

Edith van Walsum

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ÉdItorIAl

Vingt ans après le premier Sommet de la Terre de

1992, Rio de Janeiro abrite de nouveau une grande

conférence de l’ONU. Il est donc temps de se pencher sur les progrès

réalisés et de discuter des thématiques qui ont

émergé récemment.Marta Dabrowska

cette fois-ci, les thèmes de fond de la conférence vont s’articuler autour d’une «économie verte» dans le contexte du développement durable et de l’éradi-cation de la pauvreté, mais aussi du cadre institutionnel dudit développe-

ment. Toutefois, dès que l’on a annoncé la tenue de ce sommet, nombre de personnes se sont demandé à quoi bon organiser un autre sommet de la Terre si nous n’avons toujours pas rempli les engagements du premier. Par ailleurs, beaucoup de personnes redoutaient qu’une insistance sur une «économie verte» ne se traduise par une minimisation des multiples dimensions du dévelop-pement durable. Les doutes exprimés par les nombreux «Rio pessimistes» ont été compensés par les prises de position des «Rio optimistes» qui, à l’instar de Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’ONU, y voient plutôt une «opportunité unique pour notre génération».

L’ébauche zéro du document final a été présentée en janvier 2012, provoquant encore une fois une réaction. Nombre de personnes ont exprimé leur déception en raison du caractère général du document, de l’absence d’engagements en faveur d’un changement radical et de l’omission de plusieurs questions majeures, dont, entre autres, une référence à l’agroécologie comme alternative viable à l’agriculture conventionnelle. Les organisations de petits exploitants agricoles ont été heu-reuses de voir une proposition demandant le retrait des

subventions nuisibles à l’agriculture conventionnelle, mais ont tout de même critiqué le texte pour avoir évité une discussion sérieuse autour des grands problèmes que connaissent de nos jours les systèmes agricoles.

Jusqu’au bout, les organisations de la société civile se sont activement impliquées dans le processus de préparation en direction de la conférence. Toutefois, à mesure qu’il se confirmait que le document final de la conférence ne risquait pas de donner des engagements sérieux, beaucoup d’organisations ont commencé à se retirer du processus officiel pour accorder davantage d’attention à d’autres voies permettant de faire avancer leurs idées. Progressivement, beaucoup d’acteurs se sont rendus compte qu’il serait éventuellement possible de réaliser davantage en participant aux processus extérieurs aux négociations officielles. C’est ainsi qu’ils se sont concentrés moins sur la conférence officielle que sur les manifestations «off» organisées parallèlement, mettant en place des coalitions avec d’autres organisations et s’assurant de ce fait que toutes les discussions allaient se poursuivre après la conférence. Tout particulièrement, beaucoup d’organisations placent beaucoup d’espoir dans le processus de définition des Objectifs de Dévelop-pement durable susceptibles de remplacer les Objectifs du Millénaire pour le Développement en 2015.

est-ce vraiment vert (écologi-que) ? A la veille de la conférence, l’on conteste encore la signification d’une «économie verte». Pour le PNUE, une économie est verte (écologique) lorsque l’on est en face d’un système d’activités économiques liées à la production, la distribution et la consom-mation de biens et services qui se traduisent par une amélioration du bien-être des humains à long terme, tout en évitant d’exposer les générations futures à des pénuries écologiques et risques environnementaux significatifs. Cette définition se prête cependant à nombre d’interprétations. Gouvernements nationaux et agences de l’ONU ont tendance à appuyer des chan-gements modestes à l’intérieur des systèmes économi-ques existants, mettant l’accent sur des politiques et solutions technologiques qui rendraient la «croissance durable» possible. Beaucoup d’organisations de la société civile en appellent à des mesures plus radicales

des preuves à foison !

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et insistent sur la nécessité d’une transformation de l’ensemble du système économique. Elles plaident pour un «changement de paradigme» radical et en faveur de nouveaux modèles économiques qui placent au centre des préoccupations les dimensions sociales et environnementales. La question cependant est de savoir s’il nous faut de nouvelles idées ou plutôt un regard neuf sur les solutions déjà en place, lesquelles reconnaissent le potentiel des systèmes alternatifs qui ont été développés le long des années.

La lutte à propos de l’avenir de l’agriculture illustre à merveille ce débat. Tout le monde s’accorde pour dire que la production agricole doit être plus durable et que les petits exploitants, en particulier les femmes des zones rurales, doivent être reconnus et mieux considérés. Cependant, on note une forte polarisation des opinions portant sur les moyens de réaliser une production durable. L’un des modèles propose une «intensifica-tion durable» et se fonde sur le développement et la dissémination de technologies à base bio telles que les semences modifiées et la mécanisation de l’exploitation. Les partisans de ce modèle ne trouvent pas nécessaire de procéder à une profonde transformation du système d’agriculture «conventionnelle», ne prônant qu’une simple amélioration. L’autre modèle appelle à une tran-sition de l’agriculture conventionnelle, à base d’intrants, à des pratiques agricoles fondées sur des approches agro-écologiques. Il faudra alors un changement au niveau des modes actuels de penser la production alimentaire, laquelle est aujourd’hui axée sur un système alimentaire mondialisé et des pratiques culturales à grande échelle basées sur les intrants. Au lieu de nous investir en temps et en énergie dans «l’amélioration» des systèmes cultu-raux conventionnels, nous devrions étudier les possibili-tés d’un modèle alternatif, en envisageant une approche holistique à la gestion de l’exploitation.

et puis, est-ce vraiment nouveau ? Nombre d’organisations de la socié-té civile plaident en faveur d’une mise à l’échelle des approches agroécologiques et, se référant au rapport de l’IAASTD (Evaluation internationale des sciences et technologies agricoles pour le développement), soutiennent que ce serait là une solution aux problè-mes du monde. Le message principal du manifeste de «Time to Act» (Il est temps d’agir), signé par des orga-nisations de la société civile du monde entier, est que l’agriculture basée sur l’agro-écologie peut produire assez pour nourrir la population humaine croissante et participer à la création de systèmes sociaux plus justes et plus équitables.

Tout ceci pourrait sonner comme une surprise ou une «nouvelle» pour beaucoup. Cependant, cela fait plus de 27 ans que les organisations membres du réseau AgriCultures recueillent et partagent les témoignages justifiant ces revendications. Nos publications présen-tent régulièrement des études de cas montrant que l’agroécologie et l’agriculture durable sont au coeur du développement. Les avantages de l’agroécologie sont nombreux : une gestion holistique se traduit par des systèmes agricoles équilibrés dont les rendements sont suffisants, tout en prenant soin de l’environnement. Les systèmes agroécologiques sont moins polluants et plus riches du point de vue de la biodiversité. Ils main-tiennent les services de l’écosystème et préservent les ressources locales. Par ailleurs, ils peuvent participer à la réduction de la pauvreté. La grande majorité des paysans du monde, ces petits exploitants victimes des politiques tournées vers l’agriculture conventionnelle, profitent le plus de l’agroécologie. La quantité impressionnante de preuves est la principale raison pour laquelle, au cours des années, notre position reste invariable : un système de production alimentaire sain est la base du développe-ment durable.

Dans ce numéro de nos magazines, nous souhai-tons étudier les liens qui existent entre les pratiques agricoles et la sécurité alimentaire, le changement climatique, l’énergie et la pauvreté. Il s’agit là des quatre thématiques que l’ébauche zéro du document final a identifiées comme domaines prioritaires. Nous tentons de dépeindre les avantages d’un système agricole alternatif à partir de ces quatre perspectives, en nous inspirant de cette quantité impressionnante de témoignages rassemblés pendant plus d’un quart de siè-cle. Les articles du présent numéro montre la nécessité d’une mise à l’échelle des approches alternatives. Cette idée n’est pas nouvelle. Il est temps de la matérialiser !

Marta Dabrowska est une spécialiste en développement et en innovation rurale. Elle a coordonné le processus de préparation de Rio +20 pour ILEIA et le réseau AgriCultures. E-mail : [email protected]

Avons-nous besoin de nouvelles idées ou devrions-nous plutôt explorer les solutions déjà en cours ? Photo: TREES

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sÉcurItÉ AlIMeNtAIre

L’introduction des engrais chimiques et l’amélioration génétique scientifique des espèces cultivées au dernier quart du 19ème siècle annonçaient la possibilité de dépasser la limite malthusienne qui prédisait que l’expansion de la population mondiale finirait par être entravée par la capacité mondiale de production alimentaire. À la fin du 20ème siècle, cette promesse semblait s’être réalisée. Malgré l’expansion rapide de la population du monde, le nombre relatif de personnes souffrant de la faim avait progressivement diminué jusqu’aux environs de 840 millions.Jean Marc von der Weid

Malgré l’ampleur des problèmes nu-tritionnels du monde, l’analyse de l’insécurité alimentaire a indiqué non pas tant des déficits au niveau de la capacité de production, mais plutôt des difficultés profondes

que connaissent certaines populations pour accéder

à une nourriture suffisante et un régime alimentaire adéquat. Cette situation a cependant changé brusque-ment au début du 21ème siècle. À peine trois ans avant la date butoir de 2015 établie par la FAO pour réduire de moitié le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde, le spectre d’une faim endémique est revenu hanter le monde avec la résurgence de problèmes liés à la production alimentaire. Non seulement la réduction promise n’a pas eu lieu, mais le nombre absolu de personnes sous-alimentées a augmenté de plus d’un milliard. Cette situation se révèle être encore plus alar-mante si l’on considère que la production alimentaire devra augmenter de 100 % au milieu du 21ème siècle lorsque la population mondiale se stabilisera entre 9 et 10 milliards d’habitants selon les prévisions.

les racines de la crise de la production alimentaire Le système de production modernisé qui a si bien réussi à dépasser la limite malthusienne était porteur des germes de la crise actuelle. Premièrement, il a provoqué une énorme concentration de terres entre les mains de petits nom-bres de producteurs capitalistes et exclu des centaines de millions de petits exploitants de l’agriculture familiale et d’ouvriers agricoles. Cependant le plus grand point de vulnérabilité de ce système découle de sa dépendance à l’égard de l’utilisation non durable de deux ressources naturelles renouvelables et non renouvelables.

Les ressources renouvelables sont en train de s’épui-ser rapidement du fait de l’avancée de ce système et leur absence se fait déjà sentir. L’agriculture occupe maintenant près de 30 % de la superficie mondiale des terres avec un impact plus lourd sur les écosystèmes naturels que toute autre activité humaine. Parmi les 8,7 milliards d’hectares disponibles au niveau mondial pour la production de cultures, pâturages et forêts, 2 milliards ont été dégradés rien que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’agriculture consomme 70 % de toute l’eau utilisée dans les activités humai-nes. Les systèmes intensifs d’irrigation très répandus

la sécurité alimentaire

au vingt et unième siècle

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aujourd’hui dans diverses parties du monde sont en train d’épuiser les nappes aquifères. Des estimations semblent indiquer que 75 % de la biodiversité agricole ont disparu au cours du siècle dernier : en effet, une grande partie de cette perte a eu lieu au cours des 50 dernières années avec la substitution des variétés et espèces traditionnelles par des génotypes commer-ciaux, développés pour une utilisation à la plus grande échelle possible afin de maximiser les profits pour les entreprises du secteur génétique. Cette réduction de la variabilité génétique rend l’agriculture plus vulné-rable aux pertes causées par les insectes ravageurs et autres agents pathogènes. De même que la forte baisse de la variabilité génétique des espèces cultivées, des changements au niveau du système agro-alimentaire ont entraîné une réduction dans le nombre total des espèces consommées. Ensemble, ce rétrécissement de la base de l’alimentation et de la variabilité génétique contribuent de façon décisive à la perte de la souve-raineté alimentaire et à l’augmentation de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle.

La dégradation accélérée des ressources naturelles non renouvelables par l’agriculture conventionnelle constitue également un risque grave pour la capacité future à nourrir la population mondiale. Cette forme classique de production, ancrée dans les principes technico-scientifiques de la Révolution verte, dépend de l’utilisation intensive et systématique des combustibles fossiles et sources naturelles de phosphates et de potas-sium, ressources qui se raréfient sans cesse. La tendance à la hausse des prix pétroliers provoquée par l’épuise-ment des réserves mondiales gonfle directement les prix des aliments, ce qui reflète l’importance de cette source d’énergie dans la production d’engrais chimiques et de pesticides, ainsi que le fonctionnement des équipements agricoles et la transformation, le stockage, la réfrigéra-tion et le transport sur de longues distances des produits de l’exploitation.

Les prix des engrais ont augmenté de 5 à 7 fois entre 1999 et 2008, et, bien qu’ils soient tombés avec la récen-

te crise économique mondiale, ils restent 3 fois plus cher qu’au début du siècle et montrent une tendance claire à la hausse. Les coûts des pesticides ont également conti-nué de monter en flèche, tirés vers la hausse par les prix élevés du pétrole. Cependant, ces intrants contribuent également à la hausse des prix alimentaires en raison de leur inefficacité croissante à maîtriser les organismes «indésirables». Malgré l’augmentation systématique du volume de pesticides appliqués aux cultures, les taux de perte de récolte ont augmenté au cours des dernières décennies Depuis le début des années 1990, le déséqui-libre n’a fait que s’aggraver, notamment en raison de la résistance croissante des ravageurs et des mauvaises herbes à l’utilisation des pesticides, suite à l’introduction de cultures transgéniques.

l’alternative agroécologique Au cours des deux dernières décennies du 20ème siècle, un mouvement mondial a pris forme dans le but de défendre et de promouvoir des formes plus durables de production agricole. Cette nouvelle dynamique a été complètement décentralisée et diversifiée, se faisant dési-gner par une variété de noms et des concepts. S’opposant explicitement au modèle conventionnel de développe-ment agricole fondé sur le paradigme de la Révolution verte, le mouvement a été initialement identifié comme une «agriculture alternative». À partir des années 1990, cependant, et surtout en Amérique latine, cette déno-mination vague a été remplacée par le terme “agroéco-logie”. Définie comme une science qui applique des concepts et principes écologiques à la conception des écosystèmes agricoles durables, l’agroécologie insiste sur le développement et l’entretien de processus écologiques complexes capables de renforcer la fertilité des sols, ainsi que la productivité et la santé des cultures et du bétail. Le degré de rupture d’avec les systèmes conventionnels varie considérablement au sein des initiatives pour la promotion de l’agroécologie, allant de mesures simples pour réduire ou remplacer l’utilisation d’engrais et de pesticides chimiques à la restructuration complète de la

la sécurité alimentaire

résultants d’un processus d’innovation local, les agro-écosystèmes comportent une forte spécificité locale. Photos : Thomas Bernet, Arno Maatman

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>> sÉcurItÉ AlIMeNtAIre

logique de l’organisation technique et économique des écosystèmes agricoles. À ses stades de développement les plus avancés, un écosystème agricole conçu en confor-mité avec les principes agroécologiques établira une correspondance structurelle et fonctionnelle forte avec les écosystèmes naturels dans lesquels il est ancré.

Le degré élevé de spécificité locale signifie que le développement des écosystèmes agricoles basé sur une approche agroécologique implique une forte contribu-tion de la dynamique locale d’innovation, plutôt que de la diffusion de solutions techniques universelles sous la forme de paquets, tel que supposé dans le paradigme de la Révolution verte.

La recherche de l’efficacité agroécologique repose sur le maintien des écosystèmes agricoles avec une forte diversification des races de bétail et des cultures plantées, ce qui se réalise au moyen de combinaisons, rotations et successions culturales. La gestion de la complexité inhérente à ce type de système agricole fixe des limites sur la taille des unités de production et sur les possibilités de mécanisation des travaux agricoles. Pour cette raison, le système exige une main-d’œuvre hautement qualifiée et souple, attentive aux questions minutieuses de gestion, ce qui signifie qu’ici, la main-d’oeuvre est inséparable de la gestion du système. Contrairement aux systèmes conventionnels et leur dépendance vis-à-vis de l’utilisation intensive du capital et dans lesquels le travail est essentielle-ment mécanique et distinct du processus de gestion, la gestion agroécologique est intensive en main-d’œuvre qualifiée. Les petites et moyennes unités familiales sont en mesure d’intégrer le travail et la gestion dans un processus indivisible, condition de base pour gérer la complexité inhérente à la pratique agroécologique. Même si les principes agroécologiques peuvent être employés par les grands producteurs du secteur privé, le niveau d’efficacité économique et écologique de ces grandes unités de production tend à être beaucoup plus faible par rapport aux petites unités familiales. En somme : l’agriculture paysanne familiale est la base so-cioculturelle idéale pour la promotion de l’alternative agroécologique à grande échelle.

potentiel de l’agroécologie à relever le défi de l’alimentation au 21ème siècle Selon une enquête menée par Jules Pretty, chercheur à l’Université de Sussex, plus de 1,4 millions d’agriculteurs à travers le monde ont adopté des approches agroécologiques. Son étude a identifié des augmentations moyennes de 100 % de la productivité de centaines de projets après l’adoption de ces principes avec des augmentations record de 400 % dans des situations plus avancées de transition agroécologique. De même que de bons niveaux de productivité, les systèmes gérés à l’aide d’une appro-che agroécologique apportent une réponse positive à

d’autres facteurs responsables de la crise de l’agricul-ture conventionnelle : ils ont un bilan énergétique positif et un taux d’épargne élevé d’énergie provenant de combustibles fossiles ; ils sont économes en eau ; ils récupèrent et conservent la fertilité du sol, sans intrants externes, tout en étant résistants aux processus d’érosion des sols ; ils fonctionnent comme des «puits de carbone» et n’émettent que peu ou pas de gaz à effet de serre ; ils sont fonctionnellement intégrés à la végétation naturelle, fournissant une plus grande stabilité aux microclimats locaux et ils sont exempts de contamination chimique causée par des pesticides et engrais solubles chimiques, ainsi que la pollution génétique provoquée par les OGM.

Dans leur ensemble, ces effets positifs indiquent que la promotion de l’agroécologie est une stratégie cohéren-te de fournir une réponse globale à la crise structurelle du modèle de l’agriculture conventionnelle, à commen-cer par le défi de nourrir une population mondiale en expansion dans des conditions adéquates et durables. En effet, ce potentiel a été confirmé par l’Évaluation inter-nationale des sciences et technologies agricoles pour le développement (IASSTD), une initiative financée par des entités liées à l’Organisation des Nations Unies, qui a combiné les efforts d’un groupe de 400 chercheurs de divers domaines de connaissance sur une période de trois ans dans les pays de chaque continent (IASSTD 2009). Plus explicitement encore, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit humain à l’alimentation a publié une déclaration en 2010 dans laquelle il soutient que l’agroécologie peut simultanément accroître la pro-ductivité agricole et la sécurité alimentaire, améliorer le revenu des petits agriculteurs et contenir la tendance à

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l’érosion génétique causée par l’agriculture industrielle (De Schutter 2010).

un défi politique Le principal défi à l’adoption généralisée de l’approche agroécologique n’est pas technique mais politique. Il implique la nécessité de surmonter la puissance politique, écono-mique et idéologique des secteurs agro-alimentaires qui sont les moteurs de l’expansion continue du modèle d’agriculture industrielle. Parmi les autres effets négatifs, la dynamique expansionniste du modèle agro-industriel a été le principal facteur responsable de la disparition de la petite agriculture familiale dans le monde. Cette disparition ne signifie pas seulement moins d’unités de production familiales capables de se tourner vers la transition agroécologique, elle implique aussi la perte de la culture des populations et communautés rurales traditionnelles, un élément essentiel à la construction de connaissances agroécologiques adaptées à la plus grande variété de contextes socio-environnementaux.

La crise engendrée par le caractère non durable de l’agriculture mondialisée fondée sur des monocultures industrialisées a été masquée par la hausse constante des subventions publiques en faveur de l’agro-industrie. Cependant l’accentuation permanente de cette crise, avec la diminution continue des ressources naturelles et l’augmentation de la demande mondiale en produits alimentaires, est un fait inéluctable que plus personne ne conteste. Dans le cadre du prochain Sommet de Rio +20, les mesures concrètes à prendre pour éviter à l’humanité la menace dans un futur proche de ce scénario fort nébuleux.

Dans la pratique, la question est de savoir : comment pouvons-nous identifier les conditions nécessaires à l’agroécologie pour remplacer le modèle de l’agro-industrie ? Une évaluation menée aux États-Unis a révélé que 40 millions d’unités de production seraient nécessaires pour que la production agro-industrielle américaine soit remplacée par l’agriculture familiale si l’on se base sur des approches agroécologiques. Dans la mesure où le nombre actuel des unités agricoles aux États-Unis ne dépasse guère 2 millions, cette différence devrait être comblée par les «nouveaux paysans». Les problèmes d’intégration de ces nouveaux contingents

de la population dans l’activité agricole rendraient cette transition très difficile et douloureuse pour la société américaine.

En dépit de son caractère radical, cette proposition n’est pas déraisonnable. L’histoire a déjà vu l’exemple de Cuba, un pays contraint de créer une nouvelle classe de paysans après l’arrêt brusque de la fourniture d’intrants et d’énergie partiellement subventionnés par l’Union soviétique et les pays d’Europe de l’Est. Les premières difficultés auxquelles ont été confrontés les néo-paysans cubains dans l’apprentissage des principes et pratiques de l’agroécologie ont été en partie respon-sables de la baisse de l’efficacité du système national de production alimentaire pendant quelques années et le déficit de l’offre qui s’en est suivi : des conséquences sociales plus graves n’ont pu être évitées que grâce à la capacité du gouvernement à distribuer la nourriture disponible à l’ensemble de la population.

L’expérience cubaine a sonné une alerte planétaire sur l’énormité des défis auxquels l’humanité dans son ensemble est confrontée. Dans de nombreux pays, il existe encore des paysans agriculteurs disposant de connaissances essentielles au développement de l’agro-écologie, dès lors qu’ils ont l’appui de politiques pu-bliques adéquates. Mais dans de nombreuses régions, des politiques doivent être adoptées d’urgence pour protéger ou rétablir l’agriculture paysanne à travers des réformes agraires et des mesures qui garantissent les droits territoriaux.

Plus tôt ces mesures seront mises en œuvre pour promouvoir des systèmes agroalimentaires développées autour de l’agriculture paysanne basée sur l’agroécolo-gie, moins douloureuse sera la transition d’une écono-mie basée sur l’énergie à base de combustibles fossiles à une économie effectivement durable.

Jean Marc Von der Weid travaille en qualité de Coordonna-teur du Programme AS-PTA de politiques publiques.E-mail : [email protected]

référencesDE SCHUTTER O (2010) Rapport présenté par le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation. Assemblée générale des Na-tions. Seizième session du Conseil des droits de l’homme, Point 3 de l’Ordre du jour A/HRC/16/49

l’agroécologie peut simultanément augmenter la productivité agricole, la sécurité alimentaire et les revenus et limiter l’érosion génétique causée par l’agriculture industrielle. Photos: Sofia Naranjo, Salibo Some, Kodjo Kondo/IFDC

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>> sÉcurItÉ AlIMeNtAIre

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Dilrukshi Hashini Galhena, Gunasingham Mikunthan et Karim Maredia

En raison surtout de la longue guerre civile, la sé-curité alimentaire reste un défi majeur au Sri Lanka, particulièrement dans la région du Nord. En 2007, le gouvernement central a lancé une campagne appelée Api wawamu rata nagamu (“Cultivons et construisons le pays”) pour encourager l’adop-tion de jardins potagers comme approche testée et efficace. Au cours des deux dernières années, différents programmes ont permis de mettre sur pied plus de 300 jardins potagers dans les zones touchées par la guerre. Ces programmes ciblent principalement les ménages défavorisés parmi les-quels les pauvres en ressources, les réinstallés et les femmes chefs de famille. Au Sri Lanka, le jardi-nage est une pratique séculaire. Aujourd’hui, ces jardins potagers participent à l’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle et aux moyens de subsistance de plusieurs façons différentes. Les activités d’élevage et de production agricole do-mestiques complètent la disponibilité des stocks alimentaires et leur accessibilité aux ménages par le biais de la fourniture d’une gamme variée de légu-mes frais, de fruits, racines et tubercules, ainsi que de produits animaux pour la famille. Les jardins po-tagers offrent un accès facile à la nourriture tout au long de l’année, à un coût nettement moindre que ceux du marché local. Par ailleurs, certaines familles ont réussi à lancer une entreprise domestique en vendant leur surplus de production. L’adoption de techniques simples de valeur ajoutée telles que les techniques de transformation et d’emballage peu-vent améliorer davantage les possibilités de com-

mercialisation et la valeur nette des produits des jardins potagers, permettant ainsi aux familles de générer des revenus supplémentaires. Les jardins potagers ont d’autres avantages, outre les avantages principaux ci-dessus. Ils exigent moins de ressources que l’agriculture commerciale et parce qu’ils peuvent être étendus et gérés facile-ment, ils induisent des taux plus élevés d’efficacité énergétique. Par ailleurs, il est possible d’augmen-ter de manière systématique la productivité des jar-dins potagers en adoptant des pratiques écologi-ques. Ces pratiques permettent de réduire certains des effets environnementaux et sanitaires indési-rables courants dans la région Nord. Par exemple, les pratiques de gestion des déchets ménagers permettent de convertir les restes de cuisine et les déjections animales en engrais organiques et paillis pour le jardin potager. Des pratiques de lutte anti-parasitaire intégrée (IPM) simples telles que l’incor-poration des plantes à fleurs, plantes médicinales, herbes et diversification des cultures contribuent à la réduction des infestations dues aux ravageurs et aux maladies et en même temps permettent de conserver la biodiversité et les ennemis naturels tout en améliorant les services écosystémiques. Etant donné la longue saison sèche et la quantité des terres marginales au Nord du Sri Lanka, l’inté-gration du matériau organique va ajouter aux ni-veaux de nutriments et enrichir l’humidité et la qua-lité du sol. En dépit des contraintes auxquelles sont soumises les ressources foncières, des technologies simples comme le «jardinage vertical» ont rendu le jardinage possible tant dans les zones urbaines que rurales. A long terme, ces pratiques écologique-ment rationnelles ne vont pas seulement se traduire par une production alimentaire durable, mais aussi à un certain nombre de services écosystémiques supplémentaires. L’initiative des jardins potagers implique également un effort de renforcement des communautés locales et d’aide à la constitution de communautés pacifiques. La longue guerre civile a été très préjudiciable au bien-être des gens du Nord et les jardins potagers pourraient servir de plate-forme viable pour instaurer la solidarité, la justice sociale, et l’équité en particulier pour les couches défavorisées et vulnérables de la population.

Dilrukshi Hashini Galhena, Gunasingham Mikunthan et Karim MarediaE-mail : [email protected]

Jardins potagers : pour renforcer la sécurité alimentaire au Sri Lanka

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Roberval Silva, Paula Almeida, Luciano Silveira et Marilene Melo

Pólo (Pólo Union of Borborema) est un réseau d’or-ganisations paysannes comprenant des syndicats, des associations et des groupes informels de plus de 16 municipalités de l’intérieur du Paraíba, État du Nord-est du Brésil. En décembre 2005, Pólo travaillait avec quelque 4.000 familles paysannes de l’intérieur du Paraíba afin d’améliorer leurs pra-tiques agricoles. Par un processus intensif d’expé-rimentation et d’échange de connaissances, de petits exploitants ont redécouvert des méthodes traditionnelles telles que l’utilisation des variétés locales de semences ; le recours à plusieurs cultu-res ; l’organisation de banques de semences com-munautaires ; le développement de vergers plan-tés de légumes et plantes médicinales et la mise à l’essai et l’utilisation de divers engrais et pestici-des naturels. Pour éviter les pénuries alimentaires pendant la saison sèche, ils ont stocké de l’eau et (transformé) des aliments produits dans leurs ex-ploitations. Pour sensibiliser davantage sur le concept de sé-curité alimentaire et établir la relation entre cette dernière et la réalité locale, la Troupe théâtrale de Pólo a joué une pièce qui reflète deux réalités très différentes : une famille qui a amélioré ses sources d’alimentation avec de maigres ressources en par-ticipant activement aux programmes d’innovation agroécologiques et la réalité de l’autre famille qui vit encore dans une situation d’extrême précarité alimentaire. En laissant les tribulations quotidien-nes parler d’elles-mêmes, le public a pu réfléchir de manière critique sur ces réalités. Grâce à sa participation active à des réseaux plus importants, à l’instar du Réseau semi-aride de Pa-raíba, et à la concertation qu’elle a engagée avec les autorités gouvernementales au niveau régional et fédéral, Pólo a incontestablement réussi à pe-ser sur les politiques relatives à la sécurité alimen-taire. Pour exemple, Pólo et le Réseau semi-aride de l’État de Paraíba ont reçu une invitation pour participer au processus d’élaboration de projets de politique à la Conférence nationale sur la sé-

curité alimentaire et nutritionnelle où ils ont joué leur pièce. En outre, les documents de politique générale qui ont été rédigés lors d’une réunion avec les dirigeants syndicaux et communautaires, contestant l’environnement politique actuel, ont été utilisés dans une initiative du gouvernement visant à lutter contre la faim, la misère et les ra-cines de l’exclusion sociale. Depuis l’intérieur de Borborema, les idées de ces agriculteurs se sont propagées dans l’ensemble de l’État du Paraíba pour finalement atteindre toute la région semi-aride du Brésil. En outre, Pólo a rejoint le Réseau national des ban-ques de semences du Réseau semi-aride de l’État de Paraíba, où ils ont conclu des accords avec le gouvernement de l’État de Paraíba pour fournir des variétés locales aux banques de semences. A travers ces banques, les familles sont sûres de re-cevoir des semences de qualité au bon moment, ce qui leur permet d’éviter les risques d’une in-sécurité alimentaire pour avoir raté les meilleures dates de semis et de perte de toute une année agricole. L’ensemble de ce processus a démontré que les questions liées à une meilleure sécurité alimen-taire ne sont pas uniquement d’ordre technique et que l’environnement politique peut être influencé en faisant appel à la créativité des individus, grou-pes et réseaux dans le but d’améliorer leur qualité de vie.

Cet article est paru dans le numéro 21.4 du magazine LEISA de décembre 2005. Roberval Silva, Paula Almeida, Luciano Silveira et Marilene Melo ont travaillé pour le programme du Paraiba de Assessoria e Serviços a Projetos em Agricultura Alternativa (AS-PTA) à Esperança, Paraíba, Brésil. E-mail : [email protected]

Pólo de Borborema

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cHANGeMeNt clIMAtIQue

les efforts consentis pour renforcer l’adapta-bilité de l’agriculture industrielle aux condi-tions climatiques extrêmes et changeantes restent négligeables, hormis l’attention portée aux « solutions miracles » telles que la modification génétique, processus dans

lequel les cultures sont censées se développer dans des milieux hostiles. Quasiment aucune initiative n’a été prise en matière de conception de pratiques de gestion pour une résilience renforcée des monocultures au changement climatique. L’efficacité des pratiques et projets agroécologiques n’est pourtant plus à démon-trer. En effet, de nombreuses études révèlent que les petits exploitants agricoles adeptes des pratiques agroécologiques arrivent à faire face, voire à anticiper, les changements climatiques et à réduire ainsi les risques de mauvaises récoltes. D’après les résultats de nombreuses études, ces pratiques offrent une meilleure résistance aux conditions climatiques grâce à des mé-

des approches agroécologiques pour renforcer la résilience

thodes efficaces de réduction de la vulnérabilité et de renforcement de l’agriculture durable.

Forts de ces données, de nombreux spécialistes ont recommandé le sauvetage des systèmes de gestion tra-ditionnels, doublé de l’application de stratégies de ges-tion agroécologiques, comme étant sans doute le seul moyen viable et solide pour accroître la productivité, la durabilité et la résilience de la production agricole. Dans le présent article, nous étudions un certain nom-bre de méthodes de mise en œuvre de ces stratégies dans la conception et la gestion des écosystèmes agri-coles afin de permettre aux agriculteurs d’adopter une stratégie porteuse d’avantages économiques à la clé.

des systèmes agricoles divers D’après les résultats d’analyses détaillées des perfor-mances agricoles suite à des phénomènes météoro-logiques extrêmes, la résilience aux intempéries est étroitement liée à la richesse de la biodiversité de

L’approche Révolution verte a donné de bons résultats dans les zones riches en ressources dotées d’un climat stable et d’une énergie bon marché. Des millions d’hectares ont été transformés en des systèmes agricoles à grande échelle, spécialisés et tributaires des intrants. Toutefois, les engrais, les pesticides, le matériel agricole, ou encore le carburant nécessaires proviennent de combustibles fossiles épuisables et de plus en plus onéreux. En outre, les conditions climatiques extrêmes deviennent plus fréquentes, tandis que ces systèmes agricoles intensifs s’affaiblissent et deviennent plus vulnérables. Heureusement, des alternatives sont en place pour renforcer la résilience et garantir des rendements élevés. Clara Ines Nicholls et Miguel A. Altieri

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des approches agroécologiques pour renforcer la résilience

l’exploitation agricole. Selon une enquête menée dans les collines de l’Amérique centrale après le passage de l’ouragan Mitch, les agriculteurs fidèles aux pratiques de diversification (cultures de couverture, cultures intercalaires et agroforesterie) ont subi moins de dégâts que leurs voisins partisans de la monoculture classique. Une étude sur plus de 1 800 exploitations agricoles « durables » et « classiques » proches les unes des autres au Nicaragua, au Honduras et au Guatemala a révélé que les parcelles « durables » disposaient de 20 à 40 % de couche arable supplémentaire, bénéficiaient d’une plus grande humidité du sol et souffraient moins de l’érosion, et ont également enregistré moins de pertes économiques que les exploitations classiques voi-sines. De même, les plantations de café au Mexique, forts de leur complexité et de leur diversité en espèces végétales, ont subi moins de dégâts du cyclone Stan. Par ailleurs, 40 jours après le passage du cyclone Ike à Cuba en 2008, les chercheurs ont constaté que les exploitations diversifiées ont essuyé des pertes de 50 %, tandis que les monocultures voisines ont subi 90 % voire 100 % de pertes. De même, les exploitations agro-écologiques ont retrouvé plus rapidement la voie de la productivité que les exploitations monoculturales.

Ces exemples, parmi tant d’autres, démontrent à quel point les écosystèmes agricoles complexes sont à même de s’adapter et de résister aux effets du chan-gement climatique. Les systèmes agroforestiers ont prouvé leur capacité à protéger les cultures contre les graves changements de température grâce au maintien de celles-ci dans leurs conditions quasi optimales. De plus en plus de systèmes de culture du café d’ombre se sont révélé efficaces dans la protection des cultures contre la baisse des précipitations et la réduction de la disponibilité en eau du sol grâce à l’action de la voûte végétale (étage supérieur du couvert végétal) qui réduit l’évaporation du sol et renforce l’infiltration

de l’eau dans le sol. Dans le même temps, les cultures intercalaires permettent aux agriculteurs de produire simultanément des cultures différentes et de réduire les risques. Les rendements des polycultures sont plus stables et sont moins susceptibles à des baisses de pro-ductivité en période de sécheresse. Selon une étude de l’impact de la sécheresse (Natarajan et Willey, 1986) sur les polycultures, les cultures intercalaires s’avèrent énormément efficaces. Il est très intéressant de noter que le taux de sur-rendement a en fait augmenté avec le stress hydrique, ce qui indique que les différences relatives en termes de productivité entre les monocul-tures et les polycultures sont plus significatives avec l’augmentation du déficit en eau.

Les systèmes sylvo-pastoraux intensifs qui combinent arbres, palmiers, pâturages et arbustes fourragers plan-tés à des densités élevées constituent un autre exemple. La rotation des pâturages permet d’atteindre de fortes densités d’élevage et favorise la production naturelle de lait et de viande dans ces systèmes. Dans l’exploitation agricole d’El Hatico, dans le Cauca, en Colombie, un systèmes sylvo-pastoral intensif à cinq étages composé d’une couche d’herbes, d’arbustes leucaena, d’arbres de taille moyenne et d’un auvent de grands arbres a, au cours des 18 dernières années, permis d’augmenter les taux de charge à 4,3 vaches laitières par hectare et la production laitière de 130 %, mais également à éliminer complètement l’utilisation d’engrais chimi-ques. Même si 2009 a été l’année la plus sèche à El Hatico depuis 40 ans, et que les agriculteurs ont connu une réduction de 25 % de la biomasse des pâturages, la production de fourrage est restée constante tout au long de l’année, neutralisant les effets négatifs de la sécheresse sur l’ensemble du système. Pour faire face aux conditions climatiques extrêmes, les agriculteurs ont dû ajuster leurs taux de charge. Cette mesure n’a pas empêché l’exploitation d’enregistrer, en 2009, la plus forte production laitière jamais réalisée, avec une augmentation surprenante de 10 % par rapport aux quatre années précédentes. Parallèlement, les agricul-teurs d’autres régions du pays ont signalé des pertes de poids considérables et des taux de mortalité élevés chez les animaux en raison de la famine et de la soif.

Les avantages combinés de la gestion rationnelle de l’eau, du microclimat favorable, de la biodiversité et des stocks de carbone dans les systèmes agricoles diver-sifiés décrits ci-dessus, fournissent non seulement des biens et services environnementaux pour les produc-teurs, mais également une plus grande résilience au changement climatique.

renforcement de la matière or-ganique du sol (Mos) La productivité des cultures dans des conditions arides souffre énor-mément du manque d’eau dans le sol. Le pourcentage de matière organique du sol, également appelé teneur

les stratégies organisationnelles au niveau social sont un élément clé de la résilience. Photo : Paul Mapfumo

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en MOS, est un indicateur fiable de la productivité des cultures dans les régions semi-arides, car la MOS renforce la capacité du sol à stocker et à transmettre l’air et l’eau.

L’ajout régulier de grandes quantités de matière organique constitue une autre stratégie clé appliquée par de nombreux agriculteurs. La gestion de la matière organique du sol s’inscrit au cœur de tous les efforts en faveur de sols sains bénéficiant d’une activité biologi-que dynamique et de bonnes caractéristiques physi-ques et chimiques. La MOS joue un rôle vital dans la résilience en accroissant la capacité du sol à retenir l’eau, ce qui renforce la tolérance à la sécheresse et améliore l’infiltration, tout en empêchant le lessivage des particules du sol par les pluies intenses. La MOS améliore également l’agrégation du sol en retenant fermement les particules de celui-ci en cas de pluie ou de tempêtes de vent.

Dans le même temps, les sols riches en matière organique contiennent généralement des champignons mycorhiziens symbiotiques, tels que les champignons mycorhiziens arbusculaires, éléments clés des popula-tions microbiennes qui influencent la croissance des plantes et la productivité des sols. Les champignons mycorhiziens arbusculaires sont essentiels dans la me-sure où ils améliorent les interactions entre les plantes et l’eau et renforcent par conséquent la résistance à la sécheresse. Cette capacité de résistance qu’offre la symbiose spécifique entre les champignons et les plan-tes constitue un atout majeur dans les zones touchées par le manque d’eau : l’infection des champignons mycorhiziens arbusculaires augmenterait l’absorption des nutriments dans les plantes en situation de stress hydrique et permettrait aux plantes d’utiliser l’eau de manière plus rationnelle.

Gestion de la couverture du sol La protection du sol contre l’érosion constitue égale-ment une stratégie fondamentale pour améliorer la résilience. Le paillage des cultures de couverture et les engrais verts offrent de nombreux avantages. Le paillage du chaume perturbe le processus de dessèche-ment du sol en protégeant la surface du sol à l’aide des résidus. Il permet de réduire la vitesse du vent jusqu’à 99 % et de ramener par conséquent les pertes dues à l’évaporation à des proportions minimales. En outre, les cultures de couverture et les résidus d’herbes peu-vent améliorer la pénétration de l’eau et diminuer de 2 à 6 fois les pertes par ruissellement d’eau.

Partout en Amérique centrale, CIDDICO, Vecinos Mundiales et d’autres ONG ont encouragé l’utilisation de légumineuses à grains comme engrais verts, une source peu coûteuse d’engrais bio et un moyen d’accu-muler de la matière organique. Des centaines d’agri-culteurs de la côte nord du Honduras utilisent le pois mascate (Mucuna pruriens) et obtiennent d’excellents

REDAGRESREDAGRES (Red Iberoamericana de Agroecologia para el Desarrollo de Sistemas Agricolas Resilien-tes al Cambio Climatico - Réseau ibéro-américain d’agroécologie pour le développement de systè-mes agricoles résilients au changement climatique) est un réseau de scientifiques et de chercheurs basé dans 8 pays dont les objectifs consistent à promouvoir l’échange de connaissances et d’infor-mations relatives à l’agriculture et au changement climatique. En plus d’analyser l’impact du change-ment climatique sur la production agricole, REDA-GRES privilégie l’étude de différentes stratégies d’adaptation aux conditions climatiques extrêmes et l’application des principes agroécologiques pour la conception et la mise à l’échelle d’écosys-tèmes agricoles résilients face au changement cli-matique.Il y a quelques mois, REDAGRES a lancé un projet biennal dans le cadre duquel il a mené une enquê-te sur les systèmes agricoles à petite échelle dans certaines régions d’Amérique latine afin d’identifier les systèmes qui ont résisté aux conditions climati-ques récemment ou dans le passé et de compren-dre leurs principales caractéristiques. Les nouveaux principes sont vulgarisés dans les familles agricoles des communautés avoisinantes et d’autres familles dans la région par le biais de journées sur le ter-rain, de visites croisées, de cours et de séminaires de courte durée, mais également par l’élaboration d’un manuel de l’agriculteur convivial décrivant comment évaluer le niveau de résilience de chaque exploitation agricole et proposant des méthodes de renforcement de la résistance.

résultats, notamment des rendements de maïs d’en-viron 3 000 kg/ha, soit plus du double de la moyenne nationale. Ces haricots produisent près de 30 tonnes/ha de biomasse par an, soit environ 90 à 100 kg N/ha par an. Le système réduit le stress hydrique, car la couche de paillis laissée par le Mucuna permet de conserver l’eau dans le sol, ce qui rend les nutriments facilement disponibles pour les cultures pendant les périodes d’absorption intense.

Aujourd’hui, plus de 125 000 agriculteurs utilisent les engrais verts et les cultures de couverture à Santa Catarina au Brésil. Les familles agricoles des collines ont modifié le système classique sans labourage en com-mençant par laisser les résidus végétaux sur la surface du sol. Ils ont constaté ainsi une réduction dans l’érosion du sol et ont également subi moins de fluctuations au niveau de l’humidité et de la température du sol. Les applications répétées de biomasse fraîche ont contribué à l’enrichissement des sols, à la réduction de l’érosion et de la croissance des mauvaises herbes, ainsi qu’à l’amé-

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lioration des performances des cultures. Ces nouveaux systèmes s’appuient sur les mélanges des cultures de couverture de l’hiver comme de l’été qui laissent un résidu épais sur lequel les cultures comme le maïs, les haricots, le blé, les oignons ou les tomates sont directe-ment semés ou plantés, ce qui réduit considérablement l’impact de l’interférence des mauvaises herbes pendant la saison de croissance. Durant la saison 2008-2009, marquée par une grave sécheresse, les producteurs de maïs classiques ont enregistré en moyenne une perte de rendement de 50 %, soit des niveaux de productivité de 4 500 kilos par hectare. Toutefois, les producteurs qui étaient passés aux pratiques agroécologiques sans labourage n’ont connu que 20 % de perte, confirmant la meilleure résilience de ces systèmes.

la résilience sociale en plus De plus en plus de peuplements végétaux résistent mieux aux perturbations et sont plus résilients face aux pertur-bations de l’environnement dues aux violentes intem-péries. La diversification des cultures représente sans aucun doute une stratégie à long terme pour les agri-culteurs en proie à une météo imprévisible. Le recours à la diversification au sein des systèmes agricoles peut réduire considérablement la vulnérabilité des systèmes de production, tout en protégeant agriculteurs et pro-duction agricole. Les agriculteurs partisans de la diver-sité comme stratégie de gestion des cultures ajoutent en général de grandes quantités de matière organique dans leurs sols pour renforcer davantage la capacité en eau de ces derniers. La gestion des cultures de couverture et des engrais verts permet non seulement d’améliorer la couverture des sols grâce à la protection contre l’érosion, mais elle ajoute également de la biomasse qui, à son tour, contribue à l’augmentation de la teneur en MOS.

Les stratégies efficaces pour la résilience écologique des systèmes agricoles sont essentielles, mais elles ne suffisent pas à atteindre la durabilité. La résilience sociale, définie comme la capacité des groupes ou com-munautés à s’adapter aux conditions sociales, politiques ou environnementales externes, doit aller de pair avec la résilience écologique. Pour être résilientes, les sociétés rurales doivent généralement démontrer leur capa-cité à atténuer les perturbations à l’aide de méthodes agroécologiques adoptées et diffusées à travers l’auto-organisation et l’action collective (Tompkins et Adger,

2004). La réduction de la vulnérabilité sociale par le biais de l’extension et de la consolidation des réseaux sociaux, tant au plan local que régional, peut contribuer au renforcement de la résilience dans les écosystèmes agricoles. La vulnérabilité des communautés agricoles dépend du niveau de développement du capital naturel et social, facteur de résistance aux chocs climatiques pour les agriculteurs et leurs systèmes. La capacité d’adaptation fait référence à l’ensemble des conditions sociales et agroécologiques préalables permettant aux personnes et aux groupes, ainsi qu’à leurs exploitations agricoles, de faire preuve de résilience face au chan-gement climatique. Les communautés, à des degrés divers, sont en mesure de faire face aux changements des conditions environnementales, mais ces réponses ne sont pas toujours durables. Le défi consiste à identifier les meilleures solutions en vue de les amplifier afin de réduire la vulnérabilité par l’amélioration de la capacité de réaction des communautés pour déployer des méca-nismes agroécologiques permettant aux agriculteurs de résister et de se remettre des phénomènes climatiques. Les stratégies en matière d’organisation sociale (réseaux de solidarité, échange de nourriture, etc.) utilisées par les agriculteurs afin de faire face aux circonstances difficiles imposées par la rigueur climatique constituent ainsi un élément clé de la résilience.

Clara Ines Nicholls est la coordinatrice de REDEAGRES (Red Iberoamericana de Agroecologia para el Desarrollo de Sistemas Agricolas Resilientes al Cambio Climatico, Réseau ibéro-américain d’agro-écologie pour le développement de systèmes agricoles résilients au changement climatique). E-mail : [email protected]. Miguel A. Altieri ([email protected]) est le président de SOCLA (Sociedad Cientifica LatinoA Mericana de Agroecologia, Société scientifique d’agro-écologique de l’Amérique latine).

référencesLin, B.B., Perfecto, I., Vandermeer, J., 2008. Synergies between Agricultural Intensification and Climate Change Could Create Surprising Vulnerabilities for Crops. BioScience 58, 847-854.Natarajan, M, Willey R.W. 1996. The effects of water stress on yields advantages of intercropping systems. Field Crops Research 13: 117-131Tompkins, E.L and Adger, W.N. 2004. Does Adaptive Mana-gement of Natural Resources Enhance Resilience to Climate Change? Ecology and Society 9(2): 10. [online] URL: http://www.ecologyandsociety.org/vol9/iss2/art10

les agro-écosystèmes complexes sont capables de s’adapter et de résister aux effets du changement climatiques. Photos : Faris Ahmed, Mirjam Pulleman

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Cynthia Brenda Awuor

Le projet Sakai mis en oeuvre au Kenya montre à quel point les informations relatives au climat et à la mé-téo sont importantes lorsqu’il faut s’adapter au chan-gement climatique. Le projet pilote s’inscrivait dans le cadre d’un projet régional sur “Intégrer la vulnéra-bilité et l’adaptation au changement climatique dans la planification et la mise en oeuvre des politiques de développement durable en Afrique australe et orientale” («Integrating Vulnerability and Adaptation to Climate Change into Sustainable Development Policy Planning and Implementation in Southern and Eastern Africa», ACCESA). Parmi ses principaux ob-jectifs il faut inclure la sécurité alimentaire des foyers, la réduction de la pauvreté et la facilitation de l’in-tégration de l’adaptation au changement climatique dans les politiques liées à la prise en charge des ca-tastrophes et au développement durable des terres arides et semi-arides du Kenya. Ce projet qui a dé-marré en 2006 est exécuté à Sakai, dans la province orientale du Kenya. Les villageois ont fait remarqué que les sources tradi-tionnelles de données météorologiques ne fournis-sent pas assez d’informations leur permettant de pla-nifier leurs activités dans le long terme. Considérant que les connaissances et l’information sont directe-ment liées à la vulnérabilité, le projet a donc décidé de combler cette lacune en complétant les données météorologiques traditionnelles avec les prévisions météo scientifiques. L’équipe du projet n’a pas cessé de “réduire” les prévisions météo scientifiques pour la localité et de communiquer ces informations en termes agricoles. Parallèlement, les membres de

la communauté ont été formés à l’utilisation des données météorologiques saisonnières et aux acti-vités agricoles et de ges-tion des terres appropriée qu’ils pourraient entre-prendre sous différentes prévisions météorologi-ques saisonnières. Partant des prévisions météoro-logiques saisonnières à échelle réduite, les villa-geois ont régulièrement reçu des informations dé-taillant les dates prévues de l’apparition et de la fin

des pluies, la durée et la quantité des précipitations attendues, les cultures et variétés de semences ap-propriées pour une saison donnée, et les dates rela-tives à la préparation des terres et aux semis. L’équipe a utilisé différents canaux de communica-tion, notamment plusieurs réunions avec l’adminis-tration locale ou “barazas”, des annonces dans les journaux locaux, ainsi que des programmes radio-phoniques. La préparation de «calendriers culturaux» s’est avérée une activité spéciale. Ces derniers intè-grent les connaissances traditionnelles sur la météo et les pratiques culturales tout en décrivant des acti-vités agricoles appropriées à entreprendre au cours des saisons sèche et pluvieuse. En outre, l’équipe du projet a élaboré des directives sur les pratiques agricoles. Les agriculteurs ont trouvé ces informa-tions utiles. C’est à l’unanimité que les villageois ont reconnu que l’utilisation de ces informations a contri-bué à l’amélioration des rendements des quatre der-nières saisons culturales. Parmi les autres interventions du projet il faut citer la formation de membres de la communauté sur les pratiques agricoles et d’élevage appropriées ; des stages de formation sur l’identification, l’extraction, la sélection, la mise en masse et le stockage de se-mences de bonne qualité ; la lutte contre les rava-geurs, le stockage et la gestion post-récolte.En outre, pour améliorer la disponibilité et l’acces-sibilité de l’eau pendant toute l’année, le projet a contribué à la construction de deux barrages en terre. Le projet a également renforcé les petites ins-titutions de micro-finance du secteur afin d’aider à diversifier la base économique de la collectivité et accroître l’accès au crédit. Les activités du projet et les résultats obtenus ont été régulièrement mis à jour sur son site Internet ; en outre, l’équipe a préparé plusieurs documents sur la base de l’expérience du projet, en les présentant à diverses rencontres nationales et internationales. Le projet fait participer activement beaucoup d’autorités et décideurs, à l’instar des représentants du Groupe pour la sécurité alimentaire du District et le Comité pour l’en-vironnement du District.

Cet article a été publié dans le numéro 24.4 de LEISA Magazine (Décembre 2008). Cynthia Brenda Awuor était Associée à la recherche au Stockholm Environment Institute – Oxford, Red Cross Road, Nairobi, Kenya. E-mail : [email protected]

Davantage d’informations pour une meilleure planification

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Eric Holt-Giménez

En octobre 1998, l’ouragan Mitch, l’un des cinq plus puissants ouragans à avoir frappé les Caraïbes au cours du 20ème siècle, a gravement touché le secteur agricole du Nicaragua, du Honduras et du Guatemala. La plupart des observateurs s’accor-dent à dire que l’ampleur de la catastrophe mas-sive, en vérité sans précédent, faisait suite à des décennies de déforestation, d’agriculture non du-rable et d’actions ayant conduit à la dégradation de l’environnement. Toutefois, les observations in situ ont révélé quelque chose de différent, à sa-voir : les exploitations agricoles dans lesquelles des pratiques «durables» ont été appliquées ont moins souffert que les exploitations «traditionnel-les». Le Mouvement «Farmer to Farmer» (Les Pay-sans entre eux), de concert avec des agriculteurs expérimenté et des experts techniques, a préparé une proposition visant à étudier la résistance agro-écologique des exploitations conventionnelles par rapport à celles où l’agriculture durable ou l’agroé-cologie était pratiquée face à des événements tels que l’ouragan Mitch. Le but de l’enquête était de prouver que l’agriculture durable est l’alternative la plus viable et, par conséquent, le redressement des exploitations agricoles qui ont été touchées par l’ouragan devrait explorer cette voie, suite à une stratégie de reconstruction participative.Globalement, les résultats ont montré que les ex-ploitations agroécologiques sont plus résistantes aux ravages de la nature. Des ateliers ont été or-ganisés pour partager les informations tirées de

la recherche effectuée sur le terrain, et d’où il ressort qu’il a été prou-vé que les exploitations agroécologiques dispo-sent de terres arables plus importantes (20 à 40 % de plus que les ex-ploitations convention-nelles). En fin de compte, environ 90 % des partici-pants aux 15 ateliers ont choisi le modèle d’une agriculture durable. L’expérience réussie de partage des informations a servi de force motrice

pour les agriculteurs, leur permettant de former des alliances entre eux et avec leurs promoteurs et des experts techniques. Ensemble, ils ont dé-crit dans quel état leurs champs doivent se trouver 10 ans après application du modèle agroécologi-que (conservation des sols et de l’eau, absence ou utilisation réduite d’intrants chimiques, cultures de couverture, agroforesterie, labour en rangée, engrais organiques et pesticides, et différentes formes de lutte antiparasitaire intégrée). Cela les a encouragés à analyser les freins au progrès et une augmentation au niveau de la recherche dans ce contexte rural et des projets et politiques communs ont été mis sur pied pour travailler de manière participative à la récupération de leurs champs. Le Mouvement «Farmer to Farmer» a réa-lisé l’auto mobilisation et la responsabilisation de la communauté paysanne, ce qui va indiquer que la résilience implique une dimension sociale im-portante, mais aussi technique.

Cet article est d’abord paru dans le numéro 17.1 de LEISA revista de agroecología (Juillet 2001). Eric Hot Gimenez travaillait à l’époque au Département d’Etudes environnemen-tales de l’Université de Californie à Santa Cruz, U.S.A. Aujourd’hui, il est Directeur exécutif de Food First/Institute for Food and Development Policy. E-mail : [email protected]

Mesure de la résistance agroécologique face à l’ouragan Mitch

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AGrIculteurs et MArcHes >

les petits agriculteurs sont, par définition, dispersés et, par conséquent, doivent géné-ralement regrouper leurs produits pour ac-céder aux marchés urbains ou à l’industrie de transformation. Ce regroupement des produits suppose une solide composante

logistique, entraîne un besoin en fonds de roulement et requiert une méthode d’organisation performante et une maîtrise des transactions. Les expériences réussies en matière de commercialisation collective leur ont permis d’« accumuler » des moyens d’action structu-rels pratiques. Ils affinent régulièrement leur gestion interne et les modalités de transaction avec les mem-bres et les non-membres, notamment la tarification, les paiements et les exigences en matière de qualité ou de quantité. A l’aide de processus d’apprentissage expé-rientiel, ces groupements ont mis en place des règles, des conditions contractuelles et des systèmes de contrô-le internes qui se sont avéré efficaces et réalisables dans les conditions de commercialisation en place.

Le programme ESFIM (Empowering Smallholder Farmers in Markets - Renforcer les capacités des petits producteurs pour un meilleur accès aux marchés)

tente de décrire cet apprentissage par le biais d’un site web et d’une base de données riche en études de cas spécifiques (www.collectivemarketing.org). Ce site Web fonctionne sur le principe du crowd-sourcing (appel à connaissances sur internet) pour solliciter des connaissances sur des règlements intérieurs pratiques, en l’occurrence des solutions aux difficultés courantes auxquelles les groupements font face à l’entame de leurs activités de commercialisation. Etant donné que ces « solutions » dépendront toujours du contexte (produit, appui des institutions, envergure du groupe-ment, etc.), ce crowd-sourcing est facilité par un cadre comparatif permettant de trouver des solutions ou des enseignements tirés de difficultés similaires.

s’attaquer aux tensions néfas-tes à la survie des organisations La commercialisation collective est marquée par plusieurs types de tiraillements, également appelés dilemmes de l’agence. Aucun groupement n’échappe à ces tiraillements, même s’ils ne les jugent pas nécessai-rement problématiques. Généralement, une organi-sation paysanne n’en prend conscience que dans des situations de changement ou de crise, lorsque des déci-sions doivent être prises pour résoudre des problèmes, éviter des préjudices ou arbitrer des conflits. Toutes ces situations les forcent à redéfinir leur règlement intérieur. En organisant leurs expériences en matière de définition des « règles du jeu » internes (ou méca-nismes institutionnels), selon le type de tension, nous facilitons un processus par lequel les utilisateurs peu-vent trouver des enseignements pertinents par rapport à leurs situations spécifiques. Une fois que l’utilisateur trouve une expérience qui lui semble digne d’intérêt, il double-clique dessus pour afficher des informations plus détaillées, notamment le document ou la source qui présente l’expérience. Cette dernière n’est pas considérée comme une « meilleure pratique », mais comme une « contribution à l’apprentissage ».

La liste suivante présente huit domaines générale-ment sources de tensions entre les membres et l’orga-

Intelligence organisationnelle du crowd-sourcing :

capitaliser les expériences des opL’année 2012, déclarée année

internationale des coopératives par les Nations unies, est à mi-chemin, mais elle a déjà

beaucoup contribué à montrer l’importance des organisations paysannes. L’heure de l’action

collective a donc sonné pour ces groupements, surtout s’ils sont

(ou deviendront) trop petits pour s’imposer en partenaires attractifs

dans le commerce. Giel Ton

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Agridape | Juin 2012 | 21

nisation et dont une mauvaise prise en charge risque d’entraîner jusqu’à l’éclatement du groupement. Des groupements ont su maîtrisé ces tendances destructri-ces grâce à des solutions (souvent très innovantes) dont peuvent s’inspirer d’autres groupements pour traiter leurs cas particuliers.

Pour enrichir le site Web www.collectivemarketing.org, l’ESFIM est à la recherche d’exemples de cette « intelligence organisationnelle ». Il peut très bien s’agir d’informations déjà en votre possession, car de nombreux professionnels collaborent avec les organisa-tions paysannes et documentent ce type d’information dans leurs projets et activités. Vous pouvez envoyer ces informations à [email protected]. Toutes les soumis-sions jugées pertinentes et de qualité acceptable par l’équipe d’ESFIM seront incorporées dans le site. Les exemples les plus pertinents pourraient être intégrés dans une publication sur support papier traitant de la question.

Nous accueillons les témoignages bruts et retien-drons la solution structurelle pertinente pour les be-soins de la base de données et du site Web. Cependant, nous accordons une attention particulière aux récits qui, dans la documentation de la méthode employée par les organisations paysannes pour s’adapter à ces tensions, sont attentifs aux facteurs suivants :

CONTEXTE : Décrire les activités du groupe et les •problèmes à l’origine de cette solution.MECANISME : Décrire les mécanismes •organisationnels utilisés pour résoudre la tension entre l’intérêt du groupe et celui du membreRESULTAT : Décrire les effets de l’application du •mécanisme sur les comportements des membres ou sur la méthode d’exécution des fonctions et activités du groupementEVALUATION : Choisir de recommander ou non •cette solution à d’autres organisations paysannes. Décrire les conditions préalables éventuelles à remplir pour introduire et utiliser ce mécanisme. Formuler des suggestions pour mieux faire face à des problèmes similaires.

Rejoignez l’ESFIM. Envoyez-nous vos témoignages !

Giel Ton est directeur de recherche à l’Institut de recherche agricole (LEI) à Wageningen et est le coordonnateur du programme ESFIM (www.esfim.org).

Tarification équitable

Les membres s’attendent à ce que leur groupement négocie un prix équitable en leur nom. La meilleure position de négociation du groupe devra se traduire par des situations meilleures que celles dans lesquel-les se trouveraient les membres s’ils devaient mener leurs propres négociations. Cette position de l’organi-sation suppose un mécanisme de transparence dans la fixation des prix.

Assurance Qualité

Une fois un accord obtenu, la qualité promise par l’or-ganisation devra faire l’objet d’un contrôle. La qualité des produits déposés par chaque membre varie, d’où la nécessité pour l’organisation de disposer d’un système de préservation des conditions minimales de qualité.

Adaptation aux problè-mes de fonds de roulement

De nombreux agriculteurs connaissent générale-ment des problèmes de liquidité et demandent un paiement rapide, tandis que l’organisation a besoin de temps pour parachever les transactions avec l’acheteur final. Cette situation engendre des coûts financiers pour le groupement car un fonds de roule-ment est nécessaire pour satisfaire cette demande.

Prévention de la vente parallèle

Le groupement pourrait mettre en place un méca-nisme de crédit ou de paiement à l’avance destiné à soutenir la production. Toutefois, il court le risque fort de voir les agriculteurs le « court-circuiter » pour vendre à des commerçants ou à des transformateurs concurrents, envers qui ils n’ont aucune obligation de remboursement.

Affectation des bénéfices

Lorsque le groupement réalise des bénéfices, il cherche généralement à investir ou à augmenter les réserves financières, tandis que le membre lui préfère généralement plus d’avantages à court terme, par exemple, de meilleurs prix.

Distinction entre services offerts aux membres et ceux offerts aux non-membres

La plupart des groupements économiques ont besoin des contributions des membres pour tirer parti de leurs opportunités commerciales. Toutefois, les membres font face à un certain nombre de facteurs dissuasifs lorsque les avantages tirés de ces activités reviennent tant aux investisseurs qu’aux non-investis-seurs.

Délégation de tâches et supervision du personnel professionnel

La plupart des organisations paysannes recrutent du personnel professionnel d’appoint. D’une part, les membres du conseil d’administration doivent dispo-ser d’informations correctes pour prendre les bonnes décisions et ont besoin d’un personnel transparent et disposé à leur fournir ces informations. D’autre part, les décisions sur les transactions commerciales doivent être opportunes et efficaces, et le person-nel professionnel doit disposer d’une autonomie suffisante pour s’acquitter convenablement de cette responsabilité.

Beaucoup d’organisations ont trouvé des façons innovatrices de relever le défi de la cohésion de groupe.

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eNtretIeN > MANuel GoNZAleZ de MolINA

en collaboration avec Victor Manuel Toledo, chercheur à l’Université autonome du Mexique, M. Gonzalez de Molina a ré-cemment publié “Metabolisms, nature and history: Towards a theory of socio-ecologi-cal transformations, ouvrage dans lequel il

présente l’approche du métabolisme social comme un excellent outil d’analyse de la relation entre l’homme et la nature.

les études sur le métabolisme social ont gagné du terrain au cours de la dernière décennie. Quels nouveaux apports concep-tuels et méthodologiques repré-sentent-ils ? de quelle façon ces études peuvent-elles s’avérer

utiles pour la conception de so-ciétés plus viables ? L’énoncé théorique et méthodologique du métabolisme social comble une lacune importante. Nous avions besoin d’un outil conceptuel commun aux différentes disciplines dont l’objet est l’étude de l’environnement. De la même manière que les « disciplines hybrides » sont apparues suite au mariage entre différentes sciences, comme le cas de l’agro-écologie, la proposition du métabolisme social constitue également une théorie hybride entre les sciences sociales et naturelles, notamment l’écologie, l’économie, l’histoire, la sociologie, la thermodynami-que, etc. Pour des raisons d’économie cognitive, la trans-disciplinarité exige des outils conceptuels communs afin d’aborder la complexité des interactions entre la société et la nature et de faciliter la compréhension entre les différents spécialistes.

comment l’analyse du métabo-lisme agricole peut-elle s’avérer utile pour la refonte des systè-mes alimentaires ? L’application du mé-tabolisme social aux écosystèmes agricolesa donné lieu à un « métabolisme agricole », un outil extrêmement utile pour l’étude de la durabilité de l’agriculture. Ainsi, vous pouvez intégrer non seulement les aspects environne-mentaux et agronomiques, mais également économiques et sociaux, c’est-à-dire les mécanismes institutionnels qui facilitent ou entravent la réalisation de la durabi-lité. L’approche métabolique de l’agriculture permet également de distinguer les différents niveaux où l’action est nécessaire (que ce soit au niveau des cultures, de l’ex-ploitation agricole, ou encore au niveau local, national ou mondial) pour garantir le maintien de l’objectif de durabilité avec le temps, mais surtout pour acquérir une envergure suffisamment pertinente afin de compenser la crise environnementale dans la campagne.

Par exemple, en Espagne, nous avons appliqué cette approche à la chaîne alimentaire (voir édition N° 10 de Revista de Economía Crítica: http://revistaeconomiacritica.org/) et les données se sont révélé concluantes : l’agricul-

Le métabolisme agricole comme

outilManuel Gonzalez de Molina Navarro est titulaire d’un doctorat en histoire

et est professeur au Département d’histoire contemporaine à l’Université

Pablo de Olavide (Séville) où il dirige le Laboratory of Agroecosystems

History (Laboratoire de l’histoire des écosystèmes agricoles) dans lequel

historiens, écologistes, économistes et agronomes développent leurs recherches avec une orientation

transdisciplinaire. Dans la présente interview, il présente les possibilités

de l’utilisation de la perspective conceptuelle et méthodologique

du métabolisme social pour le développement de systèmes

alimentaires plus durables.Entretien : Paulo Petersen

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ture n’est responsable que du tiers de l’énergie primaire utilisée dans l’alimentation des Espagnols. Les deux tiers restants sont pour les coûts de transport, la transformation, le stockage et la cuisson nécessaires pour une chaîne alimentaire avec des distances énormes entre le produc-teur et le consommateur. Même au sein de l’agriculture, la production d’azote de synthèse, le recours aux aliments concentrés à base de matières premières aux sources lointaines et la consommation de carburants représentent quasiment 90 % de la consommation d’énergie.

L’étude a révélé trois facteurs importants pour la conception d’un système alimentaire durable : pre-mièrement, les habitudes alimentaires des Espagnols s’avèrent coûteuses sur le plan environnemental et elles dépassent nos ressources. Par conséquent, le premier objectif d’une proposition alternative doit consister à réduire considérablement la quantité d’énergie consommée. Deuxièmement, l’absence de durabilité est constatée non seulement dans la production alimentaire mais également dans nos habitudes de consommation, qui nécessitent l’investissement d’énormes quantités d’énergie et de matériaux. Enfin, troisièmement, pour renforcer la durabilité du système, il ne suffira pas de remplacer les intrants chimiques par les intrants bio-logiques. Il faut plutôt une gestion agroécologique qui ferme les cycles et utilise des sources d’énergie locales et renouvelables, si l’objectif est de réduire sensiblement le coût énergétique de l’alimentation des Espagnols.

du point de vue du métabolisme socio-écologique, quelle ana-lyse peut-on faire de la notion d’économie verte proposée à la conférence rio+20 ? De nombreuses organisations internationales ont préconisé la soi-disant « économie verte » comme une tentative de répondre aux demandes sociales croissantes pour une économie plus durable. Certains Etats et de grandes entreprises ont vu dans cette « nouvelle économie » une grande opportunité commerciale. Toutefois, la mise en œuvre de ce type d’économie ne résoudra pas la crise écolo-gique. Cette économie verte est basée sur le rempla-cement, à travers le marché, des technologies sales par des technologies propres sans de profonds changements socio-économiques. Cette vision repose encore sur l’idée que la crise sera surmontée par le renforcement soutenu de l’efficacité dans l’utilisation de l’énergie et des ma-tériaux, portée par les prix relatifs et le fonctionnement autorégulé des marchés.

Toutefois, la réduction de la consommation déjà éle-vée des ressources naturelles, en particulier dans les pays riches, n’apparaît pas clairement dans cette vision. Par ailleurs, déjà au XIXe siècle, Jevons nous avertissait que les acquis successifs de l’efficacité avec laquelle une ressource est employée pourraient paradoxalement conduire à une plus forte consommation de celle-ci.

Aucun développement durable n’est possible sans un changement social qui met en place un nouveau modèle économique. Cela est évident pour l’approche agro-éco-logique, dont la forte conception de la durabilité propose non seulement des solutions agronomiques, techniques, mais aussi des changements économiques et politiques. En effet, sans ces changements, il n’y aura aucune garan-tie que l’innovation technologique se développe dans le droit chemin. Par exemple, les difficultés à trouver un ac-cord limitant l’émission de gaz à effet de serre et donc at-ténuant les effets du changement climatique ne constitue pas simplement un problème de volonté politique des gouvernements, c’est aussi un problème lié aux règles du jeu. Les opérateurs économiques ne disposent pas d’une réglementation et de mesures d’incitation suffisantes qui rendent viables les alternatives technologiques durables disponibles. Sans un cadre institutionnel favorable par exemple à des chaînes de distribution alimentaire cour-tes, disposer d’un système alimentaire durable relèvera de l’illusion. Le mode de réglementation actuel des marchés des produits alimentaires privilégie clairement les longues chaînes et une relation inéquitable entre les agriculteurs et les distributeurs alimentaires.

comment cette approche ana-lytique peut-elle appuyer la mise en place de mécanismes institutionnels favorables à la transition agroécologique des systèmes agro-alimentaires ? La proposition métabolique constitue également un excellent instrument politique. En touchant du doigt les points sensibles du système alimentaire, elle montre aux mouvements sociaux les principaux objectifs d’action et aux gouvernements l’orientation des politiques publiques. En fait, en intégrant les aspects physiques et biologiques aux droits sociaux et économiques, l’ap-proche théorique et méthodologique du métabolisme social devient une base idéale pour décliner l’approche politique nécessaire à l’agro-écologie.

Pour qu’une conception institutionnelle soit favora-ble à la durabilité des ressources alimentaires, elle doit reposer sur une analyse aussi rigoureuse que possible de la réalité, et l’approche métabolique permet de procéder à une telle analyse. Même si la « marque de référence écologique » est un outil éducatif qui calcule, par exem-ple, l’impact virtuel du système alimentaire en termes écologiques, la méthodologie métabolique constitue un excellent outil de description en termes physiques de tous les processus allant de l’exploitation agricole au consommateur final. Cela nous permet d’identifier les aspects non durables du système alimentaire et les agents économiques bénéficiaires de sa configuration actuelle. Cette démarche permet de concevoir des po-litiques publiques rigoureuses et efficaces pour avancer dans la voie de la durabilité.

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MANIFIestos

Dans le processus préparatoire de la prochaine conférence de Rio, de nombreuses organisations de la société civile préparent leurs positions de principe à joindre à leurs agendas qu’ils présenteront à la table des négociations. Dans cette section, nous vous présentons un survol de quelques documents déjà en cours de discussion.

Se faire entendre à rioAppel à l’actionla Via campesinaDans le présent article, court mais percutant, La Via Campesina impute essentiellement les crises mondiales actuelles à la prédominance des « modes de pensée capitalistes ». D’après ce mouvement, depuis le Sommet de la Terre en 1992, rien n’a été fait pour s’attaquer aux problè-mes auxquels le monde est confron-té, et les mesures mises en œuvre à ce jour (comme la Convention sur la biodiversité, REDD ou la Convention des Nations Unies sur les change-ments climatiques) ont servi de trem-plin pour institutionnaliser la capitali-sation des systèmes naturels. Le concept d’« économie verte » pré-senté dans les préparatifs de la Conférence Rio+20 repose sur la même logique. Par conséquent, La Via Campesina réfute sans ambages les idées de l’« économie verte » et appelle à une redéfinition du systè-me économique mondial sur la base des idées telles que les systèmes ali-mentaires locaux, la souveraineté ali-mentaire et les modes agroécologi-ques de production alimentaire. http://viacampesina.org/en/index.php?option=com_content&view= article&id=1207&catid=48&Itemid=75#.T2ssMwpbQLc.link

rio +20. Quelles options en dehors du « statut quo » ?le temps d’agirCe document, signé par plus de 30 organisations de la société civile de partout dans le monde (AS-PTA et Biovision entre autres) appelle à un changement majeur de paradig-me dans le système économique mondial et exhorte la communauté mondiale à agir maintenant. Les auteurs proposent l’inscription de l’agriculture au cœur des négocia-tions de la conférence de Rio car, pour eux, elle constitue certaine-ment la solution principale aux cri-ses que nous traversons aujourd’hui. Le manifeste plaide en faveur d’un processus de transformation afin que l’agriculture soit basée sur une approche agroécologique et enra-cinée dans les idées de souverai-neté alimentaire. Le document for-mule un certain nombre de recom-mandations sur les politiques à adopter, notamment la suppression des mesures incitatives néfastes à l’agriculture industrielle et l’appui aux systèmes agricoles alternatifs, tels que les investissements dans les technologies paysannes et la garantie de droits fonciers pour les

petits exploitants agricoles.www.timetoactrio20.org/pdf/en.pdf

Grandes lignes de l’écono-mie vertela Green economy coalition (coalition pour l’économie verte)La coalition pour l’économie verte a préparé une présentation en ligne de sa position sur le concept de l’« économie verte ». La première partie de la présentation analyse la crise mondiale actuelle : significa-tion et causes profondes. Les princi-paux symptômes de la crise sont le déclin des écosystèmes de la pla-nète et les inégalités persistantes à l’échelle mondiale. Elles résultent de

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la prévalence des marchés qui ne tiennent pas compte des externali-tés, et des « visions à court terme » lorsqu’il s’agit de l’environnement. Ce constat est lié à la déréglementa-tion des marchés, à un manque de gouvernance, et à l’obstination du monde à considérer le PIB comme mesure du développement. La deuxième partie de la présentation propose une vision, ou le système économique nécessaire pour un avenir meilleur. Les questions cen-trales abordées sont entre autres la reconnaissance de la valeur de tou-tes les ressources naturelles, ainsi que leur répartition adéquate et équitable. La présentation mention-ne également la nécessité d’une plus grande responsabilisation des entreprises et des gouvernements, ainsi que de la participation des ma-jorités actuellement exclues dans toutes les discussions. www.greeneconomycoalition.org/big-picture

suppression de nos droits, compromission de notre avenir. pourquoi avons-nous besoin d’un sommet de la populationIbon International (paul Quintos) Lettre ouverte au Secrétaire géné-ral de la Conférence des Nations unies sur le développement dura-ble (CNUDD), au Secrétaire général et aux Etats membres de l’Organi-sation des nations uniesCSI, IBON, Civicus, WECF, Consu-mers International, Vitae Civilis, Stakeholder Forum, CoC La note préparée par Paul Quintos, résumant ses observations au cours de la deuxième ronde de négocia-tions de l’avant-projet de la confé-rence Rio+20 à la fin du mois de mars 2012 à New York, a été distri-buée aux organisations de la socié-té civile du monde entier, et a été

suivie d’une lettre ouverte au secré-taire de la CNUDD. Dans les deux documents, l’auteur fait part de ses préoccupations à l’égard du « pro-cessus officiel de Rio+20, otage se-lon lui des intérêts des pays puis-sants et des grandes entreprises », tandis que les voix des organisa-tions de la société civile sont igno-rées. Il fait remarquer que toutes les références aux obligations en matière de droits de l’homme, et même aux grands principes conve-nus en 1992, ne sont pas prises en compte et que le document en cours de discussion, évite égale-ment tout langage prescriptif. En outre, toujours d’après les deux do-cuments, les débats précédant le centre de conférence ont porté sur les solutions liées aux investisse-ments du secteur privé et des mar-chés libres, faisant abstraction des questions telles que les droits d’ac-cès communs, la réglementation des marchés, la participation de la société civile dans les processus décisionnels, ou encore la prise en compte des jeunes, des femmes et des petits exploitants. www.ituc-csi.org/rio-20-rights-at-risk.html?lang=en

une économie juste et équitableGreenpeaceLe projet de document préparé par Greenpeace a été soumis au comité de la CNUDD comme contribution à l’avant-projet du document final de la conférence Rio+20. Dans ses pre-mières lignes, Greenpeace exprime son mécontentement face à la len-teur des progrès dans la mise en œu-vre du programme de développe-ment durable convenu à Rio de Ja-neiro en 1992 et jette un blâme sur les gouvernements. L’ONG appelle à mettre fin aux pratiques non dura-bles, telles que l’utilisation de l’éner-gie nucléaire et l’énergie du pétrole et du charbon, et plaide en faveur d’un programme de développement durable : réduction de la consomma-tion, action contre le pouvoir des multinationales et fixation d’objectifs de développement durable. En ce qui concerne l’agriculture, Greenpea-ce propose de faire avancer les re-commandations du rapport IIAASTD, notamment l’élimination des sub-

ventions nuisibles à l’agriculture conventionnelle accompagnée de la réglementation de l’utilisation des produits agrochimiques.www.greenpeace.org/international/PageFiles/358991/rio2012expecta-tions.pdf

Nourrir notre population, entretenir notre planète. recommandations pour la table ronde de haut niveau sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle et l’agri-culture durableAgence suisse pour le développement et la coopération, Millenium Institut, Biovision, stiftung Mercator schweizCette déclaration a été préparée pour la table ronde de haut niveau sur la sécurité alimentaire et nutri-tionnelle et l’agriculture durable, or-ganisée en marge de la deuxième ronde de négociations de l’avant-projet de la conférence Rio+20 qui s’est tenue à New York en mars 2012. Elle expose les principaux problè-mes issus de l’agriculture industrielle, tels que les émissions de gaz à effet de serre et la dépendance de cette agriculture à des intrants externes, et propose l’amélioration des systèmes agricoles résilients comme une alter-native. Le document définit ces sys-tèmes en termes de gestion durable des ressources terrestres, aquatiques et naturelles, d’efficacité énergéti-que, d’utilisation minimale des in-trants non renouvelables, de biodi-versité riche et de bien-être animal, de marchés localisés, de réduction des déchets, d’autonomisation des communautés locales et de modes de consommation durables. Il termi-ne par des recommandations en ma-tière d’orientation politique, parmi lesquelles la nécessité de nommer un comité sur la sécurité alimentaire mondiale (en tant que leader straté-gique des changement attendus dans l’agriculture), l’application de mesures d’incitation économiques pour la mise à l’échelle des systèmes de production alternatifs, l’internali-sation des coûts de l’agriculture conventionnelle, l’évaluation des systèmes de production dominants et la définition rigoureuse d’indica-teurs pour l’agriculture durable. www.deza.admin.ch/ressources/ resource_en_210

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pAuVrete

Année : 2009 ; lieu : Copenhague. Le Sommet sur le Climat se poursuit. Arnold Schwarzenegger, éminent orateur, Gouverneur de l’Etat nord-américain de Californie est invité par les Nations Unies à prendre la

parole à la plénière. Un bon nombre des participants (y compris moi même) s’est senti quelque peu confus lorsqu’il a commencé à parler de sa contribution à la lutte contre le réchauffement de la planète ; il a également mentionné (a) qu’il a commencé à chauffer sa piscine de taille olympique avec l’énergie solaire au lieu de l’énergie électrique, et (b) qu’il a transformé son parc de véhicules utilitaires de sports (VUS) en “hybrides”. Ce qui est peut-être encore plus surprenant c’est que toute l’Assemblée s’est levée pour l’ovationner.

En dehors du fait qu’il ait été insensé d’avoir invité M. Schwarzenegger à s’adresser à la plénière, alors qu’aucun agriculteur ou indigène n’a été invité en tant qu’orateur, le pire était le fait que personne n’a jamais pensé à demander pourquoi une famille de deux per-sonnes utilise une énorme piscine et autant d’énergie (renouvelable ou autre) pour chauffer ses 2 500 000

réduction de la pauvreté : dignité, croissance économique ou juste

une question l’argentlitres d’eau. Personne ne s’est demandé pourquoi il doit conduire un parc [d’une demi-douzaine ou plus] de voitures... C’est cette interprétation de ce qui est “vert et bon” qui déconcerte ceux qui travaillent avec des gens qui ne peuvent même pas s’offrir un ticket de bus, à plus forte raison une écurie de voitures. Et, à mon avis, la contribution qu’ils apportent pour atténuer les changements climatiques et rafraîchir notre planète ou la nourrir, est beaucoup plus importante. C’est la même appréhension que j’ai lorsque l’idée d’une “économie verte” est discutée et qui devient particu-lièrement pertinente si l’on pense aux millions de per-sonnes qui vivent dans des conditions très difficiles – et lorsque nous pensons que les économistes sont censés les aider à vaincre la pauvreté.

définitions Comment pouvons-nous donc définir la pauvreté? Je me souviens de l’écolier qui, lorsqu’on lui a demandé d’écrire sur la pauvreté, a mentionné : “Je suis pauvre, j’en sais donc quelque chose. Mon chauffeur aussi est pauvre. Mon cuisinier est encore plus pauvre. Mon jardinier est également pauvre.” Si l’idée d’une “économie verte” est liée à la pauvreté de millions de personnes, serons-nous contraints de vivre avec une autre farce comme celle de M. Schwarzenegger? La plupart des définitions de la pauvreté en ont une interprétation monétisée. Un exemple typique est celui de la Commission de planifi-cation indienne qui place le seuil de pauvreté à 27 Rs par tête. Ce genre de calcul se fait toujours sur la base de la contribution au PIB national. Cependant le PIB est, en soi, un autre canular. Comme l’affirme Deven-der Sharma, l’arbre qui tient debout ne contribue pas au PIB mais dès qu’il est abattu et transformé en bois commercialisable, il ajoute de la valeur au PIB.

Qu’est ce qui donc contribue, et à quoi ? A une autre conférence des Nations Unies qui se focalise cette fois sur le concept de bonheur national brut, l’ancien Premier Ministre du Bhutan Lyonpo Jigmi Thinley a déclaré que «Nous devons penser au bien-être humain en termes plus larges. Le bien-être matériel n’est qu’une composante. Il ne vous garantit pas d’être en paix avec votre environnement et en harmonie les uns avec les

Alors que tout le monde parle d’une “économie verte”, ce qu’il semble manquer, c’est

une critique de la notion même. Bien qu’il ait été dur

d’essayer de présenter le terme différemment, il rend encore

de nombreuses personnes mal à l’aise. Comment pouvons-

nous garantir que la nouvelle “économie verte” ne soit pas juste une nouvelle “économie

verte ”?P.V. Satheesh

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Agridape | Juin 2012 | 27

autres... le modèle de développement soutenu par le PIB qui exige une croissance sans limites sur une planète aux ressources limitées n’a plus de bon sens économique. C’est la cause de nos actes irresponsables, immoraux et autodestructeurs ». Et Thinley d’ajouter que «l’objectif du développement doit être de créer des conditions favo-rables grâce à une politique publique visant la poursuite de l’ultime objectif de bonheur par tous les citoyens.»

“Le PIB (Produit intérieur brut) en soi-même ne favorise pas le Bonheur,» a déclaré Jeffery Sachs, un éminent économiste en développement à la Columbia University à New York, et également auteur du Rapport sur le bonheur du monde. «Les Etats Unis ont connu depuis 1960, trois augmentations du PIB par tête, mais l’aiguille bonheur n’a pas bougé. D’autres pays ont poursuivi d’autres politiques et réalisé des gains beau-coup plus importants en bonheur même à des niveaux beaucoup moins élevés de revenu par tête.» Autrement dit, nous ne devrions pas laisser le nouveau concept d’une “économie verte” être juste le moyen de “tran-saction courante”.

un point de vue de la ddsLa Deccan Development Society, une organisation

de base avec laquelle je me suis associé au cours de ces 25 dernières années, travaille dans le district de Medak, dans l’Etat méridional d’Andhra Pradeh, juste au centre de la région semi-aride de l’Inde. La DDS travaille avec environ 5000 très petites exploitantes agricoles qui appartenaient principalement à des grou-pes socialement exclus. Ce sont des gens qui subissent des formes multiples de marginalisation. Dans une zone urbaine et rurale, en tant que ruraux, ils sont mar-ginalisés. Etant pauvres, dans un clivage économique, ils sont marginalisés. Etant des dalits, dans une fracture sociale, ils sont marginalisés. Et en tant que femmes,

elles font face à une grave marginalisation dans une fracture entre les sexes. Travailler avec ce groupe a été un défi.

IL y a un quart de siècle, notre objectif initial était tout simplement la “réduction de la pauvreté”. Mais comme nous avions commencé à écouter et à regarder attentivement les gens avec qui nous travaillions, notre propre idée de ce qui constitue la pauvreté a changé. Dans cette ligne de transformation, aujourd’hui nous considérons la pauvreté d’une perspective plus large, passant d’une perspective monétaire à une perspective de souveraineté ; du point de vue des ‘’droits’’ à une perspective d’“autonomie”. Cela nous a menés à des systèmes de production alimentaire autonomes et au contrôle de la communauté ; des systèmes de santé autonomes; des marchés autonomes et des medias autonomes.

Comment ces initiatives sont-elles liées à la pau-vreté? C’est là où je voudrais en revenir pour définir la pauvreté. Dans une zone rurale, si une femme d’une communauté dalit est capable de faire face à ses be-soins alimentaires et à ses besoins en matière de santé de manière satisfaisante, si elle est capable d’être un membre d’un marché autonome mis en place par son groupe, d’exprimer ses opinions dans l’espace public à travers la station de radio communautaire et de réaliser ses propres films grâce à des initiatives comme la vidéo communautaire collective, devrait-elle être appelée une femme pauvre simplement parce que son revenu monétaire est inférieur aux 2 $ US classiques par jour? Au contraire, si elle gagne 3 $ US par jour mais dépend entièrement d’un marché extérieur pour ses produits alimentaires, sa nutrition ou ses soins de santé, et n’a aucun espace médiatique pour diffuser ses points de vue et opinions, cette femmes serait-elle considérée comme ayant échappé à la pauvreté?

en observant les personnes avec qui nous travaillons, nos propres perceptions de la pauvreté ont changé. Photos : P.V. Satheesh

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>> pAuVrete

C’est cette analyse qui me fait dire que les petits exploitants agricoles avec qui nous travaillons ont échappé à la pauvreté. En termes de production et de consommation alimentaires, ce sont de petits exploitants agricoles ayant une exploitation moyenne de 2 acres. Dans cette exploitation ils ont adopté des systèmes agricoles de biodiversité et sont capables de produire toutes les céréales, légumes et oléagineux qu’ils veulent pour la consommation d’une année entière. De nos jours,

La consommation par tête d’une famille moyenne •de la DDS est de 500 g de céréales et 50 grammes de légumes à graines. Selon la dernière enquête économique de l’Inde, ces familles mangent 20% de plus de céréales et presque 40% de plus de légumes à graines que le reste de l’Inde;En termes d’argent dépensé, presque 85% de ces •ménages dépensent moins de 100 Rs par personne et par mois en produits alimentaires (contre.400 Rs dépensés par tête par les ménages ruraux de l’Etat d‘Andhra Pradesh), dans la mesure où la plupart d’entre eux produisent leurs propres aliments. Ainsi, pour chaque ménage de cinq personnes, les familles de la DDS économisent [gagnent?].1500 Rs. Elles vendent aussi presque 70% de légumes à graines produits dans leurs exploitations et 60% du fourrage, ce qui leur permet de gagner un revenu supplémentaire;Toutes les communautés de la DDS ont établi •leur propre Système de Distribution publique. Elles produisent une variété nutritive de millets culturalement et agro-écologiquement adaptée

aux conditions locales. A travers ce système, elles entretiennent non seulement de petites familles agricoles marginales, mais encore des paysans sans terre de leurs communautés. Il y a quelques années, Elles ont établi une cartographie de la faim de leurs villages, trouvé ceux qui étaient les moins fortunés d’entre eux, et ont commencé les cuisines communautaires alimentaires pour eux, Elles sont devenues des producteurs alimentaires.

L’on peut également dire que l’agriculture ne dépend pas de l’utilisation d’engrais et de pesticides chers. Ils utilisent le fumier de ferme, des biofertilisants produits au niveau des ménages ainsi que d’autres formules (-maison) botaniques phytosanitaires et pour la croissance des plantes. Toutes les semences sont conservées année après année. N’entraînant pas du tout de frais en termes de semences, d’engrais et de pesticides, ils économisent environ 2000 Rs par acre et par saison. Ils utilisent l’énergie externe, ne produisent pas de gaz à effet de serre et gardent un bilan énergéti-que propre.

En ce qui concerne leurs systèmes de soin de santé, chaque communauté a son propre agent de santé qui est la plupart du temps un bénévole. Cette personne normalement guérit toutes les maladies bénignes dans sa communauté; et chacun peut s’approcher d’elle. Elle ne réclame rien pour les services qu’elle fournit. Elle n’utilise que les plantes médicinales. Au cours de la dernière décennie, les travailleurs de la santé de la DDS ont économisé pour leur communauté de 50 vil-lages jusqu’à 7,5 millions de Rs chaque année. En

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outre les collectivités ont élaboré 29 projets de plantes médicinales communes, chaque projet couvrant plus de 50 espèces de plantes dont chacune a une qualité médicale. Chaque membre de la communauté peut accéder à ces plantes communes pour procéder à ses propres formulations. Il n’est pas réclamé d’argent en ce qui les concerne.

Concernant leurs options de marché, les commu-nautés de la DDS organisent leur propre marché, le Marché des débrayages. Il s’agit là d’une vente collec-tive sous la direction d’un Comité de 11 femmes. Il prend toutes les décisions démocratiquement, notam-ment celles concernant les prix payés aux agriculteurs qui leur fournissent des produits. Chaque membre de ce marché a le privilège de recevoir 10% de plus que le taux du marché externe pour tous les produits qu’il vend à son marché. Il bénéficie également d’une baisse de 10% sur tout ce qu’il achète. Chaque année, la coopérative distribue même des dividendes!

Presque 80% des femmes de la DDS sont engagées dans une forme de d’“éco-entreprise” au cœur de laquelle se trouvent des animaux qu’elles élèvent. Cha-que famille possède une chèvre ou un buffle, un bœuf et au moins une demi-douzaine de volailles (ou une combinaison de tous ces animaux). Le lait et la viande leur rapportent environ 2 500 Rs. par mois. En outre, le bétail constitue une importante source d’engrais. La plupart des familles produisent des biofertilisants (en moyenne de 1,5 tonne par an, vendu à près de 6 Rs. le kg). Le bétail produit environ 6 tonnes de fumier de ferme: une économie allant jusqu ‘à 1500 Rs. par an. Enfin, nous pouvons également dire que, depuis 1990, les collectivités de DDS ont planté plus d’un million d’arbres dans environ 35 localités qui exploitent des forêts de voisinage (ou “Community commons”). Ces forêts renferment plus de 80 espèces de plantes qui procurent aux familles du fourrage, des fruits, du bois de chauffage et du bois d’oeuvre.

une alternative valableSi je mentionne tous ces facteurs, c’est pour souli-

gner le fait que la DDS a choisi de dépasser le modèle classique de “génération de revenu”, en s’efforçant de

travailler en harmonie avec les perceptions écologiques d’une communauté. Cela a permis à ce district de devenir une oasis agroécologique dans la région, et il est actuellement considéré comme un site patrimonial d’Agro-biodiversité par l’Autorité nationale sur la Bio-diversité. Dans ce processus, notre rôle n’a pas consisté uniquement à renforcer la sécurité alimentaire et nutri-tionnelle de ces communautés, mais leur a également permis de vivre une vie de dignité et d’honneur, en comprenant le rôle écologique qu’ils jouent et, en toute confiance.

Il ne m’est pas possible de rappeler tous les défis ma-jeurs invalidants, mais plusieurs raisons sous-tendent notre succès, en commençant par le fait que la DDS ait gardé un profil très bas depuis le départ. La DDS a suivi le programme établi par les femmes et n’a jamais essayé d’élaborer son propre programme. La DDS n’a jamais essayé de “représenter” les populations avec qui elle travaillait. Les populations étaient représentées par elles-mêmes. Les combats étaient donc menés par la communauté et gagnés par leur propre force. Ce qui aurait pu joué contre la DDS c’était le fait qu’elle ne se fut pas engagée avec les sections riches et puissantes des communautés. Mais lorsque ces groupes se sont rendus compte que la force dont se dotaient les fem-mes pourrait jouer contre elles, il était déjà trop tard. Les femmes s’étaient déjà senties habilitées.

Pour conclure, je voudrais dire, sans monétiser les objectifs, que notre travail a démontré qu’il est possible d’améliorer le bien-être des communautés rurales et de venir à bout de la pauvreté. Comme le dit Nagamma, un sage de la communauté, du village de Tekur, âgé de 70 ans, la réduction de la pauvreté dans les zones rurales “doit être comme un fleuve. D’autres organisations sont comme des flux de mousson qui pren-nent d’assaut la scène et disparaissent au bout de quel-ques semaines. Nous évoluons pleinement et avec calme, semant la vie tout autour de nous.” Cela ne devrait-il pas être l’objectif d’une “véritable économie verte”?

P.V. Satheesh est le Directeur de la Deccan Development Society, Andhra Pradesh, Inde. E-mail: [email protected]

peut-on dire que quelqu’un est pauvre juste parce que son revenu monétaire par jour est de moins de 2 dollars par jour? Photos : P.V. Shateesh

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>> pAuVrete

Sabyasachi Roy

Il existe une prise de conscience croissante que seule l’adoption de pratiques agricoles écologiques et du-rables peut inverser la tendance à la baisse de la pro-ductivité agricole dans l’Etat du Bengale occidental, en Inde. Une petite exploitation agricole de 3,8 acres gérée par Birendra Kumar Roy et Paromita Sarkar Roy dans le village de Kamalakantapur près de Santinike-tan dans l’Etat du Bengale occidental en Inde montre que l’utilisation abusive d’intrants chimiques et la dé-gradation des terres ne sont pas la seule option pos-sible. Leur exploitation de type biologique SAKRIA (qui signifie “actif” en Bengali) répond aux besoins de la famille, est rentable et permet à leurs enfants de grandir dans un environnement exempt de pollu-tion, de produits chimiques et de pesticides.Dans cette exploitation agricole on cultive une va-riété de cultures et de légumes de saison, avec un accent particulier sur les variétés traditionnelles adaptées aux conditions et à la situation climatique. Les différentes variétés de fruits biologiques cultivés dans l’exploitation agricole garantissent une bonne nutrition, en fournissant les vitamines nécessaires et des produits alimentaires savoureux à la famille. Une grande variété de poissons qui complètent les be-soins nutritionnels de la famille du Bengale sont éga-lement cultivés dans le bassin agricole. Des arbres pérennes sont utilisés comme barrières naturelles contre les conditions climatiques extrêmes. Le fumier de cour et les paillis sont utilisés pour fertiliser le sol. Les légumineuses à cosses sont cultivées de manière intercalaire dans les vergers et par rotation, garantis-sant la fixation de l’azote dans le sol ainsi que l’en-grais vert. Il n’est pas utilisé de pesticides chimiques. Le désherbage manuel va de pair avec l’utilisation de solutions de pesticides biologiques et la culture intercalaire stratégique (même si le fait que les ra-vageurs qui dérivent facilement d’autres terres agri-coles et envahissent l’exploitation agricole SAKRIA constitue un sérieux problème).Après avoir satisfait à tous les besoins nutritionnels de la famille, l’excès de paddy, de graines oléagi-neuses, de légumes et de légumineuses est utilisé pour la préparation de produits à valeur ajoutée ou vendu à de petits détaillants et des familles du voi-sinage. Cette source de revenu permet à la famille d’employer quatre ouvriers à plein temps et huit à dix ouvriers saisonniers.Les efforts de vulgarisation constants consentis par les voisins au cours de la dernière décennie et demie ont positivement amenés de nombreux agriculteurs

voisins à cultiver davantage de variétés de semen-ces engrais en les intercalant avec des légumineuses. L’état des sols dans les environs de la ferme s’est amélioré. La population des lubricités s’est considé-rablement accrue dans la ferme SAKRIA, entraînant des sols à capacité de rétention d’eau plus élevée. La variété et la diversité des plantes et des arbres ont également entraîné un changement notoire dans la faune de la zone. La ferme biologique SAKRIA peut être une petite ex-ploitation familiale dans une région de terre ferme éloignée du Bengale occidental, mais elle montre ce qui peut se réaliser par amour de la terre et de la nature, l’autodétermination, l’innovation et le dur Labeur. Le succès réside dans le fait que les agricul-teurs aient clairement forgé leurs connaissances tra-ditionnelles et techniques “modernes”. La principale contrainte à laquelle ils font face est que les clients ne sont pas prêts à payer un supplément pour leurs produits, surtout depuis qu’il manque des services de certification biologique dans la zone. La plupart des agriculteurs pensent que les procédures de certi-fication biologiques sont complexes et coûteuses. Le besoin se fait donc sentir de renforcer les facilités et la disponibilité de services de certification organique et de consentir des facilités aux petits agriculteurs pour qu’ils puissent mieux commercialiser leurs pro-duits. Le fait d’aider les agriculteurs leur garantit des revenus plus élevés ; Les avantages constatés dans SAKRIA pourraient même être plus importants.

Sabyasachi Roy travaille au Conseil national pour le dévelop-pement du secteur laitier, VIII Block, Koramangala, Banga-lore, Inde.

Semer des graines biologiques

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Vishal Singh, Yashpal Bisht et Sunil Prasad

Les populations de la région de l’Himalaya indien, comme dans tous les autres écosystèmes de mon-tagne, comptent sur les ressources naturelles qui les entourent pour leurs moyens de subsistance. Le bétail a traditionnellement été une partie intégrante du système agricole de montagnes qui est carac-térisé par de très petites propriétés terriennes, un minimum de moyens et une faible production. Ce-pendant, les pratiques d’élevage sont sous-déve-loppées en raison de la grave pénurie de fourrage, due, non seulement à une production laitière et une mauvaise santé du bétail, mais encore à la corvée des femmes et au dépérissement de la forêt. La Himmotthan Society, une ONG basée à Dehradun, en Uttarakhand, a lancé un programme visant à pro-mouvoir une approche intégrée de gestion du bétail écologiquement durable, en cultivant une variété d’herbe de fourrage (napier, Thysanolaena, Andro-pognon virginicus, fétuques élevées, etc.). L’un des objectifs majeurs du programme est de promouvoir la qualité du fourrage pour le bétail, et d’accroître la dépendance de la fourniture de feuilles d’arbre locales. La grave pénurie saisonnière de fourrage a exigé l’introduction d’espèces potentielles d’herbe de fourrage adaptées aux différentes altitudes. La plupart des graminées fourragères introduites dans le programme restent à feuilles persistantes, alors que d’autres fournissent suffisamment de fourrage sec à haute valeur nutritive pour durer pendant tou-te la période hivernale. Le programme a suivi une approche holistique visant à renforcer séquentielle-ment toutes les composantes de la chaîne de valeur du bétail pour faire de l’élevage une option viable. Le projet a non seulement promu la culture du four-rage, mais aussi soutenu des activités comme la conservation du fourrage, de meilleures pratiques d’alimentation, le renforcement des capacités et la mobilisation communautaire. Plus de 8 000 ménages (qui couvrent une popula-tion totale de 44 000 personnes environ) des villages des districts montagneux d’Uttarakhand sont direc-tement ou indirectement concernés par le projet. Aujourd’hui, plus de 1500 agriculteurs ont établi de

petites pépinières de fourrage décentralisées dans la zone du projet dont toutes sont en mesure de fournir 75% de l’élément végétal. En outre, un en-semble de groupes de producteurs de bétail ont été formés dans chaque village, permettant ainsi aux collectivités d’élaborer des projets d’épargne et de crédit et de développer des micro-entreprises. Les familles agricoles ont augmenté leurs ventes de lait de 21% après la mise en œuvre du programme. Le projet a eu également un impact positif sur les forêts contiguës: une baisse de 4,5% dans la col-lecte de fourrage de feuilles a été enregistrée, ainsi qu’une baisse de 44% du pâturage libre depuis le lancement du programme. En outre, 82% environ de l’ensemble des ménages ont adopté de meilleu-res pratiques d’alimentation, ce qui a entraîné un accroissement de 14% du cheptel. En outre, la te-neure en humidité du sol était sensiblement plus élevée dans les parcelles protégées et ensemen-cées, par rapport aux zones forestières/terre agrico-les contiguës, qui favorisent à leur tour la hausse de la production.

Vishal Singh est membre du Centre de recherche et de développement de l’écologie, Dehradun, Inde (e-mail: [email protected]). Yashpal Bisht ([email protected]) est le Coordinateur de la gestion des ressources naturelles de la Himmotthan Society. Sunil Prasad travaille au Centre pour la recherche et le développement de l’écologie, Inde (e-mail: [email protected]

Cultures fourragères et forêts

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AGroBIodIVersItY@KNoWledGed

la biodiversité agricole englobe plusieurs aspects : gènes de la grande variété de plantes et d’animaux, politiques et pratiques, personnes et systèmes dont ces personnes font partie. Quelle signification réelle peut-on donner à la biodiversité agricole ?

Comment les vastes connaissances et expériences disponibles contribuent-elles à de meilleures politiques et pratiques ? Les personnes, agriculteurs, décideurs et hommes d’affaires doivent connaître les opportunités et possibilités en matière de biodiversité. Tous ces acteurs doivent également être au fait des risques de certaines actions, et comment celles-ci affectent la biodiversité

et donc la disponibilité de la nourriture. Nous devons savoir comment renforcer la biodiversité agricole : quel-les sont les mesures incitatives et dissuasives pour les producteurs, hommes d’affaires ou décideurs ?

Pour faire face à cet ensemble de problèmes complexe, de nombreuses organisations analysent la biodiversité agricole comme un concept spécifique. « La diversité agricole comprend les composantes de la diversité biologique essentielles pour nourrir les populations humaines et améliorer leur qualité de vie, explique Zachary Makanya de PELUM-Kenya. Cette diversité est le résultat de milliers d’années d’activités d’agriculteurs et d’éleveurs, d’exploitation de terres et de forêts, d’activités de pêche et d’aquaculture, dou-blées de millions d’années de sélection naturelle. Elle est essentielle à notre existence. »

comprendre la biodiversité agricole Les organisations impliquées dans le programme agrobiodiversity@knowledged se focalisent sur différents aspects du concept de biodiversité agri-cole. Le Forum d’utilisation durable des terres (SLUF)

Renforcer le débatpour une véritable transformation

La biodiversité joue un rôle clé dans la résilience de notre planète. Non seulement les petits exploitants dépendent

de la biodiversité pour garantir leurs moyens de subsistance et de survie, mais ils en sont également les principaux

gardiens. Les pratiques agricoles favorables et bénéfiques pour cette agrobiodiversité sont courantes, mais l’agriculture

peut également se révéler le pire ennemi de la biodiversité. Pouvons-nous enrichir les débats actuels sur ce sujet ? Telle

est la question à la base d’un programme de développement de connaissances récemment lancé par Hivos et Oxfam Novib. Ce programme vise à développer des concepts et des idées sur la biodiversité agricole, les moyens de

subsistance des petits exploitants et le changement climatique en tirant parti et en valorisant les ressources existantes, mais également en se posant en moteur du

changement. Il s’agit d’un programme triennal qui englobe la recherche-action, le développement de réseaux et la mise

en place d’une plate-forme pour les débats publics.

« La sécurité alimentaire suppose la disponibilité des semences de bonne qualité à des prix abordables et au moment opportun pour les agriculteurs. L’approche doit consister à construire et à renforcer les sources d’approvisionnement en semences autant que possible au niveau local. »AV Balasubramanian, Centre des systèmes de connaissances indiennes (CIK), Inde

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en Ethiopie, par exemple, a plaidé pour une approche intégrée de l’agriculture et de l’utilisation des terres pendant des années. L’agrobiodiversité est un concept pluridimensionnel, affirme Tenaw Hailu Tedela, qui en présente différents avantages. « Elle constitue le socle de la production alimentaire. En outre, la biodi-versité d’une région intègre les organismes bénéfiques pour de nombreux services écosystémiques divers, allant de la lutte contre les ravageurs et les maladies à la séquestration du carbone. Les agriculteurs n’ont cesse de démontrer qu’elle constitue le fondement de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance durables, d’où la nécessité absolue de la préserver. »

En Inde, le Centre pour les systèmes des connaissan-ces autochtones (CIKS) a pour objectif de faire intégrer les connaissances traditionnelles sur les différentes espèces dans les systèmes agricoles d’aujourd’hui. « La biodiversité agricole s’avère très importante : il suffit de penser au nombre de variétés résistantes à la sécheresse, aux ravageurs et aux maladies, explique A.V. Balasubra-manian. L’agrobiodiversité nous a permis de produire de la nourriture d’une manière adaptée à nos exigences locales, à nos traditions et à nos conditions. A ces avanta-ges s’ajoutent également des rendements meilleurs. »

Initiatives actuelles Grâce aux connais-sances autochtones locales, CIKS a lancé un projet de banque de semences communautaire dans le Tamil Nadu. La communauté a retrouvé la biodiversité per-due, plus de 130 variétés de riz et 50 variétés de légu-mes ayant été semées dans les champs des agriculteurs et les exploitations expérimentales. « L’agrobiodiversité doit s’affranchir des chambres froides des chercheurs pour être protégée au niveau local, explique AV Bala-subramanian. En sensibilisant les communautés sur la diversité et l’importance des variétés de semences traditionnelles, les communautés actuelles peuvent continuer à bénéficier de ces semences sans priver les générations à venir. »

Le projet PELUM en Afrique de l’Est a également entrepris des mesures importantes pour partager connaissances et meilleures pratiques entre les dif-

férents spécialistes. PELUM-Kenya et d’autres orga-nisations similaires mettent actuellement en œuvre l’initiative Agriculture bio écologique (EOA) qui vise essentiellement à renforcer la sécurité des moyens des subsistances des petits exploitants et communautés africains. « PELUM-Kenya coordonne cette initiative pilote pour promouvoir l’agriculture écologique et nous donner l’opportunité de démontrer que l’agricul-ture écologique est la solution pour combattre la faim et la pauvreté chroniques, déclare Zachary Makanya. » L’objectif est d’intégrer l’agriculture biologique dans les systèmes nationaux de production agricole d’ici 2020 - en mettant à l’échelle les meilleures pratiques, en vulgarisant les produits alimentaires cultivés de manière écologique, et ce à travers des partenariats multi-institutionnels.

comment continuer ? La biodiversité agricole mérite plus d’attention et tous les organismes en conviennent. « Nous devons non seulement reconnaître son importance, mais également accroître notre com-préhension de la façon de transformer l’agriculture, no-tamment en vulgarisant les programmes performants », avance Gine Zwart d’Oxfam Novib. L’idée d’une économie « verte » occupe une place de choix dans les différents agendas, mais de nombreuses questions sub-sistent. Que signifie réellement le vocable « vert » ? Qui va gouverner cette économie verte ? Avons-nous besoin davantage de connaissances pour élaborer de nouvelles politiques et pratiques ? De nombreux décideurs de haut niveau pensent sans doute que ces connaissances sont cachées. Toutefois, elles sont là, sous nos yeux. Il suffit seulement de prendre le temps d’observer et d’écouter attentivement ceux qui travaillent avec la nature de façon quotidienne, en l’occurrence les agriculteurs, les pêcheurs et les éleveurs.

Pour en savoir plus : Adresser un e-mail à Gine Zwart (e-mail : [email protected]), à Willy Douma (w.douma @ hivos.nl) ou s’adresser directement aux organisa-tions engagées : A. V. Balasubramanian à CIKS ([email protected]), Zachary Makanya à PELUM ([email protected]) ou Tenaw Hailu Tedela au SLUF ([email protected]).

« Les gouvernements des pays en développement doivent cesser leur show politique et accorder à l’agrobiodiversité toute l’attention qu’elle mérite. Le développement durable ne peut être atteint que par la conservation et le développement de la biodiversité agricole, et c’est à travers cette biodiversité que nous renforcerons la sécurité alimentaire, les moyens de subsistance et la résilience face au changement climatique. Des politiques appropriées doivent être mises en place pour mener à des actions concrètes et durables. »Tenaw Hailu Tedela, Directeur exécutif de programme du Forum d’utilisation durable des terres (SLUF)

« Il est impératif d’accroître la production alimentaire et agricole de façon durable : récolter sans compromettre le capital naturel, et tirer parti de tous les processus biologiques. Le renforcement des systèmes autochtones de gestion des ressources et de conservation de la biodiversité agricole est une question d’urgence. Les agriculteurs et groupements d’agriculteurs locaux méritent d’être soutenus pour continuer à conserver leurs semences autochtones et locales qui ont résisté à l’épreuve du temps. Il est temps de mettre fin aux OGM car ils détruisent les systèmes locaux de semences et aggravent la dépendance des agriculteurs aux entreprises pour obtenir leurs semences. »Zachary Makanya, Coordonnateur pays de PELUM-Kenya et présidente du conseil d’administration de l’Africa Biodiversity Network (réseau africain de la diversité).

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ÉNerGIe

À certains moments, le débat sur le développement a négligé l’énergie mais cette dernière a récemment fait l’objet d’une plus grande attention. Certains parlent de « pauvreté énergétique » et soulignent qu’un

meilleur accès à l’énergie des populations « privées d’énergie » peut contribuer de manière significative à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). L’accès à l’énergie peut réduire l’extrême pauvreté (OMD 1) en permettant de nouvelles activités génératrices de revenus, mais aussi en réduisant le temps consacré à rechercher du bois de chauffage. L’électricité permet d’étudier plus (OMD 2), de regarder la télévision et d’utiliser les téléphones mobiles. Des études ont montré que les filles, tout particulièrement, tirent parti des heures d’études supplémentaires (OMD 3). L’accès à l’énergie peut réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle et participer à la lutte contre le VIH-sida et autres maladies (par exemple en fournissant de l’eau potable). En remplaçant le bois de chauffage par le biogaz ou l’électricité, l’on réduit les maladies respira-toires (OMD 4, 5 et 6). En outre, un meilleur accès à

le dilemme de l’énergie

l’énergie peut améliorer la viabilité de l’environnement en réduisant le déboisement (OMD 7).

Le lien entre l’énergie et le changement climatique est maintenant largement reconnu, mais l’accès accru à l’énergie ne mène pas nécessairement au chan-gement climatique. Pour commencer, l’énergie ne doit pas être aussi mal utilisée qu’elle l’a souvent été dans l’agriculture industrielle. Au lieu de considérer l’énergie comme un produit de consommation, acheté à l’extérieur, nous devons penser en termes de flux d’énergie, comme nous le faisons avec les substances nutritives et l’eau dans l’agriculture. Comment réduire le gaspillage d’énergie ? Comment accroître l’efficacité énergétique ? Comment réutiliser l’énergie ? Alors que les systèmes classiques de production agricole sont fortement tributaires des combustibles fossiles, tant pour les machines que pour la production d’engrais, la majorité des petites exploitations utilisent un minimum d’intrants d’origine fossile. Les avantages d’une telle approche sont nombreux et incluent, entre autres, un impact minimal sur l’environnement, moins d’argent dépensé et une résilience accrue face aux fluctuations des prix des combustibles fossiles.

Accès aux sources d’énergie et épuisement de ces dernières : voilà une question qui retient de plus en plus l’attention, surtout en ce qui concerne l’agriculture et les zones rurales. Parmi les principaux aspects de ce débat, il faut inclure la façon d’utiliser des sources d’énergie existantes et la façon de développer des sources d’énergie plus durables. D’où les questions de savoir comment l’agriculture peut devenir plus économe en énergie, et le potentiel (et risque) que constituent des sources d’énergie alternative comme les biocarburants.Text: Flemming Nielsen

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objectif accès universel ? Le brûlage du bois, de la bouse et des résidus de récoltes représente un tiers de l’énergie utilisée dans les pays en développement. Toutefois, il devient de plus en plus difficile pour les ménages de trouver du bois ou de la bouse ; il est donc important de se concentrer sur d’autres sources d’énergie. Certaines solutions alterna-tives telles que le biogaz, les micro-barrages hydro-élec-triques et l’énergie éolienne ont mûri et se répandent vite. Les prix des solutions modernes comme les panneaux solaires photovoltaïques (PV) ont baissé de manière significative au cours des dernières années et deviennent de plus en plus concurrentielles face à d’autres sources d’énergie. Cependant, bon nombre de ces technologies nécessitent des investissements lourds qu’il faut payer d’avance. Beaucoup de pauvres qui pourraient bénéficier de ces formes alternatives d’énergie ne sont par exemple pas en mesure d’adopter les panneaux solaires photovoltaïques dont le coût peut facilement atteindre 500 $ EU pour un ménage. Même avec des options moins coûteuses, comme les systèmes de micro-centrales hydroélectriques vus au Népal, les coûts initiaux sont trop élevés pour que les collectivités puissent les assumer seules. Dans le même temps, de nombreux pays ont adopté des lois pour pro-téger les fournisseurs nationaux d’électricité en inter-disant les petits réseaux privés. Aujourd’hui, le niveau d’investissement dans la fourniture d’énergie « douce » est seulement d’un cinquième de celle nécessaire pour un accès universel à l’électricité d’ici 2030. L’Agence internationale de l’Energie (AIE) prévoit que d’ici 2030 il restera encore 1,2 milliard de personnes qui n’auront pas accès à l’électricité, à moins d’un changement important au niveau des politiques.

Beaucoup redoutent les conséquences éventuelles d’un accès universel à l’électricité en termes de ré-

chauffement de la planète. Toutefois, l’accès universel à l’électricité d’ici 2030 ne ferait qu’augmenter la demande mondiale en combustibles fossiles de 0,8% et accroître les émissions de CO2 de 0,7 %. Cela est dû à la fois aux faibles besoins en énergie des personnes actuellement hors réseau et aux perspectives de fournir à beaucoup de l’électricité produite à partir de sources alternatives d’énergie.

À la recherche de solutions de rechange La majorité des pays pauvres sont des importateurs nets de combustibles fossiles. Paradoxale-ment, ils disposent de ressources abondantes d’énergie alternative inexploitée. Dans de nombreux pays, le manque de compétences et de capitaux, les subven-tions en faveur des combustibles fossiles et l’absence de politiques incitatives ont entravé le développement significatif de technologies énergétiques alternatives. À l’exception notable du Brésil, de la Chine et de l’Inde. Suite à des décennies de soutien constant du gouvernement en faveur des activités de recherche et développement, le Brésil est aujourd’hui l’un des lea-ders mondiaux de la production de biocarburants. La Chine et l’Inde sont, quant à elles, les chefs de file de la fourniture décentralisée d’énergie renouvelable tirée du vent, de petites unités hydroélectriques, du biogaz et du chauffage de l’eau à l’aide de l’énergie solaire. La plupart des autres gouvernements n’ont fait preuve que de peu d’initiatives pour développer des sources d’énergie alternative.

Le gasoil d’origine végétale peut servir de succédané de diesel et d’éthanol et remplacer l’essence. Il peut alimenter nos véhicules actuels, au contraire d’autres carburants alternatifs comme l’électricité ou l’hydro-gène, qui impliquent le remplacement de véhicules existants par des nouveaux. Même dans les pays riches,

l’augmentation de l’accès à l’énergie ne contribue pas systématiquement au changement climatique. Photos : Victor Berrueta / William Critchley

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les adaptations nécessaires sont d’un coût prohibitif. Lorsque les prix des combustibles fossiles ont crevé le plafond, il a semblé très intéressant d’inciter les agriculteurs à produire des biocarburants qui ne néces-siteraient que des investissements en amont dans des installations de transformations relativement simples. Ce rêve d’une transition rapide et facile vers un futur délivré des combustibles fossiles manquait cependant d’ancrage dans la réalité.

Le dernier grand battage autour des biocarburants a commencé vers 2005 et a vu de nombreux gou-vernements, ainsi que des ONG et des investisseurs privés, sauter sur de grands projets sans faire le travail de recherche préalable. L’on a par exemple promu la production de Jatropha curcas dans des endroits où la plante ne peut pas se développer pleinement et l’on a encouragé les agriculteurs à produire dans des endroits sans débouché. Rarement les agriculteurs ont-ils reçu des informations sur les pratiques agronomiques appro-priées et personne n’a prêté attention à la nécessité de créer des sous-produits à partir du tourteau. Comme on pouvait s’y attendre, les rendements ont été faibles et la réaction brutale qui s’en est suivie a été tout aussi grande que le battage médiatique des dernières années. Le secteur des biocarburants traverse aujourd’hui une période difficile, tant du point de vue économique que politique.

Des exemples tirés de différents pays montrent que, à l’instar de toutes les sources d’énergie, il est important d’examiner les conséquences sociales et économiques de chaque option ainsi que les impacts environnemen-taux de la consommation d’énergie, et de prendre en compte l’ensemble du processus de distribution. Les grandes centrales hydroélectriques, ou la production à grande échelle de biocarburants, peuvent avoir d’énor-mes coûts sociaux, économiques et politiques tels que le déplacement de populations vivant dans une zone. La «viabilité» des biocarburants dépend de l’énergie requise pour produire des cultures destinées aux agro-carburants (par exemple, si des produits agrochimiques sont utilisés) et du type de terrain sur lequel on fait pousser les cultures : s’il remplace des terres riches en carbone, telles que les forêts naturelles, ou autres cultu-res (vivrières), alors on devra se poser des questions sur les bénéfices nets que l’on en tire.

des solutions à petite échelle Les combustibles fossiles ont joué un rôle important dans l’agriculture, alimentant des générateurs, des pompes et des véhicules, la production d’engrais arti-ficiels et permettant aux chaînes d’approvisionnement de se développer de plus en plus. Cependant, plusieurs sources d’énergie alternative ont émergé qui sont techniquement et économiquement viables et en cours d’adoption actuellement à grande échelle. Chaque technologie présente des avantages et des inconvé-

nients. Par exemple, l’énergie éolienne n’est pas cher mais intermittente, c’est à dire qu’elle ne fonctionne que lorsque le vent souffle. Les petites stations hydroé-lectriques peuvent produire de l’énergie à la demande, mais elles coûtent trop cher pour la plupart des communautés. Le biogaz produit du purin qui est un bon engrais, mais qu’il est difficile de manipuler et de transporter. Les cellules photovoltaïques sont durables, mais ne peuvent alimenter que des charges légères. Les biocarburants peuvent remplacer directement le combustible fossile, mais ils risquent d’entrer en com-pétition avec d’autres cultures pour la main d’oeuvre et la terre. Les chauffe-eau solaires sont relativement abordables mais ont tendance à s’encrasser si de l’eau sale est utilisée.

Malgré les grands avantages que présentent les sources d’énergie alternative, l’on risque, en mettant l’accent sur un accès accru à l’énergie, de négliger l’importance des techniques et équipements utili-sés par de nombreuses familles d’agriculteurs - et la demande réelle d’énergie de la part de l’agriculture. Partout dans le monde, les agriculteurs procèdent à des expérimentations avec les nombreuses technolo-gies sommaires d’économie d’énergie et de fourniture d’énergie qui sont déjà disponibles. De nombreux exemples en ont été donnés dans ce magazine au fil des ans. Le type de source d’énergie utilisée dépend largement de la disponibilité et du prix, mais aussi des traditions et préférences personnelles. Plus important encore, il nous faut examiner non pas tant la demande d’énergie, mais plutôt l’efficacité de son utilisation. Ces exemples montrent que les petits producteurs peuvent non seulement obtenir des rendements élevés, mais encore être plus efficaces que les producteurs de l’agriculture intensive, s’agissant de leur consommation d’énergie.

référencesOECD/IEA, 2011. Energy for all: Financing access for the poor.UNDP, 2009. Expanding energy access in developing countries: The role of mechanical power. UNDP, 2011. Decentralized energy access and the Millennium Development Goals: An analysis of the development benefits of micro-hydropower in rural NepalThe Worldwatch Institute 2005: Energy for Development: The potential role of renewable energy in meeting the Millennium Development Goals.

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Agridape | Juin 2012 | 37

Julia Wright

Puisqu’elles importaient l’essentiel des intrants né-cessaires à l’agriculture, les exploitations de Cuba utilisaient plus de 190 kg/ha d’engrais azoté avant l’effondrement bloc soviétique – des taux plus éle-vés que ceux des USA. Dès 1993, toutefois, ces importations n’étaient plus disponibles et le pays en était presque à devoir pallier une énorme crise alimentaire. Quoiqu’il en soit, en dix ans, le pays s’est tiré suffisamment de la crise pour doubler sa production agricole, augmenter la disponibilité des denrées alimentaires de 25 %, et maintenu un programme alimentaire social cohérent et équita-ble, sans dépendre des quantités astronomiques d’apports externes requis auparavant. A la fin des années 90, Cuba maîtrisait son système alimen-taire mieux qu’à aucun autre moment de son his-toire récente, et ce nouveau système de produc-tion a fait preuve d’énormément de résilience tout au long des années 90. La production d’aliments de base a été doublée et continue d’augmenter, et, plus important encore, leur disponibilité a de nouveau atteint un niveau acceptable.Des changements majeurs ont été apportés qui incluent une concentration sur les technologies basées sur l’expertise, les compétences et les ressources locales plutôt que les apports venus de l’extérieur. Malgré l’absence d’une politique publique officielle, plusieurs composantes d’un système de production organique ou agroécolo-gique étaient déjà en cours d’exécution, à l’ins-tar du développement de centres de productions destinés aux produits biologiques antiparasitaires, d’exploitations agroécologiques pilotes, de cours de formation écologique, d’organoponicos en mi-lieu urbain (culture sur butte) ainsi que le déve-loppement d’un mouvement social promouvant la culture bio. Des arguments issus de la recherche et des projets cubains suggèrent que la produc-tion bio est techniquement faisable et économi-quement viable en tant que courant dominant de la stratégie de sécurité alimentaire d’une nation.

Toutefois, la façon dont les agriculteurs, groupe-ments et institutions à Cuba continuent de tra-vailler montre que l’absence ou le retrait de pro-duits chimiques (ou de négoces agricoles privés) ne suppose pas forcement un système de produc-tion écologique car une telle conversion requiert en effet une décision consciente. Il est en effet nécessaire de mettre sur pied des mécanismes de soutien, notamment des politiques efficaces pour augmenter et généraliser la production agroéco-logique. Les éléments clés peuvent être classifiés en trois groupes : ceux relatifs aux connaissances, ceux relatifs aux ressources et à l’accès aux tech-nologies et enfin ceux relatifs aux facteurs politi-ques et sociaux. S’agissant de connaissances, l’augmentation de «l’alphabétisation écologique», la production de connaissances, avec de nouvelles recherches et un soutien aux innovateurs ou «pionniers écologi-ques», sont essentiels. Il est également important d’accroître la disponibilité et l’accès aux ressour-ces et technologies idoines. Par ailleurs, des élé-ments politiques et facteurs sociaux qui oeuvrent à l’encontre d’une approche agroécologique doivent être identifiés et pris en charge. A Cuba, l’accent mis sur les organisations de niveau local semblait accom-pagner la transition vers les ap-proches écologiques, à l’instar de l’intégration d’exploitations agri-coles préalablement spécialisées et d’entreprises agricoles.

Une version complète du présent article est parue dans le numéro 22.2 d’Agridape (Juin 2006). Julia Wright travaillait alors au Programme interna-tional de la Henry Doubleday Research Association, Ryton Organic Garden, Coventry, U.K.

Cuba ou l’expérience d’un apprentissage au forceps !

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>> ÉNerGIe

Marc Schut, Annemarie van Paassen, Cees Leeuwis, Sandra Bos, Wilson Leonardo et Anna Lerner

Dans de nombreux pays en développement, la pro-duction de biocarburants et leur utilisation par les petits exploitants sont perçues comme une oppor-tunité prometteuse d’économie verte permettant de satisfaire les demandes en énergie dans les zones rurales et susceptible par conséquent de fonction-ner comme un catalyseur pour stimuler le dévelop-pement socio-économique rural. Une étude pros-pective menée dans la communauté de Nhambita au Mozambique, une des premières communautés à planter Jatropha curcas Linnaeus (pourghère) à la demande du gouvernement mozambicain, a analysé le potentiel de production de biocarburants au sein de différents types de ménages agricoles. L’objectif de l’étude était de contribuer à une réflexion plus stratégique au moment de concevoir et de mettre en œuvre des politiques relatives aux biocarburants, plans d’affaires ou projets de développement sou-cieux de la production responsable et viable de bio-carburants par les communautés ou les petits exploi-tants, au Mozambique comme dans d’autres pays. Selon les conclusions de l’étude, les agriculteurs dotés de ressources moyennes à élevées ont be-soin d’environ 20 % de la superficie totale de leur exploitation pour atteindre l’autosuffisance alimen-taire de leurs foyers. Quant aux exploitants à faibles ressources, il leur faut 80 % de la surface totale de leurs champs pour produire assez pour la consom-mation familiale. Par ailleurs, les ménages dotés en ressources importantes sont plus résistants s’agis-sant des réserves alimentaires et rencontrent moins de difficultés à nourrir leurs familles sur toute l’année comparativement aux ménages à faibles ressources. En outre, les ménages d’exploitants dotés de res-sources moyennes et élevées disposent de plus de main-d’oeuvre au niveau de l’exploitation dans la mesure où ils louent souvent la main-d’oeuvre des membres de foyers moins nantis pour aider aux acti-vités agricoles. Dans ces conditions, l’investissement dans la production de pourghère sera particulière-ment difficile pour les ménages à faibles ressources qui font déjà face à des contraintes de terre et de main-d’œuvre. S’agissant des ménages dotés de ressources impor-tantes et qui cultivent le pourghère, leur décision d’arrêter la gestion active de leur champ de pour-ghère était dictée moins par les contraintes de terre et de main-d’oeuvre que par la priorité accordée à la répartition des terres et de la main-d’oeuvre aux

différentes cultures et activités comparativement à leurs revenus et avantages relatifs. Tant qu’il n’existera aucun marché organi-sé ou des chaînes de valeur pour le pourghère, il est peu probable que même les agriculteurs jouis-sant de ressources importantes vont allouer lesdites ressources à une culture non alimentaire et à but uni-que telle que le pourghère qu’ils connaissent si peu et dont la rentabilité des rendements n’est effective qu’au bout de trois à quatre ans. La façon dont le gouvernement mozambicain a promu la production du pourghère en Nhambita a généré des résultats décevants qui ont affecté la confiance des agriculteurs dans la culture des bio-carburants. Les stratégies de production de biocar-burants par les petits exploitants doivent être ciblées sur le contexte spécifique dans lequel l’agriculture se pratique, en tenant compte de la complexité des différentes stratégies agricoles et de leurs synergies au niveau communautaire. Par ailleurs, un environ-nement propice à l’expérimentation et à l’appui ins-titutionnel en termes de renforcement de capacités, de partage de connaissances et d’expériences et de développement des marchés reste fondamental. Toutefois, l’étude a aussi montré des opportunités : l’huile de pourghère est adéquate pour la fabrication du savon et pour l’éclairage, ce qui fait partie des principales dépenses pour les ménages de Nham-bita – et pour l’éclairage et les enveloppes fruitières et les gâteaux de marc du pourghère peuvent servir d’engrais organique. Les outils d’évaluation ex-ante peuvent participer à une réflexion plus stratégique à propos du potentiel et de l’impact des politiques et interventions agricoles, avant leur promotion auprès des petits exploitants ; éviter que la production de biocarburants et autres initiatives d’économie verte ne deviennent une menace plutôt qu’une opportu-nité pour les petits exploitants.

Marc Schut ([email protected]) travaille en qualité de chercheur post-doctoral au Wageningen University and Research Centre, Pays-Bas. Annemarie van Paassen et Cees Leeuwis travaillent au département des Communica-tion and Innovation Studies, Wageningen University and Research Centre, Wageningen. Sandra Bos travaille pour la FACT Foundation, à Wageningen, Wilson Leonardo prépare sa thèse de doctorat et fait des recherche sur les systèmes de production végétale au Wageningen University and Research Centre, et Anna Lerner fait partie de l’Equipe de Climate Change Mitigation (Equipe chargée de l’atténuation du changement climatique), Fonds pour l’environnement mondial, Banque mondiale, Washington DC, USA.

Leçons de Nhambita, Mozambique

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Auke Idzenga

La gravité fait couler l’eau en aval, ce qui fait que les populations et communautés vivant dans les zones montagneuses éprouvent souvent plus de difficultés pour avoir accès à suffisamment d’eau. L’Alternative Indigenous Development Foundation, AIDFI (Fon-dation pour le Développement Indigène Alternatif), une ONG locale basée à Bacolod City, sur l’île de Negros, travaille avec les petits exploitants depuis de nombreuses années. Ayant constaté et entendu nombre de paysans parler de leurs problèmes récur-rents d’eau, l’AIDFI a décidé d’axer on intervention sur la prise en charge leurs besoins élémentaires en eau pour la boisson et pour l’irrigation. Depuis 1990, l’AIDFI travaille sur différents types de pompes à eau et aujourd’hui, le bélier hydraulique est son produit phare. Un bélier hydraulique utilise l’énergie cinéti-que d’une colonne d’eau pour pomper une partie de l’eau qui la traverse et la faire monter à une certaine hauteur. Nul besoin d’électricité ou de carburant. Pour chaque chute d’un mètre de la source au bélier, un bélier peut pomper l’eau jusqu’à un niveau 30 fois plus élevé. C’est dans sa simplicité que réside l’énor-me potentiel du bélier. Le modèle de bélier conçu

par AIDFI utilise des charnières de porte ordinaires (disponibles partout dans le monde) et un clapet an-tiretour fait d’un morceau de pneu de voiture. Il est facile de faire adopter le bélier dans d’autres pays car il faut juste l’adapter aux charnières disponibles localement.L’installation du bélier se justifie par une demande en eau. L’étape suivante consiste à mettre en place une association chargée de l’eau et qui joue un rôle clé, répartissant les rôles et responsabilités et décidant de qui sera le point de contact avec AIDFI. L’ensem-ble du groupe décide également des villageois qui seront formés pour devenir des techniciens locaux et perçoit les droits qui sont destinés à couvrir les coûts de réparation, pièces de rechange et entretien géné-ral de la pompe.L’un des résultats les plus courants suite à l’installa-tion d’un bélier est que les villages n’ont jamais suf-fisamment d’eau : les besoins en eau semblent en effet augmenter par rapport à sa disponibilité. C’est pour cette raison que l’association doit élaborer des règlements stricts qui garantissent un partage équi-table entre tous. L’irrigation est souvent le principal usage que nous faisons de l’eau et cette eau doit être partagée et répartie équitablement. La mise en place de programmes d’irrigation et de règlements internes est l’une des tâches les plus importantes des associations chargées de l’eau. AIDFI soutient toutes les associations qui sollicitent son aide pour la rédac-tion de ces règlements, mais ne s’en mêle pas plus. L’expansion de la production et l’installation de bé-liers représentent aujourd’hui près de 90 pour cent de l’ensemble du travail de AIDFI. Les avantages des béliers ont également attiré l’at-tention à l’étranger. C’est ainsi que l’AIDFI est devenue active en Afgha-nistan, en Colombie et au Népal.

Cet article est paru dans le numéro 26.3 de Questions d’agriculture. Auke Idzenga est un ingénieur de génie maritime qui vit aux Philippines depuis 1985. En 1991, il a contribué à la création de l’AIDFI. E-mail : [email protected]

De l’eau courante en amont

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eNtretIeN > ANN WAters-BAYer

le développement international a connu beaucoup de changements au cours des 30 dernières années. Ces changements seront également visibles à la conférence Rio+20. « J’imagine qu’à Rio un certain nombre d’organisations paysannes et de

la société civiles seront présentes pour exprimer leurs propres doléances, avance Ann Waters-Bayer. » Depuis 1984, nos magazines s’efforcent de construire un pont entre les politiques et la pratique, mais en 1984, ces organisations paysannes n’étaient pas aussi solides qu’elles ne le sont aujourd’hui.

Qu’est-ce qui est à l’origine de la nouvelle dimension de ces organismes ? Je pense qu’ILEIA et d’autres organismes similaires y sont pour beaucoup. Ils se sont toujours évertués à faire entendre les voix des petits exploitants, notamment les pasteurs et les paysans sans terre. Je pense que nous avons essayé d’apporter plus de confiance à un certain nombre d’organisations convaincues de pouvoir se faire entendre en dehors de leurs pays par le biais de ces moyens internationaux. Fortes de cette conviction, elles ont commencé à partager également leurs expériences davantage dans leurs propres pays. Les organismes qui ont publié dans les magazines AGRIDAPE dans le passé disposent aujourd’hui de leurs propres publications. En outre, davantage d’organisations telles qu’ILEIA menaient déjà ce type d’initiative, inscrivant au cœur de leur ac-tion les petits exploitants et l’agriculture écologique et essayant de consigner toute une variété d’informations

« Nous pouvons parler d’un changement

dans une publication accessible. C’était à l’époque où l’on ne trouvait pas tout sur le Web.

Qu’est-ce qui a suscité l’intérêt dans l’échange d’informations ? Probablement le rapport « Limits to growth » (Limites de la croissance) publié il y a juste quelques années, et qui mettait en garde contre la direction que le monde em-prunterait si nous ne changions pas d’attitude, notamment vis-à-vis de l’utilisation des ressources naturelles. Je pense que cela a suscité la prise de conscience chez les gens. Ses auteurs ont collaboré avec des agriculteurs partisans d’un type d’agriculture différent de celui qui leur était proposé comme étant l’« avenir » dans le cadre de la révolution verte. Grâce à ce rapport, les gens ont pris conscience de l’importance et du potentiel des connaissances locales. La conférence des Nations unies à Rio en 1992 a, dans une certaine mesure, conforté ces personnes dans leur action, mais elle n’a pas constitué un tournant majeur.

une bonne partie des mêmes avertissements revient actuelle-ment. Y-a-t-il une différence ? Au cours des dernières années, l’on a accordé beaucoup plus d’attention à une agriculture axée sur l’écologie et aux « aspects écologiques » de l’économie mondiale. Je pense que la crise alimentaire, les dégâts causés à l’en-vironnement, les soulèvements politiques, les inégalités, le gaspillage immense de la nourriture dans les pays du nord et les débats sur les changements climatiques ont tous contribué à cet intérêt croissant. Certaines mé-thodes de l’agriculture sont nuisibles et d’autres le sont

Rio+20 a attiré l’attention de la communauté internationale sur le développement agricole durable, mais de nombreuses personnes s’y intéressent déjà depuis des années. Sociologue agricole, Ann Waters-Bayer s’est pendant longtemps consacrée à la production du bulletin ILEIA et du magazine AGRIDAPE. Elle fait désormais partie du programme PROLINNOVA (Promouvoir l’innovation locale dans le domaine de l’agriculture écologique et de la gestion des ressources naturelles), un « programme de partenariat mondial » visant à promouvoir les processus d’innovation locale en agriculture écologique.Entretien : Laura Eggens et Marta Dabrowska

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« Nous pouvons parler d’un changement

moins, et sont probablement plus résilientes. Les don-nées prouvant la productivité de l’agriculture écologique se multiplient. En outre, au cours des deux ou trois der-nières années, de nombreuses personnes ont commencé à remettre en cause la solution de l’intensification de l’agriculture. Je pense que le rapport de l’IAASTD a éga-lement joué un grand rôle, parce que les personnes in-fluentes dans cette évaluation ont eu la pertinente idée de vulgariser à grande échelle les résultats du rapport. Pour de nombreuses ONG, il s’agissait d’un processus multipartite qui avait abouti aux mêmes conclusions bien des années auparavant. Il a donné beaucoup d’élan au travail de lobbying politique et a amené les personnes d’autres organisations en dehors des ONG à réfléchir à la direction prise par l’agriculture.

pensez-vous qu’Internet a beaucoup changé en termes de méthode d’échange d’informa-tion ? Au début, lorsque nous travaillions à mettre sur pied un bulletin d’information, nous ne sortions pas du cadre de notre réseau et nous recherchions des informations sur le terrain absentes dans les revues soumises à double expertise. Désormais, de nombreu-ses connaissances locales sur les meilleures pratiques sont facilement mises à disposition sur Internet. Bien entendu, la validité des informations reçues doit faire l’objet d’une évaluation. Un grand nombre d’instituts de politiques de haut niveau ne vont pas rechercher des expériences locales sur Internet ; ils doivent procé-der à une sorte de sélection et d’évaluation. Je pense que les institutions comme ILEIA peuvent y parvenir par la collecte, la validation et l’analyse des expérien-ces, l’exploitation des questions et études politiques majeures, ainsi que leur vulgarisation.

Au niveau local également ? Je pense qu’il revient aux populations locales d’influencer la politique au niveau local. Il peut y avoir un rôle dans le renforcement des capacités et la recherche partici-pative pour permettre aux professionnels et aux experts locaux de recueillir les informations nécessaires, mais également dans l’obtention d’informations complé-mentaires d’autres sources. Ensuite, il s’agira de mettre toutes ces informations ensemble et de réfléchir à des stratégies sur la façon de rassembler ces décideurs po-

litiques au niveau local. Les ateliers de documentation d’ILEIA permettent aux organisations locales de mener leur propre lobbying, preuves à l’appui.

Quel est le rôle de prolIN-NoVA dans ce processus ? PRO-LINNOVA essaie, entre autres actions, d’influencer la vulgarisation agricole et les organismes de recherche. PROLINNOVA veut sensibiliser sur les capacités dont disposent les agriculteurs pour développer leurs propres technologies, systèmes et institutions, ce qu’ils font depuis des lustres. Les activités de recherche et de vul-garisation peuvent s’appuyer sur les initiatives existantes. Nous aimerions renforcer les liens avec les mouvements paysans. Trop souvent, les déclarations sur l’agriculture abordent le type d’agriculture à promouvoir mais sans proposer de méthode. Dans le même temps, je suis étonnée par l’attention verbale accrue accordée aux innovations locales et aux initiatives locales, au moins sur le papier. Même si l’appui au transfert d’approches technologiques n’a pas disparu du jour au lendemain, certains documents reconnaissent l’importance des initiatives locales. Cette approche est différente.

Avez-vous espoir que rio+20, ou les changements d’attitudes, conduira à des changements dans les politiques ? Je ne voudrais pas tout miser sur un seul événement, mais j’estime qu’un événement comme Rio+20 peut apporter une contri-bution importante. Il permet à des mouvements divers de se rassembler. Rio+20 peut toujours servir à faire passer un message, non seulement aux gens concernés par l’événement lui-même, mais également au monde entier. L’on aura sans doute un appui financier non négligeable maintenant. Toutefois, nous devons veiller à ce que le bon message soit entendu. Les gens doivent également s’intéresser à ce qui s’est passé pendant des décennies dans les événements parallèles. Les organi-sations internationales telles que la FAO, la Banque mondiale, ou les bailleurs de fonds bilatéraux ou mul-tilatéraux, appuient désormais de meilleurs program-mes agricoles ; nous pouvons parler d’un changement de paradigme. Cependant, pour de nombreux petits exploitants et organisations paysannes, ceci n’a rien de nouveau. Ils pensent de la sorte depuis des décennies !

de paradigme »

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l’objectif de Learning AgriCultures consiste à stimuler une culture d’appren-tissage sur l’agriculture durable à petite échelle et à considérer l’exploitation agri-cole comme un système plutôt qu’un es-pace constitué de composants distincts.

Learning AgriCultures est une ressource d’apprentissage destinée particulièrement aux éducateurs à la recherche d’une documentation d’appui pour expliquer l’agricul-ture durable dans leurs cours universitaires, dans les cours de formation spéciaux des ONG ou dans d’autres environnements professionnels. Cette documentation sera intégrée dans les discussions et suscitera débats et réflexions profondes sur les contributions importantes de la petite agriculture et la signification du concept de durabilité dans différents contextes. Les cours de cette série embrassent un large éventail de disciplines : agri-culture, développement rural, études environnementa-les, recherche et vulgarisation, formulation de politiques agricoles. Ils sont destinés aux étudiants qui travailleront principalement, mais pas exclusivement, dans les pays en développement.

La série Learning Agricultures comporte sept modules, axé chacun sur un thème des systèmes agricoles familiaux durables, tels que le sol et l’eau, l’élevage, mais également la commercialisation et les connaissances. Ces thèmes sont étudiés sous différents angles : 1) exploitation agricole, 2) questions majeures dans un contexte plus large et enfin 3) questions de gouvernance affectant la durabilité agricole. Tous les

une approche systémique de la petite agriculture durableAu cours des années, de nombreux lecteurs des magazines de notre réseau ont sollicité de la documentation sur les principes qui sous-tendent l’agriculture durable à petite échelle. La série Learning AgriCultures constitue la réponse d’ILEIA à ces demandes. L’objectif global d’ILEIA avec cette série éducative est de constituer des formateurs et des étudiants agricoles mieux formés, en mesure d’analyser les systèmes agricoles familiaux durables. Fort de 28 ans de publication de cas pratiques à travers le monde, ILEIA dispose d’une riche documentation pour explorer ce sujet.

modules comprennent des sujets de discussion et de la documentation à vocation pédagogique : cas pratiques, exercices, jeux, photos, vidéos, listes de contrôle pour les visites d’exploitations agricoles, ainsi que d’autres références (livres gratuits et sites Web).

La série s’inscrit dans une approche globale avec l’intégration de cas pratiques issus des quatre coins du monde. Les petits exploitants agricoles font face à des problèmes et opportunités différents dans des contextes différents : une famille vivant dans les hautes terres an-dines ne fait pas de l’agriculture de la même manière qu’une famille dans le Sahel. Leurs systèmes de gou-vernance régionaux ou nationaux peuvent présenter des contextes très variés dans lesquels les familles agri-coles doivent survivre. Malgré la très grande diversité, les petits exploitants ont quelques points communs. La série Learning AgriCultures s’intéresse à ces similitudes et souligne les différences porteuses d’enseignements pour tout un chacun, partout dans le monde.

Les formateurs peuvent tirer parti des éléments adap-tés à leur propre contexte régional et à leurs groupes d’étudiants. ILEIA s’est servi de la série pour élaborer un programme de cours d’été pouvant être mis en œuvre en partenariat avec les universités des différents pays. Les formateurs peuvent s’inspirer des modules pour concevoir leurs propres programmes, adaptés à leur propre contexte, de manière indépendante ou de concert avec ILEIA.

Pour plus d’informations : contactez Laura Eggens, [email protected]

FeNetre sur

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Agridape | Juin 2012 | 43

Le réseau AgriCultureS est com-posé de huit organisations qui diffusent l’information sur l’agri-culture durable à petite échelle dans le monde entier. Les ma-gazines publiés sont : Farming Matters, édition internationale en anglais ; Revista Agriculturas, édition brésilienne en portugais ; LEISA China, édition chinoise en chinois ; Baobab, l’édition est-africaine en anglais ; LEISA India, l’édition Indienne en anglais, Hindi, Tamul, Kannada, Telugu et Oriya ; LEISA Revista de agroecolgia, l’édition latino américaine en espagnol ; AGRIDAPE, l’édition ouest africaine en français.

Adresse postale ILEIA / secrétariat du RéseauP.O. Box 90 6700 Wageningen, Pays Bas

Adresse du bureauLawickse Alle 11, 6701 AN Wageningen, Pays BasTél : +31 (0) 33 467 38 70Fax : + 31 (0) 33 463 24 10Email/ [email protected]

Equipe Editorial Ce numéro spécial commun à toutes les éditions du réseau AgriCultureS a été préparé par Marta Dabrowska, Laura Eggens, Paulo Petersen, Teresa Gianella, T.M Radha, Jorge Chavez-Tafur , Bougouma Mbaye Fall et Awa Faly Ba MBOW. Les éditeurs ont mis beaucoup de soin dans l’édition des articles. Toutefois, les auteurs gardent la responsabilité du contenu de chaque article.

DesignEline Slegers-Twin Media Bv, Culemborg, Pays Bas

ImpressionGraphie Plus, Dakar, Sénégal

FinancementCe programme est financé par l’Agence Suédoise de Coopéra-tion International (ASDI)

photo de couvertureP.V. Satheesh

Volume N° 28.1

ISSN 2210-6499

Les éditeurs ont mis beaucoup de soin dans l’édition des articles. Toutefois, les auteurs gardent la responsabilité du contenu de chaque article.

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Magazine produit trimestriellement par IED Afrique

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d’informations sur les abonnements gratuits, payants ou en ligne, visitez notre site web : www.agriculturesnetwork.org/magazines

Je voudrais recevoir Farming Matters, édition internationale en anglais Revista Agriculturas, édition brésilienne en portugais LEISA China, édition chinoise en chinois Baobab, l’édition est-africaine en anglais LEISA India, l’édition Indienne en anglais, Hindi, Tamul, Kannada, Telugu et Oriya

LEISA revista de agroecología, l’édition latino américaine en espagnol

AGRIDAPE, l’édition ouest africaine en français

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Mon organisation est (choisir un seulement) Organisation de base Ecole d’éducation de base/Institut technique/ Université Organisation Non Gouvernementale Administration étatique Organisation Internationale

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