Prologue

St Gregory’s Church,New York

— Décidément, nous nous retrouvonsbeaucoup dans les églises, ces temps-ci ! lança Michael d’une voix moqueuseà son jeune frère Gabriel.

— Oui, mais les rôles changent. Ladernière fois, vous étiez mes témoins, toiet Rafe. Aujourd’hui c’est lui qui se

marie.— Cela fait combien de temps, au

juste ?— Cinq semaines. De pur bonheur…,

ajouta Gabriel avec émotion en songeantà Bryn, sa merveilleuse épouse.

— Mmh…Michael hocha la tête.— Ce jour-là, Rafe m’avait assuré,

non seulement qu’il ne croyait pas àl’amour, mais qu’il ne se marieraitjamais !

Gabriel sourit en observant son frèrequi guettait avec nervosité l’arrivée dela mariée.

— Vraiment ?— Oui. Incroyable, non ? C’était sur

le parvis de l’église, pendant que Bryn

et toi posiez pour les photos. Il avaitreçu un texto d’une de ses innombrablesadmiratrices…

Rafe se retourna et lança d’un airfurieux :

— C’est complètement indélicat deparler de cela en ce moment ! De toutefaçon, j’avais rompu avec Moniquedepuis plusieurs mois.

Les trois frères D’Angelo étaientpropriétaires des prestigieuses galeriesd’art Archangel, à New York, Londreset Paris. Jusqu’à une époque trèsrécente, ils s’arrangeaient pour changerde ville tous les deux ou trois mois.Mais les projets matrimoniaux des deuxplus jeunes les avaient amenés àmodifier leur organisation. Gabriel

habiterait désormais à Londres de façonpermanente avec Bryn, son épouse. Rafes’établirait à New York avec Nina, etMichael s’occuperait de la galerie deParis.

— Nina a cinq minutes de retard,murmura Rafe en consultant sa montrepour la énième fois.

— Quelle impatience, pour quelqu’unqui se targuait d’être un célibataireendurci !

— Oui, renchérit Michael. Nina nous achangé notre frère. On ne le reconnaîtpas !

— Tu verras, quand cela t’arrivera,railla Gabriel. L’amour accomplit desmétamorphoses étonnantes !

— Je ne crains rien, protesta Michael

d’un air sévère.— Ne parle pas trop vite…— Je suis sérieux. Jamais aucune

femme ne me mettra dans un état pareil,affirma Michael sèchement, avec ungeste du menton en direction de son frèreRafe.

— Quand vous aurez fini, tous lesdeux ! s’écria ce dernier, furieux.

— Nina a peut-être changé d’avis ?plaisanta Michael.

— Oh ! tu es insupportable !— Arrête de le taquiner, dit Gabriel.Michael haussa les épaules.— Calme-toi, Rafe. Nina va arriver.

Aussi curieux que cela puisse paraître,elle est vraiment amoureuse de toi !

— Ha ha ! très drôle, bougonna Rafe.

— La limousine est peut-être coincéedans un embouteillage, tout simplement.

— J’aurais dû m’en tenir à mon projetinitial et partir au bout du monde avecelle ! s’écria Rafe.

— Pour vivre dans le péché ?Certainement pas, Raphael CharlesD’Angelo ! l’avertit sa mère, assise audeuxième rang, juste derrière lui.

Michael réprima un sourire. Il étaitl’aîné, mais seul célibataire, maintenant,et bien déterminé à le rester.

Oh ! il se réjouissait pour ses deuxfrères et leur souhaitait tout le bonheurdu monde. Néanmoins, le statut d’hommemarié ne lui faisait pas du tout envie.

Il avait été amoureux une fois,quatorze années plus tôt. Mais

l’expérience ayant tourné au désastre, ils’était juré de ne plus jamais perdre lecontrôle de ses émotions. La peur deconnaître de nouveau les affres del’angoisse et de la trahison l’avait rendutrès méfiant envers les femmes.

Il menait une vie très indépendante,faisait ce qu’il voulait quand bon luisemblait, sans rendre de comptes àpersonne.

Il abandonnait volontiers à Rafe etGabriel le soin d’assurer la descendancedes D’Angelo. Quant à lui, il nes’encombrerait ni d’une épouse, nid’enfants.

— Dieu soit loué…Rafe poussa un soupir de soulagement

quand l’organiste entonna la marche

nuptiale, annonçant l’arrivée de lamariée.

Nina s’avança vers Rafe avec unsourire radieux, dans un bruissement desatin et de dentelle. Elle était si belleque Michael ressentit malgré lui un petitpincement au cœur. Aucune femme ne leregarderait jamais avec l’adoration quibrillait dans les yeux de Nina.

Mais il refoula bien vite ce légerregret. Il avait au moins la certituded’être à l’abri des chagrins d’amour…Plus jamais il n’en serait victime.

1.

Archangel Gallery, Paris,deux jours plus tard

— Qu’est-ce que… ?Michael leva les yeux en fronçant les

sourcils de mécontentement. Qui osaithausser la voix ainsi ? D’ordinaire,personne ne se permettait de le dérangerdans le sanctuaire de son bureau dutroisième étage de la prestigieuse

galerie Archangel. La chose en soi étaitdéjà assez incroyable, mais il luisemblait entendre des cris de bébé, cequi était totalement invraisemblable !

Avec un soupir d’impatience, il seleva d’un bond et se dirigea vers laporte qu’il ouvrit avec violence. Frappéde stupéfaction, il se figea sur le seuil.

Sa secrétaire, Marie, parlait avecanimation et à grand renfort de gestesavec Pierre Dupont, son assistant. Entreeux deux se tenait une jeune femmebrune, habillée d’un jean et d’un T-shirtviolet. Ecarlate, elle s’efforçaitd’ignorer Marie et Pierre tout en faisantson possible pour calmer le bébé quipleurait dans ses bras.

Sans succès, car les cris redoublèrent.

— Voudriez-vous baisser la voix ?demanda-t-elle impatiemment aux deuxemployés. Vous lui faites peur. Et voilà,vous avez réveillé Sam !

Consterné, Michael se retourna etremarqua une poussette devant le bureaude Marie, où un deuxième bébé se mit àhurler à pleins poumons.

Etait-il en train de faire uncauchemar ?

— Merci, maugréa la jeune femmeavec humeur quand Marie et Pierre seturent enfin.

Puis elle se précipita vers l’autre bébépour le consoler.

Michael en avait assez vu et entendu.— Pour l’amour du ciel, quelqu’un va-

t-il m’expliquer ce qui se passe ici ?

tonna-t-il.

* * *

Un silence inespéré, béni des dieux,tomba, et Eva poussa un soupir desoulagement. Non seulement les deuxemployés de la galerie ne disaient plusrien, mais les bébés se contentaient degémir en sourdine.

Toujours accroupie, elle glissa unregard en arrière, vers l’endroit d’oùvenait la voix.

Agé d’environ trente-cinq ans,l’homme avait des cheveux noirs coupéstrès court, le teint mat et bronzé et unvisage aux traits bien dessinés, dignedes plus beaux modèles qu’Eva avait

photographiés dans sa carrière. Ilpossédait des lèvres sensuelles au-dessus d’un menton ferme et déterminé.Le nez, très droit, soulignait despommettes hautes. Sous les sourcilsfroncés, des yeux noirs commel’obsidienne l’observaient avecsévérité.

Le reste de son physique était àl’avenant : une carrure aux largesépaules, un torse musclé, des hanchesminces et des jambes immenses. Il étaitvêtu d’un costume sombre à la coupeimpeccable, assorti d’une chemise desoie blanche immaculée, avec unecravate gris perle.

A en juger par la déférencerespectueuse des deux employés, il

s’agissait de D’Angelo en personne,celui-là même qu’Eva voulait voir.

Pas le moins du monde impressionnée,elle se redressa et traversa le vestibulepour lui tendre Sophie.

— Tenez-la pendant que je m’occupede Sam, ordonna-t-elle.

Mais il la regarda de haut et resta lesbras ballants…

Michael considéra la visiteuse avec unmélange de dédain et d’incrédulité. Elleétait très petite, à peine plus d’un mètrecinquante-cinq, alors qu’il mesurait lui-même près d’un mètre quatre-vingt-dix.Sans sa poitrine généreuse, elle auraitpresque eu l’air d’une adolescente, entout cas au premier abord. Car ellepossédait beaucoup d’assurance, et les

éclairs que lançaient ses yeux à traversses cils épais démentaient son apparentefragilité.

Agée d’environ vingt-cinq ans, elleétait très belle, concéda Michael àcontrecœur. Elle avait un petit nezretroussé, des lèvres charnues et un teintde porcelaine très délicat. Il fut surtoutfrappé par la couleur incroyable de sesyeux, un violet intense, ainsi que par sonexpression têtue et déterminée.

S’arrachant à l’observation de sonbeau visage, il regarda d’un air horrifiéle bébé habillé de rose qu’elle voulaitobstinément lui mettre entre les mains.

— Je ne pense pas…— Mettez ceci sur votre épaule pour

vous protéger, lui dit-elle abruptement.

Cela vaudra mieux.Elle lui tendit un carré de lin blanc en

même temps que la petite Sophie, avantde retourner vers la poussette.

Ne sachant que faire, Michael tintl’enfant en l’air, à bout de bras. Il sesentit un peu déconcerté d’être dévisagépar des yeux de la même couleur queceux de la mère.

Eva détacha Sam pour le bercer. Elleétait furieuse contre les employés de lagalerie Archangel qui avaient réveilléles bébés qu’elle avait eu tant de mal àendormir. Avec leurs dents quiperçaient, ils avaient passé une trèsmauvaise nuit.

Malgré sa colère, Eva faillit éclater derire en apercevant la mine de D’Angelo,

aussi embarrassé que s’il avait unebombe à retardement entre les doigts !

Mais après le cauchemar qu’ellevivait depuis plusieurs mois, elle n’étaitpas d’humeur à plaisanter.

— Sophie ne mord pas, railla-t-elle.Enfin… pas beaucoup. Ils n’ont quequatre dents pour le moment…

La patience de Michael était à bout.— Cela ne m’intéresse pas. En

revanche j’aimerais beaucoup savoir ceque vous faites ici avec eux !

La jeune femme redressa le mentond’un air arrogant.

— Avez-vous réellement l’intentionde discuter devant vos employés,monsieur D’Angelo ? Car vous êtesM. D’Angelo, n’est-ce pas ?

— Oui. Discuter de quoi ?Elle pinça les lèvres.— De la raison qui m’amène ici.— Comme je n’en ai pas la moindre

idée, je ne peux pas vous répondre.— Ah ?— Non, lâcha-t-il d’un ton sec.Devant son expression ironique, il

choisit la prudence.— Voulez-vous venir dans mon

bureau… ?Pierre intervint à ce moment-là, en

français, pour déconseiller à Michaeld’accorder un entretien privé à cettefemme manifestement dérangée. Il luisuggéra d’alerter le service de sécuritépour la jeter dehors.

— J’ai tout compris, dit la visiteuse,

qui parlait très bien français. Appelezvos vigiles si vous voulez, mais j’aitoute ma raison, je vous assure.

— Je n’en doute pas ! maugréaMichael. Ne vous inquiétez pas, Pierre.

Puis il s’adressa de nouveau à la jeunefemme :

— Voulez-vous me suivre ?Il ne savait toujours que faire de

Sophie, qui lui souriait maintenant deses quatre petites dents blanches.

— Apparemment, vous lui plaisez,observa sa mère, perplexe.

Avant de refermer la porte, Michaelplaça le lange sur son épaule avec lebébé, sous les regards inquiets et effarésde Marie et Pierre.

— Waouh, quelle vue !

La visiteuse tomba en arrêt devant lesimmenses baies vitrées qui donnaient surles Champs-Elysées et l’Arc detriomphe.

— Oui, c’est magnifique, reconnutMichael d’un ton blasé. Et maintenant, sivous voulez bien m’expliquer… ? Etd’abord, qui êtes-vous ?

Un instant, il se demanda s’il n’étaitpas en présence de Monique, uneancienne maîtresse de Rafe, maisl’accent anglais de la jeune femme l’endissuada.

— Je suis Eva Foster.— Et… ? reprit Michael.Elle le considéra avec une expression

consternée.— Le nom ne vous dit rien ?

— Non. Je devrais le connaître ?Quel mufle !— Rachel Foster vous parlera

davantage, peut-être ? susurra-t-elled’un ton aigre-doux.

Il secoua lentement la tête.— Je suis désolé, mais je ne sais pas

du tout de qui vous voulez parler…Une fureur noire s’empara d’Eva.

Après tous ces mois de chagrin, dechaos, de malheur, il ne se souvenaitmême pas de Rachel !

— Quel homme êtes-vous donc ? Non,ne répondez pas, ajouta-t-elle en faisantnerveusement les cent pas. Il passetellement de femmes dans votre vie etentre vos draps de soie que vous lesoubliez toutes au fur et à mesure…

— Arrêtez tout de suite !Comme Sophie commençait à

protester, il ajouta doucement :— Mais non, pas toi…Puis il toisa Eva d’un regard perçant.— Vous insinuez que j’ai… connu

cette Rachel Foster ?Eva rougit de colère.— Ma sœur, oui. Et vous avez la

preuve dans vos bras !Michael baissa les yeux sur le bébé,

qui devait avoir cinq ou six mois et quijouait avec une grande concentrationavec les boutons de sa veste.

Eva Foster cherchait manifestement àlui imputer une responsabilité qui ne luiincombait en aucune manière.

— Je n’ai jamais rencontré votre

sœur, déclara-t-il avec fermeté. Je nesais pas ce que vous manigancez avecelle, mais je vous conseille d’oubliertout de suite…

Il s’interrompit quand la main d’EvaFoster s’abattit sur sa joue en une gifleretentissante qui arracha un hurlement àla petite Sophie.

— Votre geste est… injustifié,protesta Michael en secouant le bébépour le faire taire.

— Au contraire, répondit Eva Foster,outrée.

Elle s’approcha pour caresser le dosde Sophie.

— Comment osez-vous prétendre toutignorer de ma sœur et m’accuser d’uncoup monté alors que vous tenez votre

propre fille dans vos bras ?— Vous avez complètement perdu…Michael s’interrompit et prit une

profonde inspiration pour tenter de seressaisir.

— Sophie n’est pas ma fille.— Oh si ! rétorqua Eva Foster, du tac

au tac.— Je vous propose de nous calmer un

peu, tous les deux, et de tout reprendre àzéro. Cette agitation perturbe les bébés,ajouta Michael lorsqu’elle ouvrit labouche pour protester.

Personne ne discutait jamais sesordres, point final. On ne contestait passon autorité, et ce n’était pas uneinconnue, aussi belle fût-elle, qui allaitcommencer. Dieu merci, Emma Lowther

l’avait vacciné une fois pour toutes.Aucune femme ne le piégerait plusjamais.

L’effroyable chantage d’Emmaremontait à quatorze ans, mais il s’ensouvenait comme si c’était hier.

Elle voulait se marier parce qu’elleétait tombée enceinte. Elle attendait unbébé de lui… Il n’avait évidemment pascherché à esquiver ses responsabilités nimême à mettre sa parole en doute.Pourtant, il n’était pas très amoureuxd’Emma et la perspective de fonder unfoyer avec elle ne le réjouissait guère…Et puis, contre toute attente, elle avaitchangé d’avis en rencontrant Daniel,issu d’une famille plus fortunée encoreque celle de Michael. Elle avait alors

avoué s’être trompée : finalement, ellen’était pas enceinte…

Trois mois plus tard, elle tendait lemême piège à Daniel.

Michael n’avait pas manqué de mettreson ami en garde, ce qui lui avait valuune scène épouvantable avec Emma.Cette mésaventure lui avait en tout casservi de leçon. Il s’était juré de ne plusjamais faire confiance à aucune femmeen matière de contraception…

Il était donc parfaitement serein. Enaucun cas il ne pouvait être le père deces bébés.

La jeune femme reprit la parole :— Ce sont des jumeaux…En effet, ils se ressemblaient

beaucoup, avec leurs cheveux sombres

et leurs yeux violets, comme ceux deleur tante.

Mais pour Michael, cela ne changeaitstrictement rien.

— Quel âge ont-ils ? demanda-t-il.— Vous essayez de vous rafraîchir la

mémoire ? lança-t-elle d’un tonméprisant.

Serrant les dents, il insista.— Répondez-moi !Elle haussa les épaules.— Six mois.Il fit un rapide calcul. Où était-il

quinze mois plus tôt… ?Mais pourquoi diable s’interroger ? Il

se moquait éperdument de cesaccusations ineptes. Il était bien tropprudent pour s’attirer ce genre d’ennuis.

— Pourrais-je savoir pourquoi vousm’incriminez ? demanda-t-il à voixbasse.

La petite Sophie battait des paupièreset semblait sur le point de s’endormirsur son épaule.

— Parce que Rachel m’a tout raconté,tout simplement.

Michael hocha la tête.— Dans ce cas, pourquoi votre sœur

n’est-elle pas venue en personne pourm’annoncer la nouvelle ?

— Parce que… Attention !Sophie avait sombré dans le sommeil,

et Eva craignait qu’elle ne glisse.— Comment avez-vous fait ? reprit-

elle, stupéfaite.Avec elle, les jumeaux ne

s’endormaient qu’au bout de longuesheures de promenade ou de bercement.Elle ne connaissait plus de nuits entièreset les grasses matinées du dimanchesemblaient reléguées au rang dessouvenirs.

— Quoi donc ?— Peu importe. Remettez Sophie dans

la poussette. A gauche, marmonna Evaavec irritation.

Michael obéit avec diligence, encontemplant le petit ange aux longs cilsrecourbés. Il valait mieux ne pascontrarier cette femme aux idées bienarrêtées.

Puis il se redressa abruptement.— Et lui ? lança-t-il en baissant les

yeux sur l’enfant que tenait Eva Foster.

— Il s’appelle Sam et il est très bienoù il est. Il est plus placide que Sophie,ajouta-t-elle devant l’expressionmoqueuse de Michael.

— Sans doute parce que c’est ungarçon.

— Ce n’est pas forcément une qualité.Plutôt de la paresse.

— Pardon ?— Vous avez bien entendu.Ce jugement méprisant, à l’emporte-

pièce, n’était pas du goût de Michael.Ses frères et lui avaient beaucouptravaillé, au cours des dix dernièresannées, pour faire d’Archangel l’une desgaleries d’art les plus prestigieuses aumonde. Ils récoltaient maintenant lebénéfice de leurs efforts, mais tout ne

leur avait pas été servi sur un plateaud’argent…

L’expression dédaigneuse d’EvaFoster l’irritait considérablement, et ilétait temps d’éclaircir la situation.

— Je ne partage pas votre avis,déclara-t-il en allant se placer derrièreson bureau en marbre. Vous étiez sur lepoint de me dire pourquoi vous étiezvenue à la place de votre sœur…

D’Angelo essayait de prendre sesdistances en adoptant une attituded’homme d’affaires, remarqua Eva.Comme s’il était possible de parlerfroidement de ses responsabilités depère… !

En tout cas, il ne ressemblait pas dutout à ce qu’elle avait imaginé. Comment

cet homme à l’allure sévère avait-il puséduire sa sœur ? Rachel était drôle etfantasque. Après ses étudesuniversitaires, elle était partie faire letour du monde. Elle était revenue au boutde dix mois, seule et enceinte.

Eva ne reconnaissait pas en D’Angelola description enthousiaste que Rachellui avait faite de son amant parisien.Même s’il était très beau, elle le trouvaittrop distant et terriblementimpressionnant, presque inquiétant.Tout, dans son attitude hautaine, exsudaitl’austérité et l’arrogance. CommentRachel avait-elle pu s’éprendre de lui ?

Le moindre geste de tendressesemblait inconcevable de la part de cethomme rigide, glacial. Eva n’arrivait

pas à se représenter cet individu au litavec une femme…

Son esprit s’égarait. Elle se gratta lagorge.

— Ma sœur est morte.D’Angelo sursauta.— Comment… ?Même s’il avait l’air choqué, Eva

n’obtint pas la réaction qu’elleescomptait. En tout cas, il ne paraissaitpas bouleversé comme aurait pu l’êtreun ancien amant.

Elle inspira profondément en tentantde maîtriser son émotion. Il lui était déjàtrès difficile de parler de la mort de sasœur, mais l’annoncer au père de sesbébés était plus douloureux encore.

En fait, elle ne se remettait pas de la

disparition tragique de Rachel, survenueà vingt-deux ans, trois mois plus tôt,alors qu’elle avait la vie devant elle.

Depuis, elle s’efforçait de faire facetout en s’occupant des jumeaux. C’étaitune bataille hélas perdue d’avance,aussi bien physiquement quefinancièrement. Pendant la maladie deRachel, Eva avait arrêté de travaillerpour l’accompagner au quotidien.Ensuite, il avait fallu prendre soin desbébés. Les nuits sans sommeil s’étaientaccumulées, ses économies avaientfondu comme neige au soleil, et lenombre de contrats s’était réduit commepeau de chagrin. Car elle ne pouvait plusemmener Sam et Sophie et les laisserdans leur landau pendant les séances de

pose. Ils réclamaient une attention detous les instants et pleuraient beaucoup.

Plutôt que d’essuyer une fin de non-recevoir au téléphone, Eva avait décidéd’utiliser ses dernières ressources pouracheter un billet d’avion à destination deParis. Il fallait à tout prix mettre le pèreen face de ses responsabilités.

Même si la perspective lui déplaisaitbeaucoup, elle s’était résolue àdemander l’aide financière de D’Angelocar elle ne pouvait plus faire autrement.C’était pour le bien des jumeaux.

Eva Foster avait blêmi. Avec ses yeuxcernés et son teint très pâle, elle paruttout à coup très fragile et vulnérable àMichael, qui se leva d’un air inquiet.

Il se dirigea vers le bar à grandes

enjambées, hésita devant une bouteillede scotch et choisit finalement de luiapporter de l’eau fraîche.

— Tenez, donnez-moi Sam et asseyez-vous, ordonna-t-il en lui indiquant uncanapé en cuir.

Sans attendre sa réponse, il prit lebébé sur son bras et la guida par lecoude. Les jambes flageolantes, elle selaissa faire sans résister.

— Je suis désolée, murmura Eva aprèsavoir avalé une longue gorgée.

Il faisait très chaud, à l’extérieur, etelle avait marché longtemps depuisl’hôtel bon marché où elle avait pris unechambre la veille, en arrivant à Paris.

— Le chagrin me tombe parfois dessusau moment où je m’y attends le moins…

Elle aurait pourtant dû prévoir quecette rencontre avec l’amant de Rachelraviverait des émotions pénibles. Il luiavait déjà été très difficile de se déciderà entreprendre ce voyage. Elleconsidérait ce dernier recours commeune défaite.

Mais elle n’avait plus le choix. Il n’yavait pas d’autre issue. Elle devaitravaler son orgueil pour réclamer del’aide.

— Je suis désolé…, marmonnaD’Angelo d’un ton bourru.

A en juger par la manière dont il avaitréagi quelques minutes plus tôt, Evadoutait de sa sincérité.

Elle n’arrivait toujours pas àcomprendre comment Rachel avait pu

être amoureuse d’un homme aussi froidet austère. Sa sœur était tout l’opposé,chaleureuse, extravertie… Sans douteavait-elle justement été attirée par soncontraire ? D’Angelo possédait malgrétout un certain charme. Sa grandeassurance, son arrogance innée, avaientpeut-être provoqué en elle un désir deconquête. Malgré soi, on avait envie del’obliger à sortir de sa réserve…

Eva réprima ces pensées importunes.Il n’était pas question de s’aventurer

sur un terrain aussi dangereux !Elle s’assit avec raideur tout au bord

du coussin et reposa la bouteille d’eausur la table basse.

— Vous pouvez le remettre dans la…Médusée, elle s’interrompit. Sam, le

petit traître, s’était lui aussi endormicontre l’épaule de D’Angelo ! Ellepassait des heures à faire les cent pasavec eux sans résultat, et il suffisait à cethomme de les poser contre son torsemusclé pour les calmer !

Peut-être le reconnaissaient-ilsinstinctivement ? Qui sait… ? Les bébésavaient beaucoup d’intuition, Eva s’enétait rendu compte au cours des derniersmois. Pas du tout préparée à assumerune charge aussi épuisante, elle leurcommuniquait sans le vouloir sanervosité et son anxiété.

Après avoir attaché Sam à côté de sasœur, Michael revint vers Eva Foster,dont les joues avaient retrouvé un peu decouleur.

Les révélations de la jeune femme letroublaient plus qu’il n’aurait voulu.

— Quel âge avait-elle ?Eva Foster lui lança un regard égaré.— Qui ?— Votre sœur Rachel.Elle haussa un sourcil ironique.— Vous n’avez même pas eu la

curiosité de le lui demander ?Michael se maîtrisa à grand-peine.— Je vous répète que je n’ai jamais

rencontré votre sœur.— Eh bien, je ne vous crois pas,

rétorqua Eva Foster froidement.— Je le vois bien.Elle se mit à trembler.— Rachel avait juste vingt-deux ans

quand elle est morte, trois ans de moins

que moi.— Pendant l’accouchement ?— Non.Elle s’interrompit avec une grimace

douloureuse.— Les médecins avaient découvert

une tumeur, à l’occasion d’uneéchographie.

— Mon Dieu !Eva Foster hocha la tête.— Rachel a refusé d’avorter et n’a pas

voulu non plus de chimiothérapie pourne pas affecter la santé des bébés.Elle… est morte quand ils avaient troismois.

Une vive souffrance se peignit dansses yeux et des rides lui barrèrent lefront, tandis qu’un pli amer se creusait

au coin de ses lèvres.— Et vos parents… ? reprit Michael

d’une voix un peu rauque.— Ils ont disparu tous les deux dans

un accident de voiture il y a un an etdemi.

Michael croisa les bras et s’assit dansle fauteuil en face d’Eva Foster. Ellen’aurait pas accepté sa présence sur lecanapé, à côté d’elle. Une barrièreinvisible semblait la protéger,l’empêchant de s’effondrer.

Après ces deux tragédies survenuescoup sur coup, il lui fallait beaucoupd’énergie pour continuer à affronter lavie… Michael n’osait imaginer ladésolation qui s’abattrait sur lui si sesparents ou l’un de ses frères venaient à

disparaître subitement.Ce qui, néanmoins, ne changeait rien

au fait que Rachel Foster était pour luiune parfaite inconnue.

— Où Rachel a-t-elle rencontré lepère de ses enfants ? demanda-t-il avecrudesse.

Eva Foster lui jeta un regardimpatient.

— Ici même, à la galerie.Michael effectua un rapide retour en

arrière.— Je ne me trouvais pas à Paris il y a

quinze mois.— Que… ?Les yeux dans le vide, elle se tut.— Je n’étais pas à Paris il y a quinze

mois, Eva, répéta-t-il. Jusque

récemment, mes frères et moi nouspartagions la direction de nos troisgaleries à tour de rôle. A l’époque,j’étais à New York, en train d’organiserune exposition sur l’art maya.

Elle secoua lentement la tête, avec uneexpression hagarde.

— Je ne… Ma sœur…— Oui ?Eva pouvait à peine respirer, et une

sensation nauséeuse lui nouait l’estomac.— Qui êtes-vous exactement ?Il eut un sourire crispé.— N’est-ce pas un peu tard pour me

poser la question, après avoir affirméque j’étais le père de votre neveu et devotre nièce ?

La bouche sèche, Eva s’humecta les

lèvres du bout de la langue.— Je croyais… Qui êtes-vous ?

répéta-t-elle en serrant les poings surses cuisses.

— Michael D’Angelo.Michael D’Angelo ? Michael, et non

pas…Sous le choc, elle faillit s’évanouir.

Elle s’était trompée de frère. Ce n’étaitpas le bon D’Angelo !

2.

Quelle méprise effroyable ! Pourquoin’avait-elle pas pensé à s’assurer del’identité de cet homme avant… avant delui lancer ses accusations en pleinefigure ?

Malheureusement, elle savaitpourquoi…

Michael D’Angelo éveillait en elledes réactions intenses, totalementinappropriées étant donné les

circonstances. Cela la troublait etl’empêchait de penser de façoncohérente.

Ce revirement de situation inattendu nerendait pas son trouble plus légitimepour autant. Michael D’Angelo restaitl’oncle des jumeaux ! Le frère de celuiqui les avait conçus !

Il avait une présence physiqueextraordinaire qui irradiait la puissanceet la confiance en soi. Tout en luifascinait Eva : les petites mèches quiondulaient sur sa nuque et autour de sesoreilles, l’éclat de ses yeux d’un noir dejais, ses traits sensuels, finement ciselés,sa large carrure, la coupe de sonpantalon qui soulignait ses jambesimmenses…

— Buvez encore un peu.Accroupi devant elle, Michael lui

tendit la bouteille d’eau, qu’elle pritd’une main tremblante. Elle avait du malà respirer et à mettre de l’ordre dans sonesprit. Elle se sentait à la fois subjuguéeet honteuse d’avoir furieusementinvectivé un innocent !

Elle comprenait maintenant pourquoielle n’arrivait pas à imaginer Rachelavec lui. Beaucoup plus âgé qu’elle, cethomme froid et distant ne lui aurait pasinspiré la passion et l’égarement quiavaient conduit à la naissance desjumeaux !

Comment Eva allait-elle se tirer de cemauvais pas ?

— Je vous dois des excuses, murmura-

t-elle avec raideur. Je… Manifestement,je me suis trompée. Je… C’est… Je nesais pas quoi ajouter…

Incapable de soutenir le regard deMichael D’Angelo, elle baissa les yeux.

Comment pouvait-elle se sentir attiréepar lui, alors qu’il la toisait avec unearrogance insupportable ?

Sa honte redoubla.Eva ne put s’empêcher de l’observer à

la dérobée. Une fois encore, elle futfrappée par la perfection de son visage.Ses yeux d’obsidienne, impénétrables,ne trahissaient ni pensée ni émotion. Sabouche était d’une beauté absolue, avecla lèvre supérieure un peu plus charnueque celle du bas.

Le signe d’une nature profondément

épicurienne ?Qu’il contrôlait certainement avec une

volonté de fer.Cet homme… Michael D’Angelo, était

dangereux. Eva devait faire trèsattention.

Il se redressa avec brusquerie.— Comme je vous l’ai dit tout à

l’heure, nous devrions tous les deuxrespirer, prendre un peu de recul etenvisager la situation plus sereinement.

Eva ne s’en sentait pas capable !Une fois sa décision prise de venir à

Paris, elle avait tout planifié et prévu sarencontre avec D’Angelo jusque dansles moindres détails.

Tout s’était passé exactement selon leschéma qu’elle envisageait. D’abord,

elle avait dû imposer une confrontationqu’il refusait. Ensuite, il avait nié touteimplication avec Rachel et elle avaittraité ses dénégations par le mépris,arguant que les jumeaux étaient lapreuve bien vivante de sa liaison.

Les choses avaient commencé àdéraper quand D’Angelo l’avait accuséede lui avoir tendu un guet-apens avec sasœur. La gifle qu’elle lui avait assénée,avec une violence dont elle se croyaitincapable, avait précipité un dénouementinattendu, qui la désarmait.

Elle inspira plusieurs fois,profondément, pour tenter de seressaisir.

— Bien, monsieur D’Angelo. Malgrétout, le problème reste entier. Vous ne

pouvez pas l’éliminer.— C’est-à-dire ? lança-t-il en

haussant les sourcils.Eva s’obligea à soutenir son regard

sans ciller.— Vous avez beau nier la paternité

des jumeaux…— A juste titre, coupa-t-il sèchement.— … cela ne change rien au fait que

l’un de vos frères est responsable,continua-t-elle avec un mélange defermeté et de défi.

Le flegme de Michael D’Angelol’exaspérait. Derrière les apparences,elle devinait une nature pleine defougue, impétueuse. Pourtant, il avaitbesoin de tout contrôler. Il n’étaitcertainement pas du genre à oublier les

précautions élémentaires en matière decontraception…

Michael, en prenant tout à coupconscience de la portée des propos de lajeune femme, émit un sifflementinvolontaire. Finalement, il regrettaitpresque de ne pas être le père desbébés ! Car les révélations d’Eva Fosterse révélaient désastreuses pour l’un oul’autre de ses frères, et dans desproportions inimaginables.

Certes, quinze mois plus tôt, àl’époque de la conception, Gabriel etRafe étaient tous deux célibataires. MaisGabriel était maintenant marié depuiscinq semaines, et Rafe quelques jours àpeine. Bryn pas plus que Ninan’accepterait que son mari soit le père

de jumeaux de six mois !Michael pinça les lèvres.— Vous vous êtes déjà trompée une

fois. Il vaudrait mieux vous assurer de lavérité avant de lancer d’autresaccusations.

Une rougeur subite colora le teint deporcelaine d’Eva.

— Je me suis déjà excusée. Cela nechange rien au fait que l’un de vos frèresest le géniteur de Sophie et Sam.

Michael se détourna, soucieux de nepas trahir ses émotions. L’inquiétude etle désarroi le disputaient en lui à lacolère. Enfonçant les mains dans sespoches, il se dirigea vers les fenêtres,pour une fois indifférent au magnifiquepanorama. Il ne se souvenait pas de

s’être jamais senti aussi impuissant etdépassé par les événements.

En tant qu’aîné — fût-ce d’un an oudeux —, il avait toujours protégé Rafe etGabriel, parfois un peu trop à leur goût.Mais cette fois-ci, il ne voyait pascomment empêcher la catastrophe qui seprofilait à l’horizon.

Lequel de ses frères étaitconcerné… ?

Rafe, qui cachait un caractère bientrempé sous une apparente légèreté, etqui avait trouvé en Nina la femmeparfaite pour équilibrer les aspectscontradictoires de sa personnalité ?

Ou Gabriel, qui s’était désespérépendant cinq ans parce qu’il aimait Brynd’un amour impossible ? Gabriel, pour

qui tout s’était enfin arrangé et qui avaittrouvé le bonheur en renouant avecelle…

De toute manière, ce serait aussidévastateur pour l’un que pour l’autre.

— Rafe…Les yeux plissés, Michael fit

promptement volte-face.— Comment ? demanda-t-il, même s’il

avait très bien entendu.— C’est Rafe qui a eu une liaison

avec Rachel, dit Eva Foster d’un tonneutre.

Michael, qui avait déjà récapituléleurs emplois du temps des deuxdernières années, s’obligea, au prix d’unimmense effort, à demeurer impavidelorsque Eva Foster confirma sa pire

crainte.Oh ! Nina aimait Rafe

inconditionnellement, il n’avait aucundoute à ce sujet, et c’était réciproque. Ilstrouveraient le moyen de surmonter cetteépreuve. Leur mariage résisterait à cecoup inattendu.

Cependant, il en allait différemment dupère de Nina, le riche et puissant DmitriPalitov, qui veillait sur le bonheur de safille. Il accueillerait d’un très mauvaisœil cette nouvelle, dont il tiendraitforcément rigueur à Rafe.

Malgré tout, ce dernier était tout à faitcapable de se défendre. En fait, dans sonfor intérieur, Michael s’inquiétait pourEva Foster…

— Vous me pardonnerez si je demeure

un peu sceptique, lâcha-t-il d’un toncassant.

Désemparé, il cherchait à gagner dutemps. Eva Foster pouvait-elle setromper une deuxième fois ?

Malheureusement, jusqu’à sa rencontreavec Nina, Rafe avait enchaîné lesconquêtes.

Par ailleurs, outre qu’il était en effet àParis quinze mois plus tôt, Eva Fostersemblait certaine de l’identité ducoupable…

— C’est votre droit, répondit-elleavec calme. Mais nous connaîtrons lavérité dès que je parlerai avec votrefrère.

Ce que Michael redoutait plus quetout !

— Il n’est pas à Paris en ce moment.— Vous n’allez pas me dire que

j’aurais pu m’éviter le désagrément devoyager avec des bébés parce qu’il estjustement à Londres ?

Michael avait du mal à parler et àmettre de l’ordre dans ses penséeschaotiques, ce qui était tout à faitinhabituel pour lui.

Au moins, une chose était sûre : iln’avait pas envie qu’Eva Foster rôdeautour de la galerie, ici ou à Londres, etrépande la rumeur. Il voulait d’abordparler à Rafe, mais pas avant deuxbonnes semaines au moins !

— Non, il n’est pas à Londres, dit-ildoucement.

— A New York, alors ? gémit Eva,

atterrée.La perspective de reprendre l’avion

avec les bébés l’affolait. Elle n’auraitjamais la force de supporter un voyagepareil.

— Non plus…, déclara Michael,prudent.

Eva l’observa à travers ses paupièresmi-closes, en essayant de déchiffrer sonexpression fermée, impénétrable.

— Alors où est-il ?— Il est indisponible.La voix tendue de Michael D’Angelo

la surprit.— Une réponse inacceptable, je le

crains.— Pourtant, vous n’en aurez pas

d’autre pour l’instant.

— Pourquoi « pour l’instant »… ?— C’est comme cela, c’est tout,

marmonna-t-il.Eva Foster n’avait visiblement pas lu

les journaux du dimanche, avec lesphotos du mariage de Rafe et Ninaétalées en première page. Hélas, il nepourrait pas lui cacher la véritéindéfiniment.

Eva Foster se hérissa.— J’ai absolument besoin de lui

parler.Michael hocha la tête.— Je peux vous écouter.— Après ce qui s’est passé tout à

l’heure, cela m’étonnerait fort !Michael commençait à perdre

patience.

— Je lui rapporterai à la lettre vospropos et vos inquiétudes. C’est tout ceque je peux…

— Non, le coupa-t-elle fermement ense levant. Cela ne me convient pas dutout, monsieur D’Angelo. Je tiens à lerencontrer en personne.

Ce petit bout de femme avait uneténacité hors du commun !

— Ce n’est pas possible, je vous l’aidéjà dit.

Une lueur déterminée s’alluma au fonddes yeux violets.

— Eh bien, débrouillez-vous pour quece le soit, monsieur D’Angelo !

— Votre ton me déplaît ! rétorqua-t-ild’une voix dure.

Eva haussa les épaules.

— Dans ce cas, arrêtez de me mettredes bâtons dans les roues.

Michael refoula la colère noire qui legagnait.

— Les jumeaux ont six mois. Pourquoiêtes-vous si pressée, tout à coup ?

Pourquoi ? Parce qu’elle ne pouvaitplus faire face. Ni financièrement, niémotionnellement. Même si elle avaitbeaucoup lutté avant de s’avouervaincue.

Mais elle n’avait pas l’intentiond’admettre ses faiblesses devantMichael D’Angelo qui était en pleinepossession de ses moyens et débordaitde confiance en lui.

Non seulement il ne pouvait pasimaginer le chagrin qui la dévastait

chaque fois qu’elle pensait au destintragique de Rachel, mais il necomprendrait pas non plus sa peur de nepas être à la hauteur de sa tâche, malgrétout l’amour qu’elle portait aux jumeaux.

De toute manière, elle n’avait plusassez de rentrées d’argent pour subvenirà leurs besoins.

Eva n’acceptait plus aucun contrat niaucune mission de photographe, car ellene pouvait plus s’absenter en laissant lesbébés. Un temps, elle était revenue à destâches monotones mais bien rémunérées,comme les mariages ou les baptêmes, oùelle pouvait emmener les jumeaux. Maismaintenant qu’ils grandissaient, celadevenait de plus en plus difficile.

Si elle engageait des baby-sitters, tout

l’argent qu’elle gagnait passait dans lesfrais de garde…

Elle avait longuement réfléchi etretourné la question dans tous les sensavant de se résoudre à la seule solutionqui s’imposait : rechercher RafeD’Angelo pour réclamer une pension.

Elle ne demandait rien d’autre. Juste àêtre débarrassée des soucis matérielspour ne plus avoir peur du lendemain.

Elle secoua la tête.— Ce n’est pas avec vous mais avec

votre frère Rafe que j’ai besoin deparler, monsieur D’Angelo.

Michael ne lisait pas dans les penséesd’Eva Foster. Néanmoins, sonexpression préoccupée trahissait unegrande angoisse. Elle était livide, son

menton tremblait et ses yeux cernésaccentuaient son air fragile.

Il fronça les sourcils.— Vous avez mangé quelque chose,

aujourd’hui ?— Pardon ? s’écria-t-elle, surprise

par ce brusque changement de ton.Il haussa les épaules.— Il est presque midi et vous êtes

toute pâle. Je me demandais si vousaviez mangé ce matin.

— Je… Oui, j’ai avalé un toast envitesse.

— A votre hôtel ?— C’est plutôt une pension de famille,

précisa-t-elle avec un sourire narquois.Je n’ai pas les moyens de m’offrir unesuite dans un palace, ni de voyager en jet

privé !Contrairement à lui, évidemment. La

fortune des D’Angelo était sans doute laraison qui avait poussé Eva Foster àprendre contact…

— Où est-elle située ?— Dans une petite rue près de la gare

du Nord. Ecoutez, je veux seulementparler à votre frère…

— Pour lui demander de l’argent, jeprésume ?

Elle s’empourpra.— Oui, j’ai l’intention de le mettre

devant ses responsabilités financières…Ne me regardez pas comme cela !

— Comment ?— Comme si j’étais une vile

aventurière déterminée à dépouiller

votre frère ! Croyez-moi, je ne me suispas décidée de gaieté de cœur à fairecette démarche.

Elle commença à arpenter le bureaud’un pas nerveux.

— Je ne souhaite pas du tout établir unlien affectif entre ces bébés et un pèremanifestement réticent.

— Vous pensez que Rafe est aucourant ?

Il serait tout de même étonnant, dans lecas où Rachel Foster aurait prévenuRafe, que ce dernier n’ait rien dit àpersonne…

Eva Foster s’immobilisa.— Non, je ne crois pas.— Mais vous n’en avez pas la

certitude ?

— Non. Mais je ne le pense pas.Rachel ne s’est pas répandue enconfidences. Elle m’a juste donné lenom de son amant. Apparemment, ilsavaient déjà rompu lorsqu’elle adécouvert sa grossesse. J’étais àl’étranger à ce moment-là. Elle ne me l’aannoncé qu’à mon retour en Angleterre.Elle était alors enceinte de cinq mois eton avait déjà diagnostiqué son cancer.

Elle soupira.— Je n’ai pas voulu la presser de

questions. Il y avait bien d’autresproblèmes à régler.

— Oui, j’imagine, acquiesça Michael.Vous étiez dans quel pays ?

Bizarrement, Eva Foster l’intéressaitde plus en plus.

— Ce n’est pas très important.— Je vous demandais cela par simple

curiosité.— Mon activité professionnelle

m’amenait à voyager beaucoup. Hélas,depuis la maladie de Rachel, j’ai étéobligée de lever le pied.

— Vous faisiez quoi ?— Ecoutez, mon travail et ma vie

personnelle n’ont aucun intérêt pourvous.

Eva avait déployé beaucoup d’effortset d’énergie pour s’imposer dans unecarrière dominée par les hommes. Il luien coûtait beaucoup, depuis neuf mois,de la délaisser, même si elle adorait lesjumeaux. La place et le respect qu’elleavait durement conquis ne résisteraient

pas à une interruption prolongée…— Je ne suis pas d’accord, rétorqua

Michael D’Angelo. Si Rafe esteffectivement le père des jumeaux, ilfaudra discuter franchement et jouercartes sur table.

Paniquée, Eva se figea en scrutantavec anxiété le visage de MichaelD’Angelo.

— Rachel m’a désignée comme tutricelégale de ses enfants avant de mourir…

— Cependant, le père biologiquel’emportera forcément sur vous.

Un affolement sans nom s’emparad’Eva.

— Vous me menacez de m’enlever cesenfants, monsieur D’Angelo ?

Il utilisait les armes à sa disposition,

malgré son impression désagréable demanquer de fair-play. Car, même prête àse défendre bec et ongles, sonadversaire avait l’air terriblementfragile.

3.

Michael connaissait sa réputation. Laplupart des gens le croyaient aussiimpitoyable qu’un robot dépourvu desentiments. En affaires, c’étaitprobablement justifié, et bon nombre deses anciennes maîtresses auraientconfirmé cette description.

Mais il aimait beaucoup sa famille,ses parents, ses deux frères, etmaintenant leurs épouses. Il était prêt à

tout pour les protéger.Irait-il cependant jusqu’à abuser de sa

position de supériorité envers une jeunefemme sans défense qui se battait pourprotéger de pauvres orphelins ?

Malheureusement, oui.Parce qu’il n’avait pas le choix. Il

fallait à tout prix empêcher Eva Fosterde répandre ses accusations avant leretour de Rafe, qui était pour le momenten voyage de noces avec Nina. Celaportait l’échéance à quinze jours.Pendant ce temps, il devait réduire Evaau silence et l’intimider en lui donnantl’impression que Rafe réclamerait lagarde de ses enfants.

Son frère avait joué les séducteurspendant quinze ans, mais sa rencontre

avec Nina l’avait métamorphosé.Michael n’avait aucune idée de lamanière dont il réagirait devant cesadorables bébés s’il en étaiteffectivement le père.

Il savait ce que lui ferait dans la mêmesituation. Même s’il était engagé dansune relation sentimentale, il légitimeraitses enfants et les prendrait avec lui —quel que soit le prix à payer.

En dépit de leurs différences, Rafe luiressemblait assez pour se comportercomme lui. Fort de cette conviction,Michael était persuadé que RachelFoster n’avait rien dit à Rafe et que cedernier, non seulement n’avait rien su desa grossesse, mais ignorait la naissancedes jumeaux.

— Il ne s’agit que d’une éventualité,mademoiselle Foster, déclara-t-ilsèchement. Malgré tout, il vaut mieuxvous y préparer.

Pour Eva, il n’était pas question qu’onlui enlève les jumeaux !

Certes, il était éreintant de s’occuperd’eux nuit et jour. Et elle avait dûrenoncer momentanément à sa carrière,mais cela ne signifiait pas qu’ellevoulait se décharger de sesresponsabilités. C’était même tout lecontraire. Elle lutterait pied à pied pourles garder.

Elle retourna vers la poussette.— J’ai peut-être commis une erreur en

venant à Paris…— Je crains qu’il ne soit trop tard,

Eva.Alarmée par le ton de sa voix, elle se

figea. Il était aussi extrêmementtroublant d’entendre son prénom dans labouche de Michael D’Angelo.

Ce qui était stupide, se dit-elleaussitôt.

Cet homme si séduisant était beaucouptrop imbu de lui-même. En outre, ilprofitait de son immense fortune et deson influence pour l’impressionner.

Pourtant, elle avait beau se raisonner,son corps la trahissait. Elle sentit unfrisson courir le long de sa colonnevertébrale et ses seins se tendre sous leT-shirt.

C’était d’autant plus humiliant que cedétail n’échappa pas à la sagacité de

Michael D’Angelo.Prenant garde d’éviter son regard, elle

afficha un sourire désinvolte et sedirigea vers la porte.

— Je vous ai assez dérangé pouraujourd’hui, monsieur D’Angelo…

— Ne comptez pas repartir ainsi, Eva,comme si de rien n’était.

Elle sursauta.— Que voulez-vous dire ?— Vous pouvez quitter mon bureau si

vous voulez, mais…— Merci ! Je suis tout de même libre

de mes mouvements…— … mais je ne vous autorise pas à

quitter Paris tant que je n’aurai pas parléà Rafe, poursuivit Michael D’Angeloavec autorité, comme si elle ne l’avait

pas interrompu.— Vous ne m’autorisez pas ! s’écria-

t-elle, abasourdie. Pardonnez-moi,monsieur D’Angelo, mais vous n’avezpas le droit de me parler ainsi.

Il eut un sourire crispé.— Eh bien je le prends ! Vous vous

permettez bien de m’asséner desallégations douteuses sur mon frèreRafe.

— Vous n’avez pas de jugement àporter là-dessus. C’est à moi d’endiscuter avec lui.

— C’est bien le problème.— Je ne vois toujours pas le

rapport…Michael s’arma de courage. Il

détestait ce qu’il allait faire, mais il

n’avait pas le choix. Pour le bien deRafe et Nina, et l’avenir de leurmariage, il se devait de surveillerétroitement Eva Foster.

— Mon frère n’est pas disponible ence moment, je vous l’ai déjà dit…

— Que de mystères ! s’écria-t-elle,furieuse. Vous pourriez au moinsm’expliquer pourquoi, si vous n’étiezpas aussi imbu de vous-même.

— Cela n’arrangera rien de recouriraux insultes, mademoiselle Foster.

— Peut-être, mais moi cela me fait dubien, rétorqua-t-elle insolemment.

— Vraiment ?Oui. Cela lui permettait au moins de

surmonter le trouble intense qu’elleressentait en sa présence.

Elle avait besoin de recouvrer soncalme et son sang-froid. Maintenantqu’elle avait rencontré l’un des frèresD’Angelo, elle se rendait compte que lapartie n’était pas gagnée.

— Vous ne vous êtes pas gêné pourme menacer, tout à l’heure, reprit-elled’un ton hautain.

— Je vous ai demandé de rester àParis jusqu’au retour de Rafe.

— Si je me souviens bien, rectifia-t-elle sèchement, vous ne m’avez riendemandé du tout. Vous m’avez donné unordre. Où est donc votre frère Rafe pourque vous ne puissiez même pas lecontacter par téléphone ?

Michael D’Angelo soupira, la minesombre.

— La question n’est pas de savoir où,mais pourquoi.

— Pourquoi quoi ?Eva était complètement décontenancée

par le comportement évasif de MichaelD’Angelo, qui ne semblait pourtant pashomme à se dérober.

— Pourquoi je juge préférable de nepas le déranger, répondit-il avecraideur.

— Vous ne comptez pas me le dire ?— De toute manière, vous

l’apprendrez d’une façon ou d’une autre.Il suffit de lire les journaux ou d’allersur internet ! ajouta-t-il, exaspéré.

Il laissa échapper un bruyant soupir.Sa journée avait pourtant commencécomme n’importe quelle autre. Son

réveil avait sonné à 7 heures. Aprèss’être douché et habillé, il avait quittéson appartement pour prendre son petitdéjeuner à une terrasse. Après deuxtasses de café fort et de délicieuxcroissants, il s’était dirigé versArchangel Gallery où il était arrivé à8 h 30.

Comment aurait-il imaginé que satranquillité et son avenir voleraientbrusquement en éclats à cause d’unejeune femme aux yeux violetsaccompagnée de deux bébés !

Que faire ? Sinon essayer de contrôlerla situation en s’efforçant de gagner dutemps…

* * *

Eva sentit son estomac se nouerlorsque Michael D’Angelo plongea sonregard d’onyx dans le sien. Elles’attendait au pire.

— Rafe s’est marié il y a deux jours.Il est en voyage de noces.

Elle blêmit et, les jambes flageolantes,dut se raccrocher au dossier d’unfauteuil pour ne pas s’effondrer.

— Asseyez-vous !Michael D’Angelo la soutint par le

coude et approcha promptement unechaise. Puis il s’écarta pour lui laisserle temps de se ressaisir.

Les tempes bourdonnantes, Eva avaitdu mal à comprendre ce qu’il venait delui annoncer.

Rafe D’Angelo était marié depuis

quarante-huit heures !Si seulement elle était venue plus

tôt… Quel désastre ! Oserait-elles’obstiner à réclamer de l’aide, sachantqu’elle risquait de détruire un jeuneménage ?

Pourquoi avait-elle écouté sa sœur, ettardé aussi longtemps ? En dépit del’insistance d’Eva, Rachel refusaitcatégoriquement de contacter le père desbébés, arguant que leur histoire n’étaitqu’une brève aventure de vacances dontelle préférait assumer seule lesconséquences. Ils n’éprouvaient rienl’un pour l’autre, et la découverte de soncancer n’avait rien changé à sa position,lucide et réaliste.

Et maintenant, il était trop tard ! Eva

n’aurait pu choisir un pire moment…Malgré la nécessité absolue où elle se

trouvait, Eva n’était pas vindicative etrépugnait à semer le désordre et le chaosdans la vie de quelqu’un d’autre. Ellen’osait imaginer ce que la nouvelle decette paternité non désirée déclencheraitchez Rafe D’Angelo. Sans parler de sajeune épouse… !

La fin de non-recevoir de MichaelD’Angelo s’expliquait, maintenant. Il luiétait bien sûr impossible de contacterson frère pendant sa lune de miel pourlui annoncer la présence d’Eva à Paris,avec de surcroît des jumeaux dont ilétait le père supposé !

Elle prit une profonde inspiration,espérant ainsi calmer les battements

précipités de son cœur. Puis elle serisqua à lever les yeux sur MichaelD’Angelo, qui gardait le silence.

— J’ai mal choisi le moment, déclara-t-elle.

— Oh ! je ne sais pas. Cela aurait puêtre pire. Si vous aviez débarqué àl’église samedi après-midi, parexemple, pour lâcher votre bombe aubeau milieu de la cérémonie.

Eva ne sourit pas. Ce n’était pas drôle,et pas du tout à son goût.

— Que vais-je faire, maintenant ?— Qu’allons-nous faire, plutôt ?

corrigea Michael d’une voix coupante.De son point de vue, il fallait avant

tout observer un maximum de discrétionet empêcher Eva Foster d’éveiller la

curiosité. La réaction de Marie et dePierre, tout à l’heure, l’avait édifié.

Il devait donc la cacher en lieu sûravec les bébés en attendant de parler àRafe. Il espérait que son frère lui seraitreconnaissant, car les deux semaines àvenir s’annonçaient particulièrementpénibles.

— Je ne comprends pas…, répliquaEva Foster, interdite, les yeux dans levague.

Michael fit la grimace.— Combien de temps comptiez-vous

rester à Paris ?Elle cligna les paupières.— Trois jours. J’ai déjà réservé mon

vol de retour. Je pensais régler leproblème assez vite, ajouta-t-elle, sur la

défensive.— Vous étiez optimiste ! Ce n’est pas

grave. Nous annulerons la réservation…— Certainement pas ! coupa Eva en se

levant abruptement. Si votre frère n’estpas à Paris, j’ai encore moins de raisonsde m’y attarder.

Elle aurait dû téléphoner avantd’entreprendre ce voyage, songea-t-elle.Ou au moins s’assurer que RafeD’Angelo se trouvait bien à la galerie.

Après bien des hésitations, elle avaitrenoncé à le prévenir, préférant leprendre par surprise pour l’empêcherd’éviter la confrontation en quittantParis avant son arrivée, par exemple.

Tout allait de mal en pis. Au lieu deRafe, elle avait affaire à Michael

D’Angelo qui se révélait être unadversaire redoutable. Sur tous lesplans. Avec lui, elle devait affronter desdangers auxquels elle ne s’était paspréparée…

Michael D’Angelo la scruta de sesyeux perçants, d’un noir de jais.

— Vous êtes pressée de retourner àLondres ? Quelqu’un vous attend ? Unpetit ami ? Un mari, peut-être ?

— Je m’appelle Foster, comme masœur Rachel. Ce qui signifie que je suiscélibataire.

— De nos jours, les femmes ne sontplus obligées de changer de nom quandelles se marient.

— Cela ne vous regarde pas, maisnon, je n’ai personne dans ma vie,

l’informa-t-elle sèchement. Jusqu’à l’andernier, mon travail m’accaparait. Etdepuis la maladie de Rachel, j’ai lesjumeaux à charge et je ne vois pascomment un homme pourrait s’intéresserà moi !

Il hocha la tête d’un air satisfait.— Dans ce cas, rien ne vous empêche

de rester à Paris une semaine ou deux.— Pardon ?Elle le toisa avec un mélange

d’effarement et d’incrédulité.— Je n’en ai pas les moyens, tout

simplement, monsieur D’Angelo.Elle avait dépensé ses dernières

économies pour acheter le billet d’avionet payer les quatre nuits à la pension. Enpure perte, de surcroît. Il n’était donc

pas question de gaspiller davantaged’argent.

— Je ne suggérais pas du tout…Michael s’interrompit quand on frappa

à la porte.— Entrez, lança-t-il en fronçant les

sourcils. Qu’y a-t-il, Pierre ?— Excusez-moi, répondit ce dernier,

visiblement gêné. Vous avez un déjeuneravec le comte de Lyon à 13 heures, et ilest déjà 12 h 30, déclara son assistant.

Michael jeta un coup d’œil impatient àsa montre.

— En effet. Eh bien, allez-y à maplace, Pierre, ordonna-t-il. Vous luiprésenterez mes excuses. Des problèmesde famille imprévus réclament monattention.

Eva rougit sous le regard curieux dePierre qui la dévisageait. Les jumeauxlui ressemblaient beaucoup et tout lemonde la prenait pour leur mère.

De toute manière, peu lui importait ceque pensait l’employé ! Elle avaitsurtout hâte de poursuivre laconversation qu’il avait interrompue.D’autant plus que les jumeaux n’allaientpas tarder à se réveiller pour réclamer àmanger !

— Et si ce changement de dernièreminute… déplaît au comte ?

— Tant pis ! Vous lui fixerez un autrerendez-vous.

Comme l’assistant s’attardait, un peuindécis, Eva se décida à lui adresser laparole. Il avait peut-être rencontré

Rachel…— Depuis combien de temps êtes-

vous chez Archangel Gallery, Pierre ?demanda-t-elle, ce qui lui valut unfroncement de sourcils de MichaelD’Angelo.

Un peu étonné, l’homme jeta un coupd’œil à son employeur avant derépondre.

— J’ai le plaisir d’occuper le postede directeur adjoint depuis presquequatre ans, dit-il avec tact et diplomatie.

— Dans ce cas, vous…— Ne retardons pas Pierre, Eva,

coupa Michael fermement en devinantoù elle voulait en venir.

C’était exactement ce qu’il voulaitéviter : qu’Eva commence à questionner

les uns et les autres sur la relation que sasœur avait eue avec Rafe…

— Pierre aura sans doute lagentillesse de me répondre, susurra Eva.

Quelle effronterie ! Michael fulminaitd’autant plus que Pierre ne semblait pasinsensible au charme de cette bellebrune aux yeux violets.

— Je suis désolé d’insister, trancha-t-il avant de se tourner vers son assistant.Pierre, je m’en vais et je ne reviendraipas de la journée. Je vous laisse le soind’annuler mes rendez-vous. Vousn’oublierez pas de brancher l’alarme enpartant, n’est-ce pas ?

— Bien sûr, monsieur.Mademoiselle…, ajouta-t-il polimentavant de s’éclipser.

La porte s’était à peine referméequ’Eva laissa éclater son irritation.

— Vous n’auriez pas dûm’interrompre. S’il a rencontré Rachel,il aurait pu me donner quelquesinformations précieuses…

— Si quelqu’un doit confirmer vosdires, c’est mon frère Rafe et personned’autre.

— Mais puisqu’il n’est pasdisponible !

Michael fronça les sourcils d’un airsévère.

— Vous ne voudriez tout de même pasque je tente de le joindre pendant sonvoyage de noces ?

— Si ! Non ! Je ne sais plus…, gémit-elle.

— Je peux le faire, si vous y tenez.A la place d’Eva Foster, c’était

probablement ce que la plupart desfemmes exigeraient. Pourquoi serait-elledifférente ?

— Cela sonnera le glas de sonmariage, mais si vous insistez, je peux lecontacter tout de suite.

— Cessez de me donner le mauvaisrôle !

— Oui ou non, Eva ?— Je… Non, évidemment, je ne veux

pas briser la vie de votre frère ni cellede sa femme. Je…

— Puisque vous avez attendu troismois, vous pouvez bien attendre deuxsemaines de plus ?

— Non !

— Pourquoi ?— Parce que… Parce que… Je n’ai

plus un sou, voilà ! J’ai dépensébeaucoup d’argent pour m’occuper desjumeaux et je ne peux plus travaillersuffisamment. Donc… Je suis auxabois !

La tension de Michael se relâcha unpeu.

— Je peux arranger cela sansproblème. Voulez-vous m’attendrequelques minutes ? J’ai quelquesinstructions à donner à ma secrétaireavant notre départ.

Eva se ressaisit aussitôt.— Je ne pars pas avec vous ! protesta-

t-elle. Je n’accepte pas non plus votreaide. Je retourne à la pension pour

nourrir les bébés. Ensuite, j’appelleraila compagnie aérienne pour voir si jepeux avancer mon départ.

— Je vous accompagne à la pension.— Non ! J’irai seule.— Je viens avec vous, Eva.Son autorité en imposait peut-être à

ses employés, mais pas à Eva. Cetteattitude dominatrice l’agaçait au plushaut point.

— Certainement pas, répliqua-t-elleen retournant vers la poussette.Maintenant, si vous voulez bienm’ouvrir la porte… ?

Michael plissa le front d’un airexcédé. Eva croyait-elle réellementqu’elle allait repartir après avoir lâchésa bombe ?

Peut-être avait-elle peur que Rafedemande la garde des jumeaux, commeMichael l’en avait menacée…

Il admirait son audace et sonobstination. Peu de gens osaientl’affronter, mais Eva Foster n’avait paspeur de lui. Elle n’avait pas eu l’ombred’une hésitation concernant les bébés, etne s’était pas souciée des conséquencespour sa vie personnelle et son métier,que manifestement elle adorait. Ellepiquait la curiosité de Michael, qui avaitenvie d’en savoir davantage sur elle, etaussi sur sa profession. Elle sedévalorisait en imaginant que sescharges de famille l’empêcheraient denouer une relation sentimentale.

En tout cas, il se félicitait qu’elle soit

libre et sans attaches. C’était unecomplication de moins.

Et pour être tout à fait honnête aveclui-même, Michael se sentait très attirépar la fougueuse Eva Foster.

Il ne pouvait pas le nier, même si celal’ennuyait beaucoup…

En ce moment même, il serrait lespoings pour réprimer l’envie de toucherses cheveux soyeux. S’il avait obéi à sonimpulsion, il aurait doucement écarté lesmèches brunes de son visage pourcontempler ses yeux violets. Puis ilaurait goûté ses lèvres…

Un baiser n’aurait probablement passuffi…

Cette attirance irraisonnée était tout àfait malvenue. D’abord parce que Eva

Foster voulait réclamer l’aide financièrede Rafe. Ensuite, parce que celacompliquerait le plan de Michael…

4.

— Vous ne pouvez pas faire cela !Confortablement assis, les mains

croisées et les coudes sur les bras dufauteuil, Michael dévisageait Eva.Rouge de colère, elle faisait les cent pasdans le salon de son appartement, deséclairs au fond de ses yeux d’améthyste.

— Pourquoi ? Les jumeaux sont déjàendormis dans leur chambre, dans leursberceaux. Tout se passe le mieux du

monde.Eva le foudroya du regard.— Et vous êtes content,

naturellement !Michael haussa les épaules.— J’aime quand tout se déroule bien

et selon mes plans, oui.— Vous ne pouvez pas m’obliger à

rester ici ! explosa Eva.Elle s’arrêta face à lui, et il regretta de

ne plus voir de dos sa jolie silhouettemoulée dans son jean.

— Il ne me semble pas avoir employéla force ?

Effectivement, songea Eva avec unsoupir de frustration. Quand elle avaitpris conscience de ce qui se passait, lesbébés étaient déjà bien installés dans

une pièce du luxueux appartement deD’Angelo, sur les Champs-Elysées, àquelques minutes d’Archangel Gallery.

Ils n’étaient pas venus là directement.Michael l’avait d’abord emmenée envoiture à la pension. Pendant qu’elledonnait à manger à Sam et Sophie, ilavait fait ses bagages avec l’aide de lalogeuse. Même si Eva voyageait le pluslégèrement possible, elle avait emportébeaucoup d’affaires et de jouets debébés.

En voyant les deux grosses valises à laporte, Eva avait naïvement pensé queMichael allait la conduire dans un hôtelun peu plus confortable, jusqu’à sondépart.

Comment aurait-elle imaginé qu’il

voulait l’installer dans l’appartementdes D’Angelo avec les jumeaux ? Chezlui !

Les instructions qu’il avait données àsa secrétaire avant de partirconcernaient l’achat de berceaux. On lesavait livrés avant même leur arrivée.

L’appartement, d’une élégance et d’unraffinement extrêmes, occupait le dernierétage d’un immeuble de prestige. Lestrois frères l’utilisaient à tour de rôledurant leurs séjours parisiens.

De splendides tapis persansrecouvraient les parquets anciens, ettous les murs étaient tendus de soiecrème, avec quelques panneauxlambrissés dorés à l’or fin. Des tableauxde maîtres et de très beaux miroirs

étaient accrochés en bonne place et deslustres de cristal pendaient du plafond.Tout était d’un goût exquis.

Le salon était meublé dans le stylegéorgien, avec une chauffeuse devant lesbaies vitrées qui donnaient sur lesChamps-Elysées, et des canapésrecouverts de chintz rayé, jaune pâle etivoire. Des bibelots et des piècesd’antiquité étaient posés sur desguéridons délicats.

Les jumeaux, qui commençaient àmarcher à quatre pattes, risquaient decommettre les pires dégâts dans unenvironnement pareil, songea Eva enexaminant le décor. Naturellement,Michael D’Angelo n’imaginait pas lesravages dont ils étaient capables. Elle-

même n’en avait pas la moindre idéeavant leur arrivée chez elle. Elle avaitvite été obligée d’adapter sonappartement en protégeant chaises etfauteuils et en plaçant hors d’atteintebabioles, photos et autres objetsfragiles.

Eva avait donc de solides objections àopposer à Michael D’Angelo. Il était detoute façon trop dérangeant, tropimpressionnant… La virilité qui émanaitde lui la troublait trop pour qu’elleenvisage de vivre sous son toit, mêmepour une courte période.

La chambre qu’il lui destinaitdépassait l’imagination. C’était unedébauche de draperies tissées de filsdorés, avec des voiles de mousseline

autour du lit à baldaquin et uneravissante coiffeuse d’inspirationromantique. Sur les fresques du plafond,des guirlandes d’anges et de chérubinstressaient des couronnes de fleursmulticolores.

Eva secoua vigoureusement la tête.— Nous repartirons dès que les

jumeaux seront réveillés.Elle n’aurait jamais dû accepter de les

coucher là pour la sieste. Mais enarrivant, ils tombaient de fatigue etcommençaient à pleurer… Ils s’étaientcalmés aussitôt.

Michael haussa les sourcils.— Pour aller où, exactement ?— Un hôtel, une autre pension,

n’importe où, mais pas ici.

— Je croyais que vous n’aviez plusd’argent ?

Elle pinça les lèvres.— Je vous trouve de plus en plus

détestable !Michael lui jeta un regard moqueur.— N’est-ce pas un peu tôt, pour me

juger aussi sévèrement ?— Oh ! je n’ai pas besoin de vous

fréquenter longtemps pour me faire uneopinion !

Moins elle le verrait, mieux celavaudrait.

Mais pas du tout pour les raisonsqu’elle lui donnait…

Eva n’avait plus partagé unappartement avec quelqu’un depuis sesannées d’étudiante. L’idée de sentir tout

près, nuit et jour, la présence d’unhomme aussi charismatique que MichaelD’Angelo la mettait horriblement mal àl’aise.

Elle n’avait pourtant rien à craindre,car l’attirance n’était pas réciproque,loin de là ! Mais elle ne voulait pas seretrouver seule avec lui. Elle seridiculiserait, s’il devinait quelquechose !

Elle ne comprenait d’ailleurs paspourquoi il insistait tant pour l’accueillirchez lui…

— Pourquoi souriez-vous ? lança-t-elle, agacée.

Il était encore plus séduisant quand ilquittait son air sombre, trop sérieux. Lenoir de ses yeux s’adoucissait un peu et

prenait la couleur chaude du chocolat.Des petites rides se creusaient au coinde sa bouche et ses lèvress’entrouvraient, révélant des dents trèsblanches.

Michael se ressaisit avec un sursaut.Etrangement, cette jeune femmel’amusait, avec son franc-parler et seséclats. Pourquoi éprouvait-elle le besoinde se défendre avec autant devirulence ?

— Je ne sais pas, répliqua-t-il enrecouvrant sa froideur coutumière. Entout cas, puisque vous avez acceptéd’attendre le retour de Rafe, vous serezmieux ici.

— Avec vous.— Avec moi, confirma-t-il

simplement.Elle rougit.— Ce n’est guère convenable.Curieux, Michael l’observa. Pourquoi

évitait-elle son regard ?— Je ne vous ai pas proposé de

partager ma chambre, Eva, justel’appartement, murmura-t-il.

Elle s’empourpra davantage.— L’idée ne m’a pas… Je n’ai pas…

Vous êtes ridicule ! s’écria-t-elle sansparvenir à maîtriser son agitation.

Sa nervosité et ses joues écarlatestrahissaient un trouble certain…

— Vraiment ? lança Michael en selevant.

Emma recula aussitôt d’un pas.— Oui, vraiment…

— Pourquoi ?A la place d’Eva Foster, beaucoup de

femmes auraient profité de la situation.— D’abord, nous ne nous connaissons

pas…— Et nous éprouvons la plus vive

antipathie l’un pour l’autre, suggéra-t-ilcomme elle cherchait ses mots.

— Exactement. Vous me prenez pourune aventurière qui s’est mis en tête dedépouiller votre frère.

— Vous ne m’avez pas caché que vousvouliez demander de l’argent à Rafe.

— Pour les jumeaux, pas pour moi !rétorqua-t-elle, sur la défensive.

Au fond de lui, Michael ne doutait pasvraiment de l’honnêteté d’Eva. Mais sonexpérience avec Emma l’incitait à la

méfiance.Il ne voyait aucune ressemblance entre

Rafe et les bébés, sauf la couleur descheveux. Mais Eva était aussi très brune,sans doute comme sa sœur, donc cela neprouvait rien. Malgré tout, elle pouvaittrès bien avoir raison. Rafe se trouvaiteffectivement à Paris quinze mois plustôt…

Michael fit la grimace.— Je vous accorde le bénéfice du

doute. Pour l’instant, ajouta-t-il d’un tonsec.

— Quelle générosité !— Oui, n’est-ce pas ?— Ce n’est pas une raison pour

m’embarrasser avec des remarquesstupides !

Ses yeux, d’un violet vraimentincroyable, lançaient des éclairs.

— A propos de partager mon lit ?Pourtant, si j’en crois votre rougeur,l’idée ne vous déplairait pas.

Eva resta un instant sans voix, maisson embarras ne dura pas.

— Bien sûr, j’ai rougi ! Je nem’attendais pas à recevoir des avancesdu frère aîné de Rafe D’Angelo !

— Cela vous aurait moins dérangée sije n’étais pas le frère de Rafe ?

— Je… Vous… De toute façon, vousl’êtes. Et je n’apprécie pas du tout votrehumour.

Il esquissa un rictus moqueur.— Je plaisante rarement, Eva…Que voulait-il dire ? Qu’il était

sérieux ?Bien sûr que non ! Elle se reprocha

aussitôt sa naïveté. Michael D’Angelos’amusait à ses dépens, et elle étaitassez sotte pour lui donner prise.

Elle redressa fièrement le menton.— Si jamais je décide d’accepter

votre hospitalité, ce qui n’est pas du toutcertain pour l’instant, vous pouvez avoirla certitude que je ne dormirai pas dansvotre chambre !

— Prévenez-moi si vous changezd’avis, ironisa-t-il.

Le cœur battant, Eva scruta sonexpression.

— Pourquoi faites-vous cela ?Il haussa les sourcils.— Peut-être parce que je ne suis pas

opposé à l’idée de partager mon lit avecvous.

Même si c’était vrai, la perspectiven’avait pas l’air de l’enchanter…

Il grimaça en la voyant froncer lessourcils.

— Eva, je suis trop vieux et cyniquepour jouer au chat et à la souris…

— Quel âge avez-vous ? le coupa-t-elle avec une vivacité qui amusaMichael.

Quelle question incongrue, de la partd’une femme qui se prétendaitindifférente !

— Trente-cinq ans. Je suis trop vieuxpour vous ?

— Simple curiosité…Elle s’interrompit en entendant un

bébé pleurer, puis un deuxième.— A suivre…, murmura Michael d’un

ton moqueur.— Non, je ne pense pas, répliqua Eva

avant de quitter la pièce à la hâte.Cette diversion tombait à point nommé

et lui fournissait un bon prétexte pours’esquiver. L’atmosphère devenaitirrespirable, tendue à l’extrême…

Pourquoi Michael se plaisait-il à laprovoquer ? Partageait-il son attirance ?Malgré ses sous-entendus et sesplaisanteries ambiguës, elle en doutait…

D’abord parce qu’il étaitabominablement hautain et méprisant,mais surtout parce qu’il lui témoignaitune grande méfiance.

Cet homme sophistiqué, de dix ans son

aîné, avait aussi beaucoup d’expérience.Il évoluait dans des sphères élevées, trèséloignées du milieu d’Eva. Même si elleavait une certaine aisance sociale, ellene se complaisait pas dans lesfréquentations légères et superficiellesdont Michael D’Angelo avaitprobablement l’habitude…

Ni prude ni vierge, elle avait vécupendant dix-huit mois une histoiresentimentale qui s’était terminée deuxans plus tôt. Ses relations avec son petitami s’étaient peu à peu effilochées àcause de son métier de photographe, qui,avec de nombreux contrats à l’étranger,l’obligeait à s’absenter très souvent.

Depuis, elle n’avait pas fait derencontres intéressantes. Et l’occasion

ne risquait plus de se présentermaintenant qu’elle avait les jumeaux !Michael D’Angelo n’était pas un choixenvisageable.

Même s’il était beau comme un dieu, ilétait bien trop dominateur et autoritairepour lui plaire vraiment. En plus, c’étaitle frère de Rafe D’Angelo…

Malgré tout, elle ne pouvait pas nierune certaine attirance. Sans doute,justement, à cause de sa personnalitéparticulière, assez mystérieuse. Cela luidonnait envie de découvrir ce qui secachait derrière son masque. En mêmetemps, elle aurait été flattée de luiplaire.

Quelle sorte d’amant était-il ?Sortait-il jamais de sa réserve ?

Qu’éprouverait-elle si elle avait laliberté de toucher et de caresser soncorps musclé, sculptural ? Si les longuesmains élégantes de Michael se posaientsur ses seins, ses cuisses ? Si leurslèvres se joignaient… ?

— Tout va bien ?Eva s’empourpra et se retourna d’un

air coupable. L’homme qui hantait sesfantasmes érotiques était là, sur le seuilde la chambre.

— Eva ? insista-t-il en remarquant larougeur intense de ses joues.

— Oui, très bien…Il continua à la scruter pendant

quelques secondes, puis hocha la tête.— Je vais quitter ce costume et me

changer. Ensuite, nous prendrons une

décision pour le déjeuner.Elle lui jeta un regard hagard.— Comment ?— Nous irons manger à l’extérieur.

Vous n’avez pas eu le temps de visiterParis, j’imagine ?

— Non, pas vraiment.— Eh bien, je vais vous servir de

guide. Préparez les affaires des bébéspendant que je m’habille.

— Ne vous croyez pas obligé de vousoccuper de moi.

— Ah, vous voulez reprendre notreconversation de tout à l’heure ? lança-t-il avec un sourire de séducteur.

Aussitôt, pour la plus grandesatisfaction de Michael, elle redevintécarlate.

— Ne déformez pas mes propos !s’écria-t-elle, excédée par ses allusionséquivoques.

Michael s’étonnait lui-même de saconduite. D’ordinaire, il n’avait pasl’habitude de flirter et était beaucoupplus direct avec les femmes. Il avaitperdu ses illusions depuis longtemps.Elles étaient toutes intéressées.

Eva Foster n’était pas différente, serappela-t-il avec un mouvementd’impatience. Simplement, ce n’était pasaprès son argent qu’elle en avait ; cequ’elle voulait, c’était l’aide de Rafe.

Son humour le quitta brutalement.— Rassurez-vous, je compte juste

vous offrir à manger. Cela n’ira pas plusloin entre nous. N’ayant pas de

gouvernante à demeure, je vous emmèneau restaurant.

Eva ne s’expliquait pas les bizarressautes d’humeur de Michael D’Angelo.En tout cas, l’absence de domestiqueconfirmait ses craintes. Ils seraient seulstous les deux dans l’appartement…

— Avec deux bébés de six mois, ce nesera pas une partie de plaisir, je vousassure, observa-t-elle d’une voixmoqueuse.

Michael baissa les yeux sur lesjumeaux.

— Ils ont pourtant l’air bien sages,pour l’instant.

Eva retint un sourire. Il ne se rendaitabsolument pas compte…

* * *

— Je vous avais prévenu…Eva lança un regard amusé sur

l’expression impassible de Michaellorsqu’ils quittèrent le restaurant élégantoù ils avaient déjeuné en bord de Seine.

La tenue de Michael D’Angelo étaitbeaucoup moins impeccable qu’à leurarrivée. Il avait du jus d’orange sur sachemise bleue. Sam avait renversé unverre d’eau sur son pantalon noir quiétait maintenant mouillé, et toutchiffonné parce qu’il avait porté Sophiependant presque tout le repas.

Si Michael avait cru que les jumeauxresteraient tranquillement dans leurpoussette, il avait dû changer d’avis

après avoir tenté en vain de lesraisonner. Eva, elle, savait d’expériencequ’il valait mieux les prendre sur lesgenoux pour avoir la paix.

Ils avaient passé deux heureséprouvantes.

Surtout Michael, qui avait eubeaucoup de mal à manger d’une mainen tenant Sophie de l’autre. Eva, elle,avait acquis une grande expérience aucours des derniers mois.

— Si vous insistez toujours pour nousaccueillir chez vous, il vaudrait peut-être mieux faire quelques courses etmanger à l’appartement, suggéra Eva.

Ils regagnaient la voiture en marchantle long des berges ombragées. En face,on apercevait la tour Eiffel, majestueuse,

et sans la présence maussade de MichaelD’Angelo, Eva aurait adoré prendre unephoto.

Il fronça les sourcils avec agacement.— Je ne vais pas changer mes

habitudes à cause d’un bébé, ni mêmedeux ! maugréa-t-il.

— Non ?— Non !Sa mine déterminée amusa Eva.— Même si cela vous facilite la vie ?— C’est inadmissible.En homme sérieux et totalement maître

de lui-même, Michael D’Angelo nedérogerait pas à ses principes. Ladifficulté ne lui faisait pas peur. Eva nes’expliquait pas autrement son étrangeproposition de les héberger tous les trois

chez lui.Elle y avait réfléchi pendant tout le

déjeuner.Il n’était apparemment pas convaincu

du bien-fondé de sa démarche.Néanmoins, il avait suffisamment dedoutes pour supporter un peu de remue-ménage dans le cours de son existence.En attendant de tirer les choses au clairavec Rafe, il avait décidé de lasurveiller de près, sûrement pourl’empêcher de parler à d’autres que lui.

Certes, Eva en convenait, cettehistoire ne pouvait pas plus mal tomberpour Rafe D’Angelo. Elle ne voulait pasbriser son mariage, même s’il étaitvéritablement le père des jumeaux. Ellecomprenait même pourquoi Michael

voulait contrôler ses faits et gestes. Maiscela ne lui plaisait pas pour autant.

Finalement, elle savourait avec uncertain esprit de vengeance lesdésagréments auxquels se heurtaitMichael. C’était un juste retour deschoses.

D’ailleurs, il n’avait pas fini dedécouvrir la longue liste de tracas etd’inconvénients qu’il y avait à vivreavec des bébés.

Avec un peu de chance, il se rendraitvite compte que c’était infernal. Il netarderait pas à les renvoyer à Londrespour se débarrasser d’eux…

5.

— C’est comme cela toutes les nuits ?— Comme quoi… ?Eva, qui était en train de mettre un peu

d’ordre dans le salon, se redressa quandMichael apparut sur le seuil. Elleréprima un sourire à la vue de sachemise tachée, la troisième de lajournée.

— Il va encore falloir vous changer,suggéra-t-elle.

— J’ai d’abord besoin d’un whisky,répondit-il. Laissez tout cela, je rangeraiun peu plus tard avec vous. Vousm’accompagnez ?

Pourquoi pas ?— D’accord, mais avec beaucoup

d’eau.Elle s’installa confortablement sur le

canapé.— Sophie s’est prise d’affection pour

vous, ajouta-t-elle.Au point qu’elle avait tendu les bras à

Michael avec un grand sourire lorsqu’illes avait rejoints dans la salle de bainspour voir si tout allait bien. Cet hommesi froid et réservé n’était pasinsensible… Il avait même aidé Eva àcoucher Sophie.

— Vous arrivez à vous débrouillerseule depuis trois mois ? demanda-t-ilen lui tendant son verre avant de selaisser tomber dans un fauteuil.

Michael était surpris de se sentir aussifatigué. Les enfants en bas âge n’étaientvraiment pas de tout repos. On nepouvait pas les quitter des yeux uneseule seconde. Sam avait d’abord faillirenverser sa jolie lampe vénitienne enverre de Murano. Ensuite, pendant queSophie explorait la pièce à quatre pattes,il avait fallu anticiper pour éviterplusieurs catastrophes.

Michael jeta un regard circulaire surle salon, qu’on aurait cru dévasté parune tornade.

— Ne vous inquiétez pas, j’aurai vite

fait de tout remettre en place, dit-elle ensurprenant sa grimace.

— Rien ne presse. Les bébés sont-ilstoujours aussi… frénétiques ?

Elle eut une moue désabusée.— C’était une bonne journée,

aujourd’hui.Michael fronça les sourcils en se

remémorant les divers épisodes depuisleur déjeuner chaotique au restaurant. Ilavait passé son temps à les guetter pourleur enlever des objets des mains.Ensuite il avait fallu les calmer et lescajoler avant le biberon, supporter lescris et les éclaboussures au moment dubain, les calmer avant le coucher… Evaleur avait aussi chanté une berceuse pourles endormir.

Il secoua la tête.— Comment avez-vous tenu ?Après avoir observé Eva, il la jugeait

beaucoup moins sévèrement. Sans douteavait-il eu tort de la prendre pour uneaventurière intéressée. Elle ne se seraitpas soumise de plein gré à toutes cescorvées si elle n’aimait pasprofondément ces enfants.

Elle enleva ses chaussures et repliales jambes sous elle.

— Je n’avais pas le choix, répliqua-t-elle.

En effet, après la mort de sa sœur, ilne restait plus qu’Eva pour s’occuper desa nièce et de son neveu. Epuisé au boutde quelques heures alors qu’il n’avaitpresque rien fait, Michael se demandait

s’il aurait eu autant de courage qu’elledans les mêmes circonstances.

Mais pour lui, c’était différent. Il avaitles moyens d’engager une nounou, deuxsi nécessaire. Eva était au contrairedémunie financièrement, et ne pouvaitmême plus travailler pour gagner savie…

La tension et le surmenage avaient euraison de son énergie. Les yeux fermés,elle renversa la tête en arrière, contre ledossier du canapé. Ses cheveux d’ébènecontrastaient avec la soie crème descoussins. Des cernes sombres secreusaient sous ses paupières closes, etses pommettes saillaient au-dessus deses joues, comme si elle avaitrécemment perdu du poids. D’ailleurs,

elle flottait un peu dans son jean noir etson T-shirt jaune paille.

Une aventurière n’aurait pas attenduaussi longtemps pour rechercher le pèredes jumeaux, que ce soit Rafe ouquelqu’un d’autre. Surtout en menantcette existence infernale, à s’occuperseule des enfants de sa sœur.

Eva s’en tirait d’ailleurs fort bien.Jusqu’à ce que les forces lui manquent.C’est seulement au bord del’effondrement qu’elle avait décidéd’appeler au secours.

Michael avait encore du mal à croire àla paternité de Rafe. Peut-être par peurdes complications ?

La jeune femme s’endormit et le verrefaillit lui glisser des doigts. Michael se

leva très vite pour le poser sans bruit surla table basse. Puis il éteignit toutes leslumières, ne laissant allumée que lalampe vénitienne qui jetait une lueurdouce et ambrée sur la pièce.

Avant d’aller changer une nouvellefois de chemise, il s’attarda un instantpour contempler Eva. Comme elleparaissait fragile dans l’abandon dusommeil ! Débarrassée de la lueurféroce qui brillait dans ses yeuxviolets… Sa bouche avait quitté son pliobstiné et son menton ne pointait plusavec la détermination qui lacaractérisait.

Elle était beaucoup trop jeune poursupporter seule le fardeau de ces deuxbébés qui n’étaient pas les siens, même

si elle les adorait.Michael soupira. Sa vie bien ordonnée

était complètement bouleversée. Il avaitperdu une journée de travail et sonappartement était envahi par trois intrus.

Car en attendant de parler à Rafe, iltenait à rester maître de la situation,quels que soient les inconvénients oul’inconfort qui en résulteraient.

Sans compter l’inexplicable attirancephysique qu’elle lui inspirait… Laprésence de cette jeune femme dans sonappartement mettrait son self-control àrude épreuve au cours des prochainsjours…

Eva était comme une lumière dans sanuit. Un peu de douceur dans son universimpitoyable. Une source de chaleur et de

gaieté dans le froid et la tristesse quil’environnaient.

En un mot, Eva Foster constituait unvrai danger…

* * *

Eva se réveilla peu à peu, un instantdésorientée par le décor inhabituel. Il luifallut quelques secondes pour serappeler avec exactitude où elle setrouvait et pourquoi. Et avec qui.

Michael D’Angelo…Cet homme immense, impressionnant

et si troublant !Où était-il ?Presque aussitôt, elle se rendit compte

qu’elle s’était endormie sans brancher le

baby-phone. Elle se leva d’un bond.— Ne vous inquiétez pas, Eva. Les

bébés dorment tranquillement.Elle se retourna avec un sursaut, en

massant sa nuque endolorie. Les cheveuxmouillés, Michael D’Angelo sortaitmanifestement de la douche. Il avaitenfilé un vieux jean délavé et un T-shirtnoir qui faisait ressortir ses épaulesmusclées.

Cette tenue décontractée lui donnaitune allure… très différente. A la foisplus accessible et plus sexy. Aussitôt,Eva sentit les battements de son poulss’accélérer et elle résista à l’impulsionde croiser les bras sur la poitrine, dansun geste défensif.

— Vous auriez dû me réveiller,

l’accusa-t-elle en jetant un coup d’œil àsa montre.

Il était presque 21 heures.— Vous étiez fatiguée… A l’évidence,

vous aviez besoin de vous reposer.Pourquoi rougissait-elle ?— On va nous livrer le dîner d’ici

quelques minutes, ajouta-t-ildistraitement.

Elle rejeta en arrière ses longscheveux noirs.

— Une pizza ?Il esquissa un sourire.— Non, un vrai menu avec un bon vin,

de chez André.Elle haussa les sourcils en

reconnaissant le nom d’un des meilleursrestaurants de Paris.

— Les gens normaux se contentent decommander…

— Eh bien pas moi, Eva ! la coupa-t-ilen haussant les épaules. J’aime mangercorrectement et après le désastre de cemidi, nous méritons tous les deux un bonrepas.

— Oh ! je ne me plains pas, luiassura-t-elle d’un air contrit. En fait,vous avez eu à midi un exemple de mesdéjeuners quotidiens avec les jumeaux !

Michael l’avait déjà deviné. Evadevait reprendre quelques kilos en senourrissant convenablement, avec desplats cuisinés et équilibrés. Malgré tout,il redoutait un peu l’intimité de la salle àmanger…

* * *

— Que diriez-vous de nous installerdans la cuisine ? demanda-t-il.

— C’est parfait.Eva étira ses membres engourdis.— Cela faisait bien longtemps que je

n’avais pas sombré aussi profondémentdans le sommeil, ajouta-t-elle.

— Vous en aviez grand besoin.Elle hocha la tête. Non seulement elle

avait accompagné sa sœur Rachel durantles sept derniers mois de son existence,mais depuis qu’elle avait les jumeaux,elle était constamment sur le qui-vive.

La présence de Michael D’Angelol’avait rassurée. Il lui inspirait uneconfiance instinctive, sans doute par le

calme et l’autorité qu’il dégageait.Pourtant, en même temps, il émanait de

lui un sex-appeal qui empêchait Evad’être détendue en sa présence…

Il ne paraissait pas se rendre comptede l’effet qu’il produisait, comme s’il sedésintéressait totalement d’elle. Et cetteindifférence apparente le rendaitd’autant plus dangereux et séduisant.

Eva ne se souvenait pas avoir jamaiséprouvé une attirance aussi violente.L’énigmatique Michael D’Angelo lafascinait.

L’homme d’affaires froid et incisifqu’elle avait rencontré le matin même àla galerie se métamorphosait peu à peu.En cet instant, il lui semblait presquetrop proche…

Mais quelles que fussent les émotionsqu’elle ressentait, il fallait sévèrementles réprimer. Les circonstancesexigeaient de conserver une distancerespectable.

— Je crois…— Je vais…Eva s’interrompit en rougissant et

interrogea Michael du regard.— Je vais dresser le couvert,

annonça-t-il.— Et moi jeter un coup d’œil aux

bébés avant de finir de ranger.Michael fit la grimace.— Je l’aurais fait, mais j’avais peur

de vous réveiller.— Merci.Subjugué par l’éclat de son sourire,

Michael resta sans bouger pendantquelques secondes. Lorsqu’elle n’étaitpas en colère ni épuisée, Eva Fosterétait une très belle femme.

Non, elle était belle en toutescirconstances !

Et dire que c’était seulement lepremier jour du cauchemar qu’il s’étaitimposé…

* * *

Le deuxième jour passa, puis letroisième. Michael avait de plus en plusde mal à se retenir de prendre Eva dansses bras pour l’embrasser. Témoin del’abnégation et de la générosité aveclesquelles elle se dévouait aux enfants

de sa sœur, il éprouva bientôt pour elleune admiration sans bornes.

Il travaillait toute la journée à lagalerie, mais ses trois pensionnairesl’attendaient lorsqu’il rentrait le soirchez lui. Très vite, il prit l’habituded’aider Eva à s’occuper des jumeaux.Après le dernier biberon et le bain, ilcommandait un bon repas dans l’un desrestaurants qu’il avait coutume defréquenter.

Pendant le dîner, ils discutaientagréablement, de tout et de rien,échangeant leurs points de vue sur toutessortes de sujets. Mais comme par unaccord tacite, ni l’un ni l’autre ne parlaitjamais de Rafe, ni de ce qui se passeraitau retour de sa lune de miel.

C’était tout à fait agréable et,curieusement, Michael découvrait desplaisirs domestiques insoupçonnés.

Chaque minute, chaque heure passéeen compagnie d’Eva aiguisait son désirpour elle. Il en était venu à prendre desdouches froides avant de se coucherpour résister à la tentation croissante detraverser le couloir pour la rejoindre.

Au troisième soir du séjour de la jeunefemme, Michael comprit qu’il nerésisterait plus très longtemps…

— Encore un délicieux dîner,commenta Eva avec un sourire de satiétéen terminant sa mousse au citron.

La cuisine française était à la hauteurde sa réputation et elle se régalait.

A sa grande surprise, la cohabitation

se déroulait sans encombre, infinimentmieux qu’elle n’avait espéré. Elle sortaitl’après-midi promener Sophie et Sam etpassait des soirées très agréables avecMichael, autour de repas somptueux.

Il avait une conversation intelligente etstimulante. On pouvait discuter de toutavec lui, de l’éducation auréchauffement climatique. Elleappréciait surtout leurs échanges dans ledomaine de l’art. Cela faisait trèslongtemps qu’elle n’avait pas bavardé àbâtons rompus avec autant de plaisir.

Tant pis pour elle s’il lui plaisait deplus en plus… C’était son problème.Malheureusement, Michael D’Angelo nes’intéresserait jamais à elle…

Il la considéra d’un air songeur.

— Vous ne m’avez toujours pasexpliqué pourquoi vous avez autantvoyagé ?

Elle eut un sourire mélancolique.— Pour mon travail. J’étais

photographe.Elle marqua une pause.— Enfin… Je le suis toujours,

j’imagine, même si j’ai beaucouprégressé. Ces temps derniers, je me suisspécialisée dans les mariages et lesbaptêmes !

— Et avant ?— Oh…Elle haussa négligemment les épaules.

Elle n’avait pas envie d’en parler.C’était trop douloureux.

Même si elle aimait beaucoup les

jumeaux et ne regrettait pas d’avoir toutarrêté pour eux, elle ne pouvait pass’empêcher d’éprouver une profondenostalgie pour la carrière qu’elle avaitabandonnée. Elle se consolait commeelle pouvait. Ce n’était pasirrémédiable. Sam et Sophiegrandiraient, ils iraient à l’école et ellereprendrait peut-être au moins une partiede ses activités.

En attendant, elle avait l’impressionde prolonger un peu la vie de sa sœur.Plus tard, elle raconterait aux jumeauxqui était leur mère. Ils sauraient qu’elleles avait aimés plus qu’elle-même, aupoint de se sacrifier pour leur donner lavie…

Ses yeux violets s’embuèrent de

larmes quand Michael demanda :— Pourquoi avez-vous tant de

réticences à évoquer votre travail, Eva ?— Je n’aime pas me tourner vers le

passé, c’est tout.Non, il y avait autre chose, comprit

Michael. Elle souffrait sans douted’avoir dû abandonner une passion, entout cas une activité qui lui tenait àcœur.

Michael n’avait pas pris le temps dese renseigner sur elle, comme il en avaitl’intention. Normalement, leurs longuesconversations auraient dû suffire àrépondre aux questions qu’il se posait.

— Et si cela m’intéresse, moi ?demanda-t-il doucement.

— Eh bien tant pis, conclut-elle avec

un mouvement d’impatience.Aussitôt, elle se leva pour débarrasser

la table.Michael se tourna sur sa chaise pour

la suivre des yeux pendant qu’elleremplissait le lave-vaisselle. Ellel’intriguait malgré lui.

Les quelques jours qui venaient des’écouler ne ressemblaient à rien de cequ’il avait vécu, et pas seulement àcause de l’irruption de bébés dans sonexistence. Eva était bel et bien la raisonprincipale.

Michael adorait sa famille et sontravail à Archangel Gallery. Maisaucune des femmes qu’il avait connuesn’avait approché sa véritablepersonnalité. Il choisissait ses

maîtresses en fonction de leur physiqueet de leur position sociale et ellesétaient flattées d’avoir une liaison, aussibrève fût-elle, avec l’un des richissimeset influents frères D’Angelo.

Avec sa petite taille et sa silhouettefrêle, et malgré sa poitrine généreuse,Eva était tout l’opposé des créaturessophistiquées qu’il avait l’habitude defréquenter.

Comme elle n’attachait aucuneimportance à l’argent ou au standing,c’était la première fois que Michaeldiscutait aussi franchement etouvertement avec une femme belle etdésirable.

Et il refusait que cela s’arrête.— Si vous… Attendez !

Michael se pencha en avant, les mainssur les genoux, tandis qu’une idée luivenait soudain à l’esprit. Pourquoi n’yavait-il pas songé plus tôt ?

— Eva Foster…, articula-t-illentement. Ne seriez-vous pas parhasard la photographe E. J. Foster ?

Elle se redressa avec une expressioncrispée, sur la défensive.

— Comment connaissez-vousE. J. Foster ?

— Je suis galeriste, Eva, lui rappelaMichael en levant les yeux au ciel. Lesphotographies d’E. J. Foster recèlentd’extraordinaires qualités artistiques.

— Vous êtes sincère ? s’écria-t-elleen rougissant.

— J’en suis convaincu.

Eva était flattée par ce jugementémanant d’un expert mondialementreconnu.

Tout à coup, Michael se leva.— Venez avec moi.Il lui tendit la main mais elle recula

avec méfiance.— Où cela ?— Avec moi, insista-t-il d’une voix

décidée.Indécise, Eva hésita. Ils avaient conclu

une sorte de trêve, tous les deux, laissanten suspens les sujets délicats.

Mais Michael se comportait soudaind’une manière bien étrange…

Elle finit par mettre sa main dans lasienne et il la conduisit dans le couloir,en direction des chambres.

Il ouvrit la porte de la sienne et allumaun interrupteur qui éclaira deux tableauxsur le mur d’en face, tandis que le restede la pièce demeurait dans la pénombre.

Eva aperçut néanmoins une harmoniede tons crème et marron, avec desdraperies de brocart au-dessus du lit àbaldaquin en acajou. Instinctivement,elle recula, refusant de pénétrer dansl’intimité de ce décor masculin.

— J’ignore ce que vous avez en tête,mais je vous avertis… Que faites-vous ?protesta-t-elle quand Michael la tira parle bras.

— Regardez !Il la guida devant l’un des deux

cadres.Ce n’était pas une peinture.

C’était une grande photographie, àtirage limité, qu’elle reconnut aisément,pour la bonne raison qu’elle en étaitl’auteur…

6.

Au premier plan de la photo setrouvait une jeune femme africaine quiportait son bébé dans le dos, enveloppédans un pagne de couleurs vives.Derrière, dans la lumière du soleilcouchant, se détachait la silhouette d’unelionne sur un escarpement de rocher, unlionceau contre son flanc. Le titre,Harmonie, était gravé sur une petiteplaque de métal doré.

Les yeux humides, Eva se remémoracette dernière soirée de son séjour enAfrique. Elle avait passé une semainedans le campement d’une tribu, à écouterleurs légendes tout en prenant desdizaines de photos. Mais celle-ci avaitune signification bien particulière.

Elle représentait l’harmonie entrel’homme et la nature, obligés de vivreensemble en respectant chacun les droitsde l’autre, même si la mort était parfoisle prix à payer…

— Il y a une histoire derrière cettephoto, n’est-ce pas ? demanda Michael,aux prises avec l’émotion étrange que cetableau suscitait toujours en lui.

Emma lui lança un regard aigu.— Comment avez-vous deviné ?

Il haussa les épaules.— Je l’ai senti.Elle hocha la tête.— La lionne avait attaqué le village

quelques semaines auparavant, et cettejeune mère avait perdu son fils aîné,expliqua-t-elle doucement. Lorsque leshommes se sont lancés à la poursuite dela bête sauvage, ils ne l’ont pas abattue,mais ont tué l’un de ses deux lionceaux.Pour eux, il s’agissait de rétablir unesorte d’équilibre. Avec un seul petit ànourrir, la lionne ne serait plus affaméeau point de les menacer de nouveau. J’aiparlé avec cette femme des heuresdurant. Même si elle était inconsolabled’avoir perdu son enfant, elle nenourrissait aucun désir de vengeance et

n’avait pas peur non plus. Elle acceptaitcet équilibre…

— Cette harmonie, murmura Michael.— Oui. Je ne sais pas si j’en aurais

été capable, à sa place.— Mais vous l’avez néanmoins

compris, et parfaitement exprimé dansvotre photo.

— Je… Comment l’avez-vous eue ?— Je l’ai achetée à l’exposition

E. J. Foster qui s’est tenue à Londres il ya un an et demi et que j’ai eu la chancede voir.

A l’époque, il n’imaginait pas qu’ilrencontrerait un jour la photographe, etcertainement pas dans des circonstancesaussi singulières.

— Vous n’étiez pas au vernissage… ?

reprit-il.Il se serait souvenu d’elle, si on la lui

avait présentée. Et à en juger par leursaffinités, il se serait certainement passéquelque chose.

Eva prit une profonde inspiration.— Non. Je… C’est la nuit où mes

parents ont eu leur accident de voiture.Ils se rendaient justement à la galerielorsqu’un véhicule a grillé un feu rougeet les a percutés de plein fouet. Ils sontmorts sur le coup. L’exposition abrusquement perdu tout intérêt à mesyeux.

— Oh ! je suis désolé…Ainsi, c’est un sort cruel qui les avait

empêchés de se rencontrer à ce moment-là, comprit Michael.

— Ce fut ma première et dernièreexposition, observa Eva tristement.

— Pourquoi ?Elle sourit avec un mélange de

tristesse et de résignation.— La vie… et la mort en ont décidé

ainsi.Michael hocha la tête et se tut un

instant.— Vous étiez à l’étranger, n’est-ce

pas, lorsque Rachel a découvert sagrossesse ?

— Oui, au Tibet, confirma Eva.— Vous preniez des photos pour une

autre exposition ?— Oui, soupira-t-elle.— Qui n’a jamais eu lieu.— Non.

Eva n’avait pas eu envie de s’enoccuper à son retour en Angleterre etn’avait même pas fait de tirages surpapier.

Le hasard et la fatalité réservaientparfois d’étranges surprises. Quellecoïncidence de retrouver l’une de sespremières photographies chez MichaelD’Angelo !

L’intuition et la sensibilité qui secachaient derrière sa froideur apparentel’étonnaient beaucoup. C’était bien lemême homme qui l’avait traitée avecsuspicion le premier jour. Bardé deprincipes et prudent à l’extrême, il avaitpréféré l’accueillir chez lui par peur duscandale, tant qu’il n’avait pas obtenu laconfirmation de son frère Rafe.

Et pourtant, avec beaucoup de finesse,il avait parfaitement compris cette imagede l’Afrique.

Michael D’Angelo possédait unepersonnalité plus complexe qu’il n’yparaissait au premier abord. Il avait misen place un savant système de défensespour se protéger. Très peu de gensdevaient avoir accès à son cœur.

Sa famille, sans doute…Les jumeaux, dans leur innocence,

avaient intuitivement perçu sa naturesensible, sous le vernis des conventions.Ils lui avaient aussitôt fait confiance.

Pour sa tranquillité d’esprit, Evaaurait préféré demeurer à l’écart, sansrien percevoir de ce qu’il dissimulaitsous sa froide réserve.

Elle était déjà beaucoup trop troubléepar Michael et la virilité qui émanait detoute sa personne. Contre sa volonté, etavec le sentiment d’être déloyale enverssa sœur, elle éprouvait une attiranceirrépressible pour celui qui possédaitavec ses deux frères les prestigieusesgaleries Archangel.

— Jusqu’à aujourd’hui, je pensaisqu’E. J. Foster était un homme.

Eva lui lança un regard surpris.— Pourquoi ?— Je n’en ai pas la moindre idée,

admit-il tout en continuant à observer laphoto. Pourtant, j’aurais dû deviner… Aprésent, cela me semble évident. Seuleune femme est capable de saisir cetteombre fragile, dans les yeux du bébé, et

le port gracieux de la mère tournée versla lionne. Un homme se serait concentrésur la puissance majestueuse del’animal, plus que sur la beauté et lecalme de l’ensemble.

Cette fois-ci, l’intuition et laperspicacité de Michael irritèrentpresque Eva. Avec une acuité assezincroyable, il décrivait exactement lesémotions qu’elle avait ressenties. Et il yétait si sensible qu’il avait acheté cettephoto, pour la posséder et la contemplerà loisir…

La gêne de la jeune femme s’accrutencore sous l’effet de la pénombre et dusilence. On n’entendait rien, juste lebruit de leur respiration dans l’intimitéde cette chambre.

Il fallait rompre le charme. Sinon Evane répondait de rien et risquait decommettre une bêtise. En fait, elle auraitété soulagée que l’un des jumeaux semanifeste à ce moment-là !

Malheureusement, cela ne se produisitpas.

Abruptement, Eva alla se planterdevant le second cadre, une peinture quireprésentait une simple rose rouge entrain de se faner, et dont les pétalestombaient comme des gouttes de sang.

— Ce tableau est…Elle s’interrompit car les mots lui

manquaient pour décrire la poignantebeauté du sujet.

— Allégorique, compléta Michael.— Oui.

Elle hocha la tête d’un air songeur.Que représentait la mort d’une rose pourMichael, cet homme qu’elle avaitd’abord cru insensible et qu’ellecommençait à voir sous un jour trèsdifférent ?

Brillant homme d’affaires, il étaitcouronné de succès et n’avait jamaisconnu d’échec.

Mais qu’en était-il au plan personnel ?Avait-il subi le mensonge oul’infidélité ? Cela expliquerait saméfiance instinctive, profondémentenracinée.

Michael D’Angelo était célibataire.Mais était-il complètement sansattaches ? Elle ne lui avait même pasposé la question ! Avait-il eu des

déceptions sentimentales ? Un amourmalheureux ?

Eva avait du mal à imaginer unefemme assez forte pour rompre avec unhomme aussi séduisant…

Peut-être avait-il une relation avecl’artiste ?

— Bryn Jaunes, lut-elle dans un coindu tableau. J’ai admiré quelques-unes deses œuvres sur internet. C’est uneplasticienne très prometteuse, n’est-cepas ?

— Ma belle-sœur, dit-il. Bryn aépousé Gabriel, mon plus jeune frère.

Eva fronça les sourcils quand sathéorie s’effondra.

— Oh. C’est… très beau.Michael réprima un petit rire.

— Mais tellement triste…— Oui.Qu’ajouter de plus ? Michael

contemplait-il dans ce miroir le refletd’une émotion intérieure ? D’unedésillusion ?

Eva préférait ne pas trop en savoir.Même si le vernis de froideur et desévérité qui protégeait MichaelD’Angelo s’écaillait petit à petit…

— Bryn est en train de peindreexactement le contraire en ce moment,déclara Michael. Une rose rougeépanouie.

— Dans l’espoir de vous la vendre ?Il secoua la tête.— Non. Elle veut m’en faire cadeau

pour que je découvre un jour le véritable

amour, aussi intense que celui qu’elle vitavec Gabriel.

Il fit la grimace.— Comme si je devais prendre

exemple sur mon petit frère !Regrettant d’en avoir trop dit sur lui-

même, il essayait de détourner laconversation…

Michael avait donc vécu un amourmalheureux. Et une artiste aussi douéeque Bryn Jaunes n’avait pas manqué depercevoir l’extrême sensibilité qu’ildissimulait sous sa carapace. A quandremontait sa déception sentimentale ?

En tout cas, il n’était pas innocentqu’il garde cette peinture dans l’intimitéde sa chambre plutôt que sur les mursd’une pièce principale.

Comme la photographie africaine…A cette pensée, Eva sentit un frisson

courir dans son dos, tandis que l’air, toutautour, se chargeait d’électricité. Elleavait toujours considéré ses œuvrescomme une part d’elle-même. Il étaitdonc infiniment troublant de découvrirqu’elle faisait un peu partie del’existence de Michael.

Presque aussitôt, elle se morigéna.Michael était avant tout un hommed’affaires soucieux d’effectuer dejudicieux placements. Par ailleurs,partageant son temps entre les galeriesde Londres, New York et Paris, il nevivait en France que quelques mois paran…

— Ces deux tableaux me suivent

partout au cours de mes voyages, confia-t-il d’une voix un peu rauque.

Eva fronça les sourcils.— Pourquoi me dites-vous cela ?Michael était-il capable de lire dans

ses pensées… Et de deviner sesémotions ? se demanda-t-elleanxieusement.

En tout cas, il venait de lui donner lapreuve que ces œuvres d’artreprésentaient plus qu’un boninvestissement. Il y attachait une valeurpersonnelle et sentimentale…

* * *

Michael D’Angelo était profondémenttouché de savoir qu’Eva et E. J. Foster

étaient une seule et même personne.Il s’était rendu au vernissage de

l’exposition d’E. J. Foster, dix-huit moisplus tôt, par pure courtoisie envers unconfrère, avec l’impression d’accomplirune corvée. La photographie nel’intéressait pas particulièrement, pasautant, en tout cas, que la peinture ou lasculpture.

Il avait été séduit au premier coupd’œil et était littéralement tombé enarrêt devant la photo intitulée Harmonie.Il avait aussitôt éprouvé une profondeaffinité avec la majesté du sujet etl’émotion qui se dégageait de la scène.

Et avec la photographe ?Peut-être.Mais jusqu’à ce soir, il ignorait que

c’était une femme…— Michael… ?Le cœur battant, il observa Eva à

travers ses paupières mi-closes, enretenant son souffle. Comme elle étaitbelle ! Son regard violet brillaitétrangement. Il n’aurait jamais dûl’amener dans sa chambre. Un désir fouse mit à couler dans ses veines, commeun feu ardent. Il tressaillit en lisant tout àcoup dans ses yeux la même émotion quile paralysait.

Dans la pesanteur de l’atmosphère,presque palpable, ils continuèrent à sefixer sans mot dire. Eva osait à peinerespirer. Incapable de réagir, commehypnotisée, elle sentit son poulss’accélérer quand Michael baissa

lentement son visage vers le sien.Ce fut d’abord un simple effleurement

des lèvres. Puis, comme s’il guettaitd’abord ses réactions, il raffermit lapression de sa bouche.

Eva se raccrocha à ses larges épaulespour ne pas vaciller sur ses jambesflageolantes. Elle sentit sous ses doigtsla chaleur rassurante de son corps, et lapuissance de son torse musclé lorsqu’illa prit par la taille pour la serrer contrelui.

Un gémissement indistinct s’échappade sa gorge. Le baiser de Michael se fitplus profond, plus insistant, et elle nedouta plus de la réalité de son désir, toutcontre son ventre.

Sa poitrine se durcit presque

douloureusement, tandis qu’un feuliquide inondait son ventre.

Michael l’embrassait maintenant avecune fièvre redoublée. Il glissa les mainssous son T-shirt et le remonta pour lacaresser. S’arrachant à son baiser avecun petit cri plaintif, Eva s’arqua enarrière pour offrir sa gorge aux lèvres deMichael, qui se refermèrent avidementsur les pointes de ses seins dressées.

Les genoux d’Eva se dérobèrent et elleenfouit les doigts dans les cheveux deMichael, sur sa nuque. Entre ses cuisses,le désir se faisait de plus en plusimpérieux.

Comme si un signe l’avaitmystérieusement averti, Michael y glissala main.

— Je… Oh ! mon Dieu ! Michael…— Oui, je sais, murmura-t-il. Me fais-

tu assez confiance pour t’abandonner,Eva ?

— Oui… !Un désir fou consumait son corps,

réclamant l’assouvissement.Michael la souleva dans ses bras pour

la porter jusque sur le lit, où il l’étenditdélicatement.

Puis il s’agenouilla entre ses cuisses,acheva de lui ôter son T-shirt etcontempla avec émerveillement sapoitrine dénudée. Ses seins fermes etgonflés s’adaptaient parfaitement à lataille de ses paumes.

Les yeux rivés aux siens, il se penchalentement pour reprendre son exquise

torture. Il n’avait jamais rien goûtéd’aussi bon. Sa peau avait la texturedélicieuse et sucrée du miel.

Quel plaisir enivrant ! C’était commeune drogue dont il risquait de devenirdépendant.

Tout en continuant à soutenir le regardd’Eva, il glissa lentement vers le bas deson ventre. Elle le fixait à travers sescils noirs et épais. Elle avait lespommettes roses, et les lèvres trèsrouges, gonflées et meurtries par leursbaisers.

Quel goût aurait son sexe ?Michael avait hâte de le découvrir.Il ne pouvait plus attendre.Il déboutonna le jean d’Eva et baissa

la fermeture Eclair. Si elle le voulait,

elle pouvait encore l’arrêter. Il ne s’étaitjamais imposé, à aucune femme, n’avaitcertainement pas l’intention decommencer aujourd’hui. Malgré laviolence de son désir.

Dieu merci, elle ne protesta pas, niquand il lui ôta ses chaussures, ni quandil fit glisser le pantalon le long de sesjambes, révélant une petite culotte dedentelle noire qui suivit le mêmechemin. A ce moment-là, elle ferma lespaupières et se contenta d’écarterlégèrement les cuisses pour s’offrir àson regard.

— Que tu es belle…, s’écria-t-il dansun gémissement rauque, avant de sepencher vers le cœur de sa féminité.

Eva émit une plainte à peine audible

en sentant la caresse du souffle chaud deMichael. Puis elle poussa des petits crisqui allèrent en s’amplifiant et s’agrippainstinctivement à ses cheveux.

Elle perdit bientôt toute notion detemps et de lieu. Elle ne savait mêmeplus qui elle était. Seul existait le torrentde sensations qui l’emportait dans unmaelström impétueux.

— Non ! s’écria-t-elle vivementlorsque Michael se redressa un instant.

Elle soupira de soulagement et desatisfaction quand il reprit son délicieuxtourment, tout en infligeant à ses tétons,qu’il faisait rouler entre le pouce etl’index, une torture exquise. Quelquessecondes plus tard, elle se cambra à sarencontre et une succession de spasmes

la secouèrent avec une violence inouïe.Les hanches d’Eva continuèrent à se

soulever, encore et encore, et elle sentitdes larmes couler sur ses joues, tandisque ses mains se recroquevillaient sur ledrap. Puis, les vagues d’un plaisirqu’elle n’avait jamais connus’estompèrent peu à peu.

Contre toute attente, le calme était àpeine retombé que Michael, de nouveau,l’entraîna très loin, dans cet universvoluptueux dont elle n’avait jamaissoupçonné l’existence…

7.

Michael plissa le front d’un airinquiet.

— Je t’ai fait mal ?Tout en s’allongeant à côté d’Eva, il

essuya doucement ses joues humides.Elle garda les paupières closes.— Non.— Alors que se passe-t-il ? insista-t-il

quand elle se détourna. Eva, parle-mois’il te plaît !

— Pour dire quoi ? s’écria-t-elleamèrement. Je suis venue à Paris parceque ton frère a séduit ma sœur, etmaintenant…

— La scène se répète, acheva-t-il enprenant conscience de la situation.

— Non, Michael ! Ce n’est pas lamême chose.

De nouveau, elle éclata en sanglots.— Eva, regarde-moi !Elle ouvrit lentement ses yeux

d’améthyste qui reflétaient uneexpression égarée.

— Qu’avons-nous fait ? gémit-elle.Qu’ai-je fait ?

Elle se détourna avec un gémissementet se recroquevilla.

Elle paraissait si petite et fragile, dans

sa nudité…— Je te connais depuis quelques jours

à peine ! reprit-elle avec un mélange decolère et de dégoût. Autant dire pas dutout !

— Non, Eva, c’est faux, protestaMichael.

Eva en savait probablement davantagesur lui que la plupart des gens n’enapprendraient jamais. Car il lui avaitrévélé une part très secrète de lui-même.

Eva aussi venait de se livrer,totalement…

Et pas seulement sur le plan physique.Au cours des derniers jours, de

l’affection s’était peu à peu mêlée audésir que Michael éprouvait pour lajeune femme. Et la découverte qu’elle

n’était autre qu’E. J. Foster, laphotographe de Harmonie, lui dévoilaitencore davantage sa personnalité.

Dotée d’une très forte sensibilité, elleétait en outre assez honnête avec elle-même pour exprimer sans fard sesémotions, ce dont Michael n’était pluscapable depuis très longtemps.

Il n’avait plus aucun doute sur sasincérité et regrettait de l’avoir maljugée. Même s’il n’avait pas du toutenvie de la croire, elle était intimementconvaincue que Rafe était le père desjumeaux.

Elle était incapable de mentir. Lafaçon dont elle s’était donnée à lui, sansréserve ni retenue, plaidait en safaveur…

Michael avait encore le goût de sonsexe sur les lèvres. Il sentait sous sesdoigts le velours tendre de sa peau. Sasensualité s’était éveillée sous sescaresses, avec un appétit et un plaisirqu’elle n’avait pas cherché à déguiser.

Il contempla longuement son teintd’ivoire et ses cheveux d’ébène. Dieu,comme il avait envie de la serrer contrelui !

— Eva…— Ne me touche plus jamais,

l’avertit-elle avec raideur quand il posaune main sur son épaule.

Elle s’écarta vivement de lui.— Comment puis-je être là, nue, alors

que tu es encore tout habillé ! ajouta-t-elle avec une expression de profond

dégoût.— Quelle importance ?Michael retomba contre les oreillers

en observant à regret Eva qui remettaitpromptement T-shirt, culotte et jean.

Les yeux de la jeune femmes’assombrirent.

— Tu n’as pas… Je me suis montréetrès égoïste en prenant du plaisir sans endonner…

— Ai-je dit quoi que ce soit là-dessus ? se récria-t-il durement.

Même si la situation lui causait uncertain inconfort, il ne regrettait rien dece merveilleux instant et en éprouvait aucontraire de l’exaltation.

— Non… Mais cela ne m’empêchepas d’être horriblement gênée. Je ne

peux pas rester chez toi. Dès demain jechercherai une chambre d’hôtel.

Il crispa les mâchoires.— Non.— Comment cela ?Michael posa les pieds par terre et se

leva à son tour.— Ce qui s’est passé entre nous ce

soir…— … Etait une erreur, déclara-t-elle

sèchement, sur la défensive, mais sans leregarder en face. Tu le sais aussi bienque moi.

Michael n’était pas aussi affirmatif. Ilavait besoin de temps, et de solitude,pour réfléchir aux conséquences de cetteétreinte sur une situation déjà délicate.

Mais le rejet d’Eva le choquait

terriblement.— Nous en reparlerons demain matin,

suggéra-t-il d’un ton bourru.Si Eva l’avait pu, elle serait partie

aussitôt. Mais les bébés dormaient et iln’était pas question de les réveiller. Detoute façon, pour le moment, elle n’avaitnulle part où aller.

Elle se sentait honteuse, mortifiée.Comment avait-elle pu céder ainsi àMichael, au mépris de tout amour-propre ? Et pourquoi ?

Certes, dès le début, elle le trouvaitbien trop séduisant et il l’affectaitphysiquement plus qu’aucun hommeavant lui. Mais au point de…

Jamais elle n’aurait imaginé qu’elle selaisserait faire ainsi…

C’était très embarrassant.A la pensée des caresses et des

baisers intimes qu’il lui avait prodigués,elle avait envie de disparaître sousterre.

Pourtant, même si elle répugnait àl’admettre, Eva savait exactementpourquoi cela s’était produit.

Les deux premières soirées qu’ilsavaient passées ensemble lui avaientprocuré un plaisir et une détenteinattendus. Mais c’était la découvertedes deux tableaux accrochés au mur desa chambre qui avait précipité lacatastrophe.

D’un seul coup, elle avait perçu lavéritable personnalité de Michael. Elleavait déjà des soupçons, mais ses

derniers doutes s’étaient volatilisés. Iln’avait rien de l’homme d’affairesglacial qu’il se plaisait à incarner auxyeux du monde.

Elle ignorait encore les raisons quiavaient poussé Michael à ériger cerempart protecteur, mais son attachementévident à la peinture de la rose fanée età la photographie africaine confirmaitses intuitions.

Sous le vernis se dissimulaient desémotions complexes qui trouvaient unécho chez Eva. Si bien que sa méfiances’était évanouie et qu’elle n’avait pasrésisté quand il avait commencé àl’embrasser.

Malheureusement, il ne lui restaitqu’un sentiment de dégoût, d’humiliation

et d’amertume…Elle savait ce que Rachel, dans sa

spontanéité et sa joie de vivre, lui auraitdit.

« Fonce, Eva… »Son corps, traîtreusement, avait suivi

le conseil. Elle en tremblait encore.Jamais elle n’avait connu pareillevolupté.

Réussirait-elle un jour à oublier ?Elle redressa le menton.— Je crois que ce serait beaucoup

mieux pour les jumeaux et moi dedéménager…

— Non, répéta Michael d’un airgrave.

— Ce n’est pas à toi de décider…— Je ne suis pas d’accord.

Il figea une expression résolue sur sestraits.

— Si ces bébés, comme tu leproclames, sont mon neveu et ma nièce,vous resterez ici avec eux sous maprotection jusqu’à ce que j’aie parlé àRafe.

Elle lui lança un regard de défi.— Et qui me protégera contre toi ?Son insolence déplaisait à Michael,

mais elle n’avait pas tort… Lui aussiétait à la merci du désir qui le taraudait !

— Tu ne surestimes pas un peu lepouvoir de ton charme ? lança-t-il avecmépris.

Il regretta aussitôt sa remarqueblessante, car Eva sursauta comme s’ill’avait giflée. Mais cette attaque verbale

avait au moins le mérite de mettre entreeux une distance nécessaire.

— Tranquillise-toi, l’incident de cesoir ne se reproduira pas, reprit-ilabruptement. Et maintenant, si tu veuxbien quitter ma chambre… ? Je travailletôt demain matin.

Quel affront ! Comme si l’humiliationd’Eva n’était pas assez insupportable,Michael lui assénait maintenant unemuflerie odieuse. Pourquoi reniait-il lemagnifique cadeau si généreusementoffert quelques instants plus tôt ?Qu’était devenu l’amant tendre etpassionné, plein de prévenances,capable d’un oubli de soi total ?

En la rejetant avec autant de violence,Michael se défendait. Il avait recours à

sa vieille méthode, la seule qu’ilconnaissait : feindre l’indifférence…

— Très bien, lança Eva le plusfroidement possible. A demain matin.J’irai à l’hôtel avec les jumeaux jusqu’ànotre départ…

— J’ai annulé ton vol de retour,l’informa Michael sèchement.

— Tu as fait cela ! explosa-t-elle enserrant les poings.

Il haussa les épaules.— Je t’avais prévenue.— Oui, mais je ne pensais pas que tu

irais jusque-là. Espèce de…— Ne m’insulte pas, Eva.— Quelle insupportable arrogance !

De quel droit as-tu osé… ? De toutefaçon, peu importe, il suffit de rétablir la

réservation.— Non.— Comment cela ?— La compagnie a tellement de

voyageurs en liste d’attente qu’ils ontaussitôt attribué ta place à quelqu’und’autre.

Les ongles d’Eva s’enfoncèrentrageusement dans la chair de sespaumes.

— Salaud !— Surveille ton langage, déclara

Michael avec hauteur. D’ailleurs, pourle bien des jumeaux, je te conseille de tecalmer. Les bébés sont très sensibles àl’humeur des adultes, tu dois le savoir.

En plus, il se permettait de lui donnerdes leçons ! Quel individu détestable !

— Eh bien je te conseille de melaisser tranquille et de ne plust’approcher de moi, l’avertit-elleférocement, avant de tourner les talonspour regagner sa chambre.

* * *

— Prends un croissant, Eva.Michael lui tendit une corbeille de

viennoiseries. Les jumeaux étaientsagement assis sur les chaises hautesqu’il avait fait livrer dès le lendemainde leur arrivée, avec un parc à jouer.

— Ils sont tout frais. Je suis allé leschercher tout à l’heure.

Michael avait modifié ses habitudespour la durée du séjour d’Eva et prenait

maintenant son café chez lui. Quelleexpérience d’assister au petit déjeunerdes jumeaux ! Il y avait généralement dela compote et des flocons d’avoine unpeu partout. Il venait à table en jean eten T-shirt et ne s’habillait qu’au momentde partir.

Pour l’instant, Sam et Sophiemordillaient un morceau de toast tout enexhibant fièrement leurs quatre dents.C’étaient des bébés adorables,quoiqu’un peu bruyants, mais ce matin,l’animation avait au moins le mérite demasquer la tension entre Eva et lui.

Michael avait très mal dormi, malgréune douche froide pour tenter de calmerses ardeurs. Pendant une grande partiede la nuit, il avait réfléchi à la meilleure

manière de cohabiter sans trop dedommages avec Eva.

Il avait été si surpris de découvrirqu’elle était E. J. Foster qu’il l’avaitconduite dans sa chambre sans songeraux conséquences. Devant le tableau deBryn, il s’était ensuite laissé aller à desconfidences qui l’exposaientdangereusement.

La scène qui avait suivi avaitparticulièrement éprouvé Eva en mettantà nu ses émotions. Il en voulait pourpreuve l’agressivité qu’elle avaitbeaucoup de mal à contrôler.

Elle fit un effort visible pour luirépondre.

— Merci, dit-elle en prenant uncroissant.

Elle acceptait au moins de lui parler,ce qui n’était pas gagné d’avance.

Michael, qui avait craint qu’elle nes’en aille sur un coup de tête, était unpeu rassuré. Mais Eva manifestaitclairement son hostilité et ne luipermettrait plus aucune familiarité.

Alors qu’il avait une folle envie del’embrasser…

Eva avait l’air encore plus vulnérableque d’habitude, ce matin. Des cernessombres se creusaient sous ses yeux,elle avait une mine de papier mâché etsa frêle silhouette flottait dans sesvêtements.

Elle avait besoin de repos, et dequelqu’un pour veiller sur elle.

Les bébés s’étaient réveillés deux fois

dans la nuit. Michael avait failli se leverpour la relayer, mais s’était ravisé. Lamanière abrupte dont il l’avaitrepoussée avait exacerbé les tensions etinstallé une distance nouvelle entreeux…

Il était donc resté dans sa chambre, entendant l’oreille pour écouter la voixd’Eva qui parlait doucement, puischantait une berceuse. Il était frustré dene pas pouvoir l’aider, mais elle l’auraitde toute façon rejeté.

Une idée avait germé dans son espritet il voulait en discuter avec elle, maisdans un endroit neutre, où son attentionne serait pas constamment distraite.

— J’aimerais que tu viennes à lagalerie ce matin.

Eva lui lança un regard méfiant.— Pourquoi ?— J’ai besoin de te parler.— Tu peux le faire maintenant.— Nous sommes tout le temps

interrompus, observa-t-il comme Samchoisissait justement ce moment pourjeter son toast sur la table. Jedemanderai à Marie ou à Pierre degarder les bébés.

Elle scruta son expression, mais ilétait aussi indéchiffrable qu’un sphinx.

— Je ne les confierai pas à desétrangers.

— Même si je me porte garant ?Pierre est père de famille.

Elle esquissa un sourire contraint.— Je n’ai pas plus confiance en toi

qu’en un parfait inconnu !Il haussa les sourcils.— N’est-ce pas un peu… exagéré,

étant donné les circonstances ?Ce qui s’était passé entre eux la veille

au soir n’avait rien à voir !— Je suis assez grande pour affronter

les conséquences de mes actes, déclara-t-elle froidement. En revanche, je suisplus circonspecte lorsqu’il s’agit desjumeaux.

— Bon sang…— Surveille ton langage, Michael.Il se leva et commença à arpenter la

pièce, tout en lui jetant de temps à autredes regards noirs tandis qu’elleterminait tranquillement son croissant.

Pour Eva, l’incident était clos. Plus

vite ils l’oublieraient, mieux celavaudrait.

Mais elle était toujours très en colèrecontre Michael d’avoir annulé sesbillets d’avion sans la consulter. Celaméritait bien une petite revanche !

Comme pour l’irriter davantage, ilétait particulièrement séduisant, cematin, avec son T-shirt blanc qui moulaitson torse musclé. Les cheveux un peudécoiffés par le vent après sapromenade à la boulangerie, il ne s’étaitpas encore rasé et l’ombre de sa barbena i s s a nte bleuissait sa mâchoirevolontaire et carrée. Elle avait bien dumal à l’ignorer.

Malgré elle, ses yeux se portèrent surses lèvres sculpturales, qui lui avaient

donné tant de plaisir. Elle en étaitencore toute bouleversée. Une boule seforma à l’intérieur de son ventre et sapoitrine se gonfla. Elle n’avait qu’unesolution pour se défendre : tenir Michaelà distance respectable. Par n’importequel moyen.

D’ailleurs, c’était finalement assezamusant de jouer avec les nerfs deMichael D’Angelo, ce monstre deréserve et de froideur. Cela luipermettait en même temps de surmonterson propre embarras.

Elle se leva.— Je vais changer Sam et Sophie et

les habiller. Il n’est pas l’heure departir, pour toi ?

Il pinça les lèvres.

— Tu ne te débarrasseras pas de moiaussi facilement, Eva.

— Que veux-tu dire ? Je ne comprendspas.

— Je t’attends à Archangel à midi,déclara-t-il, les dents serrées.

— Je t’ai déjà dit…— Je ne te laisse pas le choix.— Et moi, je n’aime pas les ordres.

Nous sommes donc dans une impasse.Michael refoula sa colère tant bien

que mal. Cette femme avait le don de lefaire sortir de ses gonds !

Il prit une profonde inspiration.— Bien. Reprenons. J’ai gardé un

créneau libre pour toi à midi dans monemploi du temps. Serais-tu disponible,s’il te plaît ?

Eva réprima un sourire.— Je verrai comment se passe la

matinée, mais je ne te promets rien.La tension de Michael se relâcha un

peu quand il aperçut la lueur malicieuseau fond des yeux violets. Manifestement,elle prenait un malin plaisir à ces joutesverbales.

— Très bien.Il hocha la tête.— Au revoir, Sophie. Au revoir, Sam.Il se baissa pour les embrasser sur la

joue et resta un instant immobile devantEva, qui le regardait songeusement.

— Quelle charmante scène domestiqueet familiale, n’est-ce pas ? J’ai aussidroit à un petit baiser de toi ?

Elle s’empourpra aussitôt.

— Dans tes rêves !Il éclata de rire.— Dans mes rêves, Eva, tu faisais

beaucoup plus que m’embrasser sur lajoue.

Elle devint encore plus écarlate.— Je… Tu…— Oui ? lança Michael en haussant un

sourcil moqueur.— Non ! rétorqua-t-elle, sans même

savoir pourquoi, trop troublée pour serappeler de quoi ils parlaient.

Michael avait habilement renversé lesrôles. C’était lui, maintenant, quis’amusait à ses dépens.

— Passe une bonne journée au bureau,mon chéri ! lâcha-t-elle sur un ton aigre-doux.

Des yeux noirs d’obsidienne lascrutèrent avec ironie.

— Et toi, ménage-toi… ma douce.N’oublie pas notre petit rendez-vous,ajouta-t-il avec une pointe de défi.

— Je n’ai pas encore dit que jeviendrais.

— Ne me refuse pas ce plaisir. Jeserais tellement déçu…

Après un instant de distraction, Evadécida de réagir. Il n’était pas questiond’accepter ce genre de marivaudages quirisquaient de l’entraîner sur un terraintrop intime.

— Restons-en à des relations… plusneutres, si tu veux bien, dit-elle avecraideur.

— C’est dommage, murmura Michael.

Elle tenta en vain de déchiffrer sonexpression et secoua la tête.

— Non, c’est préférable.Michael la scruta avec attention.

Visiblement, elle luttait pour préserverun semblant d’équilibre, mais sesémotions étaient sur le fil du rasoir.

Après ce qu’elle avait vécu au coursdes dix-huit derniers mois, cela n’avaitrien d’étonnant. Elle avait d’abord perduses parents, puis sa sœur, dont elle avaitrecueilli les enfants. Dans l’obligationd’abandonner au moins provisoirementsa carrière de photographe, elle venaitd’apprendre que le père des bébés, dontelle espérait l’aide financière, venait dese marier…

Le plaisir qu’elle avait connu entre les

bras de Michael avait dû achever de ladéstabiliser.

— Je t’ai entendue te lever deux foiscette nuit, Eva. Tâche de te reposer unpeu.

Il tendit la main pour effleurer sa joued’une caresse, mais la laissa retomberaussitôt quand Eva recula vivement.

Elle pointa le menton d’un airprovocant.

— C’est un ordre ?— Une simple suggestion.— Dans ce cas, j’y réfléchirai.Elle recommençait à l’énerver. Il

valait mieux ne pas insister.Il jeta un coup d’œil à sa montre.— Je vais me préparer.Dans l’espoir de chasser l’image qui

surgissait dans son esprit — celle ducorps nu et puissant de Michael sous ladouche —, Eva poussa un profondsoupir.

8.

— Excusez-moi si je vous dérangetous les deux, mais Eva avait rendez-vous avec moi et je l’attends depuis dixminutes.

Eva adressa un sourire d’excuse àPierre avant de se tourner vers Michaelqui, la mine sombre, les observaitdepuis le seuil.

En arrivant à la galerie, elle avait étéaimablement accueillie par le charmant

directeur adjoint et n’avait pas résisté auplaisir de bavarder avec lui.

Elle avait également l’intention de luisoutirer quelques informations au sujetde Rachel. Hélas, elle avait à peine eule temps de mentionner la visite de sasœur à Paris que Michael les avaitinterrompus.

Ses yeux d’onyx la fixaient avec unedureté implacable. Il n’avait plus rien del’agréable compagnon qui avait pris lepetit déjeuner avec elle, ni de l’amantattentionné qui l’avait séduite la veilleau soir…

Il continua à la regarder pendantquelques secondes avant de s’adresser àPierre, d’une voix glaciale :

— Vous ne devriez pas être parti

déjeuner ?Eva se sentait un peu responsable de

ce ton coupant, car Michael n’avait pasapprécié qu’elle pose des questions àson assistant lors de sa première visite àla galerie.

— Si je peux me permettre, vousm’avez demandé de garder les enfantsde Mlle Foster le temps de votre rendez-vous avec elle, rappela Pierre à sonemployeur, avec une politesse guindée.

Un muscle tressauta sur la mâchoire deMichael.

— Eh bien, il fallait vous en chargertout de suite au lieu de retarderMlle Foster.

A l’évidence, Michael avait présentéla situation comme si Sophie et Sam

étaient les enfants d’Eva, et non ceux deRachel et Rafe ! Elle décida de rétablirla vérité.

— Merci, Pierre, dit-elle gentiment enposant la main sur le bras du Français.Mais comme vous voyez, ma nièce etmon neveu dorment profondément.

Elle baissa les yeux sur leurs visagesangéliques. A les voir, il étaitimpossible de soupçonner la pagaillequ’ils avaient semée le premier soirdans l’appartement de Michael. Celui-ci, après s’être démené pour mettre horsde portée ses bibelots les plus précieux,s’était empressé, dès le lendemain,d’acheter un parc et des chaises hautes.La vie quotidienne en avait été facilitée.

Michael était visiblement furieux

d’avoir trouvé Eva en grandeconversation avec le beau Pierre.Devant son expression grincheuse, elleregretta aussitôt de s’être donné la peinede venir.

Ignorant sa désapprobation, elleadressa à Pierre un sourire chaleureux.

— En tout cas, s’il y a le moindreproblème, vous savez où je suis.

— Bien sûr, répondit-il aimablement,en surveillant toutefois son employeurdu coin de l’œil.

Eva posa un masque sévère sur sonvisage et se tourna vers Michael.

— Nous y allons ? lança-t-elle d’unton sec.

Sans attendre sa réponse, elle sedirigea vers l’ascenseur, au fond du hall

de marbre.Michael la rattrapa et la saisit par le

coude. Elle essaya de se dégager, maisil l’en empêcha fermement, ce qui luivalut un regard assassin.

— Tu t’es comporté comme unmalotru avec Pierre !

Michael en convenait, du moinsintérieurement, car il avait du mal às’expliquer les raisons de sonincorrection envers son assistant…

Il avait d’ailleurs été d’une humeurexécrable toute la matinée, et s’en étaitmême pris à Marie qu’il avait presquefait pleurer. Cela n’avait pas contribué àdiminuer son irritation, bien aucontraire, même s’il s’était confondu enexcuses.

Bien avant midi, il s’était mis àtourner en rond dans son bureau commeun ours en cage. Les minutess’écoulaient trop lentement. Il attendaitEva avec impatience. A midi huit, ilavait appelé à son appartement, sansobtenir de réponse. Elle était sans douteen route, et il avait décidé de descendrepour l’accueillir dans le hall.

En arrivant au bas de l’escalier demarbre, il l’avait surprise en train derire et plaisanter avec Pierre, son jeuneet séduisant assistant. Une fureursombre, totalement irraisonnée, s’étaitemparée de lui.

Incapable de se dominer, aux prisesavec une émotion violente qui défiaittoute logique, il avait foncé sur eux.

Michael ne comprenait pas du toutpourquoi il avait réagi de la sorte…

En tout cas, il lui était insupportablede voir Eva aussi détendue et à l’aise encompagnie d’un autre que lui. D’autantplus que leurs relations s’étaientbrutalement détériorées et qu’elle luibattait froid.

L’incident de la veille avait tout gâchéentre eux… Jusqu’au dernier moment, ils’était demandé si elle viendrait.

Non seulement elle était venue, maiselle aurait été à l’heure si son tropaimable assistant ne l’avait pas retenue.Le mécontentement de Michael étaitencore monté d’un cran.

En fait, il n’était pas en colère… maisjaloux !

Michael s’obligea à respirerlonguement pour se calmer.

Malgré les fâcheux auspices souslesquels ils s’étaient rencontrés, Eva luiplaisait depuis le début. Il s’était viterendu compte qu’elle n’était pasl’aventurière intéressée qu’ilsoupçonnait. Elle n’était pas seulementbelle, mais très intelligente et cultivée,avec une conversation stimulante, pleinede vivacité. Excellente photographe, ellepossédait aussi un talent fou.

Après ce qui s’était passé la nuitdernière, il aurait été ridicule de nier ledésir qu’elle lui inspirait.

Il l’admirait en outre pour sa capacitéde résilience. Quel drame, pour cettejeune femme, de perdre coup sur coup

ses parents et sa sœur ! Elle avaitmalgré tout trouvé la force de seconsacrer à son neveu et sa nièce, avecun amour peut-être d’autant plus intenseque sa famille lui manquait.

Quoi qu’il en soit, il étaitinacceptable, pour Michael, des’attacher ou d’éprouver le moindresentiment, pour elle comme pour uneautre.

Dans son for intérieur, il refusaitd’admettre qu’il avait pris plaisir àpartager ces quelques soirées et à jouerun peu avec les jumeaux. C’était mêmedevenu une routine agréable d’aider Evaà les mettre au lit, puis de dîner tout enbavardant.

Il avait pourtant peur de se sentir seul

et de trouver l’appartement bien videune fois qu’elle serait repartie enAngleterre…

Cette prise de conscience lui rendaitcette situation plus intolérable encore !

Michael ne souffrait jamais de lasolitude. Bien au contraire, il lachérissait, se félicitant de n’avoir decomptes à rendre à personne. Sur le planprofessionnel, c’était différent puisqu’ilpartageait ses responsabilités avecGabriel et Rafe. Mais il menait sa vieprivée comme il l’entendait.

Les trois derniers jours neconstituaient pas une exception à larègle.

— Assieds-toi, grommela-t-il enrefermant la porte.

Puis il s’installa derrière son bureauen marbre.

Eva, cependant, demeura debout, sansbouger. Les yeux plissés, il détailla sajolie silhouette, dans une robe d’étécouleur lilas qui s’arrêtait juste au-dessus du genou. Un gloss rose pâlebrillait sur ses lèvres pulpeuses. Sescheveux d’ébène contrastaient avec sonteint de porcelaine et retombaientsouplement sur ses épaules dénudées.Elle portait de simples sandales à talonsplats, attachées par une lanière à seschevilles fines.

Devant sa fraîcheur et sa beauté,Michael sentit sa gorge se serrer.

— Eva ?Elle demeura immobile.

— Tu t’es montré d’une grossièretéinadmissible avec Pierre…

— Tu n’as pas de remontrances à mefaire sur la façon dont je me comporteavec mes employés ! coupa-t-il, glacial.

Surprise par son ton, elle tressaillit.L’homme qui la regardait avec cettefroide indifférence était-il le même quecelui qui l’avait serrée dans ses bras etembrassée intimement ?

Non, c’était impossible…Elle retrouvait le Michael D’Angelo

du premier jour, soupçonneux etinaccessible, richissime galeriste etamateur d’art éclairé, mais quidissimulait soigneusement sa sensibilité.

— Tu sais que Pierre est marié… ?Choquée par son expression

méprisante, elle fronça les sourcils.— Je m’en doute, puisqu’il a des

enfants…Michael hocha la tête abruptement.— Donc tu le sais. Je voulais m’en

assurer.— Michael…— Eva.— Je n’aime pas du tout ce genre de

sous-entendus. Qu’est-ce que tuinsinues ?

— Absolument rien.— Ah vraiment ?Eva était certaine, à présent, que la

méfiance de Michael envers les femmesavait sa source dans un épisodedouloureux de son existence…

— Tu ne veux pas t’asseoir, Eva, s’il

te plaît ?Il s’était radouci et elle s’exécuta de

mauvaise grâce. Pourquoi l’avait-ilconvoquée dans son bureau ? Sans doutepour souligner le caractère formel deleurs relations.

Elle se redressa sur sa chaise.— Il n’y a rien d’ambigu entre Pierre

et moi, je t’assure.— Excuse-moi, répondit Michael avec

brusquerie.Il regrettait maintenant d’avoir réagi

aussi vivement, mais refusait toujours des’avouer la raison véritable…

— Eh bien, de quoi voulais-tu meparler ? demanda Eva sur le même ton.

Michael haussa un sourcil ironique.— Tu ne veux pas bavarder un peu

avant d’entrer dans le vif du sujet ?railla-t-il.

— Non. Je préfère en terminer le plusvite possible. J’ai l’intention d’aller à latour Eiffel, aujourd’hui.

Eva mettait ses journées à profit pourvisiter Paris, avec les jumeaux quidormaient dans leur poussette.

A sa propre surprise, Michael éprouvaune brusque envie de les accompagner…

Il pinça les lèvres pour refouler cetteidée incongrue.

— Je t’ai demandé de venir à lagalerie parce que j’ai une proposition àte soumettre.

Eva se tint aussitôt sur ses gardes,mais en se méprenant sur ses intentions.Après leur écart de conduite, elle

s’imagina qu’il allait lui offrir del’argent pour se débarrasser de saprésence encombrante.

— Je n’accepterai pas de régler lasituation avant d’avoir parlé à tonfrère…

— C’est moi qui lui parlerai, Eva,rectifia-t-il durement. De toute façon, ilfaut d’abord prouver que Rafe est bienle père des bébés de ta sœur.

Eva sentit le rouge de la colère luimonter au front. Pourquoi mettait-ilencore sa parole en doute ? Rachel étaitsans doute immature et irresponsable,mais la malhonnêteté ne comptait pas aunombre de ses défauts. Avant de mourir,elle avait clairement établi l’identité deRafe D’Angelo.

— Je rencontrerai moi-même tonfrère…

— Certainement pas ! protestaMichael avec autorité.

Eva se hérissa.— Tu es peut-être un homme riche et

puissant, Michael, mais tu ne peux pasm’en empêcher si j’en ai envie,rétorqua-t-elle, déterminée.

— Cela n’a rien à voir avec mafortune ou ma position sociale.

Il laissa échapper un bruyant soupir.— Eva, par égard pour Nina, la femme

de Rafe, laisse-moi lui annoncer lanouvelle discrètement.

Eva s’empourpra, vexée par laréprimande à peine voilée de Michael.

— Si je manquais de tact, je n’aurais

pas attendu leur retour de voyage denoces pour me manifester.

Sans doute, mais Michael le lui avaitfortement suggéré…

— Je souhaite seulement faire éclaterla vérité, ajouta-t-elle doucement.

— Moi aussi. Et ce sera beaucoupplus facile si c’est moi qui parle à Rafe,crois-moi.

Mais du diable s’il savait comment s’yprendre ! Il était déjà délicat d’évoquerRachel Foster… Il n’avait aucune idéede la façon dont il aborderait le sujetdes bébés jumeaux.

Même si Rafe niait sa paternité,comme Michael s’y attendait, il nepouvait pas gommer d’un traitl’existence de play-boy qu’il avait

menée avant de tomber amoureux deNina. Mais il n’était pas irresponsableau point de négliger la contraception.Eva exigerait certainement des analysesde sang. Ces examens biologiquescompliqueraient encore une situationembarrassante.

Michael n’avait jamais vu son frèreaussi heureux que depuis sa rencontreavec Nina. Il n’osait imaginer lesravages que causeraient les accusationsd’Eva. Il en était malade à l’avance.

Malgré tout, en même temps, iléprouvait de l’empathie pour Eva.

Elle n’agissait pas par dépit, ni parméchanceté ou esprit de vengeance. Ellene cherchait pas non plus à exercer unchantage pour soutirer de l’argent à

Rafe. Il comprenait l’impossibilité oùelle se trouvait de subvenir seulefinancièrement aux besoins de Sophie etSam. Elle avait besoin d’aide. Cettedémarche constituait pour elle un dernierrecours car elle avait déjà consentibeaucoup de sacrifices, en particulier encessant d’exercer une profession qui lapassionnait.

Michael se sentait coincé, déchiré.Eva était par ailleurs tellement

orgueilleuse qu’elle n’accepterait jamaisd’argent de sa part, si la confrontationavec Rafe tournait court.

— Je ne t’ai pas fait venir pourdiscuter de cela, déclara-t-il platement.

Eva soupira.— Alors pourquoi ?

— Ma proposition n’a rien à voir avecta situation personnelle, poursuivit-il,irrité par sa méfiance instinctive.

Eva scruta longuement son expression,mais sans parvenir à la déchiffrer,comme d’habitude.

— Explique-toi.— Elle concerne tes photographies

tibétaines.Surprise, elle sursauta.— Pardon ?— Tu m’as dit en avoir un nombre

suffisant pour une exposition ?— Oui…— Tu sais que je suis un grand

admirateur du travail d’E. J. Foster,ajouta-t-il.

— Oui…

Eva rougit en se remémorant malgréelle où et dans quelles circonstanceselle l’avait appris. Dans son esprit,c’était irrémédiablement associé à unescène torride…

Michael hocha la tête.— Je suis aussi très bien placé en tant

que galeriste renommé.— Oui…Il eut un geste d’impatience.— Vas-tu continuer à me regarder

longtemps avec cet air soupçonneux ?— Cela dépend…Ses yeux d’onyx se durcirent.— De quoi ?— De la suite de cette conversation.Eva avait trop peur d’y croire et de se

tromper.

Michael D’Angelo avait-il réellementl’intention d’exposer ses œuvres dansl’une des prestigieuses galeriesArchangel ?

Non, c’était trop beau pour être vrai.— Je te propose de monter une

exposition de tes photographiestibétaines dans la galerie Archangel deton choix.

9.

Pendant plusieurs secondes, Eva fixaMichael en écarquillant les yeuxd’incrédulité. Puis, une autre émotionl’envahit et elle se leva, le rouge auxjoues.

— Comment oses-tu ? lança-t-elleavec colère, en serrant les poings. Dèsla première minute où je t’ai rencontré,j’ai vu quel homme froid et dur tuétais…

— Eva…— … qui ne croyait pas un mot de ce

que je lui disais…— Eva !— … malgré tout, je n’aurais jamais

imaginé pareille cruauté, même venantde toi, continua-t-elle tandis que deslarmes amères coulaient sur ses joues.

— Je t’en supplie, Eva, ne pleure pas !Michael se leva d’un bond et fit le tour

de son bureau.— Ne me touche pas, l’avertit Eva en

s’écartant vivement. Comment as-tu pu,Michael ?

Etouffant un sanglot, elle enfouit sonvisage dans ses mains.

— Pour l’amour du ciel, Eva… !Eva n’avait plus assez de force en elle

pour repousser Michael une deuxièmefois, lorsqu’il la prit d’autorité dans sesbras. Il posa une main sur sa nuque et latint serrée contre lui.

Certes, ce ne devait pas être facilepour lui non plus. Pour s’en rendrecompte, il lui suffisait de se remémorercombien elle-même avait été secouée enapprenant la grossesse de Rachel et samaladie. Quel choc il avait dû avoir lepremier jour, quand elle était venue à lagalerie avec les jumeaux ! Ellecompatissait.

Mais cela ne lui donnait pas le droitde se comporter ainsi. C’était abject delui faire miroiter cette opportunité, alorsque sa carrière de photographeconstituait ce qu’elle avait de plus cher

au monde. C’était le rêve de sa vie,d’exposer ses œuvres.

Néanmoins, elle ne céderait pas à latentation quand le prix à payer risquaitde compromettre l’avenir des jumeaux !

Tout en la gardant dans ses bras,Michael, interloqué, s’interrogeait surles réactions totalement inattendues de lajeune femme.

« Je n’aurais jamais imaginé pareillecruauté, même venant de toi… »

Les paroles d’Eva résonnaient dans satête. Que voulait-elle dire ? Pourquoiparlait-elle de cruauté ?

Michael ne comprenait rien à ce qui sepassait. Sa proposition aurait dû faireplaisir à Eva. Qu’y avait-il derépréhensible à exposer ses

photographies ?Il se raidit tout à coup comme une

petite lueur se formait dans son esprit.— Eva, tu ne crois tout de même pas

que c’est du chantage ? Que j’achète tonsilence en échange d’une exposition àArchangel ?

— Malheureusement, on ne peut pasappeler cela autrement.

— Tu sais, Eva, déclara Michael avecun calme terrifiant, dès la premièreminute où je t’ai rencontrée j’ai comprisque tu étais une jeune femme impétueuse,avec son franc-parler, mais je ne pensaispas que tu irais jusqu’à m’insulter d’unemanière aussi éhontée !

— Toi aussi, tu es susceptible. Tun’aimes pas qu’on te jette des

accusations à la figure…La veille au soir, il avait eu

l’impression qu’Eva commençait àl’estimer, et qu’une confianceréciproque s’installait entre eux…

Comme il se trompait !Saisissant la jeune femme par les

épaules, il s’écarta pour la tenir à boutde bras. Des éclairs de colère brillaientau fond de ses yeux noirs.

— Regarde-moi, Eva, commanda-t-ildurement.

Comme elle continuait à baisser lesyeux, il haussa la voix.

— J’ai dit, regarde-moi, bon sang !Très pâle, elle finit par obtempérer.— Je n’ai jamais… Je n’ai pas utilisé

le mot chantage…, protesta-t-elle.

— C’était inutile !Un muscle tressauta sur la joue de

Michael.— C’était très clairement sous-

entendu dans tes accusations de froideuret de cruauté, reprit-il.

Il la lâcha pour aller se placer devantles fenêtres donnant sur les Champs-Elysées. Pour une fois, le spectacle de laplus belle avenue du monde lui étaitindifférent.

— Je pensais vraiment que tu meconnaissais mieux que cela, Eva, quenous commencions à nous comprendre…

Ses épaules se voûtèrent et sa voix sefit lugubre.

— Oh ! peu importe ce que jecroyais ! Finalement, pourquoi serais-tu

différente de toutes les autres ? Va-t’en,maintenant. Laisse-moi seul. N’ajoutonsrien. Nous risquerions de le regretter.

Immobile, paralysée, Eva contemplala silhouette massive et imposante deMichael. Les mains dans les poches deson pantalon, les pieds légèrementécartés, il était lui aussi figé, dans uneposture qui le rendait inaccessible. Ellel’avait manifestement blessé, et serepentait d’avoir été aussi abrupte etindélicate.

Elle avait mal interprété saproposition. Qu’avait-il dit, au juste ?

Il lui offrait, en tant qu’E. J. Foster, lapossibilité d’exposer ses photographiestibétaines à la galerie Archangel de sonchoix.

Il n’avait pas mentionné les jumeaux,ni Rafe et le problème qui lespréoccupait. Il s’agissait bien d’uneproposition professionnelle.

Si toutefois il n’y attachait vraimentaucune condition…

Eva humecta ses lèvres sèches etcommença à parler d’une voix altérée.

— Si je me suis trompée…— Evidemment, que tu t’es trompée !Sa froideur ne l’encourageait pas à

poursuivre et il continuait de lui tournerle dos.

— Je te présente mes excuses,déclara-t-elle avec maladresse.

— Quelle générosité ! s’écria Michaeld’un ton cuisant.

Il fit volte-face et la dévisagea avec

une intensité impitoyable.— Je suis dans l’impossibilité de

prolonger cette conversation, reprit-ilenfin, glacial.

— Tu as un rendez-vous… ?— Non, je ne peux pas, c’est tout.

Restons-en là, cela vaut mieux.Devant son expression implacable,

elle hésita.Il était furieux, et à juste titre !— Alors un peu plus tard ? A la m…Ecarlate, elle s’interrompit avec une

grimace.— Chez toi ?Il eut un sourire moqueur en

comprenant la raison de son embarras.Elle avait failli dire « à la maison »…

— Oui, peut-être dans la soirée, à

l’appartement.Eva fronça les sourcils.— Peut-être… ?Il inspira profondément, comme pour

s’obliger à garder son self-control.— Pour le moment, je n’ai plus du tout

envie d’en parler.Il haussa les épaules.— Mais qui sait ? Je changerai peut-

être d’avis…Le sujet était clos pour l’instant, se dit

Eva. Elle ne pouvait guère blâmerMichael de lui en vouloir. En quelquesmots malheureux, elle avait totalementdétruit la trêve fragile qui s’installaitentre eux, même si sa crise de larmes, laveille, l’avait déjà ébranlée.

— Je m’en vais, annonça-t-elle sans

préambule. A quelle heure rentres-tu ?— Je n’en ai pas la moindre idée. Je

risque de rentrer tard. Ne m’attends paspour dîner, ajouta-t-il d’un ton sec. Ensortant, peux-tu demander à Marie devenir ?

Eva lui jeta un dernier regard. Elleavait malheureusement bien mérité sonrejet et son indifférence…

* * *

Le réveil lumineux d’Eva, sur sa tablede nuit, marquait minuit moins dix quandelle entendit Michael tourner la clé dansla serrure. Il rangea son trousseau sur laconsole de l’entrée, posa son porte-documents sur une table basse et se

dirigea vers la cuisine.Eva suivait tous ses faits et gestes.

Elle avait d’ailleurs laissé la porte de sachambre entrouverte dans cette intentionquand elle s’était couchée tristement,une heure plus tôt.

Elle avait passé un après-midi et unesoirée épouvantables. Les jumeauxavaient été très agités, probablementparce qu’ils percevaient son état detristesse et de nervosité. Ils n’avaientpas cessé de pleurnicher. Pendant lerepas, ils avaient renversé de lanourriture partout et même le bainn’avait pas réussi à les calmer.

Elle avait poussé un soupir desoulagement quand l’heure était venuede les mettre au lit pour la nuit.

Mais une longue soirée solitairel’attendait…

Michael n’était toujours pas rentré à21 heures. Trop abattue pour se cuisinerquelque chose ou se commander unrepas chez un traiteur, Eva s’étaitcontentée d’un toast et d’une tasse dethé.

De nature indépendante, Eva n’avaitjamais souffert de la solitude. Pourtant,en très peu de temps, elle s’étaitaccoutumée à Michael et sa compagnielui manquait. Elle avait besoin de saprésence, de leurs bavardagestranquilles, et jusqu’à ses silences…

Elle se demandait où il était et ce qu’ilfaisait.

Ce n’était certainement pas son travail

qui le retenait à une heure aussi tardive.Il était donc sorti. Avec qui ?

Une autre femme… ?Que signifiait cette façon de

s’interroger ? songea-t-elle. Michaelétait totalement libre. D’ailleurs, mêmesi elle ne lui avait jamais posé laquestion, il avait probablement unemaîtresse dans sa vie. Elle n’était passtupide au point de se faire desillusions ! Séduisant, cultivé, cet hommefortuné qui était en outre un amant exquisavait évidemment toutes les femmes àses pieds.

Cela ne la regardait pas et de toutefaçon elle s’en moquait. Elle n’avait pasle droit d’éprouver du dépit et de lajalousie.

C’était pourtant bien ce qu’elleressentait…

Petit à petit, une certitude se fit jourdans son esprit : elle était tombéeamoureuse de lui !

Il n’était pourtant pas du tout l’hommequ’il lui fallait. En plus, le moment étaitparticulièrement mal choisi pour cegenre de complications. Mais elle étaitbel et bien amoureuse de MichaelD’Angelo. Hélas, ses sentiments neseraient jamais payés de retour, parcequ’il la méprisait et qu’elle accusait sonfrère d’avoir séduit sa sœur.

Comment pourrait-elle rester chez luijusqu’au retour de Rafe, maintenant ?Cela paraissait impossible…

— Eva… ?

Pendant qu’elle réfléchissait et semorfondait, Michael était revenu dans levestibule et avait vu la porte de sachambre entrebâillée.

— Ce n’est pas la peine de fairesemblant de dormir, Eva. J’entends d’icites récriminations.

— Mes récriminations ? répéta-t-elled’un ton de défi.

Il s’avança et elle se redressaabruptement, insoucieuse de la légèretéde sa tenue.

— Je n’ai aucun droit de me plaindre,ajouta-t-elle d’un ton vif. De toutemanière, je suis indésirable…

— Après ce qui s’est passé hier soir,tu ne peux pas dire une chose pareille.

Michael se passa la main dans les

cheveux. Il avait une migraine affreuse.L’apparition d’Eva, avec un haut de

pyjama presque transparent, n’arrangeaitrien. Son pouls se mit à battresourdement contre ses tempes.

— Tu…— Tu as mangé ?— Je… Non, pas vraiment, répliqua-t-

elle, désarçonnée par le brusquechangement de sujet. Juste un toast.

Michael hocha la tête.— Je vais faire une omelette. Cela te

dit ?— Tu n’as pas dîné non plus ?— Non, soupira-t-il.— Je pensais que tu étais au

restaurant…Il secoua la tête.

— J’ai travaillé jusqu’à maintenant.Eva retint un élan d’allégresse presque

irrépressible.— Je croyais que tu ne savais pas

cuisiner ?— Je ne fais pas la cuisine, c’est

différent. Et puis, une omelette est laportée de tout le monde.

Après tout ce qu’elle avait imaginé,Eva se sentait immensément soulagée…

— Tu ne m’as pas répondu, Eva. Tuveux manger avec moi ?

— Oui.Quand elle rejeta les couvertures et fit

quelques pas sur la descente de lit pourattraper sa robe de chambre, Michael eutle temps d’apercevoir ses jolies jambessoyeuses. Il se détourna.

— A tout à l’heure.Le cœur battant à tout rompre, il se

hâta de regagner la cuisine.— Tu as passé une bonne soirée ?

demanda Eva en le rejoignant.— Non. Et toi ?— Non.— Pourquoi ? Les jumeaux ont été

difficiles ?Même s’il lui tournait le dos, Michael

avait une conscience aiguë du moindremouvement que faisait Eva. Les effluvessubtils de son parfum parvenaientjusqu’à lui, mélange sensuel de citronvert et de vanille.

— Un peu. Mais ce n’est pas la raison.Je… J’étais chagrinée à cause de lafaçon dont nous nous sommes quittés,

admit-elle d’une voix un peu rauque.Sans se retourner, Michael compta

jusqu’à dix, lentement, pour s’obliger àne pas répondre à cet aveu. Leur dispute,en début d’après-midi, ainsi que lesréactions d’Eva, l’avait convaincu,désormais, de garder ses distances.

C’est pourquoi il était resté au bureauà travailler… Seul.

Ses bonnes résolutions fléchirent unpeu lorsqu’il s’approcha avec leplateau, qu’il déposa sur la table.

— Mmm, c’est délicieux, murmura-t-elle quelques secondes plus tard.

Michael grommela un vagueassentiment.

Devant son expression fermée, Eva sesentit de nouveau très malheureuse. Elle

avait du mal à supporter la colère deMichael, qui n’était manifestement pasretombée.

Ils repoussèrent leurs assiettespresque en même temps, sans avoirterminé, et s’absorbèrent dans un silencepesant. Eva ne savait pas quoi dire, etMichael, à l’évidence, n’avait pas enviede parler…

Elle sentit bientôt les larmes couler àtravers ses cils baissés, et entendit àpeine le frottement de la chaise deMichael sur le carrelage. Elle quin’avait pas pleuré pendant des moisn’arrivait plus à se retenir !

— Eva… ?Les jambes de Michael apparurent

d’abord dans son champ de vision, puis

son torse et son visage quand ils’accroupit devant elle.

— Pourquoi pleures-tu ? demanda-t-ildoucement en essuyant ses joues du boutdes doigts.

— Maintenant ?Il esquissa un sourire triste.— Ma proposition d’exposition tient

toujours, Eva.Elle releva les yeux d’un air surpris.— Vraiment ?Il hocha la tête.— Sans aucune condition. Je n’attends

rien en retour.Eva humecta ses lèvres du bout de la

langue.— Je… C’est très gentil et généreux

de ta part, après tout ce que je t’ai dit.

— Tu crois ? Je suis sûr que mesfrères te diraient le contraire. Ils serontpersuadés que je profite de la situationpour faire du business, surtout avec unevaleur sûre comme E. J. Foster.

Le cœur d’Eva se serra. Elle auraitsurtout voulu qu’il lui pardonne.

— Je vois.— Permets-moi d’en douter.Effleurant sa tempe d’une caresse, il

repoussa doucement une mèche decheveux.

— J’ai lutté toute la soirée contre moi-même et l’envie de rentrer, Eva, gémit-il. Mais maintenant que je suis là, enface de toi, je ne peux plus résister…

La gorge d’Eva se contracta.— A quoi… ?

— Cela…Il la tira par la main et se releva.— J’ai furieusement envie de faire

l’amour avec toi, avoua-t-il tout bas.Est-ce réciproque ?

La chose la plus sensée, la plusraisonnable à faire était de tourner lestalons pour regagner sa chambre.Michael n’insisterait pas.

— Oui…Eva ne tenta même pas de se justifier,

ni d’ajouter quoi que ce soit.Elle partageait le désir de Michael.

Follement. Passionnément.Et tant pis si elle ne devait vivre

qu’une seule et unique nuit d’amour aveclui.

10.

La réponse très directe d’Evadécontenança un peu Michael, quin’osait en espérer autant…

— Ma chambre ou la tienne ?demanda-t-il, le souffle court en passantun bras possessif autour de sa taille.

La migraine qui le tourmentait depuisla fin de l’après-midi avait disparucomme par enchantement.

— Cela m’est égal, répondit-elle

tandis que ses mains remontaientlentement jusqu’à ses épaules, jusqu’à sanuque.

Cela n’avait aucune importance eneffet, songea Michael. Du moment qu’ilallait enfin pouvoir assouvir le désir quile consumait depuis la veille.

— Je dois d’abord prendre unedouche ! annonça-t-il en la soulevant deterre.

Eva éclata d’un rire joyeux ens’accrochant à son cou quand il quitta lacuisine pour traverser le vestibule et lecouloir, jusque dans sa salle de bains.

— Je vais te regarder ? demanda-t-elle ingénument.

— Non, venir avec moi, corrigeaMichael.

— Mais je me suis douchée ce matin !protesta-t-elle en riant.

— Peut-être, mais pas avec moi.Il la déposa sur un petit banc en teck

pendant qu’il défaisait son nœud decravate et déboutonnait son gilet.

Un liseré jaune d’or soulignait ledécor épuré et luxueux, couleur crème etterre de Sienne. Mais Eva n’avait d’yeuxque pour Michael. Il avait un torsesculptural, magnifiquement bronzé, avecune toison brune qui descendait ens’amincissant vers son ventre. Elle retintson souffle lorsqu’il défit la boucle desa ceinture et descendit la fermetureEclair de son pantalon. Le rouge auxjoues, elle baissa les yeux.

— Chacun son tour, n’est-ce pas ? la

taquina-t-il.Oui… La veille, c’était elle qui était

complètement nue devant lui.Il enleva ses chaussures et ses

chaussettes, et elle s’enharditsuffisamment pour mettre sa pudeur decôté. Il ne portait plus maintenant sur seshanches étroites qu’un caleçon noir quidissimulait à peine son désir mâle.

L’instant d’après, il se tenait devantelle, le sexe fièrement dressé, splendideet conquérant.

Sans même s’en rendre compte, tout enle contemplant, elle passa le bout de lalangue sur ses lèvres pour les humecter.

— Eva… !Il était visiblement troublé par la lueur

qui couvait au fond de ses yeux violets.

Le son de sa respiration hachée emplit lesilence et il serra les poings le long ducorps, en se demandant ce qui allaitsuivre.

Eva savait ce dont elle rêvait…La nuit dernière, elle avait brûlé

d’envie de toucher Michael intimement,comme il l’avait fait, lui. Et sa nuditél’invitait à lui prodiguer ses caresses…

Lentement, elle s’avança vers lui ets’arrêta tout près, à quelquescentimètres. Elle effleura son torse etson ventre du bout des doigts, puis lesreferma sur sa virilité érigée.

— Eva… ! gémit Michael dans ungrognement étouffé.

Malgré lui, il se tendit vers elle.Elle s’agenouilla à ses pieds et avança

insensiblement le bout de la langue.Enivrée par l’intensité de ses

sensations, elle approcha les lèvres pourle prendre complètement dans sabouche.

— Eva, je ne suis pas sûr de… Dieudu ciel !

Il tressaillit, puis se mit presque àtrembler sous les assauts sensuels etdélicieusement érotiques d’Eva. Uneintuition incroyable semblait la guiderpour lui dicter chaque geste, chaqueeffleurement.

— Arrête, Eva… !Michael la saisit par les épaules, et

elle plongea ses yeux violets droit dansles siens, à travers ses épais cils noirs,mais sans s’écarter.

— Je ne vais pas tenir très longtemps,ajouta-t-il. J’aimerais venir en toi.

Il se tut brusquement, déchiré entre ledésir de se laisser aller et celui de lapénétrer. Il se sentait au bord d’unprécipice, sur le point de basculer d’uninstant à l’autre.

— S’il te plaît, Eva !Eva parut hésiter, puis se recula

comme à contrecœur pour s’accroupirsur les talons, une moue boudeuse surses lèvres rouges.

Amusé par son expression dereproche, Michael posa les mains sousses coudes pour l’aider à se relever.

— Il m’en coûte beaucoup, je t’assure,de m’arracher ainsi au plaisir que tu medonnes !

Il ponctua ses paroles d’une pressionde l’index sur le bout de son nez, tandisqu’elle se passait de nouveau la languesur les lèvres, les yeux à demi fermés.

Ce contact intime avait littéralementenflammé Eva, qui n’était plus quesensations pures. Et si elle avait eu desdoutes sur le désir qu’elle inspirait àMichael, ils avaient totalement disparu.

Elle se mit à trembler légèrementlorsqu’il écarta les pans de sa robe dechambre, qui glissa à terre en révélant larondeur de ses seins tendus vers lui.Tout son être le réclamait…

Michael, qui avait pourtant fréquentéles top-modèles les plus sexy du monde,dans des déshabillés affriolants degrands couturiers, était subjugué. Eva

était tout simplement sublime dans ceshort noir, pourtant très masculin, et cepetit haut de coton blanc qui ne masquaitrien de son anatomie.

Il soutint le feu de son regard tout enpoursuivant son déshabillage. Elle avaitune poitrine magnifique, dont le galbeparfait s’adaptait exactement à sespaumes. Impatient de retrouver la texturede sa peau sur ses lèvres, il se penchalentement, tout en glissant les doigts sousl’élastique de son boxer.

Puis il s’accroupit devant elle etenfouit le visage entre ses cuisses.

— Ce n’est pas juste ! protesta Evad’une voix rauque en reculant.

Comme il l’interrogeait du regard, elleajouta :

— Si tu ne veux pas, moi non plus.En riant tout bas, il la souleva dans ses

bras et l’emporta dans la cabine dedouche.

— Tu aimes jouer les hommes forts,n’est-ce pas ? le taquina-t-elle.

Sans répondre, il ouvrit en grand lerobinet et l’eau se mit à couler encascade sur leurs deux corps enlacés.

— J’aime encore plus t’embrasser,murmura-t-il.

Tout étourdie par son baiser enfiévré,elle reposa doucement les pieds sur lecarrelage pendant qu’il étalait sur toutela surface de sa peau quelques gouttesde gel douche parfumé au gingembre,sans oublier le moindre centimètrecarré.

— A mon tour, chuchota-t-elle peuaprès, dans une sorte d’état second.

Michael résista le plus longtempspossible à ses caresses. Quand il n’y tintplus, il lui ôta le flacon des mains, lereposa sur l’étagère et augmenta lapression de l’eau pour les rincerabondamment.

A la fin, il entraîna Eva dans lachambre en ramassant une pile deserviettes.

— Nous allons tout mouiller.— Quelle importance ? répondit-il en

déposant une pluie de baisers sur sapoitrine et son ventre.

— Non, Michael, j’ai besoin de tesentir en moi, articula-t-elle dans unsouffle. Je t’en prie !

Il avait encore le goût de son sexe surles lèvres lorsqu’il se coucha sur elle,les mains sur ses hanches, les yeux rivésaux siens. Avec une lenteur infinie, ilentra en elle.

Les mâchoires crispées, il s’efforça dese maîtriser, même si un mouvementirrépressible l’entraînait malgré lui,toujours plus loin, plus profondément…Les jambes repliées d’Eva enserraientses reins comme pour le garderprisonnier le plus longtemps possible.En même temps, elle s’arc-boutait detoutes ses forces, et cette pressionaccroissait son impatience fébrile.

Un gémissement plaintif s’échappa dela gorge d’Eva quand Michael s’emparade sa bouche avec passion, tout en

s’enfonçant davantage en elle. Elles’accrocha à ses épaules et se perditdans cette danse érotique, fascinante,dans ces mouvements inlassablementrépétés qui l’emportaient toujours plusloin, toujours plus haut, inéluctablement.

— Michael ! s’écria-t-elle, suppliante,lorsque ses sensations voluptueusesatteignirent une intensité presqueintolérable.

Ses ongles s’enfoncèrent dans la chairde ses épaules, tandis que le plaisirl’entraînait de plus en plus loin. Agitantla tête sur l’oreiller, elle poussa unsanglot déchirant, et une digue se brisadans son for intérieur. Puis, tout à coup,elle poussa un cri comme la voluptés’emparait d’elle, en même temps que

Michael. Rejetant la tête en arrière,arquant les reins, ils explosèrent enmême temps, dans un instant qui leurparut éternel, d’une intensité inouïe.

Ils demeurèrent longtemps cramponnésl’un à l’autre, éperdument, pendant desminutes interminables. Seul le son deleur respiration saccadée emplissait lesilence. Autour d’eux, l’atmosphèrechargée d’électricité continuait à vibreravec intensité.

Eva n’avait jamais rien vécu depareil… Comment aurait-elle imaginééprouver un jour des sensations aussifortes ? Cela semblait inconcevable,mais tellement merveilleux…

— Mon Dieu, qu’ai-je fait ? s’écriasoudain Michael en se redressant pour

s’appuyer sur ses coudes. Je suis désolé,Eva… Je ne… Je me suis laisséemporter. Je ne voulais pas… aller aussiloin.

Encore tout abasourdie par ladécouverte du plaisir, Eva s’efforçadésespérément de trouver un sens à sesparoles incompréhensibles.

La mine sombre, Michael la scrutaavant de reprendre :

— Je regrette sincèrement, Eva.C’était…

— Encore une erreur ? suggéra-t-elle,choquée par son expression.

Il n’avait vraiment pas l’air d’unamant heureux et comblé…

Il pinça les lèvres.— Je n’ai pas dit cela…

— Ce n’est vraiment pas la peine !coupa-t-elle, blessée et humiliée.

Elle se détourna pour cacher seslarmes.

— Ecarte-toi, ordonna-t-elle sans leregarder.

Quelle horrible désillusion ! Enl’espace de quelques secondes à peine,elle était passée d’un rêve fou à unedéception cruelle, abominable. Cethomme dont elle était tombée amoureusese moquait éperdument de ce qu’elleressentait. Pire, maintenant que sesdésirs physiques étaient assouvis, ellelui devenait indifférente.

— Va-t’en, Michael ! répéta-t-elleavec force, en le repoussant de toute sonénergie.

— Tu ne comprends pas…— Oh si, je comprends très bien,

Michael, lui assura-t-elle avec tout lemépris dont elle était capable pourdissimuler sa souffrance. Etmaintenant…

— Laisse-moi finir, Eva !l’interrompit-il durement, en roulant surle côté. J’ai oublié de mettre unpréservatif. J’ai oublié !

Cela ne lui était pas arrivé depuis samésaventure avec Emma, quatorze ansplus tôt. Comment avait-il pu être aussinégligent ! Tomber enceinte en cemoment serait la pire des choses pourEva, déjà au bord de l’épuisement,écrasée par ses responsabilitésfamiliales.

— Eva…— Non, tais-toi ! Et ne me touche pas !

l’avertit-elle en se levant.Très pâle, elle lui lança un regard

assassin.— Tu as de la chance, Michael,

poursuivit-elle avec un méprissouverain. Premièrement, je n’ai pas lesida. Et deuxièmement, pour des raisonsde santé, je prends la pilule.

Rassuré, Michael poussa un longsoupir en fermant à demi les yeux.

Elle lui tourna le dos pour cacher seslarmes. Elle aimait réellement cethomme, alors que lui…

— C’est encore plus humiliantqu’hier, dit-elle en exprimant sespensées à voix haute.

— Quelles raisons de santé ?questionna Michael.

— Rien de grave. Des règlesdouloureuses et irrégulières, dit-elled’un ton neutre. Quelle chance pour toi,n’est-ce pas ?

— Pas seulement pour moi, pour nousdeux, corrigea-t-il doucement. Eva…

— Assez parlé pour ce soir, coupa-t-elle en se dirigeant vers la salle debains. Je ne tiens pas à épiloguer.

Elle prit son peignoir au passage,l’enfila et ramassa son pyjama.Déterminée à ne pas s’effondrer devantlui, elle se félicita d’être dans lachambre de Michael. Sinon, elle auraitpeut-être été obligée de rester toute lanuit avec lui.

— Eva…— Restons-en là, s’il te plaît,

Michael ! s’écria-t-elle farouchement enressortant de la salle de bains.

Il l’observait de ses yeuxd’obsidienne, avec une expressionindéchiffrable.

— Tout est ma faute, ajouta-t-elled’une voix sans timbre. Je n’auraisjamais dû venir à Paris. Que cela teplaise ou non, je m’occuperai dèsdemain de mon voyage de retour enAngleterre.

Il fronça les sourcils.— Non, attends…— Inutile d’insister, ma décision est

prise, coupa-t-elle sèchement.— Tu…

— C’est sans appel.A ces mots, elle se dirigea d’un pas

résolu vers la porte et regagna sachambre, la tête haute.

Michael se laissa retomber lourdementsur les oreillers. Il avait très mal géré lasituation, du début à la fin. Mais cen’était pas fini. Il était loin d’en avoirterminé avec Eva…

Il fallait lui parler d’Emma, luiexpliquer pourquoi il se méfiait tant desfemmes et pourquoi il était tellementobsédé par les problèmes decontraception…

Non. Il était trop tard. Elle necomprendrait pas, de toute façon. En toutcas, pas maintenant qu’un gouffreinsondable s’était creusé entre eux.

Si l’occasion lui était donnée de sejustifier, il le ferait, naturellement. Maisil devrait d’abord attendre qu’elle secalme.

Il espérait encore, de tout son cœur…

11.

Eva se comporta comme un automate,le lendemain matin. Elle se levamachinalement en entendant les jumeaux,les prit dans ses bras pour les emmenerdans la cuisine et les installa sur leurschaises hautes avant de préparer leursbiberons.

En même temps, elle avait uneconscience aiguë de Michael, assisdevant sa tasse de café, déjà douché et

tout habillé dans son costume troispièces, prêt à partir pour la galerie.

Intérieurement, elle était commeanesthésiée…

La merveilleuse expérience de laveille lui avait révélé l’existence d’unplaisir ineffable.

Hélas, elle s’était achevée dans unedouleur indicible…

Car Michael lui avait clairementsignifié pourquoi il lui avait faitl’amour. Il obéissait tout simplement àdes pulsions physiques, dénuées de toutesentimentalité. Une fois ses désirsassouvis, il s’était inquiété, un peutardivement, des conséquences…

Dieu merci, Eva ne risquait pas detomber enceinte. De toute façon, après

ce que Michael avait dit, elle ne l’auraitpas prévenu si cela s’était produit.

Anéantie, elle ne pensait désormaisplus qu’à une chose : réserver son volde retour avec les jumeaux.

— Je suis obligé de passer au bureauce matin, annonça Michael d’une voixcontrainte. Mais je ne resterai paslongtemps. Je vais charger Pierre de meremplacer pour honorer mes rendez-vous. J’aimerais que tu sois encore là àmon retour. Nous avons à parler, toi etmoi.

Eva posa sur lui un regard éteint.— Nous n’avons plus rien à nous dire.— Je ne suis pas d’accord, protesta

Michael, tendu à l’extrême.Il n’avait quasiment pas dormi de la

nuit et avait passé de longues heures à seremémorer tous les détails de sadernière et désastreuse conversationavec Eva.

Elle secoua la tête.— Je sais pertinemment pourquoi tu

m’as offert l’hospitalité. Pourm’empêcher de répandre des rumeurs ausujet de ton frère. Ne le nie pas,Michael. C’est la vérité.

— Oui, soupira-t-il. Mais la situationa évolué depuis…

— Pas pour moi, affirma-t-elle. Et jete donne ma parole que je ne dirai rienavant d’avoir des nouvelles de toi ou deRafe. Quoi qu’il en soit, je suis décidéeà partir aujourd’hui, Michael, que celate plaise ou non.

Il y avait tant de choses que Michaelvoulait évoquer avant son départ… Il nesupportait pas l’idée qu’elle s’en ailleainsi, sans rien connaître de lui ni de sonpassé.

Ignorant son expression fermée, il seleva d’un bond.

— A tout à l’heure, Eva. Même si tun’as pas envie de m’attendre, je compteau moins sur ta courtoisie.

Un sourire ironique étira les lèvres dela jeune femme.

— N’est-ce pas un peu tard pourévoquer la bienséance et la politesse ?

— Peut-être, concéda Michael. Jecompte malgré tout sur toi.

Eva le considéra en silence pendantquelques secondes avant de pousser un

long soupir.— D’accord. Mais je ne changerai pas

d’avis. Je réserve les billets d’avionpour aujourd’hui même.

— Le jet privé des D’Angelo…— … n’a aucune place dans mes

projets, l’interrompit-elle vivement.Pourquoi ne la laissait-il pas en paix ?— Dépêche-toi, Michael. Tu es

certainement en retard.Michael se mordit la lèvre. Même s’il

en mourait d’envie, ce n’était pas lemoment d’engager avec Eva laconversation qui lui tenait à cœur.

— A tout à l’heure, dans une heure oudeux.

— Rien ne presse…Comment en étaient-ils arrivés à tant

de froideur après avoir fait l’amour avecpassion quelques heures plus tôt ? sedemanda Michael.

Tout simplement parce qu’il s’étaitconduit comme un idiot. Il aurait dûs’expliquer, insister pour qu’ellel’écoute, au lieu de choisir la solution defacilité.

Maintenant, il ne savait même pas siEva accepterait d’entendre ce qu’il avaità lui dire…

* * *

Il s’était à peine écoulé une heure quela sonnette de la porte d’entrée retentit.Eva posa les jumeaux dans le parc àjouer avant d’aller ouvrir.

— Tu as oublié tes clés… ?Elle s’interrompit en fronçant les

sourcils. Ce n’était pas Michael.— Pierre… ? articula-t-elle d’un ton

hésitant. Est-il arrivé quelque chose àMichael ?

Elle avait beau être déçue et en colère,elle l’aimait aussi éperdument et seraitdévastée par le chagrin s’il survenait unmalheur ou un accident.

— M. D’Angelo… ? répliqua Pierre,perplexe. Non, je… Je ne l’ai pas vu dela matinée.

Eva écarquilla les yeux.— Mais il s’est rendu spécialement au

bureau pour vous voir…Pierre Dupont fit la grimace.— Je ne suis pas allé à la galerie

aujourd’hui.Eva secoua lentement la tête.— Alors je ne comprends pas…— Non, bien sûr.Le Français poussa un long soupir

embarrassé et passa les doigts dans sescheveux en broussaille.

— Je suis venu discuter avec vous,déclara-t-il d’un ton grave.

— Moi ?Eva observa Pierre de plus près. Pas

rasé, les traits tirés et sans cravate, ilavait l’air épuisé, comme s’il n’avaitpas dormi de la nuit.

— Que se passe-t-il, Pierre ?— Je peux entrer ? Je n’ai pas envie

de parler sur le pas de la porte. Je vouspromets d’être bref.

Etant donné la manière dont Michaelavait réagi la dernière fois qu’il l’avaitvue avec son assistant, Eva hésita unefraction de seconde. Puis, très vite, sacolère reprit le dessus. Elle se moquaitdes réactions de Michael s’il rentraitinopinément. De toute manière, ellerepartait dans l’après-midi enAngleterre.

— Je vous en prie, dit-elle ens’effaçant pour le laisser passer.

Puis elle le conduisit dans le salon, ense demandant ce que Pierre Dupontpouvait bien avoir à lui dire…

* * *

Michael était d’une humeur

massacrante lorsqu’il rentra chez lui,deux heures plus tard. Décidément,aujourd’hui, rien ne se passait comme ilvoulait. D’abord Eva était déterminée àrepartir le jour même. Ensuite, Pierren’était pas venu travailler. Michael avaitappelé à son domicile, mais il était partidepuis un bon moment, lui avait dit safemme.

Michael l’avait attendu en vain avantde se résoudre à retourner chez lui, enlaissant la galerie sous la responsabilitéde Marie, perplexe.

Il régnait un tel calme dansl’appartement qu’il craignit d’arrivertrop tard.

Les épaules voûtées, il pénétratristement dans le salon et sursauta à la

vue des jumeaux endormis dans leurlandau. Eva se tenait assise dans unfauteuil, blême, les valises à ses pieds,aussi belle qu’une statue de Bellini.

— Eva ?Elle tourna vers lui ses grands yeux

violets.— Tout est fini, Michael, déclara-t-

elle sans la moindre émotion.Le cœur de Michael bondit dans sa

poitrine.— Laisse-moi au moins une chance de

me justifier…— Il n’y a plus rien à expliquer,

répondit-elle de la même voix blanche.Mon taxi sera là dans quelques minutes.Mais… Je suis contente de te voir avantde partir. Cela me permet de te présenter

mes excuses.Elle prit une profonde inspiration.— Tu avais raison, Michael… Ce

n’était pas Rafe.Il la regarda sans comprendre.— De quoi parles-tu ?— Les jumeaux ne sont pas de lui.— Ah bon ?— Non.— Comment le sais-tu ?— J’ai eu la visite de leur père ce

matin.Stupéfait, Michael secoua lentement la

tête.— Quoi ? Comment ? Qui est-ce ?

Personne ne sait que tu es chez moi !Percevant son immense confusion, Eva

poursuivit avec prudence :

— As-tu vu Pierre ce matin à lagalerie ?

Michael sursauta.— Non…Il réfléchit un instant.— C’est lui ?Pierre Dupont. Marié et père de

famille…Eva se leva et expliqua :— Apparemment, il n’avait établi

aucun lien entre Rachel et moi avant queje mentionne son nom, hier matin. Et enregardant les jumeaux…

Elle s’interrompit un instant.— Si l’on excepte la couleur de leurs

yeux, Sam et Sophie ressemblentbeaucoup à ses deux enfants et il s’estrendu à l’évidence. Il a effectivement eu

une liaison avec Rachel. Mais comme ilétait marié, il s’est présenté sous un fauxnom…

— Rafe D’Angelo !— Oui, confirma Eva. Il était

convaincu qu’elle ne découvrirait jamaisle pot aux roses. Il a d’ailleurs uséplusieurs fois de ce subterfuge.

Ebranlée par la confession de Pierre,Eva ne s’était pas encore complètementremise de son choc. Malgré tout,maintenant qu’elle connaissait la vérité,elle comprenait l’attirance que sa sœuravait éprouvée envers Pierre Dupont. Ilcorrespondait au genre d’homme qui luiplaisait, charmeur et léger…

Tout le contraire de Michael, dont Evas’était éprise sans espoir d’être aimée

en retour.Sans doute l’aimait-elle justement à

cause de ses faiblesses et de ses secrets.Contrairement aux autres hommesqu’elle avait rencontrés, elle n’auraitpas peur de s’ennuyer, avec lui. C’étaitde plus un amant merveilleux,extraordinaire, qui portait la relationphysique à un degré de passion etd’intensité inégalable.

Mais cela ne changeait rien au faitqu’elle s’était trompée. Rafe D’Angelon’était pas le père de Sam et Sophie.

Elle ne pouvait donc pas prolongerson séjour chez Michael. Obligée departir, elle devait rompre avec lui demanière définitive.

— J’avais tort, Michael, et tu avais

raison depuis le début. Rafe n’est pas lepère des jumeaux, répéta-t-elle commesi elle avait encore besoin de s’enconvaincre. Pardonne-moi pour… ledérangement et les inquiétudes que jet’ai causés, à toi et ta famille.

— Eva…— Les jumeaux et moi prenons l’avion

cet après-midi pour retourner enAngleterre…

Elle se pencha pour ramasser son sac.— J’ai commandé un taxi pour nous

emmener à l’aéroport. Il sera là d’uneminute à l’autre…

— Eva, je suis désolé…Elle scruta ses yeux noirs

impénétrables.— C’est moi qui te présente encore

une fois mes excuses, Michael. Quand jepense à ce que j’ai failli faire ! Si tu nem’en avais pas empêchée, j’aurais sansdoute irrémédiablement détruit lemariage de Rafe avec des accusationssans fondement.

En ce moment précis, Michael avaitd’autres préoccupations en tête et sesouciait surtout du sort des jumeaux.

— Que va faire Pierre ?Eva ferma les paupières pour

s’empêcher de pleurer, tout en semordant la lèvre inférieure.

— Je… Il doit en parler avec safemme. Il a beaucoup d’infidélités à luiavouer et ne sait pas du tout commentelle réagira en apprenant l’existence desjumeaux.

— Sa conduite est inqualifiable,déclara Michael, complètement écœurépar le comportement de son assistant.

Comment avait-il pu usurper ainsil’identité de Rafe ? Quelle honte !Malheureusement, les trois frèresn’avaient jamais séjourné à Paris assezlongtemps pour se rendre compte de laduplicité de Pierre Dupont. Michaeldevrait en discuter sérieusement avecGabriel et Rafe. Sans doute finiraient-ilspar élire domicile chacun dans une ville.

— Quelle solution envisage-t-il ?demanda Michael.

La gorge d’Eva se noua.— Il y a plusieurs éventualités. Sa

femme peut divorcer en emmenant leursdeux enfants, ou rester avec lui sans rien

changer. Mais elle pourrait aussiaccepter de prendre les jumeaux aveceux…

— Il n’en est pas question ! explosaMichael. Je m’y oppose formellement.

Eva secoua la tête.— Tu m’avais pourtant prévenue de

cette possibilité lorsque je voulaismettre Rafe devant ses responsabilités.

— C’était avant de te connaître. Tu estellement dévouée à Sam et Sophie, tu asconsenti de tels sacrifices pour lesgarder…

Son expression se radoucit quand ilbaissa les yeux sur les bébés endormis.

— Tu les aimes comme tes propresenfants.

— Oui.

Eva se gratta la gorge.— Le problème, c’est qu’ils ne sont

pas à moi. Et Pierre et sa femme peuventleur offrir une vraie famille.

— Avec un père volage et une mèresoumise et résignée !

Eva haussa les épaules.— Un juge préférera probablement

cette solution plutôt que de confier lagarde à une jeune femme célibataire.

— Cela ne se passera pas ainsi, Eva.Elle le considéra d’un air de regret.— Tu es sans doute un homme

puissant, Michael, mais je ne vois pascomment tu pourrais t’opposer à ladécision de Pierre et sa femme.

— Nous trouverons un moyen.Personne ne t’enlèvera ces bébés. Tu les

aimes. Ils sont à toi. Ce sont tes enfants !Elle sourit tristement.— Tu es gentil, surtout après tout ce

que tu m’as dit le premier jour…— J’avais tort, bon sang !— Cela ne change rien au fait que

Pierre est leur père biologique,poursuivit-elle fermement.

— Cela reste à prouver. Après tout…— Attention, Michael. Ma sœur avait

sans doute beaucoup de défauts. Elleétait trop crédule et naïve, par exemple.Mais jamais elle n’aurait eu deux amantsen même temps. Pierre est vraiment lepère.

Michael ne pouvait accepter qu’onenlève Sam et Sophie à Eva. Après lesavoir vus aussi heureux tous les trois,

cela lui semblait d’une cruauté sansnom. Eva leur était dévouée et ilsavaient besoin d’elle.

Il crispa les mâchoires.— Comment l’entrevue s’est-elle

terminée avec Pierre ?Eva poussa un long soupir.— Je lui ai annoncé que je quittais

Paris aujourd’hui et je lui ai donné monadresse en Angleterre. Il me contacterapour me communiquer ses intentionslorsqu’il aura réfléchi.

De nouveau, ses yeux s’emplirent delarmes.

— J’ai besoin de rentrer chez moi,Michael. Je me trompe peut-être, mais jeme sentirai plus en sécurité enAngleterre.

Une fois rentrée à Londres, elletâcherait d’oublier ce mauvais rêve…

Quel affreux concours decirconstances ! Rafe D’Angelo n’étaitpas le père de Sam et Sophie, et elleétait tombée amoureuse de son frère. Unamour à sens unique, hélas…

Elle battit des paupières pour refoulerses pleurs. Au même moment, on sonna àla porte d’entrée.

— C’est sans doute mon taxi.Michael plissa le front.— Je vais te conduire moi-même à

l’aéroport…— Non, je préfère te dire au revoir

ici, Michael.Incapable de le regarder dans les

yeux, elle fixa un point au-dessus de son

épaule.— Tu as été très gentil…— Ce n’est pas de la gentillesse…— Si. Sous ton armure de froideur et

d’indifférence, tu es l’une des personnesles plus aimables et les plus généreusesque j’aie rencontrées. Les jumeauxt’adorent, ajouta-t-elle comme si celaréglait la question.

Au deuxième coup de sonnette, elle sedirigea résolument vers la porte.

— Cette fois-ci, il faut vraiment quej’y aille.

Michael ne savait plus quoi faire.— Et l’exposition ?Il se tut brusquement quand Eva lui

répondit par un petit rire sarcastique.— Tu restes avant tout un homme

d’affaires, n’est-ce pas ? Si taproposition tient toujours…

— Bien sûr.Elle hocha la tête.— Je reprendrai contact.— Quand ? demanda Michael en

portant ses valises.— Je ne sais pas, soupira-t-elle. Je

t’appellerai.Elle se hissa sur la pointe des pieds

pour déposer un baiser sur sa joue.— Je déteste les adieux. Pas toi ?Très vite, elle disparut dans

l’ascenseur avec le chauffeur de taxi.Michael se retrouva complètement

seul et désemparé. Il s’était attaché àelle et aux bébés, à leur présence dansson appartement. Le silence, soudain,

l’oppressa.Avec ce départ précipité, il n’avait

même pas pu parler à Eva du malentendude cette nuit !

12.

— Michael… ?Désorientée, Eva resta un instant

immobile en trouvant Michael sur le pasde sa porte, dans le petit immeublevictorien où elle habitait depuis troisans.

Cela faisait quatre jours qu’elle avaitquitté Paris avec les jumeaux. Depuisson retour, elle vivait dans l’angoisse.Michael lui manquait horriblement et

elle redoutait à chaque instant d’avoirdes nouvelles de Pierre Dupont.

Elle espérait envers et contre tout quece dernier ne se manifesterait pas etqu’elle continuerait à s’occuper de Samet Sophie. C’était peut-être ridicule,mais cela lui permettait de ne passombrer dans la folie et le désespoir.

Hantée par le souvenir de Michael,elle eut d’abord l’impression d’êtrevictime d’une hallucination. Pourtant, ilétait bien là devant elle, en chair et enos, vêtu d’un jean délavé et d’unechemise bleu pâle à col ouvert, sous unblouson de daim noir.

Il lui avait tant manqué ! Celadépassait l’imagination et l’entendement.Tout comme l’amour qu’elle lui portait.

— Je peux entrer ? demanda-t-il d’unton bourru.

— Bien sûr.Elle s’effaça pour le laisser passer,

puis referma la porte. Aussitôt, sastature imposante emplit tout l’espace.

— Viens dans le salon, dit-elle en leprécédant.

— J’arrive à l’heure de la sieste ?s’enquit-il en jetant un coup d’œilcirculaire.

Le décor chaleureux, dans des tonscrème et ocre rouge, reflétait lapersonnalité d’Eva. Quelques-unes deses photographies étaient accrochées aumur.

— Comment as-tu deviné ? répliqua-t-elle en riant.

Elle lui indiqua un fauteuil, maisMichael préféra rester debout, tout enl’examinant avec attention. Ses cerness’étaient encore creusés, son visages’était aminci. Elle s’inquiétait pourl’avenir des jumeaux, ou alors…

— Sam et Sophie vont bien ?— Oui, ils se portent à merveille.— Et toi ?Elle fit la grimace.— Aussi bien que possible, puisque

Pierre ne s’est pas encore manifesté.Michael se redressa.— C’est l’une des raisons de ma

visite.— Ah ?— Oui. Pierre a décidé d’abandonner

tous ses droits de paternité sur les

jumeaux, pour te permettre de lesadopter. Tu es contente ?

Un soulagement indicible envahit Eva,dont les yeux s’embuèrent de larmes.Les jambes chancelantes, elle se laissatomber dans un fauteuil et enfouit sonvisage dans ses mains en sanglotant.

— Eva ?— Ce n’est rien, ne t’inquiète pas.

Je… J’espère que tu n’as pas exercé depression sur lui ?

Michael esquissa un sourire sans joie.— Je n’ai pas eu besoin d’intervenir,

mais je l’aurais fait sans hésiter s’ilavait fallu. En fait, Pierre est passé hierpour m’annoncer que sa femme et luiavaient décidé de se réconcilier et dedonner une nouvelle chance à leur

couple. La présence des jumeaux seraitmanifestement un handicap trop lourd, unrappel constant de ses infidélitésconjugales. Ils ne veulent donc pas secharger d’une telle responsabilité.J’aurais dû te téléphoner dès que j’ai su,mais je préférais te l’annoncer enpersonne.

— Il ne risque pas de changer d’avis ?demanda Eva, immensément soulagée.

— Il m’assure que non. En tout cas,comme je n’ai plus besoin de sesservices à la galerie, j’ai imaginé unmoyen de l’encourager à respecter saparole.

— C’est-à-dire ?— Le milieu de l’art est très petit.

Pierre est assez intelligent pour se

rendre compte que je peux y faire lapluie et le beau temps. S’il ne tient pasparole, il pourrait très bien se retrouverau chômage.

— Ce n’est pas de la coercition ?— Pas du tout. J’ai attendu qu’il me

communique sa décision avant de lecongédier. Il a parfaitement compris queje l’aiderais à décrocher un emploi avecune bonne lettre de recommandation.D’ailleurs, il a toujours eu envie detravailler à Rome. Cela lui permettra deprendre un nouveau départ avec safemme.

Quelle joie, pour Eva, de garder lesjumeaux ! Elle ne témoignerait jamaisassez sa reconnaissance à Michael.

— Mais s’il veut un jour se

rapprocher de Sam et Sophie ?— J’ai pris contact avec mes avocats

de Londres et de Paris pour établir unacte d’adoption, révéla Michael. Tu n’asplus qu’à le signer.

Eperdue de gratitude, Eva retint sonsouffle. Michael avait tant fait pourelle… Elle en avait les larmes aux yeux.Une fois sa situation en règle au regardde la loi, rien ni personne ne luienlèverait jamais ces enfants qu’elleconsidérait comme les siens.

— Tu es si gentil et généreux,murmura-t-elle.

— Pas du tout.Il la regarda intensément.— En réalité, je suis animé par des

motivations totalement égoïstes.

— Je ne vois pas ce que tu aurais à ygagner, objecta-t-elle.

Pour Michael, le moment de véritéétait venu. Il allait devoir expliquer lesraisons de son voyage.

Depuis le départ d’Eva, sonappartement parisien lui paraissaitatrocement vide, froid et silencieux. Ilpassait ses journées à travailler àArchangel Gallery, mais les soiréessolitaires lui étaient insupportables.

Privé de la personnalité enjouée etchaleureuse d’Eva, il errait comme uneâme en peine. Sam et Sophie aussi luimanquaient.

Il s’accroupit devant le fauteuil d’Evaet lui prit les mains.

— Eva…

La gorge nouée, il marqua une pause.— Il reste un détail à préciser dans le

formulaire d’adoption.— Ah bon ? répliqua-t-elle, de

nouveau sur ses gardes.— Ne t’inquiète pas. Je… Eva, tu ne

m’as pas compris, l’autre soir.— A quel sujet ? s’enquit-elle, de plus

en plus méfiante.Michael la lâcha et se releva.— Je… Ce n’était pas…Ces hésitations ne lui ressemblaient

pourtant pas !— Je me faisais du souci pour toi, pas

pour moi, reprit-il avec conviction. Tuas déjà les jumeaux, et tu es encore sijeune… Une grossesse en ce moment neserait pas la bienvenue.

Elle s’empourpra.— Tu as raison. Pour toi non plus, de

toute façon. C’est pourquoi je t’ai toutde suite rassuré…

— Il n’est pas question de moi, Eva,insista-t-il. D’ailleurs, cela ne medérangerait pas d’avoir tout de suite unautre bébé. Et pourquoi pas desjumeaux ! Je serais ravi. Mais…

Il fourra les mains dans ses poches.— Je serais ennuyé que cela arrive

ainsi. Pour toi. Mais aussi pour nous,ajouta-t-il d’une voix altérée.

Il acheva sa phrase sur un tonlégèrement interrogatif, songea Eva. Elleavait peur de l’espoir fou qui grandissaiten elle.

Elle se gratta la gorge.

— Je ne comprends pas…Michael prit une profonde inspiration.— J’ai une question à te poser. Mais

d’abord, je dois t’expliquer quelquechose qui m’est arrivé il y a quatorzeans…

— Tu ne me dois aucuneexplication…

— J’avais vingt et un ans, continua-t-il, déterminé. J’étais jeune, un peuinconscient, assez naïf et sans aucundoute imbu de moi-même. J’ai rencontréquelqu’un à l’université. Elle s’appelaitEmma, nous passions ensemble de bonsmoments et je me croyais amoureux. Unjour, elle m’a annoncé qu’elle étaitenceinte…

Tandis qu’il marquait une pause, Eva

comprit que la profonde méfiance deMichael envers les femmes prenait sasource dans cette histoire. S’il avait missa parole en doute dès le premierinstant, c’était qu’on l’avait trompé parle passé. Il ne voulait pas retomber dansle piège.

Malheureusement, il avait commis unenouvelle imprudence…

Avec elle.Car sur le moment, Michael ignorait

qu’elle prenait la pilule…— Continue…Il hocha la tête.— Je l’ai demandée en mariage. Nous

étions en pleins préparatifs lorsqu’elle arencontré quelqu’un d’autre, un meilleurparti, plus fortuné, avec sans doute de

meilleures perspectives d’avenir. Le…Le bébé a miraculeusement disparu.

— Mon Dieu !— Quelle triste histoire, n’est-ce pas ?

s’écria Michael. Comme j’étais naïf…J’étais tombé dans le piège le plus vieuxdu monde.

— Elle t’avait menti.— Oui. Et elle ne s’est pas gênée pour

recommencer avec le suivant, que j’aimis en garde. Elle était folle de rage.Tout cela n’a plus guère d’importance,maintenant… Sauf que tu comprendssans doute mieux mes réactions de lasemaine dernière ? Je me suis tout desuite méfié quand tu es arrivée avec lesjumeaux, d’autant que tu m’as d’abordaccusé à tort, avant de nommer Rafe.

J’ai terriblement honte de la façon dontje t’ai traitée…

— Mais je comprends pourquoi,maintenant.

Les réactions de Michael n’avaientplus rien d’étonnant si on l’avaitautrefois poussé au mariage dans detelles conditions.

— Oui. Cela n’a pourtant rien à voiravec l’incident de l’autre nuit. Comme jete l’ai dit, je ne m’inquiète pas pour moi,mais pour toi. Ce n’est pas le momentidéal pour une grossesse.

— Tu avais quelque chose à medemander ? lui rappela-t-elletimidement.

— Oui.— Eh bien ? insista-t-elle, comme il

restait silencieux.— Je suis tombé amoureux ! avoua-t-il

enfin sans préambule. Oui, Eva, jet’aime…

Cela lui parut plus facile la deuxièmefois.

— Ces quatre jours sans toi ont été unvéritable enfer ! reprit-il avec un accentdésespéré. Je ne peux plus rien fairequand tu es loin de moi. Je n’arrive pasà me concentrer, je ne dors plus, jepense constamment à toi. Etl’appartement ! Chaque pièce merappelle ton absence. Ton souvenirm’obsède.

L’espoir fou qu’Eva gardait dans sapoitrine explosa. Incapable de supporterplus longtemps l’expression désolée de

Michael, elle se leva d’un bond.— Moi aussi je t’aime, Michael.Elle lui caressa la joue d’une main

hésitante.— Je t’aime tant ! Si tu savais comme

j’ai souffert, moi aussi, sans toi !— Eva !Un éclair s’alluma au fond de ses yeux

noirs comme l’onyx et il prit Eva dansses bras pour l’embrasser.

Combien de temps demeurèrent-ilsainsi enlacés, sans parler, émerveilléspar la révélation de l’amour ?

Eva n’aurait su le dire quand la voixde Michael la rappela brusquement àl’instant présent.

— Veux-tu m’épouser, Eva ?Elle leva sur lui des yeux indécis.

— Les jumeaux…— … seront à nous, assura Michael.Elle fronça les sourcils.— Tu es sûr ? C’est une

responsabilité énorme d’élever lesenfants de quelqu’un d’autre…

— Je les aime déjà comme monpropre fils et ma propre fille. Dis-moique tu acceptes de m’épouser, la pressa-t-il. Je te veux à moi. Pour toujours.

— Je suis à toi, pour toujours.Quel bonheur, de ne plus avoir de

doutes ! L’amour qui les unissaitrésisterait à toutes les épreuves etdurerait toute leur vie.

— Les détails qui manquent dans leformulaire d’adoption sont les noms desparents, reprit Michael. Je serais

tellement heureux que mon nomapparaisse à côté du tien…

— Oh ! Michael ! s’écria Eva, au borddes larmes. Oui. Oui, oui, oui…

Elle couvrit son visage de baisers.— Tu dis oui au mariage ou à

l’adoption des jumeaux ?— Aux deux ! lança-t-elle, rayonnante.— J’espérais que tu serais d’accord,

répliqua Michael.Il resserra son étreinte possessive.— Je promets de t’aimer ma vie

entière, Eva Foster, jura-t-ilfarouchement.

— Je te promets moi aussi de t’aimerjusqu’à la fin de mes jours, MichaelD’Angelo…

Elle s’interrompit en tendant l’oreille.

— Oups… Les bébés sont réveillés !— Allons les chercher, déclara

Michael en se levant d’un bond. Je meréjouis tant de les voir grandir avecnous !

Eva aussi s’en faisait une joie…

Epilogue

Quatre semaines plus tard,St Mary’s Church, Londres

— Qui l’eût cru ! dit Rafe en sepenchant vers Gabriel. Il ne faut jamaisdire « fontaine, je ne boirai pas de toneau »…

— Pour moi, c’est comme si onabattait un chêne centenaire qui a résistéà toutes les tempêtes, répondit son frère.

Je n’aurais jamais pensé que Michael,non seulement tombe amoureux, maisdevienne en plus père de famille enl’espace de quelques semaines !

— Surtout après s’être tellementmoqué de nous.

— Vous pouvez raconter tout ce quevous voulez, cela m’est égal, déclaraMichael d’un air suprêmementindifférent, en guettant l’apparitiond’Eva au fond de l’église. Tant que j’aiEva et les jumeaux dans ma vie, vosplaisanteries ne m’atteindront pas.

Les trois frères s’étaient désormaisinstallés de façon définitive, Gabriel àLondres, Rafe à New York et Michael àParis, chacun à la tête d’une desprestigieuses galeries Archangel. A

l’avenir, un épisode comme celui dePierre Dupont ne pourrait pas sereproduire.

— En fait, nous sommes très heureuxpour toi, lui assura Gabriel trèssincèrement.

— C’est vrai, ajouta Rafe. Eva est trèsbelle. Vous êtes faits l’un pour l’autre,tous les deux.

— Merci, murmura Michael.— Et en plus tu joins l’utile à

l’agréable, le taquina Rafe sans pouvoirs’en empêcher. Archangel Gallery aural’exclusivité des photographiesd’E. J. Foster !

— Rira bien qui rira le dernier…,railla Michael.

— Comment cela ? demanda Gabriel

prudemment.— C’est moi qui ai suggéré à Eva de

prendre Bryn et Nina commedemoiselles d’honneur, et elle a eu untrait de génie en leur demandant deporter chacune un des jumeaux dansleurs bras. Elles sont toutes les deuxtombées sous le charme de nos bébés. Amon avis, vous ne resterez paslongtemps sans enfants !

— Je serai ravi d’en avoir, murmuraRafe.

— Moi aussi, dit Gabriel.— On se croirait dans un roman à

l’eau de rose ! reprit Michael.Il songea à la grande maison qu’il était

en train d’acheter dans Paris, avec unjardin pour les jumeaux.

— Tu as quelque chose contre leshistoires d’amour ? plaisanta Rafe.

L’organiste entonna à ce moment-làles premières notes de la marchenuptiale et les trois frères se levèrent enmême temps.

Michael se tourna fièrement vers lamariée, toute de blanc vêtue, quisemblait flotter dans une mer de satin etde dentelle. Son regard s’accrocha à sesyeux d’améthyste, débordant d’amour.

Ils avaient toute la vie pour s’aimer…

* * *

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Célibataires » :Une aura de scandale

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TITRE ORIGINAL : A D’ANGELO LIKE NO OTHERTraduction française :

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est une marque déposée par le Groupe Harlequin

Azur® est une marque déposée par Harlequin© 2014, Carole Mortimer.

© 2015, Traduction française : Harlequin.Le visuel de couverture est reproduit avec l’autorisation de :

HARLEQUIN BOOKS S.A.Tous droits réservés.

ISBN 978-2-2803-3706-9

Tous droits réservés, y compris le droit dereproduction de tout ou partie de l’ouvrage, sousquelque forme que ce soit. Ce livre est publié avecl’autorisation de HARLEQUIN BOOKS S.A. Cetteœuvre est une œuvre de fiction. Les noms propres,les personnages, les lieux, les intrigues, sont soit lefruit de l’imagination de l’auteur, soit utilisés dans lecadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblanceavec des personnes réelles, vivantes ou décédées, desentreprises, des événements ou des lieux, serait unepure coïncidence. HARLEQUIN, ainsi que H et le

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