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Créationdecouverture:©AlisSwordCreativeCouverture:Fotolia,©Slava_Vladzimirska/©alanlebon
©HachetteLivre,2017,pourlaprésenteédition.HachetteLivre,58rueJeanBleuzen,92170Vanves.
ISBN:978-2-01-700806-4
«Whateveroursoulsaremadeof,hisandminearethesame.»EmilyBrontë,WutheringHeights.
Chapitre1
Mia
Unsoupirs’échappedemeslèvres.Jeglisseunemèchedecheveuxderrièremonoreille sans quittermon regard dans lemiroir,muette face à ce visagetriste.Pourtant,enmeregardantainsi,jemetrouvecomme…changée.DepuisqueColinestparti,j’aiécoutémoncœursedurcir,monespritseforger,etmacarapaceseformer.Jesuismoinsgaieetinsouciantemais,étrangement,jemesurprends à apprécier ces changements tout simplement parce qu’ils mepermettentd’avoirmoinsmal.CettenouvelleMiaestdifférente,etjesaisquec’estgrâceàellequejevaispouvoirmesortirdecetrounoir,decepuitsdedouleur.Jel’observetandisqu’ellehabillececorpsqu’elledétestepuisl’étudielorsqu’ellesebrosselescheveux,lesyeuxvoilés.Etjemedisquemerde,cettefilleaussiméritedeconnaîtreunbonheurinsubmersibleaprèstout.Je remonte dans ma chambre afin de m’emparer de mon sac et je
redescends, prête à affronter la vie. Je refuse de rester cloîtrée dans machambreàm’apitoyersurmonsortenpleurantdeslarmesquejemesuisjuréderetenir,àmereprochertouslesmalheursdumondeetàbroyerdunoir.Autantlefaireencourant.L’airestplutôtfraiscematinetjepeuxpresquevoirlesfeuillesdesarbres
jaunir et tomber au sol en ce début d’automne. J’aime l’automne. J’aimemarcher sur les feuilles glissantes mais si colorées qu’elles illuminent mesyeux, j’aime labrisequi faitvolermescheveuxdans tous les senset le teintrosé que prennent mes pommettes grâce au froid qui s’installe doucement.Cette saisonme fait aimer la vie car lorsque je vois les feuilles se faner ettomber,jenepensepasàleurmortmaisàleurrenaissancefuture,commelecycleinfiniduphénix.Jepenseauprintempsetauxfleursquiparfumentl’air,àl’atmosphèrepluslégèreetauretourdusoleil,jepenseàlavie,àl’amour,àl’univers dans son entièreté. Voilà pourquoi je refuse de me laisser abattre,parcequesijelaissaismonamourpourColinmesubmergerjeneverraisplusces choses-là, insignifiantes pour certaines personnes mais indispensablespourmoi.Dix minutes. C’est le temps qu’il m’a fallu pour m’essouffler avant de
m’effondrer sur un banc, sous le regard narquois des joggeurs que jeregardais avec envie courir à un rythme soutenu et régulier. Les premierssignes de fatiguem’ont rapidement découragée et, en songeant aux terriblescourbaturesquejedevraiendurercesprochainsjours,jemesuislittéralementjetée sur ce banc qui s’est si gentiment offert à moi. Pour être franche, jen’étaispasloindemelaisserchoirausolcommeuneotarie.—Tiens,maisquivoilà!Jemeretourneetcroiseavecsurprise leregardd’unAndrewensueur,en
tenuedecourse,maistoujoursaussiclasse,mêmeavecuncaleçonmoulantpastrèsavantageux.SiColinétaitlà,jen’imaginemêmepaslacrisederirequ’ilauraiteue.D’ailleurs,jecroisquecepauvreAndrews’imaginequelesourirequej’arboreluiestdestiné,cequin’estpasvraimentlecas,jesuisseulemententraindevisualiserColinentraind’éclaterderire…Etçamemetdebonnehumeur car il ne semble plusmalheureux, il rit à gorge déployée avec l’aird’unenfant insouciant. Intérieurement, jepriepourqu’il sachecequeça faitd’êtreheureuxunjour.—Andrew!jem’exclame,raviedelecroiserici.—Commentvas-tu?medemande-t-ilgentimentens’asseyantprèsdemoi.—Superbien,ettoi?Etl’oscardumeilleurrôleféminindansunfilmdramatiqueestattribuéà…
Mia!—Riendespécial tusais, la fac, leboulot…C’est lapremièrefoisque tu
cours?—Çasevoittantqueça?—Pourêtrehonnête…oui.Ilritetjeluimetsuncoupdecoudedanslescôtes,faussementoutrée.—Detoutefaçonj’abandonne,cen’estpasfaitpourmoi.—C’estseulementunequestiond’entraînement,toncopainnetel’ajamais
dit?Jeleregardesanscomprendre,déconcertée.—Pourquoiest-cequ’ill’auraitfait?—Ilestdansl’arméenon?Lessoldatss’entraînentenpermanencealors…Ilhausselesépaules.—Commentsais-tuqu’ilestsoldat?
Jesuisdeplusenplusperdue.Jen’aipaslesouvenird’avoirunjourdiscutéavec Andrew à propos de Colin. En fait, je n’en ai parlé avec personne endehorsd’AmberetdeChad.—Disonsquec’estunevieilleconnaissance,répond-ilavecuneexpression
d’amertumesurlevisage.J’aimeraisluidemanderdesexplicationsmais,commejemesuisfixélebut
deneplusme fairedemalenpensantà lui, jemets finà la conversationaugrandregretdemacuriositétoutjusteéveillée.— Nous ne sommes plus ensemble alors j’imagine que ça n’a plus
d’importance, je déclare avec autant d’aplomb que possible en sentant moncœurseserrer.—Ahbon?Jeleregarde,étonnéeparlagaietéquipercedansl’intonationdesavoix.—Ouais…Enfinjen’aipastropenvied’enparler,désolée,jemurmureen
fixantleboutdemeschaussures.—C’est rien, je comprends.Tu comptes revenir à la fac demain ?Çame
manquedeneplustevoirfusillerMandyduregard.Jeris,reconnaissantequ’ilnesesoitpasattardésurlesujet.Andrewestun
typebienet jenevoudraispasque l’onsoit en froid, toutçaparcequemoncœurestenmiettesàforced’avoirétépassédansunmoulin.— Moi aussi elle me manque cette Mandy, notre amitié avait si bien
débuté…Nous rions un moment au sujet de Mandy, qui semble être devenue la
pestiféréedu campus, jusqu’àque la légèreté de cet instant retombe et laisseplace à un silence inconfortable.Rien àvoir avec les silences lorsque jemeretrouvais seule avecColin et que nous nous contemplions sans nous lasserl’undel’autre…Andrew me sourit étrangement puis passe une main dans ses cheveux,
nerveux.—Alorseuh…Çatediraitd’allerdîneravecmoicesoir?Jecroisquemonvisageexprimeassezdeconfusionpourqu’illeremarque
etserattrapeaussitôtenriant:—Entoutbientouthonneur,évidemment,justedeuxamisquiveulentpasser
un bonmoment ensemble…Enfin tu vois ce que je veux dire, bafouille-t-iltandisquejemeretiensderiredevantsonairembarrassé.
Jevoleàsonsecoursenrépondantquecelameferaittrèsplaisir,tandisqu’ilsedétendàvued’œil.—Super!s’exclame-t-ilsanscachersajoie.Jeviendraitecherchercheztoi
et…—Jepréfèrequ’onserejoignedirectementsurplace,situveuxbien.Etje
payemapart,sinonçaneseraplusvraimentunrepasentreamis…—Accordé.Ilmetendunemainquejeserreavantdeluidireaurevoiretderegagner
mavoiture,heureused’avoirtrouvédequoimechangerlesidées,aumoinsletempsd’unesoirée.
Ilestplusde10heures lorsque je reviensdansmachambre,mais iln’yaplusquemonfrèrequidorttoujoursaussi…bruyamment.Amberadûfuiràcause de tout ce boucan. Quand je regarde Chad dormir, ça me rappellelorsquenousétionsencoregaminsetquejefaisaisdescauchemars,jequittaistoujoursmachambrepourallerleretrouveraulieuderejoindremesparents.Jeme faufilais sous la couette à ses côtés et je le regardais dormir jusqu’àtomber d’épuisement. Aujourd’hui, je réalise que le visage de mon frère agardélamêmeinnocence,mêmeavecsonadorablepetitebarbedetroisjours.J’aurais aimé tomber amoureuse d’un homme comme lui, il est tellement
gentil,serviable,généreuxetdrôle…C’estlemecparfaitetjesouhaitequeluiet Amber puissent vivre quelque chose ensemble. En attendant, jeme dirigevers lesdouchesoù je suis certainede trouverAmber, étantdonnéqu’elleypasseauminimumuneheureparjourpoursepréparer.—Bonjour toi,m’accueille-t-elleensouriant,anormalementgaie.Tuétais
passéeoù?—Jevoulaisprendrel’airalorsj’aifaitunpetittouràCentralPark.J’yai
croiséAndrewetilm’ainvitéeàdînercesoir.Amber terminede tracer son trait d’eye-liner puis se tourneversmoi, les
sourcilslevésetunsourireauxlèvres.Jesaiscequ’ellevadire,jelaconnaistropbien,c’estpourquoijeluitourneledosetentredansunecabinededoucheavantdemedéshabiller.Àcetteheure-ci,lesdouchescommencentàserempliret j’aibeauplusoumoinsaccepterqu’Ambermevoienue, çane s’appliquepasaurestedesétudiantsducampus.
—C’estunebonnenouvelle!s’exclame-t-elleàtraverslaporte.Tupassesenfinàautrechose,c’estgénial…—Amber,tais-toi,jet’ensupplie.Andrewestungarsbien,sympaetissud’unebonnefamille,maisjeneveux
pasplusqu’uneamitiéaveclui,pourlasimpleraisonqueColinalaissédansmon cœur un trou béant quimettra du temps à se refermer. Je ne veux passouffrirànouveau.—Ça va, j’allais seulement dire que j’étais contente que tu commences à
revivre…—Situcontinues,jetejurequejesorsd’iciàpoiletquejetefaisbouffer
tonrougeàlèvres,jelamenacesérieusement.— Comment tu sais que je suis en train de mettre mon rouge à lèvres ?
s’exclame-t-elle tandis que je ricane silencieusement. Peu importe, de toutefaçon tuneveuxpasm’écouter alors jene saispaspourquoi jem’évertueàessayerdetefairecomprendrequetudoisremettrelepiedàl’étrier,aumoinspourl’oublier.—Cen’estqu’undînerentreamis,riendeplus.—PauvreAndrew…―Commentça,pauvreAndrew?Amberpousseunlongsoupir.—Ehbien, tout lemondesaitque tu luias tapédans l’œil.Tout lemonde
sauftoi,apparemment.Jemefigeetréfléchisauxproposd’Amber.Çan’aaucunsens.—N’importequoi.—Mia…Ilesttempsd’effacerColindetamémoireetdeprendreconfiance
entoi!Tunepeuxpasresterdépendantedeluiaprèscequ’ilt’afait…—Je t’ai déjàdit que jenevoulaisplus enparler ! jem’écrie enouvrant
brusquementlaporte.— Très bien, dit-elle en levant les mains en signe de reddition. Je n’en
parleraiplus,maiss’ilteplaît…Essaiedefairedesefforts.Je souffle, exaspérée, puis referme la porte pour terminer de m’habiller,
furieuse et à nouveau mélancolique. Passer une journée normale, c’est tropdemander?JediscuteavecAmberlerestedelamatinéemaislecœurn’yestpas, je ne suis pas vraiment présente.Mon corps l’estmaismon cœur,mon
âme,toutcequejesuisestrestéauprèsdeColin,àdesmilliersdekilomètresd’ici.
Chapitre2
Mia
Lapiresemainedemavie.Littéralement.NiAmberniChadneparviennentàmefairesouriredenouveauouàoublierlamélancolieetladouleurquimetorturent de l’intérieur en permanence. Enfin, ça n’est pas de la mélancoliemaisplutôtdudésespoir…DepuisledépartdeColin,j’essaieenvaindefairemaviesansluimaisjen’yarrivetoutsimplementpas.Jemedemandesitouteslespersonnesquiontlecœurbrisés’enremettentcarplusletempspasse,plusl’espoirdem’ensortirs’amenuise.—Çan’estqu’uncoupdefil,Amber…—Non,Mia!Tunel’appellespas,çaanéantirait tousleseffortsquetuas
faits.Ellemeprendletéléphonedesmainsetlereposeavantdecroiserlesbras,
l’airbuté.—Maisdequelseffortstuparles?!jem’écrieenlevantlesmainsauciel.
J’aitellementpleuréquej’auraispuremplirleNils’ils’étaitdesséché!Jeme dirige vers le canapé et m’y laisse tomber en soufflant, épuisée et
démoralisée.—Jenevais jamaisyarriver… jegémisenenfouissantmonvisagedans
mesmains.—Mia…Amber s’assied à côté demoi et semet àme caresser le dos demanière
apaisantemaisjesuistropmalheureusepourentirerlemoindreréconfort.Jesuisauboutduboutdurouleauetpersonnenepeutplusrienpourmoi.—Iltefautseulementdetemps,murmure-t-elledoucement.—Du temps !Ça fait une semaine qu’il est parti et tout ce que je ressens
c’est…rien!Jenesensplusrien.C’estcommes’ilavaitcreuséuntrouenmoiqueluiseulpourraitcombler…JenevaisjamaisyarriverAmber…Jesanglotenerveusement,secouéepardesspasmes.J’ail’aird’uneenfantet
jesuisridicule,maisjem’enfous,j’aitropmal.Jedonneraisàpeuprèstout
pourfairetairecettedouleurquimetortureetm’empêchedevivre.—Dansquelquestemps, turéaliserasquetuescapabledeteguérirdelui,
j’ensuiscertaine,ditAmberavecdétermination.Jevoudraislacroiremaisjesaisdéjàqueçan’arriverajamais.Mêmesij’ai
passéunbonmomentlorsquej’aidînéavecAndrew,levidequejeressentaism’empêchaitd’enprofiterpleinement.Jedoispourtantreconnaîtrequelejourdenotredéménagementaétéplutôtamusant.ChadafiniavecunefoulureaupoignetaprèsavoirportéunmeubleàluitoutseulpourimpressionnerAmber,quin’estpasrestéedemarbrefaceàcetteespèced’énergumènetrèsattachant.Évidemment,grâceàça,mon frèreaétédispensédenousapporter sonaidepourtouteslestâchesingratesquejecomptaisluiconfier.Jesuispresquesûrequ’ill’afaitexprès.En somme, c’était un agréable moment, même si voir Chad et Amber se
tournerautourmerappelaitnosdébutsànous.Luietmoi.Lasouffrancequej’éprouvelorsquejepenseàluiestinsoutenable.J’ignoraisquel’amourfaisaitsimal,sinonjenemeseraispasjetéetêtelapremièrededans.Ilmemanqueatrocement.— Tu veux de la glace ? me propose Amber comme si elle essayait
d’amadouersonanimaldecompagnieavecdesfriandises.—PeanutButterCup?Ellesouritlargementethochelatête.Ben&Jerry’sauronttoujoursraison
demoietAmbersaitcommentmefairebaisserlesarmes:unpeudesucreethop!letourestjoué.Àcausedeça,j’aidûprendreaumoinstroiskilosenunesemaine.Leboncôté,c’estqueçam’aideàtenirlecoup.Moiquipensaisquepiocherdansunpotdeglaceavecunegrossecuillèrenemarchaitquedanslesfilms, j’ai réaliséque la légendedisait vrai et que,bon sang, il n’y apasdemeilleurremèdepourrépareruncœurbrisé.Amberetmoipassonsdonclerestedenotreaprès-midiàregarderlatéléen
vidantunénormepotdeglace,lesmainsgeléesmaislecœurréchauffé.—Jepeuxteposerunequestion?medemandetoutàcoupAmber.—Mhm.J’espère que ça n’a aucun rapport avec Colin parce que je risque fort de
fondreenlarmesoudem’emporter.—TupensesquejeplaisàChad?Jesoupiredesoulagementetreprendsunecuilleréedeglace.Jesourisenla
voyantstresseràvued’œil,ondiraitqu’elleapeurdemaréponse.C’estplutôtétrangede voirAmber si peu sûre d’elle et pleine d’appréhension, ça ne luiressemblepasdutout.—Jecroyaisquej’étaiscellequiétaitaveugleauregarddesmecs?—Allez!Dis-lemoioujeteconfisquetonpotdeglace!memenace-t-elle
enbondissantsurlelit,impatiente.—D’une,net’avisepasdetoucheràmeschérisBenetJerry,etdedeux…
Oui,mon frère t’appréciebeaucoup, je finispar lâcheren souriant.Tucroisqu’ilpassesontempsàporterdestrucslourdsd’habitude?C’estl’undesplusgrosflemmardsaumondeaprèsmoi.Ilafaitçapourt’impressionner,Amber.—Ahoui,tucrois?demande-t-elleenserongeantl’ongledupouce,cequi
mefaitéclaterderire.— Oui, je le connais mieux que personne et je peux t’assurer qu’il a le
béguinpourtoi.D’ailleurs,quinel’auraitpas?Elle bondit à nouveau, mais cette fois-ci en tapant dans ses mains et en
gloussant, visiblement ravie par ma réponse. Ce n’est pas mon amie, quequelqu’unmelarende!Jepeuxassurern’avoirjamaisvuAmberagircommeça,c’estpresqueflippant.Jemedemandesij’avaisl’airaussiridiculelorsquejesuistombéeamoureusedeColin.Maisc’estunechoseàlaquellejeneveuxpaspenser.— C’est totalement réciproque ! s’exclame-t-elle en souriant jusqu’aux
oreilles.Jenesaispascequetuenpenses,maistucroisqueçatedérangeraitsion…—Bien sûr que non, au contraire, je vous adore tous les deux alors j’en
seraismêmeheureuse.Elle me sourit puis me prend dans ses bras en me chuchotant un petit
«merci» reconnaissant.Nouspassons la findenotredimancheàdiscuter,àmanger–dansmoncas–etàregarderdesfilms,mettantlerestedecôtépourtoutoublierletempsd’unejournée.D’habitude,j’auraispassémontempslibreavecmonfrère,maiscelui-ciarencontréunebanded’amispendantquej’étaisàlafac,etilssevoientpourjoueraufootoujenesaisquoi.Ce soir-là, je dors avecAmber dansmon immense lit en songeant que ça
auraitdûêtre luiàsaplace,etque j’aibeaumevoiler la face, jen’arriveraijamaisàpasserau-dessusdumanquequimetiraille.Etpuis,commechaquenuit,jerêvedeluietdesesyeux,desaboucheetde
ses fossettesdont jesuis tombéeamoureuse, je revois laduretédesesmains
aimantesetlalueurinsouciantedesesyeuxquibrûlentd’unfeuardent,deviemaisdesouffrance,d’unesouffrancequejenecomprendraijamais.
Les jours qui suivent se passent un peumieux, je pense toujours à Colinmaisjenefondsplussystématiquementenlarmes.Jecroisqueleplusdurdanstoutça,c’estdenepasavoirdesesnouvelles,savoirs’ilestbienarrivéets’ilestensécurité,s’ilpenseàmoi…Peut-êtrequejepassemontempsàpenseràluialorsqu’ilm’adéjàremplacéeparuneautre;sic’estlecas,jecroisquejepréfère ne pas le savoir, finalement. Arrête de te faire du mal, Mia. Ah, siseulementjepouvaisretournerenarrière!Jel’auraisempêchédepaniquer,desebraqueretd’allervoircette…fille,et toutçaneserait jamaisarrivé,nousserionsencoreensembleendépitdeladistanceetsurtout,jenesouffriraispasautant.Malheureusement,avecdessi,onmettraitParisenbouteille,commeleditledicton.Cecimisàpart,j’aipasséunesemainebanale,toutn’estqueroutineetennui
dansmavie,etj’ail’impressionquetoutcequej’aiétén’estplusqu’unvaguesouvenir.Jeneressensplusrienàpartdelacolèreetduchagrin,commesileschosesquej’espéraistantvoirseréalisermerevenaientenpleinefacepourmerappelerquejen’atteindraijamaislebonheur.Colinn’étaitpasseulementmonpremier amour, il était toutes mes premières expériences et mes premiersespoirs, mes premiers et mes derniers désirs. Comment est-ce que je suiscensée continuer à vivremaintenant qu’il est parti ? L’oublier ? Impossible.MêmesiAmberessaieàtoutprixdemelesortirdelatêteàcoupsdelavagesdecerveauetde«regardecommecepauvreAndrewtedévoredesyeux»,jenepeuxme résoudreàpasseràautrechose,pasaussi tôt.Etpuis,Andrewabeauêtreunmecbien,jeneveuxvraimentpasdétruirenotreamitiépourmeguérir.Jenesuispaségoïsteetcruelleàcepoint,jenel’utiliseraipascommeunpansement.Notreamitiévautbienplusqu’uncœurbriséàmesyeux,mêmes’ilestquestiondumien.Touslessoirs,lorsquejegagnemonlitpourypasserlanuitseule,j’essaie
inlassablementdemechanger les idéesmais jeme surprendsàvoirColinàchaquepagedemes romans. Je levois enHeathcliff, enValjean, il est aussidans les paroles de mes chansons et dans la peau des personnages les plusattachantsdemesfilmsfavoris.Ilestpartoutoùjeregarde,partoutoùjesuis,oùjerespireetoùjevis.Ilrefusedequittermonespritetçamefaitsombrerunpeupluschaquejour.
C’estcommes’ilétaittoujourslàpourmerappelermaperte,monmanqueetmonamourpourlui.Unamourqu’ilnepartageaitpas.Dix-septjours.Dix-septjoursquejevisaveclasensationquequelquechose
mefaitdéfaut,qu’unepartiedemois’enestallée.Monquotidiensanssaveurni couleur n’arrange en rien mon moral, il ressemble à un jour gris etpluvieuxdurant lequelonne rêverait quede seblottir dans lesbrasdeceluiqu’on aime tandis qu’il nous caresserait tendrement les cheveux en nousmurmurantdesmotsd’amour…Tantdechosesque jen’aipasconnuesavecColinetque jeneconnaitrai jamais,car jecrainsquemoncœurnecicatrisejamaisaprèssonpassage.L’automneestbel etbien installémaintenant, les feuilles jaunieset flétries
qui jonchent le sol ne font que refléter l’état dans lequel je me trouve, mecontentantdelâcherpriseetdesuivrelefluxdelaviesansengoûterlasaveur.Laseulechosequiaeuleméritedemedonnerlesourirecettesemaineaétédesavoirqu’AmberetChadont finalementéchangé leurpremierbaiser ;enfin,leurpremierainsique lescinqmille suivants,puisqu’ilsn’arrêtentpasde seroulerdespellesàlongueurdetemps,sibienquejesuisobligéedechangerdepièceàchaquefoisqu’ilssontavecmoi.Mais ilsont l’air tellementheureuxensemble, Amber n’a jamais été aussi radieuse et Chad… Chad est resté lemême,àvraidire.Jesaisquec’estmal,maisjemesuisplusieursfoisdemandésimavieaurait
étédifférentesi j’étais tombéeamoureused’ungarçoncommemonfrèreoucomme Andrew, un gars limpide, attachant et attentionné. Un homme sanscicatrices.Colinenportetropsurluietenluipourluipermettredevivresansêtreconstammenthantéparsesdémons.Parfois,jemedemandecequiabienpu se passer pour qu’il en arrive à se détester lui-même, à tel point qu’ils’empêched’aimerenérigeantdesbarrièresentreluietlerestedumonde.Siseulementj’avaispul’aideràdétruirecesmurs,àguérirdesescicatrices…OhColin,pourquoiest-cequetuasdébarquédansmavie?Jevoudraishurlercontrel’injusticedelaprovidencequim’amisesurson
chemin, ou lui sur le mien. Nous méritions mieux que tout ça, que cettesouffrance incurable. Enfin… Peut-être suis-je la seule à la ressentir, cettesouffrance.Aufond,jesouhaitequ’ilressenteneserait-cequ’undixièmedecequej’éprouvepourlui,uniquementpourqu’ilsacheàquelpointçafaitmal.Sijelepouvais,jem’écorcheraislapeauafind’yeffacersonnomtatouédansmachair.
JefermemonexemplairedeJaneEyreetm’étendssurmonlit.Je suis en colère contre la vie et contremon destin.Mais par-dessus tout
contrelafaiblessedemoncœur.Mavieva-t-elleressembleràçadésormais?Est-cequemesjournéesvontserésumeràallerencourspuisàdéprimer?Jenemangeplus, jene risplus, jenevisplus ; tout lepoidsque j’aipris justeaprèssondépart, je l’aiperduen triple. Jenesuisplusqu’unecoquillevide,dénuée de cœur et d’âme. Je ne vois même plus mes amis, j’ai abandonnéAndrew et fait comprendre à Chad et Amber que j’avais besoin de meretrouveravecmoi-même,aumoinsjusqu’àcequejem’enremette.Bref,jesuisseule.
Ain’titfunnythatyoumanagedtojustwashawayEvenpicturesthatyou’renotinhavestartedtofadeItrytoplaymyfavouritesongs,butIcan’tsingalong
Thewordsdon’tfeelthesameYou’vetakenallthebestthingsfrommeandthrownthemaway
YouknowIusedtopaintsuchvibrantdreamsnowI’mcolorblind,
colorblindWhendidmyheartgetsofullofnevermind,nevermindDidyouknowthatyoustoletheonlythingIneededAlwaysblackandwhiteinmyeyes,I’mcolorblind1
Notes1.LesextraitscitésdanscevolumesonttirésdelachansonColorblinddeAmberRiley.
Chapitre3
Mia
—Mia.Quelqu’unmesecouebrutalementparl’épaule.—Mia!—Mmm…jegrogneenmetournantsurlecôtépourmerendormir.J’entendsunsoupird’exaspérationetfinisparcéderenouvrantdoucement
lesyeux,tropépuiséepourbouger.Amberestdeboutdevantmonlit,fraîcheetpimpante,commesiellelefaisaitexprèspourm’enfoncer.Àcôtéd’elleencemoment,jenefaispasvraimentlepoids.—Ilesttempsquetutelèves,Mia,lance-t-elled’untondirectetautoritaire.—Laisse-moi,jegrogneentirantlacouettepourrecouvrirmonvisage.—Onnepeutpas te laissercommeça,çafaitpresquedeuxmoisqu’ilest
parti…Ilfautquetutereprennes.Presque deux mois. Cinquante-deux jours que je survis, que je lutte pour
respirer,pourvivresanslui.Jepeuxpresquevoirlesminutesetlessecondesinterminables dema vie défiler sans que je ne puisse les faire accélérer ous’arrêter,simplementpourneplussouffrir…Jepensaisqueletempsguériraitmesmauxmaisiln’afaitquelesamplifier.—Tusaistrèsbienquej’aitoujourslederniermot,memenaceAmberen
croisantlesbras.—C’estça…—Tantpispourtoi,jet’avaisprévenue.Je soupire en entendant ses pas s’éloigner, jusqu’à ce qu’elle appellemon
frère.ConnaissantChad,jecrainslepireetjem’enrouledoncdansmacouettepourmecréerunbouclier.Jesuisbrutalementtiréedemoncoconconfortablelorsqu’il arrachema couette et qu’ilmedéverseungrand seaud’eauglacéesurlecorps.Jehurlesifortquej’enaidesbourdonnementsdanslesoreilles,lefroidprendtoutmoncorpsentenailleetlacolèreaffluedansmesveines.
—JEVAISTETUER!jem’écrietandisqu’ilsrienttouslesdeux,commes’ils’agissaitdelablaguedusiècle.JemelèvemaladroitementdansmonpyjamaBarbapapaquidégouline,leur
jette un regard furibond puis descends les escaliers pour gagner la salle debain.—C’estpourtonbien,sœurette!—Jet’emmerde!j’aboieenluifaisantunsignepastrèsgracieuxdumajeur.C’était sans compter surmon amie qui, fidèle à elle-même, refuse deme
laisser tranquille etme suit jusquedans la salledebain enbloquant la porteavecsonpied.—Lâche-moi,Amber,cen’étaitvraimentpasdrôle,jegrogneenpoussant
surlaporte.Elle résiste, l’air déterminé et implacable, même si un léger soupçon de
compassionsembleserefléterdanssesyeux.—Ettucroispeut-êtrequec’estdrôlepournousdetevoirsombrerunpeu
pluschaquejour?Crois-moi,Mia,nousnevoulonsquetonbien.—Situledis.Maintenantfous-moilapaix.Elle ne bouge pas et me fixe toujours de son regard azur, un sourire
parfaitementhorripilantseformantpeuàpeusursonvisageangélique.—Qu’est-cequetuveux?—Toi,moi,spa,dansdixminutes,rétorque-t-elleencroisantlesbrassursa
poitrine.—Jenecroispas,non.—Situnevienspaspartoi-même,jet’ytraîneraideforce!Jesoupireetfermebrièvementlesyeuxpourtenterdecontrôlerladouleur
quimevrillelecrâne,dueàmonréveilpastrèsdélicat.—Écoute,laisse-moiaumoinsmedoucheretonreparleplustard,OK?Bien sûr je n’en pense pas un mot, mais j’obtiens gain de cause
puisqu’Amberfinitparôtersonpieddelaporteavantdem’offrirunsourirevictorieuxetdetournerlestalons.Jemedéshabilleaussitôtetmeruesousladouche pour faire couler de l’eau chaude sur mon corps frigorifié. Cesderniersjours,jepouvaisàpeinesupportermaproprecompagnie,sibienqueleseulfaitderencontrerdesgensoudeparleravecmesamismesemblaitêtreuneaventuredigned’unhérostémérairequejenemevanteraispasd’êtreen
cemoment.Car jenesuisplus lamême: laMiagaieetespièglequej’aiétén’est plus qu’un pauvre souvenir auquel je m’accroche. Mes jours seressemblenttousdésormaiset,pourunepersonnecommemoiquiatoujoursdétestélaroutine,çarelèvedumiracle.D’unbientristemiracle,àdirevrai.Çafaitpresquedeuxmoisqu’ilestpartietquejevisdansunesortedebulle
d’engourdissement où je ne fait rien à part me lamenter sur ma pauvreexistenceetsurmatristessesansendiscuteravecquiquecesoit,Amber,monfrèreetencoremoinsmamère,quiseseraitempresséederejeterlafautesurmoi.JesaisqueChadmouraitd’enviedetoutluibalancerpourquejepuisseenfinmelibérerdecettehistoire,maisjel’aitellementmenacéetsuppliéqu’ila finiparabandonner.Mamèren’estpasunmonstre,seulementellemanquecruellement d’empathie et, la connaissant, elle n’aurait probablement pas pus’empêcherdemeservirl’undecesdiagnosticsmi-psymi-mèrequin’acceptepasquesafilledevienneadulte.Jemeprometsnéanmoinsdeluienparlerunjour,lorsquepenseràluinemeprovoquerapluscetatrocepincementaucœur.Lorsque je sors enfin de la salle de bain, après ce quime paraît être des
heures,jecroiseAmberdevantmachambre.Ellesembledécidéeànepasmelâcher.— Tu pourrais te dépêcher un peu ? Je ne voudrais pas arriver au spa à
16heures.—Ahparcequetucroisvraimentquejecompteveniravectoi?jerétorque
sansprendresoindecachermonexaspération.Je lui tourne le dos et fais glisserma serviette au sol afin de remettre un
pyjama.—S’ilteplaît!mesupplie-t-elleenmeregardantavecunairdechienbattu.
Ça nous permettrait de passer un peu de temps entre filles, ça fait tellementlongtemps!Çaseracool,jetelepromets.— Je connais ta définition du « cool », ça implique des gommages
désagréables et des épilations douloureuses. Je ne suis clairement pasd’humeurpourça,jerépliqueenmelaissanttombersurmonlit.—Mia, tun’es jamaisd’humeurdepuisqu’ilestparti !Autorise-toiàêtre
heureuse,bonsang!Son évocation me provoque de petits picotements dans la poitrine.
Évidemment que j’aimerais goûter à nouveau au bonheur sans lui ! Maisvouloir ne rime pas forcément avec pouvoir, je serais passée à autre chosedepuis longtemps si je l’avais pu. Pourtant, au fond, je sais quemon amie a
raison, je prends conscience d’être en train de sombrer, de me laissersubmerger parmon chagrin…C’était peut-être le déclic qu’il me fallait. Etc’estpourçaquej’acceptelapropositiond’Amber.—Trèsbien,jeconcèdeencroisantlesbras,àconditionquetunemeforces
pasàsubirdestrucsdouloureuxetinutiles…—Génial!s’exclame-t-elleenmesautantdanslesbrascommesiellevenait
degagneràlaloterie.Jesuistropcontente.Tuvasvoir,onvapasserunsupermoment.Ellemefaitunclind’œilcompliceetjesaisdéjàquejerisquederegretter
ma décision. En revanche, je mentirais en prétendant qu’Amber ne m’a pasmanqué ; j’aibeauvivre sous lemême toitqu’elleetChad, jene leuraipasbeaucoupadressélaparole.—JevaisprévenirChad,onserejointenbas,medit-elleavantdesortirde
machambre.Arrivée au milieu des escaliers, elle se retourne et me lance un regard
brillantenmurmurant:—Et,Mia?—Oui?—Jesuiscontentedeteretrouver,tum’avaismanqué.Jesouris,émue,etlaregardes’enalleravantdemepréparer.
Mon frèreest installédevantun jeuvidéo,mangeant toutcequi lui tombe
souslamainavecunepréférencepourlestrucsgrasetsucrés.Jemedemandebien comment il fait pour ne pas avoir un seul foutu bourrelet. Si j’avais lemalheur de faire lamême chose, je deviendrais rapidement obèse.Lorsqu’ilremarquequejesuisdescendue,unimmensesouriresedessinesursonbeauvisage, l’un de ces sourires qui ont le don deme remonter lemoral. Ilmetpause surCall je ne sais plus quoi,me serre dans ses bras dans une de sesfameuses étreintes grizzly puisme repose au sol enme regardant avec uneétincelledejoiedanslesyeux.—Alorscommeça,lamarmottes’estdécidéeàsortirdesontrou?—Ondiraitbienqueoui,jerépondsavecunsourire.—Tum’asmanqué,Aim.—Tusais,j’étaisjustedansmachambre.
—Maiscen’étaitpasvraimentmapetitesœur.Je soupire et enfouis ma tête dans sa poitrine tandis qu’il me prend à
nouveau dans ses bras. Entendre ça de la bouche de mon frère me faitculpabiliseretjecommenceàregretterdem’êtremisedanscetétat,mêmesijen’en suis pas entièrement responsable.Colin ne cessede revenir à la chargedansmamémoire et dansmon esprit, et j’ai beau tenter de le combattre, dechasser son image qui voilema rétine, il refuse deme quitter pour de bon.Pourtant, même si je ressens toujours ce grand mal-être à cause de lui,aujourd’hui,grâceàmonfrèreetàmameilleureamie,jemedisquetoutn’estpasencoreterminéetqueoui,jepeuxsortirdecegouffrequej’aimoi-mêmecreusé.Jeposeuntoutautreregardsurlemonde.—Onprendtavoiture, lancejoyeusementAmberenenfilantsonmanteau.
Çavatefairedubiendeconduire.J’acquiesceetattrapemesclefstandisqu’Amberdit«chaleureusement»au
revoir à Chad. Je profite de ces quelques minutes pour m’esquiver dans lacuisineetfaireunsandwichavantd’allerattendreAmberenbas.Nous ne sommes qu’aumois de novembremais le froid est déjà rude et
hostile. Pour une frileuse comme moi, New York n’est pas vraiment ladestination de rêve. Je me dis que j’aurais peut-être dû y penser avant d’yemménager…mais surtout que j’aurais dûmettre unmanteau plus épais. Etpuis,envoyantJackavecsapetitecouvertureetsonmanteauélimé,jeréalisequejen’aivraimentpasàmeplaindre.—BonjourJack.—Salutgamine!—Jambon-guacamole,çateva?jeluidemandeenm’asseyantàsescôtéset
enluitendantlesandwichquej’aipréparépourlui.Jackestunsans-abridecinquante-cinqansquiaprispossessiondubancau
pied de mon immeuble. Je le croise tous les jours en allant à la fac et jem’assois souvent à côté de lui pour papoter, nous sommes en quelque sortedevenusamis…Ilm’arrivedetempsentempsdeluiapporterunrepasetnousdéjeunonsalorsensemble.—MerciMia,t’esunange,medit-ilavantdemordredanssonsandwich.Si
toutlemondeétaitcommetoi,personnenecrèveraitdefaimsurcettefoutueplanète.—C’estlemoinsquejepuissefaire.Ilcommenceàfairefroid,Jack,laisse-
moiaumoinst’aideràtrouverunlogementdansuncentrepourl’hiver…
—C’estadorablemaisjedoisrefuser.—Maispourquoi?—Ça fait plusdedix ansque je vis dans les ruesdeNewYork et je suis
toujoursenvie,non?Ilritetcontinueàmangertandisquejelefusilleduregard.—Etsijet’achetaisunmanteau?Cen’estpasgrandchosemaisçat’aidera
aumoinsàsurvivrecethiver.— Tu t’en fais trop pour moi Mia, je n’en vaux pas la peine, dit-il
doucementensouriant,cequifaitressortirlesridesauxcoinsdesesyeux.—Maisçamefaitplaisir.Il s’apprête à ajouter quelque chose lorsqu’Amber surgit et s’approche de
nous.—BonjourJack.—Bonjour,répond-ilfroidement.Ces deux-là ne s’apprécient pas vraiment. Amber a beau avoir un grand
cœur,ellepensequeJackprofitedemoietdemonargent…Évidemment,jenepartagepas sonavis,mais jenepeuxpas les forcer àbien s’entendre. Ils secontentent donc de bonjours un peu secs et de regards froids, et moi jecontinueàfairecequejepeuxpouraiderJack,mêmes’ilpassesontempsàprétendrequ’iln’apasbesoindemoi.—Onyva?medemandeAmberavecunregardappuyé.J’adresseunderniersourireàmonamietluisouhaiteunbonappétitavant
derejoindreAmberàmavoiture.J’espèrequecepetitmomententrefillesmepermettrademesentirunpeumieux.
Contrairement à ce que je croyais, ces quelques heures de détente encompagnie d’Amber ont été très plaisantes.Nous avons passé notre temps àpapoteretànousfairebichonner,etaprèstouscessoins, j’aidécouvertavecune agréable surprise quemon visage semblait plus détendu et plushumain.J’ail’airplusréveilléeettellementmoinsmalheureuse,monteintestlumineuxetéclatant.J’ai l’impressionderevivre.Etpuis, jecroisquelesimplefaitdediscuteravecAmberestàluiseulunantidépresseur.Sij’avaissu,jem’yseraispriseavant.L’entendreétalersonamourpourmonfrèrem’aplutôtremontélemoral, après tout ; je me suis dit qu’à défaut d’être heureuse, les deux
personnesavecquijevislesont.―Tucroisqu’ilestamoureuxdemoi?m’a-t-elledemandéalorsqu’onse
faisaitmasser.— Eh bien, pour être sincère, je ne l’ai jamais vu comme ça. Il est
visiblementaccro.Elle s’est mise à glousser de joie mais, étant étendue sur la planche de
massage, ses moyens étaient trop limités pour qu’elle puisse sautiller debonheur.— On est de retour ! je lance tandis qu’Amber ferme la porte la porte
d’entréederrièrenous.—Alors, c’était bien ? nous demande Chad depuis le fauteuil d’où il ne
semblepasavoirbougédepuisnotredépart.Cegarçonn’apasunbrindematurité.—Super!s’exclameAmber.Onapasséunexcellentmoment,hein,Mia?—C’étaitgénial,ilnemanquaitplusquetoiettesblaguesvaseusespourque
çasoitparfait.Jeme laisse tomber sur le canapéàcôtéde lui tandisqu’ilm’adresseune
grimaceridicule,quidisparaîtbienvitelorsqu’Ambers’assoitsursesgenouxetluimontreàquelpointilluiavisiblementbeaucoup,beaucoupmanqué.—Quelqu’unaappelé?— Non, répond nonchalamment mon frère en s’écartant légèrement
d’Amber.Parcontreilyaunmecquiestpassétoutàl’heure.Moncœurcessedebattre.Jem’immobiliseetfixeChadenattendantlasuite
maisilreprendsonjeustupide.Amberl’interrogeduregard,jecroisqu’ellepenseàlamêmechosequemoi.—Tuleconnais?Ilressemblaitàquoi?Qu’est-cequ’iladit?Çanepeutpasêtrelui.— Je ne m’en souviens pas trop… Il était grand et il portait des habits
militaires…Il s’interromptsoudainetme regarde l’airdedire«maisqu’estceque je
suiscon».Jedemeurebouchebée,partagéeentrel’exaspérationetladouleurlorsquejesongeàlui,ici,chezmoi.— Et qu’est-ce qu’il a dit ? je demande en tentant de contrôler le
tremblementdemesmains.—Bahquandj’aiouvertilavaitl’airétonné,etpuis…—Étonnécomment?Étonné«grrr»ouétonné«oh!»?―Disonsqu’iln’avaitpasl’airsupercontent…J’opteraispourle«grrr».Jesenslapaniqueaffluerdansmesveines.—Etensuite?—Ensuiteilm’ademandéquij’étaisetj’airienluidemandantquiilétait.Il
arépondu«personne»,puisilestparti.Legarsestvraimentbizarreaussi,ilvientchezmoietilmedemandequijesuis,c’estlemondeàl’envers…—Iln’arienditd’autre?demandeAmber,encoreperchéesurlesgenoux
deChad.—Non…Plus de temps à perdre.Ni une ni deux, jeme retrouve devant la porte et
j’enfile mes chaussures et mon manteau à la hâte, le cœur battantfrénétiquement.SiColinestvraimentpassécesoir,j’aibesoindelevoir,deluidonnerdesexplicationsetd’enrecevoirenretour.Jecroisqu’ilestpartitroplongtemps,ilm’atropmanquépourquenousrestionssurdesnon-dits.—Tuvasoù?—Jedoisvérifieruntruc,jen’enaipaspourlongtemps.—Mia,nefaispasça,intervientAmber.Çavatoutfoutreenl’air.Jeneluirépondspas.Monregardparlepourmoi,ladouleuretlemanque
quiviennentd’yressurgirsontassezéloquentspourquemonamien’aitpasàintervenirune seconde fois. Je tourne les talons et sorsde chezmoi sansunregardenarrière.J’aibesoindelevoir.Dans ma voiture je me pose un millier de questions qui demeurent sans
réponses.Ilest toutàfaitpossiblequ’ilnes’agissepasdeluimaisd’untypelambdaqui faisait réellementerreuren frappantcheznous. J’aipeut-être tirédes conclusions trop hâtives et il est possible que je ne trouve personne enarrivant chez lui… Je n’y crois pas vraimentmais ça nem’arrête pas pourautant, je rouleà toutealluredans les ruesgeléesdeNewYork,chambouléepar lesmots demon frère qui dépeignaient un homme surpris et en colère.J’ignorecequ’il apu s’imaginer envoyantChadmais çane l’avisiblementpasréjoui.Toutçacommenceàmedonnerlamigraine.Jenesaismêmepaspourquoi
je veux le voir. Il pourrait très bien ne pas être chez lui, ou pire, me jeter
dehors.Jeterappellequec’esttoiquiescenséeluienvouloir!melancemaraison.J’enaiconscience,maisjenepeuxm’empêcherdepenserqu’ilmedéteste
pourmonsilenceradioetpourmonabsencelorsdesondépart.Depuisqu’ilestparti,jemedischaquejourquej’auraisdûluidireau-revoir,luidirequejel’aime…Maisj’ensuisincapabledésormais.Savoirquemessentimentspourluinesontpasréciproquesmefaittoujoursaussimal.Leslumièresdesonappartementsontallumées.Jepeuxlevoird’oùjeme
tiens,aupieddesonimmeuble.Jesuislàdepuisaumoinscinqminutesetjenesuispasencoreparvenueàmeconvaincredefaireunseulpasverssaporte.Jemesensdésarméeettropfaiblepouraffronterlesondesavoixàl’interphone.Je rassemble le peu de courage qu’il me reste et j’avance vers la porte del’immeuble où sont inscrits les noms des habitants. Lorsque je vois écritC.Carter,jenesuispassurprisederessentirunegrossetensiondanslapoitrine.Rienquelefaitdevoirsonnommemetdanscetétat,alorsjen’imaginemêmepascequeçaserasijamaisjel’aienfacedemoi.Moncœurestsoumisàunepressionsipuissantequej’ail’impressionquejevaisdéfaillird’unmomentàl’autre.J’approchemonindexdupetitboutongris,monpoulss’accélèreetjeneme
sensplusaussibrave,toutàcoup.Aprèsdelonguessecondes,jefinisparpresserlebouton.—Allô?Mondieu.Savoix…savoixdétientàelleseulelepouvoirdem’émouvoir
et de me détruire en même temps. Légèrement rauque mais incroyablementdouceà la fois,ellea ledondepercerdes trousdansmoncœuretd’yfairesurgirdesflammes.—Allô?répète-t-il,meramenantsurterre.J’étais tellement absorbée par les sentiments qu’a provoqués le son de sa
voixenmoiquej’enaioubliéderépondre.Jevoudraisdétalerd’icietneplusjamais le revoir mais mon cœur en décide autrement puisqu’il me faitprononcercesmotsdansunmurmurepresqueinaudible:—C’estmoi.Un long silence s’abat et je suis tellement émue par le son rapide de sa
respirationque j’enoubliemapropreexistence.Seuls lesbattements fousdemoncœurme rappellent à la réalité.Ça…et lepetitdéclicdouloureusementfamilier qui me fait réaliser qu’il vient d’ouvrir la porte. Je soupire
intérieurement,maisl’enclumequipèseencoresurmapoitrinetémoignedelapeurquim’étreint.Jen’aipasletempsdefrapper.Jesuisàpeinearrivéesurlepasdesaporte
quecelle-cis’ouvreetquejeperdstousmesmoyens,moncœurcessedebattreetmonsangseglace.Maisqu’est-ilarrivéàmonColin?
Chapitre4
Mia
Il est vêtud’unhabituelpantalondepyjamaetd’un tee-shirt,mais c’est lalueursombredesesyeuxjadissilumineuxetexpressifsquimechoquent.Cenesontpasceuxdontjesuistombéeamoureuse,seulementdeuxfentesnoiressans vie soulignées par deux tristes demi-lunes violacées qui trahissent sonmanquedesommeil.Quitraduisentsonmal-être.Sabarbeunpeunégligéeetsacoupeéchevelée,quiauraientpuêtresexyauparavant,nesontquelemiroirdesonesprit:désordonnéetaufonddugouffre,peut-êtreautantquejel’étaiscesdernièressemaines.—Mia.Sontonestsec,savoixbasseetdénuéedetoutechaleur.Iln’apasl’airravi
demevoir,mêmesilamanièredontsapommed’Adammontepuisredescendtrahit un certain malaise. Est-ce qu’il m’en veut ? Si oui, pourquoi ? Je nepense pas avoir fait autant d’erreurs que lui, alors inutile de dire que jemeposeencoredavantagedequestions.— Salut, je… J’ai appris que tu étais passé chezmoi cet après-midi… je
bafouilled’unevoixmalassuréedevantsonregardglacial.—Ouais,c’estlecas,répond-ilenpassantunemainsursabarbenaissante.Ilal’airlasetbrisé,etlamanièredontils’adresseàmoimefaitaussimal
quedescoupsdepoignardsdanslapoitrine.Ondiraitqu’ilparleàuneex,oupire,àuneinconnue.Laseulechosequimeretientdefondreenlarmesestsabeauté, restée intactemalgré ladétresseque l’on litsurses traits,quienvahittellementmessens,monespritetmoncœurquejemedemandesitoutcelaestbienréel.—Oh,d’accord…Jevoulaisseulementm’enassurer,jeparviensàdéclarer,
sanslequitterdesyeux.Jesuissurpriseparmonpropreaplomb:ilfautdirequ’entempsnormalje
meseraisprobablementenfuieencourantpouréchapperàsonregardd’acierbleui.Etpourtant…pourtantilnem’atoujourspasinvitéeàentrer,etpluslessecondes,interminables,s’égrainent,plusjesensmonâmeseflétrir.
―Pourquoi?Ilestsidistant.—Je…Jenesaispasvraiment,jevoulaisjustesavoirpourquoituvoulais
mevoir.—Çan’aplusd’importance, rétorque-t-ild’unairmauvais.Jesuisétonné
quetonmectelaissesortiràcetteheure-cipourrendrevisiteàtonex.Ouch.Nouveluppercut.Ilsembleraitquelemotexrefusedes’associerdans
monespritaveclenomdeColin.Maiscettedouleurdansmapoitrinedisparaîtdèsquejeréaliseque,bonsang,ilpensevraimentquej’aiunnouveaucopainetquejel’aidéjàremplacéalorsquelaseulechosequejesuisparvenueàfairedepuis sondépart, c’est troquermesBen&Jerry’sPeanutButterCupcontredesHäagen-DazsMacadamiaNutBrittle…—Jenecomprendspas…—Tufaiscequetuveux,detoutefaçononn’estplusensemble,déclare-t-il
avecunsourireamer.—Jenevoispasdequoituparles,Colin.―Tuvaspeut-êtremedirequelegarsquim’asigentimentaccueillichez
toin’étaitpastonmec?Oh,jevois.Inutiledetergiverserpendantdesheurespourcomprendrequ’il
parledeChadet,une foisque j’ai saisi la raisondesacolèrecontremoi, jesuisprised’unétrangesentimentdesoulagementetd’uneforteenviederire.JecroisqueçadoitsevoirsurmonvisageparcequeColinfroncelessourcilsenmeregardantbizarrement.—Ils’agitdeChad…monfrère.Cen’estquelorsquesonvisagesedétendquejeréaliseàquelpointilétait
contracté. Une expression de surprise s’affiche aussitôt sur ses traits,rapidementremplacéeparunairsoulagé.—Tonfrère?—Ilhabitecheznousencemoment.Ilsecouedoucementlatête,l’airpensif,tandisqu’unemouegênéesepeint
sur ses lèvres. Son regard se fond soudain dans le mien et, l’espace d’uninstant,j’ail’impressiondeleretrouvertelquejel’aiconnu,telquej’ensuistombéeamoureuse.—Désolé,jepensaisquec’était…
—Cen’estpaslecas,jerépondsavecfermeté.―Est-cequetuveuxentrer?AhnonCarter,sij’entre,jeseraiprobablementincapablederepartiretdete
fairesortirdematête.—Nonmerci,jevoulaisseulementsavoir…Jedevraisyaller.Je tourne les talons et m’apprête à redescendre lorsqu’il me saisit par le
bras.Soncontactprovoqueuntelséismeenmoiquej’aipresquel’impressiond’êtreélectrocutée.Quoiquejefasse,ilauratoujourscepouvoirsurmoi,cettesorted’empriseinfaillible.—Neparspas,jet’enprie.La voix rauque et désarmée avec laquelle il a prononcé ces mots me
désempare,ainsiqueladouloureusedétressequibaignesesyeux.Jeleregardependant de longues secondesmais,même si quelque chose enmoi hésite letempsd’unbattementdecils,jesaisquerestericiavecluinerésoudrarien.—Jenepeuxpasrester,jemurmurefaiblement.—Tunepeuxpasouteneveuxpas?Quellequestion.Si jem’écoutais, jeresteraispourlavie.Maislepoidsde
son regarddans lemienest trop lourdpourque je le soutienne. Jedétournedonclesyeuxetrassemblemesforcespourparveniràluirépondrecontrelavolontédemoncœur.—Jenepeuxpas…etjeneveuxpas.Ilmelâcheetsonbrasretombemollementlelongdesoncorps.Cependant,
il ne s’éloigne pas demoi et je ressens au fond demon corps les quelquescentimètresquinousséparent,quimefontautantdebienquedemal.—Pourquoi?demande-t-ilavecunepointedesouffrancedanslavoix.— Mais parce que rien n’a changé, Colin. Je suis toujours moi et tu es
toujours…toi.C’estenpartievrai.Seulement,enplusd’avoirl’airmalheureuxàencrever,
ilestaussiplusamaigriet tellementdifférentduColinconfiantet impétueuxquej’airencontré…L’égoïsmetapidansuncoindemonespritestlégèrementrassuréderéaliserqu’iln’étaitpasindifférentànotreséparation.—C’estfaux,Mia,j’aichangé.Jenetiensplus.Levoircommeça,nousvoircommeçamefaitcraquer.Les
larmesmemontentauxyeuxtandisquejerisnerveusement.Jen’étaispasprête
à me confronter à lui aujourd’hui et à remuer notre passé encore tropdouloureux.SiAmberétaitlà,ellemetraîneraitdehorsparlescheveux.—C’estvrai,jetelepromets!s’exclameColinenfaisantunpasversmoi.—Cen’estpasbientôtfinicettescènedeménage?Nous tournons la tête d’unmêmemouvement vers une dame âgée qui se
tient sur le seuil de son appartement, en face de celui de Colin. Elle a l’airmécontenteet,envoyantsonexpression,jemedisqu’ilnevautmieuxpassefrotteràelle.—Désolé,madameMcCliff,répondpolimentColinavantdemesaisirpar
lepoignetetdem’entraînerchezlui.Jepourrais résistermais jeme laissepourtant faire,pour lasimpleraison
quej’enaienvie.Colinmepoussedevantluiet,avantquejen’aieeuletempsde réaliser, la porte claque derrière nous. Je voudrais dire un mot ou toutsimplement respirer mais j’en suis incapable, car le voir en face de moi,appuyécontrelaporteetlatêtebaissée,commes’ilétaittropépuisépourfairefaceaumonde,me tétanise.Nousdemeuronsainsidurantune longueminutependantlaquellejecontemplesondosvoûtéetsesmainsposéesàplatcontrelaporte,aucundenousdeuxnebrisantlesilence.Ilmefendlecœur.—Ces dernières semaines ont été les pires dema vie,murmure-t-il sans
esquisserunmouvement.Jeneveuxpasteperdreànouveau.Ilseretournepourmefaireface,aprèscesmotsquionteul’effetd’uncoup
de marteau dans ma poitrine, et fait un pas vers moi, l’air ravagé par ledésespoir.J’aidumalàréaliserquej’aimisdansuntelétatunhommecommeColin.Etjemedétestepourça.— Je ne te demande pas deme pardonner, simplement deme donner une
nouvelle chance. Je saismieux que personne que je ne temérite pas…MaisMia,j’aitropbesoindetoi,poursuit-ildansunmurmurequisebriseàlafindesaphrase.J’ignore si c’est moi qui suis trop sensible ou trop amoureuse mais je
défierais n’importe qui de ne rien ressentir devant ces mots prononcés parColin.Luiquiestd’habitudesitaciturneàproposdesessentiments.Entendrecesparolesmefaitunbienincommensurable,j’ail’impressiond’êtrelibéréed’unpoidsquipesaitsurmapoitrinedepuistroplongtemps.—Jesaisquej’aigravementmerdé,reprend-ilens’approchantunpeuplus,
j’ensuisconscient,maisjenereferaipluslamêmeerreur,jetelepromets.J’aigrandi,Mia,j’airéfléchipendanttonabsence…J’airéaliséqu’onnetrouvait
pasdefillescommetoiàtouslescoinsderuesetqu’ilétaitpeuprobablequejerencontreunepersonneaussiextraordinairedanstoutemavie.Jesuisprêtàfairen’importequoipourque tume laissesunechancede teprouverque jepeuxêtredignedetoi.Les larmes que je m’efforçais de retenir se mettent à dévaler mes joues,
toujoursplusnombreuses, jusqu’àqueColinposeunemaindélicatesurmonvisage.—Jeveuxquetum’apprennesàdevenirmeilleur,chuchote-t-ilprèsdema
boucheencontemplantchaqueparcelledemonvisage.Soussesyeuxj’ai l’impressiond’êtreleplusbeauportrait jamaispeint.Si
Colinadumalàextériorisersessentiments, ilacedonde lesfairepasseràtraverssonregard,etjecroisquejepourraismecontenterdecequem’offrentsesprunellessublimespendantquelquesmillénaires.Lessecondespassentenréduisantladistanceentrenosdeuxvisagesetnos
deuxbouchesaffamées,etjeréaliseenleregardantcommeçaque,waouh, jenel’aijamaisautantaimédemavie.Sonpoucecaresselecoindemabouche,sonoxygèneestdevenulemienet,siletempscessaitdecourir,jepensequejepourrais continuer à vivre à travers lui. Il me regarde toujours lorsque,impatienteetprised’unbesoinindescriptible,jefaiscesserlatortureetportemes lèvres jusqu’auxsiennes. Il répond immédiatementàmonbaiseret je lesenssoupirerdesoulagement.Sionm’avaitditqu’unsimplebaiserpourraitme rendre à nouveau si heureuse, j’aurais poursuivi Colin jusque dans leColoradorienquepoursentirlegoûtdeseslèvrescontremabouche.Ses mains encadrent presque durement mon visage, il a cette flamme
incandescentedanslecorps,dansl’âmeetsouslapeauquirendtoussesgestesfougueuxet indomptables…presquesauvages,maispourtant sidélicats…Jecrois que je ne comprendrai jamais comment il peut renfermer autant decontradictions.Maisaufond,noussommespeut-êtreidentiques,touslesdeux.Jecomprendsqu’ilressentlamêmesouffrancedélicieusequemoilorsque
sa langue semet à agacer lamienne et que sesmains agrippent durement lachair de mes hanches. C’est à la fois doux et intense, insupportable maistellementbonquej’enmourrais.Lefeud’artificeest toujours là, ilguettaitdepuis lasecondeoùnousnous
sommes séparés, prêt à nous illuminer de son éclat, et je me dis que c’estincroyabledeleressentirencoreaprèscesmoisdesolitude.Peut-êtrequec’estvraiment ça l’amour : dire au temps et à la distance d’aller au diable parcequ’ons’aimetroppourendépendre.
Essoufflés,pantelantsmaistroppassionnésetfiévreuxpournousensoucier.Voici l’état dans lequelnousnous trouvons encemoment. Ilme semblequenousnesommesplusdansl’entréemaisquelquepartdanssachambre,maisjenem’enpréoccupepasassezpourm’enassurer.Toutcedontj’aibesoinencemoment,c’estdesesgémissementsrauquescontremeslèvresetdesesmainssurma peau brûlante. Le reste, jem’en fous. Lemonde peut bien cesser detourner,jenem’arrêteraipasdel’aimercarcesoir,jesuisamoureuse.— Tu me donnes une nouvelle chance ? souffle-t-il contre ma bouche,
haletant.Jehochedoucement la têteetpriepourquecemomentdure indéfiniment,
puis,sansquejeneleveuillevraiment,cesmotsdégringolentdemabouche,douxetbrutscommeunamournaissant.—Jet’aime,Colin.C’est à cemoment que je réalise l’ampleur de la relation complexe qu’il
entretient avec l’amour. Il ferme les yeux tellement fort, comme s’il voulaitdeveniraveugleouqu’ilsouffraitàtelpointdenepasoseraffronterlemonde,puism’embrassesibrutalementquejecomprendsque,mêmes’iln’arrivepasàledire,ilm’aimeaussi.—Reste avecmoi ce soir, souffle-t-il contremes lèvres en caressantmes
cheveux.—D’accord.Il m’offre alors l’un de ces petits sourires en coin qui me font craquer,
parfaitementdésarmantsetirrésistibles.—Jeneteméritepas,murmure-t-ilenpassantunpoucesurmajoue.—C’estvrai,jerépondsavecunpetitsourire,maisilnousresteunelongue
routeàparcourirtouslesdeux.—Tupensespouvoirmepardonnerunjour?—Colin…Jet’aipardonnéàlasecondeoùjet’aiquitté.—Maispourquoi?J’auraisététellementencolèreàtaplace…—Jel’étais!Maisilfautcroirequemonamourpourtoisurpasselereste…
etjesaisquetunevoulaispasvraimentmefairedemal.—Oh,Mia…La ferveur dans sa voix et la fougue de ses paroles m’attendrissent et
m’émeuventàlafois.Mêmesi,aufond,jesaisqueColinn’estpasparfait,ils’approchedetrèsprèsdemaperfectionàmoi.
—Jesuisprêtàtoutpourtoi,poursuit-il,jedonneraismavieettoutcequejepossèdepourteprotéger…C’estàcausedeçaquej’aiperdulespédales.Tumerendaisfou…tumerendstoujoursfou!Jen’arrivaisplusàcomprendreceque je ressentaismaismaintenant, je comprends que c’est simplement parceque…parcequejetiensàtoi.Oh.— Tu es la seule personne qui compte pour moi, tu es mon seul repère.
Personne nem’a jamais touché comme tume touches…et personne nem’ajamaisaimé.Ilprendmonvisageentresesmainspourlerapprocherdusien,commes’il
voulaitquej’écoutetrèsattentivementcequ’ilmedit.— Je ne suis pas doué avec les mots mais je vais faire en sorte que tu
comprennesàquelpointtucomptespourmoi.Sesmotsmegonflentlecœur.J’aidéjàentendulesmots«jet’aime»dema
mère, mon père, mon frère et même Amber, pourtant ces quelques parolesprononcéesparColinontun sens tellementplus fortque j’enai le cœurquidéborded’émotions.—Nepleurepas,murmure-t-ilenséchantmeslarmesquejenesentaisplus
couler,jemesuispromisdeneplustefairepleurer.—Cenesontpasdeslarmesdetristessemaisdejoie,Colin,jerépondsen
riant.Parcequejet’airetrouvéetparcequejet’aimetrop.Retrouver lapersonneque l’onaimeaprèsune ruptureaussidouloureuse,
c’est tout simplement merveilleux. Jamais je n’aurais pensé être à ce pointsubmergée par mes sentiments pour cet homme abîmé par la vie, etaujourd’huijecroisbienquejemourraispourlui.Ilmeprenddanssesbrasetmeportejusqu’àsonlitoùilm’étendsanscesserdem’embrasser,soncorpspressésurlemienetsoncœurbattantlachamadecontremapoitrine…Iln’yariendeplusdélicieuxquedelesentirprèsdemoietdesavoirqu’ilm’aime.—Dis-le-moiencore,supplie-t-ilcontremeslèvres.—Direquoi?—Quetum’aimes.OhmonColin.— Je t’aime, je t’aime, je t’aime… je répète à l’infini au creux de son
oreille.Ilsoupiredeplaisiretpressesonfrontcontrelemien,sesmainsparcourant
moncorpsetmonvisage,commes’iln’arrivaitpasàcroirequetoutcelaestbienréeletqu’ilestaiméaussiprofondément;aimétoutcourt.Etjecroisquerien que pour ça, je pourrais passermes jours etmes nuits à prononcer cesquelqueslettresd’amour,mêmes’ilnemelesrendpas.Marécompense,c’estcellequi brûled’émotiondans sesyeux.Et çavaut tous les« je t’aime»dumonde.
Chapitre5
Colin
Elleestétendueprèsdemoi,soncorpsnucontrelemien,etjecroisquejeneme suis pas senti aussi apaisé et comblé depuis longtemps. Depuis notrerupture,enfait.Jemesentaistellementmalettellementcoupable,rongéparlemanque,quejen’éprouvaisriend’autrequel’envie,lebesoindelaretrouver.Ilfautcroirequemesespoirssesontréalisés.Jen’échangeraismaplacepourrienaumonde,etencoremoinsaprèsqu’ellem’aditqu’ellem’aimait.Ellem’aime.Pour la première fois de ma vie, j’entends ces fameux mots dont tout le
mondeparle,quin’étaientpourmoiquedesimplesmots…maisc’étaitfaux.Ils sont les ambassadeurs de l’amour, la traduction des mots du cœur, despenséesde l’âme. J’ai toujourscruque jene les entendrai jamaisouque j’yserai insensible, mais lorsque Mia me les a murmuré de sa voix douce aucreux de l’oreille, j’ai cru mourir. C’était comme si le monde s’étaitmomentanémentmissurpauseetquej’assistaisàunrêveauquelj’aicessédecroireilyabienlongtemps.Lesentimentdebien-êtrequim’asoudainementenvahiétaittellementpuissantquej’aieul’impressiondemenoyer.Cesmotssontcommedesanti-douleurscontremesregretsetmesmaux,ilsm’aidentàenvisagerunavenirpluscertainetaccessibleavecMia.Elleremuedoucementetouvrelesyeuxtandisquejedégagelescheveuxde
sonvisage.Elle a l’air enpaix,heureuseet comblée, tout commemoi encemoment.Sajoueestposéecontremoncœuretjecroisqu’elleselaissebercerparsesbattementslents.J’embrasselesommetdesoncrâneetlacontemple.Iln’yapasplusadorablequeMiaaprèsl’amour.—Colin?Ellelèvelatêteetposesonmentonsurmapoitrinepourmeregarder.—Jepeuxtedemanderunefaveur?—Toutcequetuvoudras,jemurmureensouriant.Elleestsibellequ’elleilluminemonmonde.Mesmainsnerésistentpaset
s’aventurentsursoncorpspourlacaresseretpourréaliserqu’elleestbienlà.
—J’aimeraisteconnaîtremieux,dit-elleprécautionneusement, jevoudraisquetumeracontestonenfance,tonpasséettafamille…Je n’avais pas imaginé une seconde qu’elle me demanderait une chose
pareille,aussilogiquequeçapuisseparaîtreétantdonnésacuriosité.Pourtant,s’il y a bien une chose dont je refuse de parler ou même simplementd’évoquer,c’estmonpassé.—Tumeconnaisdéjàmieuxquepersonne…— C’est faux et tu le sais. On ne se connaît pas intimement. Si on veut
construirequelquechoseensemble,tudoisaccepterdet’ouvrirunpeuàmoi…Etpuistumel’aspromis,ajoute-t-elleavecunemouesuppliante.—Ahoui?Etquandça?— Lorsqu’on s’est embrassés pour la première fois. Tu avais fait la
promessedemeparlerdetoimais…tunel’asjamaisfait.Touché.Jesoupireetpasseunemaindansmescheveux,exaspéréetépuisé,
commeàchaquefoisquejemeremémoremonpassé.—Jeneveuxpasenparleravectoipourlemoment,c’esttout.—Mais…—Iln’yapasde«mais»!j’exploseenmemassantlestempes,lacolère
ayantsoudainementprispossessiondemoi.Ellesursauteetpâlitpuis,aprèsunlongsilence,selèveetquittelachambre
pours’enfermerdanslasalledebain.Ilfautcroirequej’aiunenouvellefoistout foutu en l’air. Jeme lève et frappe à la porte,mais je crois qu’elle nem’entendpasàcausedel’eaudeladouchequicouleàflots.S’ilyabienunechose pour laquelle je suis doué, c’est de foutre la merde dans n’importequelle situation, d’autant plus lorsque tout est parfait comme ça l’était il y aencorecinqminutes.—Mia…Jesuisdésolé,ouvre-moi.Jemerésigneetm’adosseaumurquiséparemachambredelasalledebain.
Ellenesortqu’aprèsplusieursminutesetj’aieuletempsdememaudireàdemultiples reprises pour mon foutu caractère. Elle a pourtant seulementdemandélavérité,cellequej’avaispromisdeluidévoiler.Etjeluiaiencoreune fois prouvé que je n’étais qu’un pauvre type incapable de tenir sesengagements.Avecsaservietteenrouléeautourdesoncorpsetsescheveuxmouillésqui
ruissellentdanssondos,elleal’aird’unangedangereusementséducteur,mais
ellem’ignoreroyalementensedirigeantversmonarmoirepourydénicheruntee-shirtetunboxer.Enlaregardantfaire,jenepeuxm’empêcherdesongercombienj’adorelavoiragircommesielleétaitchezelle…Enfinenattendant,elle est toujours en colère et jem’approched’ellepour l’enlacer lorsqu’ellelaissetombersaserviettequidévoilelespectaclequ’estsoncorpsnuetencorehumidedans la lumière tamiséedemachambre.Ellem’ignore toujourset jesuispresqueincapabledeprononcerunesyllabedevantcequ’elleoffreàmesyeuxfous.—Mia,jesuisdésolé…—Cen’estpasgrave,mecoupe-t-elledoucementavantderejoindrelelitet
des’yallonger.Jesoupireetm’approched’ellepuism’étendsetenroulemesbrasautourde
son corps en la serrant contre moi, mais elle ne bouge pas et je sens maculpabilitécroîtreàmesurequelesminutess’écoulent.—Pardonne-moi,jenevoulaispas…—Cen’est pas le problème, finit-elle par répondre aprèsun interminable
soupir.Jecrèved’enviedeteconnaître,desavoirquituesréellement,cequetuasvécucesvingt-troisdernièresannées…Jeveuxtoutconnaîtredetoimaisturefusesdemelaisserentrerdanstavie.—C’estdupassé,Mia,etilesttropmerdiquepourquejelepartageavectoi.Elleseretournepourmefaireface,lessourcilsfroncésetl’airscandalisé.—Maisjem’enfous!s’exclame-t-elle.Jet’aimeetjeteprendsavectoutce
quivaavec,ycompristonpassé.Tuterendscomptequejenesaispasd’oùtuviens, si tu as des frères et sœurs, et que je ne connais même pas ta dated’anniversaire!—C’est le premiermai, jemurmure en souriant, dans une tentative pour
détendrel’atmosphère.―Cen’estvraimentpasdrôle,Colin.Crois-moi,missHope,çanem’amusepasnonplus.―Ohetpuistusaisquoi,jem’enfous,déclare-t-elleenmetournantledos
ànouveau.BravoCarter,àceniveaujecroisqueças’appelleundon!—Mia…Elle ne répond pas mais je ne peux pas lui en vouloir. Pourtant, elle n’a
aucune idée de ce que referme le secret dema vie, ce que je cache derrière
monmasquedesoldatdévouéàsonmétier.Iln’yapasdehasard:sij’aifinitelquejesuisaujourd’huic’estquequelquechoseatoutdéclenché.Ça,ellelesait,maisellenesuspectepasl’horreurdecequej’aivécu,quejerefusedeluirévéler.Çan’estpasseulementparcequeçamedonnel’impressiond’êtreunmoinsque rienetqueça risqueraitde réveillermescauchemars,maisparcequej’aipeurqu’ellemeregardeautrementunefoisqu’ellesauralavérité.Jelavoisdéjàs’éloignerdanslanuitsansunaurevoir,déçueetchoquéeparmesrévélations,etçamedonnedesfrissonsdansledos.Mais…Ilyatoujoursun«mais»etjeluiavaispromisdefairedesefforts,
c’est pourquoi je ne veux pas la décevoir encore une fois simplement parcequej’aipeur.Jeneveuxplusavoirpeur.—J’avaisunfrère…Conrad était de deux ans mon aîné. Il était intelligent, beau et réussissait
absolumenttoutcequ’ilentreprenait.C’étaitlafiertédelafamille,tandisquemoi…J’étaislepetitvoyou,lecancredelaclasse,leraté,l’erreur.Jepassaismontempsàmebagarreretàmanquerderespectaumondeentier.Jen’avaispeurderiennidepersonne,maisjecroisqueça,çan’apastellementchangé.MesparentsregardaientConradcommeleChrist,avecadmiration,amouret
biend’autreschosesquejen’aijamaisconnues.Ilslevantaientauprèsdeleursamis,faisaientdeluiletrophéedeleurvie…Etmoi,j’étaisleregret.QuantàEmily, ma petite sœur, c’était leur petite poupée, elle était intouchable. Lesraresfoisoùilsdaignaientposerlesyeuxsurmoi,jepouvaisvoirleurdédainetleurhaine.—Mia…Situavaispuvoirleurregardlorsquejem’approchaisd’euxen
quêted’affection…Jecroisquetuenpleurerais.C’étaittellementdurdevoirces gens, qui étaient censés représenter mes piliers, les personnes à qui jepouvaismefier,metoiseravecceméprisetcedésirdemevoirdisparaître.Enfin, tout ça pour dire que je n’avais clairement pasma place dans cette
famille.Jepassaismontempsàleséviterpournepascroiserleurregard,puisleschosesontfaitquejemesuismisàtraînerdeplusenplussouventdanslarueavecceuxquejeprenaisàl’époquepourmesamis.Maisilsnel’étaientpasle moins dumonde. J’avais dix-sept ans, j’étais seul et perdu donc tous lesmoyensd’oublierétaientbonsàprendre.J’aicommencéaveclacigarette,puisl’alcool…etjesuisallédeplusenplusloin.Mia,j’étaistellementmalheureuxquejecroisquejepriaissecrètementpournepasmeréveillerunjour.Etpuis,j’aidécidédepassermonpermis.Jevoulaismereprendreenmain
et j’avais unbesoin foude liberté et d’autonomie.Leproblème, c’est que jen’avaisabsolumentpasunrondpourmepayerlepermisetencoremoinsunevoiture.Jevoulaisapprendremaisc’étaitperdud’avance.Nimonpèrenimamèren’ontacceptédem’aider,alorsjemesuistournéversmongrandfrère…quiafiniparcéder,àcontrecœur.Jedevaisluifairepitié,aprèstoutiln’étaitpasaveugle,ildevaitbienvoirquej’existaistoujoursmêmesitoutlemondes’enfoutait.Nous nous sommes donc retrouvés sur la route, j’étais au volant dans les
coinstranquillesdeNewYorketilétaitàmescôtés.Çaauraitpuêtresympadepasserunpeudetempsavecmonfrère,maisiln’apasarrêtédem’emmerder,ilmeparlaitaveccetonautoritaireetméprisantquej’aitoujoursdétesté.Avantd’intégrer l’armée, lahiérarchieétaitpourmoiuneespècedeschémainjustequirabaissaitsansmotiflesplusfaibles.EtConradprofitaitdesaplacepourmerabaisserplusbasqueterre,ilsavaitqu’ilauraitlesoutiendenosparentsdetoutefaçon.Leplusmalheureuxdanstoutça,c’estquej’aiessayédenouerdesliensaveclui,jemedisaisqu’àdéfautd’avoirdesparentsjepourraisavoirunfrèrepourm’épauler,puisquemasœurétaitencoretropjeunepourm’êtred’uneaidequelconque.Maisjen’aieuenretourquedumépris.Cejourlà,ilavaitmalchoisilemomentpourjoueravecmesnerfs.Onétait
en train de hurler dans la voiture, il m’insultait et je lui répondais, mais ilsavait que je ne pouvais pas quitter le volant des mains… J’étais tellementénervé que je n’ai pas été assez attentif, je n’ai pas vu le camion qui nousfonçaitdessusàcetteintersection…Ressassercesouvenirmefaitencorefrémird’horreur.Jevoudraiseffacer
lesimagesquidéfilentdansmatêtecommeunhorriblediaporama.JesenslamaindeMiasefaufilerdanslamiennequis’étaitcontractéesans
que je ne m’en rende compte. J’étais si absorbé par mon récit que j’avaispresque oublié qu’elle était là. Elle me regarde avec des yeux brillants delarmes, me serre la main de toutes ses forces et je me dis que je devraisarrêter…Maisétrangement,luiracontertoutçamefaitmesentirplusléger.Jereprendspeuàpeumesesprits.—Tusais,cen’estpaspourrienqu’onappellecetteplacelaplacedumort.
Conradest restéplongédans lecomapendantplusd’unmoiset il a finiparmourirentrelesmainsdesmédecinslorsd’uneénièmeopération.Àcausedemoi,jemeretiensd’ajouter.Ilavaittoutdevantlui,unavenirtout
tracéetunevieparfaite,etmoij’aitoutfoutuenl’air.Sij’avaissuquetoutçamènerait à sa mort… J’aurais abandonné ma vie qui ne valait rien pour la
sienne.—Ettoi?medemandeMiadansunmurmure.Moi…Jem’ensuis sortiavecdescôtesetune jambecassées,maiscequi
m’attendaitétaitpirequelamort.J’aidûmeleverchaquejouraveclamortdemon frère sur la conscience, sachant que je devrai affronter la haine férocemaisdésormaislégitimedemesparents.Jelescomprenais,jecomprenaisleurhaine:j’étaisuncauchemar,jeportaismalheuretjevenaisdetuerleurfils.Jen’enavaisjamaisréellementvouluàConradpourcequ’ilétaitpuisquetoutçaétait de leur fait à eux. Quand il est mort, j’ai vraiment eu du mal àm’accrocher à la vie. Je devenais fou, enfermédansma chambre durant desmoisetdesmois.Mesblessuresphysiquesavaienteubeauguérir, j’enavaisquimebrûlaientdel’intérieuretcontrelesquellesjenepouvaisrienfaire.Dèsquej’aiétécomplètementrétabli,jen’aipashésitéuneseulesecondeet
jemesuisbarréparlafenêtresansunaurevoir.Jesavaiscequej’allaisfaire:m’engagerdansl’armée.Àcemoment-là,çan’étaitpasvraimentpardévotionpourmonpays,c’étaitleseulendroitoùjepouvaismerendreutileetvivreenétant nourri et logé. L’armée est devenue ma délivrance, les entraînementsintensifs et le rythme effréné me permettaient d’oublier tout le reste, je medisaisquejemesentiraispeut-êtremieuxsijepassaismavieàlarisquerpourcelledesautres,quejemesentiraispeut-êtremoinscoupabled’avoirôtélaviedemonproprefrère.Maisjemetrompais.On ne peut pas oublier une telle culpabilité et des regrets pareils, ils sont
toujourslà,souslasurface,prêtsàressurgir.Etdepuissixans, jevischaquejouraveclamortdemonfrèresurlaconscience,lesentimentden’êtrequ’uneerreur,unmeurtrier.Mafamillen’a jamaischerchéàmerecontacteret jeneleurenveuxpas.Jenefaisquepayermadette.Lorsquejerelèvelesyeux,Miaestenlarmesetparaîttristeàenmourir.Je
nevoulaispaslamettredanscetétatetj’essayemaladroitementdelaconsolerenlaprenantdansmesbrasleplustendrementpossible.— Ne pleure pas, je lui murmure au creux de l’oreille tandis qu’elle
s’accrocheàmoncou.—Jesuis tellementdésolée…Si j’avais su, jene t’aurais jamaisdemandé
unechosepareille…— Mais tu n’en savais rien. Et puis, quelque part, je me sens mieux
maintenant.Jecroisquelefaitdet’avoirtoutracontémefaitmesentirmoinsmonstrueux.
— Tu n’es pas un monstre, Colin, déclare-t-elle fermement en levant levisageversmoi.Jet’aimeetjamaisjepourraispenserunetellechosedetoi.Ses mots parviennent à m’arracher un tout petit sourire et j’embrasse
doucementseslèvressaléesparleslarmes.—Ettasœur,alors?Tul’asrevue?—Non,jamais.Pourtantjecroisquec’était laseuleàm’apprécierunpeu.
Elle était différente, elle était bonne, et je me demande parfois à quoi elleressembleaujourd’hui…Elleétaittellementjeunequandjesuisparti.—C’estaffreux…—Mais tu sais,mêmesi j’aibeaucoupsouffert etque j’aiplusd’une fois
souhaité n’être jamais monté dans cette voiture avec Conrad ce jour-là,aujourd’huijen’arrivepasàregrettertoutcequiestarrivédepuisl’accident,parcequ’autrementjenet’auraisjamaistrouvée.QuandjeregardeMiacommeça,avecsesgrandsyeuxtristesetsabouche
tremblotante, jeme dis que tous cesmalheurs ont fini parmener à quelquechosedebon.—Jet’aime,mechuchote-t-elleavantdem’embrasser.J’aimeraisluirépondre,j’aimeraisluidirequejel’aimemoiaussi,maisje
n’y arrive pas. Pourtant, je n’ai jamais été aussi certain de quelque chosedetoutemavie,jel’aimeàencrever.C’estpourçaquej’avaistellementmalsanselle,que jemesentaismenoyer sans saprésenceàmescôtés.Tout l’amourquejen’aijamaiséprouvédécuplemessentimentspourelle.Toutcequemoncœurn’a jamaisbattu, toutes lessensations, lesémotionset ladoucedouleurquejen’aijamaisressentisviennentdenaîtreenmoi.Jel’embrasseavectoutl’amourquejepeuxluidonner,touslesmotsetles
déclarationsquejesuisincapabledeluiexprimer.Jetrouveraibienunjourlemoyendeluidirecombienjel’aime.
Chapitre6
Mia
Jelèvelatêteetcontemplemonamoureuxquialesyeuxàmoitiéfermésetunpetitairensommeillésurlevisage.Ilestdéfinitivementsublime.Quandjevoissacarrureetsonhabituelsourirecharmeurquicreuselesfossettesdesesjoues,jemedisque,bonsang,onnedevineraitjamaisàquelpointilestblesséàl’intérieur.Lapertedesonfrère,lerejetdesafamille…Jenepensepasquej’yauraissurvécuàsaplace.C’esttellementtriste,tellementinjustequejenesuispasparvenueàtrouverlesommeil.J’aibeaunepasconnaîtresesparents,je croisque je lesdéteste.Cen’estpas étonnantqu’iln’arrivepas àmedirequ’ilm’aime!Carjelesaismaintenant,ilm’aime,ilaseulementdumalaveccesmots.Maisjecroisquejeviensd’avoiruneidée…—Colin,jeviensdepenseràquelquechose…—Jet’écoute.Il semble déjà un peu plus réveillé et me regarde de ses prunelles
lumineuses.— J’ai cru comprendre que tu avais quelques difficultés à exprimer tes
sentiments… j’amorce précautionneusement. Alors je me suis dit que tupourraispeut-êtrelesfairepasseràtraversdesparoles…—Tuveuxquejechante?s’exclame-t-ilenriantdeboncœur.—Non, je ne ferais subir ça à personne, je réponds avec sarcasme tandis
qu’illèvelesyeuxauciel, jeveuxdirequetupourraisparexemplemefaireécouterunechansonquiparlepourtoi…enquelquesorte.Ilal’airvraimentsceptiquemaisjesensquesij’argumenteencoreunpeu,il
pourraitcéder.Jenemedémontepasetmelèvepoursaisirmonportable.—Attends,jevaistemontrer.Jesenssonregardamuséetattendrisurmoitandisquejetapotesurl’écran
demontéléphone.Jeveuxluimontrerquec’estunebonneidéeetqueçapeutl’aider,c’estpourquoi jeneme laissepasdistraireparsagueuled’angeauxfossettesdévastatricesetquejelanceunechansonavantdeleverlesyeuxvers
lui.Lorsque Unchained Melody débute, je vois à son regard qu’il écoute
attentivement les paroles, et plus la chanson avance plus il semble troublé…Mais lorsqu’un immense sourire mutin et sensuel s’étire sur sa bouche, jeréalisequenousnepensionspasdutoutàlamêmechose.—Qu’est-cequ’ilya?—Jemedisaisquej’aimeraistefairel’amoursurcettechanson,murmure-
t-ilsidélicieusementquejesensmoncorpss’échauffer.Maboucheest soudainementdevenuesèche,mesmainsmoitesetmapeau
brûlante.Jenepeuxpasmevoirmais jesaisque j’aiviréaurougepourpre.Une petite sensation désormais familière émerge dans le creux de monestomac. Colin a ce petit quelque-chose qui parvient à m’enflammer en unregard,enunecaresse.Sonsouffleprèsdemonvisagemefaitréaliserqu’ils’estapproché,j’étais
tropabsorbéeparsesyeuxsaisissantspourm’enrendrecompte.Ilesttoutprèsdemoi, appuyé sur sesmains de part et d’autre demon corps, et plusmoncœuraccélèreplusilsembleprendreplaisiràcepetittour.Ilsaitparfaitementquel effet ilme fait, inutile d’être devin, la vitesse à laquellema poitrine sesoulève sous l’intensité de son regardme trahit. Il m’attrape soudain par latailleetm’assiedàcalifourchonsursescuissesnues,sesmains remontent lelongdemoncorpspourallers’enfouirdansmescheveuxetilembrasseenfinmeslèvresquinedemandentqueça.Lessiennessontdoucesaupremierabord,puisellessefontdeplusenplusdures,deplusenplussauvages.Cebaiserestaussidélicieuxquelesautres,maisleplaisiretledésirquis’ymêlentmefontunmalterribledanslecreuxduventre.C’esttropdifficilederésisteralorsquesoncorpsestcolléaumien.Je crois que c’est leminuscule gémissement qui sort dema bouche qui a
raisondelui.Ilnousfaittoutàcouproulersurlelitetjemeretrouvesousluitandisquesesmainssefontaventureusessurmoncorps,queseslèvrespartentenexpéditionplusausud,làoùlapeaudemoncousefaitplusfine.Etpuis,lorsqu’il revientunenouvellefoisàmes lèvres, jemesensmourird’amour,j’attrapesescheveuxetleregardedroitdanslesyeuxavantdeluisoufflerun«jet’aime»quiveuttoutdire.Ilrésumel’amourquejeluiporte,lapassionquinousunit,l’attractionquenoscorpsontl’unpourl’autre…tout.Unsourirebouleversantsurdessinesurseslèvrestandisqu’ilentrelacenos
mainsets’appuiedechaquecôtédematêteavantdetoutdoucements’insinuerenmoi.Jelaisseéchapperunpetitcridesurprisemaisjesuisaussitôtréduite
ausilenceparsabouchequis’écrasesurlamienne,etplusilvaetvientenmoiplus jeme sensmourir,mourir deplaisir, d’amour, dedouleur…C’est tropbon, trop démentiel pour être décrit. J’aimerais pouvoir nous voir en cemoment,soncorpsluisantd’effortetlemiendissimulésouslesien,minusculeetprotégé,ensécuritésoussondouxassaut.Sij’ouvraislesyeux,jepourraisvoirchacundesesmusclessebanderetsculptersoncorpsparfait,seshanchesheurterlesmiennes…maisjeneveuxpasouvrirlesyeux,jesuistropbienlàoùjesuis,danslesétoiles.
—Jet’aime,jeluichuchotetoutbas.Ilmecontemple,encorehaletant,puismesouritbêtement.—J’aimequandtumeparlesfrançais,j’ail’impressiondedécouvrirencore
uneautrepartiedetoi,murmure-t-ilencaressantdoucementmonvisage.J’aiditçaenfrançais?Jenem’ensuismêmepasrenducompte.Peut-être
parcequeçavenaittellementdufondducœurquemoncerveaun’apaseuletempsde traduire, il s’estempresséd’expédierçasansmêmesedemandersiColincomprendrait.—Tusaiscequeçaveutdire?—Jeconnaiscequetouslesétrangersdumondecomprennentenfrançais,
c’est-à-diremewrci,bonjowr,jet’aymeet…camembewrt.Prisedecourtparlederniermot,j’éclated’unriresonoresoussonregard
amusé.Sonaccentestàlafoishilarantetterriblementadorable,mêmesij’aiunesaintehorreurducamembert.—Quoi?C’estpasbien?—Sisi,c’estplutôt…cliché,maisj’aimelamanièredonttuprononcesces
mots.—Moi je préfère ton accent. Parle-moi en français, me demande-t-il en
posantsatêtesurmonventretandisquejeluicaresselescheveux.—D’accord.—Net’arrêtepasjusqu’àquejem’endorme,s’ilteplaît.Oh,monColin…Toutcequetuvoudras,jecueilleraislesétoilespourtoi.—Pourtoijenem’arrêteraijamais,jemurmureenayantconsciencequ’il
necomprendpasuntraitremot.
Lesyeux fermés, il pose unede ses immensesmains surmonventre puissoupirepaisiblement,commes’ilétaitparfaitementheureux,etçasuffitàfairefondremoncœur.Ilal’aird’unenfantàlarecherched’amouretdetendresse,etçamefaitmalparcequejemedisquetoutça,ilauraitdûleconnaîtreavecsamèreousonpèreavantmoi.Tousles«jet’aime»etl’affectionquejeluidonne,toutcequ’ilnefaitquedécouvrirmebriseànouveaulecœurquandjevoislacicatricedanssesyeuxserouvrir.Je continue à lui parler même lorsqu’il s’est endormi, passant
inlassablementmamaindanssescheveuxdouxetcontemplantsonincroyablevisage.Cetêtrebriséparlavie,cethommeécorchévifdorttoutcontremoicomme
unenfant,etjesensmoncœursegonfleràchacunedesesrespirations.Jemedemandecombiendetempstiendranotrerelation.Etlorsquejeposelesyeuxsur ses affaires déjà rangées dans son sac, je réalise que sondépart est tropprochepourquejepuissesuffisammentprofiterdelui,desonamour,desoncorps…etdesoncœur.Cepetitweek-endn’estqu’unsursiset,mêmesijesaisdéjàqu’ilrepartira
avantquejenelesouhaite,jecompteprofiterdenousautantqueletempsmelepermettra.―Hellosunshine…J’ouvreunœil,puisdeux,etdécouvreau-dessusdemoimonbelamanttout
souriantquicaressetendrementmajoue.—Ilestquelleheure…?jegrogneenrefermantlesyeux,tropfatiguéepour
êtredebonnehumeur.—Tôt.Maisjeveuxprofiterdetoiavantdepartir,alorslève-toi!Tuferas
unesiesteplustard.Je le sens quitter le lit et rouvre les yeux pour le contempler : il est nu à
l’exception d’une serviette enroulée autour de sa taille, ses cheveux sontmouillés et des gouttes d’eau dégoulinent sur son dos hâlé. Je continue del’observer dans lesmoindres détails lorsqu’il laisse tomber sa serviette afind’enfilerunboxer.Celamelaisseletempsdecontemplersonfessierparfaitetsachutedereinsoùdeuxautresfossettesmefontdel’œil.Hmm,jecroisbienquejevaismelever,finalement.—Tucomptesm’emmeneroù?Il se retourne et enfile un sweat-shirt noir puis attrape une serviette et se
sècherapidementlescheveux.—C’estunesurprise,désolé,répond-ilensouriant,sescheveuxébouriffés
formant desmilliers d’épis sur son crâne. Allez, debout, je veux qu’on soitpartisdansunedemi-heure.Sur ce, après m’avoir déposé un baiser sur le front, il quitte la chambre
tandisquejeresteplantéelààsourire.Jecroisquejesuisgravementmordue.Une fois douchée et habillée, je ne perds pas de temps et rejoins mon
amoureux qui s’est affairé à préparer un petit-déjeuner grandiose. Despancakes, du jus d’orange fraîchement pressé… Et même du thé au jasmin,monpréféré!—Hm,çasentbon!Jenesavaispasquetubuvaisduthé, jeremarqueen
prenantplacesurl’undestabouretsdebardelacuisine.—Oh,jenesuispasvraimentfan.J’enavaisachetépourtoiladernièrefois
quetuasdormiàlamaisonmais…Ilneterminepassaphrasemaisjesaistrèsbiencequ’ilsous-entend.Tout
allaitparfaitementbienavantqu’ilnecommettecetteerreurquiacausénotreséparation. En tout cas, je suis tellement touchée par son attention que je neressens même pas de peine en pensant à cet incident qui a eu lieu il y amaintenantdeuxlongsmois.—MerciColin,çametouche,jemurmureavecsincéritéenluisouriant.—Cen’estpasgrandchoseàcôtédecequejesuiscapabledefairepourtoi.
C’estjusteduthé.Ilmesouritetjefonds.C’estvrai,cen’estqueduthé,maispourmoic’est
unepreuved’amoursupplémentaire.—Alors,turefusestoujoursdemedireoùtum’emmènes?—Oui,etjenecéderaipas,missHope,rétorque-t-ilavecunsouriremutin
enbuvantunegorgéedesoncafé.—Trèsbien,monsieurCarter.
J’ail’impressionquenousroulonsdepuisdixansalorsqueçanefaitqu’une
heure.Çadoitêtreàcausedemonimpatience.JecroyaisquenousresterionsàNewYorkmaisilsembleraitqueColinaiteuenviedem’emmenerunpeuplusloin. Et bien sûr, comme je ne suis pas parvenue à le faire céder, je n’aitoujoursaucuneidéedel’endroitoùnousallons.—Tureparsquand?
—Demainsoir,répond-ilenmejetantuncoupd’œil,maisnet’enfaispas,jecompteprofiterdeceweek-endavectoicommesic’étaitledernier.Commesic’étaitledernier…J’espèrequeçanel’estpas,j’ignorecequeje
feraiss’illuiarrivaitquelquechose.Lelaisserpartirsansessayerdeleretenir,je trouve ça déjà énorme. En temps normal, je l’aurais probablement retenucontre sa volonté pour le garder égoïstement avecmoi pour la vie. Je restesilencieuse durant tout le trajet, pensant à ce que je vais devenir quand il neserapluslà.Finalement, après la plus longue heure de ma vie, nous arrivons à
Larchmont Manor Park, un immense parc où il y a même, à mon grandétonnement,uneplage.Évidemment,celle-ciestouverteuniquementdurantlapériodeestivale,maisjedoisadmettrequejenesavaisabsolumentpasqu’ilyen avait à New York. Lorsque Colin se gare, je suis tellement pressée dedécouvrir cet endroit que je me rue hors de la voiture comme un enfantsurexcité.—Çaal’airvraimentgénial!jem’exclameenlerejoignant.— Il faut dire que tu es facilement impressionnée, rétorque Colin en
souriant.Je lève les yeux au ciel et saisis la main qu’il me tend tandis que nous
pénétronsdansleparc,quiestmagnifique.Desarbreslongentleschemins,lesgens se promènent, font leur footing, prennent des photos ou biens’embrassent…C’estunexcellentendroitpoursedétendreetprendreunpeudedistanceaveclerythmeimpitoyabledeNewYork.— Je viens souvent ici pour courir, m’apprend Colin alors que nous
longeonsunegrandealléefleurie,maisaujourd’huipasdecoursenidehâte.Seulementtoietmoiquipassonsdubontempsensemble.Ilm’offreunsouriredouxpuisdéposeunbaisersur lehautdemoncrâne
avantdepasserunbrasautourdemesépaulesetdemeserrercontrelui.Nouspassons notre matinée à déambuler tels deux amoureux dans ce parc, maindanslamain.Nousparlons,rions,refaisonslemondeetj’aimeraisquetoutesmesjournéesressemblentàcelle-ci.Jerêved’unevieoùColinn’estpassoldatet où nous construisons une vie ensemble sans qu’aucun obstacle ne fasseobstruction à notre bonheur. Mais je sais très bien que ce ne sont que desfantasmes,Colinaimebientropsonmétieretjeneluidemanderaisjamaisdelequitterpourmoi.Il est un peu plus de midi lorsque mon estomac se manifeste. J’étais
tellementoccupée à écouterColinparler et à l’admirer que j’en ai oublié le
reste. Pour ma défense, il est tellement passionnant que j’oublierais toutlorsque je suis à ses côtés. Il est drôle, intelligent, cultivé, et j’ai passémontempsàboiresesparoles.Àseulementvingt-troisans,ilaconnutellementdechoses, tant d’épreuves…À côté de lui, j’ai le sentiment d’être une gaminegâtéequin’ajamaisconnulesdifficultésdelavie.Sesanecdotesdeguerre,sesentraînements, sesblessures, ilm’a tout raconté, sibienque jepourraisdirequand et comment il s’est fait chacune de ses cicatrices. Je ne l’avais pasremarquéavantmaisiladenombreusesmarquessurlecorpsquiproviennentd’impacts de balles, voire demissile… c’est effrayant. En tant que pilote, jepensaisqu’iln’étaitjamaisaumilieudescombats,maisenréalitéilad’abordétésoldatsurleterrain.Ilfautdirequ’ensixansd’armée,ilaeuletempsd’enfaire,deschoses.Ilyasixans,moijen’étaisencorequ’uneenfant,j’étaisaucollègeetj’apprenaislesfractions…Finalement,aprèsavoirachetédeuxsandwiches,nousnousinstallonssurun
bancprèsdel’eau.Lefroidestmordantmaislachaleurquiprovientducorpsde Colin me réchauffe le cœur. Mes mains, en revanche, c’est une autrehistoire!Ellessonttellementgeléesquej’aidumalàtenircorrectementmonsandwich.Colinleremarqueetmeretiremesgants,prendmesmainsdanslessiennesetsemetàlesfrictionnerensoufflantdel’airchauddessus.Jesoupiredesoulagement.—Çafaitdubien,j’aitellementfroid.— Je vois ça, tesmains sont toujours glacées,même quand il fait chaud,
murmure-t-ilensouriant.Illesporteàsabouchepourembrasserdoucementchacundemesdoigts,ce
quimeprovoquedesfrissonspartout.Cethommeestparfait.Cequiestmoinsparfait,enrevanche,c’estqueleciels’estdangereusement
couvert.Nousavonsàpeineletempsdenousenfairelaréflexionqu’unepluietorrentielle se met à tomber. En un rien de temps, nous nous retrouvonstrempés.Colin retire sa veste pour la mettre au-dessus de ma tête et nous nous
mettonsàcourirmaindanslamainjusqu’àl’abrileplusproche.J’aidumalàgarderlerythmemaisnoustrouvonsrapidementunpetitkiosquedansuncoinduparc.Unefoisàl’abri,Colinsecouesescheveuxdégoulinantsetsefrottelesbras.
Jesuis tellement frigorifiéequemesgenouxs’entrechoquent, jenesensplusaucune de mes extrémités, mes doigts, mes orteils, mon nez, et même mesoreilles.Colins’approchedemoi,ouvremonmanteau,collesoncorpscontre
lemienetglissesesmainssousmonpullpourmefrictionnerledos,lesbras,lesépaules…Plus ilmeréchauffeplus jemesensm’enflammer,saufqueçan’estpasmapeauquimebrûlemaislepetittourbillondansmonventrequimefaitmesentirtoutechose.Etvisiblement,jenesuispaslaseuleàmesentirtoutà coup brûlante de désir, j’ai bien l’impression que Colin ne reste pasinsensible.— J’ai appris ça pendant les cours de secourisme à l’armée, chuchote-t-il
danslecreuxdemonoreille.Onseréchauffemieuxlorsquenospeauxsontencontact.Jenepourraispasbénirdavantagecedéluge.Cequidevaitêtreuncoursde
secourismeest devenuun réchauffage express terriblement érotique, et jenesuisplusgeléemaisbouillonnantededésir.—Çavamieuxlà?medemandeColinens’écartanttroprapidementàmon
goût.—Beaucoupmieux, je souffle du bout des lèvres en tentant de reprendre
contenance.Onatousuneodeurdouceetfamilièrequinousapaiseetnouscalmedans
n’importe quelle situation. Pour certains c’est l’odeur de leur lessive, pourd’autres celle de la lavande… Pour moi, c’est tout simplement celle del’homme que j’aime. Encore un peu et je m’endormirais debout contre soncorpsbrûlant.Jesuispeut-êtreréchaufféeetapaiséemais,envoyantsesyeuxpétillants de malice, je sens mon cœur s’emballer comme s’il voulaits’échapper de ma cage thoracique. Pourtant, Colin se contente de refermermonmanteaupuisdem’attirerprèsdeluietdem’entourerdesesbrastandisque nous contemplons les gouttes de pluie s’écraser dans les vaguesdéchaînéesdelacôte.Letempspasseetlapluiesecalmelégèrementmaisnousne bougeons pas, trop absorbés par le paysage qui s’offre à nous et lesbattementsdenoscœurs.Encemoment,jesaisquejen’échangeraismaplacepourrienaumonde.Auboutd’unmoment,Colindécrètequ’ilest tempsde rentrerpouréviter
quejen’attrapefroid,d’untontrèsprotecteurquin’estpaspourmedéplaire.Nous courons jusqu’à sa voiture, trempés jusqu’aux os, et j’accueille avecsoulagement la chaleur du chauffage qui accompagne le ronronnementfamilierdesaJeep.—Çava?medemandeColintandisquenousquittonsleparking.—Sionoublielefaitquej’ail’impressiond’êtreunglaçonvivant,oui,ça
va.
— On rentre à la maison et je pourrai te réchauffer, murmure-t-il enm’offrantsonsourireencoinfaçonfossettes-mitraillettes.Àlamaison?Iladitçatellementnaturellement,jecroisqueçametouche
plusqueçane ledevrait.C’estvrai,pourunhommequin’a jamaisaimé, jetrouvequec’estunimmensepasenavant.Etpuisjedoisbienavouerquevivreavec lui serait réellement le paradis : me lever et me coucher aux côtés del’hommedontjesuisfolle,j’aiconnupirecommesupplice.Le trajet se déroule dans un silence confortable, mais je suis tellement
exténuéequejemesensprogressivementtomberdanslesbrasdeMorphée.—Laisse-toialler,jeteréveillequandonarrive,meditdoucementColin.Je voudrais lui répondre mais je suis déjà loin. Je bascule alors dans le
sommeil,absorbéeparunmondedesongesetderêvesenvoûtants.
Chapitre7
Colin
Satêteestposéecontrelavitreetelledortcommeuneenfant.Jen’aijamaisrienvud’aussibeau.Elleal’airpaisible,heureuse,etsonvisagen’enestqueplusdouxencore,ilexprimetoutesabontéetsoninnocence…Toutcequejen’aipas.Sij’avaissuquejetomberaisamoureuxd’unange,j’auraistoutfaitpour ne pas devenir un démon. Pourtant j’ai envie de changer pour elle, dedevenirmeilleurpourluioffrirunavenir.Pluslesjourspassent,plusj’aifoiennous,ennotreamour.Puisquedesmillionsdepersonnespeuvent le faire,alorspourquoipasmoi?Pourquoipasnous?Lorsque jeme gare au pied demon immeuble, je saisis délicatementMia
dans mes bras, sans la réveiller, pour la porter jusque chez moi. Elle estprofondément endormie mais je ne compte pas la laisser dormir jusqu’àdemain, il est trop tôt et je voudrais profiter d’elle un maximum avant derepartir.Elle remueunpeuquand je pénètre dans l’appartementmais je suistellement ému de la voir dormir dans mes bras que je ne la dépose pasdirectementdansmon lit ; je la contempleunmoment contremon torse, sespetitesmains posées surmon cœur.Dansmes bras, elle semble aussi légèrequ’uneplume.J’aimeceluiquejesuisdevenupourelle,lemecquiaenfintrouvéunbutà
sa vie, qui sèche les larmes de celle qu’il aime, qui n’a plus peur de sessentimentsetquiaimefairetendrementl’amouràcettefilleprécieuseaulieude gâcher sa vie. J’aime cet homme-là, il est celui que j’ai toujours rêvé dedevenir.JesorsdemespenséesenréalisantqueMiaestencoretrempéeàcausedela
pluieetque jenepeuxpas lacouchercommeça. Je ladéshabillealorsavecsoin,nonsansadmirersoncorpssublime.Cen’estpascompliqué,elleatoutcequ’ilfautlàoùilfaut.Jemedemandepourquoiellecomplexetantsursonphysique.Après l’avoir couchée, je retire mes habits et m’étends à côté d’elle en
continuantàlacontempler.Leparfumdesapeaum’envoûtetotalement.Jen’aijamaisriensentid’aussi
bon,d’aussicaptivant.Elleal’odeurdelajeunesseinsouciante,del’amouretdudésir,desbaisers sous lapluieetdes sucreries. Jevoudraisemporter sonparfumpartoutavecmoipournejamaisl’oublier.Évidemment, quand jememets à penser comme ça à elle et à nous, j’en
reviens toujours au même point : est-ce que ça va durer ? Notre amour, lapassion qui nous unit, l’attirance qui nous relie… Est-ce que tout ça vadisparaître ou bien perdurer à jamais ? Nous venons à peine de nousrencontreretlemeilleurqu’onpuissefaire,c’estprofiterdupeudetempsquenous avons ensemble. Ensuite… eh bien on verra. Je n’ai jamais vraimentplanifié les choses, j’ai toujours vécu au jour le jour en fonçant la tête lapremière dans chaque situation. Je fais toujours tout pour contredire mondestin,jefrappeàl’improviste,jedéjouelamort,jeprendsdestournantssansclignotant…Jenesuispasdugenreàbasermaviesurunemploidutemps.Pour lemoment, je vais faire demonmieux pour contenterMia, pour la
rendreheureuseetpourêtreunmecbien.Ilseratoujourstempsdepenseràlasuitedenotrevieensemble.Detoutefaçonjenecomptepasla laisserpartir,j’en ai fait lapromesse. Je serai peut-être loingéographiquementmais jenesupporterais jamaisde lasavoiravecunautrehomme.L’imaginerdans le litd’unautre,embrasser les lèvresd’unautre…Jenepeuxpas.Rienquelefaitd’y songerme faitmal, j’ai besoin de voir l’amour dans ses yeux pourmeréconforter.Ilfautquejelaréveille.—Mia…—Hmm…—Réveille-toi,tumemanques.Unsouriresedessinesurseslèvresmaisellen’ouvrepaslesyeux.—Attention,turisquesdeleregretter,jelamenaceenguettantseslèvresqui
s’étirentdeplusenplus.—Oh,etqu’est-cequejerisque?menargue-t-elletoutengardantlesyeux
fermés.—Ça.Je glisse mes mains sous la couette et commence à la chatouiller tandis
qu’ellesetorddanstouslessensencriantetenpleurantderire.Jecroisquejene me suis jamais autant amusé de ma vie. Il m’arrive de blaguer et deplaisanter avec Matt et mes collègues mais je ne m’étais jamais vraimentautorisé à m’amuser sans culpabiliser. Tout simplement parce que j’avaisl’impressiondenepasavoirledroitdeprofiterdemajeunesse.L’espaced’un
instant,j’aioubliécequeçafaisaitd’êtreinsouciant.Je torture Mia quelques minutes encore, jusqu’à ce qu’elle me supplie
d’arrêter,puisnousnouslaissonstouslesdeuxtombersurlelit,essoufflésetheureux.—Tuasbiendormi?— Tu sais que je pourrais porter plainte pour violence conjugale ?
s’insurge-t-elleenmedonnantuncoupdans l’épaule.J’enaiencoremalauxcôtes!— Veuillez m’excuser, miss Hope… Comment pourrais-je me faire
pardonner?Elleréfléchitquelquessecondespuisprendunpetitairsupérieurenarquant
lessourcils.—Jeveuxunmassagedespieds,unbainavecdelamousseparfuméeàla
violette,desnuggetset…unchaton.—Unchaton?—Parfaitement,unchaton.— C’est hors de question. Je refuse que tu donnes plus d’affection à un
animalqu’àmoi,j’auraistroppeurd’êtredélaissé.Elleéclatederireet roulesur leventreavantdes’appuyersursamainen
mesouriant,autantattendriequ’amuséeparmacomédie.—J’enconnaisunquiestpossessif,ici,murmure-t-elle.―Uniquementlorsqueçateconcerne.C’estparcequejesuisincontestablementamoureuxdetoimaisquejesuis
incapabledeteledire.—Trèsbien,pasdechatonalors,maissachequejenetedélaisseraijamais.
Jet’aimetroppourça.Je l’attireversmoiet l’embrassede toutmoncœuren songeantque jene
comprendrai jamais pourquoi cette fille m’aime à ce point. Pourquoi ellem’aimetoutcourt,enfait.—Queveux-tufairecesoir?C’estnotredernièresoiréeavantmondépart.—Çam’estégal.Jeveuxseulementresteravectoijusqu’àquetut’enailles.Ellesourittristementàl’évocationdemondépartetserremamaindansla
sienne,commepourmerassurer.Ilfautcroirequ’elleestplusfortequemoiparce que jeme sens abattu de la quitter après si peu de temps. Je veux que
chacune de nos minutes ensemble soit exceptionnelle. Animé par une idéesoudaine,jemelèveetluidis:—Viens,j’aiquelquechosepourtoi.J’enfileunbasdepyjamaetluilanceuntee-shirtavantdelaprendreparla
main et de lamener dans la cuisine. J’attrape une grande boîte à chaussurescachéeau-dessusdesplacardsetladéposesurlebarensoufflantdessuspourenleverlapoussièrequilarecouvre.Cetrucestlàdepuistoujoursetjel’avaispresqueoublié.JepensequeçaplairaàMia.C’estlaseulechosequej’aigardéedemonanciennevie:untourne-disque.
J’ai toujours aimé lamusique, je l’avais acheté chez un antiquaire avecmespauvreséconomiesetjel’avaisemportéavecmoienquittantmafamille.Lorsque je soulève le couvercle, Mia laisse échapper une exclamation
étoufféeetregardeletourne-disqueavecdesétoilesdanslesyeux,visiblementexcitée,puisletoucheduboutdudoigt.Ondiraituneenfant,etc’estdansdesmoments comme celui-là que je réalise que la jeune fille à peine sortie del’adolescencesecacheencorederrièrelajeunefemmemature.—Onvavoirs’ilfonctionneencore,jedéclareensortantletourne-disque
delaboîte.Il est en assez bon étatmais ça fait tellement de temps que je ne l’ai pas
utilisé que je ne suis pas sûr qu’il marche. Je prends une autre boîte sur leplacardetj’ensorsundisquevinylequejedéposedélicatementsurletourne-disque.—CommençonsparcettebonnevieilleArethaFranklin.LorsqueYoumakeme feel like a naturalwoman débute,Mia saute de joie
avantdefermerlesyeuxetdesavourerlesonfabuleuxquisortdel’appareil.J’ai beau chercher, je neme souviens pas avoir vu quelque chose d’aussi
beauqueMiaquifaitondulersoncorpsaurythmedelachanson,vêtued’unsimpletee-shirt.Ellelèvelesyeux,s’approchedemoietmemurmure:—Danseavecmoi.
Chapitre8
Mia
Il hésite et je peux voir le doute sur son visage, mais je ne le laisse pasréfléchirdavantageetsaisissamainpourletirerversmoi.—Mia,jenesaispasdanser…proteste-t-ilfaiblement.— Je vais t’apprendre, ça n’a rien de compliqué, il faut juste suivre son
cœur.Ilsoupiremaisselaissefaireententantdesuivremespas.Jenedansepas
particulièrement bienmais je parviens à posermes pieds en rythme avec lachanson. Je place une de ses mains sur ma hanche et nous déambulonslentementdanstouteslespiècesdesonappartement,lesyeuxdanslesyeuxetnos cœurs l’un contre l’autre. Il m’écrase plusieurs fois les pieds au départmaisfinitparsaisirleconcept:suivresoncœur.Bientropvite,lachansons’achèveetnousclôturonscetinstantmagiquepar
unbaiserpassionné.—Tuvois,tunet’ensorspassimal,finalement,jemurmureensouriant.—Oui…Enfinjet’aitellementécrasélespiedsquejevaisdevoirtelefaire,
cemassage.Pourmefairepardonner.Jeluioffreunsourirerayonnanttandisqu’ilretireledisquedelamachine
quigrésilletoujoursavantdeselaissetomberdanslecanapé.Jem’installesurses genoux et me compose un air légèrement inquiet en le regardant avecinsistance.—Qu’est-cequ’ilya?medemande-t-il.— Eh bien… Je me demandais quand est-ce que tu comptais aller me
cherchermesnuggets.Il éclatede rire en secouant la tête. J’aimebien le taquinermais je fais ça
aussipourm’éviterdedéprimerenpensantànotreprochaineséparation.—Tuesirrécupérable.—Jesais.
Etc’estpourçaquetum’aimes.—Jevaisteleschercher,tesnuggets,enattendantjetelaissechoisirlefilm
etpréparerlecanapépournotresoiréedesuperflemmards.Jememetsàlarecherched’unDVDdanssabibliothèquependantqu’ilvase
changer. Lorsqu’il sort de la chambre vêtu d’un jean et d’un sweat-shirt àcapuche, beaucoup trop sexypour une simpleviréenuggets, je soupire et leregardedehautenbas.Jemesensdevenirjalouseetjen’aimepasdutoutça.—Qu’est-cequ’ilyaencore?demande-t-ilenriant.— Comment est-ce que je suis censée te faire confiance alors que tu
ressemblesàunfoutumannequin?Situtefaisdraguer,ilvautmieuxpourtoiquejenel’apprennepas…—Etmoiquicroyaisêtreleplusjalouxdenousdeux…Il s’approche de moi et m’embrasse tandis que je sens mon corps
s’embraser. S’il continue comme ça, je risque de ne jamais le laisser partir.Avecunpetitsourireencoin,ilfinitpars’écarteretsortdel’appartement.Quelques minutes plus tard, Colin revient, armé d’une grande boîte de
nuggets et d’une importante sélection des sandwiches de la carte. Si je neprendspasaumoinstroiskiloscesoir,celarelèveradumiracle.— Je connais ta passion pour la malbouffe alors je ne voulais pas te
décevoir, lance-t-il avec ironie en se jetant à côté demoi sur le canapé. Parcontre,tuauraispufaireuneffortsurlefilm…—Tum’asconfiélatâchedelechoisiralorsneteplainspas!—Sij’avaissu…—Titanicestunfilmmagnifique,tunecomprendsrienàlabeautéde…—Labeauté,mecoupe-t-ilenposantundoigtsurmeslèvres,c’estpouvoir
contemplertoncorpsnuautantquejelepeux…Moncœurpalpite.Ils’approchedemoi,savoixestplusbasse,plusdouce,
plusenvoûtante.Latempératureambiantegrimpesoudaindeplusieursdegrés.—Labeauté,c’estpouvoircaressertapeausansretenue.Ilpasseunemainsurmajoueetlafaitglisserlelongdemonbrasjusqu’à
atteindremahanche.—Labeauté,c’estpouvoirembrasserteslèvres,engoûterlasaveur…L’ambianceachangédutoutautout.Laseulechosequejerêvededévorer
désormais,cesontseslèvressiprochesdesmiennes.
—…etpouvoirtefairel’amour,encoreetencore…C’estlaphrasedetrop.Jel’attrapepresquebrutalementetl’attireàmoipour
l’embrasseravecfougue.—Notre repasva refroidir…souffleColinensouriantentredeuxbaisers
enflammés.Jenerépondspasetm’accrocheàlui,passantetrepassantmesmainsdans
sescheveux.— J’ai horreur des frites froides… murmure-t-il à nouveau, sans pour
autantmelâcher.J’écrase une dernière foismes lèvres contre les siennes puis, après avoir
rassemblélepeudevolontéqu’ilmereste,jemedégagedesonemprise.Colinest aussi essoufflé quemoimais il semble plutôt amusé parma réaction. Ilparvientvraimentàmerendrefolleenunephraseoudeux.—Bonappétit!jelanceenattrapantunpremiernugget.
Lelitestvide.JepousselacouetteàmespiedspuisregardeautourdemoimaisColinn’estpaslà.Hiersoir,nousnoussommesendormisdanslesbrasl’undel’autreaprèsavoirunpeudiscutémaisj’étaisbouleverséeàlapenséeque c’était notre dernière soirée ensemble. Je crois que je me suis un peusurestiméeencroyantpouvoirsupportersifacilementsonabsence.Jem’apprêteàmeleverlorsqueleclaquementdelaported’entréemefait
sursauter.Colinapparaîtquelques secondesplus tard, en tenuede sport et ensueur.Ilesttoutsimplementirrésistible.— Bonjour toi. Bien dormi ? me demande-t-il en déposant un baiser sur
monfront.―Oui,commetoujoursdanstesbras.Ilsourit.— Je t’ai rapporté unmuffin à lamyrtille, comme tu les aimes, dit-il en
déposantunsachetsurmesgenoux.—Ohmerci!Je le déballe et mords immédiatement dedans, sous le regard amusé de
Colin.Ilretireensuitesontee-shirttrempédesueuretsedirigeverslasalledebain, me laissant le loisir de contempler son dos nu et luisant. J’en oublie
mêmemonmuffinpendantquelquessecondes,c’estpourdire.Je profite de sa courte absence pour lui préparer à mon tour un petit-
déjeuner–bienqu’il soitdéjà tard–,quicomprenduncaféetdescrêpes. Jesaisquelesaméricainsapprécientlacuisinefrançaiseetj’aienviedeluifaireplaisirpoursondernierjourici.—Ondirait quemamerveilleuseLady a tout préparé,murmureColin en
m’enlaçantalorsquejemetslatable.—Pourvousmonsieur,toujours.Jepivoteetmedressesurlapointedespiedspourl’embrasser,plaquantma
poitrine contre son torse nu. Il est uniquement vêtu d’une serviette, commetoujoursensortantdeladouche,etjemeursd’enviedelaluiretirer.C’estd’ailleurscequejefais.Je ne le quitte pas des yeux tandis que la serviette tombe à ses pieds,
dévoilantàmongrandplaisir lapreuvedesondésirpourmoi.Saproximitégrisantemerendfollementamoureuse,follementinsatiable,follementsienne.Jel’aimetellementquejen’arrivepasàdétachermonregarddesesyeuxquireflètentsonamourpourmoi.—Tueslameilleurechosequimesoitjamaisarrivée,chuchote-t-ilcontre
meslèvres.—Jet’aime.Il n’est pas très difficile de deviner à quoi nous avons occupé la dernière
partiedenotrematinée…
Chapitre9
Colin
J’ai encore été réveillé par un cauchemar ce matin. Le réveil indiquaitseulement5heuresmaisjesavaisquejen’arriveraispasàmerendormir.Cettefois,jen’aipasrêvédelamortdeConradmaisdecelledeMia.Jelavoyaisétenduesurun litd’hôpitalentre lavieet lamort….Celasemblaitsi réalisteque j’avais l’impression de pouvoir la toucher, de caresser sa peau glacéetandisquemoncœurgelaitdansmapoitrine.Pourmesortircesimagesdelatête,jesuisallécourirenprenantsoindene
pas réveiller Mia en partant. Quand je suis rentré, nous avons déjeunéensemble,maispasavantdenousêtreéclipsésdanslachambrepourprofiterl’undel’autre…Elleestmaintenantétenduecontremoitandisquejecaressesescheveux.―J’aimeraisteparlerdequelquechose,dit-elletoutàcoup.Aïe,çac’estgénéralementmauvaissigne.Pourtant,d’aprèssonexpression
décidée et teintée de mélancolie, je ne perçois pas un danger du style«Désolée,maislesrelationsàdistancecen’estpastropmontruc».Jesaisissamainetmeredressetandisqu’elles’assiedsurlelit.— Tu me fais peur là… je déclare en guettant le moindre signe sur son
visage.—Détends-toi, répond-elle en souriant. Je veux juste te raconter quelque
chose.Sestraitssedurcissentlégèrementetsonairsefaitplussombre.—Pourcommencer,ilfautquetusachesquecequejem’apprêteàtedire,
jen’enaijamaisparléàpersonne.Elleglisseunemèchede cheveuxderrière sonoreille et fixeunpoint au-
dessusdemonépaule,lesyeuxdanslevague.— Mes parents ont divorcé lorsque j’avais treize ans. Jusque-là, rien
d’extraordinaire,maisçaaétéunchocpourmonfrèreetmoi.Etplusencorepourmamère.
Elle rit amèrement, comme si elle avait à nouveau treize ans et qu’ellerevivait cette période sombre de sa vie. Je suis curieux mais étrangementeffrayéd’entendrelasuite.— Il n’y avait jamais eu aucun différend entre mes parents, ils s’étaient
toujours trèsbienentendusetsemblaientamoureux l’unde l’autre…Pasuneseulefoisjenelesaivuséleverlavoixousedisputer.Elle triturenerveusementsesdoigts,mordilleses lèvresetnequittepas le
murdesyeux,commesisavieyétaitprojetée.— Quand mon père a subitement demandé le divorce, ma mère était
dévastée. Moi, je ne comprenais pas vraiment, je n’en saisissais pas lecaractèredéfinitifetj’étaistropnaïvepourcomprendrequejenereverraiplusjamaismesparentsensemble.Mamèreétaitbrisée.Monpèreestpartidujouraulendemain,ellel’aimaitautantquejet’aimetoietil luiabrisélecœurens’enallant.Autantqu’ellem’aime…Jecroisquejenemelasseraijamaisdel’entendre
direça.Ellepoursuit:—Mamèreaconsentiàcontrecœuraudivorce.Ellen’avaitpasvraimentle
choixdoncelleasigné.Chadetmoin’avonsjamaissularaisondecedivorcebrutal,mamèreatoujoursrefuséd’enparler.Jevivaisdansl’ignoranceetledoute,j’avaisl’impressiond’avoirétédélaisséeetj’envoulaistellementàmonpère ! Il avait détruit le pilier sur lequel j’avais bâti ma vie, tout s’étaitvolatiliséaveclui.Endivorçantdemamère,ilaaussidivorcédesesenfantsetça… je n’ai jamais réussi à le lui pardonner… Jusqu’au jour où j’ai trouvécettelettre.Mia prend une grande respiration et ferme brièvement les yeux, comme
pourretenir les larmesquimenacentdecoulersursonvisagemarquépar latristesse.J’aibeauavoirmalpourelle,jenesaispasquoifairepoureffacersadouleur.—Mamèrem’avaitdemandédeluirapporterquelquechosedansletiroir
de sa coiffeusemais en cherchant, tout ce que j’ai trouvé c’est… c’est cettefoutuelettre.Çafaisaitunanquemonpèrenousavaitquittésetj’aivuencettelettremon ultime espoir de comprendre. Je l’ai lue. En réalité, il demandaitpardonàmamère,encoreetencore,deluiavoirmentidurantplusdequinzeans…parcequ’ilétaithomosexuel.Oh merde. Je m’attendais à tout sauf à ça. Infidélité, maladie, problème
d’argent… Tout, mais pas un mensonge aussi énorme. Mia respireprofondémentetpoursuitsonrécit.
—J’étaissouslechoc,jesuispartiedelamaisonetj’aimarchédesheuresdurant, au hasard, pour faire taire ma peine. Je voulais oublier, effacer madécouverteetneplusjamaisypenserànouveau.Monpèren’étaitpasceluiqueje pensais, je me sentais trahie et trompée, tout comme devait se sentir mamère…Jenesaispasquoidire.Jenesuispaschoquéparlefaitqu’ilsoitgay,mais
plutôt parce qu’il a pu passer tant d’années aux côtés d’une femme pourréaliserquinzeansplustardqu’ilfaisaitenréalitépartiedel’autrebord.—Lorsquej’aifiniparrentrerchezmoi,jen’enaipasparléàmamèreetje
n’ai rien dit àmon frère, qui ignore toujours le secret demonpère.Ça faitcinqlonguesannéesquejelegardeaufonddemoi.Ses yeux brillent mais elle semble maintenant davantage en colère que
peinée.—Jepréfèrequemonpèresoitgayplutôtqu’infidèleoumalade.Qu’est-ce
que ça change pour moi ? Rien.Mon seul regret est de ne pas avoir eu lachance de le connaître davantage. J’ai tenté de le retrouver mais il étaitinjoignable etmamèrea toujours refusédem’aiderdansmesdémarches. Ilpourraitêtremort,jenelesauraismêmepas.Ellemeregardeenfindanslesyeuxetesquisseunpetitsouriredésolé.—Tuvois,c’estplutôtsinguliercommehistoire.Sa petite voixme fait sourire. Je passe unemain sur sa joue et embrasse
doucementsespaupières.—Tout,cheztoi,estsingulier.Maistun’aspasàenavoirhonte,c’estune
force.Tusais,jepensequesitonpèreacoupélesponts,c’estparcequ’ilavaitpeurdevousdécevoiroud’êtrerejetételqu’ilétait.—Mais pourquoi ? s’écrie-t-elle. Parce qu’il est gay ? Jem’en fous ! Je
l’aimaiset l’amournedisparaîtpasenunclaquementdedoigts.Nousétionscomplices,beaucoupplusquejenelesuisavecmamère.Etiladécidédenousabandonner…Maisjecroisquej’enveuxaussiàmamèredenousavoircachélavérité.Sijen’avaispasdécouvertcettelettre,jenel’auraisjamaissu,etça,jenepensepaspouvoirluipardonnerunjour.J’auraistellementaimérevoirmonpèreaumoinsunefois,rienquepourluidirequejel’aimepeuimportelesraisonsdesondépart.Jerestesilencieux,fautedemots.J’ignorecommentj’auraisréagiàsaplace
maisjesuissûrd’unechose:j’auraisinfinimentpréféréavoirsonpèreplutôtquelemien.
Je suis sincèrement touché qu’elle m’ait raconté cette histoire qu’ellerefusait auparavant d’évoquer. C’est pourmoi une vraie preuve d’amour. Jel’attrapeetlaserredansmesbrasenembrassantsonvisage.Ellemesouritpuisresserresonétreinteautourdematailleavecsesjambes
etm’embrasse passionnément.Bien vite, nous nous retrouvons à rouler l’unsurl’autresurlelitenriant,insouciants,etjeréalisequequitterànouveausesbrasseralachoselaplusdifficileaumonde.
Le temps passe trop vite àmon goût. Les heures ont filé et nous sommesdéjàenmilieud’aprèsmidi.Miaetmoiavonsprofitéde laprésence l’undel’autre dans le lit, à nous embrasser et à discuter, puis il bien fallu que jepréparemesaffaires.Monaviondécolleà17h40maisjem’efforcedenepasypenser,çameprovoqueunesensationdésagréabledanslapoitrine.C’est la première fois depuis toutes ces années que j’éprouve l’envie de
quittermonmétier pour une femme. Enfin, ça n’est pas juste une femme, ils’agit de Mia, celle que j’aime, la seule et l’unique. Elle est déjà prête etm’attendentâchantdefairebonnefigure,mêmesielleestvisiblementabattue.—Toutestprêt?Tun’asrienoublié?medemande-t-elle.—J’aitoutcequ’ilmefaut…àparttoi.Jelaprendsdansmesbrastandisqu’elleposesatêtesurmapoitrine.—Tumemanquesdéjà,murmure-t-elleenmeserrantdetoutessespetites
forces.—Moiaussi,maisjet’appelleraidèsquepossibleetonpourraaussisevoir
surSkype.Etpuisjesuissûrqu’unefoislà-basjetrouveraiuntasdechansonsàtefaireécouter.Ellerittristementetembrassemontorseavantdes’écarterpourmettreson
manteau. C’est le moment parfait pour lui dire que je l’aime, que je veuxpasserlerestantdemesjoursavecelleetquejamaisjenepourraiendésireruneautre…maislesmotsnesortentpas.Jet’aime,Mia.C’estpourtantpascompliqué.Avantquej’aiepudirequoiquecesoit,ellemesouritetouvrelaporteen
medevançant tandisquenousquittons l’appartement.Letrajetsefaitdansundouloureux silence.Mia ne prononce pas unmot, se contentant d’écouter laradio en laissant une expression de mélancolie se dessiner sur son visage
pensif.Je n’avais jamais eu à dire au revoir à qui que ce soit avantmais, depuis
notrerencontre,j’ail’impressiondenefairequeça.Celafaitdéjàtroismoisquenousnoussommesvuspourlapremièrefois,danscebaroùellejouaitdupianoetoùjevenaismesaouler…Commed’habitude, l’aéroportestbondé.Unefoisenregistré, jeproposeà
Miad’attendrel’heurededépartdanslacafétéria,histoiredenousdétendreunpeu.Maiscelaneladéridepas,ellefixesonthésansleboireetnemeregardepas,endépitdemeseffortspourlarassurer.Jem’enveuxdelafairesouffrirmaisjen’aipaslechoix.Jeprendssamainpar-dessuslatable.—Jeneparspasenguerre,d’accord?Jeseraiseulementunpeuloinmais
toujourslà,avectoi,d’unecertainemanière.Jeluioffreunsourireauquelelleneparvientpasàrépondre,cequinefait
que me culpabiliser davantage. Une voix désincarnée appelle alors lespassagers à destination de Colorado Springs. Le visage de Mia s’affaisseaussitôtetmonsourires’envole.Ilesttempsd’yaller.Nousnouslevonsetavançonslentement,maindanslamain,dansl’espoirde
gagnerencorequelquesminutesensemble.C’esttropdifficileàsupporter.Unefoisdevantleportiquedesécurité,elles’arrêteetjelacontempletandisquesalèvreinférieuresemetàtrembler.Jepasseunemainsursajoueetm’imprègnede la beauté de son visage, puis elleme saute au cou et s’y accroche enmeserrantdetoutessesforcescommepourmeretenir.Etjelutte,jeluttevraimentfortpournepascraquer,pasmaintenant,pasici,malgréladouleurquiétreintmapoitrine.Jecaressesescheveuxetembrassesonvisagepartoutoùjepeuxposermeslèvres.― Je t’aime, Colin, plus que tout au monde, chuchote-t-elle dans mon
oreille.Elleprendmonvisagedanssesmainsetjenoussurprendstouslesdeuxen
répondant:―Idem.
Chapitre10
Mia
Idem.Idem.Idem.Ilm’aime.Ilabeaunepasavoirditlesmots«jet’aime»,ilmel’aconfirmé
etc’estbiensuffisant.Jenem’attendaispasàentendreçaunjouretc’estplusquejen’osaisespérer.Depuis son départ, je ne vais finalement pas si mal. J’ai compris que je
devaisabsolumentrelativiserpouréviterdesombrerdansladéprime,etpuisje suis plutôt moche quand je pleure alors autant m’éviter des souffrancesinutilesenvoyantmonreflet.Je sais ce qu’ilme reste à faire : ne pas broyer du noir et consommer le
maximumdesucre.Jecroisquec’estlameilleuresolution,entoutcasc’estlaseule qui marche réellement. Ce qui m’aide aussi à tenir le coup, c’est desavoirquecemanquealimenteraetrenforceranotreamour.Nosretrouvaillesn’enserontqueplusmémorablesencore.J’enprofiteégalementpourmeconcentrersurmesétudesquej’avaisunpeu
délaisséesdepuisleretourdeColin.Cettejournéedecoursaétééprouvante,j’aibeaucoupdechosesàrattraper.
Je rentre chezmoi avec une envie irrépressible deme jeter dansmon lit enm’empiffrantde tout cequime tombe sous lamain.Mais lorsque jepénètrechezmoi,cequejevoismepétrifiesurplace.Amber,nue,entraindes’adonneràdesactivitésrécréativesavecmonfrère
qui,Dieumerci,estcachéparledossierducanapé.Cettevisiond’horreurestheureusementinterrompueparAmberquim’aperçoitetbonditducanapé.—Mia!—Nonmaisçanevapas?!—Çava,Aim, relax, tum’asvu fairepire, ricanemonabrutide frèreen
enroulantundrapautourdesataille.—Maisvousn’avezpasdechambrepourça?Ambernesaitvisiblementplusoùsemettremaismonfrèresembleplutôt
amuséparcetincident.—Onestvraimentdésolés,onpensaitqueturentreraisplustard…s’excuse
Amber.—Çava,j’aicompris,jemarmonneenmontantdansmachambre.Oublieceque tuviensdevoir,oublieceque tuviensdevoir.Jeme laisse
tombersurmonlitetfermelesyeux.Heureusement,jesuisbienviterattrapéeparlapenséedeColin,troploindemoi.Jerefusedemelaisserfaireparmesémotions etm’empare demonportable pour voir si j’ai reçu desmessages.J’enaiun,deColin.Can’thelpfallinginlove.Il tient sa promesse, en m’écrivant et en m’envoyant tous les jours des
chansons à écouter.Envoyant le titre de celle-ci, je nepeuxm’empêcherdesourire d’un air idiot. Idiot mais follement amoureux. En quelques clics, jemets lachansonenrouteetellemedétend,mefaisantoubliermatristesseetmonmanque,aumoinspourunmoment.Moinonplus,jenepeuxpasm’empêcherdetomberamoureusedelui.
Boum.Boum.―Mia!Boum.—Mia,réveille-toi!Quelqu’un me secoue brutalement par l’épaule. Lorsque j’ouvre les
paupières, la lumièrem’aveugle et je parviens difficilement à reconnaître lasilhouetted’Amber.—Qu’est-cequiteprend,Amber?—C’estColin…Mesyeuxs’habituent,jedistinguemieuxsestraits…etcequej’aperçoisme
glace le sang. Baigné de larmes et torturé par la tristesse, son visage est laréponseauxquestionsquejen’osaispasmeposer.Lapeurmepétrifieaussitôt.—Quoi?—Ilestmort,Mia!Ilestmort!Non.Impossible.Moncœurcessedebattre,mesmainssemettentà trembleret jesensmon
corpsm’abandonner.Leslarmescommencentàruisselersurmonvisage.
Sanslui,jenesuisplusrien.NON!
J’ouvrelespaupières.Jesuisbrûlantedefièvreetruisselantedesueur.Uncauchemar.Je reprends doucementma respiration etm’assieds lentement surmon lit,
chambouléeetlecœurauborddeslèvres.C’estlapremièrefoisquejefaisunrêve aussi réaliste, et surtout aussi terrifiant. Il est 4 h 52mais, sansmêmeréfléchir,j’attrapemonportableetjecomposelenumérodeColin.—Mia?Je soupire de soulagement. Entendre sa voix me permet déjà de mieux
respirer.—Çava?Qu’est-cequisepasse?Savoixendormietrahitunecertaineinquiétudequimepousseàlerassurer
immédiatement.—Rien,je…Jesuisdésoléedet’appeleràcetteheure…J’aisimplementfait
unstupidecauchemar.—Jesaiscequec’est.Tuveuxmeraconter?—Non,jevaistelaisserterendormir,jesuisdésoléedet’avoirréveillé.—Arrêteça,tunemedérangesjamais.Est-cequetuasécoutémachanson?Jesouris.Biensûr,jel’aimêmegoûtée,jel’airessentie…—Oui,etjel’aiaiméedetoutmoncœur.MerciColin.— Il n’y a pas de raison de me remercier. Tu devrais essayer de te
rendormir,maintenantquetuesrassurée…—Jen’aipasenviederaccrocher.— Alors ne raccroche pas, je vais rester là avec toi jusqu’à ce que tu
t’endormes.— D’accord… je chuchote en me sentant sombrer à nouveau dans le
sommeil.Jet’aime,Colin.—Idem,Mia.Je crois qu’ilme dit autre chose,mais je suis tellement épuisée que je ne
l’entendsplusetjem’endors,apaisée.
Amber n’a pas arrêté de se confondre en excuses à cause de ce qui s’estpasséavecmonfrère.J’aidûluirépéterencoreetencorequecen’étaitrien,maiselleparaissaitquandmêmeeffroyablementgênée.Mesjournéessuiventlamêmepetiteroutinequis’estinstallée.Aprèsavoir
déjeunéavecnotrebanded’amis,Amberestpartierendrevisiteàsesparentsetje suis rentrée à la maison, seule et pensive. Mon amitié avec Andrew seconstruit doucementmais sûrement, c’est ungars respectueux et droit.Colinmemanque tellementque jem’attendsparfois à le voir arriver dans sa Jeeppourm’emmenerenpromenadequandjesorsdel’université.J’ai l’impressionquequelquechoseenmoimanque,qu’unepartiedemon
corps me fait défaut. C’est comme perdre un membre, ou pire, perdre sonproprecœur.Colinmemanqueterriblement.Une fois chez moi, je tente de me concentrer sur mes révisions, ce qui
s’avère être beaucoup plus compliqué que je ne le pensais.Colin hantemonespritetj’aidumalàpenseràautrechose.Peut-être que je devrais m’occuper pour éviter d’exploser. À défaut de
pouvoirluidiretouthautcombienjel’aime,jevaisluienvoyerunechansonqui lediraàmaplace.Cepetit jeuentrenousme faitdubien, ça rendnotrerelationunique.Makeyoufeelmylove.J’envoielemessagepuismelaissetomberdansmescoussins,étrangement
joyeuse.J’espèrequ’ilaimeracettechansonetlemessagequ’elletransmet;letitreparlepourlui-même.Ça peut paraître paradoxal mais je n’ai pourtant jamais cru au prince
charmant. C’est une légende. S’il existait, l’une d’entre nous l’aurait déjàrencontré.MonColinn’ariend’unprincecharmant,ilestparfoisgrossieretimmature, incroyablement insatiable et parfaitement imparfait. Son passé lerendplussombreetprofondencore,etjecroisquec’estjustementcequiluidonnecepetitcôtéinsaisissable,impossibleàcerner.Jel’aimepourtoutescespetites imperfections que je trouverai probablement un jour insupportables.J’aime qu’il jure chaque fois qu’il perd patience, ce qui arrive très souvent,j’adorelamanièredontilmeregarde,commesij’étaislaplusbellefemmeaumonde, j’aimequ’ilm’embrasse fougueusement… J’aime tout ce qui fait delui mon prince charmant à moi, dont je suis tombée inconditionnellementamoureuse.
Etça,pourêtretombée,jemesuisbienramassée!Tomberamoureuxestunterme bien étrange, quand on y pense. On tombe amoureux de la mêmemanièredontontombedansunpuitssansfond.Ledépartnouseffraie,ilnousfait si peur qu’on a le souffle coupé et que notre cœur nous abandonne.Onignore ce qui nous attend à l’arrivée, si l’on va s’écraser ou atterrir sur unnuage… à moins qu’il n’y ait jamais d’arrivée. Ce grand saut peut durerjusqu’à l’infini, on ne s’en soucie plus vraiment parce que ça nous rendtellementlibreetheureuxqu’onsesentpousserdesailes.Onselaissetomberencoreetencore,onécartelesbrasetoncriedejoie,à
cetinstantonsefoutdecequinousattendàl’arrivéeparcequelevoyage,toutcommelejeu,envautlachandelle.VoilàcequejeressenslorsquejesuisavecColin.Jetombeinlassablement
amoureuse. Reste à savoir si ma chute durera ou si, au contraire, jem’écraseraiàlafinenprenantconscienced’avoircommisunegrosseerreuren sautantdans ce foutupuits.Mais je sais que, peu importe l’issuedenotrehistoire,jeneregretteraijamaiscettechuteincroyable.
Ain’titfunnythatyoumanagedtojustwashawayEvenpicturesthatyou’renotinhavestartedtofadeItrytoplaymyfavoritesongs,butIcan’tsingalong
Thewordsdon’tfeelthesameYou’vetakenallthebestthingsfrommeandthrownthemaway
YouknowIusedtopaintsuchvibrantdreamsnowI’mcolorblind,
colorblindWhendidmyheartgetsofullofnevermind,nevermindDidyouknowthatyoustoletheonlythingIneededAlwaysblackandwhiteinmyeyes,I’mcolorblind
Chapitre11
Colin
MesjournéessansMiasesuiventetseressemblent.Iln’yapasseulementdel’ennuimaisaussidumanque,endépitdemesentraînementsintensifsetdelaconcentrationquecelanécessite.Jepassemontempsàmedemandercequ’ellepeutbienfaire,siellepenseàmoi…Uneréelletorture.Quant à mes nuits… Sans elle, elles sont terribles. J’ai le désagréable
sentimentdemanquerdequelquechosedetropimportantpourpouvoirm’enpasser.Enmeréveillantlematin,jesuissouventexténuéetmesyeuxmefontunmaldechien.J’aiplutôtintérêtàboiredeuxlitresdecaféavantdepiloter.Jenevoudraispasmetuerenm’endormantenpleinImmelmanninversé.Pourfairecourt, jepassetoutmontempslibreàchercherunmoyendene
plus penser à Mia, entre les entraînements, les courses et les exercices.HeureusementilyaMatt,etjedoisbienavouerquesanslui,l’absencedeMiaauraitétébeaucoupplusdifficileàsupporter.Ilfautdirequ’ilena,deschosesàraconter:sesplanscul,sesplansculet…ahoui,sesplanscul.Ilneparlequedeça.C’est étrange comme vingt-trois ans de vie peuvent me sembler
insignifiants, dérisoires, que jusqu’ici rien n’ait pu me donner goût àl’existence.Ilm’afallu toutescesannéespour trouver lemoteurdont j’avaisbesoinpourenfincommenceràvivre.Maintenantquejesuisparti,plusriennepeutm’arrêter.Plusriensauflamort.Je ne voyais pas tout ça avant puisque je n’avais pas trouvé la bonne
personne,oudumoinsjenel’avaispascherchée.Maismaintenantquejel’ai,jenecomptepluslalaisserpartir,jel’aimeàenmouriretjeferaitoutpourlagarderprèsdemoi.Jeluidonneraimavies’illefaut,puisqu’ellepossèdedéjàmoncœuretmonâme.Prisd’unesoudaineinspiration,jesaisismonportableetrédigeunmessage.
Ilestbrefmaisilveuttoutdire.TearinmyheartJe sais qu’elle reconnaitra cette chanson puisqu’il s’agit de l’un de ses
groupespréférés.Unefoislemessageenvoyé,jeregagnemachambreavecunsourireidiotauxlèvres.J’essaiedem’endébarrasserpournepasm’attirerdesmoqueriesdelapartdemescollègues,maisrienàfaire, ilvientducœur.Jesuisbeletbienfoutu.—Alors,qu’est-cequ’elleadespécialcettefille?—Lâchel’affaire,Matt,jesoupireencontemplantlafuméedemacigarette
s’estomperdanslecielnoir.Commechaquesoir,Mattetmoisommesassissurcebancprèsd’unvieux
lampadaire,discutantdetoutetderien,commedevieuxfrères.—Elle t’a transforméengrandromantique, j’aibien ledroitdesavoirce
qu’elle a fait duColinCarter sansmorale que je connaissais depuis six ans,non?Jesoupire,résigné.Jeleconnaisparcœuretjesaisqu’ilnevapaslâcherle
morceau.―Jenesaispasquoitedire…Elleestmagnifique,autantàl’intérieurqu’à
l’extérieur.Quandjesuisàcôtéd’ellej’aiparfoisl’impressiond’êtreunpeuidiot, parce qu’elle est tellement douée dans tout ce qu’elle fait que çam’aveugle.Maisenmêmetemps,onnepeutpassesentirinférieuràsescôtésparce qu’elle est trophumble et bourrée d’humilité. Si tu la voyais jouer dupiano…C’estun trucdedingue.Elleaaussiunecertaine innocence,unpetittrucuniquequilarendtellementplus…elle.Jereprendsmesespritsetm’éclaircislagorge,soudainementgênéparma
longuetirade.Mattmedévisagecommesiuneseconde têtevenaitdemepousser sur les
épaules.Pouréviter son regard, je tire surmacigaretteet recrache la fuméedanslanuitnoire,attendantqu’ilréagisse.—TuesdevenufouColin,finit-ilpardireaprèsunlongsilence.Jepeuxle
voirdanstesyeux,tuesàfondmaistunesaispasencorequetuvassouffrir!Tusaistrèsbienquetunepourrasjamaisavoirderelationstableàdistance.Tulesavaisent’engageant.C’estdesconneriestoutça,çanetientpas!Tucroisvraimentqu’ellet’attendrapendantquetuserasàl’autreboutdumonde?Tunecroispasqu’ellevase lasser, sesentirabandonnéeetqu’elle finirapar teremplacer?Épargne-toitoutescessouffrancesetoublie-la.—Impossible,jemurmured’untoncalmeenécrasantmacigarette.Detoute
façonc’estfoutu,jesuistropattachéàellepourpouvoirmettrefinàtoutça.Et
puis,quisait,peut-êtrequ’onarriveraàtenir.Mattne répondpasmais je saisqu’il reviendraà lacharge trèsbientôt. Je
saisbienqu’ilaraison,quenotrehistoireapeudechancedetenirlecoupfaceàmonmétieretladistance…Maisjecroisquenouspouvonsêtrel’exceptionàtouscescouplesquiontéchoué.J’aifoiennous.Une fois étendu sur mon lit, seul et tranquille, je saisis mon portable et
m’apprêteàappelerMia lorsqu’il semetàvibrerentremesmains.Àcroirequ’elleasenticequej’allaisfaire.—Bonjour,missHope…
Chapitre12
Mia
Mes journées sont terriblement similaires. Je vais en cours et passe majournée avec Amber, nous rejoignons Andrew au déjeuner. Le soir, je meretrouve souvent seule et j’enprofite pour lire unbouquin en écoutant de lamusique. J’oublie parfois de dîner, malgré les avertissements de Chad etAmber.C’estvraique jedevraisprendremieuxsoindemoi,endépitdufaitqueColinnesoitpaslà,maisjen’yarrivepas.Leseulmomentdebonheurdemajournée,c’estlorsquej’entendssavoixetquejepeuxluidirecombienjel’aime ; jenem’en lassepas. Je rêvede levoir, j’ai l’impressiondenepluspouvoirmepasserdelui.Çafaitdéjàunesemainequ’ilestpartiet,silemanquepersistetoujours,la
douleurcommenceàs’atténuer.Unpetitpeu.JedoisçaauxméritesdeSkypeparcequemêmesijenepeuxpasletoucher,jepeuxaumoinslevoiretçan’apasdeprix.Nousdiscutonsdesheuresdurant,nousrionsensemble…etilmeditidem.
Notreamournesemblepastropsouffrirdeladistancepourlemoment.Maisest-ce que tout ça pourra durer ?Aujourd’hui tout est frais, tout est beau etparfait,maisdansdeuxans,cinqans,est-cequeçaserapareil?Jecrainsquetoutnefinissepars’éteindreetnes’effondre.C’estpourquoijemecontentedevivre le moment présent et de ne penser qu’à ce qui forme un « nous »aujourd’hui. Je passemes soirées à l’écouterme raconter ses journées, sanspouvoirm’empêcherdel’imaginervêtud’unecombinaisondepilotagesexy,etjemeperdsalorsdansmespenséesenlecontemplantparlerdesonavion,lesyeuxbrillantsdepassion.La seule chose que je nous souhaite, c’est que cet amour dure le plus
longtemps possible. Est-ce que je serais capable de vivre loin de lui à longterme? Jenepensepaspouvoir supporter levoirpartir enguerre sans rienfaire.Ets’ilmourraitpendantuneguerre?Qu’est-cequejedeviendraissanslui?
Quelcauchemar.Jesecouelatêtepourmedébarrasserdeceshorriblespenséesetcontinueà
prendre en notes mon cours. Le professeur Brant est un brillant savant,principalement reconnupour ses travaux sur le cerveau. Je suisdevenueunefervente admiratricede son travail. Il doit avoir environ trente-cinqanset sij’arrive à accomplir, comme lui, autant de choses en si peu de temps,j’atteindrailebutdemavieprofessionnelle.Lefroidmepercutedèsquejesorsdel’université.Jeresserremonmanteau
etme précipite jusqu’àma voiture pourm’abriter au plus vite ; je suis unegrandefrileuse,mêmesijetrouvequel’hiverestl’unedesplusbellessaisons.Laneigequiatterritenunefinepelliculesurl’asphaltemefaitpenseràdeladentelle…enplusdangereux.Je trébuchemaisparviensà reprendremonéquilibre justeà temps,évitant
ainsi de faire unplongeon au sol.Une fois stabilisée, je regardebrièvementautour de moi pour vérifier que personne ne m’a vue, puis je rejoins mavoiture.Lachaleurnemeparvientquequelquesminutesaprèsavoirprislaroute,et
c’est au son de Yesterday des Beatles que je conduis, très lentement pourarriversaineetsauvechezmoi.Lorsquemontéléphonesemetàsonner,j’aitellementpeurderaterl’appel
quejefouilledansmasacochetoutengardantunœilsurlaroute.—Allô?jem’exclameplusfortquejenel’auraisvoulu.—Saluttoi.Jesoupiredesoulagementenentendantsavoixdouceetamusée,maismon
cœurseserreenréalisantqu’ellesetrouveàbientropdekilomètresdemoi.—Bonjoursoldat…—CommentvamamissHope?—Oh,tusais,c’estlaroutine…etmonsieurCarterluimanqueterriblement.—Vraiment?—Unvraicauchemar.Jesuisàdeuxdoigtsdesauterdansunavionpourte
rejoindre,etpourtanttusaisquej’aihorreurdeça!Il ritmais je sensquequelquechosenevapas. Jeconnaisdésormais trop
bien le sonde savoixpourendouter, et je saisqu’iln’estpasdans sonétatnormal.Çan’augureriendebon.—Tuessûrquetoutvabien?jeluidemandeprécautionneusement.
— Oui, oui, ça va, s’empresse-t-il de répondre. Je viens de rentrer à lacaserne,touteactivitéaérienneaétésuspendueàcausedelaneige.—Oh,alorsçaveutdirequetunepourraspasvenir…?Il soupire et je l’imagine se passer lamain sur le visage comme lorsque
quelquechoseletracasse.—J’auraisvraimentaimémais…—Maistunepeuxpas…J’aicompris.La température s’est soudainement refroidie et mon cœur est à nouveau
compressé.C’estdurdesentirlepoidsdel’arméenoustomberdessusencoreunefois,commesinotresortétaitirrévocable.—Maistuseraslàpourlesfêtes,hein?—Jen’ensaisrien,Mia,jen’aipasencoreeudepermissionetavectoutce
quisepasselà-bas…Jenesuisplussûrderien.Ilal’airconfusetjesuisabattue.—Qu’est-cequetuveuxdire?Jesenslapaniquemegagner.— Rien n’est sûr mais… il va peut-être falloir que l’on se rende en
renfort…enIrak.Monpirecauchemarest sur lepointdese réaliser, j’aienviedehurler. Je
n’aiplusdemots,ilssesonttousenvolésavecl’airdemespoumons.S’ilpartetqu’ilnerevientpas,j’enmourrais.—Cen’estpascertainmaisjepréféraisteprévenir…Cen’estpaspossible,ilnepeutpasmelaisser!Une larmeme prend par surprise et roule lentement surma joue, bientôt
suiviepard’autres.Jeneveuxpasqu’ils’enaille.—Mia?—Ouioui,je…J’essuiemeslarmesetprendssurmoipourqu’ilnem’entendepaspleurer,
mêmesijesaisquec’estinutileparcequ’ilpeutsentirquejenevaispasbien,mêmeàdesmilliersdekilomètres.—Mia,tupleures?Il ne pourrait pas avoir l’air plus inquiet et accablé, comme s’il était
coupabledemefairesubirtoutça…J’aimeraislerassureretluidirequejene
luienveuxpas,quecen’estpasdesafaute,maisjemesensétoufféeparmapeine.—Nepleurepas,jet’enprie,medit-ild’unevoixbrisée.—Maisjeneveuxpasquetupartes…—Moinonplus,Mia,maisjen’aipaslechoix,c’estmontravail.—Tupeuxtoujourslequitter!J’aicriécesderniersmotssansréfléchir.Jem’arrêtedejustessederrièrela
voituredevantmoi,tellementaveugléeparmeslarmesquejenevoispresquepluslaroute.SavoirColinàl’autreboutdumondeentrainderisquersavieme terrifie, je sais que je donnerais tout pour lui… Seulement je me sensimpuissanteetçamefaitperdrelatête.— Je ne le ferai pas et tu le sais, répond-il d’une voix calme mais
catégorique.Lepire,c’estquejeneluienveuxpas,parcequejesaisquel’arméeaétésa
premièresourcederéconfort,lapremièreàl’avoiraccueilli,àl’avoiraidé.—D’accord,jemurmuresimplement.—Quoi?medemande-t-il,piquéauvif.—J’essaiesimplementderéfléchiràunesolution.—Maisréfléchiràquoi,Mia?s’emporte-t-ilsoudainement.Iln’yapasde
solution, j’irai à cette foutue guerre et je reviendrai une fois ma missionaccomplie,etsijedoismourirlà-basceseraenayantfaitmondevoir!—Commentpeux-tudireune chosepareille ? jemurmure, lavoixpleine
d’unecolèreretenue.Tuaspenséàcequejedeviendraissitumourraisloindemoi?Commentest-cequejepourraisysurvivre?Je suis incapable de respirer, brisée par la douleur. Il parle de sa mort
comme d’un détail, si sèchement que ça me fait froid dans le dos. J’ai lesentimentqu’iln’enapaspeur,commesisavieneluiimportaitpas.Jemesuisarrêtéesurleborddelarouteetjeserrelevolantsifortquemes
jointuressontblanches.Latensionmebroielatêteetj’ailecœurauborddeslèvres.—Jecroyaispouvoirmefaireà tonmétier, jemurmureaprèsde longues
secondes de silence. Je pensais être capable d’accepter ton absencedesmoisdurant…maisjenesupporteraijamaisquetunereviennesplus,tum’entends?Jenepeuxpasvivresanstoi…
Jeposemonfrontsurlevolantettentedereprendremarespiration.—Jevaistâcherderesterenvie,alors,finit-ilparmurmurerenessayantde
détendrel’atmosphère.—Tuasintérêt.Un sourire se dessine sur mes lèvres à mesure que je sens la tension
redescendreetl’atmosphèreseréchauffer.Jesaisqu’ilessaiedemeremonterlemoralendédramatisantmaisaufond,jesaisaussiqu’iltentedeserassurerlui-même.—Jesaisquetusouris,dit-ildoucement,taquin.Jepeuxpresquevoirsonairmutinpar-delàletéléphoneetleskilomètres,et
çamefaitsourireencoreplus.—Peut-êtreunpeu…—Tuvois?Jeteconnaisparcœur.Jeristristementmaisnerépondspas,écoutantsarespirationàmonoreille.
Unsilencepeutêtretrèséloquent.— Je vais devoir te laisser, finit par murmurer Colin. Je te rappellerai
bientôt.—D’accord.Jet’aime,Colin.—Idem,Mia.Etjemeretrouveseuleànouveau.J’ignore à quoi jem’attendais en tombant amoureuse d’un soldat,mais il
fautcroirequej’aiétébiennaïveenimaginantqu’ilresteraitsurleterritoireaméricain. Ça n’était qu’une question de temps avant qu’il ne soit forcé departircombattreetcemomentestarrivé,cemomentquejeredoutaistant.Lorsquej’arriveàlamaison,jetrouvemonfrèreetAmberdanslacuisine,
penchés sur un contenu non identifié dans une énorme casserole.Mon frèrem’enlaceetAmbermecolleunbaisersurlefrontavantderetournerderrièrelesfourneaux,melaissantavecChad.—Çasentbonici,disdonc…—Oui,jeprépareunesurprisepourtoi!s’exclamejoyeusementAmber.JeluisouristandisqueChadm’ébouriffegentimentlescheveux.—Tuvasbien,Aim?—Trèsbien,pourquoi?
J’essaiedeluioffrirmonsourireleplusrassurant.Évidemmentquejevaisbien,cen’estpascommesi l’hommeque j’aimaisvenaitdem’annoncersondépartimminentpourlaguerre.—Tuasl’airdéprimée,répondChadenmeregardantavecinsistance.—Jesuisjustefatiguée…—Onaunemerveilleuseannonceàtefaire!déclaregaiementAmber,toute
excitée,enrevenantversnous.Ellemetuncoupdecoudeàmonfrèrequilaregarded’unairattendri.—Allez,dis-luiChad!—OK…soupire-t-ilenlevantlesyeuxauciel.Amberetmoi,nousallons…— On déménage ! le coupe Amber en sautillant sur place, un immense
sourireauxlèvres.Je suis bouche bée. Sincèrement, je m’attendais à tout sauf à ça et,
étrangement,jen’arrivemêmepasàmeréjouir.— Waouh, c’est euh… c’est… inattendu, je bafouille en tentant de me
reprendre.S’ilss’envont,jeseraiseule,complètementseule.Ilsétaienttoutcequime
restaitpournepassombreret jedevraivivresousuntoitquin’abriteraplusquemoi et l’ombre de Colin. Le sentiment de solitude que j’éprouve en cemomentestterrible.—Je sais…reprendAmber,mais tout est allé tellementvite entrenous et
puis,depuisquetunousasmalencontreusementsurpris,onapenséqu’ilseraittemps de…enfin, tu vois, de prendre notre petit nid à nous. Parce que c’estsérieux,ons’aime…Elleregardemonfrèredanslesyeuxtandisqueleursdoigtss’entrelacentet
je réalise que, même si ça signifie que je dois vivre seule, voir ces deuxpersonnes qui me sont si chères s’aimer n’aurait pas pu me rendre plusheureuse.—Jesuissincèrementheureusepourvous.Jevousadore,jemurmureavec
émotionenmelevantpourlesprendredansmesbras.—Câlingroupé!s’exclamemonfrèreennousserrantdetoutessesforces
contrelui.Ce soir plus que jamais, je réalise combien mon bonheur peut paraître
insignifiantlorsqueceluidemonfrèreetdemameilleureamiem’éblouit,etjesaisque je feraiabsolument toutpournepasgâchercemerveilleuxmoment
quenouspassonsensemble.—Amber?—Mhm?répondcettedernière,labouchepleine.— Ce coq au vin est absolument dégueulasse, déclare Chad le plus
sérieusementdumonde tandisquenouséclatonsde rire.Mia, tupourrais luiapprendreàcuisinerdeuxoutroistrucs?Parcequejesensquejevaismourirdefaimquandonhabiteraensemble.—J’yaimis toutmoncœur,pourtant ! s’insurgeAmber, secouéeparune
crisederire.Quantàmoi,jen’arrivemêmeplusàreprendremarespirationetleslarmes
quicoulentlelongdemonvisagemefontréaliserqueçafaitlongtempsquejen’ai pas ri comme ça. Je pourrais soupçonner le vin d’avoir ce petit effethilarantsurnousmaisjecroisquec’estseulementl’effetsecondaired’untroppleindesentimentsquiviennenttoutjusted’exploser.C’esttoutcedontj’avaisbesoin car ce soir, pour la première fois depuis un longmoment, je sens lepoidssurmesépauless’allégerunpeu.Etçafaitunbienfou.Ambers’estendormie,latêteposéesurlesgenouxdeChad,alorsquenous
regardions tous les trois la télévision. Un peu pompette mais épuisée, jeparvienstantbienquemalàmeleverducanapépourrejoindremachambre.—Mia,m’appellemonfrèredanslapénombre.—Oui?—J’espèrequecettenouvellenetechamboulepastrop,j’avaisunpeupeur
quetusoiscontrenotredépartouquetutesentestropseule…— Ne t’en fais pas, Chad, je suis heureuse pour vous. Alors tu l’aimes
vraiment?Jelevoissouriretandisqu’ils’approchedemoietqu’ilposeunœiltendre
surAmberquidortdanslecanapé.— Ouais… C’est la première fois que je ressens ça… Je suis vraiment
amoureux,Aim.Je suis tellement émuepar ses paroles que j’en ai les larmes auxyeux. Je
croisquerienn’auraitpumerendreplusheureusequedelesavoirlui-mêmeheureux.Jeleprendsdansmesbrasetleserreaussifortquejepeux,avectoutl’amourquej’éprouvepourlui.
—Jet’aime,Chad,jesuistellementcontentequetuaiestrouvélafilledetesrêves.Etc’estmameilleureamie,alorsc’estencoremieux!—MerciAim.Maistoialors?Commenttut’ensorsavecColin?Je soupire et laisse retomber mes bras le long de mon corps. J’aurais
préférénepasdevoirenparlermaispuisqu’onyest, jevais raconteràmonfrèrecequimepèsesurlecœur.—Ilpartpeut-êtrebientôtpourl’Irak,jemurmureenhaussantlesépaules.—Ohmerde…JesuisvraimentdésoléAim.—Çadevaitbienarriverun jourou l’autre, j’imagine. Ilnemeresteplus
qu’àprierpourqu’ilreviennesainetsauf.Monfrèrem’offreunpetitsourireencourageantpuismeserredanssesbras
unedernièrefoisavantquejenemontedansmachambre.Aussitôtseuledanscettegrandepièce,jem’effondresurmonlitetsombredansunsommeilassezclémentpourmepermettred’oublierlesraisonsdemapeine.
Chapitre13
Colin
―Tucroisquejemanqueraisàquelqu’unsijemourais?Jenerépondspasetcontemplelafuméedemacigarettedisparaîtredansla
nuit,pensif.Commeànotrehabitude,Mattetmoisommesassissurnotrebancdans le froid glacial, tâchant en vain d’échapper au silence pesant qui s’estinstallédepuiscetteannonce.Après tout,noussommesdessoldatsetc’estcequefontlessoldats:ilsmettentleurvieenpérilpourcelledesautres.Etc’estunefierté,ouentoutcasçal’aété.Cardésormaiscen’estpasdelafiertéquejeressensenpensantàcettefoutueguerre,maisdelapeur.Pourlapremièrefois dema vie, j’ai peur demourir parce que je sais que je ferais souffrirquelqu’un.Je ne cesse de penser à Mia et à notre conversation. Elle semblait si
désespérée et impuissante face à cette situation, c’est suffisant pour créer enmoi un sentiment de terreur, parce que je ne veux pas l’abandonner. Etpourtant, ne pas abandonner Mia signifierait abandonner l’armée qui estcommeunemèrepourmoi,quiafaitdemoil’hommequejesuisaujourd’hui.C’estcequimerongedel’intérieur:savoirquedanstouslescas,Miaetmoisommesvouésàunefinterrible.— Je crois que jemanquerais àma famille, poursuitMatt comme s’il se
parlaitàlui-même.Ouais,jecroisquejeleurmanquerais…―Arrête de flipper, ce n’est pas comme si c’était la première fois qu’on
partait…Ilmejetteunregardencoin.—Parcequetoituneflippespas?Jeteconnais,Colin,jevoisbienquetues
différentdesautresfois.J’aimerais prétendre le contraire mais je suis forcé de me rendre à
l’évidence,cequ’ilditestindéniablementvrai.Àchaquefoisquejesuispartiàlaguerre,jemefoutaispasmaldenepasenrevenir.Quelleimportancepourunmecquin’avaitrienàperdre?Personneàquimanquer?Jeréaliseplusquejamaisàquelpointaimerestfoutrementcompliquéetdouloureux.
—Tunecomprendspas,jemurmureenplongeantmonregarddansleciel,jesaisquejenemanqueraiqu’àuneseulepersonnesijevenaisàdisparaître.Maviecontrecellesdemilliersdepersonnes,c’estunsacrificequienvautlapeine.Jesuisprêtàmourirpoureux.—Nouspartonsdanstroisjours,nousannoncelelieutenantWalker.Nousnous tenons tousaugarde-à-vousdevant lui. Jecroisn’avoir jamais
autantredoutéunetellenouvelle,pourtantjemesensdansl’obligationd’agirle plus courageusement et le plus dignement possible afin de ne pasm’effondreràl’idéededevoirquitterMia.C’estterriblementdifficilemaisjen’aipaslechoix.Nouspartons.Jenepensaispasqueçameferaitsimal.Je n’ai besoin que d’une seule chose : entendre la voix de Mia, la seule
personneàqui jepensecontinuellement, laseulepersonneàqui je risquedemanquer.Dèsquenous sommes autorisés à retournerdansnos chambres, jesaisismontéléphoneet l’appelleimmédiatement, lesmainstremblantes,pourluiannoncerlanouvelle.Toutachangéaujourd’huiet jecomptebienm’accrocheràcetteputainde
viequivientseulementdecommencer.
Chapitre14
Mia
Colinmemanquehorriblement.Le faitdesavoirqu’ilpartbientôtmefaitressentir le besoin vital de le voir une dernière fois. Je meurs d’envie deplonger mes yeux dans son regard tendre, de toucher son corps parfait, desentir le parfumde sa peau et de le fairemien encore une fois, rien qu’uneseule.Jesuiscomplètementdépendantedelui,etc’estpourquoij’aidécidédeluifaireunepetitesurprise.Aprèsavoir réservéunbilletpourColoradoSpringsà ladernièreminute,
j’aijetéquelquesaffairesdansmavaliseetjemesuisplantéedevantAmberetChad,passablementsurpris,pourleurdireaurevoir.—Tuparspourcombiendetemps?medemandemonfrèreendéposantson
rouleaudescotchsuruncarton.Ilssontenpleinspréparatifsdeleurdéménagementet,quelquepart,jesuis
contentedenepasassisteràleurdépart.— Seulement trois jours, je réponds en passant mon sac par dessus mon
épaule. Je vais rester jusqu’à ce qu’il s’en aille pour profiter de lui aumaximum.—Jemechargedeprendretescours,merassureAmberavecunclind’œil.Je lui sourispuis lesprends tous lesdeuxdansmesbrasavantd’ouvrir la
porteetd’appelerl’ascenseur.— Fais bien attention à toi et appelle nous quand tu es arrivée ! me crie
Amber.—Ouimaman!jerépondsenriant.Jevousaime,àbientôt!Toute souriante à l’idée de rejoindre l’homme que j’aime, je me glace
lorsque,aumomentoù laportese referme, j’entendsmonfrèremurmureràAmber:—Cemecadelachanced’avoirMiadanssavie.—Ilnelaméritepas…répondAmbersurlemêmeton.C’estlecœurlourdquejesorsdel’immeuble,incapabled’oubliercesmots
qui tournent dansma tête. Je savais qu’ils n’étaient pas enthousiastes demevoirdenouveauavecColinmaisjepensaisqu’ilsmesoutiendraientdavantage.—Onvaquelquepart,gamine?Jack, assis sur son banc, une cigarette aux lèvres et les mains dans les
poches,mesuitduregard.—JeparsrejoindreColindansleColoradojusqu’àsondépart.—Ah,l’appeldel’amourn’estjamaistrèsloin,ondirait.J’espèrequetout
sepasserabienpourvousdeux.—MerciJack.Boncourage…etn’attrapepasfroid!—Mercigamine,maisçanerisquepasd’arriver,grâceàtoi!Jesourisenlevoyants’emmitouflerdanssonnouveaumanteaupuisgrimpe
dansmavoitureetmerendsàl’aéroportafinderejoindrel’hommedemavie.J’atterrisàl’aéroportdeDenverauxenvironsde16heures.Ilfaittrèsfroid
etjehèleimmédiatementuntaxipourmeconduireàl’hôtelBroadmoor,quisesitue à environ une heure et demie de l’aéroport. C’est un sublimeétablissement, j’ai pris ce qu’il y avait demieux car je compte faire de cesquelques jours avecColin des jours inoubliables.Aussitôt arrivée, je réaliseque jeneme suispas trompée.L’hôtel est somptueux, avecun immensehalllumineuxparsemédepetitscanapésencuirquisefondentdansledécorépuréetluxueux.Je suis rapidement menée jusqu’à la suite que j’ai réservée, qui est tout
simplementmagnifique.Unimmenselittrônefièrementdanslachambreetlesfenêtres qui donnent sur le grand lac s’apparentent davantage à un tableaugrandeurnature.Jen’auraispaspuespérermieux.Malgrécedécorderêve,jenem’attarde pas car l’heure de rejoindre l’hommequi fait battremon cœurvientdesonner,etc’estavecimpatiencequejereprendslaroute.Unedemi-heure.Voilàletempsquej’aipasséàargumenteretàsupplierles
gardes à l’entrée de la base de me laisser entrer. J’ignorais que les visitesn’étaientautoriséesquepourlafamilleprocheetlorsquejeleuraiditquejen’étais«que»lapetiteamie,jemesuisfaitaussitôtrecaler.Maisjen’aipasabandonnéet,aprèsmaintessupplicationsetbattementsdecils,ilsontfiniparme laisserpasser.Évidemment, j’aidûêtreescortéeet fouilléede la têteauxpiedsmais,aumoins,j’ysuisparvenue.
L’hommequim’accompagnenem’adressepasun regardniunmotsur lecheminjusqu’àlasalledereposoùestcensésetrouverColin,maisjesuissifébrilequejeseraisincapabledeteniruneconversationdetoutefaçon.―Voilà,c’estici,medit-ilenmelaissantdevantuneporte.Unvaguebrouhahadeparolesetderiresmeparvient,maislestressmetord
tellement l’estomac que je reste une minute sans bouger, me demandantcomment faire pour trouver le courage d’entrer. Je finis par saisir monportable,composelenumérodeColinpuis,pousséeparlemanqueetlebesoindelevoir,j’ouvrelaporte.Lasalleestimmenseetrempliedesoldatsquijouentaubabyfoot,auxcartes
oubiendiscutententreeux.Alorsquelessonneriesrésonnentàmonoreille,jeréalisequelesilences’installepeuàpeuetquedesdizainesdepairesd’yeuxsedirigentversmoi.
Chapitre15
Colin
Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Tout me revenait par vagues : marencontreavecMia,nospremiersmots,nospremiersbaisers,notrepremièrefois…Jeneparvienspasà l’extrairedemespensées. Je l’imaginedansmesbras,jenousvoisheureuxetinsouciants,confiantsfaceànotredestin.Etc’esttout ce qu’ilme faut pour ressentir unmélange de joie et de désespoir sansnom.Jesuisdanslasalledereposavecmescollègueslorsquemontéléphonese
met à vibrer dans ma poche. Je le saisis aussitôt et décroche, un peu tropprécipitammentàencroirelesouriremoqueurdeMatt.Chacunsespriorités,lamiennec’estMia.—Allô?—Heysoldat…Jetedérange?Quelque chose me perturbe, sa voix n’est pas normale et j’entends un
boucaninhabituelderrièreelle.—Tunemedérangesjamais.Oùes-tu?—Oh,jerendssimplementvisiteàquelqu’un…Jesensdéjà la jalousie s’emparerdemoi lorsque jeprendsconsciencedu
silencequis’estabattudans lapièce.Matta lesyeuxfixéssurquelquechosederrièremoi,etjesuissurlepointdemeretournerquandunepetitevoixquejeconnaistropbienmurmuredansmondos:—Toi.
Lesmotsmemanquent.Jesuispétrifiédevantlafemmedemesrêvesetjenesaissoudainementplus
comment respirer. Tous les yeux sont posés surMia mais je suis tellementaccaparéparsonregardenvoûtantquejen’ensuismêmepasjaloux.Sansnousfaire languir davantage, je la rejoins et colle mes lèvres sur les siennes enencadrantsondélicieuxvisagedemesmains,tandisquelessiennesagrippent
montee-shirt.Desriresetdessifflementsretentissentdanslasallemaisjesuistellement heureux de retrouver Mia que je n’en suis même pas gêné. Aucontraire,j’ensuisfiercartoutlemondesaitmaintenantqu’elleestmienne.Lorsquenousnousécartonsl’undel’autre,jelagardedansmesbrasetla
contemple tandis qu’elle regarde autour d’elle, intimidée. Elle est toutsimplementadorable.Jemesurprendsàretomberamoureuxàchaquefoisquejeposelesyeuxsurelle.—Tum’asmanqué,jesouffleenluicaressantlajoue.—Toiaussi,etc’estpourçaquejesuislà,rétorque-t-elleensouriant.—Alorsc’esttoilafameuseMia!Oh non. Alors que j’avais totalement oublié son existence,Matt surgit de
nullepart,prêtàmettrelespiedsdansleplat.—Matthew,ouMattpourlesintimes,murmure-t-ilàMiaavecunclind’œil
enlaserrantdanssesbras.Miasourit,surpriseparcettefamiliaritésoudaine.C’estMattetjeleconnais
bientroppourressentirunbrindejalousie.Quoique…—Tusais,Colinm’abeaucoupparlédetoi!reprendMattavecunnouveau
clind’œil.—Ahoui?Mialèvelesyeuxversmoiensouriant,amuséeparmonami,maiscequeje
vois au fond de ces yeux sombres, c’est plus que de l’amusement. Unetendresseinfinie,unamourbrûlant…Toutcedontj’aibesoinpoursurvivre.—J’avaishâtederencontrercettemystérieusefemmequiaréussil’exploit
detransformerColin,poursuitMattd’unairtaquin.JevoisqueMiacommenceàrougiretvoledoncàsonsecours,d’autantplus
quejen’aipasenviequemonamines’étendesurcesujet.—ÇasuffitMatt,Mian’apasenvied’écoutertesconneries!D’ailleurs,ona
autrechoseàfaire…JeprendsMiaparlamainetlamèneverslasortie.—Heureux de t’avoir rencontrée,Mia ! lui crie cet idiot tandis que nous
nouséloignons.—Moiaussi,Matt!répond-elleenriantetenluifaisantunsignedelamain.J’ouvre la porte et pousse quasimentMia hors de la salle. Elle m’a trop
manquépourquejelapartageavecd’autrespersonnes,quiplusestavecMatt.
Le couloir est vide, c’est tout ce dont j’avais besoin. Je saisisMia par lataille et déposemes lèvres contre les siennes dans un baiser alimenté par lemanqueetledésir,l’amouretl’impatience.Elles’accrocheàmoidetoutsoncorps.Çafaittroplongtempsquejen’aipasressentiça,cedésirinsupportableet cette enviede laposséderpour le restantdemavie. Je l’embrassede toutmon cœur, commepour réaliser qu’elle est bien là et que je ne vais pasmeréveillerd’unmomentàl’autreenlavoyants’évaporerentremesdoigts.Son odeur, la douceur de sa peau et de ses lèvres, la tendresse de ses
caressesetlachaleurdesesbaisers…Jeréaliseplusquejamaisquejenepeuxpasvivresansça.—Jepeuxtekidnapperpourlanuit?medemande-t-elleàboutdesouffleen
s’écartantlégèrementdemoi.J’aiprisunechambredansunhôtelàcôté.Cettefilleestparfaite.C’estdéfinitivementmieuxquecequej’avaisentête,
c’est-à-direfairel’amoursurmonpauvrelituneplacedansmachambre.Je la prends par lamain et la conduis jusqu’à la sortie de la caserne sans
mêmeprendreaupassagedequoimechanger.J’aijusteenviedemeretrouverseulavecelle.J’enaibesoin.Alorsquenousapprochonsde la sortie, jevoisMia sortir sonportableet
écrireuntexto.—Qu’est-cequetufais?—Jedisauchauffeurquenousarrivons.—Auchauffeur?—Oui…Jesaisqueçapeutparaîtretoomuchmaisjevoulaisquetoutsoit
parfait…—Ilnefallaitpas,Mia…Maismercipourtout,jemurmureenl’embrassant
tendrement.Elleme sourit et serremamaindans la sienne avant de remarquer que je
suisentee-shirtdanscefroidglacial.—Oh,maistudoisavoirfroid!s’écrie-t-elleenfrictionnantmesbrasnus.—Net’enfaispas,tumetiensparfaitementchaud,jerépondsavecunpetit
sourireenlacollantcontremoi.Elleglousseetmedonneuncoupdecoudejusteaumomentoùunevoiture
s’arrêtedevantnous.J’ouvrelaportièreetylaissegrimpermaprincesseavantdelarejoindre.Jesensquecettesoiréeprometd’êtredélicieuse.JenequittepasMiadesyeuxde tout le trajet.Ellemeracontecequ’ellea
faitcesdernièressemainesetmeposedesquestionssurl’armée,bienqu’ellelefassechaquesoirlorsquenousnousappelons.C’estdrôlemaisjen’arrivepasànepasm’émerveillertandisqu’elleselancedansdegrandsdiscoursdontelledétientlesecret.Ellealedondemerendrefou,foudesesyeuxetdelalueurd’espièglerieetdejoiequiybaigne,foudeseslèvresd’oùsedéverseundébitincroyabledeparoles.Jesuisfoud’amour,toutsimplement.Parfois, je la surprends à baisser les yeux sur nos mains entrelacées, et
lorsquej’yliscettetendresseinfiniequej’éprouvepluspuissammentencore,jemedisquel’aimerestlaplusbellerédemptiondontj’auraispurêver.Unefoisarrivés,lechauffeurnousouvrelaportière,nousleremercionset
jesuisMiaendirectiondusomptueuxhôteloùnousallonspasserlanuit.— C’est vraiment magnifique, je murmure lorsque nous entrons dans la
suite.—Jevoulaisêtresûrequeçateplaise,merépondMiaavecunpetitsourire
timide.Jesecouelatêteenlatirantversmoipourl’enlacer.Jeressensl’urgencede
la toucher, de la sentir, de la regarder autant que je le peux.Mes cinq sensmeurentd’enviedes’enrassasier,etcesoir jecomptem’enalimenter.VivresansMiaestbientropdifficile.—Alors,qu’est-cequetuasprévu?jedemandeenluiretirantsonmanteau.—Onpourraitpeut-êtreregarderunfilm,propose-t-elled’untoninnocent.—Oubien…?Je laisse tomber sonmanteauànospiedspuism’attaqueà sa robe,que je
faisglisserlelongdesesbrasavecunelenteurquisembletorturerMiaautantquemoi.—Faireunjeudesociété…Qu’estcequetuenpenses?Son souffle s’accélère lorsque je fais tomber sa robe, la laissant vêtue de
soncollantetdesesbottes.Elleneportepasdesoutien-gorge,cequiprovoqueimmédiatementunevaguede chaleurdansmoncorps. Je fais disparaître sesderniersvêtementsenessayantdemetempérercarjemesensprêtàladévorer.—Jepensaisàquelquechosedeplus…intéressant.Elleglousseensecouantlatête.C’estl’unedeschosesquimemanquentle
pluschezelle :sonrire.Pur,clair,mélodieux, ila ledondemefairevibrer.J’attrapeMiaparlatailleetlarapprochedemoipoursentirlachaleurdesoncorpsnum’envelopper.Mesmainsglissentdubasdesondosàsanuquetandis
que ses doigts impatients font passer mon tee-shirt par-dessus ma tête. Noslèvres se cherchent et nos rires se confondent alors que je la fais reculerjusqu’aulit,avantdemedéshabilleretdelarejoindre.Pendantcetemps,aucundenousdeuxn’aprononcéunmot,toutsimplementparcequenosregardsetlesbattementsdenoscœursparlentpournous.L’insouciance de ce que nous vivons semble effacer l’espace d’un instant
nos soucis, nos craintes et nos incertitudes. Je n’arrive plus à penser à autrechose qu’à sa peau contre la mienne, à son corps qui est comme unprolongement du mien. Nous ne formons qu’un et je crois que je pourraisvendremonâmeaudiablepourjouiréternellementdecettenuit.Je pressemes lèvres contre la peau fine de son cou tandis qu’elle frémit,
contenantàpeineungémissementenselaissantallerdansmesbraset,lorsqueje lève les yeux vers les siens et que je la vois me contempler avec tantd’amour, une vague de sentiments me submerge soudain. Son nom sonnecommeuneprièreentremeslèvrestandisquejeplongemonvisagedanssoncou,ettoutl’universmeparaîttellementinsignifiantlorsquelecocktaildesonodeurentreencollisionaveclebonheurqu’éprouvemoncorpsetquetoutçaimploseenmoi.Messensnesaventplusoùdonnerdelatêteetmoi…Jemeperdsdansleplaisir.Jecroisquec’estdecettemanièrequejevoudraismourir.
Ce sont les doigts deMia caressantmes cheveuxquime font revenir à la
réalité. Je suis allongé contre son corps et la première chose que je vois enrelevant la tête, ce sont ses yeux brillants et émus, imbibés d’un amourindescriptible.Jemehissesurmescoudeset,avecunedouceurdontjenemeseraispascrucapable,jedéposeunbaisersursespaupières.—Jet’aime,Colin.Jeplongemon regarddansceluidecette femmeque j’aimeplusque tout,
ravissantedanssanudité,etsourisenpassantmonpoucesursajoue.Nousnenous lassonspasdenousregarder, fouset invraisemblablementheureux.Sesmainsdoucestracentd’infinisdessinssurmapoitrineetlesmiennesseperdentdanssacheveluresoyeuse.Jenevoudraismettrefinàcemomentpourrienaumonde.—Tusais, je croisque j’auraispume faireà cettevie là,murmure-t-elle
doucement.Justetoi,moietl’éternité.Son indexcontinueà frôler lentement lapeau sensibledemon torse, et je
parviens à deviner sa mélancolie au seul changement de rythme de sarespiration. J’aibeau tenterde faire tairemespensées, jenepeux ignorer lefait que Mia fasse indirectement référence à l’armée. C’est vrai, nous nepouvonspasfairedeplanpournotreavenir,maisest-cevraimentunefatalité?Jeneveuxpasqu’ellevoieenmonmétier la findenotreamouretdenotrehistoire.Plusquejamais,j’aifoiennousetencequenouspourrionsdevenir.Une proposition quelque peu inattendue, même pour moi-même, me vientsoudainentête.—Etsituvenaishabiteravecmoi?Sondoigtstoppesacoursesurmontorseetjelavoisfroncerlessourcils.—Mais…Tun’esjamaischeztoi…—Jesais…Jen’yaipasréellementréfléchimaisjeveuxquetusachesque
même si je pars, je ne t’abandonne pas. Et rien que l’idée de partagermonappartementavectoimefaitquelquechose.Ellesouritet reprendsesœuvresd’art invisiblessurmapeau tandisqu’un
mélange de confusion, d’hésitation et d’enthousiasme se peint sur son beauvisage.— C’est une proposition très alléchante, soldat Carter. Mais je vais être
contraintedelarefuser.J’aibeaufeindrel’amusement,jesuisenréalitépeinéetmonégod’homme
amoureuxenprenduncoup.Quelquepart, jepensaisqu’elleaccepteraitsansl’ombred’undoute.J’aipeut-êtretropprécipitéleschoses?—Etpourquoicela,missHope?jedemandeavecunelégèretémaladroite.Elleréfléchitquelquessecondesavantderépondre:—Tuneseraisjamaislà…Etpuisj’aimemonappartement,jenepeuxpas
lequittercommeça…Elle a parfaitement raison, c’estmoi qui suis stupide etma demande était
toutcequ’ilyadepluségoïste.Jem’apprêteàluidirequejecomprendstrèsbienlorsqu’ellereprend,unsourireauxlèvres:—Maisçan’exclutpasl’optionquetoi,tuvienneshabiterchezmoi.Quelquechoseéclatedansmapoitrine.Unsouriresedéploiesurmeslèvres
tandisquejeréalisequecetteidéeestbienmeilleurequelamienne.Ai-jedéjàditquej’aimaiscettefemme?— Est-ce que je peux prendre cet immense sourire pour un oui ? me
demandeMiaenriantdoucement.
Pour toute réponse, je saisis son visage entre mes mains et dépose meslèvressurlessiennesdansunbaiserquiveuttoutdire:mercid’êtretoi,mercid’êtremienneetplusquetout,jet’aime.
Chapitre16
Mia
Le temps ne semblemêmepas exister.Dans les bras deColin, je savourenotreavant-dernièresoiréesansmesoucierdesondépart,quinefaitpourtantque se rapprocher.Demainnousaurons la journéepournousdeux,puisunedernière nuit et… il s’en ira. Quelque part en moi, une minuscule voix merassureetmeditquetoutsepasserabien,qu’ilmereviendrabientôtetqueplusjamais je ne le laisserai me quitter…Mais le reste de mon esprit hurle safrayeur en silence. J’ai lu tellement de livres, vu tellement de films où desfamilles,desfemmesetdeshommeslaissaientpartirceuxqu’ilsaimaientsanslesvoirrevenirqueçameterrifie.Jeneveuxpasdevoirluidireadieu.—Colin.Il ouvre ses yeux sublimes et les pose surmoi avec la lueur d’un amour
indéfinissable.—Oui,moncœur?Mon souffle se coupe. Il sembleprendre consciencede sesmots après les
avoirprononcés,etjenepeuxcontenirmonsourireenvoyantsonairconfus.Ilestirrésistible…Jenel’avaisencorejamaisvuembarrassé.—Moncœur?Ilsouritetsespommettessecolorentlégèrement.Ondiraitunenfantprisen
flagrantdélitetc’esttellementattendrissant,tellementdifférentdeceàquoiilm’a habituée que je ne peux résister à le serrer contre moi. Je respire sapuissantefragrancequejeneveuxjamaisoublieretembrasseseslèvres.—J’aimebeaucoup,jemurmure.— Il n’y a aucun endroit au monde qui ne t’appartienne autant que mon
cœur,Mia.Etvoilà,jeretombeamoureuse.Jenesaisquim’aenvoyécethommeparfait
maisjenecomptepaslelâcherdesitôt!—Jet’aimeàlafolie,ColinCarter.Ilcollesonfrontaumienetresserresonétreinteautourdemataille.Jesuis
assise à califourchon sur ses cuisses nues et je ne parviens pas à quitter duregardsesyeuxdebraise.—Devoirtelaisserestlachoselaplusdifficilequej’aieeueàfairedema
vie,souffle-t-il.J’aipeurdenepasysurvivre.Jesoupireetleserreplusencorecontremoi.—Est-cequetupourrasmecontacterdelà-bas?Ilhausselesépaulesetsecouelatêtepuisposesonvisagecontremapoitrine
enfermantlesyeux.—Çadépendradebeaucoupdechoses,jenesaispassiçavaêtrepossible.—Mêmepasunepetitelettre?Ilsouritetrelèvelatête.—Vraiment,unelettre?—J’aimeleslettres.—Onn’estplusauXIX siècle,Mia…dit-ilenriantdoucement.— Je sais mais je ne peux pas m’empêcher d’être émue par les longues
lettres d’amour dans lesquelles on déverse son cœur et son âme. J’aime lesentiment que cela doit procurer de recevoir une lettre pareille, où unepersonne,lapersonne,vousdévoileàcœurouverttoussessentimentsettoussesdémonslesplusinconcevables…Lesentimentquedoitprocurerlefaitdelire l’âme de quelqu’un à travers de simplesmots écrits sur unmorceau depapier.Tuvois?C’est çaque j’aime.Pourmoi, iln’existepasdeplusbelledéclarationd’amour.L’amusementsur levisagedeColina laisséplaceàquelquechosedeplus
intense et troublant. Ilme fixe de ses yeux plus sombres que de coutume etj’arrive à y percevoir l’amour qu’il me porte, le désir ardent qui nous faitvibrertouslesdeux.—Tuparlescommeunepassionnée,murmure-t-ilcontremeslèvres.—C’estparcequejelesuis.Tuesmapassion.Un sourire entourédedeux fossettes suffit àm’enflammer instantanément.
Jen’arriveplusàleregarderdanslesyeuxsansressentirl’envieinexplicabledepleurerdejoie.Jel’aime,c’estaussisimplequeça.Nouspassonslerestedelasoiréedanslelitàdiscuter.Quandellesnesont
pasentremêlées,nosmainscaressent le corpsde l’autre, sonvisage, commepour en mémorise chacun des traits, chacun des défauts. Tout ça ressemble
e
tellementàunrêve…MonDieu,sic’enestun,nemeréveillejamais!Laisse-moiprofiterdecemomentmagiqueetuniquequenouspassons,amoureuxàen mourir et insouciants comme deux enfants. Je ne veux pas me réveillerseuledemainetréaliserquejen’aipasassezprofitédecebonheurquandj’enavaisencoreletemps.Colinmeracontequelquesanecdotesdeguerreainsiquedeshistoiressursa
vie ici et je réaliseplusque jamais combien l’armée est cequi ressemble leplusàunefamillepourlui.J’enarrivemêmeàcomprendresondévouementetsa fidélité à cettemère qui l’a recueilli. Tout ça fait de lui celui que j’aime,monColinCarter.Maisjeneveuxpasquecettemère,enquiilaconfiance,l’arracheàlavie.
Chapitre17
Mia
Letempsestunedrôledechose.Onal’impressiondevivreàsescôtésmaisilprofitequ’onait ledostournépoursedéroberets’enfuir.Cematinenmeréveillant,jeréalisecombienilafiléetj’aiàpeineouvertlesyeuxquejesuisassaillie par une douloureuse pensée : Colin s’en va demain. Je ne peuxm’empêcherde l’imagineràborddesonavionaumilieuduchaoset jepriepourqu’ilsoitépargnéetqu’ilmereviennesainetsauf.Jeposelesyeuxsursonvisageendormi.Ilal’airsipaisiblecommeça,on
sedemanderaitpresques’ilavraimenttraverséautantdemalheurs.Mamainseglissedanssescheveuxunpeu trop longset jesavoure lasensationquecelameprocure.Saboucheentrouverteappelleauxbaisersetjenemelassepasdecontempler soncorpsnu. Il ressembleàuneœuvred’art, une statuegrecqueparseméedecicatricesquirenfermetantdesecretsetdemystèresirrésolus.Ilest mon intrigue préférée, mon chef-d’œuvre. Avec délicatesse, je promèneune main sur sa peau à la douceur insoupçonnée et l’observe tandis qu’ilémergedusommeildanslequelilétaitplongé.Auboutdequelquessecondes,sesyeuxs’ouvrentdoucementetpapillonnentpours’habitueràlalumièredusoleilquifiltreàtraverslesrideauxpourpresdelachambre.Sonregard,quisembleilluminépardessaphirsdeKanchanaburymêlésàdel’adamantiumenfusion, se pose surmoi et je jurerais qu’un courant électrique se déclencheentrenous.Jecalemonmentondanslecreuxdesonépauleetlecontempletandisqu’un
sourire se peint sur sa bouche. Ma main se fraie d’elle-même un cheminjusqu’àsonvisagepourseposersursajoueoùunebarbecommenceànaître.Ilestbeauàencouperlesouffle.—Bonjour.—Bonjour,moncœur.Jecroisquejenemeferaijamaisàcesurnom…Ilprendmonmentonentre
sesdoigtsetapprocheseslèvresdesmiennespourydéposerunbaiser.—Tuasbiendormi?
—C’estl’unedesmeilleuresnuitsdemavie,répond-ilensouriant.Nousavonsl’airdedeuxadosfousd’amour.Jevoudraisluidireencoreune
fois combien il va me manquer mais, avant que je n’aie pu prononcer lamoindre syllabe, il plaque à nouveau ses lèvres sur lesmiennes et en prendintensémentpossession.Jemeretrouvesoussoncorpsbrûlant,délicieusementclouéeparsonpoidstandisqu’ilembrassechaqueparcelledemonvisage.Sesmainssontpartoutenmêmetempsetmessens,confus,nes’yretrouventplus.C’estunouragandesensationsmaisletemps,quiasemblés’arrêterl’espaced’uninstant,nousrappelleàlaréalitéparletintementd’unesonnetteàl’entréedelasuite.En premier lieu, Colin n’y prête pas attention, mais il finit par perdre
patienceàlatroisièmerépétitionetlâcheunjuron.Sansmêmeprendreletempsdesevêtir,ilbondithorsdulitavecsouplesse,
puisatteintlaporteendeuxpas.Jen’aipasletempsd’intervenirqu’ill’adéjàouverte.—Oui?Une jeune femme se trouve derrière la porte, devant un petit chariot
recouvertd’assiettesetdeplats.Lesyeuxécarquillés,ellefixeColinquiluifaitface, entièrement nu et visiblement exaspéré, en devenant de plus en plusrouge.Jesuispartagéeentrel’enviederireetcelledeveniràsonsecours.—C’estpourçaquetunousdéranges?s’indigneColin.J’entendslajeunefillebafouillerquelquesmots;Colinsemblesurlepoint
den’enfairequ’unebouchée.Jemelèvedonc,m’enrouledansunpeignoiretm’approchede la jeune femme toujoursbalbutianteque je remercieavantderécupérerlechariotetdefermerlaporte.Lorsque jeme retourne, ceque jevoisme fais éclaterde rire :Colin, les
brascroisés,lescheveuxébouriffésetl’airmécontent,meregardeenfronçantlessourcils.— Pourquoi est-ce que tu es intervenue ? Cette gamine n’avait qu’à faire
correctementsonboulot…—Colin,jel’interrompsenposantunemainsursonbraspourlecalmer.Ce
n’estrien,d’accord?Jesaisquetuesstressémaisnousavonsencoredutempsdevantnous,tunevaspastemettreencolèrepoursipeu…Je lui souris et passe unemain sur sa joue tandis qu’il ferme les yeux et
prendunegrandeinspiration.Lorsqu’ilmeregardeànouveau, jesaisquesacolèreestpasséemaisjeparvienssanspeineàlireladétressedanssonregard
sombre.—Jerefusequel’onmeprived’uneseulesecondeavectoi,Mia.Ses mots me font fondre et je passe une main dans ses cheveux en me
rapprochant de lui, puis dénoue ses bras croisés pourme blottir contre sontorse.Lachaleurquiémanedesoncorpsmebrûledetoutepart.Jedéposemeslèvressursoncœurpuisparsèmesapoitrinedebaiserstousaussitendreslesunsquelesautres.Sonsouffles’accélèreetjesenssesmainsseposersurmondos,meshanches,mesfesses,dansunedélicatessequimebouleverse.Jecroisque ce sont les plus douces minutes que nous partageons depuis notrerencontre. Peut-être est-ce la peur de nous quitter à nouveau qui nous faitprendreautantnotretemps?J’embrasse la ligneaffirméede samâchoireenme laissantenvahirpar la
forcede sesmainsqui caressentmapeau. Jedonneraisn’importequoipourquecemomentdureencorequelquesannées!Plus le tempsavanceetmoinsj’arriveàmepasserdelui.Aujourd’huiplusquejamais, jeressenslebesoindelegarderàmescôtéspourlerestedenotreexistence.—Jet’aime,ColinCarter,jesoufflecontresabouche.Sonvisageexprime tantdechoses, tantdedouleurmais tantd’amourà la
foisquej’ensuisémueàenavoirleslarmesauxyeux,etplusencorelorsqu’ilprononcecesmotsquej’aiapprisàaimerplusquetout:—Idem,moncœur.Ilmesoulèvealorsdanssesbrasetprendpossessiondemaboucheennous
menant jusqu’au lit, avant de m’allonger sur le dos. Je ne pourrai jamaisoublier le regard qu’il arbore aujourd’hui, un regard rempli d’un amourimpossibleàcontenirquimefaitmesentiraimée,désiréeetimportante.Toutcommejen’oublieraijamaisletableauexceptionneldesonbeaucorpsnuquirenfermeuneâmesiabîmée.J’aimeunhommeblesséetdésormaisleseulbutdemavie est de lui apprendre à être aimé, de lui apprendre à vivre sans sesentir coupable de choses dont il n’est que la victime.ColinCarter a besoind’unmiracleetjeveuxêtrecellequilesauveradelui-même.
Chapitre18
Colin
Sescheveuxsontd’uneextrêmedouceur.Je lescaressedepuisuneéternitédéjàmaisjenem’enlassepas,carjesaisquecesontlesdernièresheuresquejepasseauprèsd’elle.Miapossèdecettechoseuniquequimetiretoujoursverslalumière,quimefaitregarderlavieduboncôté…saufquecettenuit,j’aieubeaumelaisserporterverselle,mesangoissesm’ontempêchédedormir,desortirdel’obscurité.Je ne veux pas la quitter, je voudrais ne pas éprouver demanque pour ce
petitboutdefemmequimerendfou, jevoudraisêtreassezfortpournepasressentir autant de peine. En voyant les minutes s’égrainer beaucoup troprapidement,jemesensplusquejamaisabattu.Hier, nous avons passé la journée ensemble sans nous quitter une seule
seconde.Nousavonsdiscuté,ri,nousnoussommesaimésencoreetencore,etlorsqu’elles’estendormiedansmesbras,blottiecontremoncœur,j’aisongéquemême si je venais à disparaître j’aurais aumoins connu le bonheur, neserait-cequ’uncourtinstant.Avecappréhension, je soupireet réveilledoucement la femmeque j’aime.
Letempsestvenudenousbriserlecœur.—Mia…jemurmureencaressantsajoue.Elleremuelégèrementpuisfinitparouvrirlespaupières.—C’est déjà l’heure ? demande-t-elle d’une petite voix enme regardant,
l’airsuppliant,commesij’avaislepouvoird’arrêterletemps.Mon silence répond à sa question et elle ferme les yeux un court instant
avantdelesrouvriretdem’offrirunpetitsouriretriste.—J’aidumalàcroirequetut’envas.J’approchemonvisagedusienetdéposeunbaisersursonfrontavantdeme
lever.—Jedoisretourneràlabasepourmeprépareravant ledépart…Tupeux
resterici,situveux.
Ellesecouela têteetsortdulitavantdem’enlacerdetoutessesforces.Savoixesttremblotantelorsqu’ellemurmure:―Jeveuxprofiterdechaquesecondeavectoi.Jet’accompagne.Jesourisetacquiescemais lecœurn’yestpas.Jeneveuxpaslaquittersi
tôt, si vite.Pourtant, quelquepart derrière toute cette peine et cette peur, unepetite étincelle de joie m’éclaire parce que je sais qu’elle m’attendra. Ellem’attendraetjeferaitoutpourlaretrouver.
I’llwaitforrosestoberedagainAndIhatethatyoutookmybluefromtheocean
GivemebackgreengreensandgoldensMypurples,myblues,youstolethem
HowlongwillIbebrokenYouknowIusedtopaintsuchvibrantdreamsnowI’mcolorblind,
colorblindWhendidmyheartgetsofullofnevermind,nevermindDidyouknowthatyoustoletheonlythingIneededOnlyblackandwhiteinmyeyes,I’mcolorblind
It’sonlyblackandwhiteinmyeyes
I’mcolorblind
Chapitre19
Mia
—Tuasintérêtdemerevenirsainetsauf.—Sinonquoi?demandeColin,avecsonhabituelsouriremutin.Jefeinsderéfléchirunesecondepuisrétorque:—Jetetue.Ilritpuism’embrassetendrementenprenantmonvisageentresesgrandes
mains,etjevoudraisluidiredenejamaisarrêtermaisilfinitpars’écarter,unvoilesombrecouvrantsesyeuxtristes.Nousnoustrouvonsàl’entréedelabasemilitairedanslaquellejen’aipas
eul’autorisationdepénétrerunesecondefois.—Jedoisyaller,murmureColinenpressantmesmainsdanslessiennes.Moncœurs’alourditettoutlecouragequej’aipuavoirsembles’êtrefaitla
malle.—Neparspas…Sonairabattumeserrelecœur,jevoudraislereteniretluidéfendredes’en
aller,maisjemesensimpuissante.— Je ne pars pas vraiment, dit-il doucement en passant une mèche de
cheveuxderrièremonoreille,jeseraitoutprèsdetoi…Justeici.Ilposeunemainsurmoncœuretmesouritmaisçanesuffitpasàfairetaire
ma détresse. Je frissonne quand il saisit mon menton et qu’il dépose desmilliersdebaisers-papillons surmonvisage comme il aime tant le faire, ens’attardant finalement sur mon front, où il presse ses lèvres dans un baiserdouloureux,commes’iln’arrivaitpasàsedétacherdemoi.Jevoisbienqu’iltentedeparaîtreassurémaisjeperçoissapeurautantquejeressenslamienne.—Resteavecmoi,jesouffledansunmurmureàpeineaudible.Ilm’offreunpetitsourire tristeetdésolépuis lâchemamainet tourne les
talons. Et j’essaie, j’essaie de toutes mes forces d’être courageuse et de lelaisserpartir…Maismoncœurnesemblepasêtredecetavis.
Sans l’avoir vraiment décidé, jememets à courir vers lui tandis qu’il seretourne.Malgrémeslarmes,jenevoisqueluietsesyeuxtristesàenmourir.Jemejettedanssesbrasetilmeréceptionneaussidélicatementquesij’étaisunefleur,puismeserrecontreluidetoutessesforces.Àcetinstantplusquejamais,jeréalisequejeseraiincapabledevivresanslui.—Nemequittepas,Colin…—Pardonne-moiMia.Savoixestécraséeparlaculpabilitéetladouleurmaisjesensdanslaforce
aveclaquelleilmetientcontreluiàquelpointilm’aime,etjesaisquejen’aipasledroitdelefairesouffrirdavantage.Je me détache donc de lui et, après avoir séché mes larmes et calmé les
battements demon cœur, décroche le pendentif autour demon cou et le luitends.—C’estuncadeauquemonpèrem’avaitfait,ildisaitqueletrèfleàquatre
feuillesàl’intérieurmeporteraitbonheur…Ilfautcroirequec’estvraiparcequejet’airencontré.Jeveuxquetuleprennesavectoi.Colinsouritmaisneprononcepasunmot,visiblementému.D’unecertaine
manière,luioffrircepetitcœuràlavaleursentimentalemerassureparcequej’ail’intimeconvictionqu’ilmelerendraunjour.Illesaisitetlecontempleuninstant,puisplongesonregarddanslemienetm’embrassedetoutesonâme,detoutsoncœur,commesic’était ladernièrefois.Cebaisern’apas legoûtd’unadieumaisdelapromessed’uneviemeilleure,d’unamourinfaillible.Etc’estl’uniqueraisonquimepermetdelaisserpartirColin.Jevoissasilhouettes’éloigner puis disparaître de ma vue, et la seule chose qui m’empêche dem’effondrerestcettepetitepenséeaufonddemoi:ilreviendra.
—Aim!J’aiàpeineletempsdeposermessacsqueChadetAmberseprécipitentsur
moitelsdeuxparentssoucieuxet,étrangement,çamefaitunbienfou.—Commentças’estpassé?demandeAmber.—Oh,plutôtbien…Je baisse les yeux et sourit intérieurement. Ça s’est plus que bien passé,
dommagequeçaaitdurésipeudetempsetqu’ilaitdûpartirsivite.—Allez,rentrons,déclareChadenpassantunbrasautourdemesépaules.
—Rentrons?—Oui,répond-ilensouriant,Amberetmoi,onvatetenircompagnieette
faireboirejusqu’àquecettemouetristedisparaissedetonvisage.Ilme tapote le bout du nez etm’arrache un sourire, le premier depuis un
moment.AmberetChadsemblentcomprendrequejen’aipasenviedeparlerde Colin car ils neme posent pas de questions de toute la soirée, que nouspassonsàparlerdetoutetderien,maissurtoutàrire.J’ignoresic’estàcausedel’alcooloubiendel’humourdemonfrère,maiscettesoiréeestleplusbeaucadeauqu’ilspouvaientm’offrir :celuidenepassouffrir,aumoinspendantunepoignéed’heures.Pourtant, aumilieu de cette ivresse et de ces rires,mon cœur se pose des
millions de questions. Je me demande si d’autres que moi sentent la mortplanerau-dessusdeleursépaulesàchaqueinstant,commejelasensdepuisledépartdeColin.Jepenseque,sanslesavoir,ilaréveilléenmoiunecertaineconsciencedelamort,delavieetdesavaleur.Ilyaquelquesmois,jenemesouciais guère du sort des soldats et de leurs familles, non par indifférencemaisparignorance.J’ignoraiscombienlaviepouvaitparfoisnousconfrontersiintimementàlamort,àlafindetoutcequenousnoussommesefforcésdebâtir.Aujourd’hui, l’hommeque j’aimeest allé audevantdudangerpour sebattre,etcelam’amèneinévitablementàmedemanders’iltientseulementàlavie.D’unecertainemanière,j’ail’impressionquesesmotivationsnesontpasles
mêmesquecellesdesautressoldats…J’ailesentimentqu’ilfaittoutçapourremboursersadetteafindeneplussesentircoupabledelamortdesonfrère.Etçaattise la tristesseenmoi,car toutceàquoi jepense,c’estàmonColindéfiantlamortsansparveniràlacraindre.Etjel’aime,jel’aimepourcequ’ilest,jel’aimepourtoutcequ’ilfaitmalgréseserreursetsesmaladresses,etjesais que c’est cet amour quim’aidera à tenir le coup.Car je ne veux pas leperdre,jenepeuxpasleperdre.Une sonnerie bruyante me réveille en sursaut. J’ai beau lutter, mes yeux
refusent d’affronter la lumière qui promet d’intensifier mon début demigraine.J’attrapemonportableentâtonnantetdécroche.—Allô…—Mia?Ohnon.Andrew.
—Tuvasbien…?Ondiraitque…—Jeviensdemeréveiller,jel’interromps,toutvabien.Pouruneraisonquej’ignore,jeressensuncertainmalaiseenparlantavec
Andrew.—Oh, d’accord. Je voulais te proposer de petit-déjeuner avecmoi avant
d’allerencours.Jepourraispassertechercher?J’aiàpeineletempsdeconsidérersapropositionquejesuissoudainement
assaillieparlapenséedeColin,rôdantdanslesparagestelunspectrejaloux.Pouruneraisonquej’ignore,ildétesteAndrew,etjen’osemêmepasimaginerledegrédecolèredanslequellemettraitcetteproposition.Maisiln’estpaslàetjenepeuxpasm’empêcherdevivre:jesuisuneadulteetAndrewestmonami.—Avecplaisir,Andrew.Jeseraiprêtedansunedemi-heure.—Vraiment?C’estgénial.Àtoutàl’heure,alors.Lajoiedanssavoixmelaisseconfuse.Jem’apprêteàraccrocherlorsqu’il
ajoute,presquetimidement:—Tum’asmanqué…Désarçonnée par ses mots et le ton qu’il a employé, je raccroche sans
prononcerunesyllabe.J’ailavagueimpressionqueçan’étaitpasappropriénipurementamical.Çan’estpaslapremièrefoisqu’ilsèmeledouteenmoi,ilnesemblepascomprendrequejeneveuxpasplusqu’unesimpleamitié.J’aimeColinetjenepourraijamaism’imagineravecunautrequelui,encoremoinsAndrew. Jeneveuxpasqu’ilpensequeçapuisseenêtreautrement,Colinetmoiétionsfaitspournousrencontrer.Je sors demes pensées et commence àme préparer car, bien qu’Andrew
sembles’égarerdansnotreamitié,jepréfèrefermerlesyeuxpourl’instantetpasserunbonmomentaveclui.Ilsonneàmaportepileunedemi-heureaprèsnotreappel.C’estàunbeau
jeunehommesouriantemmitouflédansunmanteauChesterfieldque j’ouvre.Sansunmot,ilmetendungobeletStarbucksainsiqu’unsachetd’oùprovientunedélicieuseodeurdeviennoiserie.Etjenepeuxpasm’empêcherdesourire,parcequec’estbienmonamiAndrewquejeretrouve,enfacedemoi,etnonceluiquej’aieuautéléphoneplustôtetquiparaissaitavoiroubliéleslimitesdenotreamitié.—Comment vas-tu ?medemande-t-il avec une pointe d’inquiétude tandis
quenousmarchonsensembledanslesruesenneigéesdeNewYork.
—Oh,plutôtbien…jerépondsévasivement.Ilfaithalteenmejaugeantduregard,l’airsuspicieux.—TusaisMia,çafaitunmomentqu’onseconnaîtetjepensaisquetume
faisaisassezconfiancepourteconfieràmoi.Il a l’air déçu, presque vexé. Mais que veut-il ? Que je me lamente en
pleurant sur son épaule ? Je ne veux pas être cette amie insensible qui luiracontesesdéboiresamoureuxenleregardantsouffrir.—Andrew…—Jesuisdésolépourtoutàl’heure,m’interrompt-ilenenfonçantlesmains
danssespoches,visiblementgêné.Maistonamitiécomptebeaucouppourmoiettonabsences’estfaitressentircesdernierstemps…—C’estmoiquisuisdésolée.C’étaitunpeu…mouvementédemoncôté.Quel euphémisme, Mia, tu te surpasses ! Ce n’était pas seulement
mouvementé, c’était un enchaînement d’épreuves dures à surmonter : larupture,lestropcourtesretrouvaillesetledépartdeColin…Néanmoins,jemesenslégèrementcoupabled’avoirnégligémesamis.—Alorsraconte-moi,Mia!Jesuislàpourça…Jeluiadresseunpetitsourirereconnaissanttandisquenousnousremettons
enmarche.Aprèsavoirprisunegrandeinspiration,jefinisparluiparlerdeceque j’ai sur le cœur.Bien sûr, je ne lui raconte pas tout endétail, seulementl’essentiel.Ilnem’interromptpasetal’airattentif,sibienquejemedemandece qu’il peut en penser. Andrew semble cacher quelque chose derrière cemasquedeperfectionet j’ai l’étrange sentimentque toutn’estpasaussi lissequepeuventlefairecroirelesapparences.—Je suis désoléque tu aies à traverser tout ça,murmure-t-il lorsque j’ai
finimonrécit.Commentvis-tusonabsence?—Jefaisdemonmieux,jerépondsenhaussantlesépaules.Je faisdemonmieuxmais j’ai terriblementmal à l’âme.Chaque foisque
Colinme quitte, il emporte avec lui une partie demoi. Pourtant, je ne peuxm’empêcher d’espérer que ce que nous sommes ne s’effacera jamais, car jerefusedecroirequ’unamouraussifortquelenôtresoitéphémère.AprèsavoirquittéAndrew,j’airejointAmberencours.Toutaulongdela
journée,ellemeparlaitmaistoutcequimeparvenait,c’étaitlavoixcaressanteet pourtant si lointaine de Colin qui me murmurait des mots que je rêve
d’entendre. Jeme repassais inlassablement toutes nos conversations les plusdouces,ettoussesbaiserslesplustendres.—Est-cequetum’écoutes?JesorsdematorpeurettournelesyeuxversuneAmberexaspéréeparma
tendanceàmeperdredansmespensées.—Oui,désolée,jemurmuretandisqu’ellereportelesyeuxsurlarouteen
soupirant.—Jedisaisqueceseraitbienqu’onsorteunsoirtouteslesdeux…Tusais,
commedeuxjeunesfemmesnormales.—ArrêteAmber,tusaisbienquejenesuispasd’humeur.— Peux-tu me dire à quel moment tu es d’humeur, madame je-tire-la-
gueule-à-longueur-de-temps ? J’ai demandé à Chad et il semblerait que tun’aiespastoujoursétécetteespècededépressionambulante.Aprèsuneintenseréflexion,jesuisarrivéeàcetteconclusionplutôtintéressante:tunousfaisleremaked’AmouretDépression.—Cefilmn’existepas,Amber.—Peuimporte.Cequejeveuxdire,c’estquetuesdéprimante,MiaHope.Je lève les yeux au ciel et soupire. Elle vient de se garer au pied demon
immeublemaisjesensqu’ellenevapasmelâchersifacilement.— Je comprends que ça puisse être très dur mais, même si Chad et moi
n’habitonsplusavectoi,nousseronstoujoursàtescôtés.Je souris faiblementetbaisse lesyeux.C’estvraique jen’aipas trèsbien
véculedépartdemonfrèreetd’Amber.Jecroisqu’aufond, jecomptaissurleur présence pour me soutenir pendant l’absence de Colin. Et maintenantqu’ilssontpartis,jemesensplusseulequejamais.Maisjenepeuxpasluidireunechosepareille,ellerisqueraitdeculpabiliser
etcen’estpascequejeveux.—MerciAmber,jesaisquejepeuxcomptersurtoi.Ellesourittendrementetmeprenddanssesbras.
Ilfaitunfroidglaciallorsquejepénètrechezmoi.Jemedébarrassedemes
chaussures et de mon manteau puis écoute les messages vocaux laissés surmontéléphone.—Coucoumachérie,c’estmaman.J’espèrequetuvasbien,tonfrèrem’a
donné de tes nouvelles mais on dirait que tu m’évites… Je m’inquiète,rappelle-moi.J’aimeraisparleràmamère,luidiretoutcequej’aisurlecœuràproposde
Colin,l’armée,mavieici…Maisjesaisquesijelefais,elleagiradavantagecommeunepsyquiconseillesonpatientquecommeunemèrequirassuresafille. Ma mère est une psychiatre réputée mais je crains qu’elle ne manquecruellementdepédagogieavecsesenfants.Enfin,surtoutavecmoi.Jem’empare d’un sachet de bonbons et en fourre un dansma bouche en
écoutantlemessagesuivant.—BonsoirMia,jedoutequetutesouviennesdemavoix…Monsoufflesecoupeetunfrissonmetraverselecorpstandisquelesachet
debonbonsm’échappeetserépandsurlesol.Évidemmentquejemesouviensdecettevoix,jelareconnaitraisentremille.Carc’estcelledemonpère.
Chapitre20
Mia
Je reste sans bouger durant plusieurs minutes, pétrifiée. C’est lorsque jeréécoutelemessagepourlatroisièmefoisquelaréalitémefrappe:monpèreestderetour.Aprèstoutescesannéesdesilence,jepensaisqu’ilétaitmortouqu’ilm’avaitoubliée,qu’ilavaitoubliésafamilleetsesenfants…Une larme m’échappe et roule sur ma joue. Dans un état second, je le
rappelle, j’aibesoindecomprendrepourquoi il estparti, pourquoi il nousaabandonnés…Lesbipssesuccèdentetmefontpeuàpeuperdreespoir.Ets’ilregrettaitde
m’avoircontactée?Ilapeutêtrepréféréretomberdanslesilence.—Mia?C’est lui.Savoixgraveetbouleverséeestdouloureuseàentendre,elleme
rappelletellementmavied’avant,auseind’unefamilleunie.J’ail’impressionqueçafaitdesdécennies.—Mia?C’estbientoi?—Papa…—Ohmon dieu,ma fille…Tum’as tellementmanqué, je pensais que tu
n’appelleraispas…J’ai…Jesuistellementdésolé…Latristesseetladouleurdanssavoixmefontcraqueretjefondsenlarmes.
Unemain plaquée sur la bouche, je tente tant bien quemal de refrénermessanglots incontrôlables. Il y a tellement de choses que je voudrais luidemander,maisjen’arrivepasàarticulerlemoindremot.Monpèresembleledevinercarilreprendlaparole.—Jen’aijamaiscessédepenseràvous,Mia.J’avaistellementhonted’être
parti…J’aicruquevousseriezmieuxsansmoi,touslestrois.Tamèrenemel’ajamaispardonnéetj’aipenséquevousnelepourriezpasnonplus.Maisnevoulaispasvousobligeràchoisir,àprendreposition,et j’étaispersuadéquec’était pour le mieux. Pourtant, j’ai fini par réaliser que je vous devais lavérité. Il y a quelques semaines j’ai donc appelé ta mère. Elle a encore
beaucoupderancœurcontremoimaisellem’afinalementapprisquetuétaispartieàNewYorketm’adonnétonnuméro.J’aibeaucouphésitéàt’appeler,maisj’avaisbesoindet’entendreetdetedirecombienjesuisdésolé…J’aidumalàdigérertoutescesinformations.Jen’arrivepasàcroirequ’il
aitpudouterunesecondedenous.Chadetmoiétionstellementattachésàlui,nousn’aurionsjamaispulerejeter,peuimportelesraisonsdesondépart.Etpourtant, j’ai beau lui en vouloir, je le veux dans ma vie, je veux que toutredeviennecommeavantetquenousretrouvionsnotrecomplicité…Maisest-cevraimentpossibleaprèstoutça?—J’aimeraisvraimenttevoir,Mia.Tudoisavoirtellementchangéencinq
ans…Tumemanquesterriblement.—Moiaussipapa…Tum’asmanqué.Meslarmesontséché.J’éprouveuneémotionétrange,unmélangedejoie,
de tristesseetdecolère.J’ai rêvédecemoment tellementdefois,pendantsilongtempsquej’aifiniparperdrel’espoirqu’ilseréalise.Monpèren’estpasseulementmonpère,ilatoujoursétémonpilier.Jemesouviensavoirespérérencontrerunhommecommeluilorsquej’étaisplusjeune.Ilreprésentaitpourmoilaperfection…jusqu’àqu’ildisparaissedujouraulendemain.—Maispourquoies-tupartisisoudainement?Toutallaitbien,nousétions
heureuxettut’esjuste…volatilisé.Un silence s’installe un moment. Bien que je connaisse la raison de son
départ, je n’ai jamais réellement compris pourquoi il s’était enfui sans riendire,sivite,sisoudainement.Unjournousétionstouslesquatre,inséparablesetunis,etlelendemainilavaitdisparusansunmot.Jecroisquejen’oublieraijamais ledésespoirque j’ai ressenti lorsqueChadetmoi sommes rentrésdel’écoleetquenousavonsretrouvénotremèreenlarmes,nousapprenantquenotrepèren’étaitpluslà.— J’étais perdu, finit-il parmurmurer. Je ne savais plus quoi faire dema
vie, je me sentais coupable de ce que j’avais fait subir à ta mère et… j’aicraqué.Alorsaprèsavoiremballél’essentieldemesaffaires,j’aiprisl’avionsansmêmesavoiroùj’allais.Ilm’amenéàNewYorketdepuislors,c’esticiquejevis.MaisMia…pasunseuljournepassesansquejeneregrettedevousavoir laissé tomber.Durant toutescesannées, j’ai tentéenvainde trouver lecouragederevenirversvous,maisj’aiétélâcheeteffrayé,etj’ensuisdésolé.Cequ’ilmeditmefendlecœur.Jeluienveuxpourtoutlemalqu’ilacausé,
mais d’un autre côté, connaître les raisons de son départ me pousse à luipardonner,carjesaisqu’ilasouffertetqu’ilsouffreencore.
―Merci pour ton honnêteté, je souffle du bout des lèvres, émue. Je suisdésoléepourcequetuasdûtraverser,j’espèrequetuesheureuxmaintenant.―Jeneleseraivraimentquelorsquej’aurairevumesenfants…Est-ceque
tuvoudraisbiendîneravecmoidemain?J’aitantdechosesàtedire,tellementd’annéesàrattraper…Je souris et accepte sans hésiter, dépassée par le manque et l’envie de
retrouvermon père. C’est vrai, il a commis une erreur,mais quel genre defille serais-je si je ne lui pardonnais pas alors que je sais combien il a pusouffrir?Jeluiproposealorsquel’onseretrouveauTerrence’s.Ceseral’occasionde
saluerTerrenceetMarc,etpuis,leurcuisineestdélicieuse.—J’aihâtedetevoir.Jet’aime,monpapillon.Cesmots sont ceuxpar lesquels ilm’appelait toujours. Il disaitque j’étais
commeunpapillon:libredem’envoleroùjeledésirais,sansqu’aucunlienneme retienne prisonnière. Entendre cesmots après tant d’années est à la foisdouloureuxetapaisant,parcequejesuisheureusederetrouvermonpèremaisquejeregrettetoutescesannéesgâchéesquenousavonspasséesséparés.—Unedernièrechose,Mia…Neparlepasdemoiàtonfrère,s’ilteplaît.—Pourquoi?—Jet’expliqueraitoutdemain.Inutiledeluidemanderdequoiilparle, jesaisbienquecelaconcerneson
«secret».J’acquiesceetluidisaurevoir.Lorsquejemeretrouveseuledanslesilence,jemetsquelquesminutesàréalisercequivientdem’arriver.J’ignorecommegérercesmilliersdesentimentsquimesubmergentsoudain.Jesoupireetmelaissetombersur lecanapéenmemassant les tempes.Ça
fait un peu trop d’un coup. J’aimerais appelerChad pour en parler avec luimaisjenepeuxpas,pasencoredumoins.Jenesaispasàquimeconfieretjemesensseule,danscegrandappartementvideetfroid.Mespenséesfinissentdoucement par se diriger vers Colin, qui envahit mon esprit et mon cœurmalmené par cette soudaine vague d’émotions. C’est avec son visage gravéderrièremespaupièresquejeparviensàm’endormircesoirlà.
Enmelevantcematin,jesuissurprisedevoiràquelpointjemesenslégère.SiColinn’étaitpasentrainderisquersaviesiloindemoi,j’auraismêmeété
jusqu’àdireque je suisheureuse. Je saisquec’estdûà l’inattendu retourdemonpère dansma vie, retour que je n’osais plus espérer. Pourtant, derrièrecetteexcitationetcette joiesubsisteunepointed’appréhension.Est-il resté lemêmequ’autrefois?Ets’ilnemereconnaissaitpas?J’éprouveunpincementau cœur à cette idée et j’essaye donc de ne plus y penser. La matinée àl’universitépassevite,jemeconcentresurlescourspouréviterdegambergersurmesretrouvaillesavecmonpère.—DisdoncmadameDéprime,tuasl’airdebonnehumeur,aujourd’hui!JejetteunregardenbiaisàAmberquisouritdetoutessesdentspuismords
dansmonsandwich.Jenepeuxpas lui racontercequis’estpassécar jesaisqu’ellelediraitàChad.Jemesenscoupablededevoirmentiràmonfrèremaisjesaisquec’estpourlemieuxetj’espèrequec’estuniquementprovisoire.— J’ai plutôt bien dormi et puis j’ai décidé de prendre les choses du bon
côté.Colinestabsentmaisjedoiscontinueràvivre,jedéclareenessayantdeparaîtreconvaincante.—Ehbienilétaittemps!Cesoir,onsort!—J’auraisbienaimémais…cesoir,jenepeuxpas.Ambermecouleunregardsuspicieux.—Pourquoi?Etnemedispasquetuasrendez-vousavecEmilyBrontë,tu
mel’asdéjàsortiecelle-là.Jeglousseintérieurement.Touteslesexcusessontbonnespouresquiverune
sortieavecAmberHill.Enrevanche,cettefoisj’aiunevraieraison.—J’aivraiment tropderetardà rattraperencours…Uneautre fois,c’est
promis!Un regard azur exaspéré et un soupir résigné plus tard, j’obtiens gain de
cause et m’en sors vivante. Ce soir, je vois mon père et rien ne m’enempêchera.Çadoitbienfairedixminutesque jesuisplantéedevant leTerrence’s et je
n’arrive pas à trouver le courage d’entrer. Je suis vraiment effrayée. Je saisque jenedevraispas,c’estmonpèreetnonunétranger.Maisne l’est-ilpasdevenuaprèstoutcetemps?Jen’avaisquetreizeanslorsqu’ilestpartietpasmaldechosesontchangédepuis.Lapetitefillequej’étaisavantsondépartestdésormais bien loin. Je suis une femme plus mûre, plus expérimentée etréfléchie.J’aiconnul’amour,ledésespoiretj’aieulecœurbrisé…plusieursfois. Je crois que tout ça fait de moi une personne différente. En bien ? Je
seraisincapabled’yrépondre.Je jetteunderniercoupd’œilàmonrefletdans lavitre.Jeporteune jolie
robeblanche fleuriecenséeme rajeunirmais j’ai l’impressionde fairedeuxfoismonâge.Ilfautcroirequecesderniersmoischaotiquesn’ontpasétédetoutrepos…—SalutMia!Je sursaute etme retourne pour tomber nez-à-nez avecMarc,mon ancien
collègue.—Marc!Commentvas-tu?—Trèsbienettoi?Onnet’apasrevuedepuis…l’incident.Jegrimace intérieurement.C’estvraiquedepuis labagarreprovoquéepar
Colinetmadémission,jen’aipasremislespiedsiciuneseulefois.—Oui…Jeviensdîneravecmonpère.Ilmesouritetm’inviteàentrerenmetenantlaporteouverte.Jeprendsune
profondeinspirationetpénètredanslerestaurantpourrejoindremonpère.Lorsquejemeretrouvedevant l’immensesalle lumineusepleineàcraquer
de gens bien apprêtés, je regrette un court instant de ne pas m’être mieuxhabillée. Pourtant, tout semble disparaître quand je réalise que mes yeux sesontposéspresqueinstinctivementdansceuxsidouloureusementfamiliersdecethommequin’apaschangé.Monpèreestjustelà,àquelquesmètres,etc’estcommesitouslesmauxquimetorturaientsetaisaientenfin.Sanshésiter,jem’approchetandisqu’ilselèvemaladroitement,visiblement
émudeme revoir et de découvrir sa fille, cinq ans après son départ. Si j’aichangé, lui est resté lemême : un bel homme dans la quarantaine aux yeuxvertstranslucidesetauvisageavenantquirespirelabonté.Lemêmequeceluiquimeracontaitdeshistoiresavantdedormir,quimedéfendaittoujoursetquiséchaitmeslarmeslorsqueçan’allaitpas.Ilm’aterriblementmanqué.Lorsque j’arriveprès de lui et qu’il ouvregrand ses bras, je sais quepeu
importemonâgeetmonexpériencedelavie,jenerésisteraijamaisàl’enviedem’yblottir.—Mafille…Savoixsembleétoufféeparleslarmes.Ilmeserrefortcontrelui,peut-être
unpeutrop,maisjesuistellementenvahieparlesémotionsquedeslarmessemettentàdévalermonvisage.Lorsquemonpèreme relâche, ilme regarde les yeuxbrillants de joie et,
semble-t-il,defierté.—Tuastellementgrandi…Jehochelatêteetsouristandisqu’ilmemèneàsatable.—Jesuisémudeterevoir.J’aitantdechosesàteraconter,tantdechosesà
t’expliquer…Maisjeveuxsavoircequetuesdevenue,toutcequej’airaté.Oh,situsavais!Noussommesinterrompusparleserveurquivientprendre
noscommandes.—Jeprendraicequemademoiselleprendra,ditmonpèreauserveurenme
faisantunclind’œil.Jeluifaisconfiance.Jeluisourisetpasserapidementcommande.L’avantaged’avoirtravailléici,
c’est que je connais les meilleurs plats du cuisinier. Lorsque le serveurs’éloigne,monpèrereprendlaparole.— Comment va Chad ? J’aurais aimé qu’il soit là mais… je crois qu’il
n’auraitpastrèsbienréagienmevoyant.—Ilva trèsbien, ilvitaussiàNewYorketaemménagéavecsanouvelle
copine, qui est d’ailleurs ma meilleure amie. Je crois qu’il est vraimentheureux.—Rien ne pourraitme faire plus plaisir que de savoir ça. Et toi ? Tu as
rencontréquelqu’un?Un soupir m’échappe malgré moi. Même si je savais que cette question
viendrait,j’auraisaiménepasdevoirparlerdeColin.—Ils’appelleColin.Ilest intelligent,beau,drôleetgénéreux…Jel’aime.
J’ensuismêmefollementamoureuse.Monpèrerit,manifestementravid’entendrequesesenfantssontheureux…
oudumoinssemblentl’être.—Vousvivezensemble?—Ilviendraemménagerchezmoiàsonretour…Ilestsoldat.Sonsourires’efface,laissantplaceàunemineinquiète.— Je suis désolé ma chérie, j’espère que tout ira bien pour vous deux,
murmure-t-ilenprenantmamain.—J’ensuispersuadée, jedéclareavecunenthousiasmeunpeuforcépour
éviterque l’ons’attardesur lesujet.Et toi,papa?Est-ceque tuas rencontréquelqu’un…?Son visage prend une expression plus hésitante, comme s’il était
soudainementeffrayé.Ilnemeregardeplusdanslesyeuxetaretirésamainpourjouernerveusementavecsacravate.Jevoudraisluidirequetoutvabien,que je l’accepte tel qu’il est, que cela ne change en rienmon amour etmonadmirationpourlui,maisjepréfèrelelaisserparler.—J’airencontréquelqu’un…amorce-t-ilavecprécaution.Et…nousallons
nousmarier.Cen’étaitpasvraimentceàquoijem’attendaisetj’admetsquejeressensun
petit choc. Jem’étais doutée qu’il fréquentait sans doute quelqu’unmais pasuneseulesecondejen’avaisimaginéunmariage.— Je suis désolé de te l’apprendre de cette manière, aussi soudainement,
maisjeneveuxplustecacherquoiquecesoit.C’estpourcelaquejetiensàtedirequ’ilnes’agitpas…—D’unefemme?La stupéfaction se lit sur son visage. Ses yeux s’écarquillent et sa bouche
s’ouvre légèrement, ce qui provoque enmoi une envie de rire difficilementrépressible.Endépitdesongrandsensde l’humour,monpèrea toujourseucette sorte de retenue comme s’il s’efforçait de paraître sérieux en toutesituation.J’imaginequeçafaitpartiedesonéducation.—Jesuisaucourant,papa.—Mais…Comment?demande-t-ildansunsouffle.— Il y a quelques années, peu après ton départ, j’ai trouvé par hasard la
lettre que tu avais écrite àmaman…Depuis, j’ai toujours souhaité te revoirpourtedirequeriennepourraitestomperl’amourquej’éprouvepourtoi.Ilprendunegrandeinspiration,toujoursabasourdi,puisfroncelessourcils.—Jesuisdésolé,tellementdésolé…Partiraétélachoselaplusdifficileque
j’aieeueàfairedemaviemaisjenepouvaisplusrester,entretamèrequimehaïssaitetlaculpabilitédeluiavoirfaitperdretantd’années…—Vousavezeudeuxenfantsetunebelleviecommune.Jesuiscertaineque
mamanreconnaitraitqu’elleaconnulebonheuràtescôtés…Ilmesouritenprenantànouveaumamain.—Jereconnaisbienlàmapetitefille,mêmesielleestdevenueunefemme,
désormais.Pourras-tumepardonnerunjour?—Biensûr.Allez,parle-moidelui.IlmeracontealorssarelationavecStewart,l’hommedontilestvisiblement
trèsamoureuxetqu’ilarencontréilyamaintenanttroisans.Quandjepense
qu’hierencorejenesavaismêmepassimonpèreétaitencoreenvie!Toutçaest tout simplement incroyable. J’ai l’impression d’avoir retrouvé lacomplicitéquinousliaitetderattraperletempsperdu.C’estfoucommeilpeuts’enpasserdeschoses,encinqans.Je tentederetracer lesgrandes lignesdemavieetdecelledeChad,etlamanièredontsesyeuxbrillentlorsquejeluiparledeColinme fait réaliser àquelpoint il est heureuxpournous. Jen’aiqu’uneenvie,c’estquenotrefamillesoitànouveausoudée.Lesheuresdéfilentetilestbientôttempspourmoiderentrer.—J’aipasséunemagnifiquesoirée.—Moiaussi,papa.Il me prend à nouveau dans ses bras et je profite de cette étreinte pour
m’imprégnerdelasensationprécieusequemeprocuresaprésence.—Jenepensepasêtreprêtàfairefaceàtonfrèrepourlemoment…—Prendstoutletempsqu’iltefaudra.—Àtrèsbientôt,mafille.
Arrivée chezmoi, je peine à réaliser tout ce qui vient de se passer. Cette
soiréeinespéréeétaitexceptionnelle.Monpèren’apaschangé,ilestlemêmeque j’aiaiméetconnu,et le retrouveraujourd’huime faitmesentirvivante,entière.Jesaisqu’ilnemanquequeColinpourquemaviesoitparfaite,pourquejeconnaisseenfincebonheurquejedésiretant.Après m’être débarrassée de mon attirail contre le froid, je me mets en
pyjamapuisécoutemesmessages.—Mia!Ilfautquetumerappelles,j’aimeraisteparlerd’untrucsuperextra
urgentissime!Je ris, amusée par Amber et ses excès d’énergie, et me promets de lui
envoyerunmessagecesoir.—Mia…C’estmoi.Mon sourire s’évapore instantanément. Je réalise que Colin a essayé de
m’appelercesoirmaisquejen’aipasentendumonportablesonner,absorbéeparmasoiréeavecmonpère.J’aipeut-êtreratémaseulechancedeluiparler.— J’ai essayé de te joindre plusieurs foismais tu ne réponds pas et… je
m’inquiète.Sa voix est comme brisée, en proie à un sentiment que je ne saurais
décrypter.Un sentiment terrible. Et jem’en veux, jem’en veux tellement de
l’avoirmanqué,denepasavoirétélàpourluiparler,luidirequejel’aime…— Je voulais te dire que je vais bien. Je n’ai pas souvent l’occasion de
t’appelermaisjefaiscequejepeux,commepromis.Cen’estpasmonColin.Prenezcetêtredétruitetrendez-moimonamoureux
vivantet insouciant!Savoixestsidifférente,si lointainequ’ilsembleêtreàdesmillionsd’annéeslumièredemoietdelui-même.—Toutestsinoirici…Lamisèreetlaterreursontpartout,iln’yaplusde
vie,seulementlamort…lechaos.Mia,situvoyaislasouffrancequ’endurentcesgens…Savoixsebriseetjefondsenlarmes.—Lemondedanslequelnousvivonsestmerdique,toutçamedégoûte.Je
nesaismêmepluspourquoinouspersistonsànousbattre…Il marque une pause et soupire tandis que je lutte contre les larmes dans
lesquellesj’ailesentimentdemenoyer.—Sijet’aiappelée,c’estsurtoutpourtediredenepast’inquiéterpourmoi.
Mia,jeveuxquetuvivestavie,quetut’amuses,queturiescommesichaquejourétaitledernier.Êtreicimefaitréaliserchaquejourunpeupluscombienlavieestprécieuse.Alorss’ilteplaît,nelagaspillepas.J’entendsquelqu’unappelerColin,mettantfinàl’espoird’entendresavoix
encorequelquesminutes.—Tumemanques plus que jamaismais je serai bientôt de retour et tout
reprendracommesirienn’étaitarrivé.NousseronsheureuxMia,jet’enfaislapromesse.Idem.OhmonColin…Tonabsencemetuemaisjet’aimeterriblement.
Chapitre21
Mia
Jevaisbien.Pourlapremièrefoisdepuisdessemaines.Colinn’estpaslàetje ne sais toujours pas quand il reviendra, mais son message m’a presquemétamorphosée. Jeme sens capable d’affronter la vie,même sans lui, et dem’amuser,commeilmel’ademandé.—Amber.Ellelèvelesyeuxdesonordinateur,visiblementconcentréesurlecours.—Mhm?—Tu te souviensde lapendaisondecrémaillèreque tuvoulaisorganiser
quandonaeul’appartement?—Commentoublier…Tuas totalementbrisémoncœur, soupire-t-elleen
grimaçant.—Peut-êtrequ’onpourrait,jenesaispas…enorganiserunenouvelle?Sesyeuxsemettentàbrillerd’espoiretd’excitation, jepeuxdéjàvoirson
imaginations’emballer.—Plutôtquelquechosed’intime,tuvois,entreamis…—Tunet’occupesderien!C’estmoiquigère,déclare-t-elleavecunclin
d’œil.Lesourireauxlèvres,jereportemonattentionsurlecourstandisqu’Amber
semetàpianoterfurieusementsursonclavier,etquelquechosemeditquecelane concerne en rien la biophysique. J’espère que je ne regretterai pas de luiavoirdonnécetteidée…Amberfiledèslafindescours,soi-disantpourallervoirsamèremaisjene
suispasdupe,jesaisqu’elleaenvied’organisercettefêtesansm’avoirsurledos.Etc’esttantmieuxcarjen’avaispasenviequ’ellemerebattelesoreillesavecçatoutelajournée.—Salutsœurette!
Jetombenez-à-nezavecChadquimeprenddanssesbraspuism’embrassesurlefront.Jesuissurpriseetraviedelevoirici.Ilmesemblequeçafaituneéternitéquejenemesuispasretrouvéeseuleavecluietçam’amanqué.—Qu’est-cequetufaislà?—Amberm’a dit qu’elle avait des choses à faire donc j’ai pensé que je
pourraisvenirtechercheràlafacpourqu’onpassedutempsensemble…Çatedit?—Évidemment!Ils’emparedemonsacdecourstandisquenousnousmettonsenmarche.—Commenttuvas?—Unpeumieux,j’aieuunmessagedeColinhiersoiretçam’apermisde
relativiser,enquelquesorte.—Tuaspuluiparler?—Non,j’étais…J’aifaillifaireunegrossebourde.Ilnefautpasquejeluiparledepapamais
jen’aimepasl’idéedeluimentir.Ilnesupporteraitpasd’apprendrequenousluiavonscachéunechosepareille.—J’étaissortiefairequelquescoursesetj’airatésonappel.—Mince…Jesuisdésolé,Aim.—Çava,net’enfaispas…Çavamêmemieux,enfait.Jecroisqueçam’a
rassuréedel’entendre,desavoirqu’ilvabien.Mon frèrem’adresse un sourire tendre puis passe un bras autour demes
épaules.Nousallonsdansl’appartementqu’ilpartageavecAmberetpassonslerestedelajournéeàpapoteretàrirecommenousavionscoutumedelefaireauparavant. Chad me raconte son quotidien aux côtés d’Amber et je peuxaffirmerquececoupleestleplusfouquej’aiejamaisrencontré.S’ilsontdesenfantsunjour,ilsnerisquerontpasdes’ennuyeraveccesdeuxénergumènes.Même si je ressens toujours une tristesse évidente due à l’absence deColin,êtreentouréeparlespersonnesquej’aimemepermetdegarderlatêtehorsdel’eau,denepasmelaisserdépérir.Ambernousaappelésdans la soiréepournousprévenirqu’elle rentrerait
tard. Il faut croire que toute cette histoire de pendaison de crémaillère m’arendue légèrement paranoïaque puisqu’elle était bel et bien chez samère, etnonoccupéeàmanigancerunefêtederrièremondos.Lorsquejecommenceàfatiguer, Chad me propose de me raccompagner chez moi. Tandis qu’il va
enfilerquelquechosepoursortir, jeprendssesclefset leprécède jusqu’àsavoiture.C’est envoyant le sublime rideaude floconsdeneigequi tombe surNew
Yorkquejeréalisecombienletempsapassé.Hierencorenousétionsenété,lesoleilrythmaitnosjournéesetjerencontraisl’hommequiallaitdevenirmonpremier amour. Puis l’automne s’est écoulé et j’ai vu mon cœur setransformer, se durcir…Maintenant, à l’orée dumois de décembre, le beautemps s’enest allé, tout commemon insoucianceetma légèreté.Pourtant, jesuis plus confiante,moins terrorisée, je sais que Colinme reviendra et quenousseronsenfinheureux.Chadmerejointquelquesminutesaprès,vêtud’unjeannoiretd’unpullgris
soussonmanteau.—Jevais rester avec toi jusqu’à cequ’Amber rentre,medit-il tandisque
nousprenonslaroute.Jen’aipasenviedetelaissertouteseule.—Tuassoudainementpeurpour tapetitesœursi fragile? jedemandeen
riant.Ilmesouritetmurmure,plussérieux:—Jepassemontempsàm’inquiéterpourtoi,Aim.Une pointe de culpabilitéme serre le cœur. Jem’en veux tellement d’être
obligée de lui mentir à propos de notre père ! Il mérite autant que moi desavoirlavérité.Jenecomprendsmêmepaspourquoimonpèreestsieffrayéàl’idéequeChadréagissemal.Ilestaussiouvertd’espritquemoiettrèsattachéàceluiquifutnotremodèlependanttantd’années.Lorsquenousarrivonsdevantchezmoi, jesuisétonnéedevoirque larue
estbondée,iln’yaplusdeplacepournousgarer.—Pourquoiest-cequ’ilyaautantdemonde?—Ilesttard,Aim,lesgenssontrentréschezeux,c’estnormalqu’iln’yait
pasdeplace…Il a raison, mais je vis là depuis un moment et je n’ai jamais vu ça. Je
soupiretandisqueChadrefaitletourdupâtédemaison,etnousfinissonsenfinpartrouveruneplaceunpeupluséloignée.Jesuisfatiguéeetnerêvequedemeposerdansmoncanapédevantunesérie.Il semblerait pourtant quemes voisins en aient décidé autrement. Lorsque
nousentronsdansl’ascenseur,j’entendsdelamusiqueetdeséclatsdevoixquisemblent provenir d’au-dessus. J’ignore qui sont les responsables mais jecomptebien leuren toucherdeuxmots. Jecomprendsmieuxpourquoi ilya
autantdevoituresgaréesenbas!—Ilsauraientaumoinspupréveniravantdefaireuntelboucan!Monfrèreéclatederireetjelefusilleduregard…avantderéaliserquele
boucanenquestionprovientdechezmoi.J’écarquillelesyeuxetmoncerveautourneàcentàl’heuretandisquejemeprécipitesurmaportepourl’ouvrir.—SURPRISE!Moncœurbatlachamade,jedoisêtreentraind’halluciner…Desdizaines
depersonnessetiennentdansmonsalon,quiressembledavantageàuneboîtedenuitqu’àunepièceàvivre.Jerestepétrifiéependantcequimesembleêtredesheures,jusqu’àquemonfrèremepousseàl’intérieurenfermantlaportederrièrenousetqu’Ambermesautedanslesbras.—Alors,commenttutrouvestasurprise?medemande-t-ellepardessusle
sondelamusiqueassourdissante,euphorique.—Euh…Je…Comment?Jeregardeautourdemoiavecdegrandsyeux,hagarde.Jenereconnaispas
touslesvisages,misàpartceuxdenotrepetitgrouped’amisdel’université.Jene sais pas comment j’ai pu ne pasm’apercevoir de ce qui se tramait.C’estpourcetteraisonqueChadestvenumechercheràlafaccetaprès-midi…Jemeretourneetluilanceunregardmeurtriertandisqu’Amberetluiéclatentderire.J’ignorecommentréagirfaceàcettesurpriseempoisonnée.— Tu voulais que j’organise une petite fête non ? La voici ! s’exclame
Amber.—Maisc’étaitcematin!Commentas-tufaitpour…—Chut,m’interrompt-elle.Neteposepasdequestion…Amuse-toi!Je suis bouche bée. Pourtant au fond, je sais que je meurs d’envie d’en
profitersansmesoucierdemesvoisinsetdel’heuretardive.Ambersefraieuncheminjusqu’aubardelacuisinepourallermechercheràboiredansundecesgrandsgobeletsrouges,etChads’estapprochéduDJquis’avèreêtreundesmecsavecquiiljoueaufoot.J’angoisselégèrementenpensantauxdégâtsquerisqued’engendrercettesoirée.Jen’osemêmepasimaginerl’étatdemonappartementdemain…Lafêtebatsonplein.J’ignoreàquelmoment j’aicessédemesoucierdes
emballages qui traînent par terre et des bières renversées sur mon canapé,probablement lorsque j’ai cessé d’être sobre. Je suis assise à côté d’Andrewquiapasséunbrasautourdemesépaules,et j’aibeauêtreunpeuivre,cetteproximitémegêne.AmberetChadnesesontpasquittésdelasoirée.Jecrois
queChadévitedetropboirepourpouvoirveillersurmameilleureamiequiest déchaînée.Elle se tient en cemoment devant le comptoir, sur la scène etchanteunechansonenkaraokédanslemicrolouéparleDJ.Personne n’est parfait, mais il semblerait que mon frère n’en ait pas
conscience,vu le regardqu’ilposesursachérieà lavoixunpeu tropaigüequi enchaîne les fausses notes. Je suis prise par un fou rire aumilieu de sachansonetjesuistellementpompettequejen’arriveplusàm’arrêter,jusqu’àquejeréalisequ’Ambersetientdevantmoietqu’ellemetendlemicro.Jefixel’objetquelquessecondessanscomprendre.Àencroireleregardde
défi que me lance mon amie, je comprends que c’est à mon tour de meridiculiser.—Jene chanterai pas, je bafouillepardessus les encouragementsdemes
invités.—Ohsituvaschanter!s’écrieAmberenmetirantparlamain.AllezMia!Et tout lemondesemetàscandermonnomàsasuite.LaMia réservéeet
raisonnableenmoimesuppliedenepasyaller,souspeined’êtrepoursuiviepar cette humiliation pour le restant demes jours.Mais je crois que je suisdansuneautredimension.Dansunétatsecond,jesaisislemicroetmelèvesouslesapplaudissements.
Jenesaispaschantermaismondoublemachiavéliqueetalcoolisés’enfout,ilveutjustequejem’éclate.Etpuis,jemesensanormalementbienetconfiante,cesoir.J’ail’impressiond’êtrecapabledefairedesprouesses.Jem’avancedevantlecomptoiret,tandisquelesnotesdeguitaredePieceof
myheartdébutent, je ferme lesyeuxetme lanceen tentant tantbienquemald’imiterlavoixdeJanisJoplin.D’aprèsmesoreilles,c’estdésastreux,maisçaal’airdeplaireàtoutlemonde.Jeprofitealorsdemasoudainenotoriétépourcrier, sauter, secouermes cheveux,mimer le solo de guitare… Jem’amusecomme jamais.Chadfend la foulepours’approcherdemoiet jecomprendsqu’ilveutmeporter.Pousséeparl’adrénalineetl’euphorie,jegrimpesursesépaulesetlèvelesbrasaucieltandisquetoutlemondesemetàdanserautourde nous. La sensation est incroyable, jeme sens libre, jeune et un peu follemais contente de l’être. Je voudrais que ce moment ne s’arrête jamais,j’aimeraisêtreaussiinsoucianteetheureusepourlerestantdemavie.
Chapitre22
Mia
—Mia… Éteins ce foutu téléphone, grogne Amber tandis que je peine àouvrirlesyeux.J’entendslasonneriemaisj’ignoreoùilpeutbiensetrouver;toutcomme
moi,d’ailleurs.Messensont tousétéaltérésàcoupsdeshotsdetequilaet jen’arrive pas à percevoir grand chose en dehors dema bouche pâteuse et demonmaldecrâne.Jetâtonneautourdemoi,prisedevertiges,maisenvain.Lorsquej’ouvrelesyeuxetmeredresse,jedécouvrequejesuisaffaléesur
moncanapéencompagnied’Amber.Monappartementressembleàunchampdebatailleetquelquespersonnesdormentparterre,allongéesàmêmelesol.Je me lève avec difficulté, repère mon téléphone qui gît sous le bar de lacuisineetm’enempareavantdedécrocheraussitôt.—Allô…Ma voix ressemble davantage à celle de Janis Joplin désormais, version
gueuledebois.—Mia…?De toutes lesvoixaumonde,celle-ciétait ladernièreque jem’attendaisà
entendre.Etégalementcellequej’auraisvoulunejamaisentendre.Mesjambessecoupentsousmoietjemeretiensdifficilementaucomptoir
tandis que mon cœur cesse de battre et qu’une angoisse terrible me tord leventre.Jesaisquecetappelvienttoutjustedescellermadestinée.—Mia,tueslà?—Matt,dismoique…S’ilteplaît…Ma voix est à peine perceptible, c’est un souffle rauque écrasé par la
douleur,etjedoutequ’ilm’aitentendu;moijen’entendsplusrien,jevoisplusrien,jenesensquelaterreurquimevrilledel’intérieur,sanspitié.Jen’aipaslaforced’affrontercequ’ils’apprêteàm’annoncer.—Je…Jesuistellementdésolé,Mia…Sa voix se brise et je l’entends pleurer à l’autre bout du fil. Je n’y arrive
plus, je ne peux plus respirer, je ne peux plus vivre. Mes forces se sontessouffléesaussitôtquej’aientendusavoixtorturéequinelaisseaucundoutesur la raison pour laquelle il m’a appelée. Pourtant quelque chose en moipersiste à trouver une issue, comme pour me réveiller de cet effroyablecauchemar.—Mattjet’ensupplie…Dis-moiquecen’estpasça…Lesilenceà l’autreboutdufilmeconfirmel’impensable.Etmoncœurse
déchire.Jelâchemontéléphonequitombeavecunbruitsourdàmespieds.Comme
dansunbrouillard, jemeredresseet titubeverslaported’entrée.J’aibesoind’air,besoindeme réveillercar toutcecin’estqu’un rêve,c’estobligatoire.Les gens qui me toisent dans la rue tandis que je marche pieds nus sur lestrottoirs recouverts de neige s’évanouiront dans l’air, comme le cauchemarquejesuisentraindefaire,etjeretrouverail’hommedemavieauboutdecetunnel interminable, souriant avec ses cheveux ébouriffés dans lesquelsj’enfouirai mes mains tandis qu’il me caressera tendrement la joue. Je leserrerai de toutes mes forces dans mes bras et je l’embrasserai en leremerciantd’êtrelà,d’êtrevenumeretrouver.Maisjenemeréveillepas,ettoutcequejetrouveauboutdecetunnelestun
trounoirimmensequimenacedem’absorberd’unmomentàl’autre.Je t’en prie, Colin, réveille-moi de ce cauchemar, je t’en prie ! C’est une
prièrequivientduplusprofonddemonâmeetjesenslabrûluredudésespoirquimepétrifie,parceque jenepeuxpasvivre sans lui.Et tous lesmauxdumondeme paraissent bien insignifiantsmaintenant que je sais que lesmiensresteront à jamais gravés dans ma peau, dans mon être. Ma vie vient des’arrêterbrutalementetjenepeuxrienfairepuisqueColinn’estpluslàpourfairebattremoncœur.Jeneveuxpasd’unmondeoùColinnevitpas.Nevitplus.
Ladouceurdemesdrapsetlachaleurdemonlitm’enveloppentcommeune
étreinteet,l’espaced’uninstant,d’untrèscourtinstant,jemesenssibienquej’ail’impressionquejemeréveilleraiauxcôtésdel’hommedemaviecommesirienn’avaitchangéetqu’iln’étaitjamaisparti.Lesvoixd’Amberetdemonfrèremeparviennentdeloinmaisjesuissiépuisée,siabattuequejen’arrivepasàréagir.—Çafaitdesheures,jecroisqu’ondevraitappelerunmédecin…
—Personnenepeutguérircegenrededouleurs,Chad.Jesuispeut-êtremorte,moiaussi.— On ne peut pas la laisser comme ça, elle ne va jamais réussir à s’en
sortir…—Elleabesoindetemps,personnenepeutl’aiderpourlemoment.— Je ne crois pas qu’elle pourra se remettre d’une chose pareille. Elle a
perdu son premier amour, le seul homme dont elle soit jamais tombéeamoureuse.Uneballedeplomb.Voilàcequime traverse lapoitrine lorsque j’entends
lesmotsassassinsdemon frère.Moncorps semetà trembler, la chaleurdemonlitdevientglacialeetjemesenssombrer.Toutçanepeutpasêtrevrai.Jemerépètecesmotsenespérantfinirpary
croire,mêmesiunevoixcruelleaufonddemoimesoufflequ’ils’agitbiendelaréalitédanstoutcequ’elleadeplusterrible.Je repousse faiblementma couette puisme lève et descends lentement les
escaliers, à bout de forces.Mon corps est endolori et je réalise que je n’aiaucun souvenir des dernières heures. Une chape de plomb s’est abattue surmoi,mecoupantdumondeextérieuretm’empêchantderéfléchir,depenser.—Mia?Chads’approchemaladroitementdemoietmeprenddélicatementdansses
bras.—OhMia,ons’est tellement inquiétés…Ont’aretrouvéeassisepar terre
danslarue,mortedefroid…Ils’interromptetlanceunregardinquietàAmber.Jen’arrivepasàparler,
lesrouagesdemoncerveautournentàvide.— Je suis tellement désolé, Aim… murmure Chad. On a retrouvé ton
portableetonarappelélederniernuméro…Mattnousatoutraconté…Mapeineesttellementimmensequejenepeuxpaslacontenirtouteentière,
les larmes qui coulent le long de mes joues ne suffisent pas à épancher ladétresse qui me serre le cœur. Il me semble que mon existence a étébrutalementlacéréeetquecettecicatriceneguérirajamais.LaviesansColinm’estimpossibleàsupporter.Ambers’approchedemoietmecaresselentementledos.—OnestlàpourtoiMia,onvat’aideràsurmontertoutça.
J’aimerais leur être reconnaissante, mais leur compassion ne fait queraviver ma douleur. Je ne crois pas être capable de supporter une autreprésencequelamienne.—Jevoudraisêtreseule,jedéclared’unevoixrauque,enmedégageantde
leurétreinte.—Quoi?—Jeveuxquevousrentriezchezvous.J’aibesoind’êtreseule.—Mia…—Allez-vous-en!j’explosesoudainement.Jeneveuxpasdevotrepitiéni
devotreaide.Jemelaisseglisserausol,incapabledetenirsurmesjambes,commesile
poidsdumondem’écrasaitetquej’étaistropfaiblepourcontinueràlutter.Jecachemonvisagedansmesmainspournepasvoir leurs regards emplis detristesseetdecommisération,etpriepourqu’ilss’enaillent.—D’accord,ontelaisse,Aim…Tusaisqu’onestlàsituasbesoindequoi
quecesoit,hein?Jenerépondspasetneprendsmêmepaslapeinedeleverlatête.Ilspartent
sansrienajouterdeplusmaismoijenebougepas,jerestefigéedansletempsenattendantquelamortviennemechercher.Peut-êtrequ’elleaurapitiédemoietquejepourrairejoindreColin,peuimporteoùilsetrouve.Jerestecommeçapendantdesheures,desannéespeut-être.Lorsquejefinis
par ouvrir les yeux, je promène un regard vide sur mon appartement ensongeantquesimoncœurnecontinuaitpasàbattre,j’auraisprobablementcruêtremortedepuislongtempsdéjà.Jesensunesourdecolèregronderetgrandirenmoi.Dissimuléederrièremapeine,jenel’avaispasdiscernéejusqu’alors,maisunpuissantsentimentd’injusticeattiselarageenmonsein,siviolemmentqu’elleme pousse à tout foutre en l’air. Je veux que cemaudit appartementreflètel’étatdanslequelmoncœursetrouve.Prised’une soudaine impulsion, jeme lève et envoievalser tout cequi se
trouvesurlebaretlatabledelacuisine,puisjem’attaqueauxcadressurlesmurs, à la télévision, à la chaîne hi-fi, et tout, absolument tout finit enmorceauxsurlesol.MesmainstombentsoudainsurunephotodeColinetmoilors de notre première sortie, notre unique photo ensemble que j’avaisimpriméeetépingléesurlemur.Jelacontemplesanspouvoirendétachermonregard, même lorsque mes larmes s’écrasent sur nos visages souriants etlumineux, encore ignorants dumalheur qui s’abattrait sur nous. Je la presse
contre mon cœur et me recroqueville sur moi-même, au milieu de monappartementdévasté.Monuniqueespoird’êtreenfinheureuses’estévaporéenmême tempsqueColinm’aquittée enarrachant lamoitiédemonâme, et jevoudraisluihurlerquejeluienveuxdemefairesouffrirdelasorte,qu’ilaéteint la vie en moi en s’en allant à jamais… Mais la seule chose que jeparviensàluisouffler,cesontcesmurmuresdéchirés:—Jet’aimeraitoujours,Colin.
Chapitre23
Mia
C’est la lumière du soleil filtrant à traversmes paupières quime réveille.Comme chaque matin, je garde les yeux fermés le plus longtemps possiblepour retarder le moment où je devrai retourner à la réalité. Tout ce que jeressens, c’est un grand vide et une souffrance indescriptible.La cicatrice estencore trop béante pour que je songe à la guérir.Chad,Amber etmonpèresontvenusmevoir régulièrement,etmêmemamère,àquiChadaappris lanouvelle,estvenuepasserquelquesjoursàNewYorkpourveillersurmoi.Jesuisplongéedansuneléthargiedelaquelleilmesembleimpossibledesortir,jeneporteplusaucuneattentionàmaviemaintenantquej’aiperdumaraisond’être.J’aipriépourque le tempspansemadouleurmais ilmesemblequec’est
piredejourenjour.Jenesorspresqueplusdemonlitdanslequeljepassemesjournéesetmesnuitsallongée,lesyeuxgrandsouverts.C’estçaqueçafait,demouriràpetitfeu?J’ai tout perdu en perdantColin :ma volonté de vivre,ma jeunesse,mon
cœur,ma foi… J’ai tellement prié, tellement pleuré et supplié le ciel demevenirenaide…Maisjen’aipasétéentendueetj’enveuxmaintenantàlaterreentière.Mevoici désormais recroquevillée surmon lit, àmoitiémorte de faimet
morte d’amour, seule et triste à en crever. Je ne veux plus vivre, commentpourrais-je supporter cemonde alors que la seule personne qui pouvaitmerendreheureusen’existeplus?Voirlesgensheureuxautourdemoimerendenvieuseetmauvaise,et jeméprise tantcessentimentsque jepréfèreneplusvoirpersonne.Chaque respiration, chaque mouvement que je fais est une torture. Mon
espritembrumétentetantbienquemaldemefaireoublierladouleur,maislamoindrepenséedeColinmebroiedel’intérieur.Toutmesembleéteint,dénuéde vie. Tout comme moi. J’ai l’impression de vivre dans un flou constant,immuable,commesimoncerveauavaitétéparalyséàl’instantoùj’airéaliséquemavieneseraitplusjamaislamême.
Jemelèvelentementetmedirigeverslasalledebain.Unefoisdéshabillée,jem’observeunmomentdanslaglace,leregardvide.J’aiperduunedizainedekilos,monvisageestcreuséetmesyeuxsontvitreux.J’ail’aird’avoirprisvingtans.Jedétestemevoir,jedétestecellequejesuisdevenueenl’espacedequelques jours,cettefilledésespéréequiaperdutoutcequ’elleavait, toutcequ’elleespérait.Je détourne mon regard du miroir et m’étends dans la baignoire après
l’avoirremplied’eaubrûlante,commepouressayerdefairefondrel’hiverquifait rage en moi. Une éternité semble passer, l’eau devient froide, mespaupières se font deplus enplus lourdes et je réalise qu’il ne sert à riendelutter.Lemeilleurmoyendefairetairecettesouffranceestdel’étoufferdansl’obscuritéd’unsommeilprofond.Je suis réveillée en sursaut par des coups frappés à ma porte. Je sors
précipitamment de la baignoire, un peu chancelante, et m’enroule dans uneserviette.Lorsquej’ouvrelaporte,monsoufflesecoupebrutalement.Lemondecesse
detournertandisquemoncœursemetàbattrecommes’ilvoulaitsortirdemapoitrine.Colin.Ilestdevantmoi,plusvivantquejamais,commesirienn’avaitchangé.Des
larmesdejoieruissellentsurmonvisagetandisquejeluisautedanslesbras.C’enestfinidetoutecettesouffrance.Ilmeserredetoutessesforcescontreluietjecroisquejepourraistoucherleparadisduboutdesdoigts.Jem’enivredesonodeur, levisageenfouidanssoncou,avantdeplonger
monregarddanssesyeux,cesperlesfantastiquesquim’onttantmanqué.—Mia…murmure-t-ilavecémotion.—Colin!Jepensaist’avoirperduet…Submergéeparlesémotions,jeneparvienspasàfinirmaphrasemaisilme
faittaireenchuchotant:—Jet’aime,Mia.Je reste interditedurantquelques secondes,hésitant entre lui sauter aucou
oufondreenlarmes,maisunmécanismesemetdoucementenmarchedansmatête.Colinnemeditpas«jet’aime»,ilmedit«idem».Je m’éloigne soudainement de lui en trébuchant tandis que son sourire
s’effaceetqu’ilprendunairconfusens’approchantdemoi,lesmainstenduespourme retenir.Quelquechosenevapas,quelquechosem’échappeet jeneparvienspasàmettreledoigtdessus.Jenemefaispasconfiance,toutçan’estpasréel.Est-cemonimaginationquimejouedestours?—Mia…Qu’est-cequit’arrive?medemandeColind’unevoixdouce.—Tun’espasréel.Il s’arrête et ce que je voisme glace les sangs. Sonmasque tombe et un
sourirediaboliqueseformesursabouchequej’aimetant.— Tu es si intelligente… et pourtant si stupide, rétorque-t-il d’une voix
froideetcruelle. Jesuismort,Mia,commentvoulais-tuque je revienneverstoi?L’horreur de la situationme heurte de plein fouet tandis que Colin éclate
d’unriresansjoieet,lesmainssurlesoreilles,jelesupplie,jeluihurledesetairemaisilcontinueàrireens’avançantversmoi.—Stop!
Jemeréveilleensursaut,lecœurbattantàunrythmeeffréné.Qu’est-cequi
vientdem’arriver ? Je restepétrifiéedansmonbain, reprenantmon souffleaprèslechocdececauchemarsiréaliste,lesyeuxfixéssurl’eaufroide.C’étaitlediable.Jesorsdelabaignoireetcommenceàmesécherlorsqu’onfrappeàlaporte
d’entrée.Ohnon,çanevapasrecommencer…Jemepincepourvérifierquejesuis
bienéveilléepuism’approcheprécautionneusementdelaporte.Jenepourraispasrevivrececauchemarterrible.Aveclacrainted’unanimaleffrayé,jeposemamainsurlapoignéetoutenmaintenantmaservietteautourdemoi.—Mia…Ouvre-moi,s’ilteplaît.Cettevoix…Jen’auraisjamaispensél’entendreànouveauaprèscetappel.
Sansmesoucierd’êtreàmoitiédévêtue, j’ouvre laporteetmejettedans lesbrasdeMatt.Ilm’attrapeauvoletmeserrecontrelui.—Jesuistellementcontentdetevoir,petiteMia…Ilmedéposeausolenmeregardantavecémotion,etjesaisquej’aienface
demoiunepersonnequisouffresansdouteautantquejesouffre.Jel’inviteàentreretluiproposedes’installertandisquejevaism’habillerenvitessedansmachambre.Lorsquejeredescends,unpeuplusprésentable,Mattestassissur
le canapé. Heureusement que j’ai pu compter sur l’aide de mon père pourremettremonappartementenordreaprèsmonpétagedeplomb.—Alors,commentvas-tu?jedemande,toutensachantd’avancelaréponse.―Oh,tusais…répond-ilévasivement.Jesuisvenuvoircommenttutenais
lecoup…ett’annoncerquelquechose.Le ton de sa voixme fait chavirer le cœur. Je m’assieds à côté de lui et
cherche ses yeuxqui se posent partout sauf surmoi, comme s’il fuyaitmonregard.—Quelgenredechose?—Paslegenrequis’annonceautéléphone.Je tente de contrôler mes émotions mais je sens déjà que ma bouche
commence à trembler et qu’un spasmeme tord le ventre. Je crains quemoncœurn’ysurvivepas,jecommencedéjààl’entendresefendre.Matt soupire et se lève pour aller à la fenêtre et contempler la ville, l’air
absentmaisôcombienmalheureuxetépuisé.—Colinseraenterrélasemaineprochaine.Lecielmetombesurlatête.Une violente douleur me vrille les entrailles tandis que je sens l’air se
raréfierautourdemoi,commesijesuffoquais.Jefermelesyeuxetprendsunegrande respirationavantdeme tournerversMatt, dont lesyeux reflètentmadétresse.―Maisil…Iln’amêmepasétéretrouvé…Ilsnepeuventpasl’enterrer!JesupplieMattduregard,commepourluifairedirequetoutçan’estqu’une
vasteplaisanterie.—Ilsneleretrouverontpas,Mia,ilabrûléavecsonavion.Jeplaqueunemainsurmabouchepourretenirunsanglot.Quoiquejefasse
maintenant,iln’yaplusd’espoir.—Çavaaller…murmureMattenmeprenantdanssesbras.Enentendantlasouffrancedanssavoix,jesaisqu’ilnecroitpasunmotde
cequ’ildit.Ilsaitqueçanevapas,queçan’iraplusjamais…parcequetoutestterminé.Alorsceseraça,mavie,désormais?Souffrirtoutelajournée,supplierle
cieldecomblercetroudansmapoitrinepourquejepuisserespirerànouveau,toutensachantquemonvœuneseréalisera jamais?Danscecas jeneveux
pasdecettevie,jeneveuxpaslutterpourpoursuivreunedestinéequejen’aipaschoisie.Jerêvaisdeconnaîtrelebonheurmaisjen’aiplusquelenéant.Mavieavaitàpeinecommencégrâceàtoi,Colin,maistuespartietj’assiste
maintenantàsafin.
Chapitre24
Mia
JesuisdanslesbrasdeChadquimebercedepuisdesheures,meracontantquelques-unsdenossouvenirsd’enfance, lorsque j’étais jeuneet insouciante.Les fois où nous faisions hurler Mme Leclerc, notre voisine, car nousembêtionssachienneVicky.Quandnousjouionsàcache-cacheauJardindesPlantesavecnosparents.Nousrendionsfollenotremèreennouschamaillantconstamment,nousavonsfaitlesquatrecentcoupsensemble…—Chad,tucroisquejeseraiheureuseunjour?Jesenssamains’immobiliserdansmescheveux.—Jepensaisquetut’étaisendormie,murmure-t-il.J’ailatêteposéesursescuissesetilmecaresselescheveux,commeaubon
vieux temps. L’enterrement est demain et je crois que je n’aurais pas pusurvivreàcesderniersjourssansmonfrèreetsonsoutien.— Bien sûr que tu seras heureuse, Aim, reprend-il. Tout ira bien dans
quelquestemps,tuverras.—Etsiçanevaplusjamais?Sijeneréussisplusàmerelever?Mon frère m’offre un petit sourire triste puis secoue la tête de droite à
gauche.—Tuyarriveras.Tuyarrivestoujours.Ilessuieunelarmesurmajouepuispoursuit:—J’aipeut-êtretrouvél’amourici,maisturesteraslapremièrefemmede
mavie.Tuesmapetitesœurpréférée,pasvrai?—Jet’aime,Chad,jemurmure,lecœurserré.—Jet’aimeencoreplus,Aim.Jeseraitoujourslà.
Jenepeuxpasyaller.Colin m’aurait sûrement dit que quoi qu’il advienne, nous resterions
ensemble pour toujours, ilm’aurait tenu lamain enm’encourageant, enme
disantd’êtrecourageuse,quetoutsepasseraitbien…Maisiln’estpluslàetjen’arrive pas, je n’arriveplus à respirer en sachant que je vais enterrermonpremieramourdansquelquesheures.Jeneveuxpasluidireadieu,jeneveuxpas lire la tristesse et la pitié sur les visages autour de moi, ni porter uneaffreuse robe noire révélatrice du malheur qui me submerge. Au diable latradition,Colinn’enavaitrienàfairedetoutefaçon.J’aidoncchoisimarobeblanchefavoriteensongeantquelesgenspourrontbienmejuger,seulColinimporte,etjesuiscertainequ’elleluiplairait.Lorsque lavoitureentameson triste trajetvers l’église, je réaliseque tout
ceci est bien réel, Colin est parti et je verrai aujourd’hui son cercueil videdescendre dans la terre. Quel genre de vie est-ce que je vais bien pouvoirmenersanslui?Jenecessed’imaginercequ’auraitpuêtrenotreavenirensemble.Jenous
vois heureux et épanouis, surmontant les obstacles de la vie, inséparables etindestructibles.Jesuispersuadéequenousaurionsfinipartrouverlapaixennous.Colinm’amarquéeauferrouge,ilaététoutesmespremièresfoisetjefais aujourd’hui le sermentqu’il en sera également lesdernières. Jeme suisjuré de ne jamais l’oublier, de ne jamais oublier son amour et son souriretimidelorsqu’ilmedisait«idem».JelèvelesyeuxversChadquimetendlamainpourm’inviteràsortirdela
voiture.Jenem’étaispasrenducomptequenousétionsarrivésàl’église.—Non,jemurmureenlesuppliantduregard.Jenepourraipas…Jenemesenspascapabledesurvivreàça,jen’yarrivetoutsimplementpas.Monfrères’accroupitdevantmoietprendmonmentonentresesdoigts,les
yeuxremplisdedouceuretdecompassion.— Je suis là pour toi,Aim,medit-il doucement.Amber etmoi, on est là
pourtoi.Onnetelâcherapas.Jamais.JehochedoucementlatêteetAmber,quisetientderrièrelui,m’adresseun
souriretristemaisencourageant.Desdizainesdepersonnessetiennentdevant l’églisemaisaucunvisagene
m’estfamilier.Jemedisqu’ilestencoretempsderebroussercheminlorsqueMattsurgitdevantmoi.—Mia!souffle-t-ilenmeprenantdanssesbras.VoirMattmefaitautantdebienqu’ilsembleenéprouver,sansdouteparce
quenoussommestoutcequirestedeColinl’unpourl’autre.Nousétionslesseuls dans sa vie, et le voir maintenant, pendant cette épreuve insoutenable,
c’est comme enlacer un passé que j’ai trop chéri pour m’en détacher siaisément.—Jecroyaisquetuneviendraispas…dit-ilenmerelâchant.Il est vêtu, comme l’ensemble de ses collègues, de vêtements militaires
formels.Colinauraitétéeffroyablementbeauavec.—Maplaceestici,jemurmureententantvainementdesourire.Mattnous expliquebrièvementque la cérémonie seradédiée àColin ainsi
qu’à trois autres soldats disparus en Irak. J’ai l’impression d’être tellementloinquejenepeuxpluséprouverunsemblantd’émotion.Lorsque je vois s’ouvrir les grandes portes de l’église, je réalise que le
monde a continué de tourner sans moi. Je ne sens plus rien, ni la paumed’Ambercontremondos,nilamaindemonfrèrequiasaisilamienne.Nous entrons dans cette église que je déteste déjà et parcourons lentement
l’allée.Jemeretrouvefaceauxquatrecercueilsalignésdevantleprêtre,troisrecouverts d’objets de valeur apportés par les familles… et celui de Colin,surmontéd’uneuniquephotodeluidansunsimplecadreblanc.Ilal’airplusjeunedequelques années et estvêtud’ununiforme. Je suis si frappéepar sabeautéquejem’enretrouvepétrifiée.Sesyeuxsubjuguantsreflètenttellementd’impétuosité… mais aussi tellement de blessures qui n’ont jamais pucicatriser.J’auraistellementvouluêtreàlahauteur,êtrecapabledelesguérirou aumoins de les panser afin de les lui faire oublier…Mais je n’en auraijamaisplusl’occasion.—Mia.Jesorsdemacontemplationetréalisequejesuistoujoursimmobiledevant
son cercueil alors que tout lemonde semble avoir pris place. Chadme faitsignedelerejoindreetjemedépêched’allerm’assoirauprèsdelui.S’ensuit toute une série de prières et de discours officiels que je n’écoute
qued’uneoreille,plongéedansmespenséesetmessouvenirsdeColin :nosregardsenflammés,noslèvresseliant,nosmainsetnoscorpssedécouvrantdansuneétreintepassionnée…Toutçaesttropduràsupporter,j’ignorecequimeretientdetoutfoutreenl’airdanscetteéglisedemalheur.—MademoiselleHope?Jesorsdematorpeuretlèvelesyeuxversleprêtrequiessayed’attirermon
attention.Depuiscombiendetempssommes-nousici?—Mia,c’estàtoideparler,mesoufflediscrètementChadtandisquejesens
pesersurmoilepoidsdetouslesregards.
Je regarde à nouveau le prêtre qui attendque je le rejoignepour déballermes sentiments enversColindevant cesgens inconnus,monamourpour cethommedontjevaisdevoirbientôteffleurerlecercueil.Commeauralenti, jemevoisme leveretmedirigerverscetteestradeoù
mesrêvesetmesespoirss’écroulerontpourladernièrefois.Jelongel’alléedanslesilence,avecpourseulsalliéslesbattementsfousdemoncœur.Jen’aiqu’une vision floue de la réalité, ma conscience est engourdie et les sonsautourdemoisontdevaguesbruissementsindistincts.—Par ici,m’indiqueleprêtreenmeplaçantaucentredel’estrade,devant
un pupitre muni d’un micro. Nous allons maintenant écouter Mia Hope, lapetiteamiedusoldatColinCarter.Petite amie…Sûrement pas. J’étais bien plus que ça. Sa moitié, son âme
sœur,sonpremieramour,j’étaistellementplusqu’unesimplepetiteamie.—Bonjour…Mavoixsonneétrangementdanscemicroet jemarqueuntempsdepause
afin dem’habituer à être au centre de l’attention.Les larmes que je tente deretenir forment un énorme nœud dans ma gorge, mais je m’efforce del’oublierletempsdecetadieu.— Je voudrais tout d’abord préciser que je n’étais pas la petite amie de
Colin.J’étaissonamoureuse.Jevoisquelques sourires sedessiner sur certainsvisages et je réaliseque
c’estmadernièrechanced’exprimeraumondequiétaitvraimentColin,àquelpointilcomptaitpourmoietcombienjel’aimais.Combienjel’aime.—Vousconnaissiezpeut-êtrelesoldatColinCarter,lepilotecourageuxqui
n’avait peur de rien, qui risquait sa vie pour les autres sans attacherd’importanceàsonexistence.C’étaitunmauvaisgarçonquijuraitàtoutboutdechamp,quiperdaitrapidementpatienceetquifumaitunpeutrop…Jemarque une pause, submergée par les sensations que font remonter en
moicessimplesmots.Rienn’estpréparéniréfléchi,jediscequimepasseparlatête.Ouplutôtcequimepasseparlecœur,carilestleseulàsavoircequejeressensréellement.— J’ai connu un autre Colin, un homme sensible et torturé qui était
incapabledemedévoilersessentimentsoudemedire«jet’aime»…Je souris courageusement,malgré les larmes qui commencent à brouiller
mavision.
— Pourtant, je savais qu’il m’aimait, je pouvais le lire dans ses yeuxextraordinairesetrévélateursdesessentiments.Ilavaitluiaussiledondelireenmoi… Ilme rendait folle. Folle d’amour, parfois de colère,mais je n’aijamais pu rester loin de lui trop longtemps parce que son absence était tropdure à supporter…La vie a décidé d’un tout autre destin pour nous, je saisqu’ilnereviendraplusjamaiset…Je ferme les yeux et m’agrippe au pupitre pour ne pas m’effondrer,
incapable de poursuivre. Avoir son cercueil et sa photo sous les yeux metorture,çamedéchiredetoutepart…Maisjefaistoutcequejepeuxpourêtreforteetcontinuer,pourluirendreunhommagequisoitàsamesure.C’estaveccette pensée en tête que j’essaye de reprendre ma respiration, de défaire lenœudd’émotionsdansmagorge.C’estsidurdeparlerdeColindevanttouscesgensensachantquej’étaisla
seuleàleconnaîtretelqu’ilétaitvraiment,àavoirsuapprivoisercethommeabîmépar laviequi avaitpourtant tellement àoffrir.Legrand labyrinthedel’existencemesemblebienimpraticablemaintenantquej’aiperdul’étoilequimeguidait.Lorsquejerelèvelesyeux,cen’estpluspourm’adresseràl’assistancemais
àlui,àl’hommequej’aimeetquejenecesseraijamaisd’aimer,enespérantdetoutmoncœurqu’ilm’entende,oùqu’ilsoit.—Colin…Jet’aimaisplusquetoutaumonde,plusquel’univers,plusque
lavieelle-même.Jet’aimaisau-delàdupossibleetbienplusquenepouvaitlesupportermoncœur.Tesbrasétaientmaforteresse,tonsouriremonsoleiletton cœur ma raison de vivre, car chacun de ses battements me rendait plusvivante.Tuétaismonoxygènelorsquejesuffoquais,malumièrequandjemeperdais dans l’obscurité. Vivre sans toi, Colin, c’est la pire des choses quipouvaientm’arriver…Enpartant,tuasemportéunepartiedemoiquejamaisjenepourrai récupérer.Maisgarde tout,peu importeceque tum’asdérobé,moncœur,monâme,mavie…Garde-lesprécieusement.Sanstoiàmescôtés,ilsnemeserontplusd’aucuneutilité.Sanstoi,lavieneveutplusriendire…Monamour,sachejusteunechose…Turesterasenmoijusqu’àmonderniersouffle.Jet’aime,Colin.
Chapitre25
Mia
Lescroixblanchesquis’étendentàpertedevuemefontfrissonner.Cen’estnilaneigenilefroidglacialquimefonttrembler,maislaterreurdevoircecercueildescendresousterredevantmesyeuximpuissants.Jem’arrêteuninstantetlèvelatêteverslecielblancettriste.Lesfloconsde
neigequiatterrissentdélicatementsurmonvisagefondentaussitôtet,malgrémes prières, je me trouve toujours dans ce cimetière lorsque je rouvre lesyeux.Je sens lamain deChad s’emparer doucement de lamienne et la presser,
pleined’amouretdesoutien.J’aimeraismemontrerreconnaissanteenverslui,luidirequejen’auraispassurvécuàtoutçasanslui…maisjen’yarrivepas.Je ne ressens qu’un vide incommensurable qui recouvremon désespoir,macolèreetmatristessesansnom.Quandnousparvenonsàungrandtroucreusédans la terre,de la tailledu
cercueil, je perds le contrôle.Mesgenoux cèdent et jem’effondredevant cequi accueillerabientôt tout cequi restedemonColin,monamour.Chadmesoulèvetantbienquemaldanssesbras,mechuchotantdesmotsréconfortantsquejen’entendsmêmepas.Ladouleurestinsupportable.Unpetithommeâgéquidoitêtrelefossoyeurs’approche,suividesporteurs
ducercueil.Ungémissementm’échappetandisquej’assisteàlascènelaplusdéchirantedemavie:lecercueildel’hommequej’aimeeffectuantsadescentedanslaterre,quittantdanslamêmefouléelecentredemonunivers.Je m’agenouille devant la tombe et contemple cette triste boîte en bois
descendre, tout en songeant que Colin aurait aimé que je sois forte etcourageuse. Mes larmes gouttent sur le bois sombre laqué de ce mauditcercueilmaisjeneprendspluslapeinedelutter,parcequejemedisqu’ainsi,unepartdemoiseraenterréeaveclui,d’unecertainemanière.Iln’auraitpasvoulume voir simalheureuse, ilm’aurait dit que tout se passerait bien et ilauraitdéposéundouxbaisersurmeslèvresavantdemeprendredanssesbras.Maisiln’estpaslàetjedevraidésormaistrouvercetteforceenmoi,laforcequimepermettraderesterenvie.
Jemesensseuleaumonde.Monregardnequittepasce troubéant,sisemblableàceluidemoncœur,
tandisquelesgensautourdemois’approchentunàunpourjeterunepoignéedeterresurlecercueilavantdes’éloigner.Lorsqu’il ne reste plus que moi, je me relève lentement et plonge mon
regarddanslafossedurantdelonguessecondes,songeantqu’unefoisquecesera fait, tout ce que nous avons été et tout ce que nous ne serons jamaisappartiendraaupassé.Jediraiadieuàcenousquenousformions,àcesdeuxamoureuxàenmourirquenousavonsétél’espacedequelquesmois.Jeprendsunepoignéedeterrequejedéverseauralentisur lecercueil,en
espérantunedernièrefoisquetoutçan’estqu’unhorriblecauchemardontjevaisfinirparmeréveiller.Lorsquemonbrasretombelelongdemoncorps,j’ailasensationden’êtreplusqu’uneécorcevide,uneenveloppesansâme.JesensChadetAmbers’éloigneretjeleursuisreconnaissantedemelaisser
seulequelquesinstants.Lesoirtombedoucementetlefroids’infiltreenmoimaisjesuisincapable
debouger,dequittercetendroit,deluidiredéfinitivementaurevoir.—Mia?Jesursauteetmeretournepourtombernez-à-nezavecladernièrepersonne
quej’auraispensévoirici.Savannah.Monsangnefaitqu’untouretunecolèrefroides’emparedemoi.Sachevelure rousse flamboyantecontrasteavecsonteintdiaphane,presqueangélique.Elleincarnetoutcequejedétesteetpourtant,envoyant sesyeuxvertsdélavésmarquésdecerneset ses lèvrespincéesquiretiennent visiblement des larmes qu’elle ne souhaite pas dévoiler, jemedisqu’ellen’estpeut-êtrepascellequejecrois.—Je teprésentemessincèrescondoléances…etmesexcuses,murmure-t-
elled’unevoixrauquequijureavecsonapparencesidouce.Jeresteinterdite,incapabledeprononcerlamoindresyllabe.Jem’attendais
àpeuprèsàtoutdesapart,maissûrementpasàdesexcuses.—Contrairementàcequ’onpeutpenser,j’aimoiaussiuncœur.Etcecœur,
jel’avaisdonnéàColin.Ses mots s’abattent sur moi comme la foudre. Elle aimait Colin mais ça
n’étaitpasréciproque.Aufond,commentl’enblâmer?—Colinn’ajamaisouvertsoncœuràpersonne.Àparttoi…poursuit-elle
enessuyantunelarme.Jevoulaistedemanderpardonpourcequej’aipufaire,jesaisqueçat’afaitdumalmaisj’étaisaveugléeparlajalousieetprêteàtout
pourlerendreamoureuxdemoi.Jesuisdésolée…Pourtout.Je suis désarçonnée par ses propos, incapable de réfléchir correctement.
Moiquilaprenaispourlediableenpersonne,jemeretrouveàéprouverdelacompassion pour cette fille qui n’est rien de plus qu’un cœur brisé. Colinignorait toutdel’amourquelesgensautourdeluipouvaient luiporter.MonressentimentenversSavannahs’évanouitdevantlasincéritéetlatristessedanssesyeux.—C’estoublié,jerépondsdansunmurmureenmetournantverslatombe
deColintandisqu’undouloureuxfrissonmetraverse.Je perçois l’étonnement dans ses yeux et je poursuis, autant pour elle que
pourmoi-même:—Tuasfaituneerreuretjet’enaivoulusurlecoup,maisc’estdupassé.
Toutlemondeadroitaubonheur,ycompristoi.Iln’estjamaistroptardpourbienfaireetjetesouhaitedufondducœurdetrouverunhommequit’aimeraautantqueColinm’aimait,unhommeavecquituserasheureuse.Lesyeuxbrillantsdelarmes,Savannahs’approchedemoietmeserredans
ses bras, à ma grande surprise. Je reste statufiée un moment puis lui rendsmaladroitementsonétreinte,troublée.—JecomprendspourquoiColinétaitfoudetoi.Tuesunebellepersonne,
Mia.Elle m’adresse un sourire triste puis disparaît dans la pénombre en me
laissantseuleànouveau.—Je crois que jevais rester encoreunmoment avec toi… jemurmure à
Colin,enm’asseyantprèsdelui.
Chapitre26
Mia
L’eau brûlante ruisselle sur mon corps immobile et froid tandis que jeressasse encore et encore l’enterrement. Je ne suis rentrée chez moi quelorsque le gardien du cimetière me l’a demandé et, après avoir dit adieu àColin,jeluiaiadresséundernier«jet’aime»ensachantquejen’auraiplusjamaisderéponse.Cela faitàprésentunesemaineet le tempssembles’être totalementarrêté.
J’aipassé cesderniers jours cloitrée chezmoi, sans avoir le couragedemerendre sur sa tombe. Je ne m’en sentais pas encore incapable… jusqu’àaujourd’hui.Sansenavoirvraimentconscience,jem’habillerapidementetjeprendsmavoiturepourmerendrejusqu’aucimetière.Tandisquejeparcourslesalléesbordéesdecroixsinistres,jemedemande
encorecommentj’ensuisarrivéelà.Jetrembledespiedsàlatêteetjesaisquelefroidn’enestpaslaseuleraison.Il faut que je le voie une dernière fois, rien qu’une seule, aumoins pour
essayerdefairemondeuil,mêmesijen’ycroispasvraiment.Plus j’approchede sa tombe et plusmadétermination s’enfuit.Lorsque je
voissonnomgravédanslapierre,ladouleurquimevrillelecœurm’arrachequelqueslarmesbrûlantes.Ilsembleraitquejenesoistoujourspasparvenueàm’habituer à voir son nom écrit là. Je m’étais pourtant promis de ne paspleurer.Je soupireetessuiemes jouesavantdem’agenouillerdevant la tombe.Le
couragequej’essayevainementderassemblersembles’évanouirenmoi,etluiparler se trouve être bien plus difficile que je ne l’avais espéré. J’inspireprofondémentetmelanceentrébuchantsurlesmots:— Amber et Chad m’ont invitée à aller prendre un café hier… mais le
serveur n’a même pas eu le temps de m’apporter mon thé que j’étais déjàressortie. Je ne supporte pas de faire comme si de rien n’était, comme si tun’avais pas complètement disparu de ma vie. Et sans m’en rendre vraimentcompte,j’ensuisarrivéeici,aujourd’hui.
Jemarqueunepauseet lève lesyeuxvers le«ColinCarter»gravésur latombe.— Je ne sais même pas si tu m’entends, je murmure en triturant
nerveusement mes mains. Je croyais en une vie après la mort mais ma foisembles’êtreamenuiséepournepluslaisserqu’unimmensevidelorsquetuesparti. J’ai tellement prié, tellement imploré le ciel pour que tu reviennes…Mais tu n’es plus là et j’ai tout perdu. Sans toi, ma vie n’est pas une vie etchaquelarmequejeverseestuneflammequiconsumeunpeuplusmonespoirdem’ensortir.Pourtant,jenepeuxm’empêcherd’espérerquetum’entendes,delàoùtues.Je lève les yeux juste au moment où quelques rayons de soleil filtrent à
traverslecielgris,etjesourisenimaginantquec’estlesignequeColinm’aentendue.—Jevoulaistedirequejevaism’enaller,moiaussi,jevaisreprendrema
vie.Jeveuxessayerdemereleveretd’avancermêmesitun’espluslà,peut-êtrededébuterunenouvellevie…Unenouvellevieoù tun’esplus.Tuyesapparuaussivitequetuenesparti,pourtantjeveuxquetusachesquejamaisjen’oublierai ce que tu as été pour moi, que jamais je ne te remplacerai. Jen’oublierai pas nos rires ni nos engueulades, lesmoments où tume serraisdanstesbrasoulorsquetum’embrassaistendrement.Jen’oublieraijamaistonsourire quand tume disais à tamanière que tum’aimais, ni l’éclat dans tesyeuxquandjetedisaiscombienjet’aimais.Je passe unemain sur son nom, comme si je pouvais l’atteindre de cette
manière.C’est tropdifficiledem’adresseràluisanssavoirs’ilm’entend,deluiparlerenmedisantqu’iln’ensaurapeut-êtrejamaisrien.—Jen’aijamaisétédouéepourlesau-revoir,maismedirequececin’est
pasunadieumeréconforte,çanourritmesespoirsdeteretrouverunjouretdet’aimerpourlerestedel’éternité.Oui,ons’aimeraàlafolie,ons’aimeracommenousn’avonspaspunousaimerdenotrevivant…Je t’aimeraisàenpleurerettum’aimerasàm’endire«jet’aime».OhColin…N’oubliejamaisque je t’aimeplus que tout aumonde, ne l’oublie surtout pas parce que j’enmourrais.Jevaism’enaller,maintenant,etj’ignoresijereviendrai…Tuesetseras à jamais dansmon cœur, tu esmonpremier etmondernier amour. Jet’aime,Colin.Je pose unemain sur sa tombepuis la porte àmes lèvres en cherchant le
couragedemerelever.Deslarmesbrûlentaucoindemesyeuxetjem’apprêteàm’enaller,lorsqu’unevoixfaitcesserdebattremoncœurenprononçantun
motquejenepensaispluspouvoirentendreailleursquedansmesrêves…—Idem.
Remerciements
Jesuisconvaincuequ’unehistoirenecessejamaisd’existertantqu’ellevitàtraversseslecteurs,etc’estgrâceàvousqueNemequittepasenestarrivélà,que j’aipu réalisermes rêves.C’estpourquoi je souhaiterais remercier tousceux qui m’ont suivie et soutenue, ceux qui m’ont soulevée, épaulée, etrattrapéelorsquejefaisaisdeserreurs.Vousêteslaforcequim’amenéelà,etjevousseraiàjamaisreconnaissante.
Photodecouverture:©nenetus/fotolia.com
©HachetteLivre,2016,pourlaprésenteédition.HachetteLivre,58rueJeanBleuzen,92170Vanves.
ISBN:978-2-01-700784-5
OneloveOnebloodOnelife
Yougottodowhatyoushould
OnelifeWitheachother
SistersBrothers
U2,One(1992)
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Premièrepartie
Charlie,9ansSacha,10ans
—Charlie,sit’étaisunanimal,tuseraisquoi?—Unaigle.Pourpouvoirsurvolerlaterre.Ettoi?—Unlion,lance-t-ilavantd’ajouterfièrement:pourpouvoirprotégerles
gensquej’aime.—Dommage.—Pourquoi?—On ne pourrait pas être ensemble, du coup.Moi dans les airs, toi sur
terre.—Jenemefaispasdesouci.Ontrouveratoujoursunesolution.
2002
Sacha,18ans
—Mec, tu veux une bière ?me demande Ben de la cuisine, alors que jecomateàmoitiésurlecanapé.—Yep.Cinqminutesaprès,ilestassisàcôtédemoietmetendleSaintGraal.—Àcetétéquicommence!Jerépète:—Àcetété.Benorganiselafameusesoiréedefind’annéechezlui.C’estunpeudevenu
un rituel depuis deux ans. Il doit y avoir une trentaine de personnes quicirculent dans toute sa baraque. Lamusique et l’alcool coulent à flots et çasembleconveniràtoutlemonde.—Tucommencesàbosserlundi?— C’est ça. Et, dans deux semaines, j’attaque au garage deux jours par
semaine.—Putain,moij’aipasenvied’allerbosseravecmondaron,mebalance-t-il,
dépité.—Allez,c’estjustel’affaired’unmois,c’estpaslamort.Aumomentoùjedisça,nosregardssefocalisentsurdeuxpairesdemiches
quisetrémoussentàquelquesmètresdenous.—Ellelefaitexprès,c’estpaspossible,baveBensursabière.—Possible.—Tuvascraquer?—Possible.Ilexplosederireavantdesouffler:—Salaud.Commenttufais?Moi,j’enchie.
—Letalent,mec,letalent.J’observe en souriant Nadia Loux qui danse devant nous avec sa copine
Mélissa.Ellemecherche, je le sais.Onapassécetteannéedepremièreànefairequeça.Semettreensemble,rompre,revenirensemble…Notrepetit jeunesurprendpluspersonne. Je la regardemesourireetm’allumer.C’estvraiqu’elleestbelle.Unesortedebeautésauvagequiexplosetoutsursonpassage,enfin,surtoutcequisetrouvedansnoscalbuts.J’aidelachance,depuisdeuxansellenejurequeparmoi;j’auraistortdenepasenprofiter.— Mate le regard qu’elle te lance façon « c’est quand tu veux », me
murmureBen,halluciné.Tumedégoûtes.Jeluisouris.—Jenesuispasunmecaussifacile.—C’estça,ouais.T’esunmec,çasuffit.—Ettoi,avecZoé?T’enesoù?JerestefocalisésurlecorpsdeNadiaquionduleàlaperfection.—Pasenelle,entoutcas,soupire-t-il.Toujoursenpause.—Tudéconnes…—Quoi?Non,maisj’enpeuxplus.Çafaitunanqu’onestensemble,etrien.
Nada. Je suis aubordde l’explosion.C’estune torture.Elle cale toujoursauderniermoment.Jecraquecomplet.J’enpeuxplusdesdouchesfroidesquineserventàrienetdemefinirseul.—Laisse-luiletemps.—Tupeuxparler, toi.T’asqu’àsourireetellesécartenttouteslescuisses.
Sachaestlà,c’estopenbarentremesjambes.—T’exagères.—JetepariequelaNadiavatefaireunepropositiondansl’heurequisuit.—Nadia,c’estpaspareil.—Encequimeconcerne,jesensquecetété,ceseralebon—J’espèrepourtoiquetunefaispasuneconnerie.—Jevaissurtoutnousrendreservice.Àmoi,monpoignetetmeshormones
dévastatrices.Attention,laNadiaenapproche,jerépète,laNadiaenapproche.Jetelaisse.Dès que ce traître deBen se lève,Nadia prend sa place et colle sa jambe
dénudéesurlamienne.Elleneditrien.Pasbesoindeparler,sagestuellesuffit.
Ellemeprendlabièredesmainsetsesertunegorgéedefaçonultra-sensuelle.Jeretirecequejeviensdedire:jesuisunmectoutcequ’ilyadeplusfacile,en fait.Qu’elle fassedemoicequ’elleveut.Moncorpsest sien.Enfin,moncorpsserabientôtimbriquédanslesien,pourêtreplusprécis.— On y va ? lui murmuré-je à l’oreille en embrassant sa mâchoire au
passage.Ellefrémit.—Quandtuveux.Je récupère labouteille, la finisetme lèvesans la lâcherduregard.Je lui
tendslamain.—Maintenant?—Jen’attendaispasmoinsdetapart.En sortant, je fais un signe à Ben qui me sourit comme s’il savait déjà
commentçaallaitfinir.Jen’aiqu’uncasque,jelefileàNadia.Detoutefaçon,onnevapasallerbienloin.—Unendroitenparticulier?—Jesuisouverteàtouteproposition,meglisse-t-elleavantdemontersurla
moto.Putain,quecettefilleestbandante!Jedémarreetl’emmèneàlaplageoùonal’habitudedeseretrouver,dans
unendroitunpeuplanqué,àdixminutesd’ici.Lejourlaissepetitàpetitplaceàl’obscurité.C’estparfait.Dès qu’on arrive, elle se jette sur moi et m’embrasse. Sa langue est
agressive, comme si elle en avait envie depuis longtemps. Elle a le goût demuscat. Je la plaque contre un rocher et glisse lamain sur l’intérieur de sacuisse pour la faire remonter tout doucement. Sa peau est douce. Je suis autaquet.—Çam’avaitmanqué,mesusurre-t-elleàl’oreille.Jepréfèreneriendirepournepasgâcherl’instant.L’expériencem’aappris
ànejamaisdirelavéritéàunefillequandonestsurlepointdeconclure.Setaireestenfaitlabasedetout,danscesmoments-là.Jel’embrassedanslecouetmesdoigtseffleurentladentelledesaculotte.Elle gémit. J’aime ça. Pendant quemamain se fait plus entreprenante,ma
boucheglissesursapoitrineplusquegénéreuse.—T’asunecapote?J’enaiunedansmonsac,sijamais,halète-t-elle.—Oui,dansmapoche.Elle commence à défaire mon jean et, alors que sa main s’aventure dans
monboxer, je lavois.Unesilhouettequimontelechemindelafalaise.Danscettesemi-obscurité,j’aidumalàbiendistinguer.—Çava?J’entendsàpeinesavoix.Mesyeuxetmonespritsontailleurs.Surcecorps
quisedéplaceverscesentierquejeconnaissibien.—Sacha?Mon prénom me sort de mes pensées. Je me reconnecte à la réalité et à
Nadiaquiestentrainde…mebranler?Putain!—Sacha!répète-t-elle.T’esplusavecmoi!Lami-molle,bordel.Ilnemanquaitplusqueça.—Jesuisdésolé.Ellem’embrasseànouveauenpoursuivantsesva-et-vient.C’esttroptard.Je
penseàautrechose.—Arrête,Nadia.J’suisplusdedans,là.Enfait,jenel’aijamaisété,sij’ypense.—Mais si, ça va revenir.Laisse-moim’occuper de toi, essaie-t-elle de se
rassurerensemettantàgenoux.J’ai une nénette prête à me tailler une pipe et je ne peux décrocher mon
regarddeceputaindechemin.Jesuisdéfinitivementpathétique.—Non,stop!Ellemefusilledesyeux.—Tudéconnes,là,j’espère?Jem’écarteen remontantmabraguetteetattrape lecasque.Lasilhouettea
disparu. J’ai le cœur qui cavale. Souvenirs enfouis.Depuis si longtemps, dumoinsjelecroyais.—Jeteramène?—T’esvraimentunconnard,SachaBourgeois.—Tunem’apprendsriendenouveau.
Charlie,17ans
Jen’enrevienspas.Toutestcassé.Qu’est-cequiabienpusepasser?Mêmel’échelle.Notrecabane.Monrepaire.J’avaisespérétoutretrouvercommeavant.Onseretrouvera.C’estuneévidence.Lesderniersmotsqu’ons’estglissés,
enlacés,ilyadéjàdeuxans…Cesmotsquim’ontpermisdem’accrocheretdetenir le coup. Cesmots que jeme répétais quand je craquais. Ils ont étémaforce.Jenesupportepasdevoirnotresanctuairedanscetétat.Jeramasselavieilleradioetquelquespetitesvoituresquitraînent.J’essaie
derangerunpeu,maisilcommenceàfairetropnuit.Jenesuispascapabledelaremettreenordremaintenant.Çam’angoisse!Mes jambes lâchent et je me retrouve assise au milieu de tous mes
souvenirs…danscettecabane…dansmachambre…danscetterueMatissequinousapermisdenousrencontrer.
1994
Sacha,10ans
Je suis dans ma chambre en train de lire le dernier numéro deMarvelMagazineetlanouvellehistoiredeSpidermanquandj’entendsungrosboucanquiprovientdelarue.On habite un lotissement tranquille, avec mes parents. Quand je dis
tranquille,jesuismêmeloinducompte:iln’yaenfaitaucuneanimation.Ilnesepasserien…àpart,detempsentemps,M.Pouilletquim’accusedeluiavoirvolésonchien,alorsqu’iln’enajamaiseu.Sinon,c’est lecalmeplat.Ennui total.Ducoup, lemoindrebruitéveille la
curiosité.Je tire le rideauetobserve levoisinagepar la fenêtre.Unénormecamion
avecécritLesdéménageursquiassurentestgarédanslarue.Ça doit être les nouveaux voisins.Mamanm’a dit que lamaison d’à côté
avaitenfinétévendue.Jeremarqueplusieursdéménageursquisortentavecdescartons. J’espèrequ’ilyauraungarçonavecqui jepourrai jouer.Parcequeniveaucopains,danscetterue,jepeuxmegratter.UnevoiturearriveetsegaredevantchezM.Pouillet,justeenfacedechez
nous.IlsneconnaissentpasencorelesrèglesdelarueMatisse.Lesfous!!!Unhommeensort,ilestgrand.Ilportedeslunettesdesoleilstyleaviateur.J’adore!J’enaidemandéunepaireàmaman,cetteannée.Ellearefusé.
Faitesqu’ilensorteungarçon…Faitesqu’ilensorteungarçon…Faitesqu’ilensorteungarçon…Laportearrières’ouvre,enfin.S’ilvousplaît,jeprometsques’ilensortunpotedemonâge,jemelaverai
touslesjoursetj’arrêteraidefairecoulerl’eaupourfairesemblant.
Jefixecetteportièrecommesij’avaislepouvoirdecontrôlercequiallaitsuivre.Unenfantapparaît.Ondiraitqu’ilestpluspetitquemoi.Jen’arrivepasbienàlevoir.Ilporteunsacàdos.Jenepeuxpasdistinguersonvisagesoussacasquette.Illèvelatêteversleciel.Ilfaitquoi?Ilnebougeplus.L’ombrem’empêchetoujoursdedécouvriràquoiilressemble.—Sacha,àtable!Mince!
Charlie,9ans
Jeboude.Papa m’a interdit de manger des bonbons dans la voiture. J’enfonce ma
casquette sur la tête et baisse la visière pour luimontrer que je ne suis pascontente.—Charlie,s’ilteplaît,àneufans,onnefaitplussonbébé!Jenerépondspas.J’essaiedefairecommelui.Metairequandjesuiscontrariéeetattendreque
çapasse.J’yarrive…pendanttrentesecondes,puisonfinittoujoursparsedisputer.—Jenesuispasunbébé!—Alorsprouve-le.J’aimepasquandilmeditça.
Charlie,j’aibesoinquetusoisgrande.Charlie,ilfautqu’onseserrelescoudes,netecomportepascommeça.Charlie,onesttousresponsablesdenosactes!J’observelarue.Personne à part nous et les déménageurs qui nous aident pour notre
installation.C’estcalme.Je n’ai pas l’habitude. J’ai toujours habité en région parisienne, dans une
grandetourdequinzeétages.Cheznous,c’étaitlesilencequiétaitlouche.Je lève les yeux au ciel pour profiter du soleil et de tout ce bleu. J’adore
cettecouleur.AvecLéa,onavaitdécidéqueçaseraitnotrecouleurpréférée,pourtoujours.Léamemanque.Elleétaitmameilleurecopine.Enfait,c’étaitmaseulecopinedepuisleCP.Onatoujoursétédanslamême
classe.Jeneveuxpasallerdanscettenouvelleécole.Jeneveuxpasmefairedenouvellescopines.
Jeneveuxpashabiterici.Jecontinued’observerleciel.Jeneveuxpasbouger.Jenesaispascombiendetempsjesuisrestéecommeçaquandjeremarque
unesilhouetteà lafenêtrede lamaisond’enface.Lesrideauxbougent.Jenevoispasbienquisecachederrière.—Allez,Charlie,viensvisiterlamaison.Jemedécideàsuivremonpère.Ilfautquejemefasseàl’idéequec’estici,
notrenouveauchez-nous. Je serremon sac àdos contremoi et jemonte lesquelquesmarchespourarriveràuneportedéjàouverte.J’aipeur.Etsicettenouvellemaisonnemeplaisaitpas?Je suis dans une entrée. Il y a un homme qui parle à mon père. Je reste
bloquée.Jenesaispastropoùjepeuxaller.Ilyadescartonspartout.—Charlie,jedoisréglerquelquesaffaires.Monteetchoisislachambreque
tuveux.Jenebougetoujourspas.Ils’approcheetsemetàmahauteur:—Onserabienici,merassure-t-ilavecungrandsourire.Jemeraccrocheàça.Ànotrefuturevieàtouslesdeux.Jemonteetdécouvreunpalieravectroisportes.Lapremièresurlagauche
donnesurunechambre.Ellenemeplaîtpas.Jedécided’ouvrircelled’àcôté.Jesuisattiréeparuncrayonquitraîneparterre,prèsdelafenêtre.C’estcelle-làquejechoisis.J’entreetm’assiedscontreunmur.J’ouvremonsacetensorsmoncarnetà
dessin et ma boîte. Les deux seules choses dont je ne pourrais jamais meséparer.
Sacha
Mamanmelaisseallerchercherlepain,seul,depuisdéjàtroisans.Jecroisqu’ellem’atoujoursfaitconfiance.C’estuneartiste,etpapaditd’ellequ’elleal’esprit aussi libéré que ses crayons. Je sais que j’ai de la chance quandj’observemespotesàl’écoleetlarelationqu’ilsontavecleursparents.Moi,j’aidixansetjepasseenCM2àlarentrée.Jevaisfairepartiedesplusgrands,j’aihâte.Jesuissurlecheminduretour,surmonskate.Jetentedesfiguresmais,avec
labaguette,j’aidéjàfaillitomberdeuxoutroisfois.Aumomentoùj’essaiele«sautdelamort»,commeonl’appelleavecBen,jelavois.Caroline!CarolineJoutey.Elleesttropbelle.C’estpossibled’êtretropbelle?Jesaispas,maiselle,ellel’est!Jemeloupeetjemeramasse.J’ailegenouensang,maiscequim’importe
leplus,c’estdesavoirsiellem’avu.Jelèvelesyeux:ellesembleinquiète.—Çava,Sacha?—Aucunproblème.—Tantmieux.Jelaregardepartir,ellefaitbougerseslongscheveuxblondsenmefaisant
unpetitsignedelamain.Jenepeuxm’empêcherdesourire,puisjeremarquesoudainlabaguette.Enfin,cequ’ilrestedelabaguette.Ilvafalloirquejetrouveuneexcuse.Jerentreàlamaison,leskateàlamain,enboitant.J’essaiedetrouverune
histoire qui puisse tenir la route. Un géant d’au moins deux mètres m’arenversé en courant. J’ai essayé de sauver le pain, mais je n’ai pas réussi.Pardonne-moi, maman. Mouais… Ou alors : une voiture a essayé dem’écraser,onauraitditMmeRagout.C’étaitsoitlabaguette,soitmoi.Peut-êtreque le sangsurmongenoupourramesauver surcecoup,ou le
faitd’arriveràlafairerire.Çaatoujoursfonctionné.Aumomentoùjepassedevantlamaisonrécemmentoccupée,jelevois.Il
estassissurlesescaliers,entraindedessiner.Ilatoujourssacasquettevisséesurlatête.Jedécided’enavoirlecœurnetetjem’approche.—Salut!Aucuneréponse.Ilnelèvemêmepaslesyeux.Ilcontinuededessiner.Ilseprendpourqui?—Çasefaitderépondrequandquelqu’unteparle.Je commence à perdre patience quand il daigne enfin s’arrêter pour me
regarder.Lechoc!Jen’aijamaisvudesyeuxpareils.Jenesavaismêmepasqueçaexistait.Ils
sont entre le jaune et lemarron. Ils sont comme la bagueque portemaman.Ellem’adéjàditcomments’appelaitcettepierre…Del’ambre.Ilalesyeuxambre,c’estexactementça.Enrevanche,sonregardmefusille.
J’aperçoisunemècheroussequisortdelacasquette.—Tumefaisdel’ombre,merépondunevoixgrave.Sanstropsavoirpourquoi,jem’assoisàcôtédelui.J’observesondessinquandilenlèvesacasquette.Unelonguetignasses’en
échappe.Zut,c’estunefille!Unefilledontlescheveuxetlesyeuxsontdelamêmecouleur.Unefilleàlavoixgrave.Unefillequimelancedeséclairsavecsesyeuxambre.—Moi,c’estSacha.Ellemedévisage.—Etmoi,c’estCharlie.Charlie?C’estbizarre!—C’estunvraiprénom,ça?— Non, c’est le prénom que je donne aux curieux dans ton genre ! me
répond-elledutacautac.J’hésite entre l’envoyer balader et rire. Elle est toujours tendue, on dirait
qu’ellevamesauterdessus.Jechoisisladeuxièmesolution.—Tudessinesquoi?Ellefixemongenouengrimaçant.—Tusaignes?—Oui, j’aiessayéquelquessautsenskate,mais j’ai rencontré legoudron
d’unpeutropprès.—Lamer.—Quoi?—Jedessinelamer.—Jepeuxvoir?Ellemetendsondessin.—C’estoù?—Dansmatête.J’imaginequec’estcommeça.J’aidumalàcomprendre.— Je n’ai jamais vu la mer. J’y suis allée, toute petite, mais je ne m’en
souviensplus.—Commentc’estpossible?Elleme fixe en silence avec ses immenses yeux. J’en ai jamais vu des si
grands.—Tusaisqu’onalameràmoinsd’unkilomètre?—Papam’adit,oui.—Tuveuxyaller?—Alleràlamer?—Non,allerprendredescoursdeflûteàbec.Évidemment,àlamer.—Quand?—En fait, jenepeuxpasyallermaintenantparcequ’onvamanger,mais
après,situveux.—Jenesaispassipapaserad’accord.—Jedemanderaiàmamèredepasserlevoir.Elleatoujoursététrèsforte
pourconvaincrelesgens.T’asunvélo?—Non.Jemelève.
—C’estpasgrave.Tuviendrassurmonporte-bagage.Prépareunmaillotetune serviette. Il y a pasmal de touristes pendant les vacances d’été,mais tuverras,ons’yhabituevite.—OK.J’ai peur qu’elle change d’avis, alors je me dépêche de retourner à la
maison. Je monte les six marches en courant. Bizarrement, ma blessure deguerrenemefaitplusaucuneffet.Enouvrantlaporte,jecrie:—Maman!—Elleestdanssonatelier,merépondcalmementmonpèrequiestentrain
deréparerlemeubledel’entrée.Jecontinuedecourir,traversetoutelamaison,lejardin,jusqu’àsonatelier.
J’essaie de me calmer avant d’entrer. Je sais qu’ici, c’est son univers, sonendroitàelle,soninspiration.Jefrappeàlaporte.—Oui?J’ouvre.Elleestaumilieudelapiècedevantsonchevalet.Elleadelapeinturesurles
mains.Elleestconcentrée.Jetrouvequ’elle-mêmeressembleàuntableau.—Çava,moncœur?Tuestoutessoufflé.—Oui,j’aicouru.—Quelle est cettenouvelleque tudoism’annoncer etqui temetdanscet
état?—J’aifaittomberlabaguette.Ellen’estpasbelleàvoir.Ellemeregarde,surprise.—Ettuascourupourmedireça?—Euh…Non.Ellemesourit.—Alors,raconte-moi,maintenant.—Elle a jamais vu lamer,maman. Tu te rends compte ?Comment c’est
possible?—Quiça?—Charlie,lavoisine.
—Tuasfaitsaconnaissance?—Oui,elledessinaitsurlesescaliers.—Etelledessinaitquoi?—Lamer…lamerqu’ellen’ajamaisvue.J’aimeraisbienl’yemmener.—C’estunetrèsbonneidée.—Jevoudraisyallerde suiteaprèsmanger.Elleapasdevélo,maiselle
pourramonterderrièremoi.Jeparlesansreprendremarespiration.J’aitellementhâtedevoirsaréaction
devant lamer.Moi, j’ai grandi avec, je l’ai toujours connue. Je ne pourraisplus m’en passer. C’est mon repère. Du coup, j’ai du mal à m’imaginer cequ’ellevaressentirenladécouvrantpourlapremièrefois.—Biensûr.Toutmesembleparfait.Alors,c’estquoilesouci?—Enfait,elleapeurquesonpèreneveuillepas.—Maispourquoiça?—Aucuneidée.—Si tu veux, je peux aller lui parler.On pourrait leur apporter quelques
fraisesdujardin.Jeluisautedanslesbras.—T’eslameilleure!—Nel’oubliejamais!—Jamais!
Charlie
Onvientdefinirdemangerdevantlesinformations.Papaacuisinédespâtesàlabolognaise,saspécialité.—Papa?—Oui?merépond-ilpendantqu’ondébarrasselatable.—J’airencontrélegarçond’àcôté.—Quelgarçon?—Levoisin,Sacha.Ilestgentil.—Maisquand?—Toutàl’heure.Quandtuétaisdanstonbureauàécriretonarticle.—Ilestvenuàlamaison?s’inquiète-t-il,choqué.—Maisnon.J’étaisdevantlaporteetilestvenumeparler.—Ilaquelâge,cegarçon?—J’ensaisrien!—Tusaisquejen’aimepasquandtuparlesàdesinconnus.—C’estnotrevoisin.—Cen’enestpasmoinsuninconnu,Charlie.Ehbien,c’estmalbarrépourqu’ilacceptenotreviréeenvélo.Aumoment
où j’essaie d’évoquer le sujet, la sonnette retentit. Je cours regarder par lafenêtre.C’estSacha.Sachaetsamaman.Jenesuispassûrequecesoitunesibonneidéequeça,enfindecompte.Je
voismonpèrequisedirigeverslaporte.—Papa,ilfautquejetedisequelquechose.—Toutàl’heure,Charlie.Mince!J’entendslavoixdesamaman.Elleestdouce.Jenemesouviensmêmepasdecelledelamienne.Onabeaumedireque
c’est normal, qu’avant l’âge de quatre ans, il est difficile de garder des
souvenirs…Parfois,jemesurprendsàmeconcentrertrèsfortetàessayerdelesfairerevenir...—Merci,c’estgentil.Lavoixdemonpèremereconnecterapidement.Jem’approche de la porte. Sachame fait un petit signe de lamain etme
lanceungrandsourire.J’écoutesamamansouhaiterlabienvenueàmonpère,luiparlerdefraises,duquartier,delarégion,delamer,desonfils…demoi.Pendant tout le tempsde sonmonologue, ellegarde le sourire.Mêmequandmonpèreprendsonairdepapaoutré.—Ilesthorsdequestionquemafilleailleàlaplageavecvotrefils.Ilssont
bientropjeunes.— Vous savez, les enfants sont beaucoup plus responsables qu’on ne le
pense.—Jesaisbien,maisCharlienesortirapassanslaprésenced’unadulte.—Si ce n’est que ça, je les accompagnerai avecgrandplaisir.Charlie, tu
pourrastetenirprêtevers17heures?Ilyauramoinsdemonde.Monpèrevientdetomberdanssonproprepiège.Jen’aipasl’habitudedele
voirsivitedésarçonné.—Oui,madame.—Juliette.Appelle-moiJuliette.—Oui,Juliette.Juliette:1Papa:0
JesuisderrièrelamamandeSacha.Juliette.Ellepédaletranquillement.Jel’entendsfredonner.Sacha essaie de venir me parler mais, avec le vent, j’ai du mal à
comprendre.Jel’observefairelepitre.Jefermelesyeuxettournemonvisagevers l’arrière pour sentir la brise. J’ai toujours voulu voir lamer autre partqu’àlatélé.Jel’aidessinéetellementdefois…J’espèrenepasêtredéçue.C’estsouvent
çalesouciquandonespèretropdequelquechose…ladéception…
—Respire,Charlie,meglisseJuliette.J’ouvredenouveaulesyeuxetlavois.Lamer!Elleestimmense.Jen’enrevienspas.J’aidumalàréaliserqu’elleestjustedevantmoi.—Çateplaît?medemandeSacha,inquiet.Jemecontentedehocherlatêteendescendantduvélo.—Onconnaîtencoredescoinsque les touristesne fréquententpas.Çane
durerapas.Ilfautenprofiter,déclareJuliette.Jen’osepasavancer.JecroisqueSachanonplus.Ilm’observeensilence,
commes’ilavaitpeurdebriserquelquechose.— Les enfants, je vais m’installer ici pour bouquiner. Vous pouvez vous
approcherdel’eau,dumomentquejevousvois,nousencourage-t-elle.Allez,Charlie,respireetfileaffrontertoutescesbellesémotions.Laisse-toialler!Jen’aipasletempsdeluirépondre,Sachameprendlamainetcourtsurle
sableenriant.J’aidumalàlesuivre,maisjeneveuxpasleluimontrer.C’estunedrôledesensation.Lesgrainsquis’incrustentdansmestongs.Lesableestchaud,maisnebrûlepas.Jem’écrie,essoufflée:—Attends,j’aiperdumatong!Ons’arrête.La mer n’est plus qu’à une dizaine de mètres. J’essaie de reprendre ma
respiration.—Allez,Charlie!Pasledroitdereculer,memenaceSachaens’approchant
demoi.T’aspeur?—Mêmepaspeur!Ilmesouritetseremetàcourir.Ilenlèvesontee-shirt,puissestongs.—Prouve-le,alors!Jem’avancedoucement.Iladéjàlespiedsdansl’eau.Jeposemesaffairesàcôtédessiennesetmemetsenmaillot.Mespiedsnus
s’enfoncentdanslesable.C’estagréable!Ilsvonttoucherl’eau.Troispas.Deuxpas.
Unpas.Ilstouchentl’eau.—Elleestsuperbonne!rigoleSacha.—Tutrouves?—Tuvasvitet’yhabituer.Allez,viens,onvanager.Ilyadesfalaises.C’estcommedanslesfilms.C’estcommedansmesrêves.—Charlie,situvienspasdansmoinsdedixsecondes,jetejetteàl’eau!
Sacha
Je la regardeme rejoindre.Elle a enlevé sa casquette et ses cheveux rouxglissentsursonvisage.—Neuf.—Arrête!Laisse-moiletemps!—Non,c’estpasdrôlesinon!Huit.—Jevaisyaller,maisarrête!—Sept.—Sacha,t’esnul!—Cinq.—Onnevousapprendpasàcompterdanslecoin?—Trois.—Tutriches!—Un.Ellemejetteunregarddedéfiavantdeplonger.Ellefaitquelquesbrasses
sousl’eauetressortaveclesourire.—Tuvois,c’étaitpassidifficile.Allez,onvanagerjusqu’àlabouée!— Le dernier arrivé est une chiffe molle ! crie-t-elle avant de partir en
crawl.Quandjeréalisecequisepasse,elleestdéjàtroismètresdevant.Jedonne
toutpourrattrapermonretard,maiselleestrapide.—J’aigagné!proclame-t-elle.—T’astriché.—Jamais!Onvajusqu’àl’autre?—J’suispassûr.—T’aspeur?Onpasseuneheureànageretjecommenceàressentirlafatigue,alorsjelui
propose d’aller se reposer. Je fais un petit signe àmaman quand on sort del’eau, et on s’allonge sur nos serviettes. J’avais déjà remarqué ses taches de
rousseur,maislà,aveclesgouttessursonvisage,ellesressortentencoreplus.—Alors?T’astrouvéçacomment?—C’estsuper!Encoremieuxquejemel’imaginais.—Tuvasdessinercetendroit?—Oui,murmure-t-elle.J’aitellementdequestionsàluiposerquejenesaispasparoùcommencer.Allez,Sacha,lance-toi!—Pourquoivousavezdéménagé?Ellemeregarde,surprise,puismesourit.—Jevaisessayerdeterépéterlesmotsexactsdepapa,mesort-elleavantde
réfléchiretdeprendreunair trèssérieux:«Charlie, j’aieuuneopportunitéquejen’aipaspurefuser.Onvas’offrirunautrecadredevie.»Çadevaitêtreàpeuprèsça,semarre-t-elle.—Maist’aspasdemaman?—Toutlemondeaunemaman.—C’estpascequejevoulaisdire.Tum’astrèsbiencompris,jesuissûr.—Elleestpartiequandj’avaisdeuxans.Jelaregardetristement.—T’inquiète,c’estrien.Jenem’ensouviensmêmepas.—Elletemanque?—Non.Jepenseà lamienne,demaman,età lapeurque j’aide laperdre.Quand,
l’annéedernière,RomainRichetaperdulasienned’unemaladie,j’aiangoissépendant des mois. Mes parents parlaient même de m’emmener voir un psy.J’avaisjusteréaliséquelesgensqu’onaimepouvaientdisparaîtreetçam’avaitfaitflipper.Jeneveuxpasqu’onmeprennemamaman.Jamais!— On va manger une glace ? nous interrompt-elle à cet instant avec un
immensesourire.
Charlie
Onestderetour.Jeviensdemangerlameilleureglacedemavie.Ons’estarrêtéschezunglacieritalien.J’aicruquej’allaismourirtellementc’étaitbon.J’aiapprisquelamamandeSachapeignait…queJuliettepeignait.J’aiencoredumalàl’appelerparsonprénom.Quandelleasuquej’adoraisdessiner,ellem’aproposédevenirvoirsonatelier.J’aitrophâte!Jedessinedepuistoujours.Papa m’a expliqué une fois que c’était le moyen que j’avais trouvé pour
communiquer.Jenemeposepastoutescesquestions.J’aimeça.Çamesuffit.Çam’atoujoursdétendue.Aumoment où on arrive dans la rue, je remarque un vieuxmonsieur au
milieudelaroute…ensous-vêtements…ensous-vêtementsdefemme.C’estquoi,ça?Ondescendduvélo,Julietteleposeetfileverslui.—MonsieurPouillet?Qu’est-cequevousfaitesdehorsdanscettetenue?—JechercheKiki.Iladisparudepuiscematin.Jesuis inquiet.Jesuissûr
quec’estencorevotrefilsquimel’avolé.—Vousavezprisvosmédicaments?luidemandecalmementJuliette.—Kiki?Reviens,Kiki!Viensvoirpapa!—C’estM.Pouillet,iln’aplustoutesatête.Quandiloubliesesmédocs,il
déraille,m’expliqueSachatoutbas.—MonsieurPouillet,àquisontcesvêtements?—Àmoi!C’estmatenuedegala.Ellevousplaît?—Ellevousvatrèsbien.J’ensuisjalouse!Jevaisvousaideràrentrerchez
vous.—Vousêtesbiengentille.—C’estnormal,ditJulietteensouriant.Sacha,raccompagneCharlie,s’ilte
plaît.Jemerenseigne,inquiète:
—Ilestdangereux?—Pasdu tout!C’est justequ’ilperd laboule.Çametunpeud’animation
danslequartier.Onseretrouvedevantlaporte.Jesuispartagéeentrel’enviedecourirtout
raconteràpapaetl’enviedeprolongercemoment.Jen’aipasletempsdetropréfléchir,carSachamequestionne:—Elledonnedequelcôté,tachambre?—Hein?—Ben, nosmaisons sontmitoyennes. Elles doivent être construites de la
même façon. Du coup, la tienne, de chambre, donne sur la rue ou sur lejardin?Jeluirépondsenluimontrantlafenêtre.—Surlarue.—Moiaussi,enchaîne-t-ilenmedésignant lasienne.Onpourraitpresque
passer d’une chambre à l’autre. Tu sors sur leminibalcon et tu escalades lerebord.—Tuferaisça?—Sûr!Jemetourneverslui:—Merci,Sacha,pourcetaprès-midi.Vraiment!—Avec plaisir. On se voit demain ? suggère-t-il enm’embrassant sur la
joue.Jerecule.Jen’aipastropl’habitudedecegenredegestes.—Euh,oui.Enfin,jesaispastrop.—T’asquelquechosedeprévu?—Non,jecroispas.Papanoussurprendenouvrantlaporte.—Vousêteslà?Alors,c’étaitbiencettevirée?—Génial!—Bon, j’yvais.Bonnesoiréeàvous.Peut-êtreàdemain! lanceSachaen
repartant.—Peut-êtreàdemain?répètepapapendantquej’entredanslamaison.Jeréponds,unpeusurladéfensive:
—Quoi?Onaquelquechosedeprévu?—Non,non.C’estjustequevousvousêtesjusterencontréscematinetvous
passeztoutvotretempsensemble.—Papa!Onestjusterestésquelquesheures.—Oùétaitsamaman,d’ailleurs?Ellenem’inspirepasconfiance.—NedispasdemaldeJuliette.—Juliette?Tul’appellesparsonprénom?Méfie-toi,Charlie.— Tu veux que je te raconte ou tu vas continuer à soupçonner tout le
quartier?—Jedoispasserquelquescoupsdefil,maistumeraconterastoutàl’heure,
merépond-il,unpeugêné.—D’accord.Jevaisdansmachambre.Jemontelesescaliersencourant,fermelaporte.J’ouvremonsacàdoset
ensorsmoncarnetetmoncrayon.Jem’assoisparterre,dosaumur,etjefaiscequejesaisfairelemieux:jedessine.
2002
Sacha,18ans
JeviensdedéposerNadia.Elleétaitvraimentencolère.J’aimêmeeudroità«bitemolle»,enrepartant.Jenesuispassûrqueçajoueenmafaveur,cettehistoire.Jepenseàlasilhouette.J’aibesoind’enavoirlecœurnet,alorsj’yretourne.Une fois sur le chemin, j’ai les jambes qui commencent à flancher. Je
trembledepartout.Jenesuismêmepluscapabledeprononcerlenomdecetendroit.Çavafairedesmoisquejen’yaiplusmislespieds.Plusjemerapprocheetplusj’angoisse.Sacha,maismerde,machine!Personne. Jene saispas si je suis rassuréoudéçu. Jepensaism’être sorti
toutçadelatêteetçamerevientcommeunboomerang.Jemedirigeverslebelvédèrequandjel’aperçois.Elleestdedossurlaplage,directionlamer.Putain,c’estelle?Il suffit qu’elle se retourne et je serai fixé.Mais est-ce que j’ai envie de
l’être?Bordeldemerde!J’aidûlecrieràhautevoixsansm’enrendrecompteparcequ’elles’arrête.
Jecroisquemoncorpsaussiettouslesorganesquivontavec.Enfin,peut-êtrepascomplètement,çaseraitcondeclamserdecettemanière.Ellefaitdemi-tour.Ilfaitsombre,maislà,jen’aiplusdedoute.J’aijusteenviedefuir.Non!C’estfaux,etjelesais.J’essaiesimplementdemeconvaincrequeje
suiscapabledepartirsansunmot.—Sacha?Cettevoix.Cettevoixgrave.Cettevoixgravequejemesuisforcéàoublier.Jefermelesyeuxetfaisunbonddedeuxansenarrière.
J’ailanausée.Quandjelesouvre,elleesttoutprès,tropprès.—Sacha?—C’estmoi.Les mots sont sortis sans passer par la case cerveau. Pas besoin de le
préciser, vu la connerie que je viens de lui balancer. Comment t’assures,Sacha!Jenepeuxm’empêcherdelaregarderfixement.Ondiraitelle,sansêtreelle.Ilnemanquaitplusqueça,qu’ellemesourie.—Jelevoisbien.Jenedisrien.Jeladétaille.Elleestgrande.Leslampadairestoutaulongdubelvédèrenouséclairent,sonshortsemble
minuscule sur ses immenses jambes hâlées. Je continuede remonter sur sondébardeur qui, pour une fois, semble être à la bonne taille. Elle le remplit.Charlieavecunepairedeseins?—Sacha?Plushaut,s’ilteplaît.J’abandonne cette vision et entre en contact avec ses yeux. Eux n’ont pas
changé. Ils sont toujours aussi expressifs, avec cette couleur que je n’ai vuenullepartailleurs.—Tuvasbien?Sijevaisbien?J’ail’impressiondevoirunfantôme.J’ai l’impressiondevoirunfantômeavecbeaucoupplusdeformesque je
nel’aiquitté.—Pourquoiçan’iraitpas?—Parcequetuasdumalàmeregarderdanslesyeux,semoque-t-elle.—Qu’est-cequetufousici?—Pardon?medemande-t-elle,surpriseparmonagressivité.—C’estquoilemotquetunecomprendspas?Ellesetait,alorsjecontinue:—Mademoiselleestpartiedeuxansetatoutperdu.Depuisquandtunesais
plusparlerfrançais?
—Depuisquandtuesdevenuunpetitcon?Jesiffle:—Laissetomber.Etjemebarre.Jel’entendscourirderrièremoi,maisjenem’arrêtepas.Je
sensquecettebouleque j’avais réussi àplanquerest en trainde ressortir engrossissantdesecondeensecondeetqu’elleestprêteàexploser.—Sacha,attends!Jestopped’uncoupetmeretourneavantdelarejoindreendeuxenjambées.—Pourquoi?Pourquoijet’attendrais?T’eslàdepuisquand?—Ledébutdesoirée.—Ettureparsquand?—Jenereparsplus.Ellenerepartplus?Jenepensaispluslarevoiretellem’annoncequ’elleresteici!J’aibesoind’air.—Jem’entape,detoutefaçon.Jenesuisplusàtadisposition.—Tum’enveux?—Sijet’enveux?Ellesefoutdemagueule?C’estcommesiellemedemandaitsiAngelina
JolieétaitbandantedansTombRaider.Etelleosemedéfierduregardcommesic’étaitmoiquiétaisentort,enplus?—D’aprèstoi?—Vulafaçondontturéagis,j’ail’impressionqueoui.—Putain,maisCharlie,tuveuxquejeréagissecomment?—Jenesaispas.Maispasdecettemanière.—Tupréfèreraisque je teprennedansmesbrasen t’avouantque tum’as
manqué?—Pourlecoup,oui.—Ehbien,non.—Jenet’aipasmanqué?—Non.Enfinsi,maislàn’estpaslaquestion.—Alors,elleestoù?
Elleestsérieuse?Ellen’apasdonnédenouvelledepuisplusd’unanetellemeregardecommeavant.Commesicesdeuxputainsd’annéesn’avaientrienchangéentrenous.Maisçaatoutchangé.Jenesaispasquoiluidire.—Moi,entoutcas,tum’asmanqué,murmure-t-elleenmefixantdroitdans
lesyeux.Ellen’apasledroit.Ellenevapasme la jouercommeça. J’enai tropbavé. J’ai enviequ’elle
souffrecommej’aisouffert.—C’estçaetmoi,jeviensdemetaperMmeRagout.Ellemetouchelebras.—Tudoutesdemoi?Ellesemblechoquée.—Bien sûrqueoui.Dis-moipourquoi jenedevraispasdouter ?Pasune
seulelettreniuncoupdefildepuisquatorzemois,Charlie.—Jesais,j’aidéconné.—Déconné?Cen’estpaslepremiermotquimeviendraitàl’esprit.—Jepeuxt’expliquer,situmelaissesletemps.Samainesttoujoursposéesurmonbras.—Désolé,jedoisvoirquelqu’un.Onsecapteplustard.Jeviensvraimentdedire:«Onsecapteplustard?»—Quand?—Jenesaispas.—Demain?—Onverra,m’enfuis-jeloindesonregardpourm’empêcherdecraquer.Sacha,tuespathétique!
Jesuissurmamotoetjeroule.J’ai besoin de m’éloigner. D’elle, de ses souvenirs, de tout ce qui la
concerne.Unefoisque jesuisàunedistance raisonnable, jem’arrêteetprendsmon
portable.C’estmoi.Jepeuxpasser?Jesais, j’aiété leroidescons,mais jen’arrêtepasdepenseràtoidepuis
quejet’airamenée.Tum’obsèdes,Nadia.Tumerendsfou.Jesuislàdanscinqminutes.Laissetafenêtreouverte.Je suis juste un gros bâtard, sur ce coup, mais c’est ce dont j’ai besoin
maintenant.Enmoinsdedixminutes,jesuisdanslaplace.C’estquandmêmebienpratiquequesamaisonsoitdeplain-pied.Ellem’attendsurlelit.Ellenesaitpassielledoitêtreencolèreouexcitée.
Sûrementlesdeux,enfait.Moi,entoutcas,jelesuis.Jenedisrien.Jenedétachepasmonregardd’elle.Je posemon casque, jettemes baskets,mes chaussettes et fais passermon
tee-shirt par-dessus ma tête. Il ne me reste plus que mon jean quand jem’avanceverslelitetgrimpedessus.Je suismaintenant sur elle et je luimaintiens les bras au-dessus de la tête
avec une seulemain pendant que l’autre caresse l’intérieur de ses cuisses etmontedoucement.—Tucroisquejesuisàtadisposition?—Tuveuxquejem’enaille?—Oui.Mamainseglissesoussonshortencoton.Elleesttrempée.—Toncorpsditlecontraire.—Alorstuattendsquoi?Ellen’apasfinisaphrasequemeslèvressontsurlessiennes.Jel’empêche
debougerpesantsurelledetoutmoncorps.Ellegémit.J’embrassesamâchoire,puisdescendslelongdesoncou.Elleessaiedese
déplacer, mais n’y arrive pas. Je continue de faire pression. J’effleure lescontoursde sondébardeur et le lui relèvepourmedonnerplein accès à sesseins.Ilssontmagnifiques.Parfaits.Jem’occuped’euxpendantqu’elleondulede
plaisirsousmoi.—Laisse-moitetoucher,soupire-t-elle.
Je lâchesesmainspendantquemes lèvrescontinuentde laparcourir.Mesdentss’amusentavecundesesmamelons.—Putain,Sacha,tunepeuxpassavoiràquelpointtumefaisdel’effet.Mesdoigtsserepositionnentsoussonshort.—J’aicommeunepetiteidée,oui.Jelaprendslà,sansaucunedouceur.Dusexepourdusexe.Çaluiplaît.Jenesuisdetoutefaçonpascapabledeluioffrirautrechose.
Charlie,17ans
Jemesuissouventimaginécemoment,maisjamais,dansmespiresdélires,çanesepassaitcommeça.Deuxétrangers.Voilààquoinousressemblons.Jesuisderetourdansmachambreet j’aienviedehurler.Je jette,derage,
lespetiteschosessansintérêtquidécoraientmonancienbureau.Rienn’achangé.Saufmoi.Jemeretrouvedanslachambredemesquinzeansalorsquej’enaidix-sept
depuis quelques mois. Pendant deux ans, mon père a payé une femme deménagepourque lamaisonnemoisissepas,et sûrementpournepasdevoirrendredescomptesauxvoisins.Chaquemois,ellevenaitlafairerespirer.Lamaisonn’apasmoisi,maispeut-êtrequ’aufinalmessouvenirs,si.—Çava,Charlie?Jen’aipasentendumonpèremonterniouvrirlaporte.Ilestinquiet.—Oui,oui.—Sûre?—J’aijustebesoindefairedutri.Ilregardetoutesleschosesparterreetjesensbienqu’ilnemecroitpas.—OK.Bontri,alors.Enfin…c’esttellementplusfaciledefairesemblant.J’ail’impressionquejenesuisplusàmaplace.Lelitsembletroppetit.Cette
pièceaussi.Jemesensoppressée.Jefilemettredelamusiquepourm’apaiseret jeprendsmoncarnetavecmoncrayon.Jem’assiedsaumêmeendroitqued’habitudeetjeglisselesécouteursdansmesoreilles.J’aibesoinderetrouvermesrepères.
Don’tmoveDon’ttalkoutoftimeDon’tthinkDon’tworryeverything’sjustfineJustfine1
Jedessinecevisagequej’aitantdefoisessayédem’imaginercesderniersmois.Jeregardemescroquisetjemerendscomptequeçanevapasdutout.Jesuis partie depuis deux ans. J’ai quitté un ado. Le Sacha Bourgeois que j’airetrouvén’enestplusun.Sonregardachangé.Ilestplussombrequedansmessouvenirs.Tous ces dessins étalés sur le lit ont un point commun : son sourire. Son
sourirecharmantetcharmeurquifaisaitcraquertouteslespetitesculottesàdeskilomètresalentour.Jen’aieudroitàaucund’entreeux,cesoir.Jecrayonneetunnouveauvisageapparaît.Plusdur.Plusfroid.MoinsSacha.Ilm’enveut.Quandpapam’aappris,auboutdeneufmois,qu’ilprolongeaitsoncontrat
etqu’onallaitdéménagerdeDublinàBelfast,j’aieul’impressionderepasserpar toutes les émotions qui m’avaient fait si mal à mon départ. J’ai pris ladécisiond’arrêterdel’appeleretdeluiécrire.Jenesavaispascommentgérertoutça.Surlecoup,jepensaismeprotéger.J’aieutort.Auboutd’uneheure,monregardseposesurlaporte-fenêtre.Jenesaispas
si c’est une bonne idée, mais j’ai besoin de le faire. Je ramasse tous mescroquisenévitantderéfléchirtroplongtemps.
Notes1.Numb,U2(1993).