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29 ECHOS N°77 Par Corentin de SALLE* *Licencié en droit et Docteur en Philosophie, Professeur à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes Commerciales, Conseiller à la Présidence du Mouvement Réformateur Le capitalisme de connivence L’actuelle crise économique européenne est avant tout une crise de la dette publique. Au XX e siècle, dans les divers Etats européens, les dépenses publiques ont été multipliées entre trois à six fois. Cette augmentation démesurée, principalement motivée par des poli- tiques d’inspiration socialiste, a causé une augmentation continuelle de l’endet- tement ces dernières décennies jusqu’à parvenir à la situation préoccupante d’aujourd’hui. Alors que les Etats-Unis, dont l’endette- ment massif est justement pointé du doigt, ont une dette correspondant à environ 60% de leur PIB, les pays de la zone Euro supportent une dette équi- valente à 75% de leur PIB. Il faut d’ailleurs se garder ici de confondre cause et consé- quence : ce n’est pas la spéculation finan- cière qui ruine les Etats : s’il y spéculation financière sur la dette, c’est en raison de l’endettement abyssal de nombreux Etats européens. © photo Jérôme Baudet

Corentin de Salle - Le capitalisme de connivence

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Vrai et faux capitalisme

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29 E C H O S N ° 7 7

Par Corentin de SALLE*

*Licencié en droit et Docteur en Philosophie, Professeur à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes

Commerciales, Conseiller à la Présidence du Mouvement Réformateur

Le capitalismede connivence

L’actuelle crise économique européenne est avant tout une

crise de la dette publique. Au XXe siècle, dans les divers Etats

européens, les dépenses publiques ont été multipliées entre trois

à six fois. Cette augmentation démesurée,

principalement motivée par des poli-

tiques d’inspiration socialiste, a causé

une augmentation continuelle de l’endet-

tement ces dernières décennies jusqu’à

parvenir à la situation préoccupante

d’aujourd’hui. Alors que les Etats-Unis, dont l’endette-

ment massif est justement pointé du doigt, ont une dette

correspondant à environ 60% de leur PIB, les pays de la

zone Euro supportent une dette équi-

valente à 75% de leur PIB. Il faut d’ailleurs se

garder ici de confondre cause et consé-

quence : ce n’est pas la spéculation finan-

cière qui ruine les Etats : s’il y spéculation

financière sur la dette, c’est en raison de

l’endettement abyssal de nombreux Etats européens.

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Cela dit, il serait malhonnête

d’ignorer que l’Union Euro-

péenne subit également le

contre-coup de la crise finan-

cière de 2008 qui, elle, est

d’origine américaine. La violence et l’am-

pleur inouïe de cette crise ont poussé un

grand nombre de gens à imputer la

responsabilité de la crise au capitalisme.

Pourtant, rares sont ceux qui, encore

aujourd’hui, défendent l’idée selon

laquelle le capitalisme est condamné à

s’autodétruire. Depuis deux siècles, on a

tellement annoncé son décès, on a telle-

ment célébré, ex ante, de messes mor-

tuaires que ce discours ne fait plus

recette. Le discours dominant consiste

plutôt à affirmer qu’il faut contenir, régu-

ler, domestiquer cette force, certes salu-

taire, mais sauvage et destructrice.

Pourtant, c’est ce que l’on fait habituelle-

ment au lendemain de chaque crise :

réguler, réglementer, légiférer, mettre en

place des codes de conduite, des ins-

tances de régulation, des organes de

contrôle, etc. Mais, à chaque nouvelle

crise, on reproduit ce discours et on part

toujours du principe que le système qui a

défailli n’était pas ou pas assez régulé.

En réalité, il se pourrait bien que la crise

plonge précisément ses racines dans une

application un peu trop zélée de ces

mêmes recettes néo-keynésiennes de

relance qui sont aujourd’hui proposées

comme la panacée.

Friedrich Hayek disait que la seule chose

qu’on peut faire face à une crise, c’est de

la laisser mourir de sa belle mort. Le prin-

cipal problème, ce n’est pas nécessaire-

ment la crise elle-même, mais les

mesures que, croyant bien faire, on

adopte dans son sillage, c’est-à-dire une

multitude de plans de relance aussi ineffi-

caces que ruineux. C’est l’erreur que fit

Roosevelt et c’est à cause d’elle que la

crise de 1929 se prolongea et s’amplifia

dans des proportions inouïes avec des

conséquences dramatiques pour l’en-

semble du monde.

Dans le même ordre d’idée, il importe

également d’éviter que l’intervention

d’aujourd’hui ne renforce l’aléa moral,

c’est-à-dire cette probabilité d’une prise

de risques inconsidérée d’un acteur en

raison de la relative assurance dont il jouit

dans une situation donnée (par rapport à

une autre situation où il devrait supporter

seul et intégralement les conséquences

de ses actes). En clair : l’Etat intervient

aujourd’hui pour éviter un cataclysme de

l’amplitude de la crise de 1929. Il importe

évidemment de ne pas répéter l’erreur

qui consista – à cette époque – à laisser

s’effondrer plusieurs milliers de banques.

On sait ce qu’il est advenu par la suite.

Mais, le risque est aussi, ce faisant, que

les autorités (américaines, européennes,

etc.), faute de convaincre le marché du

caractère exceptionnel et non reproducti-

ble de leur intervention, laissent se déve-

lopper l’idée que, de toute façon, l’Etat

est toujours là pour sauver la mise (et de

faire abandonner toute prudence au

monde des entreprises). A ce sujet, le fait

de ne pas avoir sauvé Lheman Brothers

fut sans doute une erreur, mais le climat

d’incertitude que ce non-sauvetage a

entraîné n’est pas nécessairement négatif

sur le long terme, même s’il bouleverse

aujourd’hui la plupart des anticipations

des acteurs économiques.

Plutôt que de céder aux slogans qui

réclament “plus” de régulation, l’enjeu

consiste sans doute aujourd’hui à régu-

ler “mieux” et à envisager, sans précipi-

tation, un modèle qui, sans rigidifier le

monde financier ou en ralentir les flux,

permette de juguler la propagation

des crises futures. Cela tout aussi

bien au niveau national et européen que

mondial.

Proposer des solutions, c’est évidem-

ment s’obliger à analyser les causes de la

crise financière. Ces causes, elles sont

multiples. Nombre de commentateurs ont

pointé, à juste titre, le caractère irrespon-

sable des décisions de certains acteurs.

Outre le devoir de faire des bénéfices, un

investisseur a aussi celui de ne pas faire

faillite. Pour notre malheur, voilà une évi-

dence qui semble avoir été perdue de vue

par l’establishment financier. Les cour-

tiers, les agences de notation, les

conseils d’administration, les Hedge

Funds, les paradis fiscaux, les normes

comptables, etc., autant de responsables

pointés légitimement du doigt. D’une cer-

taine façon, certains actionnaires, en

confortant les conseils d’administration,

ont aussi leur part de responsabilité. On

peut aussi citer les épargnants qui ont

exigé un rendement maximum au lieu

d’un rendement normal.

Cela dit, parmi tous ces accusés cités à

comparaître, on oublie presque toujours

un acteur de taille : l’Etat. L’Etat a failli

dans sa mission de régulateur de l’éco-

nomie. Si l’on regarde de plus près l’ori-

gine de la crise, ainsi que sa propagation,

force est de reconnaître que ce dernier

doit, lui aussi, rendre des comptes.

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Posons-nous huit questions.

Première question. Qui a, en 1977, via le

Community Reinvestment Act (CRA),

incité des millions de ménages peu solva-

bles à s’endetter pour devenir proprié-

taires ? Qui, par une politique visant à lut-

ter contre la discrimination – absurde par

son radicalisme – imposa aux banquiers

de fournir des prêts hypothécaires aux

membres des communautés pauvres,

donnant ainsi naissance aux prêts sub-

prime ? Qui a créé les Governement

Sponsored Entreprises Fanny Mae

(Federal National Mortgage Association) et

Freddie Mac (Federal Home Loan

Mortgage Corporation) qui représentent

près de la moitié des emprunts du marché

immobilier américain ? Qui leur a accordé

une multitude de privilèges étatiques

(notamment l’exemption de certaines

taxes) totalisant environ 13,6 milliards de

dollars de cadeaux fiscaux par an ? Qui a

ainsi constitué une sorte de duopole doté

d’avantages concurrentiels empêchant

l’apparition d’acteurs immobiliers alterna-

tifs, détruisant la solidité et la diversité du

marché immobilier américain, faisant coïn-

cider la faillite de ces institutions avec la

faillite de ce marché ? Qui les a délestées

d’un grand nombre d’obligations compta-

bles et prudentielles s’appliquant pourtant

à tous les autres acteurs économiques ?

Réponse : l’Etat.

Seconde question. Qui a créé, en 1992,

l’US Department of Housing and Urban

Development doté d’un pouvoir de tutelle

sur Fannie et Freddie et qui, au nom du

sacro-saint principe d’accès de tous à la

propriété, obligea ces dernières à octroyer

minimum 42% de prêts subprime en

1995, puis 50% en 2000 et 56% en 2004 ?

Qui, ce faisant, a incité banques et cour-

tiers à récolter fiévreusement du subprime

auprès de personnes insolvables avec

l’assurance de pouvoir les refourguer à

Fannie et Freddie soucieuses de remplir

leur quota ? Qui a ainsi conféré à ces

créances hypothécaires une sorte de label

étatique implicite ? Qui a casé une multi-

tude d’amis et des créatures politiques à

tous les étages de ces deux institutions ?

Qui a fermé les yeux lorsque ces ver-

tueuses entreprises passèrent, entre 1990

et 2008, de 740 à 5400 milliards de prêts

octroyés sans posséder plus d’ 1/66 des

liquidités de ces derniers (alors qu’une

banque doit généralement disposer

d’1/10 de ceux-ci) ? Réponse : l’Etat.

Troisième question. Qui empêcha systé-

matiquement toute tentative de réforme

du marché immobilier, notamment celle du

sénateur républicain Baker en 2000, le

Free Housing Enhancement Act de Ron

Paul en 2002 (destiné à restaurer le libre

marché dans le secteur immobilier et à

abolir les privilèges de Fannie et Freddie),

le plan Hagel de réforme de tutelle de

Fannie et Freddie (supporté par McCain

en 2006, adopté par la Chambre mais blo-

qué au Sénat) ? Réponse : les Démocrates

en bloc et certains Républicains. Il est vrai

que Fannie et Freddie ont permis de loger

9 millions d’électeurs reconnaissants

(jusqu’alors) et comptent parmi les princi-

paux donateurs des campagnes présiden-

tielles des deux partis.

Quatrième question. Qui est à l’origine de

cette hyperréglementation en matière fon-

cière et urbanistique gangrenant nombre

d’Etats américains et principalement

responsable de la flambée des prix de

l’immobilier (et ce, contrairement à nom-

bre de villes – Dallas, Atlanta, Houston,

Cleveland, etc. – où ce secteur est peu

réglementé et, dès lors, très stable et bon

marché, lien très clairement établi par une

étude menée sur 227 marchés immobiliers

répartis dans plusieurs pays de l’OCDE et

confirmée par les travaux du pourtant peu

libéral Prix Nobel d’économie Paul

Krugman) ? Qui, ce faisant, a créé de

toute pièce les conditions d’émergence

– et d’explosion inéluctable – de la bulle

spéculative qui incita nombre de ménages

à acheter avec l’assurance de pouvoir

revendre leur bien avec une plus-value

dans l’hypothèse où ils ne pourraient

plus honorer le remboursement de leur

emprunt ? Qui, dès lors, est responsable,

selon les estimations de la Heritage

Foundation, d’une surévaluation du stock

des logements de l’ordre de 4 000

milliards de dollars (chiffre démentiel si

l’on sait que l’encours du crédit immobilier

aux Etats-Unis est de 10 500 milliards) ?

Réponse : l’Etat.

Cinquième question. Qui, par une poli-

tique monétaire, a maintenu artificielle-

ment bas les taux d’intérêt (en-dessous

de l’inflation) pendant des années avec

pour conséquence de pousser les

banques à prêter au-delà de toute

mesure, d’encourager l’emprunt hypothé-

caire et la consommation, alimentant l’illu-

sion de richesse ? Qui, plutôt que de lais-

ser les citoyens – via une taxation

raisonnable – accumuler du capital, pré-

fère les inciter à vivre constamment à cré-

dit ? Qui, ce faisant, a perturbé le marché

plutôt que de laisser jouer l’offre et la

demande ? Qui, par la suite, fut contraint

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de relever en très peu de temps le taux

d’intérêt directeur de la Réserve Fédérale

de 1 à 5,25%, créant ainsi ce désastre

pour tous les ménages qui avaient

emprunté à un taux variable, soit la quasi-

totalité des emprunteurs en subprime ?

Réponse : l’Etat.

Sixième question. Le secteur financier

américain est-il dérégulé ? Le nombre de

régulateurs financiers travaillant dans les

agences fédérales (dont les dépenses ont

crû de 43% de 1990 à 2007) est de

12 000. Depuis la loi Sarbanes Oxley (de

2002), les textes réglementant le secteur

financier ont gonflé de… 70 000 pages.

Encore heureux que ce secteur soit réputé

“dérégulé”.

Septième question. Les normes assurant la

transparence patrimoniale de l’entreprise

ont-elles permis de juguler la crise ? La

norme comptable Mark to Market (Fair

Value Accounting), votée dans le sillage des

scandales Enron et Worldcom, oblige

– sanctions sévères à l’appui – les entre-

prises à signaler toute variation significative

de la valeur de leurs actifs (c’est-à-dire le

prix qu’elles en tireraient si elles devaient les

revendre au moment même). Or, au cœur

d’une crise, les échanges peuvent parfois

provisoirement s’arrêter. Comme les entre-

prises sont tenues de signaler instantané-

ment la dévalorisation, cela revient à consi-

dérer comme nulle la valeur de cet actif (ce

qui est faux puisqu’il suffirait d’un peu de

temps pour qu’il recouvre une valeur appré-

ciable sur le marché). Du coup, le rating de

l’entreprise s’écroule lui aussi et, comme on

le voit aujourd’hui, contamine tous les bilans

de proche en proche : l’hyperréglementa-

tion amplifie la crise au lieu de la stopper.

Huitième question. L’harmonisation inter-

nationale des normes comptables assure-

t-elle réellement une meilleure transpa-

rence ? Non. Quoique simplifiant la

communication, cette centralisation

monopolistique nuit fortement à la qualité

de l’information. En effet, la multiplication

d’artifices comptables enjolivant la situa-

tion patrimoniale des entreprises est une

réaction à cette hyperréglementation des

normes comptables. Pour le dire briève-

ment, l’imposition, au niveau américain et

au niveau européen, d’un modèle unique

extrêmement détaillé a rendu les entre-

prises légalistes et hypocrites, se conten-

tant de respecter à la lettre le prescrit légal

plutôt que de créer, comme par le passé,

leurs propres normes. L’ancien système

les contraignait pourtant à rester pru-

dentes et à s’améliorer constamment sous

peine d’être sanctionnées, par le marché

et en justice, si ces normes étaient de

mauvaise qualité. Il serait plus sain et plus

responsabilisant de laisser aux entreprises

le choix des méthodes les plus adaptées

pour remplir un objectif général de l’infor-

mation financière, déterminé et sanc-

tionné par la loi : refléter le plus fidèlement

la situation patrimoniale de l’entreprise.

Ce qui suppose non pas plus mais moins

de régulation. C’est-à-dire une régulation

basée sur des principes simples : respon-

sabilité, honnêteté, sincérité des contrats,

etc.

En conclusion, l’Etat joue nécessairement

un rôle important dans l’économie. C’est à

lui qu’incombe la responsabilité de fournir

un cadre normatif et régulateur adapté de

manière à structurer le marché et à éviter,

à l’avenir, que des crises de ce genre se

reproduisent.

L’intervention étatique dans la crise

actuelle – causée par l’Etat américain – est

également nécessaire. Ce n’est pas se

mettre en marge de la doctrine libérale

que d’affirmer la nécessité de ce sauve-

tage. Pourquoi ? Comme on vient de le

voir, il est évidemment faux d’affirmer

– comme le soutient le discours ambiant –

que l’Etat arrive heureusement à la res-

cousse du marché qui, livré à lui-même,

aurait perdu la tête. Au contraire, c’est

bien le moins, pourrait-on dire, que l’Etat

intervienne pour solutionner un problème

dont il est en grande partie la cause. Cela

dit, ce sauvetage de banques privées par

des fonds publics pose évidemment un

problème éthique : on a dénoncé à juste

titre ce mécanisme qui poussait à collecti-

viser les pertes alors que les bénéfices

sont privés. Mais ce sauvetage – pour

injuste qu’il soit sur le plan éthique – était

un moindre mal. Il fallait éviter que des fail-

lites bancaires en cascade ne conduisent

à l’effondrement de tout le système éco-

nomique et à des licenciements massifs.

C’est ce qu’on a appelé le “risque systé-

mique”, phénomène qui a justifié le sauve-

tage public de banques, organismes et

établissements financiers “too big to fail”

(“trop gros pour faire faillite”, c’est-à-dire

dont la faillite entraînerait des consé-

quences cataclysmiques).

La vraie question est de savoir comment

éviter que l’Etat ne soit une nouvelle fois

pris en otage par ces entreprises d’une

taille démesurée. La réponse est qu’une

entreprise “too big to fail” est une entre-

prise “too big to exist”. A proprement

parler, ce n’est pas tant la taille de l’entre-

prise qui pose problème, mais le fait

qu’une entreprise de ce type est incitée à

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se comporter de manière irresponsable

parce qu’elle sait que, quoi qu’elle fasse,

elle sera, en dernier ressort, sauvée de la

faillite par l’Etat.

Ce qui est critiquable, ce n’est pas la spé-

culation en tant que telle mais la spécula-

tion irresponsable. Par spéculation irres-

ponsable, on ne vise pas ici certains

spéculateurs qui n’auraient pas d’éthique :

un spéculateur veut toujours, comme

tout le monde, maximiser son bénéfice

(comme la jeune fille toute heureuse

d’avoir fait “une affaire” en achetant des

chaussures en solde). Le problème ne se

pose pas au niveau individuel. Non, par

spéculation irresponsable, on parle d’une

situation qui existe depuis quelques

décennies et qui se caractérise par le fait

que le monde de la finance est devenu

irresponsable.

Le problème ne se situe donc pas dans la

dérégulation mais, on l’a vu, dans l’hyper-

réglementation. C’est cette hyperrégle-

mentation qui a rendu les banques et le

secteur de la finance irresponsable. Il faut

empêcher que de telles faillites se repro-

duisent. Pour cela, il faut empêcher la

formation artificielle de ces organismes

monstrueusement grands. Ce n’est pas

parce qu’elles sont grandes qu’il faut

condamner des entreprises. Ce qui est

condamnable, ce sont des entreprises qui

ont bénéficié et qui continuent à bénéficier

de faveurs de la part de l’Etat, qui bénéfi-

cient de rentes de situation et qui ont pu

influencer l’Etat pour adopter des règle-

mentations qui pénalisent surtout leurs

concurrents plus petits (par exemple :des

normes extrêmement exigeantes en

matière environnementale que ces entre-

prises peuvent supporter mais pas leurs

concurrentes). Par ailleurs, ces entreprises

ont souvent été aidées par le passé. Elles

ne sont donc plus réellement “privées”

mais, d’une certaine manière, publiques.

C’est d’ailleurs parce que l’Etat a injecté

énormément d’argent pour les renflouer

qu’il ne veut pas qu’elles tombent en fail-

lite et que, en conséquence, la justice

américaine ne poursuit pas un certain

nombre de dirigeants qui ont ouvertement

violé la loi.

Derrière tout cela, ce qu’il faut dénoncer,

ce n’est pas le capitalisme mais le “croony

capitalism” ou “capitalisme de conni-

vence”, cette collusion, cette complicité

coupable et malsaine entre des élites éta-

tiques et les patrons de ces grands

groupes bénéficiaires d’avantages éta-

tiques. Il faut cesser de faire bénéficier ces

monstres financiers des avantages dont

ils jouissent et poursuivre en justice les

abus. Il faut, si nécessaire, pouvoir mettre

en faillite ces entreprises quand elles vien-

dront demander une nouvelle fois à l’Etat

d’être secourues et cela en les scindant,

en organisant les faillites de manière intel-

ligente, sans mettre en péril les dépo-

sants. C’est dans ce sens-là que le sys-

tème doit être réformé : non pas en

réglementant davantage mais en respon-

sabilisant davantage les acteurs finan-

ciers.

Plusieurs formules sont possibles comme

celles consistant à obliger les banques à

cotiser chaque année pour un fonds de

garantie d’une taille significative ou encore

en mettant en place un mécanisme dit

“échange dette-capital” : la banque serait

forcée de convertir un pourcentage de ses

dettes en actions qui seraient données à

ses créanciers. Faute de le faire, l’Etat

refuserait d’intervenir. Grâce à un tel

mécanisme, les faillites impacteraient

d’abord les créanciers avant les déten-

teurs de compte, ce qui devrait réduire les

prises de risque inconsidérées des

banques.

Bref, il faut impérativement rendre respon-

sables les banques et établissements

financiers. Pour ce faire, il faut leur redon-

ner une certaine liberté, ce qui implique

évidemment qu’ils assument seuls les

conséquences de leurs actes. Quand on

veut qu’un adolescent s’autonomise, on

lui dit de faire des petits jobs pour se

payer l’essence de sa voiture et sa

consommation d’alcool. Ce que le gou-

vernement fait actuellement, c’est un peu

comme des parents qui financeraient sans

limite l’essence, l’alcool, qui donneraient

les clés de leur voiture aux adolescents

mais qui, dans le même temps, s’assoi-

raient sur les sièges arrière de la voiture

pour surveiller leurs moindres faits et

gestes. Il faut, bien plutôt, restaurer en la

matière cette valeur qui est la plus fonda-

mentale : la liberté et son corollaire obligé :

la responsabilité.