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En collaboration avec : CONFERENCE INTERNATIONALE SUR LES REFUGIES ET DEPLACES IRAKIENS 4 Juillet 2002 Alliance Internationale pour la Justice – 29 rue du Faubourg Montmartre – 75009 Paris http://www.a-i-j.org – email : [email protected]

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En collaboration avec :

CONFERENCE INTERNATIONALE SUR LESREFUGIES ET DEPLACES IRAKIENS

4 Juillet 2002

Alliance Internationale pour la Justice – 29 rue du Faubourg Montmartre – 75009 Parishttp://www.a-i-j.org – email : [email protected]

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Conférence internationale sur les réfugiés et déplacés irakiens / 4 juillet 2002___________________________

Alliance Internationale pour la Justice 1

SOMMAIRE

Présentation

Frédérique Calandra, adjointe au maire de Paris…………………………………………………………………….3Shewki Ozkan, Alliance Internationale pour la Justice……………...……………………………………………….3

Les raisons de l’émigration

Etat des violations des droits de l’Homme et des grandes vagues migratoiresBakhtiar Amin, Alliance Internationale pour la Justice……………………………………………………………….6

La situation des réfugiés irakiens au regard des relations entre Etats du Moyen Orient, le cas de laJordanieSalameh Nematt, Al Hayat (Jordanie)……………………………………………………………………………….. 9

Les réfugiés irakiens

Les réfugiés irakiens en IranBerniece Holtom Berniece Holtom, Iraqi Refugees Aid Council (Royaume Uni)………….…………………….13

Les réfugiés irakiens au LibanDriss El Yazami, Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme………………………………...16

Les réfugiés irakiens en Arabie SaouditePatrick Delouvain, Amnesty International……………………………………………………………………………18

La déportation des Kurdes fayliIsmail Kamandar-Fattah, Représentant des Kurdes fayli……………..…………………………………………...20

Déplacements internes et forcés

Le déplacement des Kurdes, des Turkmènes, des Assyriens et des ChiitesFrançoise Brié, Alliance Internationale pour la Justice…………………………………………………………….23

La situation des Déplacés au KurdistanNasreen M. Sideek Barwari, Ministre du Gouvernement Régional du Kurdistan……………………………….26

Le déplacement des Kurdes et des autres minorités dans la région de KirkukNouri Talabany, Kirkuk Trust for Research and Studies (Royaume Uni)………………………………………...34

La diaspora irakienne en Europe et en Australie

Kurdes du Sud déplacés au Royaume-Uni : problèmes et recommandationsDr Rebwar Fatah, KurdishMedia (Royaume Uni)…………………………………………………………………..41

La diaspora irakienne en AustralieAnneke Von Amelrooy, Journaliste (Pays Bas)……………………………………………………………………..46

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Alliance Internationale pour la Justice 2

France : les réfugiés de Sangatte

L’accueil des réfugiés irakiens et des demandeurs d’asile en FrancePierre Henry, France Terre d’asile………………………………..………………………………………………….48

Rapport d’enquête sur le centre de SangatteDominique Noguères, Ligue des droits de l’Homme………………………………….……………………………51

Etude sociologique des populations accueillies au centre de SangatteSmaïn Laacher, Centre d’Etude des Mouvements Sociaux (CEMS)…………………………….………………54

L’intégration des réfugiés kurdes en FranceChirine Mosheni, Docteur en anthropologie………………………………………………………………………...56

Le statut des réfugiés et déplacés internes irakiens

La législation européenne, la situation des demandeurs d’asile en EuropePatrick Delouvin, Amnesty International……………………………………………………………………………..60

Recommandations

Bakhtiar Amin, Alliance Internationale pour la Justice…………………………………..…………………………65Driss El Yazami, Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme………………………………..66

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Alliance Internationale pour la Justice 3

Présentation

Frédérique CalandraAdjointe au Maire de Paris– Chargée de

la MédiationDéléguée aux Questions Internationales

pour le 20ème arrondissement

’est une joie pour moi d’accueillir ici cetteconférence car j’ai longtemps travaillé chezFrance Libertés, Fondation DanielleMitterrand, aux côtés de Françoise Brié sur

la question irakienne et en particulier sur la questionkurde, et je suis heureuse de vous recevoir enqualité d’élue de la République.

J’ai beaucoup d’amis à la Ligue des Droits del’Homme (LDH), également à la FédérationInternationale des Ligues des Droits de l’Homme(FIDH), et à l’Alliance Internationale pour la Justice(AIJ) puisque j’ai participé à une délégation auKurdistan irakien, dans le cadre d’une enquête surles violations des Droits de l’Homme, avec BakhtiarAmin, il y a quelques années, et je suis doncparticulièrement heureuse de constater que toutesces associations travaillent ensemble sur cettequestion des réfugiés et déplacés irakiens.

Je voulais vous souhaiter la bienvenue au nom duMaire de Paris, Monsieur Bertrand Delanoë, dont jesuis l’adjointe, mais aussi au nom du Maire du20ème arrondissement, Monsieur Michel Charzat,car je suis également déléguée aux QuestionsInternationales pour le 20ème arrondissement. Il estencore rare qu’un arrondissement de Paris sepréoccupe des questions internationales, mais voussavez peut-être que le 20ème est unarrondissement qui compte beaucoup de personnesfrançaises d’origine étrangère et beaucoup depersonnes étrangères tout court et notamment denombreux réfugiés irakiens, entre autres, d’originekurde. C’est un arrondissement qui se sentparticulièrement concerné par cette question.Evidemment je voulais remercier les équipestechniques de la mairie du 20ème de nous avoirprêté leur salle et leur concours pour l’organisationde cette conférence.

Je ne vais malheureusement pas assister à latotalité de cette conférence, et je vous demande paravance de m’en excuser, car j’ai plusieurs réunionsdans la journée et comme nous avons déjàcommencé tard, je vais devoir vous quitterrapidement.

Néanmoins, comme je vous l’expliquais enintroduction, j’ai participé à une mission d’enquêteavec des avocats de la FIDH au Kurdistan irakien.Je suis revenue fortement marquée par cettemission et profondément choquée par ce que j’avaisvu là-bas. Je sais que la plupart de noscontemporains européens ont découvert ce qu’étaitle nettoyage ethnique avec le Rwanda et laYougoslavie, mais cela fait des années qu’unmassacre identique sévit dans cette région dumonde, cette région à la jonction de l’Iran, de l’Irak,de la Syrie et de la Turquie. Vous aurez l’occasionde parler aujourd’hui de ce nettoyage ethnique quitouche un nombre important de personnes etmalheureusement pas uniquement les Kurdes. J’aivu des gens à Halabja, absolument fous de douleurparce qu’ils avaient perdu en une seule journéetoute leur famille. J’ai un souvenir très vif de cettemission, j’ai mis des années à m’en remettre. C’estpour cela que je tenais, aujourd’hui, à vousaccueillir, vous dire que, même si vous avezsouvent l’impression qu’en France et ailleurs dansle monde, vous êtes un peu abandonnés, il y a desgens qui n’oublient pas.

C’est tout ce que je voulais vous dire aujourd’hui.Merci.

Présentation

Shewki OzkanPrésident de l’Alliance Internationale

pour la Justice

u nom des associations, je vous souhaite labienvenue à cette journée qui est organiséepar l’Alliance Internationale pour la Justice

(AIJ), la Fédération Internationale des Ligues desDroits de l’Homme (FIDH), France libertésFondation Danielle Mitterrand, ainsi que la Liguedes Droits de l’Homme en France (LDH).

Depuis plusieurs mois, nous voulions organisercette conférence. La situation en France lors de lacampagne électorale ne nous a pas permis del’organiser plus tôt. Beaucoup d’entre vous ont eul’occasion de se rendre compte que la question desréfugiés est revenue au premier plan lors de cescampagnes présidentielles et législatives,notamment à travers le centre de Sangatte.

Malheureusement, le problème des déplacés et desréfugiés a été pratiquement centré sur le problèmede Sangatte alors que nous, les associations qui

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Alliance Internationale pour la Justice 4

organisons cette journée, nous nous occuponsdepuis des années des problèmes des réfugiés etdes déplacés pour une meilleure prise en comptede leur situation, tant dans leurs origines que lesconséquences sociales, culturelles et politiques.Il faudrait que les pouvoirs publics en France, lesinstitutions européennes mais aussi internationalespuissent enfin prendre en compte les conventionsinternationales dont ils sont signataires, s’occuperde l’avenir, que ce soit sur le plan juridique ou

humain, des millions de déplacés dans le monde etpour ce qui nous concerne des déplacés irakiens.

Nous avons réuni aujourd’hui les meilleurs expertset spécialistes de la question pour aborder leproblème sous tous ses angles, à la fois en France,en Occident, mais aussi et surtout au Moyen-Orientpour vous informer et contribuer au débat devantl’opinion publique.

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Les raisons de l’émigration

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Alliance Internationale pour la Justice 6

Etat des violations des droits del’Homme

etdes grandes vagues migratoires

Bakhtiar AminDirecteur d’Alliance Internationale pour la

Justice

La situation des droits de l’homme en Irake parti Baas, depuis son accession au pouvoir,et en tant que gouvernement est directementresponsable de la mort d’environ un million de

personnes. Deux millions de personnes ont étéblessées ou ont succombé dans la zone frontalièreentre l’Iran et Irak lors de l’invasion irakienne en 1980.200.000 personnes ont été tuées pendant la guerredu Golfe, 200.000 Chiites irakiens lors dusoulèvement de 1991 et 500.000 Kurdes en Irak à lasuite de la politique génocidaire du régime deSaddam Hussein.

L’Irak détient également le record mondial desdisparitions forcées : plus de 200.000 disparus(10.000 Kurdes fayli de Bagdad et ses alentours ontdisparu depuis 1980, 8.000 membres de la tribu deBarzani du camp de Qushtapa de 1983, 182.000personnes au cours de l’opération d’Anfal). 4.500villages et 26 villes ont été détruites dans les années80. Au Kurdistan irakien, 110 camps de concentrationappelés « camps collectifs » ou selon le régime,« villages stratégiques » ou « villages modernes »,entourés de barbelés et encerclés par les forces desécurité, ont été créés. C’est plus de 750.000 Kurdesdes régions montagneuses, le long des frontièresentre l’Iran, la Turquie, la Syrie et l’Irak, qui ont étédéplacés dans ces camps. Un demi million a étédéplacé dans le désert, dans des camps à la frontièreavec l’Arabie Saoudite et la Jordanie, les camps deArar, de Rutba, de Nuqrat Salman, et dans la régionde Rumadiya.

A ce jour, le régime irakien est responsable de 4millions de réfugiés. Actuellement, l’Irak compte plusd’un million de déplacés internes. D’après les chiffresavancés en novembre 2000 par Mr Benon Savan,responsable du programme humanitaire des NationsUnies, il faut comptabiliser pas moins de 809.000déplacés internes dans les 3 provinces du Nord, auKurdistan irakien. Au sud de l’Irak, ce sont plus de100.000 Chiites irakiens, principalement autour desrégions marécageuses du triangle de Amara - Nasriya– Bassorah qui ont été déplacés par le drainage desmarais et la destruction massive des villages. Unepartie de la population de Kirkuk et des zones

pétrolifères du Kurdistan irakien a été déplacéedans les provinces de Rumadia.

Nous pouvons donc constater des déportationsdans deux sens : vers le sud, centre-ouest del’Irak et vers la région autonome kurde gérée parles deux administrations kurdes. Une répartitionplus précise sera faite plus tard par d’autresintervenants, je ne m’attarderais donc pas sur cesujet.

La situation des droits de l’homme dans le paysne s’améliore pas. Plus de 4.000 personnes ontété exécutées depuis 1998. En un seul jour, undes fils de Saddam Hussein, Qusay, a ordonnél’exécution sommaire de plus de 2.000 prisonnierspolitiques dans la prison d’Abu Ghreb. Un autrede ses fils, Ouday, a ordonné la décapitation decentaines de femmes. Le rapport conjoint de laFédération Internationale des Ligues des Droitsde l’Homme et d’Alliance Internationale pour laJustice (Françoise Brié ayant enquêté à ce sujet)décrit précisément la situation des femmes enIrak. La situation économique est aussi un autrefacteur aggravant tout comme la situationpolitique, la répression, les violences à la suitedes deux guerres meurtrières avec les paysvoisins, trois décennies de dictature, derépression, de violations des droits de l’hommesans précédent dans l’histoire de l’Irak et dansl’histoire de la région. Sur le plan mondial, lerégime irakien est l’un des régimes les plusrépressifs dans le domaine des droits de l’homme,constat confirmé par le récent rapport duParlement Européen, les résolutions, les rapportsà la fois de l’Assemblée Générale des NationsUnies et de la Commission des Droits de l’hommedes Nations Unies et le Rapporteur Spécial surles droits de l’homme en Irak. Ces crimes ont étéqualifiés de crimes contre l’humanité, crimes deguerre et de génocide. Néanmoins, les auteurs deces crimes restent impunis.

Les membres de l’organisation AllianceInternationale pour la Justice dont je fais partie,luttons pour la justice, pour la création d’untribunal pénal ad hoc afin de juger les crimes durégime de Saddam Hussein et ceux de seslieutenants. Malheureusement, au Moyen Orient,il n’y a pas de système judiciaire où l’individu etles collectivités peuvent demander la justice car iln’y a pas de Cour arabe, de Commission Arabepour les Droits de l’Homme à l’instar de la CourEuropéenne pour les Droits de l’Homme (CEDH)ou de la Commission Africaine pour les Droits del’Homme (CADH). La seule issue, le seul espoirest que la communauté internationale crée unecommission d’enquête gérée par des expertsindépendants sous l’égide du Secrétaire Généraldes Nations Unies et du Conseil de Sécurité des

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Nations Unies chargée de vérifier l’exactitude desallégations exprimées par les réfugiés et les déplacés.

Les réfugiés et les grandes vagues migratoires deces réfugiés.Les politiciens irakiens chassés de leur pays à causede leur vision sur l’Irak après le coup d’Etat militairede 1968 ont constitué le premier groupe de réfugiés.

Les Kurdes fayli déportés en 1969 et 1971, n’ont pastardé à former une seconde vague migratoiremassive. 50.000 d’entre eux ont été déportés versl’Iran. La guerre de 1974-1975, entre les kurdesirakiens et le gouvernement central, est à l’origine deplus de 200.000 réfugiés en Iran. Certains sont restésen Iran, d’autres sont rentrés à la suite de l’échec dumouvement kurde en 1975 et plusieurs centaines demilliers de personnes ont été déplacées vers le sudde l’Irak. La politique de « dé-kurdification » touchantd’importantes zones de la région est à l’origine d’ungrand nombre de déplacés et de réfugiés. Unepolitique de terre brûlée, la campagne d’« Anfal » estresponsable de plusieurs centaines de milliers deréfugiés en Iran ainsi que de 60.000 réfugiés enTurquie. Souvenez-vous de l’assaut final du régimeirakien dans les zones de Bahdinan en 1988 : 60.000réfugiés ont été installés dans 3 camps enTurquie. Une partie a été accueillie en France, accueilfavorisé par Mme Mitterrand à l’époque. A ce jour, cenombre de réfugiés irakiens, arrivé en France, reste leplus important. Les réfugiés en Iran sont au nombrede 520.000, sans compter ceux qui ont éténaturalisés. Et même si une bonne part de lapopulation réfugiée a eu la possibilité de se fairenaturaliser, 520.000 personnes sont encoreconsidérées comme des réfugiés. Ces dernièresannées, vu l’amélioration de la situation au Kurdistanirakien, 78.000 réfugiés kurdes vivant en Iran ont étérapatriés avec l’aide de l’Organisation Mondiale del’Immigration (OMI). Une partie a immigré auPakistan. Ils s’y trouvent encore et souvent dans unesituation très difficile, la police pakistanaise nefacilitant pas leur intégration. Une partie des réfugiésirakiens sont actuellement en Syrie. Le chiffre avancépar le Haut Commissariat des Nations Unies pour lesRéfugiés (HCR) est de 23.000. D’après mes enquêtespersonnelles, je parlerais plutôt de 50.000 personnes.

En Jordanie, les chiffres du HCR se situent entre50.000 et 180.000 réfugiés irakiens. Les chiffres quim’ont été transmis par les autorités jordaniennes en2000 parlent d’un nombre de 400.000 réfugiés. Lesréfugiés irakiens eux même parlent d’un chiffre d’undemi million à un million. Je viens de rentrer deJordanie où j’ai, entre autre, enquêté sur la situationdes réfugiés irakiens ainsi que des Irakiens yséjournant. Cette enquête sera bientôt publiée. EnArabie Saoudite, dans le camp d’Al Rafha, on compte5.200 réfugiés. En Europe, les réfugiés irakiens se

comptent par centaines de milliers. Les principauxpays ayant accueilli les réfugiés irakiens sontl’Angleterre, l’Allemagne, les Pays Bas et les paysscandinaves. Mais ce sont les Etats-Unis quiaccueillent probablement le plus grand nombred’irakiens réfugiés aujourd’hui. Dans le seul étatdu Michigan, ils sont 249.000 Irakiens, pour unepartie provenant du camp d’Al Rafha. Lereprésentant d’Amnesty International parlera plustard de la situation des réfugiés irakiens en ArabieSaoudite.

La situation politique et la situation économiquedu pays sont les principaux facteurs aggravant quiont généré ces populations réfugiées. Les vaguesde migrations des Irakiens se sont accéléréesdans les années 90 et cette tendance est toujoursd’actualité. Le nettoyage ethnique du régimeirakien dans les zones pétrolifères kurdes deKirkuk, Khanaqin, Mandali, Sinjar, Tuz, Daquq,Kendinawa, Mosoul , Makhmur etc… a largementcontribué au développement de ce phénomène.Du fait de la politique de nettoyage ethnique deces zones, une partie de la population kurde atrouvé refuge dans les pays européens ouailleurs. Quant au reste de la population, ilsdemeurent des réfugiés potentiels.

Les médias parlent encore aujourd’hui du dramedes réfugiés irakiens. L’année dernière, 271personnes se sont noyées dans la mer Egée, puisentre l’Indonésie et l’Australie. On entend parler,de temps en temps, de drames impliquant desréfugiés irakiens en Arménie, en Afghanistan, enAzerbaïdjan, au Kenya, dans des pays asiatiquescomme la détention de réfugiés irakiens àDjakarta et sur plusieurs îles d’Indonésie. Lapresse a largement fait l’écho de la maltraitancede ces réfugiés en Australie, de la détention deréfugiés en Malaisie où des dizaines de famillesirakiennes réfugiées sont détenues dans descentres de détention. Les différentesorganisations des droits de l’homme malaises,avec lesquelles je suis rentré en contact durantmes visites dans ce pays, sont impuissantes pouraider ces réfugiés.

Quelques mots sur d’autres réfugiés setrouvant en Irak.Il ne faut pas oublier qu’il y a en Irak des réfugiésvenant d’autres pays. Le HCR parle d’un chiffreglobal de 127.000 réfugiés dont 25.000 Iraniensdont surtout des Kurdes iraniens mais aussi desArabes de Ahwaz (sud de l’Iran), une majorité,plus de 90.000 de Palestiniens, 600 Erythréens,quelques Somaliens, et plus de 12.000 Kurdes deTurquie. Les Kurdes de Turquie ont d’abord vécudans la région de Shiranish, à Atroush puis dansun village de la province de Mossoul ; ils ont

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Alliance Internationale pour la Justice 8

ensuite été déplacés dans un camp à Makhmur(province d’Erbil en zone contrôlée par legouvernement irakien). Parmi eux, 3.500 personnesont choisi de vivre à Erbil et dans d’autres zonesautonomes kurdes. Ces chiffres sont avancés par leHCR.

Certains réfugiés ont voulu être réinstallés dansd’autres pays, surtout les Kurdes iraniens. Ceux-ci ontété obligés, vu leur situation, de mener des grèves dela faim devant les sièges du HCR et de l’Organisationdes Nations Unies (ONU). Le HCR voulait rapatriercertains de ces réfugiés mais le gouvernement irakiena toujours refusé de reconnaître les réfugiés dans larégion autonome du Kurdistan irakien. Comme cetterégion n’est pas officiellement reconnu, les réfugiésprésents sur son territoire ne peuvent donc pas êtrereconnus comme tels. Prenant en considération lasouveraineté de l’état irakien, le HCR resteimpuissant devant le refus du gouvernement irakienqui n’autorise pas l’acheminement de ces réfugiésdans d’autres pays. C’est la raison des grèves de lafaim des réfugiés. Le drame des réfugiés kurdesiraniens dans le camp de Al Tash (Province deRumadia) est connu de certaines organisationsinternationales comme le Comité International de laCroix Rouge et le HCR mais pas par la communautéinternationale. Il y a plus de 20 ans que ces réfugiéssont dans ces camps et que leur situation est terrible.Sur le plan psychologique, ils sont très fatigués. 32personnes ont été tuées par des agents dugouvernement irakien à ce jour. La question durapatriement de certains de ces réfugiés se poserégulièrement mais c’est surtout les Ahwazi quivoudraient rentrer en Iran. Plusieurs réfugiés kurdesiraniens, réfugiés en Iran, ont été incarcérés dans laprison de Dizil Abad à Kermanshah. Des discussionsstériles ont lieu entre les autorités iraniennes etirakiennes au sujet de ces rapatriements mais la

communauté internationale ne garantit pas lasécurité de ces personnes.Voilà un panorama rapide des migrations desréfugiés irakiens et de ceux qui se trouvent enIrak. Il ne faut pas non plus omettre le plusimportant exode qu’ait connu la région au coursdu 20ème siècle, l’exode des Kurdes en 1991.Entre 2 et 3 millions de personnes, qui nesupportaient plus la politique génocidaire dugouvernement irakien, se sont exilées vers l’Iran,la Turquie et une bonne partie s’est retrouvéecoincée à l’intérieur du pays. A l’époque, en 1991,on parlait de 1.000 morts par jour du fait desconditions rudes dans ces régions montagneuses.

Pour conclure, il ne faut pas oublier qu’il y a,encore actuellement, des réfugiés qui prennentbeaucoup de risques pour passer les zonesfrontalières. Que se soit l’armée turque ou lesiraniens, les réfugiés sont repoussés à coup defusil. Certains sautent sur des mines.Récemment, 13 personnes ont été mangées pardes loups dans la région de Van. Des gens sesont noyés dans les eaux du Tigre et du Khabouralors qu’ils tentaient de rejoindre la Turquie à lanage. La Turquie détient le record de refoulementde ces réfugiés. Le Liban a également récemmentdéporté 300 réfugiés irakiens vers l’Irak. Quelquespersonnes ont également été renvoyées deJordanie vers l’Irak. L’Iran renvoie également desréfugiés irakiens. On parle aussi de disparitionsou d’exécutions de certains de ces réfugiés. Lerapprochement syro–irakien est un fait qui nousinquiète. La politique du HCR dans la zone estdiscutable, son action est critiquée par lesréfugiés, par de nombreuses organisations etindividus. L’Europe se dérobe en imputant lesresponsabilités au HCR, le HCR les imputant àl’Europe. Malheureusement dans cette situation,les victimes sont les réfugiés.

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La situation des réfugiés irakiensau regard des relations entre lesEtats du Moyen-Orient, le cas de

la Jordanie

Salameh NemattDirecteur, Editorialiste de Al Hayat,

Jordanie

Salameh Nematt a longtemps été conseiller du Roide Jordanie pour les médias avant d’êtrejournaliste.

près mon ami Bakhtiar Amin qui vous aexposé la situation et les vagues migratoires,cela semble presque incroyable quand on

regarde tous les chiffres qu’il a donnés, desdizaines de milliers de victimes, des centaines demilliers de personnes qui sont mortes depuisplusieurs années maintenant, des réfugiés irakienset d’autres qui sont à l’intérieur de l’Irak. Ceschiffres vous donnent une idée du degré, du niveaude souffrance qui continue à être le lot de beaucoupde personnes vivant encore dans cette région. Denombreux Irakiens me disent que ceux qui sontmorts s’en sont mieux tirés que ceux qui continuentà vivre en craignant tous les jours pour leur vie.

Personnellement, je rencontre des cas de réfugiésirakiens vivant en Jordanie dans la peur car leurpermis de résidence ayant expiré, ils violent le droitde résidence de la loi jordanienne. Ils ont peurd’être récupérés par la police jordanienne etrenvoyés en Irak, ce qui peut leur arriver à n’importequel moment. Certains sont des défecteurs del’armée irakienne et d’après la loi irakienne si unhomme quitte le service militaire, il n’a même pas ledroit à un procès. Il est exécuté immédiatement. Jene connais pas le nombre de personnes vivant enJordanie mais j’en ai rencontré certains moi-même.

Depuis la guerre du golfe en 1991, la Jordanie estdevenue le lieu qui compte le plus de réfugiésirakiens ayant décidé de s’y installer (environ400 000) ou utilisant le pays comme zone de transitvers d’autres destinations comme l’Europe ou versd’autres pays.

Selon la loi jordanienne, le réfugié irakien peutobtenir un permis de résidence de six mois. Or, àl’heure actuelle, la plupart des Irakiens résident enJordanie de manière illégale, leur autorisation ayantexpiré.

Un petit pourcentage d’Irakiens installés enJordanie (1 ou 2%) ont trouvé un travail sûr etdurable. Ces personnes étaient, le plus souvent desprofessionnels, des médecins, des professeurs,enfin des gens qui avaient un bon niveaud’éducation, qui étaient plus riches que les autres etqui ont pu investir en créant des petites entreprises.Ces gens là s’en sont donc mieux sortis et il leur aété plus facile d’obtenir un statut juridique dans lepays. Toutefois, la grosse majorité de ces réfugiésirakiens installés en Jordanie n’est pas dans unesituation aussi sûre, aussi stable.Le quart de la population irakienne vivantactuellement en Jordanie demande l’asile. Il fautsavoir que, tous les mois, 15 à 20 000 personnesentrent en Jordanie. La plupart de ces demandeursd’asile ne restent que pendant les six moisautorisés afin de gagner un peu d’argent qu’ilsenvoient à leur famille. Sinon ils restent pour gagnerde l’argent et retournent ensuite en Irak.

Des milliers d’Irakiens font une demande d’asileauprès du Haut Commissariat des Nations Uniespour les Réfugiés (HCR) pour aller soit en Europesoit aux Etats-Unis mais il n’y en a que 10% quiobtiennent le droit d’asile dans ces pays. La duréemoyenne d’attente est de deux ans durant laquelleils reçoivent une petite somme d’argent. La plupartd’entre eux attendent au moins deux ans enJordanie, et on leur donne 25 dinars jordaniens cequi équivaut à $35 par mois. C’est ce qui estpratiqué pour décourager l’exil.

Au cours de ces dernières années, les personnesayant demandé l’asile au HCR se sont retrouvéesconfrontées à de plus en plus de problèmes. Ils ontpeur de donner des informations aux fonctionnairesdes Nations Unies car ils craignent des fuites ducôté du personnel local qui peut transmettre desinformations aux autorités irakiennes, ce qui risquede mettre en danger leur vie ou celle de leur famille.En effet, le système n’arrive pas à garantir laconfidentialité des informations données par cesdemandeurs d’asile. Par conséquent, de nombreuxdemandeurs d’asile potentiels ont finalementrenoncé à demander officiellement l’asile tant ilscraignent que ces informations remontent vers lesautorités irakiennes.

Je crois que l’un des plus graves problèmes auquelles Irakiens sont confrontés en Jordanie, en dehorsde ceux déjà cités, est la question de leur statut. Lavulnérabilité de ce statut demeure liée auxchangements dans les politiques qui peuventexister d’Etat à Etat, essentiellement l’évolution desliens entre l’Irak et la Jordanie. Il faut tenir comptedu fait qu’économiquement parlant la Jordaniedépend, dans une très large mesure, de l’Irak. Pourcommencer, l’offre pétrolière représente 300

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millions de dollars par an. Deuxièmement, le pétroleirakien est vendu aux Jordaniens à un prixpréférentiel. Ainsi, en raison de leurs intérêtséconomiques, les Jordaniens doivent à la foismaintenir de bonnes relations avec les autoritésirakiennes et préserver leurs liens avec l’Ouest. Parailleurs, les échanges entre les deux paysrapportent des revenus à l’Etat jordanien.Néanmoins, la Jordanie ne doit pas négliger lerespect qu’elle déclare avoir pour les droitshumains. Celle-ci est engagée dans plusieursPactes Internationaux relatifs aux Droits del’Homme.

Donc, la Jordanie est dans une situation délicate.D’une part elle dépend du régime irakien, qui estprobablement le régime le plus brutal du 20èmesiècle et en même temps elle demeure engagéevis-à-vis des droits humains, de la justice et estsignataire de plusieurs pactes internationaux. Enoutre, la Jordanie entretient des rapports particuliersavec les Etats-Unis et avec les pays occidentaux.Cet équilibre est extrêmement difficile, ce qui faitque les réfugiés irakiens, et probablement lesréfugiés d’autres origines également, se retrouventdans une situation précaire et très instable.

La menace économique reste très lourde parce quejusqu’à présent la Jordanie n’a pas accepté lesdiktats venant de l’Irak, qui exige par exemplel’extradition de certaines personnes. Certainshommes politiques ont quitté l’Irak et ont été reçuset acceptés par la Jordanie. C’est également le casdes militaires irakiens haut placés qui sont, soit entransit en Jordanie, soit ont été officiellementaccueillis par la Jordanie. D’autre part, on meraconte des histoires que je ne peux pas prouver,selon lesquelles des Irakiens ont été kidnappés.Des gens envoyés par les services de sécurité oules services de renseignement de l’Irak viennentenlever des Irakiens sur le sol jordanien pour lesramener en Irak. Vu nos connaissances sur lasituation des Droits de l’Homme en Irak, on peuts’imaginer que le retour de ces personnes en Irakn’est pas plaisant ! Cela dit, je n’ai pas de preuvespour corroborer ces allégations mais ce fait estconnu de tous les Irakiens réfugiés en Jordanie, cequi vient encore ajouter à la terreur qu’ils ressententau quotidien.

Un autre groupe majeur de réfugiés irakiens affluevers la Jordanie. De nombreux soldats irakiens fontde la contrebande. Ils vendent leurs armes du côtéirakien, jettent leurs uniformes et traversent lafrontière vers la Jordanie. Ces personnesconstituent un groupe particulièrement vulnérable.Nous n’avons pas de chiffres officiels quant aunombre qu’ils représentent mais nos estimationsportent ces chiffres à plusieurs dizaines de milliersde personnes.

Le droit des réfugiés n’est donc pas assuré, nonseulement du fait de la situation géopolitique de laJordanie, à savoir sa dépendance vis-à-vis de l’Irakmais également parce que la communautéinternationale n’agit pas. Elle ne protège passuffisamment ces réfugiés et ne met pas en œuvreles droits des réfugiés qui font partie des droitshumains. La Jordanie demande à la communautéinternationale, à l’Union Européenne et à d’autresde s’impliquer et de l’aider à résoudre ce problèmeen acceptant davantage de demandeurs d’asile.

Cependant, comme nous l’observons depuisquelques années maintenant, nous constatons auniveau de la communauté internationale unsentiment d’auto-justification. On parle de cegénocide énorme, de ces tortures, de ces meurtressystématiques qui concernent des milliers depersonnes mais le reste du monde semble secomporter comme si cela se passait sur une autreplanète. Je reste toujours choqué quand on meparle de ce qui se passe, lorsque je lis ces récitsinsoutenables et c’est surtout lorsque je rencontredes personnes, à titre individuel qui me racontentleur histoire, l’histoire de ce qui c’est passé poureux ou pour leur famille. Je suis toujoursterriblement choqué quand je vois que finalement lacommunauté internationale ferme les yeux devantcette situation.

A ce niveau, le rôle des médias a été un énormeéchec. Même les médias occidentaux, libres etindépendants n’ont pas réussi à faire des rapports,à écrire des articles. Ils n’ont pas expliqué cegénocide. Les médias parlent par exemple dedésastres humains, humanitaires qui se produisentdans d’autres parties du monde. Cela motivel’opinion publique et permet de faire pression sur lesdécideurs et les hommes politiques. Mais sansphotos, sans que l’on voit la souffrance soi-mêmecela ressemble à de froides statistiques qui nemobilisent pas vraiment les gens pour qu’ils fassentpression sur les hommes politiques et pour arriver àtrouver une solution juste et globale.

Pire encore, j’ai rencontré personnellement, moi quisuis journaliste, beaucoup de cas avérés dejournalistes, y compris des journalistes occidentauxvenant d’Europe ou des Etats-Unis, qui ont acceptéde devenir l’outil du régime irakien simplement pourobtenir un visa d’entrée en Irak. Ils deviennent l’outildu régime irakien simplement pour pouvoir signerleur papier et dire que pour CNN, par exemple, ilsont écrit leur article depuis Bagdad. Et c’estimportant pour un journaliste du Monde, du NewYork Times. Je ne dis pas que tous les journalistesagissent de la sorte. Mais ils savent pertinemmentque s’ils écrivent contre le régime irakien, s’ilsdénoncent la souffrance du peuple irakien, ilsrisquent de ne plus jamais obtenir un visa pour

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retourner en Irak ou ils risquent d’être expulséssans avoir le droit d’y revenir. Le rôle des médiasdans ce cas est presque criminel. Je crois que laplupart de ces journalistes ont accepté de couvrirles choses dans une optique correspondant à celledu régime irakien car c’est le seul moyen pour euxd’entrer dans le pays. Seul un tout petit nombre dejournalistes a essayé de contester cette attitude.Maintenant ils ne peuvent plus retourner en Irakpour couvrir la situation de l’intérieur du pays.

Cet état de fait a favorisé la méconnaissance dumonde face à l’ampleur des crimes commis par lerégime irakien contre sa population. De plus, restantle plus gros donateur aux pays de la région(Jordanie, l’Egypte, Turquie, l’Iran et même la Syrieet le Liban), le régime irakien est parfaitementcapable de créer une dépendance économique. Etc’est probablement l’une des plus grosses ironiesde ce désastre, l’Irak, après la guerre de 1991 (quia beaucoup abîmé le pays) et après onze ansd’embargo), continue à fournir plus d’aide que lesEtats-Unis et l’Union Européenne réunis. Ceprocessus de corruption ainsi que le contrôle desmédias ne favorisent pas une information juste surla situation de la souffrance des réfugiés irakiensdans les pays en collusion avec l’Irak.

Je ne dis pas que seuls sont à blâmer le mondelibre, les Européens et les Américains, mais je croisque la responsabilité essentielle incombe aux paysde la région qui ont accepté de fermer les yeux etd’être complices avec le régime de Saddam pourdes raisons d’intérêts économiques. En second lieu,c’est aussi la responsabilité du reste de lacommunauté internationale.

Pour que la situation actuelle change, mesarguments sont les suivants : il faudrait réexaminerles priorités et plus particulièrement, comme nouspouvons le voir en Europe, le problème del’immigration. Ce problème acquiert de plus en plusd’importance comme celui de la sécurité. Lasolution n’est pas seulement d’imposer des lois plusstrictes contre les mouvements des réfugiés oul’entrée illégale de réfugiés sur le territoire européencar il y a beaucoup de façon de contourner ces lois.

Les réfugiés totalement désespérés sont des géniesde débrouillardise. Ils arrivent à se glisser dansd’autres pays pour échapper à la souffrance qu’ilsont subi dans leurs pays d’origine.

Je crois que la solution serait de résoudre leproblème à la source. Des pays comme la France,les Etats-Unis, comme ceux de l’Union Européennedoivent bien comprendre que, et là je cite LordRoberson « il faut attaquer le problème avant que leproblème ne vienne vous attaquer vous ». End’autres termes, il faut qu’il y ait une participationplus agressive, plus intrusive de la part desEuropéens et des Américains pour régler la crise,pour faire face aux causes réelles de l’instabilité, àl’origine du problème des réfugiés et desimmigrants. On ne peut pas résoudre définitivementle problème mais on peut le réduire dans une trèslarge mesure. Ceci veut dire qu’il devrait y avoir unerestructuration complète.

Dans la situation actuelle, l’Union Européenne, leFonds Monétaire international (FMI), la BanqueMondiale, la communauté internationale, sont lesbailleurs des pays de la région. Cette aide esttotalement sous le contrôle des gouvernements dela région. Afin d’améliorer la situation dans la partieméridionale de la Méditerranée, l’aide européenneest envoyée aux gouvernements ce qui renforceleur puissance. Ces derniers sont justementresponsables de la crise qui a suscité le problèmedes réfugiés et de l’immigration vers l’Europe. Lerégime irakien s’estime suffisamment riche pouraider les pays avoisinants au détriment d’ailleurs desa propre population.

Nous avons déjà abordé la complicité des médiasinternationaux. Personnellement, je n’ai pas vu derecherche sérieuse faite, qui montrerait commentl’Irak, (ayant été détruit par la guerre et subissantl’embargo depuis plus de onze ans maintenant),arrive à donner plus d’aide que le reste desbailleurs. Pour les Irakiens, cet état de fait constitueune autre source de malheur parce que la richessede leur propre pays est utilisée pour les annihilerencore un peu plus. Leurs richesses servent àacheter la complicité des voisins.

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Les réfugiés irakiens

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Les réfugiés irakiens en Iran

Berniece HoltomResponsable international pour l’Iran

Iraqi Refugees Aid Council (IRAC)

’ai eu personnellement le privilège de travaillerétroitement avec les Irakiens en Irak etégalement, durant dix ans, avec les réfugiés

irakiens en Iran. Je travaille maintenant en Grande-Bretagne avec des réfugiés irakiens et leurs enfants.Je peux témoigner du courage et de la force dupeuple irakien. Aujourd’hui j’aimerais vous parler desconditions de vie et des besoins des Irakiens en Iran.

Aujourd’hui en Iran, 220 000 Irakiens sontofficiellement reconnus par le Ministère de l’Intérieur.Etre reconnu comme réfugié ne veut pas dire l’octroidu statut de Réfugié. La notion de réfugié est définiepar la Convention de Genève. En Iran cela nes’applique pas. Au cours des 20 dernières années,seules quelques dizaines de personnes ont pu obtenirle statut officiel de Réfugié en Iran. Une personne paran en moyenne, au maximum deux. Quand je parlede réfugié, je parle de la personne qui ne peut pasretourner dans son pays pour des questions desécurité. Voilà la définition que je souhaitais préciser.En Iran, il s’agit de personnes qui n’ont pas de statutofficiel, qui ne bénéficient pas de la protectionoctroyée aux réfugiés.

L’essentiel des réfugiés irakiens en Iran sont arabes(50%), il y a également des Kurdes et des Turkmènesmais très peu aujourd’hui.

Jusqu’en 1991, date de l’entrée des Irakiens en Iran,ils étaient très bien traités. Ils avaient accès à tous lesservices, au même titre que les Iraniens, ils étaientbien accueillis. Les Iraniens comprenaient très bien lasouffrance du peuple irakien ainsi que les conditionsépouvantables du régime.

Les choses ont changé et les conditions pour lesréfugiés irakiens sont très mauvaises aujourd’hui. Lepeuple irakien s’est soulevé contre son dictateur, suiteà l’appel du Président Bush, en 1991. Mais ils n’ontobtenu aucune aide et au moins 300 000 personnesont été assassinées en un mois en Irak. L’Iran et l’Irakvenaient de mettre fin à 8 ans de guerre et desouffrance et malgré cela, l’Iran a ouvert sesfrontières et a accueilli 1,7 millions de personnes surune période de trois semaines.A la lumière du nombre de réfugiés accueillis enEurope, vous mesurez l’ampleur. La plupart desKurdes ont pu retourner au Kurdistan irakien lorsqu’onla zone est devenue un havre de paix

En 1993-1995, nous avons assisté à une nouvellevague d’arrivée d’Arabes venant des marais.800 000 Kurdes chassés par les combats àl’intérieur du pays. La plupart d’entre eux sontretournés dans leur pays. Je vous rappelle quejusqu’en 1980-1985, 26% de la populationirakienne était scolarisée de la maternelle jusqu’àl’université. Ce sont donc des gens bien formés ettravailleurs.

Les gens préfèrent rester dans les villes pourgagner leur vie même si, dans le domaine desservices, le travail a beaucoup diminué. Lesréfugiés irakiens ont accepté pour survivre toustypes de travail, de tous niveaux.

La vie quotidienne des réfugiés en Iran220 000 réfugiés se trouvent en Iran, maisbeaucoup d’entre eux ne se déclarent pas commeréfugiés de peur d’être expulsés. Moins d’1/5ème

vivent dans des camps dont un nombre importantde Kurdes, mais la majorité de ces réfugiés sontdes Arabes. Le Ministère de l’Intérieur leur donnede l’aide ainsi que le Haut Commissariat desNations Unies pour les Réfugiés (HCR) mais ilsvivent séparés du reste de la population. Lescamps se trouvent très loin des villages. Le camp,par exemple, des Arabes des marais se trouvetrès éloigné, dans une zone isolée, à flanc demontagne, dans des conditions effroyables. Lespersonnes qui vivent dans les camps doiventobtenir un permis pour sortir. On leur fait payerl’électricité alors qu’ils n’ont pas de revenus, ilsutilisent leurs bons de la Banque Mondiale pourpayer l’électricité. Très souvent, les enfants ontété élevés en apprennent le Farsi et ne pourrontpas parler l’Arabe en revenant en Irak.L’administration des camps est très mauvaise, lespersonnes qui y vivent n’ont que très peu decontacts avec l’extérieur. Les Irakiens qui viventdans les villes et les villages n’ont pas le droit detravailler, j’y reviendrais plus tard.

Toute personne arrivée avant 1990 a le droit àune carte d’identité et un permis de travail. S’ilsont cette carte, ils peuvent envoyer leurs enfantsà l’école et ils ont droit à des soins médicaux parle biais du HCR mais ce sont les seuls avantagesde ces permis de travail. Les personnes qui viventdans les villes n’ont pas le droit de travailler,toutefois ils doivent payer leurs soins médicaux,acheter à manger, payer leur loyer. Ils ontbeaucoup de dépenses et pourtant, ils n’ont pasle droit de travailler.Le rôle des médias et du gouvernementiranienLa situation financière en Iran est très mauvaise.Avant l’arrivée des réfugiés, nombre d’Iraniensvivaient dans des conditions déplorables. Puis lesréfugiés sont arrivés. Actuellement, les médias et

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le gouvernement iranien montrent du doigt lesréfugiés comme cause de la situation économiquecatastrophique du pays. Les réfugiés sont rendusresponsables, se sentent victimisés et sont parfois enréel danger physique.

Le rôle des agences des Nations Unies et desOrganisations Non Gouvernementales(ONGs)Les agences des Nations Unies, et notamment leProgramme Alimentaire Mondial (PAM) et le HCR,aident uniquement les réfugiés vivant dans les camps.Ils ne peuvent que très rarement aider ceux qui viventen dehors des camps. Cela représente uniquement1/5ème des réfugiés qui vivent en Iran. Le système esttrès mal organisé.

Depuis 1991, depuis que le HCR a redémarré sontravail en Iran, malgré son aide aux camps, lesagences des Nations Unies ne sont pas véritablementinformées des conditions réelles de vie des réfugiésen Iran. C’est un véritable problème car celles-ci nepeuvent donc pas faire de rapports et obtenir del’aide. Lorsque le HCR a des contacts avec lesréfugiés dans les camps, cela se fait dans de trèsmauvaises conditions et les réfugiés ont très peur deraconter ce qu’ils ont vécu.

Il existe d’autres ONGs qui travaillent avec lesréfugiés et qui mettent en œuvre des projets quithéoriquement sont très bons, à une ou deuxexceptions. Les ONGs n’ont que très peu accès auxréfugiés, encore moins que les agences des NationsUnies. Très peu d’ONGs internationales emploie desréfugiés et seules celles-ci connaissent leurs réellesconditions de vie.

Le rapatriementTrès peu de réfugiés ont un véritable statut. Pour lesréfugiés arrivés avant 1990, un permis de travail, derésidence leur a été octroyé et ils ont pu envoyer leursenfants à l’école. Toutefois, cela ne donne pasvéritablement le droit au travail. Auparavant, onpouvait travailler sans avoir véritablement uneautorisation spécifique.

Je souligne le fait que l’essentiel des réfugiés arrivésavant 1991 n’avaient pas le droit de travailler maisétant donné qu’ils étaient prêts à travailler à moindreprix par rapport aux Iraniens, ils arrivaient à trouver unemploi. Néanmoins, le gouvernement iranien afinalement fait passer des lois selon lesquelles lesemployeurs de réfugiés peuvent être assujettis à desamendes lourdes et à six mois de prison.

Ensuite une loi a été passée par le Parlement iranienafin que le gouvernement recueille et expulse tous lesétrangers sans permis de travail. Seulement 150

réfugiés irakiens ont obtenu des permis de travailau cours des 23 dernières années.

Selon l’article 48, on a demandé augouvernement de faire le nécessaire afin derassembler et de déporter tous les étrangers quin’ont pas de permis de travail c’est à direquasiment tous les réfugiés en Iran. Lesméthodes pour réaliser ces déportations sonttoujours en cours d’élaboration mais désormaisc’est écrit dans la loi. Tout le monde sait que lesforces de sécurité en Iran ont déjà déportébeaucoup de réfugiés d’origine afghane.Concernant les Irakiens, nous avonsconnaissance d’un certain nombre de cas, maismoindre. Pour certains, il y a des preuves depersonnes renvoyées de force en Irak et qui ontbeaucoup souffert à leur retour.

Le 17 juin de cette année, à la 5ème réunion duComité conjoint Irak-Iran, un protocole a été signéentre les deux pays, stipulant que ces deux paysallaient coopérer pour rapatrier de façonvolontaire les réfugiés des deux pays à compterdu 15 juillet 2002. Chaque pays possède déjà deslistes de personnes que l’on veut faire rapatrier.En se fondant sur l’expérience de l’Afghanistan eten voyant ce qui s’est passé pour des centainesde milliers de réfugiés afghans, nous sommesextrêmement inquiets. La crainte est fondée quece nouveau protocole, signé entre l’Iran et l’Irak,puisse être utilisé comme prétexte à unprogramme de rapatriement forcé à très grandeéchelle de la part des autorités iraniennes.

La réinstallation des réfugiésC’est seulement depuis trois ou quatre ansqu’existe une politique du HCR pour lerapatriement des personnes. Les Afghans ont étéles premiers a accepter cela. Annuellement, 4.500personnes sont acceptées pour un rapatriementofficiel sous les auspices du HCR. Etant donnéqu’il y a 2,5 millions de personnes qui sontréfugiées en Iran, ce chiffre est dérisoire.

Les Irakiens sont connus pour leur persistance, ilscontinuent éternellement à s’opposer à l’injustice.Cela fait 22-23 ans qu’ils luttent contre le régimede Saddam et les Irakiens savent pertinemmentqui appuie le régime irakien. De nombreux paysoccidentaux ont soutenu Saddam. Les réfugiésont des opinions très arrêtées, donnent desarguments très solides disant que la question desréfugiés est encore une arme de guerre utiliséecontre l’ensemble de la région. En Iran, paysextrêmement pauvre et avant même la situationcausée par les réfugiés, 5 à 6 millions depersonnes s’y trouvaient déjà en 1990 et n’étaientaidés par personne de l’extérieur. Aujourd’hui il y

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a plus de deux millions de réfugiés dans un pays où ily a probablement au moins 20% de la population quivit dans des conditions d’extrême pauvreté. Les gensdu Moyen-Orient sont de grands conteurs, ils

connaissent encore l’histoire de leur famille desdix ou vingt dernières générations, leur mémoireest très solide et très longue et ils n’oublient pasqu’ils souffrent maintenant.

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Les réfugiés irakiens au Liban

Driss El YazamiSecrétaire général de la FIDH

es quelques éléments qui suivent portent surles demandeurs d’asile irakiens au Liban etsont issus d’un rapport de la Fédération

Internationale des Ligues des Droits de l’Homme(FIDH), consécutif à une mission qui s’est renduedans ce pays du 8 au 14 avril 2002. Cette missionfait suite à une série de contacts que nous avonsavec des demandeurs d’asile irakiens, soudanais etsomaliens résidant au Liban.

Le rapport insiste d’abord sur ce qui distingue leLiban par rapport aux autres pays d’asile desréfugiés irakiens de la région. Ces particularitéssont au nombre de cinq.

Le Liban n’a pas signé la Convention de Genève de1951 sur les réfugiés et absolument rien ne permetde penser qu’il envisage de la signer à moyenterme. On sait que ce pays abrite autour de 350 000réfugiés palestiniens et que cette question y esttrès sensible. Il y a encore en permanence dansl’opinion publique et au niveau des élites politiqueslibanaises un refus de « la sédentarisation » desréfugiés palestiniens. D’ailleurs, la revendication dudroit au retour des réfugiés palestiniens est inscritedans la constitution libanaise et les responsableslibanais, à la quasi-unanimité, réaffirmentcontinuellement leur refus de toute installationpermanente des réfugiés palestiniens.

La deuxième particularité que le Liban partage avecd’autres pays de la région y compris la Jordanie estle développement d’une immigration de travail enprovenance notamment du Sri Lanka, desPhilippines, … Phénomène assez paradoxalpuisque que le Liban reste une très grande terred’émigration. Le Liban a été depuis des siècles unegrande terre de départ et il y a des communautéslibanaises un peu partout dans le monde, maisl’émigration libanaise a recommencé de plus belledepuis la fin de la guerre civile et se maintient à unniveau assez élevé.

La troisième particularité du Liban est bienévidemment l’influence syrienne et la proximité dece pays avec deux conséquences : la présence surle marché du travail libanais de centaines de milliersde Syriens qui accèdent librement au territoirelibanais et la perméabilité des frontières syro-libanaises. Le fait que la Syrie soit un des rarespays arabes à ne pas exiger de visas d’entrée aux

ressortissants des pays arabes fait que, parexemple, les Soudanais arrivent au Liban enpassant par la Syrie.

Non partie à la Convention de Genève de 1951, leLiban a néanmoins signé en 1963 avec le HautCommissariat des Nations Unies pour les Réfugiés(HCR) un « Gentlemen agreement », accordtoujours non publié d’ailleurs. Cet accord stipuleque le Liban ne peut pas être un pays d’asiledéfinitif mais uniquement temporaire et ouvre lapossibilité d’octroyer des permis de circulation desix mois aux demandeurs d’asile reconnus parl’antenne du HCR, en attente de leur réadmissiondans d’autres pays d’installation définitive. La loi surl’entrée et le séjour des étrangers au Liban, qui dateelle aussi de 1963, prévoit le principe d’accorder ledroit d’asile mais celui-ci est très rarement octroyé :il semble que seul un ressortissant japonais en aitbénéficié en 2001.

Les réfugiés et les demandeurs d’asile nonpalestiniens sont les Irakiens suivis de très loin parles Soudanais et les Somaliens. Le bureau du HCR,aurait accordé le statut à 4 000 personnes, soit,toujours d’après le HCR un taux de 10 à 15% dereconnaissance, ce qui donne une idéeapproximative du nombre de réfugiés qui tourneraitentre 40 000 à 60 000 si on prend en compte toutesles nationalités. Bien évidemment, il faut resterprudent par rapport aux chiffres concernant lespersonnes en situation irrégulière. Ces chiffresmontrent, toutefois, que les demandeurs d’asileirakiens constituent 75% de ceux qui ont étéreconnus, ce qui confirme l’importance duphénomène.

La mission a notamment enquêté sur la crise qui aeu lieu entre le Bureau de Beyrouth du HCR et laDirection Générale de la Sûreté Nationale.

A partir de 1998, la Direction Générale de la SûretéNationale a commencé une campagne contre lebureau du HCR à Beyrouth en l’accusant delaxisme et en critiquant très fortement les délais deréinstallation trop longs de son point de vue, ce quin’est pas, soit dit au passage, sans fondement.

Cette campagne a de fait pris les demandeursd’asile et l’ensemble des étrangers résidant auLiban en otages et une véritable campagned’arrestations systématiques, de raids sur lesquartiers, sur les hôtels où ils habitaient acommencé. Surtout, en août 2000, une circulaire aété promulguée qui donne trois mois à l’ensembledes étrangers résidant au Liban en situationirrégulière pour régulariser leur situation. Cettecirculaire a été prorogée de trois mois en trois moisjusqu’au mois de mai dernier. En principe, à partir

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du 31 mai 2002 on ne peut plus se faire régulariserau Liban et on doit être arrêté et expulsé. De fait,les campagnes d’arrestations ont commencéimmédiatement après la promulgation de cettecirculaire avec des moments dramatiques pour lesdemandeurs d’asile irakiens notamment endécembre 2001 et mars 2002, où selon les chiffresrecueillis par la mission, qui sont à prendre avecprudence, en raison des variations constatées entreles chiffres des Organisations nongouvernementales (ONG), ceux du bureau du HCR,de la Direction Générale de la Sûreté Nationale, etdes témoins rencontrés. Il est certain cependantqu’à chaque fois plus de 150 Irakiens ont étéarrêtés ou emprisonnés, mis dans des camions (leproblème des prisons sera évoqué plus tard), etparfois transportés pendant plus de 60 heures àtravers le territoire libanais et le territoire syrien,amenés vers le nord de l’Irak et déportés. Il estcertain qu’entre 10 et 20 d’entre eux ont été abattuspar les gardes frontières, certains ont disparu et nedonnent plus de nouvelles. Certains sont revenus ettémoignent de ces 60 heures dans des camionsenfermés, sans nourriture, sans arrêt pour faireleurs besoins. Ils sont revenus, bien évidemment,en payant des passeurs.

Un certain nombre de trafics se développent dansles antennes du HCR dans les pays pauvres duSud et pas seulement au Liban. Il faut se garder deporter des accusations sans preuve et même lestémoignages des demandeurs d’asile doivent êtrepris avec prudence, cependant il semble qu’il y a euquelques trafics autour du bureau du HCR àBeyrouth. D’ailleurs, pour ceux qui l’ont visitécomme moi, c’est extraordinaire de voir qu’il sesitue dans la rue juste derrière le bureau de laDirection Générale de la Sûreté Nationale.

La mission de la FIDH a pu visiter un centre derétention à Beyrouth ainsi que des prisons quirendent compte de ces campagnes d’arrestations etd’expulsions.

A la suite de plusieurs missions au Liban de laDirection du HCR, un nouveau responsable dubureau a été nommé et le mandat du bureau a étémodifié : celui-ci couvre désormais le Liban et laSyrie. De plus, des cartes de réfugiés infalsifiablesont été émises.

Pour conclure, il semble qu’une sorte décrispationde la crise entre la Direction Générale de la Sûretélibanaise et le Bureau du HCR soit amorcée et quele HCR soit en train d’améliorer ses méthodes detravail : ainsi, par exemple, un « turn-over » desresponsables a été instauré par le directeur, ce quiévite que la même personne reçoive toujours lesmêmes demandeurs d’asile. Une certainemobilisation en faveur des réfugiés sembleégalement émerger.Néanmoins, la réadmission connaît une véritablecrise : sur 900 personnes reconnues commedemandeurs d’asile en 2000 il n’y a que 300personnes qui ont pu partir. De plus, parmi lescritères de sélection des principaux pays d’accueil(les Etats-Unis, le Canada et l’Australie), certainscritères de sélection sont plus importants que leseul strict besoin de protection. Par exemple, onprivilégie les personnes diplômées par rapport auxnon diplômées selon les besoins du marché dutravail. Enfin, le 11 septembre et ses suites ontrendu plus difficile les conditions de réadmissiondes réfugiés.

Le rapport de la FIDH, Réfugiés et demandeursd’asile non-palestiniens au Liban : quel avenir ? estdisponible sur le site de la FIDH http://www.fidh.org

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Les réfugiés irakiens du Moyen-Orient (Arabie Saoudite)

Patrick DelouvainResponsable du service réfugiésAmnesty International - Section

française

l y a 5 000 réfugiés irakiens dans le camp d’AlRafha en Arabie Saoudite et AmnestyInternational a publié un certain nombre

d’informations sur cette question.

Dans un récent rapport, celui de l’année 2000, onparlait de ce chiffre, j’y reviendrais car au départ lesréfugiés étaient en plus grand nombre. Dans lesannées 90 ils étaient 30 000. Amnesty Internationalouvrait ce rapport et la partie sur l’Arabie Saoudite,les rapports mentionnent souvent des situationsgénérales mais aussi des cas individuels, des casparticuliers, des témoignages précis de personnesque nous avons pu rencontrer dans différents pays.

Parfois nous rencontrons des réfugiés dans despays, là où ils se trouvent, dans un pays limitrophe,là où ils sont en danger comme les réfugiés irakiensen Arabie Saoudite et parfois ces personnes sontensuite réinstallées dans d’autres pays. C’est le caspour un certain nombre de ces Irakiens qui ont puêtre réinstallés plus loin vers les Etats-Unis,l’Australie, le Canada, les pays européens. Cestémoignages, nous pouvons les suivre dans letemps.

Cette information sur l’Arabie Saoudite dans notrerécent rapport, « Les dérives de la justice » ouvraitsur le suicide d’un Irakien de 31 ans dans le campd’Al Rafha après une dizaine d’années de quasi-existence de prisonnier dans ce camp où il étaitdepuis les années 90.

5 000 personnes aujourd’hui vivent un calvairedepuis dix ans. A la fin de la guerre du golfe, 33 000hommes, femmes, enfants étaient dans deuxcamps dont l’un a fermé et tous ont été regroupésdans le camp d’Al Rafha Beaucoup d’anciensmilitaires ont ensuite été rejoints par des hommes,des femmes, des enfants qui fuyaient la violence del’Irak.

L’Arabie Saoudite n’est pas non plus signataire dela Convention de Genève de 1951 sur le statut desréfugiés. C’est un article de la constitution nationalequi dispose que l’Etat accorde l’asile politique sil’intérêt public l’exige et c’est une énorme différencepar rapport à la convention de Genève, convention

internationale des Nations Unies, qui stipule qu’il nefaut pas renvoyer quelqu’un vers un danger. Dansce cas, la constitution de l’Arabie Saoudite faitréférence à l’intérêt public. L’asile sera accordé sil’intérêt public l’exige.

Sur ces 30 000 personnes du camp de réfugiés,comme au Liban, le Haut Commissariat des NationsUnies aux Réfugiés (HCR) a pu réinstaller uncertain nombre de ces personnes vers d’autrespays et puis certains contraints ou forcés, ou aubout d’un certain nombre d’années de désespoirdans ce camp, sont rentrés vers leur pays, en Irak.

Les camps de réfugiés dans le monde sont plus oumoins accueillants, offrent plus ou moins desécurité, sont plus ou moins proches des frontièreset dans nombre de pays dans le monde. Ils sontsouvent trop proches de la frontière du pays que lesréfugiés fuyaient, ce qui a entraîné un certainnombre de danger, d’incursions des uns et desautres.

Ce camp d’Al Rafha est à 5 kms de la frontière quisépare l’Arabie Saoudite de l’Irak. La température yatteint 50° en été et peut descendre en dessous dezéro en hiver. Il est isolé non seulementgéographiquement mais également parce qu’il estplacé sous le contrôle de l’armée. Le camp estétroitement surveillé par les forces militaires. Lesréfugiés sont soumis au couvre-feu, il leur eststrictement interdit de s’aventurer au-delà de laclôture qui entoure le camp sauf autorisation.

Quelques éléments d’informations sur un rapportqui remonte à l’année 1994, à l’époque où il y avait30 000 puis 20 000 personnes au fur et à mesuredes premières réinstallations par le HCR ou despremiers retours. Malheureusement AmnestyInternational, comme c’est le cas trop fréquemment,n’avait pas été autorisé à se rendre sur placemalgré de nombreuses démarches auprès desautorités du pays pour envoyer une délégation.

Au départ les réfugiés vivaient sous tente puis dansdes constructions en briques de terre et, commesouvent dans ses rapports, Amnesty faisait état detémoignages de tortures, d’exécutionsextrajudiciaires et de détention. Des conditionsproches de celles de prisonniers alors qu’ils’agissait d’un camp de réfugiés. Différentesorganisations ont pu recueillir des témoignages decoups portés systématiquement, de séances deboutpendant des périodes prolongées, de torture àl’électricité, de la trop fameuse falaka avec descoups sur la plante des pieds, etc... de personnesprivées de sommeil, de gens qu’on oblige à rampersur le ventre…Les cas de refoulement nous intéressent au niveaudes réfugiés, ces personnes qui devraient pouvoir

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avoir accès à une protection et qui sont souventrefoulées, menacées dans le camp, qui subissentdes pressions pour signer des documents indiquantqu’ils sont volontaires pour repartir alors qu’ils ne lesont pas, avec des cas de tortures pour ceux quirefusent, de gens conduits en camion jusqu’à la

frontière, de coups de feu tirés par les gardesfrontières irakiens, de retour dans le camp,d’arrestations de certains et de détention.

Je vous remercie.

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La déportation des Kurdes fayli

Ismail Kamandar-FattahEcrivain et représentant des Kurdes

fayli

orsqu’on connaît l’incroyable étendue descrimes d’un régime tel que celui de l’Irak, il est

très difficile de se limiter à un seul de ses crimesaussi douloureux soit-il.

La déportation des Kurdes fayli vers l’Iranreprésente une des plus graves violations des droitsde l’homme imputables au régime de SaddamHussein.

Il est tout d’abord utile de savoir que la granderégion kurde méridionale partagée entre l’Iran etl’Irak dont la population est d’environ 4 millions estde confession chiite et utilisant un ensembledialectal kurde spécifique qu’on appelle le kurdeméridional.On peut dire que les Kurdes fayli, proprement dit,constituent grosso modo la moitié sud de cettegrande partie des Kurdes du sud et de leurterritoire.

Par ailleurs, du côté irakien, le terme Kurde fayli afini par désigner pratiquement l’ensemble desKurdes chiites en Irak dont les territoirescommencent du nord de la ville de Khanaqin, pourenglober en plus de celle-ci d’autres villes etrégions complètement ou majoritairement kurdesfayli, telles que Sa’diyya, Jalawla, Mandeli,Zurbatiya, Badra, Chaykh Sa’ad, Ali Al Garbi, ou àmoitié kurdes fayli telles que Al-Hayy, AlNo’maniyya et Ali Chardji, cela jusqu’aux abords deBassorah sur la bande frontalière avec l’Iran.

Il y avait plusieurs centaines de milliers de Kurdesfayli avant la dernière déportation qui a débuté en1980 dans les villes de Bagdad, Bassorah etAmara. Et il n’est pas exagéré de dire qu’en Irakcette population constituait entre 15 et 20% desKurdes irakiens.

Les grandes campagnes de déportation sont aunombre de trois, la première en 1969, la deuxièmeen 1971, et l’on estime le nombre des déportés deces deux campagnes à environ 200 000. Latroisième campagne, qui fut la plus sauvage, adébuté en 1980 et a touché plus de 200 000personnes dont la majorité était composée deKurdes fayli et d’une partie d’arabes chiites et depersans d’origine installés depuis longtemps enIrak.

Les Fayli déportés étaient constitués pour une partdes populations issues des régions kurdes fayli déjàmentionnées, et pour une autre part desprolongements de ces régions, du côté iranien, dontune partie de la population s’est installée en Irak etsurtout à Bagdad depuis un ou deux siècles quandce n’est pas plus, autrement dit, avant laconstitution de l’Etat irakien en 1920.

La déportation des Kurdes fayli reflète un desgrands crimes de Saddam en période de paix avecdes centaines de milliers de personnes, souvent denationalité irakienne, dépouillées, chassées,traversant éventuellement des champs de mines etjetées dans le désespoir au-delà des frontières.Cette population, expulsée vers l’Iran depuis plusde 20 ans et pénétrée de toutes les nuances de lasouffrance, a pour sa moitié probablement, quittél’Iran à cause de difficultés économiques et socialesde tout genre avec de grandes doses de désespoir.Je rappelle que le dernier bateau qui a fait naufrageil y a quelques mois au large de l’Australie avecplusieurs centaines de morts, était composéprincipalement de réfugiés et de déportés deSaddam résidant en Iran.

Un autre aspect de ce crime contre l’humanité de ladéportation des Kurdes fayli est la détention et ladisparition de 6 000 à 8 000 des fils de ces déportésaussi innocents que leurs parents inconsolablesdepuis 20 ans et qui ignorent le sort que le régime aréservé à leurs fils dans un grand silence desorganisations internationales, surtout l’ONU, dontnous continuons de demander la création et l’envoid’une commission d’enquête sur le sort des cesdisparus kurdes fayli.

La tragédie des Kurdes fayli d’Irak ne peut êtreséparée des pratiques confessionnalistes de l’Etatirakien moderne qui a instauré de facto ladomination de la minorité arabe sunnite sur tous lesappareils importants de l’Etat. Cette dimension n’apratiquement pas changé jusqu’au jourd’aujourd’hui pour ne pas dire qu’elle a souventempiré. Cet élément de grande injustice a étébientôt rejoint par cet autre élément d’injusticecomparable qu’est l’excès du nationalisme arabe àpartir des années 50 et surtout 60, dans sa versionbaassiste la plus fasciste. C’est ainsi qu’on aassisté en 1969, juste après l’arrivée au pouvoir desdirigeants irakiens actuels, à la première campagnede déportation des Kurdes fayli, suivie d’unedeuxième campagne encore plus forte en 1971,comme nous l’avons déjà dit.

Il est triste de constater que le régime irakien aréussi à tromper de larges catégories du peupleirakien, y compris au sein des Kurdes, parl’amalgame qu’il suscitait entre appartenir à la

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communauté kurde fayli et être iranien ou d’origineiranienne, donc communauté expulsable à toutmoment par l’Etat confessionnalisme et racialisteirakien.

Il serait néanmoins assez naïf de comprendre ceproblème en dehors du grand plan de nettoyageethnique que le régime a amorcé dès sa prise depouvoir en commençant par ce qu’on appellel’arabisation qui a touché de vastes régions desprovinces de Mossoul et Kirkuk avec des centainesde milliers de déplacés kurdes et turkmènesremplacés par des arabes. Ce plan qui s’effectuaitplus discrètement dans les régions kurdes fayli, plusau sud, telles que Khanaqin, Mandeli, Ali Al Garbi,etc.... s’est poursuivi même pendant l’accord du 11mars 1970 entre le, mouvement kurde et le régimequi n’a jamais cessé de vouloir vider les zonespétrolifères non arabes de leurs habitants, et sur unautre plan, pallier la présence majoritaire chiite enIrak par l’importation de millions de travailleursarabes, égyptiens, marocains, etc…. de confessionsunnite.

Dans cette optique, l’expulsion vers l’Iran deplusieurs centaines de milliers de Kurdes faylirépondait de manière idéale à cette doubleexigence d’une stratégie de nettoyage ethnique etde modification fondamentale de la réalité

confessionnelle. Ces chiffres considérables dedéportés fayli doivent être ajoutés aux centaines demilliers de déplacés kurdes à l’intérieur du pays,victimes de l’arabisation.

Les Kurdes fayli ont payé leur double spécificité, etcette spécificité est une responsabilité qu’ilscontinueront d’assumer au-delà du prix à payer.

Une des dernières victimes du nettoyage ethniqueest le grand historien kurde irakien MohammadJamil Rojbayani que le régime a liquidé l’annéedernière à l’âge de 90 ans, suite à ses dernièrespositions courageuses de condamnation del’arabisation des régions kurdes de Khanaqin et deMandeli. C’est à lui et aux autres centaines demilliers de résistants et de victimes de Saddam queje veux rendre hommage en guise de conclusion.

Je n’ai jamais manqué dans mes interventions deréclamer la constitution d’un Tribunal PénalInternational ad hoc pour juger Saddam et sonentourage pour crimes de guerre et crimes contrel’humanité. C’est en pensant aux centaines demilliers de déportés et de disparus kurdes fayli etaux victimes d’Al Anfal, ainsi qu’à toutes les autresvictimes du régime que je réitère cette demande enprofitant de cette tribune.

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Déplacements internes et forcés

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Le déplacement des Kurdes,des Turkmènes, des Assyriens

et des Chiites

Françoise BriéDirectrice des programmes

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lusieurs facteurs expliquent lesdéplacements des populations en Irak.Parmi les principaux il faut citer :

- Les guerres successives de l’Irak avec l’Iran etle Koweït, les incursions de l’Irak, de l’Iran et dela Turquie dans la région kurde autonome auNord du pays.

- La politique d’exclusion et d’expropriation durégime irakien, surtout depuis le premier coupd’état du parti Baas en 1963, de communautésentières au nom d’une conception raciale de lanation irakienne.

La politique délibérée et organisée dedéplacements de population à traversl’ensemble du pays, qui fut pourtant des sièclesdurant un carrefour de civilisations, vise ladivision et la destruction de communautésentières pour un contrôle total du pouvoir parSaddam Hussein, sa famille et ses lieutenants.

Les exemples les plus frappantssont l’arabisation des régions kurdes enparticulier des gouvernorats de Kirkuk etMossoul avec l’expulsion des Kurdes, desAssyriens (minorité autochtone qui représente3% de la population en Irak) et des Turkmènes(dont le nombre est estimé à plus d’un demimillion en Irak), l’assèchement et la destructionde la région des marais dans le sud du pays, quia abouti à l’exode ou au déplacement forcé despopulations y résidant (le nombre de déplacésdans le Sud est estimé à plus de 100 000personnes).

Il faut rappeler en effet que les populationskurdes et chiites constituent près de 85% de lapopulation irakienne et sont les deuxcommunautés les plus touchées par larépression et les déplacements. Ainsi, ennovembre 1999, le ministre de l’Intérieurannonce qu’il a expulsé de Bagdad environ4 000 familles (soit 24 000 personnes) sous

prétexte de migration illégale durant la guerre duGolfe de 1991 et afin de décongestionnerBagdad. La plupart de ces familles étaientkurdes ou chiites, habitant le quartier de AlThawra où s’étaient déroulées des émeutescontre le régime en février 1999.

En novembre 2000, Benon Savan, responsabledu programme humanitaire des Nations Unies,cite le chiffre de 809 000 personnes déplacéesinternes dans les trois provinces du Nord. Siplusieurs dizaines de milliers de personnes ontété déplacées suite au conflit qui opposa lesdeux partis kurdes entre 1994 et 1996, les plusnombreux parmi ces déplacés sont les victimesde l'arabisation forcée des régions kurdes richesen pétrole comme Kirkuk, Khanaqin, Sinjar,Mandali, Jalawla et Mossoul, Tuz Khurmatu,Daquq, Taze Khurmatu, Dubs, Makhmour,Kandinawa, Ayn Zala et les déplacés desannées 80, en particulier les victimes desopérations d’Anfal, durant lesquelles 4 500 villeset villages furent détruits et 182 000 personnesdisparurent.

Plusieurs milliers de personnes non Kurdes, quifuient la répression, ont également trouvé refugeou transitent dans ces régions autonomes duKurdistan qui échappent au contrôle du régimeirakien.

L’arabisation, appelée « correction denationalité » par le régime, fait référence à lapolitique systématique et délibérée des autoritésqui consiste à changer le caractère ethnique decertaines régions. Cette politique, antérieure à1963, a été reprise après le premier coup d’étatbaasiste, a été développée de façonsystématique durant les années 70 pour lesKurdes puis a été ensuite appliquée auxTurkmènes, aux Assyro Chaldéens et auxArméniens vers le milieu des années 80. Elle sepoursuit de façon accélérée pour toutes cescommunautés depuis la deuxième guerre duGolfe en particulier dans la région de Kirkuk,riche région pétrolière pour laquelle il estintéressant de souligner quelques points.

En 1926, l’annexion au nouvel état irakien duVilayet de Mossoul dans lequel Kirkuk constitueune part importante, eut lieu sous condition queles fonctionnaires de la région kurde soient desKurdes et que le Kurde reste la langue officielle.En réalité les gouvernements irakiens successifsont ignoré cet accord international (traité de laLigue des Nations de 1931 sur les langueslocales en Irak) et procédé à une politique

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diamétralement opposée. En 1963, la campagnede terreur à l’encontre de la population de Kirkuks’accélère. Ainsi, 13 villages kurdes proches desinstallations pétrolières de la compagnieirakienne furent détruits et les habitants de 33villages du district de Dubz, près de Kirkuk,furent forcés de partir et remplacés par destribus arabes.D’autres mesures, qui s’intensifièrent à partir de1968, date de l’arrivée au pouvoir de SaddamHussein, furent prises contre les Kurdes àKirkuk.Parmi ces mesures, on peut citer :- le licenciement de tous les employés kurdes

de la compagnie pétrolière ou leur transfertdans des installations hors du gouvernoratavec interdiction, comme pour les Kurdesayant quitté la région, d’y revenir

- la démolition de maisons dans les quartierskurdes sous prétexte d’aménagement de laville ; la confiscation des habitations et desbiens

- l’embauche de très nombreux travailleursarabes dans la police locale ou lacompagnie pétrolière avec constructiond’unités résidentielles pour les travailleursarabes

- l’implantation de dizaines de milliers defamilles arabes avec garantie d’emploi et delogement. Les noms des nouveaux habitantsfurent ajoutés aux recensements (y compriscelui de 1957)

- la formation d’unités non officielles chargéesde mener une campagne de terreur, afind’obliger les Kurdes à quitter leurs villages

- l’obligation pour les Kurdes, s’ils vendentleurs biens, de ne négocier qu’avec desArabes

- l’interdiction pour les Kurdes d’acheter, deconstruire ou de rénover des biensimmobiliers

- le remplacement par des noms arabes detous les noms kurdes (rues, écoles,commerces. etc.)

- la démolition de l’antique citadelle de Kirkuket sa transformation en caserne militaire

- la construction de camps et de fortificationsmilitaires à l’intérieur et autour de Kirkuk

- l’encerclement de la ville par des postesd’observation militaires et par des « zonesde sécurité » minées

Un véritable apartheid est ainsi organisé, parétape, dans la zone concernée: interdictiond’hériter, de réparer des maisons, d’acheter descommerces, des propriétés, d’être employé dansla ville, confiscation des terres, etc. Puisviennent le harcèlement, l’intimidation, lesarrestations, la torture puis l’expulsion,l’installation de tribus arabes (certaines

déplacées par le régime) à qui sont redistribuéesdes avantages matériels ou financiers et unepartie des propriétés des personnes expulsées,l’autre partie étant répartie entre les dignitairesdu régime.

A la fin des années 80, les opérationsd’Anfal(1) touchèrent particulièrement legouvernorat de Kirkuk avec disparition ouexécution de dizaines de milliers de personnes,utilisation d’armes chimiques, destructionsystématique des villages, villes, infrastructures,déportation vers le Sud du pays de la populationdont une partie fuit vers les pays limitrophes.

Lors de la deuxième guerre du Golfe, lareprise de Kirkuk par l’armée irakienne après lesoulèvement des provinces en 1991 déclenchaune vague d’expulsions et de destructions desquartiers kurdes. La promulgation de nouveauxdécrets du Conseil de Commandement de laRévolution (CCR), véritable centre du pouvoir enIrak, légalise la politique de nettoyage ethniqueappliquée à tous les Kurdes, Turkmènes etAssyro chaldéens, en violation de la constitutionprovisoire de l’Irak.

Ainsi le décret n° 199 qui donne le « droit » àtout Irakien de changer son identité ethnique etde choisir celle d’Arabe et est en fait uneobligation. S’il refuse, tous les biens de la famillesont confisqués avant l’expulsion, les papiersd’identité détruits pour ne laisser aucune preuvede leur origine. Une des dernières mesures prisepar le régime irakien pour détruire toute trace dela présence kurde, est la modification despierres tombales dans les cimetières. Cesexpulsions s’accompagnent d’exécutionssommaires, d’arrestations, de tortures.

Durant cette période qui suit 1991, plus de120 000 personnes ont été expulsées des zonesactuellement sous le contrôle du régime. Ainsi,toutes les semaines, des familles démunies sedirigent vers la zone kurde autonome située auNord de l’Irak. La plupart des déplacés viventdans des conditions misérables, dépendent del’aide internationale ou choisissent l’exil.Un témoin raconte qu’il a fui Bagdad en 2000 ets’est caché à Kirkuk :« A Kirkuk, j’ai entendu dire que les Feddayis deSaddam agissent contre les Kurdes de façonsystématique. Les Kurdes sont considérésmoins que des animaux. Il y avait desenlèvements, ils étaient parqués dans descasernes puis envoyés à Souleymania, ouexécutés ou emprisonnés. Les familles étaient

1 Nom de code de la campagne d’extermination desKurdes, qualifiée de génocide par de nombreusesorganisations. Al Anfal signifie « le butin ».

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traitées comme du bétail quel que soit leur âgeou leur fonction. ».

Un homme, qui a fui en novembre 2000 raconte:« Je suis turkmène. Les expulsions étaient très

nombreuses à Kirkuk. Il y avait des contrôlesd’identité. Si je disais que j’étais arabe, il n’yavait pas de problème. Ceux qui disaient qu’ilsétaient kurdes étaient expulsés vers Erbil ouSuleymania. Si tu disais que tu étais turkmène,tu n’avais pas le droit de te construire unemaison et on te supprimait ton logement. Il fallaitdire que tu étais arabe et pas turkmène.»

Dans le Sud de l’Irak, la destruction des marais,la répression politique et les mesuresadministratives ont obligé la population à fuirvers les villes ou vers les états voisins.

En 1991, les provinces du Sud de l’Irak sesoulèvent. La répression qui suit la reprise enmain par le régime de ces régions, oblige denombreux habitants à fuir pour se réfugier dans

les marais. Le régime de Saddam Husseinordonne de détruire et de brûler la plupart desvillages dans les districts de Nassirya, AlAmarah et Bassora. Là aussi les expulsions etdestructions s’accompagnent d’exécutions et detransfert de personnes dans les prisons ducentre de l’Irak particulièrement à Bagdad. Lapolitique d’assèchement des marais permet auxforces armées de pénétrer dans une régioninaccessible, refuge pour les Chiites et aurégime irakien de déplacer la population loin dela zone. Une partie sera forcée à s’installer dansle gouvernorat de Kirkuk pour remplacer lesKurdes, les Turkmènes et les Assyriens. Lamajorité des 500 000 habitants des marais aainsi été déplacée ou s’est enfuie vers les villesou en Iran.

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La situation des Déplacés auKurdistan

Nasreen M. Sideek BarwariMinistre de la Reconstruction et du

DéveloppementGouvernement Régional du Kurdistan

e voudrais remercier l’Alliance Internationalepour la Justice pour son invitation, qui mepermet de vous faire partager la vérité sur les

déplacés et les réfugiés kurdes d’Irak. Suite à desproblèmes de transport en Turquie, je ne puis pasêtre des vôtres aujourd’hui. Cependant, je vousfais parvenir le texte de mon intervention et je tiensà remercier Mr Burham Jaf, représentant duGouvernement Régional du Kurdistan auprès del’Union Européenne, qui va se charger de vous lelire.

Merci de vous être déplacés pour m’écouter.

Déplacement forcé interne auKurdistan irakien

Selon les rapports des Nations Unies et d’ONGs,l’Irak contient le plus grand nombre de déplacésinternes du Moyen Orient, estimé entre 700 000 etun million de personnes. La majorité de cesdéplacés internes se trouve dans la région duKurdistan irakien (1). Ce sont principalement desKurdes, mais également des Assyriens et desTurkmènes, qui ont été victimes de plusieursvagues de déplacements au cours des deuxdernières décennies, conséquencesprincipalement de la répression exercée par legouvernement irakien et, dans une moindremesure, des incursions de puissances régionaleset des combats interethniques entre Kurdes.

FAITS ET CHIFFRES SUR LA POPULATION DEL’IRAKLes musulmans chi’ites arabes constituent entre60 et 65 % de la population.Les musulmans sunnites (Kurdes, Arabes etTurkmènes) représentent entre 32 et 37 % de lapopulation.Les chrétiens et les yezidis représentent environ3 %.

Une partie des Sunnites, la population chiite (enparticulier les Arabes des Marais), kurde,chrétienne, turkmène, yezidi et bédouine a eu desrelations conflictuelles avec le régime irakien.Selon des estimations, les musulmans

représentent 97 pour cent d’une population de23 millions. Les musulmans chi’ites(majoritairement arabes) constituent unemajorité entre 60 % et 65 % en Irak, alors queles musulmans sunnites représentent entre 32% et 37 % de la population (dont environ 18 à20 % de Kurdes, 13 à 16 % d’Arabes, le resteétant composé de Turkmènes). Les 3 pourcent restants sont composés de chrétiens(Assyriens, Chaldéens, catholiques etArméniens) et de Yezidi (2).

Les groupes ethniques vulnérables et leursrelations avec le régime (3)

Les Kurdes irakiensEntre 3,6 et 5 millions de Kurdes se trouventen Irak et il est très clair que la majorité d’entrenous souhaiterait une plus grande autonomieque celle promise en 1970, la garantie de lasécurité et une meilleure part des richessespétrolières irakiennes. Les gouvernementsirakiens successifs ont utilisé la force militaireet même des armes chimiques pour dominer etanéantir ces aspirations, avec pour résultattrois décennies de destruction massive desrégions peuplées par les Kurdes, qui ont étédéplacés de force à l’intérieur de l’Irak et sesont réfugiés dans les pays voisins.

Les Kurdes fayliLes Kurdes fayli, dont la plupart sont chiites,constituent un groupe particulier de déplacésen Irak, car nombre d’entre eux ont étédéplacés à deux reprises. 130 000 Kurdes fayliont été expulsés vers l’Iran par legouvernement irakien sous prétexte qu’ilsn’étaient pas citoyens irakiens. Depuis lesannées 1970, la plupart des Kurdes fayli viventen Iran. Toutefois, depuis 1991, certains sontrevenus dans le Kurdistan irakien souscontrôle kurde.

Les YezidisLes Yezidis sont exclusivement Kurdes, delangue kurmanji. Dans leur pratique religieuse,les Yezidis empruntent des éléments deplusieurs des grandes religions de larégion, dont le zoroastrianisme, l’islam, lechristianisme et le judaïsme. Selon différentesestimations, les Yezidis seraient entre 30 000et 120 000 en Irak. Ils vivent principalementdans la région de Mossoul en Irak.

La plupart des Yezidis se définissent commekurdes. En revanche, le gouvernement irakien,en l’absence de tout fondement historique,considère les Yezidis comme étant arabes.Cela ne l’empêche pas d’appliquer les mêmesmesures répressives à l’encontre des Yezidis

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qu’à l’encontre des autres populations. Ainsi, lesvillages Yezidis de la région de Mossoul furentégalement détruits et leurs habitants déplacés àMossoul et dans des camps à Dohuk.

Les Assyriens et les ChaldéensLes Assyriens constituent une minorité chrétienned’environ 250 000 personnes vivant principalementau Kurdistan irakien, qui a été rattrapée par leconflit et les déplacements dans cette région,particulièrement en 1988 et 1991. Les Assyriens etles Chaldéens sont souvent considérés comme ungroupe ethnique distinct. Ils parlent une langueparticulière (le syriaque) et entretiennent destraditions importantes de la chrétienté en Orient.Même s’ils ne se définissent pas comme Arabes,le gouvernement, sans le moindre fondementhistorique, assimile les Assyriens et les Chaldéensaux Arabes.

Les TurkmènesLes Turkmènes représentent moins de 1 pour centde la population. Ils vivent dans les villes d’Erbil etde Kirkuk. Les Turkmènes parlent un dialecte turcet sont pour la plupart sunnites. Ils furent amenésà l’origine par les Ottomans pour repousser lesattaques tribales. En 1986, le nombre deTurkmènes était estimé à 222 000. Ils ont étérapidement assimilés au reste de la population.

CONTEXTE HISTORIQUE CONTEMPORAIN DUKURDISTAN IRAKIENAu lendemain de la guerre du Golfe en 1991, lestroupes gouvernementales écrasèrent rapidementune révolte de la population contre le régime deSaddam Hussein dans le Nord et dans le Sud dupays. En avril 1991, le Conseil de Sécurité del’ONU adopta la Résolution 688, qui demandait augouvernement de mettre un terme la répression àl’encontre de la population civile et de donner unaccès immédiat au pays aux organisationshumanitaires (5 avril 1991). Toujours en avril 1991,l’ONU établit une ‘zone de sécurité’ au nord del’Irak pour protéger les populations kurdes desopérations menées par Bagdad.

Suite à l’interdiction par les Etats-Unis de touteactivité militaire dans le Nord du pays, legouvernement irakien retira ses troupes et sonpersonnel administratif de la région. Depuis, lesgouvernorats d’Erbil, Souleymanieh et Dohuk sontsous contrôle des deux principaux partis kurdes etbénéficient d’une autonomie de facto.

Aujourd’hui, en ce milieu d’année 2002, lessanctions de l’ONU imposées à l’Irak depuis 1991sont toujours en vigueur, principalement à causedu refus par l’Irak des inspections internationalesde ses industries d’armement. Depuis 1996, leprogramme « Pétrole contre nourriture » est

également mis en œuvre dans la région sousadministration kurde. En mai 2002, lesmembres du Conseil de Sécurité de l’ONUsont finalement parvenus à un accord sur unerévision des sanctions afin d’en limiter l’impacthumanitaire (14 mai 2002). (4)

HISTORIQUE DES DEPLACEMENTS DEPOPULATION AU KURDISTAN IRAKIEN(Causes et contexte des déplacements)Le gouvernement irakien provoqua ledéplacement massif des Kurdes irakiens deleurs villes et de leurs villages dans les années1970 et à la fin des années 1980. Depuis lemilieu des années 1970, Bagdad estégalement responsable du déplacement forcéde près de 200 000 citoyens non-arabes de larégion de Kirkuk, riche en pétrole. Lesdéplacements se poursuivent en 2002.

Destructions de villages et de villes etdéplacement forcé en Irak ou migrationhors d’IrakAu milieu et à la fin des années 1970, lerégime irakien détruisit des villages kurdes etdéplaça de force des centaines de milliers deKurdes vivant près des frontières avec l’Iran etla Turquie dans des camps contrôlés parl’armée. En 1988, à la fin de la guerre Iran-Irak, les forces irakiennes menèrent lacampagne d‘Anfal, détruisant des milliers devillages et de villes kurdes, tuant entre 50 000et 100 000 civils et déplaçant de force descentaines de milliers de villageois. Sur plus de4 500 villages, 4 000 étaient détruits à la fin del’année 1988. Selon l’organisation nongouvernementale Human Rights Watch, lacampagne de destruction menée par legouvernement irakien contre la populationkurde peut être qualifiée de génocide (HRW,juillet 1993). (5)

Fin 1988, plus de 500 000 personnes (75 000familles) se retrouvèrent déplacées de forcevers des camps contrôlés par l’armée, danslesquels on retrouvait plus de 100 000 famillesavec un seul parent en vie. 500 000 personnes(70 000 familles) étaient réfugiées en Iran ouen Turquie. (6)

Politique d’arabisationDepuis le milieu des années 1970, legouvernement irakien a également expulsédes milliers de familles kurdes, assyriennes etturkmènes de la région de Kirkuk, riche enressources pétrolières, dans le cadre de ce quiest appelé la politique d’« arabisation ». Kirkukfait partie du Kurdistan irakien mais se trouve

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juste au sud de la frontière de la « régionautonome du Kurdistan » telle qu’elle a été définiepar le gouvernement irakien en 1974.

Les Irakiens non arabes eurent le choix entrequitter Kirkuk ou signer un formulaire de« correction de nationalité » afin d’être considéréscomme des Arabes. Parmi les mesures utiliséespar le gouvernement pour encourager les départset empêcher les retours figurent la mise en placede check points militaires autour de Kirkuk, ladémolition de sites kurdes et l’interdiction pour lesKurdes de construire ou d’hériter de maisons oude logements dans la région (CHR, 26 février1999).(7) Les personnes refusant d’obéir furentvictimes d’intimidation, d’arrestation, privées decartes de rationnement et, pour certaines,expulsées.

Entre 1991 et 2002, le gouvernement irakien aprovoqué le déplacement forcé au Kurdistanirakien de plus de 100 000 personnes (plus de 15000 familles) de Kirkuk et d’autres villes souscontrôle du gouvernement, telles que Mossoul. Lenombre de personnes déplacées de Kirkuk etMossoul avant 1991 est également évalué à plusde 120 000 personnes (environ 18 350 familles).Aujourd’hui, les déplacements forcés de la régionde Kirkuk se poursuivent, avec cinq ou six famillesexpulsées quotidiennement vers le Kurdistanirakien. Le gouvernement a encouragé desfamilles originaires du centre et du sud de l’Irak às’installer à Kirkuk pour renforcer le caractèrearabe de la ville et contrer ainsi les revendicationsdes Kurdes qui considèrent Kirkuk comme faisantpartie de leur territoire.

Déplacements dus aux combats entre KurdesLes combats entre factions kurdes sont une autrecause des déplacements de population. Entre1994 et 1997, les partis kurdes ont provoqué deséchanges forcés de population, qui ont concernéentre 100 000 et 110 000 personnes. En 1998, lesdeux partis ont signé un accord de paix sousl’égide de Washington, qui devait permettre leretour des déplacés dans leur région d’origine. Lamise en œuvre de l’accord de paix a été lente,mais des centaines de familles ont néanmoins puregagner leur maison en 2001.

Le conflit entre factions kurdes fut exacerbé parl’intervention d’autres acteurs régionaux, tousopposés à la création d’un état kurde. Lesincursions de la Turquie au Kurdistan irakien à lapoursuite de rebelles du PKK (Parti desTravailleurs du Kurdistan), les interventions desgouvernements iranien et irakien et lesbombardements depuis l’extérieur de la régionsous contrôle kurde ont également provoqué desdéplacements internes.

NOMBRE DE DEPLACESIl est très difficile d’évaluer le nombre depersonnes déplacées à l’intérieur de l’Irak parmanque de sources fiables. En octobre 2000,une enquête de l’agence Habitat des NationsUnies estimait le nombre de déplacés internesen Irak à 805 000. Des responsables de l’UPKet du PDK ont rapporté que 200 000 déplacésinternes au Kurdistan furent expulsés deszones kurdes sous contrôle du gouvernement.

Enquête ONU-Habitat (oct. 2000)Une enquête préliminaire menée au Kurdistanirakien par le programme Habitat des NationsUnies estimait le nombre de déplacés internesà 805 000 à la fin du mois d’octobre 2000, soit23 pour cent de la population.

Un des facteurs principaux de l’augmentationdu nombre de déplacés internes fut la politiquecontinue d’expulsion des Kurdes de leursmaisons à Kirkuk, Tuz Khormatu, Khaniqin etd’autres districts par le gouvernement, dans lecadre de son programme d’« arabisation »,mais également les 500 000 déjà déplacés deforce de leurs villages détruits vers descampements contrôlés par l’armée.

Répartition des déplacés internes dans larégionLe nombre de déplacés internes se trouvant auKurdistan irakien est évalué à 805 505 par leprogramme Habitat des Nations Unies (octobre2000), soit 22,91% des 3 515 921 habitants dela région (population déduite des données surl’aide alimentaire fournie par le PAM). 31% deshabitants de Souleymanieh sont des déplacésinternes, ce pourcentage étant de 28% à Erbil,24% à Dohuk et 17% à Darbandikan. Ils viventéparpillés sur 379 sites, pour la plupart dansdes abris en dur, des anciens camps ou basesmilitaires, des tentes, des immeublesd’appartements surpeuplés et des camps.

Catégories de déplacés au KurdistanirakienParmi les déplacés au Kurdistan, on trouve :les victimes de la campagne d’Anfal de la findes années 1980 lorsque les forces de Bagdadont supprimé de la carte environ 4 000 villageskurdes, dont pratiquement tous les villagessitués à proximité des frontières avec laTurquie et l’Iran ; les personnes expulsées desrégions contrôlées par le gouvernement ; lespersonnes déplacées par le conflit entrefactions kurdes et les personnes vivant près dela frontière et qui ont du fuir à cause desincursions étrangères et les bombardements.De nombreux habitants du Kurdistan irakienont été déplacés à plusieurs reprises.

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Les déplacés internes au Kurdistan irakienpeuvent être regroupés dans les catégoriessuivantes :- Ceux qui vivent dans des camps, notamment

les veuves et les enfants, qui voudraientrevenir dans leur région d’origine s’ils enavaient la possibilité. Leur nombre s’élève à450 000. Ils représentent 55% des déplacés.

- Ceux de Kirkuk (anciens et nouveauxdéplacés), Khaniqin, Kifri, Makhmour, Sinjar,Tala'far, Mossoul et d’autres régions, soientplus de 200 000 personnes qui représentent25% des déplacés.

- Ceux déplacés à cause du conflit entre lesdeux principales factions du Kurdistan irakien,soient plus de 120 000 personnes quireprésentent 15% des déplacés.

- Les personnes touchées par le conflitimpliquant le Parti des Travailleurs duKurdistan (PKK), soient 20 000 personnes quireprésentent 2% des déplacés.

- Tous les autres citoyens d’Irakdéplacés/expulsés pour raisons politiques oules Kurdes de retour d’Iran (Kurdes, Fayli,Kirkuki), soient environ 25 000 personnes quireprésentent 3% des déplacés.

Environ 805 000 réfugiés internes, soit près d’unquart de la population de la région, se retrouventéparpillés au Kurdistan irakien. Certains ont étédéplacés plusieurs fois au cours des vingtdernières à cause de la violence entre les Kurdeset l’Irak. Certains ne peuvent pas revenir chez euxà cause des mines antipersonnel. Environ 200personnes sont tuées ou mutilées tous les moispar des mines, selon les démineurs de l’ONU.

Conditions de vieLes conditions de vie de la population du Kurdistanirakien sont souvent très précaires, non seulementpour les déplacés mais également pour les autreshabitants. Les conclusions de l’enquêtebritannique Save the Children sur les conditions devie dans le Nord de l’Irak montrent que leprogramme Pétrole contre nourriture a presquetotalement appauvri la population du Nord del’Irak, augmentant le niveau de dépendance de lapopulation vis à vis des rations alimentairesoffertes par le programme. Selon l’enquête, 40%de la population du Kurdistan irakien vit avecmoins de 2 dollars par jour. Si les sanctionsdevaient être levées et la distribution de nourritureinterrompue, ce taux atteindrait 80% (8)

Selon une autre enquête menée par le programmeHabitat de l’ONU, en 2001, environ 50 pour centdes déplacés internes de la région sousadministration kurde vivaient dans des camps dontl’approvisionnement en eau et en électricité, lesinstallations sanitaires, les égouts et les routes

étaient de niveau inférieur à la moyenne de larégion. L’accès à la nourriture, l’éducation et lasanté étaient en revanche considéré commeacceptable. (9)

Le nombre important de mines antipersonneldans la région est un autre élément rendantdifficile la réinstallation des déplacés internes.Selon les estimations, le déminage de larégion prendrait entre 35 et 75 ans.

BESOINS DES DEPLACES INTERNESEN MATIERE DE SANTE ETD’ALIMENTATIONLes déplacés ont été privés de leurs biens etde leurs papiers et n’ont par accès aux abris, àla nourriture ou à l’emploi. Le gouvernementrégional kurde a des difficultés pour fournir desabris et de la nourriture pour un tel nombre depersonnes.

Selon l’enquête de l’agence Habitat desNations Unies de janvier 2001, « seuls 47,85%des sites (c’est-à-dire les cités collectives, lesmaisons construites par les déplacés eux-mêmes et les camps de tente) sont pourvus detoutes les installations qui peuvent êtreconsidérées comme le minimum standard.52,15% des sites sont dépourvus d’au moinsun de ces services. Certaines familles viventdans des sites dépourvus de tout service.Selon le rapport de l’agence Habitat, ces sitessont situés principalement dans les régions deDohuk et d’Erbil, alors que les sites danslesquels se trouvent les déplacés internesdans les régions de Souleymanieh et deDarbandikhan sont pourvus de meilleursservices.

Enfin, les installations (eau, électricité,système sanitaire, égouts et routes) necouvrent que 40% à 60% des campements.Selon le rapport de l’agence Habitat, la régiond’Erbil connaît les pires conditionsd’installation.

BESOINS DES DEPLACES INTERNESEN MATIERE D’ABRISLes conditions en matière d’abri etd’infrastructure des zones rurales et urbainesdu Kurdistan irakien se sont considérablementdétériorées jusqu’à un niveau critique aulendemain de la crise du Golfe. Plusieursfacteurs ont encore aggravé la situation : lesproblèmes résultant des déplacements depopulation antérieurs dans le Nord et le retourdes familles dans les villages de campagne,l’augmentation du nombre de déplacésinternes au cours des derniers mois,l’installation de nombreux déplacés internes

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dans des bâtiments inadaptés et dépourvus duminimum de services et de confort, la détériorationconstante des zones urbaines à cause du manqued’approvisionnement en éléments d’entretienessentiels, et l’incapacité des familles à s’installerdans des zones semi-urbaines ou à retourner dansdes zones rurales où elles pourraient subvenir àleurs propres besoins.

Par conséquent, les besoins humanitaires sonttrès importants pour réhabiliter les zonesd’installation des personnes déplacées,notamment pour les routes d’accès et lesinfrastructures essentielles qui peuvent permettrela reprise d’activités économiques. Les autresbesoins essentiels sont l’approvisionnement eneau, les systèmes sanitaires et la constructiond’équipements publics tels que des centresmédicaux ou des écoles. L’expérience accumuléelors de la mise en œuvre des différentsprogrammes depuis 1991 montre également lebesoin d’impliquer les personnes déplacées dansla construction des projets et l’importance pour cespersonnes d’avoir la possibilité d’obtenir unrevenu.

L’augmentation de la population et le manque deterres disponibles dans les zones rurales sontégalement des facteurs qui limitent le nombre depersonnes qui peuvent retourner dans des villagesà la campagne à moyen terme. Par conséquent, ilest nécessaire de pouvoir garantir certainsservices de base et une infrastructure danscertains camps pour les familles qui ne disposentpas d’alternatives de réinstallation, ainsi que pourles nouveaux déplacés internes. Une approche aucas par cas est appliquée pour définir les actionshumanitaires de remise en état à effectuer dansces camps.

Près de 2 millions de personnes vivent dans lesvilles du Kurdistan irakien. Environ 1,2 millions depersonnes vivent dans les trois villes capitales quesont Souleymanieh (480 000), Erbil (450 000) etDohuk (250 000). Satisfaisante auparavant, laqualité des infrastructures et des services descamps situés en ville s’est considérablementdégradée au cours des dernières années.

La question des déplacés internes est unequestion de première importance au Kurdistanirakien. La plupart des déplacés, y compris lesveuves et les enfants, vivent dans des conditionsprécaires dans des bâtiments publics et dans desabris provisoires. La majorité des déplacés setrouvent dans les cités collectives (55 pour cent).D’autres sont entassés dans d’anciens bâtimentsmilitaires ou autres bâtiments publics (environ 40pour cent), et un petit pourcentage d’entre euxvivent dans des camps de toile (5 pour cent).

Dans un camp de déplacés internes de la villed’Erbil, 983 familles (plus de 5 000 personnes),dont la moitié d’enfants, sont entassées dansune ancienne base militaire irakienneconstruite pour 500 personnes.

Les arrivées sont plus nombreuses et plusrapides que les efforts entrepris pourconstruire des logements pour les arrivants etpour les personnes déjà déplacées. Dans unautre camp situé à proximité, à Benislawa, lesprojets de construction de 700 appartementspour affronter le dur hiver des montagnes duNord de l’Irak ont été suspendus à cause desprocédures d’approbation bureaucratiques del’ONU.

RETOUR ET REINSTALLATION

Un des plus grands projets qui doit êtreentrepris par le Gouvernement Régional duKurdistan (GRK) est la reconstruction de larégion pour réparer les dommages causés parles régimes irakiens successifs. Au cours desdeux dernières décennies, plus de 4 000villages ont été détruits et les habitants ont étéexpulsés de force de leurs terres et de leursmaisons. Les guerres et les conflits internesont également aggravé les problèmes despersonnes déplacées vivant dans la région. Lapolitique d’arabisation du régime irakiencontinue d’alimenter le problème despersonnes déplacées car nombre de cespersonnes expulsées choisissent d’aller auKurdistan irakien.

Le GRK a engagé une politique deréhabilitation et de reconstruction de la régionet reçoit des fonds dans le cadre duprogramme Pétrole contre nourriture (RCS-986). Dans le cadre de la reconstruction de larégion par le GRK, le Ministère de laReconstruction et du Développement aeffectué la mise en œuvre ou le suivi de laconstruction de plus de 20 000 logementsdepuis 1996. Les logements se trouvent dansdes maisons individuelles ou des immeublesd’appartements. Les bénéficiaires de ceslogements sont les veuves et les enfants, lesfamilles de déplacés internes, dont beaucoupviennent de Kirkuk, ainsi que les réfugiés deretour d’Iran.Au cours de la seule année 2001, leGRK/Ministère de la Reconstruction et duDéveloppement (MRD) d’Erbil a consacré 68millions de dollars pour la reconstruction àErbil et à Dohuk pour des projets qui sontterminés ou en cours. Dans les gouvernoratsd’Erbil et de Dohuk, le MRD a achevé 1 833logements, et 3 463 sont actuellement en

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construction. Les fonds reçus dans le cadre de larésolution du Conseil de Sécurité des NationsUnies 986 « Pétrole contre nourriture » ont permisla construction de 36 projets à vocationéducative (écoles, dortoirs et logements desenseignants), et 140 sont actuellement enconstruction. Au cours des huit premières phasesdu programme Pétrole contre nourriture desNations Unies, le MRD a construit un total de 351écoles de village et 91 maisons pour lesenseignants. Le GRK a également construit ou esten train de construire plus de 1 000 kilomètres denouvelles routes dans les deux gouvernorats.L’approvisionnement en eau reste une despréoccupations principales du MRD dans lesgouvernorats d’Erbil et de Dohuk, plusparticulièrement après les trois dernières annéesde sécheresse. Le MRD a assuré la distributiond’eau par camion citerne dans 193 villages. Parailleurs, le MRD a creusé 43 nouveaux puits etremis en état plus de 857 systèmes de distributiond’eau.

Déplacements dus aux conflits internesLes partis kurdes sont parvenus à un accord en1998, puis en 1999, pour permettre le retour despersonnes expulsées de leurs maisons auKurdistan irakien d’ici juin 2002. Après un nouvelaccord, 2 429 familles étaient revenues chez elles.1 576 familles étaient revenues de Souleymaniehà Erbil, et 853 familles étaient revenues d’Erbil àSouleymanieh.

Les premiers déplacés de retour sont ceux quin’ont pas de problèmes de logement ou depropriété. Ils ont tous été bien reçus par lesautorités concernées de l’UPK et du PDK et ontrepris possession de leurs maisons dans lerespect et la dignité. Des équipes spéciales ont étéconstituées pour garantir le retour des personnesdans de bonnes conditions.

Les mines empêchent le retour au KurdistanirakienLa population du Kurdistan irakien vit dans unedes zones comportant le plus de mines et demunitions non explosées au monde. Le Kurdistanirakien a été miné de manière intensive au coursde la guerre Iran/Irak. Même si le nombre exact demines est inconnu, l’enquête nationale menée parle Bureau des Nations Unies pour l’appui auxprojets (UNOPS) jusqu’en septembre 2001 aidentifié plus de 3 400 zones minées couvrant plusde 900 kilomètres carrés de terre nécessaire à lareconstruction, la réinstallation, l’agriculture et laréhabilitation des services de base tels quel’électricité et l’eau, touchant plus de 1 100communautés. (10)Les Nations Unies estiment qu’il y a plus de 10millions de mines et une grande quantité d’UXO

(munitions non explosées) au Kurdistanirakien. Parmi ces 10 millions de mines, 8millions seraient des mines antipersonnel et 2millions des mines anti-tank. Certains champsde mines avaient été marqués sur la carte,mais l’armée a détruit ces éléments depuis.

En plus des conséquences médicales etsociales des accidents et des blessurescausées par les mines, les mines et lesmunitions non explosées ont un impact socio-économique important. De nombreux déplacéssouhaitent maintenant retourner dans leursvillages d’origine pour reprendre une vienormale, cultiver leur terre, mais des villagesentiers sont toujours infestés de mines et donctrès dangereux. Par ailleurs, le problème desmines a des répercussions négatives à longterme sur le développement économique,rendant la reconstruction des réseaux routiers,des lignes d’électricité et des canalisations à lafois longue, dangereuse et chère.

Enfin, les mines constituent une entrave à lamobilité des enseignants, des techniciens, etdu personnels de santé, ce qui nuit auprocessus de réhabilitation. Même dans lesendroits où les mines n’empêchent pas l’aidemédicale et alimentaire d’atteindre lespopulations qui en ont besoin, elles rendentdes opérations déjà difficiles encore plusdangereuses, et les mesures de sécuriténécessaires alourdissent le coût de l’efforthumanitaire.

REPONSE DE L’ONULe programme Pétrole contre nourriture estunique en son genre. Il a été établi commemesure temporaire pour répondre aux besoinshumanitaires du peuple irakien. Il est mis enœuvre dans le cadre d’un régime de sanctionsavec toutes les dimensions politiques,psychologiques et économiques que celaimplique. Les sanctions restent en vigueur tantque l’Irak ne satisfait pas certaines résolutionsdes Nations Unies, notamment la résolution687 du 3 avril 1991.

Selon les termes du programme, le pays estautorisé à importer de la nourriture, desmédicaments et des matériaux nécessairespour l’eau, les installations sanitaires,l’électricité, l’agriculture et les projets éducatifs,ainsi que des pièces détachées pour le secteurpétrolier, le tout sous contrôle de l’ONU.Le programme Habitat (CNUEH) fournit desabris, des infrastructures et des activités deservices aux déplacés internesLe programme Habitat des Nations Uniesfournit une aide à la mise en œuvre de la

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partie réhabilitation des habitations du programmePétrole contre nourriture. Le programme seconcentre particulièrement sur les besoins desdéplacés internes et des personnes les plustouchées par l’interruption des services, soit plusd’un million de personnes.

Le travail global sur les services en zonesurbaines ou rurales bénéficie directement ouindirectement aux trois millions de personnes quivivent dans les trois gouvernorats du Nord. Leprogramme fournit un ensemble intégréd’infrastructures et de services avec quatreobjectifs principaux : remettre en état et consoliderles villages dans les zones rurales ; porter uneattention particulière sur les localités à fortecroissance et les villes ; réhabiliter l’infrastructuredes zones urbaines ; porter une attentionparticulière sur les déplacés internes. Leprogramme est mis en œuvre en étroitecollaboration avec les autorités locales et grâce àla participation active des habitants et du secteurprivé, à tous les niveaux, depuis la planificationjusqu’à l’exécution du travail.

Pour l’instant, en collaboration avec le GRK, leprogramme Habitat a seulement permis laconstruction de 4 000 à 5 000 logements enmoyenne chaque année. La mise en œuvre deprojets est dépendante du système desprocédures de décision de l’ONU, longues etbureaucratiques, ainsi que du manque d’expertisesur place en matière de méthodes de constructionrapide, et également des entraves mises par legouvernement irakien aux sociétés internationaleset aux ONGs qui participent au programme dereconstruction au Kurdistan irakien.

Le PAM fournit de l’aide alimentaire aux déplacésau Kurdistan irakienEn Irak, les activités du PAM (Programmealimentaire mondial) se répartissent entre laparticipation à la distribution de l’aide alimentaire àla population dans le cadre de Résolution duConseil de Sécurité 986 et une opérationd’assistance auprès des enfants souffrant demalnutrition, de leurs familles, des patients deshôpitaux et des institutions sociales.

Les besoins alimentaires des déplacés internessont entièrement satisfaits par le panieralimentaire de sécurité fourni par le PAM. On peutainsi dire que le PAM nourrit tous les 800 000déplacés internes au Kurdistan irakien. Lesbesoins majeurs des déplacés internes, qui sontmajoritairement non satisfaits, sont le logement,l’eau, les systèmes sanitaires et d’égouts,l’électricité, etc.

Le PAM considère les déplacés internescomme faisant partie des personnes les plusvulnérables parmi ses bénéficiaires. Parconséquent, en plus de la distribution généralede nourriture à l’ensemble des déplacésinternes, le PAM cible les femmes seules avecenfants, dans des initiatives qui ont débuté en1999 (pour 6 millions de dollars) en soutiendes petites activités permettant aux ménagesd’obtenir un complément au panier alimentaireet un revenu. Ces activités peuvent êtrel’élevage de petit bétail, des projets depoulaillers individuels et des jardins potagers.Ces projets permettent aux ménages d’obtenirun complément à la ration alimentaire générale(œufs, viande, légumes, etc.) et de générer unrevenu qui leur permet de satisfaire d’autresbesoins. Cependant, ces projets restent limitéset ne bénéficient pas à l’ensemble desdéplacés internes.

L’UNOPS fournit des articles d’aide d’urgenceaux déplacés internes dans le Nord de l’Irak(2001)Le Bureau des Nations Unies pour les servicesd’appui aux projets (UNOPS) est responsablede l’approvisionnement de l’aide d’urgence(tentes, couvertures, chauffages et cuisinières)aux déplacés internes.

PERSPECTIVES POUR L’AVENIR

1- Le programme Pétrole contre nourriture esten vigueur depuis plus de 5 ans. Au cours decette période, plus de 7 milliards de dollars ontété obtenus pour améliorer la situationhumanitaire au Kurdistan irakien. Pourtant,pour différentes raisons, la mise en œuvre del’aide par l’ONU est lente. Il est frappant deconstater que seulement 2,7 milliards, soit38%, ont été dépensés jusqu’à maintenant. Lesolde de 4,4 milliards de dollars, soit 62%,n’est pas dépensé et se trouve toujours à labanque. La plupart des ressources nonutilisées ont été affectées à des projets quidoivent permettre d’améliorer les conditions devie et de logement des déplacés internes.

Au rythme de 5 000 logements par an, leprogramme pourrait en avoir pour plus de 25ans avant d’offrir des logements et desservices corrects aux 140 000 familles dedéplacés internes (805 000 personnes). Cettesituation, dans laquelle les ressources sontdisponibles et les besoins urgents, estinacceptable. Nous réclamons la transparenceet la publication de la comptabilité desagences de l’ONU responsables de la gestiondu programme Pétrole contre nourriture.

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2. Au niveau politique, une pression doit êtreexercée sur le gouvernement irakien pour qu’ilmette un terme à tout déplacement depopulation et qu’il autorise le retour desfamilles de déplacés internes. Le GRK aclairement énoncé sa position politiqueconcernant les déplacés des zones kurdessous contrôle irakien :

a) Toutes les familles kurdesdéplacées depuis 1970 doiventpouvoir retourner dans leur régiond’origine.b) Toutes les familles kurdesdéplacées depuis 1970 doivent êtreindemnisées pour les pertes subies.c) Elles doivent pouvoir récupérertous leurs avoirs et leurs propriétés.

L’intervention de la communauté internationale en1991 a permis de mettre en place une expériencepositive qui se poursuit et continue de sedévelopper depuis plus de 11 ans au Kurdistanirakien. Nous espérons que notre expérience seraprotégée, développée dans l’ensemble du pays, etque nos amis, nos familles et nos compatriotesirakiens qui continuent de vivre dans unenvironnement menaçant pourront en bénéficier.

En tant que membre de la communautéinternationale, l’Irak possède les ressources, à lafois humaines et matérielles, pour se développeret contribuer de manière positive en tant quecommunauté au reste du monde. Nous nedemandons pas d’aide en ressources. Nous avonssuffisamment de ressources. Nous ne faisons que

rechercher à mieux utiliser nosressources. Nous devons pour cela contrôleret éliminer les menaces qui pèsent sur nousafin d’utiliser pleinement notre potentiel.

Merci de votre attention---------------------------Notes

(1) United Nations Program for HumanSettlement (UNPHS/Habitat) 2001, HabitatIDP Survey, IDP Site and Family Survey,Final Report, Rehabilitation in NorthernIraq.

(2) U.S. Department of States (US DOS), 4March 2002, Country Report on HumanRights Practices.

(3) Norwegian Refugee Council (NRC) 2002,Profile of Internal Displacement: Iraq.

(4) United Nations Security Council (UN SC) 3July 2001, Resolution 1409.

(5) Human Rights Watch (HRW), July 1993,Genocide in Iraq, The Anfal CampaignAgainst the Kurds, New York.

(6) Ministry Of Reconstruction andDevelopment, Annual report 2001

(7) United Nations Commission on HumanRights (CHR), 15 March 2002, Report ofthe Special Reporter on the situation ofHuman Rights in Iraq.

(8) Save the Children Fund (SCF) UK, 4February 2002. The Household Economy:Understanding the situation of Kurdishlivelihoods.

(9) United Nations Program for HumanSettlements (UNPHS/Habitat), December2000, Settlement Rehabilitation NorthernIraq.

(10) United Nations Office for Project Services(UNOPS), 2002, Mines Action in NorthernIraq

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Le déplacement des Kurdes etdes autres minorités dans la

région de Kirkuk

Nouri TalabanyProfesseur de droit, directeur du

Kirkuk Trust for Research and Studies(Londres)

elon l’explorateur ottoman Shamsadin Sami,auteur de la célèbre Encyclopédie “QamuslAl A’ala’m” publiée à Istanbul en 1896, les

Kurdes constituaient les trois quarts des habitantsde Kirkuk, le reste étant composé de Turkmènes,d’Arabes, et de personnes d’autres origines. Septcent soixante juifs et quatre cent soixanteChaldéens résidaient également dans la ville.(1)

Sous l’autorité ottomane, les familles turkmènesétaient encouragées à s’installer dans la ville etbénéficiaient d’un traitement privilégié de la partdes dirigeants ottomans. Le poste de« mutassallim », ou gouverneur, ainsi que denombreux postes et autres titres, étaient attribuésaux Turkmènes(2), qui étaient égalementmajoritaires parmi les fonctionnaires employés àKirkuk. En échange, la communauté turkmèneapportait son soutien aux autorités ottomanes.Dans l’Encyclopédie de l’Islam, on peut lire : « Quelles qu’aient été les circonstances de leurarrivée dans la région, les Turkmènes de Kirkukont toujours apporté un fort soutien à l’Empireottoman et à sa culture, et ont constitué un vivierabondant de fonctionnaires ottomans ».(3) Malgrécela, la ville de Kirkuk conservait son caractèrekurde distinctif.

Le vilayet de Mossoul, dont Kirkuk constitue unepartie importante, est resté sous contrôle del’Empire ottoman jusqu’à la fin de la premièreguerre mondiale lorsqu’il a été occupé le 17 mai1918 par les troupes britanniques sous lecommandement du général Marshall. Ses troupesse retirèrent le 27 mai, mais vinrent réoccuper leterritoire à la fin du mois d’octobre de la mêmeannée, après la signature de l’armistice entre lesBritanniques et les Ottomans à Modrus. Desdocuments secrets ont révélé depuis que leministère des affaires étrangères britannique avaitdemandé au général Marshall de ne pas occuperle vilayet de Mossoul afin d’éviter d’entrer enconflit avec la population kurde.(4) A l’exception dela région de Suleymania, la majeure partiedu vilayet de Mossoul fut occupée par l’arméebritannique et gouvernée par des administrateursbritanniques. La décision de se maintenir dans le

vilayet fut prise par les Britanniques lorsqu’ilsont découvert du pétrole dans la région deKirkuk. Selon les conditions des accordssecrets de Sykes-Picot, conclus entre laGrande-Bretagne et la France, ce vilayet futdonné à la France. Suite au nouvel accordfranco-britannique de San Remo signé en1920, la France restitua le vilayet à la Grande-Bretagne en échange d’une prise departicipation à la Turkish Petroleum Company(TPC), fondée par les Ottomans et lesAllemands pour exploiter le pétrole des vilayetsde Bagdad et de Mossoul.(5) Cette découverteentraînera par la suite le rattachement duvilayet de Mossoul au nouveau royaume d’Iraksur décision de la Société des Nations en1925. Pour obtenir le soutien nécessaire à cerattachement, les Britanniques encouragentalors le roi Faysal 1er à effectuer une visitedans le vilayet, notamment à Kirkuk où il serend en 1924, pour inciter les gens à rejoindrele nouvel état irakien créé en 1921.(6)

La plupart des chercheurs irakiens sontd’accord pour dire que le vilayet de Mossoul aété rattaché à l’Irak avec l’aide desBritanniques. Il était dans leur intérêtéconomique et stratégique de l’annexer pourpouvoir transporter le pétrole de Kirkuk via leterritoire irakien jusqu’aux ports de laMéditerranée et à partir de là vers l’Europe. Acause des mauvaises relations entre laGrande-Bretagne et la Turquie, résultant de larevendication du vilayet de Mossoul par laTurquie, il était alors difficile de faire transiter lepétrole par le territoire turc comme c’est le casdepuis 1983.(7) Le rattachement du vilayet futratifié par une décision internationale, maiscette décision était conditionnée au fait que laGrande-Bretagne et l’Irak satisfassent lesrevendications des Kurdes concernantl’embauche de fonctionnaires kurdes dans leszones kurdes et sur le fait que le kurde soit lalangue officielle.(8) En réalité, lesgouvernements irakiens successifs n’ont pasrespecté cet accord international et ont menéune politique en complète opposition avec cetaccord, notamment dans la région de Kirkuk.Cela fut très clair au moment de la tutellebritannique sur Kirkuk, lorsque le turc resta lalangue officielle de l’administration et dusystème éducatif, comme sous la férule desOttomans, et où les postes importants dansl’administration et l’enseignement restèrent auxmains des Turkmènes.(9) Ensuite, lorsquel’Iraqi Petroleum Company (IPC), qui avait sonsiège à Kirkuk et qui était gérée par lesBritanniques, commença son activité, laplupart de ses employés venaient d’autres

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régions d’Irak. Plusieurs milliers de techniciens etd’ouvriers, ainsi que des petits commerçants,s’installèrent dans la ville avec leurs familles.(10)

Pour les accueillir, des milliers de logements et denouveaux quartiers furent construits,principalement pour des Arabes, des Assyriens etdes Arméniens. Les recherches effectuéesindiquent que la population de Kirkuk a quintupléentre 1919 et 1968 (11). Même si les Kurdesrestaient majoritaires à la fois dans la ville et dansle vilayet, le nombre de Kurdes employés par lacompagnie des pétroles était largement inférieur àcelui des membres des autres groupescommunautaires.(12)

Sous la monarchie, tous les gouvernementsirakiens successifs encourageaient les populationsnon kurdes à s’installer à Kirkuk et interdisaientl’utilisation de la langue kurde dans les écoles dela région. A ce sujet, j’aimerais évoquer madouloureuse expérience en la matière. A l’écoleélémentaire et à l’école secondaire, nous étionsobligés d’apprendre tout par cœur, tous les livresétaient écrits en arabe et nous ne pouvions pascomprendre ce qui était écrit. Malgré cela, cesgouvernements n’expulsaient pas les Kurdes deKirkuk, mais cela commença à changer en 1935lorsque le gouvernement de Yacine Al-Hashimi fitvenir des Arabes de Al-Ubaid et d’autres tribusnomades pour s’installer dans la région de Hawijaau sud ouest de Kirkuk.(13)

La révolution de juillet 1958 fit espérer aux Kurdesque ces politiques discriminatoires seraientinversées, et ils demandèrent que le kurde soit lalangue utilisée pour l’enseignement dans lesécoles primaires, au moins dans les zones quirestaient totalement kurdes. Mais leurs espoirsfurent vite balayés avec la nomination denationalistes arabes aux postes importants àKirkuk, ce qui les poussa à penser que la situationne changerait jamais. Cette tendance se trouvaconfirmée lorsque le général Tabakchali, nouveaucommandant de la seconde division tenantgarnison à Kirkuk, prit plusieurs décisionsfavorisant les Turkmènes de manière évidente. Ilcommença par évincer le maire kurde et nommaun Turkmène appartenant aux Frères Musulmansà sa place. Il envoya ensuite un certain nombre denotes secrètes au ministère de la défense àBagdad (qui était le centre réel du pouvoir en Irakà cette époque) accusant les Kurdes d’être àl’origine de troubles et d’essayer de fonder unesoi-disant « République Kurde » à laquelle lesautres régions du Kurdistan devaient êtrerattachées ultérieurement.(14) Il présenta comme« preuves » de ses allégations étaient la demandeeffectuée par des intellectuels kurdes d’établir unsecrétariat à l’éducation pour superviserl’éducation kurde dans la région. Lors de son

commandement, de juillet 1859 à mars 1959,le général Tabakchali s’efforça de créer destensions et des divisions entre Kurdes etTurkmènes.(15)

La désignation à la mi-mars 1959 du généralAl- Janabi, connu pour ses idées de gauche,au poste de commandant pour la région,entraîna encore un nouveau changement desituation. Pendant la courte période de soncommandement, les Kurdes pouvaient sesentir plus détendus et ils purent fêter leNewroz ouvertement pour la première foisdans l’histoire de la ville. Cependant, trois moisplus tard, le général Al- Janabi fut renvoyé et lasituation se détériora progressivementjusqu’aux affrontements entre Kurdes etTurkmènes en juillet 1959. A partir de cemoment, les Kurdes furent de nouveauvictimes d’une discrimination toujours plusimportante. Une période de terreur commençaalors avec l’expulsion des Kurdes de Kirkuk.Des groupes terroristes spécialement formésde Turkmènes furent constitués, collaborantavec les forces de sécurité pour assassinerdes figures importantes de la communautékurde de la ville.(16) Cette situation a prévalujusqu’au coup d’état du parti Baas, le 8 février1963. A partir de ce moment, la campagne deterreur menée par la « Garde Nationale »,constituée de Turkmènes et de baasistes,s’intensifia contre les Kurdes. Plusieursdistricts très peuplés, ainsi que 13 villageskurdes situés près de Kirkuk et des sitespétrolifères de l’IPC, furent détruits. Leshabitants de 33 villages du district de Dubz,proche de Kirkuk, furent chassés et remplacéspar des tribus arabes invitées à s’installer àleur place.(17) Parmi les mesures prises par lerégime contre les Kurdes de Kirkuk, on peutciter : 1. Le licenciement de nombreux employés

kurdes de la compagnie des pétroles ouleur mutation vers des sites éloignés, oumême le transfert de fonctionnaires deniveau inférieur dans le sud et dans lecentre de l’Irak.

2. L’embauche de nombreux Arabes

inexpérimentés dans la police locale oudans les sites pétrolifères.

3. La surveillance de la ville par des postesd’observation militaire et la création de« zones de sécurité » autour desinstallations pétrolières avec des minesanti-personnels.

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4. L’installation de tribus arabes dans les villageskurdes évacués et la constitution d’unitésd’« irréguliers » arabes attaquant les Kurdesdans la région située autour de Kirkuk.

5. Le changement des noms de rue et des écolesen arabe et l’obligation pour les commercesd’adopter des noms arabes.

6. L’exécution d’une campagne de terreur et

l’expulsion de populations de leurs villagespour les y remplacer par des Arabes.

Le parti Baas revint au pouvoir après un secondcoup d’état en 1968. Peu de temps après sa prisede pouvoir, le régime mit en œuvre une politiquedélibérée de modification du caractère ethnique deKirkuk et de la région. Les fonctionnaires,enseignants ou employés de la compagnie despétroles qui avaient échappé aux expulsionsprécédentes, furent renvoyés et remplacés par desArabes. Tout Kurde ayant quitté une fois Kirkukétait interdit de retour. Tel fut le sort de la plupartdes Kurdes expulsés.(18) Le régime prit égalementles mesures suivantes • Des noms arabes furent donnés aux quartiers,

aux écoles, aux rues, aux marchés et auxcommerces kurdes.

• Des maisons furent détruites dans les

quartiers kurdes pour permettre la constructionde larges routes inutiles, les propriétaires nerecevant pas le moindre dédommagement etse voyant refuser le droit d’acheter tout autrebien.

• Les noms de « nouveaux arrivants arabes »

furent rajoutés au recensement de 1957 pourindiquer qu’ils vivaient déjà à Kirkuk avant1957.

• Les Kurdes étaient autorisés à vendre leurs

biens uniquement à des Arabes et n’étaientpas autorisés à acheter de nouveaux biens.Les permis de construire ou de rénover étaientrefusés aux Kurdes. Au début des années 80,ces mesures furent également été étenduesaux Turkmènes.

• De fausses accusations furent portées contreles Kurdes pour les faire quitter la ville, et leursmaisons et leurs biens furent confisqués. Dejeunes Kurdes se retrouvaient arrêtés etemprisonnés par les services de sécurité sansprocès. Des témoins font état de véhicules depolice transportant des cadavres de personnesvêtues de costumes kurdes dans un cimetièrenommé « Ghariban », situé près de la routeentre Kirkuk et Suleymania.

• Les bureaux de l’administration locale,ainsi que le siège des syndicats et desautres associations, furent transférés dansla partie arabisée de la ville.

• Des milliers de logements furent construitspour les travailleurs arabes près desroutes Kirkuk-Hawija-Tikrit, Kirkuk-Bagdadet Kirkuk-Laylan.

• L’ancienne citadelle de Kirkuk, qui

comprenait plusieurs mosquées et unetrès vieille église, fut démolie et remplacéepar une caserne militaire.

• La ville et ses environs furent transformés

en camp militaire, avec des fortificationsconstruites à l’intérieur et autour de Kirkuk.

• Des dizaines de milliers de familles arabes

s’installèrent avec la garantie d’avoir unemploi et un logement. Le gouvernementoffrit de l’argent et des logements auxKurdes qui étaient prêts à quitter Kirkukpour aller dans le centre ou au sud del’Irak, ou bien un lopin de terre s’ils allaientdans la « Région Autonome ».

La politique de purification ethnique menée parle régime irakien contre les Kurdes débuta en1963 et se durcit en 1968. Au cours desannées 80, cette politique visa également lesTurkmènes. Les Assyro-Chaldéens et lesArméniens étaient quant à eux tout simplementconsidérés comme des Arabes !

Après la nationalisation de l’IPC en juin 1971,le régime changea le nom historique de Kirkuken ‘Al-Tamim’, qui signifie « nationalisation ».En 1976, il réduisit la région administrative deKirkuk en rattachant quatre quartiers kurdesaux régions voisines, rendant ainsi les Kurdesminoritaires dans la région administrative deKirkuk.(19) Dans les zones où il ne parvint pas àinstaller des Arabes, le régime détruisit tousles villages kurdes et déporta leurs habitantsdans des camps de concentration. Lesopérations d’Anfal en 1988 coûtèrent la vie àenviron 182000 civils kurdes, dont la plupartvenaient de la région de Kirkuk. Comme lesvillageois de cette région vivaient loin desfrontières de l’Irak, ils ne purent les atteindre etdurent se rendre à l’armée et aux servicessecrets qui les déportèrent vers le sud de l’Irakoù ils furent massacrés.A la fin des années 80, la ville de Kirkuk avaitperdu son caractère historique, les colonsarabes étaient devenus majoritaires,dirigeaient la ville et son administration, et ilsavaient l’ensemble des services de sécurité et

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de l’armée sous leur contrôle. Les meilleuresterres agricoles leur avaient été données. Il étaitclair pour tout le monde que les personnes venuesd’ailleurs dirigeaient la région aux dépens deshabitants d’origine qui étaient devenus desétrangers dans leur propre ville.

Cette situation perdura jusqu’à la guerre du Golfeen 1991. Après la défaite du régime irakien auKoweït, Ali Hassan Al Majid, alors ministre de ladéfense, prit de nombreuses mesures dans la villepour préserver le statu quo. Par exemple, il fitarrêter plus de 30000 Kurdes qui furent enferméspendant plusieurs jours dans des endroitsconfinés, sans eau ni nourriture, provoquant ainsila mort de nombreuses personnes âgées oumalades. Après une bataille acharnée, les Kurdesprirent la ville le 21 mars 1991. Au cours de troisjours de batailles de rue, de nombreux civilskurdes, parmi lesquels des femmes et des enfants,furent tués par les bombardements de l’artillerieirakienne et les hélicoptères de combat.

Etant donné l’importance stratégique de Kirkuk, lerégime s’efforça de réoccuper la ville avec lesoutien des Moudjahidines du peuple, mouvementd’opposition armée au régime iranien soutenu parSaddam Hussein, et dont les membres lui serventde mercenaires. Certains de ces mercenairesréussirent à entrer dans la ville déguisés enPeshmarga. Du 27 au 29 mars, lesbombardements furent si intenses sur Kirkuk queses habitants furent obligés d’évacuer la ville,laissant derrière eux tout ce qu’ils possédaient,dans une ville livrée aux pillages de l’arméeirakienne et des colons arabes revenus dans laville avec l’aide de l’armée.

La plupart des Kurdes et Turkmènes forcés horsde Kirkuk ne purent pas revenir par crainte desarrestations. On peut considérer que l’écrasementdu soulèvement de mars 1991 constitua uneraison supplémentaire de départ de nombreuxKurdes et Turkmènes de leur ville. Ceux quirevinrent, plus particulièrement les jeunes, furentla cible d’intimidations et d’arrestations.

Pendant les négociations entre le régime irakien etles représentants des Kurdes, le régime donnason accord pour le retour des habitants de Kirkukdans leurs maisons, mais cet accord ne fut quepartiellement respecté. Après l’interruption desnégociations, et plus particulièrement après leretrait de l’administration irakienne de trois régionsadministratives du Kurdistan en septembre 1991,les Kurdes de Kirkuk redevinrent la cible d’unecampagne de terreur qui s’intensifia entre 1994 et1996 et fut particulièrement dure au début del’année 1997, au moment de la préparation dunouveau recensement. Après le recensement de

1997, le régime irakien poursuivit sa politiqued’expulsion et ses méthodes furent encore plusféroces que celles de l’Afrique du Sud pendantla période de l’apartheid. Le 6 septembre2001, le Conseil de commandementrévolutionnaire irakien, qui se situe au-dessusdu soi-disant Parlement irakien, a proclamé larésolution n° 199 qui permet à tous les Irakiensnon arabes âgés de plus de 18 ans de changerd’identité ethnique pour devenir arabes. Unetelle décision est totalement contraire à tousles principes des droits de l’Homme et répondà des objectifs politiques. L’objectif estd’obliger toutes les personnes non arabes enIrak d’adopter l’identité ethnique arabe. Cetteloi est un habillage légal de la politiquede purification ethnique menée à l’encontredes Kurdes, des Turkmènes et des Assyro-Chaldéens. Cette loi représente une violationdirecte de l’article 19/A de la Constitutionprovisoire irakienne de 1970 qui stipule quetous les Irakiens sont égaux, quelle que soitleur langue, leur religion ou leur classe sociale.De plus, l’article 5/B de cette constitutionstipule que le peuple d’Irak est constitué dedeux groupes ethniques principaux, les Arabeset les Kurdes, et reconnaît des droits auxKurdes et aux autres minorités. Les Kurdes etles autres minorités non arabes ont reçu desformulaires officiels sur lesquels ils devaientdéclarer reconnaître qu’ils avaient étéenregistrés par erreur en tant que non arabeslors des recensements précédents. Il futannoncé que ceux qui refuseraient de signerces formulaires seraient expulsés de la ville.Ainsi, le régime réussit à expulser des milliersde Kurdes de Kirkuk. Dans un discours public,Izzat Ibrahim, vice-président et responsable del’arabisation à Kirkuk, déclara qu’aucun nonarabe ne serait autorisé à rester à Kirkuk.(20)

A ce jour, plus de 120000 personnes ont étéexpulsées des zones sous contrôle du régime,dont beaucoup de Kirkuk.(21) La plupart despersonnes déplacées vivent actuellement dansdes camps dans des conditions déplorables etdépendent de l’aide internationale. Fuyant unemisère permanente, certains d’entre eux, plusparticulièrement les jeunes, tentent leurchance pour rallier l’Europe clandestinement,mais nombre d’entre eux perdent toutes leurséconomies, et parfois la vie, avant d’arriver.Malheureusement, la communautéinternationale ignore la souffrance de cesgens. Aucune pression n’est exercée sur lerégime irakien pour mettre un terme à cettepolitique raciste qui est une violation de larésolution n° 688 de 1991 du Conseil deSécurité et des textes internationaux, dontl’Irak est signataire en tant que membre desNations Unies et de ses organisations.

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Pendant ce temps, la majorité de l’oppositionirakienne refuse toujours de condamner lapolitique du régime qui met en danger lacoexistence entre les Kurdes et les Arabes en Iraket qui va certainement entraîner la désintégrationde l’état irakien.Etant donné la capacité du régime irakien àpoursuivre sa politique d’expulsion des Kurdes deleurs maisons à Kirkuk, en violation flagrante dudroit international et de la résolution 688 quicondamne cette politique, il est clair que celle-ci nes’arrêtera pas sans une pression déterminée de lacommunauté internationale. Le 26 mai 2002, leParlement européen a adopté à une large majoritéle rapport et la résolution intitulée « La situation enIrak, onze ans après la guerre du Golfe », quicondamne la « politique d’arabisation et depurification ethnique dans les régions de Kirkuk,Sinjar, Mandali, Jalawla et Mossoul, qui aprovoqué le déplacement de plusieurs centainesde milliers de personnes en Irak ». Nousapprécions fortement la teneur de ce document.

A la mi-avril, j’ai visité les camps de Barda-Qaraman et Benaslawa construits dans la partielibérée du Kurdistan pour les Kurdes expulsés dela ville Kirkuk et d’autres régions du Kurdistanencore sous contrôle du régime irakien. La plupartm’ont indiqué qu’on leur avait laissé le choix entrel’expulsion ou le changement forcé d’identitéethnique. Tout ce qu’ils possédaient leur a étéconfisqué avant leur expulsion, y compris leurscartes d’identité qui leur ont été retirées pour leurenlever toute possibilité de prouver qu’ils sont dela région. Lors de ma visite dans les camps, j’aiété choqué par la misère et les conditions danslesquelles ces gens sont obligés de vivre. Ils sontprotégés uniquement par de misérables tentes ennylon, ils doivent marcher de longues distancespour atteindre l’unique point d’eau de la zone et ilsne disposent d’aucune structure médicale. Dansces circonstances, le risque de maladie estpermanent, notamment parmi les enfants et lespersonnes âgées qui souffrent de malnutrition, dedépression ainsi que de l’abandon croissant dontils font l’objet. Dans le camp de Benaslawa, j’airencontré des survivants de la campagne d’Anfal,

et une femme qui avait perdu onze membresde sa famille et qui vivait avec le vain espoir deles revoir un jour.

Tous ont des histoires horribles à raconter etleur situation est encore pire que celle despersonnes déplacées. Ces personnessouffrent physiquement et mentalement et laplupart d’entre elles se retrouvent seules aumonde sans famille à soutenir ou pouvant lesprendre en charge. Les survivants desopérations d’Anfal devraient égalementrecevoir des indemnisations dans le cadre duprogramme Pétrole contre nourriture. Il estégalement grand temps que tous lesdocuments sur les opérations d’Anfal et surtous les autres crimes commis par le régimeirakien soient préparés et utilisés commepreuves pour traduire les responsables de cescrimes en justice devant un Tribunalinternational.

Tous les Kurdes, Turkmènes et Assyro-Chaldéens expulsés doivent pouvoir rentrerchez eux et les colons arabes doivent êtrerenvoyés dans les parties de l’Irak d’où ilsvenaient à l’origine. Cela sera possibleuniquement lorsque la région du Kurdistan quireste sous le contrôle du régime, notammentKirkuk, passera sous contrôle de lacommunauté internationale, après la chute durégime de Saddam Hussein et l’établissementde la démocratie en Irak. Cette solution est laseule qui pourrait garantir la protection de lapopulation civile de la région. Une demandedans ce sens a été effectuée le 29 décembre2000 par 122 associations civiles et partispolitiques kurdes, au Kurdistan et à l’étranger,soutenus par de nombreuses associations etpersonnalités en Europe, dans unmémorandum soumis au Conseil de Sécurité,ainsi qu’à d’autres organisationsinternationales et états occidentaux.(20) Lemémorandum souligne également qu’une tellemesure contribuerait à établir « la paix et lasécurité dans la région agitée qu’est le Proche-Orient ».

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Notes

(1) Enc. Islam, “Kirkuk”.(2) Abdul- Majid Fahmi Hassan, “A Guide to the History of Iraqi Liwas - Kirkuk Liwa”, (en arabe), vol.2,Dijla Press, Bagdad, 1947, p. 284 et p. 301.(3) Enc. Islam, “Kirkuk”.(4) Brian Cooper Bush. “Britain, India and Arabs” p.40, et Marian Kent, “Oil and Empire” p.120. NouriTalabany, “Southern Kurdistan and International Law” in “An Analysis of the Legal Rights of theKurdish People” publié par l’Ahmed Foundation for Kurdish Studies, Virginie, Etats-Unis, 2000, p. 96.(5) Nouri Talabany, Nouri Talabany, “Southern Kurdistan and International Law”, ibid.(6) Nouri Talabany, “Arabization of the Kirkuk Region”, publié en Suède par Kurdistan Studies Press,2001, p.34.(7) Nouri Talabany, “La Politique de l’Arabisation de la Region de Kirkuk”, discours à la conférenceorganisée par les Verts le 5 février 2001 à Paris, à l’Assemblée Nationale, sur les sanctionséconomiques et les droits de l’Homme en Irak.(8) Walid Hamdi, “Les Kurdes et le Kurdistan dans les documents britanniques”, étude de documentspubliée en arabe à Londres, 1992, p.186.(9) Jabar Kader, “Kirkuk : un siècle et demi de politique de turquisation et d’arabisation”(en arabe),Iraqi File Magazine n°99, mars 2000, p.42.(10) Abdul- Majid Fahmi Hassan, Ibid. p.54.(11) Ahmed Najmadin, “Population Conditions in Iraq”, Le Caire , Arab Studies Institute, 1970, p. 109.En 1921,lorsque la Grande-Bretagne a occupé l’Irak, la composition ethnique de Kirkuk était évaluée à 75000Kurdes, 35000 Turcs, 10000 Arabes, 1000 Juifs et 600 Assyro-Chaldéens. Le recensement de 1957donne les chiffres 48,3% de Kurdes, 28,2% d’Arabes, 21,2% de Turkmènes.(12) Nouri Talabany, “Arabization of the Kirkuk Region”, p. 35.(13) Ibid. pp. 36-38.(14) Ibid. Le texte de ces mémorandums est publié dans l’annexe II, p 104 - 113.(15) Nouri Talabany, “Relations kurdo-turques”, “Ra'yat-ul Islam” Magazine (en arabe), Vol.1, Année15, No.1, mars 2001, p.2.(16) Nouri Talabany, “Arabization of the Kirkuk Region”, p.43.(17) Ibid. P.51.(18) Cela a été mon cas lorsque j’ai été écarté pour raisons politiques de mon poste de professeur dedroit à l’université de Bagdad en décembre 1982. Il m’a été interdit de retourner dans ma ville deKirkuk, où ma famille a vécu pendant six générations, et j’ai été obligé de m’installer dans la villed’Arbil. Le conducteur du camion qui transporta nos affaires de Bagdad à Arbil, via Kirkuk, me confiaplus tard qu’un agent des services de sécurité du checkpoint d’entrée dans Kirkuk l’avait accompagnéjusqu’au checkpoint suivant, pour s’assurer qu’il avait bien quitté Kirkuk !(19) Ibid. p.66.(20) Journal Al Hayat, 29 septembre 2000.(21) Selon le quotidien kurde Birayati (1er juin 2002), le gouvernement irakien offre 6 millions dedinars irakiens (environ 2750 dollars) aux colons arabes qui s’installent à Hawija et dans les environs,ainsi qu’une parcelle de terrain s’ils s’installent dans le centre de Kirkuk. Birayaty détaille également laconfiscation de près de 45000 hectares de terres agricoles appartenant à des Kurdes ou desTurkmènes dans la région de Kirkuk.(22) Le texte se trouve dans “Arabization of the Kirkuk Region”, par Nouri Talabany, publié en Suèdepar Kurdistan Studies Press, 2001, p.131.

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La diaspora irakienne en Europe et en Australie

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Kurdes du Sud déplacés auRoyaume-Uni : problèmes et

recommandations

Dr Rebwar FatahDirecteur

KurdishMedia

e nombre de Kurdes vivant actuellement enGrande-Bretagne est estimé à 120 000. Aucours des trois dernières années, 90 pour

cent des Kurdes irakiens demandant l'asile enGrande-Bretagne étaient originaires des zonesrurales du Kurdistan irakien. Environ trois quartsd'entre eux arrivent parlant très peu ou pas du toutanglais. Cela pose une série de problèmessociaux et psychologiques pour les réfugiés, telsque l'isolation ou la frustration, difficiles àsupporter par les Kurdes qui viennent d'un milieusocial élevé dans leur pays, avec une grandefamille qui joue un rôle important dans la sociétékurde.

Cet article présente les problèmes rencontrés parles demandeurs d'asile kurdes originaires du suddu Kurdistan (irakien) qui arrivent en Grande-Bretagne. Il aborde les causes du déplacementdes Kurdes, dues à la politique du gouvernementirakien. Cet article contient également desrecommandations visant à améliorer la situationactuelle.

RésuméCet article traite des sujets suivants :- Situation des demandeurs d'asile- Causes des déplacements- Problèmes rencontrés par les nouveaux arrivants- Politique du gouvernement britannique- Recommandations

Tendances de l'immigration kurde

On peur distinguer trois périodes concernant lamigration de personnes originaires du Kurdistandu Sud dans les pays occidentaux :

Première période : elle se termine par la chute dumouvement armé kurde en 1975.Seconde période : elle va de la renaissance dumouvement armé kurde à la guerre du Golfe.Troisième période : de la guerre du Golfe àaujourd'hui.

Même si les tendances de l'immigration kurde versd'autres régions du monde suivent généralement

le même modèle, cet article se concentre surl'immigration kurde en Grande-Bretagne.

Première période : jusqu'aux années 70Cela fait longtemps que les Kurdes se rendenten Occident. Ainsi, il y a plus d'un siècle, leprince Badirxan se rendit en Grande-Bretagnepour publier son journal d'exil, Kurdistan,même s'il n'y resta pas longtemps.

L'immigration de masse des Kurdes versl'Occident a commencé avec l'accord d'Algersigné entre le Chah d'Iran et le présidentirakien, Saddam Hussein. L'Iran et les Etats-Unis avaient utilisé les Kurdes contre l'Irak.Puis ils les ont abandonnés une fois l'accordsur les répartitions territoriales signé.

Tournant de l'histoire kurde, cet événementdevait ensuite avoir un impact important surl'histoire des relations internationales. Selon leprincipe onusien de non-ingérence dans lesaffaires intérieures d'un Etat, l'Occident laissale régime totalitaire irakien opprimer lesKurdes. L'Occident ferma les yeux sur lasouffrance du peuple kurde et du peupleirakien. Mais cette attitude allait être payée auprix fort par la suite.

Pendant qu'il opprimait les Kurdes, le régimeirakien développait son arsenal et sesressources humaines pour défier la sécuritérégionale et internationale. La guerre Iran-Irakentre 1980 et 1988, puis l'invasion du Koweïten 1990 et le soutien au terrorismeinternational, furent les conséquences de ceserrements en matière de politiqueinternationale. Ainsi, la communautéinternationale porte l'entière responsabilité del'agression perpétrée par l'Irak. Il estnécessaire de revoir les règles internationalespour éviter d'autres invasions du type de celleentreprise par l'Irak.

La première génération de demandeurs d'asilekurdes arriva au Royaume-Uni en 1975.L'Occident ne fut bien sûr pas la destination detous les réfugiés, dont un certain nombrerefuge déplacés dans la région. D'autre part,l'Irak déporta des milliers de Kurdes vers lesud de l'Irak comme punition pour leurparticipation au mouvement national kurde.Parmi eux, certains réussirent également às'échapper en Occident.

Les demandeurs d'asile de cette époqueétaient en général des militants cultivés, deniveau aisé, qui venaient des zones urbainesdu sud du Kurdistan. Ils furent obligésd'immigrer principalement parce qu'ils ne

L

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pouvaient pas avoir confiance en l'amnistiedécrétée par le gouvernement irakien et nepouvaient apparaître publiquement en Irak aprèsla défaite. Cette vague de migration est la moinsimportante en nombre de personnes. Selon lesestimations, quelques milliers de réfugiésseulement immigrèrent au Royaume-Uni à cetteépoque.

Seconde période : de 1975 à la guerre du GolfeAprès l'effondrement du mouvement nationalkurde en 1975, le gouvernement irakiencommença sa campagne génocidaire à l'encontredes Kurdes avec pour but la mise en œuvre de la'solution finale' à la question kurde. Il poursuivitune politique systématique d'élimination desKurdes en tant que nation et de destruction de leurterre. Une nouvelle fois, à cause de la politique del'Occident, ou de son absence, l'Irak parvintpresque à atteindre son objectif.

Le génocide fut perpétré sous différentes formes,dont :- la campagne d’Anfal dans la deuxièmemoitié des années 80, qui fit 180 000 morts parmiles Kurdes,- l'utilisation d'armes chimiques contre lesKurdes dans la seconde moitié des années 80, quicoûta la vie à environ 100 000 personnes, et dontles effets se font encore sentir aujourd'hui,- le massacre de la tribu des Barzaniperpétré par le régime en juillet 1983, dontl'objectif était d'éliminer complètement la tribu.

Des dizaines de milliers de Kurdes fayli furentégalement maltraités, incarcérés, exécutés oudéportés en Iran sous prétexte qu'ils n'avaient pasla nationalité irakienne.

Le nombre de Kurdes exécutés par le régimeirakien est estimé à 50 000. Des milliers d'autresfurent torturés et emprisonnés.Plus de 4 000 villages et villes furent détruits par lerégime irakien dont l'objectif était d'éliminer tousles moyens d'existence et toute trace de la culturedes Kurdes.

De plus, l'Irak mena deux guerres au cours decette période :

- la guerre Iran-Irak (1980-1988) qui fit plus d'unmillion de victimes, dont de nombreux Kurdes,– l'invasion du Koweït et la guerre du Golfe (1990-1991) qui coûta la vie à plus de 150 000personnes, parmi lesquelles figuraient encore denombreux Kurdes.

Les terribles violations des droits fondamentauxdes Kurdes par l'Irak ont entraîné le déplacementde milliers de Kurdes vers l'Occident. Les

demandeurs d'asile de cette période venaientde tous les milieux sociaux, avec une forteproportion de jeunes urbains, dont denombreuses familles. Le nombre dedemandeurs d'asile kurdes qui sont arrivés auRoyaume-Uni au cours de cette période estestimé à 10 000. [1]

Troisième période : de la guerre du Golfe àaujourd'huiParmi les événements marquants de cettepériode, on peut noter :

- l'imposition d'un double régime de sanctionsà l'encontre du Kurdistan, à la fois par lesNations Unies et par le régime irakien.

1991 : soulèvement kurde au cours duquel laplupart des régions du sud du Kurdistan furentlibérées.1992 : établissement de l'état kurde de factoavec les premières élections générales dans larégion kurde.1994-1997 : conflit armé entre les différentesfactions kurdes.1996 : attaque conjointe du PDK et dugouvernement irakien sur la capitale, Erbil.1998 : accord de paix signé à Washington pourmettre fin aux combats entre l'UPK et le PDK.– de nombreuses attaques directes etindirectes au cours de cette période perpétréespar la Turquie, l'Iran et l'Irak contre leKurdistan irakien.

Au cours de cette période, environ 100 000Kurdes, de toutes conditions sociales, ontdemandé l'asile politique au Royaume-Uni. Cesont majoritairement des hommes célibataires,âgés entre 15 et 25 ans. Au cours des troisdernières années, 90% des Kurdes irakiensqui ont demandé l'asile en Grande-Bretagnesont originaires de zones rurales.

Un point important mérite d'être souligné :malgré le fait que les crimes les plus atroces àl'encontre des Kurdes aient été perpétrés aucours de la seconde période, le nombre deKurdes ayant quitté le Kurdistan au cours de latroisième période est beaucoup plus importantqu'au cours de la seconde période. Plusieursfacteurs peuvent expliquer cette augmentationde l'immigration kurde, notamment ledéveloppement des moyens de transport etl'incertitude sur le destin des Kurdes du Sud.

Problèmes rencontrés par les demandeursd'asile kurdes au Royaume-UniAujourd'hui, la communauté kurde duRoyaume-Uni doit faire face à de nombreuxproblèmes.

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CommunicationLa plupart des demandeurs d'asile, environ troisquarts d'entre eux, parlent très peu ou pas du toutanglais, ce qui rend toute communication difficile,notamment avec les personnes susceptibles deleur rendre des services. Ces problèmes decommunication en anglais ont des conséquencessociales et psychologiques importantes sur leurfuture intégration.

Le manque d'interprètes anglais-kurde a entraînél'échec de centaines de procédures de demanded'asile. Par exemple, sur toute la région duYorkshire, il n'y a que trois interprètes qualifiéspour 10 000 Kurdes. De nombreuses demandesd'asile ont été rejetées par les autoritésbritanniques à cause d'erreurs de traduction oud'interprétations incorrectes. Par exemple, lesmembres du Parti Communiste des TravailleursIrakiens ont été confondus par les interprètes avecles membres du Parti Communiste d'Irak et duParti Communiste du Kurdistan, ce qui a entraînédes retards et le rejet de leurs demandes.

Les besoins en interprètes ont généré un marchéobscur pour des fournisseurs de service douteux,qui n'est considéré comme une menace ou unproblème ni par le ministère de l'Intérieurbritannique, ni par les fournisseurs de serviceslégaux. C'est pourtant un problème sérieux pourdes centaines de demandeurs d'asile, quireprésentent une cible et un enjeu commercialpour des intervenants aux objectifs douteux.

La politique du gouvernement britanniqueLa politique de dispersion du gouvernementbritannique a réparti des centaines de Kurdesdans pratiquement tous les coins du Royaume-Uni. Aujourd'hui, environ 1 500 Kurdes vivent danschacun des endroits suivants :- Middlesborough, Peterborough, Liverpool,Birmingham, Glasgow

Selon Handren Marouf, spécialiste des questionsde réfugiés : "Le gouvernement britannique n'estpas à la recherche d'une solution mais utilise leproblème des réfugiés à des fins électoralesauprès des lecteurs des tabloïds britanniques telsque le Daily Mail, l'Express, etc.".

Marouf rend cette politique responsable dumeurtre d'au moins 11 Kurdes en Grande-Bretagne depuis 1999.

Les ressources octroyées par le gouvernement ontété réparties entre les agences britanniquesofficielles suivantes :- Refugee Council (conseil pour les réfugiés),Refugee Arrivals Project (projet pour l'arrivée desréfugiés)

- Refugee Action (action pour les réfugiés)- Migrant Helpline (ligne d'assistance auxréfugiés)- Scottish Refugee Council (conseil écossaispour les réfugiés)- Welsh Refugee Council (conseil gallois pourles réfugiés) et Refugee Legal Centre(centre juridique pour les réfugiés)

Dans le cadre de la loi sur l'asile etl'immigration de 1999, un budget de plusieursmillions de livres a été alloué à cesorganisations par le ministère de l'Intérieurbritannique. Au lieu de répartir les ressourcesde manière stratégique, ces groupes offrentsouvent des services similaires. Ainsi,plusieurs de ces organisations ont traduit enkurde les dossiers d'information destinés auxdemandeurs d'asile.

Une relation confortable s'est instaurée entreces organisations et le ministère de l'Intérieurbritannique, entraînant la création d'un marchéde plusieurs de millions de livres dans ledomaine des services aux réfugiés etdemandeurs d'asile.

De façon étonnante, l'avis des groupescommunautaires de réfugiés n'a pas étésollicité lors de l'élaboration de la loi de 1999,pour faciliter la conception des services et desprogrammes proposés. Au cours des 15derniers mois, le KIAC a présenté quatrepropositions de projets répondant aux critèreset aux points exigés par les autorités, maisaucune n'a été traitée de manière positive. Lapolitique actuelle tend à éliminer laparticipation de la base dans les servicesproposés.

Le ministère de l'Intérieur britannique a uneconnaissance très limitée de la question kurdeen Irak. Dans leur grande majorité, les lettresde refus sont des lettres génériquescomposées de paragraphes qui sont copiés etcollés. Par exemple, le ministère de l'Intérieurne sait toujours pas si une ville kurde telle queMakhmur est sous contrôle de l'administrationkurde ou du régime irakien. Cette ignorance dela question kurde est source de trop nombreuxrefus injustifiés des demandes d'asile.

Problèmes et recommandationsLa question kurde est une questioninternationale qui, de ce fait, exige une solutioninternationale. Il n'existe évidemment pas desolutions toutes faites, simples et rapides àmettre en œuvre. Voici toutefois quelquesrecommandations pratiques pour améliorer la

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situation des Kurdes en Irak dans différentsdomaines.

Situation économique précaire : le doublerégime de sanctions subi par les Kurdes dans l'étatde facto a pour conséquence un haut niveau dechômage. Plus de 90 pour cent des jeunes genssont dans l'incapacité de trouver un emploi aprèsleurs études.

Mauvaise mise en œuvre du programme"Pétrole contre nourriture" : le programmeconsidère la région autonome kurde et l'Irakcomme un seul et même camp de réfugiés. Il sebase sur l'idée que si les gens obtiennent de lanourriture, les choses iront mieux pour eux. Cetteapproche oublie que le fait de nourrir un êtrehumain ne se limite pas à remplir son estomac.Les aspects spirituel, intellectuel et émotionnelsont ignorés. Par exemple, les étudiants desuniversités utilisent des manuels publiés il y a plusde vingt ans.

Dans le cadre du programme "Pétrole contrenourriture", 13 pour cent de l'argent destiné à larégion autonome du Kurdistan est encoreapprouvé par le régime irakien, et non par lesKurdes ou même les Nations Unies. Cet argentdevrait être directement donné à l'administrationkurde afin qu'il soit mieux utilisé. Par exemple, lesmanuels scolaires fournis par le régime irakien fontla promotion des inégalités sociales et despolitiques racistes auprès des enfants kurdes.L'idéologie baasiste ne doit pas être propagée auKurdistan, ni autre part. Les enfants kurdesdevraient recevoir des enseignements sur ladémocratie, la société civile et le respect des droitsde l'Homme. Les Etats-Unis ont une politiquenaïve en limitant leur discours sur le régime irakienà une intervention militaire. L'idéologie du régimedevrait être attaquée avant toute attaque physiquedu régime.

Guerre interne : la guerre entre différents partispolitiques, en particulier l'UPK et le PDK, a fait desmilliers de morts, de déplacés et de déportés.Aujourd'hui, l'Iran, à l'aide de plusieurs groupesislamistes, et la Turquie sur le front turkmène,essayent de déstabiliser le Kurdistan.

Mélange des genres entre le pouvoir politique etl'économie : les partis politiques ont mis sous leurcoupe tous les postes administratifs, économiqueset financiers importants. Il suffit de regarder lenombre croissant de très riches hommespolitiques. La politique économique n'est pasbonne. La liberté du commerce et le secteur privédoivent être développés. L'économie ne doit plusêtre contrôlée par les partis politiques et leurspartenaires. La politique kurde actuelle encourage

l'importation de biens de consommation telsque l'alcool et les cigarettes, au lieu de seconcentrer sur le développement et la créationd'emplois. Les noms de certains leaderspolitiques et de leurs partenaires sont devenussynonymes de certains produits, comme lescigarettes, ou de services commerciaux,comme les taxis.

Mondialisation : les moyens decommunication modernes ont facilité le départdes Kurdes de la région pour demander l'asilepolitique. L'Occident et les Etats-Unis voient lamondialisation comme un moyen d'étendreleur sphère d'influence économique etpolitique. C'est peut-être le cas. Mais cela aégalement eu un autre impact dans ces paysqui sont considérés comme un marché.

La mondialisation permet aux populations deces pays de migrer plus facilement versl'Occident. C'est la raison pour laquelle unepolitique globale de soutien aux pays opprimésdoit être mise en œuvre. Par exemple, lesKurdes devraient être protégés des menacesque font peser sur eux les puissancesrégionales et ils devraient se voir donner lestatut d'Etat.

Possibilité de visites au Kurdistan après laguerre du Golfe : après l'établissement del'état de facto du Kurdistan, la diaspora kurde apu se rendre au Kurdistan pour diversesraisons, notamment pour faire du commerce etpour le regroupement familial. Les habitants dela région considèrent les membres de ladiaspora comme des Kurdes de classesupérieure à cause de leurs ressources, car ilspossèdent des devises plus fortes que lamonnaie irakienne dévaluée. Ils ont égalementaidé leurs proches à quitter la région.

Un destin incertain : personne ne sait ce qu'ilva se passer dans la région. Il n'existe pas depolitique occidentale et les projets des deuxpartis politiques kurdes restent inconnus. Ils nesemblent avoir pour projets ni la réunion deleurs administrations, ni l'organisationd'élections, ni la constitution d'un parlement etd'un gouvernement légitimes.

Amélioration des administrations kurdes :des efforts supplémentaires auraient pu êtrefait pour améliorer la situation. Par exemple,pour certains secteurs de la société, un visaest nécessaire pour voyager d'une villecontrôlée par l'UPK vers une ville contrôlée parle PDK.

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Création d'emplois : les jeunes quittent leKurdistan parce qu'ils sont au chômage et qu'ils nepeuvent pas fonder de famille. Le programme"Pétrole contre nourriture" pourrait jouer un rôleimportant en suscitant des projets créateursd'emplois, mais il a eu un impact très négatif surl'économie du Kurdistan. Les Nations Uniesimportent au Kurdistan des produits qui entrent enconcurrence directe avec les produits locaux.Beaucoup de producteurs kurdes ont fait faillite etsont devenus des consommateurs. Le programme"Pétrole contre nourriture" devrait plutôt fournir desressources permettant de développer des projetscréateurs d'emplois.

Stabilisation du Kurdistan et de la région parune politique occidentale cohérente : laquestion kurde ne peut être résolue par une'politique dure' en Occident visant à combattrel'arrivée de demandeurs d'asile. Le problème desdemandeurs d'asile kurde doit être résolu à sasource, au Kurdistan. Une politique dure estnécessaire au Moyen-Orient, pas en Occident.

Zone non protégée : une partie importante del'état de facto du Kurdistan se situe au-dessous du36ème parallèle, hors de la zone d'exclusionaérienne. La situation de cette zone reste floue etla population qui y vit est sans protection. Lesdéclarations sur le fait que l'Occident protège lesKurdes ne sont pas complètement vraies.

Perception erronée : de nombreux jeunes Kurdesont une perception erronée de la vie occidentale.C'est la raison pour laquelle de nombreuxdemandeurs d'asile kurdes, une fois arrivés enOccident, souhaitent retourner dans leur pays.Mais il est souvent trop tard pour eux pour changerd'avis. La réalité de la situation des demandeursd'asile et des réfugiés en Occident devrait êtreprésentée dans les écoles du Kurdistan. Lesmédias et l'éducation ont un rôle essentiel à joueret ne doivent pas biaiser la réalité.

Amélioration de la situation en matière dedroits de l'Homme : les gens quittent le Kurdistanparce que c'est une région dangereuse et instable.Les puissances de la région ont provoqué cetteinstabilité par les incursions, les bombardements,les assassinats et les autres crimes terribles dont

ils sont responsables. Dans ce sens, plusieurspistes sont possibles, notamment :

- Mettre un terme à l'ingérence des puissancesrégionales dans les affaires kurdes, c'est à direau soutien apporté par la Turquie et l'Iran àcertains groupes.

– Le gouvernement régional du Kurdistandevrait faire la promotion du respect des droitsde l'Homme par l'éducation et la formation,notamment en améliorant les enseignementsdispensés dans les écoles.

– Intégrer les autres parties du Kurdistan àl'état de facto du Kurdistan, c'est-à-dire Kirkuket Khanaqeen. Aucune nouvelle résolution desNations Unies n'est nécessaire, car larésolution 688 protège déjà les Kurdes.

– Rendre la zone d'exclusion aérienneégalement zone d'exclusion au sol. La zoned'exclusion n'est pas suffisante pour la défenseau sol. L'invasion d'Erbil, la capitale duKurdistan, est un exemple de l'inefficacité de lazone d'exclusion aérienne.

Normalisation des relations entre l'UPK etle PDK : les deux administrations kurdesdevraient faire appel à des observateursétrangers pour organiser des élections auKurdistan afin d'établir un parlement et ungouvernement légitimes pour le Kurdistan. Leparlement kurde actuel, ainsi que les deuxadministrations, ne sont en réalité paslégitimes, car les élections n'avaient effet quejusqu'en 1996.

Le Kurdistan doit devenir un pays stable où lasécurité est assurée si l'on souhaite mettre unterme à l'immigration massive.

Remerciements

Je remercie M. Handren Marouf pour lesinformations précieuses qu'il a fournies pourcet article. Je tiens également à remercier M.Robin Kurd et Mlle Alison Azer pour leurscommentaires et leur travail de révision.

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La diaspora irakienne enAustralie

Anneke Von AmelrooyJournaliste – Pays Bas

n août 2001, le monde entier a prisconscience que des Irakiens s’enfuyaientvers l’Australie. Vous vous souvenez sans

doute du gros bateau norvégien, la Tampa, qui asauvé de la mer des centaines d’Irakiens à qui onrefusait l’entrée en Australie. Le Tampa n’était pasun bateau conduit par des trafiquants d’êtreshumains turcs mais un bateau avec un capitaine etson équipage qui firent leur devoir humanitaire.

Quand le gouvernement australien refusa auTampa l’autorisation d’accoster, la discussion dansles médias autour de cet événement, aurait puvous suggérer qu’en Australie, il y avait un affluxmassif de réfugiés sans papiers officiels. Mais cen’est pas le cas. Le nombre de réfugiésclandestins en 2001-2001 avoisinait les 5.000personnes. L’Australie avait accepté et acceptetoujours de la part du Haut Commissariat desNations Unies pour les Réfugiés (HCR) quelques12.000 réfugiés politiques, personnes déplacéesou autres réfugiés chaque année.

Ces réfugiés officiels sont traités de manièregénéreuse par le gouvernement australien ainsique par des milliers de bénévoles. Il fautégalement signaler que parmi ces réfugiés illicitesmassés sur le bateau, environ 80% ont obtenu aubout du compte un permis de résidence ainsiqu’un permis de travail valables pour une périodede trois ans.

Pour garder une option ouverte de retour desréfugiés et pour pouvoir les renvoyer dans leurspays, le gouvernement australien a élaboré unesérie de catégories de réfugiés. Excepté le casdes Kosovars, qui sont accueillis temporairementen Australie, la plupart peuvent rester de manièrepermanente en Australie.

Le gouvernement australien a créé une catégoriede réfugiés qui sont détenus dans des camps etqui risquent d’y rester pendant de nombreusesannées. Ce sont les images désastreuses quenous avons vues concernant les réfugiés enAustralie à la télévision et dans les journaux.

Les événements dramatiques du 11 septembre2001 ont provoqué le soulèvement et les grèvesde la faim des réfugiés afghans dans ces camps.

Après les attaques d’Al Qaïda sur les Etats-Unis, le gouvernement australien a comprisque les Américains attaqueraient les Talibanpour éradiquer ce régime et le remplacer parun autre gouvernement. Toutes les guerres quiont déchiré l’Afghanistan pourraient dès lorss’arrêter et le gouvernement pensait que tousles réfugiés pourraient être renvoyés d’ici à lafin de l’année 2001.

Dans le camp de réfugiés de Woomera, qui estun ancien camp militaire dans le désertaustralien, les réfugiés se sont rendus compteque le traitement de leur demande d’asile avaitété stoppé. Certains attendaient une décisiondepuis des années et lorsque ces événementsont eu lieu, des canons à eau ainsi que desgazes lacrymogènes ont été utilisés contre cesréfugiés.

La politique de détention des étrangers sanspapiers a débuté en 1958 en Australie. C’estseulement au cours de ces dernières annéesque cette politique a été fortement attaquée.Premièrement parce qu’il existe des enfantssans parents ou des enfants nonaccompagnés qui sont emprisonnés dans cescamps. La seconde raison de ces critiques estque ces six camps sont gérés par uneentreprise de sécurité privée. La troisièmeraison est que certaines de ces personnes ysont gardées pendant des années. Pourquoiles garder dans un camp, dans le désertpendant trois ans alors qu’ils n’ont commisaucun acte délictuel ?

Une autre image qui a attiré notre attention surla politique d’immigration australienne, estcelle de centaines de réfugiés à qui l’entrée enAustralie a été refusée et qui ont été envoyésdans des petits Etats insulaires tels que MaoRu et la Papouasie Nouvelle-Guinée. Il s’agitdans ce cas de 1.500 réfugiés environ engénéral des Afghans et à peu près de 400Irakiens qui ont été envoyés dans ces îles. Lalogique qui sous-tend ces éléments, c’est lepartage du fardeau dans le Pacifique.

L’idée est de traiter les demandes d’asile desréfugiés en dehors du territoire australien, c’està dire en dehors d’un territoire où les réfugiéspeuvent obtenir une assistance juridique etpeuvent faire appel. L’idée n’est pas de lesinstaller de manière permanente dans ces îlesmais de les réinstaller dans différents Etats duPacifique y compris en Australie. Legouvernement australien fait cela avec l’aidedu HCR et de l’Organisation des MigrationsInternationales (OMI).

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En septembre 2001, le gouvernement australien aproposé à d’autres Etats dans la région sa« solution pacifique ». Il a appelé à d’avantage decoopération entre Etats dans la région et aurespect de certaines règles pour éviter un afflux deréfugiés clandestins. En février 2002, uneconférence s’est tenue à Bali en Indonésie pourdécider de cette « solution pacifique ».

On pourrait dire beaucoup de choses sur lapolitique d’immigration en Australie mais jevoudrais souligner un point très importantparticulièrement pour les réfugiés irakiens. C’estl’argument utilisé par le gouvernement australien.Les autorités se disent prêtes à recevoir desréfugiés, dont les demandes ont été correctementtraitées, vérifiées et documentées à l’étranger. Legouvernement soutient qu’il est prêt à accueillir12.000 réfugiés en Australie comme réfugiés deplein droit.

Donc que fait le HCR, que font les institutionseuropéennes qui peuvent traiter de manièreadéquate les demandes d’asile des réfugiésirakiens ?

Le HCR a des bureaux à Damas, à Amman, enIran mais que fait-il réellement ? En tant quejournaliste, je pose la question car l’autre versionde l’histoire dit que l’Australie n’a pas reçu les12.000 demandes de réfugiés annuelscorrectement documentées et vérifiées.

Nous avons entendu de la part de réfugiésirakiens il y a 2 ans environ que l’un d’entreeux avait du payer les responsables locaux duHCR pour obtenir un examen correct de sondossier. Selon certains responsables del’Union Européenne, le HCR n’a pas envoyéen 1998 autant de réfugiés que possible àl’étranger mais a décidé de les réinstaller dansleur pays ou leur région. Qu’en est-ilaujourd’hui de ces programmes deréinstallation en Irak ou en Jordanie ?

Dans ce contexte, j’aimerais citer Max Van DerStoel, ancien Rapporteur Spécial des NationsUnies sur la situation des droits de l’Homme enIrak. L’Irak est un pays qui n’a pas de Droits del’Homme du tout. « Les Droits de l’Hommen’existent même pas sur le papier en Irak »selon Max Van Der Stoel. Donc, il existe unecrise humanitaire permanente en Irak.Pourquoi les gens en Irak doivent être desréfugiés politiques individuels qui doivent êtreréinstallés temporairement ou définitivementailleurs ? Pourquoi le gouvernement australienne peut pas fournir le personnel nécessairepour le bureau du HCR à Amman par exemplepour traiter les demandes des Irakiens et deceux qu’il peut accueillir ?

Ce serait moins coûteux, plus humain, plusrationnel et plus rapide. Je ne vois aucundésavantage ou impossibilité de le faire.

Je vous remercie.

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L’accueil des réfugiés irakiens etdes demandeurs d’asile en

France

Pierre HenryDirecteur Général

France Terre d’asile

oici quelques éléments chiffrés sur l’accueildes réfugiés irakiens, quelquescommentaires sur le centre de Sangatte, et

quelques propositions pour sortir de la crise.

Concernant les demandeurs d’asile irakiens, lesdemandes d’accès au statut de réfugiés sontrelativement peu nombreuses en France. En 2001,il y a eu 296 demandes de protection, 197admissions pour un taux de reconnaissance qui,OFPRA plus Commission des Recours, avoisineles 62 %. Quant aux demandes d’hébergement,elles sont au nombre de 241 ; celles desdemandeurs d’asile séjournant à Sangatte sont aunombre de 14 entre janvier 2000 et mai 2002.

Voilà la situation telle qu’elle se présente pour lesréfugiés irakiens en France.

Un mot sur le centre de Sangatte. Sangatte est leproduit de l’incohérence des politiqueseuropéennes. En réalité, il y a plusieurs Sangatteen Europe. Si on se tourne vers le sud del’Europe, on trouve la même chose du côté deTarifa Ceuta en Espagne et du côté de l’Italie avecBrindisi. C’est là la conséquence de l’entrée envigueur de la Convention de Schengen et l’effetciseau de la Convention de Dublin. En 1997,l’Union européenne décide d’un espace decirculation commun où, a priori, la circulation estpermise aux seuls citoyens de l’Union à l’intérieurde ses frontières. Il produit des migrationssecondaires à l’intérieur de l’Union où lesdemandeurs vont, soit spontanément soit parl’intermédiaire de réseaux, se diriger vers les paysau système social le plus favorable.

Concernant Dublin, cette convention précise quela demande d’asile doit être examinée dans lepremier pays par lequel le demandeur d’asile estpassé. Force est de constater que cetteconvention n’est pas toujours respectée.L’Angleterre est signataire de cette Conventionmais n’appartient pas à l’espace Schengen et àpartir de ce moment, se produit à la porte de

l’Angleterre, vers Sangatte, un abcès defixation dès 1999.

Sangatte est la réponse humanitaire danstoutes ses limites. Il s’agit de donner un toit età manger à un certain nombre de personnesqui affluent à cet endroit et sans aucuneperspective. On arrive à la situationahurissante que l’on connaît aujourd’hui, c'est-à-dire 1 400 à 1 500 personnes entasséesdans un hangar dans des conditions assezdéplorables. J’ajoute que tous ceux quitravaillent dans le secteur des droits del’homme et la défense du droit d’asile, ont pumesurer les dégâts provoqués par Sangattedans l’opinion publique.

A Bruxelles, sous la conduite du CommissaireVittorino, en charge des politiques d’asile etd’immigration en Europe, des directives et desrecommandations d’apparence généreusessont éditées : reconnaissance de l’échec despolitiques d’immigration zéro et des écarts dedéveloppement Nord-Sud, analyse des causesde migrations, rappel de la volonté européennede respecter le droit d’asile... Mais rien n’y fait :l’Europe peine à définir son projet et unevéritable politique Nord-Sud tout autantqu’euro méditerranéenne.

Peut-on considérer comme politique euroméditerranéenne, le financement à Ceuta,enclave espagnole en territoire marocain, d’uncentre pudiquement appelé de transit ? Est-ceune ébauche de politique Nord-Sud que d’ypermettre l’entassement permanent de quatrecents personnes, ni immigrés ni réfugiés, sansdroits, et de les faire attendre pendant huit oudix mois un hypothétique visa d’entrée enEspagne, ou l’accès à une procédure d’asileaussi aléatoire que discrétionnaire ? FaibleEspagne où le nombre de statuts de réfugiésaccordés en 1998 et 1999 ne dépasse pastrois cents par année. Il est cependant vrai queCeuta l’Espagnole, protégée de l’Afrique parde hauts murs grillagés que l’on croiraitimportés de la guerre froide, fait des envieux.Côté Maroc, ils sont là, par centaines, dans leplus complet dénuement, à guetter la faille, ledéfaut de surveillance qui leur permettra de seglisser dans l’enceinte de la ville. Une ville, unmur : une image, suffisamment forte, quisymbolise le passage de l’affrontement Est-Ouest vers l’affrontement Nord-Sud. Maisl’affrontement, n’est-ce pas justement cela quenous voulions éviter dans les années 80 avecla promesse faite par la France de porter à 1 %de son produit intérieur brut l’aide audéveloppement des pays les plus pauvres ?

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Vingt ans après ces déclarations de bonnesintentions, le constat est amer : l’aide de la Francea diminué de manière constante pour atteindreaujourd’hui 0,39 %. Et pourtant, notre pays reste lepremier donateur en Europe. C’est dire ! Au-delàdes éternelles rodomontades et nostalgieshistoriques teintées d’exotisme sur l’avenircommun de la Méditerranée, quelle pourrait être laperspective de développement proposée par lacommunauté européenne ?

Romano Prodi, le président de l’Union, écrivait, il ya quelques mois : « La politique de l’immigrationne peut être dictée par l’urgence, mais être conçuedans une optique à long terme, en pensant à cetensemble intégré de près de neuf cents millionsd’habitants que nous devons construire ».Pourtant, depuis 1986, dans des apparentementsterribles, la communauté n’aborde la question desmigrations que sous l’angle répressif et dans lamême enceinte que la lutte contre la grandecriminalité. L’Europe regarde vers l’Est. Cela estnécessaire pour la stabilité du vieux continent,mais cela ne saurait constituer une fuite, lanégation d’une partie de son histoire avec le Sud.

En refusant aujourd’hui d’organiser la demande decirculation émanant du Sud comme de l’Est, laCEE favorise par là-même la constitution deréseaux mafieux, entretient la confusion entre droitd’asile et migration économique. Si nous disonsque l’asile, droit de l’homme fondamental, est dansles pays du Sud de l’Union totalement bafoué, celane revient pas à désigner un bouc émissaire partrop commode. C’est un constat amer qui doitamener l’Europe à mettre en place une vraielogique de protection sur l’ensemble de sonterritoire.

Quant au co-développement, les réponses, mêmesi elles sont difficiles à mettre en oeuvre, sontconnues.

Nous savons que l’amélioration de la qualité de viedans les pays du Sud est une des conditions à lastabilisation des migrations.

La diminution de la croissance démographique enest une des clefs. Partout où le statut de la femmeprogresse, où des espaces d’autonomie et deliberté sont conquis, des progrès économiquessont visibles. Développement de micro-projets denature à fixer les populations, projets d’éducation àla santé, à la formation, mise en place demigrations alternées où le demandeur estforcément reconnu comme acteur dudéveloppement de son pays, valorisation del’épargne à destination du pays d’origine par lacréation d’outils spécialisés, micro crédits, sontquelques-unes des pistes de travail possibles.

Pour l’heure, il est urgent que l’opinionpublique européenne, que les responsablespolitiques prennent toute la dimension dudrame qui se joue à Tarifa, à Ceuta, maisaussi en Italie ou en Grèce.

Or, ce n’est pas simplement en interrogeant,en interpellant ces pays que nous pouvonsagir. Les graves atteintes aux droits del’Homme qui se déroulent à notre initiative auxfrontières externes de l’Europe nousinterpellent sur le modèle européen que nousvoulons construire. Seule une conférenceinternationale euro méditerranéenneréunissant l’ensemble des acteurs associatifset institutionnels des deux rives est de nature àrelever le défi d’un développement équilibré etde la mise en place d’une logique deprotection. Il convient de s’y atteler sanstarder.

A Sangatte, on a répété pendant trèslongtemps qu’il ne s’agissait pas dedemandeurs d’asile mais de gens qui voulaienttout simplement aller vers l’Angleterre et quemalgré les informations données à Sangatte,par l’OMI et par d’autres organisations, lesdemandes d’asile étaient extrêmementréduites.

Je me souviens d’une mission de l’OMI qui aabouti à une trentaine de demandes d’asile,rien de plus. Or, on constate que depuis 1mois où l’on parle d’une programmation defermeture de Sangatte, les demandes d’asileaffluent. Premier élément, vous en tirez lesconséquences que vous voulez. Je pense trèsclairement qu’à partir du moment où une sériede règles sont instaurées et une série de droitsaccessibles, l’entrée dans une demanded’asile est tout à fait possible.

Pour sortir de cette difficulté, il faut agir surtrois axes :

• Le premier c’est évidemment sur unepolitique d’asile plus généreuse. On nepeut pas continuer à avoir unepolitique d’asile et une machineadministrative en France qui produit90% de déboutés chaque année dontun certain nombre n’est nirégularisable ni expulsable. Il vautmieux avoir une politique d’asile plusgénéreuse avec peut être des règlesplus claires quand le retour estpossible et qu’il ne présente pas dedanger pour la personne et que tousles recours sont épuisés.

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• Deuxième élément, je crois qu’il fautpouvoir également agir sur les politiquesd’immigration. Il faut dire qui peut venir,quand, pourquoi faire et pour combien detemps. Il faut sortir de ce mythe del’immigration zéro.

• Enfin, chacun sait bien qu’une des sourcesdes migrations et qui sont un véritable défipour les 40 prochaines années, ce sontévidemment les inégalités Nord-Sud. Tantque l’on n’agira pas avec une politique dedéveloppement digne de ce nom, lesmigrations ne pourront que perdurer. Doncla solution pour une défense acharnée dudroit d’asile passe par ces trois éléments.

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Rapport d’enquête sur le centre deSangatte

Dominique NoguèresChargée de Mission

Ligue des droits de l’Homme

e dirais que Sangatte est à la fois quelquechose d’inédit pour les autorités françaises etd’inédit pour tous ceux qui s’occupent de la

défense des personnes qui migrent. Je n’utilisepas volontairement le mot de réfugié.

Il faut faire un petit rappel historique de savoirpourquoi Sangatte existe, comment s’est-il mis enplace, reportons nous quelques années en arrièreau moment de la guerre du Kosovo. Un certainnombre de personnes voulaient aller de l’autrecôté de la Manche et se sont retrouvées à Calais,dans les rues de Calais, à camper et à vivre dansdes conditions tout à fait choquantes etimpossibles à maintenir. Les autorités ont étéalertées et ont décidé, bon gré mal gré, après onestimera ou on discutera de la nécessité d'ouvrirce centre pour ne plus laisser des enfants dormirla nuit dehors dans des sacs poubelles pour seprotéger du froid, de permettre à des gens de nepas faire leur toilette dans les jardins publicsetc.….

Après de multiples péripéties, l’Etat car c’est bienl’Etat, a réquisitionné un hangar dont il a confié lagestion à la Croix-Rouge. C'est un hangarimmense qui servait d’entrepôt aux machinesdestinées à la construction du tunnel sous laManche. Evidemment cet immense hangar n’étaitpas du tout adapté à l’accueil de personnes devanty séjourner quelque temps.

Le premier décret de réquisition prévoyait l'accueilde 300 personnes. Les structures étaient faitespour y accueillir 300 personnes. Très rapidementce nombre a été dépassé.Nous en sommes aujourd’hui à une occupationmoyenne de 1.500 personnes par jour. C’esténorme. Les structures d’accueil à l’intérieur nesont pas faites pour 1.500 personnes. Ce quientraîne des dysfonctionnements graves, dessituations extrêmement choquantes que tout ceuxqui ont visité Sangatte ont pu constater malgrécertainement des tas de bonne volonté pouressayer de faire les choses au mieux. Lesconditions ne sont pas du tout celles que l’onpourrait imaginer pour accueillir autant depersonnes. Je cite un exemple : 14 douches, 14toilettes pour 1.500 personnes, etc.…..

Petit à petit, le nombre de personnes aaugmenté à l’intérieur du centre et surtout ladurée de séjour a augmenté. Parce que depuisdeux ans on a vu que les possibilités pourpasser en Angleterre par tous les moyens, parbateau, par le tunnel, ont été considérablementréduites.

Le site d’Eurotunnel, qui se trouve à 1,5 Km duhangar de Sangatte a un côté surréaliste : cesont des miradors, ce sont des barbelés avecdes lames de rasoirs, ce sont des rondes avecdes maîtres chien. C’est véritablementapocalyptique. Le paysage même a changécar pour être sûr de pouvoir débusquer lesfraudeurs qui voudraient aller sur le sited’Eurotunnel, on a rasé les arbres, rasé lesbosquets et transformé complètement lepaysage qui aujourd’hui n’a plus rien avoiravec ce qu’il était il y a un an. Ces mesures desécurisation ont coûté beaucoup d’argent etsont extrêmement impressionnantes. Lesrenforts de police aussi ont été mis en place àl’intérieur du port de Calais et dans les garesde Calais.

Si au début on pouvait « espérer » neséjourner que quelques jours dans le centre deSangatte et pouvoir passer rapidement enGrande Bretagne, force est de constaterqu’aujourd’hui les durées de séjours tournententre 4, 5 voire 6 semaines. Ce qui est assezlong. Du coup, M. Laacher en parleracertainement mieux que moi, le type depopulation a changé.

Pour ma part, les premières fois où j’ai été àSangatte, il y a 18 mois, j’y ai vu, etnotamment parmi les Kurdes, des famillesentières avec parents, enfants, grands-parents. Aujourd’hui il y a beaucoup moinsd’enfants, de femmes. Ce sont des hommesplus jeunes, plus capables de pouvoir résisterà un effort physique certain parce que si le sited’Eurotunnel n’est qu’à 1,5 Km, le port deCalais est à 7 Km et qu’il faut faire ces 7 Km àpied et si la tentative échoue, il faut refaire les7 Km dans l’autre sens et dans des conditionsévidemment de précarité totale.

Les personnes qui sont dans le centre portentles vêtements et les chaussures avec lesquelsils sont arrivés, et ils se retrouvent dans dessituations physiques assez délicates, avec denombreuses blessures au pied et d'autres.Une situation qui nous choque beaucoup, quinous interpelle et à laquelle, et je dois dire trèshonnêtement, personne n’est capable detrouver une solution.

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Ce que je peux dire clairement, c’est que lesautorités françaises à tous les niveaux(préfectures, Direction Départementale desAffaires Sanitaires et Sociales (DDASS) ou autres)sont consciencieusement et je diraisvolontairement absentes.

Je le dis très clairement. Il n’y a pas, par exemple,d’antenne pour les étrangers à la sous-préfecturede Calais donc il faut aller à la préfecture qui setrouve à Arras, à 110 Km. Je pense que quelqu’unqui a envie d’aller faire une démarche à lapréfecture se trouve dans l’impossibilité de le faireseul, il faut obligatoirement un accompagnementqui n'est pas toujours possible. Il y a eu destentatives, des gens sont venus à l’intérieur ducentre pour apporter quelques informations mais jeconsidère que cela n’a pas été suffisant.

Cette absence de l’Etat est ressentie de manièretrès négative par les structures, commeEurotunnel, qui se plaignent que l’Etat neremplisse pas son travail. Eurotunnel se plaintd’avoir eu à dépenser énormément d’argent poursécuriser son site parce que l’Etat ne fait pas lenécessaire pour empêcher les gens de passer. Lepréfet n’a pas l’air franchement de prendre lasituation bien en main, et à des étages supérieurs,aux deux ministères concernés, Ministère del’Intérieur et Ministère des Affaires sociales, onassiste à un renvoi de balle et un jeu de ping-pongpermanent et finalement personne ne prend dedécision.

S’ajoute à cela un autre problème, qui est celuides rapports avec les Britanniques qui ont unepolitique extrêmement ambiguë et qui ne facilitentpas les choses. C'est-à-dire que les migrants ontcette image, qui n’est pas forcement vrai d’ailleurs,que si on va en Angleterre c’est quand mêmemieux pour demander l’asile que de rester enFrance. Toutefois, les britanniques ne veulent pasque les gens passent. Mais ils ne font pas nonplus le nécessaire pour cela et font retomber sur lapartie française toute la question de la sécurité, dela police, etc…

Là on s’est rendu compte que dans lesdiscussions même au niveau des ministres del’intérieur, je parle de l’ancien gouvernement, il yavait une véritable incompréhension de part etd’autre et un certain blocage qui faisait quefinalement personne ne prenait de décision.

Aujourd’hui, Sangatte est un extraordinaire lieu denon droit. Moi je le qualifie comme ça. C’est unvéritable lieu de non droit. Les personnes qui sontdans ce centre n’ont aucun statut. Elles sont là,tout le monde le sait, on les connaît, on les voit, on

les voit aller, on les voit venir. Il faut aller voir lanuit comment ça se passe, les gens qui partentqui reviennent, la police ne fait rien, tout lemonde le sait et on n’agit pas. Je pense quec’est une situation qui effectivement ne peutpas durer. Parce que sur un plan purementd’accueil c’est absolument insuffisant.

Ensuite parce que ce n’est certainement pas lasolution pour l’avenir que d’avoir cet espèced’abcès de fixation avec des gens quis’agglutinent là sur cette falaise avec à portéede main les côtes britanniques qui sont si prèset en même temps si loin. Mais si je pense queon est au fond de nous tout à fait d’accord pourque Sangatte soit fermé, il serait, à mon avisaberrant de le fermer aujourd’hui s’il n’y a pasderrière quelque chose qui peut s'y substituer,non pas substituer Sangatte par un autrecentre mais par une autre politique quipermette à ces gens qui ont envie toutsimplement d’aller à un endroit où ils peuventtrouver de la sécurité, de la tranquillité, yélever leurs enfants, donner un avenir à leurvie et à leur famille.

Si aucune mesure n’est prise d'autres centrescomme Sangatte, s'ouvriront peut être pluspetit mais il y en aura d’autres parce qu’onn’empêche pas les gens de circuler, on nepeut empêcher les gens d’aller et venir… Onn'empêche pas l'eau de couler et ce n'estcertainement pas par des mesures drastiqueset ultra fermées que la situation de cespersonnes, qui cherchent un avenir meilleur,sera réglée.

Nos voisins belges se sont refusésobstinément à faire ce que le gouvernementfrançais a fait, c'est-à-dire à ouvrir un centre.Parce qu’ils savaient que ce serait un endroitoù, inévitablement, il y aurait des gens quiiraient parce que ça se sait qu’il y a, àSangatte, de quoi manger, de quoi dormir àl’abri même si les conditions que j’ai décritestout à l’heure sont tout à fait inadmissibles. Etcela se sait tout à fait en France aussi. J’aiplusieurs exemples de policiers, donc dereprésentants des autorités, qui quand ilsvoient des gens qui ne savent pas où aller, lesenvoient à Sangatte sachant que là, ils aurontun refuge pour quelque temps.

Donc c’est vrai que personne ne sait comments’y prendre avec Sangatte. Les seules chosesque l’on a entendues et qui m’inquiètentbeaucoup, ce sont les appels qui ont étélancés un peu par l’ancien gouvernement etsurtout par le nouveau, pour demander à toutprix à la Grande-Bretagne de changer sa

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politique et de s’aligner sur la politique européenneet bien entendu de s’aligner par le bas. C'est-à-dire de se fermer aussi puisque l’on considère quepuisque les Britanniques ont cette imaged’ouverture et d’accueil meilleure pour l’étrangerque nous, ils font un appel d’air et c’est que cetappel d’air qui fait qu’aujourd’hui il y a Sangatte.

On a de quoi s’inquiéter parce que, quand onregarde les projets qui existent actuellement enGrande-Bretagne comme le livre Blanc qui est entrain d’être mis en place, on peut effectivementcraindre que cela ne se produise.

Sangatte, j’y suis allée 8 fois, j’ai essayé decomprendre un peu comment cela se passait et j’aibien compris ce que vous avez dit et je suisd’accord avec vous, M. Pierre Henry, il y a eu trèspeu de demandes d’asile car je ne crois pas cec’est ça que les gens ont envie de demander. Maisaujourd’hui quand vous venez en Europe d’unautre pays, qu’avez-vous comme autre possibilitépour pouvoir espérer rester sur le territoire. Il n’yen a pas. Les politiques actuelles de délivranced’un titre de séjour en France sont telles quelorsque vous arrivez vous avez beaucoup dedifficulté à obtenir un moyen de pouvoir rester et àl’évidence encore plus pour travailler.

Ce sont les politiques hypocrites de l'Europe quiobligent tous ces gens à passer par la voie de lademande d'asile alors que ce n'est pas forcementce qu'ils souhaitent. Mais la situation étant ainsi, ilsfiniront quand même par demander l'asile car onne leur laisse aucun autre choix.

Je regrette qu’à Sangatte il n’y ait pas eu plusd’informations sur la possibilité de demanderl’asile. Je considère qu’on a eu beaucoup de

difficultés à discuter avec les gens et à êtrecertains qu’ils étaient au courant de toutes lesdémarches à faire mais c’est une idée que j’aicomme ça. Si aujourd’hui les demandes sontplus nombreuses, c’est peut être parce qu'il y aplus d’informations qu’il n’y en avait il y aquelques temps.

Je termine par un point important. Depuis queSangatte existe il n’y a eu aucun et je dis bienaucun acte de violence de délit ou de quoi quece soit vis-à-vis de la population locale. Lesseuls problèmes qu’il y a eu, ont été internesau centre. A l’extérieur du centre, il ne s’estjamais rien passé. Je crois que là aussi noussommes responsables lorsque nous diffusonsdes informations qui inquiètent la population, lemaire de Sangatte lui-même le reconnaît, il n’aeu à constater aucun délit, rien du tout.

Je crois que là aussi l’Etat est défaillant enn’ayant pas pu peut être tout simplement fairecomprendre à la population de Sangatte, queceux qui se trouvaient dans ce centre étaientdes gens qui étaient à la recherche d’unesécurité et d’un avenir meilleur et n’étaient pastout ce qu’on a lu dans les journaux, et toutparticulièrement récemment pendant cettecampagne électorale où on a lu tout etn’importe quoi sur Sangatte ce qui esteffrayant.

Il faudrait presque qu’il y ait un travailpédagogique pendant le temps où Sangattecontinuera d’exister pour faire comprendreque, finalement, ce sont des gens qui sont endemande d’un statut sécure et d’un avenir pourleur famille.

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Etude sociologique despopulations accueillies au centre

de Sangatte

Smaïn LaacherChercheur au Centre d’Etude des

Mouvements Sociaux (CEMS)

on thème sera le centre de Sangatte. Jevais tenter d’approfondir la réflexion sur cephénomène en vous précisant que ma

démarche doit être perçue comme une source deréflexion et non pas comme une série de positionsarrêtées et tranchées.

L’étude que j’ai menée a duré 8 mois. Cetteenquête a reposé sur 284 questionnaires et unecinquantaine d’entretiens approfondis. Je passeraisur les aspects techniques, les conditions del’enquête, ces différents aspects et d’autresdimensions mériteraient à eux seuls une réflexionsociologique en soi.

Je suis allé très régulièrement à Sangatte.Concrètement, j’ai essayé de vivre au plus près lesréalités des personnes de « passage » dans cecentre. J’ai donc dormi là-bas, et mangé, bu du thé(plus souvent que du café), etc., avec eux, sousleur tente ou dans leur cabine. Au cours de monétude, j’ai rencontré un problème nouveau etimportant lié à la confection des entretiens.L’entretien est un outil classique d’investigationpour le sociologue. Encore faut-il pouvoir le menerà son terme et pouvoir y revenir si nécessaire enrencontrant de nouveau (plusieurs fois danscertains cas) la personne interviewée. En ce quime concerne et dans la configuration de Sangatte,je rencontrais une personne le matin et en find’après midi celle-ci pouvait « disparaître » ;autrement dit réussir à « passer » en Angleterre.D’un point de vue méthodologique, le recueil et letraitement de l’information (entretien etquestionnaire), comme vous pouvez aisémentl’imaginer, pouvaient être plus ou moinsproblématiques.

Quelques précisions avant d’entrer dans le vif dusujet. Première précision : je n’ai pas enquêté surla manière dont le centre était dirigé ni sur lesconditions de travail du personnel de la Croix-Rouge. L’étude, comme formulée dans laConvention, portait sur les caractéristiquessociologiques des populations accueillies par leCentre de Sangatte. En réalité c’est Michel Derrdirecteur du Centre qui souhaitait mieux connaître

ces populations. Je rappelle que Michel Derrest sociologue de formation ; ceci expliquantcertainement cela.

Seconde précision, sans entrer dans lesdétails. Cette enquête je la perçois aujourd’huicomme une sorte de « pré-enquête » qui m’apermis de saisir et de comprendre un certainnombre de choses importantes mais qui asoulevé aussi et surtout des questionsnouvelles (le poids et le rôle de la famille dansle pays d’origine, le voyage, les « passeurs »,etc.), et de mon point de vue tout à faitessentielles. Pour approfondir ces nouvellesquestions ou ces nouveaux thèmes je démarreune étude, qui durera trois ans, financée par leFond social européen dans le cadre du projetEQUAL. Cette enquête portera sur l’arrivée etla fixation dans l'Union Européenne depopulations en provenance d’Irak, duKurdistan, d’Iran et d’Afghanistan ; mon terrainpartira de ces pays. Pour ces phénomènes ilimporte de tenir ensemble les figures del’émigration et de l’immigration.

Venons en à l’enquête sur Sangatte. Pour allertrès vite, il y avait une série de thèmes surlesquels il me semblait nécessaire de réfléchir.

Le premier thème concernait la questioncompliquée des motifs du départ. Qu’est ceque signifie partir pour longtemps ? A quoirenvoie pour chacun et pour tous l’acte departir. Ce point reste, pour l’essentiel, nonélucidé.

Le deuxième thème était de comprendre ce quise jouait dans ces voyages exceptionnels deces nouveaux « parias » ou de ces exilés à quion refuse les « bienfaits » du meilleur de lamondialisation (droit de circulation, etc.) ; maisla notion de « voyage » est une notion tropvague, trop floue, une terminologie tropcommode de mon point de vue. Plusprécisément, il me semblait important decomprendre quels étaient les effets réels,symboliques, d’un voyage effectué en touteillégalité sur l’identité des personnes. Le prixdu voyage, les pays de transit, la durée duvoyage, c’est important de le savoir ; mais ilfaut aller au-delà. La question fondamentaleme semble être celle-ci : qu’est ce quis’acquiert et qu’est ce qui se défait pour lapersonne au cours de cette expérience inédite.Par définition ces parcours ne réunissentaucunes des conditions favorables pourvoyager en toute sécurité ou avec le maximumde protection. Il me semble, c’est là une demes hypothèses, que ce type de « fuite »produit des effets irréversibles sur l’identité des

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personnes, sur les liens d’appartenance et qu’aubout du compte ce qui se modifie c’est la relationsau passé, au présent et à l’avenir. Un autre pointqui me paraît important à souligner et qui complètece que je viens d’aborder est cette posture trèsparticulière de la remise de soi au passeur durantce voyage illégal. Je n’ai malheureusement pas putravailler beaucoup plus cette question. Mais c’estla tâche à laquelle je vais m’atteler avec l’enquêtequi vient de démarrer.

Autre question posée lors de cette enquête : est-ce que les personnes qui sont parties de chezelles avaient un pays de destination finale ? Pourune minorité, je pense que oui. En me basant surdes indices objectifs et subjectifs, en testant lavéracité ou la vraisemblance du propos je peuxsans aucun doute dire qu’une minorité connaissaitle pays de destination finale (en l’occurrencel’Angleterre). Certains avaient de bonnes raisonsd’aller en Angleterre. En général, ici commeailleurs, on va là où on connaît du monde ; là ouon peut être aidé ; là ou on peut trouver, au moinsau début, une protection fiable.

Un mot maintenant sur le centre de Sangatte luimême. Ce centre dont la célébrité dépasse de loinles frontières de l’Union Européenne : en février2002, j’étais à Porto Allegre au Brésil et on m’aparlé de Sangatte. Sangatte est un phénomèneunique au monde. D’habitude, nous avons à faire,soit à des centres de rétention soit à des centresde détention. Autrement dit, des espaces fermésdont on contrôle institutionnellement l’entrée et lasortie. Ce n’est pas le cas du Centre de Sangatte :l’entrée et la sortie sont libres ; on n’effectuejamais aucun contrôle d’identité. Je ne sais pas sice sera toujours le cas. L’avenir nous le dira.

Une question est directement liée à celle-ci et dontl’enjeu politique est très important : le Centre deSangatte fonctionnerait comme un mécanismed’appel d’air. Je lisais dernièrement une dépêcheAFP du 25 juin 2002 qui relatait la rencontre entreMr Sarkozy et Mr Blunkett, ministre de l’intérieuranglais. Une phrase (je cite de mémoire) a étéprononcée par Nicolas Sarkozy qui en dit long surson aveuglement ou sa méconnaissance(largement partagé sur ces problèmes) à proposdes mécanismes historiques et sociologiques quigouvernent les mouvements de populationsforcées ou volontaires. La phrase est la suivante :« pour supprimer la cause fondamentale del’immigration clandestine il faut supprimerSangatte ».Cette relation de cause à effet n’a absolumentaucun fondement. Elle tout simplement fausse. En

1985/86, le centre de Sangatte n’existait pas.Cela n’a pas empêché de nombreux Kosovarsd’occuper l’espace public de Calais et devouloir aller en Angleterre. Notre étude amontré que la grande majorité des personnesne connaissait pas l’existence de Sangatteavant de partir de leur pays. C’est au cours duvoyage que ces exilés apprennent qu’on peuttrouver refuge dans un centre appelé« Sangatte ».

Je voudrais terminer mon intervention sur ladifférence entre la France et l’Angleterre àpropos de l’accueil des demandeurs d’asile.Tout d’abord une chose est incontestable :aucun de ceux qui arrivent à Sangatte neconnaît le droit d’asile français et anglais. C’estsimple : personne n’en n’a aucune idée, mêmepour les plus scolarisés et les plus cultivés.Alors la question se pose : si ces personne neconnaissent pas le droit d’asile français et ledroit d’asile anglais, comment peuvent-ilsadopter une posture de comparaison et dumême coup adopter une posture qui consiste àfaire un calcul en terme de coûts et de profitsentre les deux régimes juridiques ? Dans lesfaits, concrètement, en pratique, l’Angleterreest « mieux » que la France dans cescirconstances précises et pour ces populationsprécises. Ce n’est pas que la France refused’octroyer un certain nombre de « bienspremiers » (logement, travail, protection, etc.),mais à la différence de l’Angleterre elle metplus longtemps à les donner et de manièremoins systématique.

Nous sommes allés à Douvres plusieurs jourset nous avons vu comment étaient reçu lesdemandeurs d’asile ; je parle de ceux dont lademande d’asile avait été jugée recevable. Iln’y a pas de controverses sur les différencesentre la France et l’Angleterre en matièred’accueil ; là non plus je ne parle pas de laprocédure, du nombre de personnes qui sontacceptés ou déboutés. Je dis seulement quepour la population qui vient de Sangatte et quidemande l’asile en Angleterre les conditionsd’accueil sont nettement meilleures. Ilstrouvent ce qu’ils ne peuvent pas trouver àSangatte : un logement Et un logement c’estplus qu’un abri, c’est la première manifestationpolitique de la protection. Le logement signe,de la part du pouvoir d’Etat, une volontémanifeste de protéger. Ce n’est pas le cas enFrance.

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L’intégration des réfugiés kurdesen France

Chirine MosheniDocteur en anthropologie

epuis plus de dix ans le nombre de Kurdesqui fuient leur pays ne cesse d’augmenter.Parmi eux un nombre important de réfugiés

kurdes irakiens.(1)

Une partie d’entre eux s’est installée en France.Cet exposé porte sur l’intégration des réfugiéskurdes en France, particulièrement des Kurdesirakiens. Mais avant de parler de cette intégration,je trouve nécessaire de noter quelquesinformations globales sur la migration kurde enFrance.

1- Les Kurdes en France : aperçu généralL’arrivée des premières vagues de migrationskurdes en France remonte aux années 1965-1970.Il s’agit alors de travailleurs originaires de Turquiearrivés dans le cadre des accords bilatéraux entrela France et la Turquie signés en 1965. L’arrivéemassive de réfugiés politiques kurdes en Francese situe plutôt dans les années 1979- 80.L’instauration de la République islamique en Iranen 1979 suivi des affrontements entre les Kurdeset ce gouvernement et le coup d’Etat de 1980 enTurquie sont les causes principales de cet exil.

Par la suite la guerre irano-irakienne (1980-1988),le déclenchement de la guérilla du PKK (Parti destravailleurs du Kurdistan) à partir de 1984 suivi dela destruction de milliers de villages par l’arméeturque, les bombardements chimiques des régionskurdes en Iraq en 1988-89 et l'écrasement desrévoltes de la population irakienne en 1991 aprèsla guerre du Koweït, déplacent cette fois-ci denombreuses familles kurdes vers l'étranger.Ainsi, la part des Kurdes en France ne cessed'augmenter. La diaspora devient plus politisée etaffiche de plus en plus son identité kurde. Cettesituation a influencé les modalités d’intégration desfamilles kurdes.

Le nombre des Kurdes en France, toute catégorieconfondue, est estimé entre 120 000 à 150 000.(2)

Près de 90% d’entre eux sont originaires de laTurquie ; 10 % sont originaires d’Irak, d’Iran et deSyrie.

Près d'un tiers de ces Kurdes réside dans la régionparisienne. Une communauté est également

présente en Alsace, en Normandie et dansSud-Est .

Les Kurdes irakiens, notamment ceux desvagues de réfugiés de 1989 et 90, seregroupent au sud formant une ligne allant deClermont-Ferrand à St-Giron, en passant parMontauban, Albi et Toulouse.

Les Kurdes travaillent, en général, dans lebâtiment, le textile, l'industrie forestière, le petitcommerce et la restauration.

Parmi ces activités, la confection estconcentrée plutôt dans la région parisienne,surtout dans le triangleSentier/Sébastopol/République, dans les 10eet 11e arrondissements ainsi qu'à Belleville.De même, les activités en rapport avec larestauration et le commerce sont beaucoupplus importantes à Paris et en Alsacequ'ailleurs.

Les Kurdes irakiens, comme je l'ai déjàsignalé, ne représentent qu'une petite fractionde la communauté kurde en France.

Avant l'arrivée des réfugiés kurdes, rescapésdes bombardements chimiques, en 1989, ilsn’étaient que quelques centaines,essentiellement des réfugiés politiques issusdu milieu intellectuel ou des étudiants. (Tous,au Kurdistan, étaient déjà familiers avec laculture occidentale et la plupart vivaient enmilieu urbain). Nombre d'entre eux seregroupaient dans des associations d'artistes,d'écrivains ou dans des associations politiquesluttant pour leur cause nationale.

L'arrivée des réfugiés kurdes, en 1989, à lasuite des bombardements chimiques, achangé quelque peu ce schéma. A ladifférence des premiers réfugiés, ceux-ci sontcomposés de familles nombreuses et sontissus, dans leur majorité du milieu rural,particulièrement de la région du Badinan situéeau nord du Kurdistan irakien.

Avant leur arrivée en France, ils vivaientdepuis un an en Turquie dans des campssitués à la frontière entre la Turquie et l’Irak. Jevous rappelle que ces camps étaient installésen Turquie à la suite des bombardementschimiques au Kurdistan d’Irak en 1988. Cesbombardements avaient provoqué la fuite dedizaines de milliers de Kurdes vers lesfrontières dont ces familles faisaient partie.

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C’est à la suite de la visite de Mme Mitterranddans ces camps en avril 1989, que la Francedécide pour la première fois d’accueillircollectivement des familles kurdes sur son sol etde leur accorder le droit d’asile.

Ainsi entre août 1989 et avril 1991, dans le cadred’un programme d’accueil, 76 familles, soit environ600 personnes sont arrivées en France. Par lasuite, les regroupements familiaux, les mariages etles nouvelles vagues d'exil ont accru leur nombrequi est estimé actuellement de 6 à 8 000.

2- Le processus de l’intégrationComment ces familles se sont-elles adaptées à lasociété française ? Et quels sont les facteurs quiont facilité ou ralenti le processus de leurintégration ?Pour répondre à ces questions nous avons menéune enquête de terrain auprès de 23 familles(environ 180 personnes) que nous avons suiviesde 1991 à 1998 dans les villes d’Angoulême,Montauban, Albi, Troyes et Clamecy où elles sontinstallées. C’est surtout à travers les pratiquesquotidiennes de ces familles que nous avonsétudié leur adaptation à la société française.

Au terme de cette recherche nous avons constatéles faits suivants :

2.1- Premiers contacts et premierschangements : La présentation de soiLe souci de donner une image valorisante de soiet de ne pas paraître « étrange » aux yeux desFrançais a poussé la majorité des réfugiés àmodifier assez rapidement les éléments de leurculture qui s’exposaient à l’extérieur et lesdistinguaient. C’est le cas du vêtement qui estchangé assez rapidement chez la majorité d’entreeux.En arrivant en France, les Kurdes, femmes ethommes, portaient leur costume kurde. Un anaprès, la majorité d’entre eux s’habille àl’européenne.«Ne pas choquer », « ne pas paraître étrange »,sont des termes qui reviennent sans cesse dansles propos des réfugiés. S’habiller à l’européenneest considéré par eux comme une façon de semontrer semblable aux autres.Par contre, les comportements alimentairescomme tout ce qui est protégé par l’espaceintérieur et qui est donc moins visible, ont changéplus lentement.

2.2- Les différenciations sociales àl’intérieur de la communautéCependant ces changements ne sont pasréalisés de manière homogène chez lesréfugiés, mais sous une forme nettement

différenciée suivant l’origine sociale, le sexeet l'âge de chaque personne. Par exemple,les jeunes souhaitent davantage serapprocher des Français de leur âge et sedifférencient ainsi de leurs parents. Atravers l’école ils sont devenus plusfamiliers avec la culture française et semontrent attirés par ce monde extérieur.

Cependant cette attirance envers le«nouveau monde» ne les amène pas àrenier forcément leur identité d’origine.Nous remarquons souvent que desadolescents qui préféraient parler lefrançais à la maison et critiquer leurstraditions, ayant fondé eux-mêmes unefamille, changent d’attitude et emploient lekurde avec leurs propres enfants. Ainsi, cesjeunes, malgré les changements qu’ilssouhaitent apporter à leurs traditions, sesentent encore liés à leur culture d’origine.

Leur attachement à la société françaisen’en est pas moins grand. La France est lepays où ils vont vivre le restant de leur vie.Tous ont entamé une procédure denaturalisation et sont devenus Français.Comme disaient ces jeunes kurdes : ilssont devenus des Kurdes de France.

Parmi d’autres éléments qui ont joué sur leprocessus de l’intégration nous pouvons citerla communauté et les conditions de l’accueil.

2.3-Le rôle de la communautéVivre à l’intérieur de la communauté estsouvent considéré comme une entrave auprocessus de l’intégration. En fait lacommunauté, en exerçant des contraintes surles familles, joue un rôle important pourpréserver l’identité et conserver les traditionsface à la société d’accueil et ainsi elle peutrenforcer l’isolement des individus et ralentir leprocessus de l’intégration. Paradoxalement,nous constatons que la communauté, par saprésence, renforce l’entraide entre les famillespour surmonter les difficultés de l’exil commetrouver du travail, un logement et évitent ainsila marginalisation des familles les plusdémunies. Parallèlement, cette vie encommunauté génère également une certainerivalité entre les familles. L’acquisitiond’appareils électroménagers, l’achat d’unevoiture, disposer d’un travail deviennent lessignes valorisés de la réussite sociale àl’intérieur de la communauté.

La communauté joue donc un rôle ambivalent :d'un côté elle exerce sur les familles descontraintes en vue de perpétuer les traditionskurdes et conserver leur identité, et de l'autre,elle les encourage à participer au système de

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consommation de la société d’accueil, entraînantainsi des changements dans les modes de vie.

2.4- Les conditions d’accueilL’autre facteur, qui est très important et quipourrait faciliter le processus de l’intégration, c’estles conditions d’accueil des réfugiés.

Les réfugiés kurdes irakiens qui ont été accueillisen 1989 dans un cadre organisé par legouvernement français, en se comparant àd’autres demandeurs d’asile qui arriventactuellement sur le sol français, admettent qu’ilsétaient « des privilégiés » . L’accueil qu’ils ont reçuà leur arrivée a joué un rôle important dans lesrelations avec leur entourage.

Grâce à ce cadre organisé, ils n’ont pas connu lesproblèmes habituels des demandeurs d’asile. Ilsont obtenu assez rapidement leurs documentsadministratifs et ont suivi des cours de langue dèsleur arrivée en France. De même par la suite, ilsont été accompagnés par des équipes socialespour trouver un logement et un travail. Et surtout,ils ont eu le temps de se familiariser avec lesmodes de vie de la société d’accueil en passantpar une phase de transition qui a duré six mois.

Actuellement, d’après les nouvelles qui meparviennent régulièrement de ces familles, nouspouvons considérer leur intégration plus ou moinsréussie. La plupart d’entre eux travaillent et leursenfants ont eu une scolarisation normale ; certainsde ces enfants après avoir eu leur bac travaillentcomme technicien, menuisier, mécanicien ouesthéticien ; d’autres envisagent de rentrer àl’université.

En fait l’accueil c’est un instant primordial pourles réfugiés et les demandeurs d’asile ; c’est làque les premières images de la sociétéd’accueil prennent forme. C’est là aussi queles réfugiés peuvent faire le deuil de leurpassé et commencer à faire des projets pourleur avenir.

L’exemple de ces familles montre qu’unaccueil bien organisé pourrait les préparer àaffronter leur nouveau milieu et faciliter ainsileur intégration à la société d’accueil

Pour conclure, nous pouvons dire que lesmotifs de départ, les conditions d’accueil , lasituation familiale, le niveau socioculturel,l’âge, ont une influence forte sur les manièresde s’adapter à la société française. Chaqueindividu face aux changements imposés par lasociété d’accueil mène une stratégie différentesuivant que ces facteurs diffèrent.

----------Notes(1) En 2000, le Haut Commissariat des NationsUnies pour les Réfugiés, estimait que lesIrakiens constituaient la deuxième populationde réfugiés après les Afghans.(2) Malgré l’utilisation depuis quelques années(1990) par l’OFPRA de la mention « réfugiékurde de Turquie, d’Irak, d’Iran ou de Syrie, iln’existe aucune statistique officielle concernantle nombre de Kurdes en France

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Le statut des réfugiés et déplacés internesirakiens

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La législation européenne, lasituation des demandeurs d’asile

en Europe

Patrick DelouvinResponsable du service réfugiésAmnesty International – Section

française

l m’a été demandé de parler de la situation desréfugiés irakiens au travers de la législationeuropéenne. Avant d’aborder cette question, il

est sans doute utile de s’attarder quelques minutessur des rappels de définitions.

Tout d’abord, la question étant fréquemmentposée de la différence entre réfugiés « politiques »et réfugiés « économiques », il faut rappeler que leréfugié est défini par l’article 1 de la convention deGenève de 1951. La définition est valable danstous les pays puisque la convention de Genève estune convention des Nations Unies qui s’appliquede manière universelle. Le réfugié est unepersonne qui « craint » d’être persécutée en casde renvoi vers son pays et qui demande protectionà un autre pays : il est défini comme « la personnecraignant avec raison d’être persécutée (...) du faitde sa race, de sa religion, de sa nationalité, de sonappartenance à un certain groupe social ou de sesopinions politiques ». Le dernier de ces motifs estsouvent utilisé seul, beaucoup parlent alors duréfugié « politique » de manière un peu réductrice.En effet, en utilisant ce raccourci, les autres motifssont passés sous silence, comme la « religion » oul’« appartenance à un groupe social ».

A propos de l’Europe, il est nécessaire depréciser à quelle Europe nous allons nous référer.Il ne faut pas confondre le Conseil de l’Europeregroupant 43 ou 44 pays et l’Union européenneréunissant quinze Etats membres, bientôt 20, unpeu moins ou plus. Quinze Etats membresengagés dans un processus de rapprochement deleurs politiques. Le projet est un beau projet,supprimer les contrôles à nos frontières. Cettesuppression des contrôles aux frontières« intérieures » amène ces 15 Etats membres à« harmoniser », plutôt à « rapprocher », un certainnombre de pratiques, comme la monnaieeuropéenne l’Euro, dans un grand nombre dedomaines. Cependant, l’ouverture des frontières« intérieures » à l’Union s’est toujoursaccompagnée d’un renforcement des contrôlesaux frontières « extérieures ». Les personnes quiarrivent à entrer sur le territoire commun ont des

avantages, elles peuvent se déplacer pluslibrement au sein de l’Union, mais il est plusdifficile d’entrer sur le territoire commun, lescontrôles sont chaque jour plus nombreux,également pour les personnes qui fuient lespersécutions et cherchent une protectioninternationale.

Schengen. Le groupe de Schengen regroupeaussi quinze pays mais la composition estdifférente de celle de l’Union européenne.Schengen est constitué des Etats membres del’Union à l’exception de la Grande-Bretagne etde l’Irlande auxquels s’ajoutent l’Islande et laNorvège. Pour suivre les questionseuropéennes de rapprochement des politiques,il faut suivre à la fois ce qui se passe dans legroupe de Schengen et au sein de l’Unioneuropéenne. A la différence du Conseil del’Europe, l’Union européenne mène un travailde rédaction d’actes contraignants, hier deconventions ou de positions communes,aujourd’hui de directives et de règlements quivont s’appliquer demain dans les quinze Etatsmembres. C’est un travail très important àsuivre car ce qui va s’appliquer demain,notamment pour les questions d’asile et decontrôle des flux migratoires, se construitaujourd’hui entre les fonctionnaires et lesministres, en général ceux de l’Intérieur.

Ce travail de rapprochement est complexe. Eneffet, au moment où les Etats travaillent entreeux à rédiger des normes communes àappliquer demain pour l’asile et le contrôle desflux migratoires, les uns et les autres modifientleur législation nationale. En ce moment,l’Angleterre, l’Allemagne, le Danemark,l’Espagne, l’Italie. Quant à la France, lePremier ministre, M. Raffarin, a annoncé uneprochaine révision du dispositif du droit d’asilepeu de temps après sa nomination. Nousespérons dans le bon sens, l’histoire nous ledira, les associations sont attentives etvigilantes. Ainsi, au même moment, les mêmesfonctionnaires ou ministres des Quinzeessaient d’harmoniser leurs politiques et leurspratiques et, chacun de son côté, notammentau rythme des changements degouvernements, ils modifient leur législation auniveau national individuellement, égoïstementaurais-je tendance à dire. Ce travail rendrabien sûr encore plus compliqué le travaild’harmonisation.

Quelques statistiques. Très peu d’Irakiensdemandent l’asile en France : ces cinqdernières, à peu près 250 demandes par an.Au niveau de l’Union européenne, ils sont plusnombreux. Les Irakiens vont plutôt aux Pays-

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Bas, en Grande-Bretagne, en Allemagne. Pourl’Union, selon le HCR, les demandes sont passéesen 1992 de 11.000 à 15.000 en 1995, 22.000 en1996, 35.000 en 1997, 33.000 en 1998, 30.000 en1999, 35.000 en 2000 et 39.000 en 2001. Très peuen France et une légère augmentation cesdernières années au niveau de l’Unioneuropéenne.

L’exemple du centre de Sangatte et des arrivéesd’Irakiens en Europe peut servir pour présenter lerapprochement des politiques d’asile des Quinze,les mesures qui se préparent pour demain. Il y aprincipalement 4 grands domaines en coursd’harmonisation.

Le premier, le processus de la Convention deDublin, traite de la répartition des demandeursd’asile parmi les quinze Etats membres. L’objectifétait double : pour chaque demande d’asile,n’autoriser qu’un seul examen au sein de l’Unionet fixer des critères pour déterminer quel Etatmembre serait « responsable » de cet examen.L’idée étant de responsabiliser les Etats membresdans la remise de visas et de titres de séjour oudans le contrôle des frontières extérieures, chacunmenant ces tâches au nom de tous du fait de lasuppression des contrôles aux frontièresintérieures. Dans les travaux sur la proposition dedirective qui va remplacer la Convention de Dublin,ou Dublin II, il y a une incidence de Sangatte, laGrande-Bretagne veut supprimer toute possibilitéd’un nouveau « Sangatte ». Un article de laproposition vise à rendre responsable de l’examend’une demande d’asile l’Etat membre qui auraittoléré l’étranger en situation irrégulière plus dedeux mois. Aujourd’hui, la Grande-Bretagne nepeut demander à la France de réadmettre lesKurdes irakiens qui ont transité par Sangatte, ellene peut en effet établir que c’est la France qui leura permis d’entrer sur le territoire commun del’Union. Demain, avec ce nouvel article, ellepourrait demander à la France de prendre sesresponsabilités. Autant dire que la France ne veutpas de cet article. Les négociations continuent,résultat escompté pour la fin de l’année.

Deuxièmement, les Quinze projettent d’harmoniserles conditions d’accueil. Quelles seront lesconditions d’accueil demain dans les quinze Etatsmembres de l’Union ? Les difficultés d’accueilaujourd’hui en France sont nombreuses pour lesdemandeurs. Selon Smaïn Laacher, elles sontobjectivement meilleures en Grande-Bretagne. LesQuinze voudraient réduire cet écart et avoir à peuprès le même niveau de prise en charge partout.Est-ce que la France va se hisser au niveau de laGrande-Bretagne ou est-ce que la Grande-Bretagne va « s’harmoniser » au niveau de laFrance. C’est bien là tout l’enjeu

malheureusement, le risque d’uneharmonisation par le bas.

La proposition de directive sur les conditionsd’accueil des demandeurs d’asile a été adoptépar les quinze ministres en avril.Malheureusement, le niveau a été réduit.Prenons un exemple lié à Sangatte.Aujourd’hui il est souvent affirmé que lesdemandeurs d’asile irakiens ou afghansprésents à Sangatte veulent aller en Grande-Bretagne car ils pensent y trouver demeilleures conditions et le droit au travail. Onse demandait comment cet aspect serait traitédans le texte des Quinze : est-ce que le droitau travail allait être accordé pour tous lesdemandeurs, dans les quinze pays, ou pouraucun, dans aucun pays ? Et bien nous ne lesavons toujours pas. Ce sera chacun pour soi.Les Quinze n’ont pas réussi à se mettred’accord et ce texte traitant des conditionsd’accueil, pour lequel nous espérions, sansrêver non plus, une bonne harmonisation, estresté muet sur le droit au travail desdemandeurs d’asile. L’article stipule quechaque Etat membre fera ce qu’il veut. Ainsipas d’harmonisation sur ce point là. Pourtant,les Quinze affirmaient que pour supprimer lephénomène Sangatte, il fallait offrir desconditions similaires dans les divers pays.

Troisième aspect du droit d’asile à harmoniser,les procédures d’asile. Quelles seront lesprocédures de demain ? Est-ce qu’undemandeur dont la demande est rejetée enpremière instance pourra systématiquement faire un recours ? Est-ce que, pendantl’examen de ce recours, il pourra rester sur leterritoire du pays ; en d’autres termes, est-ceque son recours sera suspensif ? Autre enjeudu texte en cours de discussion parmi lesQuinze : comment accéder à la protection dustatut de réfugié ? Est-ce qu’avant de venirdemander l’asile en France, la possibilitéexiste de se réfugier ailleurs ? Il s’agit de lanotion du pays « tiers sûr ». Par exemple, lesIrakiens qui viennent en Europe via la Turquiene peuvent-ils pas y rester demander l’asile ?Ce pays n’est-il pas un pays tiers « sûr » ? Lerisque existe que l’Europe décide d’empêcherdemain des demandeurs d’asile, parmilesquels des Irakiens, de faire enregistrer unedemande d’asile sur son territoire, l’Europeconsidérant qu’ils pouvaient demanderprotection ailleurs, dans un autre pays qualifiéde pays « tiers sûr ». Ceux qui connaissent lasituation de la Turquie, notamment sonapplication de la Convention de Genève,s’inquiètent, ils savent en particulier que laTurquie refoule des Irakiens vers l’Irak.

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Quatrième thème : qui est réfugié ? Les Quinzeessaient de rapprocher leur interprétation de ladéfinition du réfugié de la Convention de Genève.Un des points en discussion concerne la possibilitépour une personne de trouver une protection ausein de son propre pays, dans une autre régionque la sienne. Le risque existe que les Quinzeconsidèrent que cette possibilité empêche cettepersonne de déposer une demande en Europe.On parle de « l’alternative de la protection àl’intérieur de son pays ». Un enjeu pour lesIrakiens. Les Kurdes irakiens sont ils protégésdans le Kurdistan irakien ? Certain y sont pourtantmenacés et ils ont le droit de demander l’asile endehors de leur pays parce qu’ils peuvent encourirdes risques s’ils sont renvoyés dans cette région.Ils doivent avoir le droit de demander l’asile enEurope. Un autre exemple, les Tamouls du SriLanka. S’ils sont menacés dans une région àmajorité cinghalaise, ne peuvent-ils se réfugierdans la partie intérieure de l’île à majoritétamoule ? C’est un enjeu du texte en discussionactuellement qui nous inquiète beaucoup, le droit àl’asile risque d’être supprimé pour beaucoup dedemandeurs.

Voilà pour les quatre principaux textes en cours dediscussion au niveau de l’Union européenne dansle domaine de l’asile, applicables demain auxIrakiens mais aussi aux autres nationalités. Lespersonnes qui s’intéressent à la situation desIrakiens et de l’Irak doivent être vigilantes sur lecontenu de ces travaux.

Accès à l’Europe. Dans le domaine de l’asile, il ya un autre aspect essentiel, l’accès desdemandeurs au territoire commun. Lors dusommet de Séville, les Quinze chefs d’Etat et degouvernement ont envisagé de renforcer lapression sur les Etats les plus pauvres, les Etatstiers. Certains envisageaient même de prendredes sanctions à l’encontre de ceux de ces Etatstiers qui ne protégeraient pas suffisamment notreEurope riche. Il est en fait demandé deux choses àces pays : mieux contrôler les flux de migrationsvers l’Europe et reprendre des étrangers qui sonten situation irrégulière chez nous et qui auraienttransité par leur territoire, au moyen des « accordsde réadmission ». Ainsi, un Irakien est passé parla Turquie avant de venir en Europe, la Turquiedevrait le réaccepter et en faire ce qu’elle veut ; unAfghan est passé par le Pakistan, le Pakistandevrait le réadmettre.

De nombreuses mesures sont discutées par lesQuinze pour améliorer le contrôle des fluxmigratoires ; visas, sanctions aux transporteurs, …Des mesures visant en fait à déplacer lesfrontières. Les contrôles de l’Union européenne ne

se font plus seulement à Roissy, Francfort,Heathrow ou dans les aéroports ou auxfrontières de l’Europe, des contrôles se font deplus en plus en amont. Les « fonctionnaires deliaison » se généralisent mais il est difficiled’avoir des informations du ministère del’Intérieur sur cette fonction peu connue. Nosfonctionnaires européens, de police oud’immigration, vont en amont, dans les paystiers, à Bamako, peut être à Istanbul un jour,faire des contrôles à la place desfonctionnaires des pays concernés. Sous-entendu « nous ne vous faisons pas confiance,à vous autorités turques, ou à vous paysafricains, vous ne faites pas correctement lescontrôles ; nous, nous savons détecter les fauxpasseports. Vous avez des excuses, nos visaset nos législations ne sont pas très connus,nous allons vous faire des formations,notamment pour bien détecter les fauxdocuments, nos fonctionnaires de liaisonpeuvent même faire les contrôles à votreplace ».

Malheureusement, il ne faut pas oublierl’activité des passeurs. Leur activité ne selimite pas à aider des personnes à entrer enEurope, ils sont aussi à l’intérieur de l’Europe.Ils sont à Sangatte, là où il y a un abcès defixation, là où il y a une difficulté. Ils seprécipitent parce qu’il y a des dollars àprendre. Mais les passeurs sont surtout dansles situations où des réfugiés ou des migrantscherchent à fuir. Comme il est de plus en plusdifficile de fuir légalement, beaucoup de ceuxqui veulent fuir sont obligés de fuir illégalementet des gens sont là pour les y aider, pour sefaire de l’argent à leurs dépensmalheureusement. Les passeurs fleurissentdans le monde entier. Des bateaux sombrent,des gens se noient parce que les passeursleur font prendre des risques pour empocherl’argent.

Plans d’action Irak. A nouveau, au sujet desIrakiens, il faut mentionner un aspect de laconstruction de l’Union européenne de l’asilemais surtout du contrôle des flux migratoires.En janvier 1998, les Quinze ont adopté un pland’action sur l’Irak. L’idée était qu’il fallaitcontrôler l’arrivée des Irakiens en Europe. Undocument du 12 mars 1999 transmis auConseil des ministres de l’Intérieur mentionneque le résultat de ce plan a été de « stabiliserle nombre de demandeurs d’asile et demigrants illégaux de cette région ».Conséquence, le plan d’action peut bloquer lesfrontières. Ce document affirmait également,de manière très claire, qu’un des paysstratégiques pour le contrôle des flux d’Irakiens

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est la Turquie et que Union européenne doitentretenir des relations étroites avec ce pays tiers.Les actions menées par l’Union vis à vis de laTurquie et d’autres pays de la région étaientprécisées : tenue de nombreuses réunions àBruxelles et Ankara, échanges sur la possibilité defuite interne dans la partie nord de l’Irak, échanged’informations sur les moyens employés par lesIrakiens pour arriver en Europe et les possibilité derenvois, possibilité de signer des accords deréadmission, etc.

Ensuite, le groupe de haut niveau Asile etmigrations a été créé, en décembre 1998, et lesfonctionnaires des Quinze de ce groupe ont pris lerelais. Ce nouveau groupe a une mission double :maîtriser le nombre de personnes qui arrivent enEurope et s’attaquer aux causes des fluxmigratoires. Il est essentiel de s’attaquer auxcauses, les gens ont rarement envie de partir dechez eux, beaucoup partent contraints et forcés,poussés par la violence, le mal développement ...Le groupe de haut niveau devait mener cettedouble action. Malheureusement, comme lereconnaissait de manière claire un fonctionnairedu ministère de l’Intérieur, il est plus facile demettre davantage de policiers européens à nosfrontières et d’empêcher ainsi les flux migratoiresque de demander aux Etats oppresseurs destopper l’oppression. Ainsi, il y a eu undéséquilibre entre les deux missions du groupe dehaut niveau. Il y a eu un effort accru sur lescontrôles des filières et des arrivées mais très peud’action sur la suppression des causes de fuite.Les Quinze, quand ils ont créé ce groupe, ontchoisi six régions mondiales comme expérience detravail. Parmi les six pays, il y avait l’Irak. Ils ontpréparé des « plans d’actions » sur ces six régionsmondiales : Somalie, Sri Lanka, Albanie/Kosovo,Maroc, Afghanistan et Irak. Le plan d’action Irak deseptembre 1999 contenait une analyse de lasituation dans ce pays, dans la région etenvisageait des mesures à mettre en place.Ensuite ils ont parlé de budget. Les mesures àmettre en place les plus nombreuses visaient

malheureusement à mieux contrôler les flux,mieux dialoguer à nouveau avec la Turquiepour qu’elle aussi contrôle mieux les flux etaide à stopper ce flux d’Irakiens vers l’Europe.Une note de novembre 2000, rédigée pour leSommet de Nice, mentionnait quelquesprogrès notamment pour les échanges avec laTurquie. Elle reconnaissait que les planspouvaient apparaître comme s’intéressantessentiellement aux aspects de sécurité etrecommandait des efforts pour supprimer cedéséquilibre. Cette crainte est à nouveauexprimée dans un document d’octobre 2001.

Pour conclure, il est nécessaire de suivre lesquestions européennes, conditions d’accueil,procédures d’asile, etc…. C’est une tâcheimportante et essentielle. Pour toutes cesmesures discutées par les Quinze pour mieuxcontrôler les flux vers l’Europe, il faut arriver àconnaître le contenu des textes et le calendrierde négociation et d’application, il faut analyser,comparer et examiner les enjeux, il fautidentifier les négociateurs, à Bruxelles, à Pariset dans les autres capitales, il faut essayer dedialoguer, de faire du lobbying en seconcertant avec les autres lobbyistes et deconvaincre. Beaucoup de ces mesures visenttrop souvent à empêcher les demandeursd’asile ou les autres migrants d’arriver. C’estun challenge qu’il est difficile de relever maisnous devons nous y efforcer. L’Europe dedemain se construit ici et maintenant, cestravaux auront des conséquencesdéterminantes sur le futur de l’Europe élargieet des répercussions dans le monde entieraussi.

------------Note

(1) La définition contient également desclauses d’exclusion et de cessation.

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Recommandations

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RECOMMANDATIONS

Bakhtiar AminDirecteur d’Alliance Internationale pour la Justice

A la fois pour la communauté internationale, les pays arabes et l’Union Européenne.

Pour la communauté internationaleNous souhaitons qu’elle protège et qu’elle respecte le droit d’asile et qu’elle traite humainement lesdemandeurs d’asile irakiens

Nous recommandons que le gel des avoirs irakiens et une partie des fonds du programme « Pétrolecontre nourriture » soient consacrés à l’aide aux déplacés et réfugiés irakiens.

La communauté internationale est invitée à aider l’administration kurde d’Irak et les ONG qui ytravaillent pour contribuer au développement de la région afin de diminuer l’exode des demandeursd’asile

Nous recommandons au HCR de prendre des mesures de sécurité nécessaire pour protéger laconfidentialité des demandeurs d’asile irakiens.

Pour les pays arabesNous souhaitons que les pays arabes arrêtent toute expulsion et refoulement des réfugiés irakiensvers l’Irak et le Kurdistan irakien et qu’ils mettent fin aux activités des services de renseignementsirakiens coupables d’intimidation, de harcèlement, d’enlèvement et d’assassinats des réfugiés et desopposants irakiens établis dans le monde arabe.

Nous recommandons également aux pays arabes de signer et de ratifier la Convention de Genève de1951 et le Protocole Additionnel de 1967.

Pour l’Union EuropéenneNous lançons un appel à l’Union Européenne afin qu’elle consacre une partie de son aide humanitaireà l’Irak pour les réfugiés et déplacés irakiens. Sachant que l’aide qui transite par le gouvernementirakien ne parvient pas aux populations auxquelles elle est destinée.

Vu les graves violations des droits de l’homme en Irak l’UE doit traiter humainement les demandeursd’asile irakiens. De plus, l’UE doit inclure l’Irak dans la liste des 29 pays prioritaires dans l’attributionde l’aide en y incluant plus particulièrement le Nord du pays et la diaspora irakienne

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RECOMMANDATIONS

Driss El Yazami (FIDH)Synthèse des travaux

a première idée qui ressort des interventionsde cette journée est une confirmation descauses proches ou lointaines de la demande

d’asile irakienne à travers le monde. Deséclairages très intéressants sur ces causes ont étéapportés à divers moments de la conférence.

On retiendra en premier lieu la permanence de laterreur en Irak, terreur récurrente etparticulièrement marquante. Pour quelqu’un quimilite à la FIDH ou dans n’importe quelle ONG, lafréquentation du despotisme et de la violation desdroits de l’Homme est quelque chose d’un peuhabituel mais l’ampleur des violations des droits del’Homme pratiquées par le régime de SaddamHussein est quelque chose qui ne peut pas ne pasfrapper. On comprend dès lors l’ampleur des fluxet la fuite des victimes.

Un deuxième élément s’ajoute au premier. Lesconflits que ce pays a connu ont occasionné unexode important des populations irakiennes.Plusieurs témoignages ont mis l’accent sur lapremière guerre irano-irakienne et la deuxièmeguerre du Golfe amorcée lors de l’invasion duKoweït. A cet égard, outre les victimes irakiennesde la deuxième guerre du golfe qui ont fui le pays,d’autres populations ont également souffert de ceconflit. On estime que plus de 250 000Palestiniens ont dû fuir le Koweït après salibération et que plus de 600 000 Egyptiens ont étéchassés d’Irak pour punir l’Egypte d’avoir choisi lecamp des « alliés ». Ainsi, au total, si on y ajouteles Kurdes et les Chiites, c’est près de 3 millionsde personnes qui ont dû fuir la zone ou qui ont étédéplacées par les effets de la deuxième guerre duGolfe.

La troisième cause essentielle de la demanded’asile provient de la politique systématique etcontinue des pouvoirs irakiens successifs depuisles années 30 de négation de la diversité de l’Irak.On retiendra les interventions sur la politiqued’arabisation et sur les déportations des KurdesFeyli. D’évidence, ce n’est pas le seul pays decette région du monde qui refuse sa diversitéculturelle, ethnique, linguistique et où les régimesont essayé de la réduire par la force, le

despotisme et la terreur mais l’Irak est un casextrême où sous le couvert d’une politiquepan- arabe, il y a la négation des droits del’être profond du pays.

Il s’agit, me semble-t-il, des trois causesessentielles à l’origine des départs de l’Irak etde la demande d’asile irakienne de par lemonde. Mais, il faut également considérer lacombinaison de ces facteurs qui engendrentun certain nombre de déplacements internesen Irak même, dont certaines interventions ontillustré l’ampleur.Le rapport de la FIDH sur Réfugiés etdemandeurs d’asile non-Palestiniens au Liban,et les interventions sur la situation en Iran, enJordanie, en Syrie, au Liban et en ArabieSaoudite démontrent la vulnérabilité touteparticulière de la situation des demandeursd’asile et des réfugiés irakiens dans les paysde premier accueil. Or, ces pays qui entourentl’Irak et qui accueillent une partie significativedes demandeurs d’asile irakiens, cumulentplusieurs points communs : une situationpolitique autoritaire voire despotique ; uneadhésion toute relative aux principauxinstruments de protection des droits del’Homme et des réfugiés (deux pays parmi lesquatre n’adhèrent pas à la Convention deGenève) ; une situation économique et socialedifficile si l’on accepte l’Arabie Saoudite. Cespays sont confrontés à des problèmes internesqui sont réels et graves, et qui ne sont passimplement un prétexte pour rejeter l’étranger.Certains d’entre eux connaissent unedépendance directe ou indirecte vis-à-vis durégime irakien, qu‘elle soit géopolitique oudirectement économique.

La situation des demandeurs d’asile et desréfugiés irakiens dans ces pays proches del’Irak est véritablement préoccupante.

La première conclusion de ce séminaire estque d’évidence pour les ONGs et lesassociations se pose le défi de la protectiondes réfugiés dans ces cinq pays . On constateque peu d’associations locales de défense desdroits de l’homme sont prêtes à occuper ceterrain, soit parce qu’elles sont trop faibles,réprimées ou qu’elles ont énormément à fairesur le plan interne : la question de l’étranger,du demandeur d’asile n’apparaît pas commeprioritaire. Nous l’avions constaté au Liban etc’est pourquoi nous avions dépêché cettemission.L’autre phénomène qui se greffe sur lafaiblesse de la défense de ces réfugiés dansces sociétés pauvres procède de la situation

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Conférence internationale sur les réfugiés et déplacés irakiens / 4 juillet 2002___________________________

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parfois très compliquée des antennes du HCR,autour desquelles se développe toute une série dedysfonctionnements.

A cette étape, il convient d’évoquer le problèmedes passeurs, phénomène dont il faut constater unnet développement. Aujourd’hui, on estime entre15 à 20 milliards (chiffre à prendre avecprécaution) le profit tiré par ces trafics. Il s’agitd’une masse monétaire importante, qui représenteun peu plus du tiers de l’ensemble de ce que lesimmigrés envoient dans leur pays.

Patrick DELOUVAIN et d’autres intervenants onttraité de ces tentatives d’harmonisation régionalequi voient le jour au niveau de l’Union européenneet tous conviennent qu’il faut suivre avec attentionles développements actuels. Néanmoins, les payseuropéens ont encore beaucoup de mal àrenoncer à leur souveraineté sur cette question Leprocessus de mise en place d’une politiquecommune reste très complexe, car les payseuropéens résistent beaucoup sur ce terrain.

Aujourd’hui les réfugiés irakiens constituent ladeuxième population de demandeurs d’asile et deréfugiés dans le monde après les Afghans. Cen’est pas un hasard et les causes à l’origine de cephénomène sont celles que l’on a décritesaujourd’hui. Il y a donc bien une spécificitéirakienne. On peut espérer que s’il y a unetransition démocratique en Irak ainsi qu’uneimplication de la communauté internationale plusimportante et plus désintéressée dans la situationpolitique irakienne le phénomène de la demanded’asile irakienne diminue considérablement. Leproblème des réfugiés et demandeurs d’asile

irakiens peut être réduit par une transitiondémocratique et une gestion de cette diversitéplus harmonieuse et plus appropriée.

Il faut prendre conscience que ce qui se passeen Irak, fait partie d’un phénomène plus large :une mondialisation des flux migratoires. Laquestion qui se pose est de savoir commentapporter un soutien, une défense, uneprotection aux demandeurs d’asile dans lespays du Sud. L’Union européenne et les paysdéveloppés continuent d’attirer des millions etdes millions de personnes, cela ne peut êtrenié. D’évidence, ces pays ont une capacitéd’attraction, d’attirance qu’ils vont garder pourlongtemps mais cela ne veut pas dire quetoute la misère du monde va débarquer sur lesrives de Europe ni des Etats-Unis, bien aucontraire, les flux migratoires et dedemandeurs d’asile d’aujourd’hui n’ont rien àvoir par rapport aux flux migratoires d’origineeuropéenne. Comparé aux départs desEuropéens du 19ème siècle et de la premièremoitié du 20ème siècle, les flux actuels sontrelativement mineurs. Il n’empêche quel’Europe et les pays développés vont continuerd’attirer une partie de ces migrants mais enmême temps, de plus en plus, pour demultiples raisons, les demandeurs d’asilerestent au Sud dans des pays pauvres,dépourvus souvent de toute possibilitéd’accueil réelle et dans des sociétésdespotiques et autoritaires. La protection deces demandeurs d’asile est donc une destâches qui est devant nous et qui se pose avecacuité.