32
COMPTER LES INDIENS (Bolivie, Mexique, Etats-Unis) Jean-Pierre Lavaud, Françoise Lestage Presses Universitaires de France | « L'Année sociologique » 2005/2 Vol. 55 | pages 487 à 517 ISSN 0066-2399 ISBN 9782130553120 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2005-2-page-487.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Jean-Pierre Lavaud et Françoise Lestage, « Compter les indiens. (Bolivie, Mexique, Etats- Unis) », L'Année sociologique 2005/2 (Vol. 55), p. 487-517. DOI 10.3917/anso.052.0487 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. © Presses Universitaires de France

Compter Les Indiens

Embed Size (px)

DESCRIPTION

RÉSUMÉ. — Au nom de quoi identifie-t-on et compte-t-on les « Indiens » dans les Amériques ? Cet article se fonde sur les recensements effectués en 2000 et 2001 aux États-Unis, au Mexique et en Bolivie. En décrivant quelques-unes des batailles provo- quées par le comptage des Indiens, les auteurs soulignent leurs liens indissolubles avec des enjeux politiques et suggèrent que des catégories comme l’ethnie et la culture – qui mar- quent apparemment un progrès dans la connaissance – ont transformé les recensements en pièges introduisant des classifications abusives, renforçant les préjugés et provoquant éventuellement des conflits.

Citation preview

  • COMPTER LES INDIENS(Bolivie, Mexique, Etats-Unis)Jean-Pierre Lavaud, Franoise Lestage

    Presses Universitaires de France | L'Anne sociologique 2005/2 Vol. 55 | pages 487 517 ISSN 0066-2399ISBN 9782130553120

    Article disponible en ligne l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2005-2-page-487.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Jean-Pierre Lavaud et Franoise Lestage, Compter les indiens. (Bolivie, Mexique, Etats-Unis) , L'Anne sociologique 2005/2 (Vol. 55), p. 487-517.DOI 10.3917/anso.052.0487--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution lectronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. Presses Universitaires de France. Tous droits rservs pour tous pays.

    La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votretablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manireque ce soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueur enFrance. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.

    Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • COMPTER LES INDIENS(BOLIVIE, MEXIQUE, TATS-UNIS)*

    Jean-Pierre LAVAUD et Franoise LESTAGE

    RSUM. Au nom de quoi identifie-t-on et compte-t-on les Indiens dans lesAmriques ? Cet article se fonde sur les recensements effectus en 2000 et 2001 auxtats-Unis, au Mexique et en Bolivie. En dcrivant quelques-unes des batailles provo-ques par le comptage des Indiens, les auteurs soulignent leurs liens indissolubles avec desenjeux politiques et suggrent que des catgories comme lethnie et la culture qui mar-quent apparemment un progrs dans la connaissance ont transform les recensementsen piges introduisant des classifications abusives, renforant les prjugs et provoquantventuellement des conflits.

    ABSTRACT. In the name of what have been identified and counted the AmericanIndians ? This paper is based on census carried out in 2000 and 2001 in the United States,in Mexico and in Bolivia. Describing some of the battles induced by the Indians recko-ning, the authors emphasize their indissoluble links with politics and public policy. Basi-cally they suggest that categories such as ethnicity and culture who seems to be greatscientific strides have changed census into traps as they introduce wrong classifications,back up preconceived opinions and may give rise to conflicts.

    Grard Noiriel rappelle opportunment dans un livre rcent1

    ce constat dmile Durkheim dans son ouvrage Le suicide2 : Lessociologues sont tellement habitus employer les termes sans lesdfinir... quil leur arrive sans cesse de laisser une mme expressionstendre, leur insu, du concept quelle visait primitivement ouparaissait viser, dautres notions plus ou moins voisines. Obser-vant que les notions immigr , deuxime gnration , assi-milation , intgration sont nes ou ont t ractives, en

    * Cet article a t rdig en 2001. Certaines donnes sont donc dates. Cestnotamment le cas pour la Bolivie au sujet de laquelle les rsultats du recensement de2001 sont maintenant accessibles. Ils sont cependant sans surprise notable et tels quilsninvalident pas les hypothses prsentes dans larticle.

    1. Grard Noiriel, tat, nation et immigration. Vers une histoire du pouvoir, Paris, Belin,2001, p. 221.

    2. mile Durkheim, Le suicide, Paris, PUF, 1960, p. 108.

    LAnne sociologique, 2005, 55, n0 2, p. 487 520

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • France, au moment de polmiques politiques trs violentes ,Grard Noiriel met lhypothse que cest peut-tre pour cetteraison quils ne sont pratiquement jamais dfinis par ceux qui lesemploient contrairement la catgorie jeune qui est passeau feu de la critique . La mme hypothse convient pour lacatgorie Indien , utilise dans les Amriques et ailleurs, aussibien par le commun que dans la littrature savante et dans lestaxinomies nationales et internationales. Le moins que lon puissedire en effet est que sa dfinition pose problme. Pour autant, nousnaborderons pas ici cette question de front. Notre propos consis-tera exposer, la fois, comment se droulent les batailles ducomptage des Indiens qui visent forger des images lgitimes dela ralit sociale socio-ethnique en loccurrence , les cartsconsidrables auxquels ces comptages aboutissent selon les critresadopts, et donc selon les dfinitions le plus souvent implicitesquils rvlent, les simplifications, pour ne pas dire les caricatures etaussi les masquages ou brouillages de cette mme ralit socialeauxquels ils conduisent. Enfin, on verra comment ces batailles sontindissolublement lies des enjeux politiques, ou si lon prfre,en quoi celles-ci sont effectivement des batailles politiques o letravail du savant oscille entre le rle de simple technicien etcelui de conseiller ou dinspirateur du prince pour la constructiondu label identitaire. En centrant plutt notre rflexion sur lesrecensements, cest donc une amorce de rflexion sur le travailbureaucratique dassignation identitaire et de fabrication de lareprsentation catgorielle lgitime que nous convions notrelecteur3. Une amorce seulement, car si cette prsentation permetbien de montrer, par comparaison et de ce point de vue lerapprochement Bolivie, Mexique, tats-Unis est particulirementclairant , que la statistique officielle est, comme le soutientAlain Desrozires, marque par les formes de laction publiquedominante dans un pays et une poque donns 4, elle nedbouche pas sur une rflexion pistmologique relative limputation catgorielle.

    488 Jean-Pierre Lavaud et Franoise Lestage

    3. De ce point de vue, les quelques donnes et rflexions qui vont suivre sont rap-procher du dbat franais sur le comptage des immigrs et ses modalits : cf., entre autres,Herv Le Bras, Le sol et le sang : thories de linvasion au XXe sicle, Paris, LAube, 1993, Ledmon des origines, Paris, LAube, 1998 ; Michle Tribalat, Faire France, Paris, La Dcou-verte, 1995 ; Population, no 3, 1998, et le site www-user.ined.fr~blum/.

    4. Alain Desrozires, La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique,Paris, La Dcouverte, 2000, p. 304.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • Le problme de la dfinition de lIndien travers les comptages

    Sagissantdes Indiens, les dnombrements vhiculs, fruits dextra-polations, de recensements ou destimations, ne tirent la plupart dutemps leur crdit que de la caution duniversitaires dont le titre suffitpour quon les croie, ou de celles dinstitutions internationales(Unesco, Programme des Nations Unies pour le dveloppement,Banque mondiale, etc.) dont la lgitimit nest pas mise non plus endoute. Ainsi, on se renvoie des comptabilisations sans fondementsexplicites, commedesballes deping-pong, accrditant lidedensem-bles Indiens, sans vritablement endonner depreuves convaincantes.

    Selon Alexia Peyser et Juan Chackiel, membres du Centre lati-no-amricain de dmographie (CELADE), il y a entre les diffrentessources des carts tels que les Indiens reprsentent entre 17 % et40 % de la population dAmrique latine, les chiffres des recense-ments tant toujours infrieurs ceux des estimations savantes 5.

    Amrique latine : population indienne totale (en millions)

    Anne EstimationsPopulationrecense

    1940 10,9a 29,3b1960 12,4c1970 12,5j1978-1980 18,8d 20,6e 26,3f 34,2g 15,7j1990 36,6h 39,9i 17,4j

    a J. Stevard (1949), Handbook of South American Indians, vol. 5, y A. Marino (s/f),Handbook of Middle American Indians, vol. 6, en Mayer y Masferrer (1979).

    b OIT (1953), Condiciones de vida y trabajo de las poblaciones indgenas de Amrica Latina,in Mayer et Masferrer (1979).

    c Instituto Interamericano Indigenista (1962), Anuario Indigenista, vol. 22, in Mayeret Masferrer (1979).

    d H. Maletta (1981).e Rodriguez y Soubie (1978), La poblacin indgena actual en Amrica Latina ,

    Revista Nueva Antropologa, vol. 3, no 9, in Mayer et Masferrer (1979).f Mayer et Masferrer (1979).g M. Gnerre (1990).h A. Thein Durning (1992).I R. Jordn Pando (1990).j Population estime partir de recensements sans correction (tableau 2). Certaines

    valeurs ont t intrapoles et dautres extrapoles. Pour lquateur, o il ny a pas dedonnes, lestimation a t faite partir de Maletta (1978), en considrant que ses estima-tions sont en gnral les plus proches des chiffres des recensements.

    Compter les Indiens (Bolivie, Mexique, tats-Unis) 489

    5. Alexia Peyser, Juan Chackiel, La poblacin indgena en los censos de AmericaLatina , Notas de poblacin, ao XXII, junio 1994, no 59, p. 94-119.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • Pourtant, mme si ces deux auteurs pointent le fait que ces dissi-militudes sont dues des dfinitions implicites varies qui entra-nent lusage dindicateurs distincts langue parle, auto-identi-fication ou localisation gographique , cela ne les amneaucunement sinterroger sur la lgitimit de telles oprations. Leurpropos consiste en effet, dune part, interprter la dynamiquedmographique de ces ensembles indiens (fcondit, mortalit...)sur la base des chiffres douteux dont ils disposent, et dautre part, argumenter lhypothse dune sous-estimation de la populationindienne saisie dans les recensements ; une sous-estimation qui,pour eux, ne fait gure de doute.

    Ils avancent comme preuve la mauvaise couverture des zonespriphriques par les recenseurs et ils ajoutent le fait que lorsquonutilise lindicateur de la langue parle, les enfants mineurs de moinsde 6 ans ne sont pas dnombrs. Largument technique de la mau-vaise connaissance des confins est impeccable et sans doute celaconduit-il une sous-estimation du nombre des Indiens, mais est-ilcertain que leur pourcentage relativement la population globaleen est considrablement affect ? Pour ce qui est de la population demoins de 6 ans, cest un peu la mme chose si lon raisonne en chif-fres absolus et en pourcentages. Cependant ce ne sont l, encoreune fois, que des discussions techniques qui ludent totalement laquestion de fond : au nom de quoi identifier des enfants de moinsde 6 ans un monde indien ou blanc ? Or cet article de synthse,pour intressant quil soit, ne fournit pas la moindre esquisse dunedfinition claire de lIndien et nincite aucune rflexion argu-mente sur la question.

    Nous avons crit ailleurs, aprs dautres6, quil ntait pas pos-sible de donner une dfinition objective de lIndien, quel que soit leou les critres que lon prenne7. Nous ne referons pas ici cettedmonstration. Il reste que jusqu maintenant cest bien, dans la

    490 Jean-Pierre Lavaud et Franoise Lestage

    6. Magnus Mrner, Le mtissage dans lhistoire de lAmrique latine, Paris, Fayard,1971.

    7. Jean-Pierre Lavaud, Essai sur la dfinition de lindien : le cas des Indiens desAndes , in Gabriel Gosselin et Jean-Pierre Lavaud (d.), Ethnicit et mobilisations sociales,Paris, LHarmattan, 2001, p. 41-65. Sur ce sujet, voir aussi la mise au point clairante deJacques Malengreau, Identits ethniques, emblmes culturels et situation sociale dans lesAndes , Label, no 4-2000, p. 57-66. La dsignation des habitants du monde andin,comme des groupes ou des divisions dans lesquels ils sinscrivent refltent une ralitsociologique et historique complexe et mouvante , crit-il. Et il ajoute que la termino-logie connotation ethnique de porte nationale reflte [donc] un double critredorigine et de statut social, ce dernier critre permettant contradictoirement de rviserlorigine, fixe par dfinition (p. 58).

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • plupart des cas, partir de tels critres que le nombre dIndiens a tvalu. Depuis les annes 1950, ils sont plutt culturels. Faut-il rap-peler une fois de plus que cela na pas toujours t le cas ? Pendantla colonie, la relation Indien/non-Indien ne se pose pas autrementquen termes pratiques dexploitation ; jamais elle ne fut aborde...en termes autres que politico-administratifs 8. Sil importe alors dedcompter les Indiens, cest parce quils paient le tribut ou cestpour imposer que des quotas de la population ainsi dsigne se sou-mettent des travaux forcs, notamment dans les mines (mita). Laprise en compte rcente du critre linguistique et du costumerenvoie lide selon laquelle lindianit est avant tout (et mme sersume et se manifeste par) une culture propre, ou spcifique :lIndien est membre dun sous-ensemble social isolable dont la cul-ture est le marqueur.

    En fait, ltiquetage culturel ne succde pas directement ltiquetage politico-administatif de lpoque coloniale. Entre-temps avait prdomin une labellisation raciale trs en vogue autournant du sicle et jusqu la Seconde Guerre mondiale. Certainsanalystes utilisent aussi le terme dethnie pour connoter une distinc-tion culturelle plutt que raciale. Mais, comme la trs bien notJulian Pitt-Rivers : This device is not altogether satisfactory, for itmakes race a matter of culture, whereas it is really a matter ofsocial relation. 9 Ctait aussi la thse, plus ancienne encore, deCharles Wagley qui avait forg le concept de race sociale poursignifier un groupe ou une catgorie de personnes qui ne peut tredfini que de manire sociale et non biologique... mme si les motsqui lui servent dtiquette peuvent originellement avoir t rfrs des caractristiques biologiques 10.

    Le passage du terme de race celui de culture ou dethnie nechange donc rien au fond. Car pour ces deux auteurs, lIndien ne sau-rait tre dfini sans prendre en compte, au premier chef, sa positionsociale dans un ensemble plus vaste, et les rapports quil entretient avecles non-Indiens qui, au moins dans les Andes, ne sont pas seulementreprsents par des membres dun ple blanc hispanique dsignscomme espaoles, blancos, criollos, vecinos, mistis selon les lieux, mais

    Compter les Indiens (Bolivie, Mexique, tats-Unis) 491

    8. Paul Reissner, Les penseurs dIndiens. Attitudes indignistes au Mexique aprs 1821,CREDAL : Document de travail de lERSIPAL, no 25, 1982, p. 33.

    9. Julian Pitt-Rivers, Race in latin America : The concept of raza , Archives euro-pennes de sociologie, XIV, 1971, p. 3-31.

    10. Charles Wagley, On the concept of social race in the Americas , Actas delXXXIII Congreso de americanistas, San Jos de Costa Rica, Lehman, tomo 1, 1959,p. 403-417.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • aussi par des intermdiaires qui sont les mestizos, cholos, indios refina-dos... Si bien que, comme lexprime Fernando Fuenzalida, il y a unegraduation phnotypique, sociale et culturelle qui correspond unechelle de statuts. Cependant, le statut duMtis ou de lIndien ne pro-vient pas dune certaine configuration de traits dont le rle de domi-nant ou de subordination serait la consquence. Cest linverse quicorrespond la ralit : cest la position extrme ou moyenne dans lachane nationale de subordination qui dtermine le statut et la sous-culture dun groupe ou dun individu. 11 Ce qui fait quil nexiste pasune culture du Mtis ou une culture de lIndien qui puisse treisole et se dfinir indpendamment de ses contextes locaux12.

    De la mme faon, Franois Bourricaud insiste sur le fait que lesgroupes indiens ne sont pas autonomes. Ils sinscrivent dans unrseau de relations qui les unissent aux non-Indiens. Ils sinsrentdans un systme de rapports par lesquels ils participent la socitglobale. Cependant, ces relations tant dsquilibres et ces aspectsingalitaires, leur union aux non-Indiens et leur participation lasocit globale se ralise dans la dpendance. Et cest lintrieurde cette situation de dpendance quils se dfinissent en tantquIndiens. 13 Le souligner revient dire que les dfinitions delIndien ne sont constantes ni dans le temps ni dans lespace. Ce quirend les dnombrements dlicats et les comparaisons impossiblesdune poque lautre, et dun lieu lautre.

    Julian Pitt-Rivers donne une excellente illustration de ces diffi-cults dans le cas du Guatemala. En 1940, il y eut la tentativedutiliser lapprciation physique de la race pour sparer et chiffrerles Indiens, les Mtis, les Noirs, les Blancs et les Orientaux. Ce fut

    492 Jean-Pierre Lavaud et Franoise Lestage

    11. Fernando Fuenzalida Vollmar, Poder etnia y estratificacin social en el Perrural , in Per hoy, Mexico, Siglo XXI, 1971, p. 79.

    12. Ibid., p. 63. Marie-France Houdart-Morizot qui a enqut dans les Andespruviennes, Cuenca, montre clairement, sur la base de la lecture des registres, que tellefamille espagnole la fin du XVIIIe sicle est considre aujourdhui comme la plus indienne , tandis que telle autre, indigne il y a deux sicles, fait partie aujourdhui dela gente decente , ce qui prouve qu un blanc peut devenir indien si de dominant ildevient domin ; il peut rester blanc malgr la miscgnation avec des lments indienssil russit maintenir sa position de domination , Marie-France Houdart-Morizot,Tradition et pouvoir Cuenca, Communaut andine, Lima, IFEA, 1976, p. 149-153. Ce faitnavait pas chapp aux observateurs sagaces, tel le politicien et essayiste bolivien TristanMarof qui crivait en 1934 : Blancs sont tous ceux qui ont de la fortune en Bolivie,ceux qui jouissent dinfluences et occupent des postes levs. Le mtis ou lindien enri-chis, bien quayant le teint olivtre, se considrent comme blancs (La tragedia del alti-plano, Buenos Aires, Editorial Claridad, 1934, p. 85 (notre traduction)).

    13. Franois Bourricaud, Pouvoir et socit dans le Prou contemporain, Paris, A. Colin,Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, 1967, p. 334-335.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • un chec reconnu. Si bien quavant le recensement de 1950, unerflexion fut mene pour dcider de la dfinition de lIndien quilconvenait dadopter. On dcouvrit alors que les critres utilisspour identifier un Indien variaient dun village lautre. Dans lun,ctaient les vtements, dans lautre la langue, ailleurs le style devie... Reconnaissant cette difficult, les promoteurs du recensementenjoignirent aux enquteurs de fonder leur dcision : on the socialsystem in which the person was held in the place in which he wascounted. In the small communities there is a certain public opinionthat qualifies an individual as Indian or Ladino. For this reason, thetaking of the census was entrusted, whenever possible, to membersof the local community who know quite well how people are clas-sified there. 14

    Ce recensement assume donc le fait que la qualification dIndienest sociale, et quelle est distincte des caractristiques culturelles. Ilfournit nanmoins toute une srie de renseignements sur la langueparle la maison, lhabillement, les modes dalimentation, la fr-quentation de lcole... qui peuvent tre mis en regard avec la label-lisation dIndien ainsi obtenue et confirment le fait quil ny a pas denette corrlation (straightforward) entre cette labellisation et des traitsculturels supposs indiens.

    Entendons-nous bien toutefois sur le social dont on parle.Celui-ci non plus nest pas rductible des caractristiques simplesobservables et comptabilisables. Indien nquivaut pas paysan, rural, ou pauvre, par exemple. Certes, une majorit de ceux quisont ainsi labelliss habitent bien la campagne et sont des paysanspauvres. Mais le recensement guatmaltque mentionn par JulianPitt-Rivers montre que 5 % des propritaires terriens de 111 acresou plus sont considrs comme des Indiens. Cest dire quon nepeut pas non plus assimiler le groupe des Indiens une classe ou une strate sociale. Cest bien dans la relation sociale, ici et mainte-nant, que la catgorisation prend son sens.

    Les comptages sur la base du critre linguistique

    Que supposent les comptabilisations actuelles des Indiens sur labase du critre linguistique ? Tout dabord une coupure entre descultures ou des ethnies diffrentes comprises dans un ensemble

    Compter les Indiens (Bolivie, Mexique, tats-Unis) 493

    14. Julian Pitt-Rivers, op. cit.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • social plus large, sans que lon sache vritablement ce quil fautentendre par ces concepts. Dans un livre classique, A. L. Kroeber etC. Kluckhon rpertoriaient dj plus dune centaine de dfinitionsdu concept de culture au dbut des annes 195015. De laquellesinspire-t-on ? Et prend-on en compte des sous-cultures ? Sinter-roge-t-on sur les rapports dun ensemble culturel un autre, oudun sous-ensemble lensemble ? En bref, quest ce qui lgitime detels dcoupages ? Ensuite, la langue est-elle lexpression synthtiqueet emblmatique de la culture ? Ne faudrait-il pas envisager dautrescritres ? Et lesquels ?

    Admettons que lon se soit vritablement interrog, et que lonait rsolu tous ces problmes pistmologiques. En dautres termes,bien que ce ne soit pas la thse ici dfendue, admettons que lon aitdexcellentes raisons de considrer la langue comme un bon, voire lemeilleur marqueur de lindianit. De redoutables problmes techni-ques subsistent. Il se trouve en effet que lon peut connatre et parlerplusieurs langues. Do les distinctions entre langue du foyer etlangue vhiculaire, langue maternelle et langue officielle, languepremire et langue seconde. De l les questions plus fines des recen-seurs pour distinguer divers paliers dusage et de connaissance deslangues. Mais la rsolution du problme technique, la connaissancedu bi- ou du multilinguisme, pose plus de problmes quelle nenrsout. En effet, on est plac devant le dilemme suivant : les bilinguesou les multilingues doivent-ils ou non tre considrs comme desIndiens ? On peut adopter des partis divers qui aboutissent dans le casdu recensement bolivien de 1992 une diffrence extrme de 1 5.

    Savent seulement une langue vernaculaire 11,5 %Savent une langue vernaculaire 58,9 %Savent le castillan 87,4 %Savent seulement le castillan 41,7 %

    Dans un cas, les Indiens constituent une population trs mino-ritaire du pays (11,5 %), dans lautre, ils deviennent majori-taires (58,9 %).

    Nous disons diffrence extrme, car on peut raffiner en sedemandant quelle est la langue maternelle, ou parle au foyer, et parexemple considrer comme Indiens la fois ceux qui ne parlent

    494 Jean-Pierre Lavaud et Franoise Lestage

    15. A. L. Kroeber and Clyde Kluckhon, Culture : A Critical Review of Concepts andDefinitions, New York, Vintage books, 1952.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • quune langue native et ceux qui la parlent chez eux dans lintimit.Le comptage enlverait le caractre dIndien ceux qui pratiquentles langues natives sans les parler chez eux, pour commercer, parexemple, ce qui diminuerait lcart des pourcentages.

    Ces discussions techniques agitent les organismes recenseurs ;cest le cas au Mexique o des efforts considrables, tant intellec-tuels que financiers, ont t dploys pour parfaire le dcompte dela population indienne et rpondre linsatisfaction des partisans desa sous-estimation. Depuis 1980, lInstitut national de statistiques,de gographie et dinformatique (INEGI) charg de cette tche amodifi les indicateurs utiliss chaque recensement. cettepoque, taient prises en compte les personnes de plus de 5 ans par-lant une langue indienne16. En 1990, lINEGI ajoutait une deuximevariable en incluant les enfants de 0 4 ans vivant dans un foyerdont le chef de famille parlait une langue native, obtenant ainsi6 411 972 Indiens, soit environ 7,5 % de la population totale17. L-dessus, avec laide dun organisme international18, lInstitut nationalindigniste (INI), organisme gouvernemental exclusivement con-sacr aux politiques sociales envers les Indiens et ltude anthropo-logique de ces populations jusquen 2003, tentait daffiner le calculpermis par les donnes du recensement en tenant compte des locali-ts o rsidait au moins un locuteur en langue indienne . Il lesclassait en trois catgories : les localits minemment indiennes ;les localits moyennement indiennes ; les localits populationindienne disperse o respectivement 70 % au moins des habitantsparlent une langue native dans le premier cas, de 30 % 69 % dansle second, et moins de 30 % dans le dernier. En ajoutant le nombretotal des habitants des localits des deux premires catgories aunombre des locuteurs en langue indienne des localits de la dernirecatgorie, lINI obtenait en 1993 un total de 8 701 688 Indiens, soit10,7 % de la population totale. Malgr tout, ces rsultats ne faisaienttoujours pas lunanimit. En 1994, lINI tentait une dernire prci-sion partir des donnes du recensement en considrant commeIndiens tous les occupants de logements particuliers dont le chef defamille ou son conjoint parlait une langue native et en comptabili-sant galement les individus isols parlant une langue indienne dansdes foyers o le chef de famille ou son conjoint ne la parlait pas. On

    Compter les Indiens (Bolivie, Mexique, tats-Unis) 495

    16. Le terme utilis au Mexique pour dsigner les Indiens est celui dindigne.17. Soit 5 285 347 personnes et 1 129 635 jeunes enfants de 4 ans au plus.18. Le Programme des Nations Unies pour le dveloppement, PNUD.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • atteignait ainsi 10,5 % de la population totale, soit un peu moinsque dans le calcul prcdent. LINI a alors considr le dbat closjusquau recensement de lan 2000 o de nouvelles questions por-tant sur lauto-identification ont t prvues19.

    Cette cuisine, dont lobjectif est de rpondre aux critiques desous-estimation en augmentant le total de la population indienne, seveut scientifique : elle est justifie et argumente. Chaque comp-tage ou chaque construction de nouveaux tableaux se fonde sur cequi est prsent comme des hypothses, toutes bases sur la validitde lindicateur de la langue parle, mais croisant ou comparantdautres variables telles la localit ou le logement. Ses promoteurssoulignent les conditions particulirement irrprochables de cesoprations : une pluridisciplinarit dont ils se flicitent ; un dialoguepermanent entre lorganisme recenseur, linstitution indigniste etles chercheurs ; une caution internationale (le Programme desNations Unies pour le dveloppement). Mais aucun moment ilsne discutent ou ne mettent en doute lutilisation du critre de lalangue parle, considre comme seule source dmographique deconfiance . Une telle dmonstration est reprsentative des effortsdes chercheurs pour arriver des chiffres quaccepteront la majoritdes personnes et des organismes intresss par la question.

    Certes, si lon ne met pas en doute le postulat selon lequel lalangue est un critre valable, la dmarche suit pas pas les tapes duraisonnement des sciences sociales, elle construit des hypothses,compare les points de vue de disciplines diffrentes en utilisant lesoutils du dmographe et de lanthropologue. Elle repose mme surune dfinition de lIndien qui apparat en creux dans le texte quandles auteurs de larticle expliquent leur rejet de la nouvelle dfinition culturelle que lon rencontre dans la Convention 169 delOrganisation internationale du travail (OIT), dans les accords deSan Andrs avec les zapatistes et dans le projet de la nouvelle Cons-titution mexicaine, savoir des populations qui habitaient le pays lpoque de la conqute ou de la colonisation [...] et qui conser-vent leurs propres institutions sociales, conomiques, culturelles etpolitiques, ou une partie dentre elles 20 ; une dfinition inadapte

    496 Jean-Pierre Lavaud et Franoise Lestage

    19. A. Embriz Osorio et L. Ruiz Mondragn, Los indicadores socioeconmicosde los pueblos indgenas y la planeacin de la poltica social en Mxico , communicationprsente latelier internacional Dinmica de la poblacin indgena en Mxico : problemticascontemporneas, Mxico, DF, 16-18 mai 2000, CIESAS/IRD.

    20. Embriz et Ruiz se rfrent : M. Gomez, Derechos indgenas. Lectura comentadadel Convenio 169 de la Organizacin Internacional del Trabajo, Mxico, INI, 1995, p. 27 ;

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • une meilleure comprhension des conditions conomiques etsociales [des Indiens] , du point de vue des auteurs.

    On voit bien quen ralit, le problme qui se pose nest en rientechnique. On se retrouve une fois de plus plac devant la questionpineuse, mais incontournable, de la dfinition de lIndien. Si lon nepeut en donner une dfinition objective et par consquent effectuerun dcompte selon des critres eux aussi objectifs, peut-on le faire enprenant commepoint de dpart une dfinition subjective de celui-ci ?

    Les comptages sur la base de lauto-identification

    De ce point de vue, les recensements effectus aux tats-Unisfournissent de prcieuses indications puisque chacun y est invit seclasser dans une catgorie raciale depuis 1960. Auparavant, lesenquteurs affectaient les personnes interroges une catgorieraciale, selon leur propre jugement. En 1990, parmi les cinq catgo-ries de classement possibles, on trouve celle dAmerican Indian ; lesautres tant Blancs, Noirs, Asiatiques et Hispaniques. Selon les indi-cations du US Census Bureau, les quatre premires catgories sontclairement identifies comme des races et dfinies comme suit : They generally reflect the social definition of race recognized inthis country. They do not conform to any biological, anthropologi-cal or genetic criteria. 21 La cinquime, hispanique, ne dsigne pasune race , mais une notion transculturelle 22 qui fut utilisepour la premire fois en 1970. Elle renvoie lorigine sociogogra-phique de la personne : Heritage, nationality group, lineage orcountry of birth of the person or the persons parents or ancestorsbefore their arrival in the United States. 23 Elle est prsente part,dans une autre partie des formulaires24. Les personnes sont tenues dechoisir lune des quatre races mentionnes en rpondant laquestion suivante : remplissez un cercle correspondant la race laquelle vous pensez appartenir.

    Compter les Indiens (Bolivie, Mexique, tats-Unis) 497

    Acuerdo de Concordia y Pacificacin con Justicia y Dignidad, celebrado en San Andrs Larrainzar,Chiapas, Mxico, INI, 14 janvier 1996, p. 38 ; Iniciativa de Reformas Constitucionales enMateria de Derechos y Cultura Indgena enviada a la Cmara de Senadores por el Ejecutivo Fede-ral, el 15 de marzo de 1998, p. 7.

    21. Cf. http://www.census.gov/Press-Release/www/2001/raceqandas.html.22. Denis Lacorne, La crise de lidentit amricaine. Du melting pot au multiculturalisme,

    p. 289.23. Cf. http://www.census.gov, op. cit.24. Denis Lacorne, op. cit., p. 228-289.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • En 2000, le recensement reprend la mme distinction entregroupe racial et groupe ethnique . Mais au lieu de contraindrechaque individu sidentifier une des races prvues White,Black, American Indian and Native Alaskan, Asian, NativeHawaan and Pacific Islander, Some other race il lui laisse toutelibert de dclarer son identification plus dune dentre elles, tantenvisageable la possibilit extrme de se rattacher toutes la fois.Les formulations des combinaisons ainsi obtenues accolent les racestout en les sparant par un point-virgule : prs de 800 000 individussont White ; Black or African American , soit Blancs mais aussiNoirs. On pourrait le lire diffremment : ils sont descendants deparents Blancs et Noirs, donc Mtis, un terme que lon ne rencontrecependant jamais dans le recensement. Pourtant, sil y figuraitcomme race, il aurait probablement t plbiscit par les Mexicainsqui, depuis le dbut du XXe sicle, reconnaissent lexistence de troisraces : indigne, europenne et mtisse, cette dernire reprsentantencore aujourdhui dans le pays larchtype du Mexicain. On peutdu reste se poser des questions sur la rticence des Hispaniques vis--vis des catgories proposes dans le recensement tats-unien delan 2000 : 42 % dentre eux ne sy sont pas reconnus et ont affirmtre dune autre race (Some other race). Pourquoi ce refus dentrerdans les cadres prvus par le bureau du recensement tats-unien ?Peut-on y voir une relation avec la forte prsence de Mexicains quise sont trouvs dans limpossibilit de cocher une case puisque leur race (mtisse) ny tait pas prvue ?

    Finalement, si 97,6 % des recenss ont choisi une seule race,2,3 % en ont choisi deux (cest--dire plus de 6 millions de person-nes) et 0,2 % trois ou plus (environ 450 000 personnes)25, de toutesles rgions et les classes dge : 5 % des Blacks, 6 % des Hispanics,14 % des Asians, 40 % des American Indians. Et surtout, souligneTamar Jacoby26, dans la ville de New York et dans les zones peu-ples de migrants, la proportion de choix combins atteint unrecens sur quatre ; de plus, elle double chez les moins de 18 ans parrapport aux plus gs.

    Pour ce qui est des Indiens, lauto-affiliation aboutit presque multiplier leur nombre par cinq entre 1960 et 2000 : de 523 591,on passe environ 2 millions et demi (0,9 % de la population

    498 Jean-Pierre Lavaud et Franoise Lestage

    25. US Census Bureau, Census 2000, Population by Race, Including All SpecificCombinations of Two Races, for the US : 2000 , http://www.census.gov.

    26. Tamar Jacoby, An end to counting by race ? , Manhattan Institute for PolicyResearch, 2001, http://www. manhattan-institute.org/.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • totale), laugmentation la plus forte se produisant entre 1970et 1980. En 2000, avec les races combines (Indien et une autre race ), ils reprsentent plus de 4 millions de personnes (1,5 %),soit une augmentation de 65 % entre 1990 et 2000.

    Ce mode de comptabilisation mrite videmment discussion.Premire remarque : si effectivement on se proposait une recherchesociologique sur lauto-affiliation ou dsignation ethnique ici,nous employons volontairement le terme ethnique dans le sens trslarge dune appartenance un groupe qui peut tre aussi bien conucomme racial, ethnique ou culturel , il faudrait dabordsinterroger sur la volont des sujets de sinscrire dans une telle cat-gorisation, sur limportance quils y accordent (relativement, parexemple, dautres modes didentification), sur la formulation quilsen donnent (plutt raciale, ethnique, culturelle, gographique), surle contexte et la situation dinteraction dans lesquels elle est pro-duite ; la dimension du [ou des] groupe[s] daffiliation ; le [ou les]nom[s] qui lui est [sont] donn[s]... Or, ici, on demande aux recen-ss de se couler obligatoirement dans le moule troit de cases pr-tablies en nombre trs limit. Par consquent, ce mode de compta-bilisation ne tient quapparemment compte de lautodfinition. Ilconduit, en quelque sorte, une autodfinition contrainte, ou toutau moins induite.

    En second lieu, lauto-affiliation, ici sur la base du remplissagede questionnaires adresss par la poste, donne lieu des rsultats quiinvitent la plus grande suspicion 27. Dune part, nombreux sontceux qui ne rpondent pas la question sur la race (presque 7 mil-lions en 2000). Dautre part, on peut voir limportance extrme dulibell des questions dauto-affiliation et du mme coup la fragilitet le faible crdit des rsultats en considrant les rponses unlong questionnaire sur lascendance envoy un chantillon de17 % des foyers, aussi bien en 1980 quen 1990. Une des questionstait formule ainsi : Quelle est lascendance de la personne ? (recensement de 1980) ; puis Quelle est lascendance ou lorigineethnique de la personne ? (recensement de 1990). Suivaient desexemples de rponses possibles : Afro-American, Ecuatorian...

    Le recensement de 1980 donnait comme exemple les originesallemande et anglaise : chacune a produit plus de 49 millions derponses. Dans le recensement de 1990, lorigine allemande tait

    Compter les Indiens (Bolivie, Mexique, tats-Unis) 499

    27. Michael S. Teitelbaum, Jay Winter, Une bombe retardement ? Migrations, fcon-dit, identit nationale laube du XXIe sicle, Paris, Calmann-Lvy, 2001, p. 228.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • encore incluse, mais pas langlaise : le nombre de ceux qui se reven-diquaient dascendance allemande a augment de 18 % (58 mil-lions), tandis que le nombre de ceux qui se revendiquaient dorigineanglaise a diminu de 34 % (33 millions) . Lorigine franaise qui adisparu entre 1980 et 1990 fait que ceux qui sen rclament ontdiminu de 20 %. Non lists en 1980, les Cajuns taient moinsde 10 000 ; mentionns en 1990, ils deviennent 668 00028.

    De mme, entre 1990 et 2000 une partie des Colombiens et desDominicains de New York ont disparu. On ignore sil sagit dundmnagement massif ou des consquences dune modification duformulaire quant au choix de lorigine ethnique , en ralit go-graphique. En 1990 comme en 2000, ceux qui se voulaient Hispa-nics ou dorigine latine avaient le choix entre quatre catgories :Mexican American, Puerto Rican, Cuban, ou other Spanish-Hispanicgroup. Mais alors quen 1990, le document spcifiait quels pouvaienttre les sous-groupes concerns par la dernire catgorie ( Argen-tins, Colombiens, Dominicains, etc. ), en 2000, cette prcisionrelevait de lesprit dinitiative de chaque recens. Or beaucoupnont pas coch la case other Spanish-Hispanic group, pas plus quilsnont mentionn leur sous-groupe dappartenance.

    Lordre des questions a aussi son importance et peut biaiser lesrsultats. Toujours dans le recensement tats-uniens de lan 2000,un changement dans le formulaire par rapport 1990 est souponntre lorigine de laugmentation des American Indians, tout autantque la redfinition de cette race . Ce biais est mis sur le comptedun dplacement de la question portant sur lhispanicit29. Alorsquelle se trouvait aprs la question sur les races en 1990 et doncaprs celle du rattachement aux American Indians , elle a t placeavant elle en lan 2000. Les recenss ont dabord prcis quilsvenaient dun pays latino-amricain et satisfait ainsi leur identifica-tion nationale avant darriver la question de la race o ils sesentaient plus libres de choisir lappartenance aux Indiens Amri-cains. Ainsi, en inversant lordre du choix des identifications

    500 Jean-Pierre Lavaud et Franoise Lestage

    28. Ibid., p. 228. Des conclusions comparables peuvent tre tires de la lecture desrecensements canadiens entre 1971 et 1996, dans lesquels la question du groupe ethniqueou culturel dorigine varie dun dcompte lautre. Ce qui fait dire A. Spire etD. Merlli : Ainsi, aprs une volution dj importante des origines dclares de 1971 1991, les Canadiens ont massivement chang danctres, devenant majoritairement...dorigine canadienne (Antoine Spire et Dominique Merlli, La question des originesdans les statistiques en France , Le mouvement social, no 188, juillet-septembre 1999,p. 127).

    29. Elle demande si la personne recense estime tre Hispanic ou Latino, cest--diretre ne ou avoir des ascendants ns dans un pays o la langue parle est lespagnol.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • en 2000, origine gographique et nationale en premier lieu, race dans la terminologie du recensement en second lieu lesquestionnaires permettent lapparition ou laugmentation de certai-nes races ou ethnies .

    Toutes ces observations nous ramnent la remarque prc-dente. On ne saisit dans ces questionnaires que les caractristiquesethniques et raciales que lon introduit plutt mal que bien.

    linstar de Claude Dubar30, il convient de concevoirlidentification comme la rsultante dactes dattribution identitairepar des institutions ou des agents en interaction avec lindividu dune part et dactes dappartenance qui expriment lidentit poursoi dautre part. Ici, cest linstitution US Census Bureau qui pro-pose un mode de classement par ensembles raciaux. On a vu com-ment il dfinit cette expression. Le moins que lon puisse dire, cestque cette dfinition floue nen est pas une. Et, comme le souligneDenis Lacorne, les cinq catgories privilgies ne sont au fondquune reprise peine voile des cinq races identifies au XIXe siclepar les tenants du darwinisme social : les Blancs, les Noirs, les Jaunes,les Bruns, les Rouges 31. En fait, l usage social admettant quecelui qui a la moindre goutte de sang noir est Noir, cette notion derace signifie clairement un fondement gntique ou biologique, quela typologie propose reprend sinon explicitement puisquelle sendfend du moins implicitement. Quant lethnicit qui sappliqueici seulement la dichotomie hispanic or latino ou not hispanic orlatino , elle permet de comptabiliser les Bruns qui doiventcependant aussi se classer dans un des ensembles raciaux, mais quirpugnent le faire, comme on la vu plus haut.

    Au total donc, le choix de comptabiliser les individus suivantleur apparence extrieure, en loccurrence leur couleur de peau ou plutt de les inviter le faire selon ces critres , nobit aucune justification scientifique possible. Il sagit trs clairementdun choix politique dlibr, couvert depuis les annes 1970 parune bonne intention : mettre en place des dispositifs permettant defavoriser les minorits victimes de discrimination par le pass32 ; dis-positifs divers qui vont du redcoupage lectoral aux politiquesducatives et de lemploi, en passant par des aides conomiques.

    Compter les Indiens (Bolivie, Mexique, tats-Unis) 501

    30. Claude Dubar, La socialisation. Construction des identits sociales et professionnelles,Paris, Armand Colin, 1991, p. 114.

    31. Denis Lacorne, op. cit., p. 289. En 1990 : White, Black or Negro ; AmericanIndian, Aleut, Eskimo ; Asian or Pacific Islander ; Some other race.

    32. Denis Lacorne, op. cit., p. 286.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • Il reste que mme sous le couvert de politiques affirmatives ,la labellisation qui est ici utilise contribue figer, perptuer, etpopulariser une vision raciale du monde social. Non seulementcelle-ci est scientifiquement intenable, mais elle masque le constantmouvement de brassage, de mlange, de mtissage biologique etculturel qui se produit aux tats-Unis comme ailleurs. Et, pisencore, elle contribue entretenir, durcir, voire forger des fron-tires, des barrires idelles (ou cognitives) fondes sur des critresraciaux, avec tous les strotypes et les prjugs qui les accompa-gnent. Comme le dit trs bien Grard Noiriel, le fait mme dedsigner un groupe social intgrer est une faon de le montrerdu doigt mme quand on prtend laider [...] cause de la stigmati-sation quimplique cet tiquetage 33.

    Les batailles pour lidentit la plus vraie

    Ce que lon observe sur le terrain, ce sont de vritables bataillesdinfluence pour la paternit, lauthenticit, la conservation du labelethnique ou racial . Avant le recensement, les organisations poli-tiques des minorits ethniques ont tent dinfluencer leurs membres,notamment les plus puissantes tels la National Association for theAdvancement of Coloured People (noirs) ou le National Council ofLa Raza (Latinos) qui voyaient une menace relle dans cet clate-ment des races . Elles avaient conseill leurs membres de sedclarer dune seule race et donc de ne pas utiliser lventail offertpar le recensement, pour ne pas risquer ensuite de perdre les droits chrement acquis qui leur sont accords en tant que minorits(laffirmative action surtout) ni le pouvoir politique que leur confreleur poids numrique. Hawa, une avalanche de courriers lec-troniques fut envoye la veille du recensement priant les personnesde conserver comme identit raciale celle de natifs dHawa 34. LesNative Americans taient galement proccups, comme laffirme au

    502 Jean-Pierre Lavaud et Franoise Lestage

    33. Grard Noiriel, tat, nation et immigration. Vers une histoire du pouvoir, Paris,Belin, 2001, p. 225. Cest aussi lavis de Ruben G. Rumbaut, professeur de sociologie lUniversit dtat du Michigan : Nous nous plaons nous-mmes dans une impasse.Pour combattre la discrimination, nous contrlons lappartenance raciale, ce qui, enretour, ne fait que figer et renforcer les catgories raciales (Courrier International, TheEconomist Publications, Le Monde en 2002, dcembre 2001 - fvrier 2002, hors srie no 20,p. 41).

    34. Quotidien tats-unien en espagnol La Opinin, du 23 avril 2001, Identidadmultiracial podra perjudicar debates .

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • mme journal la directrice du Centre indien du sud de la Californie,soucieuse que ses gens ne soient pas placs dans une autre cat-gorie . Les plus sereins taient les dfenseurs des Noirs, un groupeminoritaire avec moins de probabilits que les autres de revendiquerplus dune race , lisait-on35. Du reste cest ce qui sest pass puisque12,3 % (environ 35 millions de personnes) ont dclar tre seule-ment Noirs alors que 12,9 % (36 500 000 personnes) combi-naient avec une autre race.

    linverse, dautres organisations y ont vu une aubaine, en par-ticulier celles des Indiens ou no-Indiens venus de lAmrique his-panique car le recensement a redfini les American Indians comme des descendants des peuples indignes de toutes les Amriques 36,permettant lmergence des Hispanic Indians. Qui sont-ils donc ?Des migrants venus du Mexique, du Guatemala ou du Prou quiprfrent sidentifier comme Indiens plutt que Blancs ou duneautre race, mais aussi des no-Indiens tats-uniens tels les Porto-Ricains sduits par le Mouvement de Restauration de la nationTaino , les premiers Indiens rencontrs par Christophe Colomb,disparus il y a longtemps, qui revivent pourtant New York depuisles annes 1980. Grce eux, les rangs des American Indians ont net-tement grossi par rapport au recensement de 1990 : au total 26 %(500 000 personnes). Mais, alors que les Native American augmen-taient de 15 %, les Hispanic Indians quasi absents du recensementprcdent augmentaient de 150 %37.

    Nanmoins, toutes les organisations de migrants Indiens dontles fondateurs du mouvement de restauration des Tainos ntaientpas daccord pour se dclarer hispaniques, un terme inhabituel quisuggre un rapport avec lEspagne , selon un migrant originaire dusud du Mexique et vivant Fresno en Californie, porte-paroledune organisation indienne binationale, la fois mexicaine et tats-unienne ; un rapport qui dplat aux hritiers des anciens coloniss.Et, ajoutait ce dirigeant en voquant les migrants Indiens Mexi-cains, ils vont rire quand on va leur dire quils peuvent sidentifiercomme Mixtque ou Zapotque 38. Une consigne trange en effetpour les migrants, habitus tre considrs comme des Mexicainsquand ils sont aux tats-Unis, et non pas comme des groupes eth-

    Compter les Indiens (Bolivie, Mexique, tats-Unis) 503

    35. Ibid.36. Cest nous qui soulignons.37. Revue Lexis-Nexis, 2 avril 2001, Hispanic Fuel Increase in American Indian

    Population , Jonathan Tilove.38. Ibid.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • niques. Une consigne qui sest galement heurte celles dautresorganisations mexicaines ou latino-amricaines soucieuses de voirmerger des Indiens hispaniques, rattachs aux groupes de pressionlatinos, plutt que des Indiens qui renforceraient les Native Ameri-cans. Par ailleurs, comme on la soulign plus haut pour les Mexi-cains, les catgories des migrants ne correspondent pas toujours celles des recenseurs, do des quiproquos et des confusions de sensrendant encore plus discutables les rsultats du dcompte en races et en ethnies .

    Qui plus est, cette soudaine augmentation des American Indiansnest pas du got des Native Americans. En 1990, dans lensemble dupays, les deux tiers des Indiens recenss taient enrls dans lunedes 300 tribus reconnues par le gouvernement fdral et traitantavec le Bureau of Indian Affairs. En lan 2000, pour la seule Cali-fornie, un des tats o lon trouve actuellement le plus grandnombre dIndiens Mexicains, deux tiers des Indiens recenss taienthispaniques. Depuis, les Native Americans craignent les incidences deces nouveaux pourcentages sur la distribution des financements.Pour les projets des rserves, cest le rattachement une tribu quicompte, plus que les chiffres des recensements. Mais pour les projetshors des rserves, les nouvelles donnes vont soit faciliterlobtention de ressources supplmentaires, soit entraner une distri-bution diffrente de celles qui existent dj. Bien que 1 600 000 desnouveaux Indiens vivent hors des rserves et nappartiennent pas des tribus, le gouvernement fdral va-t-il devoir augmenter sesaides aux Native Americans de 65 %, taux de croissance de cetteminorit39 ? Quelle que soit sa dcision, cela ne manquera pas deprovoquer des heurts entre les bnficiaires, American Indians et His-panic Indians, donc de crer de nouvelles barrires40. Or les diri-geants Native Americans apprhendent la rivalit avec les organisa-tions latinos, bien plus puissantes et efficaces que les tribusindiennes.

    Paralllement on assiste une srie de dbats sur lidentit laplus vraie (truest identity) et les intrts rels des Hispanic Indians.Ceux-ci concernent dabord les organisations de Native Americans etde migrants indiens qui vont avoir se partager les financementsoctroys par les gouvernements et les fondations et dcider de

    504 Jean-Pierre Lavaud et Franoise Lestage

    39. Tamar Jacoby, An end to counting by race ? , Manhattan Institute for PolicyResearch, 2001, http://www.manhattan-institute.org/.

    40. Revue Lexis-Nexis, 2 avril 2001, Hispanic Fuel Increase in American IndianPopulation , Jonathan Tilove.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • leurs orientations politiques, mais ils stendent galement auxanthropologues qui les tudient. De nouvelles questions se posent eux : doivent-ils dsormais intgrer aux programmes dAmericanIndian Studies les Hispanic Indians (ou les Mixtques ou encore les Aztques ) apparus dans le dernier recensement, ou bien les lais-ser aux Latin American studies41 ?

    On voit les consquences dun dcompte de la population quimet fortement laccent sur les caractristiques raciales et gographi-ques des individus. Il nen satisfait quune poigne, gnralement lesplus extrmistes. Il bouleverse le panorama social et politique, enremettant en question les groupes de pouvoir et les privilges dechacun. Il dresse les minorits les unes contre les autres, chacunetentant de conserver ou dlargir sa zone dinfluence. Il aiguille leschercheurs vers des questions oiseuses et contribue avant tout fabriquer et renforcer des diffrences qui se construisent dj sanslaide des recenseurs.

    On voit galement que les choix supposs individuels des recen-ss ne sont que lexpression ou le reflet de tractations et de luttesdinfluence qui opposent des groupes de pression plus ou moinspuissants, des institutions tatiques, ventuellement des organismesinternationaux.

    La catgorisation ethnique dans les recensements rcentsen Amrique latine

    Cest pourtant dans cette direction de laffiliation subjective quelon soriente de plus en plus en Amrique latine. Il en a t ainsi auMexique lors du recensement de lanne 2000 qui a vu prendre encompte ce nouveau critre : un changement de taille dans laconception de lindianit, mme si le questionnaire du recensementmexicain de 2000 fut peine amlior par rapport celui de 1990.La question sur la langue indigne (indienne) parle par chaquemembre du foyer de plus de 5 ans (question 12) qui existait djdans les prcdents recensements a t pose dans les mmes ter-mes : Parlez-vous un dialecte ou une langue indigne ? Oui-Non.Quel dialecte ou quelle langue indigne parlez-vous ? Parlez-vousaussi espagnol ? Oui-Non. Mais on lui a ajout une nouvellequestion dnomme appartenance ethnique et libelle comme

    Compter les Indiens (Bolivie, Mexique, tats-Unis) 505

    41. Ibid.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • suit : tes-vous nahuatl, maya, zapoteco, mixteco ou dun autregroupe indigne ? Oui ou non ? (question 20). Celle-ci na volon-tairement pas t place juste avant ou aprs la premire, mais lasuite dinterrogations portant sur la scolarit (13 18) puis sur lareligion (19), afin de ne pas influencer les rponses.

    Lide des concepteurs du questionnaire tait de bien diffren-cier le critre objectif (selon eux) de la langue de celui, subjectif, delauto-identification42, de laisser place lautodtermination identi-taire puisque ceux qui ne parlent aucune langue native peuventmalgr tout se dclarer Indiens. Mais la question contraint choisirparmi les indianits possibles sans proposer de critres particuliers.On peut sinterroger sur la faon dont les recenss ont dtermin legroupe indigne. Nont-ils pas eu du mal percevoir ce qui dis-tingue un Nahuatl dun Maya et dun Zapoteco si ce nestleur capacit sexprimer dans une langue ponyme de leur groupe indigne ? Dautant plus que langue et groupe eth-nique ne concident pas toujours. Parfois une mme langue peuttre parle par deux groupes distincts : les Yaqui et les Mayo deltat de Sonora parlent le cahita, mais se diffrencient nettement dupoint de vue de lorganisation sociale43. linverse, des personnesappartenant un mme groupe sont locuteurs de variantes trs loi-gnes dune langue qui la rendent inintelligible entre eux : cest lecas des Chontales de ltat de Oaxaca tablis dans deux nichescologiques trs diffrencies, montagne et cte qui condition-nent leur mode dexploitation des ressources44. Il est galementconcevable de parler une langue et de se reconnatre comme appar-tenant un autre groupe linguistique : les mmes Chontales de lacte, parlant une variante du chontal, sont fortement influencs parla tradition zapotque de listhme, au point de prfrer se dfinircomme tels 45.

    On le voit, lautodtermination risque de plonger certainsrecenss dans un abme de perplexit, et elle met les recenseursdevant une srie de sous-catgories dindividus ou de groupes quidisent parler une langue et dclarent appartenir un groupe autre

    506 Jean-Pierre Lavaud et Franoise Lestage

    42. Le rsultat du recensement a fait apparatre plus de 1 million de personnes qui seconsidrent indiennes mais ne parlent pas une langue indienne, alors que les locuteurs delangues indiennes sont environ 7 500 000, soit au total 8 650 750, ce qui correspond 9 % de la population.

    43. M. Bartolom, Gente de costumbre y gente de razn. Las identidades tnicas enMxico, Mxico, INI-Siglo 21, 1997.

    44. Ibid., p. 58.45. Ibid., p. 58.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • que celui habituellement li cette langue, sans que les raisons decette dclaration soit perceptibles dans les seuls chiffres.

    La question qui se pose est plutt : si lon se veut Indien, quelIndien vaut-il mieux tre ? Faut-il valoriser la langue ? ou le pres-tige rgional ou national du groupe qui la parle ? Quels sont lesenjeux sociaux, conomiques et politiques dun tel choix ?

    Au Mexique, deux types dacteurs ont leur mot dire dans ceschoix et ont intrt comptabiliser un grand nombre dIndiens et inciter les recenss sidentifier tel ou tel groupe : les organisa-tions politiques indiennes et les institutions tatiques, notammentindignistes. Les premires souhaitent se renforcer numriquementafin de peser dans les revendications et les ngociations avec lesgouvernements. Lobjectif avou des secondes est de mener despolitiques sociales adaptes une population discrimine et/oumarginalise46. Mais probablement est-il question aussi de contrleret de clientliser cette population. Enfin, on ne peut pas ignorerque ces calculs dbouchent sur des applications tout fait concrtes,pour les Indiens bien sr (individus, communauts et organisationspolitiques), mais galement pour les travailleurs sociaux et les fonc-tionnaires de linstitution indigniste, prsents dans chaque tat47,pour qui les Indiens constituent un gagne-pain. Et comme le fontremarquer Arnulfo Embriz et Laura Ruiz propos des rsultats durecensement de 198048, les fonctionnaires indignistes sont les plusvhments vis--vis de la sous-estimation des Indiens. Lardeurquils mettent la critiquer semble en effet ambigu : elle peutautant tre inspire par le souci de mieux dfendre et reprsenter lapopulation avec laquelle ils travaillent que par celui de justifier leuremploi dans un pays o le chmage commence apparatre et o lapauvret touche plus de quatre personnes sur dix. Le choix final durecens dpend donc de la configuration des pouvoirs et des grou-pes de pression locaux ainsi que des programmes daide cono-mique et sociale.

    Compter les Indiens (Bolivie, Mexique, tats-Unis) 507

    46. Cette action est souvent indirecte et consiste conseiller les organisations et lescommunauts villageoises dans les projets et les demandes quils soumettent aux adminis-trations ou aux organismes gouvernementaux

    47. Avec larrive au pouvoir du PAN qui a pris la direction du pays endcembre 2000, cela change : en 2001, les nouveaux responsables et fonctionnaires delINI ont t choisis de prfrence parmi les intellectuels indignes.

    48. Les critiques provenaient de diffrents secteurs : Indiens, dmographes,anthropologues, universitaires, et peut-tre les plus virulentes furent-elles celles des indi-gnistes eux-mmes, en particulier celles des travailleurs rsidant dans les communautset les rgions indiennes (Embriz et Ruiz, 2000, op. cit.).

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • En dehors des recensements officiels, lincitation raliser descomptages la hausse vient galement des organismes internatio-naux qui rservent des aides exclusivement la population indienneet travaillent de concert avec les tats : on a vu que pour effectuerses calculs, lInstitut national indigniste a bnfici de laide de laBanque interamricaine de dveloppement (BID). Cette articulationentre les institutions tatiques et les organismes internationauxencourage le gonflement des chiffres et incite bricoler les statisti-ques, ensuite reprises et cites par les chercheurs ou les organisationspolitiques. Prenons la Banque interamricaine de dveloppement(BID). Elle a sign un contrat avec le gouvernement mexicain il y aune dizaine dannes pour assurer le financement de projets duca-tifs. Une demande dans ce sens lui a t faite rcemment par unorganisme gouvernemental pour construire des garderies et assurerun suivi alimentaire, ducatif et de sant des enfants vivant dans leszones dagriculture industrielle de Basse-Californie. Or la BID taitdaccord pour sengager conomiquement vis--vis dun usager spcifique : un enfant dIndien journalier et migrant. Pourtant,parmi les enfants concerns par cette demande peu taient Indiens.Finalement, devant la ralit du terrain (des enfants sans accs lducation, risquant la dnutrition, la maladie), la mission de la BIDsest laisse convaincre et a vers plusieurs millions de dollars auprojet49. Comment ont t comptabiliss les enfants bnficiaires decette aide ? Ont-ils grossi les rangs des Indiens puisque cest eux que ce budget tait affect ? On peut se le demander. Dans ledoute, cela inciterait se mfier des dcomptes faits par les organis-mes internationaux sur la base des aides quils distribuent suivant desprofils pas toujours respects.

    Dans le recensement de 2001 en Bolivie dont lexploitation esten cours, deux questions sont censes rendre compte de la dimen-sion ethnique et culturelle , comme cela sest produit auMexique. Lune objective : Quel est lidiome ou la langue danslaquelle vous avez appris parler dans votre enfance ? ; lautre sub-jective : Considrez-vous que vous appartenez lun des peuplesoriginaires ou indignes suivants ? Quechua, aymara, guarani, chiqui-tano, mojeo, autre natif ? Ce dont il est question, clairement, cestden terminer avec la traditionnelle invisibilit ethnique dans lesstatistiques pour prendre vraiment bras-le-corps les dfis du

    508 Jean-Pierre Lavaud et Franoise Lestage

    49. Entretien avec le directeur du Programme daide au journalier agricole en basseCalifornie, juillet 2000.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • dveloppement national 50. De tels dcomptes permettraient, selonlex-vice-prsident, Victor Hugo Cardenas, une meilleure planifica-tion, tant nationale que rgionale, et serviraient mieux luttercontre la pauvret. Cette relation de ncessit entre connaissance ethnique et dveloppement est htivement dduite de la relationinverse, pointe par le Rapport du dveloppement humain 2000 des Nations Unies selon lequel les populations indignes conti-nuent dtre les plus prives de droits conomiques, sociaux et cul-turels tant dans les pays en dveloppement comme lInde que dansles pays industrialiss tels lAustralie, le Canada et les tats-Unis .videmment, on comprend bien que le comptage na pas deffetmcanique sur une possible rduction de la pauvret. Ce dontil sagit, mme si cela nest pas dit clairement, cest de per-mettre llaboration de politiques d affirmative action pour les-quelles on pourrait drainer des crdits : lintrt de la cooprationinternationale pour de telles statistiques est dailleurs point danslarticle.

    Ce genre dopration ne va pas sans navet ou candeur moins quil ne sagisse de malignit de la part de certains respon-sables de lopration. Cest ainsi que pour Mara Isabel Rivera, lesquestions poses permettront de rvler le vritable visage multi-ethnique et multiculturel du pays 51. Commentant le recensementexprimental ralis en juin 2000 dans la province Betanzos, cetauteur constate que les personnes interroges tardaient beaucoup rpondre la question de lauto-affiliation un groupe ethno-culturel, si bien que les enquteurs se laissaient aller rpondre leur place en ajustant ethnie et langue parle dans lenfance. Selonelle, cette hsitation provient du fait que pendant des centainesdannes on ne sest pas intress lidentit ethno-culturelle, quonla mme occulte. Seule une autovalorisation des racines permet-trait que les Boliviens rpondent avec orgueil cette question.Et cest un dfi pour le recensement 2001 que de sensibiliser lapopulation sur ce thme et que de lui donner sa vraie dimension .

    Il ne vient pas un instant lesprit de cette responsable du ser-vice dinformation de lInstitut national de la statistique (INE) pourle recensement 2001 que si les enquts ont du mal rpondre,cest peut-tre parce quils nont pas pour volont ou pour habitude

    Compter les Indiens (Bolivie, Mexique, tats-Unis) 509

    50. Victor Hugo Crdenas Conde, Democratizar la democracia. Censos e invisi-bilidad tnica , La Razn, 7 juillet 2000.

    51. Mara Isabel Rivera, Lo tnico en el censo 2001 , La Razon, 13 juillet 2000.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • de se situer de cette manire-l, ou quils se situent autrement, nonpas forcment en tant que peuple, mais peut-tre en tantquhabitants dun lieu ou membres dune catgorie sociale, selonlinterlocuteur quils ont en face deux. Elle nimagine pas plus que si lidentification une origine peut tre un processus actif impli-quant une appropriation, il y a des conditions sociales cette identi-fication qui na pas la mme probabilit ou le mme sens, selon lesniveaux sociaux 52. Non ! sils prouvent des difficults rpondrecest quils ont t mal conditionns. Il faut donc les reconditionner,les remettre dans le droit chemin de l orgueil ethnique ; et cestune des vocations assigne au recensement.

    Pour ce qui est de la langue de lenfance, lenqute tait tenuede nen mentionner quune seule. La formulation de la question nepermettait donc pas de prendre en compte les situations de bilin-guisme, majoritaires maintenant dans le pays, qui font que dansbeaucoup de foyers, urbains notamment, lenfant baigne depuis saplus tendre enfance dans un double univers linguistique.

    Les comptages et la notion de mtissage

    Cependant, il est notable quaux tats-Unis se fait jour, timide-ment, une tendance oppose aux comptages raciaux et ethniques.Denis Lacorne signalait dans une note de son ouvrage, diten 1997, lexistence dun lobby des mixed-race Americans quirclamaient lenseignement de cours consacrs la mixit racialedans les universits et lintroduction dune nouvelle catgorie mul-tiraciale dans le recensement de lanne 200053. En 1997, le cham-pion de golf Tiger Woods, victorieux du tournoi des masters, refusalors dune mission de tlvision dtre considr comme le pre-mier Noir avoir remport ce titre. cette occasion, pour rendrecompte de son identit, il forgea le nologisme cablinasian , soitun mlange de caucasian, black, indian et asian. Cest en raison decette bataille que le Congrs des tats-Unis rsolut de revoir lamanire dont le gouvernement fdral mesurait les questions derace et dethnicit54. Et le Census Bureau, en plus de crer une race

    510 Jean-Pierre Lavaud et Franoise Lestage

    52. Hannah Ayalon, Eliezer Ben-Rafael and Stephen Sharot, The costs and bene-fits of ethnic identification , The British Journal of Sociology, vol. XXXVII, number 4.

    53. Denis Lacorne, op. cit. p. 294.54. Jean-Philippe Zuiga, La voix du sang. Du mtis lide de mtissage en

    Amrique espagnole , Annales ESC, mars-avril 1999, no 2, p. 425-452.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • supplmentaire, celle de Native Hawaian or Pacific Islander, dcida,pour ce nouveau recensement, de proposer lidentification dans63 sous-catgories raciales , en ralit des catgories mixtes,comme on la vu plus haut, dans lesquelles se sont finalement rangsplus de 14 millions dtats-uniens55.

    Pour autant, peut-on aller jusqu dire que cette inscriptionmultiraciale est le dbut dune rvolution socioculturelle ? Ceque semble indiquer Levonne Gaddy, prsidente de lAssociationdes Amricains multiethniques de Tucson (Arizona), qui affirme : Aujourdhui, les nouvelles gnrations nous disent quelles rejet-tent les tiquettes raciales, alors que ce fut durant longtemps unmoyen didentifier les populations. 56 On peut en douter car loncontinue de proposer aux habitants des tats-Unis de se situer, desidentifier, de se compter en tant que races ; les catgories mixtesne sont en fait que des sous-catgories de races principales, et doncle filtre racial demeure la catgorie officielle du classement. Nan-moins, est-il si loin le temps des annes 1960 o certains dirigeantsdes droits civils entrevoyaient le jour o ces catgories seraientobsoltes, quand une socit aveugle la race et lethnicit surgi-rait des cendres du vieux systme amricain de sgrgation et dediscrimination et o quelques-uns envisageaient mme audacesuprme d liminer compltement des statistiques officielles desinformations relatives la race et lethnicit... 57 ?

    Poursuivons notre raisonnement en nous interrogeant sur lacomposition de lensemble des personnes qui sidentifient en tantquIndiennes aux tats-Unis. Dans un article trs clairant, JoaneNagel58 montre bien que le gonflement de ce groupe est d unaiguillage ethnique (ethnic switching) de personnes sidentifiantcomme non-Indiennes pralablement, qui, par la suite, se classent

    Compter les Indiens (Bolivie, Mexique, tats-Unis) 511

    55. Pour une population totale de 281 421 906 de personnes, 274 595 678 ontchoisi une seule race, 14 168 760 une race combine seulement (2 ou plus). Le total despersonnes ayant choisi une race seule ou combine slve 288 764 438 (source :US Census Bureau).

    56. Libration, 19 mars 2001.57. Michael Teitelbaum, Jay Winter, op. cit., p. 229. Il y a cependant quelques rai-

    sons de croire en un changement possible. Sur les 2,4 % dtats-uniens ayant retenuloption multiraciale, la moiti a moins de 18 ans , et par ailleurs on annonce une ini-tiative californienne pour mars 2002 constituant un premier pas pour interdirelidentification des Amricains en fonction de leur race lance par Ward Connerly ,cet homme daffaires noir de Sacramento qui en 1996 avait dj fait adopter avec succsune mesure contre la discrimination positive. Courrier International, The economist publi-cations, le monde en 2002, dcembre 2001 - fvrier 2002, hors srie no 20, p. 40.

    58. Joane Nagel, American indian ethnic reviewal : Politics and the resurgence ofidentity , American Sociological Review, 1995, vol. 60, p. 947-965.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • dans cette rubrique. Nous ne reprendrons pas ici en dtail sonexplication de cet aiguillage qui mle linfluence des politiquesfdrales du pass en direction des Indiens, amenant progressive-ment lapparition dune population urbaine biculturelle, la politiqueplus rcente lgard des droits civiques et lexplosion des ressour-ces fdrales qui laccompagnent crant une atmosphre favorable la conscience et la fiert ethnique, et enfin le rle du mouvementactiviste du pouvoir rouge .

    Il nous parat intressant, en revanche, de mentionner quelquesaspects sociaux de cette nouvelle population indienne. Sien 1960 elle tait 27,9 % urbaine, elle lest 56,2 % en 1990, soitune croissance trois fois plus rapide du nombre des Indiens la villequ la campagne. Elle saccrot six fois plus vite dans les tats qui,historiquement, comptaient de faibles noyaux de populationsindiennes que dans ceux o ils taient bien implants (tats danslesquels, en 1950, on comptait des ensembles indiens de 3 000 per-sonnes au moins).

    Les nouveaux Indiens ont majoritairement contract des maria-ges mixtes (15 % en 1960 ; 59 % en 1990 et de 72 82 % dans lesrgions non traditionnellement indiennes). Au sein de ces couplesmixtes, un peu moins de la moiti des enfants sont labelliss Indienspar leurs parents. Quant lusage dune langue indienne, il a trslargement diminu au fil du temps : en 1990, 77 % de ceux qui seconsidrent Indiens ne parlent que langlais chez eux. Cet usagevarie largement selon les rgions. Dans certaines rserves, lusagedune langue indienne est encore majoritaire.

    En rsum, les no-Indiens sont plus nettement mlangs (blen-ded) que leurs pairs traditionnels . Ils ont donc un spectre pluslarge doptions ethniques (raciales dans la terminologie du recense-ment) et sont ports des conceptions deux-mmes plus flexibles.Et cest donc bien sur un fond de mtissage (biologique, social, cul-turel) acclr que se produit cette auto-identification indienne,dans des circonstances particulires qui la rendent dsirable.

    Voyons maintenant ce quil advient lorsquon inclut la catgorieMtis dans des enqutes sur lauto-identification, en prenant le casbolivien. En 1996, une enqute a t mene en Bolivie auprs dunchantillon de 4 250 personnes adultes de plus de 15 ans, reprsen-tatives de quatre dpartements abritant 78 % de la population dupays59. La question propose tait la suivante : Quelle origine eth-

    512 Jean-Pierre Lavaud et Franoise Lestage

    59. La seguridad humana en Bolivia, La Paz, PRONAGOB/PNUD/ILDIS, 1996.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • nique pensez-vous avoir ? (qu origen tnica considera que ud tiene ?).Et les catgories de classement taient au nombre de trois : Blanc,Mtis, Indigne. Le rsultat est trs net : la majorit des enquts seconsidrent comme des Mtis, 66,8 %.

    Origine ethnique selon lge et le niveau dtudes (%)

    Niveau dtudes* ge

    Bas Moyen lev 15-24 25-44 45 et +

    Indigne 23,6 15,2 3,2 11,2 16,1 22,2Mtis 68,1 65,6 67,3 70,3 67,5 61,1Blanc 7,9 18,9 28,9 18,1 15,9 16,7Autres, NS, NR 0,4 0,3 0,6 0,4 0,5

    Total 100 100 100 100 100 100

    * Bas niveau dtudes : aucun, primaire incomplet. Niveau dtudes moyen : pri-maire complet, secondaire incomplet, autres. Niveau dtudes lev : secondaire completou suprieur.

    Dans deux enqutes plus rcentes (1998 et 2000) qui offrent descatgories de classement voisines ( Blanc, Mtis, Indigne, ellesajoutent Cholo et Noir), la catgorie Mtis est aussi le plus souventmentionne : 61 % et 57,4 %60. Contrairement lide reue, auclich Bolivie pays dIndiens et aux interprtations maximalistes,ceux qui se voient comme des Indiens sont trs minoritaires :16,1 %. Et 16,8 % se classent parmi les Blancs . En outre, plus onest jeune, moins on a tendance se voir Indien et plus on incline se classer Mtis. Enfin, quel que soit le niveau dinstruction, et bienque lon note une corrlation entre celui-ci et le positionnementethnique, le pourcentage de ceux qui se voient Mtis ne varie pas.Autrement dit, le niveau dtudes ne permet pas de tracer des fron-tires nettes entre les diffrentes affiliations.

    Un tel rsultat mrite commentaire. En premier lieu, il convientde sinterroger sur les catgories de classement proposes auxenquts. Blanc et Mtis renvoient la biologie, la race pure ou

    Compter les Indiens (Bolivie, Mexique, tats-Unis) 513

    60. Mitchell A. Seligson, La cultura de la democracia boliviana, La Paz, Encuestas yestudios, 1999, et Mitchell A. Seligson, La cultura poltica de la democracia en Bolivia : 2000,La Paz, UCB/USAID/Encuestas y estudios, 2001.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • mle mme si localement elles signifient assez bien ce que Char-les Wagley conceptualise en termes de race sociale , cest--direquelles voquent plus une position sociale que, rellement, uneapparence physique et une couleur de peau ; si bien dailleurs que latraduction de blancos par Blancs et de mestizos par Mtis est trom-peuse. Quant la catgorie Indigne, il est clair quelle a t utilisepour signifier Indien. Sans doute a-t-on voulu viter une sous-estimation de ceux-ci ; les enquteurs tant parfaitement conscientsdu fait que la catgorisation Indien fonctionne sur le mode pjora-tif : Indien persiste notamment comme insulte ou mpris. 61 Indi-gne est un terme plus neutre qui, dans le contexte national, peutsignifier laltrit sans linfriorit ou la dgradation ; ou tout aumoins en les minorant. Notons aussi au passage quil est utilis, offi-ciellement, pour dsigner les populations indiennes des basses terresoccupant des territoires indignes ou constituant des peuplesindignes , tandis que les termes de communauts paysannes , agraires ou originaires , sont employs pour dsigner lesensembles indiens daltitude.

    On voit trs bien que les trois catgories utilises ne sont pashomognes. Selon un dcoupage purement racial, il eut fallu srierentre blanc, mtis et rouge ou brun. Une proposition de classementsocioculturel aurait pu tre : criollo, cholo, indio. Mais lenquteur seheurte au problme de lusage de ces termes dans le langage cou-rant. Race brune ou rouge nest pratiquement jamais utilis. Demme, criollo, dans lusage actuel, ne se rfre presque jamais desindividus 62, mais sutilise pour dsigner certains traits culturels : lacuisine criolla par exemple.

    On a dit que le terme indio tait pjoratif. Il en va de mme decelui de cholo, qui en fait est plutt utilis au fminin et sapplique un groupe de femmes habitant les villes et les bourgs, qui se distin-guent par leur costume : la jupe bouffante ou pollera en tant letrait le plus distinctif en ce quil les oppose aux femmes de vestido,cest--dire en jupe ou pantalon. Plus affectueusement, cest lediminutif cholita qui est utilis.

    Au total, il est donc trs difficile de fabriquer a priori des catgo-ries adaptes de dsignations correspondant lusage courant. Unusage qui varie fortement en fonction du contexte et dans celui-ci,

    514 Jean-Pierre Lavaud et Franoise Lestage

    61. Alison Spedding, Mestizaje : ilusiones y realidades , in Seminario : Mestizajeilusiones y realidades, La Paz, MUSEF, 1996, p. 30.

    62. Ibid., p. 30.

    D

    ocum

    ent t

    lc

    harg

    de

    puis

    www.

    cairn

    .info

    - -

    - 7

    8.18

    2.82

    .100

    - 23

    /05/

    2015

    18h

    10.

    Pre

    sses

    Uni

    vers

    itaire

    s de

    Fra

    nce

    D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - - - 78.182.82.100 - 23/05/2015 18h10. Presses Universitaires de France

  • selon quil sagit dun autoclassement, dune auto-identification oude celle des autres. On comprend donc aisment que suivant les ter-mes utiliss, mme si lon conserve une proposition de classementen trois ensembles, il y a de fortes chances pour que lon obtiennedes chiffres diffrents, a fortiori si lon proposait aux recenss la seulealternative Indiens-Blancs.

    Le rapprochement avec les tats-Unis est de ce fait trs clai-rant. On voit en effet comment, dune part, des contextes sociopo-litiques diffrents et, dautre part, des catgories de classement pro-poses, diffrentes elles aussi, induisent des affiliations subjectivesinverses. Dans un cas, lide ou la reprsentation du mtissage sefraye pniblement un sentier au travers de catgories centrales quidemeurent racialises. Dans lautre, le mtissage biologique et cul-turel est dcrit, visible, pens depuis longtemps, tout comme auMexique. Mme si le plus souvent, pendant la colonie et la pre-mire moiti du sicle, le mtis a t stigmatis, son videncesimpose63. Et actuellement donc, il reprsente une forme accep-table dautodsignation.

    On voit aussi les limites dune comptabilisation ethnique nationale fonde sur laffiliation subjective. Elle est toujours trom-peuse puisquelle reflte, pour une