Chamanisme, gnose et mysticisme

Selon Jean-Patrick Costa 1 ‹‹ la Gnose est une doctrine religieuse ésotérique se transmettant par initiation qui se fonde sur une révélation intérieure du sens caché du religieux et des mystères divins afin d’accéder à la connais-sance absolue et au salut ›› (fin de citation). Plus simplement il est possible de dire que la Gnose est un pro-cessus d’élévation spirituelle utilisant la réflexion. Le mental y devient savant : il est mis sous la coupe de l’intellect. Toute expérience est vérifiée, déposée devant l’œil implacable de la raison. Les senti-ments, les sensations, les émotions, sont analysés, en quelque sorte refroidis par la conceptualisation effectuée. Ensuite les résultats de ces travaux introspectifs sont sensés être mis au service de l’âme. Rejoindre la Source originelle est l’aspiration légitime de l’être spirituel résidant dans le cœur. La quête introspective est considérée comme une étape indispensable à cette réalisation. Un mécanisme centripète (en concentration) précède donc une envolée centrifuge (en expansion). Beaucoup de chercheurs risquent de s’enfermer dans la première phase du processus : ils se noient alors dans les abîmes serpentines de l’intellect, dans les flots glacés de l’intellect. Outre l’écueil cité, il faut aussi considérer que la faiblesse d’un tel système est engendrée par le fait qu’il s’appuie sur une croyance. Toute croyance étant un ensemble de prédicats établis par des pen-sées ou des sentiment étrangers à nous-mêmes, à notre propre per-ception de la réalité, il s’en suit que l’on appuie sa recherche sur l’expérience des autres. Cette marque de confiance peut sembler honorable car elle se drape souvent dans de faux airs d’humilité, mais elle n’est pas très adulte : elle demande une soumission intel-lectuelle et sentimentale qui ressemble fortement à une défection. La croyance remplace la foi, sentiment indicible qui est respectable lorsque qu’il n’est pas de la confiance béate. Déposer ou reporter l’usage de notre volonté propre sur un véhicule dogmatique n’est pas une marque d’autonomie. Il existe une acculturation de l’être — comme il en existe une pour certains peuples — produite par l’intérêt que l’on peut avoir, en

1 in Les chamans, hier et aujourd’hui, Flammarion éd., collection Dominos, Paris, 2001.

— 1 —

toute bonne foi, pour une théorie étrangère à nous-mêmes. En cédant aux mirages d’une doctrine née dans la pensée des autres nous tra-hissons notre être profond. Tant que nous ne pouvons approcher la réalité du monde de nous-mêmes, par le biais de notre propre regard, nous ne pouvons pas être ni faire (dans le sens gurdjieffien) Penser que quelqu’un d’autre, ou une croyance, puisse nous apporter une réponse précise et adaptée quant à la nature originelle de notre être est suicidaire, spirituellement parlant. L’autonomie de notre être spirituel est primordiale, à l’image de celle de notre corps physique : nul ne peut manger, dormir ou marcher à notre place. Bien entendu nous sommes inscrits dans un espace vital obéissant à des règles précises : pour vivre nous avons besoins des éléments donnés par la Nature, le Feu, l’Air, l’Eau et la Terre. Utiliser à peu près correctement ces éléments suffit pour assumer l’existence de notre corps physique mais les chercheurs authentiques veulent plus : ils aspirent à une conscience moins prosaïque, moins limitée dans le temps et dans l’espace ; ils sont à l’écoute d’une voix intérieure, d’une intuition qui les incite à parcourir le chemin de leur vie en direction d’une réalité ultime. Il leur reste maintenant à assumer cette révélation intime. Le Mysticisme procède à l’inverse de la Gnose : il demande au chercheur de se présenter ‹‹ nu ›› devant la divinité en lui faisant espérer qu’il pourra, par le sacrifice de sa pensée et de ses désirs d’homme ‹‹ terrien ›› (de chair et d’os), recevoir les effluves éclairan-tes de la Providence. Renoncer modérément à ses pulsions n’est certes pas un défaut : beaucoup de nos contemporains sont esclaves d’envies effroyables qu’ils pensent être des nécessités indispensables alors qu’il ne font que répondre aux injonctions d’impératifs sociaux, commerciaux politiques ou religieux. Le mystique tend ses bras et ses intentions vers le haut, vers le Ciel, dans un mécanisme centrifuge (en expansion) dans l’espoir de recevoir une énergie centripète (en concentration). Le mystique pro-cède donc à l’inverse du gnostique. En fait cela revient au même : ces deux processus — Gnose et Mysticisme — présupposent une croyance et, dans le meilleur des cas, une foi. Le Chamanisme ne demande pas de croire : il incite à vérifier. Il est comme Saint Thomas : il demande à ‹‹ toucher ››, à ‹‹ voir ››.

— 2 —

Cette demande est généralement mal interprétée alors que le Christ Lui-même à toujours incité les chercheurs à l’action. L’action demandée par le Christ est d’ordre solaire, virile, chevaleresque. Le Christ à dit : ‹‹ frappez et l’on vous ouvrira ››. Il n’a pas dit ‹‹ attendez ›› ! Le Christ à aussi précisé qu’Il vomissait les tièdes… Le Chamanisme n’est pas fait pour les tièdes : il s’appuie sur une volonté sans faille, constante et puissante. À chaque fois que nous relâchons notre Travail, notre volonté et nos actes, nous stoppons net notre progression. Une certaine pression doit être maintenue pour pouvoir continuer notre cheminement. Nous ne pouvons parcourir la Voie comme un touriste confortablement installé dans une limousine climatisée. Nous ne pouvons pas plus observer le monde au travers du verre dépoli d’un appareil photo, insensible à la réalité qui nous entoure. Nous devons descendre de notre véhicule habituel (ce que nous appelons en chamanisme ‹‹ modification de la conscience ›) pour observer le monde directement, avec notre propre regard et ainsi pourvoir agir à partir de notre propre conscience. Cette façon de percevoir le monde fonde et constitue notre réalité objective. Le Chamanisme nous aide à quitter momentanément et sans risque notre état de conscience ordinaire. Le chamane nous y aide avec patience et surtout compétence. Le chamane respecte notre ori-gine terrestre et notre Origine spirituelle. Il nous incite à obéir simul-tanément aux Lois de la Nature et aux Principes spirituels qui en sont la base invisible. Les processus chamaniques, vieux comme le monde, sont d’une actualité aussi criante que nécessaire : il sont les seuls capable de contrecarrer les pollutions de la Terre et le pillage des ressources naturelles par les actions humaines. Le chamanisme nous garde aussi des miasmes sectaires de certaines religions et des mensonges politico-économiques. Le Mysticisme était le fait de quelques êtres ayant des facultés naturelles pour l'absorption en Dieu. Certains ont été de grands saints, beaucoup n’ont fait que céder à des pulsions méritant un traitement psychologique pour ne pas dire psychiatrique. (Voir les écrits de Sainte Thérèse d’Avila). La Gnose à révélé au monde de grands penseurs. Parmi eux certains se sont hissés jusqu’à un état de réalisation d’ordre spirituel.

— 3 —

Les élites mystiques ou gnostiques ne sont plus à l’ordre du jour. En leurs Temps ces systèmes ont été utiles. Ce n’est plus le cas : les circonstances ne sont plus les mêmes. Qui, parmi vous, peut s’isoler en ermite contemplatif ? Qui, parmi vous, peut réellement méditer des journées entières, sa vie durant ? Nous sommes inscrits dans une vie sociale ou les informations circulent à la vitesse de l’électricité. Nous sommes traversés par des ondes et des rayonnements artificiels de toutes sortes. L’espace actuel est comparable à un bourdonnement incessant : il n’y a plus de place pour le véritable silence, celui qui était de mise dans les monastères, dans les dojo Zen, dans les temples taoïstes ou les ashram de yoga. Nous sommes, ici en France, des êtres ordinaires, inscrits dans une culture particulière. Mais nous réagissons sainement par rapport à cette situation grâce à la prise de conscience qui a initié notre démarche chamanique. Nous avons répondu à un appel intérieur que les Soufis comparent à une nostalgie indicible. Le Chamanisme utilise les mécanismes centripètes et centrifuges que l’on retrouve dans la Gnose et le Mysticisme mais, à la grande différence de ces deux Voies, il ne s’appuie sur aucun présupposé humain, culturel, religieux, intellectuel, émotionnel ou sensoriel. Notre pratique ne fait que nous faciliter le placement de nous-mêmes par rapport à notre propre réalité. Peut-être nous sera-t-il donné de pouvoir parcourir le chemin de notre vie sans trop subir de volontés étrangères à notre nature profonde et ainsi répondre aux nécessités réelles de notre Être véritable ?

d.M.B.

Paris, le 8 février 2002 © d .M.BALTA

Texte déposé et protégé selon la loi du 11 mars 1957 et la loi du 3 juillet 1985.Toute reproduction, par quelque procédé que ce soit, interdite.