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Bernard GmAUD

RÉVOLUTION ET DROIT D'ASSOCIATION

AU CONFLIT DE , DEUX LIBERTES

Préface de Michel VOVELLE

Paris, Mutualité Française 1989

~AUTt FRANÇAISE

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REMERCIEMENTS

Je remercie Jean Bennet pour l'inestimable documenta­tion, fruit de quarante années de recherche au service de l'histoire de la mutualité, qu'il a bien voulu me confier.

Je remercie François Hincker pour ses précieuses et ami­cales remarques sur les aspects généraux de l'histoire de la Révolution française. .

Je remercie Chantal Castel, Antoine Capell et Michel Dreyfus pour leur indéfectible soutien.

Couverture : Gravure satirique ayant pour cible Le Chapelier. Le biribi, équivalent du loto classique, est le jeu d'argent le plus répandu à la fin du XVIIIe siècle. Le surnom de « Chapelier-Biribi» a été lancé par Marat dans « l'Ami du peuple ». Légende de la gravure : « Toi qui portas les premières atteintes à la franchise de la presse et châtras impitoyablement la constitution, le signe de la réprobation est sur ton front; partout sur ton passage on te montrera du doigt en disant : voiçi Chapelier, ce député breton, qui mit à ses pieds le bonnet de la liberté ».

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TABLE DES MATIÈRES

Préface 7

Introduction 9

Chapitre 1 Sous le régime ancien de la coercition 13

Chapitre II L'association en chantier 41

Chapitre III La cassure 63

Chapitre IV Le despotisme du contrat 79

Chapitre V Le trou noir 99

Chapitre VI La protection une affaire d'Etat 119

Conclusion L'effet Le Chapelier 145

Liste des travaux cités 153

Index des noms des personnes citées 161

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PRÉFACE

L 'histoire sociale de la Révolution Française que certains disent épuisée est encore un terrain fécond, et ce livre en témoigne.

Bernard Gibaud y fait rhistoire du droit d'association sociale sous la Révolution. On pouvait croire la question réglée: en 1791, les fameuses lois d'Allarde et Le Chapelier n'ont-elles pas tué ce droit pour un siècle? Mais rauteur prouve qu'i! y a encore beaucoup à chercher, à trouver et à réfléchir sur le « pourquoi » de cette idéologie antiassocia­tive qui semble si unanimement partagée, et qui aura une vie si longue que la liberté d'association sera la dernière des grandes libertés républicaines à entrer dans le droit (1901, vingt ans après la liberté de la presse, les libertés commu­nales, les lois scolaires ... ) : hantise de la reconstitution des « corps », hantise de la rupture de runité de la nation, reli­gion du contrat, tel fut, me semble-t-il, le fonds des argu­ments utilisés.

Mais, plus encore, il convient de s'interroger sur le « comment », entendons sur le déroulement du combat entre adversaires et partisans de l' association. Car des parti­sans, il y en eut, chez les salariés eux-mêmes. En effet, une réalité salariale, déjà relativement moderne, était plus pré­sente, au moins dans les grandes villes, à la fin du XVIIIe siècle, qu'on ne le pense généralement. Comme d'autres chercheurs, à propos de l'affaire Réveillon ou des femmes ouvrières parisiennes, Bernard Gibaud a rencontré cette réa­lité. Il produit un impressionnant corpus de libelles échangés - et à un haut niveau d'argumentation - entre patrons et ouvriers pendant les mois qui ont précédé le vote de la loi Le Chapelier. Les deux camps s'appuient sur la Déclaration des Droits de rHomme dont on mesure ainsi rimmédiate opérativité et rimmédiate ambiguïté. A la lumière de cette documentation inédite, il ne sera plus pos­sible désormais de dire, comme Louis Blanc, que, sous la

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AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

Révolution Française, « la voix des salariés ne faisait que proférer des sons inarticulés ».

L'auteur souligne d'autre part combien il serait inexact d'attribuer le refus de l'association de la part des révolu­tionnaires à une insensibilité bourgeoise à l'égard de la question sociale. L'argument vaut sans doute pour certains. Mais on ne peut soupçonner un Robespierre, un Marat, ou même ces nobles libéraux philanthropes, comme Clermont­Tonnerre qui, le 27 août 1789, proposait déjà d'ajouter un article à la Déclaration des Droits de l'Homme sur le « droit des indigents aux secours ». La véritable explication est ailleurs, elle tient à ce que les révolutionnaires, toutes tendances confondues, attribuent à la Nation, donc à l'Etat, la responsabilité de la bienfaisance. Le malheur fut que le temps et les moyens manquèrent à la réalisation de ces prin­cipes, alors que la charité ecclésiastique et les associations fraternelles de l'Ancien Régime disparurent. Mais le prin­cipe resta.

A cet investissement dans le « tout politique», les sala­riés eux-mêmes ne furent pas insensibles, c'est le moins qu'on puisse dire. On peut ainsi expliquer le peu de contes­tations que suscita la loi Le Chapelier, une fois votée. Même si, Bernard Gibaud le montre, il y eut sur le terrain des compromis avec la loi, des initiatives associatives de type mutuelliste généralement « interprofessionnelles» -tout au moins se présentaient-elles ainsi, pour tourner une l(Ji condamnant les coalitions professionnelles.

Mais il est bien vrai qu'il y eut ainsi désormais une spéci­ficité française du traitement de la question sociale. Cette approche eut-elle un caractère positif ou négatif? Ce n'est peut-être pas à l'historien d'en juger.

Que Bernard Gibaud soit remercié d'avoir ainsi labouré un chantier qui, décidément, est loin d'être refermé.

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Michel V ovelle, Président de la Commission Nationale de Recherche Historique pour le Bicentenaire de la Révolution Française

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INTRODUCTION

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AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

«Au conflit de deux libertés, la liberté d'association contre la liberté du travail, l'arbitrage de la Constituante fait prévaloir celle qui est la plus favorable à la bour­geoisie »

Michel VOVELLE (La chute de la Monarchie, 1787- 1792, p. 174)

La Révolution française entretient des relations ambiguës avec le phénomène associatif. Les droits de l'homme et du citoyen proclamés en 1789, ont rapidement trouvé les condi­tions de leur exercice dans le cadre de clubs et de sections populaires. Cette sociabilité inédite a ouvert, temporaire­ment, la cour des « grands» aux gens du peuple. Dans le même temps, la théologie individualiste des nouvelles élites condamne sans appel le principe de l'association solidaire entre gens de métiers. Le schéma alternatif d'une Révolu­tion libératrice pour les droits politiques et d'une Révolu­tion carcan pour les droits sociaux founirait- il la clé ?

La taille de l'événement interdit de le réduire à un choix sommaire. Les hommes de la Révolution ouvrent les nou­veaux espaces politiques et sociaux, davantage par des che­mins de traverse que par les voies royales. La gestation tourmentée de la nouvelle société brouille le regard que por­tent, à deux siècles de distance, les acteurs de la vie associa­tive sur l'œuvre révolutionnaire. La loi Le Chapelier est­elle l'arbre qui cache la forêt ou son symbole?

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INTRODUCTION

L'influence exercée par le cours de la Révolution sur le destin de la mutualité et sur l'architecture du mouvement social français n'est guère contestable. Reste le plus diffi­cile : déterminer la nature et le degré de cet ascendant, sans jamais perdre de vue que le patrimoine de solidarité accu­mulé sous l'Ancien Régime demeure vivace au cœur des mutations. Nous avons jugé utile de parcourir, en guise de prologue, les principales étapes de la préhistoire associative et mutualiste.

La genèse de la loi Le Chapelier, fil conducteur de notre enquête, nous a conduit à rejouer la « dramatique » du printemps 1791, au cours de laquelle le sort de la liberté d'association est scellé. Aveuglement de classe, triomphe de l'individualisme libéral, obsession du maintien de l'ordre, les explications sont connues. Elles laissent subsister des zones d'ombre sur le malentendu qui a séparé compagnons, maîtres et députés de la Constituante. Aussi, avons-nous tenté d'étendre la recherche des facteurs explicatifs aux réfé­rences culturelles du temps.

Le récit d'un interdit, lourd de conséquence, ne referme pas le dossier. Les ambitions sociales de la Révolution, l'éclosion de la prévoyance, la métamorphose de la méde­cine, produisent des effets de longue durée dans le champ de l'association et de la solidarité. Ils ont leur place en con­trepoint de notre chronique.

S'il a pu exister du fait de 1789 et surtout de 1793 une « exception française» pour penser et pratiquer le plura­lisme, la législation anti-associative en constitue l'expression la plus tenace. Par cette restitution nous souhaitons rendre plus claire, plus sereine la vision d'une page de l'histoire révolutionnaire, sujette aux a priori.

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Chapitre 1

SOUS LE RÉGIME ANCIEN DE LA COERCITION

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AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

L'entraide mutuelle est présente dès l'aube de la civilisa­tion. La technique spontanée des origines s'est peu modifiée au cours des siècles. Il s'agit, toujours, pour les membres d'une communauté de verser une part convenue de leurs ressources dans le but d'aider, sous des formes également convenues, ceux des membres qui viendraient à en avoir besoin.

Si la méthode est demeurée immuable, les motivations et les objectifs ont varié selon l'identité des utilisateurs et les circonstances de l'utilisation.

Un détour par l'amont s'impose pour comprendre les décisions de la Révolution concernant les associations de solidarité. Tocqueville paraît trop unilatéral quand il dit des Français, qu'après avoir détruit l'Ancien régime, « sans le vouloir, ils s'étaient servis de ses débris pour construire l'édifice de la société nouvelle» (1). L'observation ne manque pas de pertinence s'agissant des sociétés d'entraide.

Le survol de cet immense continent, n'est guère propice à l'ouverture des nombreux chantiers qui y demeurent inex­ploités. Aussi nous sommes-nous bornés à repérer dans les expériences du passé les références qui ont pu nourrir cons­ciemment ou inconsciemment les décisions prises par les hommes de la Révolution. Nous aurons recours pour tenter de dégager ces lignes de force aux travaux faisant autorité sur le passé associatif. Seront particulièrement mis à contri­bution, ceux de Maurice Agulhon, Jean Bennet, Emile Cor­naert, Bronislav Geremek, William H. Sewell.

UNE FILIATION LOINTAINE

L'utilisation de techniques d'entraide à caractère mutua­liste est contemporaine des grandes sociétés de l'Antiquité. La trace la plus ancienne de pratiques solidaires selon « L'encyclopédia universalis» est celle des tailleurs de pierre de la Basse-Egypte. Ils avaient constitué vers 1400 avant Jésus-Christ un fonds de secours en prévision des accidents.

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SOUS LE RÉGIME ANCIEN

Sur de telles distances, la reconstitution des faits mêlent inévitablement histoire et mythologie. Jean Bennet (2) nous a appris que les fameux « Khasidéens », ouvriers construc­teurs du Temple de Salomon (1000 av. J.-C.), honorés par plusieurs générations de mutualistes comme leurs premiers ancêtres, n'avaient probablement jamais existé que dans l'imagination du député ouvrier maçon, Martin Nadaud. La présence de légende n'est jamais fortuite. Si l'on pense, avec Roland Barthe, que « le mythe n'est ni un mensonge, ni un aveu, c'est une réflexion»; on peut penser sans grand risque que la tradition d'entraide mutuelle est plu­sieurs fois millénaire.

Elle jouit en tout cas d'une grande faveur dans les sociétés gréco-romaines. La description qu'en fait Théo­phraste frappe par sa modernité : « Il existait chez les athé­niens et les autres états de la Grèce des associations ayant bourse commune que leurs membres alimentaient par le paiement d'une cotisation mensuelle. Le produit de ces coti­sations était destiné à donner des secours à ceux qui avaient été atteints par une adversité quelconque » (3).

La motivation principale qui préside alors à la constitu­tion des groupements à caractère mutualiste est moins la protection de la vie que la préparation d'une «bonne mort ». Ainsi les collèges funéraires romains assurent comme l'indique leur nom une sépulture pour leur membre. Frêle îlot de fraternité dans un monde impitoyable pour les faibles, les collèges d'esclaves répondent à cette quête de dignité. « C'est afin d'éviter de pourrir dans la fosse com­mune qu'i/s se groupent et s'imposent une cotisation se donnant la tranqui/lité d'esprit nécessaire, en sachant que toutes les cérémonies leur sont assurées » (4).

L'activité des associations d'entraide constitue d'emblée un enjeu social et politique. Règlements draconiens et inter­dits sont prononcés par Jules César, Néron, Trajan (5). Sous Auguste (25 av. J. C.) l'association non autorisée est même assimilée à un délit criminel. « Quiconque établit un collège illicite est passible des mêmes peines que ceux qui attaquent à main armée les lieux publics et les temples » (6).

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De l'Antiquité à la fin de l'ancien régime, l'histoire des groupements d'entraide est en fait l'histoire d'une intermi­nable coercition. Inoffensifs organismes de défense créés, presque toujours par les faibles, contre les aléas de la nature, ils peuvent devenir très vite de redoutables instru­ments, servant à catalyser la force du nombre contre la richesse et l'autorité.

Cette fonction instinctive de résistance explique la défiance persistante qu'inspirent les associations de solida­rité. Après l'avènement du christianisme la volonté des pou­voirs successifs de contrôler ou d'interdire ces groupements ne connaît aucun fléchissement.

LA RÉVOLUTION CULTURELLE CHRÉTIENNE

Dès ses origines, le christianisme enrichit la pratique du mutualisme. Le message chrétien non seulement consacre et divinise le travail méprisé par les élites romaines, mais il exalte l'égalité et l'amour du semblable. «Retenant la forme des associations funéraires, le christianisme les adap­tera peu à peu à l'évolution des mœurs, dans sa pénétration en terre païenne, et s'efforcera d'étendre l'esprit de pré­voyance non seulement en vue des cérémonies s'attachant au décès, mais également en y introduisant la pratique de la charité à tous les moments de la vie» (7) nous dit Jean Bennet.

Après le IVe siècle et l'accession aux responsabilités poli­tiques, l'Eglise tempère le caractère social des premières communautés chrétiennes. Son intervention revêt, dès lors, les contradictions classiques d'une puissance spirituelle et temporelle. Elle ne renonce pas, cependant, à son interven­tion en faveur des humbles.

A l'aube du moyen-âge, le patrimoine soli dari ste est pro­fondément renouvelé par l'apport chrétien. Le secours aux pauvres est officialisé par un capitulaire de 818 ordonnant qu'un quart des dîmes faites à la paroisse lui soit consacré.

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La majeure partie des associations d'entraide, qui naissent à la fin du premier millénaire et au début du second sont d'origine chrétienne. Les sociétés d'inspiration païenne adoptent la conception chrétienne élargie de la solidarité.

L'entraide ne vise plus essentiellement la préparation à la mort, mais la sauvegarde de la vie. L'effort solidaire est dirigé prioritairement vers les plus vulnérables. La sacralisa­tion du travail, «celui qui ne travaille pas ne doit pas manger », dit St Paul, favorise la mise en place de réseaux de solidarité dans les communautés de métiers.

Les groupements à vocation solidaire qui rassemblent maîtres et ouvriers, ensemble ou séparément, se présentent selon les époques ou les pays sous des formes et des appella­tions extrêmement variées. On les nomme selon les circons­tances: fraternités, charités, confréries, frairies, amitiés, hanses, ghildes, alliances, collèges, etc. Les corps ou com­munautés d'art et de métier, les jurandes, appartiennent également bien que de façon spécifique, à ces réseaux de solidarité professionnelle.

L'usage du mot corporation pour désigner l'organisation économique et juridique des métiers, institué sous l'Ancien régime est, pour partie, anachronique. Selon Emile Cor­naert (8), le terme emprunté aux britanniques n'est apparu en France que dans la dernière partie du XVIIIe. Il ne sera d'ailleurs pas employé dans les textes des lois Turgot et d'Allarde supprimant les corps de métiers. Nous conserve­rons, cependant, le terme d'origine anglaise, pour la com­modité de l'exposé.

LES CORPORATIONS

L'articulation chronologique et fonctionnelle entre cor­poration et confrérie, n'a pas encore livré tous ses mystères. « n n'est pas possible, aussi bien pour le moyen-âge que pour les siècles suivants, de décider par une règle générale si la forme religieuse des corporations a précédé leur forme

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laïque ou inversement mais presque toujours, l'une et l'autre se sont associées très tôt quand elles n'étaient pas confondues à l'origine» (9).

Il reste qu'au fil du temps, une dissociation dans les fonc­tions s'est produite. La corporation exprime les stratégies économiques et socio-politiques des communautés de métiers; la confrérie s'efforce de prendre en charge les besoins individuels émanant indissociablement de l'âme et du corps. Le caractère d'entraide mutualiste de la confrérie a de puissants motifs pour s'affirmer, car la logique « d'en­treprise» tend spontanément à considérer les membres improductifs (malades, infirmes ou usés) comme un han­dicap pour la communauté. L'individu compte peu dans cet univers rude et cloisonné.

Le grand départ des corporations correspond à la période qui s'ouvre vers l'an mil, à la fin des invasions, dites « bar­bares ». Une phase de stabilité favorable au commerce et à l'artisanat s'amorce. Les activités productives, qui s'étaient repliées dans les domaines et les monastères, font retour vers les villes.

L'organisation corporative s'impose au détriment des pri­vilèges nobiliaires et écclésiastiques. Non seulement les cor­porations et les confréries insufflent un réel dynamisme éco­nomique, mais elles contribuent également à former un nouvel espace de liberté appelé à un grand avenir : les fran­chises communales. Désintérêt ou incapacité, les autorités se contentent jusqu'au XVe siècle de surveiller à distance et d'homologuer, sauf cas d'exception, les décisions prises par les communautés. Mais au fur et à mesure que s'affermit l'Etat monarchique, l'intervention royale dans les métiers se fait plus pressante.

Louis XI, le premier, érige en communauté jurée un métier libre (10). Dès cette époque les corporations devien­nent, selon le mot de Cornaert, « la chose du roi » (11), au point que ses chefs sont considérés comme des fonction­naires tenus à un devoir de loyauté politique envers l'auto­rité. Colbert achève le processus d'intégration. A Paris le nombre de corporations passe de 60 à 129 à la fin du XVIIe.

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Les seigneurs hauts justiciers perdent le droit de réglementer les métiers installés dans leurs fiefs. «Pour le pouvoir monarchique, la corporation est d'abord un instrument de prélèvement fiscal » (12). Le poids de cet assujettissement tend, par voie de conséquence, à reposer sur les compa­gnons. La seule issue pour résister à la pression réside dans la force du nombre rassemblé.

L'organisation corporative ne méconnait pas, initiale­ment, les besoins sociaux. « Les livres des métiers », rédigé en 1268 par Etienne Boileau, prévôt des marchands indique : « Le corps de métier est une institution sociale ; en conséquence, rapprentissage ne doit pas être seulement lucratif pour le maître ; le valet ou le compagnon doit être traité selon les usages et de façon domestique » (13).

Le souci d'assurer la subsistance de la main d' œuvre ouvrière existe, mais il s'inscrit dans des rapports de domes­ticité. Le mot valet utilisé pour désigner le compagnon jus­qu'aux XIVe et XVe siècles exprime cette position de dépen­dance (14). Les relations de domesticité ne sont pas à sens unique. Elles procurent un toit au salarié et le protègent contre le fléau du chômage.

Avec le gîte, il bénéficie également du couvert. Paul Chauvet rapporte les plaintes savoureuses des maîtres imprimeurs parisiens contre leurs compagnons, qu'ils accu­sent d'être «incroyablement» exigeants en matière de nourriture et de boissons. Le pain est toujours trop « noir », le vin trop « vert », et les viandes « jamais assez bonnes» (15). Ce qui n'empêche nullement les compagnons imprimeurs de rejeter la proposition des maîtres d'échanger cet avantage en nature contre une modeste augmentation de la rétribution. Ils savent déjà que les prix des denrées grim­pent généralement plus vite que les salaires.

A la veille de la Révolution le caractère domestique qui s'attache au statut salarial sera loin d'avoir disparu des mentalités. Dès les origines de l'organisation corporative les compagnons ont pourtant tenté de desserrer les carcans de l'autorité par le moyen de l'association. A la différence des corporations, qui bénéficient d'une légalité pleine et entière,

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les confréries de métiers sont privées de tout caractère licite, hormis quelques brèves périodes de tolérance.

LES CONFRÉRIES

On ne compte pas les décisions de conciles et les édits de souverains, qui ont condamné, dissout, saisi les biens des ghildes et des confréries, qu'elles soient à caractère profes­sionnel ou strictement religieux, comme les confréries de pénitents. Deux interdits sont particulièrement exem­plaires :

- Le concile d'Avignon proclame le 18 juin 1326, « ... En vertu de rautorité du présent concile, nous prononçons la nullité, la dissolution et la rupture de tous les rassemble­ments, alliances, sociétés, conjurations dites fraternités et confréries fondées par les clercs ou les laïcs ... » (16).

- François 1er, le 25 août 1539, pose l'un des plus solides maillons de cette longue chaîne de coercition, par l'ordonnance de Villers-Cotterêts. Célèbre pour la création de l'état civil et l'obligation faite d'utiliser le français dans les actes officiels et de justice, l'ordonnance de Villers-Cot­terêts établit durablement les bases juridiques de la répres­sion anti-associative. «Défendons à tous les compagnons de tous métiers ... de ne faire aucun monopole et n'avoir ou prendre aucune intelligence les uns et les autres du fait de leur métier, sous peine de confiscation de corps et de biens. »

La confrérie est particulièrement suspecte car extérieure au champ de l'autorité religieuse, monarchique et souvent patronale. Association pieuse dirigée par des laïcs, elle échappe en fait bien 'souvent aux pouvoirs civils et religieux. « La religion donne la forme, l'encadrement, plus que le fonds et la substance », observe Maurice Agulhon (17).

La suspicion est systématique dès qu'il est question d'association. Au début du XVIIe siècle, un lieutenant du roi prononce une réquisition contre « un certain prêtre,

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nommé Vincent, lequel sans communiquer aux officiers royaux avait assemblé et reçu trois cents femmes ou environ dans une confrérie à laquelle il donne le nom de charité ». Ce dangereux suspect, Saint Vincent de Paul, devait après cette admonestation rédiger le règlement de la confrérie en ces termes : «les dames auront pour maxime de ne pas traiter dans leurs assemblées des affaires particulières, ni générales, notamment celles de rEtat » (18).

Les activités d'entraide des confréries revêtent des aspects très variés. Les cotisations prélevées sous forme de quête hebdomadaire ont pour objectif essentiel de préserver les confrères et leur famille de la misère qu'occasionne inévita­blement la maladie et l'accident. Elles participent également aux funérailles, particulièrement pour les plus démunis. Elles tiennent dans les hôpitaux et les hospices des lits à la disposition des malades de la communauté, quand elles ne gèrent pas elles-mêmes leurs propres œuvres sociales, comme chez les orfèvres parisiens. Certaines confréries, pourvues de trésorerie relativement confortable, vont jusqu'à prêter de l'argent pour faire face aux sinistres causés par l'incendie ou l'inondation ou pour lancer une entreprise familiale.

Au fil du temps « une certaine baisse de ferveur reli­gieuse, une certaine laïcisation de l' ambiance politique, font que vers la fin du XVIIIe siècle, l'aspect corporatif est plus apparent dans -les textes que raspect mystique» (19). Le climat de tension qui s'instaure entre maîtres et ouvriers participe à la montée des préoccupations profanes dans les confréries de métiers. «Toute révolution sociale dans l'industrie française du xve au XVIe siècles avait abouti à expulser les ouvriers du gouvernement de la communauté, devenue la chose des maîtres » (20). Cette scission donne naissance à des formes autonomes d'organisation chez les compagnons.

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LE COMPAGNONNAGE

Les clivages qui gagnent les métiers n'ont que partielle­ment leur source dans les antagonismes internes. Ils résul­tent aussi des contraintes du cadre féodal. La pression fis­cale monarchique sans cesse plus pesante, la transformation lente mais continue du mode productif alimentent ces ten­sions. Les maîtres renforcent le caractère répressif des régle­ments en vigueur avec l'appui des autorités, notamment par l'instauration d'un système d'amendes, destiné à interdire le travail libre de l'ouvrier. «Aucun compagnon ne peut quitter son maître sans un long préavis que ron essaye d'allonger encore au XVIIIe siècle ... La pratique des avances sur salaires rend le compagnon encore plus dépen­dant » (21).

La pomme de discorde la plus vive entre maîtres et com­pagnons concerne l'accès à la maîtrise. La réalisation du « chef d'œuvre» a perdu sa fonction initiale d'épreuve pro­batoire. La maîtrise tant convoitée n'est plus accessible qu'aux membres de la famille du maître. Après qu'un édit ait limité à trente-six les maîtres imprimeurs à Paris en 1686, les compagnons protestent treize ans plus tard, car pendant cette période vingt-quatre fils de maîtres ont été reçus à la maîtrise contre un seul compagnon (22).

Très tôt le conflit fait partie du paysage social. « Une ordonnance royale de 1330, flétrit en termes vifs ces alliances ayant pour but d'obtenir des salaires élevés» (23).

La coercition ne parvient pas à empêcher les compagnons, notamment dans les principaux métiers: l'habillement, l'alimentation et le bâtiment, de s'orienter vers «cette forme d'auto-défense organisée qui ne vise pas seulement les employeurs, mais s'efforce de remédier à la mauvaise fortune, à la misère, au chômage» (24). Le compagnonnage est né.

Le passage de la confrérie, rassemblant les ouvriers d'un même métier au regroupement compagnonnique à vocation élitiste demeure, aujourd'hui encore, largement inexpliqué. La volonté d'effacer toute filiation avec les formes associa-

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tives préexistantes apparaît clairement dans le comporte­ment des compagnons des diverses obédiences. D'où l'importance du mythe d'une ascendance liée à la construc­tion du temple de Salomon ou aux bâtisseurs des cathé­drales du XIIIe siècle. Le plus ancien texte relatant les thèmes et les pratiques spécifiques du compagnonnage date, semble-t-il, de la fin du XVe ou du début du XVIe (25).

A partir du XVIIe siècle dans les métiers requérant une qualification professionnelle élevée, les compagnons s'assu­rent, malgré les interdits et les sanctions, une certaine maîtrise du marché du travail. Au siècle suivant « ils " con­trôlaient " plus de 30 % de la main d'œuvre dans les trente plus importants métiers dont ils assuraient la pérennité de la qualité professionnelle » (26).

Le mode d'action est moins la grève que la mise en interdit de la boutique ou de l'échoppe; dans le cas de con­flits plus importants, on a recours à la « damnation» de la ville ; celle-ci voit alors disparaître la majeure partie des ouvriers des métiers. Cette forme de lutte extrême, relative­ment exceptionnelle, est favorisée par le caractère itinérant de l'activité professionnelle du compagnon. « Le Tour de France » nécessaire pour la transmission des connaissances techniques, représente un cadre privilégié pour réaliser l'intégration sociale et culturelle des apprentis dans la contre-société compagnonnique.

Quelle que soit l'obédience, «Devoir» ou «Gavot », l'association de compagnons constitue presque toujours, aux yeux des autorités, une menace pour l'ordre public. En 1730 le Marquis de Castries, gouverneur royal de la ville de Montpellier disqualifie l'action des compagnons menuisiers et charpentiers de sa ville par un terme promu à certain avenir : « ... par un abus punissable, ils ont entrepris de faire un syndicat entre eux... de sorte que les voilà les uns syndiqués contre les autres ... » (27).

L'entraide sans faille pour tous les membres du groupe s'arrête strictement, aux limites de l'association compa­gnonnique. Préfiguration des formes organisées en milieu professionnel, le compagnonnage est-il le détachement pré-

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AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

curseur d'un monde ouvrier en gestation ? Emile Cornaert ne le croit pas. Les compagnons « séparés de la masse par rinitiation, formant un monde à part... se considéraient comme une élite supérieure à la foule. Ils n'exprimèrent jamais, sans doute n'éprouvèrent-ils jamais un sentiment de classe au sens où nous rentendons aujourd'hui » (28).

La solidarité plurifonctionnelle du compagnonnage, de même que l'activité de certaines confréries de métiers en faveur de l'entraide et de l'action collective, appartiennent à la tradition historique du mutualisme. Le rôle actif et spec­taculaire de ces groupements dans la dynamique des opposi­tions sociales, ne doit pas faire écran aux autres sources de la tradition solidaire.

Les sociétés qui se consacrent, pour des raisons diverses, à la seule organisation des secours contre les aléas de la vie constituent en raison de leur nombre et du patrimoine d'expériences, la parenté la plus proche des futures sociétés de secours mutuels du XIXe siècle. Elles présentent déjà nombre des traits de la mutualité moderne.

LES PIONNIERS DU MUTUALISME

L'essor des techniques d'entraide mutuelle est favorisé par le mouvement qui, depuis la Renaissance, porte l'huma­nité vers les «lumières ». Un nouvel idéal prend forme dans lequel la destinée humaine dépend moins de Dieu et davantage de l'homme. L'idée-force exprimée par Diderot: « L 'homme est le terme unique d'où il faut partir et auquel il faut tout ramener », constitue le dénominateur commun des profondes mutations en cours. Les besoins de l'individu le plus démuni ne sont pas seulement d'ordre physiologique. L'homme du peuple se nourrit aussi de dignité.

A la faveur de cette laïcisation la charité connaît un dis­crédit croissant. La vitalité dont fait preuve la solidarité de type mutualiste contribue à l'usure du modèle caritatif. L'entraide organisée, phénomène minoritaire dans une France massivement rurale, est présente au cœur des villes

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dans de nombreux métiers. On recense au XVIIIe siècle un nombre significatif d'associations solidaires qui procurent à leurs membres, maîtres et ouvriers, ensemble ou séparé­ment, des prestations à caractère mutualiste.

Telle l'action des orfèvres parisiens. Cette profession assure, non seulement la couverture financière des consé­quences de la maladie, mais elle crée déjà les organismes, qui préfigurent les œuvres sociales du XXe siècle. « Ayant son propre H hôpital ", sa chapelle, sa caisse de secours exceptionnels (les aumônes) et de pensions, percevant tri­mestriellement des cotisations de ses membres, recevant des H subventions " (confiscations à son profit, épaves, etc .. . ), plaçant ses capitaux pour en distribuer les revenus aux

H pauvres et veuves ", tous les caractères d'une société mutualiste sont encore réunis ici » (29).

Chez les ouvriers imprimeurs, pionniers de la solidarité professionnelle selon Paul Chauvet, l'organisation de l'entraide ne passe pas par le fonctionnement d'une société de secours. Le maître imprimeur Momoro écrit: «Dans rAncien régime, on faisait la quête pour un compagnon malade dans toutes les imprimeries ; cette quête se faisait par deux ouvriers de l'imprimerie où travaillait le malade, et ils devaient tenir un registre signé des protes de tout ce qu'ils recevaient dans chaque inlprimerie. La Chambre Syn­dicale donnait cette permission de quête, laquelle était signée des adjoints... » (30).

Il arrive cependant que se constituent clandestinement des « assemblées de charité» entre ouvriers d'une même impri­merie, réunissant trente à quarante compagnons, dans le but de compenser les pertes de salaires en cas de maladie. Ces groupements sont considérés comme « ... des cabales; malgré cela il y en a plusieurs qui subsistent depuis long­temps et qui ont actuellement des fonds assez hon­nêtes » (31).

Les typographes strasbourgeois fondent en 1783 leur caisse maladie-décès, probablement l'une des premières, sinon la première mutuelle interprofessionnelle d'impri­meurs. Cette société est définie « comme un lieu de refuge

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pour tous ceux de nos confrères qui gémissent sous le poids d'une maladie ou que l'âge a rendu caduques » (32). Après avoir souligné que les fonds de la caisse proviennent de leurs maigres épargnes, ils s'adressent avec courtoisie à leurs « très honorés Maîtres » pour les inviter à faire preuve d'esprit philanthropique. Le principe de la participation patronale à la cotisation mutualiste est lancé.

La fondation en 1780 de la «Bourse des malades et infirmes de Saint-Laurent », qui prendra le nom au début du XIXe siècle de société de secours mutuels « Panotech­nique» (interprofessionnelle), symbolise parfaitement le mouvement de laïcisation observée par Maurice Agulhon dans les formes de sociabilité vouée à l'entraide à la fin de l'Ancien régime. Cette mutuelle toujours en activité, est née classiquement de l'initiative d'une confrérie, la « Confrérie de la nativité de la Sainte-Vierge» créée en 1720.

Si les statuts de la Bourse comportent une référence for­melle à la confession catholique, les premiers mots du règle­ment sont consacrés au caractère profane de ses buts : « Nous tous, intéressés à la dite société établie pour nous soulager mutuellement dans nos maladies et infirmités, nous engageons à remplir le contenu de nos règlements ci- dessus depuis le commencement jusqu'à la fin ... » (33).

Tout l'esprit et bien souvent la lettre de la mutualité du XXe siècle sont présents dans les statuts de la Bourse de St­Laurent. L'institution d'une pension de retraite représente une anticipation remarquable. Le contrôle collectif et part conséquent démocratique de la société fait l'objet d'une attention particulière. L'ouverture de la boîte en cuivre, qui contient les fonds de la Bourse, nécessite l'usage de sept clé& différentes détenues par sept sociétaires, eux-mêmes renou­velés chaque année au cours de l'Assemblée générale.

Le principe mutualiste gagne le soutien de l'élite « éclairée» des philanthropes, au milieu du XVIIIe siècle. Piarron de Chamousset maître de la Cour des comptes donne un certain retentissement à la notion de mutualité en proposant dans ses «Vues d'un citoyen», en 1757 un

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« plan d'une maison d'association, dans laquelle, au moyen d'une somme très modique, chaque associé s'assurera dans l'état de maladie toutes sortes de secours qu'on peut désirer » (34).

Pour Piarron de Chamousset, adepte des « lumières» les sciences de l'homme et de la nature permettent de saisir les lois de l'univers. L'une de ces lois, le calcul des probabilités permet de fixer des cotisations variables selon l'âge des associés et le niveau désiré de protection contre la maladie. Il est le premier à montrer que la prévoyance à vocation solidaire doit nécessairement reposer sur des bases scientifi­ques, en dépit du caractère rudimentaire des formules mathématiques proposées .

Ses projets mutualistes n'ayant eu aucune suite, il change son fusil d'épaule et place ses espoirs, en 1770, dans la for­mation d'organismes d'assurance «qui assureront en maladie des secours les plus abondants et les plus efficaces à tous ceux qui, en santé, paieront une très petite somme par an ou même par mois ». Piarron de Chamousset s'étonne que l'on ait pas songé à étendre le système des assurances à la santé, dans la mesure où : « Plus les compagnies guéri­ront de malades, plus elles les guériront vite et plus elles auront d'associés sur lesquelles elles gagneront» (35). La prévoyance à but lucratif fait une entrée remarquée dans le dernier tiers du XVIIIe siècle.

LA PERCÉE DE LA PRÉVOYANCE

Selon Camille Bloch (36), la notion de prévoyance, importée de Hollande, l'un des pays pionniers en matière d'assurance, apparaît en France aux environs de 1764. L'influence anglaise n'est pas moins importante. La pre­mière véritable assurance-vie, « l'Equitable» voit le jour à Londres en 1762 (37) et servira longtemps de modèle pour la formation des institutions de ce type. Mais si la combi­naison rationnelle de l'utilisation des capitaux consacrés à la

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durée de la vie humaine et du calcul des probabilités séduit les milieux financiers dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, des obstacles sérieux en retardent la mise en œuvre.

C'est d'abord la vague des tontines, du nom du banquier italien Tonti, proche de Mazarin, qui déferle sur la France à partir de la fin du XVIIe. La tontine relève davantage de la loterie que de l'assurance, c'est même « l'antithèse la plus absolue de l'assurance en cas de décès» (38).

Le discrédit causé par les tontines n'est pas le seul obs­tacle, ni le plus grave. L'assurance est surtout l'objet d'interdit au nom des principes sacrés de la morale. Selon l'un des éminents juristes de l'Ancien régime, l'assurance­vie n'a pas lieu d'être, puisque: « la vie d'un homme libre n'était susceptible d'aucune estimation ». Ce qui ne l'empêche pas de préciser que: « ces raisons n'ont point d'application aux esclaves; les nègres étant des choses qui font dans le commerce, et qui sont susceptibles d'estima­tion » (39).

Il faut attendre les toutes dernières années de la monar­chie pour qu'a.pparaisse la première compagnie d'assurance­vie. Evoquer la personnalité des promoteurs de la Compa­gnie royale d'assurance-vie, autorisée le 3 novembre 1787, revient à lever le rideau du dernier acte du régime mo­narchique, puisqu'ils se nomment: Clavière, Brissot et Mirabeau (40).

Condorcet reproche aux institutions d'assurance «de n'être utile qu'aux personnes aisées» (41). Brillant mathé­maticien, l'un des tous premiers de son époque, il entrevoit la possibilité de mettre le calcul des probabilités au service des classes déshéritées sous forme de caisses d'accumu­lation. Ces « caisses au moyen desquelles de petites épar­gnes puissent assurer les secours à l'infirmité, à la vieil­lesse » (42).

Camille Bloch donne divers exemples des « progrès faits dans les dernières années de l'ancien régime par les idées de prévoyance sociale et de mutualité », parmi lesquels ce projet d'une «caisse d'assurance en faveur du peuple contre les atteintes de la misère et de la vieillesse », pré-

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sentée à l'Assemblée provinciale d'Orléans dans les derniers mois de 1787.

L'idée que le secours aux indigents doit désormais être envisagé sous l'angle du droit, notion radicalement nou­velle, est portée par le courant philanthropique en pleine ascension dans la dernière moitié du XVIIIe siècle. Le prin­cipe que la pauvreté engage la responsabilité de la société est défendu par Montesquieu et Rousseau, ainsi que par des hommes d'Etat comme Turgot et Necker. La philanthropie dont le but est de venir en aide aux hommes en général, plutôt qu'à un homme en particulier, se distingue de la cha­rité. Il est légitime de considérer que la philanthropie incarne, non seulement un mouvement de sécularisation, mais également de socialisation de la pauvreté (43).

Le duc de Larochefoucauld-Liancourt, Grand du royaume, est l'une des principales figures emblématiques de ce mouvement. En 1780, il fonde dans son domaine la pre­mière école d'arts et métiers en faveur des enfants de mili­taires pauvres, sur le modèle anglais. Il participe également à la naissance de la Société philanthropique de Paris, qui influera de façon décisive au XIXe siècle, sur le développe­ment de la mutualité.

Louis XVI confie à Larochefoucauld-Liancourt, ainsi qu'au savant astronome Bailly et au chirurgien Tenon une enquête sur l'Hôtel-Dieu et les hôpitaux de Paris. Le rap­port publié en décembre 1786 dresse un terrible acte d'accu­sation sur la réalité hospitalière du temps. L'hôpital, qui assure théoriquement une double fonction d'assistance et de soins, provoque dans les milieux populaires une aversion et une frayeur incommensurables. Les lits des hôpitaux géné­raux (la moitié du total des lits) ne sont utilisés que pour un tiers par des malades, les deux tiers restant étant occupés par des incurables, des insensés et certains prisonniers (44).

Les Hôtels-Dieu, présumés entièrement consacrés aux soins, n'ont guère meilleure réputation. Les trois commis­saires s'exclament : « ... Comment dormir dans ces lits à deux que ron surcharge de quatre et six malades. Que penser d'un hôpital où les malheureux ainsi entassés dans

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un même lit ne peuvent obtenir le sommeil désirable, que lorsqu'ils se concertent pour que les uns se lèvent et veillent une partie de la nuit, tandis que les autres dorment » (45).

Certes, Louis XVI, depuis sa visite en 1781 à l'Hôtel-Dieu, a ordonné par décret (46), que les lits soient occupés par une seule personne. Les trois représentants de l'Académie des sciences ne l'ont pas oublié, puisqu'ils se permettent d'observer « le parti est pris à cet égard ... mais nous savons aussi que tout ce qui est décidé n'a pas toujours son exécu­tion. »

L'économiste Dupont de Nemours, autre personnalité marquante du courant philanthropique, publie en 1786 ses idées sur les moyens d'éviter les affres de l'hôpital (47),

notamment l'Hôtel-Dieu de Paris, qu'il nomme le « Temple de la mort ». Sa proposition d'administrer, sur le modèle anglais, les soins à domicile parce qu'ils sont plus respec­tueux de la dignité du malade et moins coûteux, sera reprise dans son intégralité par la Constituante.

Les vues de Dupont de Nemours, nourries de références philanthropiques et physiocratiques, sont représentatives des novations et des ambiguïtés qui caractérisent les conceptions dominantes en matière de soins et de protection à la veille de la Révolution. La position des hommes des « lumières» sur les corporations ne souffre, en revanche, d'aucune équivoque. Le système plusieurs fois centenaire vit ses derniers instants.

« LA CHUTE DES CORPS »

L'esprit de corps dont la société féodale a pu tirer initia­lement une force de développement, précipite le déclin de la monarchie absolue. Le raffinement juridique des statuts ne vise qu'à préserver les positions acquises, au prix d'un mal­thusianisme professionnel meurtrier pour l'économie. Les hommes des « lumières » condamnent sans appel les corpo­rations. L'Encyclopédie écrit : « ... ces communautés ont des lois particulières, qui sont presque toutes opposées au

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bien général et aux vues du législateur. La première et la plus dangereuse est celle qui oppose des barrières à l'indus­trie, en multipliant les frais et les formalités des récep­tions ... L'abus n'est pas qu'il y ait des communautés, puis­qu'il faut une police; mais qu'elles soient indifférentes sur le progrès des Arts mêmes dont elles s'occupent; que l'intérêt particulier y absorbe l'intérêt public, c'est un inconvénient très honteux pour elles » (48).

Le désaveu du système corporatiste est-il l'œuvre exclu­sive des gens de lettres et des philosophes? William H. Sewell en est convaincu : « L'opposition aux corporations de métier ne venait pas du monde des arts et du commerce mais d'un secteur de la société très différent - l'élite admi­nistrative et littéraire constituée par les philosophes et leurs disciples - et ce pour des raisons qui tenaient davantage à la logique de la pensée des Lumières qu'aux problèmes internes des corporations » (49).

Les données économiques participent à la condamnation du modèle corporatif. L'opposition des corps à l'innovation industrielle provoque d'innombrables affrontements juridi­ques au cours du siècle. « ... La corporation lainière de Lille entre en conflit avec les manufacturiers de Roubaix et de Tourcoing qui veulent lancer de nouvelles fabrications et réussit à les faire condamner en 1732, en 1755 et en 1757 » (50).

Nombre d'entrepreneurs s'installent en milieu rural pour bénéficier de la proximité des sources de matières premières et d'énergie, mais aussi pour échapper aux juridictions dra­coniennes des corporations. L'industrie du tissage devient une activité essentiellement rurale au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. « Cette rigidité est tellement accentuée que la cour est obligée d'accueillir au sein de ses palais les arti­sans au talent reconnu qu'elle veut protéger» (51). Dans Paris les lieux ouverts au travail libre n'ont cessé de s'étendre, de's galeries du Louvre au faubourg St Antoine, en passant par l'enclos du Temple.

Le système des corporations en cloisonant la société à l'excès, la sclérose. « Chacun des mille petits groupes dont

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la société française se composait ne songeait qu'à lui­même; c'était, si je puis m'exprimer ainsi, une sorte d'indi­vidualisme collectif qui préparait les âmes au véritable indi­vidualisme que nous connaissons » (52).

Les hommes d'Etat les plus lucides, généralement acquis aux « lumières », tentent d'imposer la réforme des corps de métiers, Turgot le plus brillant des réformateurs, porte le fer sur l'institution corporatiste en février 1776: «Etei­gnons et supprimons tous les corps et communautés de mar­chands et artisans, ainsi que les maîtrises et les jurandes. Abrogeons tous les privilèges, statuts et règlements donnés aux dits corps et communautés». Il avait sous-estimé la réaction en chaîne qu'une telle décision devait provoquer dans une société dont les ordres constituaient la substance organique.

Le 12 mars 1776 le Parlement refuse d'enregistrer l'édit. Le 12 mai le roi congédie Turgot. Dès août 1776, son suc­cesseur, Necker, rétablit les corporations. Les confréries demeurent bel et bien interdites. Turgot partage les préven­tions à l'égard des confréries de métier. Celles-ci, dit-il : « ... resserrant encore les liens qu'unissaient entre elles les personnes d'une même profession, leur donnèrent des occa­sions plus fréquentes de s'assembler et de s'occuper, dans ces assemblées, de l'intérêt commun des membres de la société particulière, qu'elles poursuivent avec une activité continue, aux préjudices des intérêts de la société géné­rale » (53).

L'amalgame, qui conduit à bannir dans des termes quasi identiques les associations volontaires à des fins d'entraide et les structures juridico-administratives professionnelles devenues archaïques, fait l'unanimité parmi les esprits du temps. Nous aurons à nous interroger sur les causes de cette confusion lorsqu'elle prendra force de loi, l'explication par la filiation rousseauiste n'épuisant pas le sujet. Pour l'heure, le système corporatif bénéficie, à la faveur de la rédaction des cahiers de doléances d'une rémission trom­peuse.

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LA DISPERSION OUVRIÈRE

La participation des gens de métiers au plus vaste débat national jamais organisé jusqu'alors pour un peuple semble avoir été modeste. Pourtant l'invitation du roi à lui faire connaître « les souhaits et les doléances de nos peuples », les concernait au plus haut chef. Les données démographi­ques ne jouent pas en faveur du salariat dans la France du XVIIIe siècle finissant. Le monde urbain ne représente que 15 % de la population totale. Reste Paris, avec sa concen­tration de plus de cinq cent mille âmes (524 186 habitants recensés à l'occasion des Etats généraux), dont la moitié est de composition ouvrière, en comptant les familles'.

Les ouvriers parisiens sont disséminés. «... Le nombre moyen de travailleurs par patron s'établit pour l'ensemble de Paris à 16,6 ... » (54). L'effectif de l'entreprise de papiers peints Reveillon fait figure avec ses 350 salariés d'unité géante. Le terme ouvrier peut désigner simultanément, à cette époque, le maître et le salarié. Pour l'Encyclopédie, ouvrier «se dit en général de tout artisan qui travaille quelque métier que ce soit ». Le monde de l'atelier est une réalité composite dans laquelle les lignes de clivage se super­posent.

Le schéma idéal recherché par les autorités monarchi­ques, que le Lieutenant général de police de Paris Lenoir définit comme une « chaîne domestique subordonnant maî­tres aux jurés, compagnons aux maîtres, apprentis aux com­pagnons. .. » (55), se heurte à de vives résistances dans la vie quotidienne des métiers. Il n'en reste pas moins une réfé­rence pour les ouvriers qui s'identifient davantage à leur métier qu'à leur classe. En province, notamment à Gre­noble et surtout à Lyon l'industrie textile fournit le cadre d'un nouveau système productif. La « Grande Fabrique» rompt le tête-à-tête maître-ouvrier avec l'entrée en scène du marchand-fabricant. Un nouveau type de confrontation s'amorce.

Les conditions culturelles et sociales de l'affirmation d'une personnalité autonome du monde salarial n'existent

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pas. La quasi absence des gens de métiers au déroulement des Etats généraux liée à la sélection « naturelle» d'ordre culturel, est aggravée par les dispositions électorales censi­taires. Le régime parisien s'avère plus sélectif qu'en pro­vince. La population salariale, largement prédominante, ne compte aucun représentant dans la liste des 407 électeurs chargés de désigner les 20 députés de la capitale. On en dénombre trois parmi les 998 électeurs du Tiers'-Etat de Provence.

LE QUART-MONDE DU SILENCE

Quelques cahiers dits du « Quatrième Ordre » émergent des milliers de documents publiés dans la phase prépara­toire des Etats généraux. Ces publications sont générale­ment rédigées par des personnes appartenant aux catégories aisées. C'est le cas de l'ouvrage présenté par l'abbé Favre pour le compte du duc d'Orléans « dans lequel on se pro­pose le moyen d'assurer le soulagement et le bonheur du pauvre peuple par le rétablissement d'un des plus anciens droits de la couronne sur les biens du clergé » (56).

Les rédacteurs de suppliques sont souvent des philan­thropes. Dans ses « Cahiers des pauvres journaliers, des infirmes, des indigents », Dufourny de Villiers, ingénieur en chef de la ville de Paris, demande « pourquoi cette classe immense ... est-elle rejetée du sein de la Nation ? ». Lam­bert, inspecteur des apprentis de l'Hôpital de la Pitié, tente vainement, dans son district électoral parisien, de soumettre un « cahier des pauvres » et constate avec amertume : « La nation s'assemble pour régler les impôts et leur répartition. Les puissants et les riches paraissent seuls intéressés à ces discussions qui cependant décident inévitablement du sort des faibles et des pauvres » (57).

La pétition adressée le 3 mai 1789 à Bailly, secrétaire de l'assemblée du Tiers-Etat par cent cinquante mille ouvriers et artisans de Paris plaide dans le même sens. Observant que parmi les quatre cents grands électeurs de la capitale, il

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ne se trouve que quatre ou cinq personnes susceptibles de connaître leur sort et de s'y intéresser. Les signataires expri­ment leur déception : « A u moment où la Patrie ouvre son sein à ses enfants, pourquoi faut-il que cent cinquante mille individus utiles à leurs concitoyens soient repoussés de leurs bras ? Pourquoi nous oublier, nous pauvres artisans, sans lesquels nos frères éprouveraient les besoins que nos corps infatigables satisfont ou préviennent chaque jour? Ne sommes-nous pas des hommes, des Français, des citoyens ! » (58).

Ce texte qui soutient la cause du monde ouvrier est visi­blement écrit par des maîtres et des entrepreneurs. La bour­geoisie industrieuse, forte de sa position de « tutrice d'un prolétariat mineur », selon l'expression de Jaurès (59), utilise la souffrance ouvrière pour dénoncer l'hégémonie des hommes de loi et des hommes de lettres dans les instances élues. Les auteurs de cette pétition « ouvrière» montrent le bout de l'oreille, lorsqu'ils demandent que soient élus « ... des négociants, des manufacturiers intelligents, même des artisans honnêtes (sic) ; il en est parmi nous» (60). La péti­tion, souvent évoquée comme un témoignage exemplaire de la prise de parole ouvrière, ne propose aucune candidature de salarié.

Cependant la démarche exprime l'inquiétude des milieux populaires devant l'éventualité d'être laissés au bord du chemin. On peut également voir l'expression de l'incertitude du milieu salarial dans le fait que les travailleurs se sont joints aux maîtres, dans certaines professions, pour demander le maintien du système corporatif vécu comme un espace protégé en dépit des contraintes qu'il génère.

La demande de la suppression des corps et des commu­nautés de métiers n'est formulée que par 41 cahiers sur le total de 943 émanant des corporations (61). La société d'ordre est moribonde, mais « elle inspire ce combat en défense que l' on appelle la réaction aristocratique, comme on le retrouve dans les doléances des artisans de métiers corporés » (62).

Si les jours du système archaïque des corporations sem-

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blent comptés, les interdits prononcés contre la liberté d'association appartiennent à l'immuable en cette fin d'Ancien régime. Les Parlements rappellent obstinément, le caractère illicite des groupements de travailleurs quelle qu'en soit la nature.

L'arrêt du Parlement de Paris du 7 septembre 1778, après avoir fait défense «particulièrement» aux ouvriers de constituer des associations compagnonniques, tente d'ins­taurer un véritable cordon sanitaire autour de ceux-ci, en menaçant les cabaretiers, les marchands de vin, les auber­gistes, les limonadiers, les traiteurs, les tenanciers de bil­lards etc., dans le cas où ils accueilleraient ces assemblées ou ne les dénonceraient pas « ... d'être réputés fauteurs et complices desdites assemblées illicites... » (63).

En 1783 à la demande des maîtres, un arrêt est publié contre les compagnons ferrailleurs, cloutiers et épingliers «pour obvier (résister) aux cabales que les compagnons font pour quitter en même temps les boutiques et les ate­liers » (64). Un autre arrêt du 23 février 1786 fait défense aux garçons maréchaux ferrants de créer une société sous peine d'être poursuivis « extraordinairement» (65).

Le rejet des associations ne souffre aucune exception. Témoin cette réaction de la chambre de commerce de Guyenne, qui « repousse la demande des arrimeurs de Bor­deaux et des Chartrons (faubourgs de Bordeaux) de former deux communautés d'assistance, car H ils n'ont pas besoin pour faire du bien à leurs veuves et à leurs membres affligés par les maladies et la vieillesse d'être en communauté, puis­qu'il est satisfaisant de soulager son prochain sans con­trainte " » (66).

S'il est vrai qu'à la veille de 1789, « ... la voix des salariés ne faisait que proférer des sons inarticulés», selon la for­mule saisissante de Louis Blanc (67), il arrive cependant que la parole ouvrière se fasse explicite pour réclamer le droit d'association. Les compagnons chapeliers de Marseille demandent dans le cahier de doléance de leur sénéchaussée le rétablissement de leur société d'entraide financée par « une légère imposition volontaire sur chacun de nous » et

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qui «fut détruit sous de faux rapports ». Ils ajoutent, non sans habileté, « nous supplions que cette œuvre soit rétablie dans toute son intégrité comme coopérant à la prospérité de la fabrication nationale» (68).

Il n'existe pas encore à proprement parler de « question ouvrière ». La notion, cependant, de « classe dangereuse» qui prospérera au XIXe siècle, apparaît en filigrane dans le mouvement de la société française à la veille de la Révolu­tion. Quand Restif de la Bretonne écrit: « Depuis quelques temps, les ouvriers de la capitale sont devenus intraitables, parce qu'ils ont lu dans nos livres une vérité trop forte pour eux, que l'ouvrier est un homme précieux» (69), il exprime une défiance dont les racines ne sont pas à la veille d'être éradiquées.

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NOTES

(1) Tocqueville. - L'Ancien Régime et la Révolution, 1967, p. 43.

(2) La Mutualité française des origines à la Révolution de 1789, 1981, p.19.

(3) Ibidem, p. 21.

(4) Ibidem, p. 31.

(5) Emile Laurent. - Le paupérisme et les associations de prévoyance, 1865, p. 116.

(6) Jean Bennet. - La Mutualité française, op. cit., p. 35.

(7) Ibidem, p. 56.

(8) Les corporations en France avant 1789, 1968, p. 23, le sens revêtu par ce mot en Grande-Bretagne sera, toutefois, sensiblement diffé­rent car dans ce pays la corporation servira de vecteur au développe­ment du grand capitalisme britannique.

(9) Ibidem, p. 223.

(10) Henri Hausser. - Ouvriers du temps passé, 1889, p. 2.

(11) Les corporations en France, op. cit., p. 96.

(12) Jean-Charles Asselain. - Histoire économique de la France, t. 1, 1984, p. 75.

(13) Maurice Bouvier-Ajam. - Histoire du travail en France des ori­gines à la Révolution, 1957, p. 267.

(14) Bronislav Geremek. - Les salariés dans rartisanat parisien aux XIII-xve siècles, 1982, p. 36.

(15) Les ouvriers du livre en France, des origines à la Révolution de 1789, 1959, p. 53.

(16) Jean-Pierre Duroy. - Le compagnonnage initiateur de réconomie sociale, Thèse de doctorat de rUniversité du Maine, 1982, p. 67.

(17) Pénitents et Francs-maçons de rancienne Provence, 1984, p. 67.

(18) Paul Nourrisson. - Histoire de la liberté d'association depuis 1789, 1920, p. 54.

(19) Maurice Agulhon. - Pénitents et Francs-maçons, op. cit., p. 72.

(20) Henri Hausser. - Les débuts du capitalisme, 1927, p. 179.

(21) Maurice Garden. - Lyon et les lyonnais au XVIIIe siècle, 1975, p.330.

(22) Paul Chauvet. - Les ouvriers du livre en France, op. cit., p. 298.

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(23) Bronislav Geremek. - Les salariés dans rartisanat parisien, op. cit., p. 109.

(24) Ibidem, p. 116. (25) Paul Labal. - Notes sur les compagnons migrateurs et les sociétés

de compagnons à Dijon à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle, annale de Bourgogne, 1950, pp. 189/191.

(26) Jean-Pierre Duroy. - Le Compagnonnage, op. cit., p. 56.

(27) Ibidem, p. 282.

(28) Emile Cornaert. - Les corporations en France, op. cit., p. 233.

(29) Jean Bennet. - La Mutualité française, op. cit., p. 587.

(30) Paul Chauvet. - Les ouvriers du livre en France, op. cit., p. 445.

(31) Anecdotes typographiques par Nicolas Contat, dit Lebrun, 1980, p.79.

(32) Eugène Ruhfel. - Notice du 150e anniversaire de la société typo­graphique de Strasbourg de 1783 à 1933.

(33) Registre de la Panotechnique. - Union des mutuelles cogérées, Paris.

(34) Cité par Jean Bennet. - Piarron de Chamousset, philanthrope et mutualiste, 1964, p. 4.

(35) Piarron de Chamousset. - Œuvres complètes, 1787, p. 96.

(36) Camille Bloch. - L'assistance et rEtat en France à la veille de la Révolution, 1908, p. 155.

(37) Victor Senes. - Les origines des compagnies d'assurance, 1900, p.42.

(38) Georges Hamon. - Histoire générale de rassurance en France et à rétranger, 1895-1896, p. 503.

(39) Robert Joseph Pothier. - Traités des contrats aléatoires, 1777, pp. 27-28.

(40) Jean Bouchary. - Les compagniers financières à Paris à la fin du XVIIIe siècle, 1942, t. 3, p. 23.

(41) Cité par Camille Bloch. - L'assistance et rEtat, op. cit., p. 375.

(42) Ibidem. (43) François Ewald. - L'Etat-Providence, 1986, p. 74.

(44) Catherine Duprat. - L 'hôpital et la crise hospitalière. - In: L'état de la France pendant la Révolution sous la direction de Michel Vovelle, 1986, p. 58.

(45) Rapport des commissaires chargés par l'Académie d'examiner un projet d'un nouvel Hôtel-Dieu, Bibliothèque Nationale, R.35570.

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AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

(46) Isambert. - Recueil des lois anciennes, n° 1408, lettres patentes concernant l'Hôtel-Dieu de Paris.

(47) Idées sur la nature, la forme et l'étendue des secours à donner aux pauvres malades dans une grande ville, 1786, p. 18.

(48) Encyclopédie, t. 3 (première édition 1751-1780), p. 724.

(49) William H. Sewell. - Gens de métiers et révolutions, 1983, p. 97.

(50) Jean-Charles Asselain. - Histoire économique de la France, op. cit., p. 77.

(51) Jean-Noël Chopart. - Le fil du rouge du corporatisme, 1987, p.50.

(52) Tocqueville. - L'Ancien régime et la Révolution, 1967, p. 176.

(53) Jean Bennet. - La Mutualité française, op. cit., p. 710.

(54) Albert Soboul. - Les sans culottes, 1968, p. 43.

(55) Arlette Farge. - La vie fragile, 1986, p. 125.

(56) L'abbé Favre de plusieurs académies. - La cause des journaliers, ouvriers et artisans présentée aux états généraux par S.A.S. Mgr le duc d'Orléans, B.N. Lb39.7879.

(57) Chassin. - Les élections et les cahiers de Paris, 1888/1889, t. 2, p.582.

(58) Ibidem, p. 592.

(59) Jean Jaurès. - Histoire socialiste de la Révolution française, 1969, t. 1, p. 212.

(60) Chassin. - Les élections et les cahiers de Paris, op. cit., p 593.

(61) Albert Soboul. - L'histoire de la Révolution française, 1962, t. 1, p. 143.

(62) Michel Vovelle. - La chute de la monarchie, 1972, p. 33.

(63) Isambert. - Recueil des anciennes lois françaises, t. 22, p. 412.

(64) Grace M. Jaffé. - Le mouvement ouvrier à Paris pendant la Révo-lution française, 1924, p. 38.

(65) Ibidem.

(66) Henri See. - Histoire économique de la France, 1939, t. 1, p. 392.

(67) Louis Blanc. - Histoire de la Révolution française, 1898, t. 1, p.508.

(68) Joseph Fournier. - Cahiers de doléances de la sénéchaussée de Marseille, 1908, p. 66 et sqq.

(69) François Bluche. - Au temps de Louis XVI, 1980, p. 278.

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Chapitre II

L'ASSOCIATION EN CHANTIER

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La Révolution « vue d'en bas », selon la formule de Georges Rudé (1), demeure malgré ses angles morts un poste d'observation irremplaçable. L'examen des conduites sociales au sein des métiers apparaît d'autant plus néces­saire, qu'elles s'expriment dans un cadre surdéterminé par le politique.

L'insubordination ouvrière ne cesse de grandir à Paris. On ne compte pas moins de 170 conflits d'ateliers dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle (2) ; ces conflits opposant parfois les compagnons entre eux. La fréquence des confrontations, parfois violentes, contredit l'image idyllique de communautés artisanales tenant lieu de familles élargies sous l'Ancien régime. L'écrivain Louis Sébastien Mercier, partisan des réformes, est inquiet: « De nos jours, le petit peuple est sorti de la subordination, à un point que je puis prédire qu'avant peu on verra les plus mauvais effets de cet oubli de toute discipline » (3).

L'expérience des compagnons en matière de coalition a fait des progrès sensibles à la veille des échéances révolu­tionnaires. Telle la grève déclenchée en 1776, par les compagnons relieurs de Paris, pour ramener la journée de travail de seize à quatorze heures : « ... l'existence d'un comité de grève analogue à ce qui existe de nos jours en pareille circonstance ... » (4), ne fait aucun doute. Ces prati­ques ne concernent qu'une fraction minoritaire des gens de métiers.

Le libraire Sébastien Hardy (5), note dans son journal la montée de conflits importants, parfois victorieux, chez les travailleurs du bâtiment, les menuisiers, les maréchaux-fer­rants, les serruriers, les boulangers, les maçons et les chape­liers.

Ces mouvements joueront un rôle limité dans le déclen­chement du processus révolutionnaire. La revendication pro­prement salariale est largement occultée par le prix du pain, par sa rareté ou son abondance: « l'émeute des subsistances plutôt que la grève demeurait la forme typique et tradition­nelle de la revendication populaire » (6). Les événements sanglants du Faul?ourg St-Antoine en fournit l'illustration.

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L'ASSOCIATION EN CHANTIER

L'AFFAIRE RÉVEILLON

L'émeute des 27 et 28 avril 1789, dont la cible est le citoyen Réveillon, propriétaire d'une manufacture de papiers peints, constitue la seule insurrection composée exclusivement de salariés pendant la Révolution (7). Albert Soboul à la lumière de cet épisode considère que le salarié de la manufacture est capable de montrer « ... à l'occasion un comportement plus indépendant, qui n'est pas sans annoncer celui du prolétaire de la grande entreprise contem­poraine » (8).

Réveillon avait affronté, onze ans auparavant, une grève des ouvriers de la fabrique de papiers qu'il venait d'acquérir à Courtalin. Le conflit avait provoqué un arrêt du Conseil d'Etat interdisant à nouveau, toute association parmi les salariés des papeteries royales (9).

Rappelons brièvement les faits « de cette énigme très obs­cure et passablement indéchiffrable» (10). Réveillon parti­cipe activement à la préparation des Etats-Généraux. Son nom figure sur une liste des « amis du peuple » diffusée aux électeurs parisiens. Il se trouve en bonne compagnie puisque ses colistiers se nomment: Condorcet, Siéyès, Brissot, Cla­vière, etc. Le prospectus électoral vante curieusement ses mérites en le déclarant: «émule par sa générosité, son caractère patriotique et industrieux des manufacturiers anglais ».

Selon toute vraisemblance au cours de l'Assemblée du . district de Sainte-Marguerite, Réveillon a tenu le discours déflationniste ordinaire des entrepreneurs plus soucieux de faire baisser le prix du pain que d'augmenter les salaires. Il semble également que l'industriel à l'instar des autres nota­bles s'abstint de se mêler à la masse des participants. « Cette sorte de distinction qui n'était ni préméditée, ni l'effet d'aucune prétention, humilia le reste de l'Assemblée et la fit murmurer » (11).

A-t-il dit, qu'un ouvrier pouvait parfaitement vivre avec 15 sous par jour? Aucun document ne l'atteste. Jaurès sug­gère que ce représentant type du Tiers-Etat bourgeois n'a

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AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

fait que reprendre la proposition des industriels, préconi­sant l'abaissement du prix du blé à un niveau permettant à l'ouvrier de vivre avec 15 sous par jour (12). Diffuser de tels propos qualifiés « d'inconsidérés» par le lieutenant général de police, équivalait à lancer une torche dans la poudrière du faubourg St-Antoine. Le nombre des victimes n'a jamais pu être véritablement établi. Il aurait été de plusieurs cen­taines. L'hypothèse d'une manipulation n'est pas exclue, en raison de l'inertie flagrante des forces de l'ordre le 27 avril et du rôle occulte attribué au Duc d'Orléans dans le dérou­lement des événements.

Réveillon a toujours nié farouchement les paroles qu'on lui a prêtées, notamment dans un plaidoyer écrit peu après au fond d'une retraite clandestine, la Bastille, où il a été mis à l'abri de la colère populaire du 1er au 28 mai 1789. L'entrepreneur possède à l'époque la réputation d'un patron philanthrope. La moyenne des salaires dans son entreprise se situe entre 25 et 30 sous, les ouvriers les plus qualifiés pouvant atteindre les 50 sous. Or les salaires infé­rieurs à 20 sous, ne sont pas rares même à Paris.

Le fabricant, pionnier de la mutualité patronale, a créé une caisse de secours qui sera officiellement reconnue le 17 novembre 1789. Par la suite elle prendra le nom de son successeur : la « Société de secours mutuels des ouvriers en papiers peints de l'entreprise Jacquemart ». On porte égale­ment à son crédit l'indemnité de 15 sous par jour versée à ses ouvriers, que la carence de combustible avait privés d'ouvrage pendant le terrible hiver 88/89.

Réveillon n'est probablement pas « un homme barbare qui évaluait au prix le plus vil les sueurs des malheu­reux» (13), comme il le dit lui-même, mais sa richesse, éva­luée à cinquante mille livres, constitue en ces temps de disette un véritable défi. L'explication de l'émeute par l'hostilité de « classe» est, cependant, incomplète.

En instituant une zone de travail libre dans son entre­prise, le fabricant heurte le conservatisme corporatif. On met rarement en évidence le fait rapporté par Chassin, selon lequel «parmi les individus qui furent poursuivis et con-

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damnés pour les émeutes des 27 et 28 avril, il y eut un grand nombre d'ouvriers attachés aux corporations qui considé­raient la nouvelle industrie du papier peint comme une vio­lation de leurs antiques privilèges» (14).

Pour déterminer si l'on se trouve en présence d'un événe­ment précurseur de la lutte des classes des temps modernes, il convient de considérer l'attitude des ouvriers de la fabrique. Or : « Chose frappante, aucun des trois cent cin­quante employés de Réveillon ne fut parmi les émeutiers tués, blessés ou arrêtés. R n'est jamais question non plus, dans les rapports, de tentatives qui auraient été faites le 28 avril en vue de rallier ces employés à l'émeute. R est donc déraisonnable de vouloir faire de l'affaire Réveillon une grève ou une simple manifestation dirigée contre un patron impopulaire. R s'agit bien plus d'une protestation violente, inconsciente en partie sans doute, contre la pénurie et le prix élevé du pain » (15).

A travers l'affaire Réveillon la rue a fait la preuve de sa puissance. Désormais le mouvement populaire des villes et des campagnes influe directement sur le rythme des trans­formations de la société française. L'étude menée par Rudé sur les « vainqueurs de la Bastille » ne laisse aucun doute sur leur identité sociale. La destruction du symbole du des­potisme monarchique est l' œuvre quasi exclusive des gens de métiers, artisans et salariés. « On ne relève pas dans la liste des combattants les rentiers et les capitalistes pour lesquels en partie la Révolution était faite » (16), ironise Jaurès.

L'incendie révolutionnaire, au propre et au figuré, a gagné l'ensemble du territoire national dans la seconde quinzaine de juillet. Les privilégiés n'ont d'autre issue pour tenter de circonscrire le sinistre que de jeter nombre de leurs privilèges dans le brasier. Le jeune pouvoir constituant tra­vaille fièvreusement pendant le mois d'août 1789, à l'élabo­ration des droits nouveaux seuls susceptibles d'apaiser la soif populaire de liberté et d'égalité. L'association de soli­darité ouvrière entre dans une période riche de promesse, que ses acteurs vont vivre avec confiance et exaltation pen­dant près de deux années.

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LES DROITS OMIS

Pour parvenir à reprendre en main une situation proche du chaos, « il importe sans doute que l'opération soit bien menée, et comme le dit un député, cela ne va pas sans quelque "magie ", cela s'appelle la nuit du 4 août» (17).

Les décisions mémorables d'août représentent autre chose qu'un brillant exercice de prestidigitation. Elles consacrent simultanément « l'acte de décès de l'Ancien régime» (18) et la proclamation de droits nouveaux et universels pour l'homme. Peu de messages ont tenu une place aussi impor­tante dans le destin de l'humanité. Sa prodigieuse portée historique ne peut masquer les bornes dans lesquelles ses auteurs ont souhaité l'inscrire.

Les corporations, supprimées le 5 août au matin, sont rétablies le Il août, quand paraissent les décrets d'applica­tion. La formulation adoptée sur proposition de l'avocat Charles-Antoine Chasset, député du Beaujolais, supprimant les privilèges « des provinces, des villes, des corps et des communautés» (19) n'a pas été retenue. Le lobby corporatif qui s'était mobilisé lors de la rédaction des cahiers de doléances vient de marquer son dernier point. Le Chapelier au sortir de la nuit historique qu'il a présidée, déclare à une délégation des Six-Corps: «... L'Assemblée nationale s'occupera des moyens qui peuvent débarrasser le com­merce des entraves qui le gènent » (20).

La proclamation de la liberté et de l'égalité des droits ne s'oppose nullement dans l'esprit des constituants à la préé­minence du droit de propriété. Ils pensent avec Jean-Jac­ques Rousseau que « le droit de propriété est le droit le plus sacré de tous les droits des citoyens et plus important à cer­tains égards que la liberté même ... »(21). Reste qu'établir une hiérarchie des droits, conduit à en éluder certains.

La déclaration des droits de l'homme et du citoyen adoptée le 26 août 1789 comporte deux omissions impor­tantes: le droit d'association et le droit au secours. L'absence du principe d'assistance trouve son explication en partie dans le climat de précipitation des travaux. Le silence

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L'ASSOCIATION EN CHANTIER

de la déclaration sur la liberté d'association est délibéré. L'idée que la dispense de secours en faveur des plus

démunis doit être considérée comme un droit a fait une percée remarquable en cette fin du XVIIIe siècle. Le prin­cipe d'assistance publique est présent dans nombre de pro­jets qui ont contribué à l'élaboration du texte final. Des tra­vaux récents ont permis de répertorier une cinquantaine de contributions préparatoires. Le nombre réel est probable­ment plus élevé, si l'on se fonde sur le témoignage de l'ambassadeur des Etats-Unis, Jefferson, qui écrit en février 1789: «tout le monde ici rédige des déclarations des droits » (22).

Pétion, alors compagnon de Robespierre et futur maire de Paris propose : « Tout citoyen doit trouver une existence assurée, soit dans ses revenus de ses propriétés, soit dans son travail et son industrie ; et si des infirmités ou des mal­heurs le réduisent à la misère, la société doit pourvoir à sa subsistance » (23).

Siéyès, au zénith de son influence sur la Constituante estime que « tout citoyen qui est dans rimpuissance de pourvoir à ses besoins, a droit au secours de ses conci­toyens » (24). Dans une seconde version, l'abbé réduit la portée du droit reconnu en l'assortissant de considérations moralisatrices: «il n'entrera jamais dans l'intention des contribuables de se priver, quelque fois même, d'une partie de leur nécessaire, pour fournir au luxe d'un pensionnaire de rEtat » (25).

Le négociant versaillais de Boislandry, député du Tiers, écrit: « Tout citoyen qui est dans l'impuissance de pour­voir à ses besoins, a droit aux secours publics » (26). De son côté, le comte de Sinety député marseillais de la noblesse, estime que pour se préserver des dangers de l'inégalité les hommes « ... se doivent tous des secours mutuels d'huma­nité et de fraternité, qui corrigent cette inégalité » (27).

Pour le comte de Custine : « Tout citoyen qui est dans l'impuissance de pourvoir à ses besoins, a droit aux secours publics » (28). En marge du débat parlementaire, Marat écrit: « ... la société doit à ceux de ses membres qui n'ont

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aucune propriété, et dont le travail suffit à peine à leurs besoins, une subsistance assurée, de quoi se soigner dans leurs maladies, dans leur vieillesse, et de quoi élever leurs enfants ».

Il estime que la société ne peut réaliser une véritable éga- 1

lité, puisque celle-ci n'existe pas dans la nature, et que « ... si elle doit ses secours à tout homme qui respecte rordre établi, et qui cherche à se rendre utile; elle n'en doit aucun au fainéant qui refuse de travailler» (29).

Il a manqué peu de chose pour que ces diverses proposi­tions en faveur des secours publics soient inscrites dans la déclaration des droits. Le 27 août 1789, le président de l'Assemblée, le comte de Clermont-Tonnerre, propose de compléter le texte adopté la veille. Il soumet aux députés l'article suivant: « Tous les membres de la société, s'ils sont indigents ou infirmes, ont droit aux secours gratuits de leurs concitoyens» (30). L'urgence des décisions politiques, au premier rang le délicat problème du droit de veto royal, conduit l'Assemblée à ajourner la discussion.

L'absence de la liberté d'association dans la déclaration ne doit rien à la précipitation des délibérations. Elle signifie d'abord un rejet de principe: dans le régime aristocratique que l'on vient d'abattre, s'associer revenait à instaurer un corps, donc des privilèges. L'article 3 de la déclaration est particulièrement transparent : « Le principe de toute sou­veraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément ». L'omission n'exprime pas seulement une négation du passé, elle traduit une vision d'avenir dont on retrouve l'écho dans les projets en compétition.

Pison du Galland, avocat, député du Dauphiné, met en garde contre le principe de l'association de résistance, car dit-il: « il est absurde de supposer que des êtres intelligents s'associent pour ravantage des uns au désavantage des autres » (31). De Boislandry veut bien admettre, il est le seul, que « tous les citoyens ont le droit de s'assembler de manière paisible ... » à condition qu'on abolisse tous les pri­vilèges « préjudiciables à rintérêt général de la société. Les

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jurandes et les maîtrises sont des privilèges exclusifs, et doi­vent être abolis » (32).

Pour Siéyès le choix est clair : le citoyen doit avoir la liberté de développer des activités commerciales et indus­trielles, « en gros et en détails », comme bon lui semble. « Dans ces diverses occupations, nul particulier, nulle asso­ciation n' a le droit de le gêner, à plus forte raison de rem pêcher. La loi seule peut marquer les bornes qu'il faut donner à cette liberté comme à tout autre » (33). La liberté d'entreprendre possède une prééminence absolue sur la liberté d'association dès qu'elles se croisent. Le postulat est posé, reste à le mettre en œuvre.

« LE DÉRANGEMENT DES MAÎTRES»

La proclamation des droits de l'homme et la condamna­tion de facto des corporations soulèvent l'enthousiasme des salariés. Persuadés d'agir en pleine conformité avec l'esprit de la Révolution, ils s'emparent des nouveaux droits pour revendiquer, s'associer et même s'établir. Depuis le «dérangement des maîtres », que représente la nuit du 4 août, selon un membre des corporations (34), les manifes­tations se succèdent à Paris contre la rareté du travail et la cherté du pain.

Sébastien Hardy en tient le relevé scrupuleux (35). Le 14 août 1789, les garçons boulangers mécontents de n'avoir pas d'ouvrage, défilent rue St-Jacques; le 18, plusieurs mil­liers de garçons tailleurs se plaignent de ne toucher que trente sous par jour au lieu des quarante qu'ils réclament; le même jour les garçons perruquiers s'élèvent contre la taxe excessive prélevée par le bureau de placement dans la com­munauté. Ils demandent que le surplus soit utilisé pour acquérir des lits à l'Hôtel-Dieu.

Le 29 août, Hardy relate la tenue d'une réunion aux Champs Elysées, qui « disait-on» aurait regroupé quarante mille domestiques pour réclamer la qualité de citoyen. Quel­ques jours plus tard les ouvriers cordonniers, au nombre de

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six cents, forment un comité chargé de veiller au fonction­nement de leur association et de recueillir une cotisation pour venir en aide aux compagnons sans emploi (36).

Bien que ces rassemblements n'aient pas causé de vio­lence, les autorités parisiennes s'inquiètent. Ils publient plu­sieurs arrêtés les 7, 15, 18 et 21 août, dans lesquels on « défend à tout particulier, de quelque qualité et condition que ce soit, à toute corporation, de s'attrouper sous aucun prétexte; déclare ceux qui s'y prèteraient ou exciteraient lesdits attroupements, séditieux et perturbateurs de l'ordre public » (37).

La manifestation revendicative n'est pas la seule voie qu'utilise le peuple des métiers pour explorer les nouveaux espaces de liberté. Mettant à profit la dislocation progres­sive du cadre corporatif, nombre de compagnons et d'ouvriers réalisent le vieux rêve de s'établir. La chose est d'autant plus aisée que les formalités sont inexistantes dans cette période de transition.

Le phénomène touche diversement les professions. Des imprimeurs sont séduits par ces possibilités nouvelles, malgré l'importance de la mise de fonds initiale nécessaire. A l'occasion d'une fête célébrée en l'honneur de leur « col­lègue» Benjamin Franklin, le 1 0 août 1790, par «La société des ouvriers imprimeurs de Paris », l'un d'entre eux affirme: « Nous sommes redevenus, d'après la déclaration des droits, propriétaires de notre industrie ; la liberté de la presse nous assure la facilité de former des établissements, et d'améliorer notre sort à proportion de notre intelligence et de nos talents » (38).

Les maîtres perruquiers de Paris trouvent cette concur­rence funeste. En décembre 1790, ils rédigent une pétition dénonçant le fait que les 400 boutiques ouvertes par leurs anciens employés provoquent, en raison du détournement de clientèle, la ruine des 972 charges existantes. Sans compter ajoutent-ils, les 2000 ouvriers qui travailleraient en chambre (39).

L'étal de boucher devient l'objet de compétition et de chicanes. Les garçons bouchers obtiennent gain de cause

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contre les maîtres. Un décret des 15-28 mars 1790 range au nombre des droits féodaux supprimés sans indemnité « les droits d'étal et d'étalage ». Les maîtres cherchent à résister. Le 23 janvier 1791, à Pézenas, ils dénoncent « la fausse idée que l'Assemblée nationale avait aboli les maîtrises » (40). A St-Quentin, des poursuites sont intentées contre les particu­liers prétendant exercer des professions sujettes aux jurandes et aux maîtrises (41).

La recomposition du cadre corporatif par la libéralisation de l'activité professionnelle bouleverse les rapports sala­riaux traditionnels. Le salaire fixé, auparavant, par les règles communautaires des métiers jurés, devient une affaire privée entre le patron et l'ouvrier. La loi de l'offre et de la demande sur le « marché du travail » embryonnaire cons­titue la référence dans les rapports employeurs-salariés. L'individualisation des relations salariales se heurte aux tra­ditions communautaires, surtout dans les métiers qualifiés.

L'ÉTAT DE GRÂCE

1790 est-elle une « année heureuse» ? Elle n'a que « les apparences du répit» (42) estime Michel Vovelle. L'observa­tion vaut pour le monde des métiers, à la réserve près que les tensions sociales et le processus révolutionnaire ne sont pas nécessairement synchrones.

En se regroupant, les ouvriers savent qu'ils s'exposent à la redoutable accusation de reconstituer les corporations. Ils s'en défendent avec énergie, affirmant être les derniers à souhaiter le retour d'un système, dont ils étaient les vic­times. Discrets sur leurs intentions revendicatives, les sala­riés justifient principalement l'existence des associations par leurs objectifs d'entraide.

La société créée en juin 1790, sous le nom de « Corps typographique » constitue l'exemple le plus remarquable de ces tentatives d'associations ouvrières. La brochure conservée au British Museum de Londres, intitulée le

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«Règlement général pour le corps typographique» ne donne aucune information sur les conditions de cette nais­sance.

Une lettre du maire de Paris, datée du 9 mai 1790 (43),

approuvant le projet d'une réunion entre les représentants de la chambre syndicale patronale et une délégation ouvrière, indique que le processus d'organisation est déjà entamé. Le contexte de l'activité professionnelle est favo­rable aux compagnons. La liberté de communication reconnue par la déclaration des droits, a entraîné un accroissement considérable de l'édition. Du 14 juillet 1789 au 1 0 août 1792, on passe de soixante périodiques à plus de cinq cents.

Les ouvriers imprimeurs proclament dans l'exposé des motifs de leur règlemedt une adhésion enthousiaste à la Révolution. Ils n'imaginent pas un instant que la naissance de leur groupement puisse contrarier le mouvement qui a mis fin au despotisme et aux privilèges. « ... Aujourd'hui vos droits ne sont plus douteux, rien ne peut empêcher vos actes de bienfaisance et votre association » (44).

La société « vous procurera des secours dans vos infir­mités et dans votre vieillesse et détruira cette démarche humiliante à laquelle tant de vos frères ont été autrefois exposés pour se procurer quelques soulagements dans leurs maux» (45). La quête tolérée par les maîtres en faveur de confrères nécessiteux, leur apparaît avec le recul comme un acte de mendicité. On aurait tort de ne voir dans la mise en valeur de la motivation mutualiste que l'expression d'une tactique. L'organisation solidaire de la protection est pour ces salariés un impératif vital.

Le souci d'une bonne gestion de la bourse commune et celui d'une démocratie réelle sont particulièrement marqués dans l'énoncé des statuts. Le chapitre intitulé « De la police dans les imprimeries » ébauche une structure à mi- chemin entre la commISSIon paritaire et les prudhommes. L'article 5, interdit aux ouvriers de faire grève sans y avoir été autorisés par l'Assemblée. L'instance de régulation fonctionnera effectivement pendant quelques mois. Paul

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L'ASSOCIATION EN CHANTIER

Chauvet (46) relate un différend professionnel traité par cette méthode contractuelle, qui concerne Prud'homme, l'éditeur-imprimeur du journal «Les Révolutions de Paris ». L'assemblée a l'élégance de donner gain de cause au publiciste.

Pendant six mois, de novembre 1790 à mai 1791, le corps typographique disposera d'un périodique, le « Club philan­thropique et typographique », édité par Vital Roux, membre de la profession. La typographie parisienne a-t- elle fait école? Rien ne permet de confirmer l'optimisme de Roux écrivant que les grandes villes du royaume « ont vu éclore depuis rheureuse révolution, des sociétés ou des clubs typographiques » (47).

La vitalité du phénomène associatif s'exprime également dans d'autres métiers. Les compagnons serruriers ont formé une société qui se réunit les dimanches soir, « tant pour s'instruire des décrets de rAssemblée nationale que pour procurer des secours à ceux d'entre eux qui se trouveraient malades ou sans occupations» (48). La demande d'affilia­tion faite par les serruriers auprès de la section de la Biblio­thèque et la réponse des dirigeants sectionnaires, confirment l'ambiguïté des relations entre les sociétés ouvrières et l'élite militante révolutionnaire. La démarche accueillie avec une certaine chaleur, est finalement rejetée « vu que les assem­blées de pareilles sociétés sont illégales » (49).

L'enquête menée par l'Office du Travail en 1899, publiée sous le titre des « Associations professionnelles ouvrières » (50), fournit quelques indications sommaires, sur l'éclosion de sociétés d'entraide dans la première phase de la Révolution. Les orfèvres fondent leur société le 1 er janvier 1791. Elle deviendra sous la Restauration une société de secours mutuels interprofessionnelle. Les tan­neurs et corroyeurs de Paris forment le 6 février 1791, la « société d'entraide Saint-Simon» du nom du saint patron de la profession. Après 1789, les chapeliers-fouleurs lyon­nais « n'avaient cessé d'être organisés ».

Au Havre, «en juillet 1790, les garçons cordonniers déposent un projet de société de secours en cas de maladie

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et de chômage, le projet est approuvé par le conseil muni­cipal. Les cotisations de deux sols par semaine serviront à aider les malades et leurs familles, à secourir les adhérents sans ouvrage, à aider l'ouvrier cordonnier qui arrivera dans la ville pour chercher du travail ... » (51). Le prélèvement des cotisations éveille des méfiances. Neuf ouvriers- râpeurs de tabac demandent à la municipalité qu'on leur reconnaissent le droit de ne pas participer à la caisse de maladie instituée dans leur profession ou « à tout le moins d'avoir un droit de regard sur le mode de gestion de ces fonds » (52).

L'« Union fraternelle des ouvriers en l'art de la charpente de Paris », résurgence de la tradition compagnonnique, a obtenu depuis le début de l'année 1791, le droit de se réunir chaque semaine dans une salle de l'Archevêché. Les char­pentiers présentent leur association comme une institution philanthropique.

La société des charpentiers participe au bouillonnement révolutionnaire. Elle se réunit dans la même salle que le Club des Cordeliers et adhère au comité central formé par le Club en mai 1791 (53). Les Cordeliers, où s'illustrent Marat, Danton et Camille Desmoulins semblent avoir été à l'origine « une société fraternelle d'assistance sociale et de protection mutuelle » (54).

L'euphorie consensuelle de l'année 1790 culmine lors de la fête de la Fédération. Les travailleurs de tous les métiers consacrent de longues heures à la préparation des festivités aux côtés de leurs employeurs.« Il n'est point de corpora­tion qui ne veuille contribuer à élever rautel de la patrie ... Les ouvriers du pont Louis XVI y viennent avec leurs instru­ments, leurs tombereaux, leurs brouettes, après avoir fini la journée. Les bouchers avaient sur leur flamme un large cou­teau et on lisait dessous: H tremblez aristocrates, voici les garçons bouchers ". Les imprimeurs avaient écrit sur leur drapeau: H imprimerie, premier flambeau de liberté "» (55).

La liberté d'association semble assurée par la loi du 21 août 1790 : «Les citoyens ont le droit de s'assembler paisiblement et de former entre eux des sociétés libres, à la charge d'observer les lois qui régissent tous les

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citoyens ... » (56). La mepnse est patente. Les droits reconnus concernent le domaine politique. Les maîtres et les autorités ne vont pas tarder à fournir la bonne grille de lec­ture.

DISCORDANCES

L'année 1790 se termine par la promulgation de la consti­tution civile du clergé. Le cours « paisible» de la Révolu­tion n'a que six mois à vivre. C'est pourtant dans cette période que va se jouer le sort de la liberté d'association.

L'esprit de conciliation dont font preuve les ouvriers du livre ne désarme pas l'hostilité des maîtres imprimeurs pari­siens. Regroupés dans une « Assemblée encyclopédique », ils adressent le 7 janvier 1791 à la Commune de Paris une pétition dénonçant la société formée par les compagnons. Le Corps typographique est présenté comme une organisa­tion fixant arbitrairement les tarifs des salaires et utilisant la violence pour les imposer. Aucun fait précis n'est apporté à l'appui des accusations.

Selon le groupement patronal, l'association ouvrière représente « ... sans doute le plus ingénieux à imaginer par les ennemis de la patrie pour détruire la liberté de la presse et par conséquent la liberté individuelle de tous les citoyens de ce vaste empire ». Les maîtres font confiance aux édiles parisiens pour «imaginer les moyens de dissoudre une société aussi monstrueuse » (57).

Les entrepreneurs mettent à profit le mécontentement provoqué par les rivalités compagnonniques. Ils font déposer le 5 mai 1791 auprès de l'Assemblée nationale, une pétition intitulée «Adresse de la grande majorité des ouvriers des manufactures, compagnons des arts et métiers, pour la suppression des Compagnons du devoir» (58).

Démarche que Dupont de Nemours transmet au Comité de Constitution.

D'autre part les maîtres entendent empêcher leurs employés d'ouvrir librement des échoppes et des boutiques.

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Au début de l'année 1791, ils « assiégèrent de plaintes les municipalités et s'adressèrent même à l'Assemblée natio­nale » (59). Sur ce point la réponse de la Constituante va cruellement décevoir leur attente.

LA LIBERTÉ D'ENTREPRENDRE

La loi que l'Assemblée nationale vote sur la proposition du député d' Allarde répond à une double exigence : trouver des recettes fiscales en instituant la patente, réformer la législation industrielle et commerciale en supprimant défini­tivement le système des corporations. D'Allarde, ancien page de la Dauphine et officier de cavalerie, est devenu l'un des meilleurs spécialistes des questions financières de la Constituante.

Sa loi abroge au détour d'un débat fiscal, un ensemble de règles plusieurs fois centenaires. «A compte du 1er avril prochain, il sera libre à toute person,ne de faire tel négoce, ou d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle trouve­rait bon ; mais elle sera tenue de se pourvoir auparavant d'une patente, d'en acquitter le prix suivant les taux ci­après déterminés, et de se conformer aux règlements de police qui sont ou pourront être faits» (60):

La nouvelle législation consacre l'un des grands principes de la Révolution: «l'âme du commerce est l'industrie, l'âme de l'industrie est la liberté» (61). Le texte adopté, concrétise les décisions de la nuit du 4 août. L'article 4 de la loi s 'y réfère explicitement : « Les particuliers reçus dans les maîtrises et jurandes, depuis le 4 août 1789, seront rem­boursés de la totalité des sommes versées au Trésor public» (62). La loi ne semble pas avoir provoqué un mou­vement de protestations. Les ouvriers et les patrons crurent trouver leur intérêt dans l'abolition des corporations, note Jacques Godechot (63).

Quelques plaintes ont été émises. Leur nombre pourrait s'avèrer plus élevé dans l'hypothèse d'un dépouillement sys­tématique. Citon.s l'adresse des clercs des corps et commu-

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nautés d'arts et métiers de la ville de Paris: «Pendant qu'une foule de citoyens poussent des cris d'allégresse sur ce nouveau bienfait de l'Assemblée nationale, il existe une classe d'hommes utiles, que cette opération menace du plus grand malheur ... Que deviendront soixante citoyens, la plu­part pères de familles, qui, livrés tout entiers, depuis la jeu­nesse, à l'exercice d'une pareille occupation, ont perdu toutes les relations qui auraient pu venir à leurs secours ? » (64).

Le 3 mai 1791, les artisans de Clermont-Ferrand interro­gent: « Souffrirez-vous que le droit d'une concurrence illi­mitée puisse donner au premier venu les moyens d'acca­parer toutes les pratiques d'un artiste qui ne devait souvent sa réputation qu'à vingt ans de travail et qui peut-être n'a pour soutenir sa famille que cette seule ressource... )} (65).

La loi d' Allarde cause les premiers dommages que vont subir les caisses de solidarité. L'article 6 fait obligation de verser les fonds de secours professionnels à la Caisse de l'extraordinaire, créée pour recevoir les produits provenant surtout de la vente des biens nationaux » (66).

Une seule voix, celle de Marat, s'élève des rangs révolu­tionnaires contre ce « décret insensé ». Il écrit dans « l'Ami du peuple» du 16 mars 1791 : «A u lieu de tout boule­verser, comme l'a fait l'ignare comité de constitution, il aurait dû consulter des hommes instruits sur les choses qui ne sont pas à sa portée; pour s'attacher uniquement à cor­riger les abus ».

Ce point de vue est l'objet d'interprétations divergentes. Faut-il penser, avec Bouvier-Ajam, que Marat perçut claire­ment le «danger social» (67) de la loi, ou estimer avec Jaurès, que le directeur de « l'Ami du peuple» commit en cette occasion « un des contresens les plus décidés » (68) ?

Pour Marat la possibilité d'exercer librement le métier de son choix, sans être contraint de faire la preuve de sa capa­cité, conduit à une ruine rapide de l'économie et de l'Etat. « Lorsque chaque ouvrier peut travailler pour son compte, il cesse de vouloir travailler pour le compte d'autres ; dès lors plus d'ateliers, plus de manufactures, plus de com-

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merces ». Pire, la liberté développe l'appât du gain facile et la régression du savoir-faire professionnel. « Je ne serai pas étonné que dans vingt ans on ne trouvera pas un seul ouvrier à Paris qui ne sût faire un chapeau ou une paire de souliers ». Jaurès s'exclame: «Quel étrange amalgame d'idées et où la tendance réactionnaire domine» (69).

La loi d' Allarde ne dit mot sur le sort des sociétés ouvrières. Silence, qui s'explique, en partie, par le souci de ne pas provoquer le mécontentement des salariés sans une situation économique relativement prospère. Les consti­tuants estiment, à tort, qu'en l'absence de fondements juri­diques légaux les associations de métiers ne peuvent que s'effacer.

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NOTES

(1) Georges Rudé. - La foule dans la Révolution française, 1982, p. 18.

(2) Arlette Farge. - La vie fragile, op. cit., p. 133. (3) Louis Sébastien Mercier. - Le tableau de Paris, édit. 1979, p. 318. (4) Paul Chauvet. - Les ouvriers du livre, op. cit., p. 353. (5) Sébastien Hardy. - Mes loisirs ou journal d'événements tels qu'i!s

me parviennent à ma connaissance, t. 4, p. 315. (6) Georges Rudé. - La foule dans la Révolution française, op. cit.,

p.35. (7) Ibidem, p. 55. (8) Albert Soboul. - Les sans culottes, op. cit., p. 56. (9) Chassin. - Les élections et les cahiers de Paris, t. 3, op. cit., p. 55. (10) Jean Jaurès. - Histoire socialiste de la Révolution française, t. 1,

op. cit., p. 189.

(11) Chassin. - Les élections et les cahiers de Paris, op. cit., p. 54. (12) Jean Jaurès. - Histoire socialiste de la Révolution française, op.

cit., p. 189. (13) Exposé justificatif pour le sieur Réveillon entrepreneur de la manu­

facture royale de papiers peints, B.N., Lb 39.1618. Indemnisé par­tiellement par Necker, Réveillon remet en marche sa manufacture en 1790 désormais consacrée à la fabrication des assignats. Tou­jours sous le choc de l'émeute d'avril 1789, il émigre en Angleterre où il meurt en 1794.

(14) Chassin. - Les élections et les cahiers de Paris, t. 3, op. cit., p. 55. (15) Georges Rudé. - La foule dans la Révolution française, op. cit.,

p.59.

(16) Jean Jaurès. - Histoire socialiste de la Révolution française, op. cit., p. 378.

(17) Michel Vovelle. - La chute de la monarchie, op. cit., p. 132. (18) Georges Lefebvre. - La Révolution française, 1968, p. 149. (19) Isabelle Bourdin. - Les sociétés populaires à Paris pendant la

Révolution, 1937, p. 109.

(20) Edmond Sorreau. - La loi Le Chapelier, Annales historiques de la Révolution française, janvier/février 1931, p. 292.

(21) Jacques Attali. - ln : Au propre et au figuré, une histoire de la propriété, 1988,p. 299.

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(22) Yvon Bizardel. - Les Américains à Paris pendant la Révolution, 1972.

(23) Antoine de Baecque, Wolgang Schmalle, Michel Vovelle. - L'an 1 des droits de rhomme, 1988, p. 275.

(24) Christine Fauré. - La déclaration des droits de rhomme de 1789, 1988, p. 106.

(25) Ibidem, p. 224.

(26) Antoine de Baecque. - L'an 1 des droits de rhomme, op. cit., p.285.

(27) Ibidem, p. 224.

(28) Ibidem, p. 278.

(29) Christine Fauré. - La déclaration des droits, op. cit., pp. 277 et 278.

(30) Antoine de Baecque. - L'an 1 des droits de rhomme, op. cit., p.195.

(31) Ibidem, p. 230.

(32) Ibidem, p. 286.

(33) Christine Fauré. - La déclaration des droits, op. cit., p. 104.

(34) J .-M.-J. Biaugeaud. - La liberté du travail ouvrier sous rAssem­blée constituante, 1939, p. 40.

(35) Sébastien Hardy. - Mes loisirs au journal, op. cit., t. 8, pp. 434-455.

(36) Sigismond Lacroix. - Actes de la commune de Paris, 2e série, op. cit., t. 1, p. 416.

(37) Ibidem, p. 298. (38) A.N. DI IV ISO.

(39) Marcel Reinhard. - La Révolution 1789-1799, 1971, p. 216. (40) J .-M.-J. Biaugeaud. - La Liberté du travail ouvrier, op. cit.,

p.41.

(41) Ibidem.

(42) Michel Vovelle. - La chute de la monarchie, 1972, p. 139. (43) Paul Chauvet. - Les ouvriers du livre en France de 1789 à la cons-

titution de la Fédération du livre, 1956, p. 7. (44) British Museum, F.R. 8,68.

(45) Ibidem.

(46) Paul Chauvet. - Les ouvriers du livre, op. cit., p. 23.

(47) Ibidem, p. 21.

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(48) 1. Bourdin. - Les sociétés populaires à Paris, op. cit., p. 120.

(49) Ibidem.

(50) Les associations professionnelles ouvrières, Ministère du commerce et de l'industrie, des postes et télégraphes, 1899.

(51) Jean Noël Chopart. - Lefil rouge du corporatisme, op. cit., p. 67.

(52) Ibidem, p. 69.

(53) Georges Rudé. - La foule dans la Révolution française, op. cit., p.l05.

(54) Dictionnaire historique et biographique de la Révolution française et de l'Empire, 1789-1815. Sous la direction du Dr Robinet, 1975.

(55) Confédération nationale ou récit circonstancié de tout ce qui s'est passé à Paris le 14 juillet 1790 à la Fédération. B.N. Lb. 39.3768.

(56) Jacques Godechot. - Les institutions de la France sous la Révolu­tion et rEmpire, 1969, p. 214.

(57) Sigismond Lacroix. - Actes de la commune de Paris, 2e série, op. cit., t. 2, p. 58.

(58) E. Levasseur. - Histoire des classes ouvrières de rindustrie en France de 1789 à 1870, 1903-1904, t. 1, p. 51.

(59) 1. Bourdin. - Les sociétés populaires à Paris, op. cit., p. 110.

(60) Archives parlementaires, t. XXIII, p. 626.

(61) Ibidem, p. 200.

(62) Ibidem, p. 626.

(63) Jacques Godechot. - Les institutions de la France sous la Révolu-tion et rEmpire, op. cit., p. 214.

(64) AN. AD/XI/65.

(65) Ibidem.

(66) Florent Du Cellier. - Les classes ouvrières en France depuis 1789, 1859, p. 16.

(67) Maurice Bouvier Ajam. - Histoire du travail en France des ori­gines à la Révolution, 1957, p. 703.

(68) Jean Jaurès. - Histoire socialiste de la Révolution française, t. 1, op. cit., p. 874.

(69) Ibidem.

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Chapitre III

LA CASSURE

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La loi d'Allarde met un point final au mode féodal d'organisation des métiers. Les rapports soigneusement codifiés depuis des siècles entre maîtres et compagnons deviennent caduques. «Désormais, le salaire ne sera plus fixé en vertu d'une tradition corporative. Le salaire sera librement débattu entre le patron et ses employés» (1). Un principe nouveau est posé, les conditions de sa mise en œuvre restent à inventer. .

Les ouvriers n'ont pas attendu que leur travail soit offi­ciellement assujetti à la loi de l'offre et de la demande, pour découvrir les vertus de l'action collective. La «nouvelle donne » les incite à renforcer l'organisation de leurs mouve­ments. L'historienne Grace M. Jaffé a montré que la demande de main d'œuvre était « considérable» (2) au prin­temps 1791. Le duc de la Rochefoucauld-Liancourt recon­naît le 16 juin le caractère favorable de la conjoncture pour les salariés: «l'espèce de coalition même de plusieurs ouvriers qui s'entendent pour demander un grand hausse­ment dans leurs salaires, semble prouver seule qu'il y a moins d'ouvriers que de moyens de travail» (3).

Des différences d'attitude sont perceptibles parmi les entrepreneurs et la nouvelle classe dirigeante sur la conduite à tenir à l'égard des associations ouvrières. Paradoxale­ment, l'influence des idées d'Adam Smith sur une fraction de cette élite ne peut qu'alimenter les hésitations. Le fonda­teur de la théorie du capitalisme libéral est lu et commenté dans les milieux cultivés.

En 1790, à l'occasion de la sortie de la deuxième traduc­tion française de « La Richesse », Condorcet en publie un résumé chaleureux et didactique dans sa « Bibliothèque de l'homme public ». Siéyès, puise de nombreuses références dans la pensée de l'économiste écossais (4).

Adam Smith n'éprouve aucune sympathie pour les asso­ciations ouvrières : «Les gens de métiers se rassemblent rarement, même pour se divertir et prendre de la dissipa­tion, sans que la conversation aboutisse à une conspiration contre l'ordre public ou à quelque invention pour renchérir leur travail». Mais il ajoute: «il est impossible d'empê-

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LA CASSURE

cher ces assemblées par aucune loi qui soit exécutable et qui soit compatible avec la liberté et la justice » (5). Quelle que soit l'influence d'Adam Smith sur les conceptions des Cons­tituants, un certain flottement est perceptible sur le tracé des frontières du terrain associatif. Les autorités souhaitent convaincre les ouvriers de renoncer à leurs rassemblements pour s'épargner les désagréments d'une politique répressive.

Avant d'aborder les tensions sociales du printemps de 1791, il convient de distinguer les oppositions existantes dans les communautés de métiers, des grandes poussées populaires liées à la faim, jouant un rôle direct dans le pro­cessus révolutionnaire. « Le prix du pain réglait la tempéra­ture de Paris avec la précision d'un thermomètre» (6).

L'associationnisme ouvrier ne possède qu'une influence marginale sur le cours des événements. Il fournit, en revanche, de précieuses indications sur l'état d'esprit de la main d'œuvre salariée urbaine et pose l'une des grandes problématiques que devra affronter la société française au siècle suivant.

LA MODÉRATION DE BAILLY

Le conflit qui se noue à partir d'avril 1791 entre les ouvriers et les maîtres charpentiers, occupe une place majeure dans le cours désormais inexorable des événements. C'est moins son rôle déclencheur qui importe, que l'âpreté, la densité et l'intelligence de l'argumentation échangée. Les ouvriers charpentiers, forts de la bonne marche des affaires et de l'attitude conciliante du maire de Paris proposent aux maîtres le 14 avril de tenir une réunion de concertation pour « faire des règlements fixes relativement aux journées et aux salaires des ouvriers (7). Les employeurs refusent de s'asso­cier à une telle procédure qu'ils qualifient « d'illégale ».

Après «avoir attendu inutilement pendant quatre jours », les compagnons décident de fonder leur « Union fraternelle » et de rédiger un règlement composé de huit articles, aux nombres desquels figurent un seuil minimum

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de 50 sols par journée et la mise en place d'un véritable bureau de placement. Ils réfutent l'accusation de coalition, en affirmant que leurs propositions correspondent à des « conventions de gré à gré», et soulignent le caractère philanthropique de leur groupement. Désireux de parvenir à un règlement négocié, les ouvriers demandent au Maire de Paris de « se rendre médiateur dans cette affaire ».

La circonspection de Bailly reflète une indécision géné­rale, mais tient aussi à son caractère. Personnalité scienti­fique et littéraire respectée de l'Ancien régime, il préside les travaux de la Constituante en juin 1789 et concourt à rendre la Révolution irréversible, le 20 juin à l'occasion du serment du Jeu de Paume. Sa réplique au marquis de Dreux-Brézé le 23, qui lui demandait de faire évacuer la salle des Etats généraux, moins connue que celle de Mirabeau, mérite la postérité: «je crois que la Nation assemblée ne peut rece­voir d'ordre ».

Adepte des valeurs philanthropiques, il a mené en 1787, aux côtés du chirurgien Jacques Tenon et du duc de Laro­chefoucauld-Liancourt, une enquête particulièrement édi­fiante sur la terrible situation des hôpitaux parisiens. Si les initiateurs de «la pétition des cent cinquante mille ouvriers» la déposent dans ses mains, à la veille de l'ouver­ture des Etats-généraux, c'est disent-ils parce qu'il a su retracer « d'une manière si touchante les maux qui assiègent l'humanité dans l'asile des douleurs» (8).

Bailly s'efforcera en permanence d'orienter la Consti­tuante vers la prise en charge de la pauvreté. Il persuade l'Assemblée nationale, au terme d'une vibrante plaidoirie prononcée le 20 janvier 1790 au nom de « la misère pari­sienne» (9), d'instituer le fameux Comité de mendicité.

Le maire de Paris partage l'idéologie contractuelle domi­nante, mais le cheminement d'un savant et d'un humaniste ne prédispose pas à la maîtrise des conflits sociaux. Les entrepreneurs et certains de ses collègues lui reprochent son manque de fermeté. C'est lui pourtant qui le 26 avril 1791 lance la première sommation officielle aux travailleurs pari­siens.

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Le texte du maire de Paris, intitulé « Avis aux ouvriers» (10), s'adresse aux deux parties. L'admonestation reste parternelle et rend hommage à « la classe estimable et laborieuse des ouvriers», qui « ... a toujours donné des preuves les moins équivoques de son attachement à la Cons­titution ... ». La loi ne doit pas, comme par le passé, pro­fiter seulement aux riches. La liberté nouvelle offre à chaque ouvrier la possibilité d'obtenir un salaire correspon­dant à ses talents. Mais « il ne peut le stipuler que pour lui individuellement; il ne peut l'exiger que lorsqu'il a été con­venu de gré à gré. S'il en était autrement, il n'y aurait plus de justice, ni par conséquent, de vraie liberté ».

L'égalité des droits ne saurait être assimilée à celle des facultés et des talents. Les autorités municipales reprochent aux ouvriers de proposer des «prix uniformes » pour les salaires. Peu importe, que ces derniers affirment demander un salaire minimum et non uniforme, ce qui domine c'est l'impression que les charpentiers ont porté atteinte à l'une des idées phares de la Révolution: le primat du mérite indi­viduel sur celui lié à la naissance.

L'autre volet de la mise en garde est plus politique. Les ouvriers ressucitent par leurs coalitions les privilèges corpo­ratifs, qui ont pour effet de mettre « la société entière à la discrétion d'un petit nombre d'individus ». Le corps muni­cipal souhaite que les ouvriers égarés renouent avec leur patriotisme, sinon il sera contraint d'« employer contre eux les moyens qui lui ont été donnés pour assurer rordre public et maintenir rexécution des lois ».

Quatre jours plus tard, les maîtres adressent une pétition à la municipalité l'informant que les ouvriers n'ont pas modifié leur attitude. Les revendications ouvrières sont illé­gales et ruineuses. « Une augmentation subite d'un tiers sur le prix de la main d'œuvre de la charpente est donc impos­sible » (11). Les conséquences des grèves sont dramatiques au point disent-ils qu'« il en résulte les plus grands préju­dices pour les propriétaires par le défaut de solidité des bâti­ments». Certes, «les ouvriers ne doivent pas être des esclaves», mais il leur faut admettre les nouvelles règles:

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« plus de coalitions, plus de prix banal : et la concurrence fixera naturellement les intérêts mutuels ».

Les ouvriers charpentiers justifient dans une nouvelle pétition présentée à la Municipalité le 5 mai, la mise sur pied de leur organisation par le besoin « de se soulager mutuellement dans leur infirmité et leur vieillesse » (12). Ils récusent toutes les accusations de violence et réitèrent leur demande d'une médiation municipale. Les édiles parisiens apprécient d'autant moins la ténacité des charpentiers, que d'autres catégories de travailleurs commencent à suivre leur exemple. A peine, Bailly a-t-il exhorté la députation des ouvriers charpentiers «à retourner à leurs travaux », ce 5 mai 1791, qu'une délégation d'ouvriers attachés à la cons­truction du pont Louis XVI (pont de la Concorde) «se disant députés de la part des 500 hommes composant rate­lier, ont été introduits» (13).

La municipalité, toutefois, montre peu d'empressement pour appliquer les décisions du Directoire lui enjoignant « de fermer tous les lieux vacants dans lesdites maisons ci­devant écclésiastiques... » (14). Les entrepreneurs qui ont la conviction d'être en symbiose avec le nouveau régime, ne dissimulent pas leur mécontentement à l'égard des ater­moiements de Bailly.

L'INCOMMUNICABLE « QUESTION OUVRIÈRE»

Comment les milieux révolutionnaires les plus avancés, notamment ceux qui ont vocation de commenter l'actualité, perçoivent-ils cette combativité ouvrière? Prudhomme, consacre dans « Les Révolutions de Paris », classé par J ac­ques Godechot comme journal d'extrême gauche, un long article sur le sujet (15). Le pamphlétaire ne trouve pas la revendication de cinquante sous excessive. La demande, d'une médiation municipale, en revanche, est « une erreur de droit qu'i1 est essentiel de relever... Entre celui qui tra­vaille et celui qui fait travailler, il est tyrannique et absurde qu'un tiers puisse contre le gré des contractants donner sa volonté par convention ».

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Il examine ensuite la dénonciation des maîtres portant sur le caractère illégal de l'association ouvrière. Il ne rejette pas formellement la justification d'entraide mutuelle donnée par les ouvriers charpentiers à leur « Union fraternelle ». Pourtant : « ce motif est louable sans doute, et les dangers auxquels, ils sont chaque jour exposés dans leur état pour­raient légitimer cette association, si quelque chose pouvait rendre légitime ce qui est contraire à rordre public. Mais nous devons le dire avec vérité: une assemblée où ne peu­vent être admis que les hommes qui exercent la même pro­fession, blesse le nouvel ordre des choses; elle porte ombrage à la liberté ; en isolant les citoyens ; elle les rend étrangers à la patrie, en leur apprenant à s'occuper d'eux­mêmes; elle leur fait oublier la chose commune; en un mot elle tend à perpétrer cet égoïsme, ces esprits de corpora~ion dont on a voulu anéantir jusqu'au nom ».

C'est moins le patron qui s'exprime chez Prudhomme que l'adepte de l'idéologie libérale des « lumières ». Il conseille aux maîtres : « de se défaire promptement des vieilles habi­tudes qu'ils ont contractées sous r ancien régime à r ombre de leurs privilèges». Reste, que malgré sa sympathie pour les travailleurs, Prudhomme leur dénie catégoriquement le droit de s'assembler par métiers.

L'opinion sur le sujet de François Robert, rédacteur du « Mercure national et étranger» est encore plus intéres­sante. Cet avocat des Ardennes, révolutionnaire de la pre­mière heure, s'installe à Paris, après avoir été le comman­dant général de la garde nationale de Givet (16). Il est l'un des premiers à s'exprimer en faveur de l'idée républicaine. Sa brochure publiée en décembre 1790, le « Républicanisme adapté à la France » fait scandale dans une période où la formule d'Aulard : «plus on est révolutionnaire en 1789, plus on est monarchiste» (17) n'a rien perdu de sa perti­nence. Après la fuite du roi, il sera le rédacteur de la péti­tion exigeant sa déchéance et la proclamation de la Répu­blique (18). La fusillade qui ponctuera la manifestation orga­nisée au Champ de Mars le 17 juillet, pour soutenir ce texte, précipitera la scission entre modérés et révolutionnaires.

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François Robert est en ce printemps 1791, secrétaire du comité central formé par le Club des Cordeliers et les sociétés fraternelles. Précision capitale fournie par Rudé : « Les démocrates révolutionnaires prodiguèrent secours et encouragements aux compagnons charpentiers. Non seule­ment les charpentiers se réunissaient dans la même salle que le Club des Cordeliers, mais l'Union fraternelle des ouvriers en r art de la charpente se trouvait également affiliée au comité central formé par le Club en mai 1791 » (19).

Le journaliste du « Mercure » a des visées sur le monde du travail. Selon Albert Mathiez, «le comité central de Robert ne se proposait rien moins que de grouper et de coordonner, de diriger aussi le mouvement ouvrier» (20).

François Robert s'exprime sur le différend opposant maîtres et ouvriers charpentiers dans le numéro du Il mai 1791 du « Mercure ». Après avoir résumé la mise en garde de Bailly, il avoue son embarras : « ... que faire, que conclure dans cette circonstance. Rien, sinon que de toutes parts, il y a des torts ».

Le journaliste fait preuve sur la liberté d'association d'une indéniable ouverture d'esprit. Il admet que: « ... les ouvriers ont le droit de s'assembler, qu'i!s peuvent délibérer sur leurs intérêts, qu'ils peuvent même s'engager à ne pas travailler pour tels prix» ; mais il ajoute « il est également vrai qu'i!s ne peuvent ni forcer les entrepreneurs à leur accorder ce même prix, ni défendre à leurs camarades de travailler pour un prix moindre ».

Tout en reconnaissant l'opposition d'intérêt entre les deux parties, il est franchement hostile à la proposition des ouvriers visant à introduire un tiers dans ce tête à tête. « ... Cette démarche est fausse et injuste; ils reconnaissent, ils attribuent à la Municipalité un droit qu'elle n'a pas et bles­sent évidemment les droits des entrepreneurs ... ».

Pour le secrétaire du comité central, la seule méthode capable de résoudre le problème est: «La concurrence, voilà le seul taux du commerce, la seule règle invariable à tous contrats d'échange: un ouvrier donne son travail pour de l'argent, il est libre de ne pas le donner qu'à condition;

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comme l'homme à argent est le maître de ne donner son argent que sous condition ». Peu importe ensuite qu'il pro­nonce des paroles sévères à l'égard des patrons et fasse l'éloge de la conduite patriotique des ouvriers, l'essentiel est dit.

S'en remettre aux seuls mécanismes du marché pour assurer la régulation de rapports sociaux divergents, peut difficilement avec le recul, s'interpréter comme un soutien à la cause populaire. Pourtant, l'incompréhension de Robert et de ses amis à l'égard du caractère spécifique des aspira­tions ouvrières, n'est pas toujours perçue par les historiens, quelle que soit d'ailleurs leur sensibilité.

Albert Mathiez voit dans l'article du « Mercure » une protestation contre la défense faite aux charpentiers de se coaliser et souligne combien il faut «apprécier toute rimportance de ces paroles, alors très nouvelles sous une plume bourgeoise» (21). Curieusement, le primat de la logique marchande ne retient pas son attention. Sur un autre versant, Pierre Gaxotte (22) présente les sociétés ouvrières comme de simples courroies de transmission des Cordeliers. « C'étaient eux qui à partir de mai 1791, avaient organisé les grandes grèves de charpentiers, de typographes, de chapeliers et de maréchaux-ferrants ... ».

Les rapports entre le mouvement revendicatif du prin­temps 1791 et l'élite révolutionnaire semblent achopper sur une évidente incompréhension entre ces deux univers cultu­rels. De ce point de vue, la rectification publiée par le journal de la Commune du 6 mai 1791, n'est pas qu'anec­dotique. La délibération du 4 mai de la section du Temple présentée initialement comme favorable à la pétition des ouvriers charpentiers, concerne en fait celle des patrons charpentiers. Sigismond Lacroix ajoute: «nous ne connaissons d'ailleurs sur la question aucune autre manifes­tation de section et de comité de section » (23).

FIN DE PARTIE

Alors que l'on ne se bouscule guère du côté des démo­crates révolutionnaires pour prendre la défense des ouvriers,

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les maîtres harcèlent la municipalité pour obtenir la dissolu­tion de 1'« Union fraternelle». L'extension des conflits à d'autres professions provoque l'irritation des « usagers », surtout quand ils sont royalistes et que cela permet de dénoncer à bon compte le nouveau cours. « La Feuille du jour» du 10 juin 1791 signale trois ou quatre quartiers de Paris agités par des rassemblements d'ouvriers mécontents et déplore la coalition des garçons cordonniers : « de façon que depuis trois jours, on ne peut être ni ferré, ni chaussé. Tout ce désordre tient à la nullité des ressorts administratifs qui n'ont ni force, ni jeu ».

Bailly finit par céder aux pressions redoublées. Il ferme, le Il mai, la salle de l'Archevêché, ainsi d'ailleurs que celle du couvent de l'Observance où se réunissaient les Corde­liers. Un point capital convient d'être souligné, dans une période où la rue s'embrase facilement, les ouvriers sem­blent n'avoir utilisé d'autres moyens que la parole. La cor­respondance abondante échangée entre Bailly, Lafayette et de Gouvion major général de la garde nationale de Paris, confirme l'absence d'incidents.

Bailly, le 26 avril, demande à Gouvion de surveiller les ateliers pour empêcher les grévistes d'entraîner ceux qui tra­vaillent. Le major général répond dans la journée, qu'il prend toute disposition pour surveiller l'assemblée de l'Archevêché. Il ajoute, ce qui en dit long sur le calme des ateliers : «J'ai l'honneur d'observer à monsieur le maire que si l'on recommande à l'ordre une surveillance particu­lière sur les ateliers des maîtres charpentiers, elle se réduira à rien parce que beaucoup de commandants de bataillon ignorent absolument dans quelle partie de l'arrondissement de leurs bataillons les ateliers sont situés » (24).

Si les compagnons font preuve de sang-froid, ils ne renoncent pas à leurs revendications. L'Archevêché leur étant interdit, ils se rassemblent ailleurs. La municipalité mesurant son impuissance à faire cesser cette action nomme, le 20 mai, trois commissaires pour se concerter avec le Directoire du département. Le dénouement est proche, mais l'affrontement demeure circonscrit au

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LA CASSURE

domaine des idées. Nombre d'arguments échangés par les ouvriers et les maîtres charpentiers dans leurs dernières péti­tions témoignent, à deux siècles de distance, d'une éton­nante modernité.

Les maîtres charpentiers dans un précis adressé à l'Assemblée Nationale, le 22 mai 1791 refont l'historique du conflit dans lequel les ouvriers « réunis en corporation ... se sont érigés et constitués en assemblée délibérante » (25). Les employeurs rappellent « les dangers irréparables d'assem­blées corporatives d'ouvriers, qui tendraient à augmenter les salaires et qui en forceraient l'augmentation par la déser­tion des travaux: exemple qui pourrait se propager dans toutes les manufactures de l'empire et porter le coup le plus fatal au commerce; en effet, les fabrications françaises ne pourraient plus soutenir la concurrence avec celles de l'étranger ». Les entrepreneurs attendent « de la sagesse de l'Assemblée Nationale qu'elle rendra un décret à l'effet d'empêcher la formation de toute espèce de corporation nuisible au progrès du commerce et de sa liberté ».

Les ouvriers ripostent les 26 mai et 2 juin par deux longs précis adressés à la Constituante. Ils s'attachent à réfuter point par point les allégations des maîtres. Non seulement, ils s'insurgent contre l'accusation qui les présente comme de dangereux perturbateurs, mais ils retournent le compli­ment: « Au surplus, si nous voulions dénoncer comme les ci-devant maîtres, nous dirions qu'ils s'assemblent journel­lement, qu'ils se coalisent et qu'ils s'entendent ensemble pour ne donner aux ouvriers que le moins qu'ils pourront, de sorte qu'un ouvrier, en se présentant chez un entrepre­neur, est obligé d'accepter le prix qu'il lui offre, puisqu'il est certain de ne pas avoir davantage chez un autre. Ils le nieront sans doute. Mais les preuves existent ... Or, dans ce cas-là, les ouvriers ne peuvent faire aucune réclamation pour faire valoir leur droit » (26).

Les employeurs jouissent de la liberté de se concerter. Les salariés en sont privés. Or, «l'Assemblée Nationale, en détruisant tous les privilèges et les maîtrises et en déclarant les Droits de l 'homme, a certainement prévu que cette

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déclaration servirait à quelque chose à la classe la plus indi­gente, qui a été si longtemps le jouet du despotisme des entrepreneurs ».

Le 2 juin les ouvriers en l'art de la charpente réitèrent leur hostilité à la corporation, qui «faisait notre mal­heur» (27). Ils utilisent pour préciser la fonction de bienfai­sance de « l'Union fraternelle» un terme destiné à faire carrière: « l'homme honnête cherche à adoucir le sort de ses semblables ; eh bien ! telles sont nos intentions, et ce ne sont pas les leurs; car ils s'opposent autant qu'ils peuvent à l'établissement que nous faisons. Nous formons une caisse de secours mutuels pour les malades et les infirmes si fré­quents dans notre état ».

L'expression « caisse de secours mutuels» semble appa­raître ici pour la première fois. A défaut d'en reconnaître l'existence le contexte révolutionnaire aura permis de forger le mot. In fine, les 120 ouvriers charpentiers signataires for­mulent leur totale confiance dans les décisions de l'Assem­blée nationale.

Dans les premiers jours de juin une autre profession entre en scène, celle des maréchaux-ferrants. Les termes du débat entre maîtres et ouvriers sont identiques à ceux des charpen­tiers. Ils dessinnent un type de confrontation sociale, qui n'est pas encore venu à maturité. L'heure n'est pas à la recherche d'un hypothétique consensus. Les patrons maré­chaux s'adressent le 7 juin à l'Assemblée nationale pour « réclamer l'exécution de vos décrets et demander à être soustraits à l'espèce de tyrannie que leurs ouvriers exercent aussi contre eux» (28).

Les entrepreneurs brossent un tableau dramatique de la situation parisienne: « C'est la coalition générale de 80 000 ouvriers de la capitale; c'est la réunion d'une masse immense d 'hommes qui croient devoir être divisés d'intérêts et de principes avec le reste de leurs concitoyens; les serru­riers, les cordonniers, les menuisiers commencent déjà à suivre les traces des charpentiers et des maréchaux, les autres n'attendent que la réussite des premiers pour suivre les mêmes errements ».

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LA CASSURE

L'historienne Grace M. Jaffé dans le cadre de l'étude sys­tématique qu'elle a consacré à cette période ne trouve pas de trace de violence et encore moins de préparation à l'émeute de la part des ouvriers charpentiers et maréchaux. Elle est également formelle sur la supposée « coalition géné­raie» : « ... on ne trouve aucune mention d'une association générale des ouvriers nulle part ailleurs » (29), que dans la pétition des maîtres maréchaux.

Reste la lettre publiée dans «L'Ami du Peuple», le 12 juin, au nom des 340 ouvriers charpentiers du chantier de l'église Ste-Geneviève, qui dénonce nommément une dizaine d'entrepreneurs. Jean Jaurès souligne le ton agressif de la lettre (30), mais ne formule aucune remarque sur son authenticité. Grace M. J affé ne cache pas son scepticisme. Ce texte tranche avec les prises de positions antérieures. « Nous pensons que la lettre que l'on a supposée l'expres­sion de la violence ouvrière n'est qu'une diatribe passionnée de la plume du fougueux journaliste, de Marat lui­même» (31), estime l'historienne.

Provocation journalistique ou non, cette lettre est le seul excès sur lequel le Comité de Constitution peut s'appuyer pour instruire à charge contre les salariés. Le souci exprimé en permanence par les compagnons de trouver un com­promis acceptable pour les deux parties, s'est heurté à une brutale fin de non-recevoir. L'onde de choc provoquée par la cassure amorce sa longue trajectoire.

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NOTES

(1) Noyelles. - Cours d'économie politique, 1936/1937, p. 84. (2) Le mouvement ouvrier à Paris pendant la Révolution française, op.

cit., p. 101.

(3) Sigismond Lacroix. - Les actes de la commune, op. cit., t. 5, p.233.

(4) Gilbert Faccarello. - L'économie politique.- In: rEtat de la France pendant la Révolution, 1988, p. 425.

(5) La richesse des nations, 1800, t. 1, pp. 124-125.

(6) Eric J. Hobsbawn. - L'ère des révolutions, 1988, p. 88.

(7) Sigismond Lacroix. - Les actes de la commune, op. cit., 21 mai 1791, p. 350.

(8) Chassin. - Les élections et les cahiers de Paris, op. cit., t. 2, p. 592.

(9) Ferdinand Dreyfus. - Larochefoucauld-Liancourt un philanthrope d'autrefois, 1903, p. 147.

(10) B.N. Fol. PIano. Lb40.1.

(11) Sigismond Lacroix. - Les actes de la commune, op. cit., 30 avril 1791, p. 92.

(12) Ibidem, op. cit., 5 mai 1791, p. 144.

(13) Ibidem, p. 136.

(14) Ibidem, t. 4, p. 83.

(15) « Les Révolutions de Paris », n° 96 du 7 au 14 mai 1791, B.N. 8° Lc2.171.

(16) Isabelle Bourdin. - Les sociétés populaires à Paris, op. cit., p. 163.

(17) Cité par Ferdinand Dreyfus. - Larochefoucauld-Liancourt, op. cit., p. 90.

(18) Albert Mathiez. - Le club des Cordeliers pendant la crise de Varennes et le massacre du Champ de mars, 1910, p. 44.

(19) La foule dans la Révolution française, op~ cit., pp. 104-105.

(20) Le club des Cordeliers, op. cit., p. 31.

(21) Ibidem.

(22) La Révolution française, 1988, p .. 170.

(23) Sigismond Lacroix. - Les actes de la Commune, op. cit., 6 mai 1791, p. 152.

(24) B.N. Fonds français, 11697.

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(25) Précis présenté à rAssemblée nationale par les entrepreneurs de charpente de la ville de Paris, 22 mai 1791, Bibliothèque Nationale 4e FM. 35345.

(26) Réfutations des ouvriers en rart de la charpente à la réponse des entrepreneurs, A.N.AD/XI/65.

(27) Ibidem. (28) Sigismond Lacroix. - Les actes de la commune, op. cit., 4 juin

1791, p. 485. (29) Le mouvement ouvrier à Paris, op. cit., pp. 154-155.

(30) Jean Jaurès. - Histoire socialiste de la Révolution française, op. cit., t. 1, p. 912.

(31) Le mouvement ouvrier à Paris, op. cit., p. 165.

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CHAPITRE IV

LE DESPOTISME DU CONTRAT

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Dans la deuxième quinzaine de mai 1791, le corps muni­cipal avait nommé trois commissaires pour se concerter avec le Directoire du département. Cet organisme dirigé par le . procureur général syndic, de Pastoret, avait écarté tout esprit de conciliation. Ironie de l'histoire, le chevalier de Pastoret issu de la noblesse de robe, sera au début du XIxe siècle l'un des principaux animateurs de la Société philan­tropique, dont on connaît le rôle essentiel dans l'essor des sociétés de secours mutuels.

Au terme de la conférence entre la municipalité et le département, il est décidé de s'adresser au Comité de Constitution « pour lui exposer les faits et prendre son avis sur les principes qui doivent diriger la conduite de l'admi­nistration » (1). La démarche des autorités locales intervient dans un climat de crispation sécuritaire. Les graves inci­dents survenus le 28 février 1791 : émeute au faubourg St- Antoine, destruction par la foule du parapet du donjon de Vincennes, rassemblement de 400 aristocrates armés de poignards, ont provoqué une profonde inquiétude.

Coïncidence troublante, le même jour Le Chapelier avait présenté devant la Constituante un rapport sur « le respect dû à la loi ». Il avait fait adopté, malgré une vive opposi­tion, de Pétion et de Robespierre, le principe selon lequel « aucune section ne participe à la souveraineté » ; celle-ci ne devant s'exercer que « dans l'assemblée nationale. Par­tout ailleurs il n'y a pas que des sujets qui doivent émettre leur vœu et obéir» avait-il conclu (2).

Le 26 avril, Bailly pour la ville et Larochefoucauld-Lian­court pour le département signent une adresse demandant à l'Assemblée nationale l'élaboration d'un nouveau code pénal pour assurer le maintien de l'ordre. L'Assemblée acquiesce et adopte le 10 mai 1791 une loi limitant le droit de pétitions et d'affiches. Le climat politique ne joue pas en faveur des ouvriers parisiens.

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LE DESPOTISME

UN CONSTITUANT MODÈLE

L'image d'un personnage historique varie en fonction de l'époque et du lieu d'où on l'observe. Le Chapelier, moins que tout autre, n'échappe à cette constatation banale. La loi anti-associative du 14 juin 1791 qui assure aujourd'hui sa notoriété est ignorée par les biographes du XIXe (3). Louis Blanc, Adolphe Thiers, Michelet, Taine, à l'exception de Roux et Buchez, ne prêtent le moindre intérêt à une loi que rien ne semble distinguer de la couleur du temps.

Le Chapelier Isaac-René-Guy naît à Rennes en 1754. Fils d'un avocat, bâtonnier de l'ordre, il devient très jeune un maître du barreau. En 1788, fort des titres de noblesse obtenus par son père, il fait campagne pour que les anoblis de fraîche date puissent être désignés comme représentants de la noblesse. L'échec de cette démarche a probablement nourri de solides préventions anti-aristocratiques. Il mani­feste lors des affrontements de janvier 1789 contre la noblesse du Parlement de Rennes, à la tête du Tiers-Etat, un courage et une détermination remarqués.

Son action faillit tourner court, le Tiers-Etat de Bretagne l'ayant écarté en raison de son statut d'anobli. Le 13 avril, la décision est rapportée et Le Chapelier est nommé repré­sentant du Tiers. « Député de Rennes aux Etats Généraux, il arriva à Versailles avec une réputation d'audace et d'habi­leté, et il fût presque aussitôt un des orateurs dont les paroles répondirent le mieux aux sentiments de la moyenne des constituants » (4).

Le Chapelier s'impose d'emblée comme l'un des cham­pions de la bourgeoisie révolutionnaire. Il dénonce le 1 er juillet 1789, en des termes encore peu usités la responsabi­lité de la cour et du roi dans la crise: « C'est, dit-il, cette espèce de violation, cette usurpation de l'autorité exécutive sur l'autorité législative» (5). Il fonde la « Société des amis de la Constitution », plus communément appelée le « Club breton », qui devient le « Club des Jacobins ».

Président à plusieurs reprises de l'Assemblée nationale, il dirige la sé~nce historique de la nuit du 4 août 1789. « Sa

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AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

présidence fût remarquable, en ce qu'i! saisit l'occasion de s'arroger le premier la prééminence sur le roi» (6). Ses dons d'improvisation et son talent oratoire sont reconnus. Le comte de Montlosier, l'un de ses adversaires, affirme : « ... Il n' a cédé en talent à qui que ce soit, pas même à Mira-

. beau » (7).

Ses capacités intellectuelles et morales sont plus diverse­ment appréciées. Pour Bouvier-Ajam, c'était « surtout un arriviste d'intelligence médiocre» (8) ; Camille Desmoulins le qualifie d'« ergoteur misérable» (9); en revanche, Aulard le considère comme « run des légistes de rAssem­blée, un des rédacteurs de la Constitution, un des rappor­teurs les plus écoutés » (10).

Son œuvre parlementaire est impressionnante. On y relève plus de trois cents interventions sur les sujets les plus variés, parmi lesquelles: la nationalisation des biens du clergé en novembre 1789, la nomination des juges par le peuple, le 5 mai 1790, l'abolition des titres de noblesse, le 9 juin 1790, l'adoption du drapeau tricolore, le 21 octobre 1790 et la loi du 29 juillet 1791, garantissant aux écrivains la propriété de leurs œuvres, « la plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable et... la plus personnelle des pro­priétés », proclame-t-il.

Jusqu'à la fuite du roi, Le Chapelier mène un combat vigoureux contre les privilèges de l'Ancien régime. Une anecdote rapportée par Aulard montre l'hostilité des aristo­crates à son égard. Après qu'il ait dénoncé à l'Assemblée, le Parlement de Rennes comme le symbole « de ce que les abus ont de plus odieux, r aristocratie de plus absurde, la féodalité de plus barbare... les royalistes devaient se venger de façon la plus odieuse. Ils allèrent en nombre attaquer Le Chapelier dans un café et le jetèrent par la fenêtre » (11).

Il rompt avec les Jacobins après Varennes et se joint comme la plupart des constitutionnels aux éléments modérés du « Club des Feuillants », pour tenter d'enrayer la radicalisation provoquée par la fuite du roi. Son dernier acte législatif sera de présenter, le 29 septembre 1791, à la veille de la clôture de la Constituante, un projet de loi qui

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LE DESPOTISME

interdit aux clubs, associations et sociétés « d'avoir sous aucune forme une existence politique». Il est temps, mar­tèle Le Chapelier, d'arrêter le processus révolutionnaire. « Lorsque la Révolution est terminée, lorsque la Constitu­tion est fixée ... alors il faut que tout rentre dans l'ordre le plus parfait » (12). La cohérence de sa conception du régime représentatif se retrouve entièrement dans ce dernier rap­port.

Le Chapelier passe en Angleterre à la fin de l'année 1791. Il revient à Paris pour empêcher la rnise sous séquestre de ses biens. Accusé de conspiration, notamment au profit de l'Angleterre, il est exécuté le 30 avril 1794 en compagnie de Malesherbes et du comte de Chateaubriand, « convaincus d'être auteurs ou complices des complots qui ont existé depuis 89 contre la liberté, la sûreté et la souveraineté du peuple... » (13).

« LA LOI TERRIBLE» (14)

Jaurès souligne, par ce qualificatif, les dommages dura­bles causés au monde du travail. Il suggère que la loi du 14 juin 1791 consacrée aux associations ne pouvait avoir, dans l'esprit de ses auteurs, la « brutalité» que près d'un siècle d'histoire ouvrière devait lui donner. Aussi doit-on faire l'effort de lire, sans l'abstraire de son cadre histo­rique, le rapport liminaire à cette loi présentée par Le Cha­pelier. Ce qui n'implique aucune adhésion à la thèse de la «Loi de circonstance », pro née naguère par Germain Martin et Henri Sée.

Les aspects conjoncturels pour secondaires qu'ils soient ne sont pas à négliger. La thèse d'un vaste complot contre l'ordre public tient une large place dans la première partie de l'exposé des motifs. Citant une correspondance adressée par la municipalité d'Orléans, Le Chapelier y voit une entreprise de désordre et de violence menée à l'échelle natio­nale.

L'affaire d'Orléans est démesurément grossie. L'incident,

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qui date de cinq semaines, a été maîtrisé sans peine. Une brochure, rédigée par un observateur proche des autorités, le dit clairement. Les ouvriers d'Orléans informés que leurs compagnons parisiens avaient obtenu certaines augmenta­tions de salaires, s'étaient rassemblés devant l'Hôtel de ville pour demander « qu'on doubla la paye ... la municipalité tint bon, se refusa à tout et en imposa à cette horde furieuse par l'arrestation des trois plus mutins» (15). Le chroniqueur conclut « ... une proclamation acheva de mettre le calme ». La peur des coalitions ouvrières au sein de la Constituante n'est probablement pas feinte, mais les faits invoqués pour la justifier sont minces, sinon inexistants.

Les motivations idéologiques sont plus sérieuses. Le Cha­pelier mène son réquisitoire contre les associations ouvrières sur trois plans. Le premier assimile les groupements profes­sionnels à la reconstitution des corporations. Or, « il n'y a plus de corporation dans l'Etat; il n'y a plus que l'intérêt de chaque individu et l'intérêt général. Il n'est permis à per­sonne d'inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par esprit de corpora­tions » (16).

Le second, plus original, qualifie de « motifs spécieux» la notion d'entraide mise en avant par les ouvriers pour jus­tifier leurs associations. L'avocat rennais évoque le tradi­tionnel soupçon du double jeu. Il argue que l'organisation des secours relève désormais de la Nation. La municipalité est vivement blamée d'avoir autorisé les rassemblements d'ouvriers sous le prétexte d'assistance aux malades et aux infirmes.

Le troisième argument, plus puissant, probablement celui qui rassemble les constituants, traite du mode de régulation des rapports sociaux. Les coalitions ont le tort d'engendrer l'augmentation du prix de la journée de travail, alors qu'il faut s'en tenir «au principe que c'est aux conventions libres, d'individu à individu, à fixer la journée pour chaque ouvrier ».

Tout en rappelant la règle d'or qui doit présider au fonc­tionnement d'une économie libérale idéale, le rapporteur

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exprime le vœu que le salaire ouvrier soit «plus considé­rable qu'il rest à présent» afin que celui qui le reçoit « soit hors de cette dépendance absolue que produit la privation des besoins de première nécessité, et qui est presque celle de l'esclavage ». Les « murmures» (17), que provoque le rap­porteur donnent la mesure du conservatisme social au sein de l'Assemblée.

Ce frémissement désaprobateur confère rétrospective­ment à Le Chapelier un brevet de progressisme aux yeux de certains observateurs. Ernest Lavisse, écrit: « ainsi même dans une assemblée bourgeoise, bien peu favorable aux droits ouvriers, une voix autorisée reconnaissait que tout travailleur a droit à la suffisante vie et que la liberté civile et politique ne peut s'accommoder de resclavage écono­mique » (18).

En conclusion, le rapport souligne que la loi est équi­table, puisqu'elle vise à prévenir les coalitions pouvant se former de part et d'autre. La proclamation d'une stricte neutralité entre les deux parties ne sera pas même observée formellement, puisque Le Chapelier acceptera un amende­ment excluant les Chambres de commerce du champ d'application de la loi. « ... Vous imaginez bien qu'aucun de nous n'entend empêcher les commerçants de causer ensemble de leurs affaires » admet-il. '

De fait, l'article 2, qui a fait la réputation de la loi, n'a jamais véritablement concerné que les seuls salariés. Article 2 : « Les citoyens d'un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte, les ouvriers d'un art quelconque, ne pourront, lorsqu'ils se trouveront ensemble se nommer ni président, ni secrétaire, ni syndic, tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibérations, former des règlements sur leurs prétendus intérêts com-muns ».

Les termes du choix arrêté sont limpides : « au conflit de deux libertés, la liberté d'association contre la liberté du tra­vail, l'arbitrage de la Constituante fait prévaloir celle qui est la plus favorable à la bourgeoisie » (19).

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L'ÉMERGENCE DE L'« ÉTAT PROVIDENCE»

L'invocation de l'assistance publique pour mieux contester la légitimité des caisses de secours est spécieuse. Les secours étatiques n'ont pas encore dépassé le stade des intentions. Malgré cela les justifications de Le Chapelier ne peuvent être considérées comme un alibi. Le rapporteur du Comité de constitution se réfère directement aux projets du Comité de mendicité formé par la Constituante au début de 1790. Ce Comité « nous apparaît comme la résultante du mouvement philanthropique prérévolutionnaire et comme le point de départ de l'œuvre de la Révolution en matière de bienfaisance », dit Camille Bloch (20).

La personnalité de son président, le duc de Larochefou­cauld-Liancourt, symbolise parfaitement cette transition entre les deux époques. Député de l'Oise à la Constituante, il accomplit son œuvre principale en matière d'assistance, en présentant les sept premiers rapports du Comité de men­dicité de juin 1790 à janvier 1791. Les idées et les plans adoptés par le Comité et approuvés par l'Assemblée, mar­quent une étape essentielle dans l 'histoire de la protection sociale française. Larochefoucauld-Liancourt est l'un de ces hommes « dont les idées ont franchi leur époque... » (21).

Le premier rapport «déclare solennellement ce grand principe longtemps méconnu dans les institutions sociales: la misère des peuples est un tort des gouvernements ... Aucun Etat n'a considéré les pauvres dans la Constitu­tion... On a toujours pensé faire la charité aux pauvres et jamais à faire valoir les droits de l'homme pauvre sur la société et ceux de la société sur lui » (22).

Le principe de l'égalité des droits adopté par la nouvelle société doit s'appliquer aux secours en cas de malheurs et de besoins. L'article 1 er du projet de décret inscrit dans le troi­sième rapport lu par Liancourt le 3 septembre 1790, préfi­gure les grandes décisions révolutionnaires en matière d'assistance: «L'Assemblée nationale déclare qu'elle met au rang des devoirs les plus sacrés de la Nation l'assistance aux pauvres dans tous les âges et toutes les circonstances de

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la vie et qu'il y sera pourvu, ainsi qu'aux dépenses pour l'extinction de la mendicité sur les revenus publics, dans l'étendue qui sera jugée nécessaire» (23).

Considérable sur le plan conceptuel, l'œuvre de la Consti­tuante est sensiblement plus modeste sur les réalisations. Elle inscrit dans la Constitution de 1791, au titre des garan­ties fondamentales, la disposition suivante: « Il sera créé et organisé un établissement général de secours publics, pour élever les enfants abandonnés, soulager les pauvres infirmes et fournir du travail aux pauvres valides qui n'auraient pas pu s'en procurer ».

En dépit d'hésitations perceptibles et surtout de la briè­veté de son mandat, la Constituante a accumulé de remar­quables matériaux pour les assemblées suivantes. En revanche, les salariés se voient privés des moyens de protec­tion dont ils s'étaient dotés, en échange de principes géné­reux mais abstraits. Dans l'esprit des constituants, le devoir d'assistance de la Nation concerne les indigents, catégorie à laquelle les gens "de métiers n'ont pas le sentiment d'appar­tenir.

La société fraternelle est leur bouclier contre les affres de la grande indigence, particulièrement de l'hôpital, qui demeure, d'après Larochefoucauld-Liancourt le haut lieu de la douleur. La mise à l'index des sociétés d'entraide mutuelle, ne peut qu'accroître l'insécurité quotidienne des gens de métiers. La discrétion des démocrates révolution­naires sur les propositions de Le Chapelier, n'en paraît que plus surprenante.

LE SILENCE DE LA GAUCHE

Seul, Gaultier-Biauzat, émet de timides réserves sur le rapport du Comité de Constitution. Le député de Clermont­Ferrand, est un modéré qui s'était opposé le 3 août 1789 à la déclaration des droits. Bien que partageant sur le fond la volonté d'en finir avec l'esprit de corporation, il demande le renvoi du projet à la séance du lendemain pour donner à

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l'Assemblée le temps de la réflexion, car dit-il, «je désire­rais qu'on ne portât pas atteinte à la liberté qu'on a de s'assembler quelquefois» (24). Le Chapelier n'a guère de difficulté à faire repousser l'ajournement en invoquant la «fermentation» à Paris et en province.

« Il est probable que Robespierre n'a vu là qu'une pré­caution justifiée, à l'égard des particularismes corporatifs susceptibles de nuire à l'unité nationale ... » estime l'un de ses biographes (25). Cette explication, la plus couramment avancée en raison de l'étroite filiation de pensée entre Rous­seau et Robespierre, ne dissipe pas entièrement le mystère. Le député d'Arras avait livré les 9 et 10 mai un vigoureux combat contre le projet de limitation du droit de pétition et d'affiche, également présenté par Le Chapelier.

Dans ce rapport, la référence aux corporations, était omniprésente. Robespierre ne s'était pas laissé intimider par cet argument d'autorité. Il avait pris, malgré les quolibets, la défense des droits spécifiques des pauvres : « Eh ! Mes­sieurs, le droit de pétition ne devrait-il pas être assuré d'une manière plus particulière aux citoyens non actifs ? Plus un homme est faible et malheureux, plus il a de besoins, plus les prières lui sont nécessaires ». L'affrontement entre Robespierre et Le Chapelier avait revêtu une telle vigueur, que le président de séance rappela ce dernier à l'ordre.

Le mutisme qu'observe le dirigeant jacobin le 14 juin, reflète, selon Jean Jaurès, un manque de clairvoyance dans l'ordre économique. Le député d'Arras n'a pas pressenti les oppositions sociales qui surgiraient à la faveur de l'essor de l'industrie. « Sans doute la prédominance encore marquée de la petite industrie lui cachait le problème » (26). Deux jours après la loi Le Chapelier, Robespierre demeure une nouvelle fois silencieux, lors de la suppression des ateliers parisiens de charité, qui prive de toutes ressources vingt mille ouvriers.

La presse révolutionnaire n'est pas plus prolixe. Camille Desmoulins ne dit mot dans les « Révolutions de France et du Brabant » ; Prudhomme se contente de publier le texte de loi sans commentaire. La presse monarchiste exprime

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son approbation; c'est le cas du «Le Babillard », du 16 juin: «Plusieurs ouvriers se plaignent du décret qui rend aux maîtres la liberté de récompenser les talents et ractivité; cette loi contrarie les fainéants et les ignares qui forçaient les entrepreneurs à les payer comme bons ouvriers ».

Le 17 juin, « l'Ami du roi» estime que « ... resprit de licence et d'insubordination est répandu dans le peuple ... Si M. Chapelier veut contenir le peuple dans le devoir, empê­cher les attroupements, les associations séditieuses, qu'i! commence donc par établir une force publique». Mais « le côté gauche ... s'est mis lui-même dans la dépendance du peuple ». Nul doute pour le journaliste monarchiste: « les ouvriers continueront de s' assembler sans craindre les amendes, les excommunications, les dégradations civi­ques ».

Marat est une nouvelle fois le seul à protester contre la loi Le Chapelier. Comme pour la loi d'Allarde, Jaurès a beau jeu d'observer qu'il n'a visiblement «pas saisi la portée de la future loi » (27). Le directeur de « l'Ami du peuple» ne voit dans les restrictions touchant le droit d'association au sein des métiers, qu'un simple complément politique des limitations apportées au droit de pétition. Ce n'est d'ailleurs que de façon subsidiaire, qu'il aborde la loi Le Chapelier dans un article (28) essentiellement consacré aux mesures destinées à empêcher les citoyens «de s'occuper en commun de la chose publique ».

En considérant l'interdiction faite aux travailleurs de s'assembler, comme l' œuvre de députés «presque tous prostitués à la Cour », Marat commet un contresens. La Constituante consacre le principe de la libre concurrence et le pouvoir des entrepreneurs. Il paraît vraisemblable dans cette perspective que la loi Le Chapelier ait été conçue par ses promoteurs, du moins en partie, comme un acte de défense révolutionnaire: «. . . les députés patriotes crai­gnaient que les associations ouvrières, les compagnonnages ne devinssent des centres de propagande contre-révolution­naire » (29). Le souvenir de la disgrâce de Turgot provoquée

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par la cour, sous les applaudissements du peuple, est encore dans de nombreuses mémoires. Cette explication n'épuise pas le sujet. Elle a le mérite de souligner la complexité des mobiles des constituants dans cette affaire.

UN INDIVIDUALISME ÉTATIQUE

L'exceptionnelle longévité de la législation contre les associations ouvrières, sa stricte application au plus fort de la terreur, montrent que la loi répond aux exigences du temps, parmi lesquelles le droit de propriété occupe la place majeure. « Là où je ne vois point le respect des propriétés, je ne reconnais plus rordre social » (30). La préoccupation de « classe» qui pointe ici chez Barère fournit- elle, pour autant « l'explication » ?

Les références idéologiques des constituants sont à ce point diverses, que Jaurès emploie une expression hybride pour cerner la personnalité de Le Chapelier. Celui-ci est : « ... si je puis dire un individualiste étatiste» (31). Le para­doxe de la formule n'est qu'apparent, si l'on veut bien con­sidérer que l'action des constituants se situe au point de confluence de Rousseau, de Smith et des physiocrates.

La théorie rousseauiste de la nécessaire fusion de la volonté individuelle dans la volonté générale, a procuré au combat des révolutionnaires contre la société d'ordres, l'une de ses plus puissantes motivations. La proposition de Rousseau de procéder à « ... r aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute communauté » (32), est cependant contestée par Voltaire : « tout cela est faux, je ne me donne point à mes concitoyens sans réserve ».

Le Chapelier n'en a cure, puisqu'il cite littéralement le « Contrat social », pour condamner l'esprit de corporation. Quand il affirme: «Il n) a plus de corporation dans rEtat; il n'y a plus que rintérêt particulier de chaque indi­vidu et rintérêt général. Il n'est permis à personne d'ins­pirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique», n'est-il pas l'écho presque parfait de

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Rousseau : « ... Il importe donc pour avoir bien l'énoncé de la volonté générale qu'il n'y ait pas de société partielle dans l'Etat et chaque citoyen n'opine que d'après lui» (33).

L'immensité de la tâche et son caractère inédit, obligent les constituants à rechercher des outils conceptuels les plus divers et parfois opposés: « il n'y a rien de si exactement contraire au mode de travail décrit par Smith que celui qui est décrit et célébré par Rousseau » (34). Depuis Quesnay, l'école physiocrate sous l'impulsion notamment de Turgot et de Dupont de Nemours, avait préparé les esprits à la liberté complète du travail et aux nécessités d'une concur­rence sans frein. La préé,minence octroyée à l'agriculture, source principale de richesse à leurs yeux, a jeté le discrédit sur cette doctrine. La pensée qui guide, dans la période révolutionnaire, les forces nouvelles de l'industrialisme et du commerce, semble être davantage celle d'Adam Smith.

Nous avons vu la haute estime que lui portaient Siéyès et Condorcet. Il apparaît que l'audience de l'économiste écos­sais dépasse les cercles érudits. Ainsi le corps de l' orfè­vrerie, dans une pétition adressée à l'Assemblée nationale le 22 septembre 1790 en faveur d'une concurrence illimitée, cite le fait qu'« à Londres, dit M. Smith, c'est dans les fau­bourgs affranchis des privilèges des corporations qu'on trouve les meilleurs ouvriers » (35).

Le fonctionnement de la société-marché repose sur l'échange continu entre des besoins et des intérêts stricte­m~nt individuels. Le travail ne saurait échapper à cette règle et son prix doit faire l'objet, comme n'importe quelle mar­chandise d'un contrat conclu de gré à gré. Comment parler d'égalité des droits, si la liberté individuelle s'exerce sans prendre en compte le rapport des forces sociales en pré­sense? La lucidité de Turgot aurait pu aider les consti­tuants à trouver une réponse équitable. Il écrit dans «Réflexions sur la formation et la distribution des richesses » : « Le simple ouvrier, qui n'a que ses bras et son industrie, n'a rien qu'autant qu'il parvient à vendre à d'autres sa peine. Il la vend plus ou moins cher; mais ce prix plus ou moins haut, ne dépend pas de lui seul; il

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résulte de l'accord qu'il fait avec celui qui paye son travail. Celui-ci le paye le moins cher qu'il peut; comme il a le choix entre un grand nombre d'ouvriers, il préfère celui qui travaille au meilleur marché. Les ouvriers sont donc obligés de baisser leur prix à l'envi les uns les autres. En tout genre de travail, il doit arriver et il arrive que le salaire de l'ouvrier se borne à ce qui lui est nécessaire pour lui pro­curer sa subsistance » (36).

Confier à l'Etat la charge des secours et s'en remettre exclusivement à l'individualisation des relations sociales, représente une contradiction sérieuse. Les contemporains ne retiennent que la complémentarité des deux principes. La société industrielle et son cortège de douleurs ouvrières sont encore en devenir. Les gens de métiers demeurent très large­ment perçus, en cette fin de XVIIIe, comme une catégorie relevant de la domesticité ; assimilation qui a contribué à masquer les conséquences aliénantes de la loi Le Chapelier.

LA CONDITION SERVILE

La distinction établie dès le début de la Révolution, pri­vant les citoyens passifs du droit de vote pour défaut de revenus, présente les caractéristiques d'une mesure de classe. Ces dispositions censitaires peuvent aussi s'expliquer par des motivations plus honorables. Seule la possession d'un bien, fût-il modeste, garantit l'indépendance et le civisme des citoyens: «Les pauvres, dans l'état d'igno­rance et d'inorganisation où ils se trouvent, pouvaient aisé­ment devenir une clientèle électorale » (37).

L'élimination des domestiques du corps électoral est décidée sans soulever d'opposition. Le 9 juin 1791, la Cons­tituante décrète l'inéligibilité de tout « homme aux gages et aux ordres habituels d'un autre ». La formule peut prêter à confusion dans une époque où le statut social des salariés conserve une connotation domestique. Ainsi, le décret du 19 juillet 1791, portant sur l'organisation de la police muni­cipale et correctionnelle, dont l'un des articles stipule qu'en

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cas de coups et de blessures « la peine sera plus forte, si les violences ont été commises ( ... ) par des apprentis, compa­gnons et domestiques à l'égard de leurs maîtres» (38).

L'amalgame entre le salariat et la domesticité est explicite. La vulnérabilité sociale et économique des ouvriers face

aux entreprises de séduction des aristocrates est redoutée par tous les révolutionnaires ... Marat dénonce dans « l'Ami du peuple» du 7 avril 1791, une nouvelle tentative de « faire égorger les amis de la liberté par la main même des pauvres qu'ils nourrissent ». Il ajoute que les ministres aris­tocrates et leurs agents ont attiré dans la capitale une foule d'indigents: « ... une multitude de gardes du corps n'avait pas rougi de se mettre à la tête des ateliers et des bandes d'ouvriers en qualité de piqueurs ... ».

Les démocrates révolutionnaires, confirme Aulard, redoutaient que les ouvriers, particulièrement ceux des banlieues, ne tombent sous l'influence des doctrines contre­révolutionnaires. Il cite à l'appui de cette observation le fait relaté par « La Bouche de Fer », du 1 er avril 1791 : «Je crois devoir vous dénoncer une chose de la plus haute importance: j'ai vu hier, en me promenant hors de Paris, des ouvriers aux travaux publics qui lisaient « l'Ami du Roi» ; je me suis approché d'eux et j'ai entendu qu'ils l'approuvaient » (39).

La crainte de voir s'opérer la jonction entre les monar­chistes et les ouvriers, en dépit de leur engagement majori­taire dans le camp de la Révolution n'est pas dénuée de fon­dement. L'adresse (40) présentée au roi par plus de trois cents ouvriers de Paris, dont près des trois-quarts origi­naires du faubourg St-Antoine, vers la fin de l'année 1791, ne peut qu'alimenter cette méfiance.

Le texte porte des critiques sévères contre le nouveau régime. La plume a pu être tenue par un représentant de l'aristocratie, mais les noms, accompagnés du lieu de rési­dence, sont bien ceux d'ouvriers représentatifs des diffé­rents arts et métiers de la capitale. «Nous souffrons, disent-ils, depuis longtemps sans murmurer, tous le fléaux qu'entraînent après eux les grands changements: notre

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patience a égalé nos espérances, parce qu'on nous parlait de bonheur, de liberté, d'égalité ... mais que cette illusion a peu duré ».

Après la déception vient la charge, dont on imagine la source d'inspiration: «Qu'ont fait les représentants du peuple pour sa félicité ? Quels sont ceux dont le sort est amélioré? La liberté, régalité sont des chimères qui ont rompu tous les liens de la société, confondu tous les pou­voirs, détruit rordre, semé la division et produit tous les maux dont nous, nos femmes et nos enfants sommes les premières victimes ».

Il est difficile d'apprécier le degré de représentativité d'un tel document. L'adresse du 29 octobre 1790 des ouvriers de plusieurs ateliers de Paris aux sections de la capitale (41),

dénonçant les aristocrates qui voudraient semer le trouble et la division semble y faire écho : « ces desseins sont crimi­nels sans doute, mais aussi les ouvriers qui se déclarent leurs complices, en servant leurs projets séditieux ».

Les indications d'ordre politique confortent les références culturelles, auxquelles adhèrent spontanément les acteurs de la Révolution. Saint-Just écrit, sans détours: « Un métier s'accorde mal avec le véritable citoyen: la main d'un homme n'est faite que pour la terre ou pour les armes» (42).

Soboul rapporte le mot de la fille du menuisier Duplay, hôte de Robespierre, femme du conventionnel Lebas: « suivant laquelle son père soucieux de dignité bourgeoise, n'eût jamais admis à sa iable run de ses serviteurs, c'est dire de ses ouvriers» (43).

Camus, futur initiateur des Archives nationales, « l'un des plus fermes caractères de rAssemblée », selon Michelet, recommande que «le rapport de M. Le Chapelier soit imprimé en même temps que les articles parce que je le crois très propre à éclairer les ouvriers sur leurs devoirs » (44). Le député de Paris s'était signalé le 4 août 1789, par la proposi­tion d'adjoindre une déclaration des devoirs à celle des droits. Dans le cas présent, seuls les devoirs sont évoqués, comme s'il s'adressait à des gens de maison.

Le Chapelier veille, il est vrai, au respect formel du prin-

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cipe d'égalité entre salariés et employeurs en substituant le terme « d'entrepreneur» à celui de maîtres dont l'usage demeure le plus courant. L'assimilation du monde ouvrier à la domesticité, conserve un bel avenir. Dans une lettre du 22 décembre 1792, le ministre de l'Intérieur demande à ses services de prendre en considération le fait que les ouvriers maréchaux de la Saline de Dieuze se plaignent que « leurs gages sont trop modiques » (45). Au début du XIXe siècle, le Code civil napoléonien emploiera indifféremment pour les ouvriers le terme de gage ou de salaire.

Le continent ouvrier demeure encore très largement immergé. La distance, voire la condescendance observées par les démocrates révolutionnaires, procède davantage de la méconnaissance de sa fonction réelle que du mépris. Le déclenchement de la « deuxième Révolution » (46), six jours après le vote de la loi Le Chapelier, à l'occasion de la fuite à Varennes, concentre pour longtemps l'attention sur des enjeux qui transcendent les oppositions sociales. Le temps de l'affirmation du rôle messianique du monde ouvrier n'est pas encore venu.

La dissuasion législative pointée contre l'association a pour conséquence immédiate de fragiliser la condition ouvrière. Les sociétés d'entraide entrent dans un tunnel.

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NOTES

(1) Sigismond Lacroix. - Les actes de la commune, op. cit., t. 4, p .348.

(2) Archives parlementaires, Mavidal et Laurent, t. 23, 28 février 1791, p.563.

(3) Notamment : Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu'à 1850-60, Firmin-Didot Frères; Biographie univer­selle ancienne et moderne, Michaud 1844, Dictionnaire de la Révo­lution française, E. Boursin, Album du centenaire de la Révolution française.

(4) François-Alphonse Aulard. - L 'éloquence parlementaire pendant la Révolution française, 1882, p. 391.

(5) Jean Jaurès. - Histoire socialiste de la Révolution française, op. cit., t. 1, p. 401.

(6) François-Alphonse Aulard. - L'éloquence parlementaire, op. cit., p.392.

(7) Ibidem.

(8) Histoire du travail, op. cit., p. 705.

(9) Jean Jaurès. - Histoire socialiste de la Révolution française, op. cit., p. 906.

(10) François-Alphonse Aulard. - L'éloquence parlementaire, op. cit., p.390.

(11) Ibidem, p. 394.

(12) Archives parlementaires, le 29 septembre 1791, p. 617. (13) Le Moniteur Universel, 30 avril 1794.

(14) Jean Jaurès. - Histoire socialiste de la Révolution française, op. cit., p. 903.

(15) Grands détails sur la grande émeute excitée à Orléans par les ouvriers, 5 mai 1791, B.N. Lb39. 4910.

(16) Archives parlementaires, 14 juin 1791, p. 210.

(17) Ibidem. (18) Histoire de la France contemporaine, 1920, t. 1, p. 292.

(19) Michelle Vovelle. - La chute de la monarchie, op. cit., p. 174. (20) L'assistance et fEtat en France à la veille de la Révolution, op.

cit.,p. 423. (21) Maxime Leroy. - Histoire des idées sociales en, France, 1950,

p.319.

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(22) Premier rapport du Comité de mendicité, Le Comité de mendicité de la Constituante, 1790-1791, publiés et annotés par Camille Bloch et Alexandre Tuetey, p. 328.

(23) 3e rapport du Comité de mendicité, Ibidem, p. 380. (24) Les archives parlementaires, le 14 juin 1791, p. 211. (25) Henri Guillemin. - Robespierre, 1987, p. 58. (26) Jean Jaurès. - Histoire socialiste de la Révolution française, op.

cit., p. 911. (27) Ibidem. (28) « L'Ami du peuple », n° 498, 18 juin 1791. (29) Jacques Godechot. - Les institutions de la France sous la Révolu­

tion, op. cit., p. 217. (30) Georges Rudé. - La foule dans la Révolution française, op. cit.,

p. 139. (31) Histoire socialiste de la Révolution française, op. cit., p. 907. (32) Du contrat social, livre premier, chapitre 6, 1988. (33) Ibidem, livre deuxième, chapitre 3. (34) Bertrand de Jouvenel. - Essai sur la politique de Rousseau. - In :

Du contrat social, op. cit., p. 437. (35) A.N. AD/XI/65. (36) Cité par Bouvier-Ajam. - Histoire du travail en France depuis la

Révolution, 1969, p. 24. (37) Michel Winock. - Chronique de 1789, tannée sans pareille, Le

Monde, 26/08/1988. (38) J.-B. Duvergier. - Collection complète des lois, t. 3, p. 138. (39) François Alphonse Aulard. - Histoire publique de la Révolution

française (1789-1804), 1901, p. 100. (40) Adresse des ouvriers de la ville de Paris présentée au roi, B.N.

Lb39.11162. (41) Adresse des ouvriers de plusieurs ateliers de Paris aux sections de la

capitale, B.N. Lb39.9490.

(42) Cité par Bouvier-Ajam. - Histoire du travail en France, op. cit., p.30.

(43) Les sans-culottes, op. cit., p. 47. (44) Archives parlementaires, 14 juin 1791, p. 212. (45) A.N. F/12/1560. (46) Michel Vovelle. - La chute de la monarchie, op. cit., p. 239.

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Chapitre V

LE TROU NOIR

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Les historiens unanimes observent la foudroyante effica­cité de la loi du 14 juin 1791 et l'absence totale d'opposi­tion. Le constat peu discutable, présente un inconvénient : il résulte avant tout de notre ignorance. Nous savons peu de chose sur les attitudes réellement adoptées par les destina­taires de la loi. Bien que le manque de traces matérielles tra­duise une chute brutale de l'activité associative, il est peu satisfaisant de l'établir par défaut.

Le voile posé sur l'association ouvrière, au début de l'été 1791, peut-il être levé? Le simple bon sens nous autorise à penser que la résurgence multiforme de l'association ouvrière, à l'orée du XIXe siècle, ne peut s'expliquer sans le maintien de l'esprit associatif au sein des communautés de travail. Reste à déterminer son ampleur. Ce qui n'est pas le plus aisé.

La toute puissance de la loi a d'autant mieux opéré, qu'elle émanait d'un pouvoir auquel les salariés vouaient une grande confiance. Les charpentiers n'écrivaient-ils pas dans leur dernière lettre du 2 juin : « nous attendons des lois la douce satisfaction d'être reconnus pour amis de la vérité, et persuadés de leur protection, nous veillerons avec toute l'exactitude que demande la sagesse de leur ordon­nance à ne nous égarer jamais du sentier de la vertu ... ».

Le compte-rendu de la séance du 1er juillet 1791 du Con­seil municipal mentionne un procès-verbal dressé par le commissaire de police de la section de Fontaine-de-Grenelle à des ouvriers charpentiers assemblés en contravention à la loi. L'enquête ordonnée débouche le 19 septembre sur l'ajournement du dossier. Sigismond Lacroix conclut: « on ne voit pas que l'affaire des charpentiers ait été mise plus tard à l'ordre du jour» (1). La brève page de l'association à ciel ouvert est tournée.

LE PAVÉ DE L'OURS

Pour être certain de prévenir les coalitions, le législateur a entrepris de refouler toute forme de rassemblement chez les

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LE TROU NOIR

gens de métier. Il est frappant de constater la permanence et la cohérence de cette démarche à toutes les étapes de la Révolution. Sans perdre de temps, la Constituante introduit dans le décret du 19 juillet 1791, relatif à l'organisation d'une police municipale et correctionnelle, un article stipu­lant que : « les peines portées dans la loi sur les associations et attroupements des ouvriers et gens du même état seront prononcées par le tribunal de police correctionnelle ». Son adoption au cours de la séance du Il juillet ne provoque aucune objection « à gauche », selon le compte-rendu du « Moniteur }) (2).

L'assemblée fascinée par le libéralisme intégral, au point de supprimer les chambres de commerce après les avoir maintenues dans la loi Le Chapelier, est loin de respecter l'égalité de traitement entre les patrons et les ouvriers. Le décret du 26 juillet 1791 prévoit en cas de rupture inopinée du contrat de travail, une différence de traitement juri­dique. Les sanctions visant les maîtres sont « ... des dom­mages-intérêts alors que l'ouvrier doit payer une amende » (3).

Certains secteurs d'activité jugés stratégiques, comme la fabrication du papier monnaie, font l'objet d'une délibéra­tion spéciale. La tradition d'insubordination des papetiers est particulièrement visée. Le député Leclerc se plaint dans un rapport, le 26 juillet, qu'« actuellement, des ouvriers prétendent sortir à leur première réquisition et menacent de faire coalition pour sortir tous ensemble, ce qui exposerait les manufactures de papier du royaume à une suspension forcée qui pourrait s'étendre jusqu'à la manufacture des assignats ». Il fait adopter, pour ces salariés, des disposi­tions reprenant le réglement draconien institué sous l'Ancien régime en 1739 (4).

La loi du 20 juillet 1791 étend la loi Le Chapelier « aux moissonneurs et aux domestiques ». La première vague de mesures destinées à compléter le texte du 14 juin 1791, vise la dimension revendicative des rassemblements de salariés. La fonction mutualiste des sociétés d'entraide est atteinte par la loi du 18 août 1792, supprimant les confréries. Cette

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mesure législative, votée pendant la chute de la monarchie, constitue l'un des multiples épisodes du conflit religieux. L'interdiction n'épargne pas les associations laïques de cha­rité.

La législation révolutionnaire contre les associations signifie-t-elle un retour à la case départ ? On peut le penser, dans la mesure où les contrevenants sont passibles de police. Les similitudes ne peuvent masquer les différences. Si minimes soient-elles, elles ouvrent des brêches dans le système coercitif hérité de l'Ancien régime.

A l'encontre de la législation monarchique qui punissait les individus pour simple fait d'association, la loi de juin 1791 les sanctionne pour passer « des conventions tendant à refuser de concert ou à n'accorder qu'à un prix déterminé le secours de leur industrie ou de leurs travaux... ». L' asso­ciation sans la coalition n'est pas autorisée, mais elle n'est pas expressément interdite. Les termes utilisés par Le Cha­pelier sont ambigüs : « Les citoyens de même état ou pro­fession, les ouvriers et compagnons d'un art quelconque ne pourront, lorsqu'ils se trouveront ensemble, se nommer etc. ».

La clé de l'équivoque, si l'on écarte l'inadvertance, serait inattendue; Emile Cornaert suggère « Cette autorisation tacite de se réunir était-elle destinée à fournir une échappa­toire aux membres des compagnonnages? Une tradition orale assure, chez les compagnons, que Le Chapelier, initié à l'un de leurs rites, aurait voulu leur permettre de main­tenir leurs groupements» (5). L 'hypothèse selon laquelle l'avocat d'obédience franc-maçonne aurait marqué une affi­nité idéologique, est également avancée.

La prohibition n'est pas totale. Les citoyens appartenant à des professions différentes ont le droit de s'assembler et de former des sociétés, à la condition de respecter les lois en vigueur. La loi de police du 19 juillet 1791 recommande : « Ceux qui voudront former des sociétés ou des clubs seront tenus, à peine de 200 livres d'amende, de faire préa­lablement, au greffe de la municipalité, la déclaration des lieux et des jours de leur réunion ... ». On est encore loin

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d'une véritable liberté d'association, mais ce n'est déjà plus l'interdit associatif sans faille de l'Ancien régime.

SOUS LE MANTEAU

Les animateurs d'unions fraternelles n'ont pas le loisir d'établir un bilan juridique nuancé. Cette épée de Damoclès ne leur laisse d'autre issue que de surmonter leur amertume et de chercher des solutions de repli pour maintenir un minimum de liens associatifs. L'entraide mutuelle offre le cadre de ce redéploiement, non seulement pour des raisons tactiques, mais pour répondre à des besoins pressants de protection.

A peine Le Chapelier a-t-il affirmé, le 14 juin 1791, que les secours incombent à l'Etat, les ateliers de charité sont supprimés le 16. « L'Etat-Providence» ne peut faire une plus fâcheuse eritrée en scène. L'avocat rennais reconnaît lui-même, dans les derniers jours de l'Assemblée Consti­tuante, que les actes n'ont aucunement suivis les intentions. Il émet le souhait que la prochaine assemblée puisse « ... jeter un premier regard... sur cet acte de justice et de bien­faisance» (6).

Larochefoucauld-Liancourt va plus loin dans l'auto-cri­tique. S'il félicite les élus de la Nation d'avoir proclamé « les droits sacrés et imprescriptibles du malheur », il ne leur dissimule pas la situation réelle. «L'état actuel des secours ... se borne aux hôpitaux dans les villes et à quelques distributions fondées de pain et de bouillie. L'administra­tion d'un grand nombre d'hôpitaux est nulle ». Il ajoute une information, de nature à tempérer les poursuites contre les sociétés d'assistance : « Cet état excite des réclamations de toutes parts » (7).

Bien que l'ouvrage en matière de secours abonde, le déve­loppement des organisations de solidarité paraît inégal, selon les milieux professionnels. Artisans de la première heure, les charpentiers se sont fondus dans l'anonymat. Les ouvriers imprimeurs, en revanche, nous ont laissé, fonction

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oblige, quelques écrits sur leur adaptation au nouveau cours. Curieusement ce témoignage exceptionnel, sur un comportement de conduites ouvrières que l'on peut consi­dérer comme exemplaire après juin 1791, a échappé à l'attention des chercheurs depuis un demi- siècle (8).

Les textes rapportés par Isabelle Bourdin expriment simultanément la volonté de maintenir une organisation et le souci de n'offrir aucune prise aux poursuites. Le nom du « Corps typographique » disparaît des textes publiés par les imprimeurs. Douze commissaires, dont la plupart étaient des dirigeants de l'association dissoute, sont désignés pour procéder aux transformations et démarches nécessitées par la nouvelle législation.

Ils interprètent la fameuse phrase de l'article 2: « ... lorsqu'ils se trouveront ensemble ... » comme une recon­naissance tacite du droit de réunion. Pour conforter cette lecture optimiste, ils invoquent l'article 5 de la déclaration des droits de l'homme : «La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas ».

Les compagnons soulignent avec insistance que le champ d'activité de la nouvelle organisation collective est limitée à l'entraide mutuelle contre la maladie, la vieillesse et l'infir­mité. La « Société patriotique des Amis de l'Humanité », qui assumera un rôle exemplaire au début du XI Xe siècle, est née. Concession majeure, les imprimeurs admettent les ouvriers de tous métiers pour échapper au soupçon de cor­poratisme. Concession maîtrisée, car la prédominance pro­fessionnelle semble avoir été soigneusement préservée jus­qu'au tournant du siècle.

La mise en discussion de tout sujet relatif à quelque art ou métier que ce soit est expressément défendue. Les réu­nions hebdomadaires deviennent mensuelles et se tiennent le premier dimanche de chaque mois. La trace de la société se perd la veille de l'Assemblée générale consacrée à l'adop­tion du projet de réglement. On la retrouve en 1801, dans un rapport de la Société philanthropique de Paris.

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De son côté, la « Caisse de maladie et de décès des typo­graphes de Strasbourg », créée en 1783, traverse sans encombres cette période (9). Seuls, le manque de fiabilité des assignats et l'introduction du calendrier républicain sont mentionnés dans le livre de caisse. La société strasbour­geoise n'avait jamais poursuivi d'autre dessein que celui de l'assistance.

Tout autre est l'état d'esprit des ouvriers chapeliers, selon l'enquête menée par l'Office du travail en 1899 : « Parmi les sociétés de secours mutuels professionnels qui remplis­sent le rôle de caisse de résistance, ou plutôt qui annexèrent à leurs opérations de mutualité une caisse spéciale de résis­tance fonctionnant plus ou moins secrètement, il faut citer en première ligne celles des chapeliers» (10). Les fouleurs lyonnais, au nombre de 1500 en 1789 qui « composaient seuls le compagnonnage des chapeliers, n ' avaient cessé d'être organisés et donnèrent bientôt des preuves de leur cohésion » (11).

L'étude de l'Office du travail rapporte le cas de deux sociétés mutuelles nées sous la Révolution : la « Société des orfèvres »(12) et la «Société St-Simon» des tanneurs­corroyeurs (13). On ne dispose malheureusement d'aucune précision sur leur fonctionnement pendant cette période. Les registres de la Société philanthropique de Paris signa­lent la naissance le 23 septembre 1794 de la « Société de pré­voyance de Chaillot », composée de salariés de divers métiers: blanchisseurs, brasseurs, serruriers, fondeurs et surtout ouvriers de la pompe à feu des Etablissements des frères Périer, installés sur la colline de Chaillot.

La prudence commande aux associations de métier de se fondre dans l'interprofessionnalité ; les caisses de secours ou charité constituées dans le sillage de confréries doivent impérativement abandonner, depuis août 1792, toute réfé­rence religieuse. La confrérie de Sainte-Anne, à l'origine de la plus ancienne mutuelle existante aujourd'hui, créée dans le cadre d'une confrérie religieuse de compagnons menui­siers du faubourg du Temple en 1694, renonce en septembre 1692 à toute filiation cléricale. Sous le nom de « Société fra-

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ternelle Sainte-Anne », elle poursuit sans encombre son activité d'entraide. La cotisation de 5 sols ouvre le droit à un secours de 60 sols par semaine; les vieillards et les infirmes bénéficiant de conditions d'hospitalisation particu­lières à Bicêtre (14).

La « Bourse des malades et des infirmes de St-Laurent », instituée en 1780 procède à une adaptation du même ordre. Elle prend le nom de « Société des amis de l'égalité » au cours d'une Assemblée générale extraordinaire le 7 octobre 1792 après la loi supprimant les confréries. « Nous décla­rons que nous ne pouvons, ni ne devons laisser subsister plus longtemps la confrérie de la nativité de la Sainte- Vierge en Notre-Dame-de-Bonne Délivrance, qu'elle est sup­primée» (15).

Le produit de la vente des biens de la confrérie dissoute est versé à la caisse de la Bourse. La mention « à la manière accoutumée» inscrite rituellement sur le livre des registres, en marge du compte-rendu de l'Assemblée générale annuelle, dit assez bien le parcours sans histoire de la société jusqu'à la fin de la Révolution.

LES VARIATIONS DE LA LOI

L'interprétation bienveillante de la loi n'est pas toujours la règle, même quand l'organisation n'est le siège d'aucune velléité revendicative, telle «l'Association de charité de Rouen » fondée en 1772 (16). Les courriers échangés entre la commune et le district de la cité normande font apparaître clairement l'embarras des autorités et leur conformisme juridique, face à la procédure de dissolution engagée le 15 mai 1793 par le procureur de la commune.

Les adhérents avaient affirmé dans une pétition quelques semaines auparavant que leur association ne fût jamais « ni congrégation, ni confrérie, mais une société de charité ». L'argument n'avait pas laissé insensible les officiers munici­paux rouennais, puisqu'ils estimèrent devoir plaider la cause de cette société auprès du District. Les administrateurs du

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Conseil général du district voulurent bien admettre « les vues sages de cette association » et que la loi du 18 août 1792 ne lui était pas applicable. La logique bureaucratique finit par l'emporter, car: « ... ce serait donner une latitude à l'interprétation de loi, qu'elle ne semble pas pré­senter ... ».

Ce qui n'empêche pas les mêmes autorités normandes de tolérer le fonctionnement de la société des «Brouettiers bremens et portefaix du grands corps » du Havre, dont les statuts sont adoptés le 28 avril 1794, en vue d'assurer les fonctions traditionnelles d'entraide (17). Mais, comme le remarque Jean Noël Chopart «il semble pourtant que l'objet principal de ces sociétés soit plutôt la mise en place d'une auto-régulation pratique et légale du marché du tra­vail ... dans l'organisation de la manutention des marchan­dises dans la zone portuaire». Les contraintes techniques du marché imposent dans certaines professions des excep­tions à la règle libérale de la concurrence.

La loi, en revanche, a été strictement appliquée dans l'ancienne Provence. Maurice Agulhon souligne les larges déchirures causées au tissu associatif de cette région: « vitalité probable, donc, de certaines confréries de métiers, qui n'ont dû leur disparition qu'à la loi (ou aux lois) révolu­tionnaires » (18).

Le carcan anti-associatif fait parti des bagages de l'armée républicaine. Après la conquête de l'été 1794, « la loi Le Chapelier, promulguée en Belgique le 6 novembre avait pro­voqué la liquidation des corporations et sans doute des compagnonnages» (19). Face à la tendance spontanée des ouvriers gantois à reconstituer des «mutualités de secours», on retrouve la traditionnelle défiance des auto­rités et des milieux patronaux.

Le maire de Gand reprend un argument de Le Chapelier pour interdire une association d'ouvriers fileurs, constituée selon leur patron sous le prétexte de former une bourse de secours. L'arrêté municipal décrète toute réunion ouvrière sans objet : « considérant que les hospices de cette ville sont assez considérables, bien organisés et pourvus pour conti-

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nuer à admettre les ouvriers fileurs malades» (20). La « Commune-Providence », en quelque sorte.

Les interdictions développent le sens de l'esquive. On est encore loin de connaître, aujourd'hui, les innombrables ruses et parades inventées pour vider les lois de leur subs­tance coercitive. L'exemple, cité par Emile Laurent, de la ville de Bordeaux, montre qu'il convient de parler d'immer­sion provisoire, plutôt que de naufrage. Nombre de confré­ries de métiers, parmi la centaine dûment répertoriées dans les archives municipales en 1791, referont surface dans leurs nouveaux habits de société de secours mutuels dès le début du siècle. Cependant, nous ne disposons pas d'indications permettant d'établir comment « la chaîne dut être renouée plus facilement qu'ailleurs» (21).

Les stratagèmes visant à neutraliser les réglements n'ont pas manqué, comme le montrent divers témoignages, notamment celui de la confrérie des bouchers de Limoges, que Le Play aimait à nommer «la perle du Moyen âge» (22). Pour faire obstacle à la dissolution de leur con­frérie, les bouchers de Limoges, décident d'organiser une souscription parmi les confrères afin d'acheter la chapelle St-Aurélien, «centre et cœur de la confrérie », mise en vente comme bien national. Cette tâche redoutable est con­fiée à deux d'entre eux, les sieurs Cibot et Malivaud, qui se chargent de l'achat en leur nom propre. La chapelle rede­vient officiellement la propriété de la corporation des bou­chers sous la Restauration.

Autre parcours associatif étonnant, celui de « La Tri­nité de Gaillac» (Tarn). Les membres de cet établissement de charité formé en 1781 s'efforcent dès 1790 de mettre leurs statuts à l'heure nouvelle. Les termes de confréries et de confrères sont remplacés par ceux d'associations et de récipiendaires ou admis. La société poursuit son activité sans encombre. En août 1792, victime de la lenteur des moyens d'information «le 16 août, la société populaire affirmait encore son attachement au H malheureux roi " et n'approuvait que le 25 la journée parisienne du 10 » (23).

Cette conversion républicaine tardive ne porte nullement

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ombrage à la société, qui fonctionne normalement pendant près de trois années. Le comité révolutionnaire du district feint, à la suite d'une dénonciation, de découvrir son exis­tence dans un courrier adressé le 23 février 1795, à la muni­cipalité de Gaillac. La démarche est de pure forme, certains signataires du comité étant des membres actifs de la « Tri­nité ». Rien n'interdit d'imaginer que ce double jeu ait été pratiqué plus souvent qu'on ne le croit.

L'IRRÉDUCTIBILITÉ OUVRIÈRE

Si, on ne trouve pas trace d'objections populaires contre la loi du 14 juin 1791, les conflits du travail n'ont pas dis­paru du paysage social. La persistance d'une autonomie ouvrière, aussi limitée soit-elle, mérite l'attention sachant les liens entretenus par l'action collective et l'organisation de la prévoyance.

Le mouvement lancé par les ouvriers assurant le flottage du bois vers Paris sur la Cure et l'Yonne en mars 1792, pro­voque un tel retentissement qu'il suscite un débat devant l'Assemblée législative (24). La première phase de ce conflit a éclaté en avril 1791. Les autorités de la Nièvre se sont, alors, adressées au maire de Paris pour qu'il établisse « un tarif sage et bien conçu pour faire cesser le débat entre les ouvriers et le marchand flotteur» (25). Une année plus tard le conflit n'a pas été résolu et a pris de l'ampleur. Signe des temps, souligne Jaurès, la coalition ouvrière, isolée au sein de la masse paysanne, est écrasée par les vignerons pauvres formés en garde nationale.

En mai 1792, les compagnons menuisiers du Devoir de Marseille se mettent en grève pour obtenir une augmenta­tion de salaire. Le Conseil municipal prend l'affaire au sérieux et lui consacre plusieurs délibérations. « Ces indi­vidus, méconnaissant les lois régénératrices qui ont sup­primé toute espèce de corporations en France» sont menacés de huit jours de prison et de poursuites comme perturbateurs du repos public. Le Conseil municipal

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estime : « que le véritable Devoir de tous les citoyens fran­çais ne consiste pas à se livrer à des cérémonies ridicules et superstitieuses, mais à se conformer à la volonté générale et à courber la tête sous le joug des lois » (26).

Le développement des fabrications de guerre à la fin de 1793 et au début de 1794, favorise une relative concen­tration de la main d'œuvre ouvrière. Le 12 décembre 1793 le Comité de Salut Public adopte, sous l'impulsion de Robespierre, un arrêté sévère contre la grève des ouvriers de l'atelier d'armes des Capucins dans lequel on rappelle que les coalitions et les rassemblements d'ouvriers sont interdits. «On les présentait comme des "agents de l'étranger " » (27).

Les ouvriers papetiers fidèles à leur tradition frondeuse, déclenchent dans cette même période un mouvement reven­dicatif dans les quatre manufactures qui fabriquent le papier-assignat. Le rapport présenté à la Convention dénonce vivement la survivance de ce « vestige du despo­tisme » que constitue l'organisation ouvrière. La Conven­tion décrète en conséquence : «Art. 1 eT. - Les entrepre­neurs et ouvriers des manufactures de papiers établies dans toute la République sont mis en réquisition pour l'exercice de leur profession et pour le service desdites manufac­tures ... Art. 5. - Les coalitions entre ouvriers des diffé­rentes manufactures, par écrits ou par émissaires, pour pro­voquer la cessation du travail, seront regardés comme des atteintes à la tranquillité qui doit régner dans les ate­Iiers. .. » (28).

La contestation ouvrière n'est pas absente des imprime­ries. Elle s'exprime selon des modalités plus maîtrisées, comme le veut la tradition de cette corporation. Se récla­mant des principes de base de la République, la liberté et l'égalité, les imprimeurs réclament en février 1794 pour chacun un salaire qui soit : « dans la juste proportion des besoins qu'il éprouve et du renchérissement progressif des denrées de première nécessité... » (29). Ils obtiennent, fait remarquable, une allocation de 5 livres par jour de maladie pour les citoyens mariés et de 3 livres pour les célibataires.

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Le principe d'une pension est même prévu en cas d'infir­mité ou de vieillesse (30).

Des relations contractuelles de cette nature sont excep­tionnelles. D'autant qu'avec le Directoire la défiance natu­relle des autorités à l'égard des milieux populaires a ten­dance à se renforcer. L'administration centrale du départe­ment de la Haute-Saône dissout le 7 février 1796 la corpora­tion de porte-faix des communes de Gray et d'Arc, au nom de « cette base fondamentale de la Constitution française » qu'est la loi du 14 juin 1791. Cette corporation n'est, selon les autorités départementales « qu'un attroupement conti­nuel d'autant plus alarmant et redoutable, qu'il est composé d'hommes robustes et grossiers, toujours disposés à la résis­tance ... » (31).

Le 16 novembre 1796, le Ministre de l'intérieur attire l'attention des administrateurs de la Seine et Oise sur une plainte déposée par un entrepreneur chargé de l'exploitation de coupes de bois, à propos de « l'avidité des ouvriers» (32)

qui ont abandonné les ateliers parce qu'ils estiment leurs salaires insuffisants. Un rapport de police portant sur un conflit du même ordre survenu dans des ateliers proches du Luxembourg, relativise l'influence de ces actions: «En général ces mouvements ne présentent rien d'inquiétant ».

Inoffensifs ou pas, ces mouvements collectifs sont abso­lument prohibés. Le 6 mai 1797, un commissaire du Direc­toire du département de l'Hérault, informe les autorités du fait que des ouvriers cordonniers de la ville de Montpellier se sont rassemblés dans le cadre de sociétés compagnonni­ques pour exiger l'augmentation du prix de leur salaire. Il conclut qu' « il importe de faire réprimer cette entreprise d'ouvriers cordonniers et de dissoudre ces assemblées d'individus qui cherchent à réorganiser les dites associa­tions » (33).

Dernier aperçu sur la cohérence du comportement de l'autorité publique en matière de relations sociales, la lettre du Ministre de la marine adressée au Ministre de l'intérieur, « pour lui seul », à propos d'une pétition présentée par les ouvriers du port de Toulon. La démarche des ouvriers tou-

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lonnais est considérée comme « aussi dangereuse que cou­pable» pour la raison qu'elle viole la Constitution, et qu'elle « est présentée en nom collectif ». Le Ministre exige de sévères sanctions contre les fonctionnaires d'autorité, qui ont fait preuve de complaisances à l'égard de la péti­tion (34).

LE PATRIOTISME EN TÊTE

Les préoccupations d'assistance n'apparaissent guère dans le cours de ces conflits, hormis chez les imprimeurs. Selon les recherches menées par Jean Bennet, 17 sociétés d'entraide mutuelle à Paris et une cinquantaine sur le plan national poursuivirent leur mission jusqu'au tournant du siècle. Soulignons une idée sur laquelle nous reviendrons : la brêche ouverte par la législation anti -associative entre les activités de résistance et celles de secours a commencé à faire son œuvre au sein des associations professionnelles.

La marginalisation de la demande sociale est renforcée par les tensions et les périls de l'époque. L'heure n'est pas à la défense des « intérêts particuliers» mais à celle de la communauté nationale. Très tôt, le don patriotique devient le diapason de la nouvelle solidarité. Dès décembre 1789, les ménétriers de Paris offrent à l'Assemblée nationale leur chapelle St-Julien avec toutes ses valeurs (35). Le 20 juillet 1790 la confrérie des compagnons paveurs en l'église de la Madeleine dans la Cité, fait don à l'Assemblée de l'argen­terie d'église lui appartenant (36).

Le 2 novembre 1790, les marchandes de morue de la con­frérie St-Louis portent auprès de Bailly les avoirs de leur société se montant à 3 000 livres (37). Les Dames de la Halle remettent, en août 1791, à l'Assemblée nationale leurs fonds disponibles, ainsi que les ornements et l'argenterie de leur confrérie, connue sous le nom de Notre-Dame-des­Anges (38) •. Sébastien Mercier, relate (39) l'offrande faite à l'Assemblée nationale en 1792 par la société d'artisans cor­donniers de la rue de la Grande Truanderie, du montant de

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leur bourse commune à l'Assemblée nationale. En échange du fruit de leurs cotisations, qu'ils avaient continué de per­cevoir, ils réclament « une pension pour les vieillards et les infirmes ».

Les circonstances étonnantes au cours desquelles, en 1794, la Société philanthropique de Paris se sacrifie sur l'autel de la patrie confirment la force d'entraînement de l'enthousiasme patriotique, feint ou sincère. Créée par des personnages influents de la cour et des membres éminents de la franc-maçonnerie, cette «forme de sociabilité des classe supérieures » (40), la société a traversé sans anicroche une période délicate pour ce type d'institution (41). La prési­dence assurée avant 1789 par le duc de Charost, pair de France, est confiée sous la Convention à un obscur citoyen, nommé Hurel.

La Société philanthropique jouit d'une grande estime auprès des autorités révolutionnaires. Celles-ci apprécient une forme d'assistance qui conforte la priorité fondamen­tale donnée aux soins à domicile. «Le Moniteur» du 8 juillet 1790 explicite les motifs de la convergence, sous le titre, « Réflexion sur la nécessité de donner des secours aux pauvres malades domiciliés chez eux » : « La Société phi­lanthropique de Paris a soutenu 484 vieillards avec 45 000 livres pendant un an en les secourant chez eux; elle eût employé cent mille livres, qu'elle n'en eût pas fait plus dans ces maisons de charité. C'est qu'elle n'a ni loyer, ni répara­tions de maison à payer, ni directeur, ni entrepreneur, ni fournisseur à enrichir ».

Ce comportement apprécié des autorités permet à la Société d'obtenir pendant l'année 1793 vingt cinq mille livres sur les fonds de secours. Une nouvelle demande au printemps de 1794 provoque un débat insolite à la Conven­tion, le 17 juin sous la présidence de Robespierre, en plein cœur de ce que les historiens appellent la « Grande Ter­reur ».

Le rapporteur Roger-Ducos invoque le rôle exclusif, qui revient à la Nation en matière d'assistance, pour justifier la réponse négative du Comité. Il précise : « Je n'entends faire

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aucun reproche à la société philanthropique de Paris ... si vous accordez quelques fonds à la société de Paris, toutes les autres qui sont répandues sur la surface de la Répu­blique et dont vous ne connaissez ni l'esprit ni l'usage qu'elles font de leurs caisses, auront droit d'en exiger» (42).

La société approuve « avec joie » un refus qui provoque pourtant sa dissolution. Elle fait don dans une lettre-testa­ment, le 6 octobre 1794, de ses derniers fonds à la Conven­tion, car dit-elle : « vous avez organisé en grand la bienfai­sance publique, et la société philanthropique, venant rendre dans votre sein un dernier soupir, vous remercie d'avoir décrété à la fois qu'il n'y aurait plus dans la République, ni pauvres ni esclaves » (43).

Ce texte rédigé par une société fondée et contrôlée par l'aristocratie étonne, d'autant plus que l'exercice de la terreur a changé de main depuis la chute de Robespierre. Les termes employés pour flétrir l'Ancien régime sont par­ticulièrement vifs: «sous le despotisme, l'extrême luxe existait à côté de l'extrême misère et des secours insuffi­sants et humiliants ... ». On conçoit que la Société philan­thropique, toujours active sous la conduite de «grandes familles », ait préféré oublier ce moment d'égarement dans le recueil historique publié en 1980 à l'occasion de son bicentenaire.

La fragile autonomie des associations ouvrières, des années 1790 et 1791, n'a pas résisté à l'accélération du pro­cessus révolutionnaire et aux exigences de la défense natio­nale. Le passage de l'association professionnelle à l'activité des sections et clubs s'effectue d'autant plus aisément que la « tradition de la sociabilité» (44) liée aux métiers, fournit souvent, le cadre propice à la naissance des institutions représentatives de la Révolution.

Comme l'a montré Albert Soboul, l'investissement dans le « tout politique» ne va pas sans dommages pour les aspi­rations des ouvriers, tant il est vrai qu'« on ne peut identi­fier sans-culottes et salariés » (45). Les compagnons et les journaliers entendent marquer leur singularité. Les ouvriers travaillant sur le chantier de l'église Ste-Geneviève « se sont

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formés en club et se réunissent en dehors et après l' assem­blée de la section» (46).

Les sociétés populaires, les sections ou les clubs peuvent­ils être considérés comme un substitut associatif authen­tique ? Maurice Agulhon ne semble pas le penser : « ... la première explosion associative a très vite disparu, et en deux temps. D'abord la radicalisation de la Révolution de 1792 au IX Thermidor, a fait disparaître la partie du secteur associatif qui lui était devenue défavorable. Quant aux clubs affiliés aux jacobins et favorables à la république con­ventionnelle, ils ont continué à proliférer mais en devenant rapidement des organes officieux du gouvernement révolu­tionnaire, et après le IX Thermidor, les clubs jacobins ont été à leur tour suspects et traqués. De telle sorte que dans la République de l'an III, la liberté d'association, et l'on pourrait presque dire sans doute la réalité même de la vie associative, ont atteint véritablement un degré zéro » (47).

L'apparente facilité avec laquelle s'est imposée l'interdic­tion faite aux travailleurs de s'associer librement dans leurs métiers révèle que l'entité sociale et culturelle du monde ouvrier n'est pas encore constituée. La taille et la perma­nence des bouleversements ne peuvent que relativiser les amertumes et les déceptions. « A l'époque de la Terreur les ouvriers s'intéressent davantage à la politique» (48). Le cours des choses leur apparaît, tout compte fait, plus favo­rable que dommageable.

C'est l'opinion que les ouvriers de plusieurs ateliers de Paris communiquent le 20 mars 1794 à la Convention natio­nale. Ils stigmatisent tous ceux qui « ... s'efforcent, mais en vain d'armer le pauvre contre le riche, d'arracher l'ouvrier de ses ateliers pour le faire servir d'instrument à leurs inten­tions coupables ». Ils déclarent accepter comme suffisant à leurs besoins « la portion de pain que la loi nous accorde ; trop heureux d'être débarrassés de cette affreuse tyrannie qui seule a causé les maux que nous éprouvons» (49).

Propos, il est vrai de circonstance; nous sommes à la veille du procès des « enragés ».

Ils reflètent, néanmoins, l'adhésion populaire au cours

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nouveau. L'élan patriotique chez les imprimeurs, est tel que les autorités sont conduites à prendre des décrets astrei­gnant ces ouvriers qualifiés à demeurer dans les imprime­ries (50). La conviction d'avoir des droits fraichement acquis à défendre, notamment en matière d'assistance et de pré­voyance, l'emporte, semble-t-il, sur le dépit et les frustra­tions chez les gens de métiers.

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NOTES

(1) Les actes de la commune, op. cit., t. 5, p. et t. 6, p. 362. (2) Archives parlementaires, t. 28, p. 127. (3) J.-M.-J. Biaugeaud. - La liberté du travail ouvrier, op. cit., p. 60. (4) Germain Martin. - Les associations ouvrières au XVIIIe siècle, op.

cit., p. 60. (5) Les corporations en France, op. cit., p. 176. (6) Archives parlementaires, 26 septembre 1791, t. 31, p. 340. (7) Camille Bloch et Alexandre Tuetey. - Le comité de mendicité, op.

cit., pp. 177-178. (8) Des extraits de ce document sont publiés dans le livre d'Isabelle

Bourdin. - Les sociétés populaires à Paris pendant la Révolution, op. cit., pp. 129-130. Nos tentatives pour consulter aux Archives nationales cette « pièce unique» à la côte indiquée, par Isabelle Bourdin, sont demeurées vaines.

(9) Eugène Rufbel. - Notice du 150 e anniversaire, op. cit., p. 32. (10) Les Associations professionnelles ouvrières, enquête publiée par

l'Office du travail du ministère du Commerce, de l'Industrie, des Postes et Télégraphes, 1989, t. 2, p. 473.

(11) Ibidem, p. 537.

(12) Ibidem, t. 3, p. 73. (13) Ibidem, t. 2, p. 184. (14) Romain Lavielle. - Histoire de la mutualité, 1964, p. 29. (15) Livre des registres de la Bourse St-Laurent, conservé par l'Union

des mutuelles cogérées. (16) Archives départementales de la Seine-Maritime, L. 1350, document

que nous devons à l'aimable collaboration de Yannick Marec. (17) Jean-Noël Chopart. - Le fil rouge du corporatisme, op. cit.,

p.85. (18) Pénitents et Franc-Maçons de rancienne Provence, op. cit.,

p.260. (19) Jean Dhont. - Notes sur les ouvriers industriels gantois à répoque

française. - ln : La Revue du Nord, 1954, vol. 36, p. 320. (20) Ibidem, p. 321. (21) Emile Laurent. - Le paupérisme et les associations de prévoyance,

op. cit., p. 272. (22) Marquis de Moussac. - Une corporation d'autrefois, 1982, p. 10.

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(23) Ch. Portal. - Une société de secours mutuels sous la Révolution, « La Trinité de Gaillac », 1907, p. 11.

(24) Jean Jaurès. - Histoire socialiste de la Révolution, op. cit., t. 2, pp. 419-423.

(25) A.N. F/12/1560. (26) Les associations professionnelles ouvrières, op. cit., t. 4, pp. 171-

172. (27) Daniel Guérin. - La lutte de classes sous la 1 re République, 1946,

t. 2, p. 157. (28) Ibidem, p. 158. (29) Paul Chauvet. - Les ouvriers du livre en France, op. cit., p. 36. (30) Ibidem, p. 38. (31) A.N. F/12/1560. (32) Ibidem. (33) Ibidem. (34) Ididem. (35) A.N. C.33 n° 225. (36) A.N. C.128 n° 345. (37) A.N. C.75 n° 745. (38) A.N. C.76 n° 715. (39) Le nouveau Paris, t. 3, pp. 160-161. (40) Maurice Agulhon. - Pénitents et Francs-Maçons, op. cit., p. 163. (41) Bernard Gibaud. - La société philanthropique de Paris ou les

paradoxes du patronage aristocratique. - In : La Revue de l'éco­nomie sociale, n° 13, janvier 1988, p. 177-183.

(42) Archives parlementaires, 29 prairial an II, p. 693. (43) Ferdinand Dreyfus. - L'assistance sous la Législative et la Con-

vention, 1791-1795, 1905, p. 53. (44) Maurice Agulhon. - Pénitents et Francs-Maçons, op. cit., p. 262. (45) Les Sans Culottes, op. cit., p. 239. (46) Cité par Georges Rudé. - La foule dans la Révolution française,

op. cit., p. 211. (47) Maurice Agulhon. - L 'histoire sociale et les associations. - In : La

Revue de l'économie sociale, n° 14, avril 1988, p. 38. (48) Henri Sée. - Histoire économique de la France, t. 2, op. cit.,

p.62. (49) A.N. AD/XIV/6. (50) Paul Chauvet. - Les ouvriers du livre en France, op. cit., p. 45.

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Chapitre VI

LA PROTECTION, UNE AFFAIRE D'ÉTAT

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L'assistance constitue l'un des terrains de prédilection de la mise en œuvre du nouveau type de relations, qui s'établit en 1789 entre l'individu et la société. Le droit à l'assistance, institué corollairement à celui du travail, comme une créance sur la collectivité, rompt radicalement avec les doc­trines caritatives de l'Ancien régime.

Le crédit acquis par l'œuvre assistancielle de la Révolu­tion tient également au fait qu'elle transcende les affronte­ments qui la jalonnent. On peut distinguer dans l'élabora­tion des «droits sociaux», un départ laborieux et une apogée rayonnante; mais la cohérence de l'ensemble demeure le trait essentiel. Le « brouillon » (1) est rédigé dès l'ouverture de la Constituante.

Dans le sillage de la proclamation du droit à l'assistance, la protection sanitaire et sociale connaît des développements conceptuels importants. Le renouvellement complet des sciences médicales et des conditions d'exercice de la méde­cine, la naissance des techniques de prévoyance individuelle et collective, autant de facteurs qui ne manqueront pas d'influer en profondeur sur l'organisation de la solidarité. Face à une œuvre aussi dense et aussi contrastée, notre évo­cation n'a d'autre ambition que d'établir quelques points de repère.

LE CREUSET CONSTITUANT

Jacques Godechot (2) constate: « ... bien que la rupture avec l'Ancien régime soit moins profonde qu'on ne l'a cru, il n'est guère d'institution de la France contemporaine qui n'ait son origine dans les décrets de l'Assemblée consti­tuante». L'observation vaut pour les conceptions et les décisions adoptées en matière de secours. Rarement des hommes se sont fixés un but aussi élevé : « la Révolution tend à rien moins qu'à la suppression de la pauvreté et au remplacement de toute charité privée par un ambitieux sys­tème d'assistance publique» (3).

La Constituante avait-elle d'autre choix, si l'on considère

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LA PROTECTION

l'état déliquescent dans lequel se trouvent en 1789 les insti­tutions cléricales d'assistance? L'idée d'accroître sensible­ment l'intervention assistancielle de l'Etat est déjà plus ou moins à l' œuvre depuis Louis XV. La peur des pauvres n'est plus sa seule justification. D'autres motivations légiti­ment plus noblement l'engagement social de la puissance publique.

Le mouvement des idées philanthropiques joue un rôle crucial dans l'émergence de ces nouvelles attitudes politi­ques. De leur côté, les physiocrates considèrent le droit au secours en faveur des pauvres comme une évolution favo­rable au développement de l'économie. Déjà Montesquieu avait souligné dans la première moitié du XVIIIe, le lien indissociable entre pauvreté et activité productive. Le phy­siocrate Baudeau écrit, de son côté, en 1765: «Notre axiome fondamental est que les vrais pauvres ont _un droit réel d'exiger leur vrai nécessaire» (4). L'utopie du « Tout Etat» ne manquera pas de s'opposer à l'utopie majeure du temps, qui préconise la diffusion de la propriété, comme remède fondamental à la pauvreté.

Le Comité de mendicité, installé en janvier 1790, accom­plit au cours des soixante-dix réunions tenues pendant ses dix-huit mois d'activité, sous la direction de Larochefou­cauld-Liancourt, un travail remarquable sur le plan concep­tuel. Le rayonnement des analyses et des propositions for­mulées par le Comité imprègnera non seulement toutes les étapes de la Révolution, mais portera bien au delà.

Deux lignes de force sont dégagées: secours en travaux pour les pauvres valides et pensions à domicile pour les non valides. En présentant son plan de travail, le 30 avril 1790, Larochefoucauld-Liancourt pose la pierre angulaire de l' œuvre révolutionnaire : « Tout homme a droit à sa subsis­tance, cette vérité fondamentale de toute société et qui réclame impérieusement une place dans la déclaration des droits de rhomme ... » (5). La laïcisation des biens hospita­liers, la mise en commun des fonds disponibles pour leur redistribution aux hôpitaux et la dispense de secours à domicile en proportion de la population indigente des

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AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

départements, constituent les principaux moyens définis, au service de cette politique.

Brillante sur le plan conceptuel, l'action de la Consti­tuante péche par défaut de concrétisation. Elle doit parer à la grave crise financière qui frappe les établissements de bienfaisance à la suite de la nationalisation des biens d'église. Selon Camille Bloch « malgré les obstacles que la législation opposa au fonctionnement des établissements charitables, particulièrement des hôpitaux, rassistance ne cessa pas d'y être distribuée aux pauvres malades ou infirmes» (6).

LA PAUSE LÉGISLATIVE

La Constituante passe le relais à l'Assemblée nationale législative le 30 septembre 1791 sans avoir pu amorcer la construction de l'édifice assistanciel. On se rappelera que c'est le même Le Chapelier qui en juin 1791, déclarait cadu­ques les sociétés de secours en raison des nouvelles respon­sabilités de la Nation ; le 26 septembre il regrette au nom de l'Assemblée de « n' avoir pas eu le temps de seconder les vues sages et bienfaisantes envers une portion de citoyens si digne d'une attention particulière ... » (7).

Ce décalage provoque des mouvements d'impatience. Le chirurgien Jacques Tenon élu à la Législative constate : « Voilà bientôt deux années que cette Révolution est faite, que le règne de la loi est rétabli et ron ne s'est pas encore occupé assez sérieusement du véritable soulagement de la classe des citoyens indigents. C'est cependant cette classe nombreuse qui a le plus fait pour la Révolution » (8).

La Législative, confirme et parfois enrichit le patrimoine doctrinal légué par la Constituante, mais elle ne franchira pas davantage le stade des intentions. La nouvelle Assem­blée rejette la connotation répressive contenue dans le terme de mendicité, en lui substituant celui de Comité des secours publics. Garran de Coulon justifie cette modification par la volonté de séparer « ce qui est relatif aux prisons et maisons

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LA PROTECTION

d'arrêt, afin de ne pas avilir d'une certaine manière les der­nières classes du peuple, en confiant également le soin des infortunés et des criminels aux mêmes personnes » (9).

Le Comité de secours publics, présidé par Jacques Tenon, accomplit en moins d'une année un travail législatif considérable. Cinquante-six décrets en faveur des plus démunis sont votés par l'Assemblée nationale. Parmi les décisions arrêtées, l'assistance aux parents des défenseurs de la patrie occupe déjà une place importante. Les vues d'ensemble du Comité sur «l'organisation générale des secours publics et sur la destruction de la mendicité » sont présentées le 13 juin 1792 par le député de l 'Yonne, Ber­nard.

En vertu du contrat naturel qui lie chaque membre de la société à l'Etat, Bernard proclame « ... Cet axiome qui manque à la déclaration des Droits de l'Homme, cet axiome digne d'être placé en tête du Code de l'humanité que vous allez décréter: tout homme a droit à sa subsistance par le travail, s'il est valide, par des secours gratuits s'il est hors d'état de travailler » (10).

Jean Jaurès n'est guère enchanté par la forme contrac­tuelle donnée au droit, mais il insiste sur la portée considé­rable de cette « ... grande nouveauté humaine d'avoir pro­clamé le droit de tout homme à l'existence, à la subsis­tance» (11). Le droit à l'existence est entendu ici, selon Albert Soboul, dans le sens étroit de droit à la subsistance, qu'il revêtait à l'époque (12). La création d'un service d'assistance publique est devenue urgente depuis la vente des biens détenus par les établissements hospitaliers. Les autorités révolutionnaires ont la sagesse de maintenir dans les hôpitaux le personnel religieux, malgré la suppression des congrégations.

Après le manifeste de Brunswick et le franchissement des frontières, une nouvelle dynamique sociale s'impose pour galvaniser le peuple dans ses profondeurs. La politique révolutionnaire de protection sociale est l'une des princi­paux ressorts de la « levée en masse ».

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L'APOGÉE CONVENTIONNELLE

Selon Camille Bloch « ... la période culminante de rhis­toire de rassistance pendant la Révolution ... celle où les conceptions proprement révolutionnaires se transforment en lois» (13) correspond pour l'essentiel à la durée de la Convention. Il retranche de cette période les six premiers mois marqués par l'influence des Girondins.

Pour Jean Jaurès la phase initiale de la Convention giron­dine participe pleinement aux grandes décisions de la législature. « La chute politique de la Gironde ne marque pas l'avènement d'un nouveau système d'idées. On peut dire qu'avant le 31 mai la théorie politique et sociale de la Convention était fixée dans ses grandes lignes » (14).

Pour parer au plus pressé la Convention accorde des secours aux parents et aux enfants des volontaires, par le décret du 26 novembre 1792. Cette disposition sera étendue ultérieurement aux familles des militaires de toutes armes. Les revendications en matière d'assistance ne se bornent pas aux besoins de la Nation combattante.

Un véritable constat de carence est fait par les milieux populaires. L'adresse que les 48 commissaires des sections de Paris communiquent au début de l'année 1793, à la Con­vention nationale sur la situation des pauvres est particuliè­rement édifiante : « Citoyens comme nous, ces infortunés seraient-ils donc les seuls pour lesquels notre heureuse révo­lution ne serait qu'un superbe songe?}). Ils rappellent qu'un décret du 20 mars 1791 avait autorisé la municipalité à prendre des dispositions concrètes pour distribuer des secours. Or, « près de deux années se sont écoulées depuis ce décret et le plan qui l'exigeait impérieusement est encore dans les abîmes de l'avenir» (15).

La Convention s'efforce de répondre partiellement à cette attente par la loi du 19 mars 1793, en déterminant les moyens financiers accordés à chaque département pour assurer la dispense des secours publics. Mais la grande affaire pour le législateur demeure, en l'an 1 de la République, la rédaction de la nouvelle déclaration des droits de l'homme.

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LA PROTECTION

Le projet de Constitution présenté le 15 février 1793, avec le soutien de la majorité des girondins, d'où le nom de « Girondine», est principalement l'œuvre de Condorcet. Nommé rapporteur du comité de constitution à l'automne précédent, il s'est beaucoup investi dans la rédaction de ce texte. En matière d'assistance, le pas décisif est franchi: le droit aux secours fait son entrée dans les droits de l'homme. Les moyens propres à en assurer la réalisation demeurent incertains: «c'est à la loi d'en déterminer rétendue et rapplication » (16).

Les graves événements liés aux opérations militaires et à la trahison de Dumouriez, provoquent l'ajournement des débats sur la constitution en avril 1793. Dans le projet de déclaration des droits qu'il présente à la société des jaco­bins le 21 avril, Robespierre exprime des positions proches de celles de Condorcet, à l'exception d'une définition volontariste de la propriété: «... le droit qu' a chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion de bien qui lui est garantie par la loi » (17).

La version définitive de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, du 24 juin 1793, constitue, mal­gré l'élimination politique des girondins, un compromis entre les conceptions de Condorcet et de Robespierre. « ... La fameuse formule du député d'Arras sur " la por­tion de biens garantie par la loi " ne reparaît point: et la Déclaration des Droits du 24 juin reproduit sur la propriété la tranquillisante formule de la Déclaration girondine » (18).

Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, l'assistance publique acquiert force de loi. Les principes de l'article 21 entament une carrière de longue durée : «Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la sub­sistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler ». La législation sociale adoptée par l'Assemblée nationale est accueillie avec une vive satisfac­tion par les milieux populaires. De nombreuses sections parisiennes adressent leurs félicitations à la Convention,

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mais rendues prudentes par l'expérience, « la pressèrent de " consommer son ouvrage " ».

Les témoignages rapportés par Albert Soboul montrent avec éloquence l'obstination et la précision des revendica­tions exprimées par les sans-culottes dans ce domaine. « Les sections des Quinze- Vingts, de Popincourt et de Montreuil, celles où les indigents étaient les plus nombreux, déclarent le 4 juillet 1793 qu'il est temps que le pauvre qui a jusqu'ici soutenu seul la Révolution, "commence à en cueillir les fruits " ; elles réclament "l'établissement depuis si long­temps désiré d'ateliers où l'homme laborieux trouvera tou-jours en tout temps et en tout lieu, les travaux dont il manque; d'hospices où le vieillard, le malade et l'infirme reçoivent avec fraternité les secours que leur doit l'huma­nité » (19).

La demande populaire de mesures concrètes est partielle­ment entendue. Des décisions sont prises: l'assistance aux filles-mères et aux enfants trouvés, avec la loi du 28 juin 1793, avec celle du 22 floréal an II (11 mai 1794) la forma­tion d'un grand livre de la bienfaisance nationale principale­ment pour les populations rurales, la nationalisation défini­tive des hôpitaux par le décret du 23 messidor an II (11 juillet 1794), avec la loi du 24 vendémiaire an II (15 octobre 1794), l'extinction de la mendicité, par le décret du 21 pluviose an II (9 février 1794) : versement de secours et d'allocations aux parents nécessiteux des défenseurs de la patrie.

Seul ce dernier décret fût pleinement appliqué. « Ici on touchait de trop près au système politique dont dépendait le sort de la Révolution pour qu'on pût se permettre de trans­gresser les lois, qu'on venait à peine de voter» (20). Jacques Godechot souligne que le « Grand livre de la bienfaisance nationale», « tout imparfait et insuffisant qu'il fût n'en constituait pas moins un progrès énorme ».

Le rapport Barère du 22 floréal an II, offre d'intéres­santes précisions sur la réflexion sociale des conventionnels. La priorité est accordée aux populations rurales dont le tra­vail est considéré comme le plus utile et le plus éprouvant.

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LA PROTECTION

« ... La préférence pour les cultivateurs, les bergers et les artisans des campagnes est trop juste, trop urgente, pour être contestée ». Cette hiérarchisation de la souffrance, con­firme la méconnaissance que les élites révolutionnaires éprouvent à l'égard de ce que Michelet appellera « Les ser­vitudes de rhomme d'industrie» (21).

Le rapport est une étonnante combinaison de mesures positives et de considérations utopiques échevelées. Chaque indigent malade inscrit sur le « Grand livre» peut espérer toucher 10 sous par jour de maladie, plus 6 sous par enfant de moins de dix ans. En partant de la proposition (sous estimée) d'un indigent sur vingt Français, il évalue à cin­quante et un mille le nombre des citoyens concernés par le revenu minimum; soit une dépense importante pour l'époque de sept millions et demi de livres. Mais, Barère fait observer: « Qu'est cette dépense pour un bienfait national, quand la République dépense 400 millions par mois pour le fléau de la guerre ? ».

La prééminence absolue accordée aux soins à domicile, fait surgir des mirages: «Plus d'aumônes, plus d'hôpi­taux ! Tel est le but vers lequel la Convention doit marcher sans cesse; car ces deux mots doivent être effacés du voca­bulaire républicain». L'institution de la première fête nationale par décret du 18 floréal pour « honorer le mal­heur », n'est pas moins déconcertante, même si nous savons aujourd'hui que « toutes les sociétés humaines organisent, d'une façon ou d'une autre la réception du malheur, son interprétation, la gestion de ses crises » (22).

LE REFLUX THERMIDORIEN

Le changement intervenu le 1 0 thermidor avec la chute de Robespierre amorce une décrue continue des conceptions révolutionnaires en matière d'assistance, sans jamais cepen­dant signifier un retour à la case de départ. L'intervention de Merlin de Douai le 23 germinal an III (12 avril 1795) sur les principes essentiels de l'ordre social et de la Répu-

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blique (23) est caractéristique du nouveau cap. Les secours de la République « ... ne peuvent être accordés qu'aux vrais indigents, laborieux, tempérants, économes et probes ... Ceux qui favoriseront la paresse ou le désordre en faisant donner des secours aux hommes sans vrai besoin ou sans mœurs ... seront réputés dilapideurs des fonds publics et res­ponsables de leur fausse application ».

Merlin de Douai ne manque pas de rappeler que la loi Le Chapelier conserve sa validité: « Toutes les corporations ou coalitions et même toutes délibérations non expressé­ment autorisées par la loi entre citoyens de même état ou professions sont prohibées, comme contraires aux principes de la liberté ».

L'orientation qui s'impose dès lors consiste à renvoyer l'assistance vers les municipalités ou la bienfaisance privée. Le député de la Somme, Delecloy, prononce le 4 octobre 1795 dans un «Rapport sur l'organisation générale des secours publics », l'oraison funèbre de la politique d'assis­tance de la Convention. «Qu'est-il arrivé de ce chaos d'idées? Une série effrayante de dépenses illimitées, des lois stériles et impossibles à exécuter... Posons donc comme principe que le gouvernement ne peut pas seul se charger de l'entretien du pauvre; mais en le mettant sous la sauve­garde de la commisération générale et de la tutelle des gens aisés, il doit donner l'exemple d'une bienfaisance limitée comme ses moyens » (24).

Le principe d'assistance obligatoire fondée sur la solida­rité nationale, proclamé pendant la phase la plus avancée de la Révolution, devra attendre plus d'un siècle pour sortir de son hibernation. Ferdinand Dreyfus, tout en faisant la part des dommages causés par le volontarisme révolutionnaire, notamment sur le plan hospitalier, n'en conclut pas moins: « Ces réserves faites, il faut reconnaître ce qu'il y a de géné­reux dans la conception révolutionnaire dégagée des excès qui l'ensanglantèrent » (25).

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LA PROTECTION

« L'ART SOCIAL »

Le concept d'Etat-assistance, inscrit dans les tables de la loi au plus fort de la vague révolutionnaire, généralise les pratiques séculaires de solidarité. Les techniques d'entraide d'origine mutualiste soulèvent un intérêt d'autant plus vif vers la fin du XVIIIe siècle, que la science mathématique connaît des développements prometteurs sur le plan du calcul des probabilités.

L'influence de Condorcet, de Laplace et de leurs collè­gues, ne s'exerce pas seulement sur la législation révolution­naire. Ils posent avec leurs travaux les bases scientifiques de l'essor ultérieur de la solidarité mutualiste. La prévoyance est perçue comme un instrument de socialisation pour la satisfaction des besoins sociaux et comme un substitut indi­viduel aux formules étatiques.

La « société de 1789 », qui se crée après le transfert de l'Assemblée de Paris pendant les journées d'octobre, sous l'impulsion de La Fayette, Sieyès, Larochefoucauld-Lian­court, Dupont de Nemours et Condorcet, se donne pour objectif d'élaborer un nouvel « art social» et d'utiliser ses principes pour la future Constitution. Le prospectus rédigé par Condorcet dans le « Journal de la société de 1789» définit la méthode : «réunir tant de matériaux épars et inconsistants, rechercher dans les sciences économiques leurs rapports mutuels, et surtout la liaison commune qu'elles peuvent avoir avec la science générale de la civilisa­tion, tel est robjectif de l'art social » ~26).

L'application du calcul des probabilités à la durée de la vie humaine, apparaît, dans les dernières années de l'Ancien régime un instrument porteur de la réforme social. Con­dorcet, dernier grand représentant des encyclopédistes et de leur tradition de lutte contre l'arbitraire judiciaire, publie en 1785 « L'essai sur l'application de l'analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix ».

Les progrès réalisés dans l'utilisation directe des mathé­matiques à des fins de prévoyance ont une origine à pre­mière vue inattendue. Ils résultent en partie des travaux sta-

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tistiques de grands commis de l'Etat monarchique. Cette filiation n'est qu'à moitié surprenante, si l'on considère que la crise financière permanente sous l'Ancien régime avait contraint les gouvernements successifs à recourir systémati­quement aux loteries et aux emprunts, assortis de rentes via­gères, pour remplir les coffres de l'Etat.

Une meilleure connnaissance du calcul des probabilités s'imposait, pour ne pas gonfler démesurément la dette. « Les difficultés scientifiques nées de ces expédients mirent les mathématiciens en face de problèmes importants pour le développement du calcul des probabilités, au moment même où leur résolution mathématique apportait la preuve mani­feste que la science était en mesure de ramener les contin­gences humaines à des lois constantes » (27).

Deux hommes ont joué un rôle direct dans cette mise au point. Duvillard de Durand, attaché au bureau statistique du ministère de l'Intérieur, publie en 1786 un ouvrage, inti­tulé : « Recherches sur les rentes, les emprunts et les rem­boursements». Condorcet ratifie chaleureusement ce tra­vail, au nom de l'Académie des sciences. A la veille de la Révolution, Duvillard devient le premier actuaire français au service de la Compagnie Royale d'assurance sur la vie. Sa «Table de mortalité» restera opérationnelle pendant tout le XIxe siècle.

André Jean de Larocque, avocat et valet de chambre de la Reine, selon Jean Bouchary (28), propose en 1785 « L'éta­blissement d'une caisse générale des épargnes du peuple» (29). S'il déclare s'inspiI:er de l'expérience britan­nique de l'assurance, de Larocque estime que cette tech­nique doit d'abord servir à protéger les hommes contre les affres de la grande pauvreté. « La misère est le terme des travaux du peuple quand nul moyen d'acquérir n'est en pro­portion avec la modicité de ses salaires ». Un projet inspiré par cette initiative est soumis à l'Assemblée provinciale d'Orléans, en 1787 par Lavoisier, sous le nom de « caisse d'assurance en faveur du peuple contre les atteintes de la misère et de la vieillesse ».

Les avancées de la mathématique sociale n'encouragent

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LA PROTECTION

pas uniquement des vocations philanthropiques, elles susci­tent des appétits financiers, qui placent les savants consultés en position délicate. Ainsi, « ... Laplace et Condorcet se retrouvèrent au beau milieu de cette curée et, ce qui est symptomatique, ils ne purent s'empêcher de prendre posi­tion sur les questions politiques de fond qui étaient en jeu » (30).

Condorcet qui a très tôt privilégié les finalités humani­taires, trouvera avec la Révolution le cadre propice pour l'utilisation du nouveau savoir. Sa proposition d'établir des « caisses de secours et d'accumulation» soulève l'enthou­siasme de Jean Jaurès, qui salue « les vues vastes et fermes du grand Condorcet» (31). Dans « Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain », rédigé dans les conditions dramatiques de la clandestinité, après la chute des girondins en juin 1793, Condorcet développe avec audace les perspectives « d'une mutualité ... étendue à tous les individus et à tous les risques » (32).

Condorcet pressent que les applications du calcul des pro­babilités ouvrent des voies inédites pour la connaissance des aspects les plus divers du déroulement de la vie humaine. Il nous livre une ébauche remarquable de la notion encore inconnue de morbidité. «Combien les recherches sur la durée de vie des hommes, sur rinfluence qu'exerce sur cette durée la différence des sexes, des températures, du climat, des professions, des goûts, des habitudes de vie; sur la mortalité qui résulte des diverses maladies, sur les change­ments que la population éprouve, sur l'étendue des diverses causes qui produisent ces changements, sur la manière dont elle est distribuée dans chaque pays suivant les âges, les sexes, les occupations; combien toutes ces recherches ne peuvent-elles pas être utiles à la connaissance physique de rhomme, à la médecine, à réconomie publique. Combien réconomie publique n'a-t-elle pas fait usage de ces mêmes calculs pour les établissements de rentes viagères, des ton­tines, des caisses d'accumulation et de secours, des cham­bres d'assurance de toute espèce» (33).

Dans une période où s'affirme la prééminence de l'Etat,

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Condorcet ouvre une perspective originale en proposant de conjuguer l'effort d'assistance de la puissance publique et celui des sociétés de secours d'origine privée. A la condition que ces dernières ne soient pas réservées aux privilégiés et qu'elles assimilent les rudiments de la science actuarielle. « Nous ferons voir que ces établissements qui peuvent être formés au nom de la puissance sociale et devenir un de ses grands bienfaits, peuvent être aussi le résultat d'associations particulières, qui se formeront sans aucun danger, lorsque les principes d'après lesquels ces établissements doivent s'organiser seront devenus plus populaires et que les erreurs qui ont détruit un grand nombre de ces associations cesse­ront d'être à craindre pour elles » (34).

La création d'organismes d'entraide mutuelle de statut privé avait été présentée quelques mois plus tôt par le Dr Marsillac. S'inscrivant dans la politique anti-hospitalière officielle, il propose que les hôpitaux soient : « ... rem­placés par des sociétés civiques, qui assureront aux artisans dans le cadre de maladies ou d'afflictions humaines tous les secours... » (35). Les institutions préconisées par Marsillac sont conçues « sur le modèle des sociétés civiques connues en Ecosse, en Angleterre, sous le nom de sociétés frater­nelles, d'Union, de Concorde, etc. » qu'il a étudié au cours de plusieurs séjours dans les îles britanniques.

On ne connaît guère l'écho véritable rencontré par cette initiative, mais outre la confirmation de l'attraction exercée par les « friendly societies », elle mérite notre attention car son réglement constitue « en fait, de véritables statuts-types de société mutualiste, les premiers très vraisemblablement qui aient été publiés » (36).

Marsillac, soucieux de préserver les futures sociétés de secours de l'aventure financière, souhaite qu'elles s'inspi­rent des progrès de la science actuarielle, sans remettre en cause leur finalité philanthropique. Tel n'est pas le but des divers promoteurs de caisses d'épargne, tontines ou compa­gnies d'assurance, qui fleürissent sous la Constituante et la Législative.

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LA PROTECTION

DANS LE FRUIT DE LA PRÉVOYANCE, LE VER DE L'AGIOTAGE

« La morale de la prévoyance en France s'est construite comme une morale de bourgeois et de paysans aisés, en opposition à la providence de la religion catholique» (37).

Lorsque le curé de Gap tonne contre la prévoyance en 1773, il vise moins l'épargne populaire, que celles des bourgeois fortunés. « C'est donc votre argent qui vous rassure contre tous les accidents qui peuvent vous arriver? C'est donc lui, qui est votre Dieu ? » (38). La Révolution de 1789 bouscule les dogmes de l'ancienne morale dans le domaine de la pré­voyance.

L'idéologie de l'épargne s'impose d'autant plus aisément, du moins dans la phase initiale de la Révolution, que la pré­voyance est généralement présentée comme l'assurance-vie du pauvre. C'est ce que propose Larochefoucauld-Lian­court dans son quatrième rapport du Comité de mendicité en regrettant que les nouvelles techniques de calcul soient surtout utiles aux actionnaires des établissements d'assu­rances et à leurs clientèles privilégiées.

Dans ce contexte, les opérations financières menées sous le couvert des divers projets de caisses d'épargne, de secours et de prévoyance, qui prospèrent en 1790, se présentent tout naturellement au nom de l'intérêt général et de l'assistance aux pauvres. Le cas le plus connu, celui de la Caisse Lafarge, devient rapidement un objet de controverses parmi les Constituants.

Après plusieurs tentatives infructueuses, faites avant la Révolution, Joachim Lafarge, ancien négociant, soumet à la fin de 1790 à différentes autorités révolutionnaires un projet de bienfaisance intitulé « Tontine viagère et d'amor­tissement ». L'accueil de la Section du Théâtre Français et du Club des Jacobins est très favorable. La commune de Paris, puis le Comité des finances de l'Assemblée nationale portent un regard bienveillant sur le projet, néanmoins soumis à l'avis de l'Académie des sciences.

Favorable au principe, l'autorité scientifique n'approuve

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pas les modalités proposées. Le rapport, qui porte les signa­tures de La Place et de Condorcet, considère le plan du sieur Lafarge comme «désavantageux aux actionnaires d'un âge avancé et renfermant une partie des inconvénients attachés aux loteries... » (39). Condorcet, dans la lettre accompagnant les conclusions transmises aux parlemen­taires, justifie le jugement négatif de l'Académie par le souci de préserver le principe de prévoyance contre « des projets mal combinés qui discréditeraient les bons projets qu'on voudrait y substituer ... » (40).

Lors du débat ouvert à l'Assemblée nationale le 27 février 1791, Mirabeau salue dans la prévoyance « la seconde providence du genre humain ». La seule réserve que lui inspire le projet Lafarge, c'est le nom de tontine. Il propose de lui donner l'appellation plus séduisante de « Caisse d'Epargne et de bienfaisance; ce titre aurait mieux fait connaître au pauvre ses besoins et au riche ses devoirs ... »(41). Dans le but d'engager l'Assemblée en faveur de cet établissement, Mirabeau propose le préléve­ment de cinq jours du traitement de chaque député, pour constituer des actions destinées aux familles deshéritées.

Robespierre dénonce « l'appât» de Mirabeau et le prin­cipe même de l'entreprise: « Il semble que l'on ait choisi le projet le moins conforme à la morale, celui d'une loterie, pour vous la présenter sous des formes séduisantes » (42).

Buzot, proche du député d'Arras, obtient le rejet du projet Lafarge, en arguant que « L'Assemblée ne devait pas avoir l'air de cautionner une compagnie de finances» (43).

L'échec ne décourage pas Lafarge. Il réussit, en diffusant largement l'opinion de Mirabeau, à réunir un nombre important de souscripteurs. La critique des « avantages illu­soires» de la Caisse Lafarge, n'empêchera nullement ses dirigeants de réaliser « de copieux profits » (44). A peine, peut-on noter, sous le Directoire, la mise en garde de Laussat, député des Basses-Pyrénnées au Conseil des Anciens : « Je vois simplement en elle une compagnie qui a spéculé sur les effets publics » (45).

Il . faudra attendre 1809, pour que l'administration de la

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LA PROTECTION

caisse soit retirée des mains de ses fondateurs. Le rapport des commissaires chargés de l'enquête est accablant: « Les malversations des directeurs de la Caisse d'épargne dite Lafarge sont enfin connues. Depuis quinze années ils exploitent comme leur propriété unique une entreprise en apparence d'utilité publique, devenue profitable à eux seuls» (46).

Sur les vingt-trois caisses et tontines créées pendant la Révolution, il ne restera en activité sous l'Empire, que la Caisse Lafarge et la tontine du Pacte social, toutes deux dans le même état de délabrement. Jean Bouchary observe que ces établissements, dont le but social était de faire con­tribuer le riche au· bonheur du pauvre, avaient débouché sur un résultat inverse : « la mortalité des gens aisés, des ren­tiers étant inférieure à celle des artisans et des ouvriers, d'ailleurs plus nombreux» (47).

L'ASSURANCE-VIE« MORT-NÉE»

« L'assurance est la fille du capital» (48). Instrument de protection et de valorisation de la propriété mobilière, l'assurance se trouve à l'étroit dans le cadre de la propriété foncière féodale : « ... le seul domaine qui permettait, aux origines, de s'évader de la rigide armature féodale était la mer» (49). L'assurance maritime apparaît logiquement comme la première étape de l'aventure assurantielle. La morale religieuse constitue, dès le départ, un obstacle de taille pour cette activité qui a la particularité de produire de l'argent à partir de l'argent. Encore ne s'agit-il, à l'origine, que de garantir des biens matériels.

L'opposition à l'assurance sur la vie humaine sera plus opiniâtre encore, tout particulièrement dans les pays de tra­dition catholique. L'ordonnance de Colbert de 1681 interdi­sant l'assurance sur la vie pour la raison qu'« on ne saurait attribuer un prix à la vie humaine », est encore en vigueur un siècle plus tard. Il faut attendre la dernière année de l'Ancien régime pour que soit autorisée, nous l'avons vu, la

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AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

création de la « Compagnie royale d'assurance sur la vie », sous la houlette de Mirabeau, de Brissot et surtout de Cl a­vière.

Le prospectus de présentation, rédigé en 1788 par Etienne Clavière, brillant aventurier de la finance d'origine gene­voise, suscite encore l'admiration un siècle et demi plus tard chez les spécialistes (50) pour le talent de vulgarisateur dont il sut faire preuve. Clavière, expulsé de Genève vers l'Angle­terre pour des raisons politiques, eut la chance de recevoir l'enseignement du Docteur Price, fondateur de «l'Equi­table », première compagnie d'assurance-vie de l'histoire.

Au cours de ce séjour britannique, Clavière découvre que l'assurance est un « merveilleux moyen de concilier les inté­rêts du capitalisme et ceux de la classe laborieuse ». Il déve­loppe la future thématique révolutionnaire sur l'épargne populaire. L'assurance-vie ne s'adresse pas aux seuls indi­vidus aisés: « c'est non seulement pour venir au secours d'une sollicitude aussi louable que des calculateurs ingé­nieux et prévoyants ont créé diverses sortes d'assurance sur la vie; ils ont eu un but plus respectable encore, celui de favoriser la classe pauvre et laborieuse; la plus importante de la société ... L'ouvrier pauvre se persuade qu'il est impos­sible de faire fructifier solidement de petites épargnes. Ce préjugé lui ôte l'esprit de prévoyance» (51).

L'accès des milieux d'affaires au pouvoir, en 1789, ouvre théoriquement des perspectives prometteuses pour les acti­vités d'assurance. Il y a loin de la coupe aux lèvres, puis­qu'au bout de quatre années de Révolution l'assurance est mise hors la loi. Clavière, administrateur-gérant de la « Royale », parvient pendant les trois premières années à assurer un développement honorable de la compagnie. Les facteurs politiques jouent un rôle certain dans l'effacement des institutions d'assurance, au nombre desquels il faut noter la personnalité de Clavière, devenu le 10 avril 1792, ministre des Contributions dans le ministère girondin.

L'assurance-vie a également souffert de son assimilation aux loteries. « ... l'abâtardissement de l'assurance en pari retarda très fortement le développement rationnel de l' assu-

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LA PROTECTION

rance sérieuse ... (52). Clavière dans un mémoire rédigé en février 1793, dans le cadre de ses responsabilités ministé­rielles contribue à la confusion des genres : « Vous con­naissez, citoyens, la passion du pauvre pour les loteries. Tâchons, efforçons-nous de tourner à son avantage ce pen­chant qui lui fait chercher son bien-être dans ces inven­tions ... Dans les loteries l'entrepreneur s'enrichit des mises du pauvre; ici, c'est le pauvre qui profite des avantages d'une entreprise soutenue par le trésor national» (53).

Au lendemain de la chute de la monarchie, les institutions financières deviennent suspectes. Le « Journal de Paris» publie le 20 octobre 1792, un communiqué de la Compagnie d'assurance-vie annonçant la suspension de ses activités. Après la défaite des Girondins et l'arrestation de Clavière le 2 juin 1793, l'interdiction des diverses activités financières, notamment celles des compagnies d'assurance, ne tarde pas.

Elle est proclamée par la Convention dans la séance du 24 août 1793, présidée par Robespierre. La raison invoquée est essentiellement politique. «En effet, il existe en ce moment un combat à mort entre tous les marchands d'argent et l'affermissement de la République. Il faut donc tuer toutes ces associations destructives du crédit public, si nous voulons établir le règne de la liberté », dit Cambon, au nom du comité des finances (54).

Le rejet de l'assurance ne découle pas seulement du combat républicain contre l'agiotage contre-révolution­naire, il répond à des motivations éthiques. «Les assu­rances substituent le service du calcul au service de l'huma­nité et font disparaître de la société la sensibilité générale qui en est une des bases» (55), rapporte P.-J. Richard. Bien que l'argument ne figure pas dans les débats de la Conven­tion, il paraît plausible. Les racines de cette défiance morale sont profondes. L'assurance sur la vie devra attendre l'année 1819 pour retrouver droit de cité en France, creu­sant ainsi un sérieux retard technique et financier sur le redoutable concurrent britannique.

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NAISSANCE DE LA MÉDECINE MODERNE

L'Etat révolutionnaire détruit «de fond en comble l'ancien régime médical» (56). Dans ce domaine comme dans bien d'autres, la besogne avait été préparée par l'Etat monarchique, infiltré par l'esprit réformateur des « lumières». Le caractère collectif de l'épidémie, risque majeur du temps, interdit de s'en remettre à l'individua­lisme médical. L'Etat a la responsabilité de mobiliser toutes les ressources de la science pour combattre ce risque. Ce que fait Turgot, en créant la Société royale de médecine, dans le but de coordonner la lutte contre les épidémies. Le mouvement lancé, la Société royale passe vite des fléaux exceptionnels aux malheurs du quotidien, ceux vécus par les pauvres quand ils sont malades.

L'un des membres les plus éminents de la Société royale de médecine, le chirurgien Jacques Tenon, rédige, avec le concours de Bailly et de Larochefoucauld-Liancourt, en novembre 1786, le célèbre et terrible rapport sur l'Hôtel­Dieu et les hôpitaux de Paris. Tenon crie son indignation devant: «le spectacle révoltant qu'offrent aux yeux des citoyens les malades couchés depuis deux jusqu'à huit dans un lit » (57).

Quelques mois plus tard, le 24 mai 1787, Jacques Tenon s'embarque pour l'Angleterre sur l'ordre de Louis XVI, pour étudier l'organisation hospitalière de ce pays. «II revint d'Angleterre profondément impressionné par cette idée que la responsabilité morale du pauvre et du malade, tout comme le fardeau financier, appartient à la commu­nauté et à la Nation ... » (58). L'évolution de Tenon reflète l'aspiration réformatrice du corps médical qui trouve avec 1789 les conditions de son épanouissement.

Les principes de la politique hospitalière définie par la Constituante, donnent le cap pour toute la période révolu­tionnaire. Trois objectifs principaux sont proposés: « Décharger l'hôpital de sa population d'assistés en instau­rant des secours à domicile, assurer une meilleure réparti­tion des revenus hospitaliers entre les régions, améliorer

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LA PROTECTION

l'hygiène et les soins des établissements destinés aux malades» (59). La prescription du lit individuel ou la sup­pression par Pinel des chaînes pour les déments attestent que le volontarisme révolutionnaire n'interdit pas de prendre des mesures concrètes.

Paradoxalement, l'hôpital se modernise dans une période où l'on programme sa disparition. Au total, la mutation opérée dans le mode de financement des institutions hospi­talières s'avèrera, contre toute attente, profitable. «A l'issue d'une crise sérieuse mais transitoire, cette transfor­mation du financement des hôpitaux (moins de loyers et fer­mages, davantage de rentes, recettes variables et crédits d'octroi) leur est, à terme bénéfique. Dès l'an XII, les recettes des hôpitaux et hospices parisiens sont supérieures à celles de 1789 » (60).

Ce sont les décisions touchant le plus directement à la rénovation des pratiques et des connaissances médicales, qui connaîtront la postérité la plus sûre. Trois universités de médecine, à Paris, Montpellier et Strasbourg, sont créées par loi du 14 frimaire an III (4 décembre 1794). Elles se substituent à la multiplicité des écoles existant sous l'Ancien régime dont l'archaïsme le disputait au laxisme, puisque « quelques unes délivraient des diplômes sans faire subir d'examens aux candidats» (61). L'enseignement médical est doublement rénové par l'instauration de liens entre la méde­cine et la chirurgie et par l'essor des activités cliniques, qui permet la liaison de la théorie et de la pratique.

« Soyons clair, dit Jacques Léonard : la clinique ne date pas de 1795 et l'anatomie pathologique non plus ... Ce qui est nouveau, c'est la destruction des institutions d'enseigne­ment où péroraient la routine et le byzantinisme » (62). Les noms des acteurs de cette transformation révolutionnaire au plein sens du terme, sont prestigieux, comme le sont ceux de leurs disciples directs. Les citer, revient à dresser l'inven­taire du patrimoine hospitalier contemporain: Tenon, Bichat, Cabanis, Foucroy, Corvisart, Baudelocque, Pinel, HaIlé, Chaptal, Berthollet, Broussais, Bretonneau, Laënnec, Récamier, Dupuytren, Velpeau, etc.

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AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

Les maîtres mots légués par les « lumières » : science et égalité, assurent, au-delà des improvisations hasardeuses, la cohérence de cette gigantesque mutation. A une époque où les charlatans sont le plus grand nombre, l'égalité dans l'accès aux soins exige la multiplication des médecins et leur installation à la campagne. Lorsqu'on demande à Jacques Tenon les raisons qui l'on conduit, lui chirurgien, à se préoccuper de l'organisation des soins, il répond: « qu'il avait pensé aux paysans de Massy, où il avait une maison; qu'on est citoyen avant d'être guérisseur » (63).

La foi dans la science est l'autre grande force propulsive. Le lien entre science et Nation est si fort pendant la Révolu­tion que «jamais tant de savants n'approchèrent du pou­voir central », selon l'observation du philosophe Michel Serres (64). Cette connivence, rarissime dans l'histoire, entre savoir et pouvoir, particulièrement développée dans le domaine sanitaire, assurera pendant un demi siècle la préé­minence de l'école française de médecine dans le monde (65).

Le bilan de l'action de la Révolution française dans le domaine de la protection sociale et sanitaire présente, sur le plan comparé des intentions et des actes, un déficit indiscu­table. Mais, la portée de l'évènement interdit de l'enfermer dans une balance comptable, fût-ce celle du « bilan globale­ment positif ».

Alan Forrest, au terme d'un examen sans complaisance, conclut son livre « La révolution et les pauvres » par les mots du bon sens : «La Révolution -essaie, au moyen de mesures parfois draconiennes d'imposer une structure légi­slative moderne, et souvent compliquée, à une société où l'ignorance est largement répandue et le sentiment nationale encore en gestation. C'est un objectif inaccessible. En vérité, il est surprenant qu'une œuvre aussi importante ait pu être accomplie dans des conditions aussi difficiles » (66).

Comment le peuple des villes et des campagnes, destina­taire proclamé de l'œuvre révolutionnaire, n'aurait-il pas perçu, malgré les épreuves dramatiques, lui aussi son importance?

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LA PROTECTION

NOTES

(1) Antoine de Baecque. - L'an 1 des droits de rhomme, op. cit., p.317.

(2) Jacques Godechot. - La Révolution française, 1787-1799, 1988, p.95.

(3) Alan Forrest. - La Révolution française et les pauvres, op. cit., p. 15.

(4) Idées d'un citoyen sur les droits et les devoirs des vrais pauvres, 1765, t. 1, p. 169.

(5) Camille Bloch et Alexandre Tuetey. - Le Comité de mendicité et la Constituante, op. cit., p. 310.

(6) Camille Bloch. - L 'assistance publique-Instruction, recueil de textes et notes (de 1789 à l'an VIII), 1909. - In : Bulletin d'Histoire de la Sécurité Sociale, n° 16, p. 21.

(7) Archives parlementaires, t. 31, p. 340.

(8) Jacques Tenon. - Réflexions en faveur de pauvres citoyens malades, 1791, B.N. RP.I0475.

(9) Cité par Ferdinand Dreyfus. - L'assistance sous la Législative et la Convention, op. cit., p. 10.

(10) Moniteur, t. 12, p. 655.

(11) Histoire socialiste de la Révolution française, op. cit., t. 2, p. 481.

(12) Ibidem.

(13) Bulletin d'histoire de la Sécurité sociale, n° 16, p. 21.

(14) Jean Jaurès. - Histoire socialiste de la Révolution française, op. cit., t. 6, p. 11.

(15) Adresse à la Convention nationale par les commissaires réunis des 48 sections de Paris, B.N. Lb41. 2857.

(16) Œuvres, XII, p. 316.

(17) B.N. 8° Lb41. 751.

(18) Jean Jaurès. - Histoire socialiste de la République française, op. cit., t. 6, p. 162.

(19) Les sans-culottes, op. cit., p. 90.

(20) Jacques Godechot. - Les institutions de la France, op. cit., p. 443.

(21) Jules Michelet. - In : Le Peuple, 1974, pp. 92-93.

(22) Alain Cottereau. - Table ronde Prévenir, 16 et 17 décembre 1988, à paraître courant 1989.

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AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

(23) Discours et projets de déclaration des principes essentiels de rordre social et de la République par Philippe-Antoine dit Merlin de Douai, B.N. C38.1340.

(24) Delec1oy~ - Rapport sur rorganisation des secours publics, séance du 12 Vendémiaire an IV, pp. 2-4, B.N. Le 38. 1709.

(25) L'assistance sous la Législative et la Convention, op. cit., p. 171. (26) Keith Baker. - Condorcet, 1988, p. 357. (27) Ibidem, p. 366. (28) Jean Bouchary. - Les compagnies financières à Paris, 1940, t. 1,

p.14. (29) L'établissement d'une caisse générale des épargnes du peuple, B.N.

R.40798. (30) Keith Baker. - Condorcet, op. cit., p. 368. (31) Jean Jaurès. - Histoire socialiste de la Révolution française, op.

cit., t. 2, p. 482. (32) Ibidem, t. 6, p. 474. (33) Condorcet. - Esquisse d'un tableau historique des progrès de

resprit humain, pp. 42-43, B.N. R.32169. (34) Ibidem, p. 70. (35) Dr Marsillac. - Hôpitaux remplacés par des sociétés civiques et par

des maisons d'industrie, 1792, B.N. RP.6472. (36) Jean Bennet. - Déjà des statuts types mutualistes en 1792, 1961,

p.5. (37) Alain Cottereau. - Prévoyance des uns, imprévoyance des autres.

In : La Revue Prévenir, n° 9, mai 1984, p. 59. (38) Bernard Groethuysen. - Origines de resprit bourgeois en France,

1977, p. 226. (39) Jean Bouchary. - Les compagnies financières de Paris à la fin du

XVIIIe siècle, op. cit., p. 17. (40) Ibidem. (41) Ibidem, p. 19. (42) Ibidem, p. 20. (43) Ibidem, p. 21. (44) Ibidem, p. 24. (45) A.N. AD/XIV /6. (46) Ibidem. (47) Les compagnies financières à Paris, op. cit., p. 102. (48) François Ewald. - L'Etat-Providence, 1986, p. 182.

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LA PROTECTION

(49) J. Halpérin. - Les assurances en Suisse et dans le monde, 1945, p.22.

(50) P .-J. Richard. - Histoire des institutions d'assurance en France, 1956, p. 20. Selon une publication récente le véritable auteur de ce texte serait en réalité Duvillard de Durand (voir Guy THUILLIER, In : Bulletin d'Histoire de la Sécurité Sociale, n° 18, p. 32).

(51) A.N. AD/XIV/S. (52) J. Halpérin. - Les assurances en Suisse et dans le monde, op. cit.,

p.65. (53) A.N. AD/XIV /6. (54) Moniteur universel, 25 août 1973. (55) Histoire des institutions d'assurance en France, op. cit., p. 37. (56) Jacques Léonard. - La médecine entre les pouvoirs et les savoirs,

1981, p. 12. (57) Jacques Tenon. - Réflexions en faveur des pauvres citoyens

malades, op. cit., p. 12. (58) Louis S. Greenbaun. - La tournée des hôpitaux anglais par J.

Tenon en 1787. - In : Revue d'histoire des sciences, 1971, t. 24, pp. 317-350.

(59) Catherine Duprat. - L 'hôpital et la crise hospitalière. - In : l'état de la France sous la Révolution, op. cit., p. 58.

(60) Ibidem, p. 59. (61) Henry Ingrand. - Le comité de salubrité de l'Assemblée nationale

Constituante, (1790-1791). Thèse de doctorat en médecine, B.N. Tb. Paris-l0762.

(62) Jacques Léonard. - La médecine entre les pouvoirs et les savoirs, op. cit., p. 23.

(63) B.N. Nouvelles acquisitions françaises - 11358 Fol. 32. (64) Cité par Régis Debray. - Que vive la République, 1989, p. 128. (65) Catherine Duprat. - L 'hôpital et la crise hospitalière, op. cit.,

p.60. (66) op. cit., p. 233.

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Conclusion

L'EFFET LE CHAPELIER

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Au terme de cette rapide exploration du paysage social dessiné par la Révolution française, le moment est venu de risquer quelques hypothèses concernant la portée de l' œuvre révolutionnaire sur le cours de la mutualité et celui des associations de solidarité formées dans les commu­nautés de travail.

L'entreprise est aventureuse, l'interprétation historique n'ayant jamais été un long fleuve tranquille. Raison de plus, pour nous garder des écueils les plus apparents. Le dévelop­pement contemporain de la mutualité et du mouvement social ne saurait être considéré comme le pur produit d'un déterminisme initié par la Révolution française. L'entraide mutuelle appartient à la longue durée. Elle jette un pont entre l'ancien et le nouveau régime. Sa pérennité illustre l'observation chère à l'historiographie anglo- saxonne, selon laquelle des continuités nombreuses traversent l'époque révolutionnaire.

A peine a-t-on mis l'accent sur la permanence de l'action mutualiste, qu'il convient de souligner avec force l'empreinte laissée par la Révolution sur la forme des sociétés à vocation solidaire. Autre piège, celui qui conduit à créditer la législation révolutionnaire de motivations for­gées dans la phase ultérieure de l'industrialisation. Les déci­sions touchant le droit d'association relèvent indissociable­ment de considérations sociales et culturelles.

L'effet Le Chapelier, figure emblématique de l'influence révolutionnaire, s'exerce sur deux plans: le rejet de l'asso­ciation professionnelle et la promotion du principe d'assis­tance dans le cadre de la solidarité nationale. L'interdit associatif vise la coalition ouvrière. Les activités d'entraide mutuelle n'ont pas véritablement souffert de la répression.

Faut-il estimer, pour autant, que la mutualité a été prise en tenaille dans une contradiction qui ne la concernait pas ? L'assertion néglige les liens historiques tissés entre les acti­vités de résistance et de secours. Dès lors que la liberté du commerce apparaît irrémédiablement opposée à la liberté d'association professionnelle, toute forme de groupement interne aux métiers ne pouvait que devenir suspecte.

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CONCLUSION

L'association est davantage refoulée pour des raisons cul­turelles et idéologiques que par égoïsme de classe. La liberté proclamée est, avant tout, celle du travail et de l'entreprise ; l'égalité signifie l'abolition des privilèges aristocratiques, parmi lesquels les corporations figurent en bonne place. L'assimilation des sociétés fraternelles aux privilèges corpo­ratifs de l'Ancien régime constitue précisément le cœur du malentendu.

Finalement, l'hostilité commune des révolutionnaires à l'encontre des associations de salariés trouve sa justification dans l'idée abstraite de l'intérêt général qui mobilise les esprits éclairés de la fin du XVIIIe siècle. L'expression des intérêts particuliers, selon le principe rousseauiste, constitue une menace pour la société toute entière.

La pérennité de cette utopie dangereuse a eu pour consé­quence, outre le veto au droit d'association, de faire obs­tacle à une conception de l'intérêt général fondée sur un compromis passé entre les intérêts particuliers, dans un cadre conflictuel reconnu.

Les dommages causés par la prohibition du principe asso­ciatif ne soulèvent guère de doute; l'influence de la poli­tique révolutionnaire d'assistance sur les associations d'entraide paraît moins établie. A l'instant même où elle refoule les sociétés fraternelles, la Révolution élève la fra­ternité, cette autre façon de dire la solidarité, au rang de devoir sacré de la Nation (1).

Paradoxalement le premier homme d'Etat qui invoque le principe de l'assistance publique dans un texte de loi, n'est autre que Le Chapelier. Anticipation qui lui vaudra des reproches posthumes de la part d'Emile Ollivier pour avoir formulé la conception de l'Etat-Providence (2). Dans le sil­lage du principe des secours publics conçus comme un droit, les sciences médicales et les techniques de prévoyance accomplissent des progrès considérables. Leur résurgence un siècle plus tard favorise l'organisation publique et privée de la protection sociale sur des bases solidaires.

L'expérience révolutionnaire fait prendre conscience aux humbles que la misère et l'injustice n'appartiennent pas,

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fatalement, à l'aventure humaine. La dynamique libérée par 1789 . fait reculer le fatalisme et la résignation. La devise mutuelliste des doreurs sur métaux, « repoussés de partout, ils se soutiennent eux-mêmes» (3), apparaît significative­ment au lendemain de la Révolution.

La société à vocation libérale de la première moitié du XIXe siècle ne peut ignorer les antagonismes qu'elle engendre. L'industrialisation et l'urbanisation naissantes révèlent les limites du dogme de l'individu isolé. Les auto­rités successives appliquent la loi du 14 juin 1791 avec un pragmatisme modulé. Le barrage opposé à l'association ouvrière s'accompagne d'un filtrage subtil. La pratique d'assistance est tolérée, sans que jamais se relâche la vigi­lance à l'égard des « ... effets pervers qu'elle pourrait induire» (4).

L'effet Le Chapelier, qui agit alternativement comme un frein et un moteur sur l'organisation de l'entraide, favorise la diversification des sociétés de secours. La séparation des fonctions de résistance et de prévoyance, est amorcée dès la Constituante. Les adhérents des mutuelles grenobloises, notamment la mutuelle des gantiers créée en 1803, adoptent des statuts par lesquels ils se disent « fidèles observateurs de la loi du 14 juin 1791 » (5). Nombre de sociétés profession­nelles récusent toute allégeance et sont condamnées à un fonctionnement semi -clandestin.

Les mutuelles du XIXe siècle, qu'elles soient respec­tueuses de l'ordre social ou pré-syndicales, intègrent dans leur gestion de l'entraide, les acquis de la solidarité élargie et rationnelle transmis par la Révolution. La pression anti­associative provoque, dans la dernière partie du siècle, le divorce définitif des formes de solidarités mutualistes et syndicales. « Ce rendez-vous manqué de la mutuellité et du fait syndical a pesé lourd dans rhistoire du syndicalisme français », estime Pierre Rosanvallon (6).

On a coutume de souligner la précocité des libertés sociales établies en Grande-Bretagne, dans le cadre de la révolution industrielle. Les mutuelles (Friendly societies) sont légalisées en 1793 et les associations syndicales en 1824.

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CONCLUSION

La Révolution française, plus politique, invente les concepts démocratiques de l'époque moderne. Le suffrage universel instauré en France par la Révolution de 1848, ne verra le jour en Angleterre qu'en janvier 1918. L'hégémonie du politique propulsée par 1789 constitue, avec l'interdit asso­ciatif, l'autre puissant motif de fragmentation du mouve­ment social français et de différenciation de ses fonctions.

L'entrée en République dans les années 1880 autorise, enfin, l'abrogation de la loi Le Chapelier. C'est chose faite en 1884, pour les syndicats « ... nés républicains » (7), en 1898 pour la mutualité après quatorze années de noviciat républicain, en 1901 pour l'association en général. La Charte mutualiste, dit son père spirituel Hippolyte Maze constitue: « le 89 de la mutualité qui s'est accompli» (8).

Un siècle aura donc été nécessaire pour que les contradic­tions, logées entre la liberté d'association et la liberté d'entreprise, soient gérées dans un cadre légal.

La Mutualité française devient l'instrument des ambitions sociales des autorités républicaines. Sa rencontre avec la république n'est pas fortuite. Depuis un siècle liberté, éga­lité, fraternité, «exprimait une contradiction plus qu'une association» (9). L'institution de solidarité possède les atouts pour réconcilier les termes du tryptique révolution­naire.

La pratique de l'entraide mutuelle met en jeu une double souveraineté, l'individu et la société, «l'une et l'autre inaliénables» selon le mot de Proudhon. A l'aube du XXe siècle, le mouvement mutualiste s'impose comme l'un des lieux privilégiés pour réaliser la synthèse des logiques invidi­viduelles et collectives mises à jour par la Révolution.

L'arbitrage défavorable rendu à la liberté d'association par la Constituante a contraint les salariés à différencier l'organisation de l'auto-défense quotidienne par le syndicat, de l'organisation de l'entraide par la mutuelle. Il se pourrait que les barrières dressées contre l'association aient repré­senté une chance pour la mutualité.

La loi Le Chapelier, en rendant inéluctable le processus d'automatisation des principales fonctions du mouvement

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social, n'a-t-elle pas créé les conditions de leur épanouisse­ment respectif? La position de la Mutualité française, devenue le premier mouvement social dans notre pays et la seule institution de solidarité indépendante de cette enver­gure en Europe, autorise une réponse positive.

Tel n'était probablement pas le but poursuivi le 14 juin 1791, mais comme le dit Henri Hatzfeld: « Aucun acteur de rhistoire ne détient la connaissance de tous les fils de la toile qu'il tisse » (10).

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CONCLUSION

NOTES

(1) Voir le livre de Marcel David. - La fraternité et la Révolution française, 1987.

(2) Emile Ollivier. - Le Moniteur, 15 mai 1864, p. 688. (3) Les Associations Professionnelles Ouvrières, op. cit., t. 1, p. 196. (4) François Ewald. - L'Etat-Providence, op. cit., p. 73.

(5) Archives Nationales, AD/XIV /12. (6) Pierre Rosanvallon. - La question syndicale, 1988, p. 83. (7) Madeleine Rebérioux. - Premières lectures du Congrès de 1883. -

In : Prévenir, n° 9, p. 85. (8) Compte rendu du 1 er Congrès national des sociétés de secours

mutuels, p. 227. (9) Eric J. Hobsbawm. - L'ère des révolutions, op. cit., p. 307.

(10) Henri Hatzfeld. - Du paupérisme à la sécurité sociale, op. cit., p.327.

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LISTE DES TRAVAUX CITÉS classés par ordre alphabétique

AGULHON (Maurice). - Pénitents et Francs-maçons de rancienne Provence. - Paris: Fayard, 1984. - 454 p.

AGULHON (Maurice). - L 'histoire sociale et les asso­ciations. - In : La Revue de l'économie sociale, n° 14, avril 1988, pp. 35-44.

ASSELAIN (Jean-Charles). - Histoire économique de la France. - Paris: Editions du Seuil, 1984. - t. 1, 221 p. -t. 2, 209 p.

ATTALI (Jacques). - Au propre et au figuré, une his­toire de la propriété. - Paris: Fayard, 1988. - 553 p.

AULARD (François-Alphonse). - L'éloquence parle­mentaire pendant la Révolution française. - Paris: Hachette, 1882. -

AULARD (François-Alphonse). - Histoire politique de la Révolution française (1789-1804). - Paris: A. Colin, 1905. - 805 p.

BAECQUE (Antoine de), SCHMALLE (Wolfgang), VOVELLE (Michel). - L'an 1 des droits de rhomme. -Paris: Presses du C.N.R.S., 1988. - 359 p.

BAKER (Keith). - Condorcet. - Paris : Hermann- Edi­teurs des sciences et des arts, 1988. - 623 p.

BENNET (Jean). - La Mutualité française des origines à la Révolution de 1789. - Paris: C.LE.M., 1981. - 916 p.

BENNET (Jean). - Déjà des statuts-types mutualistes en 1792. - Etampes: S.R.LP., 1961. - 12 p.

BENNET (Jean). - Piarron de Chamousset, philan­thrope et mutualiste. - Etampes: S.R.LP., 1964. - 20 p.

BIAUGEAUD (J.-M.-J.). - La liberté du travail sous l'Assemblée constituante. - Paris: P.U.F., 1939. - 124 p.

BIZARDEL (Yvon). - Les Américains à Paris pendant la Révolution. - Paris: Calmann-Lévy, 1972. - 293 p.

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AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

BLANC Louis). - Histoire de la Révolution française. -Paris: Langlois et Lec1ercq, 1847-1862. - 12 vol.

BLUCHE (François). - Au temps de Louis XVI. -Paris: Hachette, 1980. - 396 p.

BLOCH (Camille) et TUETEY (Alexandre). - Le comité de mendicité et la Constituante. - Paris : Imprimerie natio­nale, 1911. - 847 p.

BLOCH (Camille). - L'assistance et l'Etat en France à la veille de la Révolution. - Paris: A. Picard et Fils, 1908. -504 p.

BLOCH (Camille). - L'assistance publique-Instruction, recueil de textes et notes (de 1789 à l'an VIII) - In : Bulletin d'histoire de la Sécurité sociale, n° 16, septembre 1987, p. 11-32.

BOUCHARY (Jean). - Les compagnies financières à Paris à la fin du XVIIIe siècle. - Paris: M. Rivière, 1940-1942. - 3 vol.

BUCHEZ (P .-J.) et ROUX (P .-C.). - Histoire parlemen­taire de la Révolution française. - Paris: Paulin, 1834-1838. - 40 vol.

BOURDIN (Isabelle). - Les sociétés populaires à Paris pendant la Révolution. - Paris : Librairie du recueil Sirey, 1937. - 455 p.

BOUVIER-AJAM (Maurice). - Histoire du travail en France des origines à la Révolution. - Paris: L.G.D.J., 1957. - 774 p.

BOUVIER-AJAM (Maurice). - Histoire du travail en France depuis la Révolution. - Paris: L.G.D.J., 1969. -604 p.

CELLIER (Florent du). - Les classes ouvrières en France depuis 1789. - Paris: Imprimerie de Dubuisson, 1857. -96 p.

CHAMOUSSET (Piarron de). - Œuvres complètes. -Paris : de Senne, 1787. - 2 vol.

CHASSIN (Charles-Louis). - Les élections et les cahiers de Paris en 1789. - Paris: Jouast et Signaux - Charles Noblet-Maison Quantin, 1888/1889. - 4 vol.

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LISTE DES TRAVAUX

CHAUVET (Paul). - Les ouvriers du livre en France, des origines à la Révolution de 1789. - Paris : P. U .F., 1959. - 542 p.

CHAUVET (Paul). - Les ouvriers du livre en France, de 1789 à la constitution de la Fédération du livre. - Paris : Librairie Marcel Rivière et Cie, 1964. - 717 p.

CH OP ART (Jean-Noël). - Le fil du rouge du corpora­tisme. - Rouen: L.E.R.S., 1987. - 123 p.

COMITÉ D'HISTOIRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE. - La Sécurité sociale - Son histoire à travers les textes. -Paris: Association pour l'étude de la Sécurité sociale. -t. 1 : 1780-1870, 1988. - 718 p.

CONDORCET (Jean Caritat de). - Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain. - Paris: Dubuisson, 1864. - 2 vol.

CONTAT (Nicolas dit Lebrun). - Anecdotes typographi­ques. - Oxford bibliographical society publication, 1980. -163 p.

CORNAERT (Emile). - Les corporations en France avant 1789. - Paris: Les Editions ouvrières, 1968. - 316 p.

COTTEREAU (Alain). - Prévoyance des uns, impré­voyance des autres. - In : Prévenir n° 9, mai 1984, pp. 57-68.

DAVID (Marcel). - La fraternité et la Révolution fran­çaise. - Paris: Aubier, 1987. - 350 p.

DEBRAY (Régis). - Que vive la République. - Paris: Editions Odile Jacob; 1989. - 218 p.

DHNONT (Jean). - Notes sur les ouvriers industriels gantois à l'époque française. - In: La Revue du Nord, 1954, volume 36.

DREYFUS (Ferdinand). - Larochefoucauld-Liancourt, un philanthrope d'autrefois. - Paris: Plon-Nourrit et Cie, 1903. - 547 p.

DREYFUS (Ferdinand). - L'assistance sous la législative et la Convention, 1791-1795. - Paris: G. Bellais, 1905. -180 p.

155

Page 157: Au conflit de deux libertés - Bernard Gibaud

AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

DUPRAT (Catherine). - L 'hôpital et la crise hospita­lière. - In : L'Etat de la France pendant la Révolution (sous la direction de Michel Vovelle). - Paris: Editions La Décou­verte, 1988, pp. 58-60.

DUROY (Jean-Pierre). - Le compagnonnage initiateur de l'économie sociale~ - Le Mans: thèse de doctorat de l'Université du Maine, 1982. - 483 p.

DUVERGIER (J.-B.). - Collection complète des lois de 1788 à 1830. - 1824, Paris : A. Guyot et Scribe, 1834. - 30 vol.

DUVILLARD DE DURAND. - Recherches sur les rentes, les emprunts et les remboursements. - Bibliothèque Nationale R.7348, 1787.

ENCYCLOPÉDIE ou dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers. - Stuttgart-Bad Canstatt, première édition 1751-1780, 1966. - 17 vol.

EWALD (François). - L'Etat-Providence. Paris : Grasset, 1986. - 606 p.

FACCARELLO (Gilbert). - L'économie politique. - In : L'Etat de la France pendant la Révolution. - Paris: Edi­tions La Découverte, 1988, pp. 423-427.

FARGE (Arlette). - La vie fragile. - Paris : Hachette, 1986. - 354 p.

FAURE (Christine). - Les déclarations des droits de rhomme de 1789. - Paris: Payot, 1988. - 387 p.

FORREST (Alan). - La Révolution française et les pau­vres. - Paris: Librairie Académique Perrin, 1986. - 283 p.

GARDEN (Maurice). - Lyon et les lyonnais au XVIIIe siècle. - Paris: Flammarion, 1975. - 374 p.

GAXOTTE (Pierre). - La Révolution française. - Paris, 1988.

GEREMEK (Bronislav). - Les salariés dans rartisanat parisien aux XIII-xve siècles. - Paris: Ecole des hautes études en sciences sociales, 1982. - 147 p.

GIBAUD (Bernard). - La société philanthropique de Paris ou les paradoxes du patronage aristocratique. - In :

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Page 158: Au conflit de deux libertés - Bernard Gibaud

LISTE DES TRAVAUX

La Revue de l'économie sociale, n° 13, janvier 1988, pp. 177-183.

GODECHOT (Jacques). - Les institutions de la France sous la Révolution et l'Empire. - Paris: P.U.F. : 1968. -791 p.

GODECHOT (Jacques). - La Révolution française, 1787-1799. - Paris: Perrin, 1988. - 392 p.

GREEN BA UN (Louis). - La tournée des hôpitaux anglais par Jacques Tenon en 1787. - In : La Revue d'his­toire des sciences, t. 24, 1971, pp. 317-350.

GROETHUYSEN (Bernard). - Origines de l'esprit bour­geois. - Paris: Gallimard, 1977. - 300 p.

GUÉRIN (Daniel). - La lutte des classes sous la 1 re

République. - Paris : Gallimard, 1946. - 2 vol. GUILLEMIN (Henri). - Robespierre. - Paris : Editions

du Seuil, 1987. - 421 p. HALPERIN (J.). - Les assurances en Suisse et dans le

monde. - Neuchâtel: Editions de la Baconnière, 1945. -276 p.

HAMON (Georges). - Histoire générale de l'assurance en France et à l'étranger. - Paris: Bureau du journal « L'assurance moderne », 1895-1896. - 768 p.

HARDY (Sébastien). - Mes loisirs ou journal d'évène­ments tels qu'ils me parviennent à ma connaissance. - Paris, 1764-1789. - B.N., Fonds Français n° 6680-6687.

HATZFELD (Henri). - Du paupérisme à la Sécurité sociale. - Paris: Librairie Armand Colin, 1971. - 344 p.

HATZFELD (Henri). - Note sur la mutualité au XIxe siècle. - In : Prévenir, n° 9, mai 1984, pp. 17-23.

HAUSSER (Henri). - Ouvriers du temps passé (xve­XVIe siècles). - Paris: 1899.

HOBSBA WM (Eric). - L'ère des révolutions. - Paris: Editions Complexe, 1988. - 416 p.

INGRAND (Henry). - Le Comité de salubrité de l'Assemblée nationale constituante (1790-1791). - Thèse de doctorat en médecine. - B.N. Th. Paris-l0762.

157

Page 159: Au conflit de deux libertés - Bernard Gibaud

AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

ISAMBERT (F .-A.). - Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 jusqu'à la Révolution de 1789. -Paris : 1822-1833. - 29 vol.

JAFFE (Grace M.). - Le mouvement ouvrier à Paris pendant la Révolution française. - Paris : Librairie Félix Alcan, 1924. - 215 p.

JAURÈS (Jean). - Histoire socialiste de la Révolution française. - Paris: Editions sociales, 1969. - 6 vol.

LABAL (PauI). - Notes sur les compagnons migrateurs et les sociétés de compagnons à Dijon à la fin du xve siècle et au début du XVIe siècle. - In : Annales de Bourgogne 22, 1950, pp. 189-191.

LACROIX (Sigismond). - Actes de la commune de Paris pendant la Révolution. - Paris : L. Cerf-Charles Noblet­Maison Quantin, 1900-1914, 15 vol., notamment les t. 3, 4 et 5 de la 2e série.

LAROCQUE (André-Jean de). - Etablissement d'une caisse générale des épargnes du peuple. - Bruxelles, 1786. -119 p.

LAURENT (Emile). - Le paupérisme et les associations de prévoyance. - Paris: Librairie de Guillaumin et Cie, 1865. - 447 p.

LA VIELLE (Romain). - Histoire de la mutualité. -Paris: Hachette, 1964. - 254 p.

LA VISSE (Ernest). - Histoire de la France contempo­raine. - Paris: Par P. Sagnac, 1920. - t. 1.

LEFEBVRE (Georges). - La Révolution française. -Paris: P.U.F., 1968. - 699 p.

LEONARD (Jacques). - La médecine entre les pouvoirs et les savoirs. - Paris: Aubier, 1981. - 384 p.

LEROY (Maxime). - Histoire des idées sociales en France. - Paris: Gallimard, 1950. - 551 p.

LEV ASSEUR (Emile). - Histoire des classes ouvrières de l'industrie en France de 1789 à 1870. - Paris: A. Rousseau, 1903-1904, 2 vol.

MARSILLAC (Dr). - Hôpitaux remplacés par des sociétés civiques et par des maisons d'industrie. - Paris: Imprimerie de la loterie nationale, 1792. - B.N. RP 6472.

158

Page 160: Au conflit de deux libertés - Bernard Gibaud

LISTE DES TRAVAUX

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MARTIN (J .-B.). - La fin des mauvais pauvres. -Seyssel: Collection milieux Champ Vallon, 1983. - 197 p.

MATHIEZ (Albert). - Le club des Cordeliers pendant la crise de Varennes et le massacre du Champ de Mars. -Paris: H. Champion, 1910. - 392 p.

MAYEN (Claude). - Les sociétés de secours mutuels. -Paris: A. Rousseau, 1901. - 539 p.

MICHELET (Jules). - Le peuple. - Paris : Hachette et Paulin, 1846. - 375 p.

MICHELET (Jules). - Révolution française. - Paris: Calmann-Lévy, 1898-1900. - 10 vol.

MERCIER (Louis Sébastien). - Le tableau de Paris. -Paris: François Maspéro, 1979. - 356 p.

MINISTÈRE DU COMMERCE, DE L'INDUSTRIE, DES POSTES ET DES TÉLÉGRAPHES. - Les associa­tions professionnelles ouvrières. - Paris : Imprimerie natio­nale, 1899, t. 1 909 p., t. 2 895 p., t. 3 679 p., t. 4 821 p.

MOUSSAC (Marquis de). - Une corporation d'autre­fois. - Paris: Lamulle et Poisson, 1892. - 117 p.

NOURRISSON (Paul). - Histoire de la liberté d'associa­tion depuis 1789. - Paris, 1920.

POTHIER (Robert Joseph). - Traités des contrats aléa­toires. - Paris: Debure l'aîné, 1767. - 358 p.

PORTAL (Charles). - Une société de secours mutuels sous la Révolution : la Trinité de Gaillac (Tarn). - Albi : Imprimerie Nouguiès, 1907. - 15 p.

REBÉRIOUX (Madeleine). - Premières lectures du con­grès de 1883. - In : Prévenir, nO 9, mai 1984, pp. 75- 85.

REIN HARD (Marcel). - Nouvelle histoire de Paris-La Révolution 1789-1799. - Paris: Hachette, 1971. - 457 p.

RICHARD (P.-J.). - Histoire des institutions d'assu­rance en France. - Paris: Editions de l'Argus, 1956. -333 p.

159

Page 161: Au conflit de deux libertés - Bernard Gibaud

AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

ROSANV ALLON (Pierre). - La question syndicale. -Paris: Calmann-Lévy, 1988. - 268 p.

ROUSSEAU (Jean-Jacques). - Du contrat social. -Paris: Pluriel, 1988. - 445 p.

RUBFEL (Eugène). - Notice du 150e anniversaire de la société typographique de Strasbourg de 1793 à 1933. - Stras­bourg: Imprimerie strasbourgeoise-bilingue, 1933. - 196 p.

RUDÉ (Georges). - La foule dans la Révolution fran­çaise. - Paris: François Maspéro, 1982. - 285 p.

SÉE (Benri). - Histoire économique de la France. -Paris : A. Colin, 1939. - 2 vol.

SENES (Victor). - Les origines des compagnies d'assu­rance. - Paris: L. Dulac, 1900. - 376 p.

SEWELL (William B.). - Gens de métiers et révolu­tions). - Paris : Aubier, 1983. - 423 p. SOBOUL (Albert). - Les sans culotte - Paris : Editions du Seuil, 1968. - 136 P.

SOBOUL (Albert). - L 'histoire de la Révolution fran­çaise. - Paris: Editions Sociales, 1982. - 609 p.

SORREAU (Edmond). - La loi Le Chapelier. - In: Annales historiques de la Révolution française, janvier /fé­vrier 1931.

TAINE (B.). - Les origines de la France contemporaine­La Révolution. - Paris, 1876. - 3 vol.

TENON (Jacques). - Réflexions en faveur de pauvres citoyens malades. - Paris: Imprimerie de Désaine, 1791. -23 p.

TENON (Jacques). - Mémoires sur les hôpitaux de Paris. - Royez, 1788. - 472 p.

TOCQUEVILLE. - L'Ancien régime et la Révolution. -Paris: Gallimard, 1967. - 378 p.

VOVELLE (Michel). - La chute de la monarchie 1787-1792. - Paris: Editions du Seuil, 1972. - 282 p.

WINOCK (Michel). - L'année sans pareille. - Paris: O. Orban, 1988. - 300 p.

160

Page 162: Au conflit de deux libertés - Bernard Gibaud

INDEX DES PERSONNES CITÉES

AGULHON Maurice. . . . . . . . . . . . .. p. 14, 20, 25, 107, 115 ALLARDE Pierre-Gilbert, Leroi, baron d'

p. 17,56,57,58,64 AUGUSTE (l'empereur) ......................... p.15 AU LARD François-Alphonse .............. p. 69, 82, 93 BAILLY Jean-Sylvain

p. 29, 34, 65, 66, 68, 70, 72, 80, 112, 138 BARÈRE de VIEUZAC Bertrand ............. p. 90, 127 BARTHE Roland ............................... p.15 BAUDEAU Abbé Nicolas. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 121 BAUDELOCQUE Jean-Louis ................... p. 139 BENNET Jean ........................... p. 14,15,16 BERNARD Pierre ............................. p. 123 BERTHOLLET Claude-Louis ................... p. 139 BICHAT Marie François Xavier .................. p.139 BLANC Louis. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 36, 81 BLOCH Camille ................. p. 27, 28, 86, 122, 124 BOILEAU Etienne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 19 BO ISLANDRY François-Louis Legrand de . . . . .. p. 47, 48 BOUCHARY Jean. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 130, 135 BOURDIN Isabelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 104 BOUVIER-AJAMMaurice .................... p. 57, 82 BRETONNEAU Pierre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 139 BRISSOT Jacques Pierre. .. . . . . . . . . . . . . . .. p. 28, 43, 136 BROUSSAIS François. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 139 BUCHEZ. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 81 BUZOT ...................................... p. 134 CABANIS Pierre Jean Georges .................. p. 139 CAMBON Joseph. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 137 CAMUS Armand-Gaston ........................ p. 94 CASTRIES marquis de .......................... p.23 CESAR Jules ................................... p.15 CHAPTALJeanAntoine ....................... p.139 CHAROST Armand-Joseph de Béthune, duc de .... p.113 CHASSET Charles-Antoine . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 46

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Page 163: Au conflit de deux libertés - Bernard Gibaud

AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

CHASSIN Ch.-L. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p.44 CHATEAUBRIAND comte de .................... p.83 CHAUVET PauL ......................... p. 19,25,53 CHOPART Jean-Noël .......................... p.l07 CLAVIÈRE Etienne .................. p. 28,43, 136,137 CLERMONT -TONNERRE Stanislas-Marie,

comte de ..................................... p.48 COLBERT Jean-Baptiste. . . . . . . . . . . . . . . . . .. .. p. 18, 135 CONDORCET Jean Antoine Nicolas de Caritat,

marquis de ..... p. 28, 43, 64, 91, 125, 129, 130, 131, 134 CORNAERT Emile ................ p. 14, 17, 18,24, 102 CORVISART Jean. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 139 CUSTINE Adam-Philippe, comte de . . . . . . . . . . . . . .. p. 47 DANTON Georges Jacques ....................... p.54 DELECLOY Jean-Baptiste ...................... p.128 DESMOULINS Camille ................... p. 54, 82, 88 DIDEROT Denis. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 24 DUFOURNY DE VILLIERS M. .................. p. 34 DUMOURIEZ Charles François du Périer, dit. . . . .. p. 125 DUPLA y Maurice .... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 94 DUPONT de NEMOURS Pierre-Samuel . p. 30, 55, 91, 129 DUPUYTREN Guillaume. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 139 DUVILLARD de DURAND Emmanuel Etienne. . .. p. 130 DREUX-BRÈZÈ Henri Evrard, marquis de. . . . . . . .. p. 66 DREYFUS Ferdinand. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 128 FAVRE(l'abbé) ................................ p.34 FORREST Alan ............................... p. 140 FOUCROY Antoine-François de ................. p. 139 FRANÇOIS 1er •••.••••••••••••••••••••••••••••• p.20 FRANKLIN Benjamin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 50 GARRAN de COULON Jean Philippe ............ p. 122 BIAUZAT Jean Etienne Gaultier de . . . . . . . . . . . . . . .. p. 87 GAXOTTE Pierre ............................... p.71 GEREMEK Bronislav ............................ p. 14 GODECHOT Jacques. . . . . . . . . . . . . . .. p. 56, 68, 120, 126 GOUVION Jean-Baptiste ........................ p. 72 HALLÉ Jean-Noël. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 139 HARDY Sébastien ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 42, 49

162

Page 164: Au conflit de deux libertés - Bernard Gibaud

INDEX

HATZFELD Henri 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 p. 150 JAFFÉ Grâce Mo 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 p. 64, 75 JAURÈS Jean 00 p. 43, 45, 57, 75, 88, 89, 109, 123, 124, 131 JEFFERSON Thomas 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 p.47 LACROIX Sigismond 000000000000000000000000 po71, 100 LAENNEC René Th. 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 p. 139 LAFARGE Joachim 000 0 0 0 0 0 00000 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 po 133, 134 LAFAYETTE Marie Joseph marquis de 00000000 p. 72, 129 LAMBERT Jean-François 000000000000000000000000 p.34 LAPLACE Pierre Simon 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 p. 129, 130, 134 LAROCHEFOUCAULD François-Alexandre,

duc de Liancourt p. 29, 64, 66, 80, 86, 87, 103, 121, 129, 133, 138

LAROCQUE André Jean de 0 • 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 po 130 LAURENT Emile 000000000000000000000000000000 p.108 LAUSSAT Pierre Clément de . 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 po 134 LAVISSE Ernest 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 p. 85 LAVOISIER Antoine-Laurent de 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 p. 130 LEBAS 0000000000000000000000000000000000000000 p.94 LE CHAPELIER Isaac-René-Guy p. 46, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 87, 88, 89, 90, 100, 101, 102, 103, 122, 146, 147, 148 LECLERC Jean-Baptiste 000000000000000000.00000 p.l0l LEFEBVRE Georges 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 p. 59 LENOIR (Lt général de police) 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 • 0 0 0 p. 33 LEONARD Jacques 0000 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 p. 139 LE PLAY Frédéric 00000000000000000000000000000 p.l08 LOUIS XI 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 p. 18 LOUIS XV 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 p. 121 LOUIS XVI 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 p. 30 MALESHERBES Guillaume

Chrétien de Lamoignon de 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 po 83 MARAT Jean-Paulo 0 000000000000 po 47, 54, 57, 75, 89, 93 MARSILLAC J. (Dr) 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0.000000000000000 p.132 MARTIN Germain 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 p. 83 MATHIEZ Albert. 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 00000000000000000 p. 70, 71 MAZARIN Jules 00000000000000000000000000000000 p.28 MAZE Hippolyte 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 po 149 MERCIER Louis-Sébastien 0000000000000000000 p. 42, 112

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AU CONFLIT DE DEUX LIBERTÉS

MERLIN Philippe Antoine dit Merlin de Douai 0 po 127, 128 MICHELET Jules 00000000000000000000000 po 81,94, 127 MIRABEAU Honoré-Gabriel Riquetti,

comte de 0 0 0 0 • 0 0 0 0 0 0 • 0 0 0 0 0 0 0 • O. po 28, 66, 82, 134, 136 MOMORO Antoine François 0 0 0 • 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 • 0 0 • 0 0 po 25 MONTESQUIEU Charles de Secondat,

baron de la Brède . 0 0 0 0 0 0 0 0 • 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 po 29, 121 MONTLOSIER François Dominique de Reynaud,

comte de 00.000000 •• 0 0 • 0 •••• 0 0 0 0 0 0000.00.00000 po 82 NADAUD Martin 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 • 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 • 0 • 0 0 po 15 NECKER Jacques 00 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 • 0 0 0 0 0 •• 0 0 0 0 0 O. po 29, 32 NERON 00 •• 000000.0.000.000 ••••••••••••• 000000 po15 OLLIVIER Emile 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 • 0 0 • 0 •• 0 •• 0 • 0 •• 0 O. po 147 ORLEANS Louis Philippe, duc d' 0 0 •••••• 0 0 • 0 •• po 34, 44 P ASTORET Claude Emmanuel Joseph Pierre de 0 0 0 O. po 80 PETION de VILLENEUVE Jérome ........... 0 p. 47, 80 PIARRON DE CHAMOUSSET Claude Humbert 0 p. 26, 27 PINEL Philippe ................................ p.139 PISON du GALLAND Alexis-Francis. . . . . . . . . . . . .. p.48 PRICE Richard ........................ 0 • • • • • •• p. 136 PROUDHON Pierre-Joseph ..................... p. 149 PRUDHOMME Louis Marie ..... . . . . . . . . .. p. 68, 69, 88 QUESNAY.o .... o ............ 0 •••••••••• 0 ••••• p.91 RECAMIER Joseph-Claude-Anthelme ............ p. 139 RESTIF de la BRETONNE Nicolas Anne

Edme Rétif dit ....... 0 ••• 0 • • • • • • • • • • • • • • • • • • •• p. 37 RÉVEILLON Jean-Baptiste ............. p. 33, 43, 44, 45 ROBERT François ................. 0 ••••• 0 p. 69, 70, 71 ROBESPIERRE Maximilien Marie Isidore de

p. 47, 80, 88, 110, 113, 125, 127, 134, 137 ROGER-DUCOS Pierre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 113 ROSANVALLON Pierre 0 ••••••••••••••• 0 • • • • • •• p. 148 ROUSSEAU Jean-Jacques. . . . . . . . . .. p. 29, 46, 88, 90, 91 ROUX Vital. ................................ p. 53, 81 RUDÉ Georges ................ 0 ••• 0 • • • • •• p. 42, 45, 70 SAINT-JUST Louis ................. 0' •••••••••• p.94 SAINT-PAUL ................ o ................. p.17 SAINT VINCENT de PAUL .. 0 • • • • • • • • • • • • • • • • • •• p. 21

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INDEX

SÉE Henri ..................................... p. 83 SERRES Michel ............................... p. 140 SEWELL William H. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 14, 30 SIEYES Emmanuel-Joseph ...... p. 43, 47, 49, 64, 91,129 SINETY André-Louis, marquis de ................. p.47 SMITHAdam ......................... p.64,65,90,91 SOBOUL Albert ................ p. 42, 94, 114, 123, 126 TAINE Hippolyte ............................... p.81 TENON Jacques ............ p. 29, 66, 123, 138, 139, 140 THEOPHRASTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 15 THIERS Antoine ............................... p. 81 TOCQUEVILLE Alexis de ....................... p. 14 TONTI Lorenzo ................................ p.28 TRAJAN Marcus Ulpius . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 15 TURGOT Anne Robert Jacques .. p. 17,29,32,89,91,138 VELPEAU Alfred .............................. p.139 VOL TAIRE François Marie Arouet dit. . . . . . . . . . . .. p. 90 VOVELLE Michel .............................. p.51

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Dans la même collection

- La Mutualité, une histoire maintenant accessible, par Michel Dreyfus.

- La Mutualité en Lorraine, par Françoise Birck et Michel Dreyfus.

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Réalisation CIEM - 40.43.30.10

© Édition - FNMF - 255, rue de Vaugirard 75719 Paris Cedex 15

Imprimé en France

Dépôt légal : Juin 1989

ISBN: 2-906376-05-1

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