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2 3 GRANDE GRANDE AÇORES Voyage au milieu de L’Atlantique Neuf îles perdues en plein océan, comme autant d’Atlantides. Le bout du bout de l’Europe est un jardin presque tropical dont la végétation luxuriante semble surgir de la lave. Neuf îles, neuf micro- cosmes différents. Nous en avons visité quatre. TEXTE ET PHOTOS ERIC VANCLEYNENBREUGEL Le port de Horta (Faial), escale mythique pour de nombreux marins.

AÇORES · 2016. 11. 29. · Faial, devenue le ‘porte-avions’ de l’Atlantique. D’ailleurs, aujourd’hui encore, les marins du monde entier y font toujours escale. Dans le

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Page 1: AÇORES · 2016. 11. 29. · Faial, devenue le ‘porte-avions’ de l’Atlantique. D’ailleurs, aujourd’hui encore, les marins du monde entier y font toujours escale. Dans le

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AÇORES Voyage au milieu de L’Atlantique

Neuf îles perdues en plein océan, comme autant d’Atlantides. Le bout du bout de l’Europe est un jardin presque tropical dont la végétation luxuriante semble surgir de la lave. Neuf îles, neuf micro-cosmes différents. Nous en avons visité quatre.

TExTE ET phoTos ERic VANclEyNENbREuGEl

Le port de Horta (Faial), escale mythique pour de nombreux marins.

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Si l’archipel est resté bien mys-térieux, la raison en est simple : les Açores sont l’un des endroits les plus éloignés d’autres terres et, surtout, de tout continent. Plus tout à fait en Europe,

1300 kilomètres à l’est, et très loin encore de l’Amérique. C’est ce sentiment exalt-ant d’être arrivé dans un monde à part qui m’envahit dès l’atterrissage sur São Miguel, pourtant l’une des îles les plus proches de l’Europe. Cette île est aussi la plus vaste

(70 kilomètres de long et 20 de large), la plus peuplée, avec plus de la moitié de la population de l’archipel, et la plus ‘animée’. Du moins à Ponta Delgada, car dès que l’on quitte la capitale, on pénètre dans un monde qui semble ne pas avoir changé depuis des siècles. Un univers zen et paisible. L’air pur et la lumière limpide typiquement atlantique ajoutent une dimension supplémentaire. Paradoxalement, c’est quand on est loin du reste du monde qu’on se sent le plus proche des éléments qui le composent.

São Miguel, l’île verte

São Miguel, c’est un peu le navire amiral de la flotte aço-rienne ! Et un fabuleux jardin botanique qui lui vaut son surnom d’île verte. Une couleur un peu trompeuse car, comme l’explique mon guide Eduardo, « on n’a pas idée à quel point les Açoriens ont dû lutter pour survivre dès leur arrivée sur une île vierge mais surtout tellement distante de l’Europe qu’il n’existait aucune issue en cas de pénurie, de tremblement de terre ou d’éruption volcanique ». Tout pousse, ou presque, mais il a fallu du temps pour acclimater ce qui devait permettre de se nourrir. Au gré des apports venus d’autres lieux, les îliens ont développé une multitude de techniques, de cultures et de moyens de subsistance : blé, canne à sucre, vigne, agrumes, oliviers, ananas, thé, tabac, élevage bovin ou encore chasse à la baleine. Anticyclone oblige, il fait toujours beau aux Açores, pensez-vous… Pourtant, le célèbre phénomène météo n’est pas synonyme de temps radieux à chacun de ses passages. « Quand il se positionne juste au-dessus de l’archipel, le temps peut changer très rapidement. Il vaut mieux qu’il soit légèrement décalé, » confirme Eduardo. « En fait, nous avons parfois quatre saisons en une journée ». En revanche, les températures ne descendent jamais en-dessous des 15°C et les étés, ensoleillés, ne connaissent pas les longues péri-odes de pluie que nous connaissons si bien chez nous. S’il se met à pleuvoir, attendez quelques minutes ou changez d’altitude, et bien souvent vous retrouverez une accalmie,

voire un rayon de soleil. Ceux qui doutent encore de l’origine volcanique des Açores seront définitivement convaincus en visitant le site de Furnas. Les fumerolles qui s’échappent des entrailles de la terre, les odeurs de soufre et les petites mares de boue rappellent que l’on se trouve pile sur la faille qui sépare l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. La population locale a depuis bien longtemps trouvé un moyen astucieux d’utiliser cette chaleur gratuite. Sur les rives du lac de Furnas, les habitants de l’île ont par exemple creusé des trous dans la lave dans lesquels ils plongent de grandes marmites hermétiquement fermées. Et après sept heures de cuisson, ils se régalent de cozido, sorte de pot-au-feu açorien. On aime aussi Furnas pour son fantastique parc botanique. Imaginé à la fin du 18ème siècle par le consul américain, il n’a pas cessé d’être amélioré et agrandi par ses propriétaires successifs. Ses quelque 12 hectares actuels regroupent des milliers de spécimens venant des quatre coins du monde, parfois uniques en Europe. Lorsqu’on s’aventure sur les petites routes de l’intérieur, le panorama change à chaque tournant. De belvédère en cratère endormi, j’en prends plein les yeux. Site le plus célèbre, Sete Cidades est un volcan couronné par une caldeira remplie aujourd’hui par deux lacs de couleurs différentes : le lagoa Verde et le lagoa Azul. Selon la légende, sept villes auraient été ensevelies par une éruption en cet endroit. Voilà qui alimente le mythe de l’Atlantide. Les prairies nichées entre montagne et océan rappellent l’Irlande, les champs de lave l’Islande, les forêts

Le lac de cratère Lagoa das Furnas : activité géothermale sur l’île de São Miguel.

Les portes de la ville s’ouvrent sur la plus belle place de Ponta Delgada.

La plupart des Açoriens mènent une vie très simple. Ponta da Ferraria, sur la côte ouest de l’île de São Miguel.

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de cèdres le Japon, les vignobles plantés dans la cendre l’île italienne de Pantelleria, les fougères arborescentes géantes la Nouvelle-Zélande. Les vestiges de la laurisylve (forêt subtropicale humide) typique de la Macaronésie remettent les choses en place. Et partout où elles peuvent proliférer, des fleurs en pagaille : hortensias, agapanthes, azalées, rho-dodendrons, strelitzias, jusque sur le bord des routes… C’est une certitude, les Açores n’ont rien de monotone.

Terceira, l’île mauve

Terceira, cela veut dire ‘la troisième’ en portugais, car l’île est la troisième des Açores à avoir été découverte. Aux 15ème et 16ème siècles, les lourds galions espagnols et portugais y faisaient escale et entreposaient toutes les richesses (épices mais aussi or, argent, pierres précieuses, soieries et por-celaines) rapportées des terres lointaines dans les hangars d’Angra, première ville européenne à s’être développée au milieu de l’Atlantique. Pour préserver la fraîcheur des épices, les transactions de déroulaient directement sur les bateaux à l’ancre dans la baie. Angra reste une merveille et est inscrite sur la liste du patrimoine mondial par l’Unesco. Déroulant ses rues en pavés, pentues et bordées de palais, de monastères, d’églises et de maisons colorées, elle évoque déjà les villes coloniales du Brésil. Tout l’été, Terceira vit au rythme des lâchers de taureaux (tourada a corda). Tenus au moyen d’une corde par qua-tre hommes, ils sèment un joyeux désordre dans les rues des villages, bousculant les moins rapides et s’aventurant parfois là où on les attend le moins. L’occasion de montrer sa bravoure aux voisins et aux amis. Les chroniques relatent que ce sont ces animaux qui auraient sauvé l’île d’une prem-ière invasion espagnole. En passe d’être débordés, les Aço-riens rameutèrent tous les taureaux qu’ils purent trouver en train de brouter sur les hauteurs, enflammèrent leurs queues et les poussèrent vers l’armée espagnole dans ce qui fut sans doute la plus gigantesque corrida de l’histoire. Aujourd’hui encore, tout donne occasion à lâcher des taureaux. Même un mariage ! Terceira a gardé intactes ses traditions et son architecture, comme en témoignent les petites chapelles colorées (impé-rios) que l’on trouve dans quasi chaque village. Ces édifices sont liés à la tradition des fêtes du Saint-Esprit. Chaque dimanche, depuis la Pentecôte jusqu’à l’été, des proces-sions partent des impérios et sillonnent les villages, dans le but d’éloigner les catastrophes qui pourraient menacer les Açores. Chaque semaine, la procession élit un ‘empereur’ et tout se termine par un grand repas offert à tous et, bien sûr, par une tourada a corda. Sur Terceira comme sur les 9 îles de l’archipel, il a fallu composer avec les volcans. Les pierres de lave qui recou-vraient les terres ont été patiemment entassées pour ériger des murets et protéger les cultures. À Biscoitos, les blocs qui entourent les vignes évoquaient pour les marins les biscuits durs (pains plusieurs fois recuits et à longue conservation) ›

Point de vue sur la mer (São Miguel).

Porto Formoso, l’unique plantation de thé en Europe.

Villageoises à part entière…

Le parc subtropical d’Angra (Terceira).

Terceira : Monte Brasil, un ancien volcan reconverti en… fort.

Une des nombreuses chapelles colorées sur l’île de Terceira.

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qu’ils mangeaient en mer. Au point que ces biscuits ont donné son nom au village. Expulsées des profondeurs de l’océan, les Açores manquent de plages. Ce qui n’empêche pas de se baigner dans les nombreuses piscines naturelles aménagées sur les côtes et qui se remplissent au gré des marées. Celles de Biscoitos, cernées de laves noires, sont parmi les plus surprenantes.

Faial, l’île bleue

Il y a d’abord le bleu pastel des hortensias qui y fleurissent par millions chaque été. À quoi s’ajoute le bleu profond de l’océan. Plus que toute autre île des Açores, le destin de Faial est étroitement lié à l’Atlantique. Depuis toujours, l’île sert d’escale aux liaisons transatlantiques : les bateaux, les télécommunications, les premiers avions, tout transitait par Faial, devenue le ‘porte-avions’ de l’Atlantique. D’ailleurs, aujourd’hui encore, les marins du monde entier y font toujours escale. Dans le port de Horta, les vieux gréements et les bateaux de pêche côtoient les petites coques et les yachts luxueux des milliardaires. Dans ce petit havre du bout du monde, tant espéré après parfois de longues se-maines passées en mer, les navigateurs ont leurs habitudes. Notamment celle de sortir leurs pinceaux et de laisser sur les dalles en béton des quais une trace durable de leur escale : à chaque passage, ils ajoutent ainsi une date ou ra-vivent les couleurs de leur fresque patinée par le vent et les embruns. Avant de se retrouver juste en face chez ‘Peter, au Café Sport’, repaire de tous les loups de mer qui vien-nent y raconter leurs histoires de marins tout en sirotant du gin tonic. Le fondateur des lieux, grand-père de l’actuel propriétaire José, venait en aide aux marins de passage. Un jour, en voyant le fils de José, un marin anglais s’exclame en affirmant qu’il ressemble à son propre fils, et demande s’il peut l’appeler lui aussi Peter. C’est depuis lors que ce nom s’est ajouté sur l’enseigne du bar, qui sert d’ailleurs encore toujours de poste restante aux marins de passage. Une ambiance inexplicable et inoubliable, à compléter par une visite au musée Scrimshaws, à l’étage, avec sa superbe collection de dents de cachalots gravées. Tout au long du 20ème siècle, la vie sur Faial comme sur Pico fut rythmée par la chasse à la baleine. Une activité restée artisanale : les Açoriens pourchassaient les cétacés à la rame, à bord de longues barques. Une chasse qui complétait les occupations liées à la terre. Jusqu’en 1986, lorsqu’un guetteur décelait le souffle d’un cachalot, les hommes quit-taient leur champ ou leur commerce et grimpaient dans leur bote. Six rameurs, un harponneur et un chef d’équipage se préparaient alors pour un combat à l’issue incertaine. Aujourd’hui, les harpons sont rangés et les baleiniers se sont reconvertis. Ils sont agriculteurs, cafetiers ou pê-cheurs, et se racontent encore des histoires de… baleines. Ces dernières sont désormais bien protégées et ne sont plus approchées que pour être observées. Tout comme les cachalots et les dauphins. ›

Igreja da Misericórdia, au centre d’Angra do Heroismo. Façades cossues à Angra.

Hôtel de ville (Paços do Concelho) d’Angra.

Le quai mythique de Horta, sur l’île de Faial.

Sur les traces des dauphins et des baleines près de l’île de Faial.

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Sur les collines surplombant Horta. Pico : un moulin au milieu des vignes. Le volcan dos Capelinhos sur Faial,

bien loin de toute civilisation.

Avant, les riches vignerons habitaient en bord de mer.

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Les Açores en prAtique :Les Açores font partie de la Macaronésie (aussi nommées ‘îles fortunées’ par les Grecs) au même titre que Madère, les Canaries et les îles du Cap-Vert. Neuf îles, 2.325 km2 au total et 245.000 habitants. La Région Autonome des Açores fait par-tie intégrante du Portugal.

S’y rendre :C’est tout nouveau et très pra-tique, Jetairfly propose depuis avril la première liaison directe Bruxelles - Ponta Delgada (4h30 de vol) à raison d’un vol par semaine, le lundi. Plus d’infos : www.jetairfly.com. Jetair vient de publier sa première brochure ‘Açores’ : 52 pages comprenant circuits,

formules combinées et hôtels/maisons de vacances sélection-nés sur 5 des 9 îles. Brochure et infos en agence ou sur www.jetair.be/acores.

décalage horaire :-2 heures.

climat :de 14°C en hiver à 24°C en été, les températures moyennes sont tempérées par l’océan. Le taux d’humidité avoisine en moyenne les 80%, donnant l’impression que les tempéra-tures sont plus élevées de 2°C que ce qu’elles sont en réalité.

PluS d’infoS :www.visitazores.com.

Dix volcans se succèdent du centre de l’île jusqu’à la côte ! 1957 : pendant que la Belgique se prépare fé-brilement à accueillir le monde entier sur le plateau du Heysel, Faial tremble sur ses bases. À l’extrémité de l’île, un volcan surgit des flots à quelques encablures de la côte. Rapidement, les villages proches sont évacués car les maisons commencent à crouler sous les cendres. Une initiative qui permettra de ne pas avoir à déplorer la moindre victime. Durant treize mois, les entrailles de la Terre vont cracher de la lave, des cendres et des bombes incandescentes. L’île va y gagner 2,4 kilomètres carrés, aujourd’hui réduits par l’érosion. Le phare voisin est enseveli jusqu’au premier étage. Un édifice relique qui est depuis 2007 la base d’un centre d’interprétation fort réussi. Le décor reste dantesque et l’on s’y promène dans un paysage lunaire.

Pico, l’île grise

Quatre kilomètres de mer séparent Faial de Pico et de son volcan, gigantesque cône gris presque parfait qui, lorsqu’il se couvre de neige, prend des airs de Fujiyama au milieu de l’Atlantique. Pico ne peut pas laisser indifférent. Plus que toute autre île des Açores, elle vit au rythme de son énorme volcan, le plus jeune de l’archipel. Un mons-tre qui s’est réveillé plusieurs fois depuis les débuts de l’occupation humaine. Pico, c’est l’île atlantique par excel-lence. Des petites routes perchées qui s’accrochent entre volcan et océan, d’où la vue plonge de façon vertigineuse vers une mer bleu encre. Des cratères endormis remplis d’eau douce, des pâturages gras et des vaches qui n’ont souvent d’autre barrière que le précipice. Phénomène rare, lors de notre passage, le volcan était totalement dégagé de son habituelle couronne de nuages blancs, ce qui nous a permis d’apprécier d’autant mieux l’ampleur du plus haut sommet du Portugal. On peut l’arpenter pendant des heures sans croiser personne. Les quelques villages de pierre volcanique, tous situés sur le littoral, semblent encore vouloir témoigner de la rude vie du passé. Il n’y a pas si longtemps encore, Pico vivait de la baleine et du vin, le verdelho qu’elle exportait jusqu’en Russie et au Brésil. Les fermiers d’ici sont les plus réputés de l’archipel puisqu’ils ont réussi à travailler la terre dans les pires conditions : patiemment, ils ont dû dégager leurs petits lopins de terre encombrés de pierres volcaniques et entasser celles-ci pour former des murets coupe-vent. Sans compter les périodes de sécheresse. Ces currais bien rangés ponctuent toujours le paysage le long des côtes et ont été classés par l’Unesco sur la liste du patrimoine mondial. Dès que l’on s’éloigne des trois micro-villes de l’île ou que l’on remonte vers les hauteurs, Pico déplie à nouveau ses vallées sauvages, toujours couvertes de leur végétation originelle. Pour la solitude totale, il reste encore deux îles tout à l’ouest, Flores et Corvo, puis plus rien avant la Nouvelle-Angleterre…

Vin et fromage, un petit bout de l’île de Pico.

Lac de montagne sur l’île de Pico.

Vue sur l’île de Pico depuis le port de Horta.

Vue assez rare du volcan Pico, sans son voile de nuages.