6
Armand Colin Introduction Author(s): STEPHEN G. NICHOLS Source: Littérature, No. 130, ALTÉRITÉS DU MOYEN ÂGE (JUIN 2003), pp. 3-7 Published by: Armand Colin Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41704909 . Accessed: 15/06/2014 20:02 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Armand Colin is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Littérature. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.79.31 on Sun, 15 Jun 2014 20:02:52 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

ALTÉRITÉS DU MOYEN ÂGE || Introduction

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: ALTÉRITÉS DU MOYEN ÂGE || Introduction

Armand Colin

IntroductionAuthor(s): STEPHEN G. NICHOLSSource: Littérature, No. 130, ALTÉRITÉS DU MOYEN ÂGE (JUIN 2003), pp. 3-7Published by: Armand ColinStable URL: http://www.jstor.org/stable/41704909 .

Accessed: 15/06/2014 20:02

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Armand Colin is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Littérature.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 62.122.79.31 on Sun, 15 Jun 2014 20:02:52 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: ALTÉRITÉS DU MOYEN ÂGE || Introduction

■ STEPHEN G. NICHOLS, JOHNS HOPKINS UNIVERSITY

Introduction

On a beaucoup parlé de la modernité du Moyen Âge ces dernières années. Certes, il y a là un beau sujet, de quoi nourrir des études qui feraient comprendre la part du Moyen Age dans la culture moderne. Mais il importe également de faire ressortir comment et à quel point le Moyen Age se distingue des époques postérieures (ou précédentes). Ne pas respecter sa différence, ne pas tenir compte du fait que non seulement son nom ne lui appartient pas - c'est la Renaissance qui le lui a conféré - et que l'époque même a toujours plutôt servi à marquer le site d'autres périodes qu'à préciser sa nature, de telles attitudes nous privent de la possibilité de définir une identité qui lui soit propre. Cette identité n'est nullement un leurre. On la trouvera dans ses langages, pour lesquels il avait tant de noms: sermo , locutio, lingua , motz , lati entre autres; ces désignateurs ont d'ailleurs pour la plupart disparu de l'usage en même temps que les langages qu'ils désignaient. On la trouvera encore dans la pensée médiévale elle-même, cette pensée fine et sinueuse consciente de la haute responsabilité qui était la sienne, de lier matière et métaphysique, scepticisme et foi, réel et irréel. On la trouvera dans ses représentations littéraires, picturales et plastiques, ou bien dans les perspectives dites «romane», «gothique», ou «médiévale», et enfin dans sa façon de voir le monde et même l'au-delà (une dimension qui déjà nous échappe, à nous autres modernes).

En cherchant à mieux connaître le Moyen Age par ses altérités, il convient d'éviter toute sentimentalité: il ne s'agit nullement de lui faire la cour. La mise en garde lancée par Paulin Paris en 1831 contre «cet enthousiasme aveugle qui trouve sublime ou charmant, sans distinction, tout ce que nous ont conservé de vieux manuscrits *», n'a rien perdu de sa pertinence. Elle reste d'autant plus valable que nous sommes encore mieux placés que ne le fut Paulin Paris pour prendre la mesure des enthousiasmes médiévalisants qui, depuis le XVIIIe siècle, n'ont pas cessé d'offusquer l'objet qu'ils se proposaient pourtant d'éclairer. Paulin Paris a trouvé la formule juste - comme nous le rappelle Christopher Lucken - lorsqu'il disait que «l'amour du Moyen Age est un grand prestidi- gitateur», toujours capable de faire passer une chose pour une autre. Au lieu de s'enthousiasmer, disait-il, il vaudrait mieux prendre le Moyen Âge pour ce qu'il est, apprendre à le connaître à travers des études approfon- dies de son histoire.

1. Gaston Paris, «Paulin Paris et la littérature française du Moyen Âge», La Poésie du Moyen Âge: Leçons et lectures, Paris, Hachette, 1887, p. 217.

3

LITTÉRATURE N° 130 -JUIN 2003

This content downloaded from 62.122.79.31 on Sun, 15 Jun 2014 20:02:52 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: ALTÉRITÉS DU MOYEN ÂGE || Introduction

■ ALTÉRITÉS DU MOYEN ÂGE

Que nous entendions «étudier l'histoire» en suivant une autre idée que celle que s'en faisait Paulin Paris n'étonnera personne, à commencer par son fils Gaston. Celui-ci, en succédant à son père à la chaire de langue et littérature françaises du Moyen Âge au Collège de France, tout en marquant son respect filial, n'hésitait pas à proposer pour le Moyen Âge un programme d'études historiques bien différent de celui de son père. Voyant en celui-ci «l'apologiste du romantisme», Gaston Paris qualifie ses écrits comme des «effusions» que l'on ne saurait pas quali- fier de «plein succès», car il y avait «quelque illusion dans l'espoir qui les animait» 2. «En tout cas, continue Gaston Paris, nous comprenons aujourd'hui un peu différemment l'étude du Moyen Âge. Nous nous attachons moins à l'apprécier et à le faire apprécier qu'à le connaître et à le comprendre. Ce que nous cherchons avant tout, c'est de l'histoire.»3

L'identité des ambitions intellectuelles, du projet de recherche chez le père et le fils, là où le sens donné au dit projet est entièrement diffé- rent dans les deux cas, nous offre un bel exemple du glissement de pers- pective et de terminologie qui s'est opéré d'une génération d'érudits à une autre. En effet, étudier le Moyen Âge est une entreprise qui compor- te toujours plusieurs aspects: ceux qui sont relatifs à l'objet même, et ceux qui touchent aux chercheurs qui l'étudient, à ses spécialistes.

Si la période occupe toujours le même espace, tel n'est pas le cas des générations de «médiévistes» successives. Le point de vue sur la période change avec le passage du temps et «l'objectif» dont on se sert pour la prise de vue change également. Chaque génération de chercheurs constitue ses instruments de mesure selon les «horizons de connaissance» de la période à laquelle il appartient. Du coup, on comprend qu'une des altérités du Moyen Âge, consiste précisément dans l'objectif dont on se sert pour l'étudier... l'objectif, certes, mais aussi l'observateur.

À l'instar des grammairiens spéculatifs du XIIIe siècle, pour qui «le modus intelligendi» avait toujours deux modes, l'un passif situé dans «la chose» à observer, et l'autre, actif, dans l'intelligence du chercheur, on pourrait concevoir «le Moyen Âge» de la même façon. En tant qu'entité historique ou que «période» - déjà difficile à distinguer de l'idée que l'on s'en fait - , on pourrait parler d'une «chose» dont, du moins, une partie de l'existence réside en dehors de l'intelligence de l'observateur. Elle existe, passivement, et, par cette existence même, elle invite à une observation active qui portera soit sur différents aspects, soit sur un seul aspect, de l'objet ou de Y artefact étudié. Or, au moment de l'intervention, il peut se produire un renversement: l'objet, jusqu'ici pas- sif, entre dans le jeu et commence à influer sur les résultats produits par

^ l'étude.

LITTÉRATURE 2- «Paulin Paris. . . », p. 219. n° 130 -juin 2003 3. Ibid., p. 219.

This content downloaded from 62.122.79.31 on Sun, 15 Jun 2014 20:02:52 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: ALTÉRITÉS DU MOYEN ÂGE || Introduction

INTRODUCTION ■

Autrement dit, la part de l'œuvre «historique» a, elle aussi, son mot à dire, ses idées à communiquer au chercheur. Si celui-ci commence son étude fort des idées que lui fournit son «objectif» et de la perspective que lui donne son angle de vue, ces idées et cette perspective se modifient dès lors qu'elles viennent aux prises avec l'objet étudié. C'est là ce que nous appelons «les altérités médiévales». Et puisqu'elles ne se révèlent que dans la chaleur de la lutte intellectuelle, une lutte livrée par chaque nouvelle génération de chercheurs avec de nouvelles armes, les altérités qui émergent de chaque prise de vue vont constamment changer. Comme pour le Graal tant quêté, toujours on part à la recherche des altérités médiévales sûr de l'aventure, jamais sûr de remporter le prix.

Dans cette perspective, ce numéro réunit des études à double tran- chant, à commencer par celle de Christopher Lucken, qui pose la ques- tion de l'énigme du Moyen Age, comme un passé refoulé qui hante toute pensée sur l'avenir des études médiévales. Puisque «le passé est l'in-fini de l'œuvre, son altérité ne peut donc être définie par lui» ; il propose en conséquence de chercher celle-ci dans «l'avenir» de l'œuvre, «là où elle fait retour pour qu'elle s'y renouvelle, dans un présent sans cesse recommencé». Du coup, la glose telle qu'elle fut pratiquée au Moyen Âge retrouve son importance historique, et nous fait apprécier la prescience de Marie de France qui, la première en langue vernaculaire, a insisté sur le rôle essentiel du commentaire éventuel pour promouvoir le sens caché de l'œuvre littéraire. Si donc, pour Marie de France, le poète fournit l'obscurité à la lettre - «le germe d'une vie latente» comme le dit Roger Dragonetti - ce sera le travail de l'avenir de «gloser la lettre».

Pour Howard Bloch, c'est aussi vers Marie de France, la première femme écrivain française, qu'il faut regarder pour résoudre l'énigme de l'altérité. Dans ce cas, pourtant, il ne s'agit pas des contes qu'elle nous dit avoir puisés, en vraie anthropologue, dans le folklore breton, mais plutôt des Fables . Le genre est bien approprié pour un poète «qui ne cesse de réfléchir sur le lien entre le langage et les institutions sociales et sur le rôle médiateur de l'écrivain». Les Fables servent à montrer le rôle paradoxal de la nature comme scène sur laquelle se manifeste la contradiction entre la nature réelle des faits et la nature propre de chaque animal. Mais à travers la complexité morale ainsi exposée, on perçoit la fiction habile par laquelle Marie de France transforme le monde de la cour en un monde de la nature non moins rusé.

Les Fables de Marie de France nous obligent à poser la question: y a-t-il un véritable sens de la nature au Moyen Âge? Or, Michel Zink nous propose de montrer pourquoi et comment la question ne va pas de ^ soi. Encore une fois, l'enthousiasme de «nos grands ancêtres ^ médiévistes» fait obstacle. S'ils ont cherché l'origine du lyrisme roman littérature dans les fêtes de mai, ce fut sans se soucier de la polysémie du mot N° 130 -juin 2003

This content downloaded from 62.122.79.31 on Sun, 15 Jun 2014 20:02:52 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 5: ALTÉRITÉS DU MOYEN ÂGE || Introduction

■ ALTÉRITÉS DU MOYEN ÂGE

«nature» au Moyen Âge. Si on peut parler d'un sentiment de la nature à l'époque, ce sentiment, ou plutôt la «nature» qu'il évoque, n'a nullement le sens que nous autres modernes lui donnons. C'est encore un cas «où le Moyen Âge nous paraît proche et où il est autre».

Avec l'article de Rosanna Brusegan on entre dans une autre phase de l'enquête. Cette phase, prolongée à travers les articles de Jacqueline Cerquilini-Toulet, Daniel Heller-Roazen, et Stephen Nichols, éclaire des aspects divers de ce que l'on pourrait appeler «le tournant linguistique», qui a commencé au XIIIe siècle. Ce tournant diffère du tournant linguisti- que du post-structuralisme moins par la centralité qui est accordée au langage dans tous les aspects de l'effort humain, que dans sa relation entre le langage et le monde que celui-ci postule. Plutôt que de s'assimi- ler à la réalité, le tournant linguistique du XIIIe siècle concevait le langa- ge de façon dialectique, comme un moyen de percevoir et de décrire une réalité qui se trouvait au-delà des conventions sociales, avec lesquelles elle était souvent en conflit.

Rosanna Brusegan et Daniel Heller-Roazen suivent ces questions de façon comparative à travers les œuvres françaises et italiennes (Rosanna Brusegan), ou bien à travers l'Italie, l'Espagne arabe (Al- Andalus), la France, et l'Afrique du Nord (Daniel Heller-Roazen). Là où l'on croirait qu'il n'y a rien de plus universel que le chiffre, neutre et toujours égal à lui-même, Rosanna Brusegan nous révèle une tout autre face du chiffre: une face mystique, symbolique, allégorique. Le chiffre a également son rôle à jouer dans le texte de Heller-Roazen, mais cette fois sous forme de l'analyse des composants poétiques. Réfléchissant sur les rapports entre l'invention de la poésie médiévale et les traités qui en parlent, Daniel Heller-Roazen montre le rôle que la philosophie médié- vale accorde à la grammaire. Celle-ci insuffle le discours - locutio - ď intensité, dans le sens de «forces immanentes qui traversent et trans- forment une substance unique».

Pour Jacqueline Cerquilini-Toulet, l'altérité médiévale fait problème: comment échapper au leurre du Moyen Âge, tout en appré- hendant l'autre dans le texte médiéval? Elle tranche la difficulté en mon- trant comment le Moyen Âge a joué avec les altérités linguistiques dans le cas de «la langue de l'autre qui est celle de la femme, et la langue de l'autre quand ce dernier est un animal». Or, il s'avère que les deux cas ne sont pas tout à fait semblables. Car, si on conçoit facilement l'altérité «d'un temps et un monde où les bêtes parlaient et où leur langage était à interpréter», le cas de la femme est plus ambigu. N'est-il pas nécessaire de penser l'altérité de sa langue «comme pouvoir de faire écho en

^ nous » ?

Enfin, Stephen Nichols propose de prendre au sérieux la préoccu- LiTTÉRATURE pation que le Roman de la Rose manifeste pour l'observation, et cela N° 130 -JUIN 2003

This content downloaded from 62.122.79.31 on Sun, 15 Jun 2014 20:02:52 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 6: ALTÉRITÉS DU MOYEN ÂGE || Introduction

INTRODUCTION ■

pour chercher, à travers ses manuscrits, les tendances intellectuelles du XIIIe siècle. La Rose , ce monument, couvre un demi-siècle qui fut témoin de certains des développements intellectuels et historiques les plus extra- ordinaires du Moyen Age; aussi est-elle bien placée pour en fournir des aperçus pertinents. Peut-être le plus considérable d'entre eux est-il la révolution dans l'étude du langage ou de la grammaire qui s'est déroulée sous l'impulsion des nouveaux modes de pensée philosophique, princi- palement celui de la logique. S 'inspirant de la grammaire philosophique, l'article cherche à étudier le rôle du nom propre dans l'économie poéti- que de la Rose , une économie où la critique moderne a eu tendance à donner le plus beau rôle à l'allégorie.

C'est dans le but de poursuivre une telle réflexion sur les «altérités médiévales» que les auteurs réunis ici, présentent, en tant que «médié- vistes», chacun à sa manière, ce qu'ils conçoivent comme le sens actuel du Moyen Age, et leur appréciation sur ce que la pensée médiévale et les diverses formes de représentations qu'elle a inspirées peuvent valoir pour la période elle-même 4.

4. Les textes réunis ici sont issus d'une journée d'étude qui s'est tenue le 30 janvier 2003, à l'Institut Cul- turel Italien, à l'Hôtel de Gallifet, rue de Varenne, à Paris, dont nous tenons à remercier le Directeur et l'ad- r-j ministration. Cette journée d'étude a été rendue possible grâce au soutien de l'Université de Vérone et du / Centre Louis Marin d'études pluridisciplinaires de l'Université Johns Hopkins. Nous remercions également tout particulièrement Rosanna Brusegan qui a contribué avec enthousiasme, dès l'origine du projet, à la LITTÉRATURE réalisation de cette journée. n° 1 30 - juin 2003

This content downloaded from 62.122.79.31 on Sun, 15 Jun 2014 20:02:52 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions