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Jean-Luc Godard, François Truffaut Raoul Coutard Martial Solal Claude Chabrol Cécile Decugis, Lila Herman Scénario Photographie Musique Direction artistique Montage A bout de souffle France �� 1959 �� Noir et Blanc �� 1h29 �� Prix Jean Vigo Jean-Paul BELMONDO Jean SEBERG Daniel BOULANGER Antoine FLACHOT Jean-Pierre MELVILLE Roger HANIN Jean-Luc Godard Dernier sourire avant la fin mme 133 Juin 2005 Fiche d’analyse de film

A bout de souffle · 2016. 6. 20. · Martial Solal Claude Chabrol Cécile Decugis, Lila Herman Scénario Photographie Musique Direction artistique Montage A bout de souffle France

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Page 1: A bout de souffle · 2016. 6. 20. · Martial Solal Claude Chabrol Cécile Decugis, Lila Herman Scénario Photographie Musique Direction artistique Montage A bout de souffle France

6 Bd de la blancarde - 13004 MARSEILLE Tel/Fax : 04 91 85 07 17E - mail : [email protected]

U n r é s eau d ’ am i s r é un i s pa r l a pa s s i o n du c i n éma Jean-Luc Godard, François TruffautRaoul CoutardMartial SolalClaude ChabrolCécile Decugis, Lila Herman

Scénario Photographie

MusiqueDirection artistique

Montage

A bout de souffleFrance ���1959 ���Noir et Blanc ���1h29 ���Prix Jean Vigo

Jean-Paul BELMONDO Jean SEBERG Daniel BOULANGER Antoine FLACHOT Jean-Pierre MELVILLE Roger HANIN

Jean-Luc GodardDernier sourire avant la fin mme

133Juin2005

Fich

e d’

anal

yse

de fi

lm

Nou

s co

ntac

ter

À bout de Souffl e est un fi lm fl uide et fuyant ainsi que la force secrète qui circule au-dedans des choses. Un fi lm qui se cogne la tête contre les murs, comme Michel Poiccard se cogne contre les voitures garées le long de son chemin vers la mort… ou vers l’Immortalité.

« Je ne veux pas être amoureuse de toi »

La distance qui sépare la mort de l’immortalité tient dans un seul refl et, au fond du regard de Jean Seberg. Son personnage est le théâtre d’un affrontement qui met en jeu les forces de la vie : la maternité et l’amour. Cet affrontement qui la met à distance avec la vie transparaît dans les dialogues que Godard lui glisse entre les lèvres :

«-Laisse-moi tranquille, je réfl échis (Patricia)-À quoi ? (Michel) -Le pire, c’est que je ne sais même pas. (Patricia)-Moi, je sais. (Michel)

-Non, personne ne sait. (Patricia)»

Depuis À bout de Souffl e, le cinéaste a questionné régulièrement les rapports homme-femme dans ses fi lms, mais aucun ne provoque le même trouble. Ce trouble vient du fait que les personnages laissent venir les choses, sans jamais réagir, comme aspirés par un vide déguisé en désinvolture. Ce vide qui sépare l’homme de la femme ne dit pas son nom. Mais il est bien au cœur du fi lm, comme en témoigne cette question posée lors de la conférence de presse : Est-il encore possible de parler d’amour à notre époque ? L’époque dont parle Godard a commencé après la Seconde Guerre mondiale et s’est construite sur la remise en cause de ce qui fait l’essence de l’homme : la conscience de soi, la conscience morale, les valeurs, la responsabilité, la liberté, le sens.

Cette confusion spirituelle et morale se traduit dans le fi lm par l’utilisation répétée de tournures paradoxales :

“I don’t know if I am free because I am unhappy, or if I am unhappy because I am free.”

Patricia et Michel hésitent constamment entre la liberté et l’amour, entre la lâcheté et le courage, entre la vérité et le mensonge. Il n’y a plus de frontières morales, et les personnages jouent à se faire peur comme des enfants jouant avec une arme. Patricia et Michel jouent avec les sentiments, le langage et la raison.

«-Je ne sais pas encore si je t’aime.-Tu le sauras quand ?

-Bientôt.»

Bientôt, ça veut dire à la fi n du fi lm. Patricia sait qu’elle aime Michel parce qu’elle va le dénoncer. On a naturellement du mal à comprendre la logique du scénario qu’a inventé Godard. Sans doute parce que la logique de Godard est d’ordre poétique et philosophique. Godard nous parle de l’expérience amoureuse comme déchirure entre le besoin d’indépendance et le désir d’union, entre la plénitude d’un instant et l’obligation de s’aimer à jamais, entre l’absolu et l’inachèvement. Toute la force de l’originalité de Godard consiste à vouloir élucider les problèmes inépuisables de la condition humaine, de les comprendre, de les assumer et de les aimer. Malgré une réputation de cinéaste abstrait, Godard n’en est pas moins un artiste qui explore l’intimité des choses, et qui le fait avec une énergie joyeuse et un regard d’ethnologue, qui le rapproche de son grand modèle, Renoir, avec qui il partage le plus profond et le plus simple instinct de vivre.

Paolo ZANNIER

• « Je ne veux pas être amoureuse de toi»

Page 2: A bout de souffle · 2016. 6. 20. · Martial Solal Claude Chabrol Cécile Decugis, Lila Herman Scénario Photographie Musique Direction artistique Montage A bout de souffle France

istes de réflexion

« Une image n’est pas forte parce qu’elle est brutale et fantastique, mais parce que l’association des idées est lointaine et juste. »

Pierre Reverdy cité dans Passion de J.-L. Godard.

La Genèse d’ À bout de souffle se résume à quelques lignes d’un scénario de François Truffaut, tiré d’un fait divers : un type est à Marseille. Il vole une voiture pour retrouver sa fiancée qui est à Paris. Sur la route, il tue un policier qui veut le contrôler. En cavale, il remonte jusqu’à Paris. Et puis, à la fin, soit il meurt, soit il assassine la fille qui l’a dénoncé.

À bout de souffle aurait dû ressembler à son sujet : un bon thriller. Mais quand le mot Fin apparaît sur l’écran, on sent bien que quelque chose a dérapé, quelque chose l’a fait déborder du cadre. Qu’est-ce qui s’est passé ? J’aurais envie de dire, comme Patricia, Je ne sais pas…

« J’aimerais savoir ce qu’il y a derrière ton visage »

Le film commence sans générique, non pas pour nous faire entrer brutalement dans le feu de l’action comme chez Robert Aldrich (dont l’affiche du film Ten Seconds to Hell apparaît explicitement dans le film de Godard), mais pour nous faire entrer dans une autre image, celle d’une page de Paris Turf où l’on découvre l’image d’une femme tenant une poupée. Cette image est à la fois une annonciation, celle du personnage de Patricia, à travers l’association femme-journal (Patricia-Herald Tribune) et femme-poupée (dans la scène tournée dans la chambre de Patricia, elle tient un nounours), et un miroir, celui de l’image cinématographique elle-même, représentée par des cases dessinées sur les bords du journal, comme une bobine de film. D’emblée, les images de Godard s’annoncent comme un système à part entière, quelque chose qui fait sens, indépendamment de l’histoire qui est racontée. Ce système se caractérise par un découpage des plans résolument chaotique

et des rapprochements à la fois touchants et incertains entre certaines images. Ce n’est pas un hasard si le premier enchaînement du film est un rapprochement entre deux visages : celui de Michel Poiccard et celui d’une femme qui semble lui indiquer quelque chose. Le cinéma de Godard est avant tout l’instauration de la puissance de l’imagination et des idées sur l’action. Le visage est très souvent utilisé dans À bout de souffle comme une surface où l’on glisse vers l’abstraction, où l’on déborde du cadre réaliste pour architecturer un univers au-delà de tout réalisme et sentimentalisme. La scène qui se déroule dans la chambre de

Patricia en est une parfaite illustration. L’association qui est suggérée au cours de cette scène entre un portrait (peint par Renoir) et le visage de Patricia est très explicite : Godard cherche à traduire avec la caméra ce que le peintre a réussi à traduire

dans ses portraits. Les portraits de Renoir expriment la majesté paisible et la circulation interne et machinale de la vie avec une intensité telle qu’ils semblent au plan de la vie, mêlés à elle, jaillissant des mêmes foyers. Cette vision d’Elie Faure dans son Histoire de l’art, exprime exactement l’ambition de Godard avec À bout de Souffle : faire un film qui prend de la vie tout ce qu’il perçoit, sans choisir, comme un miroir. C’est pourquoi le film laisse cette impression de désordre, que ce soit par les libertés que Godard prend avec la mise en scène et les mouvements de caméra, que ce soit par le non-jeu des acteurs ou les décalages opérés

entre l’image et le son. Tout concourt à laisser entrer la nature, le soleil, les couleurs, les jeunes filles, la ville, la vie intellectuelle et morale, la politique, la petite (Patricia et Michel) et la grande histoire (Eisenhower et De Gaulle), les désirs sexuels et métaphysiques.

Récit

Marseille. Un homme attend derrière son Paris-Turf qu’une complice lui fasse signe. Deux touristes se garent devant le Vieux Port. Sa complice lui indique que la voie est libre. L’homme vole leur voiture et fonce vers Paris retrouver une petite américaine, avec qui il a fait l’amour quelques fois, et récupérer l’argent que lui doit un « type ». Il veut la convaincre de l’accompagner en Italie. Sur la route, il dépasse allègrement les voitures et les codes de bonne conduite. Il se fait poursuivre par deux motards de la police, en tue un, abandonne la voiture et s’enfuit en courant. C’est ainsi que Michel Poiccard devient, au même moment, un meurtrier et un fugitif.

Paris, Champs-Élysées, sous un soleil d’été. Sur le trottoir, elle a les cheveux courts, elle porte un tee-shirt publicitaire et des journaux sous les bras. Elle a un joli accent américain. New-York Herald Tribune ! New-York Herald Tribune ! Quelqu’un l’interpelle dans son dos : Tu m’accompagnes à Rome ? Michel Poiccard a retrouvé sa petite américaine, Patricia Franchini. Elle ne répond pas. Ou plutôt, elle répond à côté. Elle lui sourit. Il lui explique qu’il a une affaire

à régler et qu’après, il veut passer la soirée avec elle. Ils se donnent rendez-vous. Michel se rend dans une agence de voyage où il retrouve un homme qu’il connaît et qui lui remet une enveloppe. Michel est contrarié ; il s’attendait à recevoir de l’argent liquide et on lui remet un chèque barré. L’homme conseille à Michel de s’adresser à Berruti pour

l’encaisser. Michel quitte l’agence lorsque deux hommes entrent. Deux inspecteurs de police. Ils sont déjà sur ses traces. Le soir, Michel retrouve Patricia et l’emmène manger. Michel demande à Patricia de passer la nuit avec lui. Elle est d’accord, mais elle ne peut pas rester avec lui ce soir. Elle a rendez-vous avec un rédacteur du journal qui lui a promis un article. Michel la conduit. Patricia rejoint l’homme de son rendez-vous. On comprend qu’ils se connaissent intimement. On apprend que Patricia attend un enfant. Michel achète la dernière édition de France Soir où sa tête apparaît en couverture. Un homme dans la rue l’a reconnu et informe des agents de police. L’étau se resserre. Lorsque Patricia rentre chez elle, elle découvre Michel dans son lit. Ils finissent par faire l’amour. Patricia lui annonce qu’elle attend un enfant. Michel accompagne Patricia à Orly pour son interview d’un écrivain à succès. Quand elle rentre avec son article au journal, les inspecteurs attendent Patricia. Ils veulent savoir où est Michel Poiccard. Patricia ne leur dit rien sur le moment. Quand elle sort, elle s’aperçoit qu’un policier la suit. Elle se rend dans un cinéma, s’enfuit par les toilettes et rejoint Michel.

Le soir, Michel retrouve Berutti à Montparnasse. Berruti promet de l’aider. Michel et Patricia passent la nuit chez un mannequin qui n’est jamais chez elle. Le lendemain matin, Patricia annonce à Michel qu’elle vient de le dénoncer à la police. Elle lui demande de s’enfuir mais Michel ne s’enfuit pas. Berutti arrive avec l’argent. Michel sort pour le prévenir. Un coup de feu retentit. Michel zigzague, la main sur ses reins, là où la balle de la police l’a touché. Il se cogne contre les voitures garées le long de la rue. Patricia court derrière lui. Ses pieds se croisent, ses genoux fléchissent. À bout de souffle, il s’écroule. Patricia est debout, au-dessus de lui, face aux inspecteurs. Michel la regarde, lui grimace comme à son habitude. Michel se ferme les yeux avec un geste de la main. Michel est venu chercher la mort, comme un animal blessé cherche le repos. Mais l’histoire ne doit pas finir sur cette mort. Elle doit finir sur elle, Patricia. Face à la caméra, elle l’imite et se frotte les lèvres avec le pouce. Elle cherche à comprendre. Qu’est-ce que c’est dégueulasse ?

Pistes de réflexion L’histoire

• « J ’aimerais savoir ce qu’il y a derrière ton visage»

Page 3: A bout de souffle · 2016. 6. 20. · Martial Solal Claude Chabrol Cécile Decugis, Lila Herman Scénario Photographie Musique Direction artistique Montage A bout de souffle France

istes de réflexion

« Une image n’est pas forte parce qu’elle est brutale et fantastique, mais parce que l’association des idées est lointaine et juste. »

Pierre Reverdy cité dans Passion de J.-L. Godard.

La Genèse d’ À bout de souffle se résume à quelques lignes d’un scénario de François Truffaut, tiré d’un fait divers : un type est à Marseille. Il vole une voiture pour retrouver sa fiancée qui est à Paris. Sur la route, il tue un policier qui veut le contrôler. En cavale, il remonte jusqu’à Paris. Et puis, à la fin, soit il meurt, soit il assassine la fille qui l’a dénoncé.

À bout de souffle aurait dû ressembler à son sujet : un bon thriller. Mais quand le mot Fin apparaît sur l’écran, on sent bien que quelque chose a dérapé, quelque chose l’a fait déborder du cadre. Qu’est-ce qui s’est passé ? J’aurais envie de dire, comme Patricia, Je ne sais pas…

« J’aimerais savoir ce qu’il y a derrière ton visage »

Le film commence sans générique, non pas pour nous faire entrer brutalement dans le feu de l’action comme chez Robert Aldrich (dont l’affiche du film Ten Seconds to Hell apparaît explicitement dans le film de Godard), mais pour nous faire entrer dans une autre image, celle d’une page de Paris Turf où l’on découvre l’image d’une femme tenant une poupée. Cette image est à la fois une annonciation, celle du personnage de Patricia, à travers l’association femme-journal (Patricia-Herald Tribune) et femme-poupée (dans la scène tournée dans la chambre de Patricia, elle tient un nounours), et un miroir, celui de l’image cinématographique elle-même, représentée par des cases dessinées sur les bords du journal, comme une bobine de film. D’emblée, les images de Godard s’annoncent comme un système à part entière, quelque chose qui fait sens, indépendamment de l’histoire qui est racontée. Ce système se caractérise par un découpage des plans résolument chaotique

et des rapprochements à la fois touchants et incertains entre certaines images. Ce n’est pas un hasard si le premier enchaînement du film est un rapprochement entre deux visages : celui de Michel Poiccard et celui d’une femme qui semble lui indiquer quelque chose. Le cinéma de Godard est avant tout l’instauration de la puissance de l’imagination et des idées sur l’action. Le visage est très souvent utilisé dans À bout de souffle comme une surface où l’on glisse vers l’abstraction, où l’on déborde du cadre réaliste pour architecturer un univers au-delà de tout réalisme et sentimentalisme. La scène qui se déroule dans la chambre de

Patricia en est une parfaite illustration. L’association qui est suggérée au cours de cette scène entre un portrait (peint par Renoir) et le visage de Patricia est très explicite : Godard cherche à traduire avec la caméra ce que le peintre a réussi à traduire

dans ses portraits. Les portraits de Renoir expriment la majesté paisible et la circulation interne et machinale de la vie avec une intensité telle qu’ils semblent au plan de la vie, mêlés à elle, jaillissant des mêmes foyers. Cette vision d’Elie Faure dans son Histoire de l’art, exprime exactement l’ambition de Godard avec À bout de Souffle : faire un film qui prend de la vie tout ce qu’il perçoit, sans choisir, comme un miroir. C’est pourquoi le film laisse cette impression de désordre, que ce soit par les libertés que Godard prend avec la mise en scène et les mouvements de caméra, que ce soit par le non-jeu des acteurs ou les décalages opérés

entre l’image et le son. Tout concourt à laisser entrer la nature, le soleil, les couleurs, les jeunes filles, la ville, la vie intellectuelle et morale, la politique, la petite (Patricia et Michel) et la grande histoire (Eisenhower et De Gaulle), les désirs sexuels et métaphysiques.

Récit

Marseille. Un homme attend derrière son Paris-Turf qu’une complice lui fasse signe. Deux touristes se garent devant le Vieux Port. Sa complice lui indique que la voie est libre. L’homme vole leur voiture et fonce vers Paris retrouver une petite américaine, avec qui il a fait l’amour quelques fois, et récupérer l’argent que lui doit un « type ». Il veut la convaincre de l’accompagner en Italie. Sur la route, il dépasse allègrement les voitures et les codes de bonne conduite. Il se fait poursuivre par deux motards de la police, en tue un, abandonne la voiture et s’enfuit en courant. C’est ainsi que Michel Poiccard devient, au même moment, un meurtrier et un fugitif.

Paris, Champs-Élysées, sous un soleil d’été. Sur le trottoir, elle a les cheveux courts, elle porte un tee-shirt publicitaire et des journaux sous les bras. Elle a un joli accent américain. New-York Herald Tribune ! New-York Herald Tribune ! Quelqu’un l’interpelle dans son dos : Tu m’accompagnes à Rome ? Michel Poiccard a retrouvé sa petite américaine, Patricia Franchini. Elle ne répond pas. Ou plutôt, elle répond à côté. Elle lui sourit. Il lui explique qu’il a une affaire

à régler et qu’après, il veut passer la soirée avec elle. Ils se donnent rendez-vous. Michel se rend dans une agence de voyage où il retrouve un homme qu’il connaît et qui lui remet une enveloppe. Michel est contrarié ; il s’attendait à recevoir de l’argent liquide et on lui remet un chèque barré. L’homme conseille à Michel de s’adresser à Berruti pour

l’encaisser. Michel quitte l’agence lorsque deux hommes entrent. Deux inspecteurs de police. Ils sont déjà sur ses traces. Le soir, Michel retrouve Patricia et l’emmène manger. Michel demande à Patricia de passer la nuit avec lui. Elle est d’accord, mais elle ne peut pas rester avec lui ce soir. Elle a rendez-vous avec un rédacteur du journal qui lui a promis un article. Michel la conduit. Patricia rejoint l’homme de son rendez-vous. On comprend qu’ils se connaissent intimement. On apprend que Patricia attend un enfant. Michel achète la dernière édition de France Soir où sa tête apparaît en couverture. Un homme dans la rue l’a reconnu et informe des agents de police. L’étau se resserre. Lorsque Patricia rentre chez elle, elle découvre Michel dans son lit. Ils finissent par faire l’amour. Patricia lui annonce qu’elle attend un enfant. Michel accompagne Patricia à Orly pour son interview d’un écrivain à succès. Quand elle rentre avec son article au journal, les inspecteurs attendent Patricia. Ils veulent savoir où est Michel Poiccard. Patricia ne leur dit rien sur le moment. Quand elle sort, elle s’aperçoit qu’un policier la suit. Elle se rend dans un cinéma, s’enfuit par les toilettes et rejoint Michel.

Le soir, Michel retrouve Berutti à Montparnasse. Berruti promet de l’aider. Michel et Patricia passent la nuit chez un mannequin qui n’est jamais chez elle. Le lendemain matin, Patricia annonce à Michel qu’elle vient de le dénoncer à la police. Elle lui demande de s’enfuir mais Michel ne s’enfuit pas. Berutti arrive avec l’argent. Michel sort pour le prévenir. Un coup de feu retentit. Michel zigzague, la main sur ses reins, là où la balle de la police l’a touché. Il se cogne contre les voitures garées le long de la rue. Patricia court derrière lui. Ses pieds se croisent, ses genoux fléchissent. À bout de souffle, il s’écroule. Patricia est debout, au-dessus de lui, face aux inspecteurs. Michel la regarde, lui grimace comme à son habitude. Michel se ferme les yeux avec un geste de la main. Michel est venu chercher la mort, comme un animal blessé cherche le repos. Mais l’histoire ne doit pas finir sur cette mort. Elle doit finir sur elle, Patricia. Face à la caméra, elle l’imite et se frotte les lèvres avec le pouce. Elle cherche à comprendre. Qu’est-ce que c’est dégueulasse ?

Pistes de réflexion L’histoire

• « J ’aimerais savoir ce qu’il y a derrière ton visage»

Page 4: A bout de souffle · 2016. 6. 20. · Martial Solal Claude Chabrol Cécile Decugis, Lila Herman Scénario Photographie Musique Direction artistique Montage A bout de souffle France

6 Bd de la blancarde - 13004 MARSEILLE Tel/Fax : 04 91 85 07 17E - mail : [email protected]

U n r é s eau d ’ am i s r é un i s pa r l a pa s s i o n du c i n éma Jean-Luc Godard, François TruffautRaoul CoutardMartial SolalClaude ChabrolCécile Decugis, Lila Herman

Scénario Photographie

MusiqueDirection artistique

Montage

A bout de souffleFrance ���1959 ���Noir et Blanc ���1h29 ���Prix Jean Vigo

Jean-Paul BELMONDO Jean SEBERG Daniel BOULANGER Antoine FLACHOT Jean-Pierre MELVILLE Roger HANIN

Jean-Luc GodardDernier sourire avant la fin mme

133Juin2005

Fich

e d’

anal

yse

de fi

lm

Nou

s co

ntac

ter

À bout de Souffl e est un fi lm fl uide et fuyant ainsi que la force secrète qui circule au-dedans des choses. Un fi lm qui se cogne la tête contre les murs, comme Michel Poiccard se cogne contre les voitures garées le long de son chemin vers la mort… ou vers l’Immortalité.

« Je ne veux pas être amoureuse de toi »

La distance qui sépare la mort de l’immortalité tient dans un seul refl et, au fond du regard de Jean Seberg. Son personnage est le théâtre d’un affrontement qui met en jeu les forces de la vie : la maternité et l’amour. Cet affrontement qui la met à distance avec la vie transparaît dans les dialogues que Godard lui glisse entre les lèvres :

«-Laisse-moi tranquille, je réfl échis (Patricia)-À quoi ? (Michel) -Le pire, c’est que je ne sais même pas. (Patricia)-Moi, je sais. (Michel)

-Non, personne ne sait. (Patricia)»

Depuis À bout de Souffl e, le cinéaste a questionné régulièrement les rapports homme-femme dans ses fi lms, mais aucun ne provoque le même trouble. Ce trouble vient du fait que les personnages laissent venir les choses, sans jamais réagir, comme aspirés par un vide déguisé en désinvolture. Ce vide qui sépare l’homme de la femme ne dit pas son nom. Mais il est bien au cœur du fi lm, comme en témoigne cette question posée lors de la conférence de presse : Est-il encore possible de parler d’amour à notre époque ? L’époque dont parle Godard a commencé après la Seconde Guerre mondiale et s’est construite sur la remise en cause de ce qui fait l’essence de l’homme : la conscience de soi, la conscience morale, les valeurs, la responsabilité, la liberté, le sens.

Cette confusion spirituelle et morale se traduit dans le fi lm par l’utilisation répétée de tournures paradoxales :

“I don’t know if I am free because I am unhappy, or if I am unhappy because I am free.”

Patricia et Michel hésitent constamment entre la liberté et l’amour, entre la lâcheté et le courage, entre la vérité et le mensonge. Il n’y a plus de frontières morales, et les personnages jouent à se faire peur comme des enfants jouant avec une arme. Patricia et Michel jouent avec les sentiments, le langage et la raison.

«-Je ne sais pas encore si je t’aime.-Tu le sauras quand ?

-Bientôt.»

Bientôt, ça veut dire à la fi n du fi lm. Patricia sait qu’elle aime Michel parce qu’elle va le dénoncer. On a naturellement du mal à comprendre la logique du scénario qu’a inventé Godard. Sans doute parce que la logique de Godard est d’ordre poétique et philosophique. Godard nous parle de l’expérience amoureuse comme déchirure entre le besoin d’indépendance et le désir d’union, entre la plénitude d’un instant et l’obligation de s’aimer à jamais, entre l’absolu et l’inachèvement. Toute la force de l’originalité de Godard consiste à vouloir élucider les problèmes inépuisables de la condition humaine, de les comprendre, de les assumer et de les aimer. Malgré une réputation de cinéaste abstrait, Godard n’en est pas moins un artiste qui explore l’intimité des choses, et qui le fait avec une énergie joyeuse et un regard d’ethnologue, qui le rapproche de son grand modèle, Renoir, avec qui il partage le plus profond et le plus simple instinct de vivre.

Paolo ZANNIER

• « Je ne veux pas être amoureuse de toi»