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Les Cahiers du développement urbain durable
Urbanisme végétal et agriurbanisme
Numéro 8 - juin 2009
URB
IAN
umér
o 8
Observatoire universitairede la Ville et duDĂ©veloppement durable
Antonio da Cunha Introduction : Urbanisme végétal et agriurbanisme La ville entre artifice et nature
Emmanuel Boutefeu
La demande sociale de nature en ville EnquĂȘte auprĂšs des habitants de lâagglomĂ©ration lyonnaise
Nathalie Blanc Vers un urbanisme Ă©cologique ?
Curdy Philippe
La gestion des espaces verts dans la ville : entre densification urbaine et préservation de la (bio)diversité sociale et naturelle
Anne-Marie Mokrani
Du maillage vert de 1936 Ă la voie verte dâagglomĂ©ration : genĂšse du projet
Nelly Niwa
La nature en ville peut-elle ĂȘtre agricole ? De la Suisse au Japon
Roland Vidal et Andre Fleury
AmĂ©nager les relations entre la ville et lâagriculture. De nouveaux enjeux territoriaux et une nouvelle approche « agriurbaniste »
n°8 - juin 2009
ISSN 1661-3708
Observatoire universitairede la Ville et duDĂ©veloppement durable
Institut de géographie
© Photographie : Marianne Thomann, mai 2009
Les cahiers du développement urbain durable
- 1 -Institut de géographie
Introduction : urbanisme végétal et agriurbanismeLa ville entre artifice et nature
Antonio da Cunha, professeur ordinaire
Institut de géographie, Université de Lau-sanne (UNIL)
Courriel : [email protected]
Les cahiers du développement urbain durable
- 3 -Institut de géographie
La ville entre artifice et nature
La nature en ville, expression Ă©vocatrice mais imprĂ©cise, nâest pas une invention rĂ©cente. Les parcs et les jardins, les espaces minĂ©-raux plantĂ©s, les ceintures vertes, les espaces verdoyants de toute espĂšce, publics et privĂ©s, utilitaires ou dĂ©coratifs, jardins suspen-dus, jardins de poche ou grandes trames vertes, bois et bosquets, terres agricoles, mĂ©nagĂ©s ou amĂ©nagĂ©s dans les interstices des zones bĂąties, ont toujours Ă©tĂ© prĂ©sents dans la ville. On parle au-jourdâhui aussi dâagriculture intraurbaine et dâagriculture pĂ©riur-baine. La nature reste une valeur sĂ»re. SpontanĂ©e, apprivoisĂ©e, domestiquĂ©e ou fabriquĂ©e, elle rĂ©siste aux transformations des rĂ©-gimes de lâurbain, Ă ses temporalitĂ©s et Ă ses modes de rĂ©gulation.
Objet hybride, entre artifice et nature, lâurbain est ce qui sans cesse advient par lâaction des hommes. Les formes physiques et les paysages urbains que nous discernons nous offrent une mul-titude de combinaisons entre le minĂ©ral et le vĂ©gĂ©tal dont nous pouvons aisĂ©ment percevoir la variabilitĂ© spatiale et temporelle. Toute matĂ©rialitĂ© urbaine comprend nĂ©cessairement artificialitĂ© et naturalitĂ© dans des proportions incommensurables, le minĂ©ral et le vĂ©gĂ©tal se fondant de plus en plus Ă©troitement sur les territoires de la ville et de lâentre-ville. Autant dire, et dâentrĂ©e de jeu, quâil est nĂ©cessaire de revenir sur lâopposition ville-nature. De fait, lâurbain constitue un milieu dans lequel interagissent les processus de na-turalisation de lâhomme et de ses artifices et les processus dâartifi-cialisation des Ă©lĂ©ments naturels [Pinchemel, 1998, citĂ© in Hucy et al. 2005 : 237]. « La ville » dit Thierry Paquot [1994], « est devenu notre nature ». Avec la montĂ©e des prĂ©occupations environnemen-tales lâurbanisme vĂ©gĂ©tal devient partie prenante de la rĂ©flexion sur le dĂ©veloppement urbain durable.
Au travers de rĂ©flexions et dâĂ©tudes de cas menĂ©es dans des contextes divers, ce Cahier consacrĂ© Ă la nature en ville et Ă son rĂŽle pose la question de lâarticulation entre deux exigences appa-remment paradoxales de la durabilitĂ© urbaine : la densification de lâhabitat et la naturation de la ville. Le projet urbain durable ne rejette ni le minĂ©ral ni le vĂ©gĂ©tal. Au contraire, il les prĂ©suppose. Il
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les ouvre lâun Ă lâautre et les met en relation sans pour autant les confondre. Le vĂ©gĂ©tal devient ainsi une des lignes de force de la production urbaine. Il sâagit alors dâarticuler des Ă©chelles dâamĂ©-nagement, des densitĂ©s, des rapports dâintensitĂ© entre le minĂ©ral et le vĂ©gĂ©tal, favorables Ă la qualitĂ© des lieux et des liens sociaux.
Dans Silence et LumiĂšre [1996], Louis Kahn disait quâil fallait penser la ville comme un « trĂ©sor dâespaces ». Cette exigence est aussi prĂ©sente dans lâurbanisme durable. Dans cette perspective, la place de la nature en ville doit ĂȘtre repensĂ©e au profit dâune nouvelle signature de lâurbain. Lâobjectif consiste toujours Ă esquis-ser des rĂ©ponses Ă une question simple Ă formuler : de quelles maniĂšres les espaces verts peuvent-ils contribuer Ă structurer la ville et Ă la rendre plus viable et plus agrĂ©able, plus belle, plus attractive et plus vivable ? La ville existe pour ceux qui lâhabitent. A travers lâhistoire de lâurbanisme vĂ©gĂ©tal, se dessine la question majeure de lâurbanisme contemporain : comment articuler la crois-sance de la ville et le dĂ©sir de vivre ensemble dans un espace de qualitĂ©, constituĂ© pour lâhomme et par lâhomme comme source dâĂ©merveillement ?
La nature et les rĂ©gimes de lâurbain : parent pauvre ou Ă©lĂ©ment structurant ?
Les rĂ©gimes dâurbanisation sont une dĂ©rivĂ©e du temps. Les modes dâamĂ©nagement et de gestion des espaces verts dans les villes et leurs couronnes accompagnent le dĂ©veloppement urbain et ses temporalitĂ©s [Stefulesco, 1993]. Les premiĂšres villes sont appa-rues voici plus de dix millĂ©naires dans le sillage de la premiĂšre rĂ©-volution agricole et du travail de domestication des plantes et des animaux. La ville mĂ©diĂ©vale Ă©tait encore largement pĂ©nĂ©trĂ©e par la campagne. Une urbanitĂ© de transition avec la campagne sâest coulĂ©e dans les siĂšcles avant que les premiĂšres vagues dâindus-trialisation viennent transformer radicalement une relation qua-siment symbiotique entre des communautĂ©s urbaines de petite taille et leurs enveloppes naturelles, rurales et agricoles. Lâindus-trialisation et lâarrivĂ©e de nouveaux moyens de communication du 19e siĂšcle provoquent dâimportantes mutations urbaines en termes dâextension et de densification. Câest finalement lâurba-
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nisme haussmannien, connu par ses constructions compactes et ses voiries imposantes, qui a inaugurĂ© une politique globale de dĂ©finition et dâamĂ©nagement des espaces verts en ville. Les prĂ©-occupations hygiĂ©nistes, mais aussi sociales et esthĂ©tiques sont mises en exergue. Il sâagit dâappliquer les conquĂȘtes de la science et de lâart Ă la salubritĂ©. RĂ©servoirs dâair public, ouverts Ă tous et amĂ©nagĂ©s par un mobilier urbain original, les espaces verts devaient ĂȘtre accessibles, disposĂ©s dans la ville de maniĂšre Ă ce que chacun puisse sây rendre. PassĂ©s Ă lâĂ©preuve du temps, ces espaces publics verdoyants, rĂ©gis par le droit de visite et le droit de regard, tĂ©moignent dâune rĂ©ponse Ă une question sociale ma-jeure : celle de lâaccĂšs des habitants Ă la qualitĂ© de la ville et au langage des prestations de lâhabiter quâelle adopte.
A la fin du 19e siĂšcle, le concept de « citĂ©-jardin », inventĂ© par Howard en rĂ©action Ă lâurbanisation chaotique des dĂ©buts de lâĂšre industrielle, nourrissait dâune autre maniĂšre la rĂ©flexion sur le rĂŽle des espaces verts. La citĂ©-jardin Ă©voque la proximitĂ© entre lâhabi-tat et les lieux de travail, mais surtout le retour nostalgique Ă une coexistence symbiotique de la ville et de la campagne. Dans le sillage des travaux de lâamĂ©ricain Olmsted, le dessinateur et dĂ©-fenseur des parcs urbains le plus connu [Pincetl, 2005 : 213], pour qui les parcs et les espaces libres sont indispensables pour la vie et lâaccroissement de la grande ville, Howard veut rĂ©unir au sein de lâespace urbanisĂ© les avantages de la ville et de la campagne. Dans lâimaginaire howardien, la vĂ©gĂ©tation intĂšgre toutes les com-posantes de la ville. Elle devient ainsi un Ă©lĂ©ment structurant ma-jeur, par lâarticulation des jardins, des voies fortement plantĂ©es et des parcs centraux [Merlin et Choay, 1988 : 358].
Le « mouvement moderne » du dĂ©but du 20e siĂšcle nâaccordera quand Ă lui quâune place finalement assez rĂ©siduelle Ă lâespace vert : une fois posĂ©s les immeubles et les rĂ©seaux de voirie, lâes-pace vert, câest tout le reste. Comme le souligne Boutefeu [2008 : 5], « Le Corbusier fustige avec force lâidĂ©e de dĂ©velopper des ci-tĂ©s-jardins qui ne sauraient ĂȘtre une rĂ©ponse Ă la pĂ©nurie de lo-gements dâavant-guerre. Il reproche aux citĂ©s-jardins de disperser les habitants, ce qui entraine un Ă©talement urbain inconsidĂ©rĂ© et conduit Ă lâisolement social.» Cependant, les documents dâurba-
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nisme dĂ©veloppĂ©s dans la mouvance fonctionnaliste nâont pas manquĂ© de considĂ©rer les espaces verts comme des Ă©quipements publics propres Ă embellir la ville et Ă rĂ©pondre aux besoins de dĂ©tente et de rĂ©crĂ©ation.
Les thĂ©oriciens de la Charte dâAthĂšnes avaient lâintention louable de rĂ©concilier la ville avec le soleil, lâair et la verdure. Lâespace du modĂšle fonctionnaliste est largement aĂ©rĂ© par des vides et de la verdure. LâidĂ©e forte de Le Corbusier pour qui la ville mĂȘme devait ĂȘtre un parc, a trouvĂ© une application avec les fameuses « coulĂ©es vertes » du plan de Chandigarh. Mais, lâopposition de la « surface bĂątie » Ă la « surface libre » y est radicale, Ă©tablissant celle-ci hors de toute Ă©chelle conviviale. Les concepts de base de lâurbanisme du 20e siĂšcle relatifs Ă lâamĂ©nagement de lâespace public dĂ©rivent de la peur de la congestion due au trafic automobile. De cette confrontation et de cette hantise, confortĂ©es ensuite par lâaccu-mulation de rĂšglements et de normes dâespacement, de hiĂ©rarchi-sation et dâutilisation de la voirie, rĂ©sultera de nombreux laissĂ©s pour compte. Par une Ă©tonnante ironie de lâhistoire, les avatars de la « CitĂ© radieuse », devenue modĂšle des citĂ©s-dortoirs, semblent plutĂŽt avoir donnĂ© aux citadins le sentiment dâune scĂšne urbaine construite et minĂ©ralisĂ©e, coupĂ©e de la nature, soumise Ă une es-thĂ©tique industrielle sans Ă©clat, asservie aux exigences de la flui-ditĂ©, de la vitesse automobile et de lâĂ©largissement dâun maillage urbain dessaisissant le citadin de lâĂ©chelle de proximitĂ©.
La CitĂ© radieuse, souligne Olivier Mongin [2005 : 123], nâa pas de lieu, lâunitĂ© dâhabitation nâa pas de sol, elle sâabstrait et se perche sur des pilotis : « Le site, le lieu proche, la culture de proximitĂ© sont du mĂȘme coup mis Ă mal. » Lâurbanisme fonctionnaliste a considĂ©-rĂ© le sol comme une grande toile de fond sur laquelle disposer des figures et des maillages destinĂ©s Ă assurer la fluiditĂ© des circula-tions [Choay, 1965 : 35]. Dans les interstices Ă©merge la figure dâun espace libre et ouvert, neutre et homogĂšne, vaste et disponible, Ă©tendu mais dĂ©pourvu de structure. On y trouve certes beaucoup dâespace vide mais peu dâespace public, de la verdure mais peu de composition vĂ©gĂ©tale. Lâesprit et lâintention de lâurbanisme fonc-tionnaliste Ă©taient lĂ©gitimes, mais les rĂ©alisations ont trop souvent abouti Ă des espaces urbains caractĂ©risĂ©s par une gĂ©omĂ©trie rĂ©-
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pétitive de tours et de barres semblables séparées par des vides « sans qualité », délaissés de voirie, enclavements préformatés, morceaux de gazon étiolés par le temps.
Dans le courant des annĂ©es 1970, lâurbanisme fonctionnaliste et fordiste est contestĂ©. « Ni bidonvilles ni villes bidon », tel sera un des slogans de Mai 68. La revendication est lucide et prospective annonçant dĂ©jĂ une nouvelle demande collective. Lâunivers de bĂ©-ton et de bitume de lâhabitat de masse de la ville contemporaine, minĂ©ralisĂ©e et mĂ©canisĂ©e, a tenu la nature hors la ville et nourri ainsi le rĂȘve de la maison individuelle Ă la campagne. Au lieu de « la barre ou les pavillons », la ville contemporaine a produit « la barre et les pavillons » [Mangin, 204 : 342]. En quĂȘte de verdure, lâurbain se tourne progressivement vers le dehors, installant lâĂ©ta-lement comme la figure principale du nouveau rĂ©gime mĂ©tropoli-tain.
La ville sâest ainsi dilatĂ©e, elle est devenue diffuse et aux limites in-certaines. Si le rĂȘve de la maison pĂ©riurbaine ne se concrĂ©tise pas toujours, pour la majoritĂ© des citadins sa signification symbolique est certaine. Elle comporte un vaste contenu de reprĂ©sentations qui gardent toute leur puissance : rechercher une qualitĂ© de vie quâon ne trouve plus dans les centres, se mettre Ă lâabri des inter-fĂ©rences urbaines, se procurer une connivence avec lâespace vĂ©cu, vivre dans un « chez soi » rĂ©pondant Ă de nouvelles normes de lâha-biter, rechercher un contact fĂ©cond avec la nature. La qualitĂ© de vie est posĂ©e comme une nouvelle frontiĂšre du confort. Il ne sâagit plus seulement de doter des logements standardisĂ©s dâun Ă©quipe-ment sanitaire et Ă©lectromĂ©nager, mais de promouvoir lâaccĂšs Ă de nouveaux dispositifs urbains du bien-ĂȘtre, Ă une qualitĂ© de la ville Ă chercher en marge de ses noyaux dâurbanitĂ©.
Signe, parmi dâautres, de la poussĂ©e de ce que Giles Lipovetsky [2006 : 250] a appelĂ© le « nĂ©o-individualisme », la maison indi-viduelle est devenue le symbole de lâaspiration Ă lâintimitĂ©, de la recherche de plaisirs protĂ©gĂ©s, du « refus dâun environnement subi et asphyxiant.» Cependant, tandis que le rĂ©gime urbain extensif se dĂ©ploie avec force, une attention nouvelle et diffuse est accordĂ©e aux dimensions qualitatives de lâhabiter, Ă lâaffectivisation du rap-
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port esthĂ©tique Ă la maison et Ă lâespace public, Ă une transforma-tion du rĂŽle des espaces publics dans la vie citadine.
Si le goĂ»t pour la maison individuelle et lâhabitat vĂ©gĂ©talisĂ© (jar-dins, balcons et fenĂȘtres fleuris, plantes vertes) en zone pĂ©riur-baine indique une des dĂ©clinaisons de la nouvelle prĂ©Ă©minence de la thĂ©matique de la qualitĂ© de vie, de nouvelles rĂ©flexions sâorgani-sent progressivement autour de quelques thĂšmes transversaux of-frant une alternative Ă la « ville extensive » et une rĂ©ponse possible aux aspirations Ă la qualitĂ© urbaine : construire la ville dans la ville, revitaliser les centres, densifier autour des axes et des carre-fours, Ă©difier de nouveaux noyaux de densitĂ© organisant un accĂšs polycentrĂ© aux Ă©quipements de lâurbanitĂ©, diversifier les formes urbaines et les types de logements, mieux gĂ©rer les ressources matĂ©rielles, qualifier lâespace public, rĂ©habiliter la prĂ©sence de la nature au sein de la ville, renforcer et relier les insularitĂ©s vertes de lâartifice urbain. Dans les annĂ©es 1990, le concept de ville durable se met en place et avec lui une rĂ©flexion novatrice sur de nouveaux dispositifs de rĂ©gulation [Da Cunha et al., 2006].
Développement urbain durable et urbanisme végétal : changer de regard
A lâĂšre de la postmodernitĂ© et de lâĂ©cologie, le dĂ©veloppement ur-bain durable sâinscrit dans le rapport de la ville Ă sa centralitĂ© et Ă son histoire, Ă son patrimoine et Ă son avenir, mais aussi dans une recherche de qualitĂ© des espaces publics et de rapport renouvelĂ© avec les lieux et la nature. Dans ce contexte, le vĂ©gĂ©tal devient un Ă©lĂ©ment central des compositions urbaines et des opĂ©rations dâurbanisme rĂ©alisĂ©es dans un souci de viabilitĂ© et dâhabitabilitĂ©. Il apporte attractivitĂ© et qualitĂ© au cadre de vie. Il participe Ă la di-versitĂ© urbaine et au vivre ensemble. De nombreux projets urbains tĂ©moignent aujourdâhui dâune soif nouvelle de verdissement, qui est plus quâun simple contrepoids Ă lâenvahissement minĂ©ral et Ă la prĂ©sence angoissante dâespaces publics vides et sans Ăąme.
Lieux de repos et de dĂ©tente, de jeux et de loisirs, les espaces verts rĂ©pondent Ă un souci de protection du patrimoine vĂ©gĂ©tal et de biodiversitĂ© autant quâĂ une demande collective dâhĂ©donisation de
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lâespace public et de qualitĂ© rĂ©sidentielle. Avec le dĂ©veloppement des temps libres, la nature en ville acquiert pour beaucoup une valeur de ressourcement, de santĂ© et de bien-ĂȘtre [LefĂšvre, 2008 : 69]. Si les partisans de lâart urbain avaient tendance Ă esthĂ©tiser une scĂšne urbaine construite et minĂ©rale, Ă lâĂšre de lâĂ©cologie, la verdure est un emblĂšme urbain, synonyme de bien-ĂȘtre, rĂ©ponse Ă une nouvelle quĂȘte dâexpĂ©riences sensorielles et de conservation de la nature. A tel point que le palmarĂšs des villes vertes ou des villes fleuries est devenu un Ă©vĂ©nement mĂ©diatique incontournable [Boutefeu, 2007].
La recherche dâune nouvelle intensitĂ© vĂ©gĂ©tale nâest pas sans risques. La pensĂ©e et lâexpĂ©rience dâune nouvelle esthĂ©tique ouvrent et limitent Ă la fois le regard. La tentation consiste au-jourdâhui Ă demander aux paysagistes de substituer lâespace vert Ă lâespace ouvert et dâagencer quelques dĂ©corations vĂ©gĂ©tales mi-nimalistes, afin dâessayer de rĂ©parer les dĂ©rapages modernistes et de donner lâimpression dâinverser la formule de la ville Ă la cam-pagne en rĂ©pondant superficiellement aux aspirations, sans doute lĂ©gitimes, des habitants. La course Ă lâesthĂ©tisation verdoyante est a priori sĂ©duisante, mais elle ne doit pas oblitĂ©rer une rĂ©flexion dâensemble capable dâentrelacer les exigences de la densification et de la mobilitĂ© avec les fonctions rĂ©gulatrices de la vĂ©gĂ©tation dans les centres et dans les marges urbaines.
La rĂ©paration vĂ©gĂ©tale de lâespace public, laissĂ© en hĂ©ritage par un urbanisme hantĂ© par la fluiditĂ© des circulations et la rentabilisa-tion de lâoffre fonciĂšre, est une piste pertinente pour autant quâelle ne serve pas Ă entĂ©riner la ville Ă©talĂ©e comme une fatalitĂ©. « Plus un territoire sâindiffĂ©rencie et se fragmente sous la pression de lâĂ©talement urbain », souligne Pascal Amphoux, « plus il importe de concevoir des formes dâurbanisation groupĂ©es permettant de prĂ©-server des espaces naturels, sans lesquels la qualitĂ© du paysage et lâidentitĂ© de chaque lieu dâhabitation disparaissent » [Amphoux, 2009 : 12]. Les espaces verts urbains ont des fonctions multiples qui dĂ©pendent de leur taille, de leurs modalitĂ©s dâamĂ©nagement et de leur situation dans les agglomĂ©rations urbaines. Ces fonctions peuvent varier lorsquâon se dĂ©place du centre vers le milieu pĂ©riur-bain et rural. Pour mettre en valeur la vĂ©gĂ©tation en ville et protĂ©-
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ger les espaces agricoles de lâĂ©talement urbain, il est nĂ©cessaire de dĂ©finir des schĂ©mas verts structurants Ă diffĂ©rentes Ă©chelles. Dans cette perspective, le vocabulaire de lâamĂ©nagement vĂ©gĂ©-tal ne peut se limiter Ă des foncions dĂ©coratives ou Ă des prises dâĂ©chelle particuliĂšres. Une gestion diffĂ©renciĂ©e des processus de densification et de requalification vĂ©gĂ©tal sâimpose. La nouvelle grammaire gĂ©nĂ©rative de lâurbanisme durable sâen trouvera ainsi enrichie.
Ce qui rend justement intĂ©ressantes les propositions Ă©mergentes de lâurbanisme durable, câest de relier la problĂ©matique de la densifica-tion Ă celle de la requalification de lâespace public et des paysages de la ville dans une perspective de valorisation dâensemble des espaces urbains. La dĂ©clinaison dâune politique des espaces verts suppose que les villes et les communes urbaines disposent dâun projet dâensemble Ă partir duquel elles exposent leurs intentions et concertent leurs actions dans une visĂ©e de gestion diffĂ©renciĂ©e de lâinĂ©vitable tension entre le vĂ©gĂ©tal et le minĂ©ral. De nombreuses rĂ©alisations europĂ©ennes indiquent dâailleurs lâĂ©mergence dâune nouvelle relation dialectique entre densification et naturation ou-vrant la porte au pluralisme des modes de fabrication de la ville et Ă la crĂ©ation dâambiances urbaines originales, entrelaçant architec-ture bioclimatique, espaces verts et espaces bleus [Gauzin-MĂŒller, 2001 ; LefĂšvre, 2008 ; Charlot-Valdieu et Outrequin, 2009].
Bien au-delĂ dâune rĂ©ponse banale et ponctuelle Ă la demande rĂ©currente de « pittoresque urbain », lâurbanisme vĂ©gĂ©tal est au-jourdâhui un instrument nĂ©cessaire en vue de constituer lâespace public continu, accessible, variĂ© et partagĂ© dans une ville durable authentiquement vivante, ouverte au champ des possibles. Dans cette perspective, et en dĂ©tournant David Mangin [2004 : 345], la tĂąche urgente de lâurbanisme vĂ©gĂ©tal, consiste Ă nous faire chan-ger de regard, Ă nous aider Ă rĂ©concilier la ville avec elle-mĂȘme et avec la nature, Ă libĂ©rer la ville franchisĂ©e de lâempire trop exclusif du minĂ©ral, Ă montrer que dĂ©veloppement durable et dĂ©veloppe-ment urbain sont indissociables.
Un changement de regard est en cours. Dans la perspective du développement urbain durable, densité du bùti, espace public et
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urbanisme vĂ©gĂ©tal apparaissent aujourdâhui Ă©troitement liĂ©s. La densitĂ© a une valeur Ă©conomique, sociale et environnementale. Elle est plus Ă©conome en sol et en rĂ©seaux techniques. Bien public par excellence, elle utilise au mieux les ressources matĂ©rielles. Sa traduction morphologique fournit des repĂšres et des points dâac-cĂ©lĂ©ration visuels et symboliques. Mais une plus grande densitĂ© laisse aussi davantage dâespace pour la collectivitĂ©. Densifier la ville amĂšne paradoxalement Ă lâaĂ©rer. Le vide est utile. Il est le support inĂ©vitable dâune densitĂ© qualifiĂ©e. Lâombre des façades est compensĂ©e par la lumiĂšre qui inonde les espaces vides : places, belvĂ©dĂšres, esplanades et boulevards sont capables de mettre en scĂšne des Ă©difices et des paysages urbains. Dans les espaces denses, lâinteraction entre le plein et le vide donne ainsi Ă lâespace urbain un statut polymorphe, une signification esthĂ©tique, une am-biance et une qualitĂ©.
Qualifier lâespace urbain, transformer sa valeur Ă©conomique, so-ciale et Ă©cologique, tel serait le fondement de lâaction urbanistique durable. Faire de lâespace public davantage un lieu de rencontre, de dĂ©tente, de flĂąnerie et de contemplation accessible Ă tous, le saisir non pas comme une chose, une fonction rĂ©siduelle, mais comme une composition, le produit dâune « artialisation », telles seraient aussi les visĂ©es essentielles de lâurbanisme vĂ©gĂ©tal. Consi-dĂ©rĂ©e souvent comme secondaire, la prĂ©sence vĂ©gĂ©tale, « lâart des parcs et des jardins », doit aujourdâhui ĂȘtre repensĂ©e comme un Ă©lĂ©ment structurant de lâorganisation urbaine.
Les espaces verts peuvent prendre des formes diffĂ©rentes et oc-cuper des surfaces et des emplacements variables selon leur aire dâinfluence et la diversitĂ© du milieu avoisinant. De lâunitĂ© dâhabita-tion et du quartier Ă la ville et Ă lâagglomĂ©ration, les dispositions vĂ©gĂ©tales (jardins, parcs de quartier, promenades, parcs urbains, forĂȘts-promenades, etc.) peuvent participer Ă la mise en place de structures urbaines plus lisibles pour les piĂ©tons et les cyclistes, mais aussi pour les automobilistes.
Les vĂ©gĂ©taux, mĂȘme dĂ©foliĂ©s, souligne Stefulesco [1993 : 70], constituent des volumes comparables aux structures architectu-rales. Les trames vĂ©gĂ©tales « doublent les façades dâune masse
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vĂ©gĂ©tale identique et comblant les espaces rĂ©siduels pour assurer la continuitĂ© de la volumĂ©trie urbaine », elles peuvent aussi « intro-duire une continuitĂ©, souligner un ordonnancement du bĂąti, relier des volumes disparates ou structurer des espaces dĂ©sorganisĂ©s ». A toutes les Ă©chelles, la vĂ©gĂ©tation contribue Ă structurer et Ă faire vivre le tissu urbain au rythme des saisons, des changements de couleurs, du mouvement sculptĂ© des feuillages. La crĂ©ation dâun ensemble vĂ©gĂ©tal, le choix des essences (dimensions et formes des arbres, caduques ou permanentes, couleur des feuillages, etc.) est un art qui permet de valoriser une figure urbaine, de crĂ©er un re-pĂšre, une orientation, une transition visuelle entre une façade et la rue, dâapporter ombre et fraĂźcheur.
Composer la ville avec des vĂ©gĂ©taux signifie ordonner de maniĂšre appropriĂ©e dans les plans horizontal et vertical des structures li-sibles par les citadins. La structuration de lâespace se reflĂšte dans un arrangement vĂ©gĂ©tal tenant compte de variations affectant les tailles et les couleurs en fonction de lâĂ©loignement. Etagements en hauteurs, groupements et alignements, allĂ©es, massifs et surfaces gazonnĂ©es de tailles, formes, couleurs et textures diverses bordent et structurent lâespace urbain en lâinscrivant dans le rythme des saisons. Contraste et Ă©quilibre, rĂ©pĂ©tition, rythme et ordonnan-cement sont des idĂ©es-force de lâurbanisme vĂ©gĂ©tal. Les plans et les schĂ©mas verts permettent de mobiliser les savoirs paysagers afin de dĂ©finir des stratĂ©gies globales dâamĂ©nagement urbain, ca-pables de rĂ©guler la conduite de chaque opĂ©ration vers un projet urbain cohĂ©rent et de qualitĂ©.
Le travail sur les lieux est aussi un travail sur le lien et la crĂ©ation de sens. Les rapports entre la nature et le bĂąti structurent lâidentitĂ© des espaces urbains. Lâambivalence entre lâartificiel et le naturel, entre les composantes statiques et vivantes, constitue un des aspects les plus fascinants dâun lâurbanisme durable qui se place volontiers aux antipodes de la ville mĂ©canique en remettant au premier plan une nouvelle alliance entre la ville et la nature, lâart et la verdure, la com-pacitĂ©, lâintensitĂ© vĂ©gĂ©tale et la qualitĂ© des espaces publics. Il est important que les amĂ©nagistes, les paysagistes, les gestionnaires et les citadins travaillent de concert Ă lâĂ©laboration du projet vĂ©gĂ©tal et de sa mise en Ćuvre. Lâartifice urbain est mĂ©diation. Lâutilisation
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du vĂ©gĂ©tal dans la production de la qualitĂ© urbaine est une maniĂšre de rĂ©pondre Ă la demande sociale et de reprĂ©senter ainsi de façon jubilatoire le bonheur de vivre avec lâautre. Câest tout un savoir Ă mobiliser et Ă partager. Les articles prĂ©sentĂ©s ici tĂ©moignent de ma-niĂšre diverse de cette visĂ©e.
RĂ©pondre Ă une nouvelle demande sociale, qualifier les espaces publics, relier la ville Ă la campagne
Lâhabitant Ă©tant Ă la fois usager de fonctions et pratiquant de formes sensibles issues de lâĂ©dification urbaine, son rĂŽle est es-sentiel. Et les citadins ne se trompent pas. De maniĂšre rĂ©currente, ils revendiquent avec force leur attachement Ă toute forme de prĂ©sence vĂ©gĂ©tale. Lâhistoire rĂ©cente de lâurbanisme semble leur donner raison. Ce Cahier consacrĂ© Ă la « nature en ville » sâouvre justement par un article dans lequel Emmanuel Boutefeu ex-pose les rĂ©sultats dâune enquĂȘte conduite Ă Lyon dans le but de mieux connaĂźtre la demande sociale en lieux de nature en ville. La prĂ©sence dâespaces verts demeure, dit-il, un des premiers Ă©quipe-ments publics spontanĂ©ment citĂ©s par les personnes interrogĂ©es pour amĂ©liorer la qualitĂ© de vie en ville. Son propos est de cer-ner les tenants et les aboutissants de la « fiĂšvre verte » qui sâem-pare des citadins et de dresser un Ă©tat des lieux de la demande sociale en espaces verts accessibles au public. La littĂ©rature sur les pratiques et les reprĂ©sentations des habitants concernant le milieu naturel et lâespace vert urbain en particulier est trĂšs dense. LâĂ©tude confirme le degrĂ© de « saillance » ou dâimportance que re-vĂȘt le « vert » des quartiers pour les habitants soit en termes de satisfaction, soit en termes dâimage.
En effet, loin dâĂȘtre accessoires, les espaces publics verts remplis-sent des fonctions bien identifiĂ©es : Ă©cologiques (conservation de la biodiversitĂ©, amĂ©lioration des conditions climatiques, rĂ©gulation du bilan hydrologique, Ă©puration de lâair, rĂ©duction du bruit, brise-vent, refuge et nourriture pour la faune, etc.) ; spatiales (repĂšre, signalisation, guidage optique, sĂ©paration, etc.) ; esthĂ©tiques, ludiques et symboliques (dĂ©coration, crĂ©ation dâune ambiance, proximitĂ© avec la nature, etc.). DestinĂ©s Ă lâagrĂ©ment et au plai-sir des citadins, ils constituent une nĂ©cessitĂ© de la vie urbaine, un
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Ă©quipement urbain au mĂȘme titre que les autres. Disponibles pour tous, sans discrimination, ils crĂ©ent lâimage de la ville, un dĂ©cor familier, ils soulignent ou allĂšgent ses traits, son Ă©lĂ©gance. Regar-dant lâurbain Ă la fois comme un Ă©cosystĂšme, un paysage, une rela-tion sensorielle et esthĂ©tique qui sâĂ©tablit en un lieu et un moment donnĂ©s, entre lâhabitant et toutes les nuances de lâespace quâil vit et parcourt, lâurbanisme durable devrait ainsi pouvoir contribuer Ă restaurer lâintimitĂ© entre les pleins et les vides, entre le minĂ©ral et le vĂ©gĂ©tal, entre lâhomme et la ville.
Nathalie Blanc souligne justement cette restauration de la nature en ville. Une rĂ©volution silencieuse, dit-elle, sâopĂšre sous nos yeux. AprĂšs une « dĂ©naturalisation », la ville veut connaĂźtre et reconnaĂźtre sa nature. De nouvelles formes dâurbanitĂ© tĂ©moignent, selon Nathalie Blanc, dâune aspiration forte Ă plus de nature par la valorisation des paysages urbains mais aussi dâune gestion Ă©cologique du patrimoine vĂ©gĂ©tal. « Lâon repense les liens Ă la nature et les bĂ©nĂ©fices que le ci-tadin en tire. Une ingĂ©nierie Ă©cologique naĂźt : elle prend appui sur des compĂ©tences en termes dâĂ©cologie du paysage couplĂ©e avec une Ă©co-logie vĂ©gĂ©tale et animale ainsi que sur des savoirs dans le domaine de lâanthropologie de la nature et de la gĂ©ographie de lâenvironnement. » La pertinence des actions publiques en matiĂšre de verdissement ur-bain est analysĂ©e Ă trois niveaux : le premier relĂšve de la tradition en matiĂšre dâurbanisme vĂ©gĂ©tal et renvoie au concept de dĂ©cor urbain ; le deuxiĂšme, met lâaccent sur la qualitĂ© du milieu urbain en termes de fonctionnement du systĂšme Ă©cologique et des rapports des cita-dins Ă lâenvironnement. Enfin, le troisiĂšme interroge la maniĂšre dont lâurbanisme vĂ©gĂ©tal participe Ă lâĂ©dification dâune ville Ă©cologique Ă lâĂ©chelle des agglomĂ©rations et des mĂ©tropoles urbaines. Dans ce do-maine, comme dans dâautres, la nĂ©cessaire planification des « Ă©quipe-ments verts » incite les collectivitĂ©s locales Ă travailler ensemble et Ă prendre en considĂ©ration les relations dâĂ©chelle.
Câest une piste de rĂ©flexion prolongĂ©e par Philippe Curdy dans une contribution qui identifie les principaux enjeux de la problĂ©-matique des espaces verts dans la ville de Lausanne en les situant dans le contexte de la politique de densification menĂ©e Ă lâĂ©chelle de lâagglomĂ©ration.
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La gouvernance pluridisciplinaire et une vision Ă long terme sont nĂ©cessaires, dit-il, pour une bonne hiĂ©rarchisation des problĂšmes et la mise en place de mesures adaptĂ©es. Le registre est descriptif. Il montre de quelle maniĂšre le Service des parcs et des prome-nades de la ville-centre de lâagglomĂ©ration lausannoise cherche Ă travailler avec dâautres acteurs urbains et Ă plusieurs Ă©chelles. Une des rĂ©ponses aux enjeux environnementaux, sociaux et Ă©co-nomiques de lâurbanisme vĂ©gĂ©tal est la mise en place dâune ges-tion diffĂ©renciĂ©e qui intĂšgre les principes dâun comportement plus respectueux de lâenvironnement, et « dĂ©banalise » des lieux « stĂ©ri-lisĂ©s » par un entretien standardisĂ©. Ici et lĂ on remplace le gazon par de la prairie, avec une grande variĂ©tĂ© dâherbes et de fleurs des champs qui attirent les insectes et recrĂ©ent Ă petite Ă©chelle un Ă©co-systĂšme. Une piste dâaction Ă faire valoir Ă lâĂ©chelle de la parcelle, du quartier et de lâagglomĂ©ration dans une visĂ©e de renforcement et de crĂ©ation de rĂ©seaux Ă©cologiques connectĂ©s assurant une bonne valeur dâusage des espaces verts.
Dans la mĂȘme veine, Anne-Marie Mokrani explore les potenti-alitĂ©s dâune dĂ©marche itĂ©rative entre lâagglomĂ©ration et la Ville de GenĂšve visant Ă produire un systĂšme structurant dâespaces verts. Une augmentation de 200â000 habitants et 100â000 em-plois est attendue dans lâagglomĂ©ration dâici 2030. Pour y faire face, le Projet dâagglomĂ©ration propose un concept dâagglomĂ©ra-tion compacte, multipolaire et verte. Rappelant la puissance vi-sionnaire du maillage vert proposĂ© en 1937 par Maurice Braillard, elle explique « comment la « voie verte » a trouvĂ© son chemin et ses points dâancrage au sein dâun nouvel espace institutionnel et fonctionnel regroupant 204 communes de lâagglomĂ©ration franco-valdo-genevoise ». La « voie verte », charpente paysagĂšre de 22 km installĂ©e au cĆur de ce territoire en mouvement, intĂšgre plusieurs projets communaux dâun cĂŽtĂ© et de lâautre de la frontiĂšre. Projet de tracĂ© vert structurant, elle prend en compte des entitĂ©s Ă va-leur Ă©cologique et dĂ©gage des surfaces servant de support Ă une trame dâespaces publics et dâamĂ©nagements rĂ©crĂ©atifs et didac-tiques de qualitĂ© centrĂ©s sur lâusage de la mobilitĂ© douce et reliant la ville Ă la campagne. La particularitĂ© du projet de voie verte est de constituer un projet gĂ©nĂ©rateur de lien et de continuitĂ© entre la ville et la campagne. Une problĂ©matique qui rejoint celle des deux
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contributions fermant le Cahier.
Nelly Niwa nous invite Ă une rĂ©flexion sur les dynamiques Ă lâoeuvre en Suisse et au Japon en matiĂšre dâinfrastructures vertes et de pratiques dâagriculture intra-urbaine. Elle examine les stra-tĂ©gies mises en place par les agriculteurs pour survivre en milieu urbain et sâinterroge sur la distinction bĂąti/non bĂąti. Se fondant sur lâĂ©tude de cas de Tokyo, Nelly Niwa affirme que la nature en ville pourrait ĂȘtre agricole, sous rĂ©serve que la forme hybride ville-agriculture devienne lĂ©gitime dans un contexte europĂ©en ou le vide et le plein ont traditionnellement Ă©tĂ© opposĂ©s. LâĂ©vocation de la prĂ©sence de lâagriculture dans la ville inverse la formule sĂ©cu-laire de la ville Ă la campagne. La thĂšse est sujette Ă controverse. Dans un contexte oĂč la ville compacte est devenue effectivement un des principes directeurs du dĂ©veloppement urbain, lâagriculture urbaine pourrait bien ĂȘtre « le vilan petit canard des villes ». Cela Ă©tant, la proposition invite Ă un approfondissement de la rĂ©flexion sur les interfaces entre lâurbanisme « dur » et lâurbanisme vĂ©gĂ©tal, la nature en ville et lâagriculture intra-urbaine, la petite/grande agriculture et lâurbanisation aux portes de la ville. Nelly Niwa re-lĂšve les avantages de cette hybridation urbaine qui nous permet-trait de sortir de lâunivers dualiste de lâoppositio ville-campagne : lâagriculture urbaine, affirme-t-elle, permet aux citadins dâavoir ac-cĂšs Ă un marchĂ© proche et dâapprovisionner la ville en rĂ©duisant les coĂ»ts liĂ©s aux transports, aux emballages et Ă la rĂ©frigĂ©ration. La possibilitĂ© de mettre en place des filiĂšres courtes permettrait dâaugmenter la rentabilitĂ© Ă©conomique des petites exploitations en les rendant plus compĂ©titives par rapport aux exploitations plus Ă©loignĂ©es de la ville. Cependant, une partie de ces avantages sont nuancĂ©s par dâautres approches.
Portant leur regard sur les transformations en cours dans la cein-ture verte de lâ Ăle-de-France, Roland Vidal et AndrĂ© Fleury plai-dent en faveur dâun agriurbanisme capable Ă la fois de contenir lâĂ©talement urbain, dâinventer des alternatives au pavillonnaire et de respecter les fonctionnalistes dâune agriculture moderne. Quelle que soit leur dimension, les exploitations agricoles, disent-ils, nâont pas pour vocation dâoccuper des espaces rĂ©siduels laissĂ©s par une urbanisation irrĂ©flĂ©chie. Des contraintes spatiales doivent
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ĂȘtre respectĂ©es dans les projets dâextension urbaine, lâenjeu Ă©tant dâĂ©viter lâenclavement urbain et la dĂ©structuration de lâespace agricole conduisant, Ă terme, Ă son enfrichement. La confusion nature-agriculture et lâidĂ©alisation de la ferme dâautrefois peut dresser des barriĂšres infranchissables entre le citadins et le agri-culteurs pĂ©riurbains. Le regard sur une agriculture de proximitĂ© est critique. Le dĂ©sir de campagne des citadins se double dâune certaine nostalgie qui les conduit Ă rechercher une alimentation de proximitĂ© sans toujours mesurer le rĂ©el impact environnemen-tal. Pour ces deux auteurs, le succĂšs croissant des ventes sur place et des cueillettes Ă la ferme constituent « la forme la plus polluante de la distribution alimentaire. » Les « locavores » ont certainement raison, disent-ils, lorsquâils dĂ©noncent lâarrivĂ©e sur les marchĂ©s des pays riches de produits frais lointains. Cependant, lorsque ces idĂ©es « conduisent Ă concevoir des projets dâurbanisme qui inven-tent une agriculture de proximitĂ© en imaginant que les habitants vont aller tout naturellement y faire les courses en rentrant du tra-vail, on condamne les agriculteurs qui voudraient bien sây prĂȘter Ă un Ă©chec Ă©conomique certain. »
En rĂ©sumĂ©, les contributions rĂ©unies dans ce Cahier apportent un Ă©clairage sur de multiples pistes de questionnement associĂ©es Ă lâurbanisme vĂ©gĂ©tal, Ă lâagriurbanisme, au dĂ©bat public et au dĂ©-veloppement urbain durable. Les diffĂ©rents articles montrent que la nature est devenue indiscutablement une rĂ©alitĂ© urbaine. IgnorĂ© pendant les Trente glorieuses, relĂ©guĂ© par la vulgate fonctionna-liste Ă un rĂŽle de dĂ©cor pour agrĂ©menter les espaces rĂ©siduels ac-compagnant les Ă©quipements et les constructions, le vĂ©gĂ©tal, sous toutes ses formes, devient aujourdâhui une composante essentielle des projets urbains conçus dans une perspective durabiliste. De nombreux projets sâappuient sur une structure de « boulevards urbains » largement plantĂ©s, ou sâorientent vers la crĂ©ation de « coulĂ©es vertes » dans les villes, afin de mĂ©nager une continuitĂ© des couloirs de biotope, de renforcer la biodiversitĂ©, dâassurer la cohĂ©rence des infrastructures vertes, de « couturer » les fractures urbaines », de restaurer et de crĂ©er de « nouvelles ambiances ur-baines », de recrĂ©er de nouveaux liens entre la ville et la campagne et dâinventer de nouvelles alliances entre les citadins et les agri-culteurs capables de mĂ©nager une Ă©conomie agricole enclavĂ©e
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et marginalisée par les infrastructures urbaines de la ville et sa pression fonciÚre.
Dans la ville durable, la liaison vĂ©gĂ©tale est une alternative offrant un parcours de promenade au citadin pour se dĂ©placer dâun quar-tier Ă lâautre, pour rejoindre un Ă©quipement utilisant toute les res-sources de la mobilitĂ© douce, ou pour sortir de la ville. La possibili-tĂ© dâeffectuer en continu un parcours dans la ville est une maniĂšre dâĂ©tendre les plaisirs de la promenade Ă lâensemble de la ville et de sa pĂ©riphĂ©rie. Câest ainsi que naissent, ici et lĂ , Ă lâintĂ©rieur des villes apparentes, dâautres villes qui se laissent parcourir dâun pied presque entiĂšrement vert.
Les projets dâurbanisme vĂ©gĂ©tal ou dâagriurbanisme constituent des leviers majeurs de la ville durable. De plus en plus de com-munes soucieuses de la qualitĂ© de vie en milieu urbain prennent conscience des enjeux sociaux, culturels et Ă©conomiques que re-prĂ©sentent la prĂ©servation et la recrĂ©ation des espaces verts, la protection du patrimoine vĂ©gĂ©tal et de la biodiversitĂ©, la prĂ©serva-tion des terres agricoles de la pression urbaine. Les projets urbains et territoriaux doivent faire lâobjet de projections qui anticipent la succession des effets et des mesures dâentretien Ă mesure quâils Ă©voluent dans le temps. Les diffĂ©rentes contributions prĂ©sentĂ©es dans ce Cahier montrent que le bon usage de la nature en ville tient autant Ă une gestion diffĂ©renciĂ©e et adaptĂ©e aux Ă©chelles dâamĂ©nagement quâĂ la mise en place de collaborations intenses et inventives entre les Ă©lus, les habitants et lâensemble des profes-sionnels de la ville.
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Numéro 8 - juin 2009
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Antonio da Cunha Introduction : Urbanisme végétal et agriurbanisme La ville entre artifice et nature
Emmanuel Boutefeu
La demande sociale de nature en ville EnquĂȘte auprĂšs des habitants de lâagglomĂ©ration lyonnaise
Nathalie Blanc Vers un urbanisme Ă©cologique ?
Curdy Philippe
La gestion des espaces verts dans la ville : entre densification urbaine et préservation de la (bio)diversité sociale et naturelle
Anne-Marie Mokrani
Du maillage vert de 1936 Ă la voie verte dâagglomĂ©ration : genĂšse du projet
Nelly Niwa
La nature en ville peut-elle ĂȘtre agricole ? De la Suisse au Japon
Roland Vidal et Andre Fleury
AmĂ©nager les relations entre la ville et lâagriculture. De nouveaux enjeux territoriaux et une nouvelle approche « agriurbaniste »
n°8 - juin 2009
ISSN 1661-3708
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© Photographie : Marianne Thomann, mai 2009