22
8UELD Les Cahiers du développement urbain durable Urbanisme végétal et agriurbanisme Numéro 8 - juin 2009 Observatoire universitaire de la Ville et du Développement durable © Photographie : Marianne Thomann, mai 2009

8UELD - UNIL

  • Upload
    others

  • View
    11

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: 8UELD - UNIL

Les Cahiers du développement urbain durable

Urbanisme végétal et agriurbanisme

Numéro 8 - juin 2009

URB

IAN

umér

o 8

Observatoire universitairede la Ville et duDĂ©veloppement durable

Antonio da Cunha Introduction : Urbanisme végétal et agriurbanisme La ville entre artifice et nature

Emmanuel Boutefeu

La demande sociale de nature en ville EnquĂȘte auprĂšs des habitants de l’agglomĂ©ration lyonnaise

Nathalie Blanc Vers un urbanisme Ă©cologique ?

Curdy Philippe

La gestion des espaces verts dans la ville : entre densification urbaine et préservation de la (bio)diversité sociale et naturelle

Anne-Marie Mokrani

Du maillage vert de 1936 Ă  la voie verte d’agglomĂ©ration : genĂšse du projet

Nelly Niwa

La nature en ville peut-elle ĂȘtre agricole ? De la Suisse au Japon

Roland Vidal et Andre Fleury

AmĂ©nager les relations entre la ville et l’agriculture. De nouveaux enjeux territoriaux et une nouvelle approche « agriurbaniste »

n°8 - juin 2009

ISSN 1661-3708

Observatoire universitairede la Ville et duDĂ©veloppement durable

Institut de géographie

© Photographie : Marianne Thomann, mai 2009

Page 2: 8UELD - UNIL

Les cahiers du développement urbain durable

- 1 -Institut de géographie

Introduction : urbanisme végétal et agriurbanismeLa ville entre artifice et nature

Antonio da Cunha, professeur ordinaire

Institut de géographie, Université de Lau-sanne (UNIL)

Courriel : [email protected]

Page 3: 8UELD - UNIL
Page 4: 8UELD - UNIL

Les cahiers du développement urbain durable

- 3 -Institut de géographie

La ville entre artifice et nature

La nature en ville, expression Ă©vocatrice mais imprĂ©cise, n’est pas une invention rĂ©cente. Les parcs et les jardins, les espaces minĂ©-raux plantĂ©s, les ceintures vertes, les espaces verdoyants de toute espĂšce, publics et privĂ©s, utilitaires ou dĂ©coratifs, jardins suspen-dus, jardins de poche ou grandes trames vertes, bois et bosquets, terres agricoles, mĂ©nagĂ©s ou amĂ©nagĂ©s dans les interstices des zones bĂąties, ont toujours Ă©tĂ© prĂ©sents dans la ville. On parle au-jourd’hui aussi d’agriculture intraurbaine et d’agriculture pĂ©riur-baine. La nature reste une valeur sĂ»re. SpontanĂ©e, apprivoisĂ©e, domestiquĂ©e ou fabriquĂ©e, elle rĂ©siste aux transformations des rĂ©-gimes de l’urbain, Ă  ses temporalitĂ©s et Ă  ses modes de rĂ©gulation.

Objet hybride, entre artifice et nature, l’urbain est ce qui sans cesse advient par l’action des hommes. Les formes physiques et les paysages urbains que nous discernons nous offrent une mul-titude de combinaisons entre le minĂ©ral et le vĂ©gĂ©tal dont nous pouvons aisĂ©ment percevoir la variabilitĂ© spatiale et temporelle. Toute matĂ©rialitĂ© urbaine comprend nĂ©cessairement artificialitĂ© et naturalitĂ© dans des proportions incommensurables, le minĂ©ral et le vĂ©gĂ©tal se fondant de plus en plus Ă©troitement sur les territoires de la ville et de l’entre-ville. Autant dire, et d’entrĂ©e de jeu, qu’il est nĂ©cessaire de revenir sur l’opposition ville-nature. De fait, l’urbain constitue un milieu dans lequel interagissent les processus de na-turalisation de l’homme et de ses artifices et les processus d’artifi-cialisation des Ă©lĂ©ments naturels [Pinchemel, 1998, citĂ© in Hucy et al. 2005 : 237]. « La ville » dit Thierry Paquot [1994], « est devenu notre nature ». Avec la montĂ©e des prĂ©occupations environnemen-tales l’urbanisme vĂ©gĂ©tal devient partie prenante de la rĂ©flexion sur le dĂ©veloppement urbain durable.

Au travers de rĂ©flexions et d’études de cas menĂ©es dans des contextes divers, ce Cahier consacrĂ© Ă  la nature en ville et Ă  son rĂŽle pose la question de l’articulation entre deux exigences appa-remment paradoxales de la durabilitĂ© urbaine : la densification de l’habitat et la naturation de la ville. Le projet urbain durable ne rejette ni le minĂ©ral ni le vĂ©gĂ©tal. Au contraire, il les prĂ©suppose. Il

Page 5: 8UELD - UNIL

URBIA - Introduction : Urbanisme végétal et agriurbanisme. La ville entre artifice et nature

Observatoire universitairede la Ville et duDĂ©veloppement durable

- 4 -

les ouvre l’un Ă  l’autre et les met en relation sans pour autant les confondre. Le vĂ©gĂ©tal devient ainsi une des lignes de force de la production urbaine. Il s’agit alors d’articuler des Ă©chelles d’amĂ©-nagement, des densitĂ©s, des rapports d’intensitĂ© entre le minĂ©ral et le vĂ©gĂ©tal, favorables Ă  la qualitĂ© des lieux et des liens sociaux.

Dans Silence et LumiĂšre [1996], Louis Kahn disait qu’il fallait penser la ville comme un « trĂ©sor d’espaces ». Cette exigence est aussi prĂ©sente dans l’urbanisme durable. Dans cette perspective, la place de la nature en ville doit ĂȘtre repensĂ©e au profit d’une nouvelle signature de l’urbain. L’objectif consiste toujours Ă  esquis-ser des rĂ©ponses Ă  une question simple Ă  formuler : de quelles maniĂšres les espaces verts peuvent-ils contribuer Ă  structurer la ville et Ă  la rendre plus viable et plus agrĂ©able, plus belle, plus attractive et plus vivable ? La ville existe pour ceux qui l’habitent. A travers l’histoire de l’urbanisme vĂ©gĂ©tal, se dessine la question majeure de l’urbanisme contemporain : comment articuler la crois-sance de la ville et le dĂ©sir de vivre ensemble dans un espace de qualitĂ©, constituĂ© pour l’homme et par l’homme comme source d’émerveillement ?

La nature et les rĂ©gimes de l’urbain : parent pauvre ou Ă©lĂ©ment structurant ?

Les rĂ©gimes d’urbanisation sont une dĂ©rivĂ©e du temps. Les modes d’amĂ©nagement et de gestion des espaces verts dans les villes et leurs couronnes accompagnent le dĂ©veloppement urbain et ses temporalitĂ©s [Stefulesco, 1993]. Les premiĂšres villes sont appa-rues voici plus de dix millĂ©naires dans le sillage de la premiĂšre rĂ©-volution agricole et du travail de domestication des plantes et des animaux. La ville mĂ©diĂ©vale Ă©tait encore largement pĂ©nĂ©trĂ©e par la campagne. Une urbanitĂ© de transition avec la campagne s’est coulĂ©e dans les siĂšcles avant que les premiĂšres vagues d’indus-trialisation viennent transformer radicalement une relation qua-siment symbiotique entre des communautĂ©s urbaines de petite taille et leurs enveloppes naturelles, rurales et agricoles. L’indus-trialisation et l’arrivĂ©e de nouveaux moyens de communication du 19e siĂšcle provoquent d’importantes mutations urbaines en termes d’extension et de densification. C’est finalement l’urba-

Page 6: 8UELD - UNIL

Les cahiers du développement urbain durable

- 5 -Institut de géographie

nisme haussmannien, connu par ses constructions compactes et ses voiries imposantes, qui a inaugurĂ© une politique globale de dĂ©finition et d’amĂ©nagement des espaces verts en ville. Les prĂ©-occupations hygiĂ©nistes, mais aussi sociales et esthĂ©tiques sont mises en exergue. Il s’agit d’appliquer les conquĂȘtes de la science et de l’art Ă  la salubritĂ©. RĂ©servoirs d’air public, ouverts Ă  tous et amĂ©nagĂ©s par un mobilier urbain original, les espaces verts devaient ĂȘtre accessibles, disposĂ©s dans la ville de maniĂšre Ă  ce que chacun puisse s’y rendre. PassĂ©s Ă  l’épreuve du temps, ces espaces publics verdoyants, rĂ©gis par le droit de visite et le droit de regard, tĂ©moignent d’une rĂ©ponse Ă  une question sociale ma-jeure : celle de l’accĂšs des habitants Ă  la qualitĂ© de la ville et au langage des prestations de l’habiter qu’elle adopte.

A la fin du 19e siĂšcle, le concept de « citĂ©-jardin », inventĂ© par Howard en rĂ©action Ă  l’urbanisation chaotique des dĂ©buts de l’ùre industrielle, nourrissait d’une autre maniĂšre la rĂ©flexion sur le rĂŽle des espaces verts. La citĂ©-jardin Ă©voque la proximitĂ© entre l’habi-tat et les lieux de travail, mais surtout le retour nostalgique Ă  une coexistence symbiotique de la ville et de la campagne. Dans le sillage des travaux de l’amĂ©ricain Olmsted, le dessinateur et dĂ©-fenseur des parcs urbains le plus connu [Pincetl, 2005 : 213], pour qui les parcs et les espaces libres sont indispensables pour la vie et l‘accroissement de la grande ville, Howard veut rĂ©unir au sein de l’espace urbanisĂ© les avantages de la ville et de la campagne. Dans l’imaginaire howardien, la vĂ©gĂ©tation intĂšgre toutes les com-posantes de la ville. Elle devient ainsi un Ă©lĂ©ment structurant ma-jeur, par l’articulation des jardins, des voies fortement plantĂ©es et des parcs centraux [Merlin et Choay, 1988 : 358].

Le « mouvement moderne » du dĂ©but du 20e siĂšcle n’accordera quand Ă  lui qu’une place finalement assez rĂ©siduelle Ă  l’espace vert : une fois posĂ©s les immeubles et les rĂ©seaux de voirie, l’es-pace vert, c’est tout le reste. Comme le souligne Boutefeu [2008 : 5], « Le Corbusier fustige avec force l’idĂ©e de dĂ©velopper des ci-tĂ©s-jardins qui ne sauraient ĂȘtre une rĂ©ponse Ă  la pĂ©nurie de lo-gements d’avant-guerre. Il reproche aux citĂ©s-jardins de disperser les habitants, ce qui entraine un Ă©talement urbain inconsidĂ©rĂ© et conduit Ă  l’isolement social.» Cependant, les documents d’urba-

Page 7: 8UELD - UNIL

URBIA - Introduction : Urbanisme végétal et agriurbanisme. La ville entre artifice et nature

Observatoire universitairede la Ville et duDĂ©veloppement durable

- 6 -

nisme dĂ©veloppĂ©s dans la mouvance fonctionnaliste n’ont pas manquĂ© de considĂ©rer les espaces verts comme des Ă©quipements publics propres Ă  embellir la ville et Ă  rĂ©pondre aux besoins de dĂ©tente et de rĂ©crĂ©ation.

Les thĂ©oriciens de la Charte d’AthĂšnes avaient l’intention louable de rĂ©concilier la ville avec le soleil, l’air et la verdure. L’espace du modĂšle fonctionnaliste est largement aĂ©rĂ© par des vides et de la verdure. L’idĂ©e forte de Le Corbusier pour qui la ville mĂȘme devait ĂȘtre un parc, a trouvĂ© une application avec les fameuses « coulĂ©es vertes » du plan de Chandigarh. Mais, l’opposition de la « surface bĂątie » Ă  la « surface libre » y est radicale, Ă©tablissant celle-ci hors de toute Ă©chelle conviviale. Les concepts de base de l’urbanisme du 20e siĂšcle relatifs Ă  l’amĂ©nagement de l’espace public dĂ©rivent de la peur de la congestion due au trafic automobile. De cette confrontation et de cette hantise, confortĂ©es ensuite par l’accu-mulation de rĂšglements et de normes d’espacement, de hiĂ©rarchi-sation et d’utilisation de la voirie, rĂ©sultera de nombreux laissĂ©s pour compte. Par une Ă©tonnante ironie de l’histoire, les avatars de la « CitĂ© radieuse », devenue modĂšle des citĂ©s-dortoirs, semblent plutĂŽt avoir donnĂ© aux citadins le sentiment d’une scĂšne urbaine construite et minĂ©ralisĂ©e, coupĂ©e de la nature, soumise Ă  une es-thĂ©tique industrielle sans Ă©clat, asservie aux exigences de la flui-ditĂ©, de la vitesse automobile et de l’élargissement d’un maillage urbain dessaisissant le citadin de l’échelle de proximitĂ©.

La CitĂ© radieuse, souligne Olivier Mongin [2005 : 123], n’a pas de lieu, l’unitĂ© d’habitation n’a pas de sol, elle s’abstrait et se perche sur des pilotis : « Le site, le lieu proche, la culture de proximitĂ© sont du mĂȘme coup mis Ă  mal. » L’urbanisme fonctionnaliste a considĂ©-rĂ© le sol comme une grande toile de fond sur laquelle disposer des figures et des maillages destinĂ©s Ă  assurer la fluiditĂ© des circula-tions [Choay, 1965 : 35]. Dans les interstices Ă©merge la figure d’un espace libre et ouvert, neutre et homogĂšne, vaste et disponible, Ă©tendu mais dĂ©pourvu de structure. On y trouve certes beaucoup d’espace vide mais peu d’espace public, de la verdure mais peu de composition vĂ©gĂ©tale. L’esprit et l’intention de l’urbanisme fonc-tionnaliste Ă©taient lĂ©gitimes, mais les rĂ©alisations ont trop souvent abouti Ă  des espaces urbains caractĂ©risĂ©s par une gĂ©omĂ©trie rĂ©-

Page 8: 8UELD - UNIL

Les cahiers du développement urbain durable

- 7 -Institut de géographie

pétitive de tours et de barres semblables séparées par des vides « sans qualité », délaissés de voirie, enclavements préformatés, morceaux de gazon étiolés par le temps.

Dans le courant des annĂ©es 1970, l’urbanisme fonctionnaliste et fordiste est contestĂ©. « Ni bidonvilles ni villes bidon », tel sera un des slogans de Mai 68. La revendication est lucide et prospective annonçant dĂ©jĂ  une nouvelle demande collective. L’univers de bĂ©-ton et de bitume de l’habitat de masse de la ville contemporaine, minĂ©ralisĂ©e et mĂ©canisĂ©e, a tenu la nature hors la ville et nourri ainsi le rĂȘve de la maison individuelle Ă  la campagne. Au lieu de « la barre ou les pavillons », la ville contemporaine a produit « la barre et les pavillons » [Mangin, 204 : 342]. En quĂȘte de verdure, l’urbain se tourne progressivement vers le dehors, installant l’éta-lement comme la figure principale du nouveau rĂ©gime mĂ©tropoli-tain.

La ville s’est ainsi dilatĂ©e, elle est devenue diffuse et aux limites in-certaines. Si le rĂȘve de la maison pĂ©riurbaine ne se concrĂ©tise pas toujours, pour la majoritĂ© des citadins sa signification symbolique est certaine. Elle comporte un vaste contenu de reprĂ©sentations qui gardent toute leur puissance : rechercher une qualitĂ© de vie qu’on ne trouve plus dans les centres, se mettre Ă  l’abri des inter-fĂ©rences urbaines, se procurer une connivence avec l’espace vĂ©cu, vivre dans un « chez soi » rĂ©pondant Ă  de nouvelles normes de l’ha-biter, rechercher un contact fĂ©cond avec la nature. La qualitĂ© de vie est posĂ©e comme une nouvelle frontiĂšre du confort. Il ne s’agit plus seulement de doter des logements standardisĂ©s d’un Ă©quipe-ment sanitaire et Ă©lectromĂ©nager, mais de promouvoir l’accĂšs Ă  de nouveaux dispositifs urbains du bien-ĂȘtre, Ă  une qualitĂ© de la ville Ă  chercher en marge de ses noyaux d’urbanitĂ©.

Signe, parmi d’autres, de la poussĂ©e de ce que Giles Lipovetsky [2006 : 250] a appelĂ© le « nĂ©o-individualisme », la maison indi-viduelle est devenue le symbole de l’aspiration Ă  l’intimitĂ©, de la recherche de plaisirs protĂ©gĂ©s, du « refus d’un environnement subi et asphyxiant.» Cependant, tandis que le rĂ©gime urbain extensif se dĂ©ploie avec force, une attention nouvelle et diffuse est accordĂ©e aux dimensions qualitatives de l’habiter, Ă  l’affectivisation du rap-

Page 9: 8UELD - UNIL

URBIA - Introduction : Urbanisme végétal et agriurbanisme. La ville entre artifice et nature

Observatoire universitairede la Ville et duDĂ©veloppement durable

- 8 -

port esthĂ©tique Ă  la maison et Ă  l’espace public, Ă  une transforma-tion du rĂŽle des espaces publics dans la vie citadine.

Si le goĂ»t pour la maison individuelle et l’habitat vĂ©gĂ©talisĂ© (jar-dins, balcons et fenĂȘtres fleuris, plantes vertes) en zone pĂ©riur-baine indique une des dĂ©clinaisons de la nouvelle prĂ©Ă©minence de la thĂ©matique de la qualitĂ© de vie, de nouvelles rĂ©flexions s’organi-sent progressivement autour de quelques thĂšmes transversaux of-frant une alternative Ă  la « ville extensive » et une rĂ©ponse possible aux aspirations Ă  la qualitĂ© urbaine : construire la ville dans la ville, revitaliser les centres, densifier autour des axes et des carre-fours, Ă©difier de nouveaux noyaux de densitĂ© organisant un accĂšs polycentrĂ© aux Ă©quipements de l’urbanitĂ©, diversifier les formes urbaines et les types de logements, mieux gĂ©rer les ressources matĂ©rielles, qualifier l’espace public, rĂ©habiliter la prĂ©sence de la nature au sein de la ville, renforcer et relier les insularitĂ©s vertes de l’artifice urbain. Dans les annĂ©es 1990, le concept de ville durable se met en place et avec lui une rĂ©flexion novatrice sur de nouveaux dispositifs de rĂ©gulation [Da Cunha et al., 2006].

Développement urbain durable et urbanisme végétal : changer de regard

A l’ùre de la postmodernitĂ© et de l’écologie, le dĂ©veloppement ur-bain durable s’inscrit dans le rapport de la ville Ă  sa centralitĂ© et Ă  son histoire, Ă  son patrimoine et Ă  son avenir, mais aussi dans une recherche de qualitĂ© des espaces publics et de rapport renouvelĂ© avec les lieux et la nature. Dans ce contexte, le vĂ©gĂ©tal devient un Ă©lĂ©ment central des compositions urbaines et des opĂ©rations d’urbanisme rĂ©alisĂ©es dans un souci de viabilitĂ© et d’habitabilitĂ©. Il apporte attractivitĂ© et qualitĂ© au cadre de vie. Il participe Ă  la di-versitĂ© urbaine et au vivre ensemble. De nombreux projets urbains tĂ©moignent aujourd’hui d’une soif nouvelle de verdissement, qui est plus qu’un simple contrepoids Ă  l’envahissement minĂ©ral et Ă  la prĂ©sence angoissante d’espaces publics vides et sans Ăąme.

Lieux de repos et de dĂ©tente, de jeux et de loisirs, les espaces verts rĂ©pondent Ă  un souci de protection du patrimoine vĂ©gĂ©tal et de biodiversitĂ© autant qu’à une demande collective d’hĂ©donisation de

Page 10: 8UELD - UNIL

Les cahiers du développement urbain durable

- 9 -Institut de géographie

l’espace public et de qualitĂ© rĂ©sidentielle. Avec le dĂ©veloppement des temps libres, la nature en ville acquiert pour beaucoup une valeur de ressourcement, de santĂ© et de bien-ĂȘtre [LefĂšvre, 2008 : 69]. Si les partisans de l’art urbain avaient tendance Ă  esthĂ©tiser une scĂšne urbaine construite et minĂ©rale, Ă  l’ùre de l’écologie, la verdure est un emblĂšme urbain, synonyme de bien-ĂȘtre, rĂ©ponse Ă  une nouvelle quĂȘte d’expĂ©riences sensorielles et de conservation de la nature. A tel point que le palmarĂšs des villes vertes ou des villes fleuries est devenu un Ă©vĂ©nement mĂ©diatique incontournable [Boutefeu, 2007].

La recherche d’une nouvelle intensitĂ© vĂ©gĂ©tale n’est pas sans risques. La pensĂ©e et l’expĂ©rience d’une nouvelle esthĂ©tique ouvrent et limitent Ă  la fois le regard. La tentation consiste au-jourd’hui Ă  demander aux paysagistes de substituer l’espace vert Ă  l’espace ouvert et d’agencer quelques dĂ©corations vĂ©gĂ©tales mi-nimalistes, afin d’essayer de rĂ©parer les dĂ©rapages modernistes et de donner l’impression d’inverser la formule de la ville Ă  la cam-pagne en rĂ©pondant superficiellement aux aspirations, sans doute lĂ©gitimes, des habitants. La course Ă  l’esthĂ©tisation verdoyante est a priori sĂ©duisante, mais elle ne doit pas oblitĂ©rer une rĂ©flexion d’ensemble capable d’entrelacer les exigences de la densification et de la mobilitĂ© avec les fonctions rĂ©gulatrices de la vĂ©gĂ©tation dans les centres et dans les marges urbaines.

La rĂ©paration vĂ©gĂ©tale de l’espace public, laissĂ© en hĂ©ritage par un urbanisme hantĂ© par la fluiditĂ© des circulations et la rentabilisa-tion de l’offre fonciĂšre, est une piste pertinente pour autant qu’elle ne serve pas Ă  entĂ©riner la ville Ă©talĂ©e comme une fatalitĂ©. « Plus un territoire s’indiffĂ©rencie et se fragmente sous la pression de l’étalement urbain », souligne Pascal Amphoux, « plus il importe de concevoir des formes d’urbanisation groupĂ©es permettant de prĂ©-server des espaces naturels, sans lesquels la qualitĂ© du paysage et l’identitĂ© de chaque lieu d’habitation disparaissent » [Amphoux, 2009 : 12]. Les espaces verts urbains ont des fonctions multiples qui dĂ©pendent de leur taille, de leurs modalitĂ©s d’amĂ©nagement et de leur situation dans les agglomĂ©rations urbaines. Ces fonctions peuvent varier lorsqu’on se dĂ©place du centre vers le milieu pĂ©riur-bain et rural. Pour mettre en valeur la vĂ©gĂ©tation en ville et protĂ©-

Page 11: 8UELD - UNIL

URBIA - Introduction : Urbanisme végétal et agriurbanisme. La ville entre artifice et nature

Observatoire universitairede la Ville et duDĂ©veloppement durable

- 10 -

ger les espaces agricoles de l’étalement urbain, il est nĂ©cessaire de dĂ©finir des schĂ©mas verts structurants Ă  diffĂ©rentes Ă©chelles. Dans cette perspective, le vocabulaire de l’amĂ©nagement vĂ©gĂ©-tal ne peut se limiter Ă  des foncions dĂ©coratives ou Ă  des prises d’échelle particuliĂšres. Une gestion diffĂ©renciĂ©e des processus de densification et de requalification vĂ©gĂ©tal s’impose. La nouvelle grammaire gĂ©nĂ©rative de l’urbanisme durable s’en trouvera ainsi enrichie.

Ce qui rend justement intĂ©ressantes les propositions Ă©mergentes de l’urbanisme durable, c’est de relier la problĂ©matique de la densifica-tion Ă  celle de la requalification de l’espace public et des paysages de la ville dans une perspective de valorisation d’ensemble des espaces urbains. La dĂ©clinaison d’une politique des espaces verts suppose que les villes et les communes urbaines disposent d’un projet d’ensemble Ă  partir duquel elles exposent leurs intentions et concertent leurs actions dans une visĂ©e de gestion diffĂ©renciĂ©e de l’inĂ©vitable tension entre le vĂ©gĂ©tal et le minĂ©ral. De nombreuses rĂ©alisations europĂ©ennes indiquent d’ailleurs l’émergence d’une nouvelle relation dialectique entre densification et naturation ou-vrant la porte au pluralisme des modes de fabrication de la ville et Ă  la crĂ©ation d’ambiances urbaines originales, entrelaçant architec-ture bioclimatique, espaces verts et espaces bleus [Gauzin-MĂŒller, 2001 ; LefĂšvre, 2008 ; Charlot-Valdieu et Outrequin, 2009].

Bien au-delĂ  d’une rĂ©ponse banale et ponctuelle Ă  la demande rĂ©currente de « pittoresque urbain », l’urbanisme vĂ©gĂ©tal est au-jourd’hui un instrument nĂ©cessaire en vue de constituer l’espace public continu, accessible, variĂ© et partagĂ© dans une ville durable authentiquement vivante, ouverte au champ des possibles. Dans cette perspective, et en dĂ©tournant David Mangin [2004 : 345], la tĂąche urgente de l’urbanisme vĂ©gĂ©tal, consiste Ă  nous faire chan-ger de regard, Ă  nous aider Ă  rĂ©concilier la ville avec elle-mĂȘme et avec la nature, Ă  libĂ©rer la ville franchisĂ©e de l’empire trop exclusif du minĂ©ral, Ă  montrer que dĂ©veloppement durable et dĂ©veloppe-ment urbain sont indissociables.

Un changement de regard est en cours. Dans la perspective du développement urbain durable, densité du bùti, espace public et

Page 12: 8UELD - UNIL

Les cahiers du développement urbain durable

- 11 -Institut de géographie

urbanisme vĂ©gĂ©tal apparaissent aujourd’hui Ă©troitement liĂ©s. La densitĂ© a une valeur Ă©conomique, sociale et environnementale. Elle est plus Ă©conome en sol et en rĂ©seaux techniques. Bien public par excellence, elle utilise au mieux les ressources matĂ©rielles. Sa traduction morphologique fournit des repĂšres et des points d’ac-cĂ©lĂ©ration visuels et symboliques. Mais une plus grande densitĂ© laisse aussi davantage d’espace pour la collectivitĂ©. Densifier la ville amĂšne paradoxalement Ă  l’aĂ©rer. Le vide est utile. Il est le support inĂ©vitable d’une densitĂ© qualifiĂ©e. L’ombre des façades est compensĂ©e par la lumiĂšre qui inonde les espaces vides : places, belvĂ©dĂšres, esplanades et boulevards sont capables de mettre en scĂšne des Ă©difices et des paysages urbains. Dans les espaces denses, l’interaction entre le plein et le vide donne ainsi Ă  l’espace urbain un statut polymorphe, une signification esthĂ©tique, une am-biance et une qualitĂ©.

Qualifier l’espace urbain, transformer sa valeur Ă©conomique, so-ciale et Ă©cologique, tel serait le fondement de l’action urbanistique durable. Faire de l’espace public davantage un lieu de rencontre, de dĂ©tente, de flĂąnerie et de contemplation accessible Ă  tous, le saisir non pas comme une chose, une fonction rĂ©siduelle, mais comme une composition, le produit d’une « artialisation », telles seraient aussi les visĂ©es essentielles de l’urbanisme vĂ©gĂ©tal. Consi-dĂ©rĂ©e souvent comme secondaire, la prĂ©sence vĂ©gĂ©tale, « l’art des parcs et des jardins », doit aujourd’hui ĂȘtre repensĂ©e comme un Ă©lĂ©ment structurant de l’organisation urbaine.

Les espaces verts peuvent prendre des formes diffĂ©rentes et oc-cuper des surfaces et des emplacements variables selon leur aire d’influence et la diversitĂ© du milieu avoisinant. De l’unitĂ© d’habita-tion et du quartier Ă  la ville et Ă  l’agglomĂ©ration, les dispositions vĂ©gĂ©tales (jardins, parcs de quartier, promenades, parcs urbains, forĂȘts-promenades, etc.) peuvent participer Ă  la mise en place de structures urbaines plus lisibles pour les piĂ©tons et les cyclistes, mais aussi pour les automobilistes.

Les vĂ©gĂ©taux, mĂȘme dĂ©foliĂ©s, souligne Stefulesco [1993 : 70], constituent des volumes comparables aux structures architectu-rales. Les trames vĂ©gĂ©tales « doublent les façades d’une masse

Page 13: 8UELD - UNIL

URBIA - Introduction : Urbanisme végétal et agriurbanisme. La ville entre artifice et nature

Observatoire universitairede la Ville et duDĂ©veloppement durable

- 12 -

vĂ©gĂ©tale identique et comblant les espaces rĂ©siduels pour assurer la continuitĂ© de la volumĂ©trie urbaine », elles peuvent aussi « intro-duire une continuitĂ©, souligner un ordonnancement du bĂąti, relier des volumes disparates ou structurer des espaces dĂ©sorganisĂ©s ». A toutes les Ă©chelles, la vĂ©gĂ©tation contribue Ă  structurer et Ă  faire vivre le tissu urbain au rythme des saisons, des changements de couleurs, du mouvement sculptĂ© des feuillages. La crĂ©ation d’un ensemble vĂ©gĂ©tal, le choix des essences (dimensions et formes des arbres, caduques ou permanentes, couleur des feuillages, etc.) est un art qui permet de valoriser une figure urbaine, de crĂ©er un re-pĂšre, une orientation, une transition visuelle entre une façade et la rue, d’apporter ombre et fraĂźcheur.

Composer la ville avec des vĂ©gĂ©taux signifie ordonner de maniĂšre appropriĂ©e dans les plans horizontal et vertical des structures li-sibles par les citadins. La structuration de l’espace se reflĂšte dans un arrangement vĂ©gĂ©tal tenant compte de variations affectant les tailles et les couleurs en fonction de l’éloignement. Etagements en hauteurs, groupements et alignements, allĂ©es, massifs et surfaces gazonnĂ©es de tailles, formes, couleurs et textures diverses bordent et structurent l’espace urbain en l’inscrivant dans le rythme des saisons. Contraste et Ă©quilibre, rĂ©pĂ©tition, rythme et ordonnan-cement sont des idĂ©es-force de l’urbanisme vĂ©gĂ©tal. Les plans et les schĂ©mas verts permettent de mobiliser les savoirs paysagers afin de dĂ©finir des stratĂ©gies globales d’amĂ©nagement urbain, ca-pables de rĂ©guler la conduite de chaque opĂ©ration vers un projet urbain cohĂ©rent et de qualitĂ©.

Le travail sur les lieux est aussi un travail sur le lien et la crĂ©ation de sens. Les rapports entre la nature et le bĂąti structurent l’identitĂ© des espaces urbains. L’ambivalence entre l’artificiel et le naturel, entre les composantes statiques et vivantes, constitue un des aspects les plus fascinants d’un l’urbanisme durable qui se place volontiers aux antipodes de la ville mĂ©canique en remettant au premier plan une nouvelle alliance entre la ville et la nature, l’art et la verdure, la com-pacitĂ©, l’intensitĂ© vĂ©gĂ©tale et la qualitĂ© des espaces publics. Il est important que les amĂ©nagistes, les paysagistes, les gestionnaires et les citadins travaillent de concert Ă  l’élaboration du projet vĂ©gĂ©tal et de sa mise en Ɠuvre. L’artifice urbain est mĂ©diation. L’utilisation

Page 14: 8UELD - UNIL

Les cahiers du développement urbain durable

- 13 -Institut de géographie

du vĂ©gĂ©tal dans la production de la qualitĂ© urbaine est une maniĂšre de rĂ©pondre Ă  la demande sociale et de reprĂ©senter ainsi de façon jubilatoire le bonheur de vivre avec l’autre. C’est tout un savoir Ă  mobiliser et Ă  partager. Les articles prĂ©sentĂ©s ici tĂ©moignent de ma-niĂšre diverse de cette visĂ©e.

RĂ©pondre Ă  une nouvelle demande sociale, qualifier les espaces publics, relier la ville Ă  la campagne

L’habitant Ă©tant Ă  la fois usager de fonctions et pratiquant de formes sensibles issues de l’édification urbaine, son rĂŽle est es-sentiel. Et les citadins ne se trompent pas. De maniĂšre rĂ©currente, ils revendiquent avec force leur attachement Ă  toute forme de prĂ©sence vĂ©gĂ©tale. L’histoire rĂ©cente de l’urbanisme semble leur donner raison. Ce Cahier consacrĂ© Ă  la « nature en ville » s’ouvre justement par un article dans lequel Emmanuel Boutefeu ex-pose les rĂ©sultats d’une enquĂȘte conduite Ă  Lyon dans le but de mieux connaĂźtre la demande sociale en lieux de nature en ville. La prĂ©sence d’espaces verts demeure, dit-il, un des premiers Ă©quipe-ments publics spontanĂ©ment citĂ©s par les personnes interrogĂ©es pour amĂ©liorer la qualitĂ© de vie en ville. Son propos est de cer-ner les tenants et les aboutissants de la « fiĂšvre verte » qui s’em-pare des citadins et de dresser un Ă©tat des lieux de la demande sociale en espaces verts accessibles au public. La littĂ©rature sur les pratiques et les reprĂ©sentations des habitants concernant le milieu naturel et l’espace vert urbain en particulier est trĂšs dense. L’étude confirme le degrĂ© de « saillance » ou d’importance que re-vĂȘt le « vert » des quartiers pour les habitants soit en termes de satisfaction, soit en termes d’image.

En effet, loin d’ĂȘtre accessoires, les espaces publics verts remplis-sent des fonctions bien identifiĂ©es : Ă©cologiques (conservation de la biodiversitĂ©, amĂ©lioration des conditions climatiques, rĂ©gulation du bilan hydrologique, Ă©puration de l’air, rĂ©duction du bruit, brise-vent, refuge et nourriture pour la faune, etc.) ; spatiales (repĂšre, signalisation, guidage optique, sĂ©paration, etc.) ; esthĂ©tiques, ludiques et symboliques (dĂ©coration, crĂ©ation d’une ambiance, proximitĂ© avec la nature, etc.). DestinĂ©s Ă  l’agrĂ©ment et au plai-sir des citadins, ils constituent une nĂ©cessitĂ© de la vie urbaine, un

Page 15: 8UELD - UNIL

URBIA - Introduction : Urbanisme végétal et agriurbanisme. La ville entre artifice et nature

Observatoire universitairede la Ville et duDĂ©veloppement durable

- 14 -

Ă©quipement urbain au mĂȘme titre que les autres. Disponibles pour tous, sans discrimination, ils crĂ©ent l’image de la ville, un dĂ©cor familier, ils soulignent ou allĂšgent ses traits, son Ă©lĂ©gance. Regar-dant l’urbain Ă  la fois comme un Ă©cosystĂšme, un paysage, une rela-tion sensorielle et esthĂ©tique qui s’établit en un lieu et un moment donnĂ©s, entre l’habitant et toutes les nuances de l’espace qu’il vit et parcourt, l’urbanisme durable devrait ainsi pouvoir contribuer Ă  restaurer l’intimitĂ© entre les pleins et les vides, entre le minĂ©ral et le vĂ©gĂ©tal, entre l’homme et la ville.

Nathalie Blanc souligne justement cette restauration de la nature en ville. Une rĂ©volution silencieuse, dit-elle, s’opĂšre sous nos yeux. AprĂšs une « dĂ©naturalisation », la ville veut connaĂźtre et reconnaĂźtre sa nature. De nouvelles formes d’urbanitĂ© tĂ©moignent, selon Nathalie Blanc, d’une aspiration forte Ă  plus de nature par la valorisation des paysages urbains mais aussi d’une gestion Ă©cologique du patrimoine vĂ©gĂ©tal. « L’on repense les liens Ă  la nature et les bĂ©nĂ©fices que le ci-tadin en tire. Une ingĂ©nierie Ă©cologique naĂźt : elle prend appui sur des compĂ©tences en termes d’écologie du paysage couplĂ©e avec une Ă©co-logie vĂ©gĂ©tale et animale ainsi que sur des savoirs dans le domaine de l’anthropologie de la nature et de la gĂ©ographie de l’environnement. » La pertinence des actions publiques en matiĂšre de verdissement ur-bain est analysĂ©e Ă  trois niveaux : le premier relĂšve de la tradition en matiĂšre d’urbanisme vĂ©gĂ©tal et renvoie au concept de dĂ©cor urbain ; le deuxiĂšme, met l’accent sur la qualitĂ© du milieu urbain en termes de fonctionnement du systĂšme Ă©cologique et des rapports des cita-dins Ă  l’environnement. Enfin, le troisiĂšme interroge la maniĂšre dont l’urbanisme vĂ©gĂ©tal participe Ă  l’édification d’une ville Ă©cologique Ă  l’échelle des agglomĂ©rations et des mĂ©tropoles urbaines. Dans ce do-maine, comme dans d’autres, la nĂ©cessaire planification des « Ă©quipe-ments verts » incite les collectivitĂ©s locales Ă  travailler ensemble et Ă  prendre en considĂ©ration les relations d’échelle.

C’est une piste de rĂ©flexion prolongĂ©e par Philippe Curdy dans une contribution qui identifie les principaux enjeux de la problĂ©-matique des espaces verts dans la ville de Lausanne en les situant dans le contexte de la politique de densification menĂ©e Ă  l’échelle de l’agglomĂ©ration.

Page 16: 8UELD - UNIL

Les cahiers du développement urbain durable

- 15 -Institut de géographie

La gouvernance pluridisciplinaire et une vision Ă  long terme sont nĂ©cessaires, dit-il, pour une bonne hiĂ©rarchisation des problĂšmes et la mise en place de mesures adaptĂ©es. Le registre est descriptif. Il montre de quelle maniĂšre le Service des parcs et des prome-nades de la ville-centre de l’agglomĂ©ration lausannoise cherche Ă  travailler avec d’autres acteurs urbains et Ă  plusieurs Ă©chelles. Une des rĂ©ponses aux enjeux environnementaux, sociaux et Ă©co-nomiques de l’urbanisme vĂ©gĂ©tal est la mise en place d’une ges-tion diffĂ©renciĂ©e qui intĂšgre les principes d’un comportement plus respectueux de l’environnement, et « dĂ©banalise » des lieux « stĂ©ri-lisĂ©s » par un entretien standardisĂ©. Ici et lĂ  on remplace le gazon par de la prairie, avec une grande variĂ©tĂ© d’herbes et de fleurs des champs qui attirent les insectes et recrĂ©ent Ă  petite Ă©chelle un Ă©co-systĂšme. Une piste d’action Ă  faire valoir Ă  l’échelle de la parcelle, du quartier et de l’agglomĂ©ration dans une visĂ©e de renforcement et de crĂ©ation de rĂ©seaux Ă©cologiques connectĂ©s assurant une bonne valeur d’usage des espaces verts.

Dans la mĂȘme veine, Anne-Marie Mokrani explore les potenti-alitĂ©s d’une dĂ©marche itĂ©rative entre l’agglomĂ©ration et la Ville de GenĂšve visant Ă  produire un systĂšme structurant d’espaces verts. Une augmentation de 200’000 habitants et 100’000 em-plois est attendue dans l’agglomĂ©ration d’ici 2030. Pour y faire face, le Projet d’agglomĂ©ration propose un concept d’agglomĂ©ra-tion compacte, multipolaire et verte. Rappelant la puissance vi-sionnaire du maillage vert proposĂ© en 1937 par Maurice Braillard, elle explique « comment la « voie verte » a trouvĂ© son chemin et ses points d’ancrage au sein d’un nouvel espace institutionnel et fonctionnel regroupant 204 communes de l’agglomĂ©ration franco-valdo-genevoise ». La « voie verte », charpente paysagĂšre de 22 km installĂ©e au cƓur de ce territoire en mouvement, intĂšgre plusieurs projets communaux d’un cĂŽtĂ© et de l’autre de la frontiĂšre. Projet de tracĂ© vert structurant, elle prend en compte des entitĂ©s Ă  va-leur Ă©cologique et dĂ©gage des surfaces servant de support Ă  une trame d’espaces publics et d’amĂ©nagements rĂ©crĂ©atifs et didac-tiques de qualitĂ© centrĂ©s sur l’usage de la mobilitĂ© douce et reliant la ville Ă  la campagne. La particularitĂ© du projet de voie verte est de constituer un projet gĂ©nĂ©rateur de lien et de continuitĂ© entre la ville et la campagne. Une problĂ©matique qui rejoint celle des deux

Page 17: 8UELD - UNIL

URBIA - Introduction : Urbanisme végétal et agriurbanisme. La ville entre artifice et nature

Observatoire universitairede la Ville et duDĂ©veloppement durable

- 16 -

contributions fermant le Cahier.

Nelly Niwa nous invite Ă  une rĂ©flexion sur les dynamiques Ă  l’oeuvre en Suisse et au Japon en matiĂšre d’infrastructures vertes et de pratiques d’agriculture intra-urbaine. Elle examine les stra-tĂ©gies mises en place par les agriculteurs pour survivre en milieu urbain et s’interroge sur la distinction bĂąti/non bĂąti. Se fondant sur l’étude de cas de Tokyo, Nelly Niwa affirme que la nature en ville pourrait ĂȘtre agricole, sous rĂ©serve que la forme hybride ville-agriculture devienne lĂ©gitime dans un contexte europĂ©en ou le vide et le plein ont traditionnellement Ă©tĂ© opposĂ©s. L’évocation de la prĂ©sence de l’agriculture dans la ville inverse la formule sĂ©cu-laire de la ville Ă  la campagne. La thĂšse est sujette Ă  controverse. Dans un contexte oĂč la ville compacte est devenue effectivement un des principes directeurs du dĂ©veloppement urbain, l’agriculture urbaine pourrait bien ĂȘtre « le vilan petit canard des villes ». Cela Ă©tant, la proposition invite Ă  un approfondissement de la rĂ©flexion sur les interfaces entre l’urbanisme « dur » et l’urbanisme vĂ©gĂ©tal, la nature en ville et l’agriculture intra-urbaine, la petite/grande agriculture et l’urbanisation aux portes de la ville. Nelly Niwa re-lĂšve les avantages de cette hybridation urbaine qui nous permet-trait de sortir de l’univers dualiste de l’oppositio ville-campagne : l’agriculture urbaine, affirme-t-elle, permet aux citadins d’avoir ac-cĂšs Ă  un marchĂ© proche et d’approvisionner la ville en rĂ©duisant les coĂ»ts liĂ©s aux transports, aux emballages et Ă  la rĂ©frigĂ©ration. La possibilitĂ© de mettre en place des filiĂšres courtes permettrait d’augmenter la rentabilitĂ© Ă©conomique des petites exploitations en les rendant plus compĂ©titives par rapport aux exploitations plus Ă©loignĂ©es de la ville. Cependant, une partie de ces avantages sont nuancĂ©s par d’autres approches.

Portant leur regard sur les transformations en cours dans la cein-ture verte de l’ Île-de-France, Roland Vidal et AndrĂ© Fleury plai-dent en faveur d’un agriurbanisme capable Ă  la fois de contenir l’étalement urbain, d’inventer des alternatives au pavillonnaire et de respecter les fonctionnalistes d’une agriculture moderne. Quelle que soit leur dimension, les exploitations agricoles, disent-ils, n’ont pas pour vocation d’occuper des espaces rĂ©siduels laissĂ©s par une urbanisation irrĂ©flĂ©chie. Des contraintes spatiales doivent

Page 18: 8UELD - UNIL

Les cahiers du développement urbain durable

- 17 -Institut de géographie

ĂȘtre respectĂ©es dans les projets d’extension urbaine, l’enjeu Ă©tant d’éviter l’enclavement urbain et la dĂ©structuration de l’espace agricole conduisant, Ă  terme, Ă  son enfrichement. La confusion nature-agriculture et l’idĂ©alisation de la ferme d’autrefois peut dresser des barriĂšres infranchissables entre le citadins et le agri-culteurs pĂ©riurbains. Le regard sur une agriculture de proximitĂ© est critique. Le dĂ©sir de campagne des citadins se double d’une certaine nostalgie qui les conduit Ă  rechercher une alimentation de proximitĂ© sans toujours mesurer le rĂ©el impact environnemen-tal. Pour ces deux auteurs, le succĂšs croissant des ventes sur place et des cueillettes Ă  la ferme constituent « la forme la plus polluante de la distribution alimentaire. » Les « locavores » ont certainement raison, disent-ils, lorsqu’ils dĂ©noncent l’arrivĂ©e sur les marchĂ©s des pays riches de produits frais lointains. Cependant, lorsque ces idĂ©es « conduisent Ă  concevoir des projets d’urbanisme qui inven-tent une agriculture de proximitĂ© en imaginant que les habitants vont aller tout naturellement y faire les courses en rentrant du tra-vail, on condamne les agriculteurs qui voudraient bien s’y prĂȘter Ă  un Ă©chec Ă©conomique certain. »

En rĂ©sumĂ©, les contributions rĂ©unies dans ce Cahier apportent un Ă©clairage sur de multiples pistes de questionnement associĂ©es Ă  l’urbanisme vĂ©gĂ©tal, Ă  l’agriurbanisme, au dĂ©bat public et au dĂ©-veloppement urbain durable. Les diffĂ©rents articles montrent que la nature est devenue indiscutablement une rĂ©alitĂ© urbaine. IgnorĂ© pendant les Trente glorieuses, relĂ©guĂ© par la vulgate fonctionna-liste Ă  un rĂŽle de dĂ©cor pour agrĂ©menter les espaces rĂ©siduels ac-compagnant les Ă©quipements et les constructions, le vĂ©gĂ©tal, sous toutes ses formes, devient aujourd’hui une composante essentielle des projets urbains conçus dans une perspective durabiliste. De nombreux projets s’appuient sur une structure de « boulevards urbains » largement plantĂ©s, ou s’orientent vers la crĂ©ation de « coulĂ©es vertes » dans les villes, afin de mĂ©nager une continuitĂ© des couloirs de biotope, de renforcer la biodiversitĂ©, d’assurer la cohĂ©rence des infrastructures vertes, de « couturer » les fractures urbaines », de restaurer et de crĂ©er de « nouvelles ambiances ur-baines », de recrĂ©er de nouveaux liens entre la ville et la campagne et d’inventer de nouvelles alliances entre les citadins et les agri-culteurs capables de mĂ©nager une Ă©conomie agricole enclavĂ©e

Page 19: 8UELD - UNIL

URBIA - Introduction : Urbanisme végétal et agriurbanisme. La ville entre artifice et nature

Observatoire universitairede la Ville et duDĂ©veloppement durable

- 18 -

et marginalisée par les infrastructures urbaines de la ville et sa pression fonciÚre.

Dans la ville durable, la liaison vĂ©gĂ©tale est une alternative offrant un parcours de promenade au citadin pour se dĂ©placer d’un quar-tier Ă  l’autre, pour rejoindre un Ă©quipement utilisant toute les res-sources de la mobilitĂ© douce, ou pour sortir de la ville. La possibili-tĂ© d’effectuer en continu un parcours dans la ville est une maniĂšre d’étendre les plaisirs de la promenade Ă  l’ensemble de la ville et de sa pĂ©riphĂ©rie. C’est ainsi que naissent, ici et lĂ , Ă  l’intĂ©rieur des villes apparentes, d’autres villes qui se laissent parcourir d’un pied presque entiĂšrement vert.

Les projets d’urbanisme vĂ©gĂ©tal ou d’agriurbanisme constituent des leviers majeurs de la ville durable. De plus en plus de com-munes soucieuses de la qualitĂ© de vie en milieu urbain prennent conscience des enjeux sociaux, culturels et Ă©conomiques que re-prĂ©sentent la prĂ©servation et la recrĂ©ation des espaces verts, la protection du patrimoine vĂ©gĂ©tal et de la biodiversitĂ©, la prĂ©serva-tion des terres agricoles de la pression urbaine. Les projets urbains et territoriaux doivent faire l’objet de projections qui anticipent la succession des effets et des mesures d’entretien Ă  mesure qu’ils Ă©voluent dans le temps. Les diffĂ©rentes contributions prĂ©sentĂ©es dans ce Cahier montrent que le bon usage de la nature en ville tient autant Ă  une gestion diffĂ©renciĂ©e et adaptĂ©e aux Ă©chelles d’amĂ©nagement qu’à la mise en place de collaborations intenses et inventives entre les Ă©lus, les habitants et l’ensemble des profes-sionnels de la ville.

Page 20: 8UELD - UNIL

Les cahiers du développement urbain durable

- 19 -Institut de géographie

Bibliographie

Amphoux, P. (2009) « La notion de motif, un outil d’analyse et de projĂ©tation des rapports entre urbanisation et naturation dans les territoires suburbains », Tra-cĂ©s, 6, pp. 12-15.

Boutefeu, E. (2007) Ne plus tenir la nature hors la ville, Certu, Paris.(www.certu.fr/fr/_Ville_et_environnement-n29)

Boutefeu, E. (2008) BrĂšve histoire contemporaine de l’urbanisme vĂ©gĂ©tal, Certu, Paris. (www.certu.fr/fr/_Ville_et_environnement-n29)

Certu (2001) Composer avec la nature en ville, Certu/Puca. Lyon.Charlot-Valdieu, C. et Outrequin, Ph. (2008) L’urbanisme durable.

Concevoir un Ă©coquartier, Le Moniteur, Paris.Choay, F. (1965) L’urbanisme. Utopies et rĂ©alitĂ©s, Ed. du Seuil, Pa-

ris. Da Cunha, A., Knoepfel, P., Leresche, J.-P., Nahrath, S. et al. (2005)

Enjeux du développement urbain durable, Trans-formations urbaines, gestion des ressources et gouvernance, Presses Polytechniques et Univer-sitaires Romandes, Lausanne.

Gauzin-MĂŒller, D. (2001) L’architecture Ă©cologique, Le Moniteur, Paris.

Kahn, L. (1996) Silence et lumiĂšre, Choix de confĂ©rences et d’entre-tiens, 1955 – 1974, Ed. du Linteau, Paris.

Lefùvre, P. (2008) Voyages dans l’Europe des villes durables, Cer-tu/Puca, Paris.

Lipovetsky, G. (2006) Le bonheur paradoxal, Gallimard, Paris.Mangin, D. (2004) La ville franchisée. Formes et structures de la

ville contemporaine, Ed. de la Villette, Paris.Mongin, O. (2005) La condition urbaine, La ville à l’heure de la

mondialisation, Ed. du Seuil, Paris.Merlin, P. et Choay, F. (2005) Dictionnaire de l’urbanisme et de

l‘amĂ©nagement, PUF, Paris.Hucy, W. et al. (2005) « L’habitabilitĂ© des milieux urbains : un objet

au croisement des disciplines », in La ville du-rable du politique au scientifique, Mathieu, N., et Guermond, Y. (eds.), Cemagref/Cirad/INRA, Paris, pp. 237-260.

Page 21: 8UELD - UNIL

URBIA - Introduction : Urbanisme végétal et agriurbanisme. La ville entre artifice et nature

Observatoire universitairede la Ville et duDĂ©veloppement durable

- 20 -

Lipovetsky, G. (2006) Le bonheur paradoxal, Galimmard, Paris.Paquot, Th. (1994) « La nouvelle nature de l’urbanisme », in Urba-

nisme, no. 278-279, pg. 51-54.Pincetl, S. (2005) « La durabilté urbaine et la nature en ville : le be-

soin d’interdisciplinaritĂ© », in La ville durable du politique au scientifique, Mathieu, N. et Guer-mond, Y.(eds.), Cemagref/Cirad/INRA, pp. 209-220, Paris.

Stefulesco, C. (1993) L’urbanisme vĂ©gĂ©tal, IDF, Paris.

Page 22: 8UELD - UNIL

Les Cahiers du développement urbain durable

Urbanisme végétal et agriurbanisme

Numéro 8 - juin 2009

URB

IAN

umér

o 8

Observatoire universitairede la Ville et duDĂ©veloppement durable

Antonio da Cunha Introduction : Urbanisme végétal et agriurbanisme La ville entre artifice et nature

Emmanuel Boutefeu

La demande sociale de nature en ville EnquĂȘte auprĂšs des habitants de l’agglomĂ©ration lyonnaise

Nathalie Blanc Vers un urbanisme Ă©cologique ?

Curdy Philippe

La gestion des espaces verts dans la ville : entre densification urbaine et préservation de la (bio)diversité sociale et naturelle

Anne-Marie Mokrani

Du maillage vert de 1936 Ă  la voie verte d’agglomĂ©ration : genĂšse du projet

Nelly Niwa

La nature en ville peut-elle ĂȘtre agricole ? De la Suisse au Japon

Roland Vidal et Andre Fleury

AmĂ©nager les relations entre la ville et l’agriculture. De nouveaux enjeux territoriaux et une nouvelle approche « agriurbaniste »

n°8 - juin 2009

ISSN 1661-3708

Observatoire universitairede la Ville et duDĂ©veloppement durable

Institut de géographie

© Photographie : Marianne Thomann, mai 2009