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Médée préméditant le meurtre de ses enfants, fresque de la maison de Dioscuri, Italie, Pompéi, inv. 8977
Séquence Les réécritures
Document complémentaire
PEINTURE POMPÉI ENTIÈRE
C’est la Médée méditante de la maison des Dioscures.
D’abord « med » est la racine du nom de Médée. Du nom de Médée, trois mots, en latin, en
italien, en français, dérivent encore. Midi. Médecine. Méditer.
Je reprends ces trois points. Médée est midi. Médée est la petite fille du Soleil. Le soleil à son plus
haut définit midi. C’est le moment le plus brillant du jour. C’est le point le plus haut du parcours de
l’astre dans le ciel. C’est le moment le plus visible du temps.
Le mot de médecine vient du nom de Médée la magicienne. Les « médecines » de « Médée », ce
sont les onguents, les oints, les christs, les baumes, tout ce qui permet à Médée de re-médier.
Enfin Médée est celle qui médite (meditari), qui pré-médite, c’est-à-dire qui voit à l’avance, qui
voit en songe.
De même que le mot de méditation en latin procède du nom même de Médée, de même se tient
derrière Médée la Magna Mater, la Grande Mère de la montagne, Mèter Oreia. Elle est la chamane
qui voit, à l’intérieur d’elle-même, ce qui monte et va surgir.
En grec les medea, ce sont les testicules, que les hommes se tranchent avec le couteau de pierre et
qu’ils déposent sur l’autel de cette même Grande Mère, de Cybèle.
Kronos prit, des mains de sa mère, la faucille, et coupa les medea du Ciel. Les couilles tombèrent
dans l’océan. Aphrodite surgit de cette écume.
Aphro-dite veut dire la produite de l’aphros, celle qui est née de l’écume du père dans la mer.
Comme Aphrodite est la fille du Ciel, Médée est la fille du Temps.
Médée est Midi, c’est-à-dire : elle est le temps arrêté en elle.
À midi, arrivé au plus haut du ciel, le soleil arrête sa course, lâche les rênes.
Midi Médée médite.
Sur la fresque de la maison des Dioscures Médée est debout dans le temple d’Héra.
Midi Médée médite.
Elle a un air étrange, recueilli. Elle tient ses paupières baissées. Ce qu’elle médite monte en elle.
Elle n’a pas encore d’intention. Elle hésite. Elle aime les petits. Elle hait son époux. Quelle est la
plus grande joie pour une femme ? Se venger de son époux qui lui a été infidèle ? Préserver les
petits qu’elle a eus de lui ? Elle est partagée : elle médite. Elle est déchirée : elle médite. Sa tête est
penchée sur la droite. Elle est extraordinairement belle et dense. Elle se tient toute droite, face à
nous à l’extrémité droite de la fresque. Cela grandit en elle. Elle tient toute droite, à deux mains, son
épée contre son flanc.
Tout à fait sur la gauche, on voit le vieux pédagogue Tragos qui surveille les enfants.
Presque au centre de la fresque, les deux enfants, Merméros et Phérès, jouent aux osselets qu’ils
sont en train de devenir.
Bien sûr, soudain elle va les tuer – mais on ne la voit pas tuer.
Bien sûr, aussitôt après, elle soulèvera sa tunique ; elle écartera ses jambes ; avec son épée elle
nettoiera l’intérieur de sa vulve de toute trace du troisième enfant qu’elle a conçu de Jason – mais
on ne voit rien de tout cela.
Mèdeios est le nom de l’enfant non né – du troisième enfant qui ne naquit jamais, que sa mère,
Mèdeia, nettoya avec le fer de son épée avant que son corps parût dans le jour. La peinture antique
ne montre jamais l’anecdote. On n’assiste pas au geste cruel. On voit seulement, dans une autre
fresque
- dans la Médée d’Herculanum - par la position de l’épée posée sur le bombement du sexe maternel,
une étrange contiguïté.
Dans les œuvres antiques les éléments sont le plus souvent laissés épars, comme des pièces de
puzzle déversées en vrac sur l’espace de la table – et qui n’ont pas encore configuré l’image qui
dans l’espace de la peinture est absente.
ZOOM TÊTE MÉDÉE
À l’intérieur du temple d’Héra Médée abandonnée médite. Elle est toute entière à l’écoute de son
corps au sein duquel les forces se combattent. La méditation dans le monde antique s’imagine
comme un débat de voix qui a lieu à l’intérieur du corps. D’étranges envies terribles s’avancent en
elle, divergent en elle, s’opposent en elle, parlent en elle.
Elle dialogue avec elle-même.
Elle pense - et il faut méditer cet air, sur son visage, qui n’a rien de furieux. C’est même un air
paisible. Ou même, un air heureux. Elle est peut-être heureuse. Le songe de vengeance peut-être
l’enchante-t-il. Peut-être la peine de Jason, qu’elle aperçoit comme un horizon, l’emplit-elle de
bonheur. Le temps autour d’elle, à la limite d’elle, concentré à l’intérieur de son visage, entre son
front couvert de lumière et ses yeux, semble arrêté. De même que dans la volupté, le temps est
comme entièrement épanché, de même une joie intense vient se déverser, sa bouche s’entrouvre. Il
est vrai qu’une allégresse fabuleuse peut envahir le corps quand on songe à la souffrance qu’on peut
infliger à celui qu’on hait le plus au monde.
En amont du temps, indécise, la Medea de Sénèque écoute l’une et l’autre des forces qui
s’affirment en elle.
Peu à peu quelque chose se lève en elle et va l’emporter.
Comme le soleil monte, comme il se lève sur le monde, Médée, debout, s’érige sur la paroi.
Le glaive dressé à l’extrême droite de la fresque accentue cette rigidité qui a saisi son corps.
Elle est en proie à la poussée de la force.
Elle va être aux prises avec la marée montante de sa détermination, ou de sa pacification, ou de
l’augmentation vindicative qui peut aller jusqu’à l’explosion colérique.
C’est ainsi que la fresque solaire, grecque, si éclatante, si vaste, de Pompéi, la fresque plus
sombre, plus anxieuse, toute droite, verticale, romaine, d’Herculanum, présentent toutes deux
Médée à la croisée des chemins de sa colère. Comment est montrée la pensée ? La pensée est
montrée dans « l’instant d’avant » de la décision qui peut être aussi bien celle de la mort comme elle
peut être celle de la vie. À sa droite, les enfants jouent encore.
Ce qui est montré sur les fresques antiques, ce n’est pas du tout ce que les modernes y perçoivent :
ce n’est pas Médée méditant ses meurtres. Il est possible qu’au contraire, aux yeux du peintre
fresquiste, Médée cherche de toutes ses forces à émousser son désir de vengeance et prépare sa
pitié, son pardon, son apatheia. Rien ne dit en tout cas qu’elle cherche, ou non, à amplifier ou à
dériver l’élan (ce que les Stoïciens appellent la hormè) qui la traverse, à exciter ou à réprimer sa
colère.
Elle est comme l’orage.
Elle est comme l’orage à l’instant où la nuée s’accumule dans le ciel, avant qu’on sache s’il passe
ou s’il crève.
Plus précisément encore : la peinture antique ne représente pas l’action qu’elle évoque : elle figure
l’instant qui la précède. Sur les deux fresques qui nous restent de l’antiquité, Médée est exactement
le temps suspendu avant l’orage (le silence, l’immobilité, la lourdeur avant que l’orage tonne,
illumine, éclate, dévaste le lieu).
Dans le moment que représente la peinture romaine, l’anecdote est absente, on ignore encore
l’action qui va survenir.
Pascal Quignard, extrait de la conférence Comment figurer la pensée ?
Séquence Les Réécritures
Texte 1
Souverains protecteurs des lois de l’hyménée,
Dieux garants de la foi que Jason m’a donnée,
Vous qu’il prit à témoin d’une immortelle ardeur
Quand par un faux serment il vainquit ma pudeur,
Voyez de quel mépris vous traite son parjure,
Et m’aidez à venger cette commune injure :
S’il me peut aujourd’hui chasser impunément,
Vous êtes sans pouvoir ou sans ressentiment.
Et vous, troupe savante en noires barbaries,
Filles de l’Achéron, pestes, larves, Furies,
Fières sœurs, si jamais notre commerce étroit
Sur vous et vos serpents me donna quelque droit,
Sortez de vos cachots avec les mêmes flammes
Et les mêmes tourments dont vous gênez les âmes ;
Laissez-les quelque temps reposer dans leurs fers ;
Pour mieux agir pour moi faites trêve aux enfers.
Apportez-moi du fond des antres de Mégère
La mort de ma rivale, et celle de son père,
Et si vous ne voulez mal servir mon courroux,
Quelque chose de pis pour mon perfide époux :
Qu’il coure vagabond de province en province,
Qu’il fasse lâchement la cour à chaque prince ;
Banni de tous côtés, sans bien et sans appui,
Accablé de frayeur, de misère, d’ennui,
Qu’à ses plus grands malheurs aucun ne compatisse ;
Qu’il ait regret à moi pour son dernier supplice ;
Et que mon souvenir jusque dans le tombeau
Attache à son esprit un éternel bourreau.
Jason me répudie ! et qui l’aurait pu croire ?
S’il a manqué d’amour, manque-t-il de mémoire ?
Me peut-il bien quitter après tant de bienfaits ?
M’ose-t-il bien quitter après tant de forfaits ?
Sachant ce que je puis, ayant vu ce que j’ose,
Croit-il que m’offenser ce soit si peu de chose ?
Quoi ! mon père trahi, les éléments forcés,
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D’un frère dans la mer les membres dispersés,
Lui font-ils présumer mon audace épuisée ?
Lui font-ils présumer qu’à mon tour méprisée,
Ma rage contre lui n’ait par où s’assouvir,
Et que tout mon pouvoir se borne à le servir ?
Tu t’abuses, Jason, je suis encor moi-même.
Tout ce qu’en ta faveur fit mon amour extrême,
Je le ferai par haine ; et je veux pour le moins
Qu’un forfait nous sépare, ainsi qu’il nous a joints ;
Que mon sanglant divorce, en meurtres, en carnage,
S’égale aux premiers jours de notre mariage,
Et que notre union, que rompt ton changement,
Trouve une fin pareille à son commencement.
Déchirer par morceaux l’enfant aux yeux du père
N’est que le moindre effet qui suivra ma colère ;
Des crimes si légers furent mes coups d’essai :
Il faut bien autrement montrer ce que je sai ;
Il faut faire un chef-d’œuvre, et qu’un dernier ouvrage
Surpasse de bien loin ce faible apprentissage.
Mais pour exécuter tout ce que j’entreprends,
Quels dieux me fourniront des secours assez grands ?
Ce n’est plus vous, enfers, qu’ici je sollicite :
Vos feux sont impuissants pour ce que je médite.
Auteur de ma naissance, aussi bien que du jour,
Qu’à regret tu dépars à ce fatal séjour,
Soleil, qui vois l’affront qu’on va faire à ta race,
Donne-moi tes chevaux à conduire en ta place :
Accorde cette grâce à mon désir bouillant.
Je veux choir sur Corinthe avec ton char brûlant :
Mais ne crains pas de chute à l’univers funeste ;
Corinthe consumé garantira le reste ;
De mon juste courroux les implacables vœux
Dans ses odieux murs arrêteront tes feux.
Créon en est le prince, et prend Jason pour gendre :
C’est assez mériter d’être réduit en cendre,
D’y voir réduit tout l’isthme, afin de l’en punir,
Et qu’il n’empêche plus les deux mers de s’unir.
Corneille, Médée, Acte I scène 4, 1635.
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Séquence Les Réécritures
Texte 2
Est-ce assez, ma vengeance, est-ce assez de deux morts ?
Consulte avec loisir tes plus ardents transports.
Des bras de mon perfide arracher une femme,
Est-ce pour assouvir les fureurs de mon âme ?
Que n’a-t-elle déjà des enfants de Jason,
Sur qui plus pleinement venger sa trahison !
Suppléons-y des miens ; immolons avec joie
Ceux qu’à me dire adieu Créuse me renvoie :
Nature, je le puis sans violer ta loi ;
Ils viennent de sa part, et ne sont plus à moi.
Mais ils sont innocents ; aussi l’était mon frère ;
Ils sont trop criminels d’avoir Jason pour père ;
Il faut que leur trépas redouble son tourment ;
Il faut qu’il souffre en père aussi bien qu’en amant.
Mais quoi ! j’ai beau contre eux animer mon audace,
La pitié la combat, et se met en sa place :
Puis, cédant tout à coup la place à ma fureur,
J’adore les projets qui me faisaient horreur :
De l’amour aussitôt je passe à la colère,
Des sentiments de femme aux tendresses de mère.
Cessez dorénavant, pensers irrésolus,
D’épargner des enfants que je ne verrai plus.
Chers fruits de mon amour, si je vous ai fait naître,
Ce n’est pas seulement pour caresser un traître :
Il me prive de vous, et je l’en vais priver.
Mais ma pitié renaît, et revient me braver ;
Je n’exécute rien, et mon âme éperdue
Entre deux passions demeure suspendue.
N’en délibérons plus, mon bras en résoudra.
Je vous perds, mes enfants ; mais Jason vous perdra ;
Il ne vous verra plus… Créon sort tout en rage ;
Allons à son trépas joindre ce triste ouvrage.
Corneille, Médée, Acte V scène 2, 1635.
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Séquence Les Réécritures
Texte 3
Mes enfants, je suis là, à nouveau.
La dernière fois, je vous tenais dans mes bras.
La dernière fois, je vous couvrais de baisers
Et mon étreinte suffisait à peine à étouffer vos cris.
La dernière fois...
Je suis dans la maison.
Je vous attends.
Je me suis préparée.
Vous rentrez, essoufflés,
Vous avez couru dans les collines de l'été,
La sueur mouille vos cheveux.
Vous demandez à boire.
Je vous verse moi-même de l'eau et vous souriez.
Vous vous blottissez contre moi, vous ne voyez pas, dans mes
yeux, la détermination du couteau.
Vous vous blottissez comme des chiots sur les flancs de la chienne,
Demandant des baisers,
Cherchant la chaleur de ma bouche.
Je ne tremble pas.
Mes enfants,
Vous jouez avec mes cheveux.
Vous vous chamaillez sur mon sein.
Je vous regarde comme une mère regarde ses enfants.
Je vous souris.
Je cherche de la main le couteau que j'ai aiguisé le matin.
Je vous prends alors dans mes bras,
Fort,
Comme nous le faisions parfois pour jouer.
Je serre
Et vous riez de cette étreinte, vous riez d'asphyxie.
Je serre encore.
Je glisse doucement le couteau sur la gorge du premier,
Et le sang coule, noir et épais, le long de ma main.
Le sang coule.
L'un de vous rit encore, je crois, à moins que ce ne soit moi.
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Je vous tiens serrés.
Vous ne comprenez pas encore mais la peur vous saisit.
Vous voulez partir,
Vous voulez courir,
Je vous tiens contre moi.
Le deuxième d'entre vous, je lui sectionne le jarret,
Vos sangs se mêlent sur moi.
Il faut de la force pour vous empêcher de bouger.
Il faut de la force
Et j'en ai.
Vous êtes pâles maintenant,
Vous vous débattez moins vigoureusement.
Je sens les corps qui s'abandonnent,
Qui deviennent plus lourds au fond des bras.
J'ai les mains rouges
Et je vous embrasse doucement.
Je fais glisser mes lèvres sur vos plaies,
Le sang est tiède et me coule entre les dents.
Je ne veux pas que vous ayez mal.
Vous sentez la langue de votre mère qui vous lèche la vie.
Je suis une chienne.
Vous ne bougez plus.
Mon visage est couvert de sang.
Je vous bois, je vous enlace, je vous lèche doucement.
Je ne tremble pas,
Je vous aime,
Mes enfants,
Je vous aime et vous tiens fermement.
Vous êtes lourds maintenant et inertes.
Le sang continue à couler.
Il y a tant de sang en vous.
Mes enfants,
Vous n'êtes plus,
Mes enfants.
Laurent Gaudé, Médée Kali, III, 2003.
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Séquence Les Réécritures
Texte 4
Ils disaient que je coupais mon enfant du monde extérieur qu'on s'enfermait dans ma
chambre que je surveillais mon enfant de façon abusive que Lulu avait un
développement psychomoteur insuffisant et c'était reparti avec leur psychomoteur
alors là quand mon parachutiste est venu aussi dans la chambre alors là ils ont dit :
vous avez introduit le loup dans la bergerie c'était mon parachutiste corse c'était le
coup des mille deux cents légionnaires du deuxième régiment étranger de
parachutistes ç'a été le drame ils ont attaqué et moi aussi j'ai attaqué plus fort et sur la
crèche surtout j'ai dit tout ce que je pensais de la crèche qui était dégueulasse et la
puéricultrice la nommée Marie-Jeanne avait donné un coup de pied contre le berceau
de Lulu qu'est-ce que je les ai emmerdés avec le coup de pied de Marie-Jeanne à partir
de là je me suis déchaînée ils ont appelé un juge j'avais plus de domicile j'avais plus de
travail j'avais tout quitté pour Lulu le juge a pris une ordonnance de placement ! Lulu
en nourrice ! J'ai vu une inspectrice je voulais la même nourrice que Davidovitch vu
qu'il ne connaissait pas encore Lulu ils ont dit non je voulais plus quitter Lulu alors
jeudi je veux lui donner son biberon alors la puéricultrice dit : non elle prend Lulu
alors je reprends Lulu elle me reprend Lulu je lui reprends Lulu elle gueule et veut
Lulu je veux pas qu'elle reprenne Lulu et je fous Lulu par la fenêtre comme ça Lulu
était à personne la Marie-Jeanne elle crie : infanticide infanticide ! J'ai fait trois crises
de nerfs j'ai pris des barbituriques je me suis tailladé les veines avec le couteau de
mon parachutiste il avait oublié son couteau c'était celui de sa mère elle castrait les
verrats et les porcelets en Corse avec ce couteau et une baleine de parapluie il faut
absolument castrer les porcs ils m'ont fait un lavage d'estomac ils sont beaux tes
glaïeuls mon Kiki merci.
Philippe Minyana, Chambres, « Chambre 3 : Arlette », 1986.
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