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 LA QUESTION DES TRAVAILLEURS, RÉSOLUE PAR LA COLONISATION DE L’ALGÉRIE. PAR RAOUSSET BOULBON COLON EN ALGÉRIE Avignon : impr. de T. Fischer aîné, (1848)

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  • LA QUESTION DES TRAVAILLEURS,

    RSOLUE PAR LA

    COLONISATIONDE LALGRIE.

    PAR RAOUSSET BOULBONCOLON EN ALGRIE

    Avignon : impr. de T. Fischer an,

    (1848)

  • Livre numris en mode texte par :Alain Spenatto.

    1, rue du Puy Griou. 15000 AURILLAC.

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  • LA QUESTION DES TRAVAILLEURS,RSOLUE PAR LA

    COLONISATION DE LALGRIE.

    Dans le premier feu de son exaltation patrio-tique, le gouvernement provisoire a rsolument abord la question que les ouvriers lui posaient en ces termes Nous sommes las de notre misre, nous vou-lons en sortir. Le gouvernement provisoire a rpondu quilgarantissait du travail Tous LES CITOYENS, promesse quil faut tenir tout prix. Le travail ne peut tre pay que. par lindus-trie particulire ;mais lindustrie na de. puissance que jusquaux limites du capital dont elle dispose. Dj, depuis plusieurs annes, les ressources de lindustrie ne pouvaient suffi re faire vivre tous les travailleurs et la misre envahissait de plus en plus les classes pauvres. La rvolution de fvrier a port des coups terribles au crdit : en prsence de la crise fi nancire qui pse sur la nation, nesprons pas que la classe ouvrire puisse, avant plusieurs annes, trouver dans lagriculture, dans le commerce, dans lindustrie, le travail qui est. sa vie.

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    Les besoins de la population excdent les ressources actuelles de la France ; dj , depuis plusieurs annes, nous voyons se dvelopper avec une effrayante rapidit la lpre du pauprisme et cette terreur morale qui se fait autour de la misre. La Providence nous a gard lAlgrie ! lAlgrie avec ses champs fertiles, ses mines de cuivre, de fer, dtain, de plomb, dargent, la soie, le coton, la laine, lindigo, le tabac et mille autres productions qui, manufactures par lindustrie, vont alimenter le commerce. LAlgrie si longtemps calomnie, ddai-gne, opprime, ravage par la guerre, menace de labandon, lAlgrie souvre tous les travailleurs que la patrie ne peut plus nourrir ; lAlgrie va sauver la France. Grce vous , les colons vont avoir des dpu-ts : cest bien : les colons vous en remercient. Nous avons besoin de parler, dautant plus que nous sommes rests billonns pendant dix-sept ans. Mais surtout, il importe quon nous mette au plutt, en mesure dagir, pour nous relever de labme o nous a fait tomber le dernier ministre. Colons agriculteurs, commerants, industriels, nous avons lutt courageusement, honntement contre les obstacles matriels suscits par une administration mauvaise et nous sommes arrivs la ruine aprs un opinitre labeur de dix-sept ans.

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    Colonisez, colonisez promptement, sinon demain, nous achverons de mourir de faim et cette terre sera maudite. Demain vous aurez peut-tre la guerre, et lAfrique sera perdue. Alors que ferez-vous en face de vos tra-vailleurs sans pain, de votre population incessam-ment croissante, de la misre qui grandira comme la population ? Htez-vous donc lgislateurs, htez-vous avant que le dernier colon ne soit mort en vous maudissant, htez-vous avant que votre arme dAfrique, presse entre les balles arabes et les canons de lAngleterre, affame par la terre et par la mer, ne soit rduite mettre bas les armes, la honte de notre nom et pour le malheur de la civi-lisation conqurante dont vous tes lavant-garde. Htez-vous donc, faites passer la mer votre arme de travailleurs, bien autrement puissante que votre arme de soldats. Et quand je dis : colonisez ! je tiens bien tablir que je ne propose pas la colonisation comme un but, je lindique au Gouvernement pro-visoire comme un moyen de tenir cette promesse solennelle. Ltat garantit lexistence de tous les citoyens par le travail. Je lindique comme un moyen de supprimer lexcdant de population qui dtruit lquilibre entre le capital et le travail. Jinsiste, parce que, de tous les genres de travaux que peut faire entreprendre ltat, il nen

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    est aucun dont les avantages puissent tre compa-rs la colonisation de lAlgrie. Par les travaux que vous ferez en France, vous provoquerez un dveloppement de la fortune publique. En Algrie, cette fortune, vous la cre-rez. Immense avantage pour ltat. Par les travaux que vous ferez en France, vous procurez louvrier, quoi ? Sa journe. Et pour le lendemain ? Sa journe, toujours sa jour-ne ; rien dassur pour le lendemain. Le sort de louvrier demeure le mme, la misre est derrire lui et devant lui. Le travail que vous ne pouvez lui donner ternellement, le travail aura un terme et louvrier retombera dans sa misre. Par les travaux que vous ferez en Algrie, vous donnez louvrier le moyen dassurer sa vie ; parce quil est ais de laisser au travailleur le sol quil aura cultiv. Cette terre, ce patrimoine que vous donnerez louvrier, cest son bien-tre, sa moralisation, son rve, cest la fortune publique. Donc, pour ltat et pour louvrier, lAfrique, comme base du travail vaut mieux que la France. Comment colonisera-t-on ? Combien de systmes na-t-on pas proposs ! Plus dun sans doute eut donn des rsultats f-conds. Pourquoi na-t-on pas essay dun seul ! Je n veux pas rcriminer , laissons en paix les morts ; je ne veux avoir de regards et de penses que pour cette France radieuse promise par lavenir.

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    Aujourdhui, cest la nation elle-mme quil appartient de semparer des destines de lAlg-rie. Le temps des mivreries administratives nest plus ; les destines de lAlgrie seront grandes comme celles de la nation. Plus dun million de travailleurs viennent de tomber la charge de ltat. Si la moiti, si le quart de cette masse douvriers passe en Algrie, il faut compter par centaines de millions les sommes qui vont tre jetes en masse, cette Afrique trai-te jusqu prsent avec lavarice sordide que les chambres appelaient de lconomie. La rvolution de Fvrier a sonn lheure de lAlgrie. Les esprits aventureux peuvent aujourdhui monter au niveau de ce qui tait hier considr comme gigantesque. Ce nest pas la premire fois que jaborde cette question de lAlgrie. Colon agriculteur, jai qua-lit pour le faire. Dj comme dlgu des colons dAlger, avec MM. St-Guilhem, Vialar, Franclien, Ranc, jai rclam des mesures que je considrais comme ncessaires. Je les rsume et je les proclame aujourdhui plus que jamais comme essentielles au dveloppe-ment de lAlgrie. 1 Rhabilitation clatante de la population civile dAfrique, population nergique et labo-rieuse, tenue pendant dix-sept ans dans un tat dabjection systmatique.

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    2 Application lAlgrie des institutions ci-viles et politiques dont va jouir la France rpubli-caine. Application immdiate. La confi ance est ce prix. 3Libert pour larme comme pour ladmi-nistration dacqurir des intrts, dans la colonie. Avec cette condition seulement, vous attacherez au sol, vous dvouerez luvre commune lad-ministration et larme. 4Libert pour chacun de prendre dans la co-lonisation la part qui lui conviendra, de cultiver comme il lentendra, de btir, de planter, dacheter, de revendre, de spculer son gr. Tout homme a son gnie dont la nature lui est propre, laissez-le libre dans sa voie, le travail ne se dveloppe que dans les conditions de libert les plus tendues. Ces mesures qui doivent aider puissamment au dveloppement de lAlgrie, nous les attendons de lassemble constituante ; mais, ds aujourdhui, le gouvernement provisoire, par un vaste systme de colonisation, peut imprimer aux vnements dont lAlgrie sera le thtre, une impulsion dune puissance incalculable. Que lAlgrie soit donc ouverte sans dlai aux forces inoccupes de la France. Que des proclama-tions appellent les ouvriers, les commerans, les industriels, les capitalistes , venir prendre cha-cun leur part de cette uvre magnifi que do sor-tira tout un peuple.

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    Loin de moi la pense de conseiller au gouverne-ment de ne donner aux ouvriers, du travail quen Algrie, en Algrie seulement. Non, je le rp-te, parce que je veux tre bien compris. La France a des canaux creuser, des routes, des chemins de fer construire, des marais desscher, des landes dfricher, des montagnes boiser. La France a dutiles travaux faire excuter ; quelle appelle ces travaux tous les ouvriers qui lindustrie pri-ve ne peut suffi re : louvrier doit tre libre de res-ter en France mais jinsiste dans ces feuilles que je livre au vent de lopinion ; jinsiste parce quelles seront oublies demain ; jinsiste parce quune v-rit leur survivra, la vrit que voici : De tous les travaux que peut entreprendre le gouvernement, il nen est aucun qui puisse ru-nir autant davantages pour ltat et pour les tra-vailleurs que ceux assurs par la colonisation de lAlgrie. Pour les travailleurs, affranchissement du proltariat, cet esclavage des temps modernes. Pour ltat, cration dune richesse qui doit dou-bler la France. Louvrier doit tre libre de passer en Alg-rie. Que le gouvernement assure en Algrie com-me en France du travail tous les ouvriers et leur bon sens les portera vers lAlgrie. Il les y portera dautant mieux que leur titre de citoyen le suivra dsormais. Ils nauront plus sexpatrier, parce

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    quaujourdhui la France doit passer la mer : lAt-las est en France. Quon ne recule pas devant les diffi cults que semble prsenter lmigration et lemploi imm-diat de deux trois cent mille travailleurs et mme davantage. Un grain de sable pouvait arrter le gouvernement dhier ; lnergie de la Rpublique doit dplacer les montagnes. Organisez lmigration et le courant qui ne tardera pas stablir vers le foyer de travail ; que vous aurez allum, jettera chaque anne cinq cent mille travailleurs dans les champs fertiles de lAfrique. Donnez tous les migrants une indemnit de route jusques Cette, Marseille, Toulon. Les moyens de transport ne manquent pas pour passer la mer. Et quen dbarquant sur les quais dAlger, de Bne, ou dOran, louvrier trou-ve aussitt les chantiers ouverts. Quelle sera la nature des travaux ? ncessai-rement et dabord tous ceux qui sont la base dun tat social quelconque : ceux dont lobjet spcial est dassurer la viabilit, la salubrit, la scurit. Cest des commissions spciales quil ap-partiendra de dterminer sous quelle forme le tra-vail doit tre offert aux migrants. Pour moi, ds aujourdhui, voici ma pense. Les migrants, leur arrive, doivent tre diviss eu deux classes.

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    Les clibataires constitueront la classe des ouvriers mobiles, les pres de famille celle des ouvriers sdentaires, ceux que ltat doit couvrir de toute sa sollicitude Occupons-nous dabord de la premire de ces classes que jappelle ouvriers mobiles.Les commissions charges de dterminer, de sur-veiller, de contrler tous les travaux, les dirige-raient sur les chantiers, o des mesures seraient pri-ses pour assurer un logement sain, une nourriture bon march, un travail convenablement rtribu et qui ne chmerait jamais. Le salaire sera-t-il fi x par jour ou la tche les commissions en dcide-ront; ds aujourdhui cependant jaffi rme, malgr les actes du gouvernement provisoire, que jamais un ouvrier habile, actif et fort ne se contentera du prix ordinairement fi x pour la journe, dans, les travaux de terrassement. Routes, canaux, chemins de fer, vastes hos-pices pour les malades desschements de marais, dfrichements, plantations, villages; tels sont les travaux faire excuter par les ouvriers mobiles. Que ces ouvriers soient embrigads, afi n de leur assurer tous les bnfi ces de la vie en commun, afi n de dvelopper en eux les instincts de sociabi-lit. Aussitt qu ils auront pu se connatre et sap-prcier, quils se donnent eux mmes des chefs lus parmi eux. Soyez assurs quils choisiront les plus dignes. Ainsi, en faisant appel de gnreux

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    sentiments, vous lverez lesprit et lme des hommes, sur cette terre dAfrique, si prompte dmoraliser les plus fermes. Aux ouvriers mobiles le vaste rseau de tra-vaux publics qui fera circuler de nouveau la vie dans cette Afrique, si chre la Rpublique de Rome et que la Rpublique franaise va ressusci-ter. Aux ouvriers sdentaires, aux travailleurs p-res de famille, la fcondation du sol, lexploitation des mines, le travail qui va chercher au sein de la terre, la richesse des nations. La famille est la base de toutes les socits ; la colonisation de lAlgrie doit reposer sur la fa-mille. Parmi les lments de la classe ouvrire, la famille est, au dessus de tous les autres, digne de lintrt de la nation. Aussi, est-ce sur les mi-grants, pres de famille, que les commissions institues par le gouvernement doivent concen-trer leur plus active, leur plus religieuse sollici-tude. Aussi, dans le systme de colonisation par ltat dont je trace ici lincomplte bauche, je nhsite pas poser ce principe absolu. - toutes les familles qui passeront en Algrie recevront du gouvernement, et de suite, des terres cultiver. On a donn jusqu ce jour dix hectares en moyenne chaque famille.

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    Est-ce trop ? est-ce trop peu ? le temps nous, manque pour discuter. Acceptons le chiffre de dix hectares. De combien dhectares ltat peut-il disposer ? Ltat, daprs les rapports offi ciels, ne pos-sde, en Algrie que quatre cent mille hectares, suffi sant pour quarante mille familles : lmigra-tion dune seule anne peut en amener davantage. Il est vrai que ces documents offi ciels sont inexacts, en voici la preuve : Dans la plaine des Hadjoutes, 12 lieues dAlger, le domaine a main-tes fois assur quil ne possdait rien. Une inspec-tion ordonne par le duc dAumale, le seul de nos gouverneurs-gnraux qui ait fait son devoir, a mis quinze mille hectares la disposition du domaine. Je ne doute pas, que, sous un gouvernement qui doit exiger plus dactes que de papiers, les agents du domaine ne dcouvrent en dix-sept jours plus de terres domaniales quils nen ont dcouvert en dix-sept ans. Au surplus, si la France veut srieusement li-vrer lAlgrie la civilisation et en extraire au pro-fi t de tous les peuples les richesses de toute sorte qui y demeurent enfouies, quelle nhsite pas sapproprier, au profi t du bien public, la totalit du sol possd par les indignes. Nous navons pas le temps de discuter le droit et de nous dfendre contre les ides dextermina-tion et de- refoulement qui ne sont pas ntres et que nous repoussons nergiquement.

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    Lexpropriation des indignes est la condition premire, la condition invitable de ltablisse-ment des Franais sur le sol. Que des commissions soient donc nommes sans dlai pour y procder et rgler une indem-nit qui sera paye en rentes sur ltat, ou par le concessionnaire mme. Une telle expropriation na rien qui soit con-tre la justice et le droit. Par cette mesure, 1Etat dispose de dix mil-lions dhectares de terres cultivables, superfi cie suffi sante ltablissement dun million de fa-milles dagriculteurs. Dans cette condition, engag comme il lest par la promesse du Gouvernement provisoire, donner du travail tous les ouvriers, ltat, faisant de lAlgrie entire, un chalutier ouvert aux travailleurs, doit devenir rsolument entre preneur de colonisation. Ltat fera ses affaires et il les fera bonnes tout en faisant celles des ouvriers. Dans ce but, et sous les yeux des commissions spciales, il sera procd la division, par lots trs-multiplis, de tout le territoire de lAlgrie. Je suppose que ces lots soient distribus comme les cases dun chiquier. Les cases blanches, subdivi-ses elles-mmes en lots de dix hectares, seraient colonises par ltat, les cases noires, subdivises en lots dune gale grandeur seraient vendues par

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    adjudication, sur une mise prix dtermine, pour tre livre la colonisation individuelle. Ainsi ltat pourrait couvrir promptement une partie de ses dpenses. Cette combinaison offre un immen-se avantage sur les travaux quil entreprendrait en France exclusivement. Des lots plus ou moins considrables seraient galement rservs pour tre concds des capi-talistes, par adjudication et avec de srieuses con-ditions. Il va sans dire que chaque famille de cultiva-teurs, mise en possession dun lot de dix hectares, y doit tre tablie aux frais de ltat. Cest une somme de trois mille francs au plus dpenser par famille. En voici le dtail : Maisonnette........................................1200 fr. Deux bufs, deux vaches....................300 fr. Outils....................................................300 fr. Semences..............................................200 fr. Total..............2000 fr. Reste 1,000 fr. distribuer en pain, vin et viande. Paye la journe, une famille, compose de cinq personnes coterait en moyenne 10 fr. par jour. Pour trois cent jours de travail, ltat payant la journe, paierait 3,000 fr. En tablissant les familles, ltat dpense en un mois ce quil eut dpense en une anne pour

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    leur assurer du travail la journe, mais la famille tablie cesse immdiatement dtre charge ltat. En payant les travailleurs la journe, ltat ne change rien leur position ; il ne diminue pas leurs besoins. Lanne fi nie, ils ont cot ce quil eut fallu pour les tablir et cette somme ne leur a produit que la vie animale de chaque jour, - et danne en anne, les ouvriers pays la journe, demeurent la charge de ltat, aussi longtemps que lindustrie prive ne peut pas les occuper. Il soffre ltat un puissant moyen dchap-per cette charge menaante. Cest de donner toutes les familles qui se prsenteront, un capital, au lieu dun salaire. Le capital, cest le champ, la maison, le buf, la charrue, capital que louvrier fcondera lui-mme avec son propre travail.A moins dignorer les notions les plus lmen-taires de la science conomique, tout homme comprend avec quelle rapidit va se multiplier le capital de 3000 fr., plus le sol, mis la disposition du chef de famille. Par la multiplication de ce ca-pital, la richesse publique sagrandit; lquilibre, aujourdhui rompu, se rtablit entre le travail et le capital. Dans ce systme de colonisation, les parts faites louvrier mobile et au chef de famille sont ingales et ce nest pas sans raison que je le pro-pose ainsi.

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    La famille, garantie premire de lordre et de la moralit, porte chez les classes ouvrires le la-beur le plus rude et la plus lourde part de misre. A la famille donc, la plus srieuse proccupation de la sollicitude publique. A la famille seule, la pro-prit du sol en Algrie. Il sortira de cette mesure un puissant l-ment de moralisation. Elle aura pour consquen-ce, on nen peut douter, dengager la plupart des ouvriers dans les liens de la famille, puisquen Algrie, seront offerts aux chefs de familles des prcieux avantages, dont louvrier clibataire doit tre exclu. La production agricole est une branche isole des richesses de lAlgrie. Le systme mtallur-gique de cette terre prdestine offre lindustrie des ressources inestimables. Quel mode suivra ltat pour lexploitation des mines ? De toutes les formes de colonisation, lindus-trie mtallurgique est celle qui se prte le mieux lexploitation, au profi t de la classe ouvrire. Voici, sommairement, une opinion dicte par le sentiment qui minspire ces lignes : Lamliora-tion du sort des ouvriers. Aucune concession de mines ne serait faite par ltat. Les mines seraient exploites en socit par les ouvriers eux-mmes.

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    Ltat serait, au nom du bien public, le com-manditaire de cette association. Ainsi : ltat fournirait le capital ncessaire lexploitation, louvrier fournirait son travail. Sous la direction dingnieurs habiles, choisis par le gouvernement, accepts par une commission, les ouvriers seraient appels se gouverner eux-mmes : cet effet, tous les chefs de travaux se-raient lus par eux. Un conseil, pareillement lu par les ouvriers et parmi les ouvriers, prononcerait sur toutes les questions rglementaires et disciplinaires qui se pourraient produire dans lassociation. Toutes les peines seraient infl iges daprs larrt de ce conseil, notamment lexclusion des membres que lassociation devrait rejeter. Ceux qui savent quel point sexaltent les sentiments g-nreux dans le cur du peuple, lorsque ce puissant ressort est mis en jeu, verront dans le gouverne-ment des ouvriers par, eux-mmes, les meilleures garanties dordre, de travail et de svre moralit. Les produits de lexploitation seraient parta-gs comme il suit : 1 A chaque ouvrier et tous les chefs, un sa-laire journalier; 2 Cinq pour cent du capital engag, pour le paiement des intrts de ce capital, emprunt par ltat ; 3 Cinq pour cent de ce mme capital, somme destine au remboursement ;

  • (21)

    4 Dix pour cent des produits aprs les pr-lvements qui prcdent, somme destine la fondation de nouveaux tablissements, dans le but damliorer le sort des ouvriers ; 5 Le surplus des produits, cest--dire qua-tre-vingt pour cent, aprs le prlvement des salai-res, seraient partags entre les ouvriers dans une proportion arrte par les ouvriers eux-mmes et dtermine par les statuts de lassociation. Un pareil systme dexploitation, ayant pour but le bien des ouvriers en gnral et non celui de quelques-uns en particulier, je pense quil con-viendrait de fi xer un terme au droit que chaque ouvrier, admis dans lassociation, aurait den faire partie. Ainsi, aussitt que la part des bnfi ces dun ouvrier slverait dix mille francs environ, louvrier devrait se retirer pour faire place un autre. Avec dix mille francs un ouvrier peut sta-blir. Il est affranchi du proltariat. Il serait pourvu aux places vacantes par des commissions spciales, qui sefforceraient de les rserver, surtout des hommes dont la vie ant-rieure motiverait. un pareil encouragement. Lassociation doit galement assurer le sort des veuves, des orphelins, des vieillards et des in-valides. Elle doit assurer linstruction religieuse et linstruction civile, la vie bon march et tous les soins que rclame lhumanit.

  • (22)

    Dans une pareille association, non seulement la misre est supprime, mais le travail , lui-mme, doit tre organis, encourag et rmunr de ma-nire devenir attrayant. Ainsi que les mines, des manufactures fon-des par ltat peuvent tre exploites par lasso-ciation mme des ouvriers. On le voit assez, ma principale proccupation dans cet crit est dappeler la proprit le plus grand nombre possible de proltaires. Ce serait une condition de paix pour la nation. Terres, mines et manufactures, sont des capi-taux que ltat prte aux ouvriers. Par un travail que lmulation et la certitude darriver prompte-ment lindpendance doit exalter, ces capitaux se multiplieront linfi ni. La production dpassera les besoins de la consommation, la vie descendra au plus bas prix possible et louvrier proltaire ga-gnera de quoi vivre largement. Je le rpte encore : Cest au point de vue de lintrt social et non au point de vue de lAlgrie que je propose la colonisation. Les dpenses considrables quelle ncessite-ra ne sont pas motives par la colonisation ; mais seulement par les besoins de la classe ouvrire. Ltat peut tablir les ouvriers comme pro-pritaires en Algrie, ou comme associs dans le produit de certaines exploitations, en dpensant pour chaque ouvrier une somme qui nexcdera

  • (23)

    pas de beaucoup trois cents fois le salaire journa-lier. Que ltat consacre en un jour, ltablisse-ment de chaque ouvrier, la somme quil dpense-rait en trois cents jours pour le mme ouvrier. Les sacrifi ces de ltat sarrteront l. Il aura fait de chaque ouvrier un homme libre et heureux. Que ltat paie chaque ouvrier la mme somme comme salaire journalier, louvrier de-meurera constamment la charge de ltat. Le sort de louvrier sera stationnaire ; malheureux hier, louvrier le sera demain et toujours. A tous les hommes de cur qui veulent lam-lioration des classes pauvres, la suppression de la misre, je dis : Colonisez lAlgrie ! A tous les conomistes bien convaincus que la plus imprieuse ncessit commande de r-tablir entre le travail et le capital un quilibre, aujourdhui rompu, je dis galement : Colonisez lAlgrie ! A tous les hommes de progrs, qui sont jaloux de voir la France marcher en tte de la civilisation et porter la lumire au monde, je dis encore : Colonisez lAlgrie ! A ceux qui possdent chteaux, htels, meu-bles somptueux, fabriques, magasins, terres et forts; ceux qui sont riches et qui tremblent au milieu des masses douvriers affams, en face de

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    ces lugubres infortunes de la faim et de la misre; ceux-l surtout, ceux-l je ne dis plus, mais je crie : Colonisez ! colonisez ! Oui, colonisez, arrachez promptement au sol et aux entrailles de lAlgrie, ces richesses qui, rpandues dans la classe ouvrire, lui donneront elle laisance, vous la paix, tous la prosp-rit. Ce nest pas seulement en vertu des promes-ses du Gouvernement provisoire, que le travail est le droit de tous. Des considrations dun ordre bien autrement imprieux consacrent aujourdhui cette maxime. La rvolution du 24 fvrier nest pas seule-ment une rvolution politique : elle est surtout le premier degr dune rvolution sociale que les gnrations futures verront se dvelopper dans les phases successives marques lhumanit. Les trnes tombs, les dynasties en fuite, le prestige de la royaut quun souffl e emporte, les dictateurs dun jour, les factions armes, les galons et les pavillons et toutes les vanits de lhomme : quest-ce que ces vulgaires accidents, derniers colifi chets des socits qui steignent et dont la jeune gnration ne parle plus quavec ddain. Comme locan, les socits au-dessous de la surface qui soffre aux yeux cachent des abmes

  • (25)

    inconnus. Parfois locan des socits sagite la surface et la vague populaire roule confusment avec la vague royale. Ce sont l les tourmentes politiques quun jour soulve et quun jour efface. Comme locan, les socits ont aussi des soul-vements intrieurs quune force mystrieuse fait bouillonner au fond de leurs abmes. Irrsistibles orages qui jettent la mer hors de ses limites, en-gloutissent plaines et montagnes avec leurs habi-tants et leurs villes, et font surgir des terres nou-velles aux yeux du navigateur tonn. Un ouragan pareil soulve les socits de-puis un sicle. Singulier aveuglement des hom-mes ! Leurs yeux napercevaient de trouble qu la surface et voil quils ont disparu. Les penseurs disaient : Le bouillonnement social est au fond de ces multitudes exploites tour tour par les partis affams de pouvoir ; et voil quaujourdhui tous les partis sengloutissent avec leur individualisme coupable, leurs erreurs et leurs esprances. Les penseurs avaient raison. Le monde tait remu dans ses entrailles et non pas la surface. La rvolution de fvrier nappartient aucun parti, elle appartient au monde. Ainsi donc, ouvriers obscurs ou glorieux de luvre sociale, noublions pas que notre devoir est de grouper lhumanit autour des lois frater-nelles qui seules conviennent la puret de son origine, la grandeur de ses destines.

  • (26)

    Rformons en France une socit qui tombe en dissolution. Fondons en Algrie une socit nouvelle, sur les bases fondamentales de lhumanit, sur la li-bert, sur lgalit, sur la fraternit. Fondons une socit nouvelle qui deviendra lexemple du monde. Dans cette socit, La famille sera honore, La proprit sera respecte, Le travail sera glorifi , La misre sera supprime, La vie sera attrayante, Les hommes bniront Dieu Ajoutons, aprs avoir fait la part des tra-vailleurs de la pioche et de la charrue, quil est un autre genre de travailleurs non moins utiles, aux-quels doivent souvrir deux battants, les portes de lAlgrie. A ceux-l, aussi, ltat doit des ga-ranties et des encouragements. Je veux parler des travailleurs du capital. Aujourdhui, o, soit par ignorance, soit par terreur, on ne glorifi e que le travail des bras, il est important de rappeler cette vrit, fondamentale pour toute socit qui ne veut pas revenir ltat sauvage ; PAS DE CAPITAL, PAS DE TRA-VAIL ! Aprs une rvolution dont le caractre est encore plus social quil nest politique, avec un gouvernement, expression dune socit libre,

  • (27)

    nul doute que des vues leves ne prsident la marche toujours progressive de la Nation. Le mot RFORME domine tout notre avenir ; la rforme dans le systme fi nancier de ltat ne se fera pas attendre et, sous linfl uence de la libert, le gnie de la Nation, prenant un essor comprim depuis si longtemps, ne peut tarder douvrir au travail des horizons nouveaux. Le travail doit tre compris dans la plus large acception de ce mot. Le penseur comme larti-san, le pote, le fi nancier, le commerant comme le dernier des manuvres sont des travailleurs. Bientt, il faut lesprer, il en sera de la France comme de cette puissante socit des tats-Unis, o lhomme qui ne travaille pas est un non-sens. A ce titre seulement le travail peut tre lev et glorifi . Toute laction dune socit qui se meut dans la sphre harmonieuse du travail, repose sur le ca-pital. Pas de capital, pas de travail. ! pas de tra-vail, pas de PROGRS. Les hommes dont la pense, dont la parole illuminent la marche de notre pays doivent tendre, par toute leur infl uence, conserver , multiplier le capital : le progrs social est cette condition, htons-nous de rpter que nous entendons par ca-pital tout ce qui concourt la production : la mai-son, le buf, la charrue, les outils de latelier, le navire qui fend les mers, lintelligence du penseur,

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    les bras de louvrier, toutes ces choses sont des CAPITAUX. Lor et largent ne forment quune faible partie de ces capitaux ; une socit peut ar-river ce point de perfection que largent et lor, valeurs de pure convention, capitaux improductifs par eux-mmes, seraient suppls par le crdit. Tous les efforts dun gouvernement progressif devront tendre populariser,. dans notre pays, o lon en souponne peine la puissance, ce levier qui remue le monde et pousse en avant les soci-ts : le crdit. Esprons-le, nous sommes la veille du jour o lon comprendra clairement la vrit de ce prin-cipe : mais cest au gouvernement prendre hardi-ment linitiative. La Nation peut gagner un sicle sur lavenir. Les prodiges accomplis aux tats-Unis lont t par le crdit. Quon ne mette pas en avant les faillites et les banqueroutes, le temps nous manquerait pour opposer ces terreurs exag-res le tableau des capitaux immenses accumuls aux tats-Unis par la seule puissance du crdit. Nous avons, quarante heures de la France, une terre aime du soleil o nous raliserons les mmes prodiges. Que ltat ne se borne pas y jeter brutalement les millions qui seront le salaire de la classe ouvrire, salaire immense que le gou-vernement provisoire a solennellement promis au travail, consquence invitable, consquence morale, consquence heureuse de la rvolution sociale accomplie en fvrier.

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    Que le gouvernement dans cette pauvre Al-grie dvore par lusure, fonde, sans hsiter, des institutions de vritable crdit ; quil organise par-tout des comptoirs descompte, des banques au profi t de lagriculture comme du commerce. Aussitt les capitaux industriels prompts spouvanter, galement prompts reprendre leur audace, ds que des garanties leur seront offertes, reviendront deux-mmes appelant autour deux le travail qui les fconde. LAlgrie est depuis longtemps juge : lagriculture, lindustrie, au commerce elle offre un champ dont les ressources sont immenses, dont les limites sont inconnues : mais ces trois branches du travail humain ne sy dvelopperont sans obstacle que sous la condition expresse de pouvoir sappuyer sur les puissantes bases du crdit. Que le gouvernement nhsite pas. Quil exploite avec intelligence et hardiesse cette terre clbre qui fi t la richesse de Rome. Elle accrotra dans une proportion inespre les richesses de la patrie commune, et nous verrons se raliser dans notre France Africaine les destines qui lui ont t tant de fois prdites par des esprits enthousiastes. En proposant un systme, je nai pas la pr-tention dtre exclusif. Sous le rgne de la libert, lAfrique doit souvrir tous les systmes. Cabet ne pensera plus jeter dans les solitudes du nouveau monde les fondements du communisme

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    Icarien. Les belles plaines de lAlgrie lui sont ouvertes Elles souvrent galement pour les disciples de Fourrier. Elles souvrent tous les systmes parce quil est du devoir dun gouvernement progressif dencourager les hommes daction et de pense dans. leurs tentatives, mme les plus audacieuses. Tellement controverses, tellement rejetes avec ddain que noient les thories socialistes, je pense quun homme de bien ne doit en aborder ltude quavec un religieux respect. On dit ce sont des rves ! Eh pourquoi des rves ; parce que les philosophes socialistes esprent rendre lhumanit meilleure. Mais nont-ils pas raison de lesprer , et dy travailler courageusement malgr lindif-frence, lironie, la perscution. Les socialistes tendent raliser la famille humaine. Si cest un rve ; cest un beau rve : En vrit ! ceux-l sont bien plaindre, qui, pour chasser de nos curs ces aspirations ardentes vers lavenir, ne trouvent dargument que dans la philosophie du dsespoir, philosophie des murs glacs, perptuel blasphme contre les hommes et contre Dieu. Oui, lAlgrie doit souvrir au travail sous toutes les formes : cette condition, il sy dve-loppera dans toute sa puissance. A cette condition un peuple jeune, et fort comme le sont les peuples nouveaux, va germer sur ces plages, o sassied la France, rgnre.

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    Portons nos regards au del des mers et con-sidrons avec recueillement ce peuple des tats-Unis que les centenaires ont vu natre. Confi ez au travail le berceau de la France Algrienne, abri-tez-le sous des institutions libres et fraternelles et bientt ce peuple, glorieux enfantement dune rpublique, tendra la main par-dessus lAtlantique au gant Au nouveau monde.

    RAOUSSET BOULBON.

    Un dernier mot. Ceci nest, pas un systme. ce nest pas un plan : CEST UNE IDE. La question des travailleurs, question terrible, do-mine tous les esprits. Que faire ? Voici ma pense. En France, vous dpenserez en dtail des sommes colossales et vous entretiendrez le pauprisme. En Alg-rie, jetez UN MILLIARD, vous ferez de proltaires, propritaires, cent mille familles dagriculteurs, cent mille familles de mineurs ; un MILLION dindividus. Dpensez deux milliards, vous ferez le double. Vous donnerez la France des richesses incalculables. Lindustrie, lagriculture, le commerce, champ libre ouvert aux capitalistes, puiseront dans les institu-tions de CRDIT QUE VOUS AUREZ FONDES, une force qui centuplera leur puissance. En Algrie, vous jetez un peuple, En France, vous supprimez la misre. Voil mon IDE. Si elle est bonne, propagez-la, fcondez-l.

    30 mars 1848.