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Wittgenstein et les théories du jugement de Russell et de
Meinong
JIMMY PLOURDE Université du Québec à Montréal
ABSTRACT: One of the main challenges faced by Russell’s theory of judgment was to provide a satisfactory account of
judgment that was not committed to the existence of true, false or inexistent complex entities such as Meinongian objectives.
In the study of the Russell-Wittgenstein debate on that theory, scholars never considered the idea that Wittgenstein might not
have followed Russell on that issue. In this article, I address that question and hold, first, that problems raised by Russell’s
theory of judgment find their solution in the picture theory. Then, I show that Wittgenstein hesitated for a long period of time
in the Notebooks between a version of his solution which is committed to the existence of possible (non existing) complex
entities and one which is not. Finally, I argue that he did, along with Meinong, go for a committing version in the Tractatus.
§1 Introduction
Au printemps de 1913, Russell entreprend la rédaction d’un ouvrage dans lequel il
voulait élaborer une théorie de la connaissance. Cette théorie devait montrer comment on
arrive, à partir de l’expérience directe ou « acquaintance », à acquérir tout type de
connaissance. Une de ses parties essentielles devait consister en une nouvelle théorie du
jugement sur laquelle Russell travaillait depuis 19061. Alors que Russell était avancé dans la
rédaction de son ouvrage, sa théorie du jugement fut l’objet d’une critique virulente de la part
de Wittgenstein qui donna lieu au débat désormais célèbre entre le maître et l’élève et entraîna
l’abandon du projet du philosophe britannique2. À ce jour, Blackwell, Griffin, Hochberg,
Sommerville et Tuly ont entrepris de présenter la théorie du jugement de Russell et de
reconstruire la critique de Wittgenstein à partir des écrits prétractariens et des informations
2
parcellaires se trouvant dans les différentes correspondances des deux philosophes. En plus de
chercher à reconstruire la critique de Wittgenstein, David Pears et David Hyder ont quant à
eux cherché à montrer quelle a été la postérité des problèmes philosophiques rencontrés par la
théorie du jugement de Russell dans la pensée de Wittgenstein3. Malgré la qualité de ces
contributions, des zones d’ombres demeurent concernant des questions importantes,
notamment en ce qui a trait à la théorie du jugement de Russell, aux critiques de Wittgenstein,
aux raisons qui font que Russell a finalement abandonné son projet et aux conséquences que
ce débat a eu sur les philosophies de ces deux penseurs.
Dans ce qui suit, je ne vais pas chercher à apporter une réponse à l’ensemble de ces
questions, mais plutôt à résoudre une question cruciale pour la compréhension de la postérité
du débat dans la philosophie de Wittgenstein. Cette question, c’est celle de savoir si la
solution de Wittgenstein aux problèmes que devait résoudre la théorie du jugement de Russell
n’engage pas, comme l’exigeait le philosophe britannique, à admettre des entités complexes
autres que des complexes russelliens, c’est-à-dire des entités qui ont des parties, existent en ce
sens où elles sont spatio-temporellement déterminées et ne sont pas des porteurs de vérité,
mais plutôt des vérifacteurs. Cette question concerne Meinong et le rapport qui peut exister
entre la philosophie du premier Wittgenstein et celle du philosophe de Graz, car, comme nous
le verrons, une position du type de celle de Meinong a été envisagée par Wittgenstein dès les
Notes on Logic de 19134. La position que je défendrai à ce sujet est, premièrement, et en
accord avec Pears, que les problèmes soulevés par la théorie du jugement de Russell trouvent
leur solution, chez Wittgenstein, dans la théorie de l’image. Puis, je soutiendrai que
Wittgenstein a longuement hésité dans les écrits prétractariens entre une version de la théorie
de l’image conforme aux exigences de Russell en matière d’engagement ontologique et une
version qui ne l’est pas. Enfin, je soutiendrai qu’il opte, dans le Tractatus, pour une position
qui est, en fait, plus proche de celle de Meinong que de celle de Russell. J’obtiens ainsi un
3
portrait du premier Wittgenstein qui, en ce qui concerne les deux derniers points, va à contre-
courant de la lecture de Pears et d’une majorité de lecteurs et interprètes du Tractatus, mais
qui, comme je le montrerai, est plus fidèle aux textes et à la position du philosophe autrichien.
§2 La position de Meinong et le projet de théorie du jugement de Russell
Selon Russell, une bonne théorie du jugement doit apporter une réponse à au moins
deux questions importantes, à savoir :
Q1 Comment comprend-on une proposition indépendamment de sa valeur de
vérité ?
et
Q2 En quoi consistent la vérité et la fausseté des jugements ?
Pour des raisons de commodité j’appellerai la première « question de compréhension » et, la
seconde, « question de la vérité ou de la fausseté d’un jugement »5.
Russell était d’avis que toute bonne théorie du jugement doit apporter une réponse à
Q1 parce qu’il considérait que tout acte de jugement, voire toute attitude propositionnelle,
présuppose une compréhension de ce qui est jugé et la compréhension de ce qui est jugé ne
requiert pas la connaissance de la valeur de vérité de la proposition comprise. C’est pour cela
que, selon Russell, la première étape de toute bonne théorie du jugement doit être de
comprendre en quoi consiste cette compréhension d’une proposition6.
Quant à Q2, Russell y attache de l’importance, car il considère les jugements comme
étant les véritables porteurs de vérité. Si on dit des énoncés qu’ils sont vrais ou faux, ce n’est,
selon Russell, qu’en un sens dérivatif. Pour Russell, « vérité et fausseté » est une « dualistic
property » des jugements7.
En ce qui concerne cette dernière question, Russell excluait la possibilité de rendre
compte de la vérité et de la fausseté des jugements à l’aide d’une théorie cohérentiste ou
4
d’une théorie pragmatiste de la vérité8. Selon lui, seule une conception correspondantiste de la
vérité était acceptable.
De toutes les théories du jugement existantes, Russell en reconnaissait une qui
apportait une réponse aux questions de la compréhension et de la valeur de vérité des
propositions et qui, en plus, paraissait « naturelle à adopter »9. Russell ajoute même qu’il
s’agit d’une théorie qui n’est pas « strictement réfutable » et qu’il a lui-même envisagé
d’adopter10
. Cette théorie, c’est celle d’Alexius Meinong11
.
En quoi consiste cette théorie ? Quelles sont les solutions de Meinong à Q1 et à Q2 ?
Dans un cas comme dans l’autre, Meinong opte pour le même type d’explication :
comprendre une proposition et avoir un jugement vrai ou faux, c’est être dans une certaine
relation intentionnelle avec un certain objectif. Cela vaut pour toutes les propositions bien
formées, y compris les propositions négatives assertant la non existence de l’objet
intentionnel. Autrement dit, quelle que soit la forme de proposition « p » à laquelle on a
affaire, comprendre « p » c’est saisir l’objectif exprimé par « p » dans un acte d’assomption et
un jugement que p sera vrai ou faux, selon le cas, si l’objectif correspondant à « p » a la
propriété d’être vrai ou faux. Ainsi, ces phénomènes ont une même structure, que l’on
pourrait symboliser comme suit dans le cas de la compréhension ou d’un jugement d’une
proposition de la forme xRy :
RI(AI, xRy)
où RI est une variable symbolisant une relation intentionnelle, AI une variable d’acte
intentionnel d’assomption ou de jugement, et xRy une variable d’un objectif se composant
d’une relation R et de deux objets x et y. Les objectifs, ce sont ces entités de niveau supérieur
que l’on désigne à l’aide d’énoncés nominalisés comme, par exemple : « que la neige sur le
5
mont Blanc est abondante » et « que le lac Léman n’est pas le plus grand lac d’Europe »12
. On
peut les qualifier d’entités de niveau supérieur en ce sens où il s’agit d’entités qui dépendent
existentiellement de, ou encore, dans le vocabulaire meinongien, sont fondées (fundiert) sur
des objets. Fait important à noter au sujet de cette structure : il est impossible qu’un acte
intentionnel n’ait pas d’objet intentionnel. Autrement dit, pour tout acte d’assomption ou de
jugement, il doit y avoir un objectif13
.
Si Russell avait bien reçu cette théorie en 1903, il la considère toutefois, en 1913,
comme naïve et contraire à des intuitions respectables. Pour lui, ce qui, dans cette théorie de
Meinong, heurte les intuitions les plus respectables, c’est, notamment, la thèse selon laquelle
il y aurait des entités complexes non linguistiques, c’est-à-dire des objectifs dans le langage
de Meinong et des propositions dans celui de Russell, qui auraient la propriété d’être fausses
et qui correspondraient à des énoncés faux. Russell fait valoir que si un énoncé est faux, c’est
justement parce qu’il n’y a pas ce que l’énoncé dit être le cas :
We might be induced to admit that true propositions are entities, but it is very difficult, except under
the lash of a tyrannous theory, to admit that false propositions are entities. (…) A false belief or a false
statement is an entity; but it seems obvious that they owe their falsehood to the unreality of something
which would be real if they were true14
.
Admettre des objectifs faux, ce serait donc admettre qu’il y a des entités qui n’existent pas et
qui contreviennent à nos intuitions en ce qui concerne la fausseté de nos affirmations.
Pour Russell, l’idée de proposition ou d’objectif vrai est toutefois également
inacceptable. En effet, selon Russell, s’il est vrai que nous comprenons un énoncé sans en
connaître la valeur de vérité, alors il ne devrait pas y avoir de différence entre comprendre un
énoncé vrai et comprendre un énoncé faux. Cela implique, pour Russell, qu’on ne devrait pas
expliquer la compréhension d’un énoncé p en invoquant, dans le cas où il est vrai, la saisie
d’un objectif vrai, et dans le cas où il est faux, la saisie d’autre chose. Dans un cas comme
dans l’autre, notre explication de la compréhension devrait nous engager à admettre un seul et
6
même type d’entité comprise. Comme Russell n’admet pas les objectifs faux, il doit donc
aussi rejeter les objectifs vrais15. Une bonne théorie du jugement ne devrait donc pas faire
appel à des objectifs et une bonne ontologie devrait exclure les entités de ce type. Autrement
dit, pour Russell, on ne devrait pas admettre qu’il y a, parmi les constituants du monde, des
entités complexes vraies, fausses ou inexistantes.
Qu’y aura-t-il alors dans le monde s’il n’y a pas d’objectifs et à quelle ontologie une
bonne théorie du jugement pourra nous engager si ce n’est pas à une ontologie admettant des
objectifs ? À ce chapitre, Russell n’admettra, d’une part, que des objets et des relations et,
d’autre part, ce qu’il appelle des « complexes ». Un « complexe », affirme Russell :
is anything analyzable, anything which has constituents. When, for example, two things are related in
any way, there seems to be a “whole” consisting of the two things so related; if, say, A and B are
similar, “the similarity of A to B” will be such a whole; and such a whole will be a “complex”16
.
Tout comme les objets qui les constituent, les complexes sont aussi des choses dont nous
avons des « acquaintances ». Bien qu’il ne l’affirme pas explicitement, Russell semble penser
que toute entité complexe est un « complexe » au sens que Russell attache à cette notion,
c’est-à-dire un tout consistant en un certain nombre d’objets dans une certaine relation. C’est
du moins ce que cette citation laisse entendre puisqu’un complexe y est dit être « anything
analyzable », « anything which has constituents » de même que « a “whole” consisting of the
two things so related ». Même s’il n’en a pas la preuve, Russell affirme vouloir considérer
provisoirement que cela vaut notamment pour les faits :
It may be questioned whether a complex is or is not the same as a « fact », where a « fact » may be
described as what there is when a judgment is true, but not when it is false. (…) However this may be,
there is certainly a one-one correspondence of complexes and facts, and for the present purposes we
shall assume that they are identical17
.
Cela dit, cette thèse a été clairement soutenue par Russell en 1912. En fait, Russell soutient
alors non seulement que le vérifacteur d’une proposition est un complexe, mais que la façon
7
d’éviter d’avoir à admettre des entités fausses est de considérer que la logique a pour objet des
complexes :
Complexes have correspondence with true propositions, not with false. There is no dualism of true and
false complexes. Don’t say a complex true; say a judgment or proposition true when corresponding
(in definable sense) to a complex. In order not to have to give being to non-entities, must make logic
deal with complexes18
.
Indépendamment de la question de savoir si toute entité complexe est effectivement, pour lui,
un complexe, le point important à retenir ici est que Russell n’admet pas qu’il y ait des
complexes qui soient inexistants et n’envisage pas sérieusement qu’il y ait des entités
complexes qui ne soient pas des complexes russelliens. Autrement dit, s’il y a, pour lui, des
choses telles que des entités complexes, ce ne peut être que des complexes russelliens, c’est-à-
dire des touts analysables et qui existent. Comme j’aurai l’occasion de le montrer, cela jouera
un rôle important dans le problème qui nous intéresse. Pour l’instant, il faut toutefois retenir
que le rejet des objectifs a pour conséquence que seule une théorie du jugement qui n’engage
à admettre comme entités que des objets, des relations et des complexes composés de ces
objets et relations est une théorie acceptable aux yeux de Russell. Cela constitue pour lui une
condition sine qua non de toute bonne théorie du jugement et un des paramètres les plus
importants de sa théorie du jugement.
§3 Vers une théorie sans objectifs : les deux premières versions de la nouvelle théorie du
jugement de Russell
Comment satisfait-on cette condition ? Comment peut-on se débarrasser des objectifs
tout en ayant une théorie du jugement qui soit « naturelle à adopter » ? Selon Russell, ce qui
conduit Meinong à la conclusion naïve qu’il y a des objectifs c’est l’idée que ce qui constitue
l’objet d’un acte de jugement est une seule entité complexe qui possède ces propriétés. En
effet, si l’on part du principe qu’il y a, lorsqu’on comprend et juge un énoncé, quelque chose
8
qui est compris et jugé et que ce que quelque chose est une seule entité complexe et explique,
en plus, pourquoi la proposition est vraie ou fausse, on est alors contraint d’admettre qu’il y a,
pour tout jugement, une entité complexe qui a des propriétés telles qu’elle rend compte de la
valeur de vérité du jugement. Du point de vue de la théorie, on est alors forcé d’admettre qu’il
y a de telles entités, peu importe si elles sont ou non intelligibles ou conforment à nos
intuitions les plus respectables. Contre cette position, Russell maintient que l’objet d’une
relation de jugement est plutôt une pluralité d’entités qui peuvent subsister ou non sous la
forme d’un complexe. Autrement dit, un jugement n’a pas un seul objet ou un seul terme dans
la réalité, mais plusieurs, et la relation qui subsiste entre un jugement et son objet n’est donc
pas une relation à deux places, mais une relation à n+2 places et plus, soit, un sujet S qui juge,
et au moins un objet au sujet duquel on affirme quelque chose. C’est ce que l’on a appelé la
« théorie multiple du jugement » :
The way out of the difficulty consists in maintaining that, whether we judge truly or whether we judge
falsely, there is no one thing that we are judging. When we judge that Charles I died on the scaffold,
we have before us, not one object, but several objects, namely, Charles I and dying and the scaffold.
Similarly, when we judge that Charles I died in his bed, we have before us the objects Charles I, dying
and his bed. These objects are not fictions: they are just as good as the objects of the true judgment.
We therefore escape the necessity of admitting objective falsehood, or of admitting that in judging
falsely we have nothing before the mind19
.
Ainsi, la structure logique d’un acte de jugement n’est pas, comme le soutient Meinong,
« RI(A, xRy) », mais plutôt :
J(S, x, R, y)
où J est une variable de la relation de jugement, S une variable de sujet, x et y des variables
d’individu et R une variable de relation. Lorsque j’ai un jugement ayant une telle structure,
comme c’est le cas dans « Je juge que Charles I est mort dans son lit », J(S, Charles I, être
mort dans, le lit de Charles I) est le « complexe-jugement », c’est-à-dire l’entité complexe
9
qu’est ce jugement. J est la relation principale et S, Charles I, être mort dans, le lit de Charles
I sont les constituants du complexe-jugement. Charles I, être mort dans, et le lit de Charles I
forment le « ‘complexe’-objet », c’est-à-dire l’entité complexe qui est jugée être le cas, mais
qui ne forme pas forcément un complexe (d’où les guillemets simples pour indiquer que le
complexe en question peut ne pas être un complexe véritable)20
.
Dans le cadre de cette théorie, Russell conçoit la compréhension d’un énoncé tel que
« aRb » comme une relation de compréhension C qui subsiste entre le sujet S qui comprend
l’énoncé et les différentes entités a, R et b auxquelles les noms de l’énoncé renvoient. Puis, en
ce qui concerne Q2, un jugement d’un énoncé tel que « aRb » est vrai lorsque les constituants
a, R, b avec lesquels le sujet se trouve en relation forment une entité complexe que Russell
appelle « une relation correspondante », « un fait » ou encore « une unité complexe », bref, un
complexe, et il est faux lorsque les constituants en question ne forment pas un complexe :
« Thus in this view judgment is a relation of the mind to several other terms: when these other
terms have inter se a ‘corresponding’ relation, the judgment is true; when not, it is false »21
.
Ainsi, Russell obtient une théorie correspondantiste du jugement qui n’engage pas à admettre
des objectifs22
. La stratégie qu’il adopte pour se sortir du piège dans lequel la théorie de
Meinong nous enferme n’est donc pas de nier le caractère relationnel du jugement à la réalité,
mais plutôt de nier que le fait qu’un jugement consiste en un certain rapport qu’un individu
entretient avec la réalité nous contraigne à admettre des entités autres que des objets, des
relations et des complexes qui existent réellement.
§4 Difficultés rencontrées par les versions de 1910 et de 1912
Bien que les versions de 1910 et de 1912 de sa nouvelle théorie du jugement
parviennent à concilier conception relationnelle du jugement et engagement ontologique
acceptable, Russell ne les soutient plus en 1913. Si l’on s’en tient à ce qu’il dit dans le
10
manuscrit de 1913 au sujet des versions précédentes, au moins deux bonnes raisons l’ont
amené à l’abandonner. La première est que sa théorie ne peut pas expliquer comment on
comprend une proposition. La seconde, est qu’elle n’exclut pas la possibilité que l’on puisse
juger du non sens. Comme l’a montré Griffin, ces deux difficultés proviennent du fait que la
théorie du jugement de Russell n’imposait pas de contrainte quant à l’ordre dans lequel les
différents objets du ‘complexe’-objet peuvent survenir à l’intérieur du jugement. Cette
absence de contrainte donne lieu à ce que Griffin a appelé le « Direction problem » (DP) et le
« Wide form of the direction problem » (WFDP) :
It is essential that any theory of judgment be able to distinguish
(7) S believes that a precedes b
from
(8) S believes that b precedes a.
The problem of doing so I shall call the ‘direction problem’. (…)
Moreover, as Stout pointed out Stout, 1914/1915, p. 341, there is a further form of the direction
problem which seems to be unique to Russell’s theory, for the theory has also to distinguish both (7)
and (8) from such putative judgments as:
(9) S believes precedes a b
(10) S believes b a precedes.
That is, the theory must distinguish and rule out cases in which the subordinate relation occurs as a
term in the object-‘complex’, as well as in the judgment complex. (…) Stout’s problem I shall call
‘the wide form of the direction problem’23
.
En adhérant à la théorie multiple de 1910 et 1912, Russell soutenait une théorie du jugement
qui ne pouvait donc pas, en l’état, rendre compte de la compréhension de quelque proposition
que ce soit. Car, comme le montre le cas de la compréhension des énoncés (7) et (8), la
compréhension d’une proposition nécessite que l’on saisisse l’ordre dans lequel les
constituants du ‘complexe’-objet sont agencé. Or, la théorie de Russell ne pose aucune
condition à cet effet. Puis, il suit de l’incapacité de la théorie à répondre à WFDP qu’elle ne
peut pas exclure la possibilité que l’on juge du non sens. Or, une bonne théorie du jugement
devrait, selon Russell, exclure une telle possibilité.
11
En plus de chacune de ces deux difficultés, Anscombe mentionne également
l’incapacité de la théorie de Russell d’expliquer les jugements négatifs :
This theory Russell’s theory of judgment (…) (c) fails to explain negative judgments. For if when I
judge that A is to the right of B I stand in the judging relation to A, B, and the relation to the right of,
what happens when I judge that A is not to the right of B? Do I stand in the judging relation to A, B,
to the right of, and not? Similar questions arise for the other logical constants, ‘I’, ‘and’, and ‘or’24
.
Sur ce point, elle a raison. Toutefois, cela n’implique pas que la théorie de Russell devrait être
abandonnée au profit d’une nouvelle théorie, mais seulement qu’elle était incomplète : elle
n’avait pas de solution à offrir à la question de savoir ce que c’est que juger une proposition
négative ou même moléculaire. Même si sa théorie n’apportait pas, avant 1913, de solution à
ces questions, Russell était tout de même pleinement conscient du problème. Il l’abordera de
manière très succincte et avec beaucoup de circonspection dans Theory of Knowledge25
. Le
résultat s’apparente toutefois plus à une hypothèse qu’à une véritable théorie du jugement
d’une proposition négative. Cela dit, il est clair que Wittgenstein connaissait très bien le
problème du jugement des propositions moléculaires de même que celui du jugement d’une
proposition négative. Comme nous le verrons plus loin, la question de la compréhension et de
la vérité des énoncés négatifs jouera un rôle dans la solution de Wittgenstein à la question de
l’engagement ontologique de la théorie de l’image.
§5 La théorie du jugement de Russell de Theory of Knowledge
Quelle sera la solution de Russell à ces difficultés ? Russell ne répudiera pas
complètement les versions de 1910 et 1912 de sa nouvelle théorie du jugement, mais les
modifiera de façon à pouvoir faire face aux difficultés qu’elles n’arrivent pas à surmonter.
Car, selon lui, si l’obtention d’une relation d’acquaintance entre le sujet et les constituants du
‘complexe’-objet ne constitue pas une raison suffisante pour rendre compte de la
compréhension des propositions, elle n’en constitue pas moins une condition nécessaire. Pour
12
Russell, si on veut surmonter DP et WFDP, il faut donc déterminer quelles sont les autres
conditions à respecter afin qu’il puisse y avoir compréhension d’une proposition. L’idée ici,
c’est de poser des conditions telles que, lorsqu’on les satisfait, on comprend ce que la
proposition exprime, on est en mesure de ne pas confondre les deux sens de deux énoncés tels
que « aRb » et « bRa » dont la relation R est asymétrique et, enfin, on ne peut pas comprendre
une proposition qui n’est pas sensée.
Quelles seront ces autres conditions ? Pour Russell, on ne peut comprendre une
proposition que si on lie les différents termes du ‘complexe’-objet conformément à ce qui est
dit par la proposition jugée. Autrement dit, le problème de la compréhension se ramène en fait
au problème de l’unification ou de la synthèse des éléments du ‘complexe’-objet. Russell
pense que l’on peut résoudre ce problème en introduisant la notion de forme de complexe et
en concevant le jugement comme impliquant aussi une relation à l’une d’elle, parce que la
forme du complexe indiquerait de quelle façon les termes du ‘complexe’-objet doivent être
liés dans le jugement :
Let us take as an illustration some very simple proposition, say “A precedes B”, where A and B are
particulars. In order to understand this proposition, it is not necessary that we should believe it, or that
it should be true. It is obviously necessary that we should know what is meant by the words which
occur in it, that is to say, we must have acquaintance with A and B and with the relation “preceding”.
It is also necessary to know how these three terms are meant to be combined; and this, as we say in
the last chapter, requires acquaintance with the general form of a dual complex26
.
Les formes de complexes telle que « la forme générale d’un complexe dual » sont
caractérisées comme « the way in which the constituents are combined in the complex »27
. Ce
sont des entités abstraites et des universaux qui dépendent ontologiquement des complexes
concrets qui les instancient28
. Nous saisissons ces entités dans une une sorte d’acquaintance
logique, et ce, même si, nous dit Russell, « it may often be hard to detect such acquaintance;
but there is no doubt that, especially where very abstract matter are concerned, we often have
an acquaintance which we find it difficult to isolate or to become acquainted with »29
.
13
L’introduction de ces formes de complexes entraîne une modification de la structure
logique d’un acte de jugement, qui n’est plus J(S, x, R, y), mais plutôt :
J(S, x, R, y, S)
où ‘S’ représente la forme logique d’un complexe à deux places.
L’introduction des formes de complexe permet-elle de surmonter DP et WFDP et
d’obtenir une bonne théorie du jugement ? Il semble que Russell l’ait cru pendant un moment.
Il ne tarda toutefois pas à voir des problèmes dans sa théorie qui ne sont peut-être pas
étrangers aux objections de Wittgenstein. Plusieurs de ces problèmes ont été présentés dans la
littérature secondaire, notamment par Griffin et Hochberg30
. Pears, Sommerville et Hyder ont
aussi montré comment Wittgenstein s’est proposé de résoudre certains d’entre eux31
. La clef
du mystère entourant l’abandon, par Russell, de sa théorie réside dans la compréhension de
ces difficultés et du rôle que Wittgenstein a pu jouer au cours de cette phase de révision.
Comme je m’intéresse ici à la question de l’engagement ontologique de la solution de
Wittgenstein à Q1 et Q2, je ne retiendrai que les deux critiques les plus importantes pour la
compréhension de la position de l’auteur du Tractatus sur cette question.
§6 La critique de Wittgenstein
Le premier des arguments que j’aimerais mentionner est formulé au tout début des
Carnets. Pour Wittgenstein, admettre des formes logiques telles que les formes de complexe
ne rend aucunement compte du fait que l’on comprend les propositions que nous jugeons être
vraies ou fausses : « Nous pourrions donc nous demander : y a-t-il une forme sujet-prédicat ?
Y a-t-il une forme relationnelle ? Y a-t-il en général des formes telles que celles dont Russell
et moi-même avons constamment parlé ? (Russell dirait : « Oui ! Car cela est éclairant ». Ah
14
bon!) »32
. Pour Wittgenstein, saisir une forme abstraite de complexe ne constitue aucunement
une condition nécessaire à la compréhension d’une proposition. Wittgenstein en veut pour
preuve que nous comprenons le sens d’une proposition sans qu’il nous soit expliqué (4.02) et
que des propositions nouvelles, c’est-à-dire des propositions exprimées dans des énoncés que
l’on n’a jamais entendus ou lus nous transmettent (mitteilen) bel et bien un sens (4.03). Nul
besoin alors de saisir quelque forme de complexe pour cela. En réalité, nous comprenons donc
les propositions sans saisir des formes abstraites de complexes.
Puis, dans une lettre adressée à Russell dans les jours ou les semaines qui suivirent
leur entretien choc au sujet de la théorie du jugement, Wittgenstein écrit que la théorie de
celui-ci est erronée ou inadéquate parce qu’elle est incapable de rendre compte de la bipolarité
des propositions :
I can now express my objection to your theory of judgement exactly: I believe it is obvious that, from
the proposition “A judges that (say) a is in the relation R to b”, if correctly analysed, the proposition
“a R b..a R b”, must follow directly without the use of any other premiss. This condition is not
fulfilled by your theory33
.
L’exigence que « a R b..a R b » découle sans autre prémisse de « A judges that a is in the
relation R to b », c’est l’exigence que la proposition jugée puisse être ou bien vraie ou bien
fausse. Autrement dit, comme l’a montré Sommerville, c’est l’exigence que la proposition
jugée ne soit pas du non-sens34
.
§7 Théorie de l’image et théorie du jugement : l’approche épistémologique de Russell versus
l’approche logique de Wittgenstein
Lorsque Wittgenstein partit à Vienne pour les vacances estivales en 1913, il avait à
l’esprit les questions de la compréhension d’une proposition ainsi que celle de la vérité et de
la fausseté d’un jugement et il était également conscient d’un certain nombre de problèmes
propres à la théorie de Russell dont ceux que je viens d’exposer. Restait alors à trouver sa
15
propre réponse à ces questions en évitant les problèmes rencontrés par la théorie de son
maître. Selon David Pears, la réponse de Wittgenstein sera la théorie de l’image35
. Sur ce
point, je suis d’accord avec lui. En fait, pour le dire clairement, j’endosse la thèse selon
laquelle, premièrement, la théorie de l’image est la solution de Wittgenstein aux questions de
la compréhension et de la valeur de vérité d’une proposition et, deuxièmement, que c’est afin
d’apporter une solution à ces questions que Wittgenstein a été amené à développer la théorie
de l’image. Cependant, mes raisons de soutenir cela ne sont pas les mêmes que celles
invoquées par Pears.
Dès l’été de 1913, dans sa correspondance avec Russell ainsi que dans les Notes on
Logic, une des conclusions que Wittgenstein tirait déjà de ses critiques de la théorie de
Russell était qu’on ne pouvait résoudre les questions qu’elle abordait sans une théorie correcte
de la proposition. C’est ce qu’indiquait clairement, pour lui, l’incapacité de la théorie du
jugement de Russell à rendre compte de la bipolarité de la proposition ainsi que son incapacité
à exclure la possibilité de juger du non-sens :
I am very sorry to hear that my objection to your theory of judgment paralyses you. I think it can only
be removed by a correct theory of propositions36
.
The epistemological questions concerning the nature of judgment and belief cannot be solved without
a correct apprehension of the form of the proposition37
.
À ce point de ses investigations, il est clair, pour Wittgenstein, que la solution à certains
problèmes rencontrés par la théorie de Russell ne se trouve pas dans une théorie adéquate de
l’acte de juger, mais plutôt dans une conception adéquate de la nature de la proposition ou une
« théorie correcte des propositions ». Pour lui, la solution à certaines des difficultés propres à
la théorie de Russell ne relève pas de la théorie de la connaissance, mais plutôt de la
compréhension, par l’analyse, de ce qu’est une proposition.
Dans les Carnets, la position de Wittgenstein se radicalise. Il ne soutient alors plus
seulement que la solution à certains problèmes rencontrés par Russell est à chercher dans une
16
théorie correcte de la proposition, mais il exclut qu’une réponse philosophique aux questions
de la compréhension et de la valeur de vérité puisse venir d’autre chose que de l’analyse du
langage. En effet, pour Wittgenstein, si toutes les solutions aux questions qui les intéressent
lui et Russell ne se trouvent pas dans ce que le langage montre et que l’analyse révèle, alors la
solution est extérieure au langage. Elle se trouve dans des objets non linguistiques qui sont
saisis grâce à un type particulier d’expérience. Or, pour lui, il est clair que la philosophie et la
logique n’ont pas besoin d’objets ni d’un type particulier d’expérience d’objets non
linguistiques dans la résolution de problèmes. À cet égard, le langage est suffisant : « Si
l’existence de la proposition sujet-prédicat ne montre pas tout ce dont nous avons besoin,
alors seule l’existence d’un fait particulier de cette forme pourrait le montrer. Et la
connaissance d’un tel fait ne saurait être essentielle à la logique »38
. Puis, l’idée qu’il se fait de
la tâche de la philosophie exclut même que des questions philosophiques ne puissent être
résolues que grâce à une expérience d’un certain type :
Donc, si tout ce que l’on a besoin de montrer est montré par l’existence de PROPOSITIONS sujet-
prédicat, etc., alors la tâche de la philosophie est autre que ce que j’admettais primitivement. Mais s’il
n’en est pas ainsi, ce qui manque devrait être montré par quelque espèce d’expérience, ce que je
considère comme exclu39
.
Autrement dit, pour Wittgenstein, ou bien nous expliquons des questions telles que Q1 et Q2 à
partir de la simple analyse de la proposition et de ce qu’elle montre, ou bien nous faisons
comme Russell et cherchons la réponse à ces questions dans des entités telles que des formes
logiques et une sorte d’acquaintance logique avec ces entités. La seconde option n’étant pas
nécessaire et étant même exclue par la conception que Wittgenstein se fait de l’investigation
philosophique, la réponse aux questions qu’il cherche à résoudre doit se trouver dans le
langage. Dès lors, il ne reste plus qu’à trouver ce qui, dans le langage, permet de rendre
compte des questions et difficultés soulevées par la théorie du jugement de Russell.
17
Sur ce dernier point, Wittgenstein avait déjà mis certaines choses au clair dans les
Notes on Logic. Tout d’abord, pour lui, comprendre une proposition, ce n’est pas saisir une
forme logique, mais plutôt comprendre son sens ou encore savoir ce qui est le cas lorsque la
proposition est vraie :
It is clear that we understand propositions without knowing whether they are true or false. But we can
only know the meaning of a proposition when we know if it is true or false. What we understand is the
sense of the proposition40
.
To understand a proposition means to know what is the case if it is true. Hence we can understand it
without knowing if it is true. We understand it when we understand its constituents and forms41
.
L’avantage d’une telle position sur celle de Russell est que la compréhension n’est alors plus
conçue en terme d’expérience avec une entité abstraite42
. Le fait que Wittgenstein insiste pour
dire que cela se produit indépendamment de la connaissance de la valeur de vérité de la
proposition donne à penser qu’il n’y aurait rien d’autre d’impliqué dans la compréhension
d’un énoncé qu’une expérience de la proposition.
Cela dit, à ce stade-ci, Wittgenstein ne dispose toujours pas de caractérisation de ce
que veut dire « comprendre le sens d’une proposition » et « savoir ce qui est le cas lorsque la
proposition est vraie ». Autrement dit, sa position n’est pas encore satisfaisante, car elle ne
nous dit pas ce qui fait, lorsqu’on considère une proposition indépendamment de sa valeur de
vérité, que l’on comprend son sens ou que l’on sait ce qui est le cas lorsqu’elle est vraie. C’est
à ce moment-là qu’intervient la théorie de l’image. L’idée de Wittgenstein, c’est que le sens
d’une proposition est compris parce que la proposition est telle qu’elle « exprime un sens » et
la proposition est telle qu’elle exprime un sens, car elle est l’image de ce qu’elle exprime :
« Une proposition ne peut exprimer son sens que parce qu’elle en est la réplique logique ! »43
.
L’idée de Wittgenstein ici c’est que la nature de la proposition est telle qu’elle montre ce qu’il
y a à comprendre comme une maquette montre un événement tel qu’un accident
18
d’automobile. C’est la nature de la proposition, c’est-à-dire le fait qu’elle montre, en tant
qu’image, son sens, qui fait en sorte qu’une proposition est comprise.
C’est cette idée avancée dans les Carnets qui deviendra la solution définitive de
Wittgenstein à la question de la compréhension d’une proposition. En effet, on la retrouve
dans le Tractatus dans plusieurs remarques. D’abord, Wittgenstein reprend l’idée que
comprendre une proposition c’est saisir son sens ou savoir ce qui est le cas lorsqu’elle est
vraie : « Comprendre une proposition, c’est savoir ce qui est le cas lorsqu’elle est vraie »44
.
Puis, l’idée que le sens d’une proposition est quelque chose qui est montré ou communiqué
par une proposition en vertu de la nature ou de l’essence de la proposition est affirmée aux
remarques 4.022 et 4.027 :
4.022 La proposition montre son sens.
La proposition montre comment les objets sont liés les uns aux autres si elle est vraie et elle dit
qu’ils sont ainsi liés les uns aux autres45
.
4.027 Il est dans la nature de la proposition de pouvoir nous communiquer un sens nouveau46
.
Enfin, l’idée que c’est parce que la proposition est une image qu’elle montre son sens et
qu’elle est comprise est formulée aux remarques 4.021 et 4.03 :
4.021 La proposition est une image de la réalité. Car je connais la situation représentée par elle
lorsque je comprends la proposition. Et je comprends la proposition sans que son sens m’ait été
expliqué47
.
4.03 Une proposition doit communiquer un sens nouveau avec des expressions anciennes.
La proposition nous communique une situation, donc elle doit être liée de manière essentielle à
la situation.
Et le lien consiste justement en ce qu’elle est son image logique.
La proposition ne dit quelque chose que dans la mesure où elle est une image48
.
Ainsi, chez le premier Wittgenstein, c’est bien la théorie de l’image qui apporte une solution à
la question de la compréhension abordée par Russell. Qui plus est, c’est pour répondre
précisément à cette question que l’idée de proposition comme image est invoquée pour les
19
toutes premières fois dans les Carnets. En conséquence, la théorie de l’image est bien issue
des réflexions de Wittgenstein sur cette question.
La même situation prévaut dans le cas de la question de la vérité et de la fausseté des
propositions. En effet, deux jours après avoir formulé l’idée qu’une proposition exprime son
sens du fait qu’elle en est l’image, Wittgenstein introduit la célèbre comparaison entre la
proposition et une maquette représentant un accident d’automobile. Il affirme alors que cette
idée devrait lui faire voir l’ « essence de la vérité » : « Dans la proposition, un monde est
composé de manière expérimentale. (Comme lorsque devant un tribunal parisien un accident
d’automobile a été représenté au moyen de poupées, etc.) De là (si je n’étais pas aveugle)
devrait immédiatement résulter l’essence de la vérité »49
. Wittgenstein affirme ensuite qu’une
image tel qu’un hiéroglyphe peut être une représentation adéquate ou non adéquate de la
réalité : « Pensons aux écritures hiéroglyphiques, où chaque mot représente son référent !
Pensons que des images réelles d’états de choses peuvent ou non être adéquat »50
. Ce que ce
passage suggère, c’est que l’idée que la proposition est comme une maquette doit nous faire
saisir l’essence de la vérité, car elle nous fournit un modèle pour comprendre le type de
correspondance subsistant entre le langage et la réalité. Pour une proposition, « être vraie »,
c’est représenter la réalité telle qu’elle est en un sens analogue à celui où une maquette ou un
hiéroglyphe représente la réalité telle qu’elle est.
C’est cette même idée que l’on retrouvera dans le Tractatus. En effet, Wittgenstein y
dit que ce qui fait qu’une proposition est vraie ou fausse, c’est qu’elle est une image de la
réalité : « La proposition ne peut être vraie ou fausse que dans la mesure où elle est une image
de la réalité »51
. La vérité et la fausseté d’une proposition consistent, pour lui, dans la
concordance et la non concordance entre ce que la proposition représente, c’est-à-dire entre
son sens, et la réalité : « Sa vérité ou sa fausseté consiste en la concordance ou la non
concordance de son sens avec la réalité »52
. Ainsi, Wittgenstein obtient une alternative à la
20
position de Russell concernant la question de la vérité et de la fausseté de la proposition.
Alors que Russell disait que la question de la vérité et de la fausseté devait trouver sa solution
dans une théorie de la correspondance et s’en tenait, sur cette question, à l’idée qu’il y a
correspondance seulement « lorsqu’il y a un complexe consistant en ses objets »53
.
Wittgenstein, lui, propose de concevoir la relation de correspondance en termes de
représentation picturale de la réalité.
En apportant une réponse aux questions Q1 et Q2 qui se fonde sur la théorie de
l’image, Wittgenstein n’apporte toutefois pas simplement une nouvelle réponse à ces
questions, mais substitue à l’approche épistémologique de Russell une approche « linguistico-
sémantique » ou logique. Ce changement d’approche entraîne une reformulation du problème
d’engagement ontologique sur lequel Russell et Meinong se sont affrontés. Désormais, il ne
consiste plus à déterminer si une bonne théorie du jugement engage ou non à admettre des
entités complexes pour tout acte de jugement, mais plutôt à déterminer si le fait qu’une
proposition représente son sens engage ou non à admettre des entités complexes. Autrement
dit, si le type de solution change, le problème de l’engagement et les deux principales
possibilités de solution à ce problème demeurent : soit on considère que le fait pour une
proposition sensée de représenter son sens engage ontologiquement à admettre une entité
complexe (position du type de celle de Meinong), soit on considère que cela ne nous engage à
admettre que des objets simples (position du type de celle de Russell). J’appellerai
« solution » ou « position de type un-à-un » toutes celles qui engagent à admettre des entités
complexes et j’appellerai « solution » ou « position de type un-à-plusieurs » toutes celles qui
n’engagent à admettre que des objets simples.
§8 Une interprétation de type un-à-plusieurs
21
La question du rapport entre la théorie du jugement de Russell et la théorie de l’image
réglée, reste maintenant à déterminer si la théorie de l’image constitue une solution de type
un-à-un ou une solution de type un-à-plusieurs. Autrement dit, il importe de savoir ce que
sont, pour Wittgenstein, les termes non linguistiques des relations de représentation et s’il
conçoit, à la Meinong, la relation de représentation comme une relation un-à-un ou s’il la
conçoit plutôt, dans la lignée de Russell, comme une relation de type un-à-plusieurs. Sur cette
question, David Pears est le seul qui, à ma connaissance, se soit sérieusement penché sur la
question. Il a soutenu que Wittgenstein adopte une conception de type un-à-plusieurs. Sur le
plan de l’histoire du débat Russell-Wittgenstein, cela signifie que Wittgenstein n’aurait pas
voulu remettre en cause les intuitions sur lesquelles la théorie de Russell reposait, mais
uniquement sa capacité à faire face aux problèmes qu’elle rencontrait.
La position de Pears repose sur deux idées maîtresses, soit, premièrement, l’idée
qu’aucune autre relation sémantique que celle subsistant entre les noms d’une proposition et
les objets simples que ces noms nomment est nécessaire pour qu’une proposition représente
un sens, deuxièmement, l’idée que c’est la structure de la proposition qui montre d’elle-même
dans quel rapport les objets désignés par les noms de la proposition sont dits, par une
proposition p, subsister.
Selon Pears, l’adhésion de Wittgenstein à la première de ces deux idées est
présupposée par son adhésion au « Prinzip der Vertretung » ou « Principe de la
représentation » qui est ainsi nommé et formulé une première fois dans les Carnets en date du
25 décembre 1914 et repris dans le Tractatus à la remarque 4.0312 : « La possibilité de la
proposition repose sur le principe de la représentation d’objets par des signes »54
. Selon Pears,
ce principe constituerait même le « cœur de la théorie de l’image » : « the principle of
representation (Vertretung) is the core of the picture theory »55
. Pour Pears comme pour les
autres partisans de ce principe, ce que l’adhésion à ce principe implique, c’est que la
22
possibilité d’une proposition repose sur le fait que les noms représentent des objets dans la
réalité. Pour eux, cela signifie que, sur le plan ontologique, seule l’existence des objets
représentés est requise par la théorie de l’image pour qu’une proposition puisse représenter
une possibilité ou un sens. C’est d’ailleurs ce que Wittgenstein a exprimé clairement dans les
Carnets un peu plus d’un mois avant d’introduire officiellement ledit principe : « La réalité
qui correspond au sens de la proposition ne peut pourtant être rien d’autre que ses
constituants, car nous ne savons rien d’autre »56
. Or, cette idée n’est autre que celle au
fondement de la théorie un-à-plusieurs de Russell.
La seconde idée maîtresse de l’interprétation de Pears est plus complexe que la
première. Elle fait appel à trois thèses distinctes, soit, premièrement, à la thèse selon laquelle
les propositions sont des faits ou des entités structurées, puis, deuxièmement, à celle selon
laquelle la structure de la proposition est ce qui montre ce que la proposition exprime et,
enfin, que la structure montre son sens d’elle-même, c’est-à-dire sans que cela ne nécessite ou
présuppose l’existence d’une autre entité complexe. Les deux premières thèses sont
intimement liées. Selon elles, la proposition, pour Wittgenstein, est un arrangement de signes
présentant une certaine structure et c’est justement cette structure, c’est-à-dire le fait que les
constituants d’une proposition soient liés les uns aux autres d’une certaine manière à
l’intérieur de la proposition, qui représente et montre comment les objets sont dits être liés les
uns aux autres. Wittgenstein adhère clairement à cette idée dès les Notes on Logic où il écrit :
In “aRb” it is not the complex that symbolises but the fact that the symbol “a” stands in a certain
relation to the symbol “b”. Thus facts are symbolized by facts, or more correctly: that a certain thing is
the case in the symbol says that a certain thing is the case in the world57
.
Propositions which are symbols having reference to facts are themselves facts58
.
Dans le cas d’une proposition telle que « aRb », c’est le fait, nous dit Wittgenstein, que le
symbole « a » est, dans ce symbole complexe, dans la relation « R » à « b », qui symbolise ou
représente ce que la proposition dit des objets a et b, à savoir, que a est dans la relation R à b.
23
Ainsi, dans ces deux passages qui datent de 1913, on retrouve déjà les thèses qui, dans le
Tractatus, seront reprises aux remarques 2.14, 2.141, 2.15 et 3.1432.
Puis, selon Pears, une proposition ou une image représente d’elle-même, de par sa
propre structure, la façon dont les objets représentés ou désignés par les noms de la
proposition sont dits être liés les uns aux autres. Autrement dit, selon cette interprétation,
lorsqu’on dit que c’est parce que et en tant que fait qu’une proposition représente ce qu’elle
exprime, on sous-entend, premièrement, que ce que la proposition représente, c’est-à-dire
cette façon dont les objets sont dits être liés les uns aux autres, n’est pas une entité distincte de
la structure de la proposition. Ensuite, cela sous-entend également que la représentation de la
façon dont les objets sont dits être liés les uns aux autres ne doit pas être comprise comme une
relation sémantique subsistant entre la proposition ou la structure de la proposition et la
possibilité représentée. La proposition représente ce qu’elle exprime du seul fait qu’elle a une
certaine structure. Selon Pears, l’idée que la proposition représente d’elle-même, sans l’appui
d’aucune autre entité et sans devoir entretenir une certaine relation sémantique avec une entité
possible, est exactement ce que Wittgenstein soutient dans les Carnets lorsqu’il écrit : « C’est
ainsi que la proposition représente l’état de choses de son propre chef »59
.
Ainsi, selon Pears, une proposition, disons « aRb », représente son sens comme suit.
Les noms de la proposition réfèrent aux objets a et b. La structure de « aRb » montre que a est
dans la relation R à b. Ce faisant, la seule relation sémantique subsistant entre la proposition et
la réalité est celle qui subsiste entre les noms de la proposition et les objets a et b. Lorsque les
objets a et b sont dans la relation R, alors ils forment une entité complexe qui rend « aRb »
vraie et, lorsqu’ils ne sont pas dans la relation R, alors ils ne forment pas de telles entités et
« aRb » est fausse. Dans l’explication de la compréhension d’une proposition comme dans
celui de sa vérité et de sa fausseté, la théorie de l’image n’engage donc pas à admettre des
24
entités complexes inexistantes ou simplement possibles ni même à admettre des formes
logiques abstraites à la Russell60
.
§9 La théorie de l’image dans les Carnets : une position de type un-à-plusieurs ou une
position de type un-à-un ?
Mais l’interprétation de Pears est-elle juste ? Wittgenstein a-t-il véritablement suivi
Russell dans son débat avec Meinong du début à la fin ? Lorsqu’on regarde ce que
Wittgenstein dit dans ses premiers écrits sur la question de l’engagement ontologique de
l’idée de « représenter son sens », on constate tout d’abord qu’il est plutôt porté à opter pour
une conception de type un-à-un. En effet, dès le moment où il introduit l’idée que les
propositions sont des images (20.09.14) et pendant tout le mois et demi qui suit (ce qui
correspond à 21 pages des Carnets), il n’est toujours question que d’une entité représentée61
.
De plus, dans au moins trois passages dont 25(1) et 25(10) Wittgenstein affirme même
explicitement que ce qu’une proposition représente, en tant qu’image, c’est un Sachverhalt :
Il est manifeste nous sentons la proposition élémentaire comme l’image d’un état de choses
62.
La proposition est l’image logique d’un état de choses63
.
En fait, il faut attendre au 4 novembre 1914 pour que Wittgenstein remette pour la première
fois en cause l’idée qu’une proposition représente une entité complexe. Il invoque alors,
contre l’idée qu’une proposition représente un Sachverhalt, le même motif que celui invoqué
par Russell en faveur d’une théorie multiple du jugement (c’est-à-dire que l’on ne peut
adhérer à une position de type un-à-un parce que, dans le cas des propositions fausses, il n’y a
pas d’entité complexe correspondant à la proposition) :
Comment l’image représente-t-elle un état de choses?
Mais ce n’est même pas l’état de choses, car celui-ci n’a pas du tout besoin d’être le cas64
.
25
À défaut de montrer que Wittgenstein a bien opté, en définitive, pour une solution de type un-
à-un, l’ensemble de ces remarques montre clairement que, entre le moment de son
introduction en septembre 1914 et le 4 novembre de la même année, la théorie de l’image a
été comprise par Wittgenstein comme une solution de type un-à-un.
Comment peut-on expliquer cette préférence de Wittgenstein ? Wittgenstein ne
connaissait-il pas les difficultés soulevées par Russell à l’encontre de la théorie de
l’assomption de Meinong ou n’éprouvait-il pas les mêmes scrupules sur le plan ontologique
que Russell ? À ce sujet, il est clair que Wittgenstein connaissait bien la critique de Russell de
la théorie de Meinong et qu’il n’était pas plus disposé que lui à admettre des entités telles que
des objectifs meinongiens. Toutefois, contrairement à Russell, Wittgenstein ne semble pas
avoir été d’avis que certains aspects curieux des objectifs de Meinong constituaient une raison
suffisante pour rejeter une théorie de type un-à-un au profit d’une théorie de type un-à-
plusieurs. En effet, dès les Notes on Logic, Wittgenstein fait une remarque sur les faits, en
apparence anodine, mais qui, lorsqu’on la remet dans le contexte du débat entre Russell et
Meinong sur la question de la nature des entités comprises, s’avère importante. Dans la
remarque en question, Wittgenstein affirme : « Positive and negative facts there are, but not
true and false facts »65
. Comme je l’ai montré précédemment, les objectifs de Meinong étaient
conçus, certes, comme des porteurs de vérité, mais aussi comme des entités objectuelles
complexes de niveau supérieur, qui peuvent ou non exister. Russell pensait que le fait qu’elles
soient à la fois objectuelles et fausses devait nous les faire rejeter au profit d’une théorie de
type un-à-plusieurs. Ce que Wittgenstein dit dans ce passage, c’est que si Russell a raison de
critiquer Meinong pour l’admission d’entités telles que des objectifs vrais et des objectifs
faux, il ne s’ensuit pas pour autant qu’il faille rejeter toute forme de théorie de type un-à-un.
26
En effet, on peut très bien penser que ce que les propositions représentent, ce sont des faits
positifs et des faits négatifs, selon le cas66
.
Faut-il conclure, sur la base de cette remarque, que Wittgenstein adhère, dans la foulée
de Meinong, à une conception un-à-un de la relation de représentation ? La question est ici un
peu plus compliquée qu’elle n’y paraît. En fait, même si Wittgenstein est d’avis, dès ses
premiers écrits, que la conception un-à-un est plus naturelle que la position de Russell et qu’il
y a des alternatives acceptables aux objectifs de Meinong, il n’en demeure pas moins tenté par
la conception russellienne de type un-à-plusieurs. Une première raison de cette hésitation et
de cet attrait semble venir de la difficulté de produire une ontologie satisfaisante des entités
représentées et, plus particulièrement, des faits négatifs. C’est ce qu’indique notamment la
première remise en cause de l’idée que les propositions représentent des Sachverhalte (c’est-
à-dire celle du 4 novembre que je viens de citer). Comme l’a montré Peter Simons dans son
article sur le problème du complexe, Wittgenstein a de la difficulté dans les Carnets à se
débarrasser de l’idée russellienne selon laquelle les entités représentées par les propositions
sont des complexes67
. Ainsi, en novembre 1914, faute d’alternative claire aux objectifs
meinongiens, Wittgenstein est toujours enclin à concevoir ses Sachverhalte comme des
complexes russelliens. Or, l’idée d’un fait négatif conçu comme un complexe russellien est
difficilement concevable. Une chose telle que a-pas-dans-la-relation-R-à-b n’est pas un
complexe. Si a n’est pas dans la relation R à b, il n’y a effectivement pas de complexe. Il n’y a
pas un tout qui a a, R et b comme constituants et qui existe, mais uniquement a, R et b qui
existent de manière complètement disjointe. Tant que l’on conçoit les entités représentées par
les propositions comme des complexes russelliens, une théorie de type un-à-un de la relation
de représentation n’est donc tout simplement pas envisageable.
Cela dit, au moins une autre raison a longuement fait douter Wittgenstein de la validité
de la théorie de type un-à-un. Il s’agit d’une raison qui est présente chez Russell et qui a
27
motivé le philosophe britannique à adopter une théorie de type un-à-plusieurs. En effet,
lorsque nous comprenons un énoncé négatif vrai, il semble bien que tout ce qui correspond à
l’énoncé dans la réalité ne soit rien d’autre que les objets auxquels réfèrent les noms de cet
énoncé. C’est, notamment, ce que Wittgenstein semble vouloir soutenir lorsqu’il formule le
Principe de la représentation, avance la remarque des Carnets p. 31(8) citée précédemment et
écrit, dans une remarque datée du 4 novembre 1914 : « Un nom représente une chose, un autre
nom une autre chose, et ils sont mêmes liés entre eux » avant d’ajouter : « ainsi le tout
représente-t-il l’état de choses à la manière d’un tableau vivant »68
. C’est également cette
même idée à laquelle Wittgenstein semble adhérer de manière encore plus évidente lorsqu’il
écrit : « Pour qu’une proposition représente un état de choses il est nécessaire seulement que
ses composants représentent ceux de l’état de choses, et qu’ils aient entre eux une liaison que
puissent admettre ces derniers »69
. Dans toutes ces remarques, Wittgenstein semble bel et bien
soutenir que seules l’existence d’objets simples et la subsistance d’une relation sémantique de
désignation entre les noms de la proposition et ces objets simples sont nécessaires pour
qu’une proposition puisse représenter un sens. Autrement dit, il semble tout simplement
adhérer à la première des deux idées maîtresses de l’interprétation de Pears.
Cela dit, la position de Wittgenstein sur cette question est très fluctuante dans les
Carnets. À peine a-t-il envisagé la conception de type un-à-plusieurs, l’idée que la relation de
représentation ne soit qu’une relation entre une proposition et des constituants de complexes
lui pose au moins deux problèmes importants. Le premier de ces problèmes est le fameux
problème de la compréhension auquel Russell a dû faire face et qui a conduit l’a conduit à
modifier sa première théorie du jugement en intégrant les formes abstraites de complexes70
.
Wittgenstein soulève cette objection contre la thèse de type un-à-plusieurs dès le 6 novembre,
c’est-à-dire deux jours seulement après avoir manifesté un intérêt pour une théorie de type un-
à-plusieurs : « Pourrait-on dire : voici l’image, mais on ne peut dire si elle est correcte ou non
28
avant de savoir ce que, par elle, on est censé dire ? »71
. Le fait qu’on ne puisse dire d’une
image si elle est vraie ou fausse avant de savoir ce qu’« on est censé dire » par cette
proposition (was damit gesagt werden soll) présuppose que concevoir la relation comme une
relation subsistant entre une image et des constituants est insuffisant. Pour bien représenter la
réalité, une image ne doit pas simplement référer à des objets, elle doit aussi nous
communiquer ce qui est dit de ces objets. Pour Wittgenstein, cela veut dire que l’image doit
renvoyer à une seule chose, à des objets entretenant un certain rapport. Il y a là, pour lui, un
engagement ontologique à une entité complexe représentée. Toutefois, comme il éprouve des
difficultés, depuis le 4 novembre, à concevoir l’entité représentée comme un complexe
russellien, il ne parle plus d’engagement ontologique à un Sachverhalt, mais plutôt à une
ombre : « Encore une fois, l’image doit projeter son ombre sur le monde »72
. Ainsi, à partir du
6 novembre 1914, Wittgenstein est enclin à revenir à l’idée que la théorie de l’image engage à
admettre des entités complexes représentées. Il est toutefois conscient que ces entités ne
peuvent être des complexes russelliens, mais il ne sait toujours pas ce qu’elles devraient être.
D’où le recours à la notion d’ombre.
Le second problème consiste en une extension de la question de savoir comment les
propositions représentent ce qu’elles expriment (was damit gesagt werden soll) aux
propositions négatives, c’est-à-dire à la négation des propositions élémentaires. Il apparaît à
peu près au même moment que le précédent, mais il n’est véritablement pleinement saisi et
formulé qu’en date du 13 novembre 1914. En effet, dès le 5 novembre, Wittgenstein note en
passant que l’on peut montrer, à l’aide de poupées faisant de l’escrime, « comment on ne doit
pas pratiquer l’escrime »73
. Il en tirera la conséquence, en date du 12 novembre, que les
propositions négatives représentent ce qu’elles disent exactement comme les propositions
élémentaires. Elles aussi sont des images ou encore des descriptions de la réalité : « La
négation est une description, dans le même sens que la proposition élémentaire elle-même »74
.
29
En conséquence, ces propositions aussi devraient avoir une ombre. Autrement dit, elles aussi
engagent ontologiquement à admettre une entité complexe représentée. Toutefois,
contrairement aux propositions élémentaires, ces propositions ne disent pas comment les
choses sont liées les unes aux autres, mais disent « comment les choses ne sont pas liées les
unes aux autres ». Ce qu’elles représentent diffère donc de ce que les propositions
élémentaires représentent. Cette idée que nous pouvons dire, à l’aide de nos propositions,
comment les choses ne sont pas et que nos propositions représentent alors une ombre ou cette
entité consistant en ce « wie es sich nicht verhält », c’est ce que Wittgenstein appelle le
« mystère de la négation » et ce que j’appellerai le « problème de la négation » :
Cette ombre que l’image projette en quelque sorte sur le monde, comment puis-je exactement
la saisir ?
Il y a là un grand mystère.
C’est le mystère de la négation: les choses ne sont pas liées ainsi et pourtant nous pouvons dire
comment est-ce qu’elles ne sont pas liées75
.
Le problème de la négation, c’est celui de rendre compte du fait qu’une proposition négative
représente une entité complexe et que cette entité devrait consister en un « wie es sich nicht
verhält ». Encore une fois, on ne peut concevoir une telle entité tant que l’on conçoit l’entité
représentée comme un complexe russellien. De plus, tant que l’on s’en tient à la métaphore de
l’ombre, on n’a à peu près rien dit d’intelligible sur la nature de cette entité ni même montré
que l’on puisse dire quelque chose d’intelligible à son sujet. Pourtant, c’est seulement si l’on
parvient à apporter une réponse à ces questions que l’on peut résoudre ce qui se présente, de
prime abord, sous la forme d’un mystère.
Quelle sera la solution de Wittgenstein à ce mystère ? Chose certaine, elle ne se trouve
pas dans les Carnets. Dans les faits, Wittgenstein remet en cause, encore une fois, l’idée que
les propositions doivent avoir une ombre en date du 20 novembre. C’est à ce moment-là qu’il
formule la remarque citée par Pears et selon laquelle ce qui est représenté ne peut être autre
chose que les constituants de la réalité. Pears présente ce passage comme étant le seul et le
30
dernier mot de Wittgenstein sur la question. Il n’en est toutefois rien. En réalité, le fin mot de
Wittgenstein sur la question de l’engagement ontologique de la théorie de l’image dans les
Carnets est qu’il n’arrive pas à trouver une théorie satisfaisante de ce que c’est, pour une
proposition, d’être l’image de son sens : « Je ne puis justement pas tirer au clair dans quelle
mesure la proposition est l’image de l’état de choses ! Je suis presque disposé à abandonner
tout effort »76
. Ainsi, dans les écrits prétractariens, Wittgenstein est coincé entre des versions
de type un-à-un de la théorie de l’image et des versions de type un-à-plusieurs et il n’arrive
pas à trancher la question de manière définitive. D’un côté, il lui semble que seule la relation
entre les noms et leurs référents ainsi que la structure de la proposition sont nécessaires pour
qu’une proposition puisse représenter un sens (version de type un-à-plusieurs de la théorie de
l’image). D’un autre côté, il lui semble que les propositions élémentaires comme les
propositions négatives représentent toujours quelque chose de complexe. Elles représentent
une seule entité complexe qui consiste en quelque chose comme la façon dont les objets sont
ou ne sont pas liés les uns aux autres (version de type un-à-un de la théorie de l’image). Le
problème avec la première option est sémantique. Il consiste au fait qu’elle ne semble pas
rendre compte adéquatement de l’idée que la proposition représente son sens
indépendamment de sa valeur de vérité. Pour Wittgenstein, ce qu’une proposition représente,
c’est son ombre, c’est la façon dont les objets sont, dans la réalité, liés ou non les uns avec les
autres. En revanche, cette seconde option pose un problème ontologique dans la mesure où
elle engage à admettre un type d’entités qui est difficilement concevable et dont les notions de
complexe russellien et d’objectif meinongien ne constituent pas de bons modèles.
§10. La solution du Tractatus
Si Wittgenstein ne tranche pas la question de l’engagement ontologique de la théorie
de l’image dans les Carnets, il le fait toutefois dans le Tractatus. La position que je défenderai
31
à cet égard est la suivante. Wittgenstein opte dans le Tractatus pour une version de type un-à-
un de la théorie de l’image. L’adhésion à cette position est rendue possible par l’introduction
d’une nouvelle catégorie d’entités. Il s’agit des situations (Sachlagen) qui n’étaient pas
présentes dans les écrits prétractariens, mais qui ont été introduites dans le Tractatus en lieu et
place des ombres des Carnets. Puis, en faveur de la thèse selon laquelle la théorie de l’image
engage ontologiquement à admettre des situations, je soutiendrai que l’idée selon laquelle les
propositions sensées (élémentaires et négatives) représentent des situations indépendamment
de leur valeur de vérité est comprise comme une relation subsistant essentiellement entre toute
proposition et la situation représentée.
Comme je l’ai mentionné précédemment, l’idée introduite dans les Carnets et selon
laquelle une proposition exprime son sens parce qu’elle en est l’image est toujours présente
dans le Tractatus. Toutefois, deux précisions à ce sujet sont apportées par Wittgenstein.
Premièrement, la terminologie s’est précisée. Lorsque Wittgenstein parle du phénomène de
représentation, par une proposition, de son sens, indépendamment de sa valeur de vérité, il
n’emploie plus, à une exception près (2.11), que l’expression « darstellen ». Puis, lorsqu’il est
question de ce qu’une proposition représente, son sens, il soutient alors que la proposition
représente une situation dans l’espace logique :
2.11 L’image présente la situation dans l’espace logique, la subsistance et la non-subsistance des
états de choses77
.
2.202 L’image représente une situation possible dans l’espace logique78
.
Or, le terme de situation n’était pas présent dans les écrits prétractariens où Wittgenstein
parlait, comme je l’ai montré précédemment, de Sachverhalt, puis, par la suite, d’ombre de la
proposition79
. Ainsi, on a bien affaire à une solution de type un-à-un où les propositions
élémentaires comme leur négation représentent une entité complexe : une proposition sensée
représente une situation, c’est-à-dire, soit la subsistance, soit la non-subsistance d’états de
32
choses. Pour Wittgenstein, une proposition élémentaire telle que « aRb » représente la
subsistance de l’état de choses a-dans-la-relation-R-à-b et une proposition négative telle que
« aRb » représente la non-subsistance de l’état de choses a-dans-la-relation-R-à-b. De plus,
ces entités sont possibles.
Mais, au-delà de l’introduction d’une nouvelle catégorie ontologique, un premier
élément important ici est que, bien qu’il s’agisse d’entités complexes, les situations ne sont
pas caractérisées comme des complexes russelliens. En effet, comme je l’ai montré
précédemment, un complexe, pour Russell est un tout qui existe. Par conséquent, pour qu’une
entité soit un complexe russellien, elle doit remplir au moins trois conditions. Premièrement,
elle doit être composée ou avoir des constituants. Autrement dit, elle doit être une entité
complexe. Mais ses constituants doivent aussi être tels qu’il y a un lien entre eux, c’est-à-dire
un lien tel qu’ils constituent un tout. Enfin, le tout en question doit exister et ne pas être
simplement possible ou inactuel. Or, si les situations remplissent la première de ces trois
conditions, elles ne remplissent pas les deux autres80
. En effet, contrairement à un complexe,
une situation, c’est, par exemple, la subsistance de a-dans-la-relation-R-à-b ou encore la non-
subsistance de a-dans-la-relation-R-à-b. Dans les deux cas, on a affaire à autre chose qu’à un
tout constitué d’objets et d’une relation : la subsistance de a-dans-la-relation-R-à-b ce n’est
pas la même chose que a-dans-la-relation-R-à-b. Il en va de même pour la situation consistant
en la non-subsistance de a-dans-la-relation-R-à-b. De plus, dans ce dernier cas, non
seulement la situation n’est pas un tout, mais la nature même de cette entité exclut la
possibilité qu’il y ait un tout : si la non subsistance de a-dans-la-relation-R-à-b est le cas,
alors il n’y a tout simplement pas de tout a-dans-la-relation-R-à-b. Puis, contrairement aux
complexes russelliens, les situations ne sont pas des entités qui existent dans le monde, mais
des entités possibles qui sont dans l’espace logique.
33
Si les situations ne sont pas des complexes russelliens, c’est parce qu’elles sont, tout
comme les objectifs meinongiens, caractérisées comme des entités d’un niveau supérieur qui
ont trait aux rapports subsistants entre les objets simples. En effet, les états de choses étant des
liaisons d’objets (2.01), dire d’une situation qu’il s’agit de la possibilité de subsistance ou de
la possibilité de non-subsistance d’un état de choses, c’est dire qu’il s’agit de la possibilité
que certains objets se trouvent dans un rapport tel qu’un certain état de choses subsiste ou de
la possibilité que certains objets se trouvent dans un rapport tel qu’un certain état de choses ne
subsiste pas. Si a et b sont dans la relation R, alors il y a un complexe qui consiste en a-dans-
la-relation-R-à-b. Mais la situation possible que a est dans la relation R à b (la subsistance de
ce complexe) est distincte de ce complexe. Il s’agit du rapport subsistant entre des objets
simples et c’est cela que nous affirmons selon Wittgenstein lorsqu’une nous faisons une
assertion. De même, si a n’est pas dans la relation R à b, alors il n’y a pas de complexe tel que
a-dans-la-relation-R-à-b. Néanmoins, il est alors le cas, dans le monde, que a n’est pas dans
la relation R à b. Les objets entretiennent donc bien, entre eux, un rapport qui consiste ici à ne
pas être dans la relation R et c’est ce que nous arrivons à représenter à l’aide d’une
proposition négative telle que « aRb ». En tant que « rapports » ou « configurations » entre
les objets, les situations dépendent ontologiquement des objets : la situation que a est dans la
relation R à b ne pourrait pas exister si a et b n’existaient pas. C’est en ce sens que les
situations sont, comme les objectifs de Meinong, des entités d’un niveau supérieur. Cette idée
que les situations ne sont pas des complexes russelliens, mais des entités d’ordre supérieur est
importante, car c’est cela qui permet de résoudre le problème de la négation sans que
Wittgenstein doive accepter l’existence d’entités inconcevables. En effet, en adhérant à cette
conception des situations, Wittgenstein a une ontologie de l’entité représentée, de l’ombre, qui
lui permet de rendre compte de l’idée d’entité négative représentée et qui ne présente pas les
problèmes conceptuels de la notion de complexe russellien négatif. De plus, sa conception des
34
situations évite les excès de la conception meinongienne dans la mesure où il n’y est pas
question de situations vraies ou fausses ni même de situations impossibles.
Mais cela implique-t-il vraiment que la théorie de l’image engage ontologiquement à
admettre des situations possibles ? À mon avis, c’était bien la position de Wittgenstein dans le
Tractatus. En effet, si on examine attentivement ce que Wittgenstein dit au sujet de l’idée
qu’une proposition représente son sens indépendamment de sa valeur de vérité (2.221+2.22),
on trouve deux thèses importantes et non équivoques qui confirment cette interprétation. Tout
d’abord, à la remarque 4.462, Wittgenstein parle de la représentation comme d’une relation :
4.462 La tautologie et la contradiction ne sont pas des images de la réalité. Elles ne représentent
aucune situation possible. Car celle-là permet toute situation possible, celle-ci aucune.
Dans la tautologie les conditions de la concordance avec le monde – les relations de
représentation – s’annulent mutuellement, de sorte qu’elle n’entretient aucune relation de
représentation avec la réalité81
.
Puis, à la remarque 4.03, Wittgenstein affirme que la relation de représentation subsiste « de
manière essentielle » (wesentlich) entre la proposition et son sens ou la situation possible
qu’elle représente. Or, si « représenter une situation possible » consiste, pour Wittgenstein,
dans le fait d’entretenir de manière essentielle, pour une proposition, une relation sémantique
de représentation avec une situation, alors il doit y avoir, pour toute proposition sensée p, une
situation possible S, telle que S est représentée par p. Dans le Tractatus comme dans la théorie
du jugement de Meinong, on trouve cette idée que le rapport existant entre la proposition ou
l’acte intentionnel et son objet est essentiel et non contingent. La théorie de l’image de
Wittgenstein engage donc en un sens fort à admettre l’existence de situations possibles. Étant
donné que la représentation se limite aux propositions sensées et que les propositions sensées
ne représentent que des situations possibles, l’engagement ontologique de la théorie de
l’image n’inclut pas, comme c’est le cas chez Meinong, d’entités impossibles.
35
Ainsi, en se penchant sur les questions et les problèmes soulevés par la théorie du
jugement de Russell, Wittgenstein n’a pas cru, comme Russell, qu’il fallait renoncer à une
théorie du type de celle de Meinong au profit d’une solution de type un-à-plusieurs. Même s’il
a longuement hésité dans les Carnets entre les deux types de solution, il a finalement reconnu
que l’idée que la proposition représente son sens engage à admettre des entités complexes.
Toutefois, à la notion meinongienne d’objectif, Wittgenstein a préféré retenir la notion de
situation, c’est-à-dire d’entités objectuelles complexes de niveau supérieur qui ne sont pas des
porteurs de vérité, mais des entités possibles82.
36
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1 On trouve deux versions préliminaires plus connues de la théorie du jugement de Russell dans l’essai « On the
Nature of Truth and Falsehood » et le chapitre 12 des Problems of Philosophy. Sur ce, cf. Russell, 1910, pp. 147-
59 et Russell, 1912, pp. 69-75. Griffin mentionne toutefois également que Russell avait formulé, sans y adhérer,
une version préliminaire de ces théories. Sur ce, cf. Griffin, 1985, p. 213 et Russell, 1906. 2 Russell relate l’épisode choc du débat dans une lettre à Ottoline Morrell datée du 27 mai 1913 et dans laquelle
il écrit : « I showed him a crucial part of what I had been writing. He said it was all wrong, not realizing the
difficulties that he had tried my view and knew it wouldn’t work. I couldn’t understand his objection in fact
he was very inarticulate but I feel in my bones that he must be right, and that he has seen something that I have
missed. If I could see it too I shouldn’t mind, but as it is, it is worrying, and has rather destroyed the pleasure in
my writing it is the younger generation knocking at the door I must make room for him when I can, or I shall
38
become an incubus. But at the moment I was rather cross » (Lettre à Ottoline Morrell, passage cité dans Monk,
1996, p. 297 et Pears, 1977, p. 177). C’est également au sujet de cet épisode que Russell écrira à Ottoline
Morrell en 1916 qu’il s’agit d’un « event of first-rate importance in my life », avant d’ajouter : « I saw he
Wittgenstein was right, and I saw that I could not hope ever again to do fundamental work in philosophy »
(Russell, 1968, p. 282). C’est dans les semaines qui suivirent leur débat de mai 1913 que Russell renonça à son
projet et ne publia que les 6 premiers chapitres du manuscrit sous forme d’articles dans The Monist dans les
années 1914-15. Le manuscrit n’est paru intégralement qu’après sa mort en 1984 et en traduction française en
2002. Pour ceux et celles qui s’intéressent aux détails historiques du débat, cf. Ramsden Eames, 1984, pp. xxvi-
xxviii et Blackwell, 1981. 3 On trouve aussi, dans la littérature, des contributions sur ces questions dans Anscombe, 1959, pp. 45-6 ;
Griffin, 1964, pp. 113-14 et Stock, 1973. Mais aucun de ces auteurs n’a eu accès au manuscrit de 1913 et leurs
contributions sont déficientes sur certains points. 4 Sur la question de la nature des objets du jugement chez Meinong et dans la philosophie autrichienne, cf.
Mulligan, 1988. 5 Hochberg mentionne également la question de savoir ce qui est commun entre deux mêmes jugements de deux
personnes distinctes ou encore ce qui est commun entre deux occurrences d’un même jugement d’un individu.
Etant donné que Wittgenstein ne s’est pas penché sur cette question, je ne la mentionne ici qu’en passant. Cf.
Hochberg, 2000. 6 Sur ce, cf. Russell, 1984, p. 110.
7 Sur ce, cf. Russell, 1984, pp. 141-42 et Russell, 1910, pp. 148-49.
8 Sur la critique russellienne de ces deux types de théorie, cf. Russell, 1984, pp. 148-50.
9 Russell ne dit pas explicitement pour quelle raison la théorie de Meinong est une théorie « naturelle à adopter ».
La raison la plus plausible semble être qu’elle considère que les objets du jugement sont des entités du monde
extérieur et que le jugement consiste, par conséquent, en une relation entre un acte subjectif et une entité
objective. En avançant une théorie de ce type, Meinong proposait une théorie différente de celles qui concevaient
les objets du jugements comme des entités abstraites telles que les pensées fregéennes ou encore de celles qui les
concevaient comme des contenus mentaux comme c’était le cas de certains brentaniens. Or, Russell, rejetait ces
deux types de théories (cf., Hochberg, 2000). Il les rejetait, notamment parce qu’il était d’avis qu’elles nous
condamnaient à une forme d’idéalisme (cf. Hyder, 2002, pp. 52-53). 10
Sur les liens entre la théorie de Meinong et la théorie du jugement des Principles, cf. Candlish, 1996, p. 106. 11
Sur l’appréciation de Russell de la théorie de Meinong, cf. Russell, 1984, p. 108. 12
Comme ce n’est pas important pour les problèmes qui m’occupent ici, je ne présente pas la distinction que
Meinong fait entre les « Seinsobjektive » et les « Soseinsobjektive ». Sur ce, cf. chapitre 3 de Über Annahmen. 13
Sur ce, cf. Mulligan & Smith, 1986. 14
Russell, 1984, p. 109. Russell avait indiqué, dès 1910, que l’admission d’objectifs inexistants ayant pour
fonction de rendre des jugements faux suffisait à discréditer la théorie de Meinong. Sur ce, cf., Russell, 1910, p.
152. 15
Cf. Russell, 1984, p. 109. 16
Russell, 1984, p. 79. 17
Russell, 1984, pp. 79-80. 18
Russell, 1992, p. 55. 19
Russell, 1910, p. 153. Voir également Russell, 1912, p. 90. 20
Sur cette terminologie, cf. Griffin, 1985, p. 215. 21
Russell, 1910, p. 153. Voir également Russell, 1912, p. 93. 22
Dans cette présentation de la théorie de Russell, je m’en tiens au cas où la proposition jugée est atomique.
Russell traite toutefois également des cas où les propositions jugées sont des propositions générales. Sur ce et sur
le rapport entre la théorie de la vérité des jugements et la théorie des types, cf. Griffin, 1985, p. 217. 23
Griffin, 1985, p. 219. 24
Anscombe, 1959, p. 46. 25
Cf. Russell, 1984, p. 142. 26
Russell, 1984, pp. 110-111 (c’est moi qui ai ajouté l’italique). 27
Russell, 1984, p. 98. 28
Sur ce, cf. Russell, 1984, pp. 113-114 et Russell, 1992. 29
Russell, 1984, pp. 98-99. Russell parle également d’« expérience logique » au sujet de laquelle il affirme:
« For the present, I am content to point out that there certainly is such a thing as “logical experience”, by which I
mean that kind of immediate knowledge, other than judgment, which is what enables us to understand logical
terms » (Russell, 1984, p. 97). 30
Cf. Griffin, 1984 et Hochberg, 2000. 31
Cf. Pears, 1979, 1987 et 1989 ; Sommerville, 1980 et Hyder, 2002.
39
32
Carnets, p. 25. « Also können wir uns fragen: gibt es die Subjekt-Prädikat Form? Gibt es die Relationsform?
Gibt es überhaupt irgendeine der Formen, von denen Russell und ich immer gesprochen haben? (Russell würde
sagen: “Ja! Denn das ist einleuchtend.” Jaha!) » NB, pp. 2-3. Toutes les citations des écrits de Wittgenstein
proviennent des traductions de Granger. J’ai modifié de manière plus ou moins importante les passages traduits
par Granger et je donne l’original en note en bas de page. 33
Carnets, p. 122. 34
Sommerville, 1980, pp. 186-187. 35
Sur ce, cf., Pears, 1977. 36
Lettre datée du 22 juillet 1913, Carnets, p. 122. L’objection dont il est ici question semble être celle où
Wittgenstein affirme que « a R b..a R b » doit découler immédiatement d’une proposition de la forme « A
juge que aRb » si cette dernière a été correctement analysée et que j’ai citée à la section précédente. 37
NB, p. 106. 38
Carnets, p. 26. « Wenn nicht die Existenz des Subjekt-Prädikat Satzes alles Nötige zeigt, dann könnte es doch
nur die Existenz irgendeiner besonderen Tatsache jener Form zeigen. Und die Kenntnis einer solchen kann nicht
für die Logik wesentlich sein » (NB, p. 3(5)). 39
Carnets, p. 25. « Also: wenn alles, was gezeigt werden braucht, durch die Existenz der Subjekt-Prädikat
SÄTZE etc. gezeigt wird, dann ist die Aufgabe der Philosophie eine andere, als ich ursprünglich annahm. Wenn
dem aber nicht so ist, so müsste das Fehlende durch eine Art Erfahrung gezeigt werden, und das halte ich für
ausgeschlossen » (NB, p. 3(2)). 40
NL, p. 103(4). 41
NL, p. 104(4). 42
Le fait que Wittgenstein affirme que nous comprenons la proposition lorsque nous « comprenons ses
constituants et ses formes » pourraient donner à penser ici qu’il conçoit la compréhension toujours en termes
russelliens, c’est-à-dire en terme d’acquaintance avec un objet logique. Cela est exclu toutefois dans le texte
quelques lignes plus bas où Wittgenstein rend compte de la compréhension des formes en des termes qui visent à
éviter une position russellienne sur la question. Selon lui : « I understand the form “xRy” when I know that it
discriminates the behaviour of x and y according as these stand in the relation R or not » (NL, p. 104(6)).
Autrement dit, ici, « comprendre la forme d’une proposition » ne consiste aucunement en une sorte
d’acquaintance logique avec une forme abstraite. 43
Carnets, p. 31. « Ein Satz kann seinen Sinn nur dadurch ausdrücken, dass er dessen logisches Abbild ist! »
(NB, p. 6(11)) 44
TLP, 4.024. « Einen Satz verstehen, heisst, wissen was der Fall ist, wenn er wahr ist ». 45
TLP, 4.022. « Der Satz zeigt seinen Sinn. Der Satz zeigt, wie es sich verhält, wenn er wahr ist. Und er sagt,
dass es sich so verhält ». 46
TLP, 4.027. « Es liegt im Wesen des Satzes, dass er uns einen neuen Sinn mitteilen kann ». 47
TLP, 4.021. « Der Satz ist ein Bild der Wirklichkeit: Denn ich kenne die von ihm dargestellte Sachlage, wenn
ich den Satz verstehe. Und den Satz verstehe ich, ohne dass mir sein Sinn erklärt wurde ». 48
TLP, 4.03. Ein Satz muss mit alten Ausdrücken einen neuen Sinn mitteilen. Der Satz teilt uns eine Sachlage
mit, also muss er wesentlich mit der Sachlage zusammenhängen. Und der Zusammenhang ist eben, dass er ihr
logisches Bild ist. Der Satz sagt nur insoweit etwas aus, als er ein Bild ist. 49
Carnets, p. 32. « Im Satz wird eine Welt probeweise zusammengestellt. (Wie im Pariser Gerichtssaal ein
Automobilunglück mit Puppen etc. dargestellt wird.) Daraus muss sich (wenn ich nicht blind wäre) sofort das
Wesen der Wahrheit ergeben » (NB, p. 7(3-4)). 50
Carnets, p. 32. « Denken wir an hieroglyphische Schriften, bei denen jedes Wort seine Bedeutung darstellt!
Denken wir daran, dass auch wirkliche Bilder von Sachverhalten stimmen und nicht stimmen können » (NB, p.
7(5)). 51
TLP, 4.06. « Nur dadurch kann der Satz wahr oder falsch sein, indem er ein Bild der Wirklichkeit ist ». 52
TLP, 2.222. « In der Übereinstimmung oder Nichtübereinstimmung seines Sinnes mit der Wirklichkeit besteht
seine Wahrheit oder Falschheit ». 53
Russell, 1984, p. 147. 54
TLP, 4.0312 (Voir également NB, p. 37(8)). « Die Möglichkeit des Satzes beruht auf dem Prinzip der
Vertretung von Gegenständen durch Zeichen ». 55
Pears, 1987, p. 74. 56
Carnets, p. 72. « Die Realität, die dem Sinne des Satzes entspricht, kann doch nichts Anderes sein, als seine
Bestandteile, da wir doch alles Andere nicht wissen » (NB, p. 31(8)). 57
NB, p. 96. 58
NB, p. 97. 59
Carnets, p. 64. « So stellt der Satz den Sachverhalt gleichsam auf eigene Faust dar » (NB, p. 26(12)).
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Selon Pears, Wittgenstein pose en réalité deux autres conditions pour qu’une proposition puisse représenter
son sens. Ces autres conditions sont, premièrement, qu’il y ait une même multiplicité entre l’image et le sens
représenté, puis, deuxièmement, que la combinaison dans laquelle la structure de la proposition représente les
objets simples soit une combinaison possible pour les objets simples concernés. Étant donné que je ne
m’intéresse ici qu’à la question de l’engagement ontologique de la théorie de l’image, je ne m’attarderai pas sur
ces deux éléments. Pour d’autres interprétations ontologiquement non-contraignante de la théorie de l’image, cf.
Bogen, 1971 et Frascolla, 2000, p. 55. 61
Les passages confirmant cette affirmation sont trop nombreux pour que je les cite tous ici. Je peux toutefois
donner la liste des termes d’entité complexe utilisés en spécifiant les références aux passages où ces termes
surviennent et ce, pour chaque terme d’entité complexe utilisé :
Bedeutung (5(2), 18(11))
Beziehung (7(9), 8(1))
Sachverhalt (6(8), 7(5), 8(4-8), 9(10), 12(10), 19(11), 20(1), 24(1), 25(1), 25(10))
Sinn (6(11), 19(8)) 62
Carnets, p. 61. « Offenbar, daß wir den Elementarsatz als das Bild eines Sachverhalts empfinden » (NB, p.
25(1)). 63
Carnets, p. 63. « Der Satz ist das logische Bild eines Sachverhaltes » (NB, p. 25(10)). L’autre passage auquel
je pense est 12(10). On pourrait toutefois également cité 8(4-8). 64
Carnets, p. 64. « Wie repräsentiert das Bild eines Sachverhaltes? Selbst ist es doch nicht der Sachverhalt, ja
dieser braucht gar nicht der Fall zu sein » (NB, p. 26(8-9)). 65
NB, p. 97. 66
Bien qu’il n’ait pas envisagé cette solution en 1913, il est intéressant de noter que Russell fait explicitement
sienne cette position de Wittgenstein en 1918. Cf. Russell, 1918, p. 184. 67
Sur ce, cf. Simons, 1985, pp. 320-23. 68
Carnets, p. 64. « Ein Name repräsentiert ein Ding, ein anderer ein anderes Ding und selbst sind sie verbunden;
so stellt das Ganzewie ein lebendes Bildden Sachverhalt vor » (NB, p. 26(10)). 69
Carnets, p. 64. « Damit also ein Satz einen Sachverhalt darstelle, ist nun nötig, dass seine Bestandteile die des
Sachverhalts repräsentieren und dass jene in einer für diese möglichen Verbindung stehen » (NB, p. 27(1)). 70
Cf. supra, §5. 71
Carnets, p. 65. « Könnte man sagen: Hier ist das Bild, aber ob es stimmt oder nicht, kann man nicht sagen, ehe
man weiß, was damit gesagt sein soll? » (NB, p. 27(9)). 72
Carnets, p. 65. « Das Bild muss nun wieder seinen Schatten auf die Welt werfen » (NB, p. 27(10)). 73
Carnets, p. 65. « wie man nicht fechten solle » (NB, p. 27(6)). 74
Carnets, p. 68. « Die Verneinung ist im selben Sinne eine Beschreibung wie der Elementarsarz selbst » (NB, p.
29(6)). 75
Carnets, p. 71. « Jener Schatten, welchen das Bild gleichsam auf die Welt wirft: Wie soll ich ihn exakt fassen?
Hier ist ein tiefes Geheimnis. Es ist das Geheimnis der Negation: es verhält sich nicht so, und doch können wir
sagen, wie es sich nicht verhält » (NB, p. 30(7-9)). Ce que j’appelle ici le « problème de la négation » était un
des problèmes les plus importants qu’aient rencontrés les philosophes autrichiens dans l’élaboration de leurs
théories du jugement. Sur ce, cf. Mulligan, 1988. 76
Carnets, p. 89. « Ich kann eben nicht herausbringen, inwiefern der Satz das Bild des Sachverhaltes ist! » (NB,
p. 41(12)). 77
« Das Bild stellt die Sachlage im logischen Raume, das Bestehen oder Nichtbestehen von Sachverhalten vor ». 78
« Das Bild stellt eine mögliche Sachlage im logischen Raume dar ». 79
L’expression « Sachlage » n’est jamais utilisée par Wittgenstein dans les écrits prétractariens. Toutefois, la
majorité des spécialistes du Tractatus ne voient pas dans l’introduction de cette notion une réelle innovation dans
la philosophie du philosophe autrichien parce qu’ils considèrent les Sachlagen comme des sortes d’états de
choses ou de Sachverhalte complexes. Selon moi, c’est une grave erreur d’interprétation. En réalité, aucun état
de choses n’est une situation et aucune situation n’est un état de choses. Je me suis appliqué à démontrer cela
dans ma thèse de doctorat et je reprends cette démonstration dans un article à paraître sur l’ontologie des entités
complexes dans le Tractatus. Cf. Plourde, 2004, pp. 461-470. 80
Au moins deux remarques confirment que les situations sont des entités ayant des objets simples pour
constituants. Il s’agit de la remarque 2.0121 où Wittgenstein parle de la possibilité pour les objets simples de
convenir à une situation (passen) et de la remarque 4.01211 où Wittgenstein affirme qu’une proposition « fa »
montre « dass in seinem Sinn der Gegenstand a vorkommt ». 81
TLP, 4.462. « Tautologie und Kontradiktion sind nicht Bilder der Wirklichkeit. Sie stellen keine mögliche
Sachlage dar. Denn jene lässt jede mögliche Sachlage zu, diese keine. In der Tautologie heben die Bedingungen
der Übereinstimmung mit der Welt – die darstellenden Beziehungen - einander auf, so dass sie in keiner
darstellenden Beziehung zur Wirklichkeit steht.
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Les recherches ayant mené à la rédaction de cet article ont été effectuées en partie à l’Université de Genève
dans le cadre de la rédaction de ma thèse de doctorat et en partie également à l’Uqam dans le cadre de mes
recherches postdoctorales. Je tiens à remercier mon directeur de thèse de l’époque, Kevin Mulligan, pour l’aide
apportée et les discussions fructueuses que nous avons pu avoir sur ces questions au cours des dernières années
ainsi que Denis Fisette pour les non moins fructueuses discussions que nous avons pu avoir depuis mon arrivée à
l’Uqam. Des versions préliminaires de ce texte ont été présentées lors du dernier colloque de la SOPHA à
Montréal ainsi qu’au Département de philosophie de l’Université de Sherbrooke suite à une invitation d’Yves
Bouchard. Je tiens à remercier vivement ce dernier pour son invitation, son intérêt et ses judicieuses questions.
Mes remerciements vont également à un évaluateur anonyme pour ses remarques pertinentes ainsi qu’aux Fonds
FQRSC et FNRS (Fonds national de recherche scientifique suisse) pour leur soutien financier.