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Revue d’ethnoécologie 18 | 2020 Varia Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ethnoecologie/6203 DOI : 10.4000/ethnoecologie.6203 ISSN : 2267-2419 Éditeur Laboratoire Eco-anthropologie et Ethnobiologie Référence électronique Revue d’ethnoécologie, 18 | 2020 [En ligne], mis en ligne le 31 décembre 2020, consulté le 20 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/ethnoecologie/6203 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ ethnoecologie.6203 Ce document a été généré automatiquement le 20 mars 2021. Revue d'ethnoécologie est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modication 4.0 International.

Revue d'ethnoécologie, 18 - OpenEdition Journals

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Revue d’ethnoécologie 

18 | 2020Varia

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/ethnoecologie/6203DOI : 10.4000/ethnoecologie.6203ISSN : 2267-2419

ÉditeurLaboratoire Eco-anthropologie et Ethnobiologie

Référence électroniqueRevue d’ethnoécologie, 18 | 2020 [En ligne], mis en ligne le 31 décembre 2020, consulté le 20 mars2021. URL : http://journals.openedition.org/ethnoecologie/6203 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ethnoecologie.6203

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Revue d'ethnoécologie est mis à disposition selon les termes de la licence Creative CommonsAttribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

SOMMAIRE

EditorialLa rédaction

Igor de Garine et l’anthropologie de l’alimentationIgor de Garine 23 février 1931-27 juin 2018Serge Bahuchet

Le poisson, le pêcheur et l’épouse du pêcheurPierre Grenand et Françoise Grenand

Onyùmənyùmà, le règne olfactif chez les Fang-Ntumu du GabonEssai de catégorisationRégis Ollomo Ella

Apprendre la mer au Gabon et défier les approches disciplinairesCatherine Sabinot

Du rat-toto fils du porc-épic, de la panthère et de la nandinieSavoir encyclopédique et pensée analogique sur l’origine des masques de la famille Zamble en pays Gouro (RCI)Claudie Haxaire

Past and present of allspice (Pimenta dioica) in Mexico and GuatemalaFrom traditional management to current large-scale marketsPaulina Machuca, María Teresa Pulido-Salas et Felipe Trabanino

La toute-épice en Europe occidentale, un complémentFrançoise Aubaile-Sallenave

Anthropologie de l'alimentation

Du bon usage de la vodkaPhilippe Mennecier

Partage, fête et alliance dans les sociétés arabo-musulmanesFrançoise Aubaile-Sallenave

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EditorialLa rédaction

1 À l'été 2018, Françoise Aubaile-Sallenave a pris l'initiative de réunir en hommage à

Serge Bahuchet, des textes de chercheurs ayant tous travaillé de près ou de loin aveclui, dans l'optique interdisciplinaire. C'est cette approche, telle qu'elle est définie sur lesite de la Revue à cette page : https://journals.openedition.org/ethnoecologie/1593, quiétait également celle du LACITO (Laboratoire de langues et civilisations à traditionorale UMR 7107) où Serge Bahuchet a été chercheur de 1979 à 1999, et aussi celle del'UMR 7206 « éco-anthropologie & ethnobiologie » du Muséum national d’histoirenaturelle qu'il a fondée en 2000 et dirigée jusqu’à 2018, ce qui a motivé la réunion deces articles d'hommage.

2 L'idée de Françoise Aubaile a d'abord été de publier ces Mélanges dans la Revue

d'Ethnoécologie. Le liber amicorum devait lui être offert, comme une surprise, lors d'unefête qui a réuni autour de lui une bonne centaine de ses amis, au Musée de l'Homme le16 septembre 2019, et qui marquait ses cinquante années d’engagement dans larecherche ethnoécologique !

3 Ces articles comportaient, à des degrés divers, des références personnelles et des

marques de complicité, de gratitude, d'amitié voire d'affection, inhabituelles dans unerevue scientifique, de celles qu'on ne commence à prodiguer en général que lors d'undépart en retraite ou d'un enterrement, et donc fort heureusement complètementprématurées en l'espèce.

4 En accord avec la directrice de l'UMR 7206, Evelyne Heyer, il a été convenu d'une part

de laisser toute son originalité au recueil de textes d'hommage édité par FrançoiseAubaile, qui sera publié in extenso très bientôt, et d'autre part, de reprendre dans un ouplusieurs numéros de la Revue d'Ethnoécologie ceux de ces articles qui s'inscrivent lemieux dans la perspective pluridisciplinaire de la Revue. C'est ce que nous commençonsà faire dans ce numéro 18 avec les articles de Françoise et Pierre Grenand, de RégisOllomo Ella, de Catherine Sabinot, de Claudie Haxaire, de Philippe Mennecier et deFrançoise Aubaile

5 Il aurait été extrêmement dommage, en effet, que ces articles de grande valeur ne

finissent par être confinés, ou publiés dans d'autres revues, alors qu'ils apportent une

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matière superbe à notre Revue et s'inscrivent à merveille dans le droit fil de nostraditions et de nos ambitions telles que rappelées plus haut, avec ces quatre mots clés :originalité, ethnoécologie, interdisciplinarité, terrain.

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Igor de Garine et l’anthropologie del’alimentationIgor de Garine 23 février 1931-27 juin 2018

Serge Bahuchet

« J’ai choisi de travailler sur l’alimentation car ils’agit d’un domaine neutre et riche, il est à la

limite de la nature, de la biologie et de la culture.En amont il est possible de faire œuvre de

naturaliste, traiter de la botanique ou de lazoologie, traiter des techniques, observer les

résultats au niveau de la biologie, s’intéresser auxaspects symboliques qui permettront d’allerjusqu’à la religion. Étudier qui mange quoi ?

combien ? quand ? pourquoi ? avec quel résultatbiologique ? permet d’atteindre la plupart des

aspects de la culture ». (Garine 2007a : 49)

1 À plusieurs moments cruciaux de ma vie, Igor de Garine m’a orienté. La toute première

fois, en juin 1972, dans l’historique bureau de Raymond Pujol au labo d’ethnozoologiedu Muséum, j’étais lycéen et je préparais mon voyage « initiatique » chez les Pygméesde Centrafrique. Igor m’y a donné une leçon impromptue d’anthropologie del’alimentation, essentiellement en m’exhortant à quantifier. Je ne suis pas resté assezlongtemps sur le terrain pour le faire cette fois-là (deux mois), mais l’instruction m’estrestée. Plusieurs années plus tard, Igor, Marcel Hladik et moi-même voyageons en RCA.Je suis alors en pleine conception de ma thèse. Igor, examinant mon travail, me posenombre de questions et me donne des orientations qui transformeront autant mesanalyses que ma rédaction. J’ai encore aujourd’hui en tête la question qui concluait sesremarques : « Qu’est-ce que tes Pygmées ont dans le citron ? » - ce qui est un résumépeut-être abrupt mais ô combien remarquable de la quête ultime de l’ethnologue… Etaussi de ce qu’était Igor…

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Figure 1 : Igor de Garine à son bureau, chez lui à Pargade, 2008

Cliché A. Aranda

Un parcours

La formation en ethnologie1

2 Passionné d’histoire naturelle, Igor de Garine se destinait à l’ornithologie. Son niveau

en mathématique et son peu d’appétence pour la physique et la chimie l’empêchentd’être accepté à la Faculté des sciences (Garine 2007a : 46). Il s’inscrit alors en 1948 à laFaculté des lettres et sciences humaines, à la Sorbonne et à l’École pratique des hautesétudes, où il suit les cours d’ethnologie, de sociologie et d’histoire des religions,notamment de M. Leenhardt, C. Lévi-Strauss, G. Gurvitch. Certificats obtenus, il passel’année universitaire 1950-51 à l’Université de Californie à Santa Barbara grâce à unebourse des fondations Fulbright et Marsden, à l’issue de laquelle il poursuit en licence àla Sorbonne et au centre de formation à la recherche ethnologique (CFRE, fondé en 1946par André Leroi-Gourhan au Musée de l’Homme). Il en obtient les deux diplômes en1953.

3 La formation du CFRE entraîne à des stages sur le terrain ; Igor va réaliser son premier

terrain de trois mois en Mauritanie en 1953, chez les Oulad Ebeiri de Trarza. C’est sonentrée en « africanisme », qui durera toute sa vie. Après son diplôme, il poursuit safréquentation du CFRE en participant à l’encadrement des stages des étudiants. C’estune période décisive, une étape formatrice où il rencontre des maîtres qui orientent sadémarche d’ethnologue, en tout premier lieu André Leroi-Gourhan et André-GeorgesHaudricourt.

4 Avec ce dernier, il s’intéresse aux techniques et aux gestes, auxquels il consacre ses

premières publications (Garine 1957). Elles correspondent à sa collaboration avec A.-G.

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Haudricourt pour la préparation d’un ouvrage de ce dernier sur les techniques pour lacollection Gallimard qui restera finalement inédit. Le manuscrit de ce livre intitulé Essai

sur les techniques dans les sociétés pré-machinistes a été récemment publié par J.-F. Bert(2010). On sait qu’A.-G. Haudricourt a écrit tous ses ouvrages majeurs avec unrédacteur ; pour celui-ci il avait choisi Igor de Garine :

« Cet ouvrage a été entrepris avec la collaboration d’I.G. qui a dessiné la plupart desfigures, cherché la documentation de la première partie de l’ouvrage, fait labibliographie et une première rédaction des sept premiers chapitres. [Diversescontraintes] l’ont empêché de s’occuper de la rédaction définitive qui est soumiseici. ». (in Bert 2010 : 27)2

5 Nul doute que ces « diverses contraintes » n’aient été son service militaire qu’il effectue

pendant 28 mois, de 1955 à 1957, en pleine guerre d’Algérie.

6 Les schémas réalisés par Igor3 ont été partiellement repris en 1968 sans sa signature,

dans le chapitre « La technologie culturelle » qu’AGH a publié dans la Pléiade(Haudricourt 1968). Il faut attendre la réédition de ce texte important en 1988 pour quela collaboration d’Igor de Garine soit révélée.

Figure 2 : Dessins d’Igor pour le livre de Haudricourt sur les techniques

Ligne supérieure : planche originale non publiée, dans les archives de l’IMEC (in Bert 2010) ; ligne dubas : publiés dans Haudricourt 1968, 1988)

7 C’est aussi au CFRE qu’il va rencontrer Roger Bastide, nommé professeur à la Sorbonne

en 1958 et qui donne ses cours au Musée de l’Homme, à côté de Leroi-Gourhan aveclequel il anime le CFRE. Igor a toujours été impressionné par l’ethnologie de Bastide. Ilparticipera aux activités d’enseignement du CFRE, au Musée de l’Homme, parintermittence, jusqu’en 1966.

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Les Masa

Figure 3 : « Pêche collective de saison sèche (Yagoua) ». Masa, juin 1958

Cliché I. de Garine (Pl. V, Garine 1964a)

8 À sa démobilisation, Igor de Garine obtient une bourse de l’Institut international

africain (IIA/IAI) qui lui permet de mener son grand terrain de thèse de 15 mois, chezles Masa4 du nord du Cameroun, en 1958-1959. Il en rapporte des informations et desobservations considérables, ainsi qu’une ample collection ethnographique de près de300 objets pour le Musée de l’Homme5. Cet ensemble d’outils, vanneries, engins depêche, armes de chasse, poteries, accessoires alimentaires, est caractéristique de la viequotidienne des Masa, mais aussi des Musey et des Musgum qui vivent dans la mêmerégion. En 1962, il soutient sa thèse Les Massa du Cameroun – vie économique et sociale, sousla direction d’André Leroi-Gourhan, thèse qui sera publiée en 1964 dans la série« Études ethnographiques » de l’IIA.

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Figure 4 : Dessins d’Igor d’objets masa : « panier à poisson (sagata), muselière à empêcher lesveaux de têter (jabayna), trident à poisson (nayna) »

Garine 1964a

9 Il étend sa recherche par un séjour d’un an au Tchad, en 1962-63 chez les Musey, voisins

directs des Masa, puis 4 mois en 1965 chez d’autres voisins, les Tupuri, les Kera et lesMundang, puis à nouveau 4 mois en 1970-71… Il ne cessera désormais plus de visitercette région et ces populations, avec lesquelles il tisse de profondes relations amicales,jusqu’à ses derniers jours. Il leur consacre d’ailleurs un cinquième de son immenseproduction de plus de 200 titres !

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Figure 5 : Chez les Tupuri. Années 60

Cliché I. de Garine

10 Igor de Garine a, en effet, rapidement compris que sa recherche devait dépasser la

monographie d’une seule ethnie, pour prendre en compte les groupes voisins, certainsétant culturellement et linguistiquement apparentés, d’autres non, mais tousentretenant des relations d’échanges, éventuellement antagonistes, et partageant lemême écosystème, les vallées d’inondation du Logone, du Chari et du Mayo Kebbi. C’estaussi une zone de rencontre de deux familles linguistiques, masa, musey, musgum, keraétant des langues tchadiques, alors que tupuri et mundang sont des langues adamawa.

11 À la suite de sa deuxième mission, il avait envisagé d’approfondir son étude des Musey,

déposant en 1963 un sujet de thèse d’État sous la supervision de R. Bastide : « Lesacrifice chez les Moussey ; étude de l’organisation religieuse et sociale dans sesrapports avec les tensions caractéristiques de la vie quotidienne ». Mais sa carrièreallait prendre un tournant fort différent.

La FAO

12 En effet, Igor de Garine entre au CNRS en 1959 comme attaché de recherche, mais en

1960 il effectue une mission de sept mois au Sénégal pour le compte de la FAO, grâce àJean-Paul Lebeuf, spécialiste du Tchad et du Nord–Cameroun, qu’il avait rencontré àLondres à l’IAI (International African Institute) ; c’était d’ailleurs lui qui l’avait convaincud’aller travailler au Cameroun pour sa thèse. Igor est chargé d’une enquête sur « l’étudedes conditions de la vie familiale, portant sur le substrat socio-culturel des habitudesalimentaires » de la région de Khombole peuplée de Wolof et de Seereer. Il en rapporteun « rapport sur les habitudes alimentaires » (Garine 1960), qu’il va compléter lors d’unsecond séjour l’année suivante. C’est le point de départ de son « ethnologie de

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l’alimentation », comme il l’énonce lui-même, et qui va désormais occuper toute sacarrière. C’est aussi le thème de son premier gros article (Garine 1962).

13 En 1963-1964, le CNRS détache de Garine à la FAO à Rome, puis à nouveau en 1967, où il

crée la Section des habitudes alimentaires dans la Division de la nutrition, fonction qu’iloccupe jusqu’en 1970. Cette fonction l’amène à se rendre dans de nombreux pays dumonde, tant pour des réunions et des séminaires, que pour organiser des enquêtes etprogrammes nationaux de nutrition appliquée, toujours prolongés par des rapports. Ilva ainsi séjourner en Afrique (Niger, Cameroun, Burkina Faso), en Amérique latine(Argentine, Paraguay, Brésil, Chili) et aux Philippines.

14 Cette période à la FAO et les responsabilités qui lui incombent pour la mise en place de

cette nouvelle section, où son apport d’ethnologue expérimenté prend toute sonimportance, a aussi comme conséquence d’élargir sa conception de l’ethnologieappliquée à l’alimentation. En effet, Igor de Garine va acquérir une vision mondiale duphénomène alimentaire, prenant en compte les aspects économiques, les questions desanté publique, de sous-nutrition, de milieux urbains, de sous-développement… Il estégalement confronté aux problèmes méthodologiques que pose la prise en compte desaspects socio-culturels. C’est là qu’il forge sa conception de l’anthropologie de

l’alimentation, qui se développera dorénavant.

15 Pour asseoir la prise en compte des aspects culturels dans les programmes de nutrition,

sa fonction nécessite des efforts de diffusion, dans les conférences, dans des rapports etdans des publications internes à la FAO, puis dans de nombreux articles destinés aupublic scientifique (parmi les plus importants, hors rapports, Garine 1969a, 1969b,1970a).

La commission internationale pour l’anthropologie de l’alimentation

16 La montée des préoccupations sur les questions alimentaires dans le monde

académique aboutit en 1968 dans la résolution, lors du 8e congrès international dessciences anthropologiques et ethnologiques à Tokyo (VIIIe ICAES), de créer un comitéinternational pour l’anthropologie de l’alimentation et les habitudes alimentaires(International committee for the anthropology of food and food habits, ICAF6). Lors de sapremière réunion en 1970, Igor de Garine en est élu secrétaire, Mary Douglas etRavindra Khare présidents7. La même année, à son retour au CNRS en quittant la FAO,Igor met en place ce secrétariat, initialement installé au Musée de l’Homme avant del’être au laboratoire d’ethnobotanique à l’invitation de Roland Portères8, en 1971.

17 De Garine avait déjà rencontré Portères dès son retour du Cameroun en 1958, où il lui

présenta l’herbier qu’il avait confectionné sur le terrain. Il rapporta par la suite desherbiers de toutes ses missions, qu’il dépose au laboratoire d’ethnobotanique. Ilrapporta également des échantillons de riz du Tchad pour enrichir les recherches de R.Portères. Son attrait pour l’histoire naturelle, accompagné d’une profondeconnaissance de la faune africaine, explique son affinité avec les ethnosciences. Il estainsi l’un des fondateurs de la Société d’ethnozoologie et d’ethnobotanique en 1964avec R. Portères, Jacqueline M. C. Thomas et Lucien Bernot. Il prêtera toujours uneattention particulière aux données ethnoscientifiques dans tous ses terrains, ce quiconstitue l’une des méthodes-clefs de l’anthropologie de l’alimentation.

18 À ce dernier sujet, Igor est chargé la même année 1970 d’un cours « Alimentation et

culture », dans l’option « Santé publique et nutrition dans le processus de

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développement » à l’Institut d’étude du développement économique et social (IEDES,Université Paris I9). Dans le prolongement de ses activités à la FAO liées audéveloppement, Igor était très attaché à ses cours de l'IEDES, qui accueillaient un publicprofessionnel varié, souvent originaire de pays en développement. Il va aussi étendreson expérience de l’ethnologie de l’alimentation en menant à cette période desenquêtes dans le sud de la France, en Béarn et au Pays basque (1971-1972).

19 Son rôle de secrétaire de l’ICAF l’engageait à créer un fichier des chercheurs intéressés

aux problèmes de l’alimentation et à les mettre en relation, à les engager à publier leurstravaux, à inclure l’ethnologie de l’alimentation dans les réunions scientifiques, àlancer les bases d’un groupe de travail spécifique. Il va ainsi organiser en décembre1979 une rubrique « Anthropologie de l’alimentation/Anthropology of food » dans la revueSocial Science Information/Informations sur les sciences sociales (édition Sage), à partir duVolume 18, n°6, revue dont le secrétariat est à la Maison des Sciences de l’Homme. C’estaussi à la MSH que se tiendront des séminaires réguliers (cf. Garine 1979a). Igor deGarine va inlassablement promouvoir la thématique de l’anthropologie del’alimentation dans de nombreuses publications programmatiques et par sescommunications à nombre de colloques (Garine 1969c, 1970b, 1971, 1972, 1975a, 1979b).

20 En 1993, il devient à son tour président de l’ICAF. Depuis lors, sous son impulsion et ses

efforts, l’ICAF, Commission internationale pour l’anthropologie de l’alimentation10, apleinement joué ce rôle d’incitateur, en fondant des comités nationaux dans denombreux pays du monde, et en organisant régulièrement des colloques et symposia

internationaux dans divers endroits du monde. Depuis la première réunion fondatricelors du Congrès de New Dehli en 1978, une cinquantaine de conférences de l’ICAF ontainsi été réunies (cf. Garine et al. 2009 pour un bilan des activités de l’ICAF). Igor atoujours été présent à ces colloques, dont il avait souvent suscité le thème, et où il alargement contribué, soit par la conférence introductive, une communication dans lesujet de la réunion, soit dans l’introduction du volume de publication11. Ajoutonsqu’Igor s’est lui-même rendu sur les terrains de ses correspondants, en les aidant àdévelopper des programmes d’études.

21 L’ICAF n’a pas de budget propre ; elle ne peut donc avoir qu’un rôle incitatif, tout

particulièrement à travers les colloques :

« through conferences ICAF has managed to stimulate different individuals to drawon aspects of their own research and expertise to give a paper directed towards thetheme of that conference » (Garine et al. 2009 : 13)

22 ce qui est une excellente définition de la démarche insufflée par Igor de Garine pour le

développement de l’anthropologie de l’alimentation au niveau international.

Les groupes de recherche au CNRS

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Figure 6 : Igor dans un essart ngbaka. Lobaye, village de Bobele, RCA, 1981

Cliché C.-M. Hladik

23 Parallèlement à ses activités d’animateur au sein de l’ICAF, Igor ressent la nécessité de

mettre en pratique au CNRS ce qu’il préconise au niveau international. À cette fin, il vaobtenir en 1978 la création d’une équipe de « recherche coopérative sur programme »(RCP 546) intitulée Anthropologie alimentaire différentielle, après nombre de réunionsinformelles préparatoires. Les chercheurs et étudiants qui se réunissent alors autourd’Igor relèvent de disciplines différentes, ethnologie, anthropobiologie, nutrition,écologie, primatologie, ethnoécologie, la conviction d’Igor étant que l’étude del’alimentation se doit d’être pluridisciplinaire. Les réunions ont deux objectifs. Lepremier, le plus important à cette étape, consiste à définir une méthodologie d’équipe.Le primatologue-écologue Claude-Marcel Hladik et l’ethnologue Pierre Robbes’associent étroitement à Igor de Garine dans cette réflexion. Le deuxième objectifconsiste à choisir un site de terrain au cœur duquel la diversité disciplinaire devienneun atout aux recherches collectives de l’équipe. Ces discussions sont nourries par laconnaissance des terrains des participants à la RCP, et par la grande expérience d’Igor,à la fois basée sur la littérature et sur ses nombreuses visites de communautés dansdivers écosystèmes du monde. I. de Garine est profondément convaincu que l’étude del’alimentation, outre sa nécessaire pluridisciplinarité, doit aussi s’effectuer sur une base comparative. Aussi son équipe cherche-t-elle un lieu partagé par plusieurs ethniesdifférant par des traits culturels, économiques ou linguistiques.

24 Ce programme interdisciplinaire et cette méthodologie seront à la base du

renforcement institutionnel de la RCP, dont va résulter en 1983 une structure pérennesous la forme d’une unité mixte de recherche avec le Muséum (UMR 9935), intitulée« Anthropologie et écologie de l’alimentation », sous la direction d’Igor de Garine, puisde C.-M. Hladik12.

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25 C’est aussi à cette époque qu’Igor rencontre un jeune hollandais ingénieur en nutrition,

Georgius (« Georges ») Koppert (1950-2019), cherchant un stage de fin d’étude pour sondiplôme de l’université de Wageningen. Il va devenir son assistant et son partenaireindispensable, à la fois pour réaliser les études sur le terrain mais surtout pour forgerles méthodes quantitatives statistiquement solides nécessaires à cette anthropologie del’alimentation interdisciplinaire qu’Igor veut construire. Georges sera la chevilleouvrière des terrains majeurs engagés par Igor (Népal, et surtout Cameroun sud etnord). Georges est brutalement décédé peu après Igor, en mars 201913.

Figure 7 : Chez les Tamang (Népal), 1982

Cliché I. de Garine

26 Igor de Garine a ainsi accompagné d’autres équipes, encadré des étudiants ou de jeunes

chercheurs et impulsé des programmes d’anthropologie de l’alimentation aux ÎlesMarquises (1979), au Népal (1981-1982 – Toffin et al. 1986), en Inde (1982), au Mexique(Jalisco, de 1993 à 1996 – Ávila et al. 2003), au Zimbabwe (1996 – Garine & Garine-Wichatitsky 1999), au Bélize (1996), au Vanuatu (1981, 1998) … Il avait organisé cesvoyages au Vanuatu, notamment à Tana, avec son camarade Joël Bonnemaison, et il enétait revenu particulièrement impressionné. Il a séjourné sur les terrains de deux de sesenfants, au Cameroun avec Éric Garine14 devenu à son tour ethnologue (chez les Duupa),et au Zimbabwe et en Nouvelle-Calédonie avec Michel de Garine-Wichatitsky,vétérinaire et écologue.

27 Dans le même temps, il a organisé et préparé le terrain pour des recherches menées au

sein de sa propre unité de recherche, en Centrafrique (1981), dans diverses régions duCameroun (1989, 1994-95), au Mexique (Chihuahua, 1999 – Balcáza et al. 2009). Il asurtout mis sur pied et participé à un ambitieux programme sur l’anthropologiealimentaire des populations camerounaises avec le Professeur Jean-Félix Loung

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(Yaoundé) et Alain Froment (IRD), qui dura de 1983 à 199315. On verra plus loin lesapports méthodologiques développés durant ce programme. Bien entendu, il poursuivitdurant la même période ses séjours et ses recherches chez ses chers Masa et Musey dunord Cameroun, jusqu’en 201016 !

Figure 8 : Parade rituelle lors des funérailles en l'honneur du défunt ; Masa, Cameroun

Cliché I. de Garine

28 Un trait caractéristique d’Igor de Garine, c’est l’importance qu’il accorde à l’image.

Peut-être est-ce un héritage de son père, Viatcheslav Garine (1891-1957), peintre etsurtout sculpteur d’origine russe. Toujours est-il qu’Igor a été un remarquablephotographe (il a capté des milliers de clichés, utilisés dans de nombreusesexpositions). Il a également réalisé une quinzaine de films ethnographiques, sur laplupart de ses terrains, illustrant avec finesse les activités, tant rituelles quetechniques. On lui doit ainsi évidemment des films sur les Masa (dès son premierterrain en 1959 et jusqu’à 1991), mais aussi sur les Musey, les Koma et les pêcheurs Yasaau Cameroun, les Seereer du Sénégal, les Tamang du Népal. Plusieurs de ces films ontété primés lors de festivals de cinéma (voir la filmographie en fin d’article).

29 Des travaux menés durant cette carrière exceptionnelle, Igor de Garine a rendu compte

dans plus de 200 publications, dont nous ne citons ici que les plus notables, pour inciterles lecteurs à les consulter et en savourer la richesse. On en trouvera les référencesjusqu’en 2013 dans Ávila (2014).

La recherche

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Figure 9 : Simon Mandes, informateur principal musey d'Igor de Garine, et son fils. Années 70

Igor a toujours noué des amitiés profondes et durables avec ses collaborateurs dans lescommunautés étudiées et il savait s'attacher des personnalités remarquables

Cliché I. de Garine

L’ethnologie

« À quoi le travail de l’ethnologue sert-il ? À faire progresser la connaissancescientifique, à sauver de l’oubli des cultures et des modes de vie inconnus,intéressants, et qui vont disparaître et qui pourtant peuvent peut-être inspirercertaines réformes du mode de vie occidental. » (Garine 2007a : 52)

30 Dans le beau discours qu’il prononce lors de sa réception à l’Académie du Béarn en

2005, Igor décrit son métier et sa démarche d’ethnologue, d’une manière à la foissimple, didactique et très concrète. Il se disait lui-même ethnologue. Pour quelqu’un desa génération, avec les professeurs qu’il eut, ce qualificatif est très significatif.L’ethnologie d’Igor de Garine est issue de la lignée des Leroi-Gourhan, Bastide etHaudricourt. Ces trois personnalités fondatrices furent toutes actives dans le CFRE,comme je l’ai mentionné dans la partie précédente. Se complétant, elles représentaientet enseignaient une ethnologie complète, sous les aspects matériels et sociaux, autourde la notion centrale de Mauss du « fait social total », et essentiellement basée sur unrecueil précis des éléments de la vie ordinaire17.

31 Les fondements de l’ethnologie d’Igor se trouvent dans sa thèse monographique sur les

Masa : il y plante le cadre géo-écologique et historique, celui de la culture matérielle etde la communauté. Il développe la vie économique en étudiant le bilan de laproduction, parcelle par parcelle, famille par famille (en définissant l’unité nommée« enclos »), et la consommation alimentaire d’une manière descriptive car, souligne-t-il, « en l’absence d’une enquête nutritionnelle, il n’est pas possible de fournir un bilanchiffré de la consommation alimentaire. » (Garine 1964a : 96). Il évalue cependant la

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ration quotidienne et son apport calorique. Il porte ce faisant attention aux périodes« pénibles » de l’année, et la résolution des pénuries. Il étudie quantitativement leséchanges et le commerce tant en milieu rural qu’urbain. Enfin la troisième partie estconsacrée à la circulation des biens en relation avec l’organisation sociale, à travers lesnotions de richesse et de prestige, avec le rôle central du bétail et de l’élevage.

32 Igor de Garine va très rapidement, dès son deuxième séjour long, aborder l’étude d’une

société géographiquement et culturellement proche des Masa, celle des Musey. Par lasuite, ses travaux seront assez systématiquement comparatifs et consacrés à cette pairede sociétés, les Masa et les Musey.

33 Les informations récoltées au cours de ce long terrain seront complétées tout au long

des séjours ultérieurs, fournissant les données permettant d’aborder des aspectsdifférents de ces sociétés et de les approfondir : l’histoire (Garine 1981, 2009), lapossession (1968a, 1986), la vengeance (1980a), la production (1978a), la notion deprestige à travers le bétail (1964b) ou l’alimentation (1980b, 1995a), les relations avecles animaux tant sauvages que domestiques (1975b, 1999, 2007b, 2013a, Garine et al.

2017), les boissons (2001b, 2003a, 2011) … sans oublier ce phénomène culturel singulier,le rite de passage prestigieux que constitue la cure d’engraissement des jeunes garçonsqui pose des problèmes physiologiques (Garine & Koppert 1991, Pasquet et al. 1992 ;Garine film 1991) aussi bien que socioculturels (1987a, 1995b).

34 Les nombreuses entrées qui lui ont été demandées en 1968, dans la composition du

Dictionnaire des civilisations africaines, témoignent de la reconnaissance des domaines despécialité d’Igor, entrées qui portent certes sur les ethnies du nord du Tchad, mais aussisur la culture matérielle et les techniques du corps et sur divers aspects de la flore et dela faune sauvages comme domestiques (Garine 1968b).

35 La démarche d’observation et d’enquête qu’il s’est forgée sera appliquée dans tous les

terrains qu’il mènera, avec toujours le même soin pour les techniques de production etde consommation, comme pour les savoirs ethnobotaniques et ethnozoologiques et lesaspects écologiques et saisonniers (Garine 1980c, 1998a, Avila et al. 2003, Bahuchet &Garine 1989, Bahuchet et al. 1991, Toffin et al. 1986).

L’anthropologie de l’alimentation

36 En 1959 lorsqu’Igor de Garine réalise sa première enquête de terrain sur « les habitudes

alimentaires » au Sénégal, il ne peut s’appuyer que sur une littérature trèsfragmentaire. Même les études ethnographiques descriptives sont alors peunombreuses. Ainsi fait figure d’exception celle, très fouillée, sur les Dogons (Dieterlen &Calame Griaule 1960). Plus souvent, c’est l’inventaire des plantes alimentaires en lienavec la diversité climatique ou les problèmes de nutrition qui préoccupent les pouvoirspublics en Afrique francophone (par exemple Labouret 1937, Péhaut 1960, Portères1956, Schnell 1957).

37 C’est vers l’Afrique anglophone qu’il faut se tourner pour une approche plus originale.

En effet, dès les années 30 sont menées des recherches dont l’œuvre pionnière est cellede l’anthropologue britannique Audrey Richards menée chez les Bemba de Rhodésie dunord-est (actuelle Zambie), qui reste un modèle (Richards 1932). Raymond Firth enavait tiré un guide d’enquête, recommandant d’adjoindre des spécialistes pour uneétude nutritionnelle (Firth 1934). C’est ce que fera Richards en association avec unnutritionniste (Richards & Widdowson 1936). Cette approche globalisante a été

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inspirante mais difficilement suivie dans ses aspects quantitatifs, par exemple au Ghana(Fortes & Fortes 1936), et elle dépasse considérablement les recueils culinairesgénéralement compilés (par exemple Bascom chez les Yoruba, 1951a et b).

38 Dans le contexte de la malnutrition aux USA après la grande dépression, et de la crise

sanitaire à la fin de la seconde guerre mondiale et de la libération des pays d’Europe, leConseil national de la recherche des États-Unis a mis en place un comité auprès de ladirection de la nutrition, pour conduire des études et préparer des programmes afind’améliorer l’alimentation des populations, prenant en compte les habitudesalimentaires et leurs aspects socioculturels (Mead 1943a et b, 1944). Le comité produisitun gros rapport de synthèse, conçu comme un manuel pour l’étude des habitudesalimentaires

« …to set up preliminary standards for the collection of basic data on food habitswhich any study, whether pursued from the standpoint of psychology, psychiatry,sociology, anthropology, or home economics, should be responsible for recordingor systematically taking into account » (Guthe & Mead 1945 : 23).

39 Ce manuel très complet souligne tous les aspects qui doivent être pris en compte : types

d’aliments, organisation sociale de l’alimentation, idéologie, éducation, culturematérielle, pathologie, changement … Il reste encore un guide très précieux, bien quedéfinissant un programme de recherche extrêmement ambitieux, et donc de ce faitrarement mené entièrement à bien.

40 Igor était également informé du courant aux États Unis impliquant l’écologie dans les

études sur les sociétés humaines, l’écologie culturelle de Julian Steward, mais surtoutses développements par Andrew Vayda, Roy Rappaport, ou Richard Lee pour lessociétés de chasseurs-collecteurs (cf. Lee 1969, Steward 1968, Vayda & Rappaport 1968,Vayda 1969).

41 Ces bases, Igor de Garine les avait faites siennes, avec deux principes fondamentaux :

l’approche ethnographique, descriptive, doit être accompagnée d’un recueil quantitatif

du régime alimentaire, et pour ce faire la recherche doit être collective. Il se place ainsidans une position différente de celle de l’école d’anthropologie structurale qui sedéveloppe à cette même époque (Lévi-Strauss 1964, 1965, Thomas 1960, 1965, et mêmeDouglas 1972). Il forge ainsi une anthropologie de l’alimentation holiste, qu’il conçoitcomme un fait social total. Il en développe toutes les facettes dans l’ensemble de sonœuvre. L’alimentation est aussi pour lui le phénomène qui d’une part concerne à la foisla biologie et la culture, et d’autre part relie l’individu à son environnement et à sasociété ; son étude « permet de progresser de la culture matérielle à la symbolique. » (Garine2010 : 204).

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Figure 10 : Jeune femme masa moulant du sorgho sur sa table à moudre. Années 60

Cliché I. de Garine

42 La conception d’Igor de Garine sur l’anthropologie de l’alimentation se trouve exprimée

d’une manière concise dès l’entrée « alimentation » du Dictionnaire des civilisations

africaines (Garine 1968b), qui couvre tous les aspects du phénomène alimentaire. Il ladéveloppe plus tard dans trois importantes synthèses, dans lesquelles il déploie toute saconnaissance mondiale des sociétés, acquise par son expérience personnelle et sesvoyages, par les innombrables lectures de sa grande bibliothèque et la vastebibliographie qu’il a réunie (Garine 1990b, 1994, 2012). Ce point de vue, Igor vainlassablement le défendre, dans diverses langues (Garine 1969c, 1972, 1978b, 1979a etb, Garine & Garine V. 1999). Il a aussi dressé des synthèses régionales sur laMéditerranée (1992), sur les forêts équatoriales (Garine 2000a) ou même sur le mondeentier contemporain (1998b) !

43 Il n’est pas possible de résumer ici toutes les facettes de l’anthropologie de

l’alimentation abordées dans la production d’Igor. Je ne présenterai ici que quelquestravaux parmi des plus significatifs, sans revenir sur les publications concernantspécifiquement les populations du Tchad et du nord Cameroun évoquées dans la partieprécédente. Toutefois lorsqu’il traite de sujets généraux, il utilise souvent l’exemple deson terrain Masa et Musey, pour l’élargir et le contraster. Il a ainsi étudié la place desplantes sauvages dans l’alimentation, prenant en compte leur rôle dans les périodes dedisette (Garine 1987b, 2005), la place du sel et du sucre (1989) ou le statut de la viande(Garine 1968b : 430, 2004c), soulignant que

« La viande et le poisson, quelle que soit leur origine, sont des aliments valorisésgastronomiquement et socialement. » (2012 : 181).

44 Le rôle des aliments et des boissons dans l’organisation des sociétés et notamment dans

les hiérarchies sociales a d’ailleurs toujours attiré son attention (Garine 1976, 1995a,

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2011, Garine & Garine V. 2001). Il réfléchit sur le facteur de changements alimentairesque peuvent entraîner les choix des personnages de haut rang :

« …c’est par le haut, par imitation et osmose des élites, que le changement s’opèreradans nos sociétés industrialisées. L’écologisme et les connaissances en matière debiodiversité sont un des éléments de ‘distinction’, l’expertise est socialementvalorisée et une preuve d’actualité. » (2012 : 184).

Les apports méthodologiques

Figure 11 : Enquête ethnobotanique chez les Baka, Cameroun (1972)

Archives de Garine

45 La pratique du terrain et les communications d’Igor de Garine ont, me semble-t-il,

conduit à des développements importants dans le champ de l’anthropologie del’alimentation, sur le plan méthodologique et sur le plan conceptuel.

46 En tout premier lieu, Igor a prôné (et prouvé) la nécessité d’une approche

pluridisciplinaire, c’est-à-dire la collaboration de plusieurs spécialistes associés (1988a etb, 1996a, 2001a, 2004a), reprenant ainsi les recommandations programmatiques deGuthe & Mead (1945), une préconisation qui ne va cependant pas sans de réellescontraintes ! Ainsi la mise en place des projets collectifs sur le terrain a nécessité etfavorisé la conception de méthodologies adaptées aux enquêtes alimentaires.

47 Il fallait concevoir quelles disciplines devaient être associées, en répartir les fonctions,

définir les protocoles et déterminer l’échantillonnage des populations, l’enjeu majeurconsistant à articuler l’approche descriptive et culturelle avec l’acquisition de donnéesquantitatives. Indéniablement l’équipe a bénéficié de l’expérience pionnière d’HélènePagezy, mise au point au centre du Congo (ex-Zaïre) dès les années 1970 (Pagezy 1988aet b).

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48 Pour l’approche qualitative, outre la pratique d’« observations participantes », selon

l’expression consacrée, on a procédé à l’établissement d’une série de questionnaires,devant être appliqués dans chaque maisonnée (cf. Garine 1996a : 27-28).

49 La quantification du régime alimentaire entraîne des contraintes méthodologiques

particulières. Les techniques ont pu être mises au point dans les terrains ayant précédél’enquête collective au Cameroun, au Népal par Georges Koppert pour la quantificationdes prises alimentaires et le traitement statistique permettant l’établissement desrégimes alimentaires (Koppert 1988), puis en RCA par Marcel Hladik (avec lacollaboration de Serge Bahuchet), pour la quantification de la consommationindividuelle. En effet, la consommation en Afrique centrale pose des problèmesparticuliers du fait de la pratique même du repas, chacun puisant ses aliments dans unplat collectif. Il fallait donc s’efforcer soit de peser les prises, soit d’établir un calcultenant compte des divers types de consommateurs, hommes adultes, femmes, enfants,vieillards (sur ces méthodes voir Koppert 1996, Koppert & Hladik 1989). À laquantification de la prise alimentaire, doit être associée une mesure de la dépenseénergétique, à la fois par établissement de temps de travail tout au long de la journée etpar mesures expérimentales (Pasquet 1996, 2004, Pasquet & Koppert 1996). Enfin, unbilan biomédical de l’état nutritionnel est effectué, par pesée et mesure des personnes,et par prélèvements biochimiques pour détecter les anémies ou rechercher lesparasites (Froment 1989). Du fait que le projet est comparatif et concerne plusieurscommunautés (ethnies) vivant côte à côte, des aspects complémentaires ont aussi étépris en compte, en premier lieu la perception gustative. La méthodologie a été mise aupoint par Hélène Pagezy et Marcel Hladik ; elle se base sur le test individuel de gouttesd’eau avec une concentration croissante, d’un goût simple (salé, sucré, acide etplusieurs amers) jusqu’au point où le patient reconnaît ce goût (cf. Hladik 1996, Hladiket al. 1986, Simmen et al. 2004).

50 Dernier apport méthodologique, celui concernant le cas difficile de la prise alimentaire

en dehors des repas, notamment sur les lieux de travail (au champ, en brousse, endéplacement). On avait constaté depuis longtemps que l’alimentation des enfants enparticulier se déroulait d’une part avec la famille, mais aussi en dehors et hors de laprésence des adultes, en lien avec le fait observé que les enfants pratiquent la cueillettede fruits ou des petites captures d’insectes, de rongeurs, compléments notables durepas familial à dominante glucidique. C’est ce qu’Igor appelle « le grapillage » (snack

food en anglais). Dans ce contexte, la seule prise en compte quantitative del’alimentation dans le foyer conduisait à une sous-estimation systématique du régimedes enfants. On a donc mis au point un protocole inspiré des méthodes de terrain desprimatologues (Hladik 1988, 2011), c’est-à-dire basé sur le suivi et l’observation encomptant toute prise alimentaire de chaque enfant individuellement !

Les apports thématiques et théoriques

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Figure 12 : Dans l’Adamawa, devant la case d’un Lamido. Février 1995

Cliché S. Bahuchet

51 J’ai retenu quelques aspects prépondérants du comportement alimentaire que les

travaux d’Igor de Garine ont mis en évidence, et qui en effet s’avèrent de la plus hauteimportance pour en comprendre la diversité, la complexité, mais aussi les traitsuniversels.

52 Aliment de base. L’aliment de base constitue la source prédominante de calories, et sa

production et sa préparation accapare la majeure partie du temps de travail de lacommunauté. Ce sont très généralement des aliments glucidiques (céréales, tubercules,fruits charnus18…). Ils sont présents à chaque repas, et leur association avec un platd’accompagnement (en Afrique, c’est « la sauce ») en constitue une structure quasiuniverselle (cf. Garine 1968b : sv. repas, 1998c, 2003b). Igor a attiré l’attention sur unepublication du nutritionniste Derrick Jeliffe (1967) qui montrait comment les sociétéstant industrialisées qu’en développement classent leurs aliments, et y définissait les« cultural superfoods », « super-nourritures culturelles ». L’importance de certainsaliments de base pour la survie du groupe leur procure une nature semi-divine qui leslie étroitement à l’histoire, la religion et la mythologie locales. Ce « superaliment »assure certes l’essentiel de l’apport calorique, mais surtout il calme la faim, il donneune satiété sécurisante et témoigne de la sollicitude divine. Du point de vue ducomportement alimentaire la consommation de l’aliment de base s’accompagnegénéralement de la recherche d’une sensation de réplétion (cf. Bahuchet 2017 : 134).

53 La faim de viande. Avec Hélène Pagezy, Igor de Garine a mis en avant le fait que, si le

manque d’aliment de base entraîne une sensation de faim, le défaut d’un aliment trèsvalorisé pouvait également provoquer une sensation de manque, différente mais toutaussi pénible. Elle est d’ailleurs généralement qualifiée par un terme spécifique dans lalangue locale, que l’on a traduit par « la faim de viande ». Cette baisse de consommationde viande ne se marque pas par un effet nutritionnel tel que la perte de poids, mais parun effet psychologique notable que les gens eux-mêmes expriment (Pagezy 1982, Garine& Pagezy 1989, Garine 2004b, 2013b).

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54 Disette, famine, malnutrition. Travaillant dans des sociétés sahéliennes

particulièrement sujettes à des périodes de sécheresse, Igor de Garine a été contraintd’étudier les cycles d’activité et la résolution des problèmes de manque dansl’approvisionnement alimentaire. Il a aussi montré comment dans ces périodesdifficiles des ressources méprisées ordinairement, en premier lieu les plantes decueillette, prennent une importance cruciale (Garine & Koppert 1990, Garine 1993a etb). À l’évidence la saisonnalité apparaît comme un paramètre fondamental à prendre encompte dans l’étude des régimes alimentaires, dans l’établissement du protocole deterrain comme dans l’analyse des stratégies techniques et sociales mises en place pouren surmonter les irrégularités (Garine & Harrison 1988, Garine 2000b). Sur un autreplan, ces disettes plus ou moins durables ont une conséquence sur l’état nutritionneldes communautés, qui en ont une perception certaine (Garine 1984, 2007c). Assurémentla période actuelle de changement climatique rendra ces analyses encore plusnécessaires…

55 Les interdits alimentaires. Communément appelés « tabou » d’une manière impropre,

l’évitement de certains aliments est une habitude universelle. Food avoidance ou food

taboos, en anglais, sont généralement appelés interdits alimentaires en français. Igor s’esttrès tôt trouvé confronté à ces pratiques qui ont des conséquences réelles sur lesrégimes alimentaires et donc peuvent conditionner les politiques nutritionnelles. Ils’est attaché à décrire les différents types d’interdits, et en a ainsi dressé une très utilecatégorisation, contrastant les interdits individuels ou collectifs, affectés à une partied’une communauté, et ceux qui sont temporaires ou au contraire permanents (Garine1974, 1980d, 1991a, 1996a, 1997).

56 Arbitraire culturel. L’approche quantitative du régime alimentaire est la démarche de

base des nutritionnistes ; elle se trouve rapidement en contradiction avec la pratiquelocale et avec les choix réels de la communauté étudiée. Igor de Garine a pu observerque ces choix ne suivent pas des règles cartésiennes, qu’une société humaine n’utilisepas toutes les ressources qui sont à sa portée et que deux communautés voisinesdiffèrent sciemment dans leurs usages : « la variété des régimes alimentaires est énorme et

l’homme omnivore n’est pas condamné à l’usage de toutes les ressources qui lui sont offertes par

le milieu et que ses moyens techniques l’autorisent à maîtriser. » (Garine 2012 : 180). Allant unpas plus loin, il va concevoir que « La culture n’est pas étroitement au service du bien-être

biologique. Il existe une sorte d’arbitraire culturel qui est la marque de chaque société. » (Garine2007a : 53 ; cf. Garine 1979a, 1990a, 1991b, Garine et al. 1993). L’arbitraire culturel estainsi ce qui est la réelle frontière entre « la nature et la culture », si on veut se saisir determes actuels très conflictuels dans le domaine des sciences sociales !

57 Le fait que ce soit là l’un des apports théoriques majeurs d’Igor de Garine à

l’anthropologie générale est concrétisé dans le titre du colloque et du livre qui lui ontété offerts en 2001 par l’ICAF pour son 70e anniversaire : « L’arbitraire culturel : rationalité

et irrationalité du comportement commensal » (Millán Fuertes 2004).

Une conclusion toute personnelle

58 Volontiers provocateur, Igor de Garine aimait plus que tout contredire des biologistes

ou des nutritionnistes trop prompts à juger des irrationalités des régimes alimentairesou à entreprendre de les changer19 ; réciproquement il ne se privait pas d’interpeler desanthropologues sociaux dissertant des structures des « gustèmes » sans avoir la

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moindre idée de la réalité de la part des divers aliments constituant la diète ordinaire20.Lui seul pouvait se le permettre avec autorité, par sa fine connaissance de la biologiehumaine et des avancées scientifiques de la nutrition, associée à un humanismeprofond, une culture et une pratique ethnologiques incontestables, et une expériencemultiple de sociétés rurales, des plus isolées aux plus proches des villes, sur une grandeéchelle de temps… Et cependant, lors de ces innombrables colloques, Igor y montraitson autre visage : celui d’un extraordinaire et très agréable participant aux activitéshors-congrès, appliquant en maître le principe que l’alimentation est fondamentale pour le

lien social. Pour reprendre la très belle synthèse qu’en a faite son cher ami RicardoÁvila : « [Igor] a pu démontrer que l’alimentation est un fait culturel total, peut-être le plus

total des faits concernant l’être humain. » (Ávila 2016 : 291).

59 Ce lien social se poursuivait chez lui, à Lasseube, dans la montagne des Pyrénées.

« Pargade », sa maison-laboratoire-bureau-bibliothèque était ouverte au mondeentier… Et nombreux sont ses collègues de toutes nations qui sont venus expérimentersa très grande hospitalité et celle de sa compagne de toute sa vie, Valérie. La plusémouvante assemblée a été celle réunie lors de ses 80 ans, où Lasseube a accueilli le 31e

colloque de l’ICAF, sur le thème, ô combien significatif de l’engagement d’Igor, celui duPARTAGE21.

Fig. 13 : L’affiche du 31e colloque de l’ICAF conçue par Igor

Aquarelle de Léon Serre

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Fig. 14 : Igor et Serge inventorient les variétés de sorgho dowayo, village de Boko, 22 avril 1983(Cameroun)

Cliché C.-M. Hladik

60 Pour conclure sur ce partage incessant, j’en fus moi-même l’heureux bénéficiaire ! Vers

la fin de mes années d’étude des chasseurs-collecteurs aka de Centrafrique, c’est Igorqui me fera sortir de « mon terrain » de la Lobaye, en m’invitant dans son projetcollectif au Cameroun. J’y rencontrerai d’autres Pygmées, les Kola, très différents « desmiens », d’autres ethnies forestières et montagnardes, ce qui m’orienta définitivementvers les méthodes comparatives, déjà balbutiantes en Lobaye. Au Cameroun, j’apprisaussi la pratique d’une interdisciplinarité partagée : nous étions plusieurs, de diversesdisciplines (sciences humaines et, horresco referens !, sciences biologiques…), à vivre ettravailler ensemble dans le même village, en toute amitié. Avec Igor ou à sa demande,j’eu la chance de réaliser plusieurs missions de prospection préliminaires au choix duterrain de recherche, dans plusieurs régions du Cameroun, du sud au nord, pour allersouvent « au bout de la route ». Certes cela me fit « voir du pays », ouvrant mes yeux etmes idées, mais surtout cela me montra, à son contact, comment un ethnologuechevronné met à profit son expérience des voyages, des modes de vie et des sociétéspour discerner habilement les points singuliers d’une région particulière. Au cours deces voyages, j’ai pu voir aussi comment Igor ne nous ménageait pas plus qu’il ne seménageait lui-même – j’ai encore le souvenir cuisant des randonnées sur les « pentesneigeuses » et abruptes du Nord Cameroun, en plein soleil par des chemins de chèvres,à la recherche de villages inaccessibles… et merveilleux !

61 Ce partage du terrain était en lui-même très formateur, toujours intense. Igor s’y

montrait infatigable et profondément curieux des pratiques alimentaires de toutecommunauté du monde. Dans chaque village qu’il visitait, la première chose qu’ildemandait était d’aller à la cuisine et de voir la préparation des plats. Joyeux convive,

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Igor participait ensuite de bon cœur aux repas, goûtant tout sans rechigner, boissonsbizarres comprises !

Figure 15 : Tous les participants au 31e colloque ICAF à Lasseube, 2 avril 2011

Au premier rang, Yves Coppens, Valérie et Igor de Garine, entourés des membres de l'ICAF du mondeentier (Japon, France, Italie, Allemagne, Grande-Bretagne, Mexique,…) et des habitants de Lasseubequi accueillirent le colloque

Cliché J.-B. Laborde

62 En bref, Igor m’a ainsi appris mon métier et surtout, à regarder. J’espère avoir été

capable par la suite de le transmettre à mon tour aux jeunes passionnés qui m’ontentouré, qui ont l’âge que j’avais lorsque j’ai rencontré Igor de Garine, pour un voyagede toute une vie.

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Films documentaires

La plupart sont accessibles par la vidéothèque du CNRS : https://videotheque.cnrs.fr/ ou celle de l’IRD :

https://numerisud.ird.fr/documents-et-films/films/

Garine I. de 1959 – Massa, Hommes du Logone. 16 mm sonore couleurs, 26 min. Seine Production.

Garine I. de 1959 – Gourouna, bergers sacrés. 16 mm sonore couleurs, 26 min. Seine Production.

Garine I. de 1963 – Chef de Terre. 16 mm sonore couleurs, 32 min. Ministère de la Coopération.

Garine I. de 1966 – Foulina, possédés du pays moussey. 16 mm sonore couleurs, 33 min. Ministère de

l’Education nationale. (1° prix de la section scientifique au Festival du film ethnographique de

Florence, 1967).

Garine I. de 1967 – Réjouissances sénégalaises. 16 mm sonore couleurs, 36 min. CNRS.

Garine I. de 1967 – La Lune de Bogodi. 16 mm sonore couleurs, 36 min. CNRS. (Sélection Festival dei

Popoli, Florence).

Garine I. de 1968 – Le Chef de Doré. 16 mm sonore couleurs, 36 min. Comité du Film

ethnographique. (Sélection Festival dei Popoli, Florence).

Garine I. de 1973 – Initiation - Rites de passage chez les Moussey. 16 mm sonore couleurs, 29 min.

CNRS.

Garine I. de 1985 – Le Fardeau et la Provende - Economie de subsistance chez les Tamang du

Népal. 16 mm sonore couleurs, 90 min. CNRS Audiovisuel.

Garine I. de 1987 – Subsister en Savane - Ecologie et alimentation des Massa du Cameroun. 16 mm

sonore couleurs, 52 min. CNRS Audiovisuel/ORSTOM/Atelier du Film.

Garine I. de 1987 – Ebodié sur Mer - Economie de subsistance des Yassa du Cameroun. 16mm sonore

couleurs, 73 mn. CNRS/ORSTOM/Atelier du Film.

Garine I. de 1991 – Guru Walla : Embonpoint rituel chez les Massa (Cameroun) (1957-1991). 16 mm

sonore couleurs, 34 minutes. ORSTOM audiovisuel et Igor de Garine. https://numerisud.ird.fr/

documents-et-films/films/GURU-WALLA

Garine I. de & Garine É. 1993 – Du mil à la Bière. Vidéo, 32 minutes. ORSTOM Audiovisuel. https://

numerisud.ird.fr/documents-et-films/films/MIL-ET-LA-BIERE-LE

Garine I. de 1996 – Le Captif de la Terre : le Chef bouc-émissaire des Massa de Guisey. Vidéo, 30 min.

ORSTOM Audiovisuel. https://numerisud.ird.fr/documents-et-films/films/CAPTIF-DE-LA-TERRE-

LE

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NOTES

1. Je remercie chaleureusement Valérie et Éric de Garine pour m’avoir communiqué informations

précises et documents précieux sur leur mari et père. Sur l’œuvre d’Igor de Garine, on pourra

consulter Millán Fuertes 2012 et Ávila 2014.

2. Le manuscrit fait plusieurs longues références aux articles d’Igor sur les techniques du corps

(Garine 1957).

3. Igor m’avait lui-même indiqué être l’auteur de ces dessins.

4. La graphie des noms d’ethnies a évolué au cours des publications d’Igor de Garine, pour

aboutir à une transcription plus phonétique : massa s’écrit désormais masa ; moussey, muzey est

actuellement musey ; toupouri devenu tupuri.

5. Cette collection est maintenant conservée au Musée du quai Branly sous les numéros

d’inventaire 71.1959.43.1 à 278.

6. En 1977, ce comité sera transformé en « Commission internationale sur l’anthropologie de

l’alimentation ».

7. Sur l’ICAF, on consultera Douglas & Khare 1979, et Garine et al. 2009.

8. L’agronome Roland Portères (1906-1974) a été élu professeur d’agronomie tropicale au

Muséum à la suite d’Auguste Chevalier en 1948, laboratoire qu’il transformera en

« ethnobotanique » en 1963.

9. L’IEDES est intitulé désormais « Institut d’étude du développement de la Sorbonne ». Deux

recueils d’articles d’Igor de Garine seront publiés en 1974 et 1983, comme cahiers pédagogiques

« Alimentation et culture 1 et 2 », dans la série « Santé-Nutrition ».

10. Comité puis commission... d’International commission for anthropology of food, ICAF est devenu

récemment “International commission for anthropology of food and nutrition”, présidée par F. Xavier

Medina (Espagne), avec Frédéric Duhart (France) comme secrétaire et Paul Collinson (Royaume

Uni) comme trésorier.

11. Plusieurs de ces colloques ont été publiés par l’éditeur Berghahn (NY/Oxford) dans la

collection The anthropology of food and nutrition éditée par Helen Macbeth ; d’autres l’ont été dans

la collection Estudios del Hombre de l’Université de Guadalajara (Mexique) sous la direction de

Ricardo Ávila, dans la série Antropología de la Alimentación. Le 26e colloque a été partiellement

publié dans notre Revue d’ethnoécologie (n°s 2 et 3, 2012 et 2013).

12. En 1999, à partir du noyau initial centré sur l’anthropologie alimentaire, nous avons intégré

des équipes d’autres disciplines pour ouvrir le champ des recherches vers les relations

réciproques de l’homme et de l’environnement, dans une perspective de dynamique des

écosystèmes et des sociétés. Cela a conduit à une nouvelle UMR intitulée « Éco-anthropologie »,

d’abord sous la direction de C.-M. Hladik puis de S. Bahuchet à partir de 2001.

13. Sur Georges Koppert, cf. Froment et al. 2020 ; ses principaux travaux : Koppert 1988, 1993,

Koppert et al. 1993, 1996.

14. Éric Garine a fait partie de l’équipe des étudiants qui ont effectué leur mémoire de fin d’étude

dans le programme « Anthropologie alimentaires des populations camerounaises » dirigé par

Igor, avec Edmond Dounias et Daou V. Joiris, avant de faire sa thèse chez les Duupa du nord

Cameroun (cf. Garine É. 1995, 1996, 2001, suivis par de nombreux autres travaux). Edmond

Dounias a plus tard appliqué la méthode « qualitativo-quantitative » d'Igor de Garine dans ses

propres recherches parmi les chasseurs-cueilleurs de Bornéo, prolongeant ainsi son héritage sur

l'anthropologie de l'alimentation (cf. Dounias et al. 2007, Dounias & Colfer 2008).

15. Cf. sur ce programme Froment et al. 1996.

16. Sur les Masa, relevons l’importante recherche menée avec Georges Koppert et Patrick

Pasquet sur les cures d’engraissement (Garine & Koppert 1991, Pasquet et al. 1992).

17. Sur Bastide, Leroi-Gourhan et l’enseignement de l’ethnologie dans les années 50-60, on

consultera Bromberger et al. 1986 et Gutwirth 2005 ; sur Haudricourt, cf. Bahuchet 2011.

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18. Principalement les bananes à cuire (plantains) et l’arbre à pain.

19. Cf. Garine 1975a, 2001c.

20. Cf. Garine 1979a, 1990b, 1994.

21. Une grande partie des communications offertes à Igor lors de ce colloque a été publiée dans

Garine É. et al. 2016.

AUTEUR

SERGE BAHUCHET

Professeur, UMR 7206 Éco-anthropologie, Muséum national d'Histoire naturelle

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Le poisson, le pêcheur et l’épouse dupêcheurThe fish, the fisherman and the fisherman’s wife

Pierre Grenand et Françoise Grenand

À « L’Internationale des pêcheurs à la ligne », déjà dédicataire de La boîte à pêche deMaurice Genevoix

Le pêcheur

Révélation à l’ethnologie

1 Bien sûr, tous les peuples ne sont pas pêcheurs, souvent pour des raisons évidentes.

Moins fréquent est, sans doute, le fait de vouer le poisson aux gémonies. C’est ce que jedécouvris lors de ma première année des bourses Zellidja chez les Navajo du Nouveau-Mexique et de l’Arizona1. À Gallup, j’avais acheté des boîtes de sardines, c’est tellementpratique, les sardines, quand il n’y a pas grand chose à manger. Le Navajo Tribal Council

m’avait installé chez une vieille grand-mère qui avait besoin d’aide pour garder sesmoutons. En dehors du bannock bread, d’un peu de maïs et de flocons d’avoine, lanourriture était plutôt limitée ; je sortis donc mes sardines. La réaction fut immédiate :« C’est la nourriture des monstres, ceux qui vivent dans un monde d’en dessous », sorted’enfer clapoteux. Une boîte de sardines fut mon premier contact avec les mythes, et jela mangeai en entier. J’avais dix-sept ans.

2 S’il y a une morale à cette histoire, elle m’arriva l’année suivante, lorsque je compris

qu’au delà de nos choix intellectuels, nous sommes profondément conditionnés par despratiques acquises dans notre environnement sociétal qui deviennent, au final, desnécessités existentielles.

3 Ma seconde année des bourses Zellidja se déroula en Guyane française et alors là ! Que

d’eau, que d’eau ! eût énoncé Mac Mahon. Qui dit eau, dit poisson ; qui dit poisson ditpêcheur. Je suis d’une famille de pêcheurs, accompagnant déjà mon père sur son dos

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avant de savoir marcher. Dès mon arrivée à Saint-Laurent-du-Maroni, j’avais apprisavec les gamins créoles à monter une ligne à main plombée et je pêchais tous les soirssur le débarcadère coco-merlos, carpes-tamponnées et douaniers-cacas, planqués à l’ombredes toilettes publiques, leur mère nourricière.

Figure 1 : Saki, pêcheur wayãpi

© J.-M. Beaudet, Trois-Sauts, 1979

4 Trois semaines plus tard, je fus déposé au village wayana de Malawate sur une île de la

rivière Itany. Malawate et son épouse me traitèrent comme un fils et j’eus droit, en unmois et demi, à une véritable initiation au monde amérindien. Et la pêche dans toutcela ? Elle fut au cœur de l’initiation. Je faisais équipe avec deux adolescents, Anaimïn2

et son frère Alauli. Plus jeunes que moi, ils n’en étaient pas moins mes maîtres. Quefaisions-nous toute la journée hors des moments de vie avec les adultes ? Nouspagayions, nous pêchions, nous nous baignions et puis nous recommencions. J’avaisindubitablement rencontré là le genre de vie parfait qui allait me permettre deconjuguer science et agrément. Quelques diplômes et un mariage plus tard, nous voici àTrois-Sauts, haut Oyapock, cœur du pays wayãpi, où nous nous essayons, Françoise etmoi, à l’ethnographie et à l’enseignement bilingue.

Descendre la rivière

5 Pratiquée tantôt en canot, tantôt à pied, la pêche amazonienne est profondément liée à

la mobilité. Pêchotter pour assurer sa pitance du soir est souvent une activitéindividuelle ; on rapporte quelques mani’i, piranhas ou autres akala ; cette pêche-là peutvraiment être qualifiée de subsistance.

6 La vraie pêche, c’est autre chose. Elle se joue à plusieurs. C’est une partie de plaisir…

enfin presque, Mère-nature n’étant pas toujours clémente. Nous sommes fin avril, lefleuve Oyapock coule à plein bord ; ses eaux limoneuses roulent un flot continu, léchantles basses branches, pénétrant chaque jour un peu plus en forêt. Bientôt les kulimata et

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autres kaunali pourront s’y gaver de débris végétaux et se reproduire. Pour l’heure,l’aube est poisseuse, il a plu toute la nuit. Quatre gaillards sortent de leurs carbetsrespectifs, l’un avec une pagaie, tous avec leur attirail de pêche et leur fusil. Le fusil,c’est au cas où, car lors de la grande saison de fructification des arbres et des palmiers,tous les animaux frugivores sont de sortie. Les Amérindiens savent, au propre commeau figuré, changer leur fusil d’épaule.

7 Revenons à nos amis ; la veille au soir, lors d’un petit cachiri familial, l’un d’eux a

indiqué que les mombins étaient mûrs en bas de Pasisitɨ. On parle comme ça : c’est « enbas de » ou « en haut de ». L’équipe rapidement s’est formée : l’un fournirait l’essence,l’autre avait encore pas mal de munitions, le troisième, en l’occurrence moi-même, ditqu’il avait une bonne réserve d’hameçons, du n°6 au 2/0. Donc le compte y était. Pour lereste, le matériel est toujours prêt à pêcher. Chacun dispose de cannes à pêche adaptéesà toutes les espèces ; idem pour les lignes à main, dites encore lignes de fond.

Figure 2 : Ligne à main sur son plioir, avec son appât, un demi-poisson mort

© Y. Grenand, Trois-Sauts, 2009

8 Les cannes à pêche amérindiennes valent le détour. On parle de fusion de l’homme avec

la nature, mais là, attention, c’est la nature qui a fusionné avec l’homme. Elle lui a faitcadeau des pina’ɨ, littéralement « tige-hameçon ». Celles-ci sont des jeunes poussesd’Annonacées3 que l’on coupe à la taille désirée, selon la proie recherchée, variant de1,50 à 3 mètres. Débarrassée de son écorce (sauf la poignée) puis passée à la flamme, etparfois bleuie au suc de génipa, cette canne très fine, souple de ferrage, est uninstrument de pêche redoutable.

9 La pêche du jour, celle que l’on espère du moins, est celle du pacou, gros poisson

frugivore rond comme une lune, à chair délicieuse4. On n’est jamais sûr de rien, à lapêche comme à la chasse. Depuis les temps anciens, cette interrogation est permanente.

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Mais là les mombins étaient mûrs à Yawasikwa, enfin, il y a déjà quelques jours ! Onparlerait en écologie humaine d’optimisation. Nous voilà partis ; même avec un moteur9,9 CV, la venture est plutôt fraîche, l’air est saturé d’humidité. Un geste discret signaleun toucan ou une amazone à droite ou à gauche ; un autre tout aussi discret indiquequ’on continue. Tiens ! au village Pina, rien ne bouge, souvent on y boit un couppourtant ; bon, on continue. Les sauts sont gommés, nous descendons vite. ÀYawasikwa, beau-frère Alasuka fait couper le moteur. Nous entrons dans le vif du sujet.

10 Les appâts : en voilà une grande question. Celle que se posent les pêcheurs du monde

entier. C’est la forêt qui nourrit l’essentiel des poissons amazoniens5. Nous, nousn’avons pas grand chose à accrocher à l’hameçon, des yanɨpa’i cueillis la veille par beau-frère Saki. C’est un gros fruit que l’on doit couper en quatre et la pulpe se délitefacilement. Dès la première attaque du poisson, il ne reste que la peau trop dure. On vaessayer pour voir. Voici l’action de pêche : la ligne, accrochée au niveau du scion, estdéroulée. Sur nos cannes de trois mètres – nous visons le gros – la ligne mesure deuxfois la longueur de la canne. C’est ce qu’on appelle classiquement la grande volante. EnFrance, nos anciens la pratiquaient en été avec des cannes en bambou japonais, en avaldes gués avec, pour appât, des grillons ou des sauterelles, cherchant les gros chevesnesrôdeurs.

11 Moteur coupé, nous dérivons ; Alasuka à l’arrière, et Tãmũ Kãsĩ à la proue,

maintiennent le canot dans l’axe du courant, leur pagaie immergée servant degouvernail. La difficulté est de se tenir parallèlement à la rive qui est notre objectif. Deleur main libre ils pêchent comme nous tous. De facto nous allons exploiter tous lescalmes formés par la végétation immergée, partout où les fruits tombés tournoientgentiment. Savoir lancer, voilà le secret. D’un geste souple, premier lancer manuel del’appât vers le milieu du cours d’eau, toujours vers l’amont ; lorsque le courant tend laligne, mais pas trop, second lancer, d’un seul coup de poignet, légèrement vers l’aval endirection de la rive. Si l’appât n’est pas attaqué, on relance. Mais cette belle gestuellen’est pas taylorisable : elle doit s’adapter aux obstacles en l’air et en bas, renvoyerdélicatement la ligne vers la rivière en fin de dérive. Et nous sommes quatre pêcheurs.Donc bien sûr il ne faut pas s’emmêler. Ce n’est pourtant jamais fastidieux ; noussommes là quatre joyeux compères rompant de temps à autres le silence par une bonneblague ou un commentaire sur le spectacle privé de la forêt. Et du spectacle, il y en a !

12 Soudain, à la pointe du canot, le plus jeune, Tãmũ Kãsĩ, interjecte « nila ! », il vient de

rater une touche. Nous relançons tous. Ils sont là ! Qu’est-ce qu’une touche ? Instantdivin qui met en contact le pêcheur avec la rivière, qui lui révèle ce monde qu’il ne voitpas et dont il essaie de comprendre les arcanes. Ce n’est pas encore un combat maisplutôt un jeu de dupes. Le fil s’immobilise et remonte insensiblement le courant : c’estune branche ? Non ! c’est un poisson. Oui ! il bouge vers la rive. On rend d’abord la mainpour accompagner le mouvement6. Puis c’est le moment de relever la canneobliquement ; gare au mou. Enfin, le ferrage. Celui-ci est le bon. Et un paku pɨtã, joli.« Une livre et demie » dis-je ; mes camarades adorent mes estimations de poids, lesFrançais comptent tout, c’est bien connu. On le travaille en douceur, un coup de cannepliée à droite, un coup à gauche, gare aux branches, le voilà fatigué, on le caresse uninstant le long du bordage, par ici mon petit, il est dans le canot.

13 Nous voici à Pasisitɨ ; les mombins sont là, juste en aval de la boucle. Ce sont des arbres

bien gentils. Ils ont le bon goût de surplomber la rivière ; il y a même un lieu-ditnommé Akaya apẽ, « le mombin courbé ». Un coup d’œil vers le haut : il y a encore

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beaucoup de fruits pendant au bout des branches, tant mieux. En bas, tout va bien. Ilssont là. Qui ? Les pacous et les fruits de mombins. Un premier remous, pour ainsi diresacrifié, fournit les appâts. On choisit ceux qui sont encore bien jaunes, bien fermes, lesautres sont opalescents de pourriture ou réduits à l’état de noyaux spongieux. On yarrive enfin. Toute la journée va se jouer en quelques minutes. Ils sont là, les pacous,dans les petits calmes, ils mangent avidement et remuent doucement la surface de l’eauà chacune de leur bouchée. Ce doit être paradisiaque pour eux. L’eau trouble aide notreapproche. Pas besoin de parler, nous jetons nos lignes ensemble. Et là, scène vécue etrevécue, c’est l’apocalypse. Quatre ferrages, quatre prises, quatre cannes arquées avecdes nylons de 45 ou 50 centièmes sifflants, tendues à bloc. Le danger ne vient pas de lacassure ; nous sommes montés gros avec nos bas de lignes torsadés. Non ! Le dangerc’est l’« emmêlis ». Il arrive plus souvent qu’à son tour. Mais ce jour-là tout va bien ;nous allons les amener ces pacous, sans coup férir. Et comme les fruits fluctuentdoucement vers l’aval nous allons reproduire ce bon coup au moins trois fois. Bilanentre trente-six et quarante livres de poisson, à vue de nez. Mais ici comme ailleursl’étiquette du pêcheur incline à déclarer que le poisson a un peu mordu.

Dans la forêt

14 L’autre grande pêche amérindienne, c’est la pêche à l’aïmara ; je dis amérindienne car

les Wayãpi, les Teko et les Wayana communient dans les mêmes pratiques, comme pourcelle du pacou d’ailleurs. L’aïmara est le plus gros poisson carnivore du Plateau desGuyanes. Il peut être pêché de diverses façons, y compris les pratiques récentes aulancer avec des leurres artificiels. Décrivons-en deux variantes, qui renvoient à uneépoque où le plus grand nombre des Amérindiens de l’intérieur vivaient dans les« grands bois ». Il s’agit de surprendre l’animal dans sa cache.

15 L’aïmara est un carnivore dominant, un genre de mâle alpha maître de son territoire ;

bien de ses comportements rappellent celui de notre brochet. Mais celui-ci est unelance tandis que l’aïmara est une bûche pouvant se fondre parmi les obstacles tel unbois immergé. Les deux acteurs sont ici Yepe Miso et moi-même. Nous étions avec saparenté dans la Mɨtake, affluent de droite de l’extrême cours supérieur de l’Oyapock.Nous étions là pour la pêche, la chasse et pour tenter de retrouver des noyers de Paráplantés par des Wayãpi au XIXe siècle à l’époque de leurs migrations.

16 Les fameux arbres, nous ne les avons pas trouvés. En revanche en ce mois de février,

tout se présentait bien pour pêcher l’aïmara. Niveau d’eau parfait, eaux un peu louchesmais pas limoneuses. Nous avions quelques appâts, akala et pikɨ pêchés le matin aucampement. Il y avait aussi un pigeon tué en route.

17 Nous avions nos lignes à main. Pour Miso, elle était accrochée dans son dos par une

liane souple faisant boucle autour de son cou. Il transportait aussi son arc et ses flèches.Pour moi, elle était dans ma petite musette avec des cartouches, des hameçons, des basde ligne, du tabac, ma pipe, mon carnet et un crayon de papier ; bien sûr j’avais aussimon fusil calibre 12, deux canons juxtaposés. Je suivais Miso ; il parlait comme toujours(il savait que j’aimais ça), des temps anciens. Je lui faisais souvent répéter, car je necomprenais pas tout. « Ami ! Tu as la tête dure ! ». Stop ! Là, c’est bon. Une berge haute,de toute évidence, c’est creux là-dessous, une fouille dans un tournant. Au fait, il faut laprésenter cette rivière : serpentant sous l’ombrage des grands arbres, entre sept et huitmètres de large, de 30 centimètres à 2 mètres de fond, courant plutôt lent.

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18 Nos lignes à main, on peut dire lignes de fond, mais elles ne sont pas dormantes comme

dans la vieille pêche européenne. Finalement, ligne plombée est peut-être le meilleur.Bref, une description s’impose : 50 mètres de fil nylon 80 ou 90 centièmes (vous allezbientôt comprendre pourquoi un tel diamètre) sur un plioir taillé dans le bois tendred’un paluke ou d’un akusiwalapalu et qui présente l’insigne mérite de flotter, sid’aventure vous veniez à le lâcher. Encore la nature au service de l’homme ! Au bout, etc’est l’essentiel, un bas de ligne d’acier sur un énorme hameçon n°5. J’avais commencé àl’époque à introduire les sleeves7 pour bloquer les boucles du câble d’acier et lesémerillons à agrafe en tête de bas de ligne pour éviter le vrillage du nylon. Et pourcouronner le tout un fragment de plomb d’une quinzaine de grammes juste au-dessusdu bas de ligne.

19 Vous connaissez donc tout, mais c’était indispensable. Yepe Miso ne parle plus. On y va

par signes, les appâts sont accrochés. Il tape en aval, je tape en amont, trois à quatremètres de fil sortis, pas davantage. On renouvelle cette manœuvre deux ou trois fois, enémettant un claquement de langue qui ressemble à un toc, ou bien on appelle le poissonen langage sifflé. Alors seulement on laisse descendre le poisson mort : arrivé au fond,immédiatement la ligne part dans la fouille, sous nos pieds. « Ça mord ! », « Oui ! çamord pour moi aussi ». On tend un peu la ligne, les boucles sont à nos pieds. Ferrage,c’est très lourd. Miso y va franchement et fait sauter d’autorité sur la berge une bête dedouze à quatorze livres. Les pêcheurs pèsent toujours en demi-kilo. « Tire-le ami, il vas’accrocher ». Même geste, même résultat. Un coup de sabre derrière la tête. C’est fini.La journée est bonne.

20 Miso va profiter de l’occasion pour me montrer une autre technique. Il était comme ça,

Miso, tout se passait comme on le voulait, nous avions notre temps, c’était un vraimaître. Cette technique était celle dite du soupayage en créole, pilapotamosu en wayãpi.Je l’avais vue pratiquer dans des conditions rocambolesques sur le Kuluapi en 1969 eton m’en avait souvent parlé. Cette fois-ci les conditions étaient parfaites. Dans un postede pêche identique au précédent, au lieu d’aller titiller le poisson au fond, on va le fairemonter. Vous saisissez la nuance ? Les tripes du malheureux pigeon vont y passer.Adonc, vous allez voir ce qu’est le vrai opportunisme. Miso, en un lieu propice, avise unarbrisseau fourchu surplombant l’eau. Avec son couteau qu'il tient serré dans laceinture de son calimbé, il ébranche les pointes, fait glisser dans la fourche l’appâtamarré par une racine aérienne souple de talakwayɨ. Celle-ci est reliée à son pied.L’appât danse près de la surface de l’eau, il le laisse plonger un peu, voici un instantd’immobilisme et la danse recommence. L’aïmara, car il est là, n’attend pas bienlongtemps.

21 Mais j’ai oublié l’essentiel, Miso est armé de son arc et de sa flèche de pêche, atɨmɨ talay ,

bien adaptée à ces eaux encombrées. La tête peut se détacher et servir de ligne, commepour la pêche au cachalot. Le dénouement est proche, l’aïmara monte… il montetoujours, s’il est là ; la flèche siffle à moins de deux mètres, le coup ne rate jamais. Unde plus ! Ce soir-là, nos hottes provisoires étaient si lourdes et nous avions été si loin àchercher les fameuses noix de Pará, que ses fils firent les relais pour les porter. Ce futune fameuse pêche et nous n’étions même pas partis pour cela…

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L’épouse du pêcheur

Journée de femme

22 Depuis le départ matinal de mon époux, ma journée a été bien remplie. D’abord, hotte

au dos, corvée de bois de feu avec une sœur, une belle-sœur, une tante. On nes’aventure jamais seule à l’abattis, sauf pour y retrouver un amant. Là, nous n’avonsvraiment pas de temps à gaspiller, elle est coincée, la belle-sœur ! Et puis, d’ailleurs,l’amant de la belle-sœur, il est à la pêche avec nos maris, alors… De retour au village,j’empile mon bois sous la maison, en prends une brassée et me dirige vers le carbet decuisine que je partage avec les femmes de ma parenté. Un vrai caquetoire ! La grand-mère Sa’i Piye, trônant au centre du carbet, épluche une hottée de tubercules demanioc rapportés la veille de l’abattis ; sa petite-fille, adolescente à la tête rase (ellesort de réclusion après ses secondes règles) les râpe dans le pétrin, où s’accumule unemasse laiteuse, laissant suinter le tukupi, une eau gorgée de ce suc vénéneux etpourtant si précieux. La bru en est justement à l’essorage de cette masse dans sacouleuvre. Elle est assise en amazone, au dehors, sur le long bras de levier qui étire sonfourreau de vannerie empli de râpé et l’oblige à rendre son jus, qui s’écoule, goutteaprès goutte dans un faitout posé au sol. Indifférente aux éclats de rire, au joyeuxbabillage mêlé des femmes, des jeunes enfants, des poules et des poussins, elle rêvasse,elle se balance, la bru ; la grand-mère s’en rend compte et, d’un coup de menton,somme sa fille d’intervenir. Ayant devancé toute la troupe, celle-ci en a déjà terminéavec la cuisson de sa cassave et sort du carbet ; elle pose une main douce sur les épaulesde sa belle-sœur, l’empêche de sursauter et la ramène sur terre d’un simple petit :« Maman t’a vue ». Enfin quoi, avouez, quelle inconvenance ! Se balancer ainsi aurythme de celui qu’on appelle le « mari » de la couleuvre…

Préparatifs

23 Arrive la femme du pêcheur ; je tiens en réserve sur une étagère un pain cru de farine

de manioc sorti de la couleuvre quelques jours auparavant. Émiettage, tamisage. J’airechargé le feu sous la platine encore chaude, puis j’étends la farine sur la large plaquede fonte en un beau geste circulaire. Et voilà que prend forme, sans eau, sans rien,simplement grâce à l’amidon qu’elle contient, une galette meyu épaisse, belle etblanche. Glissant dessous mon éventail à feu pour ne pas me brûler, je la retourneprestement, écarte le bois sous la platine et envoie ma gamine chercher la natte oubliéeà la maison. La voici. La cassave, basculée sur le carreau de vannerie, va refroidirlentement et attendre le retour du pêcheur.

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Figure 3 : Aleni, femme de pêcheur wayãpi

© É. Navet, Trois-Sauts, 1971

24 Maintenant, je dois préparer la suite. Je demande à ma grand-mère, maîtresse des lieux

et de ses gens, l’autorisation de prélever une calebasse de tukupi, le précieux justoxique. « Oui, deux même, si tu veux, parce que ton mari, tout Blanc qu’il soit, est unfameux pêcheur ; en plus, il est parti avec Tãmũ Miso ! Les poissons ne doivent pasrigoler, en ce moment… ». Sur le foyer domestique, un grand faitout maintient à feudoux le jus de manioc ; la chaleur va éliminer les vapeurs de manihotoxine ettransformer le jus empoisonné en un court-bouillon odorant et parfumé. J’ai ajouté dusel, du poivre, un oignon et une gousse d’ail (ce que ne font pas mes camarades wayãpi).Au bout d’une heure, je déplace le faitout sur le côté et le coiffe d’un couvercle.

25 J’ai été chercher deux seaux d’eau au fleuve ; avec « ma » lime tiers-points (précision :

elle m’appartient, et pourtant, je dois sans arrêt la soustraire à la convoitise de Pierre,qui ne sait jamais où il a laissé la sienne), j’ai affuté mes deux couteaux à lame large et àbout arrondi : le grand, tukãsĩnge « bec de toucan » et le petit, kulesĩnge « bec deperroquet ». Fabriqués d’abord à Thiers, ils sont aujourd’hui importés de Chine et d’unequalité, hélas, bien médiocre ; j’ai aussi affuté mon sabre, court et lourd, acheté chezJuão, un quincaillier brésilien installé sur la frontière ; on y lit, gravée dans le métal, lamarque Tramontina. « Tramontina… tina-tina… aço Inox com cabo de madeira », comme levanta à la radio, des années durant, un slogan publicitaire. Ma planche à découper estdebout, appuyée à un poteau. Un stock de bois de chauffage yape’a, remonté de dessousla maison par ma fille, attend près du foyer. Tout est prêt pour le retour du pêcheur.

Du côté des cuisines

26 Voilà. Le pêcheur en a terminé avec sa quête. Il s’est baigné au fleuve, est rentré chez

lui, a changé de pagne et bu avec délectation une calebasse de bière de manioc palakasi.En attendant l’heure du dîner, il se délasse, assis ou allongé dans son hamac. Lespoissons ? Depuis qu’ils sont entrés dans la maison, il en a perdu tout contrôle. Passés

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du côté des femmes, ils ne lui appartiennent plus. Ce ne sont plus des animaux vivants,ce ne sont plus des proies pour pêcheur. Désormais, c’est de la chair comestible, c’est dela nourriture yaulã.

27 Les petites et moyennes prises m’ont été livrées en sautoir, chaque poisson mort ayant

rejoint ses compagnons d’infortune sur la même liane, enfilée par une ouïe et ressortiepar la gueule. Aujourd’hui, point de paku, mais deux superbes tale’ɨ, couchés dans unehotte provisoire tressée à l’arrache avec deux palmes de wasey, sur le lieu de pêche loinen forêt. Je commence par eux : écailler du dos du sabre pour ne pas risquer d’entamerla peau ; couper d’un coup sec les nageoires étalées sur la planche ; ouvrir la panse enlongeant les flancs, de façon à découper le ventre qui, sans aucune arête, est la partiedestinée aux petits enfants ; extraire les tripes ; en garder les parties grasses qui, bienlavées, seront balancées dans le court-bouillon avec le foie ; éliminer toute trace desang ; séparer la tête ; en extraire les ouïes ; la couper gueule ouverte entre les deuxparties de la mâchoire, en prenant garde à ne pas y laisser un bout de doigt ;tronçonner le corps en larges darnes, les recouper en deux, ou trois, ou quatre, selon lataille de la bête ; rincer tout cela à l’eau claire ; jeter dans le court-bouillon ; remettredu bois dans le feu ; bien y caler le faitout ; et enfin, attendre, attendre en humant lessaveurs qui s’allongent en longues volutes odorantes dans toute la maison.

28 Je nettoie tout le bazar, tripes et écailles enfermées dans la hotte provisoire, que ma

fille va jeter au fleuve. Les modestes dépouilles retournent à l’eau, nourrir d’autrespoissons que d’autres pêcheurs, ou les mêmes, ou leurs fils, allez savoir, tiendront unjour prochain au bout de leur ligne.

Figure 4 : Bassine de poissons prêts à cuire

© Y. Grenand, Trois-Sauts, 2009

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Le repas

29 Arrive l’heure du repas. Une petite nièce est venue me prévenir qu’il me fallait prévoir

un repas collectif devant la maison de Miso. À chaque fois, me revient en mémoire cetteanecdote : février ou mars 1969, petit village wayana sur la rive droite du haut Jari(Amapá). La rivière est en crue depuis plusieurs jours ; le courant est si puissant queplus un homme ne peut se risquer à aller pêcher ; il pleut si densément que tout hommesait qu’il est inutile de sortir en chasse. Bref, tout le monde a faim. Quand un critraverse le village : un des chercheurs d’or brésiliens présents qui, comme nous tous,crevait la dalle, a capturé sur une ligne de fond un poisson énorme ! Un super énormepoisson, on vous dit ! Les ichtyologues le nomment Phractocephalus hemiliopterus, lesBrésiliens, fidèles à leurs emprunts à la língua geral, le nomment pirarara, « poissonara », parce que cet énorme silure est coloré de rouge et de jaune vif, comme l'ara. Etc’est vrai que celui qui vient d’être échoué sur la berge est un monstre ! Pierre le jaugedans les soixante livres. Les douze chercheurs d’or, de tantalite et de peaux de jaguarqui partagent avec nous deux et une quinzaine de Wayãpi l’hospitalité des Wayana,sont gens courtois. Espérant simplement un repas, ils offrent leur prise à la grand-mèrequi, là aussi, règne sur le village et sur ses gens. Elle a vite fait de rameuter en cuisineun escadron de femmes, dont je fais partie et, une heure plus tard, le repas collectifcommence. Tous les hommes ont été invités, Brésiliens, Français, Wayãpi et Wayanamêlés. Ce n’est plus un repas, c’est un ballet : une fois, deux fois, trois fois, les platsreviennent vides pour repartir remplis vers cette horde masculine. Et je craque : « Nonmais merde alors ! Et pour nous, les femmes et les enfants, il ne va plus rien rester, c’estsûr !! ». La grand-mère me tapote la joue : « Mais si, ma petite, il nous reste la tête ».Voilà qui n’était pas fait pour me rassurer. La tête ? Il allait nous rester la tête ?! C’est cejour-là que je me suis rendue compte qu’une tête de silure fait le tiers de son poids etqu’elle abrite les morceaux les plus goûteux, un peu comme les joues de lotte, ensomme… Et le repas collectif des hommes fut suivi du repas collectif des femmes et desenfants, et tout le monde s’endormit repu.

30 Mon poisson est cuit, de même que doit l’être celui que Miso a donné à ses deux

épouses. Oui ! Penchée par dessus ma balustrade, je vois bien que ça s’agite par là-bas.D’autres femmes de pêcheurs apportent déjà leur cocotte. C’est l’heure. J’emplis demorceaux de poisson d’un blanc nacré un palapipotɨ, « plat à fleurs », une de ces piècesde service émaillées, jadis directement importées de leur pays par les commerçantschinois de Guyane et qui ont, hélas, disparu… Je garde précieusement de côté la part denotre famille que je ne veux pas voir disparaître dans les estomacs gloutons d’hommesaffamés. Je pose sur ma cocotte l’éventail à feu tapekwa sur lequel j’ai déchiré desmorceaux de ma belle cassave toute fraîche, j’attrape les deux anses de ma cocotte ; mafille, elle, se charge du plat et nous voilà au bas de l’escalier, rejoignant gaiement lebanquet du soir.

Il est temps de conclure

31 Il y aurait bien d’autres pêches à évoquer, d’autres techniques, d’autres lieux, d’autres

acteurs…

32 Te souviens-tu, Serge, nous avoir accompagnés chez les Wayãpi du haut Oyapock ? Ta

première incursion dans le monde foisonnant des Amérindiens des Basses terres

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d’Amazonie. Pour toi, l’africaniste, tout est différent et pourtant, tes sens aiguisés parta longue pratique du terrain te susurrent que tout est pareil. Une communauté vit savie dans les grands bois, à mille milles de tout magasin. La pêche et la chasse deshommes apportent journellement les protéines animales ; l’agriculture des femmesassure les glucides ; la cueillette de tous, y compris des enfants, les pourvoie envitamines et autres douceurs de l’âme, tel le miel sauvage.

Figure 5 : Paul Zidok pêche sur l'Oyapock, en aval de Trois-Sauts

© S. Bahuchet 1996

33 Nos cours d’anthropologie en Sorbonne nous avaient gratifiés de l’expression division

sexuelle du travail. Non seulement elle est laide, mais elle ne colle pas vraiment avec laréalité. Les mots complémentarité, équilibre, harmonie ne correspondent-ils pas mieuxà ce que nous venons de conter ?

34 Le soir tombe, la lune s’est levée. Tout est beau, tout est bon. Une dernière calebasse de

cachiri et chacun rejoindra son hamac.

NOTES

1. Les bourses Zellidja sont accordées sur deux ans à des lycéens ayant un projet de voyage

d’étude.

2. Il s’appelle aujourd’hui Mimisiku et est considéré comme l’un des meilleurs détenteurs de la

culture wayana.

3. Nous avons répertorié quinze espèces utilisables dans cinq genres botaniques différents.

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4. Après bien des hésitations assorties de controverses, nos amis ichtyologues lui ont enfin

accordé le binôme Tometes trilobatus.

5. C’est même le titre d’un ouvrage de Michael Goulding paru en 1980 : The fishes and the forest,

explorations in Amazonian natural history, University of California Press, Berkeley.

6. « On rend la main » : expression consacrée dans la nébuleuse des pêcheurs ; le poisson ne

devant absolument pas sentir que l'appât n'est pas libre mais au bout d'une ligne, le pêcheur

accompagne le poisson qui est en train de jouer avec l'appât mais ne l'a pas encore mordu. Donc,

on rend la main, on redonne du fil ; on ne tire pas sur le fil, ce qui correspondrait, pour le

poisson, à la prise de conscience que ce avec quoi il joue est un leurre. Il n'a pas encore mordu, on

n'en est pas encore au ferrage. Rien n'est tendu, tout est dans la douceur.

7. Sleeve : petit tube d’acier dans lequel vous passez la boucle de votre bas de ligne, puis que vous

écrasez à la pince.

RÉSUMÉS

Pour pêcher, il suffit qu’il y ait de l’eau, de menus engins, quelques gestes techniques, des savoirs

coutumiers, des poissons et un pêcheur.

Pour consommer le produit de la pêche, c’est presque la même chose : de l’eau, quelques

ustensiles, des produits du jardin, des recettes éprouvées, des poissons et une cuisinière.

Ce texte illustre cette trilogie fonctionnelle et attachante.

To fish, it is enough that there is water, small equipments, some technical gestures, customary

knowledge, fish and a fisherman.

To consume the fishery product, it’s almost the same thing: water, some utensils, garden

products, proven recipes, fish and a cook.

This text illustrates this functional and endearing trilogy.

INDEX

Mots-clés : techniques de pêche, cuisine, Amérindiens, Amazonie

Keywords : fishing technics, cooking, Amerindians, Amazonia

AUTEURS

PIERRE GRENAND

Anthropologue, directeur de recherche émérite à l’IRD, Institut de recherche pour le

développement, Paris.

FRANÇOISE GRENAND

Anthropologue, directeur de recherche émérite au CNRS, Centre national de la recherche

scientifique, Paris.

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Onyùmənyùmà, le règne olfactif chezles Fang-Ntumu du GabonEssai de catégorisation

Onyùmənyùmà, Fang-Ntumu's of Gabon olfactory kingdom: Categorization try

Régis Ollomo Ella

Introduction

1 Chez les populations fang-ntumu, le terme ènyùm (classe1 7), pluriel bìnyùm (classe 8)

désigne l’odeur, la senteur, l’effluve émanant d’un objet. Le terme génériqueònyùmǝnyùmà (classe 14), désigne pour sa part le « règne olfactif », c’est-à-dire aussibien les objets odorants, que les odeurs dégagées par ces objets.

2 Le présent travail vise à répondre à trois questions fondamentales : Qu’est-ce qui sent ?

Qu’est-ce que ça sent ? Comment ça sent ? On sera donc appelé à identifier les sourcesodorantes, à inventorier et catégoriser les odeurs et à étudier le jugement olfactif fang-ntumu.

3 Nous partirons à cet effet d’une liste de sources odorantes et d’odeurs dégagées par

celles-ci, collectées sur le terrain auprès de locuteurs natifs ntumu. À partir de cetteliste, nous envisagerons une première possibilité de catégorisation, c’est-à-direidentifier les traits permettant de les regrouper, en nous basant sur l’origine des nomsd’odeurs. Nous analyserons aussi bien les noms d’odeurs (leur étymologie et leurmorphologie nominale) que les propriétés des objets odorants associés. Nousenvisagerons ensuite la catégorisation endogène des odeurs qui fonde le jugementolfactif en exploitant deux types de traits :- Les traits de surface sont clairement exprimés par les locuteurs et formalisés dans lalangue. Ces traits relèvent du jugement olfactif : odeur agréable/non agréable,humaine/non humaine, maléfique/non maléfique.

- Les traits sous-jacents : ils sont semblables aux traits phonologiques en ce qu’ils nesont pas formalisés dans la langue. Ils fondent cependant les traits de surface et sebasent sur les représentations sociales inhérentes à chaque odeur.

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Le Fang et les Ntumu

Figure 1 : Aire dialectale Fang-Ntumu

4 Le Fang est une langue bantu parlée par des populations transfrontalières vivant au

Nord Gabon, au Sud Cameroun et en Guinée Équatoriale. Selon la classification deGuthrie (1953), le Fang (A75) appartient au groupe éwondo-fang (A70), groupe auquelappartiennent également l’Éton (A71), l’Éwondo (A72) et le Bulu (A74).

5 Selon Maho (2009), qui met à jour la classification de Guthrie (1953), le Fang présente

six dialectes : Ntumu (A75A), Okak (A75B), Make (A75C), Atsi/Batsi (A75D), Nzaman,Zaman (A75E), Mveny (A75F). Medjo Mvé (1997 : 329-336) divise l’aire dialectale fang endeux zones : nord et sud. Le Ntumu appartiendrait, d’après lui, à la zone nord quiregroupe le Ntumu et l’Okak. Le dialecte ntumu couvre le Sud Cameroun (région deMvili Mangalé), le Nord Gabon (Bitam, Oyem, Sam), puis une grande partie de l’est de laGuinée Équatoriale (région Ebibiyin).

Catégorisation selon l’origine du nom de l’odeur

6 Les noms d’odeur présentent des étymologies aussi diverses que variées. En Fang-

Ntumu, certains noms d’odeurs sont issus du lexique de base2 de la langue, je parleraidans ce premier cas des noms d’odeur pure. D’autres odeurs empruntent leur nom à dessources odorantes, c’est-à-dire à des objets dégageant une odeur. Le nom de l’odeurcorrespond ici soit à celui de la source odorante (musaraigne, excréments, etc.), soit àune propriété de l’objet odorant (pourri, sucré, doux, etc.).

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7 Dans tous les cas, chaque odeur dispose d’un référent qui lui est immédiatement

associé, elle s’appliquera par la suite à une série d’objets présentant une odeursimilaire. L’association d’une odeur à un référent principal est un procédémnémotechnique qui participe au processus d’apprentissage et d’identification desodeurs. On associera par exemple le poisson à l’odeur dɛɲ et on dira dɛɲ kwās « odeur

dɛɲ de poisson ». De même on dira káŋà məbí « odeur káŋà d’excréments », àbàm

mənyólóʔ, « odeur àbàm d’urine ». Aussi l’odeur dɛɲ, qui est principalement associée auréférent « poisson », sera-t-elle également associée à tout corps séjournant ou ayantséjourné dans l’eau (odeur du pêcheur sortant de l’eau, odeur de l’épuisette, odeur de lanasse, odeur d’animaux aquatiques, etc.).

Noms d’odeur pure

8 Les noms d’odeur pure présentent deux types de morphologie : ceux qui sont d’origine

nominale et construits avec un thème nominal, et ceux d’origine verbo-nominaleconstruits à partir d’une racine. Les nominaux exprimant une odeur pure sont declasses 1, 5 et 6. Ce sont des nominaux appartenant à des genres à classe unique, ilsn’ont qu’une forme singulier et pas de pluriel. Deux de ces odeurs sont de classe 1 àsavoir :

- ŋgòò : cette odeur est principalement associée aux poils brûlés. Par extension, c’estl’odeur de tissu animal brûlé. On l’applique à l’odeur de toute forme de pelage brûlé :poils, plumes, écailles, mais aussi à la peau et à la chair brûlées. C’est l’odeur parexemple d’une marmite de viande brulée.

- káŋà : contrairement à Galley (1964 : 149) qui le définit comme « l’odeur de poilsbrûlés », cette odeur est principalement associée, chez les Ntumu, aux excréments etaux pets. Elle renvoie particulièrement à une forte odeur d’excréments frais. On dira : Edzìná dī dá nyùm káŋà məbí, litt. : « chambre ci elle sentir káŋà (de) excréments » setraduit par « cette chambre dégage une forte odeur d’excréments »

9 Tous les autres nominaux de cette catégorie sont de classe 5 à savoir :

- àfúʔúbú : Galley (1964 : 24) définit cette odeur comme « sauvagin, odeur de poulailler,de nid, de moisi, de chien ». Nos enquêtes montrent effectivement que cette odeur avaitpour référent principal fùmà « la rage ». En principe, seuls les chiens affectés par la rageprésentaient cette odeur. Aujourd’hui l’odeur àfúʔúbú a pour référent principal lechien. Elle s’applique à tout ce qui présente une odeur de moisi sec ou de poussière fineissue d’une accumulation de peaux mortes. C’est l’odeur du pain moisi, du riz sec, duplumage, ou encore d’une personne n’ayant pas pris de douche depuis plusieurs jours. émbō ny àà nyùm àfúʔúbú, litt. : « Homme ci lui sentir àfúʔúbú » se traduit par « cethomme sent àfúʔúbú »

- àvùrà est une odeur proche de àfúʔúbú sauf qu’ici, il s’agit d’odeur de poussière finenon organique. C’est l’odeur dégagée par la friperie, par un matelas ou un tissupoussiéreux, par une poule remuant ses plumes après avoir couvé dans de la poussière,ou encore par un enfant s’étant roulé ou assis dans la poussière.

- dɛɲ : cette odeur a pour référent principal le poisson. Par extension, c’est « l’odeurdes choses aquatiques »3. Chez les Ntumu, cette odeur s’applique à tout ce qui séjournerégulièrement dans l’eau : pêcheur après une partie de pêche, nasse, épuisette,animaux aquatiques, etc. Par extension, cette odeur s’applique non seulement auxsécrétions vaginales, au liquide amniotique, mais aussi à l’odeur du bébé à sa naissance.

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- àbàm est l’odeur de l’urine, particulièrement lorsqu’elle est concentrée. On dira parexemple d’une personne s’étant uriné dessus qu’elle sent àbàm. Le nom s’applique parextension sémantique à toute odeur soufrée. C’est l’odeur dégagée par le poisson salé,l’odeur de chaussettes ou celle dégagée par une forte concentration de sueur sur unvêtement, etc.

- ŋgìrà : Le nom d’odeur est construit à partir de la racine verbo-nominale /-git- / quiporte le sème « assaisonner minutieusement ». La même racine apparaît dans le verbeákìt « cuisiner en assaisonnant minutieusement. Elle désigne un fumet émanant d’unmélange de certaines herbes aromatiques, principalement òsàŋ « citronnelle », məsəp

« Ocimum viride » et όndόndô « piment ». Ces herbes accompagnent généralement lacuisson d’un gibier frais. Ngìrà désigne l’odeur de fumet issue de la cuisson de viande

fraîche avec des herbes aromatiques òsàŋ, məsəp et όndόndô.

ŋgìrà dà sɔ é ndá nyī , litt. : « fumet lui venir de maison ci » se traduit par « un agréablefumet émane de cette maison ».- fùrà désigne la mauvaise odeur de teigne. Par extension, l’odeur renvoie à la mauvaiseodeur du cuir chevelu et à l’odeur des pellicules.

Nom d’odeur dérivé d’une source odorante

10 Nous examinerons ici, aussi bien les sources odorantes que les odeurs qu’elles

produisent.

Source humaine

11 Lorsque la source odorante est humaine, les odeurs empruntent le nom de sécrétions

ou de déjections. Notre corpus comporte les odeurs èdùdùʔ « sueur » , məkət

« sperme », məɲáŋ « lait », mvàʔàfán « aisselle » et məbí « excrément ».

12 Les termes èdùdùʔ « sueur » et mvàʔàfán « aisselle » désignent deux odeurs proches en

ce qu’ils décrivent deux types d’odeur de sueur. Le premier renvoie à l’odeur de sueursur un vêtement, alors que le second correspond à l’odeur de la sueur fortement

concentrée ou séchée. Un maillot de sport sentira èdùdùʔ à la sortie d’une séance desport, alors qu’il sentira mvàʔàfán s’il est porté plusieurs fois sans être lavé ousimplement si la sueur sèche dessus.

13 məɲáŋ est l’odeur de lait et, par extension, celle du nourrisson. Dire, par exemple, à un

adulte qu’il sent le lait signifie qu’il n’est pas encore assez mûr.

14 məkət désigne aussi bien le sperme que l’odeur de sperme. L’odeur du sperme n’est pas

associée à un référent physique, elle est socialement associée à la violence et à laguerre.

15 La dernière odeur issue de déjection humaine est məbí, excréments. Les excréments

constituent la pire des déjections. Symboliquement, sentir les excréments c’est êtreréduit à l’état de déjection, être un déchet pour la société.

Sources animales

16 Les animaux sauvages, disposent d’une odeur générique : ènyùm tsít « odeur animale ».

Par extension, l’odeur tsít s’applique aux animaux domestiques et aux humains ayantlongtemps séjourné en brousse.

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17 E mbō nyī ǎ nyùmàŋ tsít, litt. : « Homme ci lui sentir animal » se traduit par « cet homme

sent déjà l’animal ».

18 Certaines odeurs sont propres à des espèces données, ce sont les odeurs sui generis. Elles

sont issues de phéromones utilisées pour marquer le territoire, pour la paradeamoureuse ou comme système de défense olfactif. D’autres odeurs sont propres auxdéjections de certaines espèces données.

19 Les animaux à odeur sui generis dégagent une odeur de même nom que l’espèce

concernée. Dans le corpus, les odeurs suivantes relèvent de cette catégorie :- Ʒὲɲ est l’odeur de la civette, ou plus exactement l’odeur des phéromones de civette.Les Ntumu distinguent èlìnəƷὲɲ et ntsìmáƷὲɲ. èlìnəƷὲɲ désigne la glande anale de lacivette qui produit la phéromone concernée. ntsìmáƷὲɲ, désigne pour sa part l’amas decrottes de civette. Pour marquer son territoire, la civette dépose effectivement desamas de déjections imprégnés de phéromones.

- ḿbàʔàsùmù « la musaraigne », òzùrùŋgùm « la mangouste » et èkəlá « le cabri »produisent également des phéromones typiques qui donnent à leur tour des nomsd’odeur.- àbí kɔʔɔ « déjection de volaille ». Le terme est un nom composé : àbí désigne lesexcréments alors que kɔʔɔ est un monème non autonome. Sa morphologie indiquecependant que c’est un figement composé de la consonne initiale de kú « Gallinacée,poule » et des deux dernières syllabes de sɔʔɔ « Anatidés, canard ». àbí kɔʔɔ est doncl’odeur de crotte de volaille. C’est également l’odeur qui se dégage lorsqu’on frottevigoureusement un bras contre l’autre.

La source odorante est un insecte

20 Dans notre corpus, les insectes ci-dessous donnent leurs noms aux odeurs qui leurs sont

associées.

- fəfέɲ désigne le cafard. Son odeur caractéristique provient du liquide qu’il sécrète ensituation de stress et qui sert de répulsif pour d’éventuels prédateurs. Sur le plan

olfactif, l’odeur fəfέɲ a pour référent principal la blatte, puis, par association olfactive,elle est appliquée à la mauvaise haleine ou plus spécifiquement à la mauvaise haleinematinale.- ōswān est une espèce de petites fourmis noires qui construisent des nids sur desarbres. L’odeur âcre qui les caractérise est assez proche de celle des termites. Ellesconstituent surtout l’un des aliments favoris du pangolin (Mani longicaudata). L’odeurōswān, qui se réfère certes à la fourmi, a pour référent principal le pangolin. Sentirōswān, c’est avoir une odeur proche aussi bien de la fourmi, que de son prédateur.- mìntótô « grandes fourmis noires » (Galley 1964). De par sa taille, la fourmiappartiendrait à la famille des Ponerides ou des Cérapachyides. Au-delà du référentprincipal qu’est la grande fourmi noire, l’odeur de mìntótô est associée à la présence demauvais esprits, de revenants, et constitue un mauvais présage4.- òsún est une espèce de mouche à sang de couleur jaune-orangé. On la désigneégalement par mouche à filaire, « On dit que c'est elle qui donne la filaire loa ou filairede l'œil » (Galley 1964 : 312). Sur le plan olfactif, òsún dégage, lorsqu’elle est écrasée,une odeur caractéristique légèrement fruitée mêlée généralement à l’odeur du sangqu’elle a ingurgité. Sur le plan social, l’odeur de òsún est associée à la sorcellerie, c’estplus exactement l’odeur d’un certain type de sorciers5.- mìŋkōŋ ( Imbrasia dione) est une espèce de chenilles comestibles. Elles colonisent

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généralement l’arbre àbíɲ (Petersianthus macrocarpus). L’odeur de mìŋkōŋ est doncétroitement associée à l’arbre qui les abrite.

21 D’autres insectes de notre corpus présentent des odeurs qui les caractérisent et qui

donnent lieu à des noms d’odeur. Il n’a cependant pas été possible d’établir desassociations avec d’autres objets. Les fourmis kəə, « fourmi rouges de forêt, rares etextrêmement venimeuses » (Galley 1964 : 167), ēvōm « espèce de petit coléoptère ».

Sources végétales

22 Comme pour les animaux, la forêt dispose d’une odeur générique : ènyùm áfàn « odeur

de forêt ». Elle désigne toute odeur rappelant la forêt : odeur de sève de certains arbrespoussant à l’état sauvage, odeur d’animaux, de poisson, etc. On dira : étō dī dá nyùm àfàn,litt. : « vêtement ci lui sentir forêt » se traduit par « ce vêtement sent la forêt ».

23 Les sources odorantes végétales sont de deux types : les arbres odorants, les plantes

aromatiques. L’odeur d’un arbre odorant provient de :- sa sève : les arbres dzî et ēdūm (Cylicodiscus gabunensis) présentent une odeurcaractéristique inhérente à leur sève. Le premier est un arbre dont la sève présente uneforte odeur soufrée alors que la sève du second présente une odeur de « pourri »semblable à celle de plantes mortes en décomposition. Une décoction de plantesmédicinales avariée présentera une odeur ēdūm.- sa résine : àsás « Atangatier » (Dacryodes edulis), àŋgùmá « Okoumé » (Aucoumea

klaineana) et àndəm (Pterocarpus sp.) produisent une résine portant le nom générique deòtú qui désigne aussi bien la résine que l’odeur qu’elle dégage. L’odeur òtú s’appliquepour sa part non seulement à la résine elle-même, mais aussi à l’odeur émanant de lafumée issue de la combustion de ladite résine. Par extension sémantique, l’odeur òtú

s’applique à la fumée se dégageant de la combustion de certaines écorces utilisées pourla confection des torches de résine.- ses fleurs : məkɔʔɔ (Guibourtia ehie) est un grand arbre de la forêt équatoriale. Lors desa floraison, l’odeur de ses fleurs couvre un rayon important autour de l’arbre. Lesfleurs de məkɔʔɔ dégagent une odeur semblable à celle du musc de civette. Un nez nonaverti et qui ne tient pas compte de l’environnement pourrait aisément les confondre. - ses fruits : les fruits identifiables par leur odeur sont ceux de l’arbre àdzàp

« moabi » (Baillonella toxisperma) appelé èbwàn-ádzàp, le fruit d’àndɔʔ (Irvingia gabonica), ńsàà (banane mûre), ou encore les fruits de ŋgúkɔŋ, (Tarrietia densiflora).

24 Les plantes et herbes aromatiques utilisées dans le domaine culinaire et qui donnent

leur nom à des odeurs sont les suivantes :- èsùn : écorce de Afrostyrax lepidophyllus ou de Scorodophloeus zenkeri. Ces deux écorcesaromatiques, quoique relevant d’espèces différentes, appartiennent à la mêmecatégorie endogène et portent le nom de èsùn (Meunier et al. 2015 : 320, White &Abernethy 1996 : 167). Elles sont utilisées pour parfumer des sauces et notamment lesplats de feuilles de manioc, elles ont une odeur proche de celle de `nlɔm (Quassia

africana), une autre plante aromatique assurant la même fonction.- òsàŋ « citronnelle » ; məsəp (Ocimum viride) « basilic, remède de la fièvre, menthe

aromatique employée comme condiment » (Galley 1964 : 45) et όndόndô « piment » sontles trois autres plantes aromatiques empruntant leur nom à l’odeur qu’elles dégagent.Nous avons vu plus haut qu’elles participent, lors de leur cuisson concomitante, à laconstitution de l’odeur ŋgìrà.

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- À ces plantes identifiées par nos informateurs, nous ajouterons ngel (Croton

oligandrum), èlé ndzik (Monodora myristica), des plantes odorantes signalées par Raponda-Walker. Elles étaient autrefois utilisées à des fins rituelles.

Nom d’odeur et propriétés gustatives de la source odorante

25 Une odeur peut rappeler le goût de sa source odorante. Dans le sous-bois, les Fang-

Ntumu distinguent aisément l’odeur acide de mvūt « raisin du Gabon », fruit duTrichoscypha abut), ou encore d’òfwas (fruit du Pseudospondias longifolia) de l’odeur sucréede m bàtwà, l’ananas. Ces odeurs sont particulièrement perceptibles lorsque lesditsfruits sont en décomposition. Dans notre corpus, les odeurs suivantes sont associées augoût de la source odorante :

- àzəʔ : chez les Ntumu, le qualifiant àzəʔ que l’on pourrait systématiquement traduirepar « sucré », renvoie non seulement au goût sucré, mais aussi à toute saveur suave et

fine. Le caractère àzəʔ d’une sauce est lié, non pas à la présence particulière de sucrecomme dans la sauce aigre-douce chinoise, mais à la présence de certains éléments quilui donneront cette saveur « légère », suave et fine. Sont généralement responsables ducaractère « sucré » d’une sauce, les crustacés, poissons à écailles, la tomate ainsi que leschampignons tɔdjɛˆ6 et ètòʔ7. L’odeur àzəʔ rappelle donc tout aliment « sucré » : soupede poisson, soupe de champignon, lait, fruits sucrés, etc. Le champignon tɔdjɛ produitune odeur « sucrée ». Les collecteurs de champignons se fient à cette odeur sucrée dansle sous-bois pour retrouver les champignons concernés.

- àyòò : ce terme dénote l’amertume. Sur le plan olfactif, l’odeur àyòò présente unedouble association de référents. La première association est gustative. La référenceprincipale en termes d’amertume est le fruit de èŋgáŋ (Tetrapleura tetraptera), l’alimentpréféré du porc-épic. Sentir amer, c’est avoir une odeur semblable à celle du fruit deèŋgáŋ. La seconde association se fait avec àkíí, la sève blanchâtre ou jaunâtre. Dans lesreprésentations sociales, àkíí (type de sève) et àyòò (goût amer) sont étroitementassociés, la sève de type àkíí, à l’exemple de celle de èkùk (Alstonia sp.) présentegénéralement un goût amer. Aussi, toute sève de type àkíí dégage potentiellement uneodeur amère. Dire par exemple é byàŋ nyí dà nyùm àyòò « ce remède sent amer », indiqueque ledit remède a été réalisé avec des écorces d’un arbre ayant une sève blanchâtre oujaunâtre.

- mǝsɛɲ : le goût mǝsɛɲ est associé à tout mets délicat ou considéré comme prestigieux :Porc-épic, paquet de courges, manioc traité de manière spéciale, mets assaisonné avec

des plantes aromatiques rares. Sur le plan olfactif, l’odeur mǝsɛɲ est à la fois douce etsuave, elle est associée au fumet émanant de chacun des plats susmentionnés. Parextension ladite odeur s’applique à l’agréable odeur de certaines fleurs, aux parfumsmodernes et aux hommes ayant une bonne hygiène corporelle ou se parfumant.

- zìŋí : le terme renvoie au goût « neutre » de certains aliments. Un goût est considérécomme neutre lorsqu’il n’est ni sucré comme l’ananas, ni salé, ni acide. C’est le goût desnoix, de certaines amandes, du maïs sec, de noix et fruits séchés, de manioc séché,d’argile comestible, d’arachide grillée, etc. Le terme zìŋí s’applique dans une moindremesure à certains fruits présentant un goût àvẅɛɲ « frais ». Chez les Ntumu, on parlede goût « frais » lorsqu’un fruit n’est ni trop acide, ni trop sucré. C’est le cas lorsqu’unfruit généralement acide présente un taux d’acidité très bas ou une saveur légèrement

sucrée. Sur le plan olfactif, l’odeur zìŋí évoque un produit au goût neutre et « frais ».Elle a pour référent principal kẅɛmɛ, le fruit du « noisetier africain » (Coula edulis) et

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renvoie à l’odeur de céréale, à l’odeur douce et légèrement poussiéreuse dégagée parles produits à goût neutre, ni sucré, ni salé.

- dáp et èyàŋ sont deux termes renvoyant au caractère âcre d’un aliment donné. Dáp estun qualifiant indiquant le goût âcre issu de la coagulation d’un produit comestible :huile de palme, graisse, etc. Les Fang-Ntumu associent dáp à ányù « bouche », on dit dáp

ányù « caractère âcre en bouche » puisqu’il est étroitement associé au goût. Sur le planolfactif, tout produit coagulant en bouche présente une odeur dáp. èyàŋ « crasse, suie,fumée âcre » s’applique pour sa part à des produits volatiles (fumée, parfum, vapeur)qui irritent les voies respiratoires. C’est un nominal de classe 7 construit à partir de laracine –yàŋ qui participe également à la construction du verbe áyàŋ « se couvrir desuie ». On dit par exemple vyōʔ wáyàŋ « la casserole prend la suie ». Tout comme dáp estassocié à la bouche, èyàŋ est associé à kíŋ, la gorge ou plus exactement la trachée artère,on dit, èyàŋ á kíŋ « caractère âcre dans la gorge ». Les produits èyàŋ génèrent donc

systématiquement la toux. Du point de vue des perceptions olfactives èyàŋ renvoie àune odeur qui donne la sensation de coller ou de coaguler dans la trachée artère. Sur leplan olfactif, dáp comme èyàŋ renvoient à des odeurs âcres, c’est-à-dire qui donnent lasensation de « coaguler » et s’encrasser en bouche ou dans la gorge : odeur de plastiquebrûlé, odeur de gaz d’échappement, odeur d’huile de palme, de piment brûlé.L’utilisation de certaines espèces d’arbres comme bois de chauffage est interdite àcause de la fumée âcre qu’elles dégagent.

- sāŋ : sur le plan gustatif, le terme sāŋ, désigne le goût aigre, acidulé ou tout autre goûtqui « fendille les joues8 ». Côté olfactif, il y a association entre l’objet, son goût acidulé,et son odeur de sorte qu’une source odorante présentant un goût acidulé présenteranécessairement une odeur aigre et acide. é dzóm é nə sāŋ é də dá ɲùm sāŋ , litt. : « cette chose lui être aigre lui c’est lui sentiraigre » se traduit par « c’est ce qui est aigre, qui sent aigre ».Par association olfactive, sāŋ renvoie à l’odeur acide se dégageant de certains produitsavariés, c’est aussi l’odeur dégagée par les flatulences de nourrisson ou encore par lemanioc roui.

Le nom d’odeur décrit l’état de la source odorante

26 Les odeurs peuvent décrire le caractère pourri, avarié, vieux ou neuf d’un objet donné.

Le qualifiant èbɔ « pourri » désigne aussi bien « quelque chose qui est mouillé, humide,ou très mûr » (Galley 1964 : 90), qu’un objet en état de décomposition. L’odeur èbɔ s’applique à tout corps en décomposition, aux plaies et ulcères, à l’eau stagnante, ettout ce qui dégage une odeur de pourri. Le terme èbɔ kúsəmə qui lui est associé, est unnom composé du qualifiant èbɔ et d’un deuxième élément -kúsəmə qui n’a aucuneautonomie sémantique dans la langue. Le composé désigne un gibier dont le processusde décomposition est enclenché, mais qui demeure comestible.

27 Le qualifiant sūn décrit un objet avarié ou moisi. Sur le plan olfactif, c’est l’odeur se

dégageant des champignons fins responsables de la moisissure.

28 ǹnōm et mfəfὲɲ qualifient respectivement le vieux et le neuf. Sur le plan olfactif, ǹnōm

désigne l’odeur du vieillard, elle est parfois utilisée comme synonyme de àfúʔúbú.

mfəfὲɲ décrit pour sa part une odeur de neuf. Elle dépend en grande partie du produitqui est neuf, il peut s’agir d’odeur de gibier frais par opposition à èbɔ kúsəmə, del’odeur de forêt fraîchement défrichée mfəfὲ ŋkpὲʔὲ, d’outils neufs portant encore dessenteurs de la forge, de vêtements neufs, etc.

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Catégorisation endogène des odeurs

bìnyùm / mənwàn

29 Sur le plan endogène, les Ntumu procèdent à une première dichotomie en distinguant

au sein de ònyùmənyùmà (odeurs), mənwàn et bìnyùm. mənwàn désigne les effluves, lesodeurs corporelles, naturelles ou artificielles. bìnyùm (pluriel de ènyùm) renvoie pour sapart à l’ensemble des autres odeurs naturelles non corporelles. Il y a donc ici uneexploitation des traits humain/non humain. Ces deux premières catégories ne sont pasnécessairement étanches. Par extension sémantique, les propriétés olfactives d’uneffluve mənwàn peuvent s’appliquer à des objets non humains présentant les propriétéssimilaires, ou reconnues comme telles par la société. On parle de mənwàn mə mvú

littéralement « effluves de chien » pour désigner l’odorat du chien ou plus exactementtout ce que l’odorat du chien peut percevoir.

Catégorisation selon le jugement qualitatif

30 Le jugement olfactif est avant tout subjectif, les goûts et les odeurs ne se partagent pas.

Il ne s’agit donc pas ici d’étudier le jugement olfactif de chaque membre de lacommunauté mais plutôt de dégager les constances communautaires. On peut en effetobserver que certaines odeurs sont socialement reconnues comme agréables, d’autrescomme malodorantes.

31 Chastrette, Godinot & Sicard (1997) ont par exemple établi que le jugement olfactif

dépendait de la molécule odorante. Les molécules pyridine, thiophénol et acide isovalérique

sont jugées malodorantes, alors que le cinéol, le camphre, et le menthol sont associés à lasensation de fraîcheur. Pour Mouele (1997 : 216), le jugement olfactif est lié au taboualimentaire : « l'odeur d'un aliment (viande ou fruit) devenu tabou à la suite d'uneinitiation ne peut plus être ressentie comme plaisante ».

32 On observe de manière générale que les critères de jugement de l’odeur sont

étroitement liés aux représentations sociales inhérentes aussi bien à l’odeur qu’à lasource odorante. Les Ntumu distinguent les odeurs qualifiées de èɲùm àbé (senteurmauvais) « odeur désagréable » / èɲùm mbəŋ (senteur bon) « odeur agréable ». Il seraquestion de déterminer quels traits fondent le caractère agréable ou désagréable d’uneodeur. Il ne s’agit pas ici de catégoriser toutes les odeurs inventoriées plus haut, maisde ne retenir que celles qui sont pertinentes pour les Ntumu au point d’y porter unjugement olfactif.

ènyùm mbəŋ : odeur agréable

33 Un principal trait semble justifier le caractère agréable d’une odeur (èɲùm mbəŋ) : ses

propriétés gustatives. Il apparaît en effet qu’une grande partie des odeurs appréciées serattachent à un goût apprécié, à savoir : gira (agréable fumet), məsɛɲ, zìŋí, àzəʔ. Du

point de vue du jugement olfactif, èbɔ kúsəmə est traité comme une odeur désagréablelorsque le gibier est cru, et agréable lorsque le gibier est cuit.

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34 De même, les plantes aromatiques utilisées dans le domaine culinaire présentent une

odeur jugée agréable : èsùn (Afrostyrax lepidophyllus et Scorodophloeus zenkeri), məsəp

(Ocimum viride), òsàŋ « citronnelle », óndόndóó « piment ».

ènyùm àbé : odeur désagréable, socialement dépréciée

35 Contrairement aux odeurs agréables qui étaient liées à une catégorie homogène, celle

du goût, les odeurs désagréables sont liées à des représentations sociales hétérogènes.En examinant les représentations sociales inhérentes au référent principal de chaqueodeur, on peut cependant dégager les traits sous-jacents justifiant son caractèredésagréable.

36 Une odeur est désagréable lorsque l’un de ses référents rappelle un objet :

- Qui est impropre à la consommation, qui présente un goût désagréable. C’est le cas desodeurs, èbɔ qui rappelle l’état de décomposition d’un objet, sūn qui indique le caractèreavarié et donc impropre à la consommation, àyòò qui indique le caractère amer, èbɔkúsəmə qui indique qu’un gibier est à la fois cru et en état de décomposition, donc, non

comestible en l’état.- Qui relève des sécrétions ou des déjections. Les odeurs məbí, káŋá, àbàm, àbí-kɔʔɔ quiont pour référents principaux respectivement les excréments, les excréments frais,l’urine, et les déjections de Gallinacées, sont de ce point de vue socialement perçuescomme désagréables. L’odeur Ʒɛɲ qui renvoie aussi bien aux déjections (ǹtsìmá Ʒɛɲ) dela civette qu’aux phéromones sécrétées par des glandes anales (èlìnə Ʒɛɲ ) entre dans lamême catégorie. - Qui relève à la fois des sécrétions et du caractère impropre à la consommation. C’est lecas de dɛɲ, l’odeur de poisson. Elle est perçue comme désagréable par ce qu’elle estassociée au qualifiant èbɔ « mouillé, pourri » donc impropre à la consommation. Ladeuxième association est celle faite plus haut avec les secrétions vaginales : dɛɲ estl’odeur du vagin, une odeur socialement perçue comme désagréable.

- Qui indique une absence d’hygiène ou une maladie : àfúʔúbú est une odeur associéeaussi bien au chien qu’à la crasse. C’est l’effluve émanant d’une personne n’ayant paspris de douche depuis des jours, ce qui est socialement déprécié. De même, l’odeur fùrà

indique non seulement une absence d’hygiène corporelle (la tête qui sent), mais aussi laprésence de teigne, une maladie qui affecte le cuir chevelu causée par un champignonet qui indique également un manque d’hygiène. De même, l’odeur àfúʔúbú, l’odeur dechien enragé, indique potentiellement la présence de la rage.- Qui indique une situation de danger. Dans cette catégorie on retrouve l’ensemble dessubstances odorantes sécrétées et utilisées comme système de défense. C’est un répulsifindiquant la présence d’un poison potentiel : ēvōm.

Dans cette catégorie, on retrouve également məkət « odeur de sperme ». Elle désignepar extension l’odeur de la testostérone, et symbolise la violence, la guerre.L’expression dzí dá nyùm à nə məkət qui se traduit littéralement par « qu’est-ce qui sentcomme le sperme » et qui pourrait correspondre à l’expression « sentir le roussi »,indique une situation de conflit imminent ou de danger. De même, les personnesbelliqueuses et violentes sentent məkət.

- Qui indique une présence maléfique. Socialement l’odeur des fourmis Mintotoo génèreaussi bien la nausée que la peur. Cette odeur indique en effet la présence des esprits desmorts. C’est un mauvais présage indiquant le décès d’un proche. Un adage fang dit : « situ ne vois pas les fantômes, tu sentiras au moins l’odeur des mìntótô ». Galley (1964 :

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249) indique que les « esprits des morts » sentent mìntótô car cet insecte constitue,selon les croyances populaires, leur aliment principal.

37 De même, l’odeur òsún « mouche à sang » indique la présence d’un sorcier. La mouche à

sang jouit d’une mauvaise réputation au sein de la population non seulement parcequ’elle suce le sang, mais aussi parce que certaines injectent des larves filaires qui, àl’âge adulte, sont responsables de la filariose. Certains sorciers ont la réputation dedisposer de meutes de mouches à sang. Elles servent aussi bien à la collecte de sangpour leurs propriétaires, que pour l’inoculation de maladies telle que la filariose à lademande du sorcier propriétaire. On dit desdits sorciers qu’ils sentent òsún.

Catégorisation des modes de diffusion et la persistance de l’odeur

38 La catégorisation endogène des odeurs se fait également en fonction de leur mode de

diffusion. Les termes indiquant le mode de diffusion de l’odeur présentent unestructure de base verbonominale ou idéophonique. Cette catégorisation se base aussibien sur les traits agréable/non agréable présentés plus haut, que sur le caractèrebrusque, envahissant ou intermittent de l’odeur.

39 Le verbe átúnân est exclusivement utilisé dans le domaine olfactif et signifie « dégager

fortement ». Il est construit à partir de la racine /–tunan-/ qui participe également à laconstruction du verbe átùnàn « s’échapper brusquement, se dégager brusquementd’une étreinte ». Le verbe átúnân et l’idéophone dérivé túnààààn sont utilisés lorsqu’unemauvaise odeur s’échappe brusquement d’un endroit donné. Ce mode de diffusiondécrit par exemple le type de sensation d’odeur qui vous parvient lorsque vous ouvrezla porte d’une pièce emplie d’une forte odeur d’excrément ou de cadavre, ou encorelorsque vous ouvrez une casserole de nourriture avariée.

40 zəəŋ est un idéophone utilisé lorsqu’une odeur agréable emplit subitement un espace

donné. Il fonctionne à l’opposé d’átúnân. Ce type de diffusion s’applique par exemple àl’odeur emplissant une pièce suite à l’entrée d’une personne portant un agréableparfum, ou encore d’une entité diffusant une odeur agréable.

41 L’idéophone tɔɔp décrit les légers relents d’odeur parvenant par intermittence.

Généralement, la source odorante n’est pas visible. Sa présence est indiquée par sonodeur portée par le vent.

42 Le verbe ábàràn indique l’action de s’oindre, de s’asperger ou de s’appliquer

grossièrement et de manière salissante, une substance onctueuse, visqueuse ou gluante.On dirait d’un enfant qui prend un bain de boue ààbàràn mbɔrɔ « il s’oint de boue ».

Concernant les odeurs, ábàràn ényùm signifie s’asperger d’une substance malodorantequi colle à la peau. Ce type d’odeur collante est dit bàt-ènyùm « mauvaise odeurpersistante », son référent principal est àbí-kɔʔɔ « excréments de volailles », ils sont àla fois visqueux et malodorants.

Conclusion

43 Ce travail nous a permis de dresser un inventaire des odeurs en-Ntumu, d’étudier leur

origine et d’envisager les modalités d’une catégorisation endogène. Il apparaît quel’identification des odeurs se fait grâce à un jeu d’association entre une odeur et sonréférent principal, qu’il s’agisse d’odeur pure ou d’odeur empruntant le nom de lasource odorante. Sur le plan de la catégorisation endogène, nous avons vu que les

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populations disposaient de catégories de surface qui se fondent sur les traits humain/non humain, sur le jugement olfactif agréable/non agréable et sur le mode de diffusionde l’odeur. Sur le plan du jugement olfactif, les traits de surface (agréable/nonagréable) se fondent sur des traits sous-jacents liés au goût appréciable ou nonappréciable de la source odorante. La catégorie « non agréable » est pour sa part sous-

tendue par le caractère impropre à la consommation : l’odeur rappelle un déchet, unesécrétion ; le caractère maléfique : l’odeur indique une présence malfaisante ; le

caractère dangereux : l’odeur indique un poison potentiel, ou une maladie.

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GABON.

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NOTES

1. De manière générale, on désigne par classe un ensemble d'éléments linguistiques ayant des

propriétés communes. Ici, il s'agit particulièrement de classes nominales c'est-à-dire un

ensemble de nominaux présentant les mêmes caractéristiques morphologiques : ils emploient les

mêmes préfixes (indices de classe) et régissent les mêmes accords.

2. Mouele (1997) et Boisson (1997) parlent de noms d’odeur inhérents aux « termes de base » ou

vocabulaire de base de la langue.

3. Le terme est emprunté à Mouele, 1997 : 218.

4. Nous détaillerons plus bas le lien entre l’odeur des mìntótô et l’esprit des morts.

5. Nous reviendrons plus bas sur le type de sorciers présentant une odeur de moucheron.

6. Espèce d’Hygrophore blanc ; il présente un « chapeau blanc, charnu et lisse. Chair molle.

Feuillets épais, peu serrés. Odeur douce, agréable ». (Walker 1931 : 243).

7. Non identifié scientifiquement, on retrouve cependant une référence à ce champignon chez

Walker (1931 : 241). Il le décrit comme un « champignon cartilagineux, à pied grêle, assez long. Le

chapeau, mince, creusé en coupe ».

8. Les Ntumu associent le goût acide à la grimace « visage d’antilope » qui accompagne la mise en

bouche d’un produit d’une extrême acidité, elle donne une impression de fente sur les joues.

RÉSUMÉS

Lorsque vous parlez des odeurs à un locuteur fang-ntumu, la première réaction est celle du

dégoût, comme si le terme ènyùm « odeur » était pour lui synonyme de ènyùm àbé « mauvaise

odeur ». Le présent travail vise donc à étudier ònyùmənyùmà c’est-à-dire l’univers olfactif fang-

ntumu afin de répondre à trois questions : Pour les Ntumu, qu’est-ce qui sent ? Qu’est-ce que ça

sent ? Comment ça sent ? Il s’agira, d’une part d’identifier et de catégoriser les sources odorantes

et les odeurs pertinentes dans l’environnement fang-ntumu. Il s’agira d’autre part, d’examiner la

catégorisation endogène des odeurs et de déterminer les principes sous-jacents qui fondent le

jugement olfactif au sein de la population étudiée.

When you talk about ènyùm ‘’odour’’ to a Fang-Ntumu speaker, his first reaction is disgust. For

this people, ènyùm ‘’odour’’ seems to deal with ènyùm àbé ‘’bad odour’’.

This paper is about ònyùmənyùmà, that Fang-Ntumu’s olfactory surroundings. It will answer to

three principal questions: What’s smell? What does it smell? How does it smell? In this paper we

shall identify and classify odorous sources, and producted odours. In addition, we’ll study own

Fang-Ntumu odours classification, and determine the deeper principle which explain their

olfactory judgment.

INDEX

Mots-clés : odeur, Fang, Ntumu, ressenti olfactif, source odorante, catégorisation des odeurs

Keywords : smell, Fang, Ntumu, olfactive feeling, smell origins, smell categorization

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AUTEUR

RÉGIS OLLOMO ELLA

Docteur en linguistique, assistant CAMES - Enseignant-chercheur à l'université Omar Bongo -

chercheur associé à l'UMR 7206 du MNHN

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Apprendre la mer au Gabon et défierles approches disciplinairesLearning the ocean in Gabon and challenging disciplinary approaches

Catherine Sabinot

1 Il est un lieu commun dont on peut faire le constat dans de nombreux écrits et discours

tenus sur les différents continents : « tout se perd… ». Les valeurs, les langues, les« traditions », les savoir-faire, sont affectés. Peut-on toutefois parler uniquement deperte des savoirs ? Serait-ce si simple ? Nos recherches nous conduisent à aller au-delàde cette impression de perte, et à appréhender ce qui guide et nourrit la dynamique dessavoirs et savoir-faire, véritable poumon des transformations des sociétés quis’adaptent aux changements environnementaux, socio-économiques, culturels etpolitiques auxquels elles font face.

2 Lorsqu’en 2003, Serge Bahuchet, alors porteur d’une action concertée incitative (ACI)

visant à comprendre comment les populations acquièrent, adoptent et partagent lessavoirs, m’a donné l’opportunité de nourrir cette réflexion au travers d’une thèse dedoctorat en ethnoécologie sous sa direction, j’ai eu la bonne idée de la saisir ! Sur leslittoraux du Gabon, je me suis attachée à décrire des dynamiques culturelles variées età décrypter les mécanismes de transformation et de transmission des savoirs dessociétés de pêcheurs qui y résident. Cet article entend rendre compte des avancéesmenées durant ces quatre riches années de thèse au sein de l’UMR Éco-anthropologie et

Ethnobiolgie et de mettre en avant l’intérêt d’articuler des approches anthropologiqueset ethnoécologiques aux outils des autres disciplines pour appréhender la dynamiquedes savoirs avec un regard nouveau.

3 Serge avait une grande connaissance des sociétés forestières d’Afrique centrale et avait

encore peu travaillé sur la pêche ou le milieu marin (Bahuchet 1985, 1993). Néanmoins,il m’a encouragée à poursuivre mes recherches sur les littoraux que j’étudiais depuis ledébut de mon cursus universitaire et à travailler avec les pêcheurs côtiers du Gabon surlesquels très peu d’écrits existaient. Les littoraux, espaces d’interfaces tant écologiquesqu’humaines, sont en effet des « laboratoires de choix » pour appréhender ladynamique des savoirs. De tout temps peuplés ou traversés par des hommes de cultures

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et de langues différentes, ils sont des lieux où savoirs, savoir-faire et représentationssymboliques sont en constante tension. Certains changements dans ces espaces plussujets à la rencontre de l’Autre parfois très lointain, sont eux-mêmes précurseurs dechangements à l’intérieur des terres. L’étude de la dynamique des savoirs dans lescommunautés natives et migrantes de pêcheurs du Gabon, s’est accompagnée dumontage avec Serge, Sylvie Lebomin, Jean-Emile Mbot puis Jean-Marie Betsch d’unpartenariat solide et durable entre le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris etl’Université Omar Bongo de Libreville. L’ethnoécologie, et plus généralement lesethnosciences, y ont eu un rôle essentiel, tant dans les enseignements que dans lesthèses de master et de doctorat que le partenariat a fait émerger. Ce contexte a doncété aussi l’opportunité d’accompagner des étudiants gabonais et français dans leursrecherches au Gabon et de partager les avancées de nos propres recherches.

4 En décrivant les relations que les hommes construisent avec les autres êtres vivants,

humains et non-humains, mes travaux doctoraux, profondément ancrés dansl'ethnoécologie1, ont questionné les dynamiques culturelles se jouant sur le littoralgabonais, dans le quotidien des interactions avec l’environnement, dans le quotidien dela formation, de l’acquisition et de la transmission des savoirs et des savoir-faire. Ils ontaussi posé, par la suite, les premières pierres d’un chemin de recherche qui m’a conduitsur les littoraux et îles de l'océan Atlantique et du bassin Indo-Pacifique à étudier lessavoirs écologiques locaux et à rendre compte de leur intérêt pour appréhender lestransformations socio-environnementales (Sabinot 2007, Doyon & Sabinot 2015,Sabinot & Bernard 2016, Sabinot & Lescureux 2019, Sabinot & Herrenschmidt 2019).

5 Cet article décrira les choix méthodologiques faits durant la recherche doctorale que

Serge Bahuchet a encouragée et présentera les étapes suivies ainsi que leurs principauxrésultats : l’approche ethnographique globale des communautés installées sur les800 km de la côte gabonaise, l’étude plus locale des relations que trois communautésentretiennent avec leur environnement dans la région de Mayumba à la frontièrecongolaise, puis l’étude fine systématique d’objets culturels phares qui a mis au jour desdynamiques culturelles, propres à chaque communauté comme spécifiques auxinteractions inter-communautaires, et a mis en exergue ce qui structurait cesdynamiques.

Une approche ethnographique dessinant l’organisationdu littoral à l’échelle nationale

6 Durant les deux premiers mois du terrain de thèse, une démarche à la fois prospective

et descriptive des différents rapports à l'océan existants, et des échanges et des liensexistant entre des groupes a priori isolés les uns des autres, a été adoptée. Desentretiens dirigés et semi-dirigés doublés d’une observation participante des modes devie, des compositions des villages, des connaissances du milieu, des pratiques liées àl'eau, et des représentations du monde aquatique, ont permis d’appréhender lescommunautés ainsi que les réseaux d’échanges qu’elles animent, et de rendre compted’une organisation à l’échelle nationale, des communautés gabonaises d’une part, desgroupes de migrants d’autre part, ainsi que des interrelations qui s’y tissent.

7 Les littoraux africains sont caractérisés par une forte proportion de migrants, souvent

pêcheurs, saisonniers ou non (Rouch 1950, Jorion 1979, Durand et al. 1991, Bouju 2000,

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Dia 2001, Marfaing 2005). Les Gabonais, bien que disposant de 800 kilomètres de côte,ont toujours très peu exploité la ressource maritime. Mais comme en atteste la figure 1,de nombreux pêcheurs étrangers se sont installés sur les côtes depuis la fin du XIXe

siècle .

Figure 1 : Principales migrations de pêche de la fin du XIXe siècle aux années 1980

D’après Chauveau (Chauveau & Weber 1991).

8 Aujourd’hui, les habitants ouest-africains des pays du golfe de Guinée (Ghana, Togo,

Bénin, Nigéria) sont les plus présents au Gabon et sont réputés très bons pêcheurscomme en attestent les témoignages recueillis en 2004 et 2005.

« Je suis venu au Gabon pour la pêche ! Quand on est Popo, quand il y a du poissondans un pays, on y va ! » (Homme béninois de 50 ans, Port-Gentil, le 21/12/2004)« Les Nigérians, ils pêchent seulement. Tout ce qui ne vient pas de l'eau, ilsachètent. » (Homme fang gabonais de 42 ans, Cocobeach, le 05/01/2005)

9 Ainsi, océan et lagunes gabonaises voient se côtoyer différentes communautés

(Figure 2) : les Africains côtiers de l’ouest pêchent en mer tandis que les Gabonais etquelques Sénégalais pêchent en lagune.

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Figure 2 : Répartition des étrangers sur le littoral gabonais2

10 À l’échelle nationale, entre les communautés de pêcheurs étrangers en mer, des

échanges d’outils, de travailleurs et/ou de techniques sont courants et indispensables.Les échanges de savoirs et de savoir-faire, notamment naturalistes, se font directementpar des déplacements d’hommes, mais aussi par voie écrite, ou plus récemment àtravers l’usage de téléphones cellulaires largement répandus (Sabinot 2008).

Une étude des pêcheurs du bassin de la Banio, espacepluriculturel tourné vers la mer et la lagune

11 Fort de notre compréhension de ce qui se joue à l’échelle nationale entre les

communautés de pêche, une étude localisée dans un espace pluriculturel restreint a étéréalisée, non à Libreville ou Port-Gentil, villes où beaucoup d’éléments s’enchevêtrent,où les influences internes comme externes sont difficiles à identifier et à dissocier, nonsur un espace où une grande quantité de communautés cohabitent, mais au sud duGabon dans un milieu où trois communautés principales sont amenées à construireensemble leur espace de vie.

12 Dans la Province de la Nyanga, le bassin de la Haute et Basse-Banio accueille environ

3500 personnes. Par la présence de seulement trois communautés principales (denationalités béninoise, sénégalaise et gabonaise), il facilitait l’observation et l’analysedes dynamiques culturelles (Figure 3).

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Figure 3 : Répartition des communautés sur les berges de la lagune Banio (Sabinot 2007)

13 Les Gabonais, Vili et Lumbu principalement, sont présents sur l’ensemble de la lagune3.

Plus de 2000 individus sont installés dans la commune de Mayumba à l’embouchure,tandis que les autres se regroupent en petits villages ou campements le long des bergesde la lagune. Les Béninois, Phla principalement4, se sont rassemblés à l’extrémité nordde Mayumba, à l’embouchure. Ils y ont créé leur quartier : « Tchiole Ndembé ». Certainsfoyers gabonais y résident, ainsi que quelques femmes gabonaises mariées avec deshommes béninois. Quant aux Sénégalais, de langue fulfulde, ils ont créé leur quartierdans un village de la lagune, Nkoka.

14 Cette répartition des locaux, des Béninois et des Sénégalais n’est pas anodine

puisqu’elle se répète au sein des autres lagunes littorales du Gabon. Les Béninois àl’embouchure pêchent en mer, les Gabonais des campements pêchent en rivière etlagune, les Sénégalais pêchent en lagune. Ainsi, qu’elles soient le fait de migrants ou lefait d’autochtones suivant les mouvements des ressources aquatiques, les migrations depêche construisent l’occupation du littoral, selon les années et selon les saisons.

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Figure 4 : Départ des pêcheurs béninois de Mayumba depuis la plage de L'Office

© C. Sabinot 2004

15 Autour de la lagune Banio, chaque communauté a mis en place un « système littoral »

qui lui est propre et se caractérise par un système d’acquisition, de transformation etde consommation des éléments qui l’entourent, un système de production, un systèmede relations à la famille et à la communauté, un système de relations à l’invisible. Puisface à l’Autre, aux Autres, face à leurs savoirs, leurs savoir-faire, leurs manières depercevoir et de concevoir, les individus et les communautés sont progressivementinvités à transformer certains de leurs objets culturels, à choisir de ne pas en modifierd’autres, pour des raisons techniques et identitaires.

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Figure 5 : Pêche à la senne dans la lagune Banio près de l'embouchure

© C. Sabinot 2004

16 Sur ce territoire, des échanges commerciaux et linguistiques, des mariages mixtes, des

échanges de savoirs, de savoir-faire, de savoir-être se font. Les communautésautochtones et migrantes se sont construites réciproquement et forment un espace devie né des interrelations entre les humains et entre les humains et les non-humains.Pour analyser la construction de l’espace géographique, un relevé exhaustif destoponymes de la lagune Banio a été réalisé.5 Cette analyse toponymique a permis derévéler certaines relations que les hommes entretenaient, d’une part avec leurenvironnement, et d’autre part avec les groupes culturels habitant un même espace.Trois cent un toponymes ainsi que la motivation de leur appellation ont été collectés :un site peut devoir son nom aux caractéristiques écologiques du milieu (commeMalondu ma mvubu, les débarcadères des hippopotames), à ses caractéristiqueshistoriques, ou encore à ses caractéristiques mythiques (Mbulu lutchieni, la pointe qui nefane pas, où réside un génie du même nom). Toutes ces motivations classées enplusieurs niveaux ont permis de faire des cartes thématiques et des diagrammesrévélateurs de nombreuses interactions entre les hommes et leurs environnements(Sabinot 2008). Les figures 6 et 7 représentent ainsi les origines historiques destoponymes, et permettent d’apprécier comment divers groupes migrants se sontsuccédé et ont contribué à nommer les sites de la lagune.

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Figure 6 : Carte des toponymes de la lagune Banio qui trouvent leur origine dans l’histoire des lieux,liée aux Vili, Lumbu, Pygmées, Congolais, aux colons ou aux missionnaires.

Figure 7 : Origine historique du linéaire côtier de la lagune Banio

17 Considérant que le paysage rend compte du processus interactif entre l’homme et son

environnement (Ingold 1993 : 152), et que le vocabulaire en témoigne, l’analysetoponymique a ainsi permis d’approcher diachroniquement et synchroniquement lesrelations que les hommes ont entretenues et entretiennent avec cet espace.

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Des objets culturels phares pour saisir les dynamiquesculturelles et appréhender ce qui les structure

18 Afin de saisir la complexité de la dynamique des savoirs et d’en identifier des éléments

structurants, au-delà de l’ethnographie du bassin de la Banio et de ses habitants, untravail ciblant dix objets culturels phares – car éclairant la compréhension des processusde transmission des savoirs communs aux groupes de pêcheurs – a été conduit.

19 Ces objets ne sont pas de simples objets techniques mais des supports de savoirs :

l’étude de chacun a donc été l’étude de savoirs relatifs aux systèmes de production,d’utilisation, de commercialisation, et de pensée, liés à des modalités d’apprentissagevariables.

20 Les objets culturels phares composent une série représentative des types de savoirs

présents sur le territoire étudié. Ils ont été au nombre de dix : hameçon, pirogue, filets(filet maillant et épervier) – moyens de conserver le poisson (viviers, fumoirs, claies deséchage), nage, génies des eaux, coquillages. Pour satisfaire à leur vocation dereprésentativité, les objets-phares devaient répondre à divers critères, relatifsnotamment au contexte social de la pratique et de l’apprentissage définis par sixéléments : le genre – chaque objet se distingue dans sa pratique par son caractèredominant masculin (pirogue, filet, nage), féminin (coquillages) ou mixte (vivier, génie,hameçon) ; les générations – certains objets sont plus spécifiques d’une tranche d’âge(génie, vivier), d’autres caractérisent quelques générations (fumoir, salaison, nage),d’autres sont communs à toutes (hameçon, coquillage, pirogue) ; les communautés de

pratique6 – certains objets s’expriment plus particulièrement dans un contexte familial,amical, entre travailleurs, ou entre étrangers, d’autres s’utilisent au sein de différentescommunautés de pratiques ; le statut identitaire ou non de l’objet – il peut s’agir d’un objetpartagé peu distinct d’une communauté à l’autre ou d’un objet marqueur d’identité(statut identitaire fort des fumoirs ou des génies qui offrent à chacun le moyen de sereconnaître d’une communauté) ; l’importance apparente de l’agency7, degré de libertédont dispose chaque acteur au sein de la communauté et répercussions que sesinitiatives peuvent avoir sur les autres habitants ; le type de mémoire (individuelle oucollective) mise en jeu par l’objet – certains objets sont l’attribut d’individusspécialistes, de groupes sociaux ou font partie de la mémoire commune. Les objets ontaussi été choisis pour représenter différents contextes techniques, définis de manièrecontrastée par leur complexité – petite ou grande (l’hameçon est un objet simple,l’épervier un objet plus complexe, nécessitant l’assemblage de nombreux matériauxdifférents), l’importance de l’environnement technique (l’utilisation ou la fabrication de lapirogue demandent un environnement technique conséquent contrairement à la nageou aux génies), le type de technique mise en œuvre – technique du corps ou techniqueinstrumentale, et la fonctionnalité de l’objet – unique ou multiple (les claies de séchageont une seule fonction alors que la pirogue en a plusieurs). Le contexte écologique aquant à lui été défini par le lieu où « s’exprime » l’objet (mer, lagune, depuis la terre ousur l'eau), le lieu de son apprentissage et le caractère saisonnier ou non de sonutilisation. Enfin, les objets devaient représenter une diversité de contextescosmologiques marqués entre autres par des relations à l’invisible gérées par quatretypes d’interdits – liés aux rapports sexuels, à la période des menstrues, à la possessionde pièces de monnaie, ou encore au contact avec d’autres espèces animales8.

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21 Les objets culturels phares furent aussi choisis pour représenter différentes modalités

de la transmission des savoirs et différents types d’évolutions. Une attention a étéportée au mode de transmission (verticale ou horizontale) – construire une pirogue setransmet de père en fils, apprendre à nager se fait entre pairs ; au fonctionnement de la

transmission des savoirs : enseignement direct par la parole et/ou les gestes,apprentissage par l'observation non « guidée », apprentissage par l'expérience, écoutede mythes, de récits réels ; au sens de la transmission (unique ou réciproque) ; aux

échanges constatés entre les communautés – certains objets sont l'objet d'échanges entrenationalités (pirogue, vivier, fumoir, salaison), d'autres ne le sont pas a priori

(coquillages, hameçon, génie, nage, filet) ; à l'innovation, la réhabilitation et/ou la

rétention – innovation forte pour les viviers / rétention forte pour les fumoirs ; au

changement technique ; à l'innovation cognitive et la créativité.

22 Au regard de ces critères, chaque objet a été analysé au travers des discours des

praticiens et des non-praticiens de chaque communauté. Considérer un ensembled’objets très différents et envisager leur comparaison, a exigé une contextualisationméthodique de ce qui les caractérise, et donc la réalisation en amont de questionnairessystématiques. Une attention spécifique a été portée sur la manière dont chacun voitson apprentissage, son enseignement et ceux des autres, tant dans la « conception »que dans « l’utilisation » de l’objet culturel. Deux types de questions essentiellesportant sur la dynamique culturelle étaient toujours posées : « - Qui vous a appris et àqui apprenez-vous la production et l’utilisation de cet objet ? » et « - Quelles évolutionsavez-vous constatées ? Quelles en étaient les causes ? ».

23 Interroger la relation que chaque informateur entretient avec les objets a permis de

déterminer les contextes de la formation, de l’acquisition, de la transformation dessavoirs et des savoir-faire, puis de lister les éléments changeants pouvant avoir uneinfluence sur les objets culturels. Ont ainsi été mises au jour un certain nombred’évolutions, permettant de décrire des dynamiques culturelles types telles que cellesdécrites ci-dessous.

Transformation du filet et de la pratique avec l’arrivée d’un matériau

24 En traitant de l’objet phare filet, les conséquences de l’arrivée d’un nouveau matériau

ont été décrites.

25 Vers 1930, les fils de coton importés par les Portugais ont été rapidement adoptés par

les Gabonais de la Banio car cette matière remplaçait avantageusement les fibresvégétales employées auparavant pour réaliser une nappe de filet. L’outil s’esttransformé par la matière qui le composait mais aussi par les dimensions plusimportantes que cette matière permettait.

26 Cette modification a entraîné des évolutions des techniques de pêche, car la

manipulation d’un filet de plusieurs centaines de mètres est différente de celle d’unfilet de quelque vingt mètres ; elle a aussi conduit à un changement des lieux et destemps consacrés à la pratique, et a modifié le nombre de pêcheurs participant àl’activité. Le nouveau matériau a donc permis l’évolution de l’outil, qui à son tour aentraîné l’évolution de la technique, puis de la pratique.

27 Le changement de matériau entraîne parfois une modification de l’objet dans sa

conception ; le changement de l’outil peut quant à lui entraîner le bouleversement detout un système. Si ce bouleversement est accepté car il correspond techniquement et

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« identitairement » à la communauté, l’objet sera adopté. Dans le cas contraire, si lesblocages culturels sont forts, une résistance intense se mettra en place et le nouveaumatériau ou outil ne sera pas adopté par l’ensemble de la communauté.

Figure 8 : Débarquement des sardinelles à Mayumba

© C. Sabinot 2006

Changement de genre dans les pratiques de collecte des

coquillages

28 Certains changements n’ont pas été déclenchés par un seul phénomène bien identifié

par mes informateurs, mais par la conjugaison de plusieurs facteurs. Ainsi en est-il de lacollecte des huîtres auparavant exclusivement réservée aux femmes.

29 Le contexte cosmologique a subi des transformations qui ont eu des conséquences sur

les activités aquatiques. Ainsi, quel que soit le sexe des individus, la collecte des huîtres,initialement pratiquée après avoir obtenu l’autorisation du « maître de l’embouchure »,se réalise dorénavant en passant outre cette procédure. En outre, certaines femmesenfreignent désormais les interdits liés à leur état menstruel, pour rester« compétitives ».

30 De plus, le contexte économique s’est modifié, offrant aux huîtres une valeur

pécuniaire importante et un espace de vente national. Par ailleurs, les mutations ducontexte écologique, d’une part liées aux transformations du savoir-être des individusdont nous venons de faire état, et d’autre part conséquentes aux mouvements cycliques« naturels » des bancs de sable, ont abouti à un déplacement des huîtres vers les zonesplus profondes de la lagune. D’après certains informateurs masculins, cette nouvelleconformation, s’ajoutant à la rentabilité financière, justifie la présence des hommes

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dans l’activité, puisqu’ils se considèrent physiquement supérieurs aux femmes.Aujourd’hui, ils se consacrent intensément à la « plonge des huîtres » pendant la saisonsèche.

Figure 9 : Préparation des huîtres collectées en plongée par les femmes de l’office à Mayumba

© C. Sabinot 2006

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Figure 10 : Femmes et hommes "plongeant les huîtres" dans la lagune à Mayumba

© C. Sabinot 2006

31 En raison des modifications des contextes économique, cosmologique et écologique, la

composition sociale des communautés de pratique a donc changé, tout comme lescaractéristiques temporelles et spatiales de l’activité. En conséquence, les modalités detransmission de ce savoir-faire ont aussi été transformées. L’objet culturel qui setransmettait entre femmes se transmet désormais d’une femme vers un homme, oud’un homme vers une femme, et même entre hommes. L’objet qui se transmettait desfemmes plus âgées vers les plus jeunes, soit de manière verticale, se transmet aussiaujourd’hui de manière horizontale, entre alter ego. Enfin, alors que l’apprentissage seréalisait dans le cercle familial, il se réalise aujourd’hui également dans le cercle amical.

32 Le genre, les générations et les réseaux de relation sont donc nettement bouleversés au

cours de l’évolution de cet objet culturel, sans qu’il soit évident de distinguer quellessont les influences respectives que peut avoir chaque modification de contextes sur cesévolutions. Les dynamiques de changement sont créées par la mise en résonance deplusieurs modifications de contextes.

Transformation des modalités de construction des pirogues

33 Une autre conjonction de modifications de contexte a créé autour de la pirogue une

autre dynamique : un refus d’emprunt associé à un transfert de savoir-faire.

34 Les pirogues gabonaises étant peu résistantes à la houle marine, et les arbres de la forêt

nécessaires à la fabrication d’une pirogue appartenant aux autochtones, les Béninoisont dû dépasser les contraintes territoriales et sociales pour disposer d’embarcationsadaptées à leurs besoins. Ainsi, depuis que les pirogues originaires de leur région nesont plus en état d’aller en mer, quelques hommes béninois compétents ont entrepris

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d’apprendre aux Vili comment monter un bordage sur une pirogue, comment rehausserde planches les bords de l’embarcation originairement monoxyle. Désormais, les Vilicreusent donc les pirogues comme leur ont appris leurs aînés, mais ils les rehaussent deplanches comme leur ont enseigné les pêcheurs migrants. On assiste ici à unenseignement direct de l’étranger vers l’autochtone afin de disposer du matériel auquelil est habitué, celui que son activité nécessite.

35 Le besoin technique apparaissant au cœur d’une conjonction de contextes spécifiques

s’est révélé créateur de liens en suscitant la naissance de diverses interrelations entreGabonais et Béninois : échange de connaissance sur le bois d’œuvre, transfert decompétence, emploi, commerce, et nouveaux rapports d’influence.

36 De plus, une transmission de savoirs spécifiquement verticale, de père en fils ou d’oncle

en neveu, s’est partiellement transformée en transmission horizontale : un hommebéninois enseigne à son homologue gabonais. La modification de l’objet culturels’accompagne donc de nouveau d’une mutation des modalités de sa transmission.

Définir, comprendre et repérer des types dedynamiques culturelles

37 Après avoir finement observé, questionné et décrit chaque objet culturel phare, ont été

identifiées, schématisées et analysées toutes les dynamiques repérées. Puis, souhaitantaller plus loin dans l’analyse, souhaitant accéder à une meilleure compréhension de lamanière dont les populations acquièrent, emploient et partagent leurs savoirs etsavoir-faire, nous avons osé conjuguer d’autres échelles d’observation et d’analyse, touten éprouvant un nouvel outil offrant un autre regard sur nos résultats, avec laconnivence de Jean-François Ponge, Jean-Marie Betsch et Bruno Toupance. Deuxquestions principales se sont posées : comment les modifications de contextesenvironnementaux, écologiques, techniques ou humains entrent-elles en synergie pourentraîner du changement ou du non-changement des objets culturels, comme desmodalités de leur transmission ? Des tendances peuvent-elles être dégagées ?

38 Au cours des entretiens menés au Gabon, sept types de changements et dix-sept raisons

les expliquant ont été avancés par nos interlocuteurs. En plus de décrire les raisonsexplicatives des évolutions, la plupart des individus interviewés précisaient lespersonnes qu’ils reconnaissaient comme étant à l’origine de ces changements(Béninois, Sénégalais, missionnaires, colons). Les changements identifiés, affectant lessavoirs et les savoir-faire ainsi que les modalités de leur transmission, sont lessuivants : changement dans le genre des praticiens (ex : un objet culturel exclusivementféminin devient mixte) ; dans la relation à l’invisible (ex : un objet culturel géré par lemonde invisible subit une modification) ; changement technique, mécanique (ex : unobjet culturel est transformé dans sa conception ou son utilisation technique) ;changement de l’âge de praticiens (ex : une activité réservée aux adultes devientpratiquée par les enfants) ; de l’usage de la ressource (ex : un objet culturel existantpour l’autosubsistance devient objet de commerce) ; dans la relation aux autreshumains (ex : un objet culturel est investi par d’autres individus qui sont de faitconsidérés autrement) ; dans l’intensité de la pratique (ex : un objet culturel est moinssollicité, voire disparaît).

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39 Les changements sont initiés par des facteurs différents, pouvant paraître évidents ou

dissimulés, incontournables ou insignifiants au chercheur. Par souci d’objectivité, seulsles 17 facteurs cités par les habitants ont été retenus : le besoin d’argent,l’augmentation de la ressource, la transgression des tabous, les capacités personnelles,l’époque, l’économie du temps et de l’effort, la qualité de l’objet, l’arrivée del’électricité, la motorisation, la transformation de l’environnement physique, lesesprits, la loi, un nouveau matériau ou matériel, la migration, la compétition entrepairs, ou encore les medias (télévision, radio, Internet, téléphone).

40 Après avoir listé ces différents éléments, il s’est agi d’organiser toutes les données afin

de comprendre comment celles-ci étaient liées, comment elles entraient en synergiepour créer des dynamiques culturelles. En anthropologie, pour identifier cettesynergie, nous nous basons sur nos observations, nos enquêtes, l’analyse des histoiresde vie. Cette approche, pour accéder à un regard global, nécessite de passer denombreuses années parmi les différentes communautés. Au travail ethnographique,indispensable, a été adossée l’utilisation d’un outil nouveau pour l’ethnoécologue,permettant d’offrir une représentation plus lisible, et de mettre en évidence deshypothèses non apparentes de prime abord : les analyses factorielles descorrespondances (AFC). Cet outil a déjà fait ses preuves et est très utilisé dans lessciences biologiques, mais il n’avait pas encore été sollicité pour répondre au type dequestionnement que nous nous posions9.

41 Disposant d’une masse de données conséquentes et collectées systématiquement sur les

savoirs, les savoir-faire et leurs évolutions, les AFC ont assisté notre exploration àambition comparative, car elles permettent de traiter une grande quantité de donnéesqualitatives, de favoriser une vision d’ensemble des données en les rendant lisibles sousforme graphique, et de suggérer des hypothèses pouvant expliquer ce qui structure lesdonnées.

42 Ainsi, le traitement par AFC des données ethnoécologiques organisées sous forme de

matrice, a permis de regrouper des éléments et d’en isoler d’autres pour leursingularité. Puis, il a suggéré des structures d’organisation des savoirs sur le territoireétudié. La figure 11 représente, par exemple, un des schémas d’organisation extraitd’une analyse factorielle. La disposition des nuages de points sur le graphique AFC apermis de suggérer des regroupements, nous amenant à assembler des types dechangements d’une part (à gauche) et des causes de changements d’autre part (àdroite).

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Figure 11 : Représentation schématique de la mise en parallèle des types de changements et descauses les ayant engendrés

43 Les résultats de cette AFC interrogent les liens de cause à effet, et permettent de classer

les objets selon la manière dont ceux-ci évoluent. Ces conclusions, possibles à partird’un travail basé sur dix objets, le seraient également si nous travaillions sur unecentaine d’objets culturels, et c’est là tout le potentiel des analyses factorielles. Lechercheur ne pose pas les premières hypothèses mais se les fait suggérer par l’analyse,ce qui permet de ne pas partir sur des idées reçues.

44 Au final, la mise en résonance des contextes de la pratique et de l’apprentissage

finement définis et des éléments descriptifs de leur évolution, ont révélé des tendancesévolutives propres à chaque type de savoir, qui peuvent se révéler très intéressantespour déterminer les évolutions possibles d’un objet culturel non encore documenté. Lesreprésentations graphiques obtenues (référencées dans Sabinot 2008) ont notammentpermis de poser deux hypothèses. Un objet transmis de manière verticale, qui estimportant dans le quotidien des adultes, souvent une technique instrumentale, sembleplus à même de subir une modification technique. En revanche, un objet transmis demanière horizontale, qui est important dans le quotidien des enfants, souvent unetechnique du corps, semble plus à même d’engendrer une modification del’organisation de la société. D’autres analyses factorielles semblent confirmerégalement, comme quelques auteurs l’avaient déjà spécifié (Acerbi & Parisi 2006;Hewlett & Cavalli-Sforza 1986), que des savoirs qui se transmettent verticalement sontplus rétifs au changement que ceux qui se transmettent horizontalement.

45 Au cours de cette recherche, nous avons montré que les modifications de certains

éléments de contexte peuvent non seulement avoir des répercussions sur les savoirsmais aussi sur les processus de leur transmission. Au-delà de refléter une grandediversité de dynamiques culturelles, nous avons donc progressé dans la compréhension

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globale de la dynamique des savoirs, sur les types d’impacts que peuvent avoir lesmodifications de l’environnement humain, technique ou écologique. Au niveau humainet technique, la disparition, l’émigration ou l’immigration d’individus détenteurs desavoirs ou de savoir-faire, les modifications de la composition sociale des groupesmigrants, la genèse de nouveaux comportements et de nouveaux savoir-être, venus del’intérieur ou initiés par les individus et les médias « extérieurs », ont souvent générédes transferts, voire des substitutions de territoire et de compétences. Quelquesemprunts ont été constatés mais aussi des refus d’emprunt, dans le cas des pratiques deboucanage par exemple. Les modifications de l’environnement écologique ontégalement provoqué des emprunts, souvent rapides, auxquels se sont combinées desimitations. Ainsi en est-il des « viviers des Sénégalais » façonnés en réponse à uncomportement inattendu d’une espèce pêchée en s’inspirant des viviers fabriqués parles autochtones, ou des éperviers des enfants gabonais en réponse à une modificationdu milieu aquatique. Ces jeunes ont inventé un épervier de petite dimension, allégé enplomb, afin de pêcher des poissons vivant désormais dans un volume d’eau très réduitjuste au-dessus d’un fond vaseux (Sabinot 2007).

Conclusion

46 Au Gabon, savoirs, savoir-faire et savoir-être ont été ajustés par les pêcheurs locaux et

migrants en vue de vivre mieux dans leurs environnements. Nos travauxanthropologiques décrivent finement ces changements et montrent que les pertesstrictes de savoirs sont finalement rares et peuvent plus justement s’appréhendercomme des transformations de savoirs dépendantes de modifications techniques,écologiques, sociales et cosmologiques. Des bouleversements, des variations ou deschangements quasi imperceptibles, au sein des communautés et entre elles, ont étéobservés. La variété des évolutions présentées, des jeux de facteurs en partie décelés,montre l’infinie complexité de la dynamique des savoirs, reflet de l’extraordinairecomplexité de l’Homme, individuellement, collectivement, et encore plus lorsqu’ilentre en interaction avec d’autres sociétés que la sienne.

47 Aussi, les étapes méthodologiques choisies pour étudier les transformations des

pratiques comme des modalités de leur transmission ont marqué le jury de la thèse dedoctorat soutenue en 2008 pour leur originalité et le défi transdisciplinaire qu’ellesengageaient. Avec l’appui de Serge Bahuchet et de l’équipe qu’il dirigeait, un outil, lesAFC, a été éprouvé et adapté aux types de données que nous pouvons collecter enethnoécologie et en anthropologie. Une analyse d’objets culturels phares, supports desavoirs, permet d’avancer des hypothèses sur l’organisation des savoirs et des savoir-faire, et offre de nouvelles pistes d’interprétations et de nouvelles questions derecherche. Approcher la dynamique des savoirs par un regard ethnoécologiqueprogressif, doublé d’une démarche analytique la plus indépendante possible de nos apriori culturels nécessite de provoquer l’interface entre les disciplines, les outils etméthodes propres à chacune, car c’est à la frontière de plusieurs disciplines que peut seconstruire une telle réflexion, de conjuguer des échelles d’observation et d’analyse, defavoriser les démarches comparatives. Pour ce faire, nos outils d’analyses et nosméthodes de transcriptions gagnent à être enrichis et bousculés, défi qui est de plus enplus élevé (entre autres Soengas 2010 ; Reyes-García 2007, 2014). À l’heure où lesréflexions sur l’évolution de l’homme et de son environnement sont sans cesse

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discutées, il est essentiel de poursuivre notre compréhension des processus quigouvernent la transmission des savoirs, car ils jouent un rôle primordial dans lesévolutions de nos relations avec la biodiversité, particulièrement à long terme.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Une ethnoécologie qui permet de poser un regard global sur les interactionsdynamiques entre les humains et les non-humains (Bahuchet 1985 et 1992, Berkes 1993,Friedberg 1997, Haudricourt & Dibie 1987).

2. © Sabinot, suite au travail prospectif le long des côtes gabonaises en 2004 et 2005 ;fonds de carte extrait de Demay 1998. Grand Atlas Larousse, Larousse-Bordas, Paris.

3. Quelques Punu résident dans la zone, soit à Mayumba même soit sur la route versTchibanga. Ils sont plus forestiers que leurs hôtes et le disent : « Je suis Bapunu. Moi, je ne

connais pas l’eau. Moi, c’est les pièges. »

4. Quelques Pédah résident aux côtés des Phla. Tous sont appelés « Popo » par lesautochtones.

5. L’identification des toponymes s’est réalisée sur deux années, en glanantrégulièrement des informations auprès de la population, en réalisant un « tour virtuel »de la lagune Banio pendant une semaine de mai 2005 depuis la concession du vieuxNodet, homme né vers 1913 qui a patiemment sollicité ses souvenirs (identification de162 toponymes de cette manière), puis en accomplissant une mission de trois jours enmars 2006 avec ce même homme et son fils (relevé toponymique - GPS, nom et histoire- d’un total de 301 sites).

6. Ce concept a été largement développé par Lave et Wenger (1991).

7. Cf. (Harvey 2002, Patterson 2006). Voir aussi (Gelcich et al. 2003) même si ces derniersn’utilisent pas le terme « agency ». Dans les écrits de langue française, agency estparfois traduit par agencité ou agencéité.

8. Il convient de noter que toute compréhension fine des relations aux non-humainsdoit dépasser le caractère assurément réducteur de ce choix et s’est aussi appuyée surde longs entretiens avec les interlocuteurs.

9. Pour en savoir plus sur la manière de mobiliser l’outil, se référer au chapitre 3 de lathèse de Sabinot (2008).

RÉSUMÉS

« Défier les approches disciplinaires », tout comme « l’apprentissage de l’océan », se fait

seulement dans un contexte de confiance. Serge Bahuchet, qui a dirigé ma thèse de doctorat en

ethnoécologie, a soutenu cette ambition scientifique qui consiste à aller au-delà de

l’ethnographie et de l’anthropologie pour produire une compréhension approfondie des

transformations sociétales. Le présent article décrit les choix méthodologiques réalisés pour

décrire les changements qui ont marqué les habitants du littoral gabonais en matière de pêche et

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de rapport à la mer et propose une analyse de ce qui guide la dynamique des savoirs et savoir-

faire des pêcheurs du Gabon.

"Challenge disciplinary approaches", as well as « ocean learning », is only done in a context of

trust. Serge Bahuchet, who supervised my PhD thesis in ethnoecology, supported scientific

challenge which consists in going beyond ethnography and anthropology to produce a deep

understanding of societal transformations. This paper describes the methodological choices

made to describe the changes that have been observed on Gabonese coast in terms of fishing and

interactions with the sea and to provide an analysis the dynamics of the knowledges and know-

how of Gabon's fishers.

INDEX

Keywords : Gabon, interdisciplinarity, fishers, cultural dynamics, knowledge transmission

Mots-clés : Gabon, interdisciplinarité, pêcheurs, dynamiques culturelles, transmission des

savoirs

AUTEUR

CATHERINE SABINOT

Chercheuse ethnoécologue et anthropologue - Centre IRD Anse Vata - BPA5 98848 Nouméa Cedex

- Nouvelle-Calédonie - UMR 228 ESPACE-DEV - Approche intégrée des milieux et des sociétés

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Du rat-toto fils du porc-épic, de lapanthère et de la nandinieSavoir encyclopédique et pensée analogique sur l’origine des masques dela famille Zamble en pays Gouro (RCI)

Gambian rat the son of porcupine, panther and African palm civet: encyclopedic

knowledge and analogical thinking about the origin of Zamble family masks in

Guro country (RCI)

Claudie Haxaire

NOTE DE L'AUTEUR

Les identifications animales ont été vérifiées par l’ethno-ornithologue Koué bi Mathieu,que je remercie.

1 Nous proposons une balade1 naturaliste parmi les chants des mascarades Gouro de la

famille Zamble, masques internationalement connus2. Naturaliste, parce que ce sontbien leurs surnoms animaux et leurs filiations, ou leurs attributs végétaux, et donc lesmœurs et propriétés assignées à ces masques, qui révèlent la nature de leurspersonnages. Et parce que seul le savoir encyclopédique transmis par nos hôtesautorise cette riche et poétique dérive dans une pensée analogique malheureusementparfaitement négligée des amateurs d’art. Nous nous laisserons guider par les chants oùles personnages prennent paradoxalement d’autres genres, le beau Zamble, posté tellela panthère3 sur une termitière bien propre, a pour frère ou mari le vilain Zàùli, auxjoues gonflées de kola4, fille du rat-toto5, lui-même fils du porc-épic6, lequel est bien

l’un des fétiches du masque du bois sacré ɉɛ qui, lui, ne sort que la nuit, loin des regardsprofanes. Leur épouse commune7 Gù (ton bas), ne tiendrait-elle pas de la nandinie8 gu

(ton moyen) fils du père des puissants animaux qui dévorent leurs congénères ?

2 Le masque Zamble, cité par l’auteur de la première monographie sur les Gouro (Tauxier

1924), semble avoir déjà existé au début du XIXe siècle. On désigne couramment sous ce

nom générique une famille de trois masques Zàùlì (tons bas), Zamble et Gù. Tous les

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masques sont nommés yu « puissance » ; en effet yu désigne tout support de ɲale, « laforce vitale » que chacun détient à des degrés variables (Haxaire 1998) ; ces masques ensont éminemment dotés9 grâce aux sacrifices dont ils sont destinataires. Zàùlì, Zambleet Gù sont dits plɔ-ɉi-yu « masques de la forêt (s.e. sacrée) » d’où ils proviennent, ils sontdonc sacrés. Leurs avatars semi sacrés, les masques laids (« masques maladies » ditsencore bouffons ou comédiens) sortent du même lieu tandis que les masquesd’amusement, lou-yu, dits « masques de femmes », viennent du village et sont profanes(Haxaire 2009). Chaque masque possède une fonction réparatrice spécifique dont onpeut aborder l’analyse par les propriétés attribuées aux entités végétales ou animalesqui lui sont associées par contiguïté10. En effet, si ces masques de la famille Zamble dits« sacrés » sont sortis du bois en plein jour et peuvent être vus des femmes, il n’est paspermis à ces dernières de percer directement le mystère de leurs accessoires.Néanmoins, et ce sera notre propos ici, le savoir encyclopédique donne un biaispermettant d’accéder au sens qu’ils véhiculent, car le propre du secret est précisémentde résoudre la tension qu’il recèle en laissant, entre autres, sourdre des « sécrétions »,bribes d’informations émises et observations aléatoires permises à l’intrus destinatairequ’est l’ethnologue (Zempleni 1996).

Zamble : son « mythe » officiel, et les versionsésotériques

3 Le « mythe » d’origine de Zamble a été rapporté successivement par plusieurs auteurs11.

Un chasseur aurait rencontré et capturé un yʊ « génie », dont il ne savait pas lorsqu’ille poursuivait s’il était zʊrʊ « guib harnaché »12, panthère (ou crocodile), ou les deuxanimaux mêlés lors de l’attaque. Il l'aurait caché dans le bois sacré en jurant de tuertoute femme qui y pénètrerait. Malheureusement ce fut sa propre mère qu’il dutexécuter. Son nom en est issu : za blɩ signifie celui qui a « mangé son maître » au sens decelui qui a transgressé l'interdit de son culte. L’aspect du masque rappelle son histoire.Boti13, le sculpteur de Tibeita, conçoit le masque comme une combinaison de l’antilopeet du léopard14 car « Zamble est un léopard, la gueule ouverte juste derrière l’antilope qu’il

poursuit ». On le dit courir aussi vite que le léopard tout en gardant la grâce del’antilope. C’est pourquoi « le danseur de Zamble a, dit-on, l’intelligence de l’homme, lavélocité de la panthère et l’élégance de l’antilope ». Rapide, légère et gracieuse, cettedanse doit s’accorder exactement à l’orchestre ; c’est à l’exécution de ses pas que l’onjuge un danseur.

4 Deluz (1992) nous rapporte des versions plus ésotériques de deux grands chanteurs,

Bolia et Mazu-bi-Tra de la région nord15 du pays Gouro. Tous deux voient l’origine deZamble dans un « petit » culte rapporté de chez les Nyan au début du XVIIIe s. par un

dénommé Kasɔrɔ16, enfant de Sei (au nord-ouest du pays Gouro). Ce dernier,récemment installé dans la tribu, était vexé de se voir exclu du partage des repassacrificiels des autres membres de son village d’accueil, alors que de son côté, il lesinvitait ; devant ce signe évident que son culte était méprisé, il retourna chez sespères17 rechercher un autre « petit » culte, que les chanteurs nomment zamɛnɛ. Commedans les versions précédentes, la propre mère de Kasɔrɔ pénétra dans la case dufétiche. Il fut obligé de la tuer et de « poser » sa tête sur son zamɛnɛ, ce qui veut direqu’il l’a offerte au fétiche, ce sacrifice contre-nature donnant ses assises à la puissancedu culte.

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5 Pour le sociologue gouro Zamble bi Zou (2009), ce fétiche était un za ma le « ce qui

permet d’être puissant dans les confrontations », dans les guerres (guli) ou leurssubstituts, les joutes inter (ou intra) villageoises. En effet, dans cette sociétésegmentaire, acéphale, les guerres étaient nombreuses entre lignages18, pour unterritoire, pour une femme, pour une insulte reçue. Mais elles ne concernaient que depetits groupes menés par leurs chefs de guerre qui devaient se « préparer », ainsi queleurs troupes, c’est-à-dire se munir d’objets puissants (les fétiches), faire des sacrificespour s’assurer la protection des ancêtres, se soumettre à des lustrations de plantesprotectrices, ou ingérer des remèdes leur assurant force, endurance et courage. Depuisla pacification du pays sous le joug du colonisateur19, les défis, les compétitions dites« concurrences », se sont déplacées dans le champ des concours de danses de masques ;les plus risqués mettent en lice des masques Zamble, dont les porteurs, tout comme lesguerriers d’autrefois, doivent renforcer leur puissance et se doter de protections(Bouttiaux 2004). C’est à l’occasion des grandes cérémonies de levée de deuil que lesfamilles les plus riches offrent ces performances à l’assistance accourue nombreuse ;mais il faut bien entendu des joutes intra-villageoises préalables pour sélectionner lesmeilleurs danseurs susceptibles de représenter le village ou la tribu « à l’étranger ».

6 Selon Zamble-bi-Zou, Kasɔrɔ, encore appelé Seinɛ ou Sei bɩ, était un neveu utérin

(yʊrʊ)20 de Banti-bi-Blon (Bati-bɩ-Blɔ) de la tribu Nyan. Ce grand guerrier, lui-mêmedescendant de Gohi-bi-ta, le fondateur de la ville de Gohitafla, n’avait de cesse deprovoquer des conflits pour conquérir de nouveaux territoires. Kasɔrɔ ayant tué lasœur de Banti-bi-Blon, ce dernier en représailles lui arracha ce fétiche contre toutes lesrègles gérant les rapports oncles utérins-neveux, parce qu’il le trouvait fort utile pourses conquêtes. C’était un puissant fétiche protecteur qu’il sortait parfois à travers levillage, couvert de jeunes feuilles de palme, dans le seul but de purifier, de protéger lacommunauté des forces maléfiques. L’auteur poursuit : ce n’est que lorsqu’ils eurentvaincu et assuré leur domination sur les autres lignages, qu’en guise de reconnaissance,les anciens, descendants du lignage de Banti-bi-Blon, décidèrent d’en faire un masqueet de le faire danser.

Zamble : ses surnoms, ses attributs

7 Zamble est surnommé bila goli, « le léopard au beau pagne traditionnel rayé ». Goli,

traduit ici par léopard21 est, selon le conteur Michel Zou 22, un terme génériquedésignant tout animal qui mange les autres animaux, un « dévoreur ». Le crocodile estainsi le goli des eaux (yɩɛí goli)23, plɛ l’épervier24 le goli des airs25. Mais cette catégorieexclut les petits. Parmi les carnivores Gu, la nandinie ne serait pas un goli, mais un

kwɛnɛ (petits mammifères carnassiers en général). Le lion 26 ɉɛla, l’hyène27 glàʊ sont,avec la panthère kua, les goli du domaine terrestre en quelque sorte, mais les chantspeuvent les mettre en correspondance avec leurs homologues du monde des eaux ou decelui des airs. Les plus puissants sont encore désignés en gouro par zowùlì28.

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Figure 1 : Zamble lors de funérailles à Bogopinfla

8 Les traits fins et les atours soignés de Zamble le présentent comme un être policé, le

frère plus civil de Zàùlì, ou sa femme. Pour venir au village devant les femmes il s’esthabillé d’un beau pagne. Les chants spécifiques du masque, par exemple « la panthère

kua est assise sur une termitière », appuient ce caractère. En effet, la panthère, quiapprécie la propreté, aime faire le guet sur les termitières, espaces en général dégagés.L’ensemble comporte un troisième masque, Gù. Lorsque les trois paraissent, Zàùlì est lefrère sauvage (ou le patron) de Zamble accompagné de son épouse Gù. Cependantcertains maintiennent que Zamble est la femme de Zàùlì tout en restant le mari de Gù,ce qui en fait donc un être de sexuation pour le moins ambivalente. Le masquereprésente un être composite, cornes d’antilope et gueule ouverte de léopard (goli) ; ilporte d’ailleurs la peau d’un carnivore. Son costume de jeunes palmes sur le haut ducorps en fait un être de la brousse. Sa courte jupe de raphia, les filets qui lui couvrentles jambes, les sonnailles qui ornent ses poignets et surtout le joli pagne entourant lemasque, pendant sur la nuque et les épaules, signent son appartenance au village.Néanmoins Zamble n’est pas sans être accompagné du porteur du fouet.

9 Certains des attributs ou des chants de Zamble en font un culte de fécondité. Zamble

porte dans le dos une petite bourse rouge en forme de fruit de Zablı-wuo-ma -klo « lepetit chapeau de Zamble », un Cnestis29. Selon les Gouro, les feuilles de cette plantebuissonnante sont emménagogues, c’est une des plantes « donnant de la force auxfemmes » (lı-do-plɛlɛ) c’est-à-dire augmentant leur sang. Elle entre dans la catégorie des

bɔɔ-le-goi « kola du gros rat-palmiste30 », la kola donnant de la force à cet écureuil. Pourles femmes, cette fécondité se décline sur le mode de l’abondance du sang et de lajouvence, de la même façon que devient féconde une terre arrosée de pluie. Les chantsde Zamble qui assimilent serpents et masques font référence au serpent le plus gros,qui « se bat avec l’homme », le boa mlɛnɛ sa « le serpent lumière » réputé se cacher

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pour manger ses proies dans les mares. L’arc-en-ciel bɔɔ-mlɛ qui surgit après la pluie etpasse « rouge et noir » dans le ciel, est l’émanation de la puissance (fulu) du génieserpent, lové sept fois, et qui habite dans une grosse termitière, point d’entrée vers lemonde souterrain des ancêtres. Son nom en ferait le serpent du même rat-palmistebɔɔ, selon J.-P. Benoist (1978), cet écureuil empruntant peut-être l’arc en ciel commechemin vers le ciel au même titre que le palmier. L’arc-en-ciel aux multiples couleursest, dans les chants, associé à Zamble couvert de pagnes colorés.

10 Mais ce miroir chatoyant ne devrait pas nous masquer les aspects moins paisibles de ce

personnage, ce que rappellent d’autres chants. Zamble est bien entendu un chasseur« Goli est un animal qui attrape le guib harnaché, qui ne peut le voir sans le tuer ». Mais c’est

surtout un guerrier « goli est un ɲana za guerrier, c’est guli la guerre qu’il aime », et lechant « la panthère est assise sur une termitière » se poursuit en fait par « qui peut

l’approcher ? » ; c’est un chant de « concurrence » que l’on entonne lors des dansesquand il apparaît que le danseur de Zamble, que l’on soutient, domine nettementl’adversaire. Il renvoie au fait que les grands guerriers, puissants grâce aux« médicaments » qui les préparent au combat, ne pouvaient être côtoyés par des

individus ordinaires plus faibles qui risquaient de voir leur ɲale « force vitale »annihilée par celle des guerriers. Il nous est bien précisé que tous ces masques étaientdes armes (des choses) de guerre autrefois. On faisait la danse Zamble avant d’aller à laguerre. Il en découle que, pour les compétitions/concours de danse actuels, tout lemonde se « prépare » de même. Il s’agit, avant la danse, d’une part, de se protéger soi-même ainsi que le danseur ce à quoi les « féticheurs » de la troupe sont attentifs tout aulong de la prestation, et de l’autre à préparer des « médicaments » (s.e. des poisons,Haxaire, sous presse) contre l’adversaire. Un chant en apparence aussi anodin que « lesoleil décline à l’horizon » s’entend comme un signal codé : c'est le moment de lancer yʊduu « le poison de contact » contre l’adversaire, car il sera trop tard pour que sonféticheur puisse aller en brousse chercher le remède, l’obscurité l’en empêchera.

11 En vérité Zamble est méchant « Goli est méchant, il aime la guerre » proclame le chant. Et

son « frère sauvage » Zàùli, l’est-il davantage ?

Zàùli : son origine, ses attributs

12 Zàùli, encore surnommé Gwa ou Gogo Yiere31, est bien donné comme beaucoup plus

ancien que Zamble. Pour Sabu-bi-Seyi (cité par Fischer & Homberger 1985, repris dansFischer 2008)

« Il fut le premier à danser au village, bien avant les deux autres qui sont venus plustard. Zàùlì est nettement plus puissant que Zamble, il vient pour mettre au net deschoses assez difficiles, quand Zamble n’a rien pu faire et a été inutile »,

13 bref, lorsqu’il a échoué. En 1960 déjà, on avait dit à Himmelheber que « Zàùlì était si

sauvage qu’on ne le laissait plus venir dans le village, qu’on ne l’avait plus vu depuisassez longtemps » (Himmelheber 1966). Néanmoins dans les années 1980-90, qui ont vule déclin de Gù, le masque a effectué plusieurs sorties auxquelles nous avons pu assisterdans le village de Sabu-bi Sei, chez les Wagye.

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Figure 2 : Zàùlì, masque puissant parcourant le village de Bogopinfla en prévention du malheurannoncé

14 En pays Wagye et Yaswa, à côté des grands cultes comme ɉɛ, vlɔ, ɉi qui interviennent

spécifiquement pour des évènements concernant les familles détentrices de ces cultes,il semble que, pour des malheurs collectifs, un masque doive sortir du bois sacré et

apparaître en public. Du moins est-ce ainsi que Zàùlì nous fut présenté par Boti : « ɉɛ

sors sous la stricte responsabilité des hommes ; Zàùlì, que les femmes voient, protègecelles-ci des dangers tout comme il protège les adultes et les enfants. C’est pourquoilorsqu’il y a des problèmes, c’est lui que l’on fait sortir, et tout le monde le voit pourqu’il les protège tous ». Le danger collectif peut être une épidémie (autrefois de variole)ou, a minima, des vols. Mais un danger plus vague, le rêve d’un villageois pressentantdes actes de sorcellerie, voire un décès, ou leur simple annonce par un devin,demandent à être conjurés par toute la communauté. Zàùlì se met alors en tête ducortège des villageois, chacun portant un tison (le danger, la maladie) pour le jeter entas hors du territoire et l’étouffer de boue (l’enterrer), maudissant le sorcier32 àl’origine du fléau. Chacun, à l’appel de Zàùlì, parcourt le village, muni de branchagespour exorciser le malheur ; ils représentent les plantes médicinales, remèdes desmaladies annoncées. Fischer et Homberger (1985) précisent que « le masque caresseavec ce bouquet les habitants du village qui l’ont gratifié d’un cadeau, sur le front et lanuque ; il leur promet protection contre les maladies ». Le cadeau le plus apprécié dumasque serait les noix de kola dont il est si friand qu’il en croque en permanence,comme le trahissent ses joues gonflées qui lui ont valu le surnom de ko-bli-lu, « fille durat-toto ». Selon cette étymologie populaire donnant à bli le sens de « gonflé », il auraitcomme Kobli, le rat-toto, les joues gonflées des graines qu’il garde en réserve. Lesenfants qui agacent le masque pour qu’il les poursuive avec la verge qu’il tient del’autre main, se moquent de cette avidité : « koblìlu, koblìlu, donne-moi la kola, il a de la kola

dans la joue ». Mais il ne s’agit pas seulement d’une gourmandise, la kola est, avec le vinde palme, l’offrande requise pour les sacrifices, que le masque agrée s’il la consomme(Haxaire 1996). De plus, cet aliment est explicitement un stimulant qui donne de laforce, celle dont Zàùlì a besoin pour jouer son rôle de restaurateur de l’ordre des

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choses, (ce que les attributs du beau masque Zamble, comme la kola du rat palmiste,déclinent en mineur). Cette force est bien la force du sang, si l’on interprète les chantsspécifiques de cette danse ; tel celui qui doit être entonné lorsqu’on arrive chezl’organisateur de la danse : « Oh bei, bei lu bei, je suis arrivé à destination ». Bei33 est, pourles Gouro, un arbuste dont les branches feuillées ont la propriété d’augmenter le sanget, de ce fait, de faire grossir les bébés tout comme de faire venir les règles des femmes.Les chants spécifiques de Zàùlì reprennent les thèmes de l’eau déjà vus avec Zamble surun mode plus dramatique : « on le casse [le canari], on le casse et on joue avec les morceaux

giliyoyo, la grande tornade se prépare ». En dépit ou à cause de cela, Zàùli se montre pluspuissant protecteur, comme le dévoilent les tiges épineuses de za-gɔ d’ Asparagus34,enroulées aux cornes du masque. Cette plante peut être désignée par le générique deson usage, (gɔnɛ-dɔ-plɛlɛ « ce qui donne de la force aux hommes ». Zàùli est fort, c’estle sens des surnoms Gwa et Gogo Yiere, que les enfants chantent pour le faire serengorger sous les louanges. Cette puissance se comprend comme étant celle de la forcevitale ɲale, émanation de celle du sang, car za-gɔ est également l’un des remèdesdonnés aux concurrents de joutes (za klɛ), danseurs, chanteurs, conteurs, orateurs, quidoivent résister au ɲale du public, c’est-à-dire à la puissance qui se dégage du cumuldes puissances dont sont porteurs les spectateurs. Sa tige mâchée en cure-dent par lesdanseurs en est le « contre-poison ». L’Asparagus arboré par le masque se nomme en

gouro za-gɔ « plante des discussions », selon le vieux sage Fua-bi-sei. Za peut êtretraduit par « concurrence », ou « pari », ce qui donne lieu à de multiples jeux de motsdans les chants de Zàùli, par exemple : « Toi qui veux parier, voici un pari ». Pour le vieuxsage cité, c’est par son ambiguïté que cette plante suscite les discussions : « C’est uneliane, mais on n’attache rien avec, c’est une plante feuillée et elle a de toutes petitesfeuilles, n’est-ce pas un sujet de discussions ? ». Mais puissance et ambiguïté sont liéescar cet Asparagus, tout hors norme qu’il soit, ou peut-être précisément parce qu’il nerépond pas aux critères de sa classe, n’en détient pas moins une force remarquablepuisque sa base souterraine peut être utilisée comme support pour couper les bouturesd’ignames (des meilleures variétés). L’Asparagus za-gɔ, bien en évidence à la pointe descornes du masque, affiche la nature sauvage de cette entité, jouant résolument de laconfusion des genres, du désordre dont il tire sa puissance. Ainsi, dit-on, « Zàùlì est

puissant pour pouvoir protéger les gens ». Il a le pouvoir d’éliminer par sa malédiction leresponsable du malheur, mais peut intervenir pour restaurer l’ordre car ce sont lesdisputes, les conflits, qui déchirent la cohésion sociale, et laissent place à l’action dessorciers.

15 La venue du masque suscite des comportements peu civils. Aujourd’hui, les membres de

l'assistance peuvent se barbouiller mutuellement de charbon. Autrefois c’était dupiment mélangé ou non à de la kola qu’il leur arrivait de se cracher dessus, tout commelors des grands rituels, les yʊ-klɛ-za féticheurs projetaient ainsi des remèdes « contre-poison » sur l’assistance. Comme tout génie de brousse, être de désordre, Zàùli serait silaid qu’il s’en ferait cracher dessus par les sacrificateurs. Mais ne nous y trompons pas,cet acte confère au masque la puissance de leur souffle, support de ɲale, tout comme, enretour, les accolades dont Zàùlì les gratifie augmentent la force vitale de ses vieuxadorateurs.

16 La laideur est donc un attribut du masque, inhérent à sa fonction. Son front, loin d’être

lisse et bombé selon les canons esthétiques gouro, serait fendu (vlɛì) à l’égal de kásʊ, lebubale35 dont les cornes écartées déforment la face. Le masque de notre village deréférence, masque zoomorphe, porte les cornes du plus dangereux des cobes, glɔ le

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cobe defassa36, le plus puissant des animaux pour lesquels les chasseurs doivent mettreen place le rituel de purification ɲale. De plus, Zàùlì a de gros yeux globuleux, une peaucouverte d’excroissances, séquelles de maladie. Laid, il ne peut que porter de vieilleshardes, des sɔ wuli pagnes usagés, il s’est fait wuli « chose vieille » d’où son nom selonune autre étymologie populaire (zàà-wuli ou encore yʊ wuli , « vieux masque abîmé »). Ilporte sur la nuque, au lieu du petit bonnet rouge qu’affectionnaient les anciens, un grossac en forme de vieux couvre-chef démodé et élimé. Comme tout masque sacré, il estvêtu de fibres fraîches de jeunes feuilles de palmier, mais son costume lui laisse lesmollets à découvert. Dans le dos, ce vieux sac couvre une solide37 peau de gɑ, le cobe deBuffon, que soutient son accompagnateur. Il convient de lui donner des choses dures

(plεlε). Parce qu’il se bat, fait la guerre, rôle décrit plus haut pour Zamble. Un servant desa troupe manie un long fouet qu’il fait claquer pour chasser les enfants, mais aussiéloigner les êtres malfaisants.

17 Son comportement est à l’avenant, désordonné, poursuivant femmes et enfants de sa

verge fourchue. Il apparaît sauvage, ne respectant pas les usages. Zàùlì, qui pourraitdanser comme Zamble, se contente souvent de pas lourds, peu rapides, plus mimegrotesque que danse, reflet du personnage. Il passe de cour en cour et répond auxdéclarations du maître de maison en frappant le sol du bouquet de feuilles et de laverge qu’il tient en main, agitant les sonnailles de ses poignets.

Son surnom « fille du rat-toto », renvoie à l’histoiresecrète de Zamble

18 Zàùlì, surnommé koblì-lu, fille du rat-toto, habite la forêt sacrée, la brousse, mais

fréquente le village tout comme son parent koblì, le rat-toto. Ce dernier a la réputationde ne sortir qu’à l’occasion de problèmes et dans ce cas n’a de cesse de rendre visite à saparente, flaù, la petite souris de case38 si au fait des secrets de famille qu’un type dedivination l’utilise comme médium. Zàùlì assure le lien entre brousse et village. Unchant spécifique marque cette situation incongrue pour un masque sacré de seprésenter devant les femmes « C’est une femme qui t’a mis au monde, ne te frappe pas la

poitrine [ne te fâche pas] à cause d’elle ». Mais il faut bien qu’il soit fille (lu) pour justifier

cette apparition publique d’un masque de la famille ɉɛ, du moins dans les régionsétudiées. Selon Fischer et Homberger (1985) « pour de nombreux Gouro, Zàùlìappartient au même groupe que le masque que ces auteurs nomment ‘gye’ (ɉɛ) ». Ce querecoupent également nos informations, obtenues certes très furtivement. C’estd’ailleurs ce que laisserait entendre son surnom, si le rat-toto est bien vlù bɩ koblì « fils

du porc-épic », et si nous suivons Boti, pour qui ɉɛ serait un masque (ou les yʊ)

d’antilope et de porc-épic. Zàùlì serait donc « semblable à ‘gye’ » (ɉɛ) et aurait les« mêmes traits de caractère » masculin, sauvage, « devant inspirer la peur et pour celane pas être vu des femmes ». Boti précise qu’ils ont plusieurs couleurs, les mêmes yeuxet un nez comportant une arête39. Cette figure serait « sortie du bois sacré » pour selaisser voir par l’ensemble du public dont les femmes.

19 Prenons alors au sérieux le surnom de Zàùlì et voyons ce qu’il en est du rat-toto dont

Zàùli est la fille, et qui est le fils du porc-épic (vùlu). On appelle également kobli, le rat-

toto, vulú bɩ c ɛɉɛ « celui qui court vite et lourdement, fils du porc-épic », du fait de sacourse certes très rapide mais sans élégance. Autrefois, nous conte Michel Zou, le rat-toto ne s’appelait pas Kobli, mais plutôt Yowuliyo. C’est un animal qui passe partout,

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des champs au village jusque dans les maisons, puisant dans les réserves de graines, unfieffé voleur selon notre ami chasseur. Il reste à proximité des hommes et se repaît desgraines de palmiste abandonnées dans la cour des campements, déchets de lapréparation des repas. Il fait d’une termitière40 son terrier, pas très loin des villages cequi permet aisément de l’attraper lorsqu’un étranger arrive et que l’on n’a pas deviande à lui offrir. Il suffit de boucher tous les trous de son terrier sauf un. C’estpourquoi on le désignait aussi comme « l’animal à longue queue que les étrangersaiment ». Dans le conte, sa termitière se trouvait à mi-chemin entre deux villages et dèsl’aube, on l’entendait pleurer debout sur ce promontoire : « oh le village a commencé laguerre, village de mes parents, la guerre va te tuer » « oh il va me tuer », comme s’ilétait un homme posté au milieu des deux villages et qui criait pour avertir sescompagnons du danger. Chaque village pensait que c’était l’un des leurs qui pleurait(wu vɔ nɑ ), les gens accouraient et cela devenait un affrontement, une bastonnade.Mais Yowuliyo était déjà rentré dans son trou. De guerre lasse, un des grands chasseurs(ceux qui marchent dans les herbes) est venu se poster très tôt le matin pour voir dequoi il retournait, et quand l’animal commença à pleurer, le grand chasseur a bouchéson terrier pour qu’il ne puisse plus y rentrer. Il l’a ainsi attrapé, a fait un feu pour lefaire braiser et l’a mangé avec ses premiers compagnons accourus. Quand les autressont arrivés en disant « où est passé celui qui criait ? », ils ont répondu « nous l’avonsmangé » kʊʊ blɩ . C’est pourquoi on chante « kobli, viens, on va s’amuser » ; sinon avant ils’appelait Yowuliyo41. Kobli, le rat-toto, est donc un faiseur de guerre, tout commeautrefois nombre des ancêtres gouro cités dans les généalogies, tout comme Banti-bi-Blon.

20 Si le rat-toto est le fils du porc-épic, selon les chasseurs, c’est parce que toute cette

famille, incluant télí l’athérure42, également vùlu-bɩ-télí « fils du porc-épic », mange deschoses amères, dont ziri, le poison d’épreuve43, qui tuerait les humains et bien d’autres

animaux. Ils mangent également la plante vùlu le yaa44, qui devient leur igname. Tous nefont pas de terriers. Le plus puissant d’entre eux, vùlu, le porc-épic, se gonfle (bli) etlance ses piquants pour les Gouro. C’est du gros porc-épic que l’on a peur. C’est le devindes animaux, mais pour aller le consulter lorsque l’on ne parle pas sa langue, il fautpasser par un enfant de sa sœur ou de son petit frère, comme porte-parole

intermédiaire, c’est-à-dire par un neveu. Et c’est cɛnε, Kobli qui tient ce rôle. Le conteurBueti-bi-Dje45, précise bien que Kobli est un fils classificatoire du porc-épic, en réalitéun neveu, l’enfant de sa sœur, ce qui explique que le rat-toto soit plus petit que le porc-épic et qu’il n’ait pas de piquants46, tout comme l’athérure a d’ailleurs des piquantsdifférents étant le fils d’un petit frère. On voit ici intervenir Kobli comme neveu dugrand guerrier qu’est Vùlu, tout comme Kasɔrɔ l’était de Banti-bi-Blon.

21 Zàùli fille du rat-toto, lui-même neveu du grand guerrier porc-épic, transpose donc

l’histoire originelle de Banti-bi-Blon à qui sait entendre, à qui détient le savoirpermettant d’en décoder le sens, voire d’en jouer. Zàùli assumerait ainsi le côtéguerrier de Zamble, ce qui aurait permis au masque éponyme de se présenter sous unjour raffiné, voire féminin.

Et la femme gù ?

22 À Zamble succède parfois la danse de Gù au seul rythme des clochettes de ses pieds et

des cris d’encouragement du public. Banti-bi-Blon, marié avec une femme wan, une

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ethnie voisine au nord, l’aurait adopté de ses beaux-parents47. Gù, au visage de femmelisse, toujours noir, au front bombé, est souvent coiffée de sept petites cornes quiinterdisent de porter sur la tête, indiquant son statut social. Vêtue comme son mariZamble d’une courte robe de fibres croisée sur la poitrine, elle couvre ces attributs de labrousse de pagnes bleus richement tissés. Étant elle-même précieuse (nunimi-a), Gù ne

porte que de belles choses. Pour Benoit (1978), elle serait surnommée célizia-lú-mɔɔ,

mɔɔ : une fille très belle, au teint clair, donnée en mariage à un esclave sanscompensation matrimoniale, ce que faisaient autrefois certains pères pour garder ladescendance et la fille dans leur lignage. Elle porte quant à elle une peau de cobedefassa ou de guib harnaché, peaux suffisamment solides pour que son accompagnateurpuisse les faire gonfler (bli), les tendre avant de frapper dessus pour arrêter un cycle depas, rappel de son origine wan car il en va de même pour la danse Goli des Wan.

23 Gú ne sort que pour les rituels de fécondité : installer le foyer d’une nouvelle épousée

de sa famille, résoudre son problème de mal d’enfant et, selon Deluz (1993), « laprotéger de toute malveillance de la part de la famille où elle est mariée ». Les cinqvillages Wagye partagent un ensemble de sept masques spécifiques, yoro, nommé « gù

des waɉɛ », donné comme étant sorti d’une grotte à flanc de colline et capturé par unchasseur. On doit leur donner un poulet au moment des funérailles d’une fille de lafamille. L’un de ces masques tient en main la plante galactagogue, mɛ-pó « genoux depoulet »48 surnommée gù-lèè-bla, « la plante que gù tient en main », qui soigneégalement les suites d’accouchement. Mais yoro peut alternativement, ou de façonassociée, tenir ɓowolo49, plante utilisée pour soigner des atteintes de l’ombre-double dunouveau-né ou de quiconque a offensé les ancêtres. Ce qui décline, sur un modemineur, les propriétés de l’Asparagus, apanage de Zàùlì, car il s’agit dans tous les cas deprotéger ou de renforcer l’ombre-double.

24 Lorsque Gù apparaît lors de funérailles, elle suit toujours Zamble ; les tambours se

taisent et elle danse très gracieusement au son des seules flûtes. Sa danse est drɔ-drɔcalme, littéralement fraîche, ce qui cadre avec l’apaisement et la jouvence que sa venueapporte. Elle marche majestueusement telles les belles femmes. Pour A.M. Bouttiaux(2005) elle piétine comme une enfant gâtée les graines de palmistes. Pour montrer saforce nous dit-on, peut-être aussi piétine-t-elle ce qui symbolise sa dot dans les contes,soit les graines du palmier (Haxaire 1992), elle que son père aurait dédouanée du poidsde cette dette. Un chant caractérise ses pas de danse « dʊʊ, le francolin50, s’envole

brusquement, avec force (za), mais se pose doucement à son point d’arrivée glìglì ». C’est unchant de concurrence (bien que Gù ne participe à aucune compétition) : s’élancer tropvite en étant trop sûr de soi risque d’amener des déceptions si l’adversaire est plus fortque prévu. D’autres chants évoquent le travail domestique de la femme, rythmé par lechant du coq. Elle se lève au premier chant du coq, balaye la cour, va puiser de l’eau…« mon frère ne manque jamais tʊ le temps … la tête d’un coq dans la sauce… ». Selon lechanteur Irie-bi-Dje Medah, le coq a le temps en tête, on peut se fier à lui. En manger latête permettrait de se réveiller à l’aube. Les chants conseillent de se résigner auxmariages forcés, qui peuvent s’avérer heureux avec le temps « banɛ lu yʊnɑ, la grande

menteuse, yʊnan est venue ». Younan aurait refusé le mari qu’on lui promettait avec ladernière énergie, elle a fui. Mais ses parents l’ont rattrapée et à force de« médicaments », de boli, les charmes d’amour, et en faisant appel à Zamble, Zàùli et Gùpour installer son foyer, elle est restée. Elle a eu des enfants, des petits-enfants et toutesa famille est accueillie dans sa cour prospère et heureuse. La vie l’a fait mentir !

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25 Bien que femme en apparence, Gù n’en garde pas moins traces de sa famille, carnivore,

peut-être n’est-elle qu’un avatar de la nandinie gu (ton moyen) elle-même surnommée,selon Benoist (1978), zablɩ tí bɩ gu « nandinie, fils du père de Zablɩ ». Le terme Zablɩn’évoque rien aux Gouro de Zuénoula, mais on le retrouve dans le nom composé del’aigle huppard tel que recueilli dans la région de Sinfra par l’ethno-ornithologue gouro

Mathieu Koué bi (2016) : cɩε le zaɓle, le zaɓle de l’aigle51. Cet auteur a également colligéles noms d’oiseaux dans la région de Zuénoula, et ce même aigle huppard devient zowùlì

bɩ cɩε, soit un des aigles-fils du plus puissant parmi les oiseaux qui tuent les autres. Sinous transposons dans le domaine des carnivores, ce serait bien la nandinie, fils du

père du plus puissant des goli, du zowùlì des goli, à savoir Zàùli, issu donc de ɉε. Gu

serait donc fils (fille) de ɉε. Le cri de cet aigle huppard est un mauvais présage. Pour leconteur, Gu la nandinie, plus que le fils de cet aigle, serait son homonyme, partageantun même destin. Pour les Gouro, Gu, la nandinie, est un chanteur (lɛlɛ vɔ zɑ ) qui secache quand il fait jour et vit dans la forêt, en lisière ou dans les îlots de forêt ensavane. Quand la nuit tombe il grimpe aux arbres et de leur cime crie, crie, en faisantcomme quelqu’un qui pleure wu wu… Les contes glosent cette tendance à « pleurer » dela Nandinie. Elle aurait convenu avec vla, « le daman »52, de s’interdire de pleurer lorsdes funérailles de leur mère. Ce qu’est parvenu à faire le daman. Mais ce dont lanandinie a été incapable, elle n’a pu tenir sa promesse et s’est cachée dans les arbrespour gémir doucement wu wu. C’est alors que le daman lui a crié (gu é wúvɔa) « Gupleure ? », et c’est devenu le chant du daman.

26 Gù certes femme, qui devrait se soumettre aux règles qu’énoncent les chants, n’en est

pas moins affranchie par son père, et tout comme son mari et/ou père, cache sous sabelle apparence la violence de ses caprices de yʊ. Fille du plus puissant des masques telque le révélerait le nom de l’animal homonyme de l’aigle, elle sait d’autant mieuxtrouver recours aux malheurs de femme qu’elle en connait les présages.

Conclusion

27 Comme toujours en pays Gouro, les chants et les contes ont une signification cachée,

qui joue des analogies que permettait la grande connaissance naturaliste qu’avaient lesanciens. Les mascarades, en tant que productions artistiques totales, et cela d’autantplus qu’elles dévoilent quelques bribes du sacré, présentent actuellement le miroir derécits d’une tradition en train de se réinventer, laissant ce contenu manifeste repousserdans les brumes du passé l’histoire magnifique et violente des guerriers d’autrefois. Lessurnoms de ces masques n’évoqueront bientôt plus grand chose, et les interprétationsde leurs noms même iront bon train, permises par la spécificité de la langue gouro.Cette langue semble autoriser des dérives autour de contigüités cachées grâce à diversprocédés de dissimilation qu’il faudrait étudier. Seuls les tons par exemple distinguentza « défi » de zá « colère », dont nous sentons bien la proximité ; il en est de même de

zɔɔ, « querelle » et zɔɔ, « sorcellerie ». Ce pourrait être le cas de gu la nandinie et dumasque gù. Les conteurs vont plus loin encore qui font dériver le nom du rat-toto del’expression « nous l’avons mangé » en fermant les voyelles relâchées. Tout ceci révèlela créativité non seulement de la langue mais surtout de la culture gouro.

28 Certes il n’est pas facile à qui n’est pas familier de cette culture et de cet

environnement de suivre le dévoilement des significations de ces chants, de ces contes,des mascarades toutes entières. Mais j’ai plaisir à partager ce florilège d’histoires

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auxquelles manque cependant, et je le regrette, l’explosion de couleurs et de musiquesdes danses qui les mettent en scène.

Figure 3 : Zaouli, danse d’amusement lors de fête de levée de deuil en 2018 dans le village deBogopinfla

Ce travail fruit de dizaines d’années d’enquête doit à tous les Gouro qui m’ont instruite, et je

salue la mémoire de ceux qui nous ont quittés. Je voudrais particulièrement remercier les

conteurs Bueti-bi-Dje assisté de Paul Tra bi et Gala-bi-Yuzan alias Michel Zou ; le chasseur Goi bi

Tra et les gardes forestiers Irie bi Sela Mathieu et Tra bi Mattias ; le chanteur Irie bi Dje Medah

toujours disponible pour nous donner des explications, et bien entendu Benin bi Dje, fidèle et

rigoureux assistant décrypteur.

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NOTES

1. Que je n’ose nommer ballade !

2. « Masque » désigne ici les personnages, leurs costumes, leurs accessoires et accompagnateurs,

et non les seuls objets collectionnés que les Gouro désignent par bois ou tête.

3. kua, Panthère-Léopard, Panthera pardus. Identifications vérifiées par Roskov et al. (2019).

4. goi, Kola, Cola nitida (Sterculiaceae)

5. koblì, Rat-toto ou Rat de Gambie, Cricetomys gambianus.

6. vùlù, Porc-épic, Hystris africaeaustralis.

7. Au moins épouse classificatoire dans la terminologie de parenté omaha.

8. gu, Nandinie, Nandinia binotata.

9. Je traduirai par la suite ɲale par puissance, attribut de l’ombre double, lei, issue des instances

invisibles de la personne, différent de la force plεlε, en lien avec la quantité de sang pour les

Gouro.

10. Dans le système de pensée non dualiste Gouro, masques et préparations à base de plantes

n’appartiennent pas à des registres fondamentalement séparés et le découpage empirique/

magico-religieux déjà critiqué par Augé (1986) n’a pas de sens au regard des analogies qu’il s’agit

de dérouler et de croiser dans le visible et dans l’invisible (Haxaire 1998, 2017).

11. Himmelheber 1960, Kacou 1978, Fischer et Homberger 1985, Deluz 1989 et 1993, Bouttiaux

2004 et finalement Zamble bi Zou 2009.

12. Zʊrʊ, Guib harnaché, Tragelaphus scriptus, crie comme un chien et porte malheur, ce

qu’exprime le chant : « Qu’est-ce que j’ai fait au guib zurʊ ? Où que j’aille, il crie ».

13. Sculpteur avec lequel Fischer et Himmelheber ont beaucoup travaillé et à qui ils ont dédié un

livre (1e éd 1993, rééd. 2018 ) (Himmelheber 1993).

14. Panthère et Léopard sont les deux noms en français de Panthera pardus, il s’agit du même

animal. Par convention je traduirai kua par panthère et lorsque golí est utilisé, j’utiliserai

Léopard.

15. A. Deluz 1970, chap I, différencie les tribus du nord, de l’ouest et du sud du pays Gouro, sur la

base de différences de terminologie de parenté (Omaha au nord et Hawaien au sud), et d’autres

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critères comme l’habitat, les productions agricoles, la forme de dialectisation de la langue, les

cultes. Les Gouro étant d’organisation segmentaire (Evans-Pritchard 1940), nous employons le

terme « tribu » au sens précis où Meillassoux (1964) et Deluz (1970) l’utilisaient, c’est-à-dire une

unité territoriale en relation d’alliance et de guerre avec les unités alentour. Les tribus Nyan tout

comme les Yaswa et Wagye cités plus bas sont des Gouro du nord selon cette classification.

16. Ce prénom n’étant pas à consonance gouro, il laisse entendre en effet que cet homme serait

originaire d’autres populations Mandé du nord-ouest du pays Gouro. On peut alors supposer qu’il

s’agit d’un neveu, fils de donneurs d’épouse des Nyan.

17. Ce qui signifie donc qu’il avait suivi sa mère retournée dans son lignage d’origine après avoir

été mariée chez les Sei. Dans l’organisation patriliénaire gouro, il est donc fils ou enfant de Sei

(sei bɩ, ou sei nɛ).

18. Autrefois les « tribus » étaient plus que maintenant constituées d’un nombre limité de

lignages (Deluz op. cit.)

19. En pays Gouro la conquête s’est déroulée de 1906 à 1914 (Meillassoux 1964)

20. De terminologie de parenté Omaha les membres des tribus du nord du pays gouro se sentent

redevables aux lignages qui leur ont donné des épouses et les relèvent d’un rang dans la parenté.

En effet, les alliances matrimoniales se nouent entre lignages non alliés auparavant,

idéologiquement « ennemis ». Les neveux utérins ont le rôle d’intermédiaires dans les guerres :

pour demander l’arrêt des combats, ce sont eux qui affrontent l’ennemi avec le rameau blanc de

jeunes feuilles de palmier, ils risquent leur vie. Par ailleurs ce sont eux qui creusent les tombes,

etc. Le lignage utérin devient pour eux le refuge en cas de danger ou de conflit, ils y sont de plus

épargnés en cas de vendetta ; dans les généalogies nombre d’ancêtres ont ainsi quitté leur tribu

d’origine pour s’installer chez leurs oncles maternels.

21. Car le français n’a pas de terme générique recouvrant cette catégorie gouro ; inversement on

ne trouve pas en gouro de catégorie générique « antilope ».

22. Gala bi Yuzan alias Michel Zou, fils de Zamble bi Gala qui nous avait instruite autrefois, assisté

de Irie bi Sela Mathieu.

23. yɩɛí goli, Crocodile, Crocodylus niloticus. C’est pourquoi le vieux Fua-bi-Sei de Bogopinfla, que

Fisher et Homberger nomment Sabu-bi-Seyi, a pu dire à ces derniers que Zamble était un masque

de crocodile et de guib qui dansait en luttant entre le fleuve, domaine de l’un, et la terre, habitat

de l’autre.

24. plɛ, Épervier shikra, Accipiter erythropus. Ou Buse à queue rousse, Buteo auguralis.

25. Il existe même une guêpe (qui ressemble à la guêpe maçonne) qui tue ses congénères et porte

le nom de ɲɔnɔ wɔnɛ ɉɛ golí « goli qui tue les insectes ». (Il existe bel et bien des mouches

carnivores telles que Rhagio scolopaceus, mais nous ignorons s’il s’agit de celle-ci).

26. ɉɛla, Lion, Panthera leo.

27. glɑʊ, Hyène rayée, Hyaena hyaena.

28. Le lion dans le conte de Michel Zou par exemple, l’aigle huppard dans les surnoms de rapaces

(cf. plus loin).

29. Za blı-wuo-ma -klo « le petit chapeau de Zamble », Cnestis ferruginea (Connaraceae).

30. bɔɔ, gros rat palmiste, Grand écureuil de Stanger, Protoxerus stangeri.

31. Selon Zamble-bi-Zou il aurait été également adopté des Wan. Il reconstituerait alors un

tryptique sur le modèle du Goli en vogue chez les Wan, décrit par Ravenhill (1988) mais Zamble-

bi-Zou réfute l’idée de tryptique car il introduit un quatrième culte, celui des yʊnɛ. Nous ne

retrouvons pas ceci chez les gouro de Zuenoula. Les emprunts de cultes et de masques étaient

très courants dans cette région selon les historiens d’art (Bouloré 1995, Bouttiaux 2004), notre

propos n’est pas de reconstituer cette histoire.

32. Au sens de witch.

33. Bei, Piliostigma thonningii (Caesalpiniaceae).

34. za-gɔ, Asparagus sp. (Liliaceae).

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35. kásʊ, Bubale, Alcephalus buselaphus.

36. glɔ, Cobe defassa, Kobus (Kobus) ellipsiprymnus.

37. Tout comme on le fait pour Goli, masque d’une autre série, celle des wan, qui fait claquer son

fouet sur cette peau. gɑ, Cobe de Buffon, Kobus cob leucotis.

38. Flaù, souris de case, Mus domesticus.

39. Le nom de ce culte signifie maladie, mort. Au sud du pays gouro, ɉɛ est représenté par

plusieurs masques. Le nom de l’un d’eux, Zahule, vieillard sale et négligé, couvert de coquilles et

de plumes, au visage blanc d’où pendent des excroissances, n’est pas sans évoquer Zàùlì.

40. Bien décrit au Cameroun par Seignobos (2018).

41. Dans kʊʊ blɩ , nous avons des voyelles relâchées, entre u et o, et entre i et e, notons que dans

kobli les voyelles sont toutes refermées, o et i.

42. télí, Athérure, Atherrurus africanus.

43. ziri, le poison d’épreuve ou Bois rouge, Erythrophleum guineense (Fabaceae).

44. vùlu le yaa, « igname du porc-épic », Anchomanes difformis (Araceae).

45. Et son aide Paul Tra bi de Koifla.

46. Le conte de Bueti-bi-Dje qui explique pourquoi l’athérure se tient sur une patte donne bien le

rat-toto et l’athérure comme fils du porc-épic, mais de mères différentes. L’athérure est fils de la

première épouse, qui est zɛ le pangolin géant, Smutsia giganta tandis que le rat-toto a pour mère

la seconde épouse, vɔlɛ, le Céphalophe de Grimm, Sylivicapra grimmia, de pelage proche.

47. Pour tous les auteurs rapportant les propos tenus à ce sujet.

48. mɛ-pó, « genoux de poulet » ou gù-lèè-bla, « la plante que gù tient en main », Leea guineensis

(Vitaceae)

49. ɓowolo, Trichilia prieureana (Meliaceae).

50. dʊʊ, Francolin, Francolinus bicalcaratus.

51. cɩε le zaɓle, le zaɓle de l’aigle huppard encore nommé gʊgɑ « quelque chose de suspendu » à

cause de sa huppe, [ou zowùlì bɩ cɩɛ Aigle-fils du plus puissant parmi les oiseaux qui tuent les

autres] zowùlì bɩ cɩɛ, Aigle huppard, Lophaetus occipitalis.

52. Vla, Daman, Dendrohyrax arboreus.

RÉSUMÉS

Les récits de l’origine de la plus belle et plus complète expression de l’art gouro, celle du masque

Zamble et de sa mascarade, allient poésie des contes et précision du savoir.

Prenant au mot les surnoms animaux donnés par les Gouro de Zuenoula aux masques de la

famille Zamble, soit Zamble lui-même, son frère sauvage Zàùlì et leur femme Gù, nous

montrerons comment les mœurs attribuées respectivement à la panthère, au rat-toto et à la

nandinie, savoir encyclopédique sur lequel s’appuient les contes, éclaire l’origine guerrière de ces

cultes. Ces masques sacrés s’actualisant en mascarades publiques, les femmes à qui la

connaissance du sacré reste interdite peuvent néanmoins en approcher le sens en suivant les

analogies naturalistes que déploient chants et contes. À l’ethnologue, femme, d’acquérir cette

connaissance pour saisir ces bribes de secret (sa sécrétion, secretas au sens de Zempleni, 1996).

The origin of the most beautiful and most complete expression of the Guro art, that of the

Zamble mask and its masquerade, combine poetry of tales and precision of encyclopedic

knowledge.

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Taking at its words the animal nicknames given by the Guro of Zuenoula to the masks of the

Zamble family, namely Zamble himself, his wild brother Zàùlì and their wife Gù, we show how the

habits attributed respectively to the panther, to the Gambian pouched rat and to the African

palm civet, encyclopedic knowledge on which the tales are based, illuminates the warlike origin

of these cults. These sacred masks being actualized in public masquerades, women whose

knowledge of the sacred remains forbidden can nevertheless approach its meaning by following

the naturalistic analogies that are unveiled by songs and tales. It is up to the ethnologist, woman,

to acquire this knowledge to seize these bits of secrecy (its secretions, secretas in the sense of

Zempleni, 1996).

INDEX

Mots-clés : Gouro, Côte d’Ivoire, masques Zamble, secret, savoir naturaliste, pensée analogique,

contes animaux, guerre

Keywords : Guro Ivory Coast, Zamble masks, secret, naturalist knowledge, analogic thinking,

animal tales, war

AUTEUR

CLAUDIE HAXAIRE

Maître de Conférences à l'UFR de Médecine de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO, Brest)

CERMES (Centre de Recherche Médecine, Sciences, Santé, Santé Mentale et Société, Université

Paris Descartes, EHESS, CNRS UMR 8211, INSERM U 988)

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Past and present of allspice (Pimentadioica) in Mexico and GuatemalaFrom traditional management to current large-scale markets

Passé et présent du piment de Jamaïque (Pimenta dioica) au Mexique et au

Guatemala : des pratiques traditionnelles aux marchés à grande échelle

Pasado y presente de la pimienta de Tabasco (Pimenta dioica) en México y

Guatemala: del manejo tradicional a los mercados a gran escala

Paulina Machuca, María Teresa Pulido-Salas and Felipe Trabanino

INTRODUCTION

1 Many useful plant species widely used in Mesoamerica prior to European contact in the

16th Century were gradually overshadowed by Old World plants. These introducedspecies benefited from the cultural prestige attributed them by the dominant socialgroup, thus marginalizing myriad native species (León 1992). Allspice, Pimenta dioica (L.)Merrill, had medicinal uses among the native peoples of Mesoamerica but the Spanishrealized its culinary potential soon after they began colonizing the region. Knownvariously in Spanish as “Pimienta gorda,” “Pimienta Tabasco” and“Malagueta” (Martínez-Pérez et al. 2013), it is native to Mexico and Central America(Bailey 1951), called Mesoamerica, which for floristic purposes encompasses the statesof Tabasco, Chiapas, Campeche, Quintana Roo and Yucatan in Mexico, and the CentralAmerican countries of Belize, Guatemala, Honduras, El Salvador, Nicaragua, Costa Rica,and Panama (Davidse et al. 2011). In Petén, Guatemala, this species has been animportant tree to develop home gardens, where the local people utilize existing treesand leave the most useful (Gillespie et al. 1993). In some places of the Sierra Norte ofPuebla (Mexico), most of its production comes from collection in indigenouscommunities; however, there is a tendency to advance towards its domestication forlarge-scale commercial purposes (Macía 1998).

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2 With the aims of a better understanding about the historical changes and confusions of

its popular nomenclature, as well as the uses and management as a natural resource,we provide a historical panorama of allspice’s trajectory beginning in the 16th Century.We also address the logic behind the trade routes during the Spanish Viceroyalty andthe factors that prevailed over five centuries, bringing it both regional and worldwideprominence. Additionally, we integrate concepts from sustainability science, whichfocuses on understanding the interactions between nature and society and analyzessustainable trajectories (Kates et al. 2001). This is done to help design better approachesto sustainable management (i.e. ones that do not hinder meeting the needs of futuregenerations), and adopting a holistic perception that considers different time periodsand geographical areas with different environmental conditions. Working towardssustainability as an adaptive strategy, involves risks and opportunities; it is aninteractive process with cumulative experiences (Kates 2000). In agreement withCostanza et al. (2007), only linking human and environmental change in thedevelopment, we can understand the complex web of causation across spatial andtemporal scales, to develop an integrated understanding of the relation human-environment. The analysis we present here, is a proposition to integrate the temporaldimension in the management of allspice. The present study aims at integratingexperiences over time and under various conditions, from history and present days, toprovide a better understanding of the elements that contributed to the resurgence ofallspice from being a marginalized crop to one prized worldwide.

METHODS

3 Document research was done in three specialized archives: The General Archives of the

Indies (Archivo General de Indias - AGI) in Seville city, Spain; the National HistoricalArchives (Archivo Histórico Nacional - AHN) in Madrid, Spain; and the General Archivesof the Nation (Archivo General de la Nación - AGN) in Mexico City, Mexico. In order toknow details of harvest traditional technics and local commercialization, fieldworkresearch was conducted in Guatemala —at the heart of its natural distribution area,meaning from south of Mexico to Panama—, in summer 2018, applying a participatoryethnobotany approach to describing traditional management of allspice. The fieldstudy site was San Miguel Sechochoc, Raxruhá, in Alta Verapaz Department, Guatemala(15°52’00” N; 90°02’39” W), located 115 km from Cobán, the department capital (seemap 1), and seated at 150 m asl, with 22.5ºC annual average and 2100 mm as annualprecipitation, where the predominant vegetation is tropical rain forest. Sechochoc is avery small and isolated town, where most of its population of around 1,000 participatein the harvest, the empirical management and the sale of allspice fruit and seeds.Therefore, they maintain the traditional practices inherited by generations, hence theimportance of studying this particular place. With prior agreement from localauthorities and following the compromise for an ethical study, data was collected onlocal allspice management and marketing methods. We used the information collectedas a contrast to the large-scale production and marketing implemented in Mexico, theleading exporter of allspice in its native distribution area.

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Figure 1 : Localization of San Miguel Sechochoc, Raxruhá, Alta Verapaz (Guatemala)

Elaborated by P. Machuca (LADIPA-El Colegio de Michoacán).

RESULTS

4 Belonging to the family Myrtaceae, the genus Pimenta includes two species grown as a

spice (P. dioica and P. racemosa); the currently accepted scientific name for both isPimenta dioica (Merrill 1947). Allspice ( P. dioica) is an evergreen tree native toMesoamerica where it can be found in humid tropical forests from southern Mexicoand the southern Yucatan Peninsula to Guatemala, Honduras and even Costa Rica, aswell as on the islands of Cuba and Jamaica. It is a midcanopy element in tropicalrainforest and evergreen tropical forest where it forms mixed communities with othertrees such as “canxán” (Terminalia amazonia (J.F. Gmel.) Exell), “ramón” ( Brosimum

alicastrum Sw.) and “guapaque” (Dialium guianense (Aubl.) Sandwith). It is ecologicallyimportant due to its abundance and height, which averages seven to ten meters but canreach as high as twenty meters (Figure 2) (Pennington & Sarukhán 2005). The fruit isfood for some birds (Cyanocorax morio, Melanerpes aurifrons, Saltator coerulescens, Thraupis

abbas) and monkeys (Allouatta pigra) (Cancino-Oviedo 2017).

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Figure 2 : Allspice harvest as part of management and sale in Sechochoc, Guatemala

© F. Trabanino, July 2018

5 Allspice flowers are white and hermaphroditic (i.e. containing anthers and pistil),

although in some cases flowers function as females and others as males. Male flowerscontain about 100 anthers which produce fertile pollen, while female flowers containabout 50 anthers that produce infertile pollen but do form fruit (Chapman 1965). Theallspice fruit is a berry containing two aromatic seeds. The tree bark is smooth and dry,and the wood is very hard and white-gray in color.

The New World and the “discovery” of allspice

6 Beginning in the 15th Century, one of the drives behind European expansion was the

search for and control of the spice trade from Asia. Spices functioned both as culinaryseasonings and medicines, with a commensurate demand in Europe and a broadinterest in supplying that market. Thanks to trade routes with the East, Asian spiceswere known in Europe since ancient times. For centuries Arab peoples had taken aleading role in the spice trade between East and West, but in the early 16th Centurythey were displaced by the Portuguese and, later, by the Dutch and English (Machuca2019).

7 In a quest to dominate direct trade of spices from Southeast Asia the Spanish used the

Philippines as a base to develop the Manila-Acapulco trade axis. As an alternative theydevised projects to acclimatize Asian spice species to New World climates; for instance,beginning in 1567 Guido de Lavezares sent ginger from the Philippines to New Spainand Hispaniola. Likewise, in 1584 Juan Bautista Román, controller and inspector for theRoyal Treasury of the Philippines, suggested to King Philip II of Spain that Asian pepper(Piper nigrum) be introduced to the Americas to reduce the financial and human costs of

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the transpacific route (Machuca 2016). Bautista Román’s proposal highlights theimportance attributed to P. nigrum at this time. In this atmosphere of greatexpectations, in 1583 a royal certificate was addressed to the Audiencia of SantoDomingo notifying them that a settlement and contract had been granted Juan de Oribeto cultivate: [“… where best seems fit, pepper and allspice and Mení pepper and clove and

cinnamon and ginger and nutmeg and sandalwood and lacquer, menguy and indigo and

águila”]. The authorities on the island of Hispaniola were requested to grant thenecessary lands to Oribe so that he could [“breed said spice selection”]. This samedocument also requested that the governor of Cuba, the mayors of Puerto Rico and thejudges on Tierra Firme be notified that they should collaborate with whatever wasnecessary.1

8 However, this desire to convert the Americas into a cornucopia of the world’s spices

ultimately failed. Therefore, as Spanish colonization advanced the colonizers began topay more attention to native spices such as allspice.

9 The first formal description of allspice was written by Francisco Hernández, Philip II’s

head physician, who conducted extensive research into the plants of New Spainbetween 1571 and 1576. Initially it was known by the Nahuatl name xocoxochitl or asPipere Tavasci:

[Xocoxochitl, meaning sour flower, is a large tree, with leaves like those of theoranges, red flowers like a pomegranate, but with an aroma like the orangeblossom, and in such a smooth and pleasant way, that even the leaves of the treeadd to its attraction: the fruit is round, and hangs in clusters, which at first appeargreen, and then beige, and finally towards black: it is sharp and scathing to taste,and good-smelling (Hernández 1790: 336).2

10 Although P. dioica was known by the Spanish from early on there are few historical

records of its production and trade. During the 17th Century and the first half of the18th Century, Asian spices dominated the Spanish-American and European markets. Itwas not until the Bourbon reforms, in the 18th Century, when the Spanish began toconsider some products from the Americas with economic potential, including allspice.

Resurgence of Allspice in the 18th Century

11 As the Bourbon reforms swept across the domains of the Spanish monarchy in the

second half of the 18th Century, four developments occurred linked to allspice: itsscientific study; its commercial development in southern New Spain; increased exportto the Iberian Peninsula; and a project to acclimatize it in regions of Andalusia. By the18th Century allspice was known by various names, resulting in its confusion withother pepper-like spices: in Spain and Latin America it was known variously asmalagueta, pimienta de Tabasco, pimienta de Chiapa, pimienta americana and pimienta de la

Jamaica. In Aragon and Catalonia it was called clavileña, in reference to clove (clavo inSpanish) (Gómez-Ortega 1780: 21). The English on Barbados called it allspice, and so itwas known in England and Northern Europe. At the time Hans Sloane (1753: 464)explained its moniker as being in response to its having an aroma and taste redolent ofa mixture of clove, juniper, cinnamon and pepper; he also states that it was the Englishwho introduced allspice to the Flemish doctor and pioneering botanist Carolus Clusius.

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Confusion in popular nomenclatura

12 Clusius recorded allspice as Garyophyllon of Pliny (Ibid). In the apothecaries of Europe,

allspice was registered under various scientific names, such as Piper caryophyllatum, Piper jamaycense, Pimenta, Amomum plinii, Piper chiapae, Piper tavasci, and Caryophyllon

plinii. The French came to know it as English pepper, crowned pepper, Thevet pepper,amomi, aromatic coca of the Indies and clove head.

13 Allspice became confused with cardamom grown in India (Elettaria cardamomum (L.)

Maton), or so-called grains of paradise (Aframomum melegueta (Roscoe) K. Schum.) of theZingiberaceae family, and/or Piper guineense (Schumach. & Thonn.) of the Piperaceaefamily. All were produced in western Africa and were also called (among other names)malagueta. African malagueta was also known as amomo, and has a flavor similar to thatof Asian pepper. Indeed, on 20 July 1770, Fray Martín Sarmiento, a scholar of Galicianculture, published a “Discourse on Malagueta” (Discurso sobre la Malagueta) in which hestated how difficult it was to identify the different species of peppers and chilis thatabounded under the generic name “malagueta:”

[“… the generic name given to it is Malagueta and Melegueta. It is brought fromAmerica to Spain, from Puerto Rico, I doubt that the vegetable brought from theAmericas is specifically Malagueta; this originates and is abundant on the coasts ofGuinea and [in]the country of the blacks, who use it for their stews and [as a]substitute for the oriental or Calecut pepper. So far [I] have not found an authorwho says that Malagueta originates in the Americas even if they use the name.Everything indicates that the word malagueta means western pepper; after all it is aspicy and hot vegetable and undoubtedly many vegetables that are hot like peppercome from Spanish America”] (Fray Martín Sarmiento 1770)3.

14 In Table 1 we summarize the species and popular names of the so-called “pimiento”

worldwide. In all at least ten species from three botanical families (Myrtaceae,Piperaceae and Zingiberaceae) and four genera (Pimenta, Piper, Cubeba, Aframomum),none related to the other, overlap with allspice in terms of common names (Table 1).However, all do coincide in having spherical fruit with a strong aroma and somewhatspicy flavor.

15 In Mexico there are myriad local names for P. dioica: “moki” (Zoque, Chiapas); “de-

tedan” (Cuicateco, Oaxaca); “malagueta,” “papalolote” (Oaxaca); “u’ucum” (Totonaco,Veracruz);

16 “xocoxochitl” (Nahuatl) (Pennington & Sarukhán 2005); and “nukuch pool” (Peninsular

Maya) (Peña-Chocarro & Knapp 2011). In Guatemala there are two ethnotaxaclassifications for this species: “pens” (Quekchí) in Raxruhá, Alta Verapaz; and “ixnabakuk” “nab’aku’uk” (Itzá Maya) in Petén (Atran et al. 1993; Trabanino 2018). InBelize, as in the rest of the English-speaking world, it is known as “allspice.”

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Table 1: Scientific and common names and natural distribution of allspice and other peppershistorically confused with it

Source: Bailey 1951; Geilfus 1994; Germosén-Robineau 2014; Gundala & Aneja 2014; 1994; León 1987;Pennington & Sarukhán 2005; Tropicos, 2019.

Recorded uses in New Spain

17 Allspice received periodic attention in the chronicles of early colonizers and was

occasionally studied in Europe. Perhaps the earliest mention is that of Fray Diego deLanda (1524-1579) in his book “Relation of the Things of Yucatan” (Relación de las cosasde Yucatán). He mentions that [“…they toast the corn, grind it and mix in water whichis a very refreshing drink, they throw in some Indian pepper or cocoa”] (Landa 1979).The drink he describes, “pozol,” is still commonly drunk both daily and duringceremonies by peasants in Mexico’s humid tropical regions (personal experience;Rodríguez-Yc 2013). Hans Sloane (1753) mentions that, apothecaries in England woulduse allspice in the absence of carpo balsam, and indeed preferred it because it was morefragrant and aromatic, and less astringent and balsamic.

18 In 1780 Casimiro Gómez-Ortega, professor at the Madrid Botanical Garden, published

the “Natural History of Malagueta or Tabasco Pepper” in which he states that P. dioica

has the same nutritional and medicinal uses as other eastern spices such as blackpepper, cloves and cinnamon. He compared the spicy aroma of allspice to that of blackpepper, cinnamon and cloves, but recognized that, even though its flavor was similar tooriental pepper, it was [“incomparably finer”]. Using a description made by HansSloane in 1686, Gómez-Ortega stated that pimento de Jamaica and malagueta were verysimilar but with variations in color, possibly be due to the different soils and climatesin which they grew. Gómez-Ortega also provided citations for allspice’s putativemedicinal uses. He cites the royal head physician Francisco Hernández: [“…It is very

effective for lifting the spirits, fortifying the head and stomach, for clearing and attenuating

thick and viscous humors, for dissipating flatus, facilitating the evacuation of urine and

menstruation, and stimulating the appetite; and in a word, for the same uses that the most

precious oriental spices are used”] (Gómez-Ortega 1780: 22).

19 In the 17th century, Francisco de Uría took allspice to Spain, where Dr. Francisco Redi

carried out several experiments, observing its effect against epilepsy and severe gout:

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20 “And although he assures with that candor that is proper to the wise, that he proved it

fruitless in both indispositions, he adds, that he judges it effective to comfort the headand stomach” (Gómez-Ortega 1780: 23).

21 The sailors used allspice for the preservation of meat during long voyages at sea. This

use is currently reported in Scandinavia for the preservation of fish (Chauvet 2019:488).

22 Allspice was taken to the main botanical gardens of Europe; the Spanish clearly had it

in their gardens and the English took specimens from Jamaica for the botanical gardensof England, France and the Netherlands.

Production and trade in the 18th Century

23 In Spanish America, cultivation of allspice was primarily in the provinces of Tabasco

and Chiapas —then belonging to the General Captaincy of Guatemala—, as well as onthe island of Puerto Rico, while the English produced it on Jamaica. In 1755, 251 tonswere exported (González de Cosío 1984). As part of an extensive free trade project bythe Spanish Crown an order was issued on 23 April 1774 decreeing free entry of allspiceinto Spain in an effort to promote knowledge and consumption of this spice, bothinside and outside the New Spain. On 2 October 1777, Viceroy Antonio María deBucareli proclaimed that the King intended to promote its cultivation:

[“… due to the convenience of promoting trade, cultivation and consumption ofPimienta de Tabasco (also known as Pimienta Malagueta), it has been resolved inRoyal order of sixteen of April past that by all the most effective and timely means,the cultivation, collection and shipment of said Pimiento de Tabasco to Spain is tobe encouraged and verified”].4

24 The allspice produced in New Spain was exported from the port of Veracruz, and

shipped to several Spanish ports, such as Cádiz, Málaga, Barcelona and La Coruña. Itwas distributed from these points to the inland provinces. It was also traded to otherSpanish American ports, such as La Guaira in what is present day Venezuela, along withother products such as logwood (Haematoxylum campechianum).5

25 In the English colonies of the Caribbean, especially in Jamaica, allspice was grown in

rocky lowlands along with sugar. In England “it was consumed greatly to season theirfood, having one of the best aromas.” Allspice produced in Jamaica was shipped toEngland, and from there distributed to Germany, Italy, the Levante and Turkey (Gómez-Ortega 1780: 11). Gómez-Ortega even suggested growing allspice in Málaga, which is notas hot as Andalusia but still warmer than Catalonia.

Current empirical uses in original distribution área

26 Many of the historical uses mentioned above of allspice survive to this day, but it is also

possible to find new practices; it is now when we leave the past and move into thepresent. For example, allspice has at least nine reported uses in its original distributionarea (Argueta & Cano 1994; Martínez-Pérez et al. 2013): essential oil as flavoring; tealeaves; fruit as a condiment; wood for construction, tools and as fuel; essence forcosmetics, and as an insecticide and medicinal. Chewing green raw leaf relievestoothaches and is also used in some communities as a tea to relieve stomach pain;against dysentery and cough; to hasten birth and stop menstruation. Allspice oil has

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antifungal activity. The wood is so hard as to be difficult to work but is used inhandicrafts. The trunk of the tree is useful for house construction and the branches canbe used as handles for some tools. In gastronomy it holds a privileged place for itsdelicate flavor that combines clove, cinnamon, black pepper and nutmeg; it is used insauces.

Current cultivation

27 The historical background presented above allows us to delve into current cultivation

practices. Allspice grows in warm-humid climates with year-round rains, and warm-subhumid climates with summer rains, average temperatures ranging from 22 to 29ºC(no higher) and annual rainfall from 1,000 to 2,500 mm (Benítez et al. 2004). It growsbest at 0 to 300 m asl, but can grow at up to 500 m asl, and does not toleratetemperatures higher than 29 °C or winds greater than 90 km/h (Monroy-Rivera 2011).On the Yucatan Peninsula these climate conditions are only met in the south (Martínez-Pérez et al. 2013).

28 Allspice forms part of home gardens in south and southeast Mexico, and part of forest

management systems in El Petén and Alta Verapaz in Guatemala (Mariaca 2012: 51;Ordóñez-Díaz 2018). It is planted near dwellings (Figure 3), but also frequently inplantations outside of town, next to rows of “pineapple” and fruit trees such as“mamey” (Pouteria sapota (Jacq.) H.E. Moore & Stearn), “nance” (Byrsonima crassifolia (L.)Kunth, “avocado” (Persea americana Mill.), “guava” (Psidium guajava L.), “oranges” (Citrus

spp.), “cardamom” (Elettaria cardamomum (L.) Maton), “vanilla” ( Vanilla planifolia

Andrews), “cocoa” (Theobroma cacao L.), “balam” (Theobroma bicolor Bonpl.) and “coffee”(Coffea arabica L.).

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Figure 3 : Allspice trees in orchard in Sechochoc, Guatemala

© F. Trabanino, July 2018

29 Due to its distinctive flavor it has become popular in other parts of the world, including

India. Here it is one of the main spices grown alongside major commercial crops such as“chili peppers” (Capsicum annuum L. and Capsicum frutescens L.), “black pepper” (Piper

nigrum L.) and “long pepper” (Piper longum L.). In India demand was such that it wasimported from Malaysia and Singapore where it has been successfully grown for use asa flavoring in foods and wines (Ilyas 1976).

30 In some populations of Guatemala, allspice is grown following traditional methods

(Figure 4). In these cases, it is harvested during the rainy season in July alongside“nance" (B. crassifolia) avocado (P. americana), “breadfruit” (Artocarpus altilis (Parkinson)Fosberg), “lemon” (Citrus limon (L.) Osbeck) and “breadnut,” “ramon” ( Brosimum

alicastrum Sw.). To harvest allspice, pickers climb into the tree canopy (approx. 6 m),and while sitting on a wooden board and collect fruit clusters (including stems andleaves) in a sack. Harvesting often requires several continuous hours in tree canopies.Once on the ground the individual fruits are detached, often by children.

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Figure 4 : Traditional drying of allspice fruit in orchard after collection

© F. Trabanino, July 2018

31 Another harvesting technique is to collect fruit that has dried on the tree and fallen.

This is done on large plantations with trees planted 5 meters apart. Fallen leaves andfruit are swept up and placed in baskets, and the dried leaves discarded, leaving onlythe fruit. This is done by whole families including children and women, even withnursing babies. The fresh fruit can be sold as is or sun-dried, which brings a higherprice.

32 In the Sierra Norte mountains of the state of Puebla, Mexico, germinated wild allspice

seedlings are obtained from seeds deposited in bird excrement. Local people haveobserved that rounded fruit and seeds produce male trees while irregularly-shapedfruit containing two seeds produce females. They also mention that it requires nofertilizer and that pruning promotes production of a larger number of branches. Fruitare harvested during August and September by carefully placing crossbars in the treecanopy to collect fruit clusters. In this region seven people were reported to havecollected 22.5 kg in 70 minutes (Macía 1998).

33 Due to allspice’s economic importance a manual was prepared by the Mexican

government detailing its cultivation (Monroy-Rivera 2011). This covers the entireprocess of land and soil preparation through cultivation, pruning, pest control,production and harvest.

Current Market

34 Jamaica is currently the largest exporter of allspice, with 70%, in an international trade

that reports from 3000 to 4000 t. The other exporting countries are Mexico, Honduras,Guatemala, Brazil and Belize, while the main importers are the United States, the

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United Kingdom, Germany, the Scandinavian countries and Canada (Chauvet 2019: 489).Mexico is the largest allspice exporter in Mesoamerica and poses serious competitionfor other producing countries. In Mexico, Veracruz accounts for 56.9% of the area sownin allspice, Tabasco contributes 29.8%, Chiapas 10.7%, Puebla 2.3% and Oaxaca 0.4%(Martínez-Pérez et al. 2013). Current price for allspice as a food seasoning ranges from$155.00 to $540.00 pesos (MX) / kilo (approx. $7.7 to $27.0 USD).

35 In southern Veracruz, harvest is reported to occur from trees in the jungle, which grow

at a density of approximately two trees per hectare. Payment for harvest is agreedupon between pickers and an intermediary during the flowering stage; the pickersreceive $1.00 MX / Kg. ($ 0.052 USD). When trees are grown in backyards they areharvested by the owners. These informal conditions suffer from a lack of effectivecommunity organization that would help to achieve the expected benefits and/orconsolidate its continuous use (Hernández-Prieto & Ricker 2009).

36 In Chiapas, the work of the Jotiquetz Pepper Cooperative Society (Sociedad Cooperativa

Pimienta Jotiquetz), run by a local organization called Moki (which means Pepper inthe Zoque language), has made allspice an example of agricultural success in Mexico(Reyes-Martínez 2017). After consolidating sustained production using innovations invarious links of the production chain, including certification for organic production,this cooperative now exports allspice.

37 A notable success story is the company Asociaciones Agroindustriales Serranas S.A. de

C.V. Founded in 1994, it has implemented a series of production and marketinginnovations and currently exports agricultural products to over thirty countries onfour continents. The company primarily distributes three commercially importantcrops: cocoa, coffee and allspice. Its produces allspice in states of Veracruz, Puebla andTabasco. This company has managed to articulate production with the market and hasbeen the main allspice exporter in Mexico for the past twenty years (Córdoba-Carballo2017). In 2018, it was awarded the Latin American award from the Global Food SafetyConference for being an exemplary company in world markets.

38 In Raxruhá, Guatemala, sacks of green allspice are carried out to be sold in the farmer’s

markets of Alta Verapaz on Wednesdays. Small producers find it challenging totransport the product out of the forest and cannot directly access internationalmarkets, so they use trucks that visit rural areas to transport agricultural products tomarket. Producers in remote villages often sell allspice to intermediaries who transportit to Guatemala City and from there it is exported.

39 Both Honduras and Costa Rica also produce allspice. Production in Honduras fluctuates

depending on when trees produce fruit. However, exports have improved since 2012,when a cooperative of organized producers emerged to take advantage of a potentialmarket in the United States (Ministry of Agriculture and Livestock 2014).

DISCUSSION

40 Because of the similarity of allspice’s “spicy” flavor to that of black pepper (pimiento in

Spanish) it was known as pimienta gorda or pimiento de Tabasco, understandably leadingto some confusion. Another confusing factor during the first five hundred years ofallspice trade was its visual similarity to the Asian peppers already known in Europeduring the 15th, 16th and 17th centuries. However, beginning in the 17th Century

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allspice’s distinctive flavor characteristics opened markets, consequently encouragingits trade and cultivation. After its establishment as a standard trade good in the late18th Century it has been in demand up to the present.

41 Our results go in agreement with Macía (1998) in the sense that allspice is still

appreciated and harvested in small rural communities throughout its natural range,but has also been developed into a commercial export product. Its permanence in theserural areas is based on its local medicinal uses and sale of the fruit collected by familygroups. There are different environmental and cultural characteristics throughoutsouthern Mexico to Guatemala and the other countries where allspice grows naturally,but at the rural level there are aspects (e.g. the presence of natural vegetation) thatstand out in the history of this shared plant species. Exploitation at this level followsthe natural cycle of the allspice tree, with harvest occurring when fruit are presentwith sale soon thereafter, such as in Guatemala and Honduras. Our findings inSechochoc, Raxruhá, are according with Gillespie et al. (1993) even 25 years after thatstudy, which reinforce the arguments of usefulness and valuable commodity.

42 In contrast large-scale cultivation and marketing systems have been developed in

Mexico, allowing producers to dominate the regional export market. The mostoutstanding example is Asociaciones Agroindustriales Serranas, which diversifiedallspice production with coffee and cocoa (Córdoba-Carballo 2017). Due to constantdemand, allspice is their main income source, which allows the company to weathermarket vicissitudes in their other commodities. This and other companies haveimproved post-harvest processes to ensure that allspice is available and exportableyear-round. They have also innovated in terms of their internal organization and byestablishing mutually beneficial contracts with producers.

43 The history of the post-Contact allspice trade is like that of other native species in

Mesoamerica that were marginalized by the colonizing culture (León 1992). This waspart of the cultural domination process in which the colonized seemed unable tohighlight the advantages offered by many native species. Organization of producers inallspice’s native distribution was crucial to strengthening its image and maintaining orincreasing cultivated area. However, historical analysis shows that government policieswere also vital to positioning products from the colonies in national and internationalmarkets.

44 The transition of allspice from a marginalized crop to one that has an ongoing

international market can function as an example of sustainable management in thesense of Kates et al. (2001). Is a successful long experience that could be useful to applyfor other unknown or under-utilized native plant species that have been employed byhumans but have no current formal markets.

45 Designing any sustainability strategy for future in the sense proposed by Costanza et al.

(2007), requires biological information about myriad plant and animal species, and onspecific regional conditions, both ecological and social, in different times as a criticpath, considering different conditions to emerge different ways of management fordifferent natural resources. Applying a holistic vision of a resource, that includes itshistory vis-à-vis humans, as we presented here for allspice, contributes to itssustainable and permanent management into the wild as an important part of the localbiodiversity and to monetizing it within a fair-trade scenario.

46 Acknowledgements

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The authors thank the producers of Sechochoc, Raxruhá, Guatemala, for sharing their

experiences with allspice. Thanks are also due to Dr. Chloé Andrieu (Director, Old Raxruhá

Archaeological Project, Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, CNRS UMR 8096, Archéologie des

Amériques), for the opportunity and support to stay in Sechochoc doing archaeological field

work. Thanks to the evaluators for their valuable comments that allowed us to improve the

article. Also thanks to Dr. Thomas Calvo (El Colegio de Michoacán) as a reviewer for the abstract

in French.

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2. Original Spanish translated from the Latin by Casimiro Gómez-Ortega.

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4. AGN, Indiferente virreinal, caja 2547, exp. 40.

5. AGN, Consulado, vol. 172, exp. 22.

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116

ABSTRACTS

European expansion in the 16th Century produced a worldwide circulation of plants.

Spanish colonialism displaced native plant resources while also promoting a mixture of Old and

New World food cultures. That is the case of allspice, the fruit of the Pimenta dioica (L.) Merrill, a

native tree to tropical forest in Mesoamerica that eventually became highly valued as a spice in

global markets. For this study we trace the trade history of allspice and describe some common

current traditional practices for harvest and commercial production strategies. Initially confused

with other pepper-like spices, allspice was partially marginalized during the first two centuries

of Spanish colonization, but later support from the Spanish Crown helped it to become actively

traded beginning in the 18th Century. In Guatemala, its region of natural distribution, allspice is

still produced following traditional techniques and is commercialized in local markets, although

there are well-established large-scale producers in Mexico that export it. The present study aims

at integrating experiences over time and under various conditions, from history and present

days, to provide a better understanding of the elements that contributed to the resurgence of

allspice from being a marginalized crop to one prized worldwide. We conclude that allspice

survived the vicissitudes of colonialization partially due to government intervention, and

eventually became a valuable commodity, even in our days.

L’expansion européenne au XVIe siècle a produit une circulation mondiale des plantes. La

colonisation espagnole a déplacé les ressources végétales indigènes tout en favorisant un

mélange de cultures alimentaires de l’Ancien et du Nouveau Monde. C’est le cas du piment de

Jamaïque, fruit de l’arbre Pimenta dioica (L.) Merrill, originaire des forêts tropicales de

Mésoamérique, qui est finalement devenu très apprécié comme épice dans le marché global. Dans

cet article nous retraçons son histoire commerciale et décrivons les stratégies de production

traditionnelles et commerciales actuelles. Initialement confondu avec d’autres épices

ressemblant au poivre, le piment de Jamaïque a été partiellement marginalisé pendant les deux

premiers siècles de la colonisation espagnole. Le soutien de la Couronne espagnole l’a aidé à être

activement commercialisé à partir du XVIIIe siècle. Au Guatemala, sa région de distribution

naturelle, le piment de Jamaïque est toujours cultivé selon des techniques traditionnelles pour la

vente sur les marchés locaux, bien qu’il existe au Mexique de grands producteurs bien établis qui

l’exportent. Notre étude vise à intégrer des expériences au fil du temps et dans diverses

conditions, du passé à nos jours, pour contribuer à une meilleure compréhension des éléments

qui ont contribué à la résurgence du piment de Jamaïque, passant d’une culture marginalisée à

une autre mondialement appréciée. Nous concluons que cette épice a survécu aux vicissitudes de

la colonisation en partie grâce à l’intervention du gouvernement, et est finalement devenue une

denrée précieuse, même de nos jours.

La expansión europea del siglo XVI produjo una amplia circulación de plantas. El colonialismo

español desplazó diversos recursos vegetales nativos, a la vez que favoreció la mezcla de culturas

alimentarias entre el Viejo y el Nuevo Mundo. Ese es el caso de la pimienta de Tabasco, fruto del

árbol de la Pimenta dioica (L.) Merrill, originaria de los bosques tropicales de Mesoamérica, la cual

se convirtió en una especia muy apreciada con el paso del tiempo. En este artículo presentamos

su trayectoria histórica, a la vez que describimos las estrategias tradicionales y comerciales

actuales. Inicialmente confundida con otras especias similares a la pimienta asiática, la pimienta

de Tabasco estuvo parcialmente marginalizada durante los dos primeros siglos de colonización

española. Sin embargo, a partir del siglo XVIII, el impulso otorgado por la Corona española

incentivó su comercio. En Guatemala, su región de distribución natural, la pimienta de Tabasco

todavía se cultiva con técnicas tradicionales para la venta en mercados locales, al tiempo que en

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México existen grandes productores bien establecidos que la exportan. Nuestro estudio trata de

integrar las experiencias a través del tiempo y en sus diversas condiciones, desde una perspectiva

histórica y actual; así, logramos tener una mejor comprensión de los elementos que ayudaron a

resurgir en el Siglo de las Luces, pasando de un cultivo marginal a otro de talla mundial.

Concluimos que la pimienta de Tabasco sobrevivió pese a las vicisitudes de la colonización, en

parte gracias al impulso que le dio la administración colonial tardía, lo que a la postre la convirtió

en una especia altamente apreciada, incluso hasta nuestros días.

INDEX

Mots-clés: mondialisation, échange des plantes, piment de Jamaïque, durabilité, pratiques

traditionnelles, cultures marginalisées

Keywords: globalization, exchange of plants, tabasco pepper, sustainability, traditional

management, under-utilized crop

Palabras claves: globalización, intercambio de plantas, pimienta de tabasco, sostenibilidad,

manejo tradicional, cultivos marginales

AUTHORS

PAULINA MACHUCA

Laboratorio de Análisis y Diagnóstico del Patrimonio (History), El Colegio de Michoacán, La

Piedad, Michoacán, México

MARÍA TERESA PULIDO-SALAS

Banco de Germoplasma, Centro de Investigación Científica de Yucatán (Botany), Mérida, Yucatán,

México - [email protected]

FELIPE TRABANINO

Jardín Botánico, Universidad San Carlos de Guatemala (Botany), Guatemala.

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118

La toute-épice en Europeoccidentale, un complémentThe allspices in occidental Europa, a complement

Françoise Aubaile-Sallenave

1 Pimenta dioica (L.) Merr. et P. racemosa (Miller) J. Moore, des Myrtacées, sont deux arbres

fort odorants dans toutes leurs parties : ils fournissent la bay-oil des Anglais1. En France,on les nomme aussi « quatre-épices »2 pour leurs fruits dont la forme évoque le poivre,et l’arôme rappellerait à la fois le clou de girofle, la muscade et la cannelle. C’est sansdoute, comme le rapportent Fluckiger et Hanbury (1878, I : 509), une de ces graines queGarrett, droguiste à Londres, donna en 1601 au botaniste Clusius3 qui la décrit et ladessine dans son Liber exoticorum. C’est la première référence certaine de cette épicedont la précision du dessin des feuilles à l’apex arrondi, montre que c’est le fruit de P.

racemosa.

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119

Figure 1 : Carolus Clusius (1526-1609), présente Pimenta racemosa, à feuilles arrondies

Extr. de : Appendix cultori plantarum exoticarum necessaria, 1630

2 Aujourd’hui, le « bois d'Inde » commercial désigne dans la plupart des cas Pimenta dioica

(Bourgeois 1995 : 147). C’est aussi chez les Anglais les all-spice tree, jamaïca-pepper tree, bay-berry tree.

3 Ce fruit a été nommé « poivre » de la Jamaïque, parce que cette petite graine noire a

une odeur piquante.

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120

Figure 2 : Pimenta dioica (Myristicaceae), cultivé (agriculture biologique)

Origine : Coopérative Tosepan Titataniske, Cuetzalan, Puebla, Mexique 22/09/2017 Collecteurs SergeBahuchet et Pauline Rameau - n° ETB-MX-SBPR-2017-85

Cliché S. Bahuchet

4 On cueille les fruits encore verts mais arrivés à leur plus grand développement, ils ont

alors la taille d’un petit pois. Ces fruits distillés donnent une essence dont l’eugénolconstitue le principal élément (Baillon 1884). En 1655, les Anglais s’emparent de laJamaïque et exploitent les nombreux Pimenta dioica qui s’y trouvaient, devenant ainsiles principaux, sinon les seuls importateurs de la graine en Europe. La consommationdu Piment de la Jamaïque a été énorme. Pendant l’année 1804-1805, la quantitéexpédiée des Indes occidentales anglaises a été de 2 257 000 livres : l’épice du commerceavec l’Europe est alors entièrement fournie par la Jamaïque. Les plantations y sontdésignées sous le nom de Pimenta walk, allée de Pimenta, ce sont des terrainsnaturellement boisés couverts de ces arbres qui n’exigent presque aucune attention(Fluckiger et Hanbury 1878 : I, 509).

5 Les propriétés aromatiques de cette graine sont utilisées à la fois en cuisine, dans

certaines liqueurs et en cosmétique.

6 L’Angleterre fut donc longtemps le plus important fournisseur de cette graine à

l’Europe. Cette épice, à la saveur brulante et bien corsée, entre dans la cuisine desviandes et des charcuteries, chez les Anglo-Saxons, les Allemands et les Nordiques.Dans ces pays, on l’apprécie également dans les glaces à la vanille, les plum-cakes etautres pâtisseries.

7 Aux États-Unis c’est surtout en cosmétique qu’elle est utilisée ; en effet, les premiers

ouvrages de cuisine l’utilisent très peu ; The First american Cookbook d’Amelia Simmons(1796) (le premier ouvrage qui ne se base pas sur des ouvrages anglais, à la différencede tous les autres de ce temps), utilise « pepper, black pepper » dans toutes les recettes,« nutmeg, mace, cloves » très souvent, quelquefois « cayenne », mais seulement deuxfois « allspice » dans les recettes ci-dessous :

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- page 28 : Pumpkin : one quart of milk, 1 pint pumpkin, 4 eggs, molasses, allspiceand ginger in a crust, bake 1 hour. - page 36 : A cheap seed cake : Rub one pound sugar, half an ounce allspice into fourquarters flour, into which pour one pound butter, melted in one pint milk, nineeggs, one gill emptins (carroway seed and currants, or raisins if you please) makeinto two loaves, bake one and half hour.

8 Dans le second ouvrage, un peu plus tardif, de Mary Randolf, The Virgina Housewife,

1824, allspice est cité dans deux recettes, l’une de viande de chasse, l’autre d’uneconserve :

- page 31 : To make hunter's beef, longue recette dont je ne cite que les épices ; « 3ounces saltpetre, one ounce of cloves, half an ounce of alspice (sic), a large nutmegand a quart of salt » (broyer très fin pour en frotter la viande).- page 163 : Tomato soy. C'est une sorte de sauce tomate qui sera conservée enbouteille ; les tomates macèrent 3 jours, puis sont bouillies un jour au terme duquelon les passe et on y ajoute « one ounce cloves, quarter of a pound of allspice,quarter of a pound of whole black pepper, and a small wine glass of Cayenne ».Enfin, on les fait bouillir lentement pendant un jour entier, on les laisse refroidirune nuit puis on les met en bouteilles bien bouchées.

9 En France, au XVIIIe siècle cette épice est donc fournie par les Anglais. Valmont de

Bomare, dans son Dictionnaire d'Histoire Naturelle, signale qu’on la nomme « piment desanglais » (1768, t. 4 : 616) et il donne un long article à « poivre de la Jamaïque ou pimentdes anglais » (1768, t. 5 : 127-8), « une baie que l’on apporte depuis près de deux sièclesde l’île de la Jamaïque et dont les Anglais font un très grand usage dans leurs saucessous les noms de Toutes épices, Poivre de Thèves, Amomi, Piment à couronnes, Coquesd’Inde aromatiques, Tête de clou … Cet arbre est une espèce de myrte à feuilles deLaurier ». Le texte qu’il donne est traduit de l’anglais, car cette épice transite parl’Angleterre, probablement jusqu’au moins au début du XIXe siècle.

10 En France, c’est au XIXe siècle, que la toute-épice entre dans l'aromatisation de liqueurs

complexes comme la Chartreuse4 et la Bénédictine 5, pour les plus anciennes, toutesdeux ayant à l’origine un rôle médical par les simples qu’elles contiennent.

11 Pimenta racemosa peut devenir, par contre, un grand arbre de 10 à 15 m de haut ; il croît

dans les Antilles et sur la côte du Vénézuela, mais il est d’abord surtout exploité àSaint-Domingue, puis dans toutes les Caraïbes (Bourgeois 1995). On en distille lesfeuilles pour obtenir une huile dont les principaux constituants sont l’eugénol et lavanilline6. Le rendement est de 2 à 2,5 % des feuilles sèches ; à Saint-Domingue, laproduction de P. racemosa avoisine 55 tonnes annuelles. Les États-Unis et l’Europe lesutilisent principalement dans divers produits cosmétiques, lotions après rasage, eau deCologne, eaux de toilette, que les Anglo-saxons appellent bay-rum. Cet arbre est le bay-

rum tree des Anglais. Il est aujourd’hui planté dans toutes les régions tropicales (Baillon1884, Boullard 1995, Le Florentin 1927, Schwob 1986).

12 Il est intéressant de noter que ces deux Pimenta sont aujourd’hui essentiellement

exploités pour leurs graines et feuilles aromatiques, bien qu’ils aient été d’abordremarqués pour l’odeur parfumée de l’arbre en entier, tronc, écorce, feuilles et puisfruits renfermant les graines. Mais il y a une erreur poursuivie au moins jusqu’en1694-95 avec les ouvrages de Pomet, épicier français qui n’a jamais vu l’arbre sur pied.

13 En effet, les épiciers dont Pomet considéraient alors que l’arbre donnait trois produits :

- le bois de teinture, - les feuilles, - les fruits et les graines parfumés ; on l’a donc aussiappelé Bois de la Jamaïque et Bois d’Inde.

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14 Cet arbre a d’abord été nommé Bois de Campêche, qui s’est révélé être un bois de

teinture violet, pourpre, noir, etc., très apprécié aux XVIIe et XVIIIe siècle pour ces

propriétés. C’est en fait Haematoxylon campechianum L., une Fabacée, originaire de labaie de Campêche, du Honduras, et autres régions d’Amérique centrale. Ainsi, en mêmetemps, les graines de ces Pimenta, arbres qui vivaient dans les mêmes zonesqu’Haematoxylon campechianum L., ont été également appréciées, surtout par les Anglais,comme épice d’une odeur très proche de celle du girofle.

15 Le texte de Pomet (1695 : 121-122) éclaire le nom de Quatre épices que l’on a ensuite

donné aux graines en France.

« Ce fruit est connu depuis très peu de temps, nous n’en faisons aucun commerce,mais depuis un an environ, que nos armateurs de St Malo [corsaires, devrait-ildire !] en ont pris une assez bonne quantité sur les Anglois, nous avons peud’épiciers qui ne connaissent ce fruit sous le nom de Graine de Gerofle, à cause queson goût retire assez à celuy du gerofle, et duquel on commence à se servir pourmettre dans les quatre Epices, et il est vray que ce fruit battu et mis dans quelquessauces, a le même goût que si l’on avait mis du gerofle, de la muscade et de lacanelle et avec toutes ces qualités, peu de gens s’en accommodent, soit parce que cefruit n’est pas encore bien connu, ou que son goût ne plaise pas, ce qui est biencontraire des Anglois qui en usent de très grandes quantités, aussi bien que lesSauvages, qui s’en servent dans leur chocolat … les Anglois appellent ce fruit Poivrede la Jamaïque et les Hollandois Amomi et nous, fruit du Bois d’Inde et le vulgaire.quoique mal à propos, Graine de Gerofle ».

16 Plus loin au chapitre III des épices fines, Pomet explique ce que sont ces quatre Epices,

« pour obvier aux abus qui se glissent dans la composition de ce mélange » :

« Il y a icy à remarquer que la plupart de ceux qui font les quatre Epices emploientau lieu de poivre, de la pousse de poivre ; au lieu de girofle, du poivre de laJamaïque, ou du capelet (?) ; au lieu de muscade, du costus blanc ou bien d’unecertaine écorce dont je n’ai pu savoir ce que c’est sinon qu’elle vient des îles… Jecrois que c’est l’écorce de quelques espèces de Sassafras. …» (Pomet 1695 : 195).

17 On emploie évidemment ce qui est le plus économique, ce qu’était, à ce moment-là, ce

poivre de la Jamaïque, Pimenta dioica dont les Anglais, à cette époque, approvisionnaientlargement l’Europe et dont Pomet donne l’image intitulée Bois d’Inde, avec ses feuillesà l’apex pointu.

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Figure 3 : Pierre Pomet (1658-1699), présente Pimenta dioica, de la Jamaïque, arbre à feuillespointues

Extr. de : Histoire générale des Drogues 1694 : 120

18 À la suite de cette mise en garde, Pomet fait un sous chapitre intitulé Le poivre de

Thévet7, nom que l’on retrouve de temps en temps dans les textes de l’époque. Il décritle :

« petit fruit rond, de la grosseur du Poivre blanc, d’une couleur rougeâtre, à un desbouts il y a comme une petite couronne… Il est rare et très peu connu ; il est d’ungout aromatique et fort agréable… Les Hollandois ont aussi donné le nom d’Amomiau Poivre cy-dessus, tant à cause de la ressemblance qu’il a avec le Poivre de laJamaïque, que parce qu’il a presque son même gout. Et à cause qu’il est comme rondet qu’il a le gout du girofle, … et l’on s’en sert aux mêmes usages, c’est à dire commedu girofle ordinaire. » (Pomet 1695 : 195).

19 Ce qui nous permet de dire que c’est une Myrtacée et probablement une autre espèce

de Pimenta ou une variété de Pimenta dioica.

20 Planchon et Collins (1895), deux siècles plus tard, distinguent nettement le Piment de la

Jamaïque, Pimenta dioica, dont la graine a les quatre lobes séchés du calice à son sommetqui forment une couronne de Amomis acris Berg. et A. pimenta Berg. qui donnentégalement le Piment couronné, dit encore Poivre de Thévet, dont les fruits, moinsaromatiques et un peu plus gros que le Piment de la Jamaïque, sont couronnés par lescinq dents du calice (Planchon & Collins 1895, II : 335).

21 Et pourtant, les erreurs d’identification de ces graines des Pimenta se retrouvent

tardivement encore autant dans le Dictionnaire du Grand Larousse de Pierre Larousse,1865-1876 : « La toute-épice. Nom vulgaire de la nigelle cultivée et du myrte-piment »définition reprise exactement en 1900 par le Nouveau Larousse illustré, 7 volumes, sous ladirection de Claude Augé.

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22 Il est assez difficile d’expliquer pourquoi on a appelé cette graine « fruit de la nigelle »

(Nigella sativa L. des Renonculacées), qui n’a pas du tout l’arôme ni l’acuité des Pimenta :Pourquoi ? on peut inférer qu’en France, on utilise bien peu ces graines de Pimenta encuisine et donc les Français ne les connaissent pas, bien qu’elles entrent, sans qu’ons’en rendent compte, dans les liqueurs très complexes que sont la Chartreuse et laBénédictine ainsi que dans les eaux de toilette également très complexes, comme nousl’avons vu plus haut. Par contre, en second lieu, ces deux encyclopédies l’expliquentaussi par le myrte-piment ou Myrtus pimenta, qui est la juste identification de Linné en1753, signature d’identification remise en question par le jeu du premier descripteur,pour Pimenta dioica, c’est E.D. Merrill (1876-1956), et pour P. racemosa, c’est J.W. Moore(1901-).

23 Bien qu’elles pénètrent peu dans les cuisines françaises, mais aussi espagnoles et

italiennes, ces graines à l’arôme si riche en variété ont été très tôt diffusées dans toutesles régions chaudes du monde, autant dans les jardins des particuliers que dans lesexploitations économiques, et entrent dans les cuisines tropicales, curries indiens oucolombos antillais. Dans les Caraïbes, elles ont aussi un rôle médicinal (Bourgeois 1995).

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NOTES

1. Je reprends la notice intitulée « Toute-épice » dans Aubaile 2002 : 142.

2. Quatre épice, Toutes épices, allspices des Anglais, sont les noms donnés très tôt à cette épice qui

pourtant exhale un parfum très marqué de girofle (Syzygium aromaticum, une Myrtacée, de même

famille que Pimenta) avec des notes beaucoup moins sensibles de cannelle (Cinnamomum, une

Lauracée) et de poivre, une Pipéracée, par son arôme assez agressif.

3. Clusius, nom latin de Charles de Lécluse, né à Arras en 1526, est étudiant à Montpellier. Après

plusieurs fonctions en Europe, il est nommé professeur de botanique à Leyden en 1589 et le reste

jusqu'à sa mort en 1609 ; il y crée le jardin botanique dont une partie subsiste encore de nos

jours.

4. La Chartreuse est la plus ancienne de ces deux liqueurs. Elle est aujourd’hui fabriquée à la

distillerie d'Aiguenoire à Entre-deux-Guiers en Isère, en plein cœur du massif de la Chartreuse,

sous la supervision des moines de la Grande-Chartreuse. Liqueur à très haut degré d'alcool (55°

pour la verte), sa vente est la principale ressource financière des Chartreux. La recette complète

de cet élixir reste secrète. (Marseille 2002 : 278).

5. La Bénédictine est une boisson alcoolisée digestive, fabriquée à Fécamp en Normandie. La

société de production appartient aujourd’hui au groupe Bacardi-Martini France. Son histoire

n’est pas très ancienne et pourrait être liée à la dispersion de l'ordre des Bénédictins de Fécamp

lors de la Révolution française, et d’un manuscrit retrouvé en 1863 où serait notée une recette de

cette liqueur, mise au point par Alexandre le Grand qui crée un nouvel « élixir de santé » qu’il

baptise Bénédictine. (Lantaz 1991 : 18).

6. Bourgeois, dans son étude récente, 1995, détaille les propriétés aromatiques variées des

feuilles, des fruits et des petits bois.

7. Le Dictionnaire domestique portatif le cite simplement comme poivre de la Jamaïque ou poivre de

Thevet (sic). Ce court article descriptif se termine par « il est un des meilleurs aromates ».

(Société des gens de lettres 2 : 402).

RÉSUMÉS

Ce court article est un complément du précédent (Machuca et al. ce numéro), faisant l’historique

de l’arrivée des graines de Pimenta en Europe, du rôle primordial des Anglais, de sa

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méconnaissance en cuisine française et américaine mais de ses usages dans certaines liqueurs et

en cosmétique.

This short paper complements information about historical introduction of the seeds of Pimenta

in Europa, the important paper of the English, the nearly ignorance of the seeds in French and

American cooking, but their uses in some liqueurs and in cosmetic.

INDEX

Mots-clés : Pimenta, histoire, cuisine, liqueur, cosmétique

Keywords : Pimenta, history, cooking, liqueur, cosmetic

AUTEUR

FRANÇOISE AUBAILE-SALLENAVE

UMR 7206, Musée de l’homme

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Anthropologie de l'alimentation

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Du bon usage de la vodkaHow to Make Good Use of Vodka

О правильном использовании водки

Philippe Mennecier

Boire sa vodka tout seul,Ce serait merveilleux !

Mais c’est toujours à deux qu’on fume,Mais c’est toujours à trois qu’on lampe.

Et pour toi seul que reste-t-il ?Le berceau et le tombeau1.

Vladimir Vyssotski

1 En Europe, il y a une culture du vin et une culture de la vodka, qui se distinguent pour

des raisons climatiques évidentes. Mais, si la viticulture s’accompagne d’unedifférenciation des terroirs et des goûts, la production de vodka n’est guèredifférenciée, même s’il existe un grand nombre de marques.

L’origine de la vodka

2 Le mot « vodka » est un diminutif, propre au parler slave de Russie, formé sur le mot

voda, « eau », et signifie donc littéralement « petite eau ». Le terme apparaît au MoyenÂge comme une façon de désigner l’eau. Il prend peu à peu le sens d’eau-de-vie à partirdu XIVe siècle et, jusqu’au XIXe, il n’a cette signification que dans les régions céréalières

des gouvernements de Moscou, Koursk, Orlov, Tambov, et dans la région de Kharkov aunord-est de l’Ukraine (Pohlëbkin 2009).

3 En Russie, la vodka devient la boisson nationale au XVIIIe siècle, par un privilège accordé

à la noblesse en 1716. Toutefois, il ne s’agit pas encore de la vodka que l’on connaîtaujourd’hui. Le dictionnaire de Vladimir Dahl, le « Littré russe », paru en 1863-1866,définit encore le mot vodka comme un distillat de vin, de grain ou de fruit (Dahl1863-1866).

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4 En réalité, le vin n’a jamais été un breuvage propre à la Russie. Il était importé de

Byzance et d’Asie centrale. Dans l’empire russe, on en produisait dans les régions plusclémentes du Caucase, de Crimée et de Bessarabie. Des vins du Rhin et de Bourgognefurent également importés dès le Xe siècle dans la Russie de Novgorod.

5 La vodka actuelle, à base d’alcool rectifié de froment ou de pomme de terre, ne date que

des années 80-90 du XIXe lorsque le ministre des finances, le comte Sergueï Witte,

instaura le monopole d’État sous couvert de lutte contre l’alcoolisme et de préservationde la santé des sujets de l’empire (Rodionov 2011). C’est en 1895 qu’apparaît la vodkaactuelle à 40 degrés, à base de 40 % d’alcool rectifié à 96 degrés minimum pour 60 %d’eau. La sagesse populaire prétend que ce volume de 40 % était la proportion idéalepréconisée par Dmitri Mendeleïev, qui n’y était cependant pour rien, mais qui s’étaitintéressé aux « Composés d’alcool et d’eau ».

6 Au début de la Première Guerre mondiale, le gouvernement tsariste met en place la

prohibition, qui sera maintenue après la révolution d’Octobre, durant la guerre civile,jusqu’en 1925. Apparaît alors une vodka plus douce, à 30 degrés, surnomméefacétieusement « rykovka », du nom du président du Conseil des commissaires dupeuple, Alekseï Rykov.

7 En 1941, sous Staline, la vodka à 40 degrés est rétablie dans les normes nationales

standard, qui codifient également des vodkas à 50 et 56 degrés. Ces nouvelles normesvoient le jour après le décret du 26 juin 1940 sur « le passage à la journée de huitheures, à la semaine de sept jours et l’interdiction pour les ouvriers et les employés dequitter sans autorisation les entreprises et les établissements ». Autrement dit, il s’agitde noyer dans la vodka toute forme de résistance à l’esclavage institutionnalisé sousprétexte de l’effort de guerre.

8 Avec la mise en place de la « restructuration », dite perestroïka, en 1985, Gorbatchev

cherche à combattre l’alcoolisme et démantèle de nombreuses usines. Puis, en 1992,Eltsine, plus intempérant et donc plus tolérant, supprime le monopole d’État. Lapénurie entraîne la production clandestine d’alcool frelaté qui fait des ravages dans lapopulation. En 1993, le monopole doit donc être rétabli.

La culture de la vodka

9 Comme le dit un écrivain russe, « la vodka est assurément le premier des breuvages. […]

Car elle est absolument rationnelle. La vodka est faite pour résoudre un seul et uniqueproblème : comment s’enivrer (à quel point, c’est votre problème). Tous les autresbreuvages inventés par l’humanité se cachent honteusement derrière une feuille devigne de qualités gustatives. Ne nous leurrons pas, la vodka n’a pas de goût. Une bonnevodka, c’est la moins mauvaise. Ce sont les zakouskis qui lui donnent son goût »(Makarevič 2005).

10 Et c’est bien ce qui fait la différence fondamentale entre la culture de la vodka et la

culture du vin, de la bière ou des spiritueux : ici, on boit pour le goût et la dégustationpartagée, là, on boit exclusivement pour le résultat et l’ivresse socialisée.

11 D’ailleurs, le vocabulaire lié à la consommation de vodka, qui est incommensurable, ne

porte nullement, comme chez nous, sur la variété des arômes et des saveurs, ou sur lesterroirs, mais sur les processus et les résultats. Il existe au moins une centaine deverbes pour suppléer à la froide neutralité du mot « boire », parmi lesquels

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ostogrammit’sja, « se prendre cent grammes », litt. « se cent-grammer », etl’intraduisible opohmelit’sja, « prendre un verre de vodka pour se dessoûler de la cuitede la veille ».

12 La littérature soviétique en rend bien compte et notamment, bien entendu, le chef-

d’œuvre de Venedikt Erofeev (1973), Moskva-Petuški, où l’odyssée alcoolisée dunarrateur revisite allègrement la phraséologie bureaucratique.

13 En règle générale, cependant, les Soviétiques ne consommaient pas de boissons

alcoolisées en dehors des fêtes civiles ou familiales. Au quotidien, on accompagnait lerepas de thé, de kéfir, de kompot ou de mors2.

14 En Russie, lors des festins, l’art de la table n’est pas fondamentalement différent du

nôtre, mais l’ivresse n’est pas, comme en Europe occidentale, un effet secondaire de ladégustation de vins et d’alcools divers au cours du repas. Le but est de procurer etmaintenir une légère ivresse par une absorption de vodka progressive et synchronisée.De là tout un rituel, qui s’est particulièrement affiné durant la période soviétique où lavodka jouait un rôle social unificateur et égalitaire : la tablée constituait une sorted’espace de socialisme réel où la liberté de parole était admise car incontrôlable.

15 Par conséquent, les convives ne sirotent pas leur verre quand bon leur semble, à la

manière des individualistes œnophiles. La consommation est égalitaire, rythmée etcontrôlée par les toasts successifs.

16 Le repas ne commence pas avant le premier toast prononcé par le maître de maison et

le premier verre – en général, un petit verre à liqueur, rjumka – vidé d’un trait 3 etimmédiatement adouci par une zakuska4. On ne déguste pas la vodka, on l’avale commeun remède. Les zakouskis, improprement traduits par amuse-gueule, sontfondamentaux dans la culture de la vodka. En effet, puisque la vodka idéale n’a aucungoût, c’est l’accompagnement qui fournit tout le plaisir gustatif. Il y a des débatsenflammés sur les meilleurs zakouskis qui n’ont rien à envier à nos débats sur lesavantages du bordeaux et du bourgogne. C’était en Union soviétique l’un des thèmes dediscussion préférés dans les taxis, tout de suite après le passage obligé sur le plus grandpoète russe : Pouchkine ou Lermontov ? Evtouchenko ou Voznessenski ? Il y a toutefoisun consensus sur les poissons fumés ou marinés (harengs, sprats, etc.), le lard gras(onctueux mais ferme), le caviar sur du pain de seigle de Borodino à la coriandre, unecuiller de borchtch, c’est-à-dire tout ce qui peut faire passer la brûlure de l’alcool. Maisà défaut, un concombre aigre-doux ou un champignon mariné feront l’affaire, au pire…une pincée de sel sur la « tabatière » de la main. Cela dit, certains puristes considèrentque le premier toast ne doit pas s’accompagner de zakuska.

La redistribution égalitaire

17 « Entre le premier et le second, l’intervalle est faible5 », est-il convenu de dire pour

proposer le second toast, qui permet à l’un des convives de remercier pour l’hospitalitéde la maison. C’est alors, « entre le second et le troisième qu’on atteint le sommet del’harmonie avec le monde, et, si l’humanité trouvait le moyen de pérenniser cet état, laquestion du bonheur éternel serait résolue. Hélas, après le second vient toujours letroisième, ce qui est très bien mais déjà moins divin, et l’on passe alors auxconversations profondes, qui s’approfondissent encore avec les toasts suivants »(Makarevič 2016).

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18 Cependant, le troisième toast ne se fait guère attendre non plus, appelé rituellement

par la formule « Dieu aime la Trinité6 », autrement dit « jamais deux sans trois ».

19 Le quatrième et le cinquième toasts peuvent encore être introduits par une formule

rituelle, plus variable et moins nécessaire : « La maison a quatre coins » ou « La télèguea quatre roues », « Dieu n’est pas bête, il aime les pièces de cinq7 » (cette dernièreformule étant un octosyllabe à rime interne : Bog ne durak – ljubit pjatak).

20 Au delà, la comptabilité se perd jusqu’au dernier verre, dit « pour le bâton8 » [de pèlerin

ou de chemineau], l’équivalent plus plébéien du « coup de l’étrier ».

21 On peut penser que si seuls les cinq premiers toasts et le dernier sont nommés, c’est

qu’ils constituent la structure même d’une griserie bien contrôlée, propre àl’intelligentsia raffinée. Au-delà de cette norme civilisée, on passe aisément de lagriserie à l’ébriété. Il est d’ailleurs troublant de voir que deux écrivains « dissidents del’intérieur », Andreï Bitov (1989) et Venedikt Erofeïev (1976)9 ont comparé,pratiquement en même temps et sans doute sans se concerter, la gradation éthyliquedes levers de coude à un voyage en train et à la succession des stations sur les voies dechemin de fer10.

22 La répartition des toasts est rythmée par le maître de maison qui doit veiller que

personne ne s’enivre exagérément, ce qui dérogerait aux règles de la bienséance. Leprincipe est que chacun parvienne à une légère ivresse partagée et contrôlée, tempéréepar l’absorption des aliments, à cet état de bien-être parfois appelé le kaïf11.

23 Le maître de cérémonie peut également être un tamada, choisi par les convives,

coutume empruntée à la Géorgie, où l’art du toast est légendaire. Celui-ci « rafraîchit12 »les verres avant chaque toast, c’est-à-dire qu’il y complète la quantité de vodka,personne n’étant vraiment tenu de faire cul sec à chaque fois. En effet, le verre doit êtreempli à ras bord, afin que « la vie soit bien remplie ».

24 Notons qu’une bouteille entamée (un litre ou un demi-litre) doit toujours être

entièrement vidée, et on ne peut qu’admirer l’art avec lequel l’amphitryon sait répartiréquitablement un fond de bouteille entre tous les convives. Le même principe vitalévoqué pour le verre interdit la présence d’une bouteille vide sur la table.

25 Cette consommation socialiste de la vodka s’est probablement institutionnalisée au

cours de la période soviétique. Les tablées improvisées étaient l’une des principalesdistractions, qui permettaient de s’abstraire de la morosité et de la défiance générales.Les convives ne répondaient pas forcément à une invitation, il arrivait fréquemmentque les amis s’invitent à l’improviste, souvent sans même téléphoner, mais sans oublierla quantité de vodka et de zakouskis nécessaires.

26 Une fois l’ivresse égalitaire atteinte, toute parole non conforme avait l’excuse de

l’ivresse partagée et pouvait être réfutée. Aussi une personne sobre n’était-elle pas labienvenue, comme témoin éventuel d’une parole dissidente, voire comme un délateurpotentiel. Quand des convives arrivaient au cours du repas, on leur faisait boireimmédiatement autant de verres « d’amende13 » qu’on en avait bu jusqu’alors afin deles hisser au niveau d’ivresse acquis. Depuis la perestroïka, cette sage coutumeredistributive semble être tombée en désuétude.

27 Comme les tablées étaient souvent improvisées au dernier moment, il fallait se

procurer de la vodka à une heure où la vente était interdite (Erofeev 1973 : 25)14. Lessoiffards pouvaient toujours se fournir dans les arrière-cours auprès de revendeurs qui

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leur glissaient les bouteilles par la fenêtre. Et les moins fortunés ne manquaient pas derevendre les bouteilles vides dans les « points de consigne » officiels15.

Le principe de solidarité

28 De même que la consommation modérée, conviviale, la consommation excessive,

stakhanoviste, s’adapte aux conditions environnementales.

29 Dehors, par moins 30 degrés, prendre cent grammes de vodka16 procure une

voluptueuse mais perfide sensation de chaleur et de bien-être sans ivresse qui permetd’affronter une longue marche dans le froid ou un travail en extérieur. « Vous imaginezune soirée d’hiver en Sibérie avec des pelmenis17 et une bouteille de chardonnay ? »(Makarevič 2005).

30 Durant la période soviétique, la paie était versée en liquide le 1er et le 15 du mois. Après

avoir rapporté l’argent à la maison, les gens ne gardaient que peu d’argent en poche.Les buveurs avaient donc coutume de se cotiser à trois pour acheter et boire sur placeune bouteille de 50 cl, qui valait environ trois roubles. Cela s’appelait « combiner àtrois18 » : pour recruter deux comparses, l’initiateur se postait debout à contre-courantdu flot des passants en glissant sa main dans sa veste et en agitant les trois doigts dumilieu. La question rituelle était : « Tu seras le second ? », puis « Tu seras letroisième19 ? ».

31 Pour se réchauffer en hiver par grand froid, on peut aussi prendre 50 grammes de spirt,

c’est-à-dire de la vodka à 98 degrés. Il est alors conseillé de boire d’abord un verred’huile ou de crème fraîche pour éviter les brûlures d’œsophage et d’expirer avant etaprès l’absorption pour préserver les poumons d’effluves délétères. L’effet de chaleurest immédiat, mais l’ivresse ne s’installe brusquement que si l’on rentre dans une piècechauffée.

32 C’est tout le danger de la consommation de la vodka en hiver : les ivrognes peuvent se

coucher dans la neige et s’endormir définitivement. Mais il y a en Russie, et pour cause,une grande compassion pour les victimes de l’alcool. À l’époque soviétique, les passantsvenaient au secours des buveurs endormis dans le froid ou appelaient la milice, qui lesemmenait au « dessoûloir20 ». Cette solidarité était quasi institutionnelle en Russiesoviétique, où la moindre trace d’alcool au volant était passible d’une lourde peine deprison : en vous rendant à une soirée, vous pouviez convenir avec le chauffeur de taxide venir vous rechercher dans quelque état que vous fussiez, de vous ramener chezvous et de vous installer dans votre lit.

33 Le mode de consommation de la vodka apparaît bien comme un reflet d’une civilisation

où la distance spatiale entre les individus, chère à Edward T. Hall (1971), estcertainement plus rapprochée qu’en Europe occidentale, où le contact physique estplus sensible, tantôt brutal, tantôt chaleureux, une civilisation de la compassion et de lasociabilité, attachante et parfois étouffante, et qui laisse peu de place à l’individualismeet au besoin de solitude.

34 Les Russes n’ont généralement pas conscience de cette spécificité de leur mode de

consommation de la vodka qui peut d’ailleurs les amener à boire cul sec les meilleursvins et alcools étrangers, car, jusqu’à une date récente, ces boissons ne faisaient pasvraiment partie de leur culture.

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35 La vodka, claire comme de l’eau de roche, sans robe, sans arômes, sans terroir, n’est pas

faite pour être dégustée. C’est la dévoyer que de la consommer avec d’autres spiritueuxou d’en faire une base de cocktail. Autre chose est d’en faire un rehaut nécessaire à laconsommation de bière, comme le souligne une autre formule consacrée : « Bière sansvodka, c’est de l’argent à tous les vents21 ».

36 À consommer avec modération, accompagnée de nombreux zakouskis et en observant

un strict rituel collectif22.

BIBLIOGRAPHIE

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Dahl V. (Владимир Даль) 1863-1866 – Толковый словарь живого русского языка [Dictionnaire

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Erofeev V. (Венедикт Ерофеев) 1973 – Москва – Петушки, изд. YMCA Press, Париж.

Erofeiev V. 1976 – Moscou-sur-Vodka, traduit par Annie Sabatier et Antoine Pingaud. Paris, Albin

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Rodionov B. (Борис Родионов) 2011 – История русской водки от полугара до наших дней[L’histoire de la vodka russe depuis le polougar jusqu’à nos jours], ЭКСМО, М.

NOTES

1. Если б водка была на одного – / Как чудесно бы было! / Но всегда покурить – на двоих, / Новсегда распивать – на троих. / Что же – на одного? / На одного – колыбель и могила.

2. Kompot : décoction froide de fruits entiers ; mors : décoction de pulpe de fruits mélangée au jus

frais.

3. En principe, on choque systématiquement les verres à la fin de chaque toast, sauf s’il est porté

à la mémoire d’un défunt.

4. Zakuska (pl. zakuski) du verbe zakusit’, litt. « accompagner qch. en mordant ( kusat’) », par

exemple, [Oblonski] zakusil vodku rybkoj, litt. « Oblonski accompagna sa vodka avec du poisson »

(Tolstoï, Anna Karénine).

5. Между первой и второй промежуток/перерывчик небольшой.

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6. Бог троицу любит. L’expression joue sur le double sens du mot troica : « Trinité » ou « triade ».

7. У дома четыре угла ; У телеги четыре колеса ; Бог не дурак – любит пятак.

8. На посошок.

9. Les ouvrages cités ont été écrits respectivement entre 1964 et 1971 et en 1969, bien avant

d'être sortis clandestinement d'Union Soviétique et édités à l'étranger.

10. « Ainsi battait le pouls du temps et haletait l’espace jalonné par les arrêts-vodka. Tantôt à

deux, tantôt à trois, tantôt à dix, puis de nouveau à cinq, ils célébraient une bouteille, toujours la

même, semblait-il. La chose la plus inexorable, la chronologie, variait très affablement après

chacune de ces doses contradictoires, et la postériorité cessait de défiler bien sagement derrière

l’antériorité, toutes deux étaient sorties des rangs et s’étaient mises à marcher d’un pas léger

comme si le temps avait décidé de passer en tête à tête avec lui-même cette aimable soirée où le

présent attendait le passé et où le futur était arrivé avant tout le monde. » (Bitov 1989 : 333).

11. Kaïf (кайф), emprunt à l’arabe, 1821 : « état de délectation, d’ivresse, euphorie ». Pojmat’,

polučit’ kajf (поймать, получить кайф), « atteindre le kaïf ».

12. Освежить : « rafraîchir ».

13. Штрафные рюмки : « verres d’amende ».

14. « Ô période bénie dans la vie de mon peuple, de l’ouverture à la fermeture des magasins ! » (О,

блаженнейшее время в жизни моего народа – время от открытия и до закрытия магазинов!).

15. Пункты приёма стеклотары.

16. Au détail, la vodka se vend au poids, par multiples de 50 grammes.

17. Pelmenis (пельмени), plat sibérien (le mot vient en réalité d’une langue finno-ougrienne de

l’Oural), sortes de raviolis, généralement farcis de viande de porc et de mouton.

18. Сообразить на троих.

19. Второй / третий будешь?

20. Вытрезвитель.

21. Пиво без водки – деньги на ветер.

22. Je remercie Serge Bahuchet qui m'a suggéré d'écrire cet article lors d’une discussion autour

d’une bouteille de vodka. Je remercie également Boris Chichlo, Oleg Fedorenko, Irina

Moltchanova et Bielka Nemirovski pour leur relecture attentive et leurs suggestions judicieuses.

RÉSUMÉS

La culture de la vodka est très différente de celle du vin. La vodka ne se différenciant pas par des

terroirs et n'ayant aucune saveur particulière, on ne la boit pas pour son goût, mais pour ses

effets. Un rituel presque immuable permet de partager et de maintenir une agréable griserie

collective. La succession codifiée des toasts, appelés par des formules consacrées, renforce la

cohésion des convives.

Vodka culture is very different from that of wine. Vodka does not differ according to the regions,

and it has not any particular flavour: they don’t drink it for the pleasure of its taste, but for its

effects. An almost immutable ritual offers partaking and maintaining a pleasant collective

inebriation. The codified succession of the toasts, called by accepted formulas, strengthen guest’

cohesion.

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Культура пития водки резко отличается от культуры пития вина. Так как водка однаи та же во всех уголках страны и не имеет особого вкуса, ее и потребляют не радивкуса, а ради эффекта. В России существует почти неизменный ритуал для разделенияудовольствия коллективного потребления этого напитка и поддержания приятногоопьянения. Четко определенное чередование тостов, сопровождаемыхсоответствующими случаю поговорками, укрепляет сплоченность сотрапезников.

INDEX

motsclesru Россия, водка, закуски, тосты, ритуал, лексика, поговоркиKeywords : Russia, vodka, zakuski, toasts, ritual, lexicon, sayings

Mots-clés : Russie, vodka, zakouskis, toasts, rituel, lexique, dictons

AUTEUR

PHILIPPE MENNECIER

Attaché honoraire Muséum national d'Histoire naturelle, UMR 7206 Eco-anthropologie

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Partage, fête et alliance dans lessociétés arabo-musulmanesSharing, a feast and an alliance among the muslim arabic societies

Françoise Aubaile-Sallenave

1 Le partage du repas dans les sociétés méditerranéennes, est un des moteurs de la vie

sociale. Il s’applique le plus fréquemment lorsque l’on se réunit autour d’une table.Manger, c’est partager avec un autre1. D’ailleurs un musulman ne mange jamais seul, ilest au moins sous le regard d’Allah.

2 J’évoquerai quelques aspects où s’illustre ce partage dans les sociétés du Maghreb. Mais

le partage prend aussi pour l’ensemble des sociétés arabo-musulmanes unesignification bien particulière qui est celle de l’alliance, créée explicitement lorsqu’onpartage un repas avec quelqu’un. Cette situation que nous allons exposer éclairecombien le fait de partager la nourriture, dans ces sociétés encore claniques, prend unevaleur aussi forte que celle du sang et va donc bien au delà du simple partage.

3 C’est aussi lors de certaines fêtes que le partage de certains plats prend sens. La

naissance d’un enfant s’annonce par un plat approprié à la naissance que l’on envoiedans les maisonnées du village et des alentours, assiettes qui reviennent avec uncadeau. De même, il est de bon augure, dans toutes les populations de Méditerranée,quelles que soient les confessions, pour l’avenir de l’enfant et la santé de la mère,d’offrir à tous les visiteurs et visiteuses le plat spécifique de la naissance. En outre, lesvisites de félicitations qui sont prétextes à échange et partage de nourriture permettenten retour de partager la fécondité de l'accouchée, de partager sa chance et toutesautres valeurs positives. C’est en partie pourquoi la présence de femmes, voisines,parentes et amies, est constante dans la maison de l’accouchée pendant les septpremiers jours.

4 Enfin l'hospitalité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord se réalise autour de la table

ou des mets. Dans certains cas, elle peut aller bien au-delà de l'accueil temporaire etsignifier une protection d'une durée prolongée et même une alliance véritable. C’est le

partage du pain et du sel mâlaḥa qui peut créer une alliance aussi indéfectible que celledu sang. Les cultures hébraïque et musulmane possèdent en commun ces notions

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d'hospitalité, de protection et d'alliance, mais dans des registres différents, notammentà propos de l’alliance2.

L’achat collectif et le partage de la viande dans lessociétés du Maghreb

Une tradition qui s’insère dans les structures de ces sociétés et dont

la littérature « coloniale » donne de nombreuses descriptions

5 Dans ces sociétés dont la structure de base est le village comprenant parfois une seule

famille, la cherté et donc la rareté de la viande amenait certains agriculteurs à segrouper pour l’achat d’une bête et le partage de la viande à certaines époques del’année. En effet, s’il était difficile à une famille seule de tuer un animal de sontroupeau, cela devenait plus aisé lorsque plusieurs se regroupaient. C’est ce qui sepassait traditionnellement et recommence à se produire depuis une dizaine d’années,comme nous le verrons, dans les sociétés kabyles et berbères du Maghreb où certainscaractères essentiels à la pérennité des structures villageoises, tels le sens de l’honneur(harma), l’assistance (anaya), le bien public (mechmel), enfin l’achat et le partage de laviande qui donne lieu à une fête (thimechret) sont des valeurs d’unité et de cohésionsociale. Cet achat collectif et partage se dit thimecherêt chez les Kabyles et chez les Beni

Snous de l’Ouest algérien, et luzi‘at, terme arabe qui s’utilise dans plusieurs sociétés du

Maroc ; ce dernier terme est aussi connu chez les Kabyles aujourd’hui.

6 Voyons ce qu’en disaient Hanoteau et Letourneux dans leur ouvrage fondamental La

Kabylie et les coutumes kabyles, paru d’abord en 1868 puis, dans une édition revue, en1893. Pour ces auteurs, thimecheret s’explique fondamentalement par le sentiment trèsmarqué de solidarité, basé sur les associations, et qui se manifeste chez ces populationspauvres et assez mal nourries. C’était souvent les revenus du village qui étaient enpartie affectés à l’achat d’une bête et à son partage. Ce qui indignait les Français quiadministraient de loin ces villages et ignoraient « les tristes repas quotidiens d’unefamille kabyle ». Cette pratique avait certes ses bons comme ses mauvais côtés. Lesrevenus du village étaient en partie basés sur les amendes infligées pour les infractionsplus ou moins graves, ce qui pouvait influencer les juges, mais les sources étaient aussiles locations des moulins à farine, bassins d’épuration de l’huile et les dons faits par lesparticuliers. Tous pouvaient en profiter, même les absents, même les bébés. Tousétaient comptabilisés. Le partage était égal, tiré au sort. S’il y avait trop peu de viande,on regroupait les individus qui ensuite s’arrangeaient entre eux. (Hanoteau &Letourneux 2003, II : 41-42).

7 C’était souvent à l’occasion d’une fête que se faisait l’achat collectif d’une bête et son

partage.

8 Chez les Beni Snous de l’Ouest algérien (Destaing 1905 : 59), à 35 km à l’ouest de

Tlemcen, on faisait thimecheret au second jour de la fête d’Ennayer, c’est-à-dire au 1er del’an, et tous mangeaient de la viande ce jour-là3.

9 À Aït Hichem (50 km au sud, sud-est de Tizi Ouzou) en 1937-1939, timcretṭ était l’achat

et le partage collectif de la viande, à l'occasion des sacrifices rituels du second jour de lafête de rupture du jeûne, à la fin du Ramadan. Des bœufs étaient sacrifiés et les parts deviande – un lot par famille – disposées sur des rangées de feuilles d'ifilku (fougère) où

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chaque chef de famille trouvait la sienne (Laoust-Chantréaux 1990 : 124-125).Également, après un enterrement, les familles les plus riches faisaient le sacrifice del’aumône timcrett es-sadaqqa, plusieurs moutons ou un bœuf dont les viandes étaientdistribuées entre toutes les familles du village, et tous devaient manger la viande reçue.(Laoust-Chantréaux 1990 : 247)

10 La pratique se retrouve chez les Berbères du Maroc. Dans le Moyen Atlas, chez les

Zaïan et les Aït Sgougou en 1925, uzza4 était « acheter à plusieurs de la viande qu’on separtageait ensuite » et le nom tuzi‘at et luzi‘at désignait « l’achat de viande en communet partage de cette viande » (Loubignac 1925, 2 : 582).

11 Laoust en 1920 décrit ce partage chez les Ntifa de Demnate, petite ville au nord-est de

Marrakech.

« On se cotise pour acheter un taureau ou une vache non pleine après s'être choisiun damen qui sera le responsable et l'interlocuteur du vendeur. Quand on est bienrenseigné sur le nombre de participants, on égorge l'animal, on le dépouille, on levide et on le partage en comptant par têtes dans le foyer. Le boucher découpel'animal en laissant bien autour de chaque os sa garniture de viande ; il partageaussi les tripes dans un autre endroit un peu plus loin. Sur une natte, il étale lesparts soigneusement établies, puis s'écrie : « voilà, c'est fait ! Préparez vosbuchettes pour le tirage au sort ! » … Chacun prépare alors sa marque qu'il remet àl'un d'entre eux ; celui-ci se met à l'écart et ferme les yeux. Chacun envoie alorschercher à la maison le plat dans lequel il mettra la viande, puis, celui qui s'estéloigné revient, et le répartiteur lui donne toutes les marques (ilan, buchette oupierre qui porte le signe distinctif de chacun et qui est le « sort ») ; il les prend, lesmélange et annonce « que le sort vous soit propice ! », puis il en tire une au hasard,la dépose sur une première part et ainsi de suite » (Laoust 1983 : 93 et 102-4).

12 Dans le Rif, en 1917, le tirage au sort des parts se fait de même à l’aide de bouts de bois

ou de paille que chaque acheteur remet à une personne non intéressée dans ce partage,un enfant souvent ; celui-ci dépose ces bouts de bois au hasard sur les parts de la viandequi vient d’être découpée. Chacun recherche alors son morceau de bois et la part surlaquelle il se trouve lui est attribuée. Le nom de thasr’arth (tasgharth), littéralement

« petit morceau de bois », est donné au morceau de bois lui-même, à la part de viandeet par extension à l’opération de partage (Biarnay 1917 : 255-56).

13 Chez les Marazig du Nefzawa du Sud tunisien (les Nefzawa sont une grande tribu

berbère d’origine zénète), [en 1935-38] krâma est le « repas collectif où l'on mange de laviande », de karram « égorger un ovin ou une chèvre (non achetée au marché) et enmanger la viande ». Boris (1951 58, 261) ajoute :

« Manger de la viande arrivait une ou deux fois par mois ; c'est encore rare ; lesjeunes gens sont encore exclus de cette faveur. Il y aurait honte [pour eux àl'accepter]. S'il leur en est offert, ils doivent la mettre de côté pour l'apporter àleurs parents. Cela pouvait se passer lors des voyages de tribus qui se regroupaientpour partir en transhumance ; on sacrifiait collectivement alors une bête, la nuit, envue d'un repas collectif ».

14 À Ouargla, « on dénombre les participants et on discute de la somme à engager pour

l’achat d’une bête qui sera partagée (azuni) et dont les lots seront tirés au sort(Delheure 1988 : 177)5.

15 C'est encore la collectivité qui prend en charge la perte d'une bête. Chez les Aït Sadden

de Fès, « les proches ou les voisins se réunissent pour fixer au propriétaire un prix, si laviande est bonne et si la bête n'est pas morte de maladie. Telle est la coutume pouraider leur parent dans sa perte » (Basset 1963 : 31).

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16 Cette pratique certes s’explique économiquement : les cheptels sont réduits et la viande

est donc rare et chère pour ces populations qui sont presque végétariennes parobligation ; mais on peut ajouter, dans les cas où le cheptel est plus important et où l’onpourrait penser à une consommation plus fréquente, que ce cheptel représente un

capital qui n’est utilisé que dans le cas d’une alliance, d’une compensation, de la dot,etc.

17 Selon Jean Servier, qui a résidé en Kabylie jusqu’en 1961, thimechret6 est le sacrifice

agricole d’automne qui précède les labours. Les victimes sont « des bœufs noirs ou gris,ces deux couleurs étant confondues en kabyle par l’euphémisme ‘azigzau’ – vert ou bleu,couleur du ciel et des céréales, couleur de la végétation et de la prospérité – la pluiefécondante ». La caisse de la djema‘a (Conseil du village) avance une somme pour l’achatau suq, marché, d’une paire de bœufs, somme que chacun s’efforcera de rembourser àson temps. En attendant le sacrifice, les bœufs sont nourris à tour de rôle par chaquefamille. « Leur nourriture comprend souvent une part du repas familial les alliant ainsià tout le village par un contrat de commensalité ». Ainsi ce sacrifice est l’expression del’alliance d’une communauté (Servier 1962 : 125-128).

18 Pierre Bourdieu, reprend plus tard cette idée avec un exemple presque semblable :

thimechret est le sacrifice agricole, celui de l’ouverture des labours qui marque untournant décisif dans l’année agricole et qui, selon ses informateurs, est le début del’année. C’est le cas des Beni Snous décrit par Destaing et cité plus haut. Un bœuf estacheté en commun et sa viande est partagée entre tous les membres de la communauté(adhrun, village) (Bourdieu 1976 : 47). Ce sacrifice, supporté par la communauté duvillage, est l’un des rituels destinés à favoriser la pluie, d’autant que le bœuf est choisipour son pelage couleur de nuages de pluie – azegzaw. (Bourdieu 1976 : 64). thimechret

est donc le « sacrifice de la porte de l’année avec l’égorgement d’un bœuf dont le sangarrose la terre, appelant la pluie, et dont la viande consacrée est partagée entre tous lesmembres de la communauté » (Bourdieu 1976 : 68). Cette viande est mangée bouillie etnon rôtie de peur que les bœufs viennent à se blesser au cou (Bourdieu 1976 : 77).

Renouveau de la pratique

19 Aujourd’hui après la guerre civile des années 1990-95, on constate un renouveau de

timechrett chez les Kabyles. C’est environ depuis les années 2005 que cette coutumereprend vie peu à peu. Les médias soulignent qu’elle n’a aucune couleur politique,quelle est un moyen de ressouder la population, de remettre en vigueur tiwizi « lasolidarité collective », une des plus anciennes traditions de Kabylie, mais aussi depermettre de manger de la viande plus fréquemment à des villageois qui n’en mangentguère plus d’une à deux fois par mois. C’est cet ensemble de raisons qui commandeavant tout le regroupement de personnes qui s’étaient exilées vers les villes et surtoutvers l’étranger et qui favorise les retrouvailles familiales.

20 Cependant dans ces sociétés où l’émigration vers les villes et vers l’Europe touche près

d’un sixième de la population, l’attachement à la terre et aux valeurs du travail de laterre s’est beaucoup affaibli, et timechret ne semble plus lié au calendrier agricole maisêtre une fête de retrouvailles et de retour au village au sein de la famille.

21 • En 2007 et en 2008, à Tikiouecht, village à 35 km au sud-est de Tizi Ouzou, non loin de

Ait Hichem (village sur les hauteurs de la commune des Ouadhias), on a organisétimechret ou lewziaa comme on l’appelle aussi ici. « Les villageois se sont retrouvés pour

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renouer, l’espace d’un jour, avec le sentiment de solidarité qui animait jadis les villagesde la Kabylie… occasion pour rassembler les familles dans un même lieu autour d’unmême idéal ».

22 • À Aït Abdelmoumène, village proche des Ouadhaias, le vendredi 19 février 2010. Ce

jour-là, « chaque foyer a eu droit à plus d'une livre de viande. L'essentiel, poursuit lejournaliste, n'est pas la quantité, mais c'est surtout ce geste ressuscité qui fait plaisir àtout un chacun. J'espère, dit-il, que cette tradition va être pérennisée. Ici, ce sont lesKabyles qui sont en fête, timechret n'a pas de couleur politique. Le retour à nostraditions est une condition sine qua non pour éviter à nos villages des dérapages », aenchaîné un universitaire. Au total, 7 360 habitants, exactement, ont mangé la mêmeviande le même jour. (Dépêche de Kabylie, 22 Février 2010)

23 • À Ait Enzar, petit village de Grande Kabylie, en novembre 2008, les petits monticules

de viande sont très proprement alignés sur une longue toile plastique blanche. Levillage, dit la notice (captée sur le net) est composé de quatre familles qui totalisent1500 habitants.

24 • À Ath Ouavane, un village du Djurdjura7, c'était la fête du saint tutélaire du village,

vendredi 1er juin 2007 ; timechret coïncide aussi avec l'opération de répartition,équitable, de l'eau de l'oued traversant le village. Les ancêtres des Ath Ouavane ont misen place un système ingénieux, fait de rigoles reliées les unes aux autres, pourl'irrigation des jardins et potagers familiaux8.

25 Le 1er juin était le jour de timechret pratiqué encore dans de nombreux villages de

Kabylie, qui donnait lieu à l'immolation de plusieurs bœufs et veaux. Au moment où desadolescents servaient le thé, le café et les gâteaux traditionnels, les adultes égorgeaientles bêtes. Celles-ci avaient été achetées grâce aux cotisations annuelles des villageois,aux cotisations et quêtes des émigrés ainsi qu'aux dons de riches bienfaiteurs. Une foisdécoupée, la viande et les abats furent soigneusement répartis à parts égales, déposéesdans des couffins, des bacs en plastique ou autres ustensiles de cuisine.

26 Timechret était, autrefois, généralement organisée la veille de la fête religieuse

musulmane de l'« Aïd El-Adha » (fête du sacrifice). Elle permettait aux pauvres et auxmoins nantis, qui ne pouvaient pas s'acheter un mouton, de manger, comme tout lemonde, de la viande ce jour de fête. Il s'agit en fait d'une forme de solidarité etd'entraide.

27 Le principe de timechret ignore totalement les classes sociales. Chaque membre de la

communauté qu'il soit riche ou pauvre, homme, femme, enfant ou bébé d'un jour oud'une heure – résidant dans le village ou vivant dans d'autres contrées du pays ou àl'étranger – a droit à sa part, identique à celle des autres. La part des natifs du villagevivant ailleurs, sous d'autres cieux, est récupérée par leurs proches. La viande estrépartie en fonction du nombre des membres de chaque famille. Un couple a droit àdeux parts et une famille de 10 personnes a droit à 10 parts. Ni plus, ni moins.

28 Timechret, ce n'est pas seulement une fête de la viande. C'est aussi et surtout une

occasion pour les membres de la communauté de se retrouver l'espace d'une journée,s'échanger des nouvelles, discuter des problèmes que rencontre le village concernantpar exemple la réfection des routes, l'alimentation en eau potable, l’assainissement, etc.

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Rôle psycho-social de l'alimentation au moment desfêtes de naissance

29 C’est par un plat approprié à la naissance que l’on annonce celle d’un enfant.

30 À Blida, à l’imitation de Fâtima, la fille du Prophète, il était et est toujours de tradition

d’envoyer un plat de tommîna9 à ses parents et amis. Cet envoi annonce la naissanced’un enfant, sert d’invitation à la fête du septième jour et signifie qu’il y aura taousa cejour-là, c’est-à-dire qu’il y aura offrande de cadeaux. Le principe est que l’assietteenvoyée pleine de tommîna ne doit jamais revenir vide. Elle revient donc avec un paquetde sucre, ou une livre de henné, ou des dattes, ou encore un mets relevé pourl’accouchée, etc. Le maître d’école du frère aîné peut écrire dans le fond de l’assietteune amulette, herz, qu'elle diluera et boira (Desparmet 1918 : 128).

31 « À Marrakech, slilo ou tqâut, mets semblable, est offert aux visiteuses, à l'occasion de la

naissance » (Legey 1926 : 88). À Salé, il en est de même, et la bienséance voulait que l'onretournât, avec une pièce d'argent à l'intérieur, le bol (vide) dans lequel la famille del'accouchée avait envoyé un peu de zemmîta10 (Mas 1960 : 56 n. 109).

32 À Tunis, c'est la ‘asîda11 qui est distribuée à domicile à tous les membres de la famille,

aux voisins et aux amis. Ce moyen d’annoncer la naissance du bébé à l’entourageexplique l’expression « je n’ai pas goûté son ‘asîda » ce qui signifie « je ne le connaispas » (Bayram 1971 : 14).

33 Les visites de félicitations sont prétextes à échange et partage de nourriture qui

permettent en retour de partager la fécondité de l'accouchée, sa chance et autresvaleurs positives. C’est pourquoi la présence de femmes, voisines, parentes, amies, estconstante depuis l'accouchement. En retour, il est de bon augure, dans toutes lespopulations de Méditerranée, quelles que soient les confessions, pour l’avenir del’enfant et la santé de la mère, d’offrir à tous les visiteurs et visiteuses le plat spécifiquede la naissance qui varie selon les villes, les régions etc. C’est zommita dans certainesrégions du Maroc. La tommîna est encore, à Blida, de toutes les réunions entre femmesqui se multiplient pendant la première semaine, à l’occasion des soins à donner àl’enfant. C’est elle aussi que les visiteuses grignotaient dans ces curieuses séances oùpour divertir l’accouchée, il était de tradition que les matrones se permettent unlangage licencieux et répètent des contes grivois (Desparmet 1918 : 128-9). À Tlemcen,le jour de la naissance, on offrait tsaqnettsa, bouillie semblable à tommîna, à tous les amisvenant à la maison (Bel 1908 : 15). Au Mzab, les visiteuses préparent dans la pièce où setient l'accouchée le repas qu'elles prendront avec l'accouchée, au milieu de l'après-midi. Ce sont les tiftétîn, sortes de pâtes coupées en petits morceaux et que l'on jettedans une grande marmite où cuit l-mrîsa, mets fait de viande, de farine, de purée dedattes et de piments (Goichon 1927 : 28). Chez les Beni-Snous du Maroc, les invitéesapportent du berkukes (couscous à gros grains) et reçoivent de la tazemmit12 (Destaing1907-1911, I : 280).

34 En Égypte, on présente aux visiteurs le mughid qui n’est servi qu’à cette occasion et que

les hommes apprécient tellement qu’on les soupçonne de venir dire mabruk

(félicitations) pour avoir le plaisir d’en manger (Janicot 1988 : 110).

35 En Turquie, les visites commencent le troisième jour après la naissance et peuvent

durer un mois ; on accompagne ses félicitations, pour le premier enfant, de cadeaux quipeuvent être des vêtements ou des gâteaux (kurabiye, baklava, kadayif), sucreries (sütlaç,

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muhallebi crème faite de farine, lait et sucre), bonbons (sheker), miel, halva, divers börek

et riz pilau et pour les enfants suivants, de denrées alimentaires seulement, notammentdu pelte, gelée à base d’eau sucrée et de farine additionnée de pekmez. En retour, lesvisiteuses se voient offrir le lohusa sherbeti “sirop des accouchées”, sucre coloré enrouge et bénéfique, qu’en hiver l’on sert chaud et parfumé au girofle. En été, l’on offreencore des boissons fraîches, genre sirop de rose, café ou encore des lokoums (Nicolas1972 : 121-123).

36 En Macédoine chrétienne, le partage dure pendant quarante jours : parents et amis

apportent à l’accouchée des crêpes ou galettes (pancake, grec lalagkitais) et dessucreries. Le troisième jour après la naissance, une jeune fille, dont les deux parentsvivent, fait un gâteau de miel que l’on pose le soir sur une petite table près de la tête del’enfant, avec un miroir ; quelques pièces d’or ou d’argent ou encore un bijou sont missur ou sous l’oreiller de l’enfant. Ces offrandes sont destinées aux fées que l’on attendcette nuit-là et qui diront le destin de l’enfant. Le gâteau sucré est pour se concilier lesdéesses, le miroir est un symbole de beauté et l’argent et les bijoux évoquent la santé.Une lumière est laissée pour que les fées trouvent leur chemin. Au matin, la sage-femme partage avec les amis et les parents le gâteau, qui est mangé là, sans qu’unemiette ne sorte de la pièce, et qu’il en tombe dans des mains ennemies qui déferaientles prédictions (Abbott 1969 : 125-6).

37 À San‘a, pendant sept jours, parents et amis viennent féliciter et apportent de la rue

(Ruta sp., sadhâb) comme signe de chance et pour conjurer le mauvais œil (Serjeant &Lewcock 1983 : 558).

38 Partager sa nourriture avec l'accouchée annihile les sentiments néfastes ; à San‘a, les

deux plus jeunes enfants de la maison mangent avec leur mère, ce qui est censé effacertoute opposition au nouvel arrivant (Serjeant & Lewcock 1983 : 557).

39 Les aliments de la naissance communiquent la fécondité aux femmes stériles. Il n’est

guère de vieille institution qui ne soit chargée de tant de vertus que la tommîna, gâteaude naissance à Blida, selon l’expression de Desparmet (1918 : 128-9).

40 Lors des fêtes des premiers jours, l’accouchée partage et mange ces plats avec les

femmes et invitées de son entourage qui, par cette communion sympathique,augmentent le bénéfice qu'en retire l'accouchée qui communique en retour safécondité aux femmes qui en mangent (Desparmet (1918 : 128)13. Les recettes varientselon les régions, mais c'est souvent, comme nous l’avons vu, la nourriture à base decéréales des fêtes du Mûlud qui célèbre la naissance du Prophète, par une associationd'ordre sympathique.

Le sel de l'alliance

41 On connaît l'importance de l'hospitalité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord dans

les populations de langues sémitiques. Elle se concrétise presque toujours par l'offre etle partage de nourriture, et se réalise autour de la table ou des mets. Mais dans certainscas, elle peut aller bien au-delà de l'accueil temporaire et signifier une protection d'unedurée prolongée et même une alliance véritable. Les cultures hébraïque et musulmanepossèdent en commun ces notions d'hospitalité, de protection et d'alliance.

42 L’étude du terme melh, melha, montre l’étendue de son champ sémantique.

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43 Le mot milh, melah est commun à la plupart des langues sémitiques, l'arabe, l'hébreu,

l'araméen, le syriaque et l'éthiopien, dans le sens de sel.

44 En arabe melhe, mot masculin, c'est le sel. Mais ce mot prend vraisemblablement assez

tôt la valeur de « nourriture fondamentale » car il désigne aussi le lait et la graisse,

deux produits de riche valeur nutritive (fournis par les dromadaires et les moutons) etqui, avec les dattes, sont la base de la nourriture des pasteurs bédouins.

45 Malhâ désigne chez le dromadaire la chair du dos, depuis le garrot kâhil jusqu'à la

croupe (Kazimirski 1980), c'est-à-dire la partie la plus grasse car elle comprend la bossesanâm, boule de graisse hautement valorisée. Dans un contexte bédouin, un dromadaireest dit mumallahun, c'est-à-dire suffisamment gras et beau pour être égorgé et mangé(Kazimirski 1980).

46 Tamallaha (5 e forme) signifie « engraisser une bête » (Al-Farâïd) et c'est précisément

avec des plantes salées que l'on engraissait, comme encore aujourd'hui les salicornes etles soudes présentes dans les terrains salés qui abondent en Palestine et dans lapéninsule arabique. On avait en effet remarqué que le sel donnait l'embonpoint désiréaux animaux ; nous savons aujourd'hui qu'il provoque la rétention de l'eau dans lestissus.

47 On remarquera en outre qu'il appartient à la culture spécifiquement arabe bédouine, en

ce qu'il trouve plusieurs applications dans le vocabulaire qui se rapporte au dromadairece qui, par là même, le rattache aux plus anciennes couches de la langue arabe. L'onsait, en effet, que le vocabulaire du dromadaire représente à lui seul une grande partiedu fonds primitif de cette langue qui, comme toutes les langues, s’est construit sur lesmétaphores.

Sel beauté

48 Le sens de « beauté » du dromadaire bien gras est passé à l'homme et aux objets, il est

très courant en arabe classique : malîhun signifie « beau (de visage), un bel homme »,d'où le sens d’« amant » et de « galant », et ma1âha, substantif, est la « beauté (devisage), l'élégance, la grâce (poésie) » (Kazimirski 1980).

49 Dans une acception proche, ce terme désigne également dans la langue classique ce qui

est « bon », « plaisant », « agréable ». Et Melha est aussi un prénom féminin en Algérie.

Sel alliance

50 Mais c'est le dérivé sémantique melha, l'alliance, qui fait l'objet de cette étude. Sel-

alliance -melha, c'est « le pacte, l'alliance » (Kazimirski 1980). Selon Burckhardt (1967),melha donne droit à la protection daheil et cela consiste à manger ne serait-ce que laplus petite portion de nourriture appartenant au protecteur (Burckhardt 1967, I : 329).On parlera, en Palestine, du droit du sel haq el-melh, qui est l'obligation pour l'’'hôte deprotéger celui qui est venu manger sous sa tente, fut-il l'assassin que l’on recherche(Jaussen 1948 : 87, 92). On dira « avoir le sel dans mon ventre » el-melh fîl-batnî (Musil1928 : 441, Jaussen 1948 : 87). Le voyageur quittant la tente d'un bédouin emporte« dans son ventre » le pain et le sel de son hôte, assuré par là même de sa protection surcette route difficile jusqu'à ce qu'il arrive au campement de l'autre tribu.

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51 À l'inverse, « couper le sel » qata'a el-melh chez les Bédouins de Moab, équivaut à se

dégager des liens d'hospitalité qui unissent à l'hôte, par exemple en mangeant sous uneautre tente (Jaussen 1948 : 91).

52 Il est intéressant de rapprocher ces sens de sel de l’expression russe khleb-solit,

bienvenue/hospitalité qui signifie littéralement « pain-sel », en rappelant l’épisode qu’avécu l'ambassadeur d'Allemagne Herberstein que Vassili III, Prince de Moscou, en 1527invita à « manger avec lui son pain et son sel ». Le Prince, note l'ambassadeur, « se sertdu pain pour exprimer sa faveur et du sel pour exprimer son amour, et le plus grandhonneur qu'il puisse faire à quelqu'un, c'est de lui envoyer du sel de sa table »(Herberstein 1965 : 243, 245). Ces valeurs sont toujours actuelles : aujourd’hui onprésente un petit pain rond avec du sel dessus et que l’on partage en signe debienvenue.

53 Manger ensemble est considéré comme quelque chose de solennel et de sacré (Jaussen

1948 : 86). Divers liens s'établissent alors, tout aussi sacrés et indissolubles les uns queles autres. Deux cas se présentent principalement :- Manger avec une personne d'un rang plus élevé signifie que l'on se met sous saprotection ; en retour on lui doit fidélité et honnêteté, ce qui crée en fin de compte unecertaine égalité puisqu'il y a échange de fonctions et de droits complémentaires les unsdes autres, formant comme un tout. Il est intéressant de mettre cela en parallèle avecce que E. Benvéniste dit du hostis latin, notion signifiant primitivement l'égalité par lacompensation, c'est-à-dire la compensation d''un don par un contre-don estimééquivalent (1969, 1 : 87)14.- À l'inverse, offrir un repas à une personne d'un rang inférieur, c'est d'une certainefaçon se l'attacher, la forcer à créer un lien avec soi. Cela peut l'obliger à l'honnêteté,par exemple qu'un maître mange avec son employé, celui-ci ne pourra plus tromperson maître s''il en a la tentation (cf. l'anecdote citée par Demeerseman 1944 : 367-368).C'est aussi le cas de Bonaparte qui, comprenant tout le parti qu'il pouvait en tirer,« mange avec les Égyptiens le pain, gage de la foi des traités » (Mémoires sur l 'Egypte,

publiés pendant la campagne du général Bonaparte, fructidor, an IX, in Demeerseman 1944 :365).

54 Si l'on mange avec une personne d'un rang égal, c'est que l'on veut créer une alliance et

une fidélité réciproque ; par exemple, avant une entreprise commune, pour s'assurer lasolidarité de l'autre en cas de difficultés ou de désaccords.

55 C'est de toute façon créer un lien d'alliance réciproque mais qui se comprend et se

nuance selon le statut et la situation momentanée de chacun des partenaires. C'estaussi créer une alliance aussi forte que l'alliance du sang et qui permet d''étendre sansrestriction le réseau des relations d'alliance.

56 L'analyse de quelques exemples, du Moyen Âge jusqu'au début du XXe siècle, nous

éclaire sur les modalités de la protection du sel melha, et la pérennité de ses valeurs.

57 Le père Jaussen, dans sa belle étude sur les Bédouins du pays de Moab au début du XXe

siècle, montre combien fort et sacré est le respect de cette hospitalité, à tel point que,recevant sous sa tente un étranger, et apprenant qu'il s'agit du meurtrier de ses fils,l'hôte ne prend pas la vengeance légale du sang et même pardonne (Jaussen 1948 : 92).Cet exemple admirable mais extrême n'est pourtant pas unique. Il montre que lepardon total peut être accordé aux ennemis, à la condition qu'ils aient mangé sousvotre tente, au minimum ils bénéficient d'une sauvegarde temporaire. Burckhardt cite

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un exemple analogue (1967 : 87). Dans les pays plus orientaux, ce droit existe de façonsemblable ; en Afghanistan, « votre pire ennemi est en sûreté tant qu'il est sous votretoit » (Elphinstone 1819, 1 : 296). Et se rappeler les péripéties des Amants de Kandahar,l’une des Nouvelles asiatiques de Gobineau (1992).

58 L'hospitalité et la protection se pratiquent de personne à personne, mais, dans ces

sociétés, la personne appartenant toujours à un groupe, c'est à ce niveau que lesengagements sont compris. C'est le groupe qui prend en charge ou qui est pris encharge avec tous ses biens, provisions, bétail, personnel etc.

59 Il est caractéristique que l'hospitalité et la protection soient accordées à tous,

musulmans comme non musulmans. Une belle illustration en est l'aventure arrivée auxBlunt en 1879 au nord du désert du Nefoud, lors de leur traversée de l'Arabie : ils furentattaqués au puits de Jerawi en un véritable ghazu par des cavaliers, qui s'emparent deleurs chevaux et de leurs effets, et peu après, renseignements pris, leur rendent cequ'ils viennent de prendre et se retirent tout penauds. Ces hommes appartenaient à lagrande tribu des Rwala, Bédouins syriens. Ibn Shahlân, le chef de cette tribu, résidant àDamas, avait été l'année précédente l’hôte des Blunt, ce qui l'engageait implicitement àles protéger. Le fait que cette protection se manifeste à une telle distance dans le désert(plus de 500 km au sud de Damas), et si longtemps après, signifie bien que l'alliance estéternelle ; ainsi « personne de son peuple n'aurait osé les toucher » (Blunt 1882 :108-112), preuve également de ce que la puissance du protecteur détermine l’'étenduede sa protection.

60 Cette hospitalité qui entraîne, pour celui qui reçoit, l'obligation de protéger, et, pour

celui qui est reçu, le droit à être protégé, se comprenait parfaitement dans ces tribus denomades pasteurs de dromadaires et de caravaniers commerçants : chacune avait toutepuissance sur son territoire et ses pâturages. Mais lorsqu'un de ses individus ou ungroupe en sortait et pénétrait en territoire étranger, il devenait un « ennemi »potentiel de la tribu vivant sur cet autre territoire, tant qu'il restait hors des tentes ; illui suffisait cependant d'entrer sous une tente pour montrer le caractère pacifique desa présence. C'est pourquoi tout étranger est un ennemi (de même l'hostes latin est« hostile ») tant qu'il reste hors de la tente, mais il devient un hôte et par conséquent unallié quand il y entre et partage le repas sous la tente ; chez certains mêmes le seul faitde toucher les montants de la tente suffit ; on lui doit protection comme à un frère, iln’est plus lui-même un agresseur possible car « il y a du sel entre eux » comme le noteRobertson Smith (1885 : 270). On voit donc que le partage du sel scelle un pacte

absolument réciproque, où toutes les parties sont intéressées et c'est vraisemblablementce qui lui donne toute sa force.

61 Une telle morale implique une réprobation très forte de sa transgression. Trahir le pain

et le sel c’est renier le pacte. Burckhardt (1967, I : 332) au début du XIXe siècle, remarque

combien les Bédouins d'Arabie, de Syrie et de Palestine avaient de mépris pour lesTurcs qui se vantaient de tromper l'ennemi par la violation des promesses les plussacrées, c'est-à-dire celles prises « par le sel » ; les tribus bédouines qui, pour diversesraisons, ont relâché cette morale sont qualifiées d’impies et de traîtres. Burckhardtnuance beaucoup le respect de ce droit et explique sa décadence dans certaines tribuspar le fait des contacts qu'elles avaient avec le gouvernement turc, la perte de leurimportance nationale et d'une partie de leur indépendance ; c'était par exemple le casdes Bédouins du Hedjaz. Car, en vérité, les effets et l'étendue de ce droit d'hospitalité sont

directement proportionnels à la puissance de celui qui l'accorde15.

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62 Un autre changement est apparu : d'éternel qu'il était dans un état ancien et « idéal »,

le temps de protection s'est considérablement réduit, avec des exceptions toujourspossibles, comme nous l'avons vu, même dans des cas extrêmes (avec les assassins).Déjà, chez les Arabes du Sinaï, au début du XIXe siècle, et même à cette époque chez tous

les Bédouins selon Burckhardt, la protection dahei1 n’est accordée que lorsque le fugitiftrouve le moyen de manger ou dormir dans une tente ; le dahei1 s’exerce alors sur lui,ses provisions et son bétail, pendant trois jours et huit heures après son départ de latente. S'il est molesté dans cet espace de temps, le propriétaire de la tente fera toutpour qu'il recouvre ses biens. Ce qui se passait dans les tribus où, à cette époque, lepouvoir turc n'exerçait pas trop de pressions, reste toujours en vigueur un siècle plustard dans celles qui étaient demeurées assez indépendantes de ce pouvoir. Musil,l'observa chez les Rwala vers 1925 : l'hôte accueillait sous sa tente pendant trois jours etun tiers et protégeait hors de sa tente pendant ce même temps, même à 150 km dedistance.

63 Le lien du sel crée un lien du sang. Ce lien est celui de la fraternité uhûwat. Mais le terme

utilisé « frère » ah a la même polysémie que dans notre langue, il connote l'idée defraternité, mais aussi de confraternité, confrérie religieuse (ahawiyat) ce qui par là-même donne une valeur toute particulière à ce lien. Ali Bey voyageant au Maroc audébut du XIXe siècle se voit offrir deux pains par le sultan, ce qui provoque les

exclamations de sa suite : « Quel bonheur est le tien, te voilà frère du sultan, le sultanest ton frère » (Ali Bey 1984 : 178). L'hôte est un frère ; il l'est de celui qui l'a accueilli etde toute sa parentèle. II a donc tous les droits et les devoirs inhérents à cette position.Ce système d'alliance est ouvert et permet, au moins dans l'absolu, de créer dans toutela société environnante des réseaux d'alliance aussi forts que l'alliance du sang et qui,de plus, ne concernent pas seulement les individus mais aussi leurs parentèles. Iltrouvait toute son importance dans ces sociétés bédouines où les tribus restaientindépendantes, s'associant parfois et temporairement en des sortes de confédérations,mais qui ne s'étaient pas regroupées avant le XIXe siècle sous l'autorité d'une seule.

64 Toutefois cette hospitalité, qui entraîne l'obligation de protéger son hôte, peut être

remise en question. L'Arabe qui rencontre son ennemi va refuser de manger avec lui.L’exemple le plus célèbre est fourni par Saladin, sultan d'Égypte, d'origine kurde maisélevé en Syrie, dont on exaltait tant la générosité : après la bataille de Hittin (4 Juillet1187, près de Tibériade), il offre à boire à son prisonnier assoiffé, le roi Guy deLusignan, qui le lui demandait mais refuse de donner quoi que ce soit à Arnat al-Karak(Renaud de Châtillon) qui avait rompu la trêve peu de temps auparavant, etsauvagement pillé une caravane où se trouvait une sœur de Saladin. Ce dernier ayantdécidé de se venger le tua sur l'instant, ce qu'il n'aurait pu faire s'il lui avait accordéune quelconque nourriture, car alors « son honneur lui interdisait de toucher ensuite àcet homme », écrit l'historien arabe de Saladin (Gabrieli 1969 : 117).

65 Cette institution est si forte que l'hôte accueillant un inconnu ne lui pose aucune

question quant à sa personne ou son origine et s'en remet à ce que l'on veut bien luiraconter ; Palgrave (1866), voyageant au milieu du XIXe siècle en Arabie Centrale, note

constamment cette remarquable discrétion dont les voyageurs occidentaux ont souventbénéficié.

66 Pour expliquer que cette protection s'exerce avec autant de rigueur et de façon parfois

même inexorable, il faut faire appel à une notion fort ancienne au Moyen-Orient, déjàrapportée dans la Bible, selon laquelle l'hôte est l'envoyé de Dieu, et les liens créés

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participent de ce sacré. Et tout le monde connaît l’histoire grecque de Philémon etBaucis. Mais chez les musulmans cette alliance se joue essentiellement entre leshommes.

Conclusion

67 Tous ces exemples montrent, à l’évidence, le rôle majeur que joue l’alimentation au

sens large du terme, dans tous les moments importants de la vie sociale, avec dessignifications différentes mais qui toutes concourent au bien-être physique et moral dela population. Certes l’achat et le partage collectifs de la viande était une pratiquenécessaire à la survie alimentaire de sociétés vivant dans un milieu rude de montagnes ;le renouveau que cette pratique connaît aujourd’hui se présente tout à faitdifféremment car elle devient nécessaire à la survie sociale de groupes dispersés parl’émigration vers les villes et surtout vers les divers pays européens. Ces achatscollectifs et partages de viande scellent donc des retrouvailles familiales entregénérations d’un même village.

68 Bien que sur des niveaux différents, le partage des aliments spécifiques de

l’accouchement entre la jeune mère et ses parentes et amies d’une part, et le partage durepas dit alliance par le sel, d’autre part, sont de nature presque semblable : partagerdes aliments signifie partager les mêmes valeurs, les mêmes possibilités, les mêmesdésirs. C’est même, dans le cas du partage du sel, sceller un pacte, créer une associationqui a, parfois, été aussi forte que celle du sang. Ce sont des pratiques égalementextrêmement anciennes et toutes montrent une remarquable pérennité des valeurs etune extraordinaire continuité des structures symboliques de ces cultures, pérennité etcontinuité nécessaires au bien-être social.

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Musil A. 1928 – Palmyrena: a topographical itinerary. New York. The American Geographical Society.

Nicolas M. 1972 – Croyances et pratiques populaires turques concernant les naissances. Paris, POF,

163 p.

Palgrave W.G. 1866 – Une année de voyage dans l’Arabie centrale. Paris, Hachette, 2 vol.

Robertson Smith W. 1885 – Kinship and marriage in early Arabia. Cambridge, University Press.

Serjeant R.B. & Lewcock R. 1983 – Sana‘a, an arabic islamic city. London, The World of Islam Festival

Trust, 631 p.

Servier J. 1962 – Traditions et civilisations berbères. Les Portes de l’année. Paris, Robert Laffont.

NOTES

1. Notre terme « compagnon » est explicitement cela puisque c’est "partager le même pain".

2. J'ai traité ce texte fondateur des sociétés de l'islam, mais aussi de la chrétienté dans mon

article Le sel de l'alliance (Aubaile-Sallenave 1988).

3. Ce 1er de l’an a un retard de 13 jours sur notre calendrier.

4. waza‘a « répartir, diviser, partager ». Se cotiser pour acheter un bœuf, des fruits et les répartir

en commun. (Beaussier 1958 : 1053).

5. Il rapportait ce mot au targui ouzan (Delheure 1987 : 393).

6. J'ai repris les différentes graphies du terme selon chaque auteur cité, d'où la variété des

graphies

7. Ath Ouavane, village enclavé, relié par une unique route au monde extérieur, est surtout

réputé pour son piment « très piquant », mais savoureux pour ceux qui peuvent supporter les

« ahhhhh ».

8. Ath Ouavane est vraisemblablement le seul village en Kabylie à utiliser ce système qui

ressemble à celui des foggaras existant dans certaines régions du Sahara algérien.

9. Tommîna ; bouillie torréfiée à sec dans le tâjin et liée avec du beurre fondu ou de l’huile ; on lui

ajoute selon les régions du poivre, piment de la Jamaïque et cresson alénois, comme à Blida,

ailleurs c’est une préparation sucrée.

10. Slilo, Sello, Tqâut ou Zammîta sont des mets semblables, dont les noms changent selon les

régions. Ce sont de prestigieux plats de fêtes sucrés. Leur fabrication est longue : farine de blé

dorée à la poêle, avec grains de sésame dorés et broyés, amandes, cannelle, anis, pincée de miel,

beurre (salé), huile ; mélanger et présenter sur un grand plateau en un monticule couvert de

sucre glacé et décoré de rangées verticales d’amandes pelées et grillées ou de cannelle. Pour

certains, la différence entre Sellou et Zammîta concerne la consistance : Sellou est plus sablonneux,

avec beaucoup de sucre et peu ou pas de miel. En fait, Zammîta ajoute à la recette sus-mentionnée

pois chiches, graines de pastèque et graines de lin, tous dorés et broyés. Ces deux préparations,

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bien que proches, ne se présentent pas sous la même forme : Sello est un grand cône, tandis que

Zammîta est formée en boulettes de semoule grillée pétrie au beurre et à laquelle on ajoute des

dattes et de la cannelle (cf. Aubaile-Sallenave 2010)

11. ‘Asîda, c’est du fénugrec, holba, en purée ou bien en boisson avec de l’eau ou du lait sucré avec

du miel, tous ingrédients des premiers jours après l’accouchement redonnant vigueur et bonne

santé (Aubaile-Sallenave 1997)

12. C'est zemmita, zommita, vu plus haut, avec l'article berbère ta.

13. Psychologiquement, c'est très juste ; manger ensemble profite : l'appétit augmente et l'on

digère mieux.

14. Notre société européenne a hérité de ce même symbolisme du sel ; c'est bien ce que savait

Sainte-Beuve quand il refusa de manger avec Balzac chez Marie d'Agoult à qui il écrivit : « Vous

me mettez dans un embarras mortel, dîner avec Vautrin, c'est à dire manger le sel avec lui, c'est

tout autre chose que le rencontrer ; c'est lui serrer la main, c'est abjurer, avouer les torts... »

(lettre du 12 juin 1841 Correspondance générale, publiée par Jean Bonnerot. IV p. 108, dans Stéphane

Vachon, Balzac, 1999, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, p. 539).

15. En Iran, être ingrat, c’est ne pas reconnaître le pain et le sel. Dans ce cas, celui qui trahit

l’amitié, est dit ingrat envers le sel namak bè haram. D’où lorsqu’on veut maudire une personne

que l’on a obligée, l’expression : que mon sel t’aveugle (Massé 1938, II : 293, n. 1).

RÉSUMÉS

Nous développons quelques aspects où s’illustre le partage du repas, dit partager le sel, puis nous

évoquons le renouveau d’une ancienne institution des sociétés du Maghreb : l’achat collectif et le

partage de la viande dans ces sociétés dont une partie a migré en Europe, déjà sous la

colonisation. Ce sont les retours au pays et les retrouvailles familiales qui ont fait renaître cette

institution que les Kabyles nomment thimecherêt.

We develop some aspects of the sharing food, said sharing the salt ; then we evoke the revival of

an old institution, among the maghrebian societies : the collective purchase and the sharing of

the meat, among those societies, a part of them migrated to Europe yet during the colonization.

The returning to the country and the familial reunions revived that institution called by the

Kabyls thimecherêt

INDEX

Mots-clés : alimentation, objet, collections ethnographiques, thimecherêt, achat collectif,

partage de la viande, partage du repas, partage du sel

Keywords : diet, artefacts, ethnographic collections, thimecherêt, collective purchase, sharing of

the meat, sharing the diet, sharing the salt

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AUTEUR

FRANÇOISE AUBAILE-SALLENAVE

CNRS-Muséum

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