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1 L’esprit européen dans les critiques littéraires d’Ernst Robert Curtius Masayuki Tsuda ABSTRACT Ernst Robert Curtius is well known as an advocate of European literature, which transcends national boundaries. Most importantly, he is recognized as a literary historian, who wrote European Literature and the Latin Middle Ages (Europäische Literatur und lateinisches Mittelalter, 1948). Nevertheless, Curtius published a lot of critical works during the inter-war years and after World War II. In order to consider the processes through which he developed a European spirit, I would like to focus on his literary critics concerning contemporary writers like Romain Rolland, André Gide, Hugo von Hofmannsthal, and José Ortega y Gasset. I pay particular attention to Curtius’ network of friendships with these writers and try to reconsider the relation between his journalistic works and European Literature and the Latin Middle Ages. Mot-clés: Curtius, l’esprit européen, les critiques littéraires, Pontigny, les Mayrisch Keywords: Curtius, European spirit, the literary critics, Pontigny, the Mayrischs 1. INTRODUCTION Ernst Robert Curtius (1886-1956) est célèbre pour son livre La Littérature européenne et le Moyen Âge latin (Europäische Literatur und lateinisches Mittelalter, 1948). J’aimerais introduire son environnement et son curriculum vitae. Du côté paternel, Curtius descend d’une famille enracinée dans le Nord de l’Allemagne. Son grand-père Ernst Curtius (1814-1896) était un spécialiste de l’antiquité grecque. Son père Friedrich Curtius (1851-1933), qui émigra en Alsace après la Guerre franco-allemande, était un pasteur pieux. Son côté maternel était une famille aristocratique du canton de Berne en Suisse. Sa grand-mère, Sophie von Erlach-Hindelbank était très cultivée et polyglotte. Sous son influence, il apprit le français et l’anglais (Jacquemard-de Gemeaux 1998, 32-42). Curtius est né à Thann en 1886. Il fréquenta l’Université de Strasbourg. Il lit passionnément la littérature contemporaine, mais, pour son travail scientifique, se penche sur é la littérature française médiévale. Comme Privatdozent, il commença à enseigner à l’Université de Bonn. Puis, il poursuit ses activités scientifiques aux universités de Marburg, Heidelberg et, de nouveau Bonn. Curtius a vivement publié les critiques littéraires dans des revues et journaux à caractère journalistique. Toutefois, en raison de ses études sur la littérature classique pendant la Second guerre mondiale, il est généralement considéré comme un historien de la littérature. Cependant, dans cet article, il s’agit d’analyser ses critiques littéraires. Stefanie Müller a discuté ses critiques dans Ernst Robert Curtius als journalistischer Autor

L’esprit européen dans les critiques littéraires d’Ernst Robert Curtius

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L’esprit européen dans les critiques littéraires d’Ernst Robert Curtius

Masayuki Tsuda

ABSTRACT

Ernst Robert Curtius is well known as an advocate of European literature, which transcends

national boundaries. Most importantly, he is recognized as a literary historian, who wrote

European Literature and the Latin Middle Ages (Europäische Literatur und lateinisches Mittelalter,

1948). Nevertheless, Curtius published a lot of critical works during the inter-war years and after

World War II. In order to consider the processes through which he developed a European spirit, I

would like to focus on his literary critics concerning contemporary writers like Romain Rolland,

André Gide, Hugo von Hofmannsthal, and José Ortega y Gasset. I pay particular attention to

Curtius’ network of friendships with these writers and try to reconsider the relation between his

journalistic works and European Literature and the Latin Middle Ages.

Mot-clés: Curtius, l’esprit européen, les critiques littéraires, Pontigny, les Mayrisch

Keywords: Curtius, European spirit, the literary critics, Pontigny, the Mayrischs

1. INTRODUCTION

Ernst Robert Curtius (1886-1956) est célèbre pour son livre La Littérature européenne et le Moyen

Âge latin (Europäische Literatur und lateinisches Mittelalter, 1948).

J’aimerais introduire son environnement et son curriculum vitae. Du côté paternel, Curtius

descend d’une famille enracinée dans le Nord de l’Allemagne. Son grand-père Ernst Curtius

(1814-1896) était un spécialiste de l’antiquité grecque. Son père Friedrich Curtius (1851-1933), qui

émigra en Alsace après la Guerre franco-allemande, était un pasteur pieux.

Son côté maternel était une famille aristocratique du canton de Berne en Suisse. Sa

grand-mère, Sophie von Erlach-Hindelbank était très cultivée et polyglotte. Sous son influence, il

apprit le français et l’anglais (Jacquemard-de Gemeaux 1998, 32-42).

Curtius est né à Thann en 1886. Il fréquenta l’Université de Strasbourg. Il lit passionnément la

littérature contemporaine, mais, pour son travail scientifique, se penche sur é la littérature française

médiévale. Comme Privatdozent, il commença à enseigner à l’Université de Bonn. Puis, il poursuit

ses activités scientifiques aux universités de Marburg, Heidelberg et, de nouveau Bonn. Curtius a

vivement publié les critiques littéraires dans des revues et journaux à caractère journalistique.

Toutefois, en raison de ses études sur la littérature classique pendant la Second guerre mondiale, il

est généralement considéré comme un historien de la littérature. Cependant, dans cet article, il

s’agit d’analyser ses critiques littéraires.

Stefanie Müller a discuté ses critiques dans Ernst Robert Curtius als journalistischer Autor

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(1918-1932) (2008). L’image qu’elle tente de présenter sur le critique littéraire Curtius, est celui

d’un médiateur entre la France et l’Allemagne. Toutefois, dans ses critiques, il y a beaucoup

d’aspects, qui n’ont aucun rapport avec le dialogue entre la France et l’Allemagne. Müller néglige

ses critiques de cette sorte. En outre, elle ne traite pas les critiques écrites après la Seconde Guerre

mondiale ainsi que les relations entre ses critiques et son ouvrage principal.

En 2009, Ivano Paccagnella et Elisa Gregori, ont organisé un colloque international sur

Curtius et ont publié un bulletin de recherches intitulé Ernst Robert Curtius e l’identità culturale

dell’Europa. Au début de cette publication, Gianfelice Peron analyse ainsi:

Il concetto di identità europea è il nucleo tematico sul quale è imperniata per gran parte

l’opera curtiusiana, feconda e sfaccettata, tesa a definire l’eredità, l’unità, la tradizione, la

continuità, le radici, i fondamenti, insomma gli elementi unificanti e caratterizzanti la

cultura europea occidentale sia in senso verticale/diacronico, dall’antichità all’età

moderna, sia in senso orizzontale/sincronico, nel rapporto delle varie letterature e culture

contemporanee, europee e non solo, tra di loro (Peron 2011, XI).

Peron considère que la recherche de l’unité, la tradition, et la continuité est caractéristique pour

Curtius. En outre, il fait remarquer que l’intérêt pour l’identité européenne est l’axe principal de

son ouvrage. Quand on discute de l’Europe en littérature, Curtius serait un personnage

incontournable.

Premièrement, cet article va déchiffrer le processus de l’esprit européen chez Curtius, basé sur

ses critiques. Au lieu d’analyser l’intégralité des critiques on se borne à ceux qui traitent

directement des auteurs européens, ce qui permet de nous concentrer sur l’esprit européen, clef des

travaux de Curtius. La deuxième intention de cet article est la réflexion sur les relations entre ses

critiques et son ouvrage principal. Par conséquent, dans cet article, on analysera ses critiques et ses

rapports avec les écrivains cosmopolites comme une source de La Littérature européenne et le

Moyen Âge latin.

2. LA TRACE DES CRITIQUES LITTERAIRE DE CURTIUS

2.1. Les Pionniers littéraires de la France nouvelle (1919)

Dans cette partie, je voudrais jeter un regard sur les critiques littéraires de Curtius, en faisant

attention à son intérêt pour l’identité européenne. Dans sa première œuvre Les Pionniers littéraires

de la France nouvelle (Die literarischen Wegbereiter des neuen Frankreich, 1919), Curtius tente

d’introduire cinq écrivains français (André Gide, Romain Rolland, Paul Claudel, André Suarès et

Charles Péguy). Dans ce livre, Curtius compare la lutte avec Dieu chez Claudel avec celle chez

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Dante ou Calderón (Curtius 1923, 162). Après cet essai sur Claudel, par intervalles, il en discute, et

finalement il décrit en détail dans son ouvrage principal.

Sur Suarès, il fait remarquer qu’il y a des éléments celtiques, latins, et germaniques dans la

culture française (Curtius 1923, 173). Cette pensée de Curtius a rapport à l’européisme chez Suarès,

où Shakespeare est plus haut placé que Racine, et Rembrandt est plus élevé que Raphaël (Curtius

1923, 198-201). Et Curtius introduit l’idée de Suarès que tous les grands hommes sont européens

dans la littérature et les arts (Curtius 1923, 264).

Grâce à un article rendant compte de ce livre a été publié dans la NRF en 1920 par une

Luxembourgeoise, Aline Mayrisch-de Saint-Hubert (Mayrisch de Saint-Hubert 2014, 185-194), qui

tenait salon dans son château. C’est dans ce château luxembourgeois que Curtius a rencontré Gide

pour la première fois, en juin 1921, et qu’est née leur amitié de trente ans.

2.2. Les critiques littéraires à Marbourg (1920-1924)

Quand il travaillait à Marbourg, il s’est attaché notamment à rendre compte de Marcel Proust. Dans

l’histoire de la réception de Proust, les études de Curtius, publiées entre 1922 et 1925 dans Der

Neue Merkur, Die neue Rundschau et Neue Schweizer Rundschau, occupent une place négligeable.

Curtius y analyse les paysages champêtres à Combray. Par les descriptions de la nature, il se

rappelle les représentations bucoliques chez Virgile (Curtius 1925, 332), qui est souvent mentionné

dans son ouvrage principal. Par exemple, il insiste sur la valeur de Bucoliques dans le chapitre X «

le paysage idéal » (Curtius 1993, 197).

« Sur l’esprit européen dans la littérature française moderne » („Vom europäischen Geiste in

der modernen französischen Literatur“ (Curtius 1925, 289-307), dans Wissen und Leben paru en

1924, est lié à la notion de « l’esprit européen » proposée par Madame de Staël. Curtius dit que la

littérature française de l’Ancien Régime influençait toute l’Europe. En revanche, dans la littérature

contemporaine en France, des écrivains européens jouent un rôle majeur pour la réception de la

littérature étrangère. Bref, Curtius raconte la transition de la francisation de l’Europe à

l’européanisation de la France. Il cite Rolland, Valery Larbaud et Gide comme ce type de l’écrivain.

De plus, il touche le sens des œuvres littéraires par Rolland ou Larbaud dont le protagoniste est

étranger (Curtius 1925, 295-305).

2. 3. Les critiques littéraires à Heidelberg (1924-1929)

L’esprit français dans la nouvelle Europe (Französischer Geist im neuen Europa, 1925) consiste

de huit chapitres. C’est l’essai sur Larbaud qui est le plus remarquable pour notre propos. Curtius y

raconte le milieu favorable et l’abondance de voyages effectués par Larbaud. Ensuite, il explique la

variété de la culture littéraire et l’européisme de Larbaud, en indiquant sa réception de Whitman,

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Joyce, Laforgue, la littérature française du 17ème siècle, et Virgile. Le cosmopolitisme de Larbaud

est si prononcé que Curtius le décrit encore une fois dans le chapitre XIV de La Littérature

européenne et le Moyen Âge latin:

La notion de littérature universelle devait briser le canon français. […] Une position de

combat opiniâtrement défendue contre l’européisme, a été battue en brèche par les

écrivains français des dernières années qui, par leur expérience personnelle, ont saisi

toute l’étendue et la variété de l’esprit européen (et américain). Aucun d’eux ne nous a

donné sur le cosmopolitisme littéraire des aperçus aussi fins, aussi pertinents que Valery

Larbaud, dont seules les générations futures apprécieront complètement la valeur

(Curtius 1956, 330).

Le thème du chapitre XIV de cet ouvrage est le classicisme. Curtius y discute la distance entre le

classicisme français et l’européisme chez Larbaud. Pendant l’entre-deux-guerres, Curtius

maintenait sa confiance en Larbaud (Dieckmann 1980, 339-376), et le cosmopolitisme littéraire de

Larbaud exerça une grande influence sur Curtius.

La plupart des écrits de Curtius pendant son séjour à Heidelberg concerne l’esprit européen.

Par exemple, on peut apercevoir l’idée d’Europe dans ses essais sur Ortega, Unamuno, et

Hofmannsthal à cette période. Unamuno était l’intellectuel représentatif du groupe espagnol de « la

generación del 98 » (Rabaté 2009, 117-197). Le but de ce groupe était la régénération de l’Espagne

après la défaite de la Guerre hispano-américaine. Dans son essai sur Unamuno, Curtius insiste sur

la nécessité de la réception de la culture étrangère. Mais, il touche aussi l’espanisation de l’Europe

dans la pensée d’Unamuno (Curtius 1954, 206). Cette attitude de respecter les traditions de son

pays devait avoir des conséquences sur Curtius.

2.4. Les critiques littéraires à Bonn dans la première moitié des années 1930

L’essai de Curtius sur Joyce est écrit comme explication du roman Ulysses. D’abord, Curtius

introduit les aperçus des autres œuvres et l’Eglise catholique irlandaise, qui menèrent Joyce à la

création d’Ulysses (Curtius 1954, 290-293). Ensuite, Curtius se concentre sur quelques aspects du

catholicisme, comme par exemple les descriptions infernales. Ce passage prouve son grand intérêt

pour la culture catholique dans ce temps-là, dû notamment à sa réception de la culture espagnole.

En outre, nous pouvons de nouveau trouver un rapport avec son ouvrage principal, car, en premier

lieu, Curtius discute la philosophie scolastique et les expressions symboliques du Moyen Âge

(Curtius 1954, 297-298). En second lieu, il analyse la correspondance entre Ulysses et Odyssée.

Dans le premier chapitre, il touche la réception d’Homère chez Joyce pour montrer comment la

littérature classique agit sur la littérature contemporaine (Curtius 1993, 24-25). En dernier lieu, le

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jeu de mots qu’il met sur le tapis dans cet essai, est considéré comme « une gigantesque expérience

de maniérisme » (Curtius 1956, 366).

Essai sur la France (Die französische Kultur, 1930) de Curtius a été publié pour l’édification

de la culture française. En faisant la comparaison entre l’Allemagne et la France, il tente la

relativisation du système de valeurs en Europe. Il fait remarquer que l’humanisme français cherche

à attendre Rome, et témoigne d’un respect considérable pour Virgile (Curtius 1975, 86).

Sur Virgile, il a écrit un article pour Neue Schweizer Rundschau en 1930. Au début de cet

essai, Curtius déplore que les contemporains aient perdu leur passé comme Virgile (Curtius 1954,

11). Il pense que une vue dégagée à l’époque lointaine est indispensable pour se familiariser avec

les œuvres de Virgile. De fait, Curtius pratique une vue dégagée dans son ouvrage principal.

Avec L’esprit allemand en danger (Deutscher Geist in Gefahr, 1932), Curtius s’affronta à

l’Allemagne contemporaine. Il rapporte la détérioration de la situation de la culture allemande. Il

raconte son indifférence à la littérature française contemporaine et suggère la révision de l’âge de

l’Antiquité à la Renaissance (Curtius 1932, 47-48). Le chapitre V « L’humanisme comme

l’initiation », annonce déjà de son ouvrage principal. Curtius y dit que l’humanisme, qui est une

idée dépassée, était un mouvement éblouissant (Curtius 1932, 103). En plus, il raconte la distance

entre l’humanisme et l’académisme (Curtius 1932, 105-106, 127), ce qui est dû à son isolement

dans l’académisme allemand. Curtius pense que l’humanisme existe dans une scène comme celle

de Le Banquet de Platon, où les intellectuels font des conversations amicales en buvant. Pour lui,

les paysages joyeux comme dépeints dans Le Banquet peuvent s’appliquer aux deux petits noyaux

de la future Europe (Bourg 1980, 20), « les Décades de Pontigny » et « le cercle de Colpach », où

Curtius s’est lié d’amitié avec les écrivains cosmopolites.

Curtius devint la cible des attaques pour le parti nazi. Par conséquent ses livres disparurent

des librairies. Dans la deuxième moitié des années 1930, il arrêta d’écrire des contributions

journalistiques. À partir de 1934, il envoya ses articles à des revues académiques. La Littérature

européenne et le Moyen Âge latin est le fruit de ses recherches effectuées pendant la Seconde

Guerre mondiale.

2.5. La réouverture des critiques littéraires après la guerre

Dans son essai sur Hesse, Curtius fait remarquer que Hesse ne faisait pas partie du mouvement

cosmopolite des années 1920 comme « les Décades de Pontigny » ou la librairie « Shakespeare and

Company » de Sylvia Beach (Curtius 1954, 153). Puis il explique l’idée d’Europe chez Hesse par

son appartenance à la Suisse autour de la région de Locarno (Curtius 1954, 164). Dans cet essai

Curtius éprouve une grande sympathie pour la Suisse comme une Europe résumée parce que sa

grand-mère habitait dans la banlieue de Berne et il travaillait avec des journaux et des maisons

d’édition en Suisse. C’est pourquoi la Suisse aussi était essentielle pour son identité européenne.

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En février 1951 mourut son ami Gide. Curtius publia un article pour déplorer sa mort dans la

NRF. Il y considère cet écrivain comme « le grand Européen français » (Curtius 1951, 14), parce

que Gide lisait Virgile, Dante, Shakespeare et Goethe avec ferveur, et respecta le pays ennemi,

l’Allemagne, même pendant les deux guerres mondiales. C’est à cause de cette mort que l’année

suivante dans Die Neue Rundschau Curtius écrit un essai sur Charles Du Bos, où il touche une

querelle sur l’homosexualité entre Gide et Du Bos (Curtius 1954, 239-241). Dans cet essai, Curtius

rétrospectivement raconte les vastes connaissances de Du Bos, qui ont fait siennes les cultures

européennes.

3. L’ESSAI SUR ROMAIN ROLLAND

3.1. L’essai sur Rolland dans Les Pionniers littéraires de la France nouvelle

Curtius commence son analyse de Rolland par le caractère de celui-ci. Curtius pense que la passion

et la foi de Rolland ne sont pas proprement françaises (Curtius 1923, 79). En utilisant Romain

Rolland, l’homme et l’œuvre (1913) de Paul Seippel, Curtius raconte la biographie pour les lecteurs

allemands. Curtius décrit les recherches historiques de Rolland et son séjour de deux ans à Rome.

Pour Rolland, Rome est devenu un objet de l’amour. Cet amour est applicable aussi à Curtius.

Comme Christine Jacquemard-de Gemeaux le fait remarquer, son attachement à Rome dure de sa

jeunesse à sa vieillesse (Jacquemard-de Gemeaux 1998, 375).

Curtius pense que ce roman est produit à l’aide des forces spirituelles en Europe (Curtius

1923, 91). C’est par les citations de textes originaux dans plusieurs langues européennes qu’il

observe l’européanisme dans ce roman. Curtius présente l’intrigue de ce roman. En touchant

l’antipathie de Christophe pour le capitalisme de Paris, Curtius évoque les multiples aspects de la

ville de Paris (Curtius 1923, 95). Bref, il tente de présenter les intellectuels libéraux comme Olivier

Jeannin, qui enseigne à Christophe ce qui est la vraie France. Les scènes de ce roman se déplacent

dans presque toute l’Europe. Donc, Christophe peut être le précurseur de la liberté de circulation,

qui est l’objectif de l’Union européenne. En plus, Curtius fait attention au rôle du Rhin dans ce

roman (Curtius 1923, 98-99). Il pense que ce grand fleuve est à la fois le moteur de ce roman et la

symbolisation du contenu.

Ensuite il engage la réception de ce roman en France. D’abord, il raconte la forte sympathie

de Gaston Riou envers Romain Rolland. Puis il analyse la relation entre la réception de ce roman et

la Première Guerre mondiale:

Ce certificat sur la position représentative dans le mouvement intellectuel de la jeune

France a gagné la valeur du document concernant l’histoire contemporaine par la guerre

mondiale. À présent, les très différentes voix sonnent! Si on regardait les paroles

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bâillonnées du grand public français comme celles de toute la France, on devrait dire que

le peuple français a trahi leur écrivain et a mis lui en quarantaine. Il n’y avait rien

d’autre.

En effet, durant la guerre mondiale Rolland a persisté dans son idée d’Europe, qui est

conséquent dans toutes ses œuvres. C’est-à-dire la solidarité morale entre l’Allemagne et

la France (Curtius 1923, 113)1.

Même pendant la Première Guerre mondiale, quand le nationalisme français devenait extrêmement

fort, l’individualisme de Romain Rolland ne s’est pas effondré, et il maintint la croyance dans

l’intégration européenne par les dialogues entre la France et l’Allemagne. Curtius touche

l’expulsion de Rolland à l’étranger durant la guerre. La participation de Curtius à la guerre devait

comporter un conflit psychique parce qu’il était alsacien. Les Pionniers littéraires de la France

nouvelle a été publié en 1919. Donc, on ne peut pas omettre que l’attention de Curtius à

l’européisme chez Rolland commença non pas directement après la publication de ce roman mais

seulement après la Première Guerre mondiale.

3.2. L’éloignement de Rolland dans la vie de Curtius

En 1912, Curtius a fait la connaissance de Rolland à Rome (Duchatelet 2002, 152). Ils

sympathisèrent tout de suite initièrent à correspondre. Curtius apprécie beaucoup Jean-Christophe.

Quand Curtius s’est blessé pendant la guerre, Rolland s’est fait du souci pour son état de santé

(Duchatelet 1995, 152). Au moment de la publication des Pionniers littéraires de la France

nouvelle, Rolland fait l’éloge de l’intelligence et de la noblesse de Curtius (Duchatelet 1995, 156).

En outre, il fixe les yeux sur l’article de Curtius, paru en 1922, dans La Revue de Genève, «

Français et Allemands peuvent-ils se comprendre? » (Charrier 2009, 156-162), et ils ont renforcé

l’entente mutuelle.

Cependant, vers le milieu des années 1920, Rolland commence à se tenir à distance de Curtius.

Car, graduellement, Curtius se familiarise avec les écrivains français autour de la NRF. En plus,

leurs façons de penser aussi sont devenus différentes parce que Rolland exprimait une forte

admiration pour le communisme soviétique. Selon lui, l’Europe sans la Russie est insignifiante. Par

conséquent, en janvier 1930, Rolland se déclare contre le mouvement paneuropéen que Richard

Coudenhove-Kalergi fonda avec l’exclusion explicite de la Russie. Au contraire de Rolland,

Curtius ne s’est pas senti à l’aise avec la Russie ou les cultures slaves. Dans la deuxième moitié des

années 1920, il quitte Rolland, et leur correspondance se termine en 1930. Mais tout comme

Rolland, il continue à énoncer l’Europe.

1 Les traductions de Curtius figurant en-dessous des citations originales en allemand sont les

nôtres.

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4. GIDE, PONTIGNY ET COLPACH

4.1. L’essai sur Gide dans Les Pionniers littéraires de la France nouvelle

Gide n’écrit pas seulement la fiction, mais il publie des traductions de littérature étrangère ainsi

que des critiques littéraires. Il est doté d’une curiosité intellectuelle remarquable. Quand on le

considère comme un écrivain intellectuel, « les Décades de Pontigny » et « le cercle de Colpach »,

où Curtius et Gide ont renforcé l’entente mutuelle, sont primordiaux. En plus, leur correspondance

montre l’influence de Gide sur le processus de formation de l’esprit européen.

Pour commencer, on se concentrera sur la réception de la littérature étrangère chez Gide,

décrite dans un essai de Curtius. Celui écrit que Gide est un successeur du classicisme français. Il

distingue Gide des écrivains qui appartiennent à l’Action française, en raison de son ouverture à la

littérature étrangère comme Goethe, Novalis, Nietzsche, Dickens, Meredith, Wilde, Dostoïevski et

Tolstoï (Curtius 1923, 45). E En outre, Curtius fait remarquer que Gide est au courant de la

littérature ancienne et moderne.

Ensuite, Curtius analyse les fictions de Gide. En touchant la théorie littéraire de Jacques

Rivière, il discute sur Les Caves du Vatican (1914). Selon Curtius, ce roman est proche de la

littérature française du 15ème siècle et du roman picaresque espagnol (Curtius 1923, 75-76). Cette

opinion a rapport à son ouvrage principal.

4.2. Les essais sur Pontigny en 1922 et 1924

J’aimerais examiner l’amitié entre Curtius et Gide par l’intermédiaire des « Décades de Pontigny »,

le « cercle de Colpach » et leur correspondance. Pour Curtius, qui était isolé dans l’académisme

allemand, les amitiés avec les écrivains de la NRF jouaient un rôle essentiel.

Curtius rédigea deux articles sur « les Décades de Pontigny », publiés respectivement en 1922

et 1924. Le philosophe français Paul Desjardins et les écrivains de la NRF avaient l’habitude de se

réunir chaque été dans l’abbaye de Pontigny, en Bourgogne, afin d’engager des débats autour de la

littérature, de la religion et de la philosophie avec des intellectuels étrangers (Chaubet 2000;

Masson 2014). Curtius participe une première fois aux Décades de Pontigny pendant l’été 1922.

Après l’entretien, il publie un article dans Der Neue Merkur où il y écrit que l’abbaye de Pontigny

est un admirable héritage culturel de l’ordre cistercien (Curtius 1925, 327). Dans cet essai, il

présente le paysage pittoresque de Pontigny et l’histoire de cette abbaye. Il souligne aussi le

caractère international des Décades (Curtius 1925, 331). Mais, il fait une distinction entre les

congrès internationaux et ce rencontre d’été dans l’abbaye de Pontigny parce que « les Décades de

Pontigny » n’est pas la réunion académique et sérieuse où les spécialistes se rassemblent. Cet

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éloignement de l’académisme nous rappelle les critiques littéraires de Curtius et son ouvrage

principal.

Pendant l’été de 1924, Curtius séjourna de nouveau à Pontigny. L’un des thèmes traités cet an

était la question du rapport entre la poésie et le mysticisme. Un article de Curtius pour la

Frankfurter Zeitung permet d’imaginer le déroulement des débats. Dans cet article, il écrit sur les

sujets de la conversation, qui n’étaient pas limités temporellement et spatialement. Ce caractère est

applicable aussi à son ouvrage principal.

Ici j’aimerais citer les descriptions sur l’Europe dans cet essai:

Grâce à la vie commune et à l’atmosphère de la maison, où personne ne se sent l’étranger,

les invités se rencontrent en un moment. On ne quitte pas Pontigny, sans étendre le cercle

de ses amis. […] Oui, Pontigny est l’Europe de petite dimension, le microcosme

européen (Curtius 1925, 341).

Il attache une importance particulière au contact avec des intellectuels étrangers jusque-là inconnus.

Cette citation nous enseigne la présence de ce rencontre d’été en Bourgogne dans le processus de

nourrir l’idée de l’Europe chez Curtius. Toutefois, depuis lors il n’a jamais de nouveau participé

aux Décades de Pontigny. Ce fait montre l’affaiblissement de sa passion pour la culture française

contemporaine.

4.3. Les Mayrisch et son château de Colpach au Luxembourg

Le château de Colpach, au Luxembourg, résidence de la famille Mayrisch, servait comme lieu de

rencontre entre Curtius et Gide. L’animatrice de ce salon luxembourgeois était Aline Mayrisch.

Elle est née Aline de Saint-Hubert au Luxembourg en 1874 comme la fille d’un marchand de bois.

Elle n’est donc pas issue d’un milieu intellectuel. À 20 ans, elle s’est mariée avec l’ingénieur Émile

Mayrisch. En 1895, elle débuta comme protectrice de la revue berlinoise Pan. En 1898, elle est

devenue la collaboratrice d’une revue bruxelloise L’Art Moderne. Dans cette revue, Mme Mayrisch

rédigea des articles sur les peintres allemands. En 1902 parut le récit de Gide, L’Immoraliste.

L’année suivante, la critique d’Aline, « Immoraliste et surhomme » dans L’Art Moderne, attira le

regard de cet écrivain français. Cette critique fut l’occasion de fonder la relation entre Mme

Mayrisch et Gide.

C’est au début de 1920 que les Mayrisch ont commencé leur vie dans le château de Colpach,

qui se situe dans la banlieue de Luxembourg. Dans les années 1920 et 1930, leur château de

Colpach au Luxembourg était un véritable lieu d’accueil pour les écrivains, les intellectuels et les

artistes venus essentiellement de France, d’Allemagne et de Belgique (Goetzinger 1997).

Mme Mayrisch participait aux Décades de Pontigny puisqu’elle était la personne concernée de

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la NRF. Par conséquent, quelques participants de ces réunions en Bourgogne étaient invités au

château de Colpach. Il faut noter une différence entre Colpach et Pontigny qui relève

essentiellement de la langue. Il me semble que l’emploi de plusieurs langues étrangères relève de

l’identité luxembourgeoise. Presque tous les Luxembourgeois, au moins l’élite cultivée, maîtrisent

le français et l’allemand. Il est donc compréhensible que ce caractère luxembourgeois se reflète

dans ce salon à Colpach. En revanche, même si les « Décades de Pontigny » étaient des réunions à

caractère international, la langue utilisée dans ces rencontres était limitée uniquement au français.

Donc, tandis que le salon luxembourgeois au château de Colpach était plurilingue, « les Décades

de Pontigny » étaient exclusivement monolingues. De fait, la plupart du cercle de Colpach sait

employer à la fois le français et l’allemand. C’est pourquoi on peut conclure que Colpach était plus

germanophone que Pontigny.

Pour Curtius, qui a été élevé en Alsace, Colpach devait être plus proche de son pays natal que

l’abbaye de Pontigny. Tandis qu’il a séjourné à Pontigny deux fois (en 1922 et 1924) seulement, il

visitait le château au Luxembourg régulièrement du début des années 1920 à la deuxième moitié

des années 1930.

Le mari d’Aline, Emile Mayrisch, était le patron d’une grande entreprise sidérurgique. Il

contribua à l’intégration européenne sous les aspects politiques et économiques. Par exemple, il

joua un rôle conciliateur pendant l’occupation française de la Ruhr en 1923 et il administra le

Comité franco-allemand d’information et de documentation pour la paix et la compréhension

mutuelle entre la France et l’Allemagne en 1926. Il organisa également le cartel international de

l’acier, considéré comme le précurseur du marché commun dans la Communauté européenne du

charbon et de l’acier.

Selon Remo Ceserani, l’Europe a été construit comme l’entité économique, l’Europe politique

peut exister, et l’Europe culturelle sera dans l’avenir (Ceserani 2011, 143). Probablement il est

conscient de la disparité entre l’intégration économique et culturelle à l’époque de l’Euro comme

monnaie unique. Toutefois, le fait qu’Aline Mayrisch propagea le mouvement d’intégration

européenne sous ses aspects culturels à la même époque du mouvement de son mari, nous montrent

la possibilité de rapprocher l’idée culturelle de Curtius de l’intégration politique et économique.

4.4. La correspondance entre Curtius et Gide

La correspondance entre Curtius et Gide durait de l’été de 1920 à l’automne de 1950. Au début de

la correspondance était leur première rencontre au Luxembourg (Dieckmann 1980, 28-30) et leur

participation aux Décades de Pontigny. Les sujets principaux de cette correspondance étaient

l’expérience de voyages, la lecture, la religion et les questions d’actualité. Quand on pense à la

genèse de La Littérature européenne et le Moyen Âge latin, cette correspondance est précieuse, car

Curtius et Gide dialoguent souvent sur l’abondance culturelle à Rome et la littérature classique

11

comme Virgile, Dante, Montaigne, Montesquieu ou Goethe. Les opinions fraiches sur la littérature

classique d’un romancier comme Gide devaient certainement stimuler Curtius. Après la publication

de l’ouvrage principal de Curtius en 1948 Gide lisait ce livre passionnément.

5. LES ESSAIS SUR HUGO VON HOFMANNSTHAL

5.1. Hofmannsthal et l’Europe

C’est en raison de l’européanité d’Hugo von Hofmannsthal que je traite les essais de Curtius sur

cet écrivain autrichien. Hofmannsthal était européen, parce qu’il lisait les œuvres littéraires

européennes en langue originale. En outre, il est l’un des premiers, qui ont synthétisé l’idée

d’Europe (Dethurens 2002, 108). Concrètement, Hofmannsthal donna une conférence „Die Idee

Europa“ (« L’idée d’Europe ») à Berne en 1917 où il raconte l’évolution de l’idée d’Europe. Dans

un premier temps, il cite la cohésion chrétienne de la croisade. Dans un deuxième temps, il

mentionne la République des Lettres que Curtius discutera plus tard dans son ouvrage principal.

Hofmannsthal, dans la conclusion de cette conférence, considère la Suisse et l’Autriche comme les

modelés de l’Europe nouvelle parce que ces deux pays sont multiethniques (Hofmannsthal 1964,

383).

5. 2. À la mémoire d’Hofmannsthal

Hofmannsthal mourut en juillet 1929 et Curtius publie deux articles pour déplorer son décès. L’un

est « La mission allemande d’Hofmannsthal » („Hofmannstahls deutsche Sendung“) dans Neue

Schweizer Rundschau. L’autre est « Hofmannsthal et le monde latin » („Hofmannsthal und die

Romanität“) dans Neue Rundschau.

Le thème de « La mission allemande d’Hofmannsthal » est la métamorphose d’un esthète à un

dirigeant spirituel. Curtius fait attention à son assertion sur la révolution conservatrice dans son

discours « La Littérature, Espace spirituel de la Nation » („Das Schrifttum als geistiger Raum der

Nation“) à l’Université de Munich en 1927 (Curtius 1954, 119). Curtius dit que cette révolution,

dont la pensée est proche de Charles Maurras, est la restauration de 1790 à 1830. De cette façon, il

supporta la révolution conservatrice, qui se rapporte au fascisme français et italien.

Curtius appelle Hofmannsthal un « grand cosmopolite de l’esprit » (Curtius 1954, 120). Alors,

comment était sa culture concrètement? Sur ce point, il analyse dans autre article sur

Hofmannsthal.

Dans « Hofmannsthal et le monde latin », Curtius se focalise sur ses travaux sur la philologie

romane. Curtius insiste sur l’appartenance d’Hofmannsthal à l’Empire des Habsbourg pour

expliquer la familiarité d’Hofmannsthal avec le monde latin. Evoquant les écrits du jeune

12

Hofmannsthal concernant Victor Hugo, Curtius mentionne sur la réception de la philologie romane

par Hofmannsthal:

Gardons du moins en la mémoire qu’un génie souverain, poète et chercheur, critique et

expert à la fois, éprouva le besoin, à un tournant de sa jeunesse, de choisir comme

objectif la connaissance du monde latin (Curtius 1954, 125).

Cette citation nous montre la sympathie du romaniste Curtius pour Hofmannsthal. À son

adolescence, Hofmannsthal apprit à maîtriser les langues latine et française (Volke 1995, 19, 54).

De plus, il étudia la philologie romane à l’Université de Vienne de 1895 à 1901. Sa grand-mère

Petronilla Antonia Cäcilia Ordioni était milanaise d’origine (Le Rider 2013, 171-172). Par

conséquent, Hofmannsthal exprime modestement son attachement à l’Italie dans son essai sur

Alessandro Manzoni (Hofmannsthal 1955, 415-416). Sur la relation entre Hofmannsthal et l’Italie,

Curtius évoque aussi le rôle de la ville maritime de Venise en raison de son appartenance à

l’Empire des Habsbourg.

5.3. George, Hofmannsthal et Calderón

L’essai de Curtius de 1934, « George, Hofmannsthal et Calderón » („George, Hofmannsthal und

Calderón“), commence par une réflexion de la réception allemande de la culture latine par

l’exemple de George et Hofmannsthal (Curtius 1954, 128). Dans cet essai, il compare les deux

modes de réception et constate l’intérêt d’Hofmannsthal pour Calderón, tandis que George ne

montre pas un tel intérêt.

Curtius traite soigneusement le mysticisme catholique de Calderón, sur lequel il ne discute

guère dans les deux articles. Cela est la preuve du changement intellectuel chez lui, et montre sa

passion pour la culture espagnole des années 1930 sous l’influence de la revue Revista de

Occidente que son ami Ortega rédige. Pour expliquer la relation entre l’Espagne et l’Autriche,

Curtius décrit la condition historique de la Maison de Habsbourg (Curtius 1954, 136-137). Ensuite,

dans l’analyse sur la réception de Calderón chez Hofmannsthal, il dit que les drames religieux de

Calderón, éloignés de l’anthropocentrisme, représentent l’univers transcendant du christianisme.

5.4. L’influence d’Hofmannsthal sur Curtius

Hofmannsthal exercice une influence remarquable sur Curtius, même s’il n’y avait pas une amitié

intime entre ces deux auteurs. Sur ce point, la relation de Curtius avec Hofmannsthal est très

différente de celle avec Rolland, Gide et Ortega.

L’origine de l’Europe chez Hofmannsthal est l’Empire des Habsbourg, où les cultures

13

allemands, salves et latins coexistaient. Aussi, Hofmannsthal lisait la littérature slave que Curtius

ne discute pas dans ses essais sur Hofmannsthal. C’est pourquoi l’Europe n’est pas identique pour

eux.

Toutefois, Hofmannsthal est indispensable quand on considère l’idée d’Europe chez Curtius. «

Hofmannsthal et le monde latin » et « George, Hofmannsthal et Calderón » nous indiquent sa vraie

sympathie pour la connaissance de la langue et de la littérature romanes chez Hofmannsthal. En

conséquence, dans son ouvrage principal, Curtius mentionne souvent cet Autrichien et la

communauté culturelle dans la zone latine dans le chapitre II « Le Moyen Age latin » (Curtius

1993, 40-42).

6. LES ESSAIS SUR JOSÉ ORTEGA Y GASSET

6.1. La Révolte des masses et l’Europe

Curtius publia deux articles sur Ortega en 1924 et 1949, et correspondit avec ce philosophe

espagnol pendant longtemps. Le point commun entre Curtius et Ortega était leur identité culturelle

pan-européenne (Pini 2011, 178-179).

Dans La Révolte des masses (La rebelión de las masas, 1929), Ortega proclame le respect

pour les élites. Il pense que les Européens ont joué le rôle d’une élite dans le monde depuis le

16ème siècle. Il affirme l’intégration européenne parce qu’il ressent la fin de la domination

européenne sur le monde après la Première Guerre mondiale. Ensuite, Ortega raconte l’apparition

des européens à l’époque contemporaine ainsi:

Todo buen intelectual de Alemania, Inglaterra o Francia se siente hoy ahogado en los

límites de su nación, siente su nacionalidad como una limitación absoluta. El profesor

alemán se da ya clara cuenta de que es absurdo el estilo de producción a que le obliga su

público inmediato de profesores alemanes, y echa de menos la superior libertad de

expresión que gozan el escritor francés o el ensayista británico (Ortega y Gasset 1957,

246-247).

Nous pouvons considérer « le professeur allemand » (“el profesor alemán”) comme Curtius dans

cette citation.

6.2 L’essai de Curtius sur Ortega en 1924

Pour introduire les travaux d’Ortega, Curtius publia un essai dans Die neue Rundschau en 1924.

D’abord, il remarque la vaste passion intellectuelle d’Ortega, en prenant la philosophie ionienne de

14

la nature et les peintures cubistes pour exemple (Curtis 1954, 249). Ensuite, en montrant ses

connaissances sur Madame de Noailles, Simmel, Proust et Scheler, il dit que l’originalité d’Ortega

est la capacité de lier la culture allemande et celle française. Cette remarque est autoréférentielle.

Dans cet essai, il commente les deux livres d’Ortega, L’Espagne invertébrée (España

invertebrada, 1921) et Le thème de notre temps (El tema de nuestro tiempo, 1923).

L’Espagne invertébrée est l’analyse historique de l’Espagne. Pour penser des vicissitudes

politiques ou la division territoriale de l’Espagne, Curtius évoque l’histoire de l’Empire romain.

Cela indique son intérêt pour cet Empire à ce moment-là. Dans ce livre, Ortega remarque l’absence

des élites en Espagne. Sur ce point, Curtius dit que cette absence peut s’appliquer aussi à la Russie

(Curtis 1954, 254). Cette opinion nous montre son indifférence pour la révolution russe.

Le thème de notre temps est la réflexion sur la culture contemporaine en Europe. Ortega

avance la raison vitale, qui dépasse l’opposition entre le relativisme et le rationalisme. Curtius

pense que cette raison vitale et le perspectivisme chez Ortega sont nécessaires pour échapper à la

crise moderne (Curtis 1954, 259-264).

6.3. L’essai de Curtius sur Ortega en 1949

L’objectif de l’essai paru en 1949 dans Merkur, est la synthèse des travaux d’Ortega. Curtius

défend ses activités journalistiques et le regarde comme le Socrate moderne par son

non-académisme. Ensuite, il raconte le jeune Ortega, utilisant une expression « rencontre entre le

soleil de la Méditerranée et le climat de pensée de l’Allemagne et des pays du Nord » (Curtis 1954,

271). Dans l’essai en 1924, Curtius fait éloge du rapport entre la France et l’Allemagne, mais ici il

fait attention à la relation entre la Méditerranée et le monde germanique. Cette transition nous

montre le changement intellectuel de Curtius, qui a publié La Littérature européenne et le Moyen

Âge latin un an avant cet essai.

6.4. La correspondance entre Curtius et Ortega

Curtius et Ortega ont correspondu de 1923 à 1954 en allemand. Leur correspondance nous indique

leurs envois des livres et de la revue.

Au début de leurs lettres, ils parlent de Proust et de Max Scheler (Curtius und Ortega 1964,

903-906). Dans la lettre en juillet 1924, Ortega refuse une invitation de « Les Décades de

Pontigny ». Ce fait montre que Curtius était la personne concernée de cet entretien d’été (Curtius

und Ortega 1964, 905-906). Dans la lettre en mars 1925, Ortega tente d’inviter Curtius à faire une

conférence à Madrid (Curtius und Ortega 1964, 907). Ce plan n’a été réalisé qu’en 1932. D’autre

part, Ortega fut une conférence à l’Université de Bonn après la Seconde Guerre mondiale. C’est

pourquoi nous pouvons considérer ces deux intellectuels comme les précurseurs du programme

15

Erasmus Mundus.

7. CONCLUSION

Cet article analysait les travaux journalistiques de Curtius. Il a mis en lumière l’esprit européen

dans les critiques littéraires de Curtius. L’européanité faisait partie de son caractère, et il écrit non

seulement la littérature, mais aussi la sociologie et la philosophie.

D’abord, j’ai tracé son parcours de ses activités. Ensuite, j’ai examiné ses critiques sur

Romain Rolland, Gide, Pontigny, Hofmannsthal et Ortega. Sur Gide et Ortega, les correspondances

aussi ont été les objets de l’analyse. En conséquence, nous pouvons apercevoir quelques

continuités entre ses critiques et La Littérature européenne et le Moyen Âge latin.

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