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LES PROPHÈTES ET LE CHRIST « MESSAGER(S)» DANS LES
INSTITUTIONS DIVINES DE LACTANCE (250-325) :
FAIRE LIRE ET ENTENDRE LA RÉVÉLATION AUX PAÏENS
BLANDINE COLOT
Lactance reste un auteur relativement marginal au sein de la littérature chrétienne, pour
un certain nombre de raisons qu’il n’y a pas lieu de développer ici, touchant à ses spécificités
de doctrine et à sa rhétorique1, notamment, mais c’est un fait qu’on peut aisément mesurer si
on le rapproche de son exact contemporain, le grec Eusèbe de Césarée, auteur en particulier
d’une Histoire ecclésiastique qui marqua la naissance d’un nouveau genre littéraire. Tous
deux ont appartenu à l’entourage proche de Constantin, premier empereur romain à se
convertir et à reconnaître officiellement le christianisme dans l’Empire (Lettre de Milan, 313),
mais seul Eusèbe a marqué la tradition littéraire chrétienne, tant dans le domaine de
l’historiographie, même si cette dernière fut reprise après lui en termes nouveaux par saint
Augustin, que de l’ecclésiologie, qui lui est liée2. Les Institutions divines constituent pourtant
une œuvre majeure, à tout le moins l’œuvre majeure de Lactance, composée durant les années
de la dernière persécution, entre 305 et 311, car elles représentent à la fois un tournant dans le
genre apologétique chrétien et la première somme de théologie morale chrétienne en langue
latine3. Celle-ci contient sept livres qui s’organisent selon un schéma complexe dont les
richesses vont au-delà du simple découpage, couramment mis en évidence, en un premier
ensemble, négatif, portant sur le paganisme (I, De falsa religione ; II, De origine erroris ; III,
De falsa sapientia ), et un second, portant sur christianisme, positif et protreptique (IV, De
uera sapientia et religione ; V, De iustitia ; VI, De uero cultu ; VII, De uita beata)4. Elle
témoigne aussi d’une intentionnalité marquée et en évolution, car si le premier ouvrage
chrétien de Lactance, qui traite d’anthropologie, était encore « crypto-chrétien »5, les
Institutions relèvent d’une autre démarche, où l’auteur lance cette fois le projet de corriger les
païens de leur error, comme il le déclare, et de les mener sur la voie plus droite de la vérité
chrétienne6. Le métatexte occupe de ce fait une place importante dans les Institutions divines,
il traduit les enjeux d’écriture de Lactance, exprime ses choix de méthode et, s’agissant d’une
apologie, écrite par définition en fonction d’un contexte historique donné, contient remarques
et réflexions sur une entreprise littéraire elle-même en relation directe avec la situation extra-
textuelle qui la motive : le champ historique forme ainsi l’horizon du texte.
Dans la vaste architecture que composent ces Institutions, le livre IV, quant à lui, prend
un relief particulier dans la mesure où il entame le second développement de l’œuvre, plus
proprement chrétien, et introduit pour cela une matière nouvelle et à part au regard du contenu
des livres précédents. En effet, le Christ est ici au cœur du propos. Dès lors, Lactance recourt
abondamment aux Écritures, et spécialement aux Prophètes comme auteurs d’autant de
praedicta accomplis par la venue du Christ, les citations côtoyant par ailleurs des résumés
assez librement composés, notamment de la Genèse, tandis que les Evangiles, même si leur
texte n’est jamais explicitement rapporté, apparaissent comme une source constante de
l’apologiste7. Tout cela, en tout cas, contraste radicalement avec la façon dont Lactance utilise
pour son argumentation, dans les trois premiers livres puis encore les livres V et suivants, à
2
l’intention de son lectorat païen, les auteurs classiques, poètes et philosophes, à côté d’autres
sources païennes telles que les oracles8.
Certes, il va de soi que la christologie relève nécessairement d’un support propre
(encore que même en ce livre IV Lactance recourt à plusieurs reprises aux sources païennes9),
mais le contraste apporté par le livre IV se fait d’autant plus sentir que l’apologiste a
revendiqué hautement auparavant sa façon particulière de procéder, qui représente pour lui un
choix de méthode pour pouvoir faire entendre à son lectorat païen la vérité chrétienne10
. Aussi
ne peut-on manquer de se demander, en constatant cette rupture d’isotopie au sein du discours
lactancien, si la lecture de ce livre n’était pas rendue de ce fait impossible pour ce même
lectorat païen, ni négliger non plus que Lactance, à cette occasion, paraît se contredire lui-
même, qui plus est en toute clairvoyance, puisqu’il affirme vouloir à présent recourir au
témoignage des prophètes après s’en être gardé précédemment11
; sinon, il faudrait pouvoir se
demander en vertu de quelle vision commune à l’auteur et à ses lecteurs païens cette lecture
pouvait effectivement se révéler possible et donc envisageable aux yeux de l’auteur. Rien
n’assure, en effet, qu’il faille attribuer cette apparente aporie à Lactance plutôt qu’à la
difficulté propre des modernes, porteurs d’une culture et/ou d’une religion chrétiennes bi-
millénaires, à pénétrer le mode de représentation de cet apologiste chrétien. Et c’est dans le
cœur même du texte, concernant à la fois la méthode de Lactance et l’accès au sens de son
texte, à partir de l’image emblématique des prophètes et du Christ entendus par lui comme
« messager(s) », que nous aurons la possibilité, croyons-nous, de lever les difficultés, et de
montrer ainsi selon quel type de rapport le livre IV se trouve associé à l’économie des livres
suivants. Ce faisant, c’est aussi la figure de Lactance que nous espérons faire mieux ressortir :
un chrétien encore « imprégné de paganisme », selon la formule employée à son propos, mais
sans que l’on examine toujours suffisamment de quoi cette imprégnation pouvait être faite12
,
en même temps qu’en affinité avec ce que l’on appelle le « judéo-christianisme », et que l’on
s’empresse de considérer comme une caractéristique de l’apologiste en décalage avec son
temps13
. Or c’est au contraire parce que Lactance réunit en lui ce mélange surprenant de
données qu’il y a lieu, nous semble-t-il, d’y être attentif, de chercher à l’analyser, et pour cela,
d’abord, d’en respecter la teneur, au lieu d’y introduire un tri en fonction de classements
préalablement définis. Tel qu’il s’est manifesté dans son œuvre, c’est un chrétien vivant au
début du IVe siècle, en prise directe avec les enjeux de son époque, que nous cherchons à
approcher et tenterons ici de mieux comprendre.
***
L’écriture de Lactance frappe d’abord par son caractère discursif, et le livre IV
n’échappe pas à cette tendance : l’auteur fait progresser son discours par toute une suite de
raisonnements qu’il cheville comme s’il s’agissait à chaque fois d’avancer logiquement, alors
qu’il y est question de la Révélation chrétienne14
. De fait, celle-ci paraît avoir constitué pour
l’apologiste une sorte de révélation intellectuelle plutôt qu’une expérience du mystère divin,
et c’est en termes d’épistémologie que l’on se trouve donc amené à appréhender la démarche
de Lactance. Ainsi, au moment où il entame son quatrième livre, il a déjà déclaré, au livre II,
qu’il exposerait dans les quatre derniers livres la connaissance de la vérité qu’il possède, parce
que Dieu, qui seul peut la donner, la lui a donnée15
. Et c’est bien en partant de cette assurance
acquise à partir de sa croyance religieuse qu’il entend faire connaître la Révélation chrétienne
aux païens. Suivant sa méthode, Lactance résume d’abord l’acquis de la démonstration menée
à travers les livres précédents, selon laquelle le polythéisme n’a pas de sens ; puis affirme que
la religion ne peut avoir de sens que si elle est en même temps sagesse, ce que le christianisme
est, précisément, seul à être ; et s’apprête à entamer maintenant un nouvel exposé, où il sera
traité du Christ, notamment de son nom en tant que Christ ou encore en tant que Verbe. À ce
3
stade, il fait référence aux « prophètes, aux témoignages desquels il est nécessaire maintenant
de recourir, alors que, dans les livres précédents [il s’]étai[t] abstenu de le faire »16
. Ainsi
donc, traiter de christologie entraîne pour Lactance de mentionner les prophètes, alors qu’il
avait commencé, en effet, par se placer dans une perspective complètement différente au livre
I, en affirmant :
Mais laissons soigneusement de côté les témoignages des prophètes, de peur que notre démonstration ne
paraisse peu probante si nous la fondons sur ces gens à qui l’on n’accorde absolument pas de crédit 17
[…]
Il reste à produire les témoignages tirés des réponses des oracles et des poèmes inspirés, qui offrent
beaucoup plus de garanties18
.
Aussi, peut-on facilement incliner à taxer Lactance d’incohérence, si l’on n’entend dans
le nunc uti necesse est énoncé ensuite au livre IV qu’une forme de palinodie et un aveu de
faiblesse, plutôt que d’y voir le signe d’une démarche parfaitement assumée et maîtrisée, dans
la mesure où il en souligne lui-même le cours. Le terme de nécessité devrait alors s’entendre
en un sens logique, une logique à ses yeux et en fonction de ses lecteurs, avec lesquels il croit
possible de partager une certaine forme de raisonnement. Il est en effet tout à fait remarquable
que ce soit dans ce contexte que Lactance énonce avec la plus grande netteté qu’il va mettre
en pratique son exigence de rationalité, puisqu’il déclare, peu avant d’insérer la première
citation d’un prophète, qui apparaîtra au chapitre 1119
:
Mais je vais d’abord montrer pour quelle raison le Christ est venu sur terre, afin de mettre en lumière le
fondement rationnel de la divine religion20
.
Si la christologie pouvait représenter un domaine difficile à appréhender eu égard au
lectorat païen auquel Lactance s’adressait, parce que cela représentait une matière étrangère à
leur culture propre et puisqu’il s’agissait, précisément, d’aborder le fondement même de la
religion défendue par l’apologiste, si, par conséquent, elle pouvait apparaître comme une sorte
de « passage obligé » mais déroutant aussi pour ce lectorat, le remarquable, précisément, est
que cette forme de détour était dans le même temps intégré dans la continuité du processus
rationnel poursuivi par l’auteur.
De fait, il n’y a pas lieu de considérer en termes de contradiction la position adoptée par
Lactance dans un livre, puis dans l’autre, mais de s’apercevoir simplement que la différence
tient à ce que, dans chaque cas, comme effectivement il le signale, l’apologiste n’a pas la
même chose à prouver. Ainsi, il a préféré recourir aux auctores, autrement dit les auteurs
païens, lorsqu’il s’est agi de prouver l’unicité de Dieu – et l’on sait que l’hénothéisme est une
conception des écrits philosophiques païens qui pouvait être exploitée dans l’explication du
monothéisme religieux21
– mais au livre IV, il s’agit désormais, maintenant qu’il a « prouvé
que sagesse et religion ne peuvent être séparées l’une de l’autre22
[…, de] faire un exposé sur
le fond de la religion et de la sagesse »23
. Pour ce faire, P. Monat a montré que Lactance avait
très probablement puisé une part des citations du livre IV à l’un ou l’autre des recueils de
florilèges bibliques de controverse qui existaient en son temps, tout en s’abstenant, d’ailleurs,
d’adopter une attitude polémique à l’encontre des juifs, à la différence de celle qu’il adopte
souvent à l’encontre des païens24
. Il s’est alors appliqué à interpréter le texte des Ecritures à
l’intention de ses lecteurs païens – en un exercice que l’on ne peut donc pas considérer
comme une exégèse à proprement parler25
.
Le livre IV a dès lors ceci de particulier qu’il mêle en un seul faisceau discursif trois
sources de pensée a priori irréductibles l’une à l’autre, même à degré différent, à savoir celles
du paganisme romain, du christianisme et du judaïsme, qu’il repose et joue donc sur ces trois
pôles pris ensemble comme s’il pouvait effectivement exister un domaine d’intersection
4
possible entre eux. Ici encore, l’important est sans doute de commencer par voir et admettre
cette position intellectuelle de l’auteur avant de mener une quelconque analyse. Si l’idée
d’une transmission d’héritage est, en l’occurrence, centrale chez Lactance pour penser le fait
de l’avènement du christianisme en remplacement et dépassement du judaïsme26
, et cette
articulation entre ces deux composantes religieuses, évidemment et incontestablement
fondamentale, il s’avère que Lactance fait plus, en articulant à son tour cette donnée « bi-
polaire » à cet autre pôle que représente la composante païenne, et romaine en l’occurrence, à
laquelle se rattachent ses lecteurs27
. Dans les limites de cet article, il ne peut être question
d’appréhender à sa juste mesure la place occupée par le judaïsme dans le propos lactancien,
mais seulement d’en dégager la part exploitée ici à travers la question des prophètes et du
Christ « messager(s) » à l’intention de ses lecteurs païens.
Ainsi, écrit-il, au moment d’exposer le « plan de Dieu » dans lequel prendront place les
prophètes, toujours attentif à l’efficacité de sa méthode et en mêlant de manière étonnante les
modes d’approche :
Personne n’ajoutera foi à mes affirmations si je ne montre auparavant que les prophètes, à une époque qui
remonte très haut dans le temps, ont prédit qu’il arriverait un jour que le fils de Dieu viendrait au monde
comme un homme, accomplirait des merveilles, sèmerait le culte de Dieu par toute la terre, serait enfin
cloué au gibet, et ressusciterait le troisième jour. Quand j’aurai prouvé tout cela à l’aide des écrits de
ceux-là même qui ont fait violence à leur Dieu qui avait pris un corps, quel obstacle empêchera encore
que l’on voie clairement que la vraie sagesse se trouve uniquement dans notre religion ? 28
.
Que faut-il entendre ? Lactance avance explicitement ici que, sur le plan théorique du
moins, les écrits des juifs sont à même de prouver quelque chose aux yeux des païens. Ce
faisant, il convient de souligner que, sans jamais les prendre en interlocuteurs puisqu’ils ne
sont pas ses lecteurs directs, mais parce qu’il parle d’eux et les implique dans un
raisonnement qui comporte ses conséquences, Lactance enjoint donc les juifs d’entendre
désormais leurs textes sacrés en quelque sorte « recyclés » par la lecture chrétienne et romaine
qu’il en donne. Ainsi, pour le dire un peu trivialement, Lactance semble penser qu’il peut
mettre tout le monde immédiatement d’accord. Or ce qui compte n’est pas de montrer qu’il se
trompait, car il ne s’agit ici ni de rappeler les faits têtus de l’Histoire, ni de rétablir les
éléments propres de la doctrine chrétienne, mais de tenter de suivre la forme de ce qui
constituait pour Lactance une cohérence, autrement dit d’entrer un tant soit peu dans son
mode de représentation.
Il faut pour cela se mettre au diapason de sa rhétorique, laquelle distingue éminemment
cet apologiste latin puisqu’il fut le premier à adopter et revendiquer cette mise en œuvre du
discours, dans le droit fil de l’orateur et philosophe Cicéron, avec lequel il entendait rivaliser
en tant qu’autorité suprême en ce domaine. Très loin d’être un simple ornement ou encore une
tactique habile d’écrivain, sa rhétorique est une mise en forme de la pensée, et notamment la
mise en forme d’une dialectique, qui se révèle d’ailleurs pour autant qu’elle laisse apparaître
des points de résistance à ménager chez les lecteurs, au sens où il apparaît qu’une donnée
chrétienne devait pouvoir entrer en résonance avec telle autre donnée païenne pour pouvoir
susciter l’adhésion29
.
Ainsi l’on sait, par exemple, que les chrétiens se virent objecter par les païens que leur
religion ne pouvait en être une du fait de sa nouveauté, qu’elle n’était en l’occurrence qu’une
invention soudaine dépourvue de tout fondement et de toute tradition. A quoi l’apologétique
chrétienne, s’inspirant en cela de l’apologétique juive, avait répondu que Moïse avait vécu
bien antérieurement à Homère et qu’un tel fait expliquait que les philosophes païens avaient
pu recevoir quelque part de la vérité de Dieu30
. Or ce thème se retrouve chez Lactance
5
puisque l’apologiste présente une chronologie comparée des prophètes avec les événements
du monde juif, grec et romain par laquelle il veut prouver la même chose ; seulement, il le fait
avec une inflexion propre tout à fait notable31
. Certes, la question de l’ancienneté des
Écritures comportait pour lui comme pour ses prédécesseurs l’enjeu de leur auctoritas, ainsi
que l’avait déjà parfaitement exprimé Tertullien : « ce qui donne l’autorité aux Écritures, c’est
leur antiquité très haute […] nous pourrions prouver tout cela par des calculs chronologiques,
écrivait-il »32
. Mais il faut souligner que Lactance n’éprouve nul besoin, comme Tertullien
dans l’Apologétique, alors sur la défensive, d’accumuler ses indications et ses références. Loin
d’adopter cette position, en effet, il préfère la clarté et l’impact de quelques repères-clés
(guerre de Troie, déportation à Babylone, règnes de Cyrus et de Tarquin le Superbe) et met
uniquement en avant les faits et les dates de l’Histoire, avant de conclure, en une simple
exclamation, sur la postériorité des écrivains du monde païen en général par rapport aux
prophètes33
. De la sorte, il se préoccupe toujours et avant tout de la démarche intellectuelle
qu’il désire entraîner chez son lecteur :
Et je rapporte tout cela pour faire prendre conscience de leur erreur à tous ceux qui s’efforcent de
contredire l’Ecriture Sacrée sous prétexte qu’elle serait nouvelle et d’invention récente, ignorant la source
d’où a découlé cette sainte religion. Mais si quelqu’un, après un rapprochement minutieux des époques,
jette correctement les bases de la doctrine, il comprendra profondément la vérité, et, connaissant la vérité,
rejettera l’erreur34
.
Aussi constate-t-on que Lactance ne se focalise pas tant sur la démonstration de
l’ancienneté des Ecritures qu’il ne l’établit, pour s’employer, sur ces bases, à mettre en
pratique l’auctoritas de ces sanctae litterae dans le processus de lecture qu’il construit : bien
que le christianisme procède en droite ligne de la révélation biblique, il ne s’intéresse pas à la
notion spécifique d’inspiration mais assuré, par sa foi, de détenir la vérité, il porte toute son
attention à objectiver, pour son lecteur, l’utilisation qu’il fait/peut faire des Prophètes. Et
il veut à cet égard montrer que les prophéties, les praedicta, se sont effectivement réalisées
dans le Christ, in Christo […] impleta esse, en quoi l’on peut reconnaître un certain usage par
Lactance de l’exégèse typologique. Or l’important est d’observer sa manière car, pour chaque
avancée de son ample démonstration, au long des dix chapitres qui figurent au centre du livre
IV35
, on constate que Lactance procède toujours par citations intercalées une à une avec son
texte portant sur le Christ. Ainsi, tout se tient, tout s’éclaire : procédant de cet équilibre à deux
tenants, l’histoire de la révélation dépeinte par Lactance se déploie avec sûreté. De ce fait, la
citation est présentée comme élément de preuve, elle est mise en valeur par la force et
l’évidence mêmes de son insertion dans le texte et c’est donc sa fiabilité en tant que source
textuelle qui se trouve initiée de manière essentielle ici par Lactance. Le fait que le jeu
sémantique ressortisse davantage au mot français qu’au fons latin36
, ne compte en rien ici :
c’est une religion du Livre que Lactance, ainsi, invitait les païens à découvrir.
Loin d’être inconséquent dans ses méthodes, Lactance, donc, en citant au livre IV les
prophètes, ose cette fois inviter ses lecteurs païens à faire l’expérience d’une lecture qui les
introduise dans une réflexion religieuse nouvelle. Il les invite à se fier à un texte étranger et
jusque-là sans crédit à leurs yeux dans la mesure où il a ménagé les moyens qui, selon lui,
pouvaient les intéresser à cette lecture et les conduire, ce faisant, à découvrir la figure du
Christ37
. Car le premier acquis de cette construction textuelle et documentaire était que
Lactance rendait possible désormais, pour son lecteur, de se représenter un Christ intégré dans
le processus de l’Histoire, tel un long processus et inconnu jusque-là mais simplement
beaucoup plus ample et plus ancien que celui dont on avait eu connaissance auparavant, et qui
se présentait dans toute une série d’événements probants et concordants. Il y aurait lieu, sans
aucun doute, d’étudier la structure d’ensemble de cette « histoire selon Lactance » et de mieux
6
évaluer, de la sorte, son degré effectif de recevabilité pour ses lecteurs. Mais l’important,
d’abord, est bien que cette dimension historique de la religion chrétienne ait été mise en
valeur par l’apologiste, dans la mesure où elle pouvait pleinement satisfaire aux catégories
historicisantes de l’esprit romain38
.
Ainsi, la lecture de l’histoire du Christ était mise en conditions quelque peu nouvelles
par Lactance, et si l’on ne peut ici entrer dans la question de sa christologie, il reste à observer
comment cet auteur pouvait aussi se servir des mots et de la phrase pour essayer de rendre ses
lecteurs autrement attentifs aux données du christianisme dont il se fait le pédagogue39
. Pour
cela, nous l’avons dit, il commence par expliquer les différents noms du Christ : « Verbe »,
« Jésus », « fils de Dieu » ou « fils de l’homme », et le qualificatif lui-même de « Christ » en
tant que « Oint » et « Messie »40
. Au demeurant, certaines des affirmations de Lactance au
cours de ces développements ont pu être jugées aujourd’hui « un peu irritantes »41
, mais cela
ne change rien au fait que le vocabulaire lactancien se signale essentiellement par sa richesse,
qui s’explique par la richesse des points de vue et approches qu’il contient. Comme l’avait
souligné J. Fontaine, c’est dans la teneur et la mobilité de son propos qu’il faut s’attacher à
analyser le vocabulaire d’un tel écrivain42
. C’est pourquoi nous proposons que l’on s’arrête
sur certains autres termes employés par Lactance pour désigner le Christ au cours du livre IV,
pour la raison qu’ils se montrent singuliers et semblent receler, de ce fait, quelque intention
d’auteur.
Constatons d’abord que le recours aux prophètes, qui s’est avéré pleinement motivé
pour l’apologiste une première fois, joue à nouveau son rôle dans le fait qu’un jeu en écho
entre eux et le Christ, soit par parallélisme soit, inversement, par différenciation, est
subtilement construit dans le texte. Il est peut-être utile de préciser sur ce point que le Christ
n’est en principe pas considéré comme prophète, puisqu’il est accomplissement des
prophéties ; mais il apparaît néanmoins aussi comme tel dans les textes chrétiens, à
commencer par l’évangile de Luc, dans la mesure où il est celui qui interprète et rend
compréhensible les Écritures. Lactance, à sa manière, le représente comme tel à son tour, mais
c’est surtout dans sa fonction de « messager », « envoyé » par Dieu, que le jeu en écho dont
nous parlons se trouve établi et exploité par l’apologiste. Et c’est à partir d’une représentation
de ce genre, repérable dans un champ lexical précis, que s’organise, nous semble-t-il, une part
essentielle du propos que Lactance élabore et adresse à son lectorat païen pour lui apporter la
révélation du Christ.
Ainsi, il apparaît que dès le livre I des Institutions divines, où il est pour la première fois
fait référence aux prophètes, le terme classique de praeco, qui désigne en latin un « héraut »,
un « crieur public », s’applique à ces derniers, et leur reste en l’occurrence réservé43
; mais
que, reprise indirectement dans le syntagme de facere praeconium, « être crieur, proclamer »,
au livre IV, l’expression s’applique exactement de la même manière aux prophètes et au
Christ, où il est question de dire dans les deux cas qu’il y a eu « proclamation d’un Dieu
unique »44
. De même, il s’avère que Lactance emploie identiquement le verbe nuntiare, à
propos des Prophètes ou du Christ, même si ce terme est également d’emploi plus large, en
s’appliquant aux Sibylles ou autres voix divines du paganisme45
et que sa distribution est par
ailleurs clairement marquée, puisque les prophètes annoncent le Christ et ses miracles, et le
Christ, le Dieu unique, avant qu’ait lieu la Parousie46
. Enfin, il apparaît que les prophètes et le
Christ ayant été envoyés par Dieu auprès des hommes, c’est le verbe mittere qui est employé
en ce cas par Lactance, mais comme pour mieux faire ressortir aussi la rupture qui est apparue
selon lui entre le temps de l’Ancien et celui du Nouveau Testament47
. Car, dans la logique de
l’économie religieuse chrétienne qu’il décrit, et tel un phénomène de cause à effet, la venue
du fils de Dieu sur terre s’explique directement par le fait que, le peuple juif étant resté sourd
aux exhortations des prophètes, les nations ont alors été choisies par Dieu pour que leur soit
7
transférée sa religion. Ainsi, rapporte-t-il, « ne se contentant pas de mépriser leurs [= des
prophètes] paroles, offensés de ce que ceux-ci leur reprochaient leurs fautes, ils [= les Juifs]
les tuèrent dans des supplices raffinés »48
. Et de préciser encore :
« à cause de toutes ces manifestations d’impiété, il [= Dieu] les a rejetés pour toujours [et c’est] pourquoi
il a cessé d’envoyer (mittere) des prophètes auprès d’eux. En revanche, il a ordonné à ce fils qu’il avait,
son premier-né, le créateur des choses, son conseiller, de descendre du ciel pour transférer la sainte
religion de Dieu chez les nations »49
.
On va devoir revenir à cette manière très particulière qu’a Lactance de présenter le
Christ comme un relais direct des prophètes. Pour le moment, il y a lieu de se rendre compte
que lorsqu’il est dit que le Christ est chargé d’« annoncer » (nuntiare) « l’unicité de Dieu »50
,
la teneur de son message se trouve néanmoins entièrement résumée dans le complément du
verbe, sans que l’on n’entende jamais, en définitive, ses propres paroles51
. Que cette mise en
forme soit dépendante du fait que le Christ soit « envoyé » (missus) par Dieu en vertu d’une
disposition et d’une décision dont V. Loi avait justement souligné qu’elles précèdent, chez
Lactance, l’incarnation du Fils : ce sont les compléments de finalité qui dominent en ce cas la
phrase lactancienne. De même, que cette singularité se manifeste pleinement lorsque apparaît
le verbe reuelare, « révéler », dont l’emploi est, lui, scrupuleusement réservé au Christ : qu’il
s’agisse pour ce dernier de révéler « l’unicité de Dieu », sa « volonté », ou sa « voix »52
, il
ressort en effet que l’acte de révélation du Christ est entièrement contenu dans les substantifs
compléments du verbe, sans que l’on entende une fois le Christ parler.
Or voilà une différence essentielle entre la façon dont Lactance entreprend de donner à
ses lecteurs accès au Christ et celle dont il procède lorsqu’il est question des prophètes. En
effet, on a relevé plus haut que les paroles des prophètes étaient abondamment citées,
consciencieusement mises en résonance avec les faits de l’histoire du Christ et que, par ce
procédé, Lactance avait tenté la gageure d’élever le texte biblique au rang de source textuelle
auprès de ses lecteurs. Or contrairement à cela, nulle part on ne trouve un sermon, un précepte
ou une parabole cités. En revanche, apparaît de manière saillante et se présente comme
spécifique de la figure christique, chez Lactance, le fait que le Christ porte sans cesse d’autres
noms, fait l’objet de nouvelles appellations au cours du texte, lesquelles se présentent comme
autant de titres à signaler à l’attention du lecteur comme s’il s’agissait, en l’occurrence, de
permettre à ce dernier de distinguer cette figure par son rôle. Ainsi, le Christ est nuntius, « le
messager », missus, « l’envoyé », comme il était « fils de l’homme », nous l’avons vu pour
commencer, mais comme il est également doctor iustitiae, « docteur de justice »53
, magister
doctorque uirtutis, « maître et docteur de vertu »54
, ou encore magister doctrinae Dei « maître
de la doctrine de Dieu »55
.
Si ces termes détonnent quelque peu à nos oreilles de modernes, ils n’avaient au
contraire rien d’inouï pour un lecteur latin de l’Antiquité tardive, et c’est bien cela qui peut
nous permettre d’imaginer un tant soit peu leur fonction et de comprendre leur intérêt dans le
texte lactancien. Pour ne s’arrêter que brièvement sur l’emploi de l’expression doctor
iustitiae, par exemple, dont la facture est éminemment classique, il y a tout lieu de penser
qu’il s’explique d’abord et avant tout par sa fonction dans l’économie générale des
Institutions divines, puisqu’il annonce à sa manière le livre V qui portera, nous l’avons
signalé, sur la justice. Or il s’agira pour le lecteur d’entrer cette fois dans une lecture à
caractère dialectique, où Lactance débattra à partir des données cicéroniennes, qu’il récusera,
pour défendre une conception de la justice en fonction de principes chrétiens, qu’il
développera. Et de fait, c’est sur cette question de la justice que se situe un enjeu fondamental
de la démarche de Lactance, dans la mesure où l’idéologie romaine, qui associe
intrinsèquement religion et politique, et qu’on trouve élaborée philosophiquement par
8
Cicéron, autour des idées de justice et de droit naturel, était source d’un débat de fond pour
l’apologiste chrétien, en ce début du IVe siècle où le christianisme, avant 313, était encore
hors-la-loi56
.
Ces rapides considérations permettent à notre sens d’expliquer que Lactance ait fait en
sorte de ne pas livrer directement à la lecture des païens les paroles du Christ mais de traduire
au contraire son enseignement dans le corps même de son texte, et en fonction d’une
problématique particulière ; comme si, en l’occurrence, il se faisait l’ouvrier d’un message
préalablement médité et compris par lui mais qu’il considérait comme encore difficilement
acceptable tel quel par un païen, alors qu’il était au moins possible de signaler et de mettre en
valeur le rôle que le Christ doctor, pour l’avoir joué pour lui-même, un converti57
, était
susceptible de pouvoir jouer à son tour pour son lecteur. Parce qu’il s’agissait, en ce temps de
bouleversement possible, et d’ailleurs imminent, sur un plan politique et religieux, de
renouveler les termes d’une problématique de justice qui intéressait au fond les Romains
chrétiens et païens aussi bien.
Aussi peut-on dire que la manière adoptée par Lactance pour présenter le Christ
répondait encore à une exigence de méthode de sa part pour pouvoir se faire entendre de
ses lecteurs païens. Et à cet égard, il est un titre choisi par lui qui mérite plus particulièrement
attention, parce qu’il contient un jeu de résonances qui peut nous faire entendre la force de
persuasion qu’il attendait de son travail d’auteur. Ainsi, et alors qu’on a vu que le verbe
nuntiare correspondant était d’emploi assez large sous la plume de l’apologiste, le terme de
nuntius, « le messager », est à part, qu’il réserve au personnage du Christ. Or, et pour
retrouver le contexte vu plus haut, où Lactance rapproche le Christ des prophètes en faisant de
ce dernier une sorte de relais envoyé par Dieu après eux, il faut remarquer que nuntius est un
terme fréquent de l’Ancien Testament, notamment pour désigner les prophètes, mais qu’il est
quasiment absent, et employé seulement avec le sens banal de « celui qui transmet une
nouvelle », nullement appliqué au Christ, dans le Nouveau Testament58
. Il semble donc
représenter une donnée judaïque importante que l’apologiste reprend à son compte. Et de fait,
un passage des Chroniques59
portant sur la fin de la Royauté peut être rapproché très
directement de ce récit lactancien évoqué plus haut, où les prophètes (appelés nuntii dans la
Bible) ne sont en effet plus entendus mais méprisés par le peuple juif, à la différence
essentielle que, dans la Bible, c’est le châtiment de Dieu envers son peuple, et à travers lui, la
poursuite de l’Alliance, qu’il s’agit de mettre en valeur, alors que dans le récit de Lactance
c’est un moment inscrit très précisément dans la trame des événements, où Dieu transfère son
héritage en envoyant son fils aux nations, qu’il s’agit de livrer à la conscience du lecteur60
.
De la sorte, il semble que le récit lactancien relève d’un montage narratif minutieux et
tout à fait spécifique de l’apologiste qui ne peut guère s’expliquer autrement, pensons-nous,
que parce qu’il était destiné à pouvoir interpeller directement les païens, selon cet art propre
que nous avons suggéré plus haut consistant à « recycler » certaines données bibliques pour
en retirer un effet sur ce lectorat. Car il est frappant que Lactance ait par ailleurs mis en
évidence, par une citation du prophète, qu’Isaïe parlait lui-même d’un « enfant un fils [qu’]on
a[vait] appelé messager du grand projet (magni consilii nuntius) », comme si l’emploi
biblique de nuntius était en l’occurrence particulièrement opportun et utile à l’intelligence de
la lecture sur ce sujet particulier qu’était le Christ.61
C’est que le mot de nuntius était lui-
même lourd de sens dans la langue latine rapportée à son domaine référentiel païen,
rappelons-le, puisqu’il appartenait à la langue du droit public, où il désignait celui qui était
chargé de faire connaître une décision de caractère public, mais plus encore parce qu’il était
un terme de la langue religieuse et officielle, et spécialement de la langue augurale : il référait
ainsi à la fonction d’interprétation des signes divins et d’inauguration que remplissaient les
Augures dans l’espace religieux et politique romain62
. Représenté de manière médiate,
désigné par ce titre particulier à connotation religieuse, tout se passe donc comme si le Christ
9
était représenté par Lactance de façon à soutenir une nouvelle fois l’intérêt, l’attention et la
curiosité du lecteur dans son processus de lecture. Et comme Lactance souhaite le lui faire
comprendre, écouter le message du Christ, son enseignement, exigera du lecteur qu’il
poursuive sa lecture jusqu’au livre V, puis aux livres suivants, afin d’être en mesure de
découvrir progressivement le sens de la justice de Dieu. Dieu dont le Christ est dit être
nuntius, précisément, lorsqu’il s’agit pour lui d’ouvrir sur cette perspective de justice :
Que les hommes apprennent donc et comprennent pourquoi le Dieu suprême, quand il envoya son légat et
messager pour former l’ensemble des mortels aux préceptes de la justice, voulut qu’il fût revêtu de chair
mortelle, soumis au supplice de la croix et frappé par la mort63
.
En un remarquable hendiadys, le titre de messager s’y trouve alors associé à celui de légat,
dont la valeur juridique est ici prégnante. Et c’est encore comme nuntius que le Christ sera de
nouveau désigné, aux premiers chapitres du livre V :
Mais comme un père tout rempli d’indulgence, Dieu, à l’approche des derniers temps a envoyé son
messager pour ramener ce temps passé et la justice chassée, de peur que l’humanité ne soit tourmentée
par des erreurs très graves et éternelles64
.
Que son lecteur prenne au moins au sérieux l’objet de sa lecture pour se donner quelque
envie et quelque chance de comprendre, voilà bien le défi qui semble motiver Lactance au
livre IV des Institutions, où il entreprend la tâche difficile de donner une représentation du
Christ à ceux qui n’avaient a priori qu’inintérêt ou dédain pour la littérature chrétienne. On a
vu ainsi que, présentant la vie et la figure du Christ, c’est en employant uniquement le mode
de la narration que Lactance procède, avec le recours régulier au témoignage des prophètes
pour montrer que tout de cette vie avait été préalablement annoncé par eux. Par cette méthode,
le Christ de Lactance se trouvait directement inscrit dans la succession des événements et
c’est sans doute aussi cela qui importait à l’apologiste pour qui, nous l’avons vu, les données
bibliques avaient élargi le cadre même de l’Histoire dans laquelle, désormais à ses yeux, le
Romain pouvait et devait s’inclure. Et si à cet égard les paroles christiques ne semblaient pas
devoir intervenir directement dans l’élaboration du projet lactancien – le message de Dieu
ressortissant davantage en ce cas à un enseignement sur la problématique de la justice, traité
sur un mode dialectique avec les païens – on comprend que celles des prophètes, elles, parce
qu’elles permettaient à Lactance d’agencer dans la forme même de son texte le sens du
déroulement de l’Histoire, devaient être directement entendues.
Tout cela était donc prévu pour engager l’esprit du lecteur dans une prise de
conscience nouvelle. Mais peut-être Lactance espérait-il encore provoquer cette prise de
conscience sous la forme d’un surgissement à partir de la lecture elle-même. Il faut en effet
s’arrêter, pour finir, sur le moment où Lactance, s’apprêtant à citer pour la première fois un de
ces prophètes, au chapitre 11 du livre IV, à lancer donc ce lecteur de plain-pied dans la
matière du livre, fait déjà entendre quelques paroles de la bouche du héraut de Dieu65
. La
compréhension du message du Christ, on le sait maintenant, demandant au lecteur de
poursuivre sa lecture au livre V et au-delà, c’est donc au cours de ce livre IV seulement que
Lactance donne une occasion à son lecteur païen d’entendre la parole inspirée de Dieu. Or, le
remarquable ici est que nous n’avons aucunement affaire à une citation biblique, mais à une
parole prophétique qui relève purement de la création littéraire de Lactance. Ainsi, étant sur le
point d’expliquer ce moment crucial qu’est la décision de Dieu de transférer son héritage des
juifs aux nations, tel du moins qu’il apparaît, chez lui, inscrit dans la continuité des
événements du monde (rerum textus, le « tissu des événements »66
), Lactance commence par
10
rappeler le temps où Dieu envoyait, mais en vain, ses prophètes, « hommes justes », auprès des
« juifs [qui] souvent se rebellaient contre les préceptes du salut et s’écartaient de la loi
divine ». En relevant au passage que la question de la justice figure comme une donnée
biblique, qui s’intégrera à ce titre à la pensée lactancienne, il compte surtout de souligner que
Lactance va ensuite s’appliquer à mettre en mots l’exhortation que les prophètes, dans la
situation ainsi définie, n’ont cessé de répéter au peuple de Dieu. Un seul discours exemplifie,
en l’occurrence, toutes ces prophéties répétées à l’envi. Or Lactance emploie pour ce faire un
style inattendu et remarquable, à la fois par le décalage qu’il permet, l’ambivalence qu’il
produit, et par l’effet qu’il crée. C’est cette exhortation et son contexte immédiat qu’il nous
faut reproduire, non sans rappeler qu’ils ont été précédés de tout l’avant-propos prévu par
Lactance pour lui donner sens, pertinence et relief :
Dieu alors […] par leur (= des prophètes) intermédiaire, […] reprenait, avec des paroles menaçantes, les
péchés de ce peuple ingrat, et il l’exhortait néanmoins à faire pénitence pour son crime : « S’ils ne le
faisaient pas et ne revenaient pas à leur Dieu après avoir rejeté les vains cultes, il finirait par modifier son
alliance, c’est-à-dire qu’il transmettrait aux nations extérieures l’héritage de la vie éternelle et
rassemblerait, en prenant dans les nations étrangères, un autre peuple qui lui fût plus fidèle ». Mais ceux-
ci, pris à partie par les prophètes, ne se contentèrent pas de mépriser leurs paroles : offensés de ce que
ceux-ci leur reprochaient leurs fautes, ils les tuèrent dans des supplices raffinés. De tout cela, les écrits
divins conservent un très clair témoignage67
.
Suffisamment rare et complexe pour se signaler de soi-même, porteur d’une stratégie
d’écriture particulière, c’est donc le discours indirect libre qu’emploie Lactance ici, en créant
l’effet d’une hypotypose d’une force absolument remarquable68
. En effet, alors que le lecteur
a été préparé tout au long des dix chapitres précédents à lire les prophètes comme s’il allait
pouvoir accéder à présent à des sources nouvelles pour sa connaissance de l’Histoire, selon le
nouvel ordre divin, les paroles du prophète rapportées par l’apologiste, et qu’il entend à ce
moment-là, font en réalité l’effet d’être prononcées par Dieu lui-même. Car tout se passe
comme si l’intermédiaire représenté par le prophète était inopérant ici, où le discours indirect,
exempt des contraintes syntaxiques qui préciseraient qui est l’auteur des paroles émises
ensuite, suit immédiatement la phrase dans laquelle Dieu figure, précisément, comme sujet
des verbes de parole (« reprendre avec des paroles menaçantes », « exhorter »). L’emploi de
la troisième personne verbale, au singulier, que l’on rencontre dans la succession de la phrase
lactancienne s’avère à cet égard d’une complète ambivalence, parfaitement à même
d’entraîner, chez ce lecteur, une impression immédiate de saisissement.
***
C’est dans les monologues ou les dialogues de la littérature épique que,
traditionnellement, il avait été donné aux lecteurs anciens d’entendre la voix des dieux. Mais
dès lors que la voix de Dieu était rapportée au discours indirect libre, c'était également vers la
littérature historique que le lecteur était entraîné par Lactance. Ainsi, ces paroles de religion,
pour l’apologiste chrétien, relevaient de ces récits où l’on montre les hommes engagés dans
l’événement et où l’auteur s’engage lui-même par rapport à eux. Le lecteur païen saurait-il
donc entendre les différents « messagers » de Dieu ? Serait-il capable d’entendre que, selon
Dieu, l’ordre de l’Histoire avait maintenant changé ? Et que le nouvel horizon de la justice
chrétienne s’ouvrait à lui désormais ? Dans la période qui se déroulait en ce début du IVe
siècle, où le christianisme était sur le point d’être officiellement reconnu et, servi par le
premier empereur chrétien Constantin, de traduire en termes politiques la transposition de son
Royaume dans l’espace terrestre, Lactance vit l’histoire empirique comme la réalisation
11
même de l’histoire chrétienne. Alors que la cruauté des persécutions était en réalité
proportionnelle à leur inefficacité pour réduire le nombre des chrétiens, on commençait en
effet à penser le devenir du christianisme en termes de Victoire. C’est ce contexte historique
qui forme le contexte de pensée de Lactance, et son écriture s’inscrit dans le mouvement de
son époque : le païen était invité à lire un chrétien désireux de lui faire découvrir la révélation
chrétienne et qui se pensait apte à conduire cette entreprise, et à le faire participer ainsi, par la
dynamique de sa lecture, à l’événement du changement chrétien de l’histoire.
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NOTES
1 Depuis l’Antiquité, et par saint Jérôme en premier (Ep., 58), ce sont exclusivement les qualités de rhéteur de
Lactance à l’encontre de ses adversaires païens qui ont été louées. Sur un plan général, voir HERZOG (éd.),
1993, § 570 : Lactance, et partic. p. 433-432 pour les questions de doctrine. Ici, en réalité, se pose la question du
statut des auteurs au sein de l’Eglise : sur la notion de « théologien laïc » qui convient lorsqu’on parle de
Lactance, voir FAIVRE, Paris, 1992, partic. chapitre VI.
12
2 Voir, sur ce contraste entre Lactance et Eusèbe, COLOT, VChr, 2005, 59, p. 135-151.
3 Voir FREDOUILLE, REAug, XXXVIII, 1992, p. 219-234, et REAug, XLI, 1995, p. 201-216 ; SPANNEUT,
1969, p. 125-180. 4 Voir notamment INGREMEAU, VL, 1993, 132, p. 33-40 et COLOT, Studia Patristica, vol. XXXIV, Louvain,
2001, p. 23-32, partic. p. 27. 5 Il s’agit du De opifico dei édité par M. PERRIN aux Sources Chrétiennes (SC n°213).
6 Voir not. Inst., I, 1, 21 (SC n°326)
7 Voir MONAT, 1982, 2 vol.
8 Oracles d’Apollon, d’Orphée ou, plus couramment, les Oracles sibyllins, que Lactance tenait pour une source
païenne. 9 Voir dans l’édition du livre IV des Institutions divines, (éd. P. MONAT, SC n°377) l’index des auteurs anciens
cités ou utilisés. 10
Voir Inst., I, 5, 1-2 cité ci-dessous (voir note 17). Sans doute ces lecteurs païens étaient-ils peu nombreux car
ils appartenaient déjà, en tant que lecteurs, à une élite ; mais ils existaient certainement, comme Lactance lui-
même en donne un exemple, il faut le souligner, puisqu’il avait été païen, maître de rhétorique à Nicomédie,
avant de se convertir au christianisme. 11
Voir Inst., IV, 5, 3 cité ci-dessous (voir note 16). P. MONAT a d’ailleurs intitulé son premier chapitre (op. cit.
vol. 1) : « Hésitations et contradictions chez Lactance ? ». Voir en part. sa position p. 34-35. 12
L’expression est de P. MONAT, op.cit., vol. 1. p. 59, mais sans autre forme d’explication. C’est sans doute
une analyse comme celle d’A. WLOSOCK, 1960, p. 232-246 : « Die Gottesprädikation pater et dominus bei
Laktanz : Gott in Analogie zum römischen paterfamilias », qui explique le plus clairement ce que l’on peut
entendre par là, montrant combien la forme juridique (ici, la figure de Dieu comme paterfamilias), qui
caractérise la religion romaine, est prégnante dans la théologie de Lactance. 13
Voir HERZOG , op.cit. (note 1), p. 433 : « Lactance, comme théologien, sort du cadre de son époque. » 14
C’est ce caractère discursif de la pensée de Lactance qui, selon nous, constitue la marque propre de la
rationalité dont il se réclame pour défendre le christianisme, alors que l’importance de la raison dans
l’approfondissement de la foi a en elle-même été revendiquée par d’autres que lui, à commencer par saint Paul. 15
Inst., II, 3, 23-25 (trad. P. MONAT, SC n° 337) : « On connaît le mot de Cicéron : « Si au moins il m’était
aussi facile de trouver la vérité que de dénoncer l’erreur ! » Mais comme cela dépasse les forces humaines, la
possibilité d’accomplir cette tâche (eius officii facultas) nous a été accordée, à nous, à qui Dieu a donné la
connaissance de la vérité (quibus tradidit Deus scientiam ueritatis) ». 16
Inst., IV, 5, 3 : […] prophetis… […], quorum testimoniis nunc uti necesse est : quod in prioribus libris ne
facerem temperaui. 17
Inst., I, 5, 1-2 : (Ce qu’il poursuivait par : « Tournons-nous vers les maîtres et citons comme témoins, pour
faire la démonstration de la vérité, ceux-là même que l’on utilise habituellement contre nous, je veux dire les
poètes et les philosophes ») Sed omittamus sane testimonia prophetarum, ne minus idonea probatio uideatur de
his quibus omnino non creditur.Veniamus ad auctores, et eos ipsos ad ueri probationem testes citemus, quibus
contra nos uti solent, poetas dico ac philosophos. (Trad. P. MONAT, partiellement modifiée. Sauf précision de
ce type, les traductions produites dans cet article sont celles de P. MONAT, SC). 18
Inst., I, 6, 6-7 : Superest de responsis sacrisque carminibus testimonia quae sunt multo certiora proferre. 19
Il a entre-temps parlé des noms du Christ, de la chronologie des prophètes. Sur la question de l’utilisation
pratique des prophètes par les apologistes grecs et latins avant Lactance, voir le récapitulatif de P. MONAT, op.
cit ., vol. 1, p. 29-30, not. p. 29, où il est dit que « seul Justin […] présente de façon rationnelle et claire les
prophètes et la traduction des Septante […] <avec> même quelques directives de lecture […] pour les païens ».
Mais la rationalité dont se réclame Lactance dans sa démarche est d’un autre ordre. 20
Inst., IV, 10, 19 : Sed prius ostendam qua de causa in terram uenerit Christus, ut fundamentum diuinae
religionis et ratio clarescat. 21
Par opposition au monothéisme qui affirme l’unité exclusive d’un seul Dieu, l’hénothéisme s’applique à toute
doctrine tendant à unifier un système polythéiste. Pour une définition plus détaillée, voir ORTIGUES, 1999, p.
22, note 1. 22
La pensée de Lactance peut, d’une certaine façon, s’illustrer dans le propos suivant, d’E. ORTIGUES, op. cit.,
p. 28 : « […] le mot Dieu n’évoque pas seulement un être transcendant, il connote une exigence de piété, un
culte d’adoration. […] Le monothéisme ne pose pas seulement une question factuelle d’existence (du genre : « Il
existe une intelligence rectrice du cosmos »), il pose aussi une question de droit : il affirme que le créateur doit
être reconnu comme Dieu rédempteur, seul sauveur, tel qu’il s’est manifesté dans l’histoire ». 23
Inst., IV, 5, 1 : Nunc, quoniam docui sapientiam et religionem non posse dicudi, superest ut de ipsa religione
ac sapientia disseramus. 24
Voir P. MONAT, op.cit., vol. 1, p. 25.
13
25
Mais voir infra. Cet exercice particulier d’interprétation mené par Lactance est signalé par P. MONAT, op.cit.,
vol., p. 25, mais d’un tout autre point de vue que le nôtre, puisqu’il voit cette manière de procéder comme une
contrainte imposée à Lactance du fait de son lectorat, alors que nous y voyons au contraire un choix répondant à
une ambition profonde et maîtrisée. 26
Voir ci-dessous notes 59 et 66. 27
Sur cette spécification de sens que nous apportons par le qualificatif « romain », voir infra, ainsi que notre
article cité ci-dessus, note 4. 28 Inst., IV, 10, 3-4 : Nemo adseuerationi nostrae fidem commodet, nisi ostendero prophetas ante multam
temporum seriem praedicasse fore aliquando ut filius Dei nasceretur sicut homo et mirabilia faceret et cultum
Dei per totam terram seminaret et postremo patibulo figeretur et tertio die resurgeret. Quae omnia cum
probauero eorum ipsorum litteris qui Deum suum mortali corpore utentem uiolauerunt, quid aliud obstabit
quominus ueram sapientiam sit in hac sola religione uersari ? 29
Voir MICHEL, 1960. Mais une différence fondamentale tient dans le fait que la pensée cicéronienne est
marquée par l’éclectisme philosophique et le probabilisme, alors que Lactance pense en fonction de ce qui
représente pour lui un système de vérité. 30
Voir SIMON et BENOIT, 19985, partie II, chapitre 3.
31 Chronologie inspirée de Théophile d’Antioche, voir NICHOLSON, « The Source of the Dates in Lactantius
Diuine Institutes», JThS, 36, 1985, p. 291-310. 32
Apol., 19, 5 et plus largement 18-20. 33
Voir Inst., IV, 5, 4-8. 34
Inst., IV, 5, 9-10 : Quae omnia eo profero ut errorem suum sentiant qui scripturam sacram coarguere nituntur
tamquam nouam et recens fictam, ignorantes ex quo fonte religionis sanctae origo manauerit. Quodsi qui
collectis perspectisque temporibus fundamentum doctrinae salubriter iecerit, et ueritatem penitus comprehendet
et errorem cognita ueritate deponet. 35
Chapitre XI à XXI, sur les trente chapitres que compte le livre IV. 36
Le sens métaphorique de fons, « source, fontaine », s’entend généralement comme « principe », « origine »,
mais il prend ici, dans le texte lactancien, une dimension concrète. 37
Sur le discrédit dont souffrait le texte biblique auprès des lettrés païens qui jugeaient trop « brut », voir J.-C.
FREDOUILLE, 1985, p. 25-42. 38
Voir les propos de FONTAINE et FREDOUILLE, p. 250, à la suite de FREDOUILLE, 1978, p. 237-247
(discussion : p. 250-252). 39
Voir aussi COLOT, 1999, p. 239-252. 40
Voir Inst., IV, chapitres 7, 8, 12. 41
Voir note de P. MONAT (éd.), Inst., IV, p. 68. 42
Voir FONTAINE, c. r. de LOI, 1972, p. 511-514, auquel P. MONAT se réfère pourtant lui-même, op. cit., vol
1, p. 173. 43
Inst., I, 4, 4, […] ut et praecones essent maiestatis eius […] Emploi de praeco réservé aux prophètes mis à
part en Inst., V, 1, 24, pour désigner les apologistes. 44
Inst., I, 4, 2, […] de uno Deo praeconium faciunt […] ; Inst., IV, 14, 19, […] de uno Deo facere praeconium
[…]. 45
Voir Inst., II, 7, 10 ; Inst., II, 8, 48. 46
Voir Inst., IV, 15, 4 ; Inst., IV, 12, 14 […] semel ut unum Deum gentibus nuntiet, deinde rursus ut regnet
[…]. 47
Inst., IV, 13, 1 : Summus igitur Deus ac parens omnium cum religionem suam transferre uoluisset, doctorem
iustitiae misit e caelo, ut nouis cultoribus nouam legem in eo uel per eum daret, non sicut ante fecerat per
hominem ; sed tamen nasci eum uoluit tamquam hominem […] (Donc, quand le Dieu suprême, père de tous, eut
décidé de confier à d’autres sa religion, il envoya du ciel un maître de justice pour donner une loi nouvelle à de
nouveaux adorateurs, en lui, ou plutôt par lui, et non plus par l’intermédiaire d’un homme comme il l’avait fait
auparavant ; il voulut cependant que celui-ci naquît comme un homme […]). 48
Inst., IV, 11, 3. 49
Inst., IV, 11, 7: Propter has illorum impietates, abdicauit eos in perpetuum : itaque desiit prophetas mittere ad
eos. Sed illum filium suum primogenitum, illum opificem rerum et consiliatorem suum delabi iussit e caelo, ut
religionem sanctam Dei transferret ad gentes […]. 50
Inst., IV, 12, 14 (cité note 46). 51
Paradoxe qui ressort fortement dans un tel énoncé, où il est question de la prolation du Verbe : Inst., IV, 8, 8 :
Ipsum primo locutus est ut per eum ad nos loqueretur et ille uocem Dei ac uoluntatem nobis reuelaret .(C’est lui
que Dieu a d’abord émis, afin d’émettre une parole pour nous par son intermédiaire, et pour que celui-ci nous
révèle la voix de Dieu et sa volonté).
14
52
Inst., IV, 12, 11 : Idcirco enim missus est a Deo patre ut uniuersis gentibus quae sub caelo sunt singularis et
ueri Dei sanctum mysterium reuelaret […] (Car s’il a été envoyé exprès par Dieu le Père, c’est pour révéler à
toutes les nations qui sont sous le ciel le mystère du Dieu unique et véritable […]) et Inst., IV, 8, 8, cité note
précédente. 53
Inst., IV, 13, 1. 54
Inst., IV, 24, 12 55
Inst., IV, 8, 8. 56
Voir B. COLOT, art. cit. note 4. 57
On situe la conversion de Lactance vers l’année 300. 58
V. LOI, op. cit. (note 42), p. 216, note que le seul équivalent possible de ce terme serait le grec apostolos,
« l’envoyé », que l’on trouve dans Hébr. 3, 1 et les apologistes grecs des IIe et III
e siècles.
59 2 Chron., 36, 15
60 Le terme d’alliance correspond au latin testamentum et Lactance consacre des pages précieuses sur le sens de
ce mot auquel il associe le thème de l’héritage (voir P. MONAT, op. cit., vol. 1, 1ère
partie, chapitre III).
Précisons, pour notre part, que le thème de la transmission d’héritage ne se lie pas directement, pour Lactance, à
celui de l’adoption spirituelle. Sa vision propre est celle d’une seule généalogie humaine ramifiée selon les
différentes branches que forment les peuples, fidèles ou non à leur origine et donc à leur Père unique : les
Hébreux étaient les derniers fidèles, avant que les Juifs ne se détournent, et que Dieu ait décidé d’enseigner aux
nations leur véritable origine, celle oubliée pendant des siècles de polythéisme. 61
Inst., IV, 12, 10-11 62
Voir ERNOUT ET MEILLET, 1994, s.u. 63
Inst., IV, 25, 1 : Discant igitur homines et intellegant quare Deus summus, cum legatum ac nuntium suum
mitteret ad erudiendam praeceptis iustitiae mortalitatem, mortali uoluerit eum carne indui et cruciatu adfici et
morte multari. 64
Inst. V, 7, 1 : Sed deus, ut parens indulgentissimus, appropinquante ultimo tempore nuntium misit, qui uetus
illud saeculum fugatamque iustitiam reduceret, ne humanum genus maximis et perpetuis agitaretur erroribus. 65
Citations de Jérémie, Elie et Esdras en Inst., IV, 11, 4-6 (dont la suite, § 7, est citée note 49). 66
Inst., IV, 10, 19 (= dernier § du chapitre 10 consacré au « plan divin »). 67
Inst., IV, 11, 1-3 : […] tum Deus […] per quos [= prophetas] peccata ingrati populi uerbis minacibus
increparet et nihilominus hortaretur ad paenitenitam sceleris agendam. Quam nisi egissent atque abiectis
uanitatibus ad deum suum redissent, fore ut testamentum suum mutaret, id est hereditatem uitae immortalis ad
exteras conuerteret nationes aliumque siis populum fideliorem ex alienigenis congregaret. Illi autem a prophetis
increpiti non modo uerba eorum respuerunt, sed, quod sibi peccata exprobrarentur offensi, eos ipsos exquisitis
cruciatibus necauerunt. Sur les termes de testamentum et hereditas, voir ci-dessus note 59. 68
Voir MELLET, 2000, p. 28- 47, partic. p. 46 : « Dans les textes grecs et latins […] le discours indirect libre est
d’abord et avant tout un jeu subtil d’exhibition et de dissimulation de l’altérité énonciative ».