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1 LES PROPHÈTES ET LE CHRIST « MESSAGER(S)» DANS LES INSTITUTIONS DIVINES DE LACTANCE (250-325) : FAIRE LIRE ET ENTENDRE LA RÉVÉLATION AUX PAÏENS BLANDINE COLOT Lactance reste un auteur relativement marginal au sein de la littérature chrétienne, pour un certain nombre de raisons qu’il n’y a pas lieu de développer ici, touchant à ses spécificités de doctrine et à sa rhétorique 1 , notamment, mais c’est un fait qu’on peut aisément mesurer si on le rapproche de son exact contemporain, le grec Eusèbe de Césarée, auteur en particulier d’une Histoire ecclésiastique qui marqua la naissance d’un nouveau genre littéraire. Tous deux ont appartenu à l’entourage proche de Constantin, premier empereur romain à se convertir et à reconnaître officiellement le christianisme dans l’Empire (Lettre de Milan, 313), mais seul Eusèbe a marqué la tradition littéraire chrétienne, tant dans le domaine de l’historiographie, même si cette dernière fut reprise après lui en termes nouveaux par saint Augustin, que de l’ecclésiologie, qui lui est liée 2 . Les Institutions divines constituent pourtant une œuvre majeure, à tout le moins l’œuvre majeure de Lactance, composée durant les années de la dernière persécution, entre 305 et 311, car elles représentent à la fois un tournant dans le genre apologétique chrétien et la première somme de théologie morale chrétienne en langue latine 3 . Celle-ci contient sept livres qui s’organisent selon un schéma complexe dont les richesses vont au-delà du simple découpage, couramment mis en évidence, en un premier ensemble, négatif, portant sur le paganisme (I, De falsa religione ; II, De origine erroris ; III, De falsa sapientia ), et un second, portant sur christianisme, positif et protreptique (IV, De uera sapientia et religione ; V, De iustitia ; VI, De uero cultu ; VII, De uita beata) 4 . Elle témoigne aussi d’une intentionnalité marquée et en évolution, car si le premier ouvrage chrétien de Lactance, qui traite d’anthropologie, était encore « crypto-chrétien » 5 , les Institutions relèvent d’une autre démarche, où l’auteur lance cette fois le projet de corriger les païens de leur error, comme il le déclare, et de les mener sur la voie plus droite de la vérité chrétienne 6 . Le métatexte occupe de ce fait une place importante dans les Institutions divines, il traduit les enjeux d’écriture de Lactance, exprime ses choix de méthode et, s’agissant d’une apologie, écrite par définition en fonction d’un contexte historique donné, contient remarques et réflexions sur une entreprise littéraire elle-même en relation directe avec la situation extra- textuelle qui la motive : le champ historique forme ainsi l’horizon du texte. Dans la vaste architecture que composent ces Institutions, le livre IV, quant à lui, prend un relief particulier dans la mesure où il entame le second développement de l’œuvre, plus proprement chrétien, et introduit pour cela une matière nouvelle et à part au regard du contenu des livres précédents. En effet, le Christ est ici au cœur du propos. Dès lors, Lactance recourt abondamment aux Écritures, et spécialement aux Prophètes comme auteurs d’autant de praedicta accomplis par la venue du Christ, les citations côtoyant par ailleurs des résumés assez librement composés, notamment de la Genèse, tandis que les Evangiles, même si leur texte n’est jamais explicitement rapporté, apparaissent comme une source constante de l’apologiste 7 . Tout cela, en tout cas, contraste radicalement avec la façon dont Lactance utilise pour son argumentation, dans les trois premiers livres puis encore les livres V et suivants, à

Les prophètes et le Christ messager(s) dans les Institutions divines de Lactance (250-325) : faire lire et entendre la Révélation aux païens

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1

LES PROPHÈTES ET LE CHRIST « MESSAGER(S)» DANS LES

INSTITUTIONS DIVINES DE LACTANCE (250-325) :

FAIRE LIRE ET ENTENDRE LA RÉVÉLATION AUX PAÏENS

BLANDINE COLOT

Lactance reste un auteur relativement marginal au sein de la littérature chrétienne, pour

un certain nombre de raisons qu’il n’y a pas lieu de développer ici, touchant à ses spécificités

de doctrine et à sa rhétorique1, notamment, mais c’est un fait qu’on peut aisément mesurer si

on le rapproche de son exact contemporain, le grec Eusèbe de Césarée, auteur en particulier

d’une Histoire ecclésiastique qui marqua la naissance d’un nouveau genre littéraire. Tous

deux ont appartenu à l’entourage proche de Constantin, premier empereur romain à se

convertir et à reconnaître officiellement le christianisme dans l’Empire (Lettre de Milan, 313),

mais seul Eusèbe a marqué la tradition littéraire chrétienne, tant dans le domaine de

l’historiographie, même si cette dernière fut reprise après lui en termes nouveaux par saint

Augustin, que de l’ecclésiologie, qui lui est liée2. Les Institutions divines constituent pourtant

une œuvre majeure, à tout le moins l’œuvre majeure de Lactance, composée durant les années

de la dernière persécution, entre 305 et 311, car elles représentent à la fois un tournant dans le

genre apologétique chrétien et la première somme de théologie morale chrétienne en langue

latine3. Celle-ci contient sept livres qui s’organisent selon un schéma complexe dont les

richesses vont au-delà du simple découpage, couramment mis en évidence, en un premier

ensemble, négatif, portant sur le paganisme (I, De falsa religione ; II, De origine erroris ; III,

De falsa sapientia ), et un second, portant sur christianisme, positif et protreptique (IV, De

uera sapientia et religione ; V, De iustitia ; VI, De uero cultu ; VII, De uita beata)4. Elle

témoigne aussi d’une intentionnalité marquée et en évolution, car si le premier ouvrage

chrétien de Lactance, qui traite d’anthropologie, était encore « crypto-chrétien »5, les

Institutions relèvent d’une autre démarche, où l’auteur lance cette fois le projet de corriger les

païens de leur error, comme il le déclare, et de les mener sur la voie plus droite de la vérité

chrétienne6. Le métatexte occupe de ce fait une place importante dans les Institutions divines,

il traduit les enjeux d’écriture de Lactance, exprime ses choix de méthode et, s’agissant d’une

apologie, écrite par définition en fonction d’un contexte historique donné, contient remarques

et réflexions sur une entreprise littéraire elle-même en relation directe avec la situation extra-

textuelle qui la motive : le champ historique forme ainsi l’horizon du texte.

Dans la vaste architecture que composent ces Institutions, le livre IV, quant à lui, prend

un relief particulier dans la mesure où il entame le second développement de l’œuvre, plus

proprement chrétien, et introduit pour cela une matière nouvelle et à part au regard du contenu

des livres précédents. En effet, le Christ est ici au cœur du propos. Dès lors, Lactance recourt

abondamment aux Écritures, et spécialement aux Prophètes comme auteurs d’autant de

praedicta accomplis par la venue du Christ, les citations côtoyant par ailleurs des résumés

assez librement composés, notamment de la Genèse, tandis que les Evangiles, même si leur

texte n’est jamais explicitement rapporté, apparaissent comme une source constante de

l’apologiste7. Tout cela, en tout cas, contraste radicalement avec la façon dont Lactance utilise

pour son argumentation, dans les trois premiers livres puis encore les livres V et suivants, à

2

l’intention de son lectorat païen, les auteurs classiques, poètes et philosophes, à côté d’autres

sources païennes telles que les oracles8.

Certes, il va de soi que la christologie relève nécessairement d’un support propre

(encore que même en ce livre IV Lactance recourt à plusieurs reprises aux sources païennes9),

mais le contraste apporté par le livre IV se fait d’autant plus sentir que l’apologiste a

revendiqué hautement auparavant sa façon particulière de procéder, qui représente pour lui un

choix de méthode pour pouvoir faire entendre à son lectorat païen la vérité chrétienne10

. Aussi

ne peut-on manquer de se demander, en constatant cette rupture d’isotopie au sein du discours

lactancien, si la lecture de ce livre n’était pas rendue de ce fait impossible pour ce même

lectorat païen, ni négliger non plus que Lactance, à cette occasion, paraît se contredire lui-

même, qui plus est en toute clairvoyance, puisqu’il affirme vouloir à présent recourir au

témoignage des prophètes après s’en être gardé précédemment11

; sinon, il faudrait pouvoir se

demander en vertu de quelle vision commune à l’auteur et à ses lecteurs païens cette lecture

pouvait effectivement se révéler possible et donc envisageable aux yeux de l’auteur. Rien

n’assure, en effet, qu’il faille attribuer cette apparente aporie à Lactance plutôt qu’à la

difficulté propre des modernes, porteurs d’une culture et/ou d’une religion chrétiennes bi-

millénaires, à pénétrer le mode de représentation de cet apologiste chrétien. Et c’est dans le

cœur même du texte, concernant à la fois la méthode de Lactance et l’accès au sens de son

texte, à partir de l’image emblématique des prophètes et du Christ entendus par lui comme

« messager(s) », que nous aurons la possibilité, croyons-nous, de lever les difficultés, et de

montrer ainsi selon quel type de rapport le livre IV se trouve associé à l’économie des livres

suivants. Ce faisant, c’est aussi la figure de Lactance que nous espérons faire mieux ressortir :

un chrétien encore « imprégné de paganisme », selon la formule employée à son propos, mais

sans que l’on examine toujours suffisamment de quoi cette imprégnation pouvait être faite12

,

en même temps qu’en affinité avec ce que l’on appelle le « judéo-christianisme », et que l’on

s’empresse de considérer comme une caractéristique de l’apologiste en décalage avec son

temps13

. Or c’est au contraire parce que Lactance réunit en lui ce mélange surprenant de

données qu’il y a lieu, nous semble-t-il, d’y être attentif, de chercher à l’analyser, et pour cela,

d’abord, d’en respecter la teneur, au lieu d’y introduire un tri en fonction de classements

préalablement définis. Tel qu’il s’est manifesté dans son œuvre, c’est un chrétien vivant au

début du IVe siècle, en prise directe avec les enjeux de son époque, que nous cherchons à

approcher et tenterons ici de mieux comprendre.

***

L’écriture de Lactance frappe d’abord par son caractère discursif, et le livre IV

n’échappe pas à cette tendance : l’auteur fait progresser son discours par toute une suite de

raisonnements qu’il cheville comme s’il s’agissait à chaque fois d’avancer logiquement, alors

qu’il y est question de la Révélation chrétienne14

. De fait, celle-ci paraît avoir constitué pour

l’apologiste une sorte de révélation intellectuelle plutôt qu’une expérience du mystère divin,

et c’est en termes d’épistémologie que l’on se trouve donc amené à appréhender la démarche

de Lactance. Ainsi, au moment où il entame son quatrième livre, il a déjà déclaré, au livre II,

qu’il exposerait dans les quatre derniers livres la connaissance de la vérité qu’il possède, parce

que Dieu, qui seul peut la donner, la lui a donnée15

. Et c’est bien en partant de cette assurance

acquise à partir de sa croyance religieuse qu’il entend faire connaître la Révélation chrétienne

aux païens. Suivant sa méthode, Lactance résume d’abord l’acquis de la démonstration menée

à travers les livres précédents, selon laquelle le polythéisme n’a pas de sens ; puis affirme que

la religion ne peut avoir de sens que si elle est en même temps sagesse, ce que le christianisme

est, précisément, seul à être ; et s’apprête à entamer maintenant un nouvel exposé, où il sera

traité du Christ, notamment de son nom en tant que Christ ou encore en tant que Verbe. À ce

3

stade, il fait référence aux « prophètes, aux témoignages desquels il est nécessaire maintenant

de recourir, alors que, dans les livres précédents [il s’]étai[t] abstenu de le faire »16

. Ainsi

donc, traiter de christologie entraîne pour Lactance de mentionner les prophètes, alors qu’il

avait commencé, en effet, par se placer dans une perspective complètement différente au livre

I, en affirmant :

Mais laissons soigneusement de côté les témoignages des prophètes, de peur que notre démonstration ne

paraisse peu probante si nous la fondons sur ces gens à qui l’on n’accorde absolument pas de crédit 17

[…]

Il reste à produire les témoignages tirés des réponses des oracles et des poèmes inspirés, qui offrent

beaucoup plus de garanties18

.

Aussi, peut-on facilement incliner à taxer Lactance d’incohérence, si l’on n’entend dans

le nunc uti necesse est énoncé ensuite au livre IV qu’une forme de palinodie et un aveu de

faiblesse, plutôt que d’y voir le signe d’une démarche parfaitement assumée et maîtrisée, dans

la mesure où il en souligne lui-même le cours. Le terme de nécessité devrait alors s’entendre

en un sens logique, une logique à ses yeux et en fonction de ses lecteurs, avec lesquels il croit

possible de partager une certaine forme de raisonnement. Il est en effet tout à fait remarquable

que ce soit dans ce contexte que Lactance énonce avec la plus grande netteté qu’il va mettre

en pratique son exigence de rationalité, puisqu’il déclare, peu avant d’insérer la première

citation d’un prophète, qui apparaîtra au chapitre 1119

:

Mais je vais d’abord montrer pour quelle raison le Christ est venu sur terre, afin de mettre en lumière le

fondement rationnel de la divine religion20

.

Si la christologie pouvait représenter un domaine difficile à appréhender eu égard au

lectorat païen auquel Lactance s’adressait, parce que cela représentait une matière étrangère à

leur culture propre et puisqu’il s’agissait, précisément, d’aborder le fondement même de la

religion défendue par l’apologiste, si, par conséquent, elle pouvait apparaître comme une sorte

de « passage obligé » mais déroutant aussi pour ce lectorat, le remarquable, précisément, est

que cette forme de détour était dans le même temps intégré dans la continuité du processus

rationnel poursuivi par l’auteur.

De fait, il n’y a pas lieu de considérer en termes de contradiction la position adoptée par

Lactance dans un livre, puis dans l’autre, mais de s’apercevoir simplement que la différence

tient à ce que, dans chaque cas, comme effectivement il le signale, l’apologiste n’a pas la

même chose à prouver. Ainsi, il a préféré recourir aux auctores, autrement dit les auteurs

païens, lorsqu’il s’est agi de prouver l’unicité de Dieu – et l’on sait que l’hénothéisme est une

conception des écrits philosophiques païens qui pouvait être exploitée dans l’explication du

monothéisme religieux21

– mais au livre IV, il s’agit désormais, maintenant qu’il a « prouvé

que sagesse et religion ne peuvent être séparées l’une de l’autre22

[…, de] faire un exposé sur

le fond de la religion et de la sagesse »23

. Pour ce faire, P. Monat a montré que Lactance avait

très probablement puisé une part des citations du livre IV à l’un ou l’autre des recueils de

florilèges bibliques de controverse qui existaient en son temps, tout en s’abstenant, d’ailleurs,

d’adopter une attitude polémique à l’encontre des juifs, à la différence de celle qu’il adopte

souvent à l’encontre des païens24

. Il s’est alors appliqué à interpréter le texte des Ecritures à

l’intention de ses lecteurs païens – en un exercice que l’on ne peut donc pas considérer

comme une exégèse à proprement parler25

.

Le livre IV a dès lors ceci de particulier qu’il mêle en un seul faisceau discursif trois

sources de pensée a priori irréductibles l’une à l’autre, même à degré différent, à savoir celles

du paganisme romain, du christianisme et du judaïsme, qu’il repose et joue donc sur ces trois

pôles pris ensemble comme s’il pouvait effectivement exister un domaine d’intersection

4

possible entre eux. Ici encore, l’important est sans doute de commencer par voir et admettre

cette position intellectuelle de l’auteur avant de mener une quelconque analyse. Si l’idée

d’une transmission d’héritage est, en l’occurrence, centrale chez Lactance pour penser le fait

de l’avènement du christianisme en remplacement et dépassement du judaïsme26

, et cette

articulation entre ces deux composantes religieuses, évidemment et incontestablement

fondamentale, il s’avère que Lactance fait plus, en articulant à son tour cette donnée « bi-

polaire » à cet autre pôle que représente la composante païenne, et romaine en l’occurrence, à

laquelle se rattachent ses lecteurs27

. Dans les limites de cet article, il ne peut être question

d’appréhender à sa juste mesure la place occupée par le judaïsme dans le propos lactancien,

mais seulement d’en dégager la part exploitée ici à travers la question des prophètes et du

Christ « messager(s) » à l’intention de ses lecteurs païens.

Ainsi, écrit-il, au moment d’exposer le « plan de Dieu » dans lequel prendront place les

prophètes, toujours attentif à l’efficacité de sa méthode et en mêlant de manière étonnante les

modes d’approche :

Personne n’ajoutera foi à mes affirmations si je ne montre auparavant que les prophètes, à une époque qui

remonte très haut dans le temps, ont prédit qu’il arriverait un jour que le fils de Dieu viendrait au monde

comme un homme, accomplirait des merveilles, sèmerait le culte de Dieu par toute la terre, serait enfin

cloué au gibet, et ressusciterait le troisième jour. Quand j’aurai prouvé tout cela à l’aide des écrits de

ceux-là même qui ont fait violence à leur Dieu qui avait pris un corps, quel obstacle empêchera encore

que l’on voie clairement que la vraie sagesse se trouve uniquement dans notre religion ? 28

.

Que faut-il entendre ? Lactance avance explicitement ici que, sur le plan théorique du

moins, les écrits des juifs sont à même de prouver quelque chose aux yeux des païens. Ce

faisant, il convient de souligner que, sans jamais les prendre en interlocuteurs puisqu’ils ne

sont pas ses lecteurs directs, mais parce qu’il parle d’eux et les implique dans un

raisonnement qui comporte ses conséquences, Lactance enjoint donc les juifs d’entendre

désormais leurs textes sacrés en quelque sorte « recyclés » par la lecture chrétienne et romaine

qu’il en donne. Ainsi, pour le dire un peu trivialement, Lactance semble penser qu’il peut

mettre tout le monde immédiatement d’accord. Or ce qui compte n’est pas de montrer qu’il se

trompait, car il ne s’agit ici ni de rappeler les faits têtus de l’Histoire, ni de rétablir les

éléments propres de la doctrine chrétienne, mais de tenter de suivre la forme de ce qui

constituait pour Lactance une cohérence, autrement dit d’entrer un tant soit peu dans son

mode de représentation.

Il faut pour cela se mettre au diapason de sa rhétorique, laquelle distingue éminemment

cet apologiste latin puisqu’il fut le premier à adopter et revendiquer cette mise en œuvre du

discours, dans le droit fil de l’orateur et philosophe Cicéron, avec lequel il entendait rivaliser

en tant qu’autorité suprême en ce domaine. Très loin d’être un simple ornement ou encore une

tactique habile d’écrivain, sa rhétorique est une mise en forme de la pensée, et notamment la

mise en forme d’une dialectique, qui se révèle d’ailleurs pour autant qu’elle laisse apparaître

des points de résistance à ménager chez les lecteurs, au sens où il apparaît qu’une donnée

chrétienne devait pouvoir entrer en résonance avec telle autre donnée païenne pour pouvoir

susciter l’adhésion29

.

Ainsi l’on sait, par exemple, que les chrétiens se virent objecter par les païens que leur

religion ne pouvait en être une du fait de sa nouveauté, qu’elle n’était en l’occurrence qu’une

invention soudaine dépourvue de tout fondement et de toute tradition. A quoi l’apologétique

chrétienne, s’inspirant en cela de l’apologétique juive, avait répondu que Moïse avait vécu

bien antérieurement à Homère et qu’un tel fait expliquait que les philosophes païens avaient

pu recevoir quelque part de la vérité de Dieu30

. Or ce thème se retrouve chez Lactance

5

puisque l’apologiste présente une chronologie comparée des prophètes avec les événements

du monde juif, grec et romain par laquelle il veut prouver la même chose ; seulement, il le fait

avec une inflexion propre tout à fait notable31

. Certes, la question de l’ancienneté des

Écritures comportait pour lui comme pour ses prédécesseurs l’enjeu de leur auctoritas, ainsi

que l’avait déjà parfaitement exprimé Tertullien : « ce qui donne l’autorité aux Écritures, c’est

leur antiquité très haute […] nous pourrions prouver tout cela par des calculs chronologiques,

écrivait-il »32

. Mais il faut souligner que Lactance n’éprouve nul besoin, comme Tertullien

dans l’Apologétique, alors sur la défensive, d’accumuler ses indications et ses références. Loin

d’adopter cette position, en effet, il préfère la clarté et l’impact de quelques repères-clés

(guerre de Troie, déportation à Babylone, règnes de Cyrus et de Tarquin le Superbe) et met

uniquement en avant les faits et les dates de l’Histoire, avant de conclure, en une simple

exclamation, sur la postériorité des écrivains du monde païen en général par rapport aux

prophètes33

. De la sorte, il se préoccupe toujours et avant tout de la démarche intellectuelle

qu’il désire entraîner chez son lecteur :

Et je rapporte tout cela pour faire prendre conscience de leur erreur à tous ceux qui s’efforcent de

contredire l’Ecriture Sacrée sous prétexte qu’elle serait nouvelle et d’invention récente, ignorant la source

d’où a découlé cette sainte religion. Mais si quelqu’un, après un rapprochement minutieux des époques,

jette correctement les bases de la doctrine, il comprendra profondément la vérité, et, connaissant la vérité,

rejettera l’erreur34

.

Aussi constate-t-on que Lactance ne se focalise pas tant sur la démonstration de

l’ancienneté des Ecritures qu’il ne l’établit, pour s’employer, sur ces bases, à mettre en

pratique l’auctoritas de ces sanctae litterae dans le processus de lecture qu’il construit : bien

que le christianisme procède en droite ligne de la révélation biblique, il ne s’intéresse pas à la

notion spécifique d’inspiration mais assuré, par sa foi, de détenir la vérité, il porte toute son

attention à objectiver, pour son lecteur, l’utilisation qu’il fait/peut faire des Prophètes. Et

il veut à cet égard montrer que les prophéties, les praedicta, se sont effectivement réalisées

dans le Christ, in Christo […] impleta esse, en quoi l’on peut reconnaître un certain usage par

Lactance de l’exégèse typologique. Or l’important est d’observer sa manière car, pour chaque

avancée de son ample démonstration, au long des dix chapitres qui figurent au centre du livre

IV35

, on constate que Lactance procède toujours par citations intercalées une à une avec son

texte portant sur le Christ. Ainsi, tout se tient, tout s’éclaire : procédant de cet équilibre à deux

tenants, l’histoire de la révélation dépeinte par Lactance se déploie avec sûreté. De ce fait, la

citation est présentée comme élément de preuve, elle est mise en valeur par la force et

l’évidence mêmes de son insertion dans le texte et c’est donc sa fiabilité en tant que source

textuelle qui se trouve initiée de manière essentielle ici par Lactance. Le fait que le jeu

sémantique ressortisse davantage au mot français qu’au fons latin36

, ne compte en rien ici :

c’est une religion du Livre que Lactance, ainsi, invitait les païens à découvrir.

Loin d’être inconséquent dans ses méthodes, Lactance, donc, en citant au livre IV les

prophètes, ose cette fois inviter ses lecteurs païens à faire l’expérience d’une lecture qui les

introduise dans une réflexion religieuse nouvelle. Il les invite à se fier à un texte étranger et

jusque-là sans crédit à leurs yeux dans la mesure où il a ménagé les moyens qui, selon lui,

pouvaient les intéresser à cette lecture et les conduire, ce faisant, à découvrir la figure du

Christ37

. Car le premier acquis de cette construction textuelle et documentaire était que

Lactance rendait possible désormais, pour son lecteur, de se représenter un Christ intégré dans

le processus de l’Histoire, tel un long processus et inconnu jusque-là mais simplement

beaucoup plus ample et plus ancien que celui dont on avait eu connaissance auparavant, et qui

se présentait dans toute une série d’événements probants et concordants. Il y aurait lieu, sans

aucun doute, d’étudier la structure d’ensemble de cette « histoire selon Lactance » et de mieux

6

évaluer, de la sorte, son degré effectif de recevabilité pour ses lecteurs. Mais l’important,

d’abord, est bien que cette dimension historique de la religion chrétienne ait été mise en

valeur par l’apologiste, dans la mesure où elle pouvait pleinement satisfaire aux catégories

historicisantes de l’esprit romain38

.

Ainsi, la lecture de l’histoire du Christ était mise en conditions quelque peu nouvelles

par Lactance, et si l’on ne peut ici entrer dans la question de sa christologie, il reste à observer

comment cet auteur pouvait aussi se servir des mots et de la phrase pour essayer de rendre ses

lecteurs autrement attentifs aux données du christianisme dont il se fait le pédagogue39

. Pour

cela, nous l’avons dit, il commence par expliquer les différents noms du Christ : « Verbe »,

« Jésus », « fils de Dieu » ou « fils de l’homme », et le qualificatif lui-même de « Christ » en

tant que « Oint » et « Messie »40

. Au demeurant, certaines des affirmations de Lactance au

cours de ces développements ont pu être jugées aujourd’hui « un peu irritantes »41

, mais cela

ne change rien au fait que le vocabulaire lactancien se signale essentiellement par sa richesse,

qui s’explique par la richesse des points de vue et approches qu’il contient. Comme l’avait

souligné J. Fontaine, c’est dans la teneur et la mobilité de son propos qu’il faut s’attacher à

analyser le vocabulaire d’un tel écrivain42

. C’est pourquoi nous proposons que l’on s’arrête

sur certains autres termes employés par Lactance pour désigner le Christ au cours du livre IV,

pour la raison qu’ils se montrent singuliers et semblent receler, de ce fait, quelque intention

d’auteur.

Constatons d’abord que le recours aux prophètes, qui s’est avéré pleinement motivé

pour l’apologiste une première fois, joue à nouveau son rôle dans le fait qu’un jeu en écho

entre eux et le Christ, soit par parallélisme soit, inversement, par différenciation, est

subtilement construit dans le texte. Il est peut-être utile de préciser sur ce point que le Christ

n’est en principe pas considéré comme prophète, puisqu’il est accomplissement des

prophéties ; mais il apparaît néanmoins aussi comme tel dans les textes chrétiens, à

commencer par l’évangile de Luc, dans la mesure où il est celui qui interprète et rend

compréhensible les Écritures. Lactance, à sa manière, le représente comme tel à son tour, mais

c’est surtout dans sa fonction de « messager », « envoyé » par Dieu, que le jeu en écho dont

nous parlons se trouve établi et exploité par l’apologiste. Et c’est à partir d’une représentation

de ce genre, repérable dans un champ lexical précis, que s’organise, nous semble-t-il, une part

essentielle du propos que Lactance élabore et adresse à son lectorat païen pour lui apporter la

révélation du Christ.

Ainsi, il apparaît que dès le livre I des Institutions divines, où il est pour la première fois

fait référence aux prophètes, le terme classique de praeco, qui désigne en latin un « héraut »,

un « crieur public », s’applique à ces derniers, et leur reste en l’occurrence réservé43

; mais

que, reprise indirectement dans le syntagme de facere praeconium, « être crieur, proclamer »,

au livre IV, l’expression s’applique exactement de la même manière aux prophètes et au

Christ, où il est question de dire dans les deux cas qu’il y a eu « proclamation d’un Dieu

unique »44

. De même, il s’avère que Lactance emploie identiquement le verbe nuntiare, à

propos des Prophètes ou du Christ, même si ce terme est également d’emploi plus large, en

s’appliquant aux Sibylles ou autres voix divines du paganisme45

et que sa distribution est par

ailleurs clairement marquée, puisque les prophètes annoncent le Christ et ses miracles, et le

Christ, le Dieu unique, avant qu’ait lieu la Parousie46

. Enfin, il apparaît que les prophètes et le

Christ ayant été envoyés par Dieu auprès des hommes, c’est le verbe mittere qui est employé

en ce cas par Lactance, mais comme pour mieux faire ressortir aussi la rupture qui est apparue

selon lui entre le temps de l’Ancien et celui du Nouveau Testament47

. Car, dans la logique de

l’économie religieuse chrétienne qu’il décrit, et tel un phénomène de cause à effet, la venue

du fils de Dieu sur terre s’explique directement par le fait que, le peuple juif étant resté sourd

aux exhortations des prophètes, les nations ont alors été choisies par Dieu pour que leur soit

7

transférée sa religion. Ainsi, rapporte-t-il, « ne se contentant pas de mépriser leurs [= des

prophètes] paroles, offensés de ce que ceux-ci leur reprochaient leurs fautes, ils [= les Juifs]

les tuèrent dans des supplices raffinés »48

. Et de préciser encore :

« à cause de toutes ces manifestations d’impiété, il [= Dieu] les a rejetés pour toujours [et c’est] pourquoi

il a cessé d’envoyer (mittere) des prophètes auprès d’eux. En revanche, il a ordonné à ce fils qu’il avait,

son premier-né, le créateur des choses, son conseiller, de descendre du ciel pour transférer la sainte

religion de Dieu chez les nations »49

.

On va devoir revenir à cette manière très particulière qu’a Lactance de présenter le

Christ comme un relais direct des prophètes. Pour le moment, il y a lieu de se rendre compte

que lorsqu’il est dit que le Christ est chargé d’« annoncer » (nuntiare) « l’unicité de Dieu »50

,

la teneur de son message se trouve néanmoins entièrement résumée dans le complément du

verbe, sans que l’on n’entende jamais, en définitive, ses propres paroles51

. Que cette mise en

forme soit dépendante du fait que le Christ soit « envoyé » (missus) par Dieu en vertu d’une

disposition et d’une décision dont V. Loi avait justement souligné qu’elles précèdent, chez

Lactance, l’incarnation du Fils : ce sont les compléments de finalité qui dominent en ce cas la

phrase lactancienne. De même, que cette singularité se manifeste pleinement lorsque apparaît

le verbe reuelare, « révéler », dont l’emploi est, lui, scrupuleusement réservé au Christ : qu’il

s’agisse pour ce dernier de révéler « l’unicité de Dieu », sa « volonté », ou sa « voix »52

, il

ressort en effet que l’acte de révélation du Christ est entièrement contenu dans les substantifs

compléments du verbe, sans que l’on entende une fois le Christ parler.

Or voilà une différence essentielle entre la façon dont Lactance entreprend de donner à

ses lecteurs accès au Christ et celle dont il procède lorsqu’il est question des prophètes. En

effet, on a relevé plus haut que les paroles des prophètes étaient abondamment citées,

consciencieusement mises en résonance avec les faits de l’histoire du Christ et que, par ce

procédé, Lactance avait tenté la gageure d’élever le texte biblique au rang de source textuelle

auprès de ses lecteurs. Or contrairement à cela, nulle part on ne trouve un sermon, un précepte

ou une parabole cités. En revanche, apparaît de manière saillante et se présente comme

spécifique de la figure christique, chez Lactance, le fait que le Christ porte sans cesse d’autres

noms, fait l’objet de nouvelles appellations au cours du texte, lesquelles se présentent comme

autant de titres à signaler à l’attention du lecteur comme s’il s’agissait, en l’occurrence, de

permettre à ce dernier de distinguer cette figure par son rôle. Ainsi, le Christ est nuntius, « le

messager », missus, « l’envoyé », comme il était « fils de l’homme », nous l’avons vu pour

commencer, mais comme il est également doctor iustitiae, « docteur de justice »53

, magister

doctorque uirtutis, « maître et docteur de vertu »54

, ou encore magister doctrinae Dei « maître

de la doctrine de Dieu »55

.

Si ces termes détonnent quelque peu à nos oreilles de modernes, ils n’avaient au

contraire rien d’inouï pour un lecteur latin de l’Antiquité tardive, et c’est bien cela qui peut

nous permettre d’imaginer un tant soit peu leur fonction et de comprendre leur intérêt dans le

texte lactancien. Pour ne s’arrêter que brièvement sur l’emploi de l’expression doctor

iustitiae, par exemple, dont la facture est éminemment classique, il y a tout lieu de penser

qu’il s’explique d’abord et avant tout par sa fonction dans l’économie générale des

Institutions divines, puisqu’il annonce à sa manière le livre V qui portera, nous l’avons

signalé, sur la justice. Or il s’agira pour le lecteur d’entrer cette fois dans une lecture à

caractère dialectique, où Lactance débattra à partir des données cicéroniennes, qu’il récusera,

pour défendre une conception de la justice en fonction de principes chrétiens, qu’il

développera. Et de fait, c’est sur cette question de la justice que se situe un enjeu fondamental

de la démarche de Lactance, dans la mesure où l’idéologie romaine, qui associe

intrinsèquement religion et politique, et qu’on trouve élaborée philosophiquement par

8

Cicéron, autour des idées de justice et de droit naturel, était source d’un débat de fond pour

l’apologiste chrétien, en ce début du IVe siècle où le christianisme, avant 313, était encore

hors-la-loi56

.

Ces rapides considérations permettent à notre sens d’expliquer que Lactance ait fait en

sorte de ne pas livrer directement à la lecture des païens les paroles du Christ mais de traduire

au contraire son enseignement dans le corps même de son texte, et en fonction d’une

problématique particulière ; comme si, en l’occurrence, il se faisait l’ouvrier d’un message

préalablement médité et compris par lui mais qu’il considérait comme encore difficilement

acceptable tel quel par un païen, alors qu’il était au moins possible de signaler et de mettre en

valeur le rôle que le Christ doctor, pour l’avoir joué pour lui-même, un converti57

, était

susceptible de pouvoir jouer à son tour pour son lecteur. Parce qu’il s’agissait, en ce temps de

bouleversement possible, et d’ailleurs imminent, sur un plan politique et religieux, de

renouveler les termes d’une problématique de justice qui intéressait au fond les Romains

chrétiens et païens aussi bien.

Aussi peut-on dire que la manière adoptée par Lactance pour présenter le Christ

répondait encore à une exigence de méthode de sa part pour pouvoir se faire entendre de

ses lecteurs païens. Et à cet égard, il est un titre choisi par lui qui mérite plus particulièrement

attention, parce qu’il contient un jeu de résonances qui peut nous faire entendre la force de

persuasion qu’il attendait de son travail d’auteur. Ainsi, et alors qu’on a vu que le verbe

nuntiare correspondant était d’emploi assez large sous la plume de l’apologiste, le terme de

nuntius, « le messager », est à part, qu’il réserve au personnage du Christ. Or, et pour

retrouver le contexte vu plus haut, où Lactance rapproche le Christ des prophètes en faisant de

ce dernier une sorte de relais envoyé par Dieu après eux, il faut remarquer que nuntius est un

terme fréquent de l’Ancien Testament, notamment pour désigner les prophètes, mais qu’il est

quasiment absent, et employé seulement avec le sens banal de « celui qui transmet une

nouvelle », nullement appliqué au Christ, dans le Nouveau Testament58

. Il semble donc

représenter une donnée judaïque importante que l’apologiste reprend à son compte. Et de fait,

un passage des Chroniques59

portant sur la fin de la Royauté peut être rapproché très

directement de ce récit lactancien évoqué plus haut, où les prophètes (appelés nuntii dans la

Bible) ne sont en effet plus entendus mais méprisés par le peuple juif, à la différence

essentielle que, dans la Bible, c’est le châtiment de Dieu envers son peuple, et à travers lui, la

poursuite de l’Alliance, qu’il s’agit de mettre en valeur, alors que dans le récit de Lactance

c’est un moment inscrit très précisément dans la trame des événements, où Dieu transfère son

héritage en envoyant son fils aux nations, qu’il s’agit de livrer à la conscience du lecteur60

.

De la sorte, il semble que le récit lactancien relève d’un montage narratif minutieux et

tout à fait spécifique de l’apologiste qui ne peut guère s’expliquer autrement, pensons-nous,

que parce qu’il était destiné à pouvoir interpeller directement les païens, selon cet art propre

que nous avons suggéré plus haut consistant à « recycler » certaines données bibliques pour

en retirer un effet sur ce lectorat. Car il est frappant que Lactance ait par ailleurs mis en

évidence, par une citation du prophète, qu’Isaïe parlait lui-même d’un « enfant un fils [qu’]on

a[vait] appelé messager du grand projet (magni consilii nuntius) », comme si l’emploi

biblique de nuntius était en l’occurrence particulièrement opportun et utile à l’intelligence de

la lecture sur ce sujet particulier qu’était le Christ.61

C’est que le mot de nuntius était lui-

même lourd de sens dans la langue latine rapportée à son domaine référentiel païen,

rappelons-le, puisqu’il appartenait à la langue du droit public, où il désignait celui qui était

chargé de faire connaître une décision de caractère public, mais plus encore parce qu’il était

un terme de la langue religieuse et officielle, et spécialement de la langue augurale : il référait

ainsi à la fonction d’interprétation des signes divins et d’inauguration que remplissaient les

Augures dans l’espace religieux et politique romain62

. Représenté de manière médiate,

désigné par ce titre particulier à connotation religieuse, tout se passe donc comme si le Christ

9

était représenté par Lactance de façon à soutenir une nouvelle fois l’intérêt, l’attention et la

curiosité du lecteur dans son processus de lecture. Et comme Lactance souhaite le lui faire

comprendre, écouter le message du Christ, son enseignement, exigera du lecteur qu’il

poursuive sa lecture jusqu’au livre V, puis aux livres suivants, afin d’être en mesure de

découvrir progressivement le sens de la justice de Dieu. Dieu dont le Christ est dit être

nuntius, précisément, lorsqu’il s’agit pour lui d’ouvrir sur cette perspective de justice :

Que les hommes apprennent donc et comprennent pourquoi le Dieu suprême, quand il envoya son légat et

messager pour former l’ensemble des mortels aux préceptes de la justice, voulut qu’il fût revêtu de chair

mortelle, soumis au supplice de la croix et frappé par la mort63

.

En un remarquable hendiadys, le titre de messager s’y trouve alors associé à celui de légat,

dont la valeur juridique est ici prégnante. Et c’est encore comme nuntius que le Christ sera de

nouveau désigné, aux premiers chapitres du livre V :

Mais comme un père tout rempli d’indulgence, Dieu, à l’approche des derniers temps a envoyé son

messager pour ramener ce temps passé et la justice chassée, de peur que l’humanité ne soit tourmentée

par des erreurs très graves et éternelles64

.

Que son lecteur prenne au moins au sérieux l’objet de sa lecture pour se donner quelque

envie et quelque chance de comprendre, voilà bien le défi qui semble motiver Lactance au

livre IV des Institutions, où il entreprend la tâche difficile de donner une représentation du

Christ à ceux qui n’avaient a priori qu’inintérêt ou dédain pour la littérature chrétienne. On a

vu ainsi que, présentant la vie et la figure du Christ, c’est en employant uniquement le mode

de la narration que Lactance procède, avec le recours régulier au témoignage des prophètes

pour montrer que tout de cette vie avait été préalablement annoncé par eux. Par cette méthode,

le Christ de Lactance se trouvait directement inscrit dans la succession des événements et

c’est sans doute aussi cela qui importait à l’apologiste pour qui, nous l’avons vu, les données

bibliques avaient élargi le cadre même de l’Histoire dans laquelle, désormais à ses yeux, le

Romain pouvait et devait s’inclure. Et si à cet égard les paroles christiques ne semblaient pas

devoir intervenir directement dans l’élaboration du projet lactancien – le message de Dieu

ressortissant davantage en ce cas à un enseignement sur la problématique de la justice, traité

sur un mode dialectique avec les païens – on comprend que celles des prophètes, elles, parce

qu’elles permettaient à Lactance d’agencer dans la forme même de son texte le sens du

déroulement de l’Histoire, devaient être directement entendues.

Tout cela était donc prévu pour engager l’esprit du lecteur dans une prise de

conscience nouvelle. Mais peut-être Lactance espérait-il encore provoquer cette prise de

conscience sous la forme d’un surgissement à partir de la lecture elle-même. Il faut en effet

s’arrêter, pour finir, sur le moment où Lactance, s’apprêtant à citer pour la première fois un de

ces prophètes, au chapitre 11 du livre IV, à lancer donc ce lecteur de plain-pied dans la

matière du livre, fait déjà entendre quelques paroles de la bouche du héraut de Dieu65

. La

compréhension du message du Christ, on le sait maintenant, demandant au lecteur de

poursuivre sa lecture au livre V et au-delà, c’est donc au cours de ce livre IV seulement que

Lactance donne une occasion à son lecteur païen d’entendre la parole inspirée de Dieu. Or, le

remarquable ici est que nous n’avons aucunement affaire à une citation biblique, mais à une

parole prophétique qui relève purement de la création littéraire de Lactance. Ainsi, étant sur le

point d’expliquer ce moment crucial qu’est la décision de Dieu de transférer son héritage des

juifs aux nations, tel du moins qu’il apparaît, chez lui, inscrit dans la continuité des

événements du monde (rerum textus, le « tissu des événements »66

), Lactance commence par

10

rappeler le temps où Dieu envoyait, mais en vain, ses prophètes, « hommes justes », auprès des

« juifs [qui] souvent se rebellaient contre les préceptes du salut et s’écartaient de la loi

divine ». En relevant au passage que la question de la justice figure comme une donnée

biblique, qui s’intégrera à ce titre à la pensée lactancienne, il compte surtout de souligner que

Lactance va ensuite s’appliquer à mettre en mots l’exhortation que les prophètes, dans la

situation ainsi définie, n’ont cessé de répéter au peuple de Dieu. Un seul discours exemplifie,

en l’occurrence, toutes ces prophéties répétées à l’envi. Or Lactance emploie pour ce faire un

style inattendu et remarquable, à la fois par le décalage qu’il permet, l’ambivalence qu’il

produit, et par l’effet qu’il crée. C’est cette exhortation et son contexte immédiat qu’il nous

faut reproduire, non sans rappeler qu’ils ont été précédés de tout l’avant-propos prévu par

Lactance pour lui donner sens, pertinence et relief :

Dieu alors […] par leur (= des prophètes) intermédiaire, […] reprenait, avec des paroles menaçantes, les

péchés de ce peuple ingrat, et il l’exhortait néanmoins à faire pénitence pour son crime : « S’ils ne le

faisaient pas et ne revenaient pas à leur Dieu après avoir rejeté les vains cultes, il finirait par modifier son

alliance, c’est-à-dire qu’il transmettrait aux nations extérieures l’héritage de la vie éternelle et

rassemblerait, en prenant dans les nations étrangères, un autre peuple qui lui fût plus fidèle ». Mais ceux-

ci, pris à partie par les prophètes, ne se contentèrent pas de mépriser leurs paroles : offensés de ce que

ceux-ci leur reprochaient leurs fautes, ils les tuèrent dans des supplices raffinés. De tout cela, les écrits

divins conservent un très clair témoignage67

.

Suffisamment rare et complexe pour se signaler de soi-même, porteur d’une stratégie

d’écriture particulière, c’est donc le discours indirect libre qu’emploie Lactance ici, en créant

l’effet d’une hypotypose d’une force absolument remarquable68

. En effet, alors que le lecteur

a été préparé tout au long des dix chapitres précédents à lire les prophètes comme s’il allait

pouvoir accéder à présent à des sources nouvelles pour sa connaissance de l’Histoire, selon le

nouvel ordre divin, les paroles du prophète rapportées par l’apologiste, et qu’il entend à ce

moment-là, font en réalité l’effet d’être prononcées par Dieu lui-même. Car tout se passe

comme si l’intermédiaire représenté par le prophète était inopérant ici, où le discours indirect,

exempt des contraintes syntaxiques qui préciseraient qui est l’auteur des paroles émises

ensuite, suit immédiatement la phrase dans laquelle Dieu figure, précisément, comme sujet

des verbes de parole (« reprendre avec des paroles menaçantes », « exhorter »). L’emploi de

la troisième personne verbale, au singulier, que l’on rencontre dans la succession de la phrase

lactancienne s’avère à cet égard d’une complète ambivalence, parfaitement à même

d’entraîner, chez ce lecteur, une impression immédiate de saisissement.

***

C’est dans les monologues ou les dialogues de la littérature épique que,

traditionnellement, il avait été donné aux lecteurs anciens d’entendre la voix des dieux. Mais

dès lors que la voix de Dieu était rapportée au discours indirect libre, c'était également vers la

littérature historique que le lecteur était entraîné par Lactance. Ainsi, ces paroles de religion,

pour l’apologiste chrétien, relevaient de ces récits où l’on montre les hommes engagés dans

l’événement et où l’auteur s’engage lui-même par rapport à eux. Le lecteur païen saurait-il

donc entendre les différents « messagers » de Dieu ? Serait-il capable d’entendre que, selon

Dieu, l’ordre de l’Histoire avait maintenant changé ? Et que le nouvel horizon de la justice

chrétienne s’ouvrait à lui désormais ? Dans la période qui se déroulait en ce début du IVe

siècle, où le christianisme était sur le point d’être officiellement reconnu et, servi par le

premier empereur chrétien Constantin, de traduire en termes politiques la transposition de son

Royaume dans l’espace terrestre, Lactance vit l’histoire empirique comme la réalisation

11

même de l’histoire chrétienne. Alors que la cruauté des persécutions était en réalité

proportionnelle à leur inefficacité pour réduire le nombre des chrétiens, on commençait en

effet à penser le devenir du christianisme en termes de Victoire. C’est ce contexte historique

qui forme le contexte de pensée de Lactance, et son écriture s’inscrit dans le mouvement de

son époque : le païen était invité à lire un chrétien désireux de lui faire découvrir la révélation

chrétienne et qui se pensait apte à conduire cette entreprise, et à le faire participer ainsi, par la

dynamique de sa lecture, à l’événement du changement chrétien de l’histoire.

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NOTES

1 Depuis l’Antiquité, et par saint Jérôme en premier (Ep., 58), ce sont exclusivement les qualités de rhéteur de

Lactance à l’encontre de ses adversaires païens qui ont été louées. Sur un plan général, voir HERZOG (éd.),

1993, § 570 : Lactance, et partic. p. 433-432 pour les questions de doctrine. Ici, en réalité, se pose la question du

statut des auteurs au sein de l’Eglise : sur la notion de « théologien laïc » qui convient lorsqu’on parle de

Lactance, voir FAIVRE, Paris, 1992, partic. chapitre VI.

12

2 Voir, sur ce contraste entre Lactance et Eusèbe, COLOT, VChr, 2005, 59, p. 135-151.

3 Voir FREDOUILLE, REAug, XXXVIII, 1992, p. 219-234, et REAug, XLI, 1995, p. 201-216 ; SPANNEUT,

1969, p. 125-180. 4 Voir notamment INGREMEAU, VL, 1993, 132, p. 33-40 et COLOT, Studia Patristica, vol. XXXIV, Louvain,

2001, p. 23-32, partic. p. 27. 5 Il s’agit du De opifico dei édité par M. PERRIN aux Sources Chrétiennes (SC n°213).

6 Voir not. Inst., I, 1, 21 (SC n°326)

7 Voir MONAT, 1982, 2 vol.

8 Oracles d’Apollon, d’Orphée ou, plus couramment, les Oracles sibyllins, que Lactance tenait pour une source

païenne. 9 Voir dans l’édition du livre IV des Institutions divines, (éd. P. MONAT, SC n°377) l’index des auteurs anciens

cités ou utilisés. 10

Voir Inst., I, 5, 1-2 cité ci-dessous (voir note 17). Sans doute ces lecteurs païens étaient-ils peu nombreux car

ils appartenaient déjà, en tant que lecteurs, à une élite ; mais ils existaient certainement, comme Lactance lui-

même en donne un exemple, il faut le souligner, puisqu’il avait été païen, maître de rhétorique à Nicomédie,

avant de se convertir au christianisme. 11

Voir Inst., IV, 5, 3 cité ci-dessous (voir note 16). P. MONAT a d’ailleurs intitulé son premier chapitre (op. cit.

vol. 1) : « Hésitations et contradictions chez Lactance ? ». Voir en part. sa position p. 34-35. 12

L’expression est de P. MONAT, op.cit., vol. 1. p. 59, mais sans autre forme d’explication. C’est sans doute

une analyse comme celle d’A. WLOSOCK, 1960, p. 232-246 : « Die Gottesprädikation pater et dominus bei

Laktanz : Gott in Analogie zum römischen paterfamilias », qui explique le plus clairement ce que l’on peut

entendre par là, montrant combien la forme juridique (ici, la figure de Dieu comme paterfamilias), qui

caractérise la religion romaine, est prégnante dans la théologie de Lactance. 13

Voir HERZOG , op.cit. (note 1), p. 433 : « Lactance, comme théologien, sort du cadre de son époque. » 14

C’est ce caractère discursif de la pensée de Lactance qui, selon nous, constitue la marque propre de la

rationalité dont il se réclame pour défendre le christianisme, alors que l’importance de la raison dans

l’approfondissement de la foi a en elle-même été revendiquée par d’autres que lui, à commencer par saint Paul. 15

Inst., II, 3, 23-25 (trad. P. MONAT, SC n° 337) : « On connaît le mot de Cicéron : « Si au moins il m’était

aussi facile de trouver la vérité que de dénoncer l’erreur ! » Mais comme cela dépasse les forces humaines, la

possibilité d’accomplir cette tâche (eius officii facultas) nous a été accordée, à nous, à qui Dieu a donné la

connaissance de la vérité (quibus tradidit Deus scientiam ueritatis) ». 16

Inst., IV, 5, 3 : […] prophetis… […], quorum testimoniis nunc uti necesse est : quod in prioribus libris ne

facerem temperaui. 17

Inst., I, 5, 1-2 : (Ce qu’il poursuivait par : « Tournons-nous vers les maîtres et citons comme témoins, pour

faire la démonstration de la vérité, ceux-là même que l’on utilise habituellement contre nous, je veux dire les

poètes et les philosophes ») Sed omittamus sane testimonia prophetarum, ne minus idonea probatio uideatur de

his quibus omnino non creditur.Veniamus ad auctores, et eos ipsos ad ueri probationem testes citemus, quibus

contra nos uti solent, poetas dico ac philosophos. (Trad. P. MONAT, partiellement modifiée. Sauf précision de

ce type, les traductions produites dans cet article sont celles de P. MONAT, SC). 18

Inst., I, 6, 6-7 : Superest de responsis sacrisque carminibus testimonia quae sunt multo certiora proferre. 19

Il a entre-temps parlé des noms du Christ, de la chronologie des prophètes. Sur la question de l’utilisation

pratique des prophètes par les apologistes grecs et latins avant Lactance, voir le récapitulatif de P. MONAT, op.

cit ., vol. 1, p. 29-30, not. p. 29, où il est dit que « seul Justin […] présente de façon rationnelle et claire les

prophètes et la traduction des Septante […] <avec> même quelques directives de lecture […] pour les païens ».

Mais la rationalité dont se réclame Lactance dans sa démarche est d’un autre ordre. 20

Inst., IV, 10, 19 : Sed prius ostendam qua de causa in terram uenerit Christus, ut fundamentum diuinae

religionis et ratio clarescat. 21

Par opposition au monothéisme qui affirme l’unité exclusive d’un seul Dieu, l’hénothéisme s’applique à toute

doctrine tendant à unifier un système polythéiste. Pour une définition plus détaillée, voir ORTIGUES, 1999, p.

22, note 1. 22

La pensée de Lactance peut, d’une certaine façon, s’illustrer dans le propos suivant, d’E. ORTIGUES, op. cit.,

p. 28 : « […] le mot Dieu n’évoque pas seulement un être transcendant, il connote une exigence de piété, un

culte d’adoration. […] Le monothéisme ne pose pas seulement une question factuelle d’existence (du genre : « Il

existe une intelligence rectrice du cosmos »), il pose aussi une question de droit : il affirme que le créateur doit

être reconnu comme Dieu rédempteur, seul sauveur, tel qu’il s’est manifesté dans l’histoire ». 23

Inst., IV, 5, 1 : Nunc, quoniam docui sapientiam et religionem non posse dicudi, superest ut de ipsa religione

ac sapientia disseramus. 24

Voir P. MONAT, op.cit., vol. 1, p. 25.

13

25

Mais voir infra. Cet exercice particulier d’interprétation mené par Lactance est signalé par P. MONAT, op.cit.,

vol., p. 25, mais d’un tout autre point de vue que le nôtre, puisqu’il voit cette manière de procéder comme une

contrainte imposée à Lactance du fait de son lectorat, alors que nous y voyons au contraire un choix répondant à

une ambition profonde et maîtrisée. 26

Voir ci-dessous notes 59 et 66. 27

Sur cette spécification de sens que nous apportons par le qualificatif « romain », voir infra, ainsi que notre

article cité ci-dessus, note 4. 28 Inst., IV, 10, 3-4 : Nemo adseuerationi nostrae fidem commodet, nisi ostendero prophetas ante multam

temporum seriem praedicasse fore aliquando ut filius Dei nasceretur sicut homo et mirabilia faceret et cultum

Dei per totam terram seminaret et postremo patibulo figeretur et tertio die resurgeret. Quae omnia cum

probauero eorum ipsorum litteris qui Deum suum mortali corpore utentem uiolauerunt, quid aliud obstabit

quominus ueram sapientiam sit in hac sola religione uersari ? 29

Voir MICHEL, 1960. Mais une différence fondamentale tient dans le fait que la pensée cicéronienne est

marquée par l’éclectisme philosophique et le probabilisme, alors que Lactance pense en fonction de ce qui

représente pour lui un système de vérité. 30

Voir SIMON et BENOIT, 19985, partie II, chapitre 3.

31 Chronologie inspirée de Théophile d’Antioche, voir NICHOLSON, « The Source of the Dates in Lactantius

Diuine Institutes», JThS, 36, 1985, p. 291-310. 32

Apol., 19, 5 et plus largement 18-20. 33

Voir Inst., IV, 5, 4-8. 34

Inst., IV, 5, 9-10 : Quae omnia eo profero ut errorem suum sentiant qui scripturam sacram coarguere nituntur

tamquam nouam et recens fictam, ignorantes ex quo fonte religionis sanctae origo manauerit. Quodsi qui

collectis perspectisque temporibus fundamentum doctrinae salubriter iecerit, et ueritatem penitus comprehendet

et errorem cognita ueritate deponet. 35

Chapitre XI à XXI, sur les trente chapitres que compte le livre IV. 36

Le sens métaphorique de fons, « source, fontaine », s’entend généralement comme « principe », « origine »,

mais il prend ici, dans le texte lactancien, une dimension concrète. 37

Sur le discrédit dont souffrait le texte biblique auprès des lettrés païens qui jugeaient trop « brut », voir J.-C.

FREDOUILLE, 1985, p. 25-42. 38

Voir les propos de FONTAINE et FREDOUILLE, p. 250, à la suite de FREDOUILLE, 1978, p. 237-247

(discussion : p. 250-252). 39

Voir aussi COLOT, 1999, p. 239-252. 40

Voir Inst., IV, chapitres 7, 8, 12. 41

Voir note de P. MONAT (éd.), Inst., IV, p. 68. 42

Voir FONTAINE, c. r. de LOI, 1972, p. 511-514, auquel P. MONAT se réfère pourtant lui-même, op. cit., vol

1, p. 173. 43

Inst., I, 4, 4, […] ut et praecones essent maiestatis eius […] Emploi de praeco réservé aux prophètes mis à

part en Inst., V, 1, 24, pour désigner les apologistes. 44

Inst., I, 4, 2, […] de uno Deo praeconium faciunt […] ; Inst., IV, 14, 19, […] de uno Deo facere praeconium

[…]. 45

Voir Inst., II, 7, 10 ; Inst., II, 8, 48. 46

Voir Inst., IV, 15, 4 ; Inst., IV, 12, 14 […] semel ut unum Deum gentibus nuntiet, deinde rursus ut regnet

[…]. 47

Inst., IV, 13, 1 : Summus igitur Deus ac parens omnium cum religionem suam transferre uoluisset, doctorem

iustitiae misit e caelo, ut nouis cultoribus nouam legem in eo uel per eum daret, non sicut ante fecerat per

hominem ; sed tamen nasci eum uoluit tamquam hominem […] (Donc, quand le Dieu suprême, père de tous, eut

décidé de confier à d’autres sa religion, il envoya du ciel un maître de justice pour donner une loi nouvelle à de

nouveaux adorateurs, en lui, ou plutôt par lui, et non plus par l’intermédiaire d’un homme comme il l’avait fait

auparavant ; il voulut cependant que celui-ci naquît comme un homme […]). 48

Inst., IV, 11, 3. 49

Inst., IV, 11, 7: Propter has illorum impietates, abdicauit eos in perpetuum : itaque desiit prophetas mittere ad

eos. Sed illum filium suum primogenitum, illum opificem rerum et consiliatorem suum delabi iussit e caelo, ut

religionem sanctam Dei transferret ad gentes […]. 50

Inst., IV, 12, 14 (cité note 46). 51

Paradoxe qui ressort fortement dans un tel énoncé, où il est question de la prolation du Verbe : Inst., IV, 8, 8 :

Ipsum primo locutus est ut per eum ad nos loqueretur et ille uocem Dei ac uoluntatem nobis reuelaret .(C’est lui

que Dieu a d’abord émis, afin d’émettre une parole pour nous par son intermédiaire, et pour que celui-ci nous

révèle la voix de Dieu et sa volonté).

14

52

Inst., IV, 12, 11 : Idcirco enim missus est a Deo patre ut uniuersis gentibus quae sub caelo sunt singularis et

ueri Dei sanctum mysterium reuelaret […] (Car s’il a été envoyé exprès par Dieu le Père, c’est pour révéler à

toutes les nations qui sont sous le ciel le mystère du Dieu unique et véritable […]) et Inst., IV, 8, 8, cité note

précédente. 53

Inst., IV, 13, 1. 54

Inst., IV, 24, 12 55

Inst., IV, 8, 8. 56

Voir B. COLOT, art. cit. note 4. 57

On situe la conversion de Lactance vers l’année 300. 58

V. LOI, op. cit. (note 42), p. 216, note que le seul équivalent possible de ce terme serait le grec apostolos,

« l’envoyé », que l’on trouve dans Hébr. 3, 1 et les apologistes grecs des IIe et III

e siècles.

59 2 Chron., 36, 15

60 Le terme d’alliance correspond au latin testamentum et Lactance consacre des pages précieuses sur le sens de

ce mot auquel il associe le thème de l’héritage (voir P. MONAT, op. cit., vol. 1, 1ère

partie, chapitre III).

Précisons, pour notre part, que le thème de la transmission d’héritage ne se lie pas directement, pour Lactance, à

celui de l’adoption spirituelle. Sa vision propre est celle d’une seule généalogie humaine ramifiée selon les

différentes branches que forment les peuples, fidèles ou non à leur origine et donc à leur Père unique : les

Hébreux étaient les derniers fidèles, avant que les Juifs ne se détournent, et que Dieu ait décidé d’enseigner aux

nations leur véritable origine, celle oubliée pendant des siècles de polythéisme. 61

Inst., IV, 12, 10-11 62

Voir ERNOUT ET MEILLET, 1994, s.u. 63

Inst., IV, 25, 1 : Discant igitur homines et intellegant quare Deus summus, cum legatum ac nuntium suum

mitteret ad erudiendam praeceptis iustitiae mortalitatem, mortali uoluerit eum carne indui et cruciatu adfici et

morte multari. 64

Inst. V, 7, 1 : Sed deus, ut parens indulgentissimus, appropinquante ultimo tempore nuntium misit, qui uetus

illud saeculum fugatamque iustitiam reduceret, ne humanum genus maximis et perpetuis agitaretur erroribus. 65

Citations de Jérémie, Elie et Esdras en Inst., IV, 11, 4-6 (dont la suite, § 7, est citée note 49). 66

Inst., IV, 10, 19 (= dernier § du chapitre 10 consacré au « plan divin »). 67

Inst., IV, 11, 1-3 : […] tum Deus […] per quos [= prophetas] peccata ingrati populi uerbis minacibus

increparet et nihilominus hortaretur ad paenitenitam sceleris agendam. Quam nisi egissent atque abiectis

uanitatibus ad deum suum redissent, fore ut testamentum suum mutaret, id est hereditatem uitae immortalis ad

exteras conuerteret nationes aliumque siis populum fideliorem ex alienigenis congregaret. Illi autem a prophetis

increpiti non modo uerba eorum respuerunt, sed, quod sibi peccata exprobrarentur offensi, eos ipsos exquisitis

cruciatibus necauerunt. Sur les termes de testamentum et hereditas, voir ci-dessus note 59. 68

Voir MELLET, 2000, p. 28- 47, partic. p. 46 : « Dans les textes grecs et latins […] le discours indirect libre est

d’abord et avant tout un jeu subtil d’exhibition et de dissimulation de l’altérité énonciative ».