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1
Institut des Relations Internationales et Stratégiques
Master 2 « Responsable de programmes internationaux »
Réalisé par : Emilie QUEYRAUD
Sous la direction de : Thomas RIBÉMONT,
Maître de conférences en Sciences politiques à l’Université Paris 13
Le 23 septembre 2013
Mémoire
Les déterminants de la réconciliation en Côte d’Ivoire
-‐
Réflexion autour de l’inclusion du « peuple de Gbagbo »
Graffiti, Paris XVIIIème arrondissement, 2012
i
Remerciements :
Je remercie dans un premier temps Monsieur Thomas Ribémont, Maître de conférences en
Sciences politiques à l’Université Paris 13 et intervenant à l’IRIS, pour avoir dirigé mon
travail de recherche, ainsi que pour son soutien et ses conseils tout au long de l’année.
J’aimerais également adresser mes remerciements à Guy Labertit, ancien Délégué Afrique du
Parti socialiste français, ainsi qu’à toutes les personnes qui m’ont permis de mener des
entretiens avec elles, car ce travail n’aurait pas eu le même aboutissement sans leur
collaboration. Je les remercie pour la confiance qu’ils m’ont accordée et pour les précieuses
informations qu’ils m’ont communiquées au cours de cette année.
Enfin, un grand merci à mes amis et à mes parents qui me soutiennent en toutes circonstances
et dans tout ce qui je suis amenée à entreprendre.
ii
SOMMAIRE :
Remerciements ……………………………………………………………………………i
SOMMAIRE ………………………………………………………………………………...ii
ACRONYMES ……………………………………………………………………………...iii
INTRODUCTION ……………………………………………………………………………1
PREMIÈRE PARTIE: LA RÉCONCILIATION NÉCESSAIRE APPROCHE SOCIOHISTORIQUE ET RECONCILIATION MULTI-NIVEAUX…...8 Première sous-partie : Comprendre les crises ivoiriennes Une approche sociohistorique ……………………………………………...9 Deuxième sous-partie :La nécessité d’une réconciliation multi-niveaux Un processus amorcé ………………………………………………………31 DEUXIÈME PARTIE : LIMITES DE LA RÉCONCILIATION LA RÉCONCILIATION VUE PAR LES PARTISANS DE LAURENT GBAGBO …..46 Première sous-partie: Les limites liées à la « justice des vainqueurs » Du manque de confiance en la justice ………………………………………….50
Deuxième sous-partie : Les limites contextuelles Du manque de confiance généralisé…………………………………………….65
CONCLUSION……………………………………………………………………………...78
BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………...81
ANNEXES…………………………………………………………………………………..89
TABLE DES MATIERES …………………………………………………………………...120
iii
ACRONYMES : ADO : Alassane Dramane Ouattara BM : Banque Mondiale BCEAO : Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest CDVR : Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation CEI : Commission électorale indépendance CEPICI : Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire Comzones : Commandants de zone des Forces Nouvelles CPD : Cadre Permanent de Dialogue CPI : Cour Pénale Internationale CRI – Panafricain : Conseil pour la Résistance Ivoirienne et Panafricaine / ou Congrès pour la Renaissance Ivoirienne et Panafricaine CURDIPHE: Cellule universitaire de recherche et de diffusion des idées et actions politiques du président Henri Konan Bédié DDR : Démobilisation, Désarmement, Réinsertion FDS : Forces de Défense et de Sécurité FMI : Fonds Monétaire International FN : Forces Nouvelles FPI : Front Populaire Ivoirien FRCI : Forces Républicaines de Côte d’Ivoire HCR : Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies LMP : La Majorité Présidentielle MPCI : Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire ONU : Organisation des Nations Unies ONUCI : Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire
iv
PAS : Plan d’Ajustement Structurel PDCI : Parti Démocratique de Côte d’Ivoire PDCI-RDA : Parti Démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain PNCS : Plan National de Cohésion Sociale RDR : Rassemblement Des Républicains de Côte d’Ivoire RHDP : Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix TRC : Truth and Reconciliation Commission
1
INTRODUCTION
Suite à l’arrestation de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011 avec l’aide militaire de la
France et de l’ONU, scellant la fin de plus de six mois de violences postélectorales, le
nouveau président de la République de Côte d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara, a été
investi dans ses fonctions le 21 mai 2011 à la tête d’un pays marqué par de fortes tensions et
de profondes divisions ethniques. De plus, la situation économique désastreuse depuis les
années 1980 n’a cessé de s’aggraver avec l’instabilité politique et les crises successives. Les
défis du président alors nouvellement élu sont de taille, et il annonce rapidement ses trois
priorités : le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du pays, la relance
économique et la réconciliation nationale1. Ce que l’on appelle aujourd’hui « la crise
postélectorale » aura fait au moins trois mille morts2 et un million de déplacés3, auxquels
s’ajoute plus de cent cinquante femmes violées4, sans compter les milliers de personnes
violentées ou torturées, et la société complètement traumatisée.
Ainsi, l’un des premiers défis du nouveau président a été de mettre en place une politique de
réconciliation nationale. Cette politique de réconciliation est conçue comme un moyen de
parvenir à la paix et s’inscrit dans la lignée des réflexions de la peace research5. Ce courant,
qui domine plus que jamais l’ensemble des initiatives post-conflit, conçoit la paix comme un
processus de réconciliation entre les groupes qui étaient auparavant en conflit6. Sous cette
acception, le processus de réconciliation ne se limite pas à l’utilisation de ce que l’on appelle
la justice transitionnelle, il implique avec autant d’importance des méthodes structurelles,
visant principalement à modifier la structure des relations entre les groupes, et instaurer la
1 CHABROL FANNY, HUGON PHILIPPE., « L’Afrique subsaharienne face à l’arc de crise sahélien », in BONIFACE PASCAL (dir.), L’Année stratégique 2013, Armand Colin, 2012, Paris, 533 p., p. 338.
2 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », Mars 2013, 86 p. 3 HOFNUNG THOMAS, La crise ivoirienne de Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo, La découverte, 2011, Paris, 191 p., p. 175. 4 Human Rights Watch, « Bien Loin de la Réconciliation- Répression militaire abusive en réponse aux menaces sécuritaires en Côte d’Ivoire », Novembre 2012, 80 p. 5 Le courant de la peace research s’est intéressé, dès le début des années 60, aux conflits intra-étatiques. Il s’est proposé de réfléchir sur les conditions d’établissement d’une paix durable afin de concevoir une paix positive qui puisse être conceptualisée et mise en pratique. 6 LEFRANC SANDRINE, Politiques du Pardon, PUF, 2002, Paris, 368 p. , p. 216.
2
démocratie7, et des méthodes interpersonnelles visant à améliorer les relations entre les « gens
ordinaires »8. Pourtant, les outils les plus visibles d’une politique de réconciliation, et c’est le
cas en Côte d’Ivoire, sont bien ceux de la justice transitionnelle9. Selon Sandrine Lefranc10,
spécialiste française de l’étude des politiques de réconciliation, la justice transitionnelle peut
être définie comme une boîte à outils dans laquelle sont regroupés un ensemble de moyens
complémentaires, à adapter en fonction de chaque situation, afin de parvenir à la
réconciliation dans un cadre démocratique et dans le but de construire une paix durable11. Ces
moyens essentiellement institutionnels sont « les poursuites judiciaires, les dispositifs de mise
au jour d’une vérité historique sur un passé de violence, les initiatives favorisant la «
réconciliation » des groupes en conflit, les politiques de réparations aux victimes (matérielles
et symboliques) et les réformes institutionnelles ayant une finalité de prévention de la
récurrence des crimes » 12 . La justice transitionnelle se définie donc par son but -
l’établissement d’une paix durable à la sortie d’une crise dans un contexte de transition
démocratique - et par les moyens à disposition pour atteindre ce but, que nous avons énoncé
non exhaustivement ci-dessus. Il s’agit donc avant tout d’un processus politique et social.
À la sortie d’un conflit, l’utilisation des outils de la justice transitionnelle est devenue
systématique. Les exemples sont nombreux. Sans remonter à la fin de la Seconde Guerre
Mondiale dont le procès de Nuremberg a signé l’acte de naissance de la justice transitionnelle,
sa montée en puissance a été fulgurante à partir des années 1980 alors que chutaient une à une
les dictatures sud-américaines13. On y voit alors naître un nouveau type d’institutions qui vont
devenir les outils phares de la justice transitionnelle et ceux qui sont le plus médiatisés dans le
cadre des politiques de réconciliation : les commissions de vérité et de réconciliation14. Mais
7 Dans la peace research, le partage de valeurs démocratiques est la principale condition d’une paix durable. Celle ci s’est inspirée des théories d’Emmanuel Kant et de son Projet de paix perpétuelle (1795) pour élaborer la théorie de la paix démocratique. 8 LEFRANC SANDRINE, Politiques du Pardon, op.cit., p. 216- 217. 9 Nous n’entrerons pas dans l’étude de la généalogie et de l’origine du concept de justice transitionnelle qui peut paraître flou. Mais il convient de préciser qu’il serait réducteur de limiter le terme «transition » à l’acception du passage d’un régime dictatorial à une période transitoire, puis à l’idéal de la démocratie, comme il le suggère. En effet, dans bien des cas y compris celui de la Côte d’Ivoire, les étapes ne sont pas si évidentes et pourtant, on parle bien de justice transitionnelle. Sur la généalogie et l’origine du concept de justice transitionnelle, voir : HAZAN PIERRE, Juger la guerre, juger l’Histoire : du bon usage des commissions Vérité et de la justice internationale, PUF, 2007, Paris, 251 p. 10 Sandrine Lefranc est chargée de recherche au CNRS et enseigne au sein de plusieurs universités et écoles. Elle s'est spécialisée dans l'étude des dispositifs de sortie de conflits politiques violents (répression étatique, guerre civile) mis en place par des acteurs locaux et internationaux. Elle est l’auteur et la directrice de plusieurs ouvrages sur ce thème de recherche. 11 LEFRANC SANDRINE, « La justice transitionnelle n’est pas un concept », Mouvements des idées et des luttes, n°53, mars-mai 2008, pp. 61 à 69. 12 Ibid. 13 HAZAN PIERRE, Juger la guerre, juger l’Histoire : du bon usage des commissions Vérité et de la justice internationale, op.cit., p. 17. 14 LEFRANC SANDRINE, « La justice transitionnelle n’est pas un concept », op.cit.
3
c’est bien la politique de réconciliation sud africaine qui va devenir « l’exemple
emblématique de la nouvelle ingénierie sociale de la justice transitionnelle »15 à la fin de
l’Apartheid avec la mise en place de la célèbre Truth and Reconciliation Commission (TRC).
Ensuite, les décennies 1990 et 2000 vont voir surgir une multitude de commissions de vérité à
l’issue de massacres d’Etat comme en Sierra Leone, de génocides comme au Rwanda, ou dans
des périodes d’assouplissement de régimes, comme ce fut par exemple le cas au Maroc
lorsque Sa Majesté Mohammed VI a crée l’Instance Equité et Réconciliation en 200416 afin
de faire la lumière sur la répression de l’Etat sous le règne de son père Hassan II durant les
« années de plomb ». Ainsi, depuis 1974, c’est plus d’une trentaine de commissions de vérité
qui ont été créées dans le monde17, et donc au moins autant de politiques de réconciliation.
Les exemples de mise en place de ce type d’institutions se sont multipliés en Afrique
subsaharienne : Afrique du Sud, Sierra Leone, Rwanda, Guinée Conakry, Ouganda, Tchad,
Nigeria, Ghana, Liberia, Côte d’Ivoire… Au moment du dénouement d’une crise, les discours
des chefs d’Etat africains et occidentaux, des Nations Unies et des défenseurs de la paix et des
droits de l’homme, sont ponctués du mot « réconciliation » et systématiquement, l’étape
suivante a été celle de la mise en place d’une politique de réconciliation nationale, au sein de
laquelle on peut voir naitre une commission de vérité. Ces commissions n’ont jamais
exactement le même mandat ni la même mission. Elles sont toutes uniques dans la mesure où
elles s’inscrivent dans un contexte spécifique avec un objectif de paix qui ne se construit pas
toujours de la même manière et que la mission qui leur est donnée dépend de la volonté
politique de leur créateur. Ainsi, elles n’ont parfois qu’un rôle d’organe de recommandation,
mais sont la plupart du temps chargées de la lourde mission qui est celle du rétablissement de
la vérité et de l’indemnisation des victimes.
À côté de ces institutions s’exerçaient, selon les contextes, des poursuites judiciaires, se
mettaient en place des cadre de dialogue politique et autres outils de la justice transitionnelle.
Mais la justice transitionnelle et les politiques de réconciliation ne se limitent pas à des
institutions nationales. En effet, ces questions sont désormais indissociables de la place de la
justice pénale internationale, qui semble avoir le même objectif : favoriser la construction
15 HAZAN PIERRE, Juger la guerre, juger l’Histoire : du bon usage des commissions Vérité et de la justice internationale, op.cit., p. 49. 16 Ibid. 17 Par ordre alphabétique : Afrique du Sud (1995), Allemagne (1992), Argentine (1983), Bolivie (1982), Chili (1990 et 2003), Corée du Sud (2000), Côte d’Ivoire (2011), Équateur (1996 et 2007), Ghana (2002), Grenade (2001), Guatemala (1997), Guinée Conakry (2010), Haïti (1995), Indonésie (2004), Libéria (2005), Maroc (2004), Népal (1990), Nigeria (1999), Ouganda (1974 et 1986), Panama (2001), Paraguay (2003), Pérou (2000), RDC (2003), Rwanda (1999) Salvador (1992), Sierra Leone (2002), Sri Lanka (1994), Tchad (1991), Timor-Leste (2002), Uruguay (1985 et 2000), Yougoslavie (2001).
4
d’une paix durable, établir la vérité sur les crimes et réparer. Antonio Cassese18 disait même
que la justice pénale internationale est indispensable pour aboutir à la paix19. La montée en
puissance de la justice pénale internationale depuis une vingtaine d’années a été fulgurante.
Des tribunaux pénaux internationaux non permanents et destinés à rendre la justice sur les
crimes les plus graves commis dans des contexte particuliers ont d’abord vu le jour. Ainsi le
Tribunal Pénal International pour l’Ex Yougoslavie, le Tribunal Pénal pour le Rwanda ou
encore la Cour spéciale pour la Sierra Leone, ont été créées avant que la Cour Pénale
Internationale ne prenne ses fonctions en 2002, année de l’entrée en vigueur de son statut. Il
faut noter que la Cour Pénale Internationale n’est pas la dernière née des juridictions pénales
internationales. Des tribunaux spéciaux internationalisés ont été mis en place après l’entrée en
vigueur du Statut de Rome20. C’est le cas du Tribunal spécial pour le Cambodge21 et du
Tribunal spécial pour le Liban. Ainsi, ces deux types d’institutions- les commissions de vérité
et de réconciliation et les juridictions pénales internationales ou hybrides – sont les deux
outils spécifiques à la justice transitionnelle. Elles se différencient ainsi des poursuites pénales
qui se font dans le cadre du système judiciaire commun, bien qu’étant elles aussi des outils de
justice transitionnelle. Le recours à ces institutions spécifiques est recommandé de manière
quasi systématique par les experts et professionnels de la justice transitionnelle et des
politiques post-conflit.
En Côte d’Ivoire, une politique de réconciliation a bien été mise en place et fait l’objet d’une
constante observation. Suite à son accession à la fonction de président de la République en
2011, Alassane Ouattara a promis de réconcilier la Côte d’Ivoire avec elle même. En ce sens,
il a rapidement créée la Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation (CDVR).
Il a en outre promis la justice pour toutes les victimes. En ce sens, de nombreux mandats
d’arrêts nationaux et internationaux sous plusieurs chefs d’accusation liés à la commission
d’actes criminels durant la crise postélectorale et depuis la fin de la crise ont été émis et des
enquêtes ont été ouvertes, principalement contre les partisans et les membres de la famille de
18 Antonio Cassese, éminent juriste spécialisé en droit international public, a été le Premier président du Tribunal Pénal International pour l’Ex Yougoslavie et le Premier président du Tribunal spécial pour le Liban. Il est décédé en 2011. 19 Premier rapport du président du Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie devant l’assemblée générale des Nations Unies, 29 août 1994, A/49/342, S/1994/1007, paragraphe 15. 20 On les différencie des tribunaux pénaux internationaux car il s’agit de juridictions hybrides, qui sont internationales par le fondement, mais qui ont des caractéristiques internes et internationales. Il ne s’agit pas de tribunaux pénaux internationaux ad hoc du même type que pour le Rwanda ou l’Ex-Yougoslavie. Sur les juridictions pénales internationalisées, voir PAZARTZIS PHOTINI, « Tribunaux pénaux internationalisés », Annuaire Français de droit international, 2003, n°53, p. 642. 21 C’est le nom communément donné à ce tribunal. Mais il s’agit officiellement de Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens. Sa création a été négociée par l’ONU et le gouvernement cambodgien et scellée au sein d’une résolution du Conseil de sécurité. Il a été crée en 2001 par la loi cambodgienne mais n’a commencé à fonctionner qu’en 2007.
5
Laurent Gbagbo et les têtes de l’ancien régime. Du point de vue de la justice pénale
internationale, le nouveau gouvernement ivoirien a répondu au mandat d’arrêt international
émis à l’encontre du président sortant Laurent Gbagbo le 23 novembre 2011, aujourd’hui
emprisonné à La Haye et est accusé d’être le co-auteur de quatre chefs de crimes contre
l’humanité.
Nombreux sont ceux qui disent que depuis l’élection de Ouattara, la situation en Côte d’Ivoire
s’est améliorée et que la transition démocratique est en cours. Mais plus de deux ans après son
investiture, un bilan s’impose et le constat est de prime abord plus nuancé que le prétendent
certains observateurs. Les avancées les plus significatives sont liées à la politique de relance
économique. En effet, à la fin de l’année 2012, les bailleurs de fonds ont promis un
financement par l’investissement à hauteur de 8,6 milliards de dollars pour la période 2013-
2015 lors de la première journée du Groupe consultatif pour la Côte d’Ivoire au siège de la
Banque Mondiale le 4 décembre 2012. La France figurait au premier rang de ces bailleurs22.
Au cours de cette journée, le président Ouattara n’a pas manqué de réaffirmé que : « La Côte
d’Ivoire est en train de réussir son décollage. Rien ne pourra arrêter la réconciliation. Ce
grand mouvement ne sera pas affecté par quelques épisodes de violence localisés »23. Mais
qu’en est-il des deux autres priorités annoncées ?
Un défi considérable se présentait à Alassane Ouattara dès son accession au poste de
président : celui de savoir s’adresser à tous les Ivoiriens après les divisions ethniques qui ont
miné la société ivoirienne depuis plus de vingt ans. Or, ce dernier semble aujourd’hui loin de
réussir à établir un dialogue avec le « peuple » de Gbagbo24, grand perdant de la dernière
crise. Si Laurent Gbagbo a perdu les élections présidentielles, il n’en reste pas moins que près
de 45,9% des 80% d’électeurs ivoiriens ayant voté le 28 novembre 2010 lui ont donné leurs
voix25. Le Front Populaire Ivoirien (FPI), parti dont Laurent Gbagbo est l’un des membres
fondateurs, est toujours très présent sur la scène politique ivoirienne. De plus, Laurent
Gbagbo est emprisonné à La Haye depuis plus de deux ans et le soutien qu’il reçoit de la part
de ses partisans reste quasiment intact. Si l’on observe la diaspora ivoirienne, ont peut noter
que des comités de soutien ont été crées spécialement depuis son arrestation et organisent des
regroupements réguliers afin de manifester leur opposition à l’emprisonnement de Laurent
22 « Côte d’Ivoire : Ouattara emporte 8,6 milliards de dollars », jeuneafrique.com, 4 décembre 2012, consulté le 9 août 2013, disponible sur : http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/14018-cote-divoire--ouattara-emporte-86-milliards-de-dollars.html 23 Ibid. 24 Expression empruntée à DOZON JEAN-PIERRE, in Les clefs de la crise ivoirienne, Karthala, 2011, Paris, 144 p. 25 HOFNUNG T., La crise ivoirienne de Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo, op.cit., p. 153.
6
Gbagbo et aux pratiques du gouvernement actuel. À Paris, par exemple, on peut voir certains
samedis des manifestations de soutien à l’ancien président à Saint Michel tenant des slogans
demandant la libération de Laurent Gbagbo, de sa femme Simone Gbagbo et de l’ensemble de
ses partisans emprisonnés, et dénonçant en même temps le néocolonialisme en Côte d’Ivoire.
Alassane Ouattara ne doit donc pas négliger une partie du peuple dans sa politique de
réconciliation et plus globalement dans sa politique gouvernementale. La problématique de
réconciliation en Côte d’Ivoire est certes faites d’enjeux multiples et complexes qui sera
nécessaire d’éclaircir dans le cadre de cette étude. Mais une chose est sûre : l’implication et la
participation de tous les acteurs politiques et de tous les Ivoiriens est nécessaire pour que cette
réconciliation aboutisse aux effets qu’elle prétend avoir. Dès lors, au cœur des enjeux de la
réconciliation ivoirienne se pose la question de savoir dans quelle mesure il est possible
d’envisager la participation du « peuple de Gbagbo » au processus de réconciliation, et
comment l’envisager.
Afin de répondre à ces questions, un travail de recherche approfondi a été mené depuis Paris.
Ces recherches avaient d’abord pour objectif général de s’attacher à faire un bilan du
processus de réconciliation deux ans après la fin de la crise postélectorale. Il s’agissait de
comprendre précisément les enjeux de la réconciliation et d’évaluer l’avancée du processus
alors que de nombreuses critiques émanant d’organisations non gouvernementales telles
qu’Amnesty International et Human Rights Watch surgissaient pour dénoncer une « justice
des vainqueurs »26, en contradiction apparente avec le discours du gouvernement ivoirien et
les compliments des bailleurs de fonds et de la communauté internationale. Après avoir
observé une difficulté majeure de dialogue entre le gouvernement de Ouattara et le « peuple
de Gbagbo », ainsi que des contestations récurrentes de la part des partisans de Laurent
Gbagbo criant aux injustices, il a semblé pertinent de s’intéresser à cet aspect afin de mieux
parvenir à atteindre l’objectif général que s’était fixé cette étude. Il s’agit donc de parvenir à
identifier les différents aspects de la réconciliation ivoirienne à travers la compréhension du
« peuple de Gbagbo ». Cette étude n’ayant pu être menée en Côte d’Ivoire, plus de dix
entretiens ont été menés avec des ressortissants de la diaspora ivoirienne en France qui
soutiennent Laurent Gbagbo - militants et sympathisants du FPI, membres d’associations,
universitaires - afin de recueillir leurs opinions sur la problématique de la réconciliation
ivoirienne27. Les personnes ciblées soutenaient toujours l’ancien président au moment de la
réalisation des entretiens en juin 2013. Ces entretiens ont été menés selon la méthode des 26 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit. 27 L’ensemble de ces entretiens figure en annexes de cette étude.
7
entretiens semi-directifs. Le choix d’une méthode d’entretien qualitatif plutôt que quantitatif
s’est avéré plus adapté à l’objectif souhaité, qui était de créer un réel échange avec chaque
personne rencontrée afin d’établir un climat de confiance lui permettant de parler ouvertement
d’un sujet politique sensible et pouvant susciter des réactions de rejet, et parfois de craintes.
Une série de dix questions était posée sur des sous-problématiques de la réconciliation. Elles
ont permis d’identifier les points de vue de chacun sur divers points. L’anonymat et la
confidentialité ont été proposés à l’ensemble des personnes interrogées, qui ont finalement
accepté de voir leurs entretiens publiés nominativement en annexe de cette étude. Un entretien
a par ailleurs été mené avec un ami proche de Laurent Gbagbo. Un dernier entretien a été
mené avec une personne qui ne soutient pas Laurent Gbagbo mais qui se revendique de la
majorité actuellement au pouvoir.
L’ensemble de ce travail de recherche a permis d’identifier deux axes qui donnent une
certaine lecture du processus de réconciliation ivoirien. Il s’agira dans un premier temps
d’aborder la réconciliation sous l’angle sociohistorique afin de comprendre pourquoi une
réconciliation multi-niveaux est nécessaire (première partie). Il s’agira dans un second temps
de mettre en évidence les limites de la réconciliation ivoirienne grâce à l’analyse du point de
vue des partisans de Laurent Gbagbo (deuxième partie).
8
PREMIÈRE PARTIE :
LA RÉCONCILIATION NÉCESSAIRE
-
APPROCHE SOCIOHISTORIQUE ET RECONCILIATION
MULTI-NIVEAUX
9
Il est impossible de comprendre le processus de réconciliation ivoirien sans évoquer
les crises qui ont conduit au besoin de réconciliation. Dans ce contexte, l’approche
sociohistorique semble la plus pertinente pour atteindre cette compréhension du drame de la
Côte d’Ivoire (première sous-partie) et pour démontrer la nécessité d’une réconciliation multi-
niveaux dont le processus a été amorcé (deuxième sous-partie).
Première sous-partie :
Comprendre les crises ivoiriennes
- Une approche sociohistorique
Il s’agira d’abord de revenir sur les facteurs profonds qui ont conduit à ces crises (A)
avant d’évoquer les violences politiques à mesure de la montée en puissance de l’ethno-
nationalisme (B).
A. Les facteurs profonds des crises ivoiriennes
Les facteurs profonds des crises ivoiriennes sont multiples. Elles sont d’abord liées à un
héritage colonial en demie teinte ainsi qu’aux difficultés d’émancipation vis-à-vis de la
France (1). Elles sont également dues à un système néo-patrimonial et à une transition
difficile vers la démocratie multipartite (2), alors que le pays était au même moment au cœur
d’une crise économique qui a conduit à révéler les faiblesses du modèle de développement (3)
et que la fragilité du droit foncier commençait à poser problème (4).
1. L’ « héritage colonial » en demie teinte et les difficultés d’émancipation vis-à-vis de
la France
La délimitation des frontières à l’époque coloniale s’est faite de façon totalement
artificielle sans prendre en compte les données historiques et culturelles des territoires
colonisés. Ainsi, des peuples appartenant au même groupe et/ ou parlant la même langue ont
été divisés et d’autres ont été séparés. Cette réalité n’est pas seulement visible en Côte
d’Ivoire. Elle l’est également dans le reste de l’Afrique colonisée. Le sentiment
d’appartenance à un même groupe n’a donc pas animé les découpages territoriaux. En Côte
d’Ivoire, lorsque la France a décidé de supprimer la colonie de Haute Volta en 1933, une
10
partie de ce territoire a été rattaché à la Côte d’Ivoire pour former la Haute-Côte afin de
fournir en main d’œuvre le Sud de la Côte d’Ivoire. La « Grande Côte d’Ivoire » qui a duré
jusqu’en 1947 était composée aux trois quarts de populations voltaïques puisque cette Haute-
Côte comprenait entre autres le territoire de Ouagadougou28. Au moment de l’indépendance,
c’est bien la Côte d’Ivoire telle que les autorités coloniales l’avait délimitée qui est reconnue
comme un Etat souverain et indépendant. Les tentatives de construction d’une identité
nationale se sont faites sur le modèle importé d’Etat-nation alors que la Côte d’Ivoire ne
s’était pas constituée sur l’existence d’un sentiment d’appartenance nationale. De plus, les
autorités coloniales avaient longtemps rejeté le concept d’ethnie 29 . Ainsi, depuis
l’indépendance, la Côte d’Ivoire tente de trouver son juste équilibre entre « le jacobinisme et
son rêve universel d’Etat-nation d’une part, et le consociationalisme mal maîtrisé propice à
l’affirmation de toutes sortes de surenchères identitaires d’autre part30», non sans difficultés.
Les politiques gouvernementales et la société toute entière peinent à constituer un contrat
social solide31 qui, sans exacerber les revendications identitaires, ne les étouffent pas non
plus ; une forme de contrat social incluant toutes les populations, toutes les ethnies vivant sur
le territoire.
Au delà de cet héritage des frontières coloniales, la France exerce une influence d’une
importance singulière sur le système politico-administratif alors que la Côte d’Ivoire est
indépendante depuis 1960. Il faut dire que Félix Houphouët-Boigny, premier président de la
Côte d’Ivoire indépendante, a pendant plus de trente ans eu une attitude ambiguë vis-à-vis de
la France et a laissé se développer une nouvelle forme d’influence française. Ce que l’on
appelle communément la « Françafrique » est la manifestation d’une nouvelle forme de
colonialisme dans les anciennes colonies françaises d’Afrique, basé sur des intérêts
économiques, et des échanges de faveurs entre la France et les gouvernements des Etats
africains nouvellement indépendants. Si la Côte d’Ivoire est un Etat indépendant et souverain,
doté d’une constitution, fonctionnant avec ses propres institutions, la France y exerce toujours
une influence décisive sur les politiques menées. Cette dernière y conserve des intérêts
économiques importants. Elle est bien sûr son premier partenaire économique. La plupart des
secteurs économiques stratégiques sont dominés par des entreprises françaises32. La santé de
28 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, Armand Colin, 2011, Paris, 336 p., p. 267- 268. 29 OTAYEK RENE, « La démocratie entre mobilisations identitaires et besoin d’Etat : y a t-il une « exception » africaine? », Autrepart, 1999, n°10, p. 5-22. 30 Ibid. 31 On entend ici par un contrat social solide, une forme d’organisation d’une société qui garantisse une stabilité et donc la paix. 32 Bouygues contrôle l’eau et l’électricité avec sa filiale Saur, et a obtenu de nombreux chantiers publics. Bolloré a le monopole du transit et du transport maritime, du tabac, des chemins de fer et autres plantations d’hévéa,
11
l’économie ivoirienne est donc très dépendante de la France. L’émancipation vis-à-vis de
l’ancienne colonie n’est pas assez aboutie pour que l’équilibre de leur relation satisfasse à la
fois les intérêts de la Côte d’Ivoire (et non de ses hommes politiques) et ceux de la France.
Ces difficultés d’émancipation privent la Côte d’Ivoire du recul nécessaire pour revoir les
termes de cette relation qui a fait pourtant l’objet de nombreuses critiques depuis l’avènement
du multipartisme.
2. Le système néo-patrimonial et la difficile transition vers la démocratie multipartite
Après l’indépendance, Félix Houphouët-Boigny a rapidement préférer l’autocratie au
multipartisme. Le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), parti de Félix Houphouët-
Boigny, a monopolisé la vie politique ivoirienne jusqu’à la fin des années 1980 et chaque
élection était simplement l’occasion de plébisciter le parti unique. La classe politique,
habituée à utiliser la sphère étatique comme une source de pouvoir mais surtout de rente, a
poursuivi les pratiques du clientélisme et installé un système « néo-patrimonial33». Le néo-
patrimonialisme, assez commun dans les régimes africains postcoloniaux, s’entend comme un
système de domination par lequel un individu ou un groupe d’individus qui occupent une
fonction publique, administrative ou politique utilisent leur position, leur poste et les
attributions qui en découlent, de la même manière que s’ils en avaient hérités ou comme s’ils
en avaient la propriété34. De plus, selon Christian Bouquet35, on est en présence d’« un mode
de régulation sociopolitique fondé sur des pratiques de redistribution visant à fidéliser les
partisans et à acheter les éventuels opposants »36. Dans ce système, la recherche du bien
public devient secondaire voir absente des objectifs des personnes au pouvoir, qui y restent
pour satisfaire leurs intérêts personnels. C’est pourquoi la corruption et le clientélisme y sont
quasi-systématiquement des pratiques courantes. Le système néo-patrimonial va souvent de
paire avec une économie de rente dont les perspectives de croissance à long terme sont
mauvaises à cause du phénomène d’épuisement des ressources en cacao, en café mais surtout
tandis que Total et Elf sont actionnaires à 25 % de la Société ivoirienne de raffinage. Le secteur bancaire et celui des télécommunications sont également dominés par des grands groupes français (BNP, Crédit Lyonnais, Société générale, France Télécom, Orange) in BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 188. 33 Le patrimonialisme est un système de domination historique traditionnel qui a été théorisé pour la première fois par Max Weber. Sur la notion de néopatrimonialisme et sa distinction avec le patrimonialisme, voir MEDARD JEAN-FRANÇOIS, « L’État patrimonialisé », Politique africaine, septembre 1990, n° 39, p. 25-36. 34 Ibid. 35 CHRISTIAN BOUQUET est un spécialiste de la Côte d’Ivoire. Ancien diplomate, il est professeur à l’Université de Bordeaux et est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment sur la géopolitique de la Côte d’Ivoire. 36 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 225.
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en bois, et parce que les espaces de cultures finissent par manquer. Alors qu’il favorise
l’accumulation de richesses, ce système favorise en même temps l’exclusion. Cette exclusion
a provoqué une montée des frustrations au sein de la société ivoirienne et des ressentiments
profonds à l’égard des baoulés, ethnie de Félix Houphouët-Boigny qu’il a favorisé pendant
près de quarante ans au détriment des autres ethnies. Ce système commençait déjà à être
dénoncé à la fin des années 1980 alors que la crise économique s’était installée. La
distribution des rentes avait dû être recentrée sur les personnes les plus proches du pouvoir, au
premier rang desquelles les personnes appartenaient au même groupe ethnique. Parallèlement,
le FMI et la Banque Mondiale imposaient le processus de « dépatrimonialisation » par une
vague de privatisations et l’adoption de règles de bonne gouvernance37. Cela s’est notamment
traduit par une baisse des salaires au sein de la fonction publique. La politique de
redistribution de rentes ne permettait plus de contenter tout le monde. Le passage du parti
unique au multipartisme au début des années 1990 a créé des difficultés supplémentaires pour
la perduration du système néo-patrimonial car il y avait de plus en plus de critiques. Il a
pourtant perduré lorsque de nouveaux gouvernants qui critiquaient avant les pratiques de
l’époque du parti unique et du PDCI se sont mis à faire exactement la même chose, avec une
préoccupation en plus; la bataille des urnes à chaque élection, afin de conserver le pouvoir. Ce
système a monopolisé l’esprit des dirigeants politiques sur des enjeux de pouvoir au détriment
de propositions de projets de société répondant aux problématiques qui minaient la société
ivoirienne, au premier desquels la crise du modèle ivoirien de développement.
3. La crise économique ivoirienne et les faiblesses du modèle de développement
Le modèle de développement économique ivoirien s’est caractérisé par son succès et
sa singularité en Afrique de l’Ouest, depuis l’indépendance jusqu’aux années 1980. La
stratégie adoptée par Félix Houphouët-Boigny a été de faire de l’immigration le cœur du
développement économique, marquant une certaine continuité avec l’époque coloniale. En
effet, à l’indépendance du pays, l’économie ivoirienne était essentiellement basée sur la
culture du cacao et du café concentrées dans la région du sud, aussi appelée Sud forestier38et
le président a fait le choix de continuer sur cette lancée du modèle agricole extensif qui s’était
développé dès les années 1930. Les cultures se sont ainsi étendues dans un mouvement allant
d’Est en Ouest. Le fort besoin de main d’œuvre pour soutenir la production agricole a entrainé
d’importants mouvements migratoires internes et régionaux, en provenance du reste de 37 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 227. 38 BEAUCHEMIN CRIS, « Les migrations et l’effritement du modèle ivoirien : chronique d’une guerre annoncée ? », Critique internationale, 2005/3, n° 28, p. 19-42.
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l’Afrique de l’Ouest, largement encouragés par le colonisateur français puis par Félix
Houphouët-Boigny. En parallèle, on assiste à partir de l’indépendance, à un mouvement de
migration urbaine. Les jeunes quittent les campagnes pour leurs études puis pour entrer dans
une fonction publique en pleine extension. Mais les taux de croissance des « vingt
glorieuses » ivoiriennes ont laissé place à la crise économique dès le début des années 1980,
qui aura bientôt révélé les limites et les failles du modèle de développement ivoirien.
Ces limites sont d’abord des limites structurelles. Le modèle de développement économique
ivoirien a favorisé les inégalités. Il a accru les différences de niveau de développement entre
le nord, dont le climat plutôt sec et la végétation de savane ne sont pas accueillants pour
l’agriculture, et le sud humide et anciennement très arboré, et qui a concentré la quasi totalité
du développement économique du pays par la culture du cacao et du café ainsi que
l’exploitation forestière. De plus, ce modèle de développement par l’agriculture extensive est
basé sur l’installation de populations allogènes sur des terres vierges39. Or le territoire ivoirien
a ses propres frontières et l’extension d’Est en Ouest devait avoir une fin matérialisée par la
frontière libérienne. Le problème du système de distribution des rentes est que dans un pays à
forte croissance démographique, lorsque l’on ne peut plus accroitre l’exploitation et donc la
rente, le système finit par être bloqué40. En effet, « en l’absence d’intensification significative
des pratiques agricoles et de diversifications des exportations, il aurait toujours fallu plus de
cacao, de café, de coton ou même de pétrole, des cours de matières premières élevés, et
pouvoir maintenir un haut niveau de prélèvement et d’aide extérieure »41. Enfin, l’épuisement
des réserves forestières a fait perdre une importante ressource économique42.
Mais le modèle a également subi des chocs conjoncturels, liés à l’instabilité et la variabilité du
prix des matières premières, lorsque les cours du cacao et du café s’effondrent à la fin des
années 1970, révélant la fragilité d’une économie s’appuyant essentiellement sur ces
exportations. La fluctuation du cours des matières premières reste à l’heure actuelle une des
fragilités du modèle. L’entrée dans l’ère du capitalisme mondial par une dépendance aux
exportations de matières premières a rendu l’économie du pays très sensible à la conjoncture
de l’économie mondialisée. L’Etat, qui dans ses efforts de développement, avait contracté des
prêts, a été rapidement dépassé. Dès 1981, la Côte d’Ivoire annonçait sont incapacité à
rembourser ses dettes43. Des réformes de stabilisation et de libéralisation étaient entreprises
39 BEAUCHEMIN CRIS, « Les migrations et l’effritement du modèle ivoirien : chronique d’une guerre annoncée ? », op.cit. 40 COGNEAU DENIS, MESPLE-SOMPS SANDRINE, « Les illusions perdues de l’économie ivoirienne et la crise politique », Afrique contemporaine, 2003/2, n°206, p. 87-104. 41 Ibid. 42 BEAUCHEMIN CRIS, « Les migrations et l’effritement du modèle ivoirien : chronique d’une guerre annoncée ? », op.cit. 43 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op. cit., p. 146.
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dès la fin des années 1980, avant même l’arrivée d’Alassane Ouattara au poste de Premier
Ministre. Le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM) ont imposé
des plans d’ajustement structurels (PAS) successifs. Si ces plans ont permis à l’Etat ivoirien
de bénéficier à la fois d’une réduction de la dette et de rationnaliser les budgets44, ceux-ci se
sont soldés par des échecs. En effet, cela aura plutôt eu pour conséquence de compresser les
effectifs du secteur public, d’entrainer une augmentation du taux de chômage dans les villes et
une baisse de la consommation ralentissant l’économie ivoirienne 45 , sans pour autant
redresser les comptes de l’Etat puisqu’en 1990, la dette avait doublé en atteignant 15, 1
milliards de dollars46. De plus, ces PAS ont imposé une rigueur budgétaire « à la limite du
supportable »47 pour les Ivoiriens, notamment dans les domaines de l’éducation, du social et
de la santé alors que l’épidémie du SIDA faisait des ravages sur l’espérance de vie. À côté de
cela, le franc CFA était dévalué en 1994 afin de faire gagner les producteurs en compétitivité
et de favoriser l’investissement privé48. Mais ces réformes n’ont pas suffi, notamment parce
que le système néocolonial n’avait pas été rompu. La Côte d’Ivoire n’a donc pas réussi à
passer d’une économie basée sur l’agriculture extensive à une économie diversifiée. Malgré la
croissance économique foudroyante postindépendance, la Côte d’Ivoire n’a pas su créer un
marché de consommation intérieure et une capacité d’épargne assez importants pour réduire
sa dépendance aux exportations et favoriser l’investissement privé domestique. En outre, les
quelques tentatives de diversification par le développement du secteur secondaire se sont
soldées par des échecs, à cause de l’engagement de l’Etat dans ce secteur plutôt que de
favoriser l’investissement privé. Les secteurs secondaire et tertiaire se sont donc peu
développés pour permettre d’enclencher le processus de substitution aux importations. Les
capitaux ont toujours été majoritairement en provenance de la France, sur le modèle de la
« Françafrique ».
La pauvreté reste profonde. En 1997, 37 % des Ivoiriens vivaient largement en dessous du
seuil de pauvreté avec moins de 12 000 francs CFA49 et le revenu par tête était deux fois plus
bas qu’en 198050. De plus, les inégalités se sont creusées entre populations des villes et
populations des campagnes. Comme le notent Denis Cogneau et Sandrine Mesplé-Somps, « le
44 COGNEAU DENIS, MESPLE-SOMPS SANDRINE, « Les illusions perdues de l’économie ivoirienne et la crise politique », op. cit. 45 BEAUCHEMIN CRIS, « Les migrations et l’effritement du modèle ivoirien : chronique d’une guerre annoncée ? », op.cit. 46 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 260. 47 Ibid. 48 COGNEAU DENIS, MESPLE-SOMPS SANDRINE, « Les illusions perdues de l’économie ivoirienne et la crise politique », op. cit. 49 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op. cit., p. 260. 50 HUGON PHILIPPE, « La Côte d’Ivoire : plusieurs lectures pour une crise annoncée », Afrique contemporaine, 2003/2, n°206, 264 p., p. 105- 127.
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taux de pauvreté chez les salariés a été multiplié par dix entre 1985 et 1998 à Abidjan, par
cinq dans les autres centres urbains ivoiriens »51, et favorisé un retour des jeunes diplômés
vers les campagnes et raviver des tensions autour de la question des terres.
La redistribution de l’aide au développement et des richesses a été entachée par une mauvaise
gouvernance, par une mauvaise allocation des dépenses publiques et par les divers cas de
fraude et une corruption endémique.
En parallèle, un autre élément conjoncturel est venu ralentir voire stopper le développement
économique. Il s’agit bien de l’instabilité politique et des conflits successifs qui ont touché le
pays ces vingt dernières années, après la mort de Félix Houphouët-Boigny. En effet, le lien
entre instabilité politique et faible croissance économique n’est plus à démontrer52 et la Côte
d’Ivoire ne fait pas exception à cela. L’instabilité politique qui la mine n’a jamais permis au
pays de se relever économiquement.. Alors qu’il semblait y avoir eu un regain d’optimisme
sur la situation économique et les perspectives de croissance au cours de l’année 2002 lorsque
les cours du cacao ont connu une forte hausse, que des augmentations de salaires avaient été
consenties, que la dette envers les bailleurs de fonds avait été apurée et normalisée et que
l’investissement public avait repris53, la crise politique qui a éclaté en 2002 et qui ne s’est
jamais réellement arrêtée jusqu’à 2011, a rapidement sonné l’heure de la récession. Ainsi,
c’est un cercle vicieux qui se forme puisque les conflits successifs viennent aggraver la crise
économique tandis que la crise économique alimente les tensions et les frustrations sociales.
Enfin, la crise économique a révélé une autre fragilité : celle du droit foncier.
4. La fragilité du droit foncier
La loi foncière de 1998 54 a été adoptée dans un contexte de violences entre
autochtones et allochtones afin d’apaiser les tensions naissantes. Mais elle n’a pas été en
mesure de résoudre un problème profond qui perdure depuis près d’un siècle et est ancrée
dans l’histoire des campagnes ivoiriennes. En effet, les enjeux sur le domaine foncier ne
datent pas d’hier. Ces enjeux se sont manifestés dès la colonisation de la Côte d’Ivoire,
51 COGNEAU DENIS, MESPLE-SOMPS SANDRINE, « Les illusions perdues de l’économie ivoirienne et la crise politique », op. cit. 52 Le lien entre le niveau de stabilité politique et le développement économique a fait l’objet de nombreuses études chez plusieurs économistes. L’une de ces études intitulée « Political instability and economic growth » a conclu que les pays ayant une probabilité élevée d’instabilité politique, matérialisée par l’effondrement gouvernemental, ont des taux de croissance économique faibles. Sur cette notion, voir ALESINA ALBERTO, OZLER SULE, ROUBINI NOURIEL et SWAGEL PHILIP, « Political instability and economic growth », Journal of Economic Growth, 1996, n°2, p. 189-212. 53 COGNEAU DENIS, MESPLE-SOMPS SANDRINE, « Les illusions perdues de l’économie ivoirienne et la crise politique », op.cit. 54 Loi n° 98750 du 23 décembre 1998 sur le domaine rural, Journal officiel du 14 janvier 1999.
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parallèlement au développement de la culture extensive du cacao et du café dès les années
192055, et ils sont étroitement liés au phénomène d’immigration. Mais, contrairement à ce qui
est souvent dit, les vagues de migrations qui étaient d’abord liées à un besoin de main
d’œuvre dans les plantations et étaient en ce sens encouragées, n’ont pas seulement été en
provenance de l’ancienne Haute-Volta. Des migrations internes étaient déjà visibles à
l’époque avec des populations en provenance du centre de la Côte d’Ivoire et de l’Ouest-
forestier vers le Sud-Est en plein développement agricole et vers le Centre-Ouest. Quant aux
premiers mécontentements sur le domaine foncier, ils sont apparus dès les années 1950 alors
que la Côte d’Ivoire était encore sous administration coloniale et que cette dernière avait déjà
observé un problème sur cette question56. Ce mouvement de colonisation agraire a crée des
problèmes sur les droits fonciers et sur les modes de cohabitation entre les ethnies allochtones
et autochtones. Mais ce problème a d’abord touché les populations autochtones en conflit
avec les populations baoulées provenant du centre. Les problèmes du domaine foncier et des
étrangers ne sont réellement liées qu’avec la crise économique mais surtout avec l’apparition
du concept identitaire de l’ « ivoirité ». De même, contrairement à ce qui est souvent décrit, le
problème foncier ne touche pas que le sud du pays. Il touche également le Nord d’une façon
différente puisque la pression se fait pour d’autres types de culture et d’élevage, avec une
pression foncière similaire à celle du sud57.
Sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny, le célèbre adage en vigueur était le suivant :
« La terre « appartient » à celui qui la met en valeur». En effet, durant cette période de forte
croissance économique, cette dernière devait être alimentée par une constante mise en valeur
de nouvelles terres afin de soutenir l’économie de rente. La pratique du tutorat s’était imposée
de fait entre autochtones et allochtones par lequel le bénéficiaire d’une « délégation de droits
fonciers ou même d’une « vente » de terre » avait un devoir de reconnaissance transmissible
à cause de mort envers le délégataire, se manifestant par le versement d’une contre-prestation
le plus souvent en nature et parfois en numéraire. De nombreux planteurs ont également cédé
des terres en contrepartie de leur travail, à la place de leur verser un salaire. Avant 1998, la loi
foncière n’était pas claire et suscitait des incompréhensions et des confusions. Mais elle avait
au moins le mérite d’assurer une certaine cohérence par le relatif contentement de toutes les
parties prenantes grâce à la redistribution des rentes et d’avantages- ou pour ainsi dire, grâce
au système clientélisme58. Le mode de gouvernance, tel un Etat paysan59, a révélé un système
55 CHAUVEAU JEAN–PIERRE, « Question foncière et construction nationale. Les enjeux silencieux d’un coup d’Etat », Politique africaine, juin 2000, n°78, p. 121-147. 56 Ibid. 57 Ibid. 58 Ibid.
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foncier complexe de part ces multiples niveaux, composé d’organes étatiques, d’institutions
décentralisées, d’institutions traditionnelles, des personnes physiques et de sociétés60. Mais ce
système s’est essoufflé bien avant 1998. La crise économique qui provoqua une montée du
chômage dans les milieux urbains a eu en autres pour conséquence, un mouvement migratoire
en sens inverse, des villes vers les campagnes d’origine. Lorsque les enfants de propriétaires
terriens ont voulu récupérer les terres de leurs parents afin de s’y installer et de les mettre en
valeur, ils se sont confrontés aux « droits d’usage » consentis aux allochtones qui étaient
venus travailler à la mise en valeur des exploitations du Sud, parfois installés depuis plusieurs
générations.
Face aux tensions naissantes, un Plan foncier rural a été mis en place dès 1990, projet pilote
destiné à se préparer à l’élaboration d’une loi sur le domaine foncier. Ce plan a conduit encore
plus à la confusion et a augmenté les tensions61. De ce fait, l’annonce de la réforme de la loi
foncière par le président Henri Konan Bédié en 1997 a été favorablement reçue et a été votée
à la quasi-unanimité en décembre 199862 alors même que les différents partis politiques n’en
avaient pas la même interprétation63. Il était donc déjà possible de prévoir à l’époque de
futures tensions. En effet, cette loi a créé davantage de confusion sur le problème du domaine
foncier. Elle prévoyait une généralisation de la propriété privée individuelle à l’horizon 2012,
prenant ainsi une orientation libérale et très occidentalisée de la conception de la terre et du
domaine rural. La loi prévoyait, dans sa première phase (jusqu’à fin janvier 2009), la
délivrance d’un certificat foncier individuel ou collectif à tout détenteur de droits fonciers
impliquant une appropriation de la terre et qui viendrait faire une demande de reconnaissance
de ses droits. Les terres non réclamées deviendraient la propriété de l’Etat et les personnes qui
se trouveraient dessus pourraient en devenir locataires. La seconde phase se déroulant sur une
période de trois ans- soit initialement de janvier 2009 à janvier 2012- prévoyait la délivrance
d’un titre de propriété définitif avec immatriculation individuelle. Les allochtones ne peuvent
dès lors prétendre qu’à une promesse de bail emphytéotique si les propriétaires les ont fait
figurer parmi les « occupants de bonne foi » ou dans le cas où la terre est immatriculée au
59 Le système de l’Etat paysan est résumé ainsi : « la combinaison d’un pouvoir bureaucratique et d’un pouvoir despotique, dont le mode de régulation fondamentale porte sur le contrôle de l’affectation de l’usage de la terre et sur le contrôle de la répartition de la rente d’exportation des produits agricoles, dont le mode de gouvernance repose sur le pouvoir décentralisé des agents locaux de l’Etat et sur le pouvoir d’acteurs intermédiaires issus des sociétés paysannes locales » in CHAUVEAU JEAN–PIERRE, « Question foncière et construction nationale. Les enjeux silencieux d’un coup d’Etat », op.cit. 60 Ibid. 61 CHAUVEAU JEAN–PIERRE, « Question foncière et construction nationale. Les enjeux silencieux d’un coup d’Etat », op.cit. 62 Loi n° 98750 du 23 décembre 1998 sur le domaine rural, op. cit. 63 CHAUVEAU JEAN–PIERRE, « Question foncière et construction nationale. Les enjeux silencieux d’un coup d’Etat », op. cit.
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nom de l’Etat, si le nom de l’occupant y figure64. Henri Konan-Bédié excluait par cette même
loi les non-ivoiriens de la propriété foncière et reconnaissait officiellement les propriétaires
coutumiers, ce qui renforça rapidement les oppositions entre populations autochtones et
allochtones. Les populations n’ont pas été bien préparées à ces changements. On peut
regretter le manque d’efficacité de la transmission de l’information aux populations rurales
sur ces nouveaux dispositifs. On peut également regretter qu’un modèle de droit foncier
répondant à l’ensemble des spécificités culturelles et traditionnelles n’ait pas été pensé en
laissant une place importante à la discussion, à la médiation et à la négociation à l’échelle
locale sur les droits existants, et le respect des droits renégociés.
Au delà de cette fragilité du droit foncier, c’est bien l’enjeu foncier qui a servi, sous la
présidence de Félix Houphouët-Boigny, à développer une politique favorable à l’installation
durable des étrangers et ivoiriens dans les régions en pleine croissance économique, lui
assurant leurs votes65. Ces successeurs ont continué d’une autre manière à faire un usage
politique de cet enjeu, qui a fini par être mêlé à la question des étrangers, et a servi au
développement de l’ethno-nationalisme.
B. Montée en puissance de l’ethno-nationalisme et violences politiques
La Côte d’Ivoire a connu une montée en puissance de l’ethno-nationalisme (1) étroitement
liée aux luttes sur la scène politique ivoirienne (2) jusqu’à l’explosion de la violence lors de la
dernière crise postélectorale de 2010-2011 (3).
1. La montée en puissance de l’ethno-nationalisme
Le terrain favorable au développement de l’ethno-nationalisme (a) a conduit au
développement et à l’ancrage du concept identitaire de l’ivoirité (b).
a. Un terrain favorable au développement de l’ethno-nationalisme
Comme le rapporte Christian Bouquet, l’historien Simon Ekanza avait établi le constat
selon lequel les premiers signes du nationalisme ivoirien datent de la période la plus glorieuse
du colonialisme. Une double identité s’était développée au sein de la population ivoirienne,
64CHAUVEAU JEAN–PIERRE, « Question foncière et construction nationale. Les enjeux silencieux d’un coup d’Etat », op. cit. 65 Ibid
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celle d’une citoyenneté nationale et celle de l’appartenance ethnique 66 . Ce sentiment
nationaliste, voire xénophobe, était déjà visible dès les années 1930 et avait pris de l’ampleur
dans les années 1950 avec la multiplication des associations d’originaires de Côte d’ivoire qui
étaient inquiets de voir la plupart des emplois « qualifiés » dans l’administration ivoirienne,
notamment occupés par des étrangers, les « Daho-Togo »67. En 1958, ces associations avaient
déclenché des violences contre ces étrangers. Il était donc déjà clair que le nationalisme
ivoirien commençait à se construire sur un sentiment de xénophobie.
L’explosion de la croissance démographique interne et les mouvements migratoires
importants vers la Côte d’Ivoire ont conduit à ce que le territoire soit peuplé d’étrangers à
hauteur de 26 % de la population totale, selon le recensement de 199868. Comme l’observe
Guy Labertit69, « Pour que les gens apprécient ce que les Ivoiriens vivent, il faut rappeler
toutes ces proportions là et comment la cohésion sociale française se trouve troublée avec une
très petite proportion d’étrangers. Avec 26 % d’étrangers, on imagine ce que cela pourrait être
alors même que les démocraties sont bien enracinées»70. Le poids des étrangers est donc
considérable en Côte d’Ivoire, au point que selon le recensement de 1998, les Burkinabé
représentent en nombre le second groupe de population en Côte d’Ivoire (14, 6 % de la
population de Côte d’Ivoire) derrière le groupe Akan (31,1% de la population de Côte
d’Ivoire) et avant les groupes Gur (13%), Mandé du Nord (12, 2 %) Mandé du Sud (7, 4 %) et
Krou (9, 4 %)71. La plupart des étrangers se trouvent dans les régions du Sud, à la fois rurales
et développées économiquement, notamment dans la région du Bas Sassandra et du moyen et
du Sud Comoé, où ils représentent plus de 40 % de la population et allant jusqu’à 54% de la
population dans le département de Tabou72. Cela a conduit à une pression importante sur les
terres. Ensuite, la crise économique a crée un terrain favorable au développement d’un
sentiment xénophobe, concentrant la responsabilité des maux de la Côte d’Ivoire sur les
« étrangers ». Ce sentiment de rejet a été très mal vécu par les « étrangers » car près de la
moitié de ces étrangers sont nés sur le sol ivoirien (48,7 % pour les Burkinabé, 51, 2 % pour
les Maliens selon le recensement de 1998)73 et sont présents depuis deux voire trois
générations. La plupart des plus jeunes générations n’ont jamais rien connu d’autre que la 66 BOUQUET C., Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 190- 191. 67 Les « Daho- Togo », abréviation des personnes originaires du Dahomey et du Togo, occupaient, à l’époque coloniale, la plupart des emplois de fonctionnaires et d’enseignants, car la population ivoirienne était encore sous-scolarisée. In BOUQUET C., Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 192. 68 BOUQUET C., Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 194. 69 Guy Labertit est un homme politique français. Il a été le « Monsieur Afrique » au sein du Parti Socialiste Français de 1993 à 2006 et est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la Côte d’Ivoire et l’Afrique francophone. 70 Entretien n°11 avec Guy Labertit, annexe n°12. 71 BOUQUET C., Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op. cit., p. 198 (Tableau 4 Proportion des différents groupes de population en Côte d’Ivoire). 72Ibid., p. 204 (Carte 1- La population étrangère en Côte d’Ivoire). 73 Ibid.
20
Côte d’Ivoire, ils se sentent Ivoiriens, tandis que leurs parents ont largement contribué au
développement économique du pays. Cela a donc crée un sentiment de frustration chez les
« étrangers ».
Mais ce développement de l’ethno-nationalisme s’est fait non seulement sur le rejet de
l’étranger mais aussi sur le rejet de certaines ethnies, sans considération du fait qu’ils soient
étrangers ou non. Les populations de ces ethnies étaient de fait considérés comme des
« étrangers » alors même qu’ils ne sont pas des étrangers au sens juridique du terme,
puisqu’ils ont ou sont en droit d’acquérir la nationalité ivoirienne. Les populations du Nord de
la Côte d’Ivoire ont été assimilées à des étrangers. La construction de cet ethno-nationalisme
a également pris en compte la dimension religieuse. En plus d’être « étrangers », ces derniers
véhiculeraient la religion islamique. C’est dont également l’ensemble des musulmans qui ont
été stigmatisés. Le nationalisme ivoirien s’est donc construit sur le rejet de l’étranger, de
certaines ethnies, d’une certaine religion, et sur la revendication de l’autochtonie.
Le repli identitaire qu’a vécu la société ivoirienne peut être vu comme une conséquence de
l’incapacité des gouvernements successifs à le contrôler et à l’endiguer. Ce terrain favorable
au développement de l’ethno-nationalisme n’a en outre pas manqué de devenir un outil
politique qui a conduit au repli identitaire. Tous les partis politiques ont leur part de
responsabilité dans cette montée de l’ethno-nationalisme à un moment ou à un autre de
l’histoire ivoirienne contemporaine. Si certaines causes profondes ayant menées au repli
identitaire ainsi qu’un début de nationalisme étaient déjà visible avant, c’est bien la mort du
« Vieux »74 qui va être l’élément déclencheur du repli identitaire. Il était en effet assez facile,
étant donné le contexte économique et social, de répandre l’idée que les maux de la Côte
d’Ivoire étaient dus à la présence des « étrangers » sur le territoire, alors même que la
construction de l’identité nationale ivoirienne n’avait jamais été complètement achevée.Les
frontières contraignant ces ethnies diverses à vivre ensemble datant seulement du temps de la
colonisation. Au lieu de s’attaquer aux facteurs profonds d’une crise qui nécessitait de revoir
l’ensemble du système politico-administratif et économique et de trouver des solutions aux
problèmes sociaux, il était plus facile de trouver un « bouc émissaire » aux maux de la Côte
d’Ivoire, car la course au pouvoir était bien plus importante que le reste.
Le modèle de développement ivoirien issu de la colonisation marqué par la continuité sous la
présidence de Félix Houphouët-Boigny avait démontré ses fragilités intrinsèques et sa
vulnérabilité aux variations économiques conjoncturelles et avait favorisé les inégalités de
développement. Couplé au manque de clarté du droit foncier et à un système étatique
74 Surnom donné au président Félix Houphouët-Boigny.
21
patrimonial, ce modèle de développement a encouragé à un retour en arrière, qualifié par
François Gaulme de « redécouverte de l’antériorité » alimentée par une crainte de la
mondialisation75 qui s’est concrétisée par le développement d’une idéologie ethno-nationaliste
puissante au nom de l’autochtonie76. L’avènement du multipartisme et le déverrouillage du
régime autoritaire de Félix Houphouët-Boigny a engendré un réveil des identités77. Si le
contrôle de ce phénomène est de l’ordre du possible78, encore faut-il que les politiques
sachent y répondre. Alors que l’ensemble des acteurs influents au sein de la société
ivoirienne, au premier rang desquels le gouvernement et les principaux partis politiques,
auraient dû calmer le jeu, le concept d’ivoirité est né.
b. Un concept identitaire : l’ivoirité
En 1995, lors du 10ème congrès du PDCI, Henri Konan-Bédié évoquait pour la première
fois le concept d’ivoirité et commandait aux universitaires ivoiriens des recherches afin de
mener une réflexion sur l’identité ivoirienne. Bédié entendait, par un nouveau contrat social,
protéger la Côte d’Ivoire grâce au « manteau blanc de l’ ivoirité . La Cellule universitaire de
recherche et de diffusion des idées et actions politiques du président Henri Konan Bédié
(Curdiphe) était alors créée. Un an après, lors du Congrès du PDCI de 1996, la Curdiphe
présentait un manifeste intitulé « L’ivoirité ou l’esprit du nouveau contrat social du Président
H.K. Bédié »79. L’ivoirité était théorisée et le manifeste précisait dès son introduction que :
« Contrairement à certaines opinions, la notion d’ivoirité n’est ni sectarisme étroit, ni
expression d’une quelconque xénophobie ; elle est la synthèse parfaite de notre histoire,
l’affirmation d’une manière d’être originale, bref, un concept fédérateur de nos différences.80»
Il cherchait donc à éteindre toute critique naissante. En effet, comme le souligne François
Gaulme, « en théorie, il ne s’agissait pas là de xénophobie naissante, mais bien d’encourager
une nouvelle sensibilité nationale, distincte du sentiment d’appartenance traditionnelle et
devant correspondre à un nouveau palier identitaire, celui de l’Etat-nation, reconnu depuis
1960 par la communauté internationale sous le nom de Côte-d’Ivoire »81. D’ailleurs, Georges
75 GAULME FRANÇOIS, « L’ « ivoirité », recette de guerre civile », S.E.R.I Études, 2001/3, n° 394, p. 292- 304. 76 Sur les notions d’autochtonie et d’ethno-nationalisme, voir CUTOLO ARMANDO, « Populations, citoyennetés et territoires - Autochtonie et gouvernementalité en Afrique », Politique africaine, décembre 2008, n°112, p. 5-17. 77 OTAYEK RENE, « La démocratie entre mobilisations identitaires et besoin d’Etat : y a t-il une « exception » africaine? », Autrepart, 1999, n°10, p. 5-22. 78 Ibid. 79 Actes du forum Curdiphe du 20 au 23 mars 1996, sous la direction de Saliou Touré, Ethnics (revue de la Curdiphe), Presses universitaires d’Abidjan, 1996, Abidjan. 80 Ibid. 81 GAULME FRANÇOIS, « L’ « ivoirité », recette de guerre civile », op.cit.
22
Niangoran-Bouah 82 , membre de la Curdiphe, avait inclus les cinq grands groupes
ethnolinguistiques que l’on trouve en Côte d’Ivoire à ce concept : les Akan, les Malinké et
Bambara, les Dan, les Gur et les Krou. Mais il était difficile de distinguer les groupes
culturels du Nord de la Côte d’Ivoire par rapport aux étrangers, et de ce fait, ils étaient tous
assimilés à des étrangers83 et, comme l’a observé Jean-Pierre Dozo84, si « la conceptualisation
de l’ivoirité par la Curdiphe pouvait sembler inoffensive », elle indiquait néanmoins « que la
Côte d’Ivoire était résolument en train de franchir une étape décisive de son unité nationale,
ce n’était là qu’une définition de surface propre à masquer de très pernicieux ferments de
division »85. Les universitaires de la Curdiphe ont eux même laissé planer une ambiguïté sur
le concept dans ce manifeste, et ils arguent du fait que c’est cette ambiguïté qui l’a fait glisser
vers un concept automatiquement taxé de xénophobe. Mais ce concept à bien mis en place
une nouvelle distinction qui allait devenir réalité : une différenciation entre les « ivoiriens de
souche », c’est-à-dire les personnes ayant leurs deux parents ivoiriens86, et les « citoyens de
Côte d’Ivoire ». Or ce qui les différencie, ce sont bien les critères de nationalité et
d’appartenance à une ethnie autochtone87.
Aucun doute ne peut plus être émis quant à la tentation xénophobe du concept d’ « ivoirité »
lorsqu’est publié le rapport du Conseil économique et social en 1998 dont le nom était déjà
révélateur du contenu : « Immigration en Côte d’Ivoire : le seuil du tolérable est largement
dépassé », qui considérait ouvertement que les étrangers étaient responsables de la crise
économique et sociale ivoirienne, de la rupture de l’équilibre démographique et de la
délinquance 88 . Comme le remarque Christian Bouquet, « Pour ceux qui s’attachaient
désormais à fixer les règles de la « nationalité », nouveau nom donné à l’ivoirité,
l’« étranger » était tout à la fois le Dioula, venu parfois depuis longtemps des autres colonies
82 Georges Niangoran-Bouah est un universitaire ivoirien spécialiste du langage tambouriné. Il a fait partie de la Curdiphe. Pour plus de précisions sur Georges Niangoran-Bouah, les universitaires ivoiriens et l’ « ivoirité », voir KAREL ARNAUT, « Les « Hommes de terrain » - Georges Niangoran-Bouah et le monde universitaire de l’autochtonie en Côte d’Ivoire », Politique africaine, 2008/4, n°112, p. 18-35. 83 GAULME FRANÇOIS, « L’ « ivoirité », recette de guerre civile », op.cit. 84 JEAN-PIERRE DOZON est un anthropologue français, spécialiste de l’évolution politique de la Côte d’Ivoire. Il est Directeur d’études à l’EHESS au sein du Centre d’études africaines, et Directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement. 85 DOZON JEAN-PIERRE, « La Côte d’Ivoire au péril de l’ivoirité », Afrique contemporaine, 2000, n° 193, p. 13-24. 86 C’est donc le droit du sang qui détermine l’acquisition de la nationalité ivoirienne. 87 L’autochtonie est qualifiée grâce au mythe. Les ethnies autochtones sont distinguées selon leur origine mythique ou non. Les ethnies autochtones à origine mythique comprennent certaines ethnies « sub-terriennes » et « extra-terrestres », et on peut voir citer parmi les ethnies autochtones à origine non mythique plusieurs ethnies des groupes Krou, Dan, Akan et Gur. Pour plus de précisions, se référer à : Actes du forum Curdiphe du 20 au 23 mars 1996, op.cit.; KAREL ARNAUT, « Les « Hommes de terrain » - Georges Niangoran-Bouah et le monde universitaire de l’autochtonie en Côte d’Ivoire », op.cit. 88 Conseil économique et social, Rapport « Immigration en Côte d’Ivoire : le seuil du tolérable est largement dépassé » du 8 octobre 1998, publié dans le quotidien Le Jour, Abidjan, n°1251, 8 avril 1999.
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ou des pays étrangers, ou plus simplement le Dioula originaire du Nord de la Côte d’Ivoire,
portant des patronymes connotés, pratiquant généralement la religion musulmane, et
volontiers expansionniste au point d’être installé sur des terres qui n’étaient pas les
siennes.89»
Le concept d’ivoirité, apparu sous Henry Konan Bédié, a engendré le rejet des étrangers,
exacerbé la xénophobie et impulsé des violences au sein de la société ivoirienne. Mais
l’apparition de l’ivoirité et les conséquences qu’elle a engendrées sont étroitement liées aux
luttes de pouvoir auxquelles se sont prêtés les hommes politiques ivoiriens.
2. Luttes sur la scène politique ivoirienne : opportunisme et enjeux de pouvoir
Depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny, la lutte pour l’exercice de la fonction de chef
de l’Etat à laquelle se sont adonnés les hommes politiques ivoiriens a conduit à une
polarisation extrême de la vie politique, ayant engendré de fortes tensions ethniques autour du
concept d’ivoirité. Nous allons voir dans quelle mesure cette lutte a été continuelle jusqu’à la
dernière crise postélectorale, successivement lorsque Henri Konan-Bédié (a), Robert Gueï (b)
puis Laurent Gbagbo (c) étaient à la tête de l’Etat.
a. La période Bédié : évincer Ouattara quoi qu’il en coûte !
Alors que Félix Houphouët-Boigny avait érigé en principe fondateur du développement
de la nouvelle Côte d’Ivoire indépendante l’accueil et l’intégration des étrangers, et le
principe de laïcité proclamé dans la Constitution90, Henri Konan-Bédié, son successeur, a vite
rompu avec ces principes pour des raisons électoralistes. S’il se voulait, dans le discours,
respectueux des grandes options nationales et sous- régionales qui avaient été celles de Félix
Houphouët-Boigny, la réalité fut toute autre91. N’ayant pas été officiellement désigné par « le
Vieux » comme son successeur et s’étant senti menacé par la prétention d’Alassane Ouattara
au poste de chef de l’Etat92, Henri Konan-Bédié a peu à peu essayé d’évincer celui-ci du jeu
politique au risque de déstabiliser le reste de la Côte d’Ivoire du fait des méthodes employées
à cette fin. La bataille politique a d’abord commencé par la scission, en 1994, du PDCI-RDA
(Parti démocratique de Côte d’Ivoire/Rassemblement démocratique africain), ancien parti
89 BOUQUET C., Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 214 (Carte 1 La population étrangère en Côte d’Ivoire). 90 Constitution de la République de Côte d’Ivoire, 3 novembre 1960. Elle dispose dans son article 2: « La République de Côte d’Ivoire est une et indivisible, laïque, démocratique et sociale. » 91 GAULME FRANÇOIS, « L’ « ivoirité », recette de guerre civile », S.E.R.I Études, 2001/3, n° 394, p. 292- 304. 92 Ibid.
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unique, en PDCI et RDR (Rassemblement des Républicains de Côte d’Ivoire), avec à leur tête
respectivement Henri Konan-Bédié et Alassane Ouattara. Le 8 décembre 1994, sous la
pression de l’opposition, particulièrement celle du FPI de Laurent Gbagbo, une nouvelle
disposition adoptée par l’Assemblée nationale est venue modifier le code électoral afin de
retirer le droit de vote aux résidents africains non ivoiriens. Bédié, les députés du PDCI et du
FPI mettaient fin à la tradition houphouétiste du droit de vote des étrangers. Cette même loi
durcissait les conditions d’éligibilité du président de la République. Pour être candidat à la
présidence de la République, il fallait désormais « être né de père et de mère eux-mêmes
ivoiriens de naissance, n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne, et résider de façon
continue en Côte d’Ivoire pendant les cinq années précédant la date des élections (sauf en cas
d’affectation dans des organisations internationales) ». Cette disposition écartait Alassane
Ouattara du jeu politique93 pendant qu’une remise en cause complète de sa nationalité
ivoirienne s’installait peu à peu dans l’esprit d’une partie des Ivoiriens. Ensuite, l’idéologie de
l’ivoirité a constitué un moyen efficace pour Bédié de garder Alassane Ouattara éloigné du
pouvoir.
Les tentatives de consolidation du régime par le président Bédié ont été des échecs. S’il a
réussi à écarter Alassane Ouattara de la candidature aux élections, ce dernier voit finalement
le Front Populaire Ivoirien se rallier à ses côtés aux élections de 1995 au sein de l’alliance du
Front Républicain. Le FPI et le RDR avaient appelé au boycott du scrutin pour s’opposer à la
loi électorale qui avait été votée l’année d’avant pour empêcher la candidature de Ouattara.
Cette alliance aura été de courte durée mais elle aura permise d’obtenir 45 % d’abstention aux
élections. Pendant ce temps, l’ancrage de l’ivoirité continuait, mêlé au problème foncier. Il y
avait de plus en plus de tensions dans les campagnes. Les manifestations se faisaient de plus
en plus fréquentes et les arrestations de manifestants du RDR également. À la fin de l’année
1999, un mandat d’arrêt international était également émis contre Alassane Ouattara, accusé
d’avoir falsifié ses documents administratifs.
Jean-Pierre Dozon94 notait déjà dans un article en 2000 que plus les partis politiques
focalisaient sur leur objectif d’éviction d’Alassane Ouattara du jeu politique, plus les
divisions au sein de la société ivoirienne à l’échelle nationale entre les gens du Nord et les
gens du Sud s’accentuaient95. À l’accentuation des divisions Nord/Sud s’ajoutaient des
divisions à l’échelle locale entre chrétiens et musulmans et entre allochtones et autochtones.
93 BOUQUET C., Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 24. 94 JEAN-PIERRE DOZON est un anthropologue français, spécialiste de l’évolution politique de la Côte d’Ivoire. Il est Directeur d’études à l’EHESS au sein du Centre d’études africaines, et Directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement. 95 DOZON JEAN-PIERRE, « La Côte d’Ivoire entre démocratie, nationalisme et ethnonationalisme », Politique africaine, 2000, n°78, p. 45-62.
25
Alassane Ouattara cristallisait à lui seul ces trois caractéristiques : il était considéré comme un
« étranger », donc associé au Nord du pays, et de surcroit de confession musulmane. De plus,
l’idéologie néolibérale et régionaliste du parti d’Alassane Ouattara, le RDR, créait un facteur
de rejet de plus face à une certaine crainte de la mondialisation. Mais à côté de cela, il
suscitait de plus en plus d’adhésion, notamment chez les populations du Nord et les
« étrangers ».
b. Robert Gueï l’opportuniste
Mais le 24 décembre 1999, Henri Konan-Bédié était renversé par une mutinerie et le
Général Robert Gueï prenait la tête du pays, de manière provisoire, selon ses dires de
l’époque, pour « balayer la maison », organiser des élections et mener le peuple ivoirien à la
réconciliation nationale 96 . Un Comité National de salut public était créé avec des
personnalités militaires puis un gouvernement de transition composé de représentants du RDR
et du FPI. Le FPI s’est rapidement retiré du gouvernement provisoire, considérant que le RDR
y avait trop d’importance. Le RDR s’est ensuite retiré en mai 2000, puis un nouveau
gouvernement provisoire était reformé avec, finalement, plus de représentants du FPI. Mais,
contrairement à ce qu’il avait déclaré lors de son discours du Nouvel An- « Le pouvoir ne
m’intéresse pas »97, le Général a vite pris gout du pouvoir. Un projet constitutionnel était
proposé et a été adopté par tous, sans que le RDR n’ai pu reculer face aux changements de
dernière minute qui durcissaient encore le code électoral. Après avoir fait le jeu du RDR
pendant un temps, Robert Gueï prenait finalement le même chemin que son prédécesseur avec
l’ivoirité afin d’écarter Alassane Ouattara, devenu un adversaire au regard de ses nouvelles
ambitions politiques.
Des élections présidentielles étaient organisées en octobre 2000. Après le « complot du cheval
blanc »98, la Cour suprême avait écarté toute possibilité pour Alassane Ouattara de se
présenter aux élections. Seuls cinq candidats étaient retenus, dont Laurent Gbagbo et Robert
Gueï. Le RDR, qui n’a donc pas eu la possibilité de présenter son candidat, appelait au
boycott des élections et était rejoint par le PDCI.
96 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 39. 97 Ibid. 98 On appelle « complot du cheval blanc » la tentative de coup d’Etat par des hommes armés pour le compte du RDR dans la nuit du 17 au 18 septembre 2000 à la résidence du chef de l’Etat Robert Gueï.
26
En octobre 2000, après quelques soubresauts politiques- Robert Gueï refusant d’admettre sa
défaite-, et de violentes manifestations, le « Balayeur était balayé »99. Laurent Gbagbo
devenait président de la République.
c. Les années Gbagbo
Laurent Gbagbo avait une légitimité limitée au pouvoir, puisqu’il avait été élu avec un
fort taux d’abstention. La participation n’avait été que de 37,42 % et Laurent Gbagbo avait été
élu avec 59, 36 % des voies, soit 19 % du corps électoral. De plus, certains électeurs avaient
donné leur voie à Gbagbo par défaut, pour éviter le retour au pouvoir du Général Gueï.
Laurent Gbagbo avait lui même considéré les conditions de son élection comme
« calamiteuses »100. Des violences postélectorales avaient éclaté avec les partisans d’Alassane
Ouattara qui demandaient l’organisation de nouvelles élections. D’autres violences ont éclaté
lorsque Alassane Ouattara était une fois de plus écarté des élections législatives de 2001101.
Laurent Gbagbo décidait ainsi d’organiser un « Forum pour la réconciliation nationale » à
l’automne 2001102. Henri Konan-Bédié et Alassane Ouattara étaient rentrés en Côte d’Ivoire
pour l’occasion. Mais Laurent Gbagbo continuait dans la même lignée que Bédié en
alimentant le doute sur la nationalité d’Alassane Ouattara et cela avait eu pour conséquence
de rendre les débats improductifs. Ce forum de l’échec s’acheva par un acte de 14
recommandations destinées à satisfaire chacun des quatre grands protagonistes (Robert Gueï,
Alassane Ouattara, Henri Konan-Bédié et Laurent Gbagbo) plutôt que de s’atteler à évoquer
les défis profonds qui minaient la société ivoirienne103.
Dans la nuit du 6 au 7 janvier 2002, le complot de la « Mercedes noire »104 présageait de la
rupture de 2002. En effet, le 19 septembre 2002, des violences meurtrières éclataient à
Abidjan et les municipalités de Korhogo et Bouaké, puis le reste du Nord du pays, étaient pris
par des rebelles105. Des affrontements eurent lieu jusqu’à la signature du cessez-le-feu le 17
99 Expression reprise du titre d’une chanson du célèbre chanteur ivoirien Tiken Jah Fakoly, « Le Balayeur balayé » qui faisait référence à l’éviction du pouvoir du putschiste Robert Gueï, tirée de l’album « Françafrique », Barclay, 2002. 100 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 62-63. 101 HOFNUNG THOMAS, La crise ivoirienne de Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo, La découverte, 2011, Paris, 191 p., p. 57. 102 Ce forum était organisé du 9 octobre au 18 décembre 2001. Il était présidé par l’ancien premier ministre Seydou Diarra, dioula, qui avait de bonnes relations à la fois avec Alassane Ouattara, Henri Konan-Bédié et Robert Gueï. 103 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 91. 104 Le complot dit de la « Mercedes noire » est une tentative de coup d’Etat par des militaires nordistes. On retrouve parmi eux ceux qui seront à l’origine de la rupture de septembre 2002. 105 Robert Gueï et sa femme ont été tués ce jour là et la résidence d’Alassane Ouattara a été attaquée et incendiée par la Brigade anti-émeutes. Après l’assassinat de son ami Boga Doudou, Gbagbo a été pris de colère et d’une volonté de revanche.
27
octobre entre le gouvernement ivoirien et les rebelles du Mouvement Patriotique de Côte
d’Ivoire106 (MPCI) qui ne se revendiquaient ni du défunt Robert Gueï, ni d’être derrière
Ouattara. Mais les chefs des rebelles étaient pour beaucoup des amis de la « Cosa Nostra »,
une des milices paramilitaires formées autour de Robert Gueï après son coup d’Etat, et
proches du redoutable sergent-chef Ibrahima Koulibaly, surnommé IB107. Cette date a marqué
le début d’une nouvelle Côte d’Ivoire, coupée en deux par la Ligne de non-franchissement et
avec des parties armées, au nord comme au sud. La France employée à son rôle d’arbitre avait
déployé la fameuse force Licorne. La rencontre de Marcoussis, destinée à trouver un accord
de paix qui satisfasse toutes les parties, avait lieu du 15 au 26 janvier 2003 et avait réussi à
réunir l’ensemble des parties prenantes au conflit : les représentants des mouvements rebelles
désormais regroupés en « Forces nouvelles » (FN), les représentants des partis politique, le
président de la République et Jacques Chirac. Les accords de Marcoussis108 prévoyaient la
mise en place d’un gouvernement de « réconciliation nationale », dirigé par un premier
ministre « de consensus » qui devait rester jusqu’aux prochaines élections présidentielles sans
possibilité de s’y présenter, et composé de représentants de l’ensemble des parties prenantes
représentées à Marcoussis. Cet accord prévoyait également le désarmement des milices mais
surtout un programme précis de réformes à mettre en œuvre autour de la question de la
nationalité, l’identité et la condition des étrangers, afin de mettre fin à l’ivoirité, revenir sur
les conditions d’éligibilité du président de la République et sur l’organisation des élections,
entamer une réforme du régime foncier et d’autres domaines. Cet accord laissait espérer la fin
des années sombres. Mais les mouvements de contestation n’ont pas tardé à éclater face à
l’ingérence de la France, du côté des partisans de Laurent Gbagbo109. De leur côté les rebelles
dirigés par Guillaume Soro continuaient d’organiser la partie nord du pays110. Il ne resta
finalement de la mise en œuvre des accords de Marcoussis que l’amnistie votée pour éviter
des poursuites aux responsables des violences, la mise en place d’un gouvernement de
réconciliation et le relatif respect du cessez-le-feu. Mais le 4 novembre 2004, le Chef de l’Etat
ivoirien donnait l’ordre de bombarder au Nord de la ligne de confiance. Suite à ces
évènements, les accords de Pretoria, issus de la médiation organisée par le sud-africain Thabo
Mbeki, ont réactivé les accords de Marcoussis, sans succès. Les élections présidentielles de
2005 n’ayant pu être organisées, le mandat de Laurent Gbagbo était prorogé d’une année, puis
à nouveau d’une année. A l’issu des Accords de Ouagadougou du 4 mars 2007, Laurent
106 Le Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire a été crée le 1er octobre 2001 par Tuo Fouzié, un ami de la « Cosa-Nostra ». 107 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 105. 108 Accords de Linas-Marcoussis, 24 janvier 2003, Paris. 109 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 127. 110 Découpage administratif, nomination de préfets, chaine de télévision, journal officiel.
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Gbagbo et Guillaume Soro, leader des FN, aboutirent à un accord sur la pacification de la
Côte d’Ivoire et Guillaume Soro était nommé Premier ministre par Laurent Gbagbo dès le 29
mars 2007. Le 22 décembre 2008, une feuille de route était adoptée par les Accords de
Ouagadougou IV afin de préparer les élections. Celle-ci posait le préalable de la réunification,
du désarmement, mais également de l’identification des électeurs avant d’aller aux
élections111. Durant ces années, le concept d’ivoirité était toujours brandi dès que possible et
ravivait les tensions. Parallèlement, à mesure que la xénophobie et l’autochtonie
s’imprégnaient dans toutes les sphères de la société ivoirienne, Alassane Ouattara continuait à
agrandir son électorat potentiel avec les populations victimes de l’exclusion et d’une haine
alimentée par le pouvoir en place qui ne parvenait pas à se concentrer sur les problèmes
profonds du pays dans ce climat d’instabilité. Repoussés à six reprises, les élections
présidentielles étaient finalement prévues pour le 31 octobre 2010.
3. La dernière crise postélectorale de 2010-2011
Sous la pression de la communauté internationale et conforté par des sondages qui lui
était favorables, Laurent Gbagbo a annoncé la tenue des élections présidentielles pour le 31
octobre 2010. Malgré l’alliance entre Henri Konan-Bédié et Alassane Ouattara au sein du
Rassemblement des Houphouétistes pour le développement et pour la paix (RHDP) 112, les
sondages prédisaient la victoire de Laurent Gbagbo au premier tour et il y croyait. Mais
Alassane Ouattara, qui était autorisé à se présenter pour la première fois, est parvenu à
mobiliser en masse ses électeurs potentiels afin qu’ils s’inscrivent sur les listes électorales.
Laurent Gbagbo, qui n’avait jamais pu mettre en œuvre son programme de l’an 2000 dans le
contexte dans lequel il a exercé sa fonction présidentielle, conservait les mêmes propositions
qu’en 2000 et n’hésitait pas à rappeler aux populations durant sa campagne qu’il était le seul
candidat ivoirien au service des Ivoiriens, se présentant comme le « fils du pays ».
Le 31 octobre 2010, 83 % des Ivoiriens se rendaient aux urnes, un taux de participation
particulièrement élevé, voire qualifié par certains d’exceptionnel et jamais vu sur le continent
au cours des dernières années113. La Commission électorale indépendante (CEI), qui avait été
dissoute quelques mois plus tôt, annonçait la victoire de Laurent Gbagbo avec 32,08 % des
voix, contre 32, 08 % pour Alassane Ouattara et 25, 24 % pour Bédié. Entre les deux tours,
les candidats tentaient de rallier des voix à leur compte par des alliances. Bédié appelait au
111 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op. cit., p. 150. 112 L’alliance du RHDP a été scellée en 2005. 113 HOFNUNG THOMAS, La crise ivoirienne de Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo, op.cit., p. 150.
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vote pour Ouattara dans le cadre de l’alliance du RHDP. De son côté, le président rassemblait
ses électeurs dans le cadre de l’alliance de La Majorité Présidentielle (LMP)114. Le second
tour eut lieu le 28 novembre 2010 avec un taux de participation comparable à celui du premier
tour. La victoire de celui que l’on surnommait « ADO solutions »115, avec 54,1 % des voix,
n’était pas encore communiquée par la CEI que les partisans de Laurent Gbagbo bloquaient la
proclamation de la victoire. En effet, suspicieux de fraudes commises dans le nord, Laurent
Gbagbo décidait alors de former un recours en annulation du scrutin près le Conseil
constitutionnel, tandis que l’ONUCI déclarait que le scrutin s’était tenu « globalement dans
un climat démocratique »116. La victoire d’Alassane Ouattara était annoncée le 1er décembre
2010 par le président de la CEI, puis confirmée par le directeur de l’ONUCI. le 2 décembre, le
Conseil constitutionnel invalidait une partie du scrutin (600 000 votes) et déclarait qu’il avait
relevé des irrégularités dans certains bureaux de vote de régions considérées comme étant
favorable à Alassane Ouattara. Ainsi, deux candidats sortaient vainqueurs de cette élection
puisque le Conseil Constitutionnel déclarait que Gbagbo avait remporté l’élection avec 51 %
des suffrages. Le 4 décembre, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara prêtaient serment chacun
de leur côté tandis que Guillaume Soro se rangeait sans surprise du côté de Ouattara. « Ce
soir-là, la Côte d’Ivoire s’endormait avec deux présidents. Un cauchemar devenu réalité » 117.
S’en suivirent quatre mois de violences postélectorales entre « pro-Gbagbo » et « pro-
Ouattara ». Alors qu’Alassane Ouattara était reconnu très vite par l’ensemble des
représentations diplomatiques comme le nouveau président ivoirien, il n’entendait en aucun
cas passer à côté de la place qu’il convoitait depuis vingt ans. Il adoptait alors la « stratégie du
boa ». Cette stratégie visait à étouffer son adversaire par le biais du levier qu’il connaissait le
mieux : l’économie. Mais en même temps, Guillaume Soro, rebelle « repenti », mobilisait tout
de même les « comzones »118. Ouattara parvenait à bloquer les comptes de l’Etat et à faire
adopter des mesures d’embargo et de blocus grâce aux soutiens qu’il avait de l’extérieur.
Gbagbo fut rapidement dans l’impossibilité de rémunérer les fonctionnaires et les militaires
qui le soutenaient. Mais Ouattara savait que, s’il voulait garder le soutien de son électorat et
que le reste de la population ivoirienne ne s’oppose violemment à lui par la suite, il ne pouvait
asphyxier la population encore longtemps avec ses armes économiques. De plus, la population
était terrorisée par les violences et les exécutions sommaires à Abidjan et dans d’autres villes
du pays et cela ne faisait que commencer. En effet, voyant que l’arme économique ne suffirait
114 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op. cit., p. 127. 115 HOFNUNG THOMAS, La crise ivoirienne de Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo, op.cit., p. 149. 116 Ibid., p. 155. 117 Ibid., p. 157. 118 Surnom donné aux commandants de zone des Forces nouvelles.
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pas à le mener à la victoire, il décidait de passer à l’usage de la force. À partir de janvier
2011, les « commandos invisibles » s’en prenaient aux « pro-Gbagbo » à Abidjan, tandis que
ces derniers ripostaient. L’escalade de la violence se poursuivait dans tout le pays entre pro-
Gbagbo et pro-Ouattara. De nombreux civils ont été victimes de ces affrontements et ont fui.
Les « jeunes patriotes » et autres mercenaires fidèles à Laurent Gbagbo, les rebelles des FN,
les « dozos » et de nombreux jeunes recrutés du côté des forces pro-Ouattara se sont affrontés
entre eux mais ont surtout exécuté sommairement, violenté, violé de nombreuses personnes,
et pillé puis occupé de nombreuses maisons. La résolution 1975 du Conseil de sécurité des
Nations Unies, adoptée à l’unanimité le 30 mars 2011119 permettait à la Force Licorne et à
l’ONUCI de « protéger les civils et détruire les armes lourdes » afin d’aider Alassane
Ouattara à finaliser sa victoire. Voici que le conflit s’internationalisait et la communauté
internationale, mais surtout la France, était bien décidée à aider Alassane Ouattara à prendre
ses fonctions grâce au déploiement de ses forces armées sur place. L’arrestation de Laurent
Gbagbo a finalement eu lieu le 11 avril 2011 dans sa résidence de Cocody et a mis
officiellement un terme à ce que l’on a appelé la « bataille d’Abidjan »120. Son arrestation à
marqué la fin officielle de la crise postélectorale.
Ces dernières violences postélectorales ont fait plus de 3000 morts, et beaucoup plus si l’on
additionne le nombre de victimes depuis le début de la course au pouvoir après la mort de
Félix Houphouët-Boigny. Après vingt années d’instabilité dont quinze de violences, la Côte
d’Ivoire a bien besoin de se réconcilier avec son histoire, les Ivoiriens de se réconcilier entre
eux et les politiciens d’apprendre à dialoguer de manière constructive. Le plus grand défi
d’Alassane Ouattara est bien celui de la réconciliation.
119 Résolution 1975 sur la situation en Côte d’Ivoire, Conseil de sécurité des Nations Unies, 30 mars 2011, S/RES/1975(2011). 120 HOFNUNG THOMAS, La crise ivoirienne de Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo, op.cit., p. 168.
31
Deuxième sous-partie :
La nécessité d’une réconciliation multi-niveaux -
Un processus amorcé
L’étude sociohistorique à laquelle nous nous sommes livrés dans la première sous-
partie nous a permis de mieux comprendre comment était né ce besoin de réconciliation. Il
s’agit maintenant de comprendre à quel niveau cette réconciliation est une nécessité afin de
pouvoir envisager une paix durable en Côte d’Ivoire. Il reste à savoir qui et comment
réconcilier ? La réponse n’est pas simple car cette réconciliation implique plusieurs espaces,
plusieurs acteurs et plusieurs temps. Elle implique deux camps, celui de Ouattara et celui de
Gbagbo, avec des victimes et des responsables. Elle implique l’ensemble de la société
ivoirienne ; Elle implique des autorités étatiques sous plusieurs gouvernements et pour
plusieurs crises avec des acteurs différents. Elle implique des rebelles… La multiplicité des
acteurs ayant une part de responsabilité dans la crise ivoirienne rend les choses très
complexes. La crise ivoirienne ne se limite pas à un agent étatique persécuteur comme étant le
seul responsable de violences et exactions sur les populations. Elle implique plusieurs acteurs
politiques qui se sont alliés et déliés. Elle implique plusieurs camps dans un contexte de
violences politiques et ethniques, et dont l’un est actuellement au pouvoir, grâce à l’aide de la
communauté internationale, qui constitue encore un autre acteur qui doit être impliqué dans le
processus de réconciliation. La réponse à la question qui réconcilier est donc complexe car
elle révèle de multiples espaces et niveaux de réconciliation possibles, qui sont doués de
dynamiques propres et d’autres dynamiques qui sont imbriquées les unes aux autres.
Dans le cadre de cette étude, nous avons tenté de distinguer ces différents espaces de
réconciliation en termes de niveaux. La réconciliation est d’une part nécessaire au niveau des
acteurs politiques (A), et d’autre part nécessaire au niveau de la population (B). Dans le même
temps, nous verrons comment, à chacun de ces niveaux, le gouvernement actuel a amorcé le
processus.
A. La réconciliation nécessaire au niveau des acteurs politiques
Il est nécessaire qu’un dialogue de haut niveau soit rétabli entre les acteurs de la vie
politique ivoirienne (1). Pour répondre à cette nécessité, un dialogue politique a été mis en
place (2).
32
1. Le nécessaire rétablissement du dialogue de haut niveau entre les acteurs de la
vie politique ivoirienne
L’apprentissage du dialogue politique non violent entre les différents acteurs de la vie
politique ivoirienne, et surtout entre le gouvernement et l’opposition, est un passage
obligatoire dans le cadre de la réconciliation ivoirienne, pays qui est aussi en pleine transition
démocratique. Il fait partie de l’apprentissage des règles de la démocratie. La plupart des
grands hommes politiques ivoiriens d’aujourd’hui ont démarré leurs carrières politiques sous
le gouvernement du parti unique. Même si la plupart d’entre eux ont eu l’occasion de vivre,
étudier et voyager à l’étranger, ils n’avaient connu en Côte d’Ivoire que les pratiques
politiques du président Félix Houphouët-Boigny et ils ont eu des difficultés à rompre avec
certaines d’entre elles, notamment pour ce qui concerne le dialogue politique avec
l’opposition. L’avènement du multipartisme, la difficile acceptation d’une opposition
politique et les difficultés d’apprentissage de son rôle par l’opposition politique elle-même,
ont été autant de facteurs qui ont contribué à les mener à s’affronter en dehors des règles de la
démocratie pour accéder au pouvoir, sur le terrain de la violence. Comme le relevait en ce
sens l’expert indépendant des Nations unies sur la situation des droits de l’Homme en Côte
d’Ivoire, Doudou Diène, dans son rapport 2013 : « Le dialogue politique constitue la
condition fondamentale du relèvement socio-économique de la Côte d’ivoire. Son enjeu
ultime est de faire du cadre démocratique national le seul terrain crédible du débat politique,
de nature à délégitimer le recours à la violence et à conforter une culture de la paix.121»
L’opposition en Côte d’Ivoire doit trouver sa place dans le dialogue politique et le
gouvernement doit lui laisser cette place ouverte. La volonté politique du gouvernement
actuel doit être claire de ce point de vue, afin d’atténuer les passions qui surviennent à chaque
victoire ou défaite électorale. Comme le relève encore le Rapporteur spécial des Nations
Unies, l’absence de cadre légal sur le fonctionnement des partis politiques et sur leur
financement et un « statut convenu de l’opposition »122 sont des problèmes qui doivent être
considérés afin de ne pas créer de nouvelles tensions entre les partis politiques et en leur sein.
Il évoque l’idée de l’élaboration d’une « Charte démocratique consensuelle » comme étant
pertinente dans ce contexte. L’élaboration d’une telle charte serait un premier pas vers une
nouvelle éthique politique.. Il s’agit donc de construire une nouvelle éthique politique qui
passe, dans un premier temps, par la compréhension des règles de la démocratie multipartite 121 Assemblée générale des Nations Unies, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène, 3 juin 2013, présenté devant le Conseil des Droits de l’Homme (23ème session), A/HRC/23/38, disponible sur : http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/RegularSession/Session23/A-HRC-23-38_fr.pdf 122 Ibid.
33
et du jeu des élections, et l’apprentissage du dialogue non violent car, comme le note Richard
Banégas123, « ces longues années de rébellion et de « résistance patriotique » ont provoqué
un bouleversement majeur des modes de faire de la politique (…) par la militarisation des
luttes politiques » et « par la milicianisation de l’Etat et de la société qui fait du contrôle de
la rue la principale variable de l’accès au pouvoir124. » Les hommes politiques ivoiriens
doivent donc réapprendre à faire de la politique et apprendre à dialoguer.
Mais, même si l’âge et l’influence de nombreux politiciens ivoiriens importants sur la scène
politique leur permet encore d’espérer une ascension jusqu’aux plus hauts postes du pouvoir,
c’est surtout à la nouvelle génération de politiciens qu’il est nécessaire de préparer à prendre
le relai et qui doit apprendre les bons usages de la démocratie multipartite et du dialogue
politique, alors qu’ils n’ont souvent connu pour le moment qu’une vie politique ponctuée de
violences. La jeune génération de politiciens qui n’a pas encore de rôle politique déterminant
aujourd’hui jouera un rôle fondamental dans la construction de la Côte d’Ivoire de demain.
Avec 40,4% de sa population âgée de moins de 15 ans125, la Côte d’Ivoire est jeune. Il est
donc urgent de faire en sorte que les pratiques politiques changent. On peut espérer un certain
renouvellement de la classe politique ivoirienne dans quelques années, du moins pour les trois
leaders qui se sont affrontés depuis vingt ans. L’article 35 de la constitution ivoirienne126
prévoit que le candidat à l’élection présidentielle ne doit pas dépasser l’âge de soixante quinze
ans. Ainsi, si Henri Konan-Bédié décidait de se présenter aux prochaines élections
présidentielles, sa candidature devrait être refusée, à moins qu’il puisse obtenir une dérogation
par le Conseil Constitutionnel, de réformer la constitution ou encore d’organiser un
référendum constitutionnel, qui sont des scénario peu envisageables. De plus, il est beaucoup
moins sûr que le PDCI le veuille encore comme candidat. Quant à Alassane Ouattara et
Laurent Gbagbo, s’il était libéré et décidait de représenter le FPI, ils ne pourraient briguer
qu’un dernier mandat : celui de 2015 puisqu’ils dépasseraient tous deux la limite d’âge
imposée par la constitution en 2020.
Pour le moment, ce sont bien les mêmes pratiques politiques qui perdurent et le
rétablissement du dialogue politique se fait attendre, alors qu’un cadre de dialogue entre le
gouvernement et les partis politiques d’opposition a été mis en place.
123 RICHARD BANEGAS est professeur à Sciences-Po Paris ainsi que directeur de recherche au CERI-CNRS. Il est spécialiste des violences politique en Afrique de l’Ouest et de la « reconstruction post-conflit ». 124 BANEGAS RICHARD, « Reconstruction « post-conflit » - Violence et politique en Côte d’Ivoire », CERI, octobre 2012, consulté le 23 avril 2013, disponible sur : http://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/art_rb.pdf 125 BONIFACE PASCAL (dir.), L’Année stratégique 2013, Armand Colin, 2012, Paris, 533 p., p. 362.
126 Constitution de la République de Côte d’Ivoire du 23 juillet 2000. L’article 35 dispose : « (…) Le candidat à l’élection présidentielle doit être âgée de quarante ans au moins et de soixante quinze ans au plus ».
34
2. Un cadre de dialogue politique mis en place
Un cadre de dialogue entre le gouvernement et les différents partis politiques ivoiriens
de l’opposition a été mis en place à la suite de la dernière crise postélectorale. Cette initiative
avait d’abord subi un échec à la fin de l’année 2011 lorsqu’Alassane Ouattara avait souhaité
la relancer. Le moment était critique puisque Laurent Gbagbo venait d’être transféré le 30
novembre 2011 en détention à La Haye.
Plusieurs rencontres ont déjà eu lieu à la demande du gouvernement ou des partis de
l’opposition. Le dialogue mis en place a donc pris la forme d’un dialogue direct. Un
« conclave de relance du dialogue politique » avait d’abord eu lieu à Grand- Bassam les 27 et
28 avril 2012127. Présidé par le Premier Ministre de l’époque Jeannot Kouadio-Ahoussou, il
avait réuni l’ensemble des partis politiques ivoiriens afin de relancer le dialogue avec
l’opposition. Cette rencontre avait permis d’aborder la question du cadre de mise en œuvre du
dialogue, la question de la participation de l’opposition aux processus de réconciliation, la
question des élections et enfin celles de la justice et de la sécurité. Elle a abouti à la création
du Cadre Permanent de Dialogue (CPD) conçu comme une « plate-forme d’échanges, de
réflexions, de propositions et d’actions en vue de l’amélioration des relations et de la
consolidation de la confiance entre le gouvernement et les partis politiques de
l’opposition128». Le document de synthèse issu de cette réunion énonce les missions de ce
CPD, qui sont les suivantes :
« -(d’)identifier les questions devant faire l’objet de concertation ;
-de veiller à la mise en œuvre effective des questions sur lesquelles un consensus est
intervenu;
-(d’)œuvrer au raffermissement des relations de confiance entre le gouvernement et les partis
de l’opposition ;
-(de) faire une revue périodique des avancées qui ont été obtenues sur les différentes
questions ;
-(de) faire l’examen de l’évolution de la situation sociopolitique nationale en vue, au besoin,
d’alerter le gouvernement et les partis de l’opposition sur les situations susceptibles de mettre
à mal la paix et le processus de réconciliation nationale ;
127 « Conclave de relance du dialogue/voici le communiqué final : Un cadre permanent de dialogue crée, pas d’engagement concret pris, question des prisonniers au cas par cas », @[email protected], 30 avril 2012, consulté le 25 juin 2013, disponible sur : http://news.abidjan.net/h/432502.html. 128 Ibid.
35
-(de) faire toutes propositions utiles pour la consolidation de la paix, du processus de
réconciliation, de la liberté et de la démocratie»129.
Ce document de synthèse intègre donc les éléments dont nous avons parlé plus haut, et met en
évidence la volonté des acteurs politiques de se réconcilier et d’établir une paix durable dans
un cadre démocratique. Le CPD s’est concrétisé par une série de rencontres entre le
gouvernement et les parties de l’opposition. Au 15 juin 2013, plus de dix huit rencontres
avaient déjà eu lieu. Mais le FPI n’y a que très peu participé. Il a principalement concerné les
partis de la coalition présidentielle du RHDP et les petits partis de l’opposition, soit issus de
l’ancienne LMP qui avait été formée par Laurent Gbagbo aux dernières élections, soit crées
après les élections présidentielles par des dissidents du FPI. Le bilan de ce dialogue est donc
plutôt négatif car il a permis peu d’avancées. D’abord, il ressort de nombreuses déclarations
de représentants de l’opposition participant à ce CPD que le gouvernement d’Alassane
Ouattara manque de volonté de rétablir le dialogue. Selon la vice-présidente de la plate-forme
Agir pour la Paix et la Nation (APN)130, Danièle Boni Claverie, les revendications des partis
de l’opposition ne sont pas prises en considération par le gouvernement131. Ensuite, l’absence
du FPI, principal parti de l’opposition, fait raisonner le CPD comme une coquille vide,
puisqu’il n’est pas présent pour dialoguer alors que c’est bien lui le principal parti
d’opposition, et celui qui a été au cœur des affrontements de la dernière crise post électorale
avec le RDR. Lors de la réunion de Grand-Bassam en avril 2012, le FPI n’avait envoyé que
des observateurs qui n’avaient participé qu’à la moitié des débats. Ensuite, la rencontre entre
une délégation du FPI et le gouvernement en juillet 2012 n’avait débouché à rien132. La seule
rencontre avec le FPI dans le cadre du CPD aura été celle du 18, 22 et 23 janvier 2013, dont
les conclusions ont été rendues publiques le 31 janvier 2013133. Des commissions de réflexion
ont été mises en place sur des thématiques proposées par le FPI : la question sécuritaire, le jeu
démocratique, l’état de droit et le fonctionnement des institutions et enfin, la réconciliation
nationale. Ces commissions se sont réunies les 25 et 28 janvier 2013. Les conclusions de ces
rencontres ont relevé les points de convergence et les nombreux points encore en négociation
sur les différentes thématiques abordées.
129 « Conclave de relance du dialogue/voici le communiqué final : Un cadre permanent de dialogue crée, pas d’engagement concret pris, question des prisonniers au cas par cas », @[email protected], op.cit. 130 La plate-forme Agir pour la Paix et la Nation regroupe cinq partis politiques minoritaires des onze partis politiques ivoiriens qui participent au CPD. 131 « Danièle Boni Claverie : « La réconciliation en Côte d’Ivoire n’a pas bougé d’un iota », rfi.fr, op.cit. 132 International Crisis Group, « Côte d’Ivoire : faire baisser la pression », novembre 2012, Rapport Afrique n°193, 26 p. 133 « Rapport de synthèse du groupe de travail gouvernement/FPI », @[email protected], 5 février 2013, consulté le 25 juin 2013, disponible sur : http://news.abidjan.net/h/450814.html
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Alors qu’en juin 2013, le gouvernement ivoirien appelait à l’organisation d’un nouveau round
dans le cadre du CPD, le FPI posait des conditions à la reprise du dialogue direct. Dénonçant
les pratiques du gouvernement vis à vis de l’opposition qui ont continué durant les cinq mois
qui ont suivi le premier round du CPD en janvier 2013, le FPI a considéré que la volonté du
gouvernement d’établir un dialogue politique réel avec l’opposition ne pouvait être sincère et
a donc posé des conditions à sa reprise. Ainsi, le 27 juin 2013, Richard Kodjo, secrétaire
général par intérim et porte-parole du FPI, a déclaré que le gouvernement n’avait pris en
compte aucune des propositions faites par le FPI et n’avait pas non plus mis à exécution les
points de convergence depuis leur dernière rencontre134. Il conditionne donc la reprise du
dialogue à la « mise en œuvre effective des points de convergence », prône la mise en place
d’un « comité de médiation et de suivi pour le dialogue républicain »135, et demandait la
libération de Justin Koua, Secrétaire général des Jeunesses du Front Populaire Ivoirien arrêté
le 7 juin 2013. La libération provisoire de quatorze partisans du FPI et proches de l’ancien
président Laurent Gbagbo, le 5 août 2013- dont Justin Koua, Michel Gbagbo, le fils d’ancien
président, et Pascal Affi N’Guessan, président du FPI- marquait la volonté du gouvernement
d’apaiser les tensions avec le FPI. Cet événement permet d’envisager une reprise du CPD à la
rentrée 2013, même si l’ensemble des conditions posées par le FPI n’ont pas été satisfaites.
En effet, Richard Kodjo avait déclaré après la libération du 5 août que malgré l’absence de
mise en œuvre de l’ensemble des conditions posées, le FPI allait se réunir afin de décider de
la reprise ou non du dialogue, tout en saluant ce « petit pas vers la décrispation »136.
On peut donc espérer un dégel du dialogue politique entre le gouvernement et le principal
parti de l’opposition qui permettrait de faire un pas vers la réconciliation politique. Mais le
rétablissement du dialogue entre les partis politiques n’est pas suffisant. La réconciliation doit
être envisagée à un autre niveau, celui de la population.
B. La réconciliation nécessaire au sein de la population
Selon Sandrine Lefranc, trois méthodes permettent de contribuer à un processus de
réconciliation conçu comme un moyen de parvenir à la paix : les méthodes structurelles, qui
visent la durabilité, par la transformation de « la structure des relations entre les groupes,
notamment par la réduction des inégalités socio- économiques, le développement de liens
134 « Reprise du dialogue gouvernement-opposition : voici les conditions du FPI », @[email protected], 27 juin 2013, consulté le 30 juin 2013, disponible sur : http://news.abidjan.net/h/464136.html 135 Ibid. 136 « Dr Richard Kodjo, secrétaire général du Fpi : « Nous demandons la libération sans condition de tous les prisonniers politiques », @[email protected], 6 août 2013, consulté le 30 août 2013, disponible sur : http://news.abidjan.net/h/467321.html
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transversaux, la protection des droits de l’homme » ; les méthodes institutionnelles qui visent
le plus court terme et « qui incluent procès, commissions de vérité, action éducative ou
évènements publics (…) ; enfin, les méthodes interpersonnelles, qui cherchent à améliorer les
relations au niveau des « gens ordinaires » ou des représentants intermédiaires, par la
multiplication de psychothérapies collectives, d’ateliers ou de rencontres informelles »137. Le
gouvernement actuel a su mobiliser ces méthodes et a ainsi fait le choix de certains outils de
réconciliation. Il s’agit de voir de quelle manière les méthodes structurelles (1) et
institutionnelles (2) s’inscrivent dans le contexte de réconciliation ivoirien. Les méthodes
interpersonnelles ne seront pas évoquées dans le cadre de cette étude, car nous manquons
d’informations et de données de terrain recueillies au niveau local afin de nourrir cette
réflexion. De plus, elles s’entremêlent d’une certaine manière avec les méthodes structurelles
qui visent à réduire les inégalités socio-économiques et le développement de liens
transversaux au niveau de ces « gens ordinaires » en vue d’améliorer leurs relations.
1. Les méthodes structurelles - Construire l’avenir
Alors que le président Ouattara semble concentrer ses efforts sur le redressement de
l’économie pour parvenir à réconcilier les Ivoiriens (a), il ne faudrait pas pour autant qu’il en
oublie l’impératif de transformation de la représentation de l’identité collective en vue de
renforcer la cohésion sociale (b).
a. Ouattara et l’objectif premier de redressement de l’économie
Pour Alassane Ouattara, la réconciliation semble passer prioritairement par la relance
économique. L’économie reste le domaine de prédilection de l’actuel président, qui a été
l’ancien Premier ministre gestionnaire de Félix Houphouët-Boigny lorsqu’il fallait remettre de
l’ordre dans les comptes de l’Etat sous la houlette du FMI et de la Banque mondiale et de
leurs plans d’ajustement structurel. Il a également été gouverneur de la Banque centrale des
Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et directeur Afrique au FMI. Alassane Ouattara est un
homme qui sait s’attirer la confiance des bailleurs de fonds et des investisseurs pour obtenir
leur soutien financier. En ce sens, il a obtenu des promesses d’investissements de plus de 8,6
milliards de dollars pour la période 2013-2015 lors de la réunion du Groupe consultatif pour
137 LEFRANC SANDRINE, Politiques du Pardon, PUF, 2002, Paris, 368 p., p. 216-217.
38
la Côte d’Ivoire qui s’est tenue en décembre 2012 à Paris138. Il a également obtenu un
allègement de la dette auprès du FMI et de la Banque Mondiale d’un montant de 4 milliards
de dollars139. Des grands travaux ont également été engagés et des infrastructures remises en
route. Il s’agit donc d’une relance économique par le haut140, dans laquelle l’Etat est le
principal acteur grâce au soutien sans failles des institutions financières internationales et de
la France.
Mais la réussite de cette relance économique passe surtout par la relance des investissements
privés qui feront la réussite du plan national de développement pour 2012-2015 qui repose
certes, sur les investissements publics, mais aussi sur les investissements privés141. Or, force
est de constater qu’à l’heure actuelle, les investisseurs n’ont pas encore une grande confiance
étant donné le contexte sécuritaire, les incertitudes du droit foncier et les doutes sur
l’existence d’un système judiciaire juste et équitable. Pour remédier à cela, le gouvernement
ivoirien a tenté de rassurer les investisseurs privés par le lancement d’une campagne « Investir
en Côte d’Ivoire » par le Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire
(CEPICI)142. Un grand forum régional « Invest in Côte d’Ivoire 2014 » sera organisé au début
de l’année 2014. Autre illustration de cette campagne, nous sommes tombés par hasard sur un
supplément spécial édité par le populaire magazine Jeune Afrique titré « Investir- Côte
d’Ivoire 2014 », faisant la promotion de la Côte d’Ivoire afin d’y attirer les investissements et
surtout de rassurer les investisseurs, par des titres surenchéris et très évocateurs tels que « Des
peuples divers mais unis- Une longue tradition de tolérance et de dialogue a forgé une identité
nationale forte », « Un cadre institutionnel rénové- Objectif : l’exercice d’une gouvernance
irréprochable », « refus systématique de l’impunité », ou encore « justice crédible et
impartiale »143, loin donc de la réalité actuelle du pays.
Le résultats d’Alassane Ouattara dans le domaine économique sont donc plutôt bons. Le taux
de croissance économique annoncé par le Ministère de l’économie et des finances était de 9,8
% en 2012 avec la même projection annoncée pour 2013. Mais si Alassane Ouattara considère
que la relance de l’économie permettra aux Ivoiriens de se réconcilier, encore faut-il que la 138 Jeune Afrique, « Côte d’Ivoire : Ouattara emporte 8,6 milliards de dollars », économie.jeuneafrique.com, 4 décembre 2012, consulté le 9 août 2013, disponible sur : http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/14018-cote-divoire--ouattara-emporte-86-milliards-de-dollars.html 139 Communiqué de presse « le FMI et la Banque mondiale annoncent un allègement de plus de 4 milliards de dollars EU de la dette de la Côte d’Ivoire, 26 juin 2012, imf.org, consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://www.imf.org/external/french/np/sec/pr/2012/pr12239f.htm 140 GAULME FRANÇOIS, « Côte d’Ivoire ?: Du redressement à la paix durable », S.E.R.I Études, 2012/6, p. 727-738. 141 FAUJAS ALAIN, « Côte d’Ivoire : la relance, oui mais… », économie.jeuneafrique.com, 22 février 2013, consulté le 1 septembre 2013, disponible sur : http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/15720-cote-divoire-la-relance-oui-mais.html 142 Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire, site web consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://www.cepici.gouv.ci/ 143 Guide « Investir. Côte d’Ivoire 2014 », supplément Jeune Afrique, juillet 2013, n°2741, 74 p.
39
redistribution des richesses se fasse et que la corruption dans le secteur public cesse. Or en
2012, Transparency International plaçait la Côte d’Ivoire au 130ème rang sur 176 pays pour ce
qui est du niveau perçu de corruption dans le secteur public144.
De plus, cette approche est insuffisante au regard du contexte ivoirien car, comme nous
l’avons souligné plus haut, c’est une réforme en profondeur de l’économie qui est nécessaire.
Or le gouvernement actuel ne s’est pas encore attaqué aux failles structurelles du modèle de
développement houphouétiste. Ce n’est donc pas une relance mais une transformation
complète de l’économie ivoirienne qui doit être faite. De même, il ne faudrait pas qu’il en
oublie un autre impératif qui devrait se situer au rang de ses priorités. Il s’agit de
transformation de la représentation de l’identité collective.
b. La nécessaire transformation de la représentation de l’identité collective en vue de
renforcer la cohésion sociale
La première étape importante est celle de la déconstruction de l’identité collective fondée
sur l’ethno-nationalisme. Il s’agit concrètement de faire disparaître le concept d’ivoirité et de
déconstruire les conséquences que ce concept a engendré au sein de la société ivoirienne.
Cette lourde tâche relève moins de la « réhabilitation » que de l’ « élaboration d’un récit
historique qui permette à la population ivoirienne dans son ensemble de (…) relativiser ou de
réviser les appréciations que telle ou telle de ses composantes est susceptible de porter sur
telle autre »145. Il s’agit de remettre en route le « vivre-ensemble ». Tout d’abord, le discours
politique doit prôner l’unité nationale et le vivre-ensemble afin de contrecarrer les discours de
division antérieurs. La tâche la plus importante est celle du passage d’une information claire
et sans ambiguïtés aux populations. Il est nécessaire de clarifier les questions qui ont divisé
hier auprès des populations par un travail de communication important. Par exemple, sur la
question foncière et celle de la nationalité, la clarification du droit est une chose, mais elle ne
suffira pas à déconstruire les idées d’hier sans que les populations soient informées de
manière adaptée et sans que cela ne créé de nouvelles tensions.
En outre, la disparition des divisions passe nécessairement par le renforcement de la cohésion
sociale, car cette dernière implique que l’Ivoirien pense Côte d’Ivoire avant tout146. La
144 Index de perception de la corruption, Transparency International, site web consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://www.transparency.org/ 145 DOZON JEAN-PIERRE, Les clefs de la crise ivoirienne, Karthala, 2011, Paris, 144 p., p. 127. 146Interview de Mariétou Koné pour Jeune Afrique : « Mariétou Koné : « l’Ivoirien doit penser Côte d’Ivoire avant tout » », jeuneafrique.com, 14 juin 2013, consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130614140747/laurent-gbagbo-alassane-ouattara-reconciliation-nationale-cote-d-ivoiremariatou-kone-l-ivoirien-doit-penser-cote-d-ivoire-avant-tout.html
40
cohésion sociale vise donc à améliorer les rapports interpersonnels au niveau des « gens
ordinaires »147. En ce sens, un Programme National de Cohésion Sociale (PNCS) a été créé en
2012 dans le cadre de la mise en œuvre du Plan National de Développement pour 2012-2015.
Doté d’un budget de 7 milliards de francs CFA, l’objectif de ce programme est de renforcer la
cohésion sociale afin de garantir la paix durable. Au titre des projets annoncés figurent : des
formations destinées aux leaders traditionnels, des projets de réhabilitation de logements et de
construction de logements sociaux, des projets d’activités génératrices de revenus et de
perfectionnement ou de premier emploi pour les jeunes, des projets d’éducation à la
citoyenneté, ou encore l’aide au retour, à la réinstallation et à la réinsertion des personnes
déplacées et réfugiées148. Lancé officiellement le 10 mai 2013, la responsable du programme
a également entamé une tournée de sensibilisation pour faire connaître ce nouvel instrument
et afin de favoriser le dialogue entre les Ivoiriens en rencontrant les chefs communautaires. Le
programme a prévu pour l’année 2013 la création d’un cadre de concertation nationale afin
d’appuyer les comités locaux de paix, les administrations locales, des actions d’assistance
humanitaire aux personnes en situation de détresse sociale et pour le retour des déplacés, des
actions promouvant les valeurs de la cohésion sociale (l’organisation de compétitions
sportives intercommunautaires, des festivals de musique, des pièces de théâtre…)149. Le but
de ce programme est donc de contribuer à l’instauration d’une « paix durable » par le
renforcement de la cohésion sociale en menant des projets de solidarité et des actions de
développement 150. Mais ce travail sur la cohésion sociale doit venir en complément à la
remise en route du vivre ensemble. Les méthodes institutionnelles de réconciliation nationale
permettent quant à elles de faire le deuil du passé.
2. Les méthodes institutionnelles – Faire le deuil du passé
En Côte d’Ivoire, les méthodes institutionnelles mises en place, qui sont des méthodes à
plus court terme, visent à faire le deuil du passé par des moyens parajudiciaires (a) et
judiciaires (b).
147 Nous avions fait remarquer au début de ce développement que les méthodes structurelles pouvaient recouper d’une certaine manière les méthodes interpersonnelles de réconciliation. 148Interview de Mariétou Koné pour Jeune Afrique : « Mariétou Koné : « l’Ivoirien doit penser Côte d’Ivoire avant tout » », op. cit. 149 Interview de Mariétou Koné pour Abidjan.net : « Mariétou Koné, coordonnateur du Programme National de Cohésion Sociale », 8 mai 2013, 12 minutes 31, consulté le 5 septembre 2013, disponible sur : http://www.youtube.com/watch?v=JRG38Tqu-aw 150 Interview de Mariétou Koné pour Jeune Afrique : « Mariétou Koné : « l’Ivoirien doit penser Côte d’Ivoire avant tout » », op. cit.
41
a. Les moyens parajudiciaires
Tout d’abord, une commission de vérité a été mise en place. Les commissions de vérité ne
sont pas dans une logique punitive et rétributive. Elles sont généralement des organes
parajudiciaires qui placent les victimes au centre de leur action, afin de les réconcilier avec la
société, voire même avec leurs bourreaux151. Ces commissions « en sont venues à incarner
une instance démocratique exemplaire et même un facteur important de démocratisation, en
tant qu’instance de délibération publique sur le passé»152. Mais, comme le souligne le Centre
International pour la Justice Transitionnelle153, si la création d’une commission dans un
contexte de reconstruction post-conflit afin de réconcilier les populations est utile, elle n’est
pas suffisante. Elles peuvent seulement au mieux aider à la création de meilleurs conditions
de réconciliation, notamment en restaurant la dignité des victimes 154.
Mettant en avant l’utilité, voire la nécessité, de la création d’une telle commission, Alassane
Ouattara a créé dans l’urgence la Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation
(CDVR) le 13 mai 2011, après l’avoir annoncée le 1er mai 2011, afin de lancer un signal fort
d’apaisement avant son investiture officielle. Elle est présidée par l’ancien Premier ministre
Charles Konan Banny, réputé pour être un homme de compromis, qui est assisté par trois
vices présidents et sept commissaires centraux. Ces commissaires centraux représentent
chacun une partie de la population ivoirienne selon un découpage géographique : le Nord, le
Sud, l’Ouest, l’Est et le Centre de la Côte d’Ivoire ainsi que la diaspora ivoirienne, alors que
l’un des commissaires représente les résidents africains et non africains du pays155. Tandis que
les trois vices- présidents représentent les trois confessions principales (animistes, chrétiens et
musulmans). La division choisie est assez révélatrice des divisions de la société ivoirienne. Ils
représentent les différentes régions mais aussi les différentes confessions religieuses et les
différentes ethnies qui composent la société ivoirienne. Cette institution parajudiciaire a été
conçue comme une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité juridique et
de l’autonomie financière156. Son mandat est d’œuvrer « à la réconciliation et au renforcement
151 LEFRANC SANDRINE, « Les commissions de vérité : une alternative au droit ? », Droit et cultures, 2008/2, n°56, p. 129-145. 152 LEFRANC SANDRINE, « Les commissions de vérité : une alternative au droit ? », op.cit. 153 Traduction libre de : International Center for Transitional Justice. 154 Traduction libre de: « Reconciliation should be understood as a long-term social process that cannot be achieved by a truth commission alone, in a short amount of time. At best, commissions can help to create better conditions for reconciliation by encouraging institutional reform and changes in the political culture of a state, and by restoring the dignity of those most affected by violence», in International Center for Transitional Justice, « Truth Seeking- Elements of Creating an effective Truth Commission », 2013, 75 p., consulté le 1er septembre 2013, disponible sur :http://ictj.org/publication/truth-seeking-elements-creating-effective-truth-commission 155 Site web de la CDVR, consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://www.cdvr.ci/ 156 Ordonnance n°2011-167 du 13 juillet 2011 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de la commission dialogue, vérité et réconciliation.
42
de la cohésion sociale entre toutes les communautés vivant en Côte d’Ivoire ». Elle a pour
missions de « rechercher la vérité et situer les responsabilités sur les évènements
sociopolitiques nationaux passés et récents », entendre les victimes et obtenir la
reconnaissance des faits par les auteurs des violations incriminées selon une typologie des
violations des droits de l’Homme qu’elle aura elle même élaboré. À la fin de son mandat, elle
doit remettre un rapport assorti de recommandations au Président de la République sur
plusieurs points, tels que les moyens susceptibles de « contribuer à guérir les traumatismes
subis par les victimes », de contribuer à la cohésion sociale et l’unité nationale ou encore
lutter contre l’injustice157. Le mandat décrit par l’ordonnance comporte à ce titre des
imprécisions quant à sa mission réelle et quant aux moyens qui lui sont donnés pour la
remplir. On peut d’abord noter qu’elle n’a pas d’obligation de résultat et que la seule
obligation claire qu’elle a est de remettre, à l’issue de son mandat, un rapport au Président de
la République à qui revient la décision d’en prendre bonne note.
Comme le faisait remarquer Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut des Relations
Internationales et Stratégiques, au moment de la création de cette commission lors d’un
entretien pour Le Monde, « pour rester légitime, la Commission devrait donner d'ici à six mois
ses premières conclusions, en donnant publiquement la liste des crimes qu'elle a recensés158 ».
Or, elle achèvera son premier mandat à la fin du mois de septembre 2013 sans que l’on sache
encore s’il sera renouvelé, alors même que les commissions locales n’ont pas commencé leur
travail d’enquête. Avant tout chargée de préparer les ivoiriens à la réconciliation nationale,
celle ci a mis en place des plates formes de la société civile ainsi que 37 commissions locales
afin, dans un premier temps, de sensibiliser les populations à la réconciliation par le biais de
l’information et l’organisation de rencontres. Ces commissions locales se sont installées dans
les zones ayant connu des troubles, et à Abidjan, notamment dans les communes de Cocody-
Bingerville et de Yopougon159 où de nombreuses personnes des deux camps qui se sont
affrontés avaient trouvé la mort durant la crise. La période de sensibilisation et d’information
du public s’est achevée par un tout autre événement : une période de deuil et de purification.
Elle a par ailleurs été ponctuée d’évènements parallèles adoubés par la Commission. À titre
157 Ordonnance n°2011-167 du 13 juillet 2011 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de la commission dialogue, vérité et réconciliation. 158 Interview de Philippe Hugon pour LeMonde.fr mené par Charlotte Chabas, « Côte d’Ivoire : « il ne peut y avoir de réconciliation que si les deux parties reconnaissent leurs torts » », 29 septembre 2011, consulté le 15 décembre 2012, disponible sur : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/09/28/cote-d-ivoire-il-ne-peut-y-avoir-reconciliation-que-si-les-deux-parties-reconnaissent-leurs-torts_1578817_3212.html 159Actualité du site web de la CDVR, consulté le 27 janvier 2013, disponible sur : http://www.cdvr.ci/actualites/410-réconciliation-nationale-les-commissions-locales-de-la-cdvr-de-cocody-bingerville,-yopougon-i-et-ii-installées.html
43
d’exemple, une « caravane de la paix et de la réconciliation » 160 à l’initiative du
gouvernement, avait regroupé, le temps d’une tournée de deux semaines à travers le pays, des
chanteurs très populaires. Cette caravane menée par Tiken Jah Fakoly et Alpha Blondy,
célèbres chanteurs ivoiriens, avait pour objectif de faire passer un message de paix par la
musique afin que s’arrêtent les conflits et que la réconciliation puisse commencer.
« Attention ! Attention ! A toutes ces divisions ! Réconciliation ! Fils de la Côte d’Ivoire »,
chantait par exemple Tiken Jah Fakoly. La période de sensibilisation terminée, la prochaine
étape pour la CDVR sera celle de la recherche de la vérité par le biais des commissions
locales et des commissions spécialisées, dans le cadre des consultations nationales, qui a été
annoncée en juin 2013161. Alors même que le mandat de la CDVR touche à sa fin, les
auditions des victimes n’ont toujours pas eu lieu.
Parallèlement, un travail d’enquête a été mené par une seconde institution parajudiciaire mise
en place, elle aussi, par le gouvernement Ouattara à la suite du rapport de la Commission
d’enquête internationale162: la Commission nationale d’enquête (CNE). Celle-ci a pour
mission « d’enquêter sur les violations présumées des droits humains et du droit international
humanitaire perpétrées au cours de la crise postélectorale » 163. Mais elle ne dépend pas du
système judiciaire puisqu’elle est une commission administrative. Son rôle n’est donc pas
d’enquêter pour établir les responsabilités pénales individuelles. Cependant, Alassane
Ouattara avait déclaré que les personnes figurant dans le rapport devront faire l’objet d’une
enquête judiciaire. La CNE a rendu son rapport en août 2012, concluant que des crimes
avaient été commis par les deux camps164. La suite logique semble donc être celle de la
justice.
b. Les moyens judiciaires : la justice pénale
Alassane Ouattara a annoncé dès la fin de la crise postélectorale son engagement contre
l’impunité des crimes commis en Côte d’Ivoire durant la crise post- électorale par les deux
160 GROGA-BADA MALIKA., « Côte d’Ivoire : une caravane de la réconciliation et des polémiques », JeuneAfrique.com, 5 novembre 2012, consulté le 15 décembre 2012, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20121105101043/ 161 Human Rights Watch, « Transformer les discours en réalité- L’heure de réclamer des comptes pour les crimes internationaux graves perpétrés en Côte d’Ivoire », Avril 2013, 82 p. 162 La commission d’enquête internationale a été créée par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies à la demande du gouvernement de Ouattara en mars 2011. 163 Ibid. 164 Ibid.
44
camps165. Il a réitéré cet engagement à plusieurs reprises. La traduction de son engagement
s’est faite par l’exercice de poursuites pénales au niveau national et international.
Au niveau national, les conclusions de la CNE doivent, comme Alassane Ouattara l’avait
annoncé, amener les autorités judiciaires à mener des enquêtes sur les personnes suspectées
d’avoir commis des violations des droits de l’Homme durant la crise postélectorale.
Parallèlement à la CNE, une Cellule spéciale d’enquête a été mise en place. Mais cette cellule
spéciale est quant à elle une institution judiciaire. Rattachée au Tribunal de première instance
d’Abidjan, elle est chargée de mener des enquêtes judiciaires sur les évènements de la crise
postélectorale pour trois types d’infractions pénales : les atteintes à la sûreté de l’Etat, les
crimes économiques et les crimes de sang. Comme le souligne encore le rapport de Human
Rights Watch, «des progrès ont été réalisés sur la voie de l’obligation de rendre des
comptes »166. À la date de rédaction du rapport, « plus de 150 individus ont été inculpés de
crimes postélectoraux », tous pro-Gbagbo167.
Au niveau international, les moyens judiciaires utilisés se sont concrétisés par la réaffirmation
de l’acceptation de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI). En effet, les crimes
relevant de la compétence de la CPI commis en Côte d’Ivoire depuis le 19 septembre 2002 lui
avaient déjà été soumis par une déclaration de l’ancien président Laurent Gbagbo en 2003.
Alassane Ouattara n’a fait que confirmer l’acceptation de cette compétence en 2010 pour les
crimes commis depuis mars 2004. Finalement, il a requis que le cadre temporel de
compétence de la cour soit restreint aux crimes commis après le 28 novembre 2010, c’est-à-
dire seulement pour la dernière crise postélectorale. Mais les juges de la CPI ont décidé de ré-
élargir le champ de leur compétence aux crimes commis après le 19 septembre 2002, en se
basant sur la déclaration initiale faite par le président Gbagbo en 2003168. La Côte d’Ivoire a
procédé depuis à la ratification du Statut de Rome. Elle est donc tenue par l’ensemble des
obligations du Statut depuis le 1er mai 2013169. Entre temps, le gouvernement d’Alassane
Ouattara a répondu au mandat d’arrêt international émis à l’encontre du président sortant
Laurent Gbagbo le 23 novembre 2011. Laurent Gbagbo est emprisonné à La Haye pour
quatre chefs de crimes contre l’humanité dont il est accusé d’être le co-auteur indirect depuis
le 29 novembre 2011. L’audience de confirmation des charges s’est terminée le 28 février
165« Le gouvernement ivoirien promet à la CPI l’absence d’impunité », @[email protected], 30 juin 2011, consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://news.abidjan.net/h/402897.html 166 Human Rights Watch, « Transformer les discours en réalité- L’heure de réclamer des comptes pour les crimes internationaux graves perpétrés en Côte d’Ivoire », op.cit. 167 Ibid. 168 Ibid. 169 CPI, communiqué de presse, «La Côte d’Ivoire ratifie le Statut de Rome », 18 février 2013, consulté le 27 février 2013, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/press%20and%20media/press%20releases/Pages/pr873.aspx
45
2013170 et la Chambre préliminaire I, qui devait rendre son verdict au début du mois de juin
2013, a finalement décidé le 3 juin 2013 d’ajourner l’audience de confirmation des charges et
demandé à la procureure gambienne Fatou Bensouda d’apporter des preuves supplémentaires
et de mener de nouvelles enquêtes171. Parallèlement, un mandat d’arrêt international pour
quatre chefs de crimes contre l’humanité a été émis contre l’épouse de l’ancien président,
Simone Gbagbo, auquel le gouvernement ivoirien n’a pas encore répondu, alors que ce
mandat date du 29 février 2012. Elle est actuellement détenue en Côte d’Ivoire.
Si tout un arsenal de moyens a été mis en place par le gouvernement de Ouattara pour
répondre au besoin de justice, il reste encore des progrès à faire à ce niveau. La « Conférence
internationale sur l’impunité et la justice équitable » recommandée par l’Expert indépendant
des Nations Unies sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire qui s’est tenue les
21 et 23 février 2013 a abouti en ce sens à un certain nombre de recommandations adressées
aux acteurs impliqués dans le processus de réconciliation. Le gouvernement dit les avoir pris
en considération172 et il devrait y accorder une attention particulière aux vues des accusations
récurrentes de « justice des vainqueurs » qui constitue une entrave sérieuse à la réconciliation.
Cette question peut être étudiée au titre des limites de la réconciliation ivoirienne.
170 CPI, communiqué de presse, « Affaire Laurent Gbagbo: Clôture de l’audience de confirmation des charges aujourd’hui », 28 février 2013, consulté le 9 avril 2013, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/press%20and%20media/press%20releases/Pages/pr876.aspx 171 CPI, communiqué de presse « La chambre préliminaire I ajourne l’audience de confirmation des charges et demande au Procureur d’envisager d’apporter des éléments de preuves supplémentaires ou de procéder à de nouvelles enquêtes », 3 juin 2013, consulté le 10 juin 2013, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/press%20and%20media/press%20releases/Pages/pr915.aspx 172 Assemblée générale des Nations Unies, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène, 3 juin 2013, présenté devant le Conseil des Droits de l’Homme (23ème session), A/HRC/23/38.
46
DEUXIÈME PARTIE :
LIMITES DE LA RÉCONCILIATION
-
LA RÉCONCILIATION VUE PAR LES PARTISANS DE
LAURENT GBAGBO
47
L’observation des enjeux de réconciliation auxquels se trouve confrontée la Côte
d’Ivoire nous a permis d’identifier un problème majeur : celui de la confrontation constante
des grands acteurs de la vie politique ivoirienne depuis plus de vingt ans afin d’accéder au
poste de la présidence de la République, au prix de l’exacerbation des tensions ethno-
nationalistes au sein de la population et jusqu’à l’éclatement de la violence. Ce scénario s’est
répété jusqu’à la dernière crise postélectorale de 2010-2011. Depuis, même si on a pu
observer des efforts de réconciliation, il est impossible de nier que des problèmes profonds
continuent de miner le processus même de réconciliation. Au premier rang de ces difficultés
figure celle de la mise en place d’un dialogue constructif entre le gouvernement de Ouattara et
le « peuple de Gbagbo » 173. La question se pose de savoir quelles sont les raisons des
blocages politiques et des protestations qui persistent dans le camp de Laurent Gbagbo, deux
ans après la fin de la crise. Comme le notait Jean-Pierre Dozon en 2011, la défaite de Laurent
Gbagbo, son arrestation et celle de ses proches n’a pas mis fin aux problèmes de la Côte
d’Ivoire. Elle a surtout fait ressortir d’autres difficultés. En effet, ce peuple qui a soutenu
Laurent Gbagbo pendant ses dix années au pouvoir, voire depuis ses débuts en politique au
sein du FPI dans les années 1980, est toujours bien présent 174. Grands perdants de la dernière
crise, la réconciliation doit se faire avec ce « peuple » et sa participation conditionne
l’efficacité du processus. Or, force est de constater qu’une partie de « peuple » est réticent à
cette réconciliation et continue de s’opposer vigoureusement au gouvernement actuel. Depuis
l’arrestation de Laurent Gbagbo, beaucoup de personnes composant le « peuple de Gbagbo »
manifestent leur soutien inconditionnel à l’ancien président. La question se pose de savoir
pourquoi, car la compréhension du « peuple de Gbagbo » permettra à la Côte d’Ivoire de
mieux se réconcilier. C’est pourquoi, dans le cadre de cette étude, une dizaine d’entretiens a
été menée avec des ressortissants ivoiriens de la diaspora en France qui soutiennent Laurent
Gbagbo et qui sont souvent considérés comme l’aile la plus radicale du parti, afin de mieux
comprendre leur vision de la réconciliation. Ces entretiens ont permis de mettre en évidence
deux types de facteurs de blocage pour le « peuple de Gbagbo », qui doivent être pris en
considération au titre des limites de la réconciliation.
Mais il faut d’abord revenir plus en détails sur la terminologie, afin de souligner les
difficultés attenantes à la délimitation de ceux que l’on a choisi d’appeler ici le « peuple de
Gbagbo ». Qu’entend-on par « peuple de Gbagbo »? Ce qualificatif est apparu comme le plus
approprié à la définition des personnes appartenant au camp de Laurent Gbagbo. Il a été 173 Expression empruntée à DOZON JEAN-PIERRE, in DOZON JEAN-PIERRE, Les clefs de la crise ivoirienne, Karthala, 2011, Paris, 144 p. 174 DOZON JEAN-PIERRE, Les clefs de la crise ivoirienne, op.cit., p. 123.
48
préféré au terme « pro-Gbagbo », car ce dernier terme recoupe un périmètre plus restreint de
personnes et est souvent qualifié de réducteur par rapport à la réalité qui est plus complexe.
Cela révèle également les difficultés de définition et de délimitation de ce groupe dont les
frontières ne sont pas claires, du fait de la diversité des modalités de participation politique.
La participation politique, qui peut être définie comme l’« ensemble des activités,
individuelles ou collectives, susceptibles de donner aux gouvernés une influence sur le
fonctionnement du système politique »175, renvoie idéalement à l’exercice d’une citoyenneté
dynamique et réfléchie, mais également à une infime partie qui se mobilise activement pour la
politique. Ainsi, la participation politique est variable d’un individu à l’autre. On peut dresser
la liste des pratiques selon le degré d’implication et de participation de l’individu comme
suit :
- l’inscription sur les listes électorales, soit le degré zéro de la participation politique
- la recherche de l’information politique
- les discussions politiques avec l’entourage
- le vote
- la participation à une manifestation
- l’adhésion à un parti politique
- la participation à des meetings politiques
- la participation financière à une campagne électorale
- la participation active à une campagne électorale.176
Ce panorama des degrés de participation politique nous permet de mieux décomposer le
« peuple de Gbagbo ». Il y a d’abord les simples électeurs qui ont exercé leur droit de vote en
faveur de Laurent Gbagbo, principalement issus de la zone forestière de l’Ouest, du Sud-est et
de la Basse-Côte177, qui ont souvent adhéré à l’idéologie d’autochtonie du fait des problèmes
liés au domaine foncier et à la crise économique qu’ils ont subi de plein fouet. On peut
également trouver au sein de ses électeurs les populations issues du même groupe ethnique
que Laurent Gbagbo, issu de l’ethnie bété qui font partie du groupe krou, et qui sont
considérés comme les premiers occupants du Sud-Ouest178. L’appartenance ethnique reste
pour l’électeur le premier mode d’identification d’un candidat comme étant « son candidat ».
Une partie de ces électeurs s’est mobilisée lors de la campagne électorale de 2010 en
distribuant des tracts, en aidant à l’organisation de meetings, sans pour autant avoir leur carte
du parti. Ils peuvent être considérés comme des sympathisants du parti de l’ancien président. 175 BRAUD PHILIPPE, Sociologie politique (10ème édition), LGDJ, 2011, Paris, 788 p. 176 MEMMI DOMINIQUE, « L’engagement politique », in LECA JEAN et GRAWITZ MADELEINE, Traité de science politique (Tome 3), PUF, 1985, Paris, 713 p., p. 311-325, spéc. p. 328-329. 177 DOZON JEAN-PIERRE, Les clefs de la crise ivoirienne, op. cit., p. 123. 178 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, Armand Colin, 2011, Paris, 336 p., p. 31.
49
Il y a ensuite les adhérents au FPI, qui eux, ont leur carte de membre du parti, et qui ont eux
aussi activement participé à la campagne de 2010. Il y a enfin les cadres et responsables du
parti.
Au sein de l’ensemble que constitue le « peuple de Gbagbo », on peut encore distinguer ceux
qui sont sur le territoire et ceux qui sont à l’extérieur. On peut distinguer les déplacés et les
réfugiés du reste de ce « peuple ». Parmi les réfugiés, on peut également distinguer les
personnes proches de Laurent Gbagbo et de son régime, qui ont exercé des fonctions
politiques ou gouvernementales, des réfugiés qui étaient des électeurs, des militants ou
simplement des citoyens originaires d’ethnies assimilées « pro-Gbagbo » et qui ont fui du fait
de la violence généralisée durant la crise. On peut distinguer le FPI de l’intérieur et le FPI de
l’extérieur composé d’ivoiriens de la diaspora. La diaspora ivoirienne du FPI, qui représente
une part importante de ses soutiens, a activement participé à la campagne et s’intéresse à la
politique intérieure du pays. Cette diaspora ivoirienne, en particulier celle de France s’est faite
remarquer depuis la fin de la crise en organisant sans relâche des manifestations, des marches
de protestation à Paris ou à La Haye devant la Cour Pénale internationale, et en s’exprimant
au sein des réseaux sociaux pour dénoncer l’illégalité de l’accession au pouvoir d’Alassane
Ouattara et le complot entre la France et Alassane Ouattara contre Laurent Gbagbo.
En marge du « peuple de Gbagbo », les nombreux soutiens de l’ancien président, qui se sont
manifestés dès le début de la dernière crise et depuis son arrestation parmi les milieux
intellectuels et politiques français, notamment Guy Labertit, ami fidèle de Laurent Gbagbo
depuis son exil en France durant les années 1980, ou encore Jacques Vergès, célèbre avocat
français anticolonialiste, récemment décédé, et Roland Dumas. De même, dans le reste de
l’Afrique, Laurent Gbagbo a trouvé soutien parmi ceux qui dénoncent le néo-colonialisme
occidental sur le continent. Mais l’affiliation politique, le soutien à un régime, à un candidat
ne sont pas des caractères immuables de la personne et peuvent donc varier dans le temps.
Ainsi, en sens inverse, certains ont retiré leur soutien à Laurent Gbagbo…des électeurs déçus
de son comportement postélectoral, des militants rebutés par la faction la plus radicale des
soutiens de l’ancien président et qui a provoqué un blocage politique. Certains de ces
dissidents du FPI se sont détachés du parti pour faire cavalier seul en créant par exemple leur
propre parti politique, à l’instar de l’ancien président par intérim du FPI, Mamadou Koulibaly.
Les entretiens qui ont été menés avec des partisans de Laurent Gbagbo issus de la
diaspora ivoirienne en France ont permis de mettre en évidence deux types de facteurs de
blocage dans le processus de réconciliation pour le « peuple de Gbagbo », qui constituent les
limites de la réconciliation ivoirienne. Ces limites sont d’abord liées à la dénonciation d’une
50
« justice des vainqueurs » qui dénote d’un manque de confiance en la justice (sous-partie 1).
Elles sont ensuite des limites contextuelles attestant d’un manque de confiance envers le
gouvernement (sous-partie 2).
Sous- partie 1 :
Les limites liées à la « justice des vainqueurs » -
Du manque de confiance en la justice
L’existence d’une « justice des vainqueurs » est bien dénoncée (A) et celle-ci a des
conséquences sur la vie politique du pays (B).
A. De la dénonciation d’une « justice des vainqueurs »
La « justice des vainqueurs » se manifeste par des poursuites exercées uniquement
contre les partisans de Laurent Gbagbo (1) et par la mise en doute de la volonté de rétablir la
vérité (2).
1. Des poursuites uniquement contre les partisans de Laurent Gbagbo
Le camp de l’ancien président dénonce une « justice des vainqueurs » au niveau
national et au niveau international.
a. Au niveau national
Depuis la fin de la crise, seuls les partisans de l’ancien président ont été inquiétés par
la justice, alors que le président prône depuis le début de son mandat son engagement pour la
lutte contre l’impunité des crimes commis par les deux camps179. L’issue de la dernière crise
postélectorale a créé un rapport de vainqueurs à vaincus qui a en effet favorisé l’exercice
d’une « justice des vainqueurs », notamment parce qu’il n’a pas été possible de trouver un
compromis politique qui puisse équilibrer le rapport entre les deux camps. Le camp de
179 « Le gouvernement ivoirien promet à la CPI l’absence d’impunité », @[email protected], 30 juin 2011, consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://news.abidjan.net/h/402897.html
51
l’ancien président dénonce la justice partiale, les arrestations et détentions arbitraires ou
encore les conditions de détention.
La dénonciation d’une « justice des vainqueurs » en Côte d’Ivoire est relayée par de
nombreuses ONG défendant les droits de l’Homme, telles qu’Amnesty International180 et
Human Rights Watch181. De même, l’expert indépendant des Nations Unies sur la situation
des droits d’Homme en Côte d’Ivoire vient conforter ces allégations. Selon lui, « les diverses
arrestations qui ont été effectuées suite à la crise postélectorale continuent de donner
l’impression d’une justice à double vitesse »182. Dans le camp Ouattara, aucun des individus
soupçonnés d’avoir commis des crimes graves durant la crise postélectorale n’ont jusqu’alors
fait l’objet d’arrestations, de sanctions ou de relèvement de leur fonction. Seul le chef milicien
Amadé Ouérémi a fait l’objet d’une arrestation et ce de manière très tardive183, alors que dans
le camp de Laurent Gbagbo, de nombreuses arrestations de partisans avérés ou présumés de
l’ancien président ont eu lieu depuis la fin de la crise, pour des crimes graves commis durant
la crise postélectorale. Par ailleurs, les arrestations se sont multipliées pour des motifs
sécuritaires douteux de tentatives de déstabilisation du gouvernement actuel 184 . Ces
arrestations ont été entachées de nombreuses irrégularités, tout comme les conditions de
détention. Elles ont pour la plupart d’entre elles été menées par les FRCI ou la police militaire
sans mandat légal ou en outrepassant leur mandat, et les maintiennent arbitrairement en
détention, sans qu’aucun droits ne leur soient reconnus et subissant des actes de tortures et des
mauvais traitements. Comme l’a noté l’expert indépendant des Nations Unies, «la tendance
qui consiste à arrêter et à libérer ultérieurement des individus sur l’accusation générique
d’atteinte à la sûreté de l’Etat est de nature à décrédibiliser les autorités»185. Si Alassane
Ouattara a longtemps dit qu’il n’arrivait pas à reprendre le contrôle sur les FRCI et la police
militaire, les autorités judiciaires n’ont quant à elles toujours pas ouvert d’enquêtes suite aux
allégations d’arrestations, de détentions arbitraires et de tortures. De nombreuses arrestations
180 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise postélectorale », Mars 2013, 86 p. ; Amnesty International, « Côte d’Ivoire. « C’est comme si rien ne s’était passé ici ». Un an après l’attaque du camp de Nahibly, la justice se fait toujours attendre », juillet 2013, 29 p. 181 Human Rights Watch, « Transformer les discours en réalité- L’heure de réclamer des comptes pour les crimes internationaux graves perpétrés en Côte d’Ivoire », Avril 2013, 82 p. 182 Assemblée générale des Nations Unies, « Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène », 3 juin 2013, présenté devant le Conseil des Droits de l’Homme (23ème session), A/HRC/23/38. 183 La presse a relayé l’arrestation du chef milicien Amadé Ouérémi le 18 mai 2013. In « Arrestation d’un chef de milice pro-Ouattara à Duékoué », France24.fr, 19 mai 2013, consulté le 7 septembre 2013, disponible sur : http://www.france24.com/fr/20130519-arrestation-chef-milice-ouest-cote-ivoire-amade-oueremi-gbagbo-ouattara-duekue 184 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise postélectorale », op.cit. 185 Assemblée générale des Nations Unies, « Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène », op. cit.
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ont été justifiées par des motifs politiques et ethniques du fait de leur appartenance ou leur
sympathie pour le parti de Laurent Gbagbo, ou bien du fait de l’appartenance à une ethnie
présumée acquise à Laurent Gbagbo186.
Quant aux partisans de Laurent Gbagbo détenus dans le Nord du pays et qui font l’objet d’une
enquête judiciaire, l’espoir d’avoir un procès équitable et respectueux des droits de la défense
reste mince pour le moment. La quasi-totalité de l’instruction des dossiers se fait à charge et
se trouve marquée par une lenteur qu’Alassane Ouattara ne peut plus justifier, alors que les
personnes sont détenues sans procès depuis plus de deux ans. Au delà de cette lenteur, les
inculpations en elles même font l’objet de sérieux doutes quant à leur impartialité puisqu’il
leur a clairement été reproché lors des auditions d’avoir été fidèles à Laurent Gbagbo jusqu’à
la fin. L’absence d’indépendance et d’impartialité des juges dans les poursuites pour les
crimes commis durant la crise postélectorale pose un réel problème de confiance envers
l’appareil judiciaire. Le doute pèse également sur l’impartialité de la CNE dont le résumé du
rapport, seul document rendu public après que le rapport complet ait été remis au président de
la République le 8 mai 2012, ne cite que brièvement les évènements ayant conduit à des
crimes graves soupçonnés d’être attribués au FRCI et au Dozos, alors qu’il détaille ceux
attribués aux milices pro-Gbagbo187.
b. Au niveau international
Mais c’est surtout l’emprisonnement de Laurent Gbagbo à La Haye et les charges qui
pèsent contre lui à la CPI qui font ressortir un profond sentiment d’injustice chez les militants
qui le soutiennent. Tous considèrent que les charges qui pèsent contre lui ne répondent à
aucune logique juridique et qu’il s’agit d’une décision fondamentalement politique dont les
puissances occidentales sont les premières responsables. Certains considèrent le transfert de
Gbagbo à la CPI comme une « déportation » 188, en comparant ce qui lui arrive au sort qu’ont
connu des héros qui ont résisté à la colonisation de l’Afrique, à l’instar de Samory Touré189. Il
est vrai que l’ajournement de l’audience de confirmation des charges a ouvert de sérieux
doutes sur ce procès puisqu’en deux ans, la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, n’a pas
réussi à réunir les preuves suffisantes afin que les charges soient confirmées. La crédibilité de
la Procureure est largement entachée. L’épisode de la vidéo d’incidents ayant eu lieu au
186 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit. 187 Ibid. 188 Entretien n°7, annexe n°8 ; Entretien n°8, annexe n°9. 189 Samory Touré (1830-1900), fondateur de l’empire Wassoulou, a résisté à la pénétration de la France en Afrique de l’Ouest puis à la colonisation. Il fut envoyé par le colonisateur français en exil au Gabon.
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Kenya ajoutée par la procureure comme preuve d’un massacre dans le quartier de Yopougon à
Abidjan en 2011 a suscité l’indignation des défenseurs de Laurent Gbagbo190. Ensuite, le fait
que le camp de Ouattara n’ait pas encore été inquiété, alors que de nombreuses personnes sont
également soupçonnées d’avoir commis les mêmes types de crimes que ceux dont est accusé
Laurent Gbagbo, renforce l’idée que l’affaire est politique. Au premier rang des personnes
visées figure Guillaume Soro, ancien chef rebelle des Forces Nouvelles, devenu Premier
ministre sous Gbagbo après les accords de Ouagadougou, puis Premier ministre sous Ouattara
et désormais Président de l’Assemblée nationale ivoirienne, et de nombreux chefs de guerre
tels qu’Ousmane Coulibaly autrement surnommé « Ben Laden ». Au delà des camps Gbagbo
et Ouattara, c’est également la France qui est visée par les partisans de l’ancien président. Le
ressentiment vis-à-vis de la France est fort et pour eux, sa responsabilité devrait également
être engagée pour certains évènements survenus en Côte d’Ivoire, par exemple, l’épisode de
l’Hôtel Ivoire en 2004 et l’attaque du Palais présidentiel en 2011, durant lesquels elle a été en
première ligne191.
Si l’ajournement de l’audience de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo a été
considéré comme une première victoire, le maintien en détention provisoire de Laurent
Gbagbo a encore ajouté au ressentiment de procès politique. Comme le dit Guy Labertit, on
peut analyser ce report comme un moyen de préparer en douceur l’abandon des charges et de
ne pas créer un séisme politique qui vienne raviver les violences par l’émulation qu’elle aurait
provoquée chez les Ivoiriens dans les deux camps192. Le refus de mise en liberté provisoire
peut se justifier de la même façon. La Cour a considéré que le large réseau bien organisé et les
soutiens politiques dont bénéficie Laurent Gbagbo à l’intérieur comme à l’extérieur de la Côte
d’Ivoire laissait courir un risque qu’il s’échappe, qu’il fasse obstruction aux enquêtes ou qu’il
continue à commettre des crimes relevant de la compétence de la Cour. Elle a de plus
considéré que Laurent Gbagbo pouvait avoir accès à un soutien financier de la part de ses
partisans qui pourraient lui permettre de s’échapper193. Au delà des arguments développés par
la Cour, une acceptation de la libération provisoire aurait provoqué quasiment les mêmes
effets qu’un abandon des charges, c’est-à-dire, un séisme politique.
En définitif, le procès de Laurent Gbagbo n’a fait que confirmer l’hostilité naturelle qu’ont les
militants du FPI et autres sympathisants de Laurent Gbagbo vis-à-vis de la CPI, au nom des
190 Entretien n° 11 avec Guy Labertit, ancien responsable du Parti Socialiste Français et ami de Laurent Gbagbo, annexe n° 12. 191 Entretien n°9, annexe n°10. 192 Entretien n° 11 avec Guy Labertit, ancien responsable du Parti Socialiste Français et ami de Laurent Gbagbo, annexe n° 12 193 CPI, Chambre préliminaire I, Le procureur contre Laurent Gbagbo - Troisième décision sur la révision de la détention de Laurent Gbagbo en vertu de l’article 60(3) du Statut de Rome, 11 juillet 2013, ICC-02/11-01/11.
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valeurs anti néo-colonialistes dont ils se réclament. Ils considèrent la CPI comme l’outil par
excellence de la « justice des blancs » destiné à maintenir leur contrôle sur l’Afrique. De fait,
il est vrai qu’aucun « blanc » n’a jamais été inquiété par la CPI. Même si le bureau du
procureur examine la situation de la Colombie, de l'Afghanistan, de la Géorgie et du
Honduras, aucune affaire n'a été ouverte dans ces pays. Les huit enquêtes en cours ne
concernent que le continent africain, et les cinq détenus de la CPI sont tous des Africains194.
Des critiques peuvent être émises à juste titre contre la CPI, qui devrait ouvrir des enquêtes
sur d’autres continents pour gagner en crédibilité vis-à-vis des Africains. Mais, comme le note
Pascal Airault195, dans l’affaire Gbagbo, la décision des juges de la CPI atteste d’une plus
grande indépendance qu’il n’y paraît, face à une coalition d’intérêts politiques par les grandes
puissances occidentales dont la procureure Fatou Bensouda serait le bras armé, puisqu’ils
n’ont pas confirmé les charges pour le moment, quitte à remuer les critiques vis-à-vis de sa
procureure196.
Les prochaines étapes du « procès Gbagbo » à la CPI seront décisives pour la réconciliation
en Côte d’Ivoire et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, dans l’hypothèse d’une
confirmation des charges qui mènerait alors au procès, on peut aisément s’attendre à ce que
les personnes qui le supportent activement aujourd’hui se mobilisent, tout comme le reste de
« son peuple », discret aujourd’hui, mais qui continue de subir chaque jour les conséquences
de la défaite de leur leader et qui le vivent comme une injustice. Il en sera de même en cas de
condamnation. On peut alors prédire de nouvelles violences qui éloigneraient la Côte d’Ivoire
de la réconciliation. Dans l’hypothèse d’un abandon des charges, comme nous l’avons évoqué
plus haut, l’émulation que cela provoquerait au sein de la population ivoirienne pourrait
également remettre en cause le relatif calme retrouvé, car d’une part, les plus fervents soutiens
de Laurent Gbagbo célèbreraient la victoire tant espérée, mais d’autre part un nouveau
sentiment d’injustice pourrait naître chez les victimes. La question de savoir si la libération et
l’abandon des charges contre Laurent Gbagbo favoriserait le processus de réconciliation a
donc une réponse moins évidente qu’il n’y paraît, même si les entretiens menés avec ses
partisans ont fait ressortir qu’une libération et un abandon des charges favoriserait
l’acceptation du processus de réconciliation proposé par Alassane Ouattara par eux-mêmes et
par l’ensemble du peuple ivoirien. Le destin de la Côte d’Ivoire reste pour eux foncièrement
lié au destin de Laurent Gbagbo, et certains n’envisagent même aucune réconciliation 194 AIRAULT PASCAL, « Côte d’Ivoire-CPI : Gbagbo ou le bénéfice du doute», JeuneAfrique.com, 14 juin 2013, consulté le 16 juin 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2735p010-012.xml0/ 195 Pascal Airault est journaliste à Jeune Afrique et spécialiste de la Côte d’Ivoire. 196 AIRAULT PASCAL, « Côte d’Ivoire-CPI : Gbagbo ou le bénéfice du doute», op. cit.
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possible sans lui197. Le culte de la personnalité de l’ancien président- dénoncé par certains qui
se sont d’ailleurs éloignés du FPI pour cette raison- est toujours très présent chez de
nombreux militants, et notamment chez les plus radicaux, qui n’envisagent aucun avenir à la
Côte d’Ivoire sans Laurent Gbagbo, et a fortiori aucun avenir au FPI198. La question de
l’avenir de Laurent Gbagbo est étroitement liée à celui du FPI. Et pourtant, la majorité des
personnes interviewées, principalement les militants du FPI de longue date, pense que le parti
doit poursuivre son combat sans Gbagbo, et affirme avoir adhéré au FPI pour les valeurs et les
idées que porte le parti. Ils souhaitent continuer à défendre son existence, conformément aux
instructions que Gbagbo avait données aux militants lors de son arrestation. Cela révèle
d’importantes divergences d’opinion et de vision de l’avenir entre la frange la plus radicale
des soutiens de Gbagbo, et le FPI dont la direction semblerait plus encline à aller de l’avant
mais se retrouve bloquée par des éléments plus radicaux.
2. Des doutes émis quant à la volonté de rétablir la vérité
Les doutes émis quant à la volonté du gouvernement de rétablir la vérité sont nés de son
refus de l’amnistie (a) et du manque d’efficacité de la CDVR (b).
a. De la mise en cause du refus d’amnistier
Si Alassane Ouattara n’a eu de cesse de répéter son engagement contre l’impunité en Côte
d’Ivoire, il n’a cependant pas exclu de reparler de la question du vote d’une loi d’amnistie
après que l’ensemble des personnes aient été jugées, donc au stade de l’exécution des peines.
Du côté des partisans de Laurent Gbagbo, la décision d’Alassane Ouattara d’exercer des
poursuites contre les personnes ayant commis des crimes graves durant la crise postélectorale
est largement dénoncée. Mais si la position officielle du FPI est de demander une amnistie
générale, comme l’avait fait Laurent Gbagbo à la suite du coup d’Etat de 2002 et des Accords
de Marcoussis199, les rencontres avec les partisans ont révélé des réponses plus nuancées sur
cette question.
D’abord, il est ressorti des entretiens le débat traditionnel sur l’incompatibilité entre l’objectif
punitif de la justice pénale et l’objectif de vérité. Cette incompatibilité minerait le processus
197 Entretien n°2, annexe n°3 ; Entretien n°4, annexe n°5. 198 Entretien n°4, annexe n°5; Entretien n°8, annexe n°9. 199 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op. cit., p. 131.
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de réconciliation ivoirien200. La recherche de la vérité serait incompatible avec des poursuites
pénales puisque le risque de se voir appliquer une sanction pénale n’inciterait pas à dévoiler la
vérité sur les crimes graves qui ont été commis. La crainte de la sanction empêcherait à la
personne soupçonnée d’avoir commis des crimes et à certains témoins de parler. Dans le
contexte d’une politique de réconciliation, la justice pénale ferait obstruction au
rétablissement de la vérité et serait contradictoire avec l’objectif même de réconciliation.
Plusieurs des personnes interrogées ont évoqué l’exemple de la réconciliation sud-africaine
qui constitue pour eux une réussite dont la Côte d’Ivoire devrait s’inspirer, notamment sur le
choix de l’amnistie201. En effet, la Truth and Reconciliation Commission (TRC) accordait
l’amnistie aux responsables des crimes politiques sous condition de la révélation de la
vérité202.
En réalité, la justice punitive et les commissions de vérité, sont souvent complémentaires dans
le cadre d’une politique de réconciliation. Ce sont des approches combinées qui sont souvent
retenues203, car l’une et l’autre ne se suffisent pas à elle même pour atteindre l’objectif de
réconciliation. La justice participe certes du processus de réconciliation mais elle n’est pas
suffisante. Elle contribue à l’établissement des faits et à l’identification des victimes et des
coupables mais sa seule finalité est de juger afin de rétablir le droit et les normes, alors qu’une
politique de réconciliation nécessite de surcroit de reconnaître les victimes, d’honorer la
mémoire, de travailler sur la non répétition, et enfin, de s’adonner à sa mission première :
réconcilier. Cependant, la justice est le seul moyen qui permette de faire que les crimes
commis ne restent pas impunis. La justice n’est donc pas incompatible avec la recherche de la
vérité. Au contraire, le plus souvent, elle y contribue et n’a pas besoin que l’auteur du crime
reconnaisse ses fautes puisque c’est elle qui se chargera de l’établir. L’établissement de la
faute se confond dès lors avec l’établissement d’une vérité individuelle et contribue à
l’établissement d’une vérité historique. Il ne semble donc y avoir aucune incompatibilité entre
justice et vérité au sens où l’entendent les partisans de Laurent Gbagbo.
Certes, on a pu observer par le passé que les commissions de vérité pouvaient représenter une
forme de justice alternative se substituant aux poursuites204. Par exemple, lors des transitions
vers la paix et la démocratie en Amérique latine dans les années 1980, il est vrai que des 200 Entretien n° 11 avec Guy Labertit, ancien responsable du Parti Socialiste Français et ami de Laurent Gbagbo, annexe n° 12 201 Entretien n°7, annexe n°8. 202 LEFRANC SANDRINE, « Les commissions de vérité : une alternative au droit ? », Droit et cultures, 2008/2,
n°56, p. 129-145 ; ROSS AMY, LACHARTRE BRIGITTE, « Les politique de vérité ou la vérité sur les politiques –
Amérique Latine et Afrique du Sud : Leçons d’expériences », Politique africaine, 2003/4, n°92, pp. 18-38. 203 HARTMANN FLORENCE, « Juger et pardonner des violences d’Etat : deux pratiques opposées ou complémentaires ? », Revue Internationale et Stratégique, hiver 2012, n° 88, p. 67-80. 204 LEFRANC SANDRINE, « Les commissions de vérité : une alternative au droit ? », op.cit.
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amnisties ont été décidées et que des commissions de vérité se sont substituées aux poursuites
pénales. Mais il s’agissait moins d’un réel choix ou d’une incompatibilité entre poursuites
pénales et recherche de la vérité, que d’un compromis politique. Les compromis politiques
entre les gouvernements dictatoriaux sortants et les gouvernements de transition démocratique
ont la plupart du temps rendu nécessaire l’abandon des poursuites judiciaires contre les
premiers et le vote d’une loi d’amnistie. Les anciens dirigeants étaient souvent encore
protégés par des accords politiques, des clauses constitutionnelles, des ressources
économiques ou par leur légitimité subsistante auprès des populations, faisant planer une
certaine menace sur la stabilité des régimes de transition démocratique205. Une autre raison
peut justifier le choix de l’amnistie par un gouvernement de transition démocratique, qui se
trouve moins dans l’impuissance du nouveau pouvoir que dans l’indisponibilité de la
justice206. Il faut donc là aussi remettre dans leur contexte chaque décision d’amnistier. En
Côte d’ivoire, cette indisponibilité de la justice a été observée juste après la crise et
l’observation est encore valable, même si des progrès ont été notés. Cette indisponibilité de la
justice résulte de l’inadaptation du droit rendant certaines poursuites impossibles, en raison de
l’absence d’incrimination par le droit, ou rendant certaines poursuites peu respectueuses des
droits de l’Homme de par les disfonctionnements structurels de la justice. Elle résulte
également du manque d’indépendance des autorités judiciaires vis-à-vis du nouveau
gouvernement, renforçant l’indignation face à une « justice des vainqueurs ». Les réformes du
système judiciaire sont donc nécessaires pour envisager de poursuivre l’ensemble des
personnes qui ont commis des crimes graves. Or, c’est bien cet argument qui ressort chez les
partisans de Laurent Gbagbo qui plaident en faveur d’une amnistie générale. Dès lors, cette
demande d’amnistie est moins liée à une volonté d’abandon des poursuites qu’au fait que
seuls les partisans de l’ancien président sont poursuivis. En effet, près de la moitié des
personnes interrogées ont clairement exprimé leur rejet de l’impunité207. Ils considèrent que
tout le monde doit être jugé au même titre, si des exactions ont été commises par les deux
camps, afin de rendre justice aux victimes et à leur famille et afin d’éviter la répétition de ces
crimes. La demande d’amnistie générale intervient donc parce qu’actuellement, la justice
ivoirienne révèle des dysfonctionnements et une partialité flagrante.
Quant à l’évocation de l’exemplarité de l’amnistie sud-africaine, cette dernière doit être
remise dans son propre contexte et d’ailleurs, le choix de l’amnistie conditionnelle208 a fait
l’objet de nombreuses critiques. La distinction entre crime « pour motif politique » et crime
205 Ibid. 206 Ibid. 207 Entretien n°1, annexe n°2 ; Entretien n°4, annexe n°5; Entretien n°6, annexe n°7 ; Entretien n°9, annexe n°10. 208 LEFRANC SANDRINE, Politiques du Pardon, PUF, 2002, Paris, 368 p., p. 57-58.
58
« pour motif criminel », rendant les seuls « acte(s) lié(s) à un objectif politique » amnistiables
a des frontières qui sont sujettes à débats209. Cette distinction a été très difficile à appliquer.
De plus, elle n’était pas une amnistie générale comme le demandent les partisans de Laurent
Gbagbo, mais une amnistie au cas par cas. Mais surtout, si l’on peut toujours trouver des
points communs à ces deux situations, il reste que l’Apartheid était un contexte aussi
particulier que celui de la Côte d’Ivoire, et comparables en peu de choses.
Le refus de l’amnistie par le gouvernement Ouattara irait contre la bonne volonté de
réconcilier, et il ferait obstruction au rétablissement de la vérité, alors que la CDVR manque
elle même d’efficacité.
b. De l’inefficacité de la CDVR
De nombreuses critiques ont été émises contre la CDVR par les partisans de Laurent
Gbagbo. Mais ces critiques ne portent pas sur l’existence de cet instrument. En effet,
reprenant l’exemple de la TRC, les partisans de Laurent Gbagbo semblent adhérer à la mise
en place de ce type d’instruments. Le choix de l’exemple de la TRC n’est pas surprenant,
parce qu’elle reste l’une des commissions de vérité les plus connues et notamment en Afrique,
mais aussi parce que son travail a été fortement médiatisé. La tenue des auditions en public a
marqué les esprits. Les témoignages percutants des victimes et l’écoute empathique de la
souffrance, lui ont souvent valu les surnoms de « tribunal des larmes » ou de « Commission
Kleenex ». Le célèbre archevêque Desmond Tutu, président de la TRC ainsi que les autres
chefs religieux présents durant les auditions appelaient à la prière, allumaient des bougies
mémorielles ou encore chantaient des hymnes symboliques. Ils laissaient donc une place
importante au rite et à la dimension religieuse, afin de permettre le deuil et la catharsis210. Or,
de nombreux partisans de Laurent Gbagbo se reconnaissent dans le type de pratiques
employées par la TRC, en ce qui concerne d’abord la place donnée au rite dont on connaît
l’importance au sein de la religion chrétienne et au sein de l’Eglise évangéliste, religion
épousée par l’ancien couple présidentiel, en particulier par Simone Gbagbo et par beaucoup
de ses partisans. De plus, la position dans laquelle choisissent de se situer beaucoup de
partisans de Laurent Gbagbo est celle de victime, que l’on peut rapprocher de celle de
martyre. Les évangélistes n’ont d’ailleurs pas hésité à qualifier le couple présidentiel de
martyres chrétiens après leur arrestation.
209 SIMPSON GRAEME, « Amnistie et crime en Afrique du Sud après la Commission « Vérité et réconciliation », Cahiers d’études africaines, 2004, n°173-174, p. 99- 126. ; LEFRANC SANDRINE, Politiques du Pardon, op.cit., p. 64-73. 210 LEFRANC SANDRINE, Politiques du Pardon, op.cit., p. 60-64.
59
Les critiques faites à la CDVR portent donc surtout sur son fonctionnement et sur le travail
qu’elle a accompli depuis sa création. Les partisans de Laurent Gbagbo ne semblent accorder
aucun crédit ni aucune confiance à cette institution. Ils la qualifient tous sans exception
d’instrument de réconciliation de façade. Guy Labertit, par exemple, a qualifié cette
institution de « CaDaVRe » qui est « morte née »211 ! Premièrement, parce que pour les
partisans de Laurent Gbagbo, l’exercice des poursuites contre des personnes de leur camp est
contradictoire avec l’idée même de réconciliation pour laquelle cette institution a été créée.
On en revient ici à l’idée développée plus haut de l’incompatibilité entre d’un côté, l’exercice
de poursuites pénales et de l’autre côté, le rétablissement de la vérité et la réconciliation,
argument dont nous avons déjà mis en avant les limites. L’action de la CDVR est donc court-
circuitée par l’exercice des poursuites pénales.
Une seconde critique émanait concernant son caractère impartial. Même si cette commission
est une autorité administrative indépendance, sa composition est telle qu’elle ne pourrait
exercer son travail en toute impartialité, puisqu’un seul membre du FPI a été nommé au titre
de commissaire central. Le choix des commissaires centraux a été fait pour qu’il y ait un
représentant de chaque région, donc selon un découpage géographique, préféré au découpage
selon l’affiliation partisane. Le président, Charles Konan Banny, ancien premier ministre, est
membre du PDCI et fait donc partie de la majorité au pouvoir du fait de l’alliance du RHDP.
Le seul commissaire central affilié au FPI est l’universitaire Sery Bailly, représentant de la
région de l’Ouest. Le choix des membres selon un découpage territorial aurait engendré une
composition non équilibrée et en faveur du gouvernement actuel. Mais si un seul des
membres est affilié au FPI, cela signifie-t-il pour autant que les autres membres de la CDVR
sont forcément du côté d’Alassane Ouattara, et quand bien même, cela signifie-t-il que ces
membres manqueraient automatiquement, du fait de leur affiliation politique, à leur devoir
d’impartialité? Nous n’avons que peu de moyens de vérification de l’impartialité des
membres de la commission, puisque son action a été jusqu’à aujourd’hui très limitée.
Une autre critique a été celle de la mise à disposition de moyens financiers insuffisants pour
accomplir sa mission et qui aurait contribué à la lenteur de l’avancée des travaux de la
commission, puisque son mandat s’achèvera en septembre 2013 alors que les auditions des
victimes n’ont pas encore eu lieu. Le gouvernement n’a doté la CDVR que de 2,5 milliards de
francs CFA par an, alors que le nouveau Programme National de Cohésion Sociale (PNCS),
considéré comme l’institution gouvernementale programmant l’extinction en douceur de la
CDVR, a été doté de 7 milliards de francs CFA. S’il est vrai que les retards conséquents des
211 Entretien n° 11 avec Guy Labertit, ancien responsable du Parti Socialiste Français et ami de Laurent Gbagbo, annexe n° 12
60
travaux de la CDVR sont liés à des moyens financiers insuffisants mis à sa disposition, alors
le gouvernement devrait se justifier sur cette décision pour éteindre les rumeurs. Il en est de
même concernant les accusations portées contre lui de vouloir court-circuiter l’action de la
CDVR avec le PNCS. En effet, ce programme, qui a été officiellement lancé en mai 2013, a
des missions qui, de prime abord, semblent se confondre avec celles de la CDVR. Même si la
responsable et coordonnatrice du programme, Mariétou Koné, a déclaré que son programme
ne venait pas remplacer la CDVR mais bien la renforcer et la compléter pour instaurer une
« paix durable » par des projets de solidarité et des actions de développement, elle a dans le
même temps affirmé que son programme était en capacité de reprendre à son compte le travail
de la CDVR si son mandat n’était pas renouvelé212. Dans d’autres interviews, elle déclare que
le PNCS a principalement pour mission de coordonner l’ensemble des actions en faveur de la
cohésion sociale, comprenant également les activités de la CDVR…en définitif rien n’est
clair…Voyant ses apparitions publiques auprès de la population ainsi que les annonces de
partenariats se multiplier alors que la CDVR fait preuve d’une grande discrétion, cela jette
donc un flou sur le rôle de chacun et vient conforter les critiques émises par le FPI concernant
l’absence de volonté du gouvernement de donner les moyens à la CDVR de faire son travail
de vérité et de l’évincer quelques mois avant la fin de son mandat, au profit de cette nouvelle
institution dirigée et coordonnée par le gouvernement. Dans son rapport sur la situation des
droits de l’Homme en Côte d’Ivoire213, l’expert indépendant des Nations Unies a d’ailleurs
recommandé au gouvernement ivoirien de clarifier les mandats respectifs de la CDVR et de
ce programme, et de veiller à la coordination de leurs activités et moyens.
La CDVR manque donc de légitimité à la base et son inefficacité n’a rien fait pour
contrecarrer cette première faiblesse. La volonté de rétablissement de la vérité est mise en
doute au même titre qu’est dénoncée la « justice des vainqueurs », emportant des
conséquences bien visibles sur la vie politique ivoirienne.
B. Des conséquences de la « justice des vainqueurs » sur la vie politique
Dénonçant une « justice des vainqueurs », les partisans de Laurent Gbagbo posent des
conditions à la reprise du dialogue politique et à la participation au processus de réconciliation
(1) et ont jusqu’à présent boycotté les élections (2).
212 Interview de Mariétou Koné pour Jeune Afrique : « Mariétou Koné : « l’Ivoirien doit penser Côte d’Ivoire avant tout » », jeuneafrique.com, 14 juin 2013, consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130614140747/laurent-gbagbo-alassane-ouattara-reconciliation-nationale-cote-d-ivoiremariatou-kone-l-ivoirien-doit-penser-cote-d-ivoire-avant-tout.html 213 Assemblée générale des Nations Unies, « Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène », op.cit.
61
1. Des conditions posées à la reprise du dialogue politique et à la participation au processus de réconciliation
Les partisans de Laurent Gbagbo demandent la libération de l’ensemble des personnes
de leur camp. Ils dénombrent près de 700 partisans 214 de Laurent Gbagbo qui sont
emprisonnés et qu’ils considèrent comme des « prisonniers politiques »215. Leur libération
constitue la condition impérative d’une éventuelle reprise du dialogue et de la participation
active au processus de réconciliation. Mais les entretiens menées depuis Paris ont révélé deux
tendances. Alors que certains n’envisagent de participation à l’effort de réconciliation
nationale qu’à la condition que tous les prisonniers politiques soient libérés, d’autres sont plus
nuancés et demandent un « effort », un pas en avant, de la part du gouvernement, c’est-à-dire
la libération de certains des prisonniers afin d’apaiser le climat de tensions. Un des militants
du FPI interviewé disait en ce sens que la demande de libération des prisonniers politiques
doit être raisonnable et acceptable par le gouvernement216.
La pratique d’une justice des vainqueurs reste l’un des points de crispation principal qui mine
l’avancée du processus de réconciliation. Le gouvernement de Ouattara, qui a été miné par les
critiques à ce sujet, semble avoir fait un pas en avant au cours des derniers mois, puisque la
justice ivoirienne a prononcé la libération provisoire de quatorze proches de l’ancien président
le 5 août dernier217, et non des moindres puisqu’il s’agissait de son fils, Michel Gbagbo, du
président du FPI, Pascal Affi N’Guessan, de plusieurs cadres du FPI, ministres et députés, et
du secrétaire général des Jeunesses du Front Populaire Ivoirien, Justin Koua, dont l’arrestation
avait été l’objet de vives polémiques en juin dernier218. Ainsi, Alassane Ouattara a fait un pas
en avant qui laisse planer l’espoir d’un apaisement des relations avec le FPI et pourrait
214 KPATINDE FRANCIS, « Le Front populaire ivoirien affirme compter près de 670 partisans détenus en Côte d’Ivoire », rfi.fr, 12 avril 2013, consulté le 29 avril 2013, disponible sur : http://www.rfi.fr/afrique/20130412-cote-ivoire-rapport-fpi-situation-detenus
215 « 704 prisonniers politiques encore détenus dans les geôles du régime Ouattara », Notre voie, ivoirebusiness.net, 9 août 2013, consulté le 10 septembre 2013, disponible sur : http://www.ivoirebusiness.net/?q=articles/malgr%C3%A9-la-lib%C3%A9ration-de-12-pro-gbagbo-704-prisonniers-politiques-encore-d%C3%A9tenus 216 Entretien n°1, annexe n°2. 217 BAUDELAIRE MIEU, « Pascal Affi N’Guessan, président du FPI, et Michel Gbagbo remis en liberté provisoire », jeuneafrique.fr, 5 août 2013, consulté le 5 août 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130805152510/ 218 La liste complète des personnes mises en liberté provisoire le 5 août 2013(source interne du FPI) : Affi N’Guessan Pascal (Président du FPI et directeur de campagne de Laurent Gbagbo) ; Gbagbo Michel (fils de Laurent Gbagbo) ; Lida Kouassi Moïse (Ministre) ; Dacoury-Tabley Phillipe Henri (gouverneur de la BCEAO) ; Djedje Alcide (Ministre des Affaires étrangères) ; Obodji Séka (Directeur général du Centre Régional des Oeuvres Universitaires d’Abidjan) ; Sokouri Bohui Martin (député) ; Bro-Grebe Geneviève (présidente des Femmes patriotes) ; Kuyo Tea Narcisse (Chef de cabinet) ; Douati Alphonse (Secrétaire adjoint du FPI) ; Koua Justin (Secrétaire général des Jeunesses du FPI) ; Sangare Aboudramane (1er vice Président du FPI) ; Djro Nomel ; Konandi Kouakou (Colonel).
62
permettre une reprise du dialogue politique. Cela constituerait donc un pas en avant pour la
réconciliation. Mais, si le FPI a déclaré à la suite de ces libérations qu’il s’agissait en effet
d’une avancée, de nombreux partisans de l’ancien président restent encore emprisonnés sans
avoir eu de procès. Rappelons aussi que Simone Gbagbo, la femme de l’ancien président,
sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par la CPI et auquel le gouvernement
ivoirien n’a pas encore donné suite, est toujours en résidence surveillée dans le Nord du pays.
Laurent Gbagbo reste encore emprisonné et sous le coup d’un procès criminel international.
Pour la frange la plus radicale de ses partisans, l’engagement dans un quelconque dialogue est
inenvisageable. De profonds efforts pour remédier aux accusations de mettre en place une
« justice des vainqueurs » n’ayant pas été faits jusqu’aux dernières élections, le FPI a choisi
de boycotter les élections.
2. Le boycott des élections par le FPI
Le FPI a boycotté les trois dernières élections afin de dénoncer cette « justice des
vainqueurs » et en vue d’obtenir la libération de tous leurs partisans. Il a d’abord boycotté les
élections législatives qui se sont déroulées fin 2011, puis les élections locales (communales et
régionales) qui se sont déroulées au mois d’avril 2013. Le choix de cette stratégie politique est
la réponse donnée au refus d’acceptation par le gouvernement des conditions posées par le
FPI, principalement, celle de la libération des partisans de Laurent mais également le
rétablissement de l’Etat de droit et des conditions de sécurité sur le territoire. Il est, selon eux,
le moyen le plus adapté pour contester la politique gouvernementale vis-à-vis des partisans de
Laurent Gbagbo, les injustices et la répression dont ils font l’objet. Le « boycott actif » aurait
d’abord permis au FPI de maintenir l’attention de la communauté internationale sur la
situation de la Côte d’Ivoire afin que celle-ci soit témoin du sort réservé à leurs partisans. Elle
aurait également servi de test de popularité au FPI. Le fort taux d’abstention observé au cours
de ces trois élections serait étroitement lié à l’appel au boycott par le FPI, et prouverait par
conséquent l’absence de légitimité du président actuel. Comme le dit en ce sens Willy Bla219,
président du CRI – Panafricain (Conseil pour la Résistance Ivoirienne et Panafricaine)220, « la
stratégie de boycott a servi de baromètre. Ce boycott actif a permis de montrer que le FPI était
un parti bien implanté car il y a eu un grand pourcentage d’abstention. Elle a donc été
efficiente pour démontrer que le FPI était largement soutenu puisqu’aux dernières élections,
219 Entretien n°10, annexe n°11. 220 Le CRI – Panafricain est une organisation de la société civile qui se décrit comme un mouvement politique de protestation contre la recolonisation de l’Afrique. Il a pour objectif premier la libération du Président Laurent Gbagbo, son épouse Simone Gbagbo, les membres de sa famille et l’ensemble des prisonniers politiques.
63
on a parlé de désert électoral. Ceux qui n’ont pas voté sont acquis pour Laurent Gbagbo. Cela
a été le miroir grossissant de la réalité électorale ». Le taux d’abstention correspondrait donc
aux voix acquises au FPI. Mais cet argument a des limites. En effet, comme l’a relevé
Christian Bouquet dans un interview pour L’Express221 après les élections législatives du 11
décembre 2011, le fort taux d’abstention relevé n’était pas seulement lié à l’appel au boycott
par le FPI mais probablement plus au climat d’insécurité régnant au sein de la population
ivoirienne. En effet, ces élections législatives avaient été organisées seulement quelques mois
après la fin de la crise. Mais le climat s’étant apaisé depuis les élections législatives de fin
2011, les dernières élections locales et régionales organisées en avril 2013 ont permises de
mieux analyser l’impact de l’appel au boycott par le FPI sur le taux d’abstention. Selon
Christian Bouquet, dans un interview pour France 24 en réaction aux résultats des élections
locales222, le boycott par le FPI n’a pas eu beaucoup d’influence, d’autant plus que certains
des membres du FPI s’étaient présentés en tant qu’indépendants. Or, les indépendants sont
arrivés en tête de ces dernières élections locales. De plus, de manière générale en Côte
d’Ivoire, les élections locales attirent moins que les élections nationales. Pour l’expert
indépendant des Nations Unies, le bilan de ces élections est d’ailleurs plutôt positif malgré le
boycott du FPI. En ce sens, il notait que : « La non-participation du FPI, bien que regrettable
sur son principe, signale l’urgence d’un pluralisme démocratique inclusif fondé sur la réalité
et la vitalité de partis politiques démocratiques. Même si un certain nombre s’est réaligné
après les résultats sur des partis traditionnels, la montée en puissance des indépendants au
cours de ces élections peut s’expliquer comme un indicateur de la vitalité démocratique
renaissante de ce pays et d’un processus dynamique de recomposition politique des partis
politiques »223. Dès lors se pose donc la question de l’utilité de cette stratégie ? Certes, elle a
permis de relayer auprès de la communauté internationale la dénonciation de « justice des
vainqueurs » au même titre que l’ont fait les ONG de défense des droits de l’Homme. Peut-
être a-t-elle permis de maintenir une certaine pression sur le gouvernement Ouattara, mais le
FPI y perd plus qu’il n’y gagne. Il y perd la possibilité de représenter le parti leader de
l’opposition au gouvernement. De fait, il l’est déjà. Mais sa place n’a pas été validée par les
221 BOUQUET CHRISTIAN, « Côte d’Ivoire : « Ouattara devra ramener les pro- Gbagbo dans le jeu politique » », L’Express.fr, 14 décembre 2011, consulté le 25 janvier 2013, disponible sur : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/cote-d-ivoire-ouattara-devra-ramener-les-pro-gbagbo-dans-le-jeu-politique_1061675.html?xtmc=c%F4te_d\'ivoire_r%E9conciliation&xtcr=7 222 BOUQUET CHRISTIAN, « Élections locales : « la population ivoirienne est lasse des crises à répétition » » (interview de C. Bouquet), France 24.com, 24 avril 2013, consulté le 26 juin 2013, disponible sur : http://www.france24.com/fr/20130424-elections-locales-cote-divoire-municipales-regionales-gbagbo-ouattara-violences 223 Assemblée générale des Nations Unies, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène, op.cit.
64
urnes, ce qui lui hôte une certaine crédibilité sur la scène politique puisqu’il lui manque une
réelle légitimité démocratique post-crise.
Cette stratégie de boycott ne cacherait-elle pas une autre réalité qui est celle des problèmes
internes auxquels doit faire face le FPI ? Certains des militants interrogés ont en effet évoqué
les difficultés du parti à se réorganiser après la défaite, alors que de nombreux cadres du parti
sont en prison ou en exil, que leurs biens ont été confisqués et que les candidats potentiels
restant ont peur de la répression224. En ce sens, c’est bien l’incapacité qui serait la première
raison du boycott. Ceux-là considèrent que le FPI était dans l’incapacité de présenter
quelqu’un dans ces conditions, dans la mesure où il ne restait au FPI que très peu de candidats
potentiels ayant une chance de remporter des élections. Cela signifie que même s’ils avaient
voulu présenter des candidats aux élections, ils ne pouvaient pas le faire. Ainsi, la stratégie du
boycott peut être vue comme un moyen de ne pas prendre le risque de perdre de poids sur la
scène politique. Le FPI est en effet aujourd’hui considéré par tous comme le principal parti
d’opposition. Face à la coalition du RHDP en déliquescence permanente à en juger les
résultats des dernières élections, il est inenvisageable pour le FPI de participer à des élections
sans que les candidats soient de taille à lui apporter des résultats honorables. Et pourtant,
l’apprentissage des règles de la démocratie multipartite passe bien par là. Il implique
nécessairement la participation aux élections ; élections qui sont l’essence même de la
démocratie représentative et le moyen d’asseoir sa légitimité, même en tant que parti
d’opposition.
Ainsi, le FPI devra finir par accepter de prendre le risque du résultat des urnes. Le prendra-t-il
pour les prochaines élections prévues en 2015 qui ne sont autres que les élections
présidentielles ? La frange la plus radicale semble pour le maintien de la stratégie de boycott
en cas de refus du gouvernement d’accéder aux demandes formulées par le FPI225. Mais
surtout, ils ne voient aucun autre candidat que Laurent Gbagbo lui-même. Pourtant, il paraît
peu probable que le FPI ne présente pas de candidat aux prochaines élections présidentielles,
et s’il le faisait, cela constituerait une grave erreur de stratégie politique. Rester trop
longtemps loin des urnes n’a jamais été bon pour la popularité d’un parti politique. Les
justifications avancées par le camp de Laurent Gbagbo perdent de leur conviction face à un
gouvernement qui, depuis quelques mois, multiplie les mesures visant à renverser les
accusations de pratiquer «une justice des vainqueurs ». Mais les limites de la réconciliation
ivoirienne ne portent pas que sur ce point. Elles sont aussi des limites contextuelles révélant
un manque de confiance généralisé envers le gouvernement. 224 Entretien n°5, annexe n°6; Entretien n°9, annexe n°10. 225 Entretien n°4, annexe n°5 ; Entretien n°6, annexe n°7 ; Entretien n°8, annexe n°9 ; Entretien n°10, annexe n°11.
65
Sous-partie 2 :
Les limites contextuelles -
Du manque de confiance généralisé
Les limites contextuelles de la réconciliation ivoirienne sont visibles dans la
dénonciation des problèmes sécuritaires (A) et dans l’observation de risques potentiels de
répétition des crises (B). Elles démontrent, entre autres, un manque de confiance généralisé,
envers l’ensemble des institutions et au sein de la société.
A. De la dénonciation des problèmes sécuritaires
De nombreux problèmes sécuritaires sont dénoncés par les partisans de Laurent
Gbagbo au premier rangs desquels la « chasse » qui est opérée contre les « pro-Gbagbo » (1).
Sont également dénoncés les atermoiements autour de la reprise du contrôle sur les forces
armées (2) et enfin l’impossible retour des déplacés et des réfugiés (3).
1. La « chasse aux pro-Gbagbo »
Au premier rang des problèmes sécuritaires dénoncés : une « chasse aux pro-
Gbagbo ». La plupart des personnes interrogées, qui résident en France depuis de nombreuses
années, y ont construit leur vie et y ont même souvent acquis la nationalité. Ils participent
donc à la vie politique de la Côte d’Ivoire en tant que membres de la diaspora, ne se rendant
en Côte d’Ivoire que pour des courts séjours, au mieux quelques semaines par an. Ils ont tout
de même émis des réserves quant au fait de s’y rendre, du fait des garanties de sécurité
insuffisantes pour les partisans de l’ancien président et pour les personnes issues de certaines
ethnies. Certains ont émis plus que de simples réserves en disant qu’il était pour eux
impossible de s’y rendre. Ils dénoncent une « chasse » ouverte contre les partisans de Laurent
Gbagbo et contre les populations issues d’ethnies assimilées gbagboistes, et demandent des
garanties de sécurité. Force est de constater que les rapports d’ONG vont dans leur sens.
Amnesty International et Human Rights Watch rapportaient ainsi la répression opérée par les
Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) et la police militaire contre les partisans de
Laurent Gbagbo : « Les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, armée nationale) et la
police militaire se sont rendues responsables de nombreuses violations des droits humains en
66
arrêtant et détenant des individus en dehors de tout cadre légal sur des bases souvent
ethniques et politiques. Ces exactions ont été rendues possibles par la prolifération de lieux
de détention non reconnus comme tels où des individus soupçonnés de tentative d’atteinte à la
sûreté de l’État ont été détenus au secret, parfois pendant de longues périodes et dans des
conditions inhumaines et dégradantes. Beaucoup ont été torturés et certains ont été remis en
liberté contre le paiement de rançons. (…) Si les arrestations de partisans avérés ou
présumés de Laurent Gbagbo n’ont jamais vraiment cessé depuis l’arrestation de l’ancien
président en avril 2011, elles se sont multipliées suite à la recrudescence des attaques menées
en 2012»226.
Ces vagues de répression seraient intervenues, selon le gouvernement d’Alassane Ouattara, en
représailles à des attaques armées menées sur le territoire, et pour la plupart lancées des pays
frontaliers, notamment du Libéria, par des partisans de Laurent Gbagbo227. Les accusations du
gouvernement actuel concernant les attaques armées ont été confortées par le Groupe
d’experts des Nations Unies sur la Côte d’Ivoire228. Certains partisans de Laurent Gbagbo
sont également accusés par le gouvernement d’avoir tenté d’organiser des coups d’Etat. La
répression a donc été justifiée par le gouvernement au nom de la sécurité. Le FPI a
constamment réfuté ces accusations d’attaques armées et de tentatives de coup d’Etat, et a
renvoyé l’accusation au gouvernement actuel. Les responsabilités dans ces vagues d’attaques
demeurent donc encore sujet à des controverses et la justification de répression au nom de la
sécurité en est d’autant plus affaiblie. Au delà des accusations mutuelles auxquelles se livrent
encore les deux camps, il convient de constater qu’Alassane Ouattara n’a pas encore relevé
tous les défis concernant le rétablissement de la sécurité sur le territoire, puisque ces
arrestations et détentions menées par les FRCI et la police militaire sont la plupart du temps
arbitraires. De plus, elles sont souvent suivies de privation de liberté prolongée en lieu non
officiel, d’actes de torture et mauvais traitement et autres violations des droits de l’homme
(atteinte à la vie, humiliations, agressions physiques et sexuelles…). Pour certaines au moins,
elles semblent avoir été justifiées uniquement en raison de leur sympathie, de leur affiliation
politique ou de leur appartenance ethnique229. Des actions de représailles ont également été
menées sur les populations en général sous la forme d’attaques et d’intimidations,
226Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », Mars 2013, 86 p. 227 Ibid. 228 Ibid. 229 « Les populations dites « autochtones » (Bétés, Didas ou Guérés notamment) sont maintenant la cible d’attaques de la part des FRCI et des Dozos qui les accusent globalement d’être des partisans de Laurent Gbagbo, voire des miliciens armés impliqués dans les attaques menées contre des objectifs militaires ou stratégiques. » in Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit.
67
particulièrement dans la région de l’Ouest où les Dozos, chasseurs ancestraux constitués en
milice qui à longtemps protégé les populations dioulas, ont commis des violations des droits
de l’homme et des homicides contre des partisans de Laurent Gbagbo et contre des civils,
souvent uniquement parce qu’ils étaient présumés appartenir à une ethnie considérée comme
pro-Gbagbo230.
Ces problèmes sécuritaires sont liés, selon les partisans de Laurent Gbagbo, à un manque de
volonté de la part du gouvernement d’employer tous les moyens nécessaires pour reprendre le
contrôle de l’ensemble des forces armées.
2. Les atermoiements de la reprise du contrôle sur les forces armées
Tout d’abord, Alassane Ouattara n’a pas encore établi sa pleine autorité sur la nouvelle
armée nationale ivoirienne, les FRCI. Les FRCI sont encore en quête d’unité et de
légitimité231. Elles ont de fait largement outrepassé les prérogatives de maintien de l’ordre, et
en lieu et place de la police et de la gendarmerie. Composées en grande partie des combattants
du groupe rebelle Forces Nouvelles, soldats et « Comzones » 232 , mais également des
anciennes Forces de Défense et de Sécurité (FDS) de Laurent Gbagbo, ceux-ci n’ont pas
changé leurs vieilles habitudes sous leur nouvelle bannière commune. Ceci pose la question
de leur formation et de leur adaptation à une armée républicaine. De plus, les FRCI doivent
garder les « jeunes recrues » qui ont permis de prendre le dessus sur les forces de Laurent
Gbagbo, notamment lors de la bataille d’Abidjan en 2011, et d’autres qui avaient gonflé les
effectifs des forces de Gbagbo. La composition de ces jeunes recrues est donc très
hétéroclite233. Ces jeunes sont le plus souvent issus de quartiers populaires, se sont constitués
en gbonhi234 et ont ensuite participé aux violences miliciennes235. De nombreux repris de
justice ont également été intégrés aux FRCI, et dont on se souvient les pillages, vols et
braquages à la fin de la crise236. Ainsi, la composition de la nouvelle armée explique les
difficultés internes d’organisation et de hiérarchie, mais elle explique également les difficultés
230 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit. 231 Ibid. 232 surnom donné aux commandants de zone des Forces Nouvelles. 233 FOFANA MOUSSA, « Des Forces nouvelles aux Forces Républicaines de Côte d’Ivoire », Politique africaine, 2011, n°122, p. 161- 178. 234 Le mot gbonhi signifie bande ou groupe en nouchi, l’argot des rues d’Abidjan. Sur le phénomène des gbonhi et la violence milicienne, voir : BANEGAS RICHARD, « La politique du « gbonhi ». Mobilisations patriotiques, violence milicienne et carrières militantes en Côte d’Ivoire », Genèses, 2010/4, n°81, p. 25-44. 235 BANEGAS RICHARD, « Reconstruction « post-conflit » -Violence et politique en Côte d’Ivoire », CERI, octobre 2012, consulté le 23 avril 2013, disponible sur : http://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/art_rb.pdf 236 FOFANA MOUSSA, « Des Forces nouvelles aux Forces Républicaines de Côte d’Ivoire », op.cit.
68
du chef de l’Etat à reprendre le contrôle sur celles-ci. À côté des FRCI, la police militaire, qui
a pour mission de lutter « contre le banditisme, les abus et autres exactions, exercés par tous
individus armés ou en tenue contre les populations sur toute l’étendue du territoire »237, a
quant à elle largement outrepassé cette mission en devenant un nouvel organe de répression.
La lenteur de la mise en œuvre du programme de démobilisation et de réintégration des
anciens combattants dans la société pourrait s’expliquer par le fait qu’Alassane Ouattara
semble ne plus savoir comment leur imposer de nouvelles règles et ne plus savoir quoi leur
proposer sans perdre leur soutien, alors que ceux-ci attendent la reconnaissance de leur rôle
fondamental dans la victoire armée du nouveau président. Le processus de démobilisation et
de d’intégration, qui avait été initialement prévu par les Accords de Marcoussis en 2003 pour
les rebelles enrôlés au sein des Forces Nouvelles238, et qui avait conduit à l’élaboration de
plusieurs programmes239, n’a donc toujours pas atteint ses objectifs240. Enfin, que faire des
mercenaires et des milices restantes qui n’ont pas intégré les forces régulières, telles que les
mercenaires libériens de Laurent Gbagbo ou le Dozos du côté d’Alassane Ouattara, qui pour
ces derniers, cherchent une reconnaissance de l’Etat241 ? L’idée qui a été proposée de leur
offrir des positions comme agents de prison, gardes forestiers et des préfectures, soit des
positions reconnues comme des supplétifs paramilitaires et risque de peu convenir à leurs
ambitions.
Enfin, l’utilisation abusive des armes demeure d’actualité242 et nécessite également un
règlement au plus vite afin de rétablir les conditions de sécurité. Ces armes ont servi depuis
2002 et ont alimenté le conflit ces douze dernières années. Elles ont servi à la perpétration
d’homicides et de nombreux massacres et continuent d’intimider et d’alimenter la peur des
populations locales. Quand elles ne continuent pas à servir les FRCI, les milices ou les
mercenaires, ces armes se retrouvent dans les mains de petits criminels.
L’expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits l’Homme en Côte d’Ivoire
a récemment noté une amélioration globale de la sécurité au cours des derniers mois durant
lesquels seuls des incidents très résiduels ont été rapportés243. Des réformes du secteur de la
sécurité sont en cours avec un programme de démobilisation, désarmement et réinsertion 237 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit. 238 FOFANA MOUSSA, « Des Forces nouvelles aux Forces Républicaines de Côte d’Ivoire », op.cit. 239 Au titre de ces programmes figuraient le Programme national de réinsertion et de réhabilitation communautaire (PNRRC), le Programme de service civique national (PSCN) et le Centre de commandement intégré (CCI). 240 FOFANA MOUSSA, « Des Forces nouvelles aux Forces Républicaines de Côte d’Ivoire », op.cit. 241 BANEGAS RICHARD, « Reconstruction « post-conflit » -Violence et politique en Côte d’Ivoire », op.cit. 242 Amnesty International, «Côte d’Ivoire. Les effets destructeurs de la prolifération des armes et de leur usage incontrôlé», mars 2013, 31 p. 243 Assemblée générale des Nations Unies, « Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène », op.cit.
69
(DDR). Mais les partisans de Laurent Gbagbo courent toujours le risque d’arrestations
arbitraires et autres violations des droits de l’Homme et intimidations. Les conditions de
sécurité restent donc très précaires pour une partie du peuple et les réformes institutionnelles
semblent contredire les pratiques auxquelles s’adonnent les forces de sécurité qui sont peu
réprimées par le gouvernement. Or, le rétablissement de la confiance envers les autorités sur
le plan de leur sécurité est une condition préalable à l’engagement de tous dans le processus
de réconciliation, au delà même du FPI et des partisans de Laurent Gbagbo. La CDVR et les
autorités judiciaires ne peuvent efficacement travailler à l’accomplissement de leur mission
sans que les victimes, les témoins ou les auteurs de crimes graves aient confiance en ces
institutions, leur garantissent une protection efficace et les rassurent suffisamment pour qu’ils
décident de parler sans craintes de représailles. Le travail de vérité et de réconciliation passe
par le rétablissement de cette confiance envers l’appareil sécuritaire. Malgré les appels du
président Ouattara visant à rassurer les populations sur les conditions de sécurité, il reste de
nombreux efforts à faire pour rétablir un climat de confiance. Preuve en est, les appels du
président Ouattara invitant les Ivoiriens à rentrer chez eux, semblent d’une relative efficacité
pour cette même raison.
3. L’impossible retour des exilés et des déplacés
La crise postélectorale a généré de nombreux déplacés et réfugiés, dont la plupart font
partie du « peuple de Gbagbo ». Près de deux ans après la crise, on compte toujours un
nombre important de déplacés interne. Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations
Unies (HCR), ils étaient encore 46 000 en janvier 2013244. On compte encore également de
nombreux réfugiés, la plupart originaires de l’Ouest de la Côte d’Ivoire. 58 000 réfugiés
ivoiriens étaient au Libéria en juillet 2013245, et des milliers au Ghana, au Togo246, dans
d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, ou encore au Maghreb et en Europe. La plupart sont des
Ivoiriens qui ont fui leur ville ou leur village du fait des violences généralisées de la dernière
crise postélectorale ou des crises précédentes, d’autres ont participé à ces violences et se sont
enfui lorsque le rapport de force s’est inversé en faveur d’Alassane Ouattara. C’est
244 Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, « Profil d’opérations 2013, Côte d’Ivoire », dernière consultation le 3 août 2013, disponible sur : http://www.unhcr.fr/pages/4aae621d4cf.html 245Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, « Cette année, le rapatriement des réfugiés ivoiriens depuis le Libéria passe le cap des 10 000 personnes », 30 juillet 2013, dernière consultation le 16 septembre 2013, disponible sur : http://www.unhcr.fr/51f924e9c.html 246 Human Rights Watch, « Bien Loin de la Réconciliation- Répression militaire abusive en réponse aux menaces sécuritaires en Côte d’Ivoire », Novembre 2012, 80 p.
70
notamment le cas des Jeunes patriotes miliciens et des proches de Laurent Gbagbo ayant
exercé des fonctions importantes et enfin des militants du FPI.
Le gouvernement de Ouattara a appelé au retour des réfugiés à plusieurs reprises et leur
rapatriement s’est accéléré au cours des derniers mois247. Pour beaucoup de réfugiés, leur
décision de retour a été motivée par l’amélioration des conditions de sécurité248. Mais pour
d’autres, les conditions de sécurité ne sont pas encore assez satisfaisantes et ils continuent de
vivre dans une certaine crainte du retour. La population ivoirienne a été marquée par les
violences qui ont généré un profond trauma, trauma qui a été entretenu voire exacerbé par la
continuation des violences et des attaques depuis la fin de la crise. Le drame du camp de
Nahibly, survenu dans la nuit du 19 au 20 juillet 2012, a démontré qu’au sein même d’un
camp de déplacés supervisé par le HCR, la sécurité des personnes vis-à-vis de l’extérieur
n’était pas assurée. Ce camp, qui accueillait 2500 personnes, a été entièrement détruit par une
attaque menée, selon de nombreuses sources, par des Dozos, des jeunes dioulas de Duékoué
et des FRCI. Des personnes ont été tuées, d’autres arrêtées et torturées, sans que l’ONUCI
n’intervienne et sans qu’aucune responsabilité n’ait pu encore être officiellement établie,
l’enquête policière n’ayant que très peu avancé depuis le drame249.
De plus, il ne suffit pas de garantir la sécurité des personnes. Comme le note un rapport
d’Amnesty International, « les conditions de sécurité dans l’Ouest dissuadent encore de
nombreuses personnes de retourner dans leur village ou sur leurs terres par peur de
représailles ou parce que leurs propriétés ont été occupées. (…) Ce phénomène d’occupation
des terres appartenant à des populations « autochtones » par des populations dioulas
«allogènes » a été confirmé à la délégation d’Amnesty International par plusieurs habitants
de la région de Duékoué»250. La garantie de la sécurité des biens est donc nécessaire pour
envisager le retour des réfugiés. Ceux-ci doivent voir leurs droits sur leurs terres et l’usage de
leurs maisons illégalement occupées rétablis.
La confiance du « peuple de Gbagbo » envers les autorités pour garantir leur sécurité est donc
loin d’être acquise, même si une partie d’entre eux commence à rentrer chez eux. Or, le retour
des réfugiés est en soit nécessaire à l’avancée du processus de réconciliation, dans la mesure
où beaucoup d’entre eux ont été témoins ou victimes de crimes graves ou ont perdu leur
domicile pendant les combats, et dans la mesure où elles représentent une part importante de
247 D’après le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, entre 2012 et 2013, plus de 16000 réfugiés ont été rapatriés du Libéria. 248 Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, « Cette année, le rapatriement des réfugiés ivoiriens depuis le Libéria passe le cap des 10 000 personnes », op.cit. 249 Amnesty International, « Côte d’Ivoire. « C’est comme si rien ne s’était passé ici ». Un an après l’attaque du camp de Nahibly, la justice se fait toujours attendre », juillet 2013, 29 p. 250 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit.
71
la population ivoirienne. Ils détiennent donc une part de la vérité sur les crimes commis
durant la crise qu’ils pourraient bien définitivement garder pour eux si le sentiment de crainte
généralisée ne venait pas à s’amenuiser. Le retour des réfugiés est non seulement nécessaire
pour le travail de vérité mais surtout pour l’apprentissage d’un nouveau vivre ensemble épuré
de paranoïa identitaire. Le rétablissement de la sécurité pour tous les Ivoiriens est une
condition nécessaire à l’avancée du processus de réconciliation, afin d’améliorer le climat de
confiance général nécessaire au retour des réfugiés, au dévoilement de la vérité sur les crimes
commis et à l’effacement de la paranoïa généralisée, paranoïa qui soulève un potentiel de
risque de répétition des crises.
B. Des risques potentiels de répétition des crises
Des risques potentiels de répétition des crises sont déjà visibles du fait des limites
observées au processus de réconciliation. Ils sont liés à la position victimaire (1) et à la
persistance des tensions ethniques (2).
1. Des risques liés à la position victimaire
Comme nous l’avons mis en évidence dans la première partie de cette étude, il est
nécessaire que les acteurs de la vie politique ivoirienne prennent conscience de leurs erreurs et
qu’ils rompent avec leurs pratiques du passé. Il est inquiétant de voir que deux ans après la fin
de la crise, certains militants prétendent encore qu’aucun crime grave passible de poursuites
n’a été commis par le camp de Laurent Gbagbo. Il s’agissait pour ces militants de légitime
défense, et l’ensemble des exactions proviendrait du camp d’Alassane Ouattara. La notion de
légitime défense est utilisée en ce sens que le pouvoir légal de Laurent Gbagbo aurait été
attaqué et que ce dernier n’aurait fait que défendre la république et la démocratie en tant que
chef des armées251. L’argument va de pair avec l’idée selon laquelle Laurent Gbagbo aurait
gagné les élections et qu’il aurait simplement tenté de défendre les institutions républicaines
et démocratiques par l’usage de la force en réponse à un complot monté contre lui par la
France et Alassane Ouattara. C’est donc la légitimité du président actuel qui est remise en
cause, son accession au pouvoir s’étant faite dans l’illégalité252. Cette version des faits a été
défendue pendant longtemps par ses partisans, durant la crise postélectorale et bien après
l’arrestation de Laurent Gbagbo. Elle est encore défendue à l’heure actuelle par les plus 251 Entretien n°2, annexe n°3. 252 Entretien n°2, annexe n°3 ; entretien n°4, annexe n°5 ; entretien n°8, annexe n° 9 ; entretien n°10, annexe n°11.
72
radicaux. Laurent Gbagbo aurait été victime d’un complot mené par la France avec la
complicité d’Alassane Ouattara afin d’évincer Laurent Gbagbo du pouvoir. Ouattara serait
donc le président choisi par la France. En conséquence, selon certains, la réconciliation
politique ne doit pas se faire qu’entre les acteurs politiques ivoiriens mais elle doit également
se faire avec la France253 . La dénonciation du néo-colonialisme fait partie des idées
fondatrices du FPI et la popularité de Laurent Gbagbo a été très liée à cette idée. Il incarne
pour eux celui qui a résisté à l’ingérence de la France dans les affaires intérieures de la Côte
d’Ivoire, et à ses prétentions néocoloniales. La France est donc pour eux le troisième acteur de
la réconciliation ivoirienne. La théorie du complot vaut ce qu’elle vaut, mais l’ingérence de la
France dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire est bien une réalité. Pour se réconcilier,
la Côte d’Ivoire devra donc aussi mettre au clair ses relations passées et présentes avec la
France.
Loin des polémiques attenantes à l’interprétation des faits, loin de toute prétention de pouvoir
distinguer le vrai du faux, de savoir si cette défaite est juste ou injuste, ou de vouloir mettre en
cause la responsabilité directe de Laurent Gbagbo ou d’Alassane Ouattara dans les crimes
commis, il est donc clair qu’il n’y a pas une vérité sur les crises ivoiriennes mais bien une
multiplicité de vérités qui révèle leur nature inévitablement subjective. La question n’est plus
de savoir si Laurent Gbagbo a gagné ou non les élections, ni de savoir s’il y a eu ou non
défaite électorale, il est impossible de revenir en arrière et il y a bien eu une défaite dont
l’interprétation des faits ne peut différer : si ce n’est pas une défaite par les urnes, c’est au
moins une défaite politique et une défaite par les armes. La seule solution allant dans le sens
de la réconciliation est l’acceptation de cette défaite, et là est l’erreur stratégique de certains
qui sont focalisés sur l’idée d’un complot contre Gbagbo et continuent de se placer en
position de victime au lieu de s’atteler à construire une opposition politique démocratique
forte de près de la moitié du « peuple » ivoirien derrière elle.
Mais le risque lié à la position victimaire est exacerbé par le fait que le peuple de Ouattara se
place dans la même position. Ainsi, presque tout le monde se considère comme des victimes
et personne n’arrive à faire un pas vers l’autre et cette position ralentie le processus de
réconciliation. D’abord, la peur et le manque de confiance envers les institutions étatiques
viennent justifier des comportements déviants. Ensuite, la position victimaire a conduit les
acteurs de la violence à dénier toute responsabilité, ne serait-ce que morale dans ce qui s’est
passé. Sans vouloir faire preuve de scepticisme, ont peut tout de même douter que l’heure de
la prise de conscience des fautes de chacun ne sonne un jour. Aucune demande de pardon n’a
émané du camp Gbagbo. Le FPI a réaffirmé dans un communiqué du mois de juillet dernier
253 Entretien n°2, annexe n°3.
73
son refus de demander pardon254 en s’insurgeant « contre les propos tenus par le Chef de
l’Etat appelant le Front Populaire Ivoirien à se repentir de la crise postélectorale » et en
rappelant « à la communauté nationale et internationale que le FPI est un parti assurément
responsable des actes qu’il pose; il les assume diligemment chaque fois que de besoin. Il n’a
pas manqué de rappeler que « c’est bel et bien Monsieur Ouattara qui, depuis son intrusion
dans la politique en Côte d’ivoire fin 1989, y a introduit la violence sous toutes ses formes et
le tribalisme nauséeux, sans jamais en assumer l’imputabilité, encore moins, demander
pardon au digne peuple ivoirien extrêmement et continuellement meurtri »255. De même,
aucun sentiment de regret n’a été exprimé par les militants interviewés, si ce n’est une volonté
peu affirmée d’en finir avec l’ivoirité. Ils reconnaissent vaguement les méfaits de l’ivoirité et
préfèrent évoquer l’origine de cette idéologie afin d’en charger la responsabilité sur l’ancien
président Henri Konan-Bédié. De même du côté du camp de Ouattara, il n’y a pas eu de
demande de pardon alors qu’il a lui aussi contribué à la polarisation de la vie politique et à
l’exacerbation des divisions nord/sud, musulmans/chrétiens au même titre que ses concurrents
politique dans sa lutte pour le pouvoir.
Cette absence de demande de pardon, couplée à la revendication du statut de victime par les
deux camps qui se sont affrontés, laisse penser que les acteurs politiques n’ont pas tiré les
leçons des erreurs passées. Or, les expériences de réconciliation dans d’autres pays ont prouvé
que le pardon politique permettait de marquer le point final de la violence. Ce que nous
appelons pardon politique doit être différencié du « vrai » pardon. Tandis que le « vrai »
pardon serait une « décision libre de l’offensé et de l’offenseur, permettant de renouer un
rapport interpersonnel défait par l’offense et supposant une absolue générosité et de la part de
celui qui l’accorde »256, le pardon politique serait un moyen parmi d’autres, telle que la
justice, de marquer la fin d’une violence cyclique et de renouveler les bases d’une relation257.
En découle, l’importante que nous donnons ici à la demande de pardon qui constitue la
première étape du pardon. Le fait qu’elle n’ait pas encore été faite en Côte d’Ivoire, que ce
soit par les nouvelles autorités en place ou par les autres partis politiques, qui ont tous une
part de responsabilité dans le cycle de la violence, montre que le chemin du pardon est encore
long. La position victimaire ressentie par le peuple de Gbagbo comme celui de Ouattara
semble empêcher cette demande de pardon, ce qui complique sérieusement la réconciliation
car pendant ce temps, la catharsis n’est pas faite. Elle complique également l’identification
254 Communiqué du Comité central du FPI, 15 juillet 2013, rapporté dans nouveaucourrier.net, consulté le 17 septembre 2013, disponible sur : http://nouveaucourrier.net/le-fpi-refuse-de-demander-pardon-apres-linjonction-dalassane-ouattara-communique/ 255 Ibid. 256 LEFRANC SANDRINE, Politiques du Pardon, op.cit., p. 158. 257 Ibid.
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des « vraies » victimes et pose la question de savoir qui elles sont réellement. Dans un même
temps, ce climat de « tous victimes » renforce la polarisation de la vie politique, la peur de
l’autre et accroit d’autant les tensions ethniques.
2. Des risques liés à la persistance des tensions ethniques
Une profonde inquiétude nait de la persistance des tensions ethniques. Certes, comme
nous l’avons déjà évoqué, la déconstruction de l’ethno-nationalisme et la construction d’une
nouvelle identité collective sont des processus qui nécessitent du temps. Mais cela nécessite
surtout une profonde volonté politique. Or, pour le moment on peut douter de la volonté de
mettre fin à l’ivoirité. Le renouveau du débat sur la nationalité et la question foncière après
l’annonce des réformes par le gouvernement, qui a affirmé que l’année 2013 serait l’année du
règlement de ces deux problèmes, a fait ressortir les discours ivoiritaires258. Les réformes ont
été votées le 23 août dernier. Votée à l’unanimité, la réforme sur le domaine foncier n’a pas
apporté de nouvelle solution et a seulement redonné un nouveau délai de dix ans aux
propriétaires terriens pour faire établir leur titre foncier afin de relancer le processus qui avait
été initié en 1998. Quant à la réforme sur la nationalité, à laquelle 24 parlementaires se sont
opposés, elle assouplit largement les conditions d’acquisition de la nationalité ivoirienne259,
alors que le FPI, principal parti de l’opposition et qui a boycotté les dernières élections
législatives, n’a pas pu s’exprimer sur cette question au parlement, où l’alliance au pouvoir
détient la quasi-totalité des sièges du parlement. Les risques de nouvelles vagues de
contestations émanent du « peuple de Gbagbo » lorsque les effets de cette loi se feront sentir
et doivent être pris en considération, car cette loi sur la nationalité aura des effets sur la
revendication de titres fonciers. En effet, si le mot « ivoirité » est désormais banni des
discours, le concept identitaire est toujours bien présent dans les idées lorsque l’on évoque la
question foncière et celle de la nationalité. Le sentiment de trahison semble très présent au
sein du « peuple de Gbagbo ». Sur la question foncière, les militants du FPI dénoncent les
situations de spoliation et d’appropriation des terres depuis l’accession au pouvoir d’Alassane
Ouattara, ce qui a été confirmé par Amnesty International : « Ce nouveau rapport de forces a
dissuadé de nombreuses personnes de retourner dans leur village ou sur leurs terres, par
peur de représailles ou parce que leurs propriétés avaient été occupées par d’autres. Ce
258Abdel Pitroipa, « « Ivoirité », quand tu nous tiens », jeuneafrique.com, 18 août 2013, consulté le 17 septembre 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2743p036.xml0/henri-konan-bedie-pdci-alassane-dramane-ouattara-rhdpivoirite-quand-tu-nous-tiens.html 259 Dépêche AFP, « Côte d’Ivoire : les lois sur la nationalité et la propriété foncière votées », jeuneafrique.com, 24 août 2012, consulté le 17 septembre 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/DEPAFP20130824095720/
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phénomène d’occupation des terres appartenant à des populations « autochtones » par des
populations dioulas « allogènes » a été confirmé à la délégation d’Amnesty International par
plusieurs habitants de la région de Duékoué.»260
Un entretien mené avec une militante du FPI dont la famille est propriétaire terrien dans
l’Ouest est révélateur du sentiment de trahison qui règne vis-à-vis des allogènes : « Une partie
des ivoiriens se sont sentis trahis. Il n’y avait pas de tensions avec les burkinabés. On ne les
exploitait pas. C’est eux qui venaient volontairement dans les plantations parce qu’ils avaient
besoin de travail et ils étaient payés. Dans la plantation de mon père, Bakary (en parlant
d’un « étranger » venu travaillé pour sa famille) représentait quelqu’un qui s’occupait de
nous, de notre famille et de la maison. On avait de la considération pour lui. Mais
aujourd’hui, on se sent trahi car ils se sont retournés contre nous pour dire qu’on les a
exploité. Pour parler de réconciliation, si Bakary reconnaît qu’il m’a fait du tort, je suis prête
à pardonner la spoliation, les occupations de villages et l’occupation des postes de
l’administration. Mais aujourd’hui Bakary ne reconnaît pas ses torts et moi je n’ai pas
d’arme. Ainsi, je ne peux qu’observer avec tristesse et rancœur ce qui se passe261 ».
Si certains ont exprimé leur volonté de trouver un compromis sur la question foncière pour les
allogènes installés depuis plusieurs décennies sur des terres de « vrais Ivoiriens », les
occupations illégales empêchent la discussion d’avancer262. D’autres cependant restent plus
radicaux et il n’est pas question pour eux d’envisager un compromis. Une des personnes
interviewées déclarait ainsi que : « Ceux qui parlent de réconciliation, ce ne sont pas des
vrais ivoiriens. Ils se prennent pour des ivoiriens mais ils ne le sont pas. Ce sont les gens du
Nord, les dioulas. Sous prétexte qu’ils ont participé à la construction de la Côte d’Ivoire, ils
se prennent de facto pour des ivoiriens. Ce n’est pas de la xénophobie. Quelqu’un qui
souhaite simplement sauvegarder les intérêts de son pays n’est pas un xénophobe263», et que
« le problème de la Côte d’Ivoire est d’avoir accepté une immigration sauvage d’étrangers
qui ont pris des terres et les exploitent sans en avoir le droit. Les gens de l’Ouest sont chassés
de leurs terres et celles-ci sont occupées par des burkinabés264». En réaction à l’annonce du
vote sur la loi concernant la nationalité au parlement, le chef du service politique du quotidien
Notre voie, presse –pro-Gbagbo, disait encore que « Si on leur donne la nationalité, c´est
comme si on les installait de force sur nos terres. Ils ne seront pas ivoiriens dans leur coeur
260 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit. 261 Entretien n°5, annexe n° 6. 262 Entretien n°1, annexe n° 2 ; entretien n°5, annexe n°6 ; entretien n°6, annexe n°7 ; entretien n°9, annexe n°10. 263 Entretien n°2, annexe n° 3. 264 Ibid.
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ni dans leur esprit »265. Les leçons de l’ivoirité ne semblent pas avoir été tirées et l’ethno-
nationalisme est toujours bien présent. Les discours du côté du « peuple de Gbagbo »
présagent donc de nouveaux problèmes.
De plus, un nouveau concept identitaire a fait son apparition et peut inquiéter quant à une
nouvelle polarisation de la vie politique fondée sur des divisions ethniques. Le concept lancé
par Alassane Ouattara est celui du « rattrapage ethnique », qu’il définit comme un simple
« rattrapage » de la présence des gens du Nord dans l’administration publique266. Le risque du
passage d’un Etat favorisant les baoulés sous Houphouët-Boigny, puis favorisant les bétés et
les guérés sous Gbagbo, à un Etat favorisant les dioulas sous Ouattara est bien présent. Cette
nouvelle discrimination se fait déjà ressentir au sein de la société ivoirienne et a été évoquée
par les partisans de Laurent Gbagbo. Lors de notre entretien, Georges Toualy a évoqué cet
«esprit de revanche » alimenté par le « rattrapage ethnique »267. Il disait ainsi que « dans toute
l’administration, on a viré les personnes appartenant aux ethnies autres que celles liées au
RDR. Ce n’est en aucun cas un geste de réconciliation. Par contre, cela continue à créer des
injustices. Les gens sont déçus mais ils ont peur de réagir. Ils ont été expropriés et trompés
mais il y a des armes. Ils ont peur des armes. Ce que nous demandons, c’est que le
gouvernement révise sa position et soit plus tolérant »268.
Ce « rattrapage ethnique » a été confirmé par plusieurs observateurs extérieurs ainsi que par
des personnes du côté d’Alassane Ouattara. Un rapport d’International Crisis Group rapporte
en ce sens que la « dérive autoritaire » est manifeste dans l’administration, par « la
reproduction de pratiques en vogue sous le précédent régime, notamment des nominations à
caractère ethnique dans l’administration »269. Au delà des nominations dans l’administration,
Amnesty International notait, concernant les opérations menées envers certaines populations
par les FRCI, les Dozos et la police militaire, qu’« il est très inquiétant de voir que les
autorités tolèrent, cautionnent et, dans certains cas, dirigent des attaques ciblées contre des
individus en raison de leurs sympathies politiques présumées ou de leur appartenance
265 PITROIPA ABDEL, « « Ivoirité », quand tu nous tiens », jeuneafrique.com, 18 août 2013, consulté le 17 septembre 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2743p036.xml0/henri-konan-bedie-pdci-alassane-dramane-ouattara-rhdpivoirite-quand-tu-nous-tiens.html 266 HUGEUX VINCENT, « Côte d’Ivoire : Ouattara veut protéger les minorités », Lexpress.fr, 25 janvier 2012, consulté le 17 septembre 2013, disponible sur : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/cote-d-ivoire-ouattara-veut-proteger-les-minorites_1075076.html 267 Entretien n°9, annexe n°10. 268 Entretien n°12, annexe n°13. 269 International Crisis Group, « Côte d’Ivoire : faire baisser la pression », novembre 2012, Rapport Afrique n°193, 26 p.
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ethnique »270. En effet, il est une chose que le chef de l’Etat et son gouvernement ne
parviennent pas encore à rétablir leur autorité sur les milices et les forces armées qui
continuent à exercer les mêmes dérives que celles de l’ivoirité sur d’autres populations
victimes, souvent les « autochtones », mais il en est une autre que le gouvernement cautionne,
voire encourage de telles pratiques.
Comme le notait récemment Rinaldo Depagne, analyste d’International Crisis Group, « dans
les conditions actuelles, il est (donc) difficile pour les 1,7 million d’électeurs qui ont voté
Gbagbo au premier tour du scrutin présidentiel de 2010 de ne pas se sentir traités comme des
citoyens de seconde zone. L’exclusion, dont ont souffert les partisans de Ouattara sous le
régime Gbagbo, est l’un des facteurs principaux du conflit ivoirien. L’inversion de l’exclusion
produira les mêmes effets. »271 . Cette exclusion est contre-productive à toute tentative de
réconciliation et constitue un nouveau facteur potentiellement déclencheur d’une nouvelle
crise, d’autant plus que les idées des partisans de Laurent Gbagbo semblent rester les mêmes
sur la problématique foncière et celle des étrangers. Ainsi, de l’ « ivoirité » au « rattrapage
ethnique », les risques de répétition des crises sont bien présents.
270 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit. 271 DEPAGNE RINALDO (INTERNATIONAL CRISIS GROUP), « La Côte d’Ivoire a disparu des radars, pourtant rien n’y est réglé », Rue 89, 16 avril 2013, consulté le 28 avril 2013, disponible sur : http://www.rue89.com/2013/04/16/cote-divoire-a-disparu-radars-pourtant-rien-ny-est-regle-241477
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CONCLUSION
Cette étude cherchait à établir un bilan de la réconciliation ivoirienne, deux ans après
la fin de la crise postélectorale. Une politique de réconciliation a certes été amorcée par le
gouvernement d’Alassane Ouattara mais le chemin de la réconciliation est encore long. Le
président ivoirien peine à tenir les promesses qu’il avait faites à la population ivoirienne ainsi
qu’à la communauté internationale au tout début de son mandat. Tout d’abord, la sécurité
n’est pas encore rétablie au même niveau pour tous les Ivoiriens. Alors que les populations
qui avaient anciennement été exclues – principalement les dioulas – sont désormais
avantagées par le gouvernement au pouvoir, il est difficile pour le « peuple de Gbagbo » de ne
pas se sentir relayé au titre des populations de « seconde zone ». En témoigne la nouvelle
pratique de « rattrapage ethnique » dans l’administration, démontrant que les personnes qui
accèdent au pouvoir n’on pas changé leurs habitudes et continuent de favoriser les ethnies qui
leur sont politiquement favorables. De plus, des abus de la part des forces de sécurité et des
milices non démantelées sont encore dénoncés sans que l’Etat n’arrive (ou ne veuille…)
reprendre le contrôle nécessaire sur eux. Ces abus ne font qu’alimenter la frustration du
« peuple de Gbagbo », et plus largement de l’ensemble de la société ivoirienne, qui est lasse
de toutes ces années de conflits. De nombreux réfugiés refusent encore de rentrer chez eux et
la plupart font partie de ce « peuple de Gbagbo ». À l’opposé, les plus radicaux des partisans
de Laurent Gbagbo refusent le dialogue politique et contestent toujours la légalité de
l’accession au poste de Chef de l’Etat d’Alassane Ouattara, tandis que le FPI est contraint de
suivre le même chemin que ses membres les plus radicaux et a ainsi boycotté toutes les
élections pour dénoncer une « justice des vainqueurs » qui est confirmée. En ce qui concerne
la justice transitionnelle, les poursuites pénales se font toujours attendre pour le camp de
Ouattara alors que les partisans de l’ancien président sous enquêtes judiciaires sont
emprisonnés depuis maintenant deux ans sans que des procès aient encore eu lieu. La lenteur
du travail de réconciliation est également visible au sein de la CDVR dont le mandat est censé
s’achever dans quelques semaines alors que la vérité sur les crimes graves qui ont été commis
est loin d’être établie.
Le pronostic n’est donc pas très optimiste, d’autant plus qu’Alassane Ouattara semble loin de
réussir à établir un dialogue avec le « peuple de Gbagbo ». Le pouvoir d’exclure aurait-il
simplement changé de main ? Le processus de réconciliation est en échec dès lors que les
injustices se poursuivent en changeant de camp, lorsque le groupe qui a été discriminé hier
gouverne le pays aujourd’hui et fait finalement les mêmes erreurs que son prédécesseur.
D’abord, on ne peut se réconcilier avec quelqu’un continue à nous faire du tort. Ensuite, le
79
camp des vaincus, qui devient alors la cible de nouvelles discriminations, développe une
nouvelle frustration qui créé les mêmes facteurs de crises. Le climat de revanche des uns et
des autres est bien présent ; revanche des gagnants sur les perdants, et esprit de revanche
grandissant des perdants sur les gagnants.
Les armes ont retenti au détriment de l’intérêt du peuple ivoirien au nom de la lutte pour le
pouvoir. L’élite politique reste encore trop divisée pour encourager la réconciliation à la base
de la société. Les risques de répétition des crises sont bien présents. L’avancée du processus
de réconciliation sera-t-il suffisant pour éviter que de nouvelles violences n’éclatent lors des
élection présidentielles prévues en 2015 ? Alassane Ouattara est présenté comme le président
de la transition démocratique, mais il n’a pas vraiment eu l’occasion de démontrer sa capacité
à gouverner démocratiquement. Un élément fondamental de la démocratie manque encore : la
constitution d’une opposition politique forte. La prochaine élection présidentielle en sera le
meilleur test si t’en est qu’un candidat soit présenté par le FPI. Si Gbagbo n’a pas été un
exemple de démocrate, il reste qu’il s’est considéré comme tel jusqu’au bout et ses partisans
continuent de protéger cette image de « Gbagbo le démocrate ». Quel serait le comportement
d’Alassane Ouattara face une opposition forte de près de la moitié du peuple, alors que la
classe politique, y compris le président actuel, ne semblent pas avoir rompu avec leurs
pratiques et leur volonté de captation partisane du pouvoir ?
Finalement, la clé de la réconciliation n’est peut être pas au niveau du gouvernement et des
principaux leaders politiques, car la volonté de la majorité du peuple ivoirien est bien d’en
finir avec cette spirale de la violence. On voit se multiplier des initiatives locales dans
plusieurs régions, conduites par des responsables religieux, coutumiers, administratifs ou des
ONG272 qui misent sur une réconciliation émanant de la base de la société273 en valorisant
l’éducation à la citoyenneté et à l’autre, et qui favorisent le dialogue sous l’ « arbre à
palabres » et revalorisent les formes traditionnelles de médiation. Les Ivoiriens ne semblent
plus prêts à attendre que leurs responsables politiques s’entendent pour réapprendre le « vivre
ensemble ». De là émane donc un certain optimiste venant relativiser ce premier bilan, et qui
est le signe de la mobilisation grandissante de la société civile ; constat positif de la transition
démocratique en cours. Mais cette élan pour la réconciliation émanant de la base sera - il
272 International Crisis Group, « Côte d’Ivoire : faire baisser la pression », novembre 2012, Rapport Afrique n°193. 273 LEFRANC SANDRINE, « Former des pacificateurs. Les politiques internationales de réconciliation par le bas », in LEFRANC SANDRINE (dir.), Après le conflit, la réconciliation?, Michel Houdiard Editions, 2006, Paris, 344 p., p. 293- 312.
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assez fort pour vaincre la surdétermination de la compétition politicienne ? De plus, ces
initiatives locales ne sont sans doute pas suffisantes, car la réconciliation implique
nécessairement un travail au niveau national, ne serait-ce que pour l’élaboration d’une
mémoire collective. La réconciliation nécessite un travail de mémoire qui se veut
l’articulation des mémoires individuelles et de la mémoire collective afin de reconstruire le
« vivre ensemble » 274. Paul Ricoeur disait, en parlant de l’histoire, qu’ « il est un privilège
qui ne saurait être refusé à l’histoire, celui non seulement d’étendre la mémoire collective au
delà de tout souvenir affectif, mais de corriger, de critiquer, voire de démentir la mémoire
d’une communauté déterminée lorsqu’elle se replie et se referme sur ses souffrances propres
au point de se rendre aveugle et sourde aux souffrances des autres communautés. C’est sur le
chemin de la critique historique que la mémoire rencontre le sens de l’histoire »275. Il est
grand temps que la Côte d’Ivoire travaille sur son histoire.
274 MARCHAL ROLAND, « Justice internationale et réconciliation nationale – Ambiguïtés et débats », Politique africaine, 2003/4, n°92, pp. 5-17. 275 RICOEUR PAUL, « Reconnaître le souvenir, connaître le passé », Le Monde des Débats, 2000, n°17, p. 25.
81
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B. Chapitres d’un ouvrage :
OTAYEK RENE, « Ethnicisation du politique et transition démocratique : La Côte d’Ivoire entre crispation identitaire et invention de la citoyenneté », in FERON ELISE et HASTINGS MICHEL, L’imaginaire des conflits communautaires, L’Harmattan, 2002, Paris, 304 p., p. 114-139.
C. Articles de périodiques
KAREL ARNAUT, « Les « hommes de terrain » - Georges Niangoran-Bouah et le monde universitaire de l’autochtonie en Côte d’Ivoire », Politique africaine, décembre 2008, n°112, p. 18- 35. BANEGAS RICHARD, « La politique du « gbonhi ». Mobilisations patriotiques, violence milicienne et carrières militantes en Côte d’Ivoire », Genèses, 2010/4, n°81, p. 25-44. BANEGAS RICHARD, CUTOLO ARMANDO, « Gouverner par la parole : parlements de la rue, pratiques oratoires et subjectivisation politique en Côte d’Ivoire », Politique africaine, 2012/3, n°127, p. 21- 48. BEAUCHEMIN CRIS, « Les migrations et l’effritement du modèle ivoirien : chronique d’une guerre annoncée ? », Critique internationale, 2005/3, n° 28, p. 19-42. BOUQUET CHRISTIAN, « Les leçons de la crise ivoirienne », Géopolitique africaine, 2011/3, n°40, p. 123-132. CHAUVEAU JEAN–PIERRE, « Question foncière et construction nationale. Les enjeux silencieux d’un coup d’Etat », Politique africaine, juin 2000, n°78, p. 121-147. CHAUVEAU JEAN–PIERRE, « Les racines agraires des insurrections ouest-africaines. Une comparaison Côte d’Ivoire-Sierra Leone », Politique africaine, octobre 2008, n°111, p. 131-167. COGNEAU DENIS, MESPLE-SOMPS SANDRINE, « Les illusions perdues de l’économie ivoirienne et la crise politique », Afrique contemporaine, 2003/2, n°206, 264 p., p. 87-104. CUTOLO ARMANDO, « Populations, citoyennetés et territoires - Autochtonie et gouvernementalité en Afrique », Politique africaine, décembre 2008, n°112, p. 5-17. DOZON JEAN-PIERRE, « La Côte d’Ivoire au péril de l’ivoirité », Afrique contemporaine, 2000, n° 193, p. 13-24.
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DOZON JEAN-PIERRE, « La Côte d’Ivoire entre démocratie, nationalisme et ethnonationalisme », Politique africaine, 2000, n°78, p. 45-62. FOFANA MOUSSA, « Des Forces nouvelles aux Forces Républicaines de Côte d’Ivoire », Politique africaine, 2011, n°122, p. 161- 178. GAULME FRANÇOIS, « L’ « ivoirité », recette de guerre civile », S.E.R.I Études, 2001/3, n° 394, p. 292- 304. GAULME FRANÇOIS, « Côte d’Ivoire ?: Du redressement à la paix durable », S.E.R.I Études, 2012/6, p. 727-738. HARTMANN FLORENCE, « Juger et pardonner des violences d’Etat : deux pratiques opposées ou complémentaires ? », Revue Internationale et Stratégique, hiver 2012, n° 88, 152 p., p. 67-80. HUGON PHILIPPE, « La Côte d’Ivoire : plusieurs lectures pour une crise annoncée », Afrique contemporaine, 2003/2, n°206, 264 p., p. 105- 127. LEFRANC SANDRINE, « Les commissions de vérité : une alternative au droit ? », Droit et cultures, 2008/2, n°56, p. 129-145. LEFRANC SANDRINE, « La justice transitionnelle n’est pas un concept », Mouvements des idées et des luttes, n°53, mars-mai 2008, pp. 61 à 69. MARCHAL ROLAND, « Justice internationale et réconciliation nationale – Ambiguïtés et débats », Politique africaine, 2003/4, n°92, pp. 5-17. MEDARD JEAN-FRANÇOIS, « L’État patrimonialisé », Politique africaine, septembre 1990, n° 39, p. 25-36. OTAYEK RENE, « La démocratie entre mobilisations identitaires et besoin d’Etat : y a t-il une « exception » africaine? », Autrepart, 1999, n°10, p. 5-22. ROSS AMY, LACHARTRE BRIGITTE, « Les politique de vérité ou la vérité sur les politiques –Amérique Latine et Afrique du Sud : Leçons d’expériences », Politique africaine, 2003/4, n°92, pp. 18-38. SIMPSON GRAEME, « Amnistie et crime en Afrique du Sud après la Commission « Vérité et réconciliation », Cahiers d’études africaines, 2004, n°173-174, p. 99- 126.
II. SOURCES DE DROIT
A. Sources de droit national ivoirien :
- Constitution de la République de Côte d’Ivoire du 3 novembre 1960.
- Loi n° 98750 du 23 décembre 1998 sur le domaine rural, Journal officiel du 14 janvier 1999.
84
- Ordonnance n°2011-167 du 13 juillet 2011 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de la commission dialogue, vérité et réconciliation.
B. Sources de droit international (instruments conventionnels, droit dérivé) :
Instruments conventionnels :
- Statut de Rome de la Cour pénale internationale, adopté à Rome le 17 juillet 1998, entré en vigueur le 1er juillet 2002, Recueil des Traités des Nations Unies vol. 2187, p. 3.
Droit dérivé des Nations Unies :
- Résolution 1528 sur la situation en Côte d’Ivoire portant création de l’ONUCI, Conseil de sécurité des Nations Unies, 27 février 2004, S/RES/1528(2004). - Résolution 1975 sur la situation en Côte d’Ivoire, Conseil de sécurité des Nations Unies, 30 mars 2011, S/RES/1975(2011).
III. RAPPORTS D’ORGANISATIONS INTERNATIONALES ET D’ONG
A. Rapports des Nations Unies :
- Secrétariat général des Nations Unies, Rapport du Secrétaire général des Nations Unies au Conseil de sécurité sur le Rétablissement de l’Etat de droit et l’administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, 23 août 2004, S/2004/616.
- Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies, Les Instruments de l’État de droit dans les sociétés sortant d’un conflit. Les commissions de vérité », 2006, HR/PUB/06/1.
- Assemblée générale des Nations Unies, Conseil des Droits de l’Homme, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène, 3 juin 2013, , A/HRC/23/38.
B. Rapports d’ONG :
International Center for Transitional Justice : « Truth Seeking- Elements of Creating an effective Truth Commission », Mars 2013, 70 p., consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://ictj.org/publication/truth-seeking-elements-creating-effective-truth-commission
85
Human Rights Watch : « Bien Loin de la Réconciliation- Répression militaire abusive en réponse aux menaces sécuritaires en Côte d’Ivoire », Novembre 2012, 80 p., consulté le 30 mai 2013, disponible sur : http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/coted'ivoire1112webwcover_FR.pdf
« Transformer les discours en réalité- L’heure de réclamer des comptes pour les crimes internationaux graves perpétrés en Côte d’Ivoire », Avril 2013, 82 p., consulté le 1er mai 201 », disponible sur : http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/CDI0413fr_ForUpload.pdf
Amnesty International : « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », Mars 2013, 86 p., consulté le 4 avril 2013, disponible sur : http://www.amnesty.fr/sites/default/files/afr31012013_26fev2013.pdf
«Côte d’Ivoire. Les effets destructeurs de la prolifération des armes et de leur usage incontrôlé», Mars 2013, 31 p., consulté le 10 août 2013, disponible sur : https://www.amnesty.org/fr/library/asset/AFR31/002/2013/fr/df99dbdf-e515-4385-876f-8b878a6df802/afr310022013fr.pdf
« Côte d’Ivoire. « C’est comme si rien ne s’était passé ici ». Un an après l’attaque du camp de Nahibly, la justice se fait toujours attendre», Juillet 2013, 29 p., consulté le 20 août 2013, disponible sur : http://www.amnesty.org/fr/library/asset/AFR31/009/2013/fr/aa0962bd-97b4-4850-afba-649e63e3dcff/afr310092013fr.pdf International Crisis Group : « Côte d’Ivoire : faire baisser la pression », novembre 2012, Rapport Afrique n°193, consulté le 22 juin 2013, consulté le 20 août 2013, disponible sur : http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/africa/west-africa/cote-divoire/193-cote-d-ivoire-faire-baisser-la-pression.pdf
IV. DOCUMENTS ELECTRONIQUES
A. Sites web :
- Cour Pénale Internationale, consulté le 20 septembre 2013, disponible sur : http://www.icc-cpi.int
- Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (page Côte d’Ivoire), consulté le 20 septembre 2013, disponible sur :
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http://www.unhcr.org/pages/49e484016.html - International Center for Transitional Justice, consulté le 20 juillet 2013, disponible sur : http://ictj.org/
- Amnesty International, consulté le 20 septembre 2013, disponible sur : http://www.amnesty.fr/
- Human Rights Watch, consulté le 20 septembre 2013, disponible sur : http://www.hrw.org/fr
- Commission Dialogue Vérité et Réconciliation, consulté le 20 septembre 2013, disponible sur : http://www.cdvr.ci
- Jeune Afrique, consulté le 20 septembre 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/
- Réseau @[email protected], consulté le 20 septembre 2013, disponible sur : http://www.abidjan.net/
- Réseau civox.net, consulté le 20 septembre 2013, disponible sur : http://www.civox.net/
B. Articles web :
AIRAULT PASCAL, « Côte d’Ivoire : la réconciliation impossible ? », JeuneAfrique.com, 3 juillet 2012, consulté le 28 novembre 2012, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2685p034-037.xml0/ AIRAULT PASCAL, « Côte d’Ivoire-CPI : Gbagbo ou le bénéfice du doute», JeuneAfrique.com, 14 juin 2013, consulté le 16 juin 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2735p010-012.xml0/ BANEGAS RICHARD, « Reconstruction « post-conflit » -Violence et politique en Côte d’Ivoire », ceri.fr, octobre 2012, consulté le 23 avril 2013, disponible sur : http://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/art_rb.pdf BAUDELAIRE MIEU, « Pascal Affi N’Guessan, président du FPI, et Michel Gbagbo remis en liberté provisoire », Jeuneafrique.fr, 5 août 2013, consulté le 5 août 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130805152510/ BOUQUET CHRISTIAN, « Côte d’Ivoire : « Ouattara devra ramener les pro- Gbagbo dans le jeu politique » », L’Express.fr, 14 décembre 2011, consulté le 25 janvier 2013, disponible sur : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/cote-d-ivoire-ouattara-devra-ramener-les-pro-gbagbo-dans-le-jeu-politique_1061675.html?xtmc=c%F4te_d\'ivoire_r%E9conciliation&xtcr=7
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BOUQUET CHRISTIAN, « Élections locales : « la population ivoirienne est lasse des crises à répétition » » (interview), France 24.com, 24 avril 2013, consulté le 26 juin 2013, disponible sur : http://www.france24.com/fr/20130424-elections-locales-cote-divoire-municipales-regionales-gbagbo-ouattara-violences DEPAGNE RINALDO (INTERNATIONAL CRISIS GROUP), « La Côte d’Ivoire a disparu des radars, pourtant rien n’y est réglé », Rue 89, 16 avril 2013, consulté le 28 avril 2013, disponible sur : http://www.rue89.com/2013/04/16/cote-divoire-a-disparu-radars-pourtant-rien-ny-est-regle-241477 FAUJAS ALAIN, « Côte d’Ivoire : la relance, oui mais… », Economie.jeuneafrique.com, 22 février 2013, consulté le 1 septembre 2013, disponible sur : http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/15720-cote-divoire-la-relance-oui-mais.html GROGA-BADA MALIKA, « Côte d’Ivoire : une caravane de la réconciliation et des polémiques », JeuneAfrique.com, 5 novembre 2012, consulté le 15 décembre 2012, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20121105101043/ HUGEUX VINCENT, « Côte d’Ivoire : Ouattara veut « protéger les minorités » », L’Express.fr, consulté le 25 janvier 2013, disponible sur : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/cote-d-ivoire-ouattara-veut-proteger-les-minorites_1075076.html
ANDRE SILVER KONAN, « Côte d’Ivoire : pro-Gbagbo exilés au Ghana, la revanche dans la peau », JeuneAfrique.fr, 8 mai 2012, consulté le 23 janvier 2012, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2677p028-031.xml0/
C. Documents audiovisuels :
- BENOIT SCHEUER, DOMINIQUE TREMBLOY, Côte d’Ivoire, poudrière identitaire, « Prévention Génocides », 2001, 1 heure 37 minutes, consulté le 20 février, disponible sur : http://www.dailymotion.com/video/xuoxe_cote-d-ivoire-poudriere-identitaire_news?search_algo=2
- Gbagbo face à la CPI- La réconciliation en sursis, France 24, 36 minutes, diffusé le 20 février 2013, consulté le 8 avril 2013, disponible sur : http://www.afrik.com/proces-contre-gbagbo-ou-proces-contre-ouattara-et-contre-la-cpi
- Concert de la paix et de la réconciliation - Caravane de la réconciliation en Côte d’Ivoire, IvoirTV.net, 2 heures 19 minutes, diffusée le 3 novembre 2012, consulté le 15 décembre 2012, disponible sur : http://www.youtube.com/watch?v=-ueP1IEEI08 - Côte d’Ivoire : une réconciliation impossible ? Interview de Salvatore Saguès d’Amnesty International pour affaires-stratégiques.info, IRIS, 1 minute 42 secondes, diffusé le 4 mars 2013, consulté le 6 mars 2013, disponible sur :
88
http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article7801
V. PRESSE
AKINDES FRANCIS, «Côte d’Ivoire : Ouattara face à la réconciliation », Alternatives Internationales, Juin 2011, n°51, p. 21. Jeune Afrique, Guide « Investir. Côte d’Ivoire 2014 », supplément Jeune Afrique, juillet 2013, n°2741, 74 p.
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ANNEXES
Table des annexes :
Annexe 1 : Grille d’entretiens semi directifs …………………………………………………………………..90
Annexe 2 : Entretien n°1 ………………………………………………………………………………………………..91
Annexe 3 : Entretien n°2 ………………………………………………………………………………………………..94
Annexe 4 : Entretien n°3 ………………………………………………………………………………………………..96
Annexe 5 : Entretien n°4 …………………………………………………………………………………………………98
Annexe 6 : Entretien n°5 ……………………………………………………………………………………………….100
Annexe 7 : Entretien n°6 ……………………………………………………………………………………………….102
Annexe 8 : Entretien n°7 ……………………………………………………………………………………………….105
Annexe 9 : Entretien n°8 ……………………………………………………………………………………………….107
Annexe 10 : Entretien n°9 ……………………………………………………………………………………………..108
Annexe 11 : Entretien n°10 ……………………………………………………………………………………………110
Annexe 12 : Entretien n° 11 avec Guy Labertit ………………………………………………………………112
Annexe 13 : Entretien n° 12 avec un militant du PDCI ……………………………………………………117
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Annexe 1 : Grille d’entretiens semi directifs L’objectif de ces entretiens qualitatifs est de rechercher la variété des positions et points de vue des partisans de Laurent Gbagbo sur le thème de la réconciliation en Côte d’Ivoire. Ces entretiens seront réalisés autour de questions incontournables sur les différents aspects de la réconciliation : 1/ Profil de la personne interviewée – Parcours politique àQuel est votre parcours politique ? à Quelle est votre fonction politique au sein du FPI/ au sein de tel ou tel groupe défendant Laurent Gbagbo? /Quelle forme a pris votre engagement pour la défense de Laurent Gbagbo? àNationalité, résidence…(Avez vous déjà vécu en Côte d’Ivoire ?/ Avez vous quitté depuis longtemps la Côte d’Ivoire ?) 2/ Question générale -‐ Dialogue politique àÊtes-‐vous pour l’ouverture du dialogue avec le gouvernement d’Alassane Ouattara?
3/ Boycott des élections àQue pensez-‐vous de la pratique de boycott des élections pratiquée jusqu’alors par le FPI?
4/ Entrée dans l’opposition et participation aux prochaines élections àConsidérez-‐vous que le FPI devrait entrer dans son rôle d’opposition politique afin de préparer sa participation aux prochaines élections présidentielles de 2015 ? 5/ Question générale-‐ Participation au processus de réconciliation à Sous quelles conditions pensez-‐vous que le FPI et l’ensemble des partisans de Laurent Gbagbo devraient participer au processus de réconciliation?
6/ « Justice des vainqueurs » et Amnistie àOn parle beaucoup de « justice des vainqueurs ». Qu’en pensez vous ? à Quelle est votre position au sujet de la détention des partisans de Laurent Gbagbo et au sujet de l’amnistie ? 7/ Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation àQue pensez vous du travail de la Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation? àPensez-‐vous que cet outil pourrait être efficace afin de réconcilier les Ivoiriens ? à La CDVR est chargée d’établir une vérité afin de déterminer les responsabilités et les préjudices subis dans les crises successives qui ont touché la Côte d’Ivoire. Êtes-‐vous pour la vérité sur les exactions et violations des droits de l’Homme ou pour l’oubli ?
8/ Sécurité sur le territoire àPensez-‐vous qu’à l’heure actuelle, il est possible de faire rentrer l’ensemble des Ivoiriens qui ont fui en masse lors de la dernière crise, qu’il s’agisse des Ivoiriens militants et sympathisants de Laurent Gbagbo aussi bien que des Ivoiriens d’origine ethnique présumée pro Gbagbo? Oui ou Non àPourquoi ?
9/ Question foncière/ Question des étrangers àQuelle est votre position sur la question foncière ? àQuelles est votre position sur la question des étrangers et de la nationalité ? 10/ Avancée de la réconciliation / Avenir du FPI à Que pensez vous des récents évènements à la CPI (report de la décision concernant la confirmation des charges / demande de nouvelles preuves) ? àSi les charges contre Laurent Gbagbo venaient à être confirmées par la CPI l’année prochaine, pensez-‐ vous que cela va compliquer l’avancée du processus de réconciliation ? àLaurent Gbagbo est toujours enfermé à La Haye et ce au moins jusqu’à ce que la décision de confirmation des charges soit confirmée l’année prochaine. Comment voyez-‐vous l’avenir du FPI sans son fondateur?
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Annexe 2 : Entretien n°1 Entretien avec Gnazegbo Liadé, militant du FPI 17 juin 2013 1/ Profil de la personne interviewée – Parcours politique J’ai longtemps été un militant associatif pour les droits de l’enfant, au sein d’une association qui promouvait des projets entre ici et la Côte d’Ivoire. Nous faisions, par exemple, des dons aux orphelinats en Côte d’Ivoire. Mais cela fait déjà 13 ou 14 ans que je suis militant du FPI. J’ai d’abord été secrétaire de la section Val de Marne à Vitry sur Seine, pendant deux ans. J’ai ensuite été à la représentation du FPI pour diriger le secrétariat chargé de l’implantation des sections du FPI dans toute la France. J’ai enfin été conseiller politique de la représentante du FPI en France, Kuyo Brigitte qui a été remplacée par une nouvelle représentante. Je vis en France depuis très longtemps. 2/ Question générale -‐ Dialogue politique Je fais partie du système de la CDVR (Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation). Je suis responsable délégué général Île-‐de-‐France pour la plateforme CDVR France. J’ai nommé les délégués départements sur lesquels je m’appuie. Ces délégués départementaux s’appuient quant à eux sur des animateurs qui ont pour mission d’aider à faire passer le message de la réconciliation chez les ivoiriens en France. Nous recensons également les ivoiriens qui souhaitent s’insérer dans le processus de réconciliation. Je suis donc pour l’ouverture du dialogue afin d’amener la paix et la confiance entre les différentes communautés, qu’elles soient étrangères ou non, et afin que tout le monde cohabite. J’ai toujours milité en ce sens et j’ai demandé à la CDVR que le gouvernement en place en Côte d’Ivoire accepte de jouer le jeu de la réconciliation et qu’il envoie des signaux forts en ce sens.
3/ Boycott des élections Le boycott des élections n’est pas une erreur. Chaque parti doit défendre ses intérêts. Le pouvoir ne peut pas amener le FPI aux élections. Il faut que le gouvernement respecte des conditions. Tous les candidats potentiels sont emprisonnés et tous les libérés sont surveillés. On ne peut donc pas aller aux élections de cette manière. De plus, le parti n’a pas les moyens matériels et financiers. Il faut un signal fort du gouvernement de Ouattara, par exemple la libération des partisans de Gbagbo.
4/ Entrée dans l’opposition et participation aux prochaines élections Tout dépend de la situation dans laquelle se trouve le FPI lui même. On ne peut pas présenter n’importe quel candidat. La démocratie en Côte d’Ivoire est fondée sur les groupes ethniques. Les candidats potentiels ne sont pas dans les conditions pour participer car leurs maisons sont soient occupées, soient elles ont été brûlées. Ils ont arrêté les personnes susceptibles d’être assez fortes pour se présenter. De plus, 70 % des électeurs potentiels « pro Gbagbo » sont hors de Côte d’Ivoire. Beaucoup ont pris la fuite et pour ceux qui sont sur place, nombre d’entre eux n’ont plus de carte d’identité ou de carte d’électeur. Moi j’ai géré quelques problèmes avec l’ONUCI sur place dans ma région. Ils m’ont aidé avec la sous préfecture car beaucoup de gens ont perdu leur papiers d’identité. Or, l’élection présidentielle est dans deux ans. Comment vont-‐ils faire pour organiser des élections sans électeurs. C’est très difficile pour le FPI. Les électeurs « pro Ouattara » sont sur place, pas les « pro Gbagbo ». Il faudrait faire rentrer les gens en exil et libérer les prisonniers politiques pour qu’ils puissent participer aux élections.
5/ Question générale-‐ Participation au processus de réconciliation Je ne pose pas de conditions à la réconciliation. Si on pose des préalables, on n’ira pas à la réconciliation. La réconciliation est une mission d’avenir. On est obligés de l’accepter. Je veux qu’on fasse des propositions mais nous demandons aussi que des efforts soient faits. On ne peut pas demander à une mère dont l’enfant est en prison d’aller à la réconciliation. Je ne demande pas la libération de tous les prisonniers politiques, mais simplement un effort de la part du gouvernement. Si on pose des conditions et des préalables, Ouattara n’acceptera pas. Ce sont des propositions de sortie de crise, mais pas des préalables. C’est mon travail d’amener les militants à la réconciliation.
6/ « Justice des vainqueurs » et Amnistie Les gens parlent de justice des vainqueurs parce qu’il y a eu des affrontements pendant dix ans et il y a eu des morts de part et d’autre. Les deux camps étaient armés et désormais un seul belligérant est responsable des crimes contre l’humanité. Certains disent que Gbagbo est le président légitime, et donc, qu’il était tout à fait normal qu’il soit intervenu
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pour protéger le pouvoir politique en place. Hollande aurait fait la même chose pour défendre la France. Mais c’est la France elle même qui a préféré soutenir la rébellion. Gbagbo a été attaqué alors qu’il était le président légitime. Aucun partisan de Ouattara n’est en prison. Je suis en accord avec ce concept de « justice des vainqueurs » et la question se pose aussi avec la CPI (Cour Pénale Internationale) : La CPI juge-‐t-‐elle le droit ou des questions politiques ? Par contre je ne suis pas pour une amnistie générale. Cela signifierait reconnaître les faits commis et seulement d’un côté. Il faut que tout le monde soit jugé au même titre. On ne peut pas demander une amnistie générale quand un seul camp est emprisonné. Cela voudrait également dire abandonner le fait que l’autre camp ait commis des exactions. Rendre justice, cela veut dire que les deux camps doivent être jugés. Si les deux camps étaient emprisonnés, alors oui, dans ce cas je voudrais que justice soit rendue et qu’ensuite une amnistie soit décidée. Pour le respect des victimes, il faut que justice soit rendue, car même ceux qui ne faisaient pas de politique ont été tués. Ne pas rendre justice, cela signifie ne pas punir. Or, il faut juger, punir et pardonner pour construire l’avenir. L’amnistie générale voudrait dire laisser la porte ouverte à de nouveaux troubles et de nouvelles rébellions. Il est très dangereux de faire une amnistie générale. Ceux qui ont tué doivent être jugés. 7/ Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation La CDVR a été mise en place alors que nous n’étions même pas sorti de la crise. Elle a été mise en place trop tôt. À ce moment là, les « pro Gbagbo » étaient encore pourchassés. De plus, la composition de la CDVR n’est pas équilibrée. Elle est composée seulement de personnes issues du Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP). Banny, son président, a des ambitions politiques. C’est un homme de la droite et un politicien. Sa mission se termine le 28 septembre 2013 et il ne veut plus renouveler son mandat parce qu’il estime que les conditions pour aller à la réconciliation ne sont pas réunies et que le gouvernement ne l’aide pas pour lui faciliter la tâche. Pour être crédible, Ouattara aurait dû nommer quelqu’un qui n’a pas d’engagement ni d’ambition politique, par exemple, un religieux. La CDVR est politisée. C’est pour cette raison qu’il est difficile d’obtenir des résultats. De plus, Ouattara vient de créer le Programme National de cohésion sociale et il y a nommé une femme du RDR. Il a fait cela pour mettre à mal la CDVR et Banny. Comment voulez vous que le peuple soit en accord avec cette commission ? Ceux qui ont enlevé Gbagbo tiennent les ficelles de la CDVR alors qu’il aurait fallu mettre quelqu’un de l’autre côté ou un homme de compromis. Les ivoiriens préfèreraient une personne qui soit du camp de Gbagbo, pour calmer le jeu. Si la composition de la CDVR est d’apparence équitable, avec toutes les régions représentées, ils n’ont pas choisi des gens influents. On ne peut pas parler de neutralité. Du côté du FPI, il y a seulement Sery Bailly pour diriger le groupe des intellectuels. Mais il n’est pas de la région de Gagnoa. Or, ceux qui ont été le plus victimes de la crise, ce sont les gens de cette région qui est la région de Gbagbo. C’est un intellectuel mais ce n’est pas un politique qui a de l’influence sur les populations. L’important c’est de trouver des personnes influentes dans leur région car l’importance c’est le groupe ethnique. Les gens veulent parler avec des gens du même groupe ethnique. Les ivoiriens ne parlent pas en terme d’ivoiriens tués mais en termes d’ethnies tuées, par exemple, les gens disent « les bétés et les guérés ont été tués ». La composante ethnique complique la réconciliation du peuple.
8/ Sécurité sur le territoire Le retour n’est possible que si les conditions sécuritaires sont réunies. Les maisons sont toujours occupées par les militaires de Ouattara illégalement. Le Ministre de la défense a demandé que les maisons occupées soient libérées par les FRCI et les a menacé d’intervenir par la force. Si le pouvoir lui même se pose des questions sur la sécurité, c’est que les conditions d’un retour ne sont pas remplies.
9/ Question foncière/ Question des étrangers La question foncière a été l’un des facteurs dynamiques de la crise. C’est un vieux problème datant du temps de la colonisation. Mais avant, nous traitions le problème sur le plan africain. Mon père était planteur. Les gens de la Haute Volta venaient travailler et ces gens demandaient des terrains pour faire de l’agriculture vivrière pour nourrir leur famille. Leurs employeurs, les planteurs ou autres, leurs mettaient des parcelles à disposition mais ce n’était pas une vente. Cela a commencé à poser problème quand les enfants des planteurs n’ont pas trouvé de travail en ville et ont décidé de revenir à la campagne. Ils voulaient récupérer les terres de leurs parents prêtées aux étrangers. Les accords de Marcoussis réglaient cette question en disant que tous ceux qui étaient nés avant l’indépendance de la Côte d’Ivoire devenaient automatiquement ivoiriens et cela réglait tous les problèmes liés à la terre. Mais avant cela il y a eu la naissance l’ivoirité et Gbagbo a continué sur la même voie. La question des terres est très douloureuse pour les ivoiriens, car pour eux c’était des prêts, c’était humanitaire. Maintenant, ils ont l’impression d’avoir été piégés. Humainement, il est normal que ce problème soit résolu. Ceux qui ont des familles et ont toujours vécu en Côte d’Ivoire, on ne peut pas les renvoyer au Burkina. On leur donne les terres et on arrête le problème. Par contre, pendant la crise, certaines plantations ont été occupées par des populations burkinabaises lorsque les ivoiriens ont fui. Ces personnes occupent et exploitent illégalement ces terres. Dans ces cas, il faut restituer les terres aux propriétaires.
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10/ Avancée de la réconciliation / Avenir du FPI La démocratie n’est pas encore bien implantée en Afrique. Si Gbagbo est libéré, la réconciliation ira de soit car les éléments contestataires de l’emprisonnement de Gbagbo accepteront la réconciliation. Cela serait une bonne chose pour la réconciliation. Mais il y a vraiment un problème. On voit, du côté des victimes qu’il y a une association de victimes « pro Ouattara ». Mais aujourd’hui, il est impossible de créer une association de victimes « pro Gbagbo ». Or, il ne faut pas faire de différences entre les victimes. Elles doivent toutes être traitées sur le même pied d’égalité. Ouattara doit se considérer comme le président de la nation, et non le président d’une ethnie. Le président doit faire que toutes les victimes soient dédommagées. Cette association est une moquerie. Pour ce qui est de la CPI, si la CPI n’était pas un tribunal politique, on libèrerait Gbagbo au moins provisoirement. On ne peut pas dire qu’il y a insuffisance de preuves alors que la procureure a pris tout son temps. Il y a un manque de crédibilité. La procureure va demander des preuves à Ouattara contre Gbagbo. Cela ne calme pas le jeu. Enfin, sur la question concernant l’avenir du FPI, je ne pense pas qu’on doive focaliser l’avenir d’un parti politique sur un individu. Le problème, c’est que 80 % des militants font un culte de la personnalité. Les gens qui viennent soutenir Gbagbo l’aime parce qu’il répond à leurs besoins. Ils ne viennent pas pour les idées du FPI. Moi, j’y suis pour les valeurs que porte ce parti et je veux que le FPI continue d’exister sans Gbagbo. On doit continuer le combat là où Gbagbo l’a laissé. Mais la majorité des partisans pour le moment n’est pas pour faire de la politique. C’est une ignorance des règles du jeu politique et des valeurs de la politique.
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Annexe 3 : Entretien n°2 Entretien avec Franck Kalou, partisan de Laurent Gbagbo 18 juin 2013 1/ Profil de la personne interviewée – Parcours politique Je ne suis pas un militant du FPI, ni un « pro Gbagbo ». Je suis un africain qui a évolué sous l’influence française en Côte d’Ivoire et je fais partie de ceux qui n’ont jamais cru à la liberté donnée aux ivoiriens par les français. J’ai fait mes études en France. J’y ai étudié le droit et le commerce et j’ai ensuite travaillé pour Boloré, dans la filière communication sportive. J’ai développé une conscience politique avec les syndicats étudiants et j’ai dénoncé la politique de Boigny. Je ne suis pas FPI, je suis un homme libre. Pour moi, la lutte politique au niveau interne à la Côte d’Ivoire est secondaire. Il faut d’abord que l’on combatte pour la liberté et l’indépendance vis-‐à-‐vis de la France. Bien sûr, les idées me rapprochent des militants du FPI. Nous avons tous une chose en commun : notre pays. 2/ Question générale -‐ Dialogue politique Dans l’idée, je pense que le rétablissement du dialogue politique avec le gouvernement actuel est une bonne chose. Mais le problème, c’est que le gouvernement ne veut pas aller à la réconciliation. Il n’en a pas crée les conditions. De nombreuses personnes de l’opposition au gouvernement sont emprisonnées sans aucun motif. Parfois même, ce sont des gens qui n’ont jamais eu d’activité politique. Ouattara est stratégique et fait croire à sa volonté de réconciliation et d’apaisement du climat social. Mais, de toute manière, les vraies discussions doivent se faire avec la France. Puisque Ouattara gouverne sous l’autorité de la France, c’est avec la France qu’il faut discuter
3/ Boycott des élections Je pense que le boycott est une bonne chose. Mais de toute manière, Ouattara sera réélu grâce au soutien des pays occidentaux. Au regard du droit, Ouattara n’est pas légal. Les prochaines élections pourraient lui permettre d’asseoir sa légitimité. Mais pour cela, il faudrait qu’il gagne les élections en présence d’une réelle opposition politique. Or ce n’est pas le cas à l’heure actuelle.
4/ Entrée dans l’opposition et participation aux prochaines élections On peut seulement parler d’opposition politique lorsqu’il y a un gouvernement légal. Or, Ouattara n’est pas légitime, il n’est pas le président de la Côte d’Ivoire. Si j’avais été du FPI, je n’aurai jamais décidé d’engager les négociations avec le gouvernement actuel. Actuellement, on ne peut pas dire qu’il y a une opposition politique en Côte d’Ivoire.
5/ Question générale-‐ Participation au processus de réconciliation C’est une question difficile qui n’a pas germé dans mon esprit, car pour arriver à penser à la réconciliation, il faudrait que la bande d’agresseurs de Ouattara avoue et s’excuse sur ce qu’elle a fait depuis 10 ans. Il n’y a pas eu de tueries dans les deux camps au sens où la plupart des gens l’entendent. C’est le gouvernement légitime de Gbagbo qui a été agressé depuis 2002. On cherche à embastiller Gbagbo alors qu’il a simplement joué son rôle de premier défenseur de la République de Côte d’Ivoire, de chef des armées. Le clan de Ouattara a massacré des milliers de personnes. Gbagbo a seulement joué son rôle en donnant l’ordre de défendre la République et de rétablir la sécurité sur le territoire face à une agression armée. C’est pour cette seule raison qu’il y a eu des morts. Donc il n’y a pas eu d’exactions des deux côtés. Du côté de Gbagbo, il y a eu l’intervention d’une armée légale. La vérité est étouffée. Or, si la vérité n’est pas dite, on ne peut même pas envisager de parler de réconciliation. Tant que l’on fera passer les victimes pour des bourreaux, il n’y aura pas de réconciliation. La condition de la réconciliation est donc pour moi l’établissement de la vérité. De plus, ceux qui parlent de réconciliation, ce ne sont pas des vrais ivoiriens. Ils se prennent pour des ivoiriens mais ils ne le sont pas. Ce sont les gens du Nord, les dioulas. Sous prétexte qu’ils ont participé à la construction de la Côte d’Ivoire, ils se prennent de facto pour des ivoiriens. Ce n’est pas de la xénophobie. Quelqu’un qui souhaite simplement sauvegarder les intérêts de son pays n’est pas un xénophobe. Finalement, ici encore, je pense que la réconciliation est d’abord une négociation avec la France directement. Il n’y aura pas de réconciliation sans discussion avec la France. 6/ « Justice des vainqueurs » et Amnistie La notion de « justice des vainqueurs » n’est pas une bonne notion. Pour utiliser cette notion, il faudrait qu’il y ait un vaincu. S’il y avait eu une vraie guerre, de toute façon, Ouattara n’aurait jamais gagné. C’est la France qui a gagné. Mais si l’on veut parler du contenu de cette notion et de ce qu’elle veut faire entendre, en effet, on peut parler de justice des vainqueurs dans la mesure où personne du camp de Ouattara n’a été inquiété par la justice. Mais pour nous, Ouattara est
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une parenthèse dans l’histoire de notre pays. Quant à l’amnistie, les gens qui sont actuellement en prison n’auraient jamais dû l’être. Accepter le concept d’amnistie, c’est accepter que les gens soient emprisonnés alors qu’ils ne devraient pas l’être, et c’est accepter la culpabilité. Par contre, tout le monde a la preuve que des crimes ont été commis par le camp de Ouattara. 7/ Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation Cette commission est de la poudre aux yeux. Ouattara s’est allié au PDCI. Mais les gens du PDCI n’ont pas de courage politique. Banny a accepté ce travail comme un tremplin politique. Il est vu comme quelqu’un qui n’a pas de courage. Quand on parle de réconciliation à l’africaine, il faut dire la vérité, sinon cela ne sert à rien. Il ne peut y avoir de réel oubli sans vérité. Il faut reconnaître l’état de victime. Aujourd’hui, la tâche qui nous incombe est de préparer les esprits à ne pas aller à une nouvelle guerre. Les ivoiriens ont, comme tous les hommes, l’esprit de revanche. Si Ouattara part, les vrais ivoiriens vont réapparaitre. On doit donc préparer la population à ne pas se venger.
8/ Sécurité sur le territoire Le retour des exilés est possible mais il faut restituer les biens à leurs propriétaires. Les maisons sont soit occupées, soit elles ont été confisquées ou encore dévastées. Les exilés ont peur pour leur sécurité. Il faut des garanties de sécurité pour envisager un retour.
9/ Question foncière/ Question des étrangers Il n’y aurait pas de problème si le droit de propriété était respecté. Le problème de la Côte d’Ivoire est d’avoir accepté une immigration sauvage d’étrangers qui ont pris des terres et les exploitent sans en avoir le droit. Les gens de l’Ouest sont chassés de leurs terres et celles-‐ci sont occupées par des burkinabés. La question qui se pose est de savoir comment réparer les torts commis et vivre en harmonie avec les étrangers. Le code civil est la copie conforme du code civil français. Est ce que le fait que vous viviez en Côte d’Ivoire fait de vous un ivoirien ? Il y a des gens qui auraient pu devenir ivoiriens et ils ne l’ont pas demandé. Et même si l’on a la nationalité ivoirienne, on n’est pas forcément propriétaire. Si la loi dit que tel étranger est propriétaire d’une terre, alors je suis d’accord. Mais ce n’est pas parce qu’on est sur une terre depuis 60 ans qu’on en est propriétaire. À l’époque où les burkinabés venaient travailler comme métayer, les ivoiriens faisaient des prêts de parcelles et non des ventes. C’était un geste coutumier et d’hospitalité. Je ne comprends pas comment on peut autant vouloir faire accepter un principe qui n’est appliqué nul par ailleurs. Pourquoi les ivoiriens devraient accepter de donner définitivement leur terre sous prétexte qu’ils l’ont prêter il y a 60 ans. 10/ Avancée de la réconciliation / Avenir du FPI En ce qui concerne la CPI, les occidentaux ont crée une institution seulement pour les africains. On va se battre jusqu’à ce que la CPI ferme ses portes. Gbagbo n’est coupable de rien. Il était le chef des armées et a réagi en légitime défense. Pourquoi ce sont les rebelles qui ont eu une licence de tuer alors que Gbagbo exerçait lui son pouvoir légitime. Les occidentaux nous enseigne des concepts qu’ils sont incapables d’appliquer à eux mêmes. En ce qui concerne l’avenir du FPI, Gbagbo en est le fondateur mais il n’est pas le dépositaire exclusif des idées portées par le FPI. Si le FPI participe aux prochaines élections et que de vraies élections, libres et indépendantes sont organisées, Ouattara ne passera pas. Le FPI n’est pas parfait mais il a un avenir car c’est le seul parti qui défend les intérêts de la Côte d’Ivoire. Tout le monde sait cela en Côte d’Ivoire.
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Annexe 4 : Entretien n°3 Entretien avec Armand Kipré, militant du FPI 20 juin 2013 1/ Profil de la personne interviewée – Parcours politique Je suis avant tout un homme de la diaspora ivoirienne et quelqu’un d’objectif. Je suis militant depuis que je suis étudiant. J’ai d’abord été un militant du parti de gauche en France et j’ai apprécié Gbagbo car il est quelqu’un qui aime la démocratie. Il a prouvé que grâce à la compétence, on pouvait arriver aux plus hautes fonctions. Je suis militant du FPI depuis plus de 15 ans. J’ai été membre du bureau de la représentation en France, mais je dois dire qu’avoir une fonction à la représentation est plus une histoire de copinage. Il n’y avait pas de militantisme au sens propre du mot et pas de travail scientifique engagé qui y était fait. Il y avait beaucoup de marches. J’étais d’ailleurs chargé d’encadrer la sécurité lors de ces marches en France. Mais nous n’avons jamais fait un travail qui puisse, selon moi, faire avancer les choses. 2/ Question générale -‐ Dialogue politique La meilleure solution est d’aller vers l’autre et de favoriser le dialogue. Mais il y a un préalable : que le pouvoir en place soit démocrate et laisse l’opposition politique libre. Aujourd’hui, le pouvoir a tous les moyens de contrôle sur les politiciens.
3/ Boycott des élections Je pense que c’était une bonne stratégie. Si nous n’avons pas une attitude ferme, l’autre ne bougera pas, et nous nous retrouverons en situation de suffisance. La pratique du boycott a au moins permis d’alerter la communauté internationale. Mais sur le plan stratégique, ce n’est pas bon dans le temps. Ouattara pourrait utiliser la pratique du boycott par le FPI pour dire que le FPI est composé de radicaux. Chez nous, le pardon est important.
4/ Entrée dans l’opposition et participation aux prochaines élections Je suis pour que le FPI présente un candidat. Comme je vous l’ai dit, à long terme, il n’est pas bon de rester trop longtemps hors du jeu des élections.
5/ Question générale-‐ Participation au processus de réconciliation Il faut deux individus pour dire ce sur quoi on est d’accord ou pas d’accord. C’est une question de compromis. Je pense que le minimum est d’assurer la sécurité des personnes et des biens car les gens ont peur. En Afrique, les armes circulent facilement. Au niveau de la population, s’il y a du travail ainsi qu’une politique d’éducation et de santé qui fonctionne, alors on pourra avoir la réconciliation. C’est grâce à cela que la population pourra se mettre d’accord. Il est nécessaire de moins politiser la population. Je pense également qu’il faut libérer les prisonniers politiques. Si Gbagbo n’aimait pas la démocratie, je peux vous dire que Ouattara ne serait pas au pouvoir aujourd’hui.
6/ « Justice des vainqueurs » et Amnistie La justice des vainqueurs est une justice arbitraire qui empêche les gens de s’exprimer. Quant à l’amnistie, je suis pour. Il faut pardonner et favoriser le dialogue. Dans le comportement des ivoiriens, il y a toujours l’idée de pardon. Il faut en quelque sorte mener une médiation. Si la justice trouve une solution pour les victimes, on peut amnistier pour pardonner. Il faut simplement que l’on arrête de se battre. 7/ Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation On aurait du laisser cette institution aller jusqu’au bout, mais elle a été politisée et contrôlée. Banny avait une bonne intention, notamment sur la question foncière, afin de réconcilier les ivoiriens. Je pense que le mandat de la CDVR ne va pas être renouvelé. De toute manière, cela ne sert à rien si les hommes politiques ne sont pas libérés. Si la CDVR est remplacée par le plan de cohésion sociale, alors n’y aura pas de vérité et de ce fait cette institution n’a pas le droit de vivre.
8/ Sécurité sur le territoire Si le gouvernement prend un engagement ferme, alors pourquoi pas ? Ce n’est pas facile d’être exilé. Les ivoiriens seraient bien mieux chez eux. Mais pour le moment, il n’y a que des voyous illettrés qui ont des armes, les ivoiriens ne sont pas rassurés.
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9/ Question foncière/ Question des étrangers On ne peut accepter ce qui se passe. Ils s’approprient des terres arbitrairement. Personne au monde ne peut accepter cela. Mais de toute façon, il faut une loi qui oblige toute famille à scolariser les enfants jusqu’à 16 ans pour que l’on puisse se comprendre. Le dialogue passera également par les institutions religieuses C’est de la faute des colons. La Côte d’Ivoire a été balkanisée. Pourquoi ont-‐ils dit que l’homme ivoirien était fainéant ? Ma terre m’appartient. C’est une solution juridique qui doit être trouvée, mais on ne peut pas arracher la terre de quelqu’un pour la donner à un burkinabé pour faire des plantations. C’est une humiliation ! Une injustice ! La seule solution est que l’Etat ivoirien fasse une loi. L’hospitalité ne donne pas le droit de propriété. Ce n’est pas parce que cela fait 40 ans que tu es sur une terre que tu en est propriétaire. Ce n’est pas de la xénophobie. Au Sénégal, pour avoir une terre, c’est beaucoup plus difficile. Pourquoi veut-‐on nous obliger à faire cela en Côte d’Ivoire ? Il faut un homme fort pour mettre fin à ce système.
10/ Avancée de la réconciliation / Avenir du FPI Cette institution ne représente rien du tout. La CPI s’est réveillée après 2010, mais où sont les autres auteurs ? Gbagbo n’est pas le seul responsable. Où est la France dans cette histoire ? C’est une institution politique. C’est l’affaire des occidentaux. Lorsque l’on regarde ce qui se passe avec Gbagbo à la CPI, je suis indigné par le fait qu’on laisse passer des vices de procédure comme ça devant un tribunal international. Libérer Gbagbo est de toute façon la seule solution de la réconciliation. L’homme ivoirien peut pardonner, à condition que Gbagbo soit libéré. Pour ce qui est de l’avenir du FPI, je ne pense pas que Gbagbo soit irremplaçable. Il y a une nouvelle génération qui arrive.
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Annexe 5 : Entretien n°4 Entretien avec Thibeaud Obou, partisan de Laurent Gbagbo et président de l’association Africains du monde 21 juin 2013 1/ Profil de la personne interviewée – Parcours politique Je suis président de l’association Africains du Monde, qui a pour mission la défense des intérêts des africains dans le monde entier. Je ne suis pas un militant du FPI mais je défends la cause des africains et j’accompagne le FPI afin que la Côte d’Ivoire recouvre sa souveraineté dans le cadre d’un mouvement de résistance. Je suis un acteur de la politique ivoirienne sans être un militant du FPI. Mais nous nous inscrivons dans la même mouvance d’idées. J’ai par ailleurs publié plusieurs articles et lancé une pétition pour la fermeture de la CPI. 2/ Question générale -‐ Dialogue politique Avant de parler de réouverture du dialogue politique, il faut déjà que le pays soit libéré. Il faut libérer les prisonniers politiques et que l’armée française ainsi que les autres armées étrangères présentes sur le territoire (ONUCI, forces spéciales américaines et anglaises) partent. Le pays est sous occupation. Dans cette situation, il n’y a pas de négociation possible. Et dans le cas même où on envisagerait des négociations, celles ci doivent être menées avec la France qui est le réel acteur qui gouverne la Côte d’Ivoire actuellement.
3/ Boycott des élections Quand un pays est occupé, il ne peut y avoir d’élections. Toutes les réactions adverses sont neutralisées. Le boycott n’est pas un choix. Il n’y a aucune autre solution. Il n’y a pas de vie politique et tout le monde est en prison. Il n’y a pas de candidat à présenter.
4/ Entrée dans l’opposition et participation aux prochaines élections Le FPI peut-‐il être considéré comme un parti qui peut présenter un candidat ? Non 5/ Question générale-‐ Participation au processus de réconciliation Il faut que plusieurs conditions soient réunies : -‐libération de Gbagbo -‐retrait de la France -‐les personnes qui ont commis des crimes doivent être jugées 6/ « Justice des vainqueurs » et Amnistie Ce n’est pas la « justice des vainqueurs ». C’est la justice des occupants. La Côte d’Ivoire n’est plus un Etat de droit. Tout est politisé. C’est aussi pour cette raison que l’on demande la fermeture de la CPI. 7/ Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation C’est de la comédie. Ces institutions ne sont pas légales car l’autorité elle même n’est pas légale. On demande aux africains de créer ce type d’institutions et de mettre de côté la notion de justice. En France, j’aurai aimé qu’on fasse une politique de réconciliation après Vichy. Je suis pour la justice et pour que les actes soient jugés car sinon, on entre dans un phénomène de répétition. Mais je suis contre ces commissions, car c’est la justice qui doit faire son travail pour réparer et apaiser. La justice classique est faite pour harmoniser et éviter que les actes commis ne se répètent.
8/ Sécurité sur le territoire La meilleure façon d’apaiser la situation est de faire rentrer toutes les ivoiriens sur le territoire et de libérer les prisonniers. Ce sont les occupants qui sont responsables de la sécurité. S’ils font preuve de bonne volonté en libérant les prisonniers politique, alors la situation s’apaisera, et cela permettra également aux ivoiriens de rentrer chez eux.
9/ Question foncière/ Question des étrangers
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C’est l’Etat qui est propriétaire de la terre. Les personnes occupants les terres en ont la jouissance mais ils se croient propriétaires. Donc c’est un faux problème. Pour ce qui est des étrangers, il y a eu beaucoup de communication autour de ce problème. Pendant longtemps, tous les voisins de la Côte d’Ivoire venaient étudier et travailler sur le territoire. Mais la politique a fait remonter des problèmes, ce qui a crée des tensions entre les populations. La France a tout fait pour promouvoir les chefs rebelles étrangers. Le problème des étrangers est un faux problème. Les gens ont toujours bien vécu ensemble. Ceci trouve sa source dans l’histoire et est visible dans le fait qu’il y ait des alliances entre les langues pour éviter les problèmes. C’est donc avant tout un problème politique. On veut que les ivoiriens se détournent des problèmes liés aux richesses et qu’ils se détournent de ce que fait la France en Côte d’Ivoire. Quand on divise le peuple, on est plus tranquille pour exploiter les richesses.
10/ Avancée de la réconciliation / Avenir du FPI L’emprisonnement de Gbagbo a un effet certain sur le pays. Si Gbagbo est libéré, le pays sera libéré et pourra se réconcilier. Par sa libération, on libèrera également les autres prisonniers politiques. On souhaite également que les africains se retirent de la CPI. Mais dans le cas de la confirmation des charges, cela aura un impact négatif car le pays ne pourra pas se retrouver. Quant à l’avenir du FPI, je pense qu’il ne peut pas vivre sans son fondateur. Le FPI ne peut se structurer sans Gbagbo. Il perdrait de la force. Mais comme toute organisation, elle est appelée à se régénérer. Cela sera difficile sans Gbagbo car les militants viennent pour lui. Mais si le FPI présente un candidat aux prochaines présidentielles, cela signifie qu’ils ne sont plus dans la résistance et qu’ils souhaitent collaborer avec un gouvernement illégal.
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Annexe 6 : Entretien n°5 Entretien avec Lynda Baroan, militante du FPI 24 juin 2013 1/ Profil de la personne interviewée – Parcours politique J’ai commencé à m’intéresser à la politique lorsque j’étais au collège. J’ai épousé les idées de Laurent Gbagbo à cette époque et je suis devenue sympathisante du parti. Ce qui m’a plu en premier, ce sont surtout les idées, et non spécifiquement la personne de Laurent Gbagbo. Ensuite, en 2001 je suis partie en France et en 2002 j’ai commencé réellement à militer auprès du FPI en France. En 2005, j’étais chargée de la mobilisation des femmes pour le bureau du département du 92. À l’heure actuelle, j’ai pris du recul avec le parti d’une part pour des raisons personnelles, et d’autre part à cause du culte de la personnalité de Laurent Gbagbo que font de nombreux militants du FPI. Cela m’a un peu « cassée ». Mais je reste une militante des idées fondatrices du FPI. 2/ Question générale -‐ Dialogue politique Laurent Gbagbo avait proposé en son temps que le dialogue soit ouvert avec l’opposition de l’époque mais cette dernière avait refusé. Mais désormais, c’est bien les partisans de Gbagbo qui sont emprisonnés et exilés. C’est donc bien celui qui veut proposer le dialogue qui n’est pas en position de faiblesse. Cela dure depuis deux ans. Il faut que le gouvernement actuel fasse un pas vers l’autre.
3/ Boycott des élections Si l’on était dans un pays développé, le FPI serait allé aux élections. Mais les militants et les cadres sont en prison. Dans cette situation, on ne peut pas aller aux élections. Qui va aller voter et qui va se présenter ? On va aller voter pour qui ? De plus, matériellement, il était impossible de se préparer aux élections car les maisons sont occupées. Enfin, l’occident a déjà choisi son candidat donc cela ne servait à rien de participer.
4/ Entrée dans l’opposition et participation aux prochaines élections Le FPI intérimaire rêve s’il a l’intention de présenter quelqu’un. Ce ne sont pas les africains qui décident. La Côte d’Ivoire doit disposer des trois pouvoirs suivants afin d’envisager l’organisation d’élections : l’indépendance économique, l’indépendance diplomatique et l’indépendance militaire. Or, à l’heure actuelle, c’est la France qui doit donner son accord. L’argent de notre économie va dans les banques françaises. D’un côté, politiquement, c’est difficile de rester hors du jeu car cela tue le parti. Mais d’un autre côté, le fait de rester hors du jeu est une forme d’expression qui montre que lorsque le FPI ne présente pas de candidat, il y a un fort taux d’abstention.
5/ Question générale-‐ Participation au processus de réconciliation Il faut que chacun « vide son sac ». Aujourd’hui, nous sommes dans un politique du vainqueur. C’est donc très difficile. Mais la réconciliation est un long processus qui ne se décide pas en un jour. Une partie des ivoiriens se sont sentis trahis. Il n’y avait pas de tensions avec les burkinabés. On ne les exploitaient pas. C’est eux qui venaient volontairement dans les plantations parce qu’ils avaient besoin de travail et ils étaient payés. Dans la plantation de mon père, Bakari représentait quelqu’un qui s’occupait de nous, de notre famille et la maison. On avait de la considération pour lui. Mais aujourd’hui, on se sent trahi car ils se sont retournés contre nous pour dire qu’on les a exploité. Pour parler de réconciliation, si Bakari reconnaît qu’il m’a fait du tort, je suis prête à pardonner la spoliation, les occupations de villages et l’occupation des postes de l’administration. Mais aujourd’hui Bakari ne reconnaît pas ses torts et moi je n’ai pas d’arme. Ainsi, je ne peux qu’observer avec tristesse et rancœur ce qui se passe. ADO ne fait pas un seul pas vers les ivoiriens. 6/ « Justice des vainqueurs » et Amnistie -‐-‐ 7/ Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation Tout d’abord, pour ce qui est de la constitution de la CDVR, Banny, le président, est membre du RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix). Or, le président de cette commission aurait du être quelqu’un de la société civile qui n’est pas membre d’un parti politique, afin de rassembler l’ensemble des membres de tous les partis politiques et des associations locales. Banny n’est pas quelqu’un de neutre. Je ne dis pas que les pro Gbagbo n’ont pas fait d’erreurs. Mais il faut que chacun reconnaisse ses torts. On avait nos traditions
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mais on a tellement de complexes d’infériorité. On a toujours réglé nos problèmes sous l’arbre à palabres. Chacun y donnait sa version des faits. Cela permettait d’amorcer le dialogue et de mettre à nu certains problèmes. Mais la justice qu’on veut nous imposer n’est pas une justice qui est à nous. Il faut adapter notre culture au monde. Il faut que chacun s’asseye et dise la vérité. Si de cette façon, cela ne marche pas, alors on pourra passer devant la justice. Mais pendant que le désordre règne, l’Afrique est pillée.
8/ Sécurité sur le territoire L’insécurité est grandissante. Personne n’a confiance. Je suis très sceptique quant à un possible retour. J’aimerai que tout le monde puisse rentrer en Côte d’Ivoire car l’exil est difficile. Les gens perdent leur dignité. Mais est ce qu’en rentrant, il n’y aura pas de piège ? Il faut une garantie de sécurité. Personne n’a confiance. 9/ Question foncière/ Question des étrangers Dans la culture de mon ethnie, nous sommes terriens. Nos frères du nord ne sont pas terriens. Ce sont des commerçants. Dans d’autres zones du sud, ils sont terriens également. Si on applique l’adage de Boigny, c’est trop facile. La terre n’appartient pas à celui qui la cultive. Mais si les ivoiriens n’avaient pas vendu leurs terres, il n’y aurait pas de problèmes. Cependant, pour les cas d’expropriations, cela n’est vraiment pas normal. Cela ne peut pas marcher à long terme. La Côte d’Ivoire n’accepte pas cette occupation. Moi je n’irai pas au Burkina pour dire que c’est ma terre simplement parce que je l’ai exploitée. Eux, ils ont le droit de venir exploiter nos terres. Les gens du sud ne sont pas des fainéants. On a essayé de nous diaboliser. Chacun doit reconnaître ses torts.
10/ Avancée de la réconciliation / Avenir du FPI L’emprisonnement de Laurent Gbagbo est une comédie. En justice, quand il n’y a pas assez de preuves, on libère la personne. Gbagbo ne faisait pas l’affaire des grands groupes français et des institutions internationales. Il paye son insoumission. Quant à l’avenir du FPI, on peut dire que nous avons idolâtré Gbagbo car il nous a éclairé. Maintenant, lui il paye. Mais c’est à nous de réfléchir à comment on pourra relever le défi. On ne va pas attendre sa libération pour se mobiliser. Mais le FPI actuel n’a pas d’avenir avec Miaka Oureto. Ce sont les « durs » du FPI qui feront l’avenir du parti, Sangaré Aboudramane ou Simone Gbagbo par exemple. On aurait pu avancer avec eux même sans Laurent Gbagbo. D’ailleurs, ce dernier nous avait bien dit « Si je tombe, emboitez mon pas et avancez ! ». Il y a des têtes pensantes au FPI. Mais elles sont actuellement en prison.
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Annexe 7 : Entretien n°6 Entretien avec Georges Dodyau, militant du FPI 24 juin 2013 1/ Profil de la personne interviewée – Parcours politique Quand je suis arrivé en France, je ne m’intéressais pas à la politique ivoirienne. Mais en France, j’ai été séduit par les idées de gauche. J’ai eu le déclic en 2004 lors de l’épisode de l’Hôtel Ivoire. J’ai souhaité m’engager non pas en tant que FPI mais en tant qu’ivoirien soucieux de l’avenir de son pays. La façon dont la France agit en Côte d’Ivoire est choquante. On ne peut accepter cela. On ne peut plus accepter la violence. J’ai par la suite soutenu Laurent Gbagbo parce qu’il est le seul homme politique qui se bat pour la Côte d’Ivoire. Dans son programme, plusieurs choses m’ont séduites, et sa façon de faire de la politique également. J’ai été attiré par ses idées sociales. Dans nos pays, nous devons surtout travailler sur la solidarité et les politiques sociales. Des gens de toutes les régions soutiennent Gbagbo. Il a toujours utilisé la parole comme arme. C’est pour cette raison que je le soutiens encore. Il n’a jamais mis un opposant politique en prison. C’est ainsi que je me suis engagé au sein du FPI pour la campagne de 2010. J’ai été responsable de campagne avec la représentante du FPI en France, Kuyo Brigitte. Ensuite, j’ai soutenu la création d’un projet avec d’autres ivoiriens : le CRI-‐Panafricain. Mais j’ai pris du recul par rapport à ce dernier projet. 2/ Question générale -‐ Dialogue politique Le FPI actuel n’existe pas. Pour moi, ce ne sont pas des responsables politiques car tous les vrais responsables politiques du FPI sont en prison ou en exil. La représentation du FPI n’a aucune légitimité vis à vis du gouvernement en place. Elle ne peut être considérée comme un parti politique puisque les gens sont arrêtés. La considération du FPI en tant que parti politique n’est pas respectée par le gouvernement actuel. C’est un groupe assurant l’intérim. Je reconnais bien sûr Miaka Oureto comme le président intérimaire du FPI car il faut que le FPI vive. Ainsi, il donne espoir aux adhérents. Mais le dialogue n’a rien donné de concret. Les actions ne sont pas menées de manière franche. Les gens sont emprisonnés sans motifs d’accusation valables. Mais si ces gens étaient dehors, la légitimité du pouvoir en place serait largement fragilisée. La réalité est simple, on le voit aujourd’hui, Ouattara a tous les pouvoirs, et pourtant, rien ne marche en Côte d’Ivoire. Le FPI espère pouvoir dialoguer. Le dialogue est en effet la raison d’être du FPI. Même s’il demande des préalables, il ne pouvait qu’accepter le dialogue. 3/ Boycott des élections J’ai apprécié la décision du FPI par rapport aux élections locales, car cela a prouvé que malgré le fait qu’il ait tous les pouvoirs, Ouattara n’a pas la légitimité. En Côte d’Ivoire, on dialogue, on ne prend pas les armes. La décision de boycott a été bonne car cela a également permis aux observateurs étrangers de voir que ADO n’avait pas la légitimité qu’on lui prétend, puisque le taux de participation a été très faible. La libération des prisonniers politiques s’impose pour que le dialogue formel puisse commencer. Il faut dialoguer une bonne fois pour toute. 4/ Entrée dans l’opposition et participation aux prochaines élections La logique voudrait qu’il ne participe pas aux prochaines élections présidentielles. Tout d’abord, nous n’aurions pas dû aller aux dernières élections présidentielles car les gens et les rebelles étaient armés. Comment peut-‐on aller aux élections si les gens sont armés ? Le désarmement est la condition nécessaire à l’organisation d’élections. Avec les armes qui circulent, des gens du PDCI, du FPI et même des gens du propre camp de Ouattara peuvent être tués. Il faut désarmer tout le monde, même l’ONUCI et la Force licorne. Le temps que cela n’est pas fait, le FPI ne devrait présenter personne aux élections présidentielles. De toute manière, l’attitude de Ouattara se retournera contre lui. Tout le monde, même les gens de son camp, sont dans une situation très difficile en Côte d’Ivoire.
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5/ Question générale-‐ Participation au processus de réconciliation Il faut libérer les prisonniers politiques et faire rentrer les exilés. Si Ouattara aime tant la Côte d’Ivoire, il faut faire rentrer les exilés. 6/ « Justice des vainqueurs » et Amnistie Je ne suis pas contre le fait que des gens soient reconnus coupables et mis en prison. Mais il faut que la justice soit équitable. Or, pour le moment, un seul côté est emprisonné. Cette situation ne permet pas d’envisager de parler de réconciliation. Je ne vois pas d’amnistie possible. S’il y a eu des tueries du côté de Gbagbo, alors les responsables doivent être jugés et emprisonnés. Mais l’amnistie ne doit pas devenir un instrument politique. Il faut que l’on sorte de cette pratique de l’amnistie. Tout le monde doit être jugé. Mais à l’heure actuelle, on ne sait pas de quoi les personnes qui sont emprisonnées sont accusées, alors que cela fait 2 ans qu’elles sont en prison. Comment va-‐t-‐on faire lorsque ces gens vont sortir de prison ? On va leur accorder des réparations ? Leurs vies ont été détruites. 7/ Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation On nous met en place ce type d’instruments, mais c’est de la mise en scène. Il y a des actions à mener pour que les individus se fréquentent à nouveau. Il n’y a que de l’instrumentalisation politique depuis l’arrivée de Ouattara dans la vie politique ivoirienne. On ne prenait jamais le fusil avant. On réglait nos problèmes grâce aux alliances entre ethnies. Si l’on regarde la situation, on se rend compte que même Banny est découragé. Il n’obtiendra pas la vérité dans les conditions actuelles. Si mon parent est en prison, comment je peux imaginer penser à la réconciliation. Je ne peux pas accepter la réconciliation telle qu’elle est actuellement proposée par Ouattara. Mais si la CDVR avait été indépendante et non politisée, alors elle aurait pu être un instrument efficace. Même le président de la CDVR s’en plaint tous les jours. On avait notre façon de régler nos problèmes et ce n’était pas de cette façon. 8/ Sécurité sur le territoire Le retour des exilés est une question de volonté politique. Ils veulent retourner chez eux mais ils ont peur. Dans les conditions actuelles, il est impossible d’envisager un retour. Qui n’a pas peur de mourir ? C’est la terreur non seulement pour les opposants mais également pour la population. 9/ Question foncière/ Question des étrangers Ce sont des sujets très délicats. Je n’ai pas de position sur cette question. Mais la seule chose que je peux dire, c’est que la question la plus importante touche à l’attachement qu’a l’ivoirien à sa terre. Et si on pose la question à un ivoirien de savoir quel est son village d’origine, s’il n’en a pas, ce n’est pas un vrai ivoirien. La Côte d’Ivoire est devenue une sorte de laboratoire. On oblige les gens à choisir la nationalité ivoirienne pour renforcer les listes électorales. La nationalité est une démarche positive émanant de la personne. On ne doit pas aller chercher les gens pour leur demander voir les obliger à acquérir la nationalité ! On se sent réfugiés dans notre propre pays désormais. Mais de toute façon, le fond du problème, c’est la France. La solution, c’est qu’un homme d’Etat défende les intérêts de la Côte d’Ivoire comme le fait la France pour elle même. 10/ Avancée de la réconciliation / Avenir du FPI Les africains ont leur part de responsabilité sur le problème de la CPI. Mais je relativise mon propos dans la mesure où les pays occidentaux leur ont mis la pression pour ratifier le traité. Il appartient aux africains de dire stop. Les africains veulent garder la France comme partenaire mais sur de nouvelles bases plus équilibrées. Mais pour revenir à Gbagbo, je pense que sa déportation à la CPI a été salutaire car s’il était resté là bas, il serait soit mort, soit handicapé. Mais bien sur je suis pour sa libération. De plus, au moment de son arrestation, la Côte d’Ivoire n’avait pas ratifié le statut de la CPI. Ouattara maudit vraiment Gbagbo. La libération de Gbagbo est la condition de la réconciliation. Ouattara n’a aucun lien avec le peuple. C’est pour cette raison que tout est bloqué. Gbagbo est le seul qui est vraiment l’enfant du peuple. Il peut donner un coup de fouet à la réconciliation.
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Enfin, quant à l’avenir du FPI sans Gbagbo, ce qui compte, c’est que les gens comprennent que Gbagbo n’est de toute façon pas éternel. De plus, depuis 10 ans, ce n’est plus lui qui dirigeait le parti. Sans Gbagbo, le FPI peut évoluer mais il faut donner les pouvoirs aux têtes de l’opposition. Une démocratie sans des têtes d’opposition n’est pas une démocratie. De plus, il en va de la crédibilité de Ouattara.
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Annexe 8 : Entretien n°7 Entretien avec Anselme Bony, militant du FPI 25 juin 2013 1/ Profil de la personne interviewée – Parcours politique À l’origine, je me considère comme humaniste et altruiste avec des valeurs chrétiennes. Je suis prêt à aider les gens en difficulté. C’est pourquoi j’ai choisi le FPI pour son idéologie, qui était en adéquation avec ma façon de penser. C’est un parti socialiste et progressiste, qui veut par exemple instaurer une sécurité sociale universelle dans le pays. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire frise avec le capitalisme sauvage et personne ne peut survivre. Je me suis engagé au FPI en 1995. Actuellement je suis conseiller politique de la représentante du FPI en France, ainsi que secrétaire de section du FPI des Hauts de Seine II. 2/ Question générale -‐ Dialogue politique L’erreur est humaine et les gens peuvent se tromper. Mais il faut simplement avoir l’honnêteté de reconnaître que l’on s’est trompé. Le RHDP s’est trompé. Au FPI, nous sommes pour le dialogue politique mais à une seule condition : on ne peut exclure les gens en les mettant en prison, en violant les femmes, en les obligeant à l’exil, en les assassinant. En Côte d’Ivoire on a renommé les FRCI (Forces Républicaines de Côte d’Ivoire) « Forces de Répression des Civils Ivoiriens ». Nous sommes pour des discussions avec le gouvernement car nous voulons la paix. Cependant, le gouvernement ne peut d’un côté prôner la réconciliation et de l’autre côté continuer les exactions et les rafles. 3/ Boycott des élections Le FPI est un parti ancré dans la démocratie. Sa philosophie est d’exercer le pouvoir par les urnes. Nous ne pouvons aller aux élections lorsque nos camarades sont en exil ou emprisonnés. Le FPI ne peut cautionner une élection organisée par un seul parti politique chargé d’instaurer la pensée unique et la mise en exil des opposants. Si le FPI participe aux élections, cela voudrait dire qu’il cautionne ce qui se passe actuellement dans le pays. 4/ Entrée dans l’opposition et participation aux prochaines élections Si nous avons la possibilité de présenter un candidat pour les élections de 2015, nous le ferons. Si tout le monde est libéré et qu’un Etat de droit est instauré et que Ouattara est dans une dynamique démocratique, alors oui, pourquoi pas ? Il faut que le FPI ait les moyens de présenter un candidat. Pour le moment, nous ne savons pas si nous allons présenter un candidat. 5/ Question générale-‐ Participation au processus de réconciliation ADO fait seulement preuve de démagogie lorsqu’il parle de réconciliation. 6/ « Justice des vainqueurs » et Amnistie C’est une justice des vainqueurs car seuls les partisans de Gbagbo sont pourchassés et poursuivis. Tous les prisonniers doivent être libérés, les avoirs dégelés, les réfugiés doivent rentrer chez eux. 7/ Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation Lorsque la CDVR a été créée, nous avons applaudi car il est nécessaire que la vérité soit faite afin que les ivoiriens se réconcilient. Il est nécessaire que nous connaissions les causes de ces crises et que nous nous demandions pardon. Mais le gouvernement a confié cette commission à Banny et cette commission est devenue une coquille vide. Elle n’a pas les moyens de réalisation de sa mission. D’ailleurs, Banny dit lui même qu’on ne peut demander la réconciliation tout en excluant. Encore une fois, il s’agit de démagogie de la part de Ouattara car ses partisans continuent d’agresser. Le FPI demande à Ouattara de s’inspirer du modèle sud africain. Mandela, lui, avait une réelle volonté de réconciliation et avait refusé d’exclure. En Côte d’Ivoire, toute cette politique est contradictoire. Les comptes sont
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gelés, les fonctionnaires se font virés, les gens sont dans des camps de réfugiés. Il faut que l’on connaisse la vérité. Pour ce qui est de l’amnistie, je suis pour l’amnistie générale. Je rappelle d’ailleurs que Gbagbo a amnistié tout le monde après la rébellion de 2002. Il l’a fait au nom de l’intérêt général. 8/ Sécurité sur le territoire Aujourd’hui, le retour des exilés est inenvisageable du fait de l’insécurité. Nous ne sommes pas dans un Etat de droit. Personnellement, je sais que je ne peux pas aller en Côte d’Ivoire car je crains d’être arrêté, du fait de mon engagement politique et de ma participation à un débat sur France 24. 9/ Question foncière/ Question des étrangers Il y a beaucoup d’ethnies en Côte d’Ivoire et le droit foncier diffère selon les régions, tout en se rejoignant. Chez nous les Akan, on ne peut pas vendre la terre de nos parents car elle appartient à l’ensemble de la famille. Les étrangers qui sont venus de toutes les autres régions et qui ont eu des terres ne peuvent pas être propriétaires de ces terres. Au FPI, nous pensons qu’il faut couper la poire en deux. Un étranger qui exploite la terre qui ne lui appartient pas peut l’exploiter, mais il doit partager les fruits de cette exploitation avec le propriétaire de cette terre. La terre appartient au patrimoine familial. La Côte d’Ivoire a toujours été un pays hospitalier. On n’a pas de problèmes. D’ailleurs Gbagbo voulait instaurer la sécurité sociale pour toutes les personnes vivant en Côte d’Ivoire, y compris les étrangers. Selon les statistiques, 46 % de la population est étrangère. On a toujours bien traité les étrangers et ils avaient les même avantages que les ivoiriens. Ils sont les bienvenus. Mais nous refusons qu’ils portent atteinte à la vie des ivoiriens. 10/ Avancée de la réconciliation / Avenir du FPI L’impérialisme a toujours ostracisé les nationalistes africains qui refusent les dictats occidentaux. Souvenez vous de Samory Touré en Guinée Conakry qui a été déporté au Gabon, etc. Laurent Gbagbo n’a jamais accepté de prendre les armes pour prendre le pouvoir. Son enfermement pèse sur la réconciliation en Côte d’Ivoire, car en plus de tous les facteurs que j’ai évoqué précédemment, il ne pourra y avoir de réconciliation avec Gbagbo en prison. Il ne faut pas oublier que, même si nous prenons les chiffres qui ont été annoncés, Gbagbo a tout de même réuni au moins 46 % des suffrages. Ces gens là penseront toujours à lui. Pour être le président de la réconciliation, il faut penser à tous les ivoiriens. Comme le disent les présidents français, il faut être le président de tous les ivoiriens. Les ivoiriens seront comblés si Gbagbo est libéré. Pour ce qui est de l’avenir du FPI, le fait est que Ouattara n’avait qu’une seule ambition : décapiter le FPI. Mais nous sommes un parti organisé, nous tenons, nous nous sacrifions en vue de remettre le FPI sur pied. Avec ou sans Gbagbo le FPI résistera toujours.
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Annexe 9 : Entretien n°8 Entretien avec Léontine Topo, partisante de Laurent Gbagbo et présidente de l’association des Femmes Patriotes de France 25 juin 2013 1/ Profil de la personne interviewée – Parcours politique Je suis la présidente de l’Association des femmes patriotes de France. J’ai décidé de créer cette association en France en 2003, après les évènements de la crise de 2002 et notamment après les obsèques de Boga Doudou. Nous somme allés en Côte d’Ivoire pour présenter nos condoléances à la première dame, puis, voyant les défunts, les orphelins, les femmes violées en 2002, j’ai décidé de monter cette association à mon retour en France. Je ne suis pas une militante du FPI. Je n’appartiens à aucun parti. Ce que je souhaite, c’est qu’il n’y ait plus de sang en Côte d’Ivoire. C’est pour cette raison que je suis dans la rue. Mais j’ai épousé les idées de Gbagbo lorsqu’il était exilé politique en France dans les années 80. Il luttait pour le multipartisme. J’ai pensé qu’il parlait très bien et qu’il était l’homme qui pouvait soutenir l’avenir de notre pays. 2/ Question générale -‐ Dialogue politique Je n’appartiens à aucun parti politique. Je ne suis pas engagée sur cela. Cela ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est que les femmes et les enfants sont maltraités. Mais, ce que je peux dire, c’est que je ne reconnais pas le gouvernement actuel.
3/ Boycott des élections Si le FPI allait aux élections alors que Gbagbo est en prison et que l’on tue encore des ivoiriens, alors ce parti deviendrait mon premier ennemi. Il ne doit pas aller aux élections car les gens qui dirigent le pays à l’heure actuelle sont venus au pouvoir par les armes. Lors des élections en 2010, on était en danger même à Paris. J’étais responsable des urnes à Asnières et les gens sont venus pour casser les urnes. On a dû appeler la police et nos votes n’ont pas été considérés, ils ne sont même arrivés à Abidjan. Il n’y a pas de négociation possible pour cela. Le boycott est la seule solution. 4/ Entrée dans l’opposition et participation aux prochaines élections Les représentants actuels du FPI ont peur du peuple. Il vaut mieux pour eux qu’ils ne présentent aucun candidat. Ils savent qu’ils ne peuvent présenter personne. Il faut sortir Gbagbo de prison. On l’a élu pour qu’il mette en œuvre son programme. Il n’a pas encore pu faire ce qu’il avait prévu de mettre en œuvre pour les ivoiriens.
5/ Question générale-‐ Participation au processus de réconciliation Si Gbagbo sort de prison, si tous les exilés reviennent en Côte d’Ivoire et qu’on leur restitue leur maison et leur travail, si tous les prisonniers sont libérés et que Gbagbo reprend son fauteuil et gouverne, alors on pourra envisager de parler de réconciliation.
6/ « Justice des vainqueurs » et Amnistie -‐-‐ 7/ Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation L’histoire de réconciliation de Banny ne m’intéresse pas. Nous avons élu Gbagbo. Il faut que la France le reconnaisse avant d’envisager de parler de réconciliation. Aucune paix n’est possible en Côte d’Ivoire sans Gbagbo. La Côte d’Ivoire restera divisée. 8/ Sécurité sur le territoire -‐-‐ 9/ Question foncière/ Question des étrangers Il n’y a pas de problème d’ethnies. Si Gbagbo revient, il n’y aura plus aucun problème. Pendant ce temps, Ouattara est en train de régulariser les burkinabés. Quant à la question foncière, la terre appartient aux ivoiriens. Aujourd’hui, la terre est arrachée aux ivoiriens et on impose aux gens de laisser leurs terres sinon on tue. 10/ Avancée de la réconciliation / Avenir du FPI Il faut libérer Gbagbo. Sans Gbagbo, il n’y aura pas de réconciliation. Quant à l’avenir du FPI, il faut que Ouattara laisse travailler ce parti. Mais sans Gbagbo, le FPI n’a pas d’avenir.
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Annexe 10 : Entretien n°9 Entretien avec Georges Toualy, partisan de Laurent Gbagbo et universitaire ivoirien 20 juin 2013 1/ Profil de la personne interviewée – Parcours politique Je ne suis pas un militant du FPI à proprement dit. Je n’ai pas de carte du parti. J’ai surtout adhéré aux propos progressistes de Laurent Gbagbo lorsqu’il était professeur. Il était un militant de la souveraineté et de la démocratie, bien avant la construction de son projet politique. Lorsqu’il a consigné son projet dans un manifeste au cours des années 90, cela a consolidé mon adhésion à son projet pour la Côte d’Ivoire. Mais je suis un sympathisant critique du FPI. En effet, je ne conçois pas qu’un parti puisse se considérer comme un clan, un regroupement d’ethnies. Je pense plutôt qu’il faut penser un pays comme une « communauté de citoyens » (Dominique Schnapper). La France a regroupé ensemble des peuples qui n’avaient pas de projet commun. Mais une histoire est tout de même née entre eux, d’où l’embryon de l’Etat nation qui a commencé par le mouvement de libération. C’est ma vision du « vivre ensemble ». C’est pourquoi je soutiens de manière critique et distanciée le FPI. Je ne suis pas non plus pour faire de la politique un fonds de commerce. 2/ Question générale -‐ Dialogue politique Je ne crois pas à ce dialogue politique car il n’y a pas de véritable volonté. Je considère Ouattara comme un homme de paille. Il est en mission pour une grande puissance, ou pour un réseau de grandes puissances. Toutes ses idées concernant la réconciliation ne constituent qu’un gadget politique. Lorsque l’on souhaite réconcilier un peuple, il y a des signes qui ne trompent pas. Ouattara est venu pour faire du rattrapage ethnique. Il estime que les gens du Nord, les voltaïques, ont travaillé dans les plantations et n’ont pourtant pas été associés au projet politique de la Côte d’Ivoire. Il a une vision partisane de la république. Je pense qu’il faut construire un projet politique commun et non se placer dans un esprit de revanche. Ouattara a joué sur la dichotomie nord/ sud, musulman/ chrétien. Aujourd’hui, il exclut ! Les institutions républicaines sont dirigées par des gens issus du concept de rattrapage ethnique. Plus de 6000 cadres politiques sont en exil et il continue à les pourchasser. Il n’y a donc pas de signe d’apaisement, de symbole fort de concorde nationale pour agréger le maximum de personnes autour d’un projet. Je pense que le rétablissement du dialogue politique est une bonne chose dans son principe. Mais sincèrement, je ne suis plus trop les déclarations du FPI car je trouve que Miaka Oureto n’est pas à la hauteur. Il y a beaucoup de contradictions dans son approche et je ne suis pas certain qu’il comprenne ce que veut dire « réconciliation ». Je me demande également s’il n’a pas un peu peur de mettre un pied dans la fourmilière.
3/ Boycott des élections C ‘est une récurrence en Afrique car les règles du jeu sont changées en cours de route. Il reste simplement à valider les choix faits en amont. On est dans un système de théâtralisation des élections. En Côte d’Ivoire, s’il n’y a pas de véritable réconciliation, les élections ne pourront se passer normalement. La stratégie employée jusqu’alors par le FPI est justifiée mais c’est la manière dont il défend cette stratégie qui me pose problème. Il est nécessaire de trouver une pertinence au « non ».
4/ Entrée dans l’opposition et participation aux prochaines élections Qui se dégage aujourd’hui au sein du FPI ? Le FPI est décapité. Tous ceux qui pouvaient prétendre à un rôle majeur en politique sont obligés de se taire ou sont emprisonnés. Si le FPI présente quelqu’un aux prochaines élections, cela ne fera que légitimer le pouvoir d’ADO (Alassane Dramane Ouattara). Les organisateurs des élections sont à la fois arbitres, juges et parties. Ils sont sous la joute de la puissance coloniale.
5/ Question générale-‐ Participation au processus de réconciliation Le premier préalable est qu’ADO doit descendre dans l’arène. Le peuple a besoin d’être rassuré. Il n’a jamais parlé de réconciliation en personne à la population. Peut être parce qu’il n’y croit pas. Quand Frederick de Clerk s’est adressé à la population, il était avec Mandela pour s’adresser à la population sud africaine. Il faut qu’il fasse le tour de la Côte d’Ivoire avec les leaders des différents partis. Il doit montrer des signaux forts. Il aurait intérêt à discuter avec les plus radicaux de chaque parti pour montrer que le discours est libre. Par exemple, pour le FPI, il devrait plutôt parler avec Laurent Akoun qu’avec Miaka Oureto. Du côté de la société civile, il devrait s’adresser à des gens crédibles qui ne sont pas en quête de situation de rente. Dans ces conditions, l’ivoirien ordinaire se rendra compte de la sincérité de la démarche de réconciliation.
6/ « Justice des vainqueurs » et Amnistie En Afrique, toutes les juridictions sont corrompues. C’est celui qui est avec le pouvoir qui gagne. Il faut libérer les prisonniers politiques de la dernière crise car le chefs d’accusation sont fantaisistes. Cela constituerait un signe fort de la volonté de
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réconciliation. À situation exceptionnelle, solution exceptionnelle. Dans ce contexte, il est difficile de démontrer qui a fait quoi. C’est pour cette raison qu’il serait souhaitable de libérer ces personnes, sous réserve bien entendu d’une enquête ultérieure s’il y a des raisons suffisantes de croire qu’il y a réellement eu crime. Je pense qu’il faut d’abord l’apaisement, et ensuite la justice, car à l’heure actuelle, il n’y a pas assez de distance objective sur la situation. Si l’on est dans un schéma d’action et de rétroaction, on ne peut avoir une réelle visibilité. Le préalable est de permettre aux gens de s’asseoir. Il faut penser aux victimes et que justice soit faite. Mais cette justice doit être transparente. Le préalable est donc l’apaisement. 7/ Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation La CDVR a été mise en place par la volonté de ADO. C’est un instrument politique. Les commissions mises en place ont été définies par lui. Il n’ y a pas d’implication de la population. Il a demandé à Banny de piloter cette commission, mais malheureusement, il voit en Banny un homme de recours. De toute manière, il a crée une nouvelle institution, une CDVR « bis ». Pourtant, il est primordiale que la vérité soit faite. Elle est fondatrice de la réconciliation. Il est nécessaire de savoir qui a été le commanditaire de la rébellion depuis 2002. Nous voulons savoir qui est la puissance étrangère derrière tout cela. 8/ Sécurité sur le territoire Là encore, le pouvoir actuel n’a jamais montré de bonne volonté. Il y a un danger pour les ivoiriens de rentrer sur le territoire car le pouvoir est fragile.
9/ Question foncière/ Question des étrangers L’erreur date de l’époque de Houphouët-‐Boigny avec son fameux principe « La terre appartient à ceux qui la cultive ». Mais ce principe n’est pas applicable à la Côte d’Ivoire car la Côte d’Ivoire a toujours été peuplée. Cela a crée des problèmes car de nombreux ouvriers agricoles sont arrivés en Côte d’Ivoire et ont eu la conviction qu’ils pouvaient occuper des terres et se les approprier par des manipulations administratives. La loi n’est pas claire sur la propriété foncière. Les autochtones se sentent floués par les politiques. Il faudrait revenir sur un texte clair, compris par tous. Il faut revoir le texte de Bédié car on ne peut superposer la vision occidentale et la vision africaine sur cette question. Il y a un travail à faire, fondé sur les réalités locales, et il est nécessaire trouver un compromis entre les différentes perceptions des communautés traditionnelles de Côte d’Ivoire. Mais on ne peut pas chasser les burkinabés du territoire. Ils sont présents depuis plusieurs décennies sur le territoire mais ils doivent faire une démarche positive pour entrer dans la république afin d’obtenir la nationalité ivoirienne. Dès lors, ils pourront prétendre à la propriété privée. La coutume dit qu’on ne doit pas vendre la terre à un étranger. La terre doit rester aux autochtones. Aujourd’hui, on dit aux burkinabés d’aller prendre toutes les terres. On ne peut pas faire cela uniquement en Côte d’Ivoire. Si cet adage est valable, il doit alors être applicable à toute l’Afrique de l’Ouest.
10/ Avancée de la réconciliation / Avenir du FPI Le transfert de Gbagbo ressemble au phénomène de déportation des récalcitrants au temps des colonies. Il n’y a pas de motif réel et tangible, sinon la France elle même pourrait être condamnée pour génocide à cause des événements de 2002 en Côte d’Ivoire. Les militaires français sont entrés en action. De même en 2004, lors de l’épisode de l’Hôtel Ivoire et en 2011 lors de l’attaque du palais présidentiel où il y a eu plus de 2000 morts. Les chiffres n’ont pas été publiés. Gbagbo n’a jamais autorisé de tirer sur la population. Il est injustement détenu. Il a toujours fait de son combat pour la république un combat par les urnes. Sa détention a un impact sur la réconciliation car la majorité de la population africaine pense qu’il est injustement détenu. C’est la raison pour laquelle quelque chose doit être fait pour sa libération. Quant à l’avenir du FPI, il me semble quelque peu chaotique. Ceux qui assurent l’intérim ne sont pas à la hauteur. Mais il y a parmi les militants du FPI, des militants qui sont convaincus. C’est cette base qui fera émerger un leader, car ceux qui sont actuellement à la direction du FPI sont corrompus. Quant à Gbagbo, il a montré aussi ses incohérences et ses limites. S’il est libéré, il aura la gloire d’être celui que la CPI n’a pas pu maintenir en prison et celui qui a résisté à la France. Mais l’histoire lui demandera également de rendre des comptes sur ses contradictions, car tantôt il a voulu jouer le jeu de la France, tantôt il a voulu la rupture. Face à ces deux voies, il n’a pas eu de réelle visibilité. On a pu dire aussi qu’il a été grisé par le pouvoir, comme tout le monde, tant il a voulu que la France le reconnaisse comme le défenseur de la Françafrique d’une certaine façon.
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Annexe 11 : Entretien n°10 Entretien avec Willy Bla et les membres du Congrès pour la Renaissance Ivoirienne et Panafricaine (CRI-‐Panafricain), partisans de Laurent Gbagbo Willy Bla, président du CRI-‐ Panafricain Talli Gaston, doyen d’âge Georges Honoré Ya Obi, secrétaire du CRI Docteur Coulibaly, contrainte à l’exil depuis la chute de Laurent Gbagbo, chargée des finances du CRI Joseph Djidji, chargé de la communication du CRI Lazare Adje 28 juin 2013 Le CRI – Panafricain se décrit comme un mouvement politique de protestation contre la recolonisation de l’Afrique. Il a pour objectif premier la libération du Président Laurent Gbagbo, son épouse Simone Gbagbo, les membres de sa famille et les prisonniers politiques. -‐ Pouvez-‐ vous décrire votre parcours militant et ce qui vous lie à Laurent Gbagbo ? Talli Gaston : Je suis un militant du FPI depuis l’exil de Laurent Gbagbo dans les années 80. L’engagement nous a été imposé par la situation. Les idées qu’il a présentées aux ivoiriens nous ont séduit. C’est le premier à avoir dit que la Côte d’Ivoire était riche. Il l’a démontré dès son arrivée mais ses ambitions pour la Côte d’Ivoire ont été coupées. Ils veulent prendre toutes les richesses du pays. Aujourd’hui, je fais partie du CRI-‐Panafricain car il faut lutter pour Laurent Gbagbo qui a gagné les élections et a été brutalisé. Willy Bla : Je suis porte parole et président du CRI-‐ Panafricain. Je suis également membre du FPI depuis les années 90. Le FPI n’était même pas encore crée que nous distribuions des tracts avec les idées de Gbagbo. J’étais le directeur adjoint de la campagne de Laurent Gbagbo chargé de la société civile en France, en 2010. Georges Honoré Ya Obi : Je suis le secrétaire général du CRI. Je rejoins les idées du FPI mais à la base je suis de l’Union pour la Démocratie et la Paix en Côte d’Ivoire (UDPCI). -‐ Êtes-‐vous pour l’ouverture du dialogue entre le gouvernement d’Alassane Ouattara ? Georges Honoré Ya Obi : Quel dialogue va-‐t-‐il y avoir ? Ouattara et la France ont fait arrêter une grande majorité des ivoiriens qui sont aujourd’hui dans les geôles. Si le parti au pouvoir veut la paix, il faut libérer les prisonniers. Le débat viendra ensuite. Talli Gaston : Après la pluie vient le beau temps. Le gouvernement actuel a pris le pouvoir de façon malhonnête grâce à l’aide de la communauté internationale. C’est donc à eux de mettre la balle à terre. La réconciliation en elle même est une bonne chose. C’est une justice des vainqueurs. Si le gouvernement actuel était honnête, la réconciliation pourrait se faire. Le FPI a posé des conditions pour les dernières élections. Mais elles n’ont pas été acceptées par le gouvernement. C’est pour cette raison qu’on a dû boycotter. Il faudrait que les conditions posées soient respectées. -‐ Justement, vous êtes donc en accord avec la stratégie de boycott qui a été employée jusqu’ici par le FPI ? Willy Bla : La stratégie de boycott a servi de baromètre. Ce boycott actif a permis de montrer que le FPI était un parti bien implanté car il y a eu un grand pourcentage d’abstention. Elle a donc été efficiente pour démontrer que le FPI était largement soutenu puisqu’aux dernières élections, on a parlé de désert électoral. Ceux qui n’ont pas voté sont acquis pour Laurent Gbagbo. Il y a eu moins de 5 % de participation aux dernières élections municipales. Cela a été le miroir grossissant de la réalité électorale. La démocratie, c’est aussi qui dit
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les élections. Lorsque le Conseil Constitutionnel a déclaré que Gbagbo était président et que cela a été balayé par la communauté internationale, ces élections successives démontrent quelle était la réalité du vote. -‐ Que penseriez-‐ vous si le FPI décidait d’aller à la présidentielle de 2015 ? Willy Bla : L’élection présidentielle ne règlera pas les problèmes. La situation n’est pas normale en Côte d’Ivoire, les gens continuent d’être arrêtés, les femmes violées…Dans cette situation anormale, on ne peut pas aller aux élections. Si Gbagbo est toujours détenu et que c’est une stratégie des autres de laisser Gbagbo en prison pour que le FPI aille aux élections sans lui, ils font fausse route. La base du FPI trahirait les militants en allant aux élections. C’est Gbagbo le cheval gagnant. Si on le libère, nous irons aux élections présidentielles. Quant à la CPI, Alphonse Soro (de la famille de Guillaume Soro), a organisé une marche des familles des victimes au Plateau (quartier des ambassades à d’Abidjan) afin de paralyser Abidjan, pour que la CPI aille dans le sens de la confirmation des charges. -‐ Sous quelles conditions pensez-‐vous que le FPI devrait participer et appeler à la participation du peuple ivoirien à la réconciliation ? Willy Bla : La réconciliation est une bonne chose. Si on prend l’Afrique du Sud, il y a eu un dialogue entre les parties. Mais dans le cas de la Côte d’Ivoire, il est impossible de dialoguer dans la mesure où l’on continue d’être confrontés à la justice des vainqueurs. Il ne peut y avoir réconciliation lorsque celui qui porte 49 % des voix de l’électorat est en prison. Cela rend la réconciliation impossible. Docteur Coulibaly : Le minimum qui puisse être fait à l’heure actuelle si l’on veut envisager une réconciliation en Côte d’Ivoire est de libérer Gbagbo ainsi que les prisonniers politiques. Lazare Adje : La réconciliation viendra de manière naturelle si un seul acte est posé : la libération de Gbagbo et des prisonniers politiques, et le dégel des comptes. Ces gens sont enfermés parce qu’ils ont simplement eu l’ouverture d’esprit de voter pour un homme. Les ivoiriens sont des gens de fête, ils vont se réconcilier naturellement. Joseph Djidji : Même l’oncle de Ouattara avait dit qu’il ne pourrait y avoir réconciliation si Gbagbo restait en détention. Les partisans du RHDP, lors de la caravane de la réconciliation où de nombreux chanteurs ont tourné dans le pays, ont dit eux même qu’il ne pourrait y avoir réconciliation sans libération des prisonniers politiques qui ont soutenu Laurent Gbagbo. Lazare Adje : La réconciliation ne peut se faire qu’avec un natif du pays. Ouattara n’est pas de Côte d’Ivoire donc ce qui sort de sa bouche ne sera pas pris en compte par la population. Seul Gbagbo peut faire ce travail de réconciliation. Joseph Djidji : Ouattara est là depuis deux ans mais il n’y a pas eu de réelle avancée. On nous répète sans cesse « réconciliation », et on nous dit que la réconciliation viendra avec la croissance. Mais c’est une parodie. Le peuple majoritaire de l’élection de 2010 attend la libération de Gbagbo. Willy Bla : Il ne faut pas croire que la justice transitionnelle va régler tous les problèmes. Mais elle va donner confiance aux ivoiriens. La CDVR n’a pas de recette miracle. C’est l’oubli qui doit être le but à atteindre à partir de la mémoire. Le temps engendre l’oubli. On ne peut pardonner sans oublier. En Afrique, nous disons que « les palabres finissent mais la honte demeure ». Les palabres se terminent par la justice équitable. Mais au delà, ce qui compte, c’est que la confiance revienne entre les ivoiriens. Désormais, il y a des problèmes entre les gens du Nord et les gens du Sud. Avant qu’il n’y ait une instrumentalisation politique par Ouattara, les gens vivaient bien ensemble. C’est Ouattara qui, dès les années 90, a utilisé la religion et l’ethnie car il avait du mal à justifier sa nationalité ivoirienne. De toute manière, si l’on devait faire les calculs par rapport aux religions, ce sont les animistes qui seraient les plus nombreux.
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Annexe 12 : Entretien n° 11 avec Guy Labertit Entretien avec Guy Labertit, ami proche de Laurent Gbagbo et ancien Délégué national pour l’Afrique du Parti Socialiste Français 19/06/2013 -‐ Quel est votre lien avec la Côte d’Ivoire et Laurent Gbagbo ? Je me suis intéressé à l’Afrique dès l’époque où j’étais étudiant et c’est en 1969 que j’ai eu mes premières amitiés avec des étudiants africains. Je me suis rendu en Afrique dès 1973, mais j’ai été lié aux questions relatives à la Côte d’ivoire au moment où j’ai rencontré Gbagbo, en 1982, lorsqu’il était en exil en France. À partir de 1984, je suis allé régulièrement en Côte d’Ivoire et j’y rencontrais, à l’époque, l’opposition clandestine à Boigny. L’amitié qui me lie à Laurent Gbagbo est l’histoire d’un long compagnonnage. Je suis devenu responsable du Parti Socialiste en 1991, au secrétariat international. J’y occupais le poste de délégué national pour l’Afrique de 1993 à 2006. Mais quand j’ai croisé Laurent Gbagbo, je n’étais membre d‘aucun parti. Entre temps, Gbagbo s’est imposé à la tête de l’opposition et a beaucoup milité pour l’avènement de la démocratie. Le multipartisme a été reconnu le 30 avril 1990 et Gbagbo a été élu président aux élections du 22 octobre 2000. -‐ Que pensez-‐vous de l’ouverture du dialogue entre le FPI actuel et le gouvernement d’ADO? Cela a été un processus très long, car faute de dialogue réel, le FPI n’a pas participé aux élections législatives ni aux élections municipales. Ce dialogue est devenu effectif au mois de janvier 2013, près de deux ans après l’accession au pouvoir d’ADO. Il y a eu des discussions à la fin du mois de janvier (31 janvier 2013), qui ont été rendues publiques le 4 février. Ensuite, cela s’est perdu dans les sables à cause du point de divergence sur la commission électorale. Le choix unilatéral du gouvernement de la date des élections municipales a marqué la suspension du dialogue. Mais il semble que ce dialogue doive reprendre à la fin du mois de juin (le 27 juin). -‐ Vous avez évoquez le boycott des élections précédentes par le FPI, pensez-‐vous que cela a été une stratégie politique efficace pour le FPI ? Il faut savoir que la plupart des cadres du FPI sont en détention. Le président du FPI Affi N’Guessan, le premier vice-‐président Aboudramane Sangaré, Simone Gbagbo, les secrétaires généraux et de nombreux cadres et généraux. On estime que près de 700 personnes sont retenus pour des motifs politiques avoués ou inavoués. De plus, de nombreux cadres sont en exil, essentiellement au Ghana. Or, participer à des élections suppose que l’on ait des candidats et lorsque les principaux leaders sont détenus ou en exil, il est difficile de participer valablement à de tels scrutins. D’autre part, dans le cadre du dialogue politique, il y avait des points de discussion sur la composition de la commission électorale indépendante, puisque chacun sait que sa composition a été imposée par les accords de Marcoussis à Paris et qu’au fond, au sein de cette commission figurent des représentants de groupes rebelles qui n’existent plus. Deux tiers de ses membres sont pro RHDP, et sont donc hostile au camp du président Gbagbo. Cela constituait une curiosité historique puisque la Côte d’Ivoire est sans doute le seul pays où il y a eu une commission électorale nationale qui échappait au pouvoir en place, mais qui était complètement contrôlée par l’opposition dans la proportion de deux tiers/un tiers. Ces arguments lourds étaient assez lourds pour que le FPI ne participe pas à ces scrutins. Bien sûr, si l’on se réfère à l’ensemble de ces processus historiques, il apparaît que les boycotts ne sont pas toujours les stratégies les plus efficaces. Mais dans ce cas, elle était totalement inévitable. -‐ Il me semble que le FPI va présenter un candidat à la présidentielle de 2015. Cela constituerait un changement de stratégie politique. Pensez-‐ vous qu’il devrait présenter un candidat ? C’est un avis d’observateur que je donnerai ici. Vu de l’extérieur, je suppose que la situation va évoluer, notamment pour ce qui concerne la situation des cadres aujourd’hui détenus et en exil. Nous sommes en 2013, il reste 2 ans et je crois que les autorités ivoiriennes ont bien conscience qu’elles ne peuvent se maintenir au pouvoir en évinçant du champ politique la principale force d’opposition qui a géré le pays pendant plus de 10 ans. Il est assez évident que les autorités ivoiriennes devront compter sur des pressions internationales, dans la mesure où les bailleurs de fonds et les puissances occidentales qui ont soutenu ADO et le soutiennent encore aujourd’hui ne pourront continuer à le faire éternellement si le gouvernement ne fait pas preuve d’un
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minimum d’ouverture. La situation va être encore ambiguë puisqu’après les décisions de la CPI du 3 juin 2013, les autorités ivoiriennes n’ont pas été satisfaites de la prise de position de la CPI, qui dit qu’au fond, il n’y a pas assez de preuves pour confirmer les charges qui pèsent sur Gbagbo. Il y a un nouveau délai accordé au procureur, ce qui constitue tout de même une première. Une session de rattrapage est organisée pour un procureur qui, en 2 ans, n’a pas réussi à trouver de preuves de ses accusations. C’est assez singulier. Laurent Gbagbo est toujours détenu alors qu’il est toujours présumé innocent. Il est détenu de manière arbitraire et après cette décision, les autorités ivoiriennes ont arrêté le secrétaire général des jeunesses du FPI Koua Justin. Cela démontre que le climat politique reste crispé et augure mal de la reprise des négociations dans le cadre du dialogue politique en juin prochain. -‐ Il y a de nombreux exilés et de nombreux ivoiriens hors du territoire. Organiser des élections signifie également faire revenir l’ensemble des ivoiriens sur le territoire, refaire des papiers d’identité et des cartes électorales. Tout cela en 2 ans. Vous ne pensez pas que le timing est un peu juste ? Non je pense qu’il y a les listes électorales de 2010 qui restent une base, même s’il y a eu des contestations sur les droits de citoyenneté de certains qui ont certainement été un peu forcés. Il y a eu une citoyenneté conquise par la force, mais on ne va pas revenir éternellement sur le passé. Il est évident que l’alternative politique passera par le FPI qui est un grand parti qui ne peut se permettre d’être absent de toutes les joutes électorales pendant aussi longtemps. A mes yeux, d’ici 2015, il est évident que le FPI trouvera une solution. De toute façon, il sera partie prenante du scrutin. Pas forcément pour le gagner mais au moins pour prendre date. C’est un pouvoir qui a conquis le pouvoir par les urnes et il ne peut pas se permettre d’ignorer ce chemin longtemps. Il ne pourra se situer en dehors d’un scrutin aussi fondamental qu’est celui de la présidence de la république ivoirienne, dans la mesure on a affaire à une constitution présidentielle. On voit mal comment le FPI pourrait rester en dehors de cela. -‐ Si l’on regarde maintenant le processus de réconciliation, le FPI avance souvent des conditions de participation au processus de réconciliation. Est ce que vous pensez que ces conditions sont justifiées et qu’il est nécessaire de poser des préalables avant de participer réellement à ce processus ? Il y a déjà eu des rencontres, notamment en janvier 2013, alors même que les cadres du FPI sont toujours détenus, que Gbagbo est devant la justice internationale et qu’il y a toujours des formes de répression au quotidien. On ne peut donc plus parler de préalables puisque ces discussions ont commencé et qu’il y a eu des relevés de discussions avec des points d’accord et de désaccord. L’annonce de la reprise des négociations alors que la situation reste politiquement inchangée quant aux respect des Droits de l’Homme et à la bonne marche de la justice démontre une bonne volonté de la part du FPI. Mais je voudrais parler de quelque chose qui touche plus au processus de réconciliation, au rapport à la population et moins au dialogue politique. Au sein de la CDVR, il y a un membre du FPI, Sery Bailly qui est un intellectuel de renom. Il a été ministre et député du FPI et président de la fondation Harris Memel-‐Fotê, proche du FPI. Son engagement a été contesté par la direction du FPI, il est donc aujourd’hui un peu silencieux. C’est un homme tout à fait proche de la population puisque c’est un ancien élu, mais si on a choisi cet homme pour le placer à la CDVR, c’était pour le casting politique et pour donner du crédit à la CDVR. Mais comme on le verra certainement au cours des prochaines questions, la CDVR est morte née et elle finira son mandat en septembre, puisque Banny a l’intention de laisser tomber. Si ce n’est pas le cas, le président ADO a de toute façon montré le peu d’intérêt qu’il portait à la CDVR puisqu’il vient de créer une structure dont la mission sera à peu près celle de la CDVR. Et si cette dernière n’avait pu bénéficier que de 2 milliards de Francs CFA de fonds et s’est rapidement trouvée en difficultés financières, la nouvelle structure du gouvernement bénéficie déjà d’un financement de 7 milliards de francs CFA. ADO a mis Banny sur une voie de garage afin de l’écarter du débat au sein du PDCI pour lequel Banny avait des ambitions, et ainsi maintenir l’éternel Bédié à la tête du PDCI. Mais selon la constitution ivoirienne, Bédié, qui est né en 1935, ne pourra pas se représenter, puisque la limite d’âge est fixée à 75 ans. -‐ Pensez-‐vous que le mandat de la CDVR va être prolongé ou qu’il va véritablement être remplacé par le plan de cohésion sociale ? Je ne sais pas. Il est évident que Banny ne continuera pas et je ne vois pas de replaçant susceptible d’accepter de jouer les potiches puisqu’il y a cette autre structure qui a été créée. A moins d’une complaisance de la part
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de telle ou telle personnalité, je ne vois pas qui pourrait prendre la tête d’une structure dont on sait qu’elle ne servira plus à rien. Il me semble que Banny a passé la plupart de son temps à mettre des structures en place dans les différentes régions. Même au niveau de la diaspora africaine, ces commissions n’ont été mises en place qu’en 2013. Cela a pris 2 ans. Il va finir son mandat et il va dire « pendant 2 ans, j’ai mis en place des structures qui vont travailler » ! Il n’a pas été doté de moyens suffisants. Mais ce qui me semble être une escroquerie intellectuelle, c’est le parallèle qui est régulièrement fait avec la commission de réconciliation en Afrique du Sud. En Afrique du Sud, les personnes interrogées et qui ont témoigné ne risquaient aucune sanction pénale, ce qui n’est pas le cas en Côte d’Ivoire, puisque non seulement des personnes sont arrêtées et emprisonnées, mais de surcroit, c’est une justice des vainqueurs car il n’y a qu’un seul camp sous le feu de la justice. Dès lors, parler de vérité et de réconciliation lorsque l’on est face à un immense mensonge de dire qu’il n’y a qu’un camp qui a commis des exactions alors qu’on était dans une situation qui se rapprochait d’une situation de guerre civile et donc que les deux camps ont commis des exactions, on peut mettre en doute la volonté de vérité et de réconciliation. L’appellation de cette CDVR est par essence une escroquerie. Je l’ai d’ailleurs appelée ironiquement « CaDaVRe », car elle contient toutes les consonnes de ce mot. C’était une institution morte née dès l’instant où l’on ne se donnait pas les moyens d’aller vers cette vérité et cette réconciliation, qui suppose que soient mis en cause les deux camps. Si l’on veut avoir l’expression de la vérité, on ne peut l’obtenir alors qu’il y a l’épée de Damoclès des sanctions pénales. Je ne suis pas pour l’impunité mais je crois qu’il va falloir que l’on pense sérieusement, ce n’est pas de l’impunité mais une forme de justice du pardon. Si on veut que des sociétés retrouvent de la cohésion, on ne retrouve pas cette cohésion par la punition. Je me souviens même d’avoir dit le jour de l’arrestation de Gbagbo que la Côte d’Ivoire ne se réconcilierait avec elle même qu’avec Gbagbo, et Gbagbo libre, et je pense que l’histoire va me donner raison en avril 2014. L’abandon des charges aboutirait à ce que l’actuel gouvernement revoit les charges qui pèsent sur les principaux responsables politiques qui sont à l’heure actuelle emprisonnés. -‐ Vous avez évoqué et fait le parallèle avec l’Afrique du Sud, privilégieriez-‐vous une solution à la sud africaine? Dans les discussions, le FPI avait parlé d’une amnistie générale préalable à cette justice du pardon. Les gens qui hurlent à l’impunité ont été plus discrets lorsque Gbagbo a multiplié les lois d’amnistie pour faire entrer les rebelles dans la république, parce que le premier inculpé aurait tout de même dû être M. Guillaume Soro et tous les com zones. Au fond les rebelles ce sont eux, et eux ont été amnistiés par le président Gbagbo. Alors ceux qui dénoncent la volonté d’amnistie du FPI ont la mémoire courte. C’est plutôt unique dans l’histoire de l’Afrique qu’un président accepte comme premier ministre celui qui a assumé politiquement la rébellion qui visait à le renverser. On ne peut avoir l’expression de la vérité s’il y a une sanction pénale forte. Gbagbo avait tenu à ce que dans la constitution ivoirienne soit clairement mentionné que rien ne pouvait contraindre un citoyen ivoirien à l’exil parce que lui même l’avait vécu. On a cette situation paradoxale ou une grande partie des cadres sont aujourd’hui en exil. Cette réconciliation me semble d’autant plus faisable s’il y a cette démarche d’amnistie. La Côte d’Ivoire est un pays très mêlé. Les unions se sont faites au delà des ethnies. C’est pour cela que j’ai été de ceux qui ont cru qu’on ne pouvait pas faire de parallèle entre le Rwanda et la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire n’a rien à voir avec le cas du Rwanda. Je conteste l’utilisation déraisonnable du terme de génocide à tout va. On utilise souvent à tort ce terme donc cela me laisse optimiste quant à une éventuelle réconciliation, même si elle prendra beaucoup de temps. Dans les grandes villes, les familles sont mêlées, les origines sont très diversifiées. Le mélange des ethnies et la cohésion sociale étaient en cours en Côte d’Ivoire et malheureusement il y a eu une régression par la guerre. La guerre a fait régresser la réflexion. -‐ Vous dites que les populations sont assez mêlées, mais on entend tout de même à longueur de temps cette division entre dioulas et vrais ivoiriens, entre gens du Nord et gens du Sud. Il y a des dioulas ivoiriens, là n’est pas de problème. L’un des objectifs du président Gbagbo était de contribuer à forger la nation ivoirienne car il avait conscience que le Nord avait été délaissé sous Boigny. Le pouvoir était à l’époque accaparé par les Baoulés. Fondamentalement, Boigny a eu des propos très méprisants sur les populations du Nord, « les mangeurs d’arachide » et tout cela. On ne le met pas beaucoup en valeur. Gbagbo est tout de même à l’origine de l’autoroute du Nord, d’hôpitaux à Korogo. Il n’avait pas pour but de délaisser les populations du Nord. Mais il a seulement eu 18 mois d’exercice du pouvoir puisqu’à partir de 2002, il n’y avait plus de politique gouvernementale digne de ce nom. C’est donc ADO qui a un peu exacerbé ce sentiment en disant que c’était parce qu’il était musulman et du Nord. C’est quelque chose qui était contraire à la
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pratique de la Côte d’Ivoire, car quand le RDR a été fondé en 1994 et qu’il a fait alliance avec le FPI en 1995, il y avait des gens du sud. C’était un parti centre droit dans lequel il y avait des appartenances ethniques et des origines différenciées. Mais sous l’influence d’ADO et de la charte du nord, il y a eu un recroquevillement vers une dimension dioula, nordiste. Dans le même temps, je trouve que le FPI voulait pourtant forger une nation ivoirienne. Ensuite, il y a eu une régression émanant de tous les partis politiques qui en ont été les vecteurs. Mais cela est lié à la guerre. Durant la deuxième guerre mondiale, personne n’a dénoncé toutes les exécutions sommaires, il n’y avait pas de mouvements des droits de l’Homme. Nous, nous avons le droit de construire notre histoire mais les africains, eux, ont le droit de construire leur histoire telle qu’on leur demande de la construire. -‐ Mais dès, comment voyez-‐vous le retour à une certaine cohésion sociale ? La Côte d’Ivoire n’était pas disposée pour un tel affrontement. L’affrontement a d’abord été politique. Tout le monde reconnaissait les mérites de Gbagbo en tant qu’opposant. Mais quand il est devenu président, cela a été la surprise car ce n’est pas lui que l’on attendait. Il incarnait l’opposition à l’intouchable Houphouët Boigny. Il avait mis à bas par l’élection le système de Boigny. Il était ridicule de parler d’ethnie puisque Gbagbo étant bété. Il appartenait à une ethnie totalement minoritaire. Donc, s’il s’était battu sur une base ethnique, il n’aurait jamais été président. Les grands hommes d’affaires comme Boloré, sont venus me voir pour me demander qui était ce Gbagbo pour savoir comment il fallait le prendre. Le monde politique et des affaires a été ému par cette élection, parce que pour eux, c’était ADO qui correspondait à leurs critères. ADO avait des alliances avec ceux qui font marcher le monde. Il avait été appelé en 1991 au poste de premier ministre sur l’insistance des bailleurs de fonds parce que le pays était insolvable. C’est ADO qui s’est fait l’administrateur des remèdes de cheval du FMI. Il faut relativiser les choses, ADO a bcp joué sur la dimension ethnique et tous les acteurs politiques ivoiriens se sont polarisés sur le débat de l’ivoirité, lancé par Bédié. Qu’ADO soit ivoirien ou non, ce n’est pas cela l’enjeu. Mais les faits sont bien là. Jusqu’à ses 47 ou 49 ans, il a représenté un autre pays au sein des institutions financières telles que la BCAO, le FMI et la BM. Il était là comme représentant de la Haute Volta puis du Burkina. Il a fait sa mutation quand il est devenu gouverneur de la BCAO. En effet, le gouverneur de la BCAO était traditionnellement ivoirien et c’est à ce moment là que nait le trouble. Il devient une sorte d’ivoirien puisqu’il occupe le poste qui a toujours été occupé par un ivoirien. Ensuite, le FMI va insister pour qu’il le prenne comme coordonnateur de la politique économique de Côte d’Ivoire en 199O, puis premier ministre de 1990 à 1993. Je ne veux pas rentrer dans le débat de l’ivoirité que je trouve détestable. Mais depuis qu’il est président, il y a eu une nouvelle vague de naturalisation peu regardante qui pourrait lui permettre de prendre un 2ème mandat grâce à ces nouvelles listes électorales. Il a en effet annoncé qu’il serait à nouveau candidat. Les listes électorales sont en train de s’allonger considérablement et comme on le sait, la Côte d’Ivoire a toujours été un pays d’accueil. Cette forme d’accueil a d’abord été forcée par le colonialiste français. Ce qui est devenu la Haute Volta était en partie la Côte d’Ivoire du Nord. Les flux migratoires étaient organisés par les puissances coloniales. Il y a des villages de Côte d’Ivoire qui portent aujourd’hui le même nom que des villages du Burkina Faso et les familles sont liées. Alors il est vrai qu’entre 1960 et 1972, on n’a pas regardé cela de très près. Sous Boigny en 1972, il a été décidé qu’il fallait choisir entre la nationalité voltaïque ou ivoirienne. Les dirigeants n’ont pas été clairs sur le sujet et on a joué sur une immense ambiguïté citoyenne. Évidemment nous avons eu des grands censeurs pour nous parler de la tolérance houphouétienne disant que tout le monde était frère. Mais lorsque l’on voit en France à quel point nous sommes sourcilleux sur les naturalisations et l’intégration des étrangers. Si en France, nous avions 20 à 30% de la population qui aspirait à être française du jour au lendemain, peut être que le corps électoral marquerait une certaine résistance. Je me souviens d’une rencontre entre Pierre Maurois et Laurent Gbagbo en 2000 où Pierre Maurois avait demandé à Laurent combien il y avait d’étrangers en Côte d’Ivoire, et il avait répondu que l’estimation était d’au moins 25 %. Je me souviens qu’il avait dit « oulala cela va être difficile ». Pour que les gens apprécient ce que les ivoiriens vivent, il faut rappeler toutes ces proportions là et comment la cohésion sociale française se trouve troublée avec une très petite proportion d’étrangers. Avec 25 % d’étrangers, on imagine ce que cela pourrait être alors même que les démocraties sont bien enracinées. -‐ Justement, comment voyez vous le règlement de ces questions liées aux étrangers à l’heure actuelle, qui est d’ailleurs liée à la question foncière ? On ne peut ignorer ces conflits. En France, on a surtout relayé les conflits fonciers entre ivoiriens et non ivoiriens en ignorant que 80 % des conflits fonciers en Côte d’Ivoire se trouvent entre ivoiriens. Le problème est donc plus profond que l’opposition entre les ressortissants d’un pays et d’un autre. Au sein même de la communauté des citoyens ivoiriens, il y a un problème profond concernant la propriété foncière. Dans l’ouest, un homme venant de l’est aurait du mal à devenir propriétaire. Traditionnellement, les chefs de terre
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accordaient des terres. C’était une sorte d’usufruit pour la vie, mais je ne suis pas un spécialiste de cette question. Si votre descendance n’a pas eu de comportement social rédhibitoire, alors on continue à vous accorder cette terre. Le droit foncier tel qu’il a été voté en 1998, a été voté par tous les partis, et privilégie la possession traditionnelle de la terre. C’est aux ivoiriens de voir s’ils veulent revenir sur cette conception là. L’état du droit fait qu’il y a un réel problème, y compris entre citoyens ivoiriens, surtout dans les campagnes. -‐ Concernant le report de la décision de confirmation des charges à la CPI, pensez vous que le temps que Gbagbo sera détenu, cela posera problème pour l’avancée de la réconciliation ? Je pense en effet que c’est un obstacle majeur. Il y a 2 façons de présenter la décision. Certains ont dit que la décision était reportée. Mais ce qui s’est passé est beaucoup plus grave. L’enquête a été ouverte en octobre 2011. Gbagbo a été transféré en novembre 2011. Après 18 mois, on a estimé que le bureau du procureur n’avait pas fourni de preuves suffisantes pour que les charges soient confirmées. Dans ce système de droit à l’anglo-‐saxonne, c’est une décision d’autant plus grave que l’audience de confirmation ou d’infirmation des charges est traditionnellement favorable au procureur, la défense ne disposant que d’un champ d’action réduit. Même sur un standard de preuves souple à ce stade, on estime déjà qu’il n’y a pas de preuves assez solides. C’est une certaine victoire pour Gbagbo. Dès la 1ère audience, le bureau du procureur avait déjà été en difficultés. La CPI ne dit pas véritablement le droit. Elle est de toute façon liée au Conseil de sécurité. Le Conseil de sécurité a été partie prenante de la mise à l’écart de Gbagbo. On peut avoir des doutes sur l’indépendance de la CPI. Le fait qu’à ce stade on dise qu’il n’y a pas assez de preuves est déjà une forme de séisme politique. Cela laisse une petite année pour se réorganiser afin de se préparer politiquement dans l’hypothèse d’un abandon des charges. Imaginez le souffle politique qu’aurait provoqué un abandon des charges dès le 3 juin par rapport à la situation en Côte d’Ivoire. Cela démontre bien qu’on fait de la politique à la CPI. Les arguments avancés par le procureur concernant la décision de libération conditionnelle sont les suivants et on peut douter de leur solidité juridique. Selon la CPI, Gbagbo est trop populaire et dispose d’un réseau trop important qui peuvent favoriser sa fuite. Il n’y a donc pas assez de garanties de représentativité. De plus, il pourrait entraver la justice notamment sur le travail d’enquête. Enfin, sa libération présente un trop gros risque de re commission d’exactions dans le pays. C’est un peu comme s’il était déjà présumé coupable. 2 juges sur 5 avaient dit qu’il fallait libérer Gbagbo. La CPI est en train de jouer sa crédibilité. Les standards de preuve n’y sont pas. Repensez aux vidéos du Kenya. Même si Fatou Bensouda a avoué, cela est grave d’amener des fausses preuves. Or, c’est tout de même du pénal qui se joue. La décision est très politique. De mon point de vue, on aurait du aller à l’abandon des charges. Je ne dis pas qu’il ne s’est rien passé mais cela ne doit pas être sur la seule personne de Laurent Gbagbo. Fatou Bensouda était prête à l’accepter puisqu’elle a dit dès le début de l’audience, nous ne sommes pas là pour savoir qui a perdu et qui a gagné l’élection. Pour le moment, ils ne sont pas remontés à 2002, sinon comment expliquer que Guillaume Soro n’ait pas été inquiété. Ils n’ont examiné que la crise post électorale, ce qui est en soit un problème. -‐ Comment voyez vous l’avenir du FPI sans Gbagbo ? D’abord on ne peut pas savoir quel sera l’avenir politique de Gbagbo. S’il y a abandon des charges, je pense que Gbagbo reviendra en politique s’il a l’état physique de le supporter. Au regard de la constitution ivoirienne, il le peut car il n’a pas atteint l’âge limite. Mais dans tous les cas, je pense que l’alternance politique passera par le FPI quelle qu’aient été ses forces et ses faiblesses, ce parti a la force historique d’avoir incarné le parti de l’accession à la démocratie. Et cela compte pour le paysan ivoirien. Le FPI est profondément ancré dans la mentalité du citoyen ivoirien. Je ne sais à quelle échelle de temps, mais le FPI reviendra au pouvoir et je ne crois pas que les mouvements qui se sont créés seront un jour les catalyseurs politiques de tout un peuple. Ce sera toujours la même école de pensée qui subsistera même si le nom change. La Côte d’Ivoire est vraiment entrée dans la modernité politique. -‐ Ne pensez vous pas que c’est plus la personne de Laurent Gbagbo que le FPI en tant que parti véhiculant une vision pour la Côte d’Ivoire, qui est assimilé à l’avènement de la démocratie ? Gbagbo n’est pas resté président du FPI lorsqu’il est devenu président, et pourtant, le FPI a continué. De même en Afrique du Sud, l’ANC a continué de fonctionner sans Mandela. Alors bien sûr, il n’y a pas des Gbagbo qui naissent tous les 15 ans. De même en France, il n’y a pas un Mitterrand tous les 15 ans. Je ne dis pas qu’ils n’ont que des qualités mais en tout cas assez de qualités pour être élus par leur peuple. Gbagbo pense également que l’avenir passera par le FPI.
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Annexe 13 : Entretien n° 12 avec un militant du PDCI Entretien avec Jeannot Ada, militant du PDCI 04/07/2013 -‐ Pouvez-‐vous me parler de votre parcours politique et de l’origine de votre engagement militant ? Je suis un militant de la diaspora ivoirienne au sein du RHDP, mais surtout du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Depuis la jeunesse du PDCI, sous Houphouët Boigny, j’ai toujours milité. Mon engagement s’est fait de facto. Le PDCI était le parti unique à l’époque où je m’y suis engagé. J’en apprécie les valeurs de tolérance et d’acceptation des différences. Si aujourd’hui nous en sommes arrivés là en Côte d’Ivoire, c’est à cause des ethnies « extrémistes », comme par exemple les bétés, les attiés et les abés, ou encore les krou ou les malinkés. Ces ethnies sont des éternels insatisfaits. Au sein du PDCI, je pense suis de ceux qui pensent que le temps de Bédié est révolu et qu’il faut laisser la place à la jeunesse. -‐ Que pensez-‐vous de l’ouverture d’un éventuel dialogue entre le gouvernement RHDP et le FPI ? La politique a horreur de la chaise vide. Nous respectons le FPI qui a toute sa place sur l’échiquier politique à l’heure actuelle. Mais le FPI ne ménage aucun effort pour aller à la réconciliation, ni le gouvernement d’ailleurs. Le gouvernement actuel est légitime et le FPI continue de contester cette légitimité. De l’autre côté, le gouvernement n’écoute pas les revendications du FPI et ne fait aucun geste fort. Ce qui est profondément importante, au delà des partis politiques, c’est que l’on ne tient pas compte de la majorité silencieuse, celle qui ne se revendique d’aucun parti politique. Il n’y a pas eu un seul mot de consolation de la part du gouvernement alors qu’ils ont tout perdu. Leurs souffrances n’ont pas réellement le moyen de s’exprimer. La réconciliation est un devoir car sans cela, il n’y aura ni paix, ni développement. Tout le monde doit mettre de l’eau dans son vin car tout le monde est responsable de ce qui se passe. -‐ Qu’avez vous pensé de la pratique du boycott des élections depuis la fin crise par le FPI ? Le FPI a raison et tort à la fois. Il est clair qu’il ne faut pas participer pour le seul plaisir de participer si l’on est sûr de perdre, car le terrain n’est pas propice à une campagne dans un cadre où le camp adverse craint l’insécurité et les agressions et que les moyens financiers pour mener campagne sont très limités. D’ailleurs, le PDCI s’est retrouvé dans la même position que le FPI sur ce point. Mais il a tort car en pratiquant le boycott, il contribue à renforcer le camp adverse. Le FPI avait une occasion de prendre sa place et de trouver des gens susceptibles de représenter le FPI aux élections. Mais je ne crois pas en leur argument selon lequel cela leur aurait permis d’effectuer un test de popularité. Certes, les électeurs du FPI ne sont pas partis voter mais ils ne sont pas nombreux. C’est surtout la majorité silencieuse qui ne s’est pas exprimée aux élections et qui n’a pas trouvé nécessaire de participer. Ce qui intéresse les gens, ce sont les postes. D’ailleurs, il y a des membres du FPI qui se sont présentés de manière indépendante. Le FPI a seulement eu peur de perdre des sièges en allant aux élections. -‐ Et pour les prochaines élections présidentielles en 2015, pensez vous que le FPI devrait présenter un candidat dans les circonstances actuelles ? Tout parti aspire à conquérir le pouvoir. Le FPI doit présenter un candidat. Le PDCI présentera un candidat également. L’alliance RHDP était une alliance de circonstance. On ne sait quelle sera la prochaine alliance. Le climat politique est suspicieux à l’heure actuelle. Les africains ne vivent que des rumeurs et cela crée des problèmes. Le PDCI est le premier parti de Côte d’Ivoire et c’est un parti démocratique. Le FPI ne représente pas plus de 15 %. Il est très minoritaire. En Côte d’Ivoire, si le PDCI ne vous soutient pas, vous ne gagnez pas les élections. Le pouvoir en place dit qu’il y aura des élections en 2015. Si le FPI se présente, de toute façon il n’aura aucune chance car il est trop extrémiste. Il faut être capable de revoir ses positions, sinon on se retrouve disqualifié, et en étant absent partout, on se décrédibilise. Le FPI doit aller aux élections s’il veut démontrer sa force. Certes, il faut libérer les sympathisants et responsables du FPI qui sont en prison, et il faut faire revenir les exilés. Mais il ne faut pas toujours se cacher derrière cela. Si le FPI avait choisi de participer au gouvernement, il aurait pu proposer la libération des prisonniers. Il aurait eu plus de poids. Le gouvernement a toujours proposé au FPI de participer au gouvernement mais le FPI a toujours refusé. Leur raison de non participation, de non coopération est insuffisante. C’est selon moi, l’erreur du FPI.
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-‐ Quelles sont, selon vous, les conditions d’une éventuelle réconciliation en Côte d’Ivoire ? La vraie réconciliation est une volonté politique. Le gouvernement doit faire un geste fort envers tous les ivoiriens. Il n’y a pas que le FPI qui a été touché. Tout les ivoiriens ont perdu quelque chose, qu’il s’agisse de membres de la famille ou de biens. L’Etat ivoirien doit demander pardon et instaurer un dialogue de tolérance. Au sein du PDCI, c’est ce que nous prônons. Dans toute l’administration, on a viré les personnes appartenant aux ethnies autres que celles liées au RDR. Ce n’est en aucun cas un geste de réconciliation. Par contre, cela continue à créer des injustices. Les gens sont déçus mais ils ont peur de réagir. Ils ont été expropriés et trompés mais il y a des armes. Ils ont peur des armes. Ce que nous demandons, c’est que le gouvernement révise sa position et soit plus tolérant. -‐ Pensez-‐vous qu’en Côte d’Ivoire on peut parler de justice des vainqueurs ? Oui, je pense qu’il y a une justice des vainqueurs. Tout le monde doit être libéré et la justice doit ensuite faire son travail. Mais à l’heure actuelle, il faut une libération conditionnelle afin d’apaiser les tensions et de favoriser le dialogue. Je suis pour l’amnistie après le jugement. Il faut que la justice contente les victimes. -‐ Que pensez-‐vous de la CDVR ? C’est un outil de réconciliation qui s’y est mal pris. Le président Banny a dit qu’il avait une mission sans obligation de résultat. Est ce que cela est vraiment utile ? Le gouvernement attend un rapport mais n’a aucune obligation derrière. Le gouvernement ne cède rien. Lorsqu’un ministre appartenant au PDCI est nommé, un ministre bis proche du président Ouattara est nommé. Cela crée de la frustration. La CDVR n’apportera rien. Pourtant, tout le monde attend que des comptes soient rendus. Le PDCI d’ailleurs, est également attendu pour rendre des comptes à la population. Mais cela a tout de même permis de faire prendre conscience aux ivoiriens qu’il est nécessaire de se réconcilier. -‐ Compte tenu des conditions de sécurité actuelles, pensez-‐vous qu’il serait tout de même bien d’appeler les réfugiés à rentrer sur le territoire ? Le problème de la sécurité ne peut être réglé avec un bâton de magicien. Il y a des gens qui sont réellement incontrôlables. Il faut reconnaître qu’ADO a rétabli la sécurité dans les villes. C’est dans les villages que la situation est préoccupante. Dans les villes, si une personne est agressée, on sait qu’aujourd’hui, il n’y aura pas d’enquête. Mais la sécurité 100 % n’existe pas. On ne peut pas tout avoir de suite. Mais si les vols aériens pour Abidjan sont pleins, c’est bien que la sécurité n’est pas si mal. Ce n’est pas à cause de la sécurité que les gens ne veulent pas rentrer. Mais la raison pour laquelle ils ne rentrent pas nous échappe. Pourtant, le gouvernement appelle les gens à rentrer. Aujourd’hui, dans nos villages, tous les problèmes sont presque résolus et la circulation est libre. On a trop d’exigences alors que les problèmes sont difficiles à résoudre. Ce qui est certain, c’est que l’insécurité a diminué. -‐ Quelle solution voyez-‐vous à l’une des causes profondes des crises successives en Côte d’Ivoire : la question foncière ? Depuis 1998, la terre a un propriétaire. Cette loi a été votée par tous afin de remettre en cause l’adage de Boigny. ADO n’est pas un ivoirien. Il a eu un passeport de service mais il n’a pas de carte nationale d’identité. Il était simplement venu pour s’occuper des problèmes économiques du pays. Mais Gbagbo n’a pas fait d’efforts pour régler le problème. Les maliens et les burkinabés n’acceptent pas cette loi de 1998 et voudraient voir appliquer la loi de 1963. Mais désormais, on ne peut plus toucher à la loi de 1998 donc ADO est bloqué. Moi, je pense que la terre a un propriétaire. Je suis pour une médiation qui puisse satisfaire les deux parties. Mais les burkinabés occupent des terres illégalement et c’est à ceux là et seulement ceux là que l’on demande de partir. Mais pour ceux qui exploitent la terre depuis très longtemps, il faut couper la poire en deux et partager.
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Quant au problème de la nationalité, pour moi, tous les enfants qui sont nés en Côte d’Ivoire doivent avoir la nationalité ivoirienne. Quelqu’un qui est resté longtemps dans un pays en participant au développement de ce pays doit se voir faciliter la tâche afin d’obtenir la nationalité. -‐ Concernant Gbagbo et la CPI, quelle est votre opinion concernant sa détention et l’impact que cela a sur le processus de réconciliation ? Le problème de Gbagbo est un casse tête chinois. Si on libère Gbagbo aujourd’hui, cela va totalement déstabiliser le pays. Mais si on ne le libère pas, il n’y aura pas d’avancée dans la réconciliation. Il se trouve à la CPI parce qu’il n’y avait pas d’autres choix. Pour le gouvernement actuel, c’est un débarras car il était trop pesant de la maintenir sur le territoire ivoirien. Mais fondamentalement, sa place n’est pas à la CPI car les charges sont insuffisantes. Légalement, il aurait du être libéré. C’est un procès politique et il faut s’attendre à tout. Pour la réconciliation en Côte d’Ivoire, le gouvernement d’ADO devrait faire en sorte qu’il soit libéré. Même si Gbagbo a fait des bêtises, il faut pardonner. Gbagbo aurait dû accepter sa défaite pour épargner le peuple ivoirien. Sans l’intervention de la France, il y aurait eu des massacres et la seule solution était d’intervenir. Gbagbo a voulu mettre les ivoiriens les uns contre les autres. Il a énervé les gens, il a crée un climat de méfiance et de tension. Enfin, concernant l’avenir de Gbagbo, je pense qu’il n’en a aucun en Côte d’Ivoire. Si le FPI veut vivre, il faut qu’il se donne un nouveau chef. Gbagbo a fait sa plus grosse erreur en refusant la défaite. S’il l’avait acceptée, il en serait sorti grandi et aurait pu jouer un rôle de contre pouvoir fort. Il a détruit lui même son propre avenir ainsi que celui du FPI.
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TABLE DES MATIERES
Remerciements ……………………………………………………………………………i
SOMMAIRE ………………………………………………………………………………...ii
ACRONYMES ……………………………………………………………………………...iii
INTRODUCTION ……………………………………………………………………………1
PREMIÈRE PARTIE: LA RÉCONCILIATION NÉCESSAIRE APPROCHE SOCIOHISTORIQUE ET RECONCILIATION MULTI-NIVEAUX…...8 Première sous-partie : Comprendre les crises ivoiriennes Une approche sociohistorique ……………………………………………...9 A. Les facteurs profonds des crises ivoiriennes………………………………………...9
1. L’ « héritage colonial » en demie teinte et les difficultés d’émancipation vis-à-vis de la France ………………………………………………………………………9
2. Le système néo-patrimonial et la difficile transition vers la démocratie multipartite ………………………………………………………………………11
3. La crise économique ivoirienne et les faiblesses du modèle de développement ..12 4. La fragilité du droit foncier ……………………………………………………...15
B. Montée en puissance de l’ethno-nationalisme et violences politiques……………18
1. La montée en puissance de l’ethno-nationalisme ……………………………….18 a. Un terrain favorable au développement de l’ethno-nationalisme ……………18 b. Un concept identitaire : l’ivoirité ………………………………………………...21
2. Luttes sur la scène politique ivoirienne : opportunisme et enjeux de pouvoir ….23 a. La période Bédié : évincer Ouattara quoi qu’il en coûte ! …………………..23 b. Robert Gueï l’opportuniste ……………………………………………………….25 c. Les années Gbagbo ………………………………………………………………..26
3. La dernière crise postélectorale de 2010-2011 ………………………………….28 Deuxième sous-partie :La nécessité d’une réconciliation multi-niveaux Un processus amorcé ……………………………………………………..31 A. La réconciliation nécessaire au niveau des acteurs politiques …………………..31
1. Le nécessaire rétablissement du dialogue de haut niveau entre les acteurs de la vie politique ivoirienne ……………………………………………………32
2. Un cadre de dialogue politique mis en place ……………………………………34 B. La réconciliation nécessaire au niveau de la population ………………………...36
1. Les méthodes structurelles - Construire l’avenir …………………………………..37 a. Ouattara et l’objectif premier de redressement de l’économie ………………37
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b. La nécessaire transformation de la représentation de l’identité collective en vue de renforcer la cohésion sociale ………………………………………………39
2. Les méthodes institutionnelles – Faire le deuil du passé …………………………..40 a. Les moyens parajudiciaires ……………………………………………………….41 b. Les moyens judiciaires : la justice pénale ……………………………………....43
DEUXIÈME PARTIE : LIMITES DE LA RÉCONCILIATION LA RÉCONCILIATION VUE PAR LES PARTISANS DE LAURENT GBAGBO ….46 Première sous-partie: Les limites liées à la « justice des vainqueurs » Du manque de confiance en la justice …………………………………….50
A. De la dénonciation d’une « justice des vainqueurs » ……………………………....50
1. Des poursuites uniquement contre les partisans de Laurent Gbagbo …………….50 a. Au niveau national …………………………………………………………………...50 b. Au niveau international ……………………………………………………………...52
2. Des doutes émis quant à la volonté de rétablir la vérité …………………………..55 a. De la mise en cause du refus d’amnistier ………………………………………….55 b. De l’inefficacité de la CDVR ………………………………………………………..58
B. Des conséquences de la « justice des vainqueurs » sur la vie politique …………...60
1. Des conditions posées à la reprise du dialogue politique et à la participation au processus de réconciliation……………………………………………………..61
2. Le boycott des élections par le FPI ………………………………………………..62 Deuxième sous-partie : Les limites contextuelles Du manque de confiance généralisé………………………………………..65
A. De la dénonciation des problèmes sécuritaires ……………………………………..65
1. La « chasse aux pro-Gbagbo » ……………………………………………………65 2. Les atermoiements de la reprise du contrôle sur les forces armées ………………67 3. De l’impossible retour des exilés et des déplacés ………………………………...69
B. Des risques potentiels de répétition des crises ………………………………………71
1. Des risques liés à la position victimaire……………………………………………71 2. Des risques liés à la persistance des tensions ethniques…………………………...74
CONCLUSION………………………………………………………………………………78
BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………………………81
ANNEXES…………………………………………………………………………………...89
Table des annexes………………………………………………………………………….89
Annexe 1 : Grille d’entretiens semi directifs …………………………………………………………………..90 Annexe 2 : Entretien n°1 ………………………………………………………………………………………………..91 Annexe 3 : Entretien n°2 ………………………………………………………………………………………………..94 Annexe 4 : Entretien n°3 ………………………………………………………………………………………………..96
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Annexe 5 : Entretien n°4 …………………………………………………………………………………………………98 Annexe 6 : Entretien n°5 ……………………………………………………………………………………………….100 Annexe 7 : Entretien n°6 ……………………………………………………………………………………………….102 Annexe 8 : Entretien n°7 ……………………………………………………………………………………………….105 Annexe 9 : Entretien n°8 ……………………………………………………………………………………………….107 Annexe 10 : Entretien n°9 ……………………………………………………………………………………………..108 Annexe 11 : Entretien n°10 ……………………………………………………………………………………………110 Annexe 12 : Entretien n° 11 avec Guy Labertit ………………………………………………………………112 Annexe 13 : Entretien n° 12 avec un militant du PDCI ……………………………………………………117 TABLE DES MATIERES …………………………………………………………………….120