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1 Institut des Relations Internationales et Stratégiques Master 2 « Responsable de programmes internationaux » Réalisé par : Emilie QUEYRAUD Sous la direction de : Thomas RIBÉMONT, Maître de conférences en Sciences politiques à l’Université Paris 13 Le 23 septembre 2013 Mémoire Les déterminants de la réconciliation en Côte d’Ivoire Réflexion autour de l’inclusion du « peuple de Gbagbo » Graffiti, Paris XVIIIème arrondissement, 2012

Les déterminants de la réconciliation en Côte d'Ivoire - Réflexion autour de l'inclusion du peuple de Gbagbo

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Institut  des  Relations  Internationales  et  Stratégiques  

Master  2  «  Responsable  de  programmes  internationaux  »  

 

 

Réalisé  par  :  Emilie  QUEYRAUD  

 

Sous  la  direction  de  :  Thomas  RIBÉMONT,  

Maître  de  conférences  en  Sciences  politiques  à  l’Université  Paris  13  

 

Le  23  septembre  2013

Mémoire  

 

Les  déterminants  de  la  réconciliation  en  Côte  d’Ivoire  

-­‐  

Réflexion  autour  de  l’inclusion  du  «  peuple  de  Gbagbo  »  

 

   Graffiti,  Paris  XVIIIème  arrondissement,  2012  

  i  

Remerciements :

Je remercie dans un premier temps Monsieur Thomas Ribémont, Maître de conférences en

Sciences politiques à l’Université Paris 13 et intervenant à l’IRIS, pour avoir dirigé mon

travail de recherche, ainsi que pour son soutien et ses conseils tout au long de l’année.

J’aimerais également adresser mes remerciements à Guy Labertit, ancien Délégué Afrique du

Parti socialiste français, ainsi qu’à toutes les personnes qui m’ont permis de mener des

entretiens avec elles, car ce travail n’aurait pas eu le même aboutissement sans leur

collaboration. Je les remercie pour la confiance qu’ils m’ont accordée et pour les précieuses

informations qu’ils m’ont communiquées au cours de cette année.

Enfin, un grand merci à mes amis et à mes parents qui me soutiennent en toutes circonstances

et dans tout ce qui je suis amenée à entreprendre.

 

  ii  

SOMMAIRE :

Remerciements ……………………………………………………………………………i

SOMMAIRE ………………………………………………………………………………...ii

ACRONYMES ……………………………………………………………………………...iii

INTRODUCTION ……………………………………………………………………………1

PREMIÈRE PARTIE: LA RÉCONCILIATION NÉCESSAIRE APPROCHE SOCIOHISTORIQUE ET RECONCILIATION MULTI-NIVEAUX…...8 Première sous-partie : Comprendre les crises ivoiriennes Une approche sociohistorique ……………………………………………...9 Deuxième sous-partie :La nécessité d’une réconciliation multi-niveaux Un processus amorcé ………………………………………………………31 DEUXIÈME PARTIE : LIMITES DE LA RÉCONCILIATION LA RÉCONCILIATION VUE PAR LES PARTISANS DE LAURENT GBAGBO …..46 Première sous-partie: Les limites liées à la « justice des vainqueurs » Du manque de confiance en la justice ………………………………………….50

Deuxième sous-partie : Les limites contextuelles Du manque de confiance généralisé…………………………………………….65

CONCLUSION……………………………………………………………………………...78

BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………...81

ANNEXES…………………………………………………………………………………..89

TABLE DES MATIERES …………………………………………………………………...120

  iii  

ACRONYMES : ADO : Alassane Dramane Ouattara BM : Banque Mondiale BCEAO : Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest CDVR : Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation CEI : Commission électorale indépendance CEPICI : Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire Comzones : Commandants de zone des Forces Nouvelles CPD : Cadre Permanent de Dialogue CPI : Cour Pénale Internationale CRI – Panafricain : Conseil pour la Résistance Ivoirienne et Panafricaine / ou Congrès pour la Renaissance Ivoirienne et Panafricaine CURDIPHE: Cellule universitaire de recherche et de diffusion des idées et actions politiques du président Henri Konan Bédié DDR : Démobilisation, Désarmement, Réinsertion FDS : Forces de Défense et de Sécurité FMI : Fonds Monétaire International FN : Forces Nouvelles FPI : Front Populaire Ivoirien FRCI : Forces Républicaines de Côte d’Ivoire HCR : Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies LMP : La Majorité Présidentielle MPCI : Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire ONU : Organisation des Nations Unies ONUCI : Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire

  iv  

PAS : Plan d’Ajustement Structurel PDCI : Parti Démocratique de Côte d’Ivoire PDCI-RDA : Parti Démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain PNCS : Plan National de Cohésion Sociale RDR : Rassemblement Des Républicains de Côte d’Ivoire RHDP : Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix TRC : Truth and Reconciliation Commission

  1  

INTRODUCTION

Suite à l’arrestation de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011 avec l’aide militaire de la

France et de l’ONU, scellant la fin de plus de six mois de violences postélectorales, le

nouveau président de la République de Côte d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara, a été

investi dans ses fonctions le 21 mai 2011 à la tête d’un pays marqué par de fortes tensions et

de profondes divisions ethniques. De plus, la situation économique désastreuse depuis les

années 1980 n’a cessé de s’aggraver avec l’instabilité politique et les crises successives. Les

défis du président alors nouvellement élu sont de taille, et il annonce rapidement ses trois

priorités : le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du pays, la relance

économique et la réconciliation nationale1. Ce que l’on appelle aujourd’hui « la crise

postélectorale » aura fait au moins trois mille morts2 et un million de déplacés3, auxquels

s’ajoute plus de cent cinquante femmes violées4, sans compter les milliers de personnes

violentées ou torturées, et la société complètement traumatisée.

Ainsi, l’un des premiers défis du nouveau président a été de mettre en place une politique de

réconciliation nationale. Cette politique de réconciliation est conçue comme un moyen de

parvenir à la paix et s’inscrit dans la lignée des réflexions de la peace research5. Ce courant,

qui domine plus que jamais l’ensemble des initiatives post-conflit, conçoit la paix comme un

processus de réconciliation entre les groupes qui étaient auparavant en conflit6. Sous cette

acception, le processus de réconciliation ne se limite pas à l’utilisation de ce que l’on appelle

la justice transitionnelle, il implique avec autant d’importance des méthodes structurelles,

visant principalement à modifier la structure des relations entre les groupes, et instaurer la

                                                                                                               1 CHABROL FANNY, HUGON PHILIPPE., « L’Afrique subsaharienne face à l’arc de crise sahélien », in BONIFACE PASCAL (dir.), L’Année stratégique 2013, Armand Colin, 2012, Paris, 533 p., p. 338.

2 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », Mars 2013, 86 p. 3 HOFNUNG THOMAS, La crise ivoirienne de Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo, La découverte, 2011, Paris, 191 p., p. 175. 4 Human Rights Watch, « Bien Loin de la Réconciliation- Répression militaire abusive en réponse aux menaces sécuritaires en Côte d’Ivoire », Novembre 2012, 80 p. 5 Le courant de la peace research s’est intéressé, dès le début des années 60, aux conflits intra-étatiques. Il s’est proposé de réfléchir sur les conditions d’établissement d’une paix durable afin de concevoir une paix positive qui puisse être conceptualisée et mise en pratique. 6 LEFRANC SANDRINE, Politiques du Pardon, PUF, 2002, Paris, 368 p. , p. 216.

  2  

démocratie7, et des méthodes interpersonnelles visant à améliorer les relations entre les « gens

ordinaires »8. Pourtant, les outils les plus visibles d’une politique de réconciliation, et c’est le

cas en Côte d’Ivoire, sont bien ceux de la justice transitionnelle9. Selon Sandrine Lefranc10,

spécialiste française de l’étude des politiques de réconciliation, la justice transitionnelle peut

être définie comme une boîte à outils dans laquelle sont regroupés un ensemble de moyens

complémentaires, à adapter en fonction de chaque situation, afin de parvenir à la

réconciliation dans un cadre démocratique et dans le but de construire une paix durable11. Ces

moyens essentiellement institutionnels sont « les poursuites judiciaires, les dispositifs de mise

au jour d’une vérité historique sur un passé de violence, les initiatives favorisant la «

réconciliation » des groupes en conflit, les politiques de réparations aux victimes (matérielles

et symboliques) et les réformes institutionnelles ayant une finalité de prévention de la

récurrence des crimes » 12 . La justice transitionnelle se définie donc par son but -

l’établissement d’une paix durable à la sortie d’une crise dans un contexte de transition

démocratique - et par les moyens à disposition pour atteindre ce but, que nous avons énoncé

non exhaustivement ci-dessus. Il s’agit donc avant tout d’un processus politique et social.

À la sortie d’un conflit, l’utilisation des outils de la justice transitionnelle est devenue

systématique. Les exemples sont nombreux. Sans remonter à la fin de la Seconde Guerre

Mondiale dont le procès de Nuremberg a signé l’acte de naissance de la justice transitionnelle,

sa montée en puissance a été fulgurante à partir des années 1980 alors que chutaient une à une

les dictatures sud-américaines13. On y voit alors naître un nouveau type d’institutions qui vont

devenir les outils phares de la justice transitionnelle et ceux qui sont le plus médiatisés dans le

cadre des politiques de réconciliation : les commissions de vérité et de réconciliation14. Mais

                                                                                                               7 Dans la peace research, le partage de valeurs démocratiques est la principale condition d’une paix durable. Celle ci s’est inspirée des théories d’Emmanuel Kant et de son Projet de paix perpétuelle (1795) pour élaborer la théorie de la paix démocratique. 8 LEFRANC SANDRINE, Politiques du Pardon, op.cit., p. 216- 217. 9 Nous n’entrerons pas dans l’étude de la généalogie et de l’origine du concept de justice transitionnelle qui peut paraître flou. Mais il convient de préciser qu’il serait réducteur de limiter le terme «transition » à l’acception du passage d’un régime dictatorial à une période transitoire, puis à l’idéal de la démocratie, comme il le suggère. En effet, dans bien des cas y compris celui de la Côte d’Ivoire, les étapes ne sont pas si évidentes et pourtant, on parle bien de justice transitionnelle. Sur la généalogie et l’origine du concept de justice transitionnelle, voir : HAZAN PIERRE, Juger la guerre, juger l’Histoire : du bon usage des commissions Vérité et de la justice internationale, PUF, 2007, Paris, 251 p. 10 Sandrine Lefranc est chargée de recherche au CNRS et enseigne au sein de plusieurs universités et écoles. Elle s'est spécialisée dans l'étude des dispositifs de sortie de conflits politiques violents (répression étatique, guerre civile) mis en place par des acteurs locaux et internationaux. Elle est l’auteur et la directrice de plusieurs ouvrages sur ce thème de recherche. 11 LEFRANC SANDRINE, « La justice transitionnelle n’est pas un concept », Mouvements des idées et des luttes, n°53, mars-mai 2008, pp. 61 à 69. 12 Ibid. 13 HAZAN PIERRE, Juger la guerre, juger l’Histoire : du bon usage des commissions Vérité et de la justice internationale, op.cit., p. 17. 14 LEFRANC SANDRINE, « La justice transitionnelle n’est pas un concept », op.cit.

  3  

c’est bien la politique de réconciliation sud africaine qui va devenir « l’exemple

emblématique de la nouvelle ingénierie sociale de la justice transitionnelle »15 à la fin de

l’Apartheid avec la mise en place de la célèbre Truth and Reconciliation Commission (TRC).

Ensuite, les décennies 1990 et 2000 vont voir surgir une multitude de commissions de vérité à

l’issue de massacres d’Etat comme en Sierra Leone, de génocides comme au Rwanda, ou dans

des périodes d’assouplissement de régimes, comme ce fut par exemple le cas au Maroc

lorsque Sa Majesté Mohammed VI a crée l’Instance Equité et Réconciliation en 200416 afin

de faire la lumière sur la répression de l’Etat sous le règne de son père Hassan II durant les

« années de plomb ». Ainsi, depuis 1974, c’est plus d’une trentaine de commissions de vérité

qui ont été créées dans le monde17, et donc au moins autant de politiques de réconciliation.

Les exemples de mise en place de ce type d’institutions se sont multipliés en Afrique

subsaharienne : Afrique du Sud, Sierra Leone, Rwanda, Guinée Conakry, Ouganda, Tchad,

Nigeria, Ghana, Liberia, Côte d’Ivoire… Au moment du dénouement d’une crise, les discours

des chefs d’Etat africains et occidentaux, des Nations Unies et des défenseurs de la paix et des

droits de l’homme, sont ponctués du mot « réconciliation » et systématiquement, l’étape

suivante a été celle de la mise en place d’une politique de réconciliation nationale, au sein de

laquelle on peut voir naitre une commission de vérité. Ces commissions n’ont jamais

exactement le même mandat ni la même mission. Elles sont toutes uniques dans la mesure où

elles s’inscrivent dans un contexte spécifique avec un objectif de paix qui ne se construit pas

toujours de la même manière et que la mission qui leur est donnée dépend de la volonté

politique de leur créateur. Ainsi, elles n’ont parfois qu’un rôle d’organe de recommandation,

mais sont la plupart du temps chargées de la lourde mission qui est celle du rétablissement de

la vérité et de l’indemnisation des victimes.

À côté de ces institutions s’exerçaient, selon les contextes, des poursuites judiciaires, se

mettaient en place des cadre de dialogue politique et autres outils de la justice transitionnelle.

Mais la justice transitionnelle et les politiques de réconciliation ne se limitent pas à des

institutions nationales. En effet, ces questions sont désormais indissociables de la place de la

justice pénale internationale, qui semble avoir le même objectif : favoriser la construction

                                                                                                               15 HAZAN PIERRE, Juger la guerre, juger l’Histoire : du bon usage des commissions Vérité et de la justice internationale, op.cit., p. 49. 16 Ibid. 17 Par ordre alphabétique : Afrique du Sud (1995), Allemagne (1992), Argentine (1983), Bolivie (1982), Chili (1990 et 2003), Corée du Sud (2000), Côte d’Ivoire (2011), Équateur (1996 et 2007), Ghana (2002), Grenade (2001), Guatemala (1997), Guinée Conakry (2010), Haïti (1995), Indonésie (2004), Libéria (2005), Maroc (2004), Népal (1990), Nigeria (1999), Ouganda (1974 et 1986), Panama (2001), Paraguay (2003), Pérou (2000), RDC (2003), Rwanda (1999) Salvador (1992), Sierra Leone (2002), Sri Lanka (1994), Tchad (1991), Timor-Leste (2002), Uruguay (1985 et 2000), Yougoslavie (2001).

  4  

d’une paix durable, établir la vérité sur les crimes et réparer. Antonio Cassese18 disait même

que la justice pénale internationale est indispensable pour aboutir à la paix19. La montée en

puissance de la justice pénale internationale depuis une vingtaine d’années a été fulgurante.

Des tribunaux pénaux internationaux non permanents et destinés à rendre la justice sur les

crimes les plus graves commis dans des contexte particuliers ont d’abord vu le jour. Ainsi le

Tribunal Pénal International pour l’Ex Yougoslavie, le Tribunal Pénal pour le Rwanda ou

encore la Cour spéciale pour la Sierra Leone, ont été créées avant que la Cour Pénale

Internationale ne prenne ses fonctions en 2002, année de l’entrée en vigueur de son statut. Il

faut noter que la Cour Pénale Internationale n’est pas la dernière née des juridictions pénales

internationales. Des tribunaux spéciaux internationalisés ont été mis en place après l’entrée en

vigueur du Statut de Rome20. C’est le cas du Tribunal spécial pour le Cambodge21 et du

Tribunal spécial pour le Liban. Ainsi, ces deux types d’institutions- les commissions de vérité

et de réconciliation et les juridictions pénales internationales ou hybrides – sont les deux

outils spécifiques à la justice transitionnelle. Elles se différencient ainsi des poursuites pénales

qui se font dans le cadre du système judiciaire commun, bien qu’étant elles aussi des outils de

justice transitionnelle. Le recours à ces institutions spécifiques est recommandé de manière

quasi systématique par les experts et professionnels de la justice transitionnelle et des

politiques post-conflit.

En Côte d’Ivoire, une politique de réconciliation a bien été mise en place et fait l’objet d’une

constante observation. Suite à son accession à la fonction de président de la République en

2011, Alassane Ouattara a promis de réconcilier la Côte d’Ivoire avec elle même. En ce sens,

il a rapidement créée la Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation (CDVR).

Il a en outre promis la justice pour toutes les victimes. En ce sens, de nombreux mandats

d’arrêts nationaux et internationaux sous plusieurs chefs d’accusation liés à la commission

d’actes criminels durant la crise postélectorale et depuis la fin de la crise ont été émis et des

enquêtes ont été ouvertes, principalement contre les partisans et les membres de la famille de

                                                                                                               18 Antonio Cassese, éminent juriste spécialisé en droit international public, a été le Premier président du Tribunal Pénal International pour l’Ex Yougoslavie et le Premier président du Tribunal spécial pour le Liban. Il est décédé en 2011. 19 Premier rapport du président du Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie devant l’assemblée générale des Nations Unies, 29 août 1994, A/49/342, S/1994/1007, paragraphe 15. 20 On les différencie des tribunaux pénaux internationaux car il s’agit de juridictions hybrides, qui sont internationales par le fondement, mais qui ont des caractéristiques internes et internationales. Il ne s’agit pas de tribunaux pénaux internationaux ad hoc du même type que pour le Rwanda ou l’Ex-Yougoslavie. Sur les juridictions pénales internationalisées, voir PAZARTZIS PHOTINI, « Tribunaux pénaux internationalisés », Annuaire Français de droit international, 2003, n°53, p. 642. 21 C’est le nom communément donné à ce tribunal. Mais il s’agit officiellement de Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens. Sa création a été négociée par l’ONU et le gouvernement cambodgien et scellée au sein d’une résolution du Conseil de sécurité. Il a été crée en 2001 par la loi cambodgienne mais n’a commencé à fonctionner qu’en 2007.

  5  

Laurent Gbagbo et les têtes de l’ancien régime. Du point de vue de la justice pénale

internationale, le nouveau gouvernement ivoirien a répondu au mandat d’arrêt international

émis à l’encontre du président sortant Laurent Gbagbo le 23 novembre 2011, aujourd’hui

emprisonné à La Haye et est accusé d’être le co-auteur de quatre chefs de crimes contre

l’humanité.

Nombreux sont ceux qui disent que depuis l’élection de Ouattara, la situation en Côte d’Ivoire

s’est améliorée et que la transition démocratique est en cours. Mais plus de deux ans après son

investiture, un bilan s’impose et le constat est de prime abord plus nuancé que le prétendent

certains observateurs. Les avancées les plus significatives sont liées à la politique de relance

économique. En effet, à la fin de l’année 2012, les bailleurs de fonds ont promis un

financement par l’investissement à hauteur de 8,6 milliards de dollars pour la période 2013-

2015 lors de la première journée du Groupe consultatif pour la Côte d’Ivoire au siège de la

Banque Mondiale le 4 décembre 2012. La France figurait au premier rang de ces bailleurs22.

Au cours de cette journée, le président Ouattara n’a pas manqué de réaffirmé que : « La Côte

d’Ivoire est en train de réussir son décollage. Rien ne pourra arrêter la réconciliation. Ce

grand mouvement ne sera pas affecté par quelques épisodes de violence localisés »23. Mais

qu’en est-il des deux autres priorités annoncées ?

Un défi considérable se présentait à Alassane Ouattara dès son accession au poste de

président : celui de savoir s’adresser à tous les Ivoiriens après les divisions ethniques qui ont

miné la société ivoirienne depuis plus de vingt ans. Or, ce dernier semble aujourd’hui loin de

réussir à établir un dialogue avec le « peuple » de Gbagbo24, grand perdant de la dernière

crise. Si Laurent Gbagbo a perdu les élections présidentielles, il n’en reste pas moins que près

de 45,9% des 80% d’électeurs ivoiriens ayant voté le 28 novembre 2010 lui ont donné leurs

voix25. Le Front Populaire Ivoirien (FPI), parti dont Laurent Gbagbo est l’un des membres

fondateurs, est toujours très présent sur la scène politique ivoirienne. De plus, Laurent

Gbagbo est emprisonné à La Haye depuis plus de deux ans et le soutien qu’il reçoit de la part

de ses partisans reste quasiment intact. Si l’on observe la diaspora ivoirienne, ont peut noter

que des comités de soutien ont été crées spécialement depuis son arrestation et organisent des

regroupements réguliers afin de manifester leur opposition à l’emprisonnement de Laurent

                                                                                                               22 « Côte d’Ivoire : Ouattara emporte 8,6 milliards de dollars », jeuneafrique.com, 4 décembre 2012, consulté le 9 août 2013, disponible sur : http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/14018-cote-divoire--ouattara-emporte-86-milliards-de-dollars.html 23 Ibid. 24 Expression empruntée à DOZON JEAN-PIERRE, in Les clefs de la crise ivoirienne, Karthala, 2011, Paris, 144 p. 25 HOFNUNG T., La crise ivoirienne de Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo, op.cit., p. 153.

  6  

Gbagbo et aux pratiques du gouvernement actuel. À Paris, par exemple, on peut voir certains

samedis des manifestations de soutien à l’ancien président à Saint Michel tenant des slogans

demandant la libération de Laurent Gbagbo, de sa femme Simone Gbagbo et de l’ensemble de

ses partisans emprisonnés, et dénonçant en même temps le néocolonialisme en Côte d’Ivoire.

Alassane Ouattara ne doit donc pas négliger une partie du peuple dans sa politique de

réconciliation et plus globalement dans sa politique gouvernementale. La problématique de

réconciliation en Côte d’Ivoire est certes faites d’enjeux multiples et complexes qui sera

nécessaire d’éclaircir dans le cadre de cette étude. Mais une chose est sûre : l’implication et la

participation de tous les acteurs politiques et de tous les Ivoiriens est nécessaire pour que cette

réconciliation aboutisse aux effets qu’elle prétend avoir. Dès lors, au cœur des enjeux de la

réconciliation ivoirienne se pose la question de savoir dans quelle mesure il est possible

d’envisager la participation du « peuple de Gbagbo » au processus de réconciliation, et

comment l’envisager.

Afin de répondre à ces questions, un travail de recherche approfondi a été mené depuis Paris.

Ces recherches avaient d’abord pour objectif général de s’attacher à faire un bilan du

processus de réconciliation deux ans après la fin de la crise postélectorale. Il s’agissait de

comprendre précisément les enjeux de la réconciliation et d’évaluer l’avancée du processus

alors que de nombreuses critiques émanant d’organisations non gouvernementales telles

qu’Amnesty International et Human Rights Watch surgissaient pour dénoncer une « justice

des vainqueurs »26, en contradiction apparente avec le discours du gouvernement ivoirien et

les compliments des bailleurs de fonds et de la communauté internationale. Après avoir

observé une difficulté majeure de dialogue entre le gouvernement de Ouattara et le « peuple

de Gbagbo », ainsi que des contestations récurrentes de la part des partisans de Laurent

Gbagbo criant aux injustices, il a semblé pertinent de s’intéresser à cet aspect afin de mieux

parvenir à atteindre l’objectif général que s’était fixé cette étude. Il s’agit donc de parvenir à

identifier les différents aspects de la réconciliation ivoirienne à travers la compréhension du

« peuple de Gbagbo ». Cette étude n’ayant pu être menée en Côte d’Ivoire, plus de dix

entretiens ont été menés avec des ressortissants de la diaspora ivoirienne en France qui

soutiennent Laurent Gbagbo - militants et sympathisants du FPI, membres d’associations,

universitaires - afin de recueillir leurs opinions sur la problématique de la réconciliation

ivoirienne27. Les personnes ciblées soutenaient toujours l’ancien président au moment de la

réalisation des entretiens en juin 2013. Ces entretiens ont été menés selon la méthode des                                                                                                                26 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit. 27 L’ensemble de ces entretiens figure en annexes de cette étude.

  7  

entretiens semi-directifs. Le choix d’une méthode d’entretien qualitatif plutôt que quantitatif

s’est avéré plus adapté à l’objectif souhaité, qui était de créer un réel échange avec chaque

personne rencontrée afin d’établir un climat de confiance lui permettant de parler ouvertement

d’un sujet politique sensible et pouvant susciter des réactions de rejet, et parfois de craintes.

Une série de dix questions était posée sur des sous-problématiques de la réconciliation. Elles

ont permis d’identifier les points de vue de chacun sur divers points. L’anonymat et la

confidentialité ont été proposés à l’ensemble des personnes interrogées, qui ont finalement

accepté de voir leurs entretiens publiés nominativement en annexe de cette étude. Un entretien

a par ailleurs été mené avec un ami proche de Laurent Gbagbo. Un dernier entretien a été

mené avec une personne qui ne soutient pas Laurent Gbagbo mais qui se revendique de la

majorité actuellement au pouvoir.

L’ensemble de ce travail de recherche a permis d’identifier deux axes qui donnent une

certaine lecture du processus de réconciliation ivoirien. Il s’agira dans un premier temps

d’aborder la réconciliation sous l’angle sociohistorique afin de comprendre pourquoi une

réconciliation multi-niveaux est nécessaire (première partie). Il s’agira dans un second temps

de mettre en évidence les limites de la réconciliation ivoirienne grâce à l’analyse du point de

vue des partisans de Laurent Gbagbo (deuxième partie).

  8  

PREMIÈRE PARTIE :

LA RÉCONCILIATION NÉCESSAIRE

-

APPROCHE SOCIOHISTORIQUE ET RECONCILIATION

MULTI-NIVEAUX

  9  

Il est impossible de comprendre le processus de réconciliation ivoirien sans évoquer

les crises qui ont conduit au besoin de réconciliation. Dans ce contexte, l’approche

sociohistorique semble la plus pertinente pour atteindre cette compréhension du drame de la

Côte d’Ivoire (première sous-partie) et pour démontrer la nécessité d’une réconciliation multi-

niveaux dont le processus a été amorcé (deuxième sous-partie).

Première sous-partie :

Comprendre les crises ivoiriennes

- Une approche sociohistorique

Il s’agira d’abord de revenir sur les facteurs profonds qui ont conduit à ces crises (A)

avant d’évoquer les violences politiques à mesure de la montée en puissance de l’ethno-

nationalisme (B).

A. Les facteurs profonds des crises ivoiriennes

Les facteurs profonds des crises ivoiriennes sont multiples. Elles sont d’abord liées à un

héritage colonial en demie teinte ainsi qu’aux difficultés d’émancipation vis-à-vis de la

France (1). Elles sont également dues à un système néo-patrimonial et à une transition

difficile vers la démocratie multipartite (2), alors que le pays était au même moment au cœur

d’une crise économique qui a conduit à révéler les faiblesses du modèle de développement (3)

et que la fragilité du droit foncier commençait à poser problème (4).

1. L’ « héritage colonial » en demie teinte et les difficultés d’émancipation vis-à-vis de

la France

La délimitation des frontières à l’époque coloniale s’est faite de façon totalement

artificielle sans prendre en compte les données historiques et culturelles des territoires

colonisés. Ainsi, des peuples appartenant au même groupe et/ ou parlant la même langue ont

été divisés et d’autres ont été séparés. Cette réalité n’est pas seulement visible en Côte

d’Ivoire. Elle l’est également dans le reste de l’Afrique colonisée. Le sentiment

d’appartenance à un même groupe n’a donc pas animé les découpages territoriaux. En Côte

d’Ivoire, lorsque la France a décidé de supprimer la colonie de Haute Volta en 1933, une

  10  

partie de ce territoire a été rattaché à la Côte d’Ivoire pour former la Haute-Côte afin de

fournir en main d’œuvre le Sud de la Côte d’Ivoire. La « Grande Côte d’Ivoire » qui a duré

jusqu’en 1947 était composée aux trois quarts de populations voltaïques puisque cette Haute-

Côte comprenait entre autres le territoire de Ouagadougou28. Au moment de l’indépendance,

c’est bien la Côte d’Ivoire telle que les autorités coloniales l’avait délimitée qui est reconnue

comme un Etat souverain et indépendant. Les tentatives de construction d’une identité

nationale se sont faites sur le modèle importé d’Etat-nation alors que la Côte d’Ivoire ne

s’était pas constituée sur l’existence d’un sentiment d’appartenance nationale. De plus, les

autorités coloniales avaient longtemps rejeté le concept d’ethnie 29 . Ainsi, depuis

l’indépendance, la Côte d’Ivoire tente de trouver son juste équilibre entre « le jacobinisme et

son rêve universel d’Etat-nation d’une part, et le consociationalisme mal maîtrisé propice à

l’affirmation de toutes sortes de surenchères identitaires d’autre part30», non sans difficultés.

Les politiques gouvernementales et la société toute entière peinent à constituer un contrat

social solide31 qui, sans exacerber les revendications identitaires, ne les étouffent pas non

plus ; une forme de contrat social incluant toutes les populations, toutes les ethnies vivant sur

le territoire.  

Au delà de cet héritage des frontières coloniales, la France exerce une influence d’une

importance singulière sur le système politico-administratif alors que la Côte d’Ivoire est

indépendante depuis 1960. Il faut dire que Félix Houphouët-Boigny, premier président de la

Côte d’Ivoire indépendante, a pendant plus de trente ans eu une attitude ambiguë vis-à-vis de

la France et a laissé se développer une nouvelle forme d’influence française. Ce que l’on

appelle communément la « Françafrique » est la manifestation d’une nouvelle forme de

colonialisme dans les anciennes colonies françaises d’Afrique, basé sur des intérêts

économiques, et des échanges de faveurs entre la France et les gouvernements des Etats

africains nouvellement indépendants. Si la Côte d’Ivoire est un Etat indépendant et souverain,

doté d’une constitution, fonctionnant avec ses propres institutions, la France y exerce toujours

une influence décisive sur les politiques menées. Cette dernière y conserve des intérêts

économiques importants. Elle est bien sûr son premier partenaire économique. La plupart des

secteurs économiques stratégiques sont dominés par des entreprises françaises32. La santé de

                                                                                                               28 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, Armand Colin, 2011, Paris, 336 p., p. 267- 268. 29 OTAYEK RENE, « La démocratie entre mobilisations identitaires et besoin d’Etat : y a t-il une « exception » africaine? », Autrepart, 1999, n°10, p. 5-22. 30 Ibid. 31 On entend ici par un contrat social solide, une forme d’organisation d’une société qui garantisse une stabilité et donc la paix. 32 Bouygues contrôle l’eau et l’électricité avec sa filiale Saur, et a obtenu de nombreux chantiers publics. Bolloré a le monopole du transit et du transport maritime, du tabac, des chemins de fer et autres plantations d’hévéa,

  11  

l’économie ivoirienne est donc très dépendante de la France. L’émancipation vis-à-vis de

l’ancienne colonie n’est pas assez aboutie pour que l’équilibre de leur relation satisfasse à la

fois les intérêts de la Côte d’Ivoire (et non de ses hommes politiques) et ceux de la France.

Ces difficultés d’émancipation privent la Côte d’Ivoire du recul nécessaire pour revoir les

termes de cette relation qui a fait pourtant l’objet de nombreuses critiques depuis l’avènement

du multipartisme.

2. Le système néo-patrimonial et la difficile transition vers la démocratie multipartite

Après l’indépendance, Félix Houphouët-Boigny a rapidement préférer l’autocratie au

multipartisme. Le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), parti de Félix Houphouët-

Boigny, a monopolisé la vie politique ivoirienne jusqu’à la fin des années 1980 et chaque

élection était simplement l’occasion de plébisciter le parti unique. La classe politique,

habituée à utiliser la sphère étatique comme une source de pouvoir mais surtout de rente, a

poursuivi les pratiques du clientélisme et installé un système « néo-patrimonial33». Le néo-

patrimonialisme, assez commun dans les régimes africains postcoloniaux, s’entend comme un

système de domination par lequel un individu ou un groupe d’individus qui occupent une

fonction publique, administrative ou politique utilisent leur position, leur poste et les

attributions qui en découlent, de la même manière que s’ils en avaient hérités ou comme s’ils

en avaient la propriété34. De plus, selon Christian Bouquet35, on est en présence d’« un mode

de régulation sociopolitique fondé sur des pratiques de redistribution visant à fidéliser les

partisans et à acheter les éventuels opposants »36. Dans ce système, la recherche du bien

public devient secondaire voir absente des objectifs des personnes au pouvoir, qui y restent

pour satisfaire leurs intérêts personnels. C’est pourquoi la corruption et le clientélisme y sont

quasi-systématiquement des pratiques courantes. Le système néo-patrimonial va souvent de

paire avec une économie de rente dont les perspectives de croissance à long terme sont

mauvaises à cause du phénomène d’épuisement des ressources en cacao, en café mais surtout

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         tandis que Total et Elf sont actionnaires à 25 % de la Société ivoirienne de raffinage. Le secteur bancaire et celui des télécommunications sont également dominés par des grands groupes français (BNP, Crédit Lyonnais, Société générale, France Télécom, Orange) in BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 188. 33 Le patrimonialisme est un système de domination historique traditionnel qui a été théorisé pour la première fois par Max Weber. Sur la notion de néopatrimonialisme et sa distinction avec le patrimonialisme, voir MEDARD JEAN-FRANÇOIS, « L’État patrimonialisé », Politique africaine, septembre 1990, n° 39, p. 25-36. 34 Ibid. 35 CHRISTIAN BOUQUET est un spécialiste de la Côte d’Ivoire. Ancien diplomate, il est professeur à l’Université de Bordeaux et est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment sur la géopolitique de la Côte d’Ivoire. 36 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 225.

  12  

en bois, et parce que les espaces de cultures finissent par manquer. Alors qu’il favorise

l’accumulation de richesses, ce système favorise en même temps l’exclusion. Cette exclusion

a provoqué une montée des frustrations au sein de la société ivoirienne et des ressentiments

profonds à l’égard des baoulés, ethnie de Félix Houphouët-Boigny qu’il a favorisé pendant

près de quarante ans au détriment des autres ethnies. Ce système commençait déjà à être

dénoncé à la fin des années 1980 alors que la crise économique s’était installée. La

distribution des rentes avait dû être recentrée sur les personnes les plus proches du pouvoir, au

premier rang desquelles les personnes appartenaient au même groupe ethnique. Parallèlement,

le FMI et la Banque Mondiale imposaient le processus de « dépatrimonialisation » par une

vague de privatisations et l’adoption de règles de bonne gouvernance37. Cela s’est notamment

traduit par une baisse des salaires au sein de la fonction publique. La politique de

redistribution de rentes ne permettait plus de contenter tout le monde. Le passage du parti

unique au multipartisme au début des années 1990 a créé des difficultés supplémentaires pour

la perduration du système néo-patrimonial car il y avait de plus en plus de critiques. Il a

pourtant perduré lorsque de nouveaux gouvernants qui critiquaient avant les pratiques de

l’époque du parti unique et du PDCI se sont mis à faire exactement la même chose, avec une

préoccupation en plus; la bataille des urnes à chaque élection, afin de conserver le pouvoir. Ce

système a monopolisé l’esprit des dirigeants politiques sur des enjeux de pouvoir au détriment

de propositions de projets de société répondant aux problématiques qui minaient la société

ivoirienne, au premier desquels la crise du modèle ivoirien de développement.

3. La crise économique ivoirienne et les faiblesses du modèle de développement

Le modèle de développement économique ivoirien s’est caractérisé par son succès et

sa singularité en Afrique de l’Ouest, depuis l’indépendance jusqu’aux années 1980. La

stratégie adoptée par Félix Houphouët-Boigny a été de faire de l’immigration le cœur du

développement économique, marquant une certaine continuité avec l’époque coloniale. En

effet, à l’indépendance du pays, l’économie ivoirienne était essentiellement basée sur la

culture du cacao et du café concentrées dans la région du sud, aussi appelée Sud forestier38et

le président a fait le choix de continuer sur cette lancée du modèle agricole extensif qui s’était

développé dès les années 1930. Les cultures se sont ainsi étendues dans un mouvement allant

d’Est en Ouest. Le fort besoin de main d’œuvre pour soutenir la production agricole a entrainé

d’importants mouvements migratoires internes et régionaux, en provenance du reste de                                                                                                                37 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 227. 38 BEAUCHEMIN CRIS, « Les migrations et l’effritement du modèle ivoirien : chronique d’une guerre annoncée ? », Critique internationale, 2005/3, n° 28, p. 19-42.

  13  

l’Afrique de l’Ouest, largement encouragés par le colonisateur français puis par Félix

Houphouët-Boigny. En parallèle, on assiste à partir de l’indépendance, à un mouvement de

migration urbaine. Les jeunes quittent les campagnes pour leurs études puis pour entrer dans

une fonction publique en pleine extension. Mais les taux de croissance des « vingt

glorieuses » ivoiriennes ont laissé place à la crise économique dès le début des années 1980,

qui aura bientôt révélé les limites et les failles du modèle de développement ivoirien.

Ces limites sont d’abord des limites structurelles. Le modèle de développement économique

ivoirien a favorisé les inégalités. Il a accru les différences de niveau de développement entre

le nord, dont le climat plutôt sec et la végétation de savane ne sont pas accueillants pour

l’agriculture, et le sud humide et anciennement très arboré, et qui a concentré la quasi totalité

du développement économique du pays par la culture du cacao et du café ainsi que

l’exploitation forestière. De plus, ce modèle de développement par l’agriculture extensive est

basé sur l’installation de populations allogènes sur des terres vierges39. Or le territoire ivoirien

a ses propres frontières et l’extension d’Est en Ouest devait avoir une fin matérialisée par la

frontière libérienne. Le problème du système de distribution des rentes est que dans un pays à

forte croissance démographique, lorsque l’on ne peut plus accroitre l’exploitation et donc la

rente, le système finit par être bloqué40. En effet, « en l’absence d’intensification significative

des pratiques agricoles et de diversifications des exportations, il aurait toujours fallu plus de

cacao, de café, de coton ou même de pétrole, des cours de matières premières élevés, et

pouvoir maintenir un haut niveau de prélèvement et d’aide extérieure »41. Enfin, l’épuisement

des réserves forestières a fait perdre une importante ressource économique42.

Mais le modèle a également subi des chocs conjoncturels, liés à l’instabilité et la variabilité du

prix des matières premières, lorsque les cours du cacao et du café s’effondrent à la fin des

années 1970, révélant la fragilité d’une économie s’appuyant essentiellement sur ces

exportations. La fluctuation du cours des matières premières reste à l’heure actuelle une des

fragilités du modèle. L’entrée dans l’ère du capitalisme mondial par une dépendance aux

exportations de matières premières a rendu l’économie du pays très sensible à la conjoncture

de l’économie mondialisée. L’Etat, qui dans ses efforts de développement, avait contracté des

prêts, a été rapidement dépassé. Dès 1981, la Côte d’Ivoire annonçait sont incapacité à

rembourser ses dettes43. Des réformes de stabilisation et de libéralisation étaient entreprises

                                                                                                               39 BEAUCHEMIN CRIS, « Les migrations et l’effritement du modèle ivoirien : chronique d’une guerre annoncée ? », op.cit. 40 COGNEAU DENIS, MESPLE-SOMPS SANDRINE, « Les illusions perdues de l’économie ivoirienne et la crise politique », Afrique contemporaine, 2003/2, n°206, p. 87-104. 41 Ibid. 42 BEAUCHEMIN CRIS, « Les migrations et l’effritement du modèle ivoirien : chronique d’une guerre annoncée ? », op.cit. 43 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op. cit., p. 146.

  14  

dès la fin des années 1980, avant même l’arrivée d’Alassane Ouattara au poste de Premier

Ministre. Le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM) ont imposé

des plans d’ajustement structurels (PAS) successifs. Si ces plans ont permis à l’Etat ivoirien

de bénéficier à la fois d’une réduction de la dette et de rationnaliser les budgets44, ceux-ci se

sont soldés par des échecs. En effet, cela aura plutôt eu pour conséquence de compresser les

effectifs du secteur public, d’entrainer une augmentation du taux de chômage dans les villes et

une baisse de la consommation ralentissant l’économie ivoirienne 45 , sans pour autant

redresser les comptes de l’Etat puisqu’en 1990, la dette avait doublé en atteignant 15, 1

milliards de dollars46. De plus, ces PAS ont imposé une rigueur budgétaire « à la limite du

supportable »47 pour les Ivoiriens, notamment dans les domaines de l’éducation, du social et

de la santé alors que l’épidémie du SIDA faisait des ravages sur l’espérance de vie. À côté de

cela, le franc CFA était dévalué en 1994 afin de faire gagner les producteurs en compétitivité

et de favoriser l’investissement privé48. Mais ces réformes n’ont pas suffi, notamment parce

que le système néocolonial n’avait pas été rompu. La Côte d’Ivoire n’a donc pas réussi à

passer d’une économie basée sur l’agriculture extensive à une économie diversifiée. Malgré la

croissance économique foudroyante postindépendance, la Côte d’Ivoire n’a pas su créer un

marché de consommation intérieure et une capacité d’épargne assez importants pour réduire

sa dépendance aux exportations et favoriser l’investissement privé domestique. En outre, les

quelques tentatives de diversification par le développement du secteur secondaire se sont

soldées par des échecs, à cause de l’engagement de l’Etat dans ce secteur plutôt que de

favoriser l’investissement privé. Les secteurs secondaire et tertiaire se sont donc peu

développés pour permettre d’enclencher le processus de substitution aux importations. Les

capitaux ont toujours été majoritairement en provenance de la France, sur le modèle de la

« Françafrique ».

La pauvreté reste profonde. En 1997, 37 % des Ivoiriens vivaient largement en dessous du

seuil de pauvreté avec moins de 12 000 francs CFA49 et le revenu par tête était deux fois plus

bas qu’en 198050. De plus, les inégalités se sont creusées entre populations des villes et

populations des campagnes. Comme le notent Denis Cogneau et Sandrine Mesplé-Somps, « le

                                                                                                               44 COGNEAU DENIS, MESPLE-SOMPS SANDRINE, « Les illusions perdues de l’économie ivoirienne et la crise politique », op. cit. 45 BEAUCHEMIN CRIS, « Les migrations et l’effritement du modèle ivoirien : chronique d’une guerre annoncée ? », op.cit. 46 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 260. 47 Ibid. 48 COGNEAU DENIS, MESPLE-SOMPS SANDRINE, « Les illusions perdues de l’économie ivoirienne et la crise politique », op. cit. 49 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op. cit., p. 260. 50 HUGON PHILIPPE, « La Côte d’Ivoire : plusieurs lectures pour une crise annoncée », Afrique contemporaine, 2003/2, n°206, 264 p., p. 105- 127.

  15  

taux de pauvreté chez les salariés a été multiplié par dix entre 1985 et 1998 à Abidjan, par

cinq dans les autres centres urbains ivoiriens »51, et favorisé un retour des jeunes diplômés

vers les campagnes et raviver des tensions autour de la question des terres.

La redistribution de l’aide au développement et des richesses a été entachée par une mauvaise

gouvernance, par une mauvaise allocation des dépenses publiques et par les divers cas de

fraude et une corruption endémique.

En parallèle, un autre élément conjoncturel est venu ralentir voire stopper le développement

économique. Il s’agit bien de l’instabilité politique et des conflits successifs qui ont touché le

pays ces vingt dernières années, après la mort de Félix Houphouët-Boigny. En effet, le lien

entre instabilité politique et faible croissance économique n’est plus à démontrer52 et la Côte

d’Ivoire ne fait pas exception à cela. L’instabilité politique qui la mine n’a jamais permis au

pays de se relever économiquement.. Alors qu’il semblait y avoir eu un regain d’optimisme

sur la situation économique et les perspectives de croissance au cours de l’année 2002 lorsque

les cours du cacao ont connu une forte hausse, que des augmentations de salaires avaient été

consenties, que la dette envers les bailleurs de fonds avait été apurée et normalisée et que

l’investissement public avait repris53, la crise politique qui a éclaté en 2002 et qui ne s’est

jamais réellement arrêtée jusqu’à 2011, a rapidement sonné l’heure de la récession. Ainsi,

c’est un cercle vicieux qui se forme puisque les conflits successifs viennent aggraver la crise

économique tandis que la crise économique alimente les tensions et les frustrations sociales.

Enfin, la crise économique a révélé une autre fragilité : celle du droit foncier.

4. La fragilité du droit foncier

La loi foncière de 1998 54 a été adoptée dans un contexte de violences entre

autochtones et allochtones afin d’apaiser les tensions naissantes. Mais elle n’a pas été en

mesure de résoudre un problème profond qui perdure depuis près d’un siècle et est ancrée

dans l’histoire des campagnes ivoiriennes. En effet, les enjeux sur le domaine foncier ne

datent pas d’hier. Ces enjeux se sont manifestés dès la colonisation de la Côte d’Ivoire,

                                                                                                               51 COGNEAU DENIS, MESPLE-SOMPS SANDRINE, « Les illusions perdues de l’économie ivoirienne et la crise politique », op. cit. 52 Le lien entre le niveau de stabilité politique et le développement économique a fait l’objet de nombreuses études chez plusieurs économistes. L’une de ces études intitulée « Political instability and economic growth » a conclu que les pays ayant une probabilité élevée d’instabilité politique, matérialisée par l’effondrement gouvernemental, ont des taux de croissance économique faibles. Sur cette notion, voir ALESINA ALBERTO, OZLER SULE, ROUBINI NOURIEL et SWAGEL PHILIP, « Political instability and economic growth », Journal of Economic Growth, 1996, n°2, p. 189-212. 53 COGNEAU DENIS, MESPLE-SOMPS SANDRINE, « Les illusions perdues de l’économie ivoirienne et la crise politique », op.cit. 54 Loi n° 98750 du 23 décembre 1998 sur le domaine rural, Journal officiel du 14 janvier 1999.

  16  

parallèlement au développement de la culture extensive du cacao et du café dès les années

192055, et ils sont étroitement liés au phénomène d’immigration. Mais, contrairement à ce qui

est souvent dit, les vagues de migrations qui étaient d’abord liées à un besoin de main

d’œuvre dans les plantations et étaient en ce sens encouragées, n’ont pas seulement été en

provenance de l’ancienne Haute-Volta. Des migrations internes étaient déjà visibles à

l’époque avec des populations en provenance du centre de la Côte d’Ivoire et de l’Ouest-

forestier vers le Sud-Est en plein développement agricole et vers le Centre-Ouest. Quant aux

premiers mécontentements sur le domaine foncier, ils sont apparus dès les années 1950 alors

que la Côte d’Ivoire était encore sous administration coloniale et que cette dernière avait déjà

observé un problème sur cette question56. Ce mouvement de colonisation agraire a crée des

problèmes sur les droits fonciers et sur les modes de cohabitation entre les ethnies allochtones

et autochtones. Mais ce problème a d’abord touché les populations autochtones en conflit

avec les populations baoulées provenant du centre. Les problèmes du domaine foncier et des

étrangers ne sont réellement liées qu’avec la crise économique mais surtout avec l’apparition

du concept identitaire de l’ « ivoirité ». De même, contrairement à ce qui est souvent décrit, le

problème foncier ne touche pas que le sud du pays. Il touche également le Nord d’une façon

différente puisque la pression se fait pour d’autres types de culture et d’élevage, avec une

pression foncière similaire à celle du sud57.

Sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny, le célèbre adage en vigueur était le suivant :

« La terre « appartient » à celui qui la met en valeur». En effet, durant cette période de forte

croissance économique, cette dernière devait être alimentée par une constante mise en valeur

de nouvelles terres afin de soutenir l’économie de rente. La pratique du tutorat s’était imposée

de fait entre autochtones et allochtones par lequel le bénéficiaire d’une « délégation de droits

fonciers ou même d’une « vente » de terre » avait un devoir de reconnaissance transmissible

à cause de mort envers le délégataire, se manifestant par le versement d’une contre-prestation

le plus souvent en nature et parfois en numéraire. De nombreux planteurs ont également cédé

des terres en contrepartie de leur travail, à la place de leur verser un salaire. Avant 1998, la loi

foncière n’était pas claire et suscitait des incompréhensions et des confusions. Mais elle avait

au moins le mérite d’assurer une certaine cohérence par le relatif contentement de toutes les

parties prenantes grâce à la redistribution des rentes et d’avantages- ou pour ainsi dire, grâce

au système clientélisme58. Le mode de gouvernance, tel un Etat paysan59, a révélé un système

                                                                                                               55 CHAUVEAU JEAN–PIERRE, « Question foncière et construction nationale. Les enjeux silencieux d’un coup d’Etat », Politique africaine, juin 2000, n°78, p. 121-147. 56 Ibid. 57 Ibid. 58 Ibid.

  17  

foncier complexe de part ces multiples niveaux, composé d’organes étatiques, d’institutions

décentralisées, d’institutions traditionnelles, des personnes physiques et de sociétés60. Mais ce

système s’est essoufflé bien avant 1998. La crise économique qui provoqua une montée du

chômage dans les milieux urbains a eu en autres pour conséquence, un mouvement migratoire

en sens inverse, des villes vers les campagnes d’origine. Lorsque les enfants de propriétaires

terriens ont voulu récupérer les terres de leurs parents afin de s’y installer et de les mettre en

valeur, ils se sont confrontés aux « droits d’usage » consentis aux allochtones qui étaient

venus travailler à la mise en valeur des exploitations du Sud, parfois installés depuis plusieurs

générations.

Face aux tensions naissantes, un Plan foncier rural a été mis en place dès 1990, projet pilote

destiné à se préparer à l’élaboration d’une loi sur le domaine foncier. Ce plan a conduit encore

plus à la confusion et a augmenté les tensions61. De ce fait, l’annonce de la réforme de la loi

foncière par le président Henri Konan Bédié en 1997 a été favorablement reçue et a été votée

à la quasi-unanimité en décembre 199862 alors même que les différents partis politiques n’en

avaient pas la même interprétation63. Il était donc déjà possible de prévoir à l’époque de

futures tensions. En effet, cette loi a créé davantage de confusion sur le problème du domaine

foncier. Elle prévoyait une généralisation de la propriété privée individuelle à l’horizon 2012,

prenant ainsi une orientation libérale et très occidentalisée de la conception de la terre et du

domaine rural. La loi prévoyait, dans sa première phase (jusqu’à fin janvier 2009), la

délivrance d’un certificat foncier individuel ou collectif à tout détenteur de droits fonciers

impliquant une appropriation de la terre et qui viendrait faire une demande de reconnaissance

de ses droits. Les terres non réclamées deviendraient la propriété de l’Etat et les personnes qui

se trouveraient dessus pourraient en devenir locataires. La seconde phase se déroulant sur une

période de trois ans- soit initialement de janvier 2009 à janvier 2012- prévoyait la délivrance

d’un titre de propriété définitif avec immatriculation individuelle. Les allochtones ne peuvent

dès lors prétendre qu’à une promesse de bail emphytéotique si les propriétaires les ont fait

figurer parmi les « occupants de bonne foi » ou dans le cas où la terre est immatriculée au

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         59 Le système de l’Etat paysan est résumé ainsi : « la combinaison d’un pouvoir bureaucratique et d’un pouvoir despotique, dont le mode de régulation fondamentale porte sur le contrôle de l’affectation de l’usage de la terre et sur le contrôle de la répartition de la rente d’exportation des produits agricoles, dont le mode de gouvernance repose sur le pouvoir décentralisé des agents locaux de l’Etat et sur le pouvoir d’acteurs intermédiaires issus des sociétés paysannes locales » in CHAUVEAU JEAN–PIERRE, « Question foncière et construction nationale. Les enjeux silencieux d’un coup d’Etat », op.cit. 60 Ibid. 61 CHAUVEAU JEAN–PIERRE, « Question foncière et construction nationale. Les enjeux silencieux d’un coup d’Etat », op.cit. 62 Loi n° 98750 du 23 décembre 1998 sur le domaine rural, op. cit. 63 CHAUVEAU JEAN–PIERRE, « Question foncière et construction nationale. Les enjeux silencieux d’un coup d’Etat », op. cit.

  18  

nom de l’Etat, si le nom de l’occupant y figure64. Henri Konan-Bédié excluait par cette même

loi les non-ivoiriens de la propriété foncière et reconnaissait officiellement les propriétaires

coutumiers, ce qui renforça rapidement les oppositions entre populations autochtones et

allochtones. Les populations n’ont pas été bien préparées à ces changements. On peut

regretter le manque d’efficacité de la transmission de l’information aux populations rurales

sur ces nouveaux dispositifs. On peut également regretter qu’un modèle de droit foncier

répondant à l’ensemble des spécificités culturelles et traditionnelles n’ait pas été pensé en

laissant une place importante à la discussion, à la médiation et à la négociation à l’échelle

locale sur les droits existants, et le respect des droits renégociés.

Au delà de cette fragilité du droit foncier, c’est bien l’enjeu foncier qui a servi, sous la

présidence de Félix Houphouët-Boigny, à développer une politique favorable à l’installation

durable des étrangers et ivoiriens dans les régions en pleine croissance économique, lui

assurant leurs votes65. Ces successeurs ont continué d’une autre manière à faire un usage

politique de cet enjeu, qui a fini par être mêlé à la question des étrangers, et a servi au

développement de l’ethno-nationalisme.

B. Montée en puissance de l’ethno-nationalisme et violences politiques

La Côte d’Ivoire a connu une montée en puissance de l’ethno-nationalisme (1) étroitement

liée aux luttes sur la scène politique ivoirienne (2) jusqu’à l’explosion de la violence lors de la

dernière crise postélectorale de 2010-2011 (3).

1. La montée en puissance de l’ethno-nationalisme

Le terrain favorable au développement de l’ethno-nationalisme (a) a conduit au

développement et à l’ancrage du concept identitaire de l’ivoirité (b).

a. Un terrain favorable au développement de l’ethno-nationalisme

Comme le rapporte Christian Bouquet, l’historien Simon Ekanza avait établi le constat

selon lequel les premiers signes du nationalisme ivoirien datent de la période la plus glorieuse

du colonialisme. Une double identité s’était développée au sein de la population ivoirienne,

                                                                                                               64CHAUVEAU JEAN–PIERRE, « Question foncière et construction nationale. Les enjeux silencieux d’un coup d’Etat », op. cit. 65 Ibid

  19  

celle d’une citoyenneté nationale et celle de l’appartenance ethnique 66 . Ce sentiment

nationaliste, voire xénophobe, était déjà visible dès les années 1930 et avait pris de l’ampleur

dans les années 1950 avec la multiplication des associations d’originaires de Côte d’ivoire qui

étaient inquiets de voir la plupart des emplois « qualifiés » dans l’administration ivoirienne,

notamment occupés par des étrangers, les « Daho-Togo »67. En 1958, ces associations avaient

déclenché des violences contre ces étrangers. Il était donc déjà clair que le nationalisme

ivoirien commençait à se construire sur un sentiment de xénophobie.

L’explosion de la croissance démographique interne et les mouvements migratoires

importants vers la Côte d’Ivoire ont conduit à ce que le territoire soit peuplé d’étrangers à

hauteur de 26 % de la population totale, selon le recensement de 199868. Comme l’observe

Guy Labertit69, « Pour que les gens apprécient ce que les Ivoiriens vivent, il faut rappeler

toutes ces proportions là et comment la cohésion sociale française se trouve troublée avec une

très petite proportion d’étrangers. Avec 26 % d’étrangers, on imagine ce que cela pourrait être

alors même que les démocraties sont bien enracinées»70. Le poids des étrangers est donc

considérable en Côte d’Ivoire, au point que selon le recensement de 1998, les Burkinabé

représentent en nombre le second groupe de population en Côte d’Ivoire (14, 6 % de la

population de Côte d’Ivoire) derrière le groupe Akan (31,1% de la population de Côte

d’Ivoire) et avant les groupes Gur (13%), Mandé du Nord (12, 2 %) Mandé du Sud (7, 4 %) et

Krou (9, 4 %)71. La plupart des étrangers se trouvent dans les régions du Sud, à la fois rurales

et développées économiquement, notamment dans la région du Bas Sassandra et du moyen et

du Sud Comoé, où ils représentent plus de 40 % de la population et allant jusqu’à 54% de la

population dans le département de Tabou72. Cela a conduit à une pression importante sur les

terres. Ensuite, la crise économique a crée un terrain favorable au développement d’un

sentiment xénophobe, concentrant la responsabilité des maux de la Côte d’Ivoire sur les

« étrangers ». Ce sentiment de rejet a été très mal vécu par les « étrangers » car près de la

moitié de ces étrangers sont nés sur le sol ivoirien (48,7 % pour les Burkinabé, 51, 2 % pour

les Maliens selon le recensement de 1998)73 et sont présents depuis deux voire trois

générations. La plupart des plus jeunes générations n’ont jamais rien connu d’autre que la                                                                                                                66 BOUQUET C., Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 190- 191. 67 Les « Daho- Togo », abréviation des personnes originaires du Dahomey et du Togo, occupaient, à l’époque coloniale, la plupart des emplois de fonctionnaires et d’enseignants, car la population ivoirienne était encore sous-scolarisée. In BOUQUET C., Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 192. 68 BOUQUET C., Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 194. 69 Guy Labertit est un homme politique français. Il a été le « Monsieur Afrique » au sein du Parti Socialiste Français de 1993 à 2006 et est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la Côte d’Ivoire et l’Afrique francophone. 70 Entretien n°11 avec Guy Labertit, annexe n°12. 71 BOUQUET C., Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op. cit., p. 198 (Tableau 4 Proportion des différents groupes de population en Côte d’Ivoire). 72Ibid., p. 204 (Carte 1- La population étrangère en Côte d’Ivoire). 73 Ibid.

  20  

Côte d’Ivoire, ils se sentent Ivoiriens, tandis que leurs parents ont largement contribué au

développement économique du pays. Cela a donc crée un sentiment de frustration chez les

« étrangers ».

Mais ce développement de l’ethno-nationalisme s’est fait non seulement sur le rejet de

l’étranger mais aussi sur le rejet de certaines ethnies, sans considération du fait qu’ils soient

étrangers ou non. Les populations de ces ethnies étaient de fait considérés comme des

« étrangers » alors même qu’ils ne sont pas des étrangers au sens juridique du terme,

puisqu’ils ont ou sont en droit d’acquérir la nationalité ivoirienne. Les populations du Nord de

la Côte d’Ivoire ont été assimilées à des étrangers. La construction de cet ethno-nationalisme

a également pris en compte la dimension religieuse. En plus d’être « étrangers », ces derniers

véhiculeraient la religion islamique. C’est dont également l’ensemble des musulmans qui ont

été stigmatisés. Le nationalisme ivoirien s’est donc construit sur le rejet de l’étranger, de

certaines ethnies, d’une certaine religion, et sur la revendication de l’autochtonie.

Le repli identitaire qu’a vécu la société ivoirienne peut être vu comme une conséquence de

l’incapacité des gouvernements successifs à le contrôler et à l’endiguer. Ce terrain favorable

au développement de l’ethno-nationalisme n’a en outre pas manqué de devenir un outil

politique qui a conduit au repli identitaire. Tous les partis politiques ont leur part de

responsabilité dans cette montée de l’ethno-nationalisme à un moment ou à un autre de

l’histoire ivoirienne contemporaine. Si certaines causes profondes ayant menées au repli

identitaire ainsi qu’un début de nationalisme étaient déjà visible avant, c’est bien la mort du

« Vieux »74 qui va être l’élément déclencheur du repli identitaire. Il était en effet assez facile,

étant donné le contexte économique et social, de répandre l’idée que les maux de la Côte

d’Ivoire étaient dus à la présence des « étrangers » sur le territoire, alors même que la

construction de l’identité nationale ivoirienne n’avait jamais été complètement achevée.Les

frontières contraignant ces ethnies diverses à vivre ensemble datant seulement du temps de la

colonisation. Au lieu de s’attaquer aux facteurs profonds d’une crise qui nécessitait de revoir

l’ensemble du système politico-administratif et économique et de trouver des solutions aux

problèmes sociaux, il était plus facile de trouver un « bouc émissaire » aux maux de la Côte

d’Ivoire, car la course au pouvoir était bien plus importante que le reste.

Le modèle de développement ivoirien issu de la colonisation marqué par la continuité sous la

présidence de Félix Houphouët-Boigny avait démontré ses fragilités intrinsèques et sa

vulnérabilité aux variations économiques conjoncturelles et avait favorisé les inégalités de

développement. Couplé au manque de clarté du droit foncier et à un système étatique

                                                                                                               74 Surnom donné au président Félix Houphouët-Boigny.

  21  

patrimonial, ce modèle de développement a encouragé à un retour en arrière, qualifié par

François Gaulme de « redécouverte de l’antériorité » alimentée par une crainte de la

mondialisation75 qui s’est concrétisée par le développement d’une idéologie ethno-nationaliste

puissante au nom de l’autochtonie76. L’avènement du multipartisme et le déverrouillage du

régime autoritaire de Félix Houphouët-Boigny a engendré un réveil des identités77. Si le

contrôle de ce phénomène est de l’ordre du possible78, encore faut-il que les politiques

sachent y répondre. Alors que l’ensemble des acteurs influents au sein de la société

ivoirienne, au premier rang desquels le gouvernement et les principaux partis politiques,

auraient dû calmer le jeu, le concept d’ivoirité est né.

b. Un concept identitaire : l’ivoirité

En 1995, lors du 10ème congrès du PDCI, Henri Konan-Bédié évoquait pour la première

fois le concept d’ivoirité et commandait aux universitaires ivoiriens des recherches afin de

mener une réflexion sur l’identité ivoirienne. Bédié entendait, par un nouveau contrat social,

protéger la Côte d’Ivoire grâce au « manteau blanc de l’ ivoirité . La Cellule universitaire de

recherche et de diffusion des idées et actions politiques du président Henri Konan Bédié

(Curdiphe) était alors créée. Un an après, lors du Congrès du PDCI de 1996, la Curdiphe

présentait un manifeste intitulé « L’ivoirité ou l’esprit du nouveau contrat social du Président

H.K. Bédié »79. L’ivoirité était théorisée et le manifeste précisait dès son introduction que :

« Contrairement à certaines opinions, la notion d’ivoirité n’est ni sectarisme étroit, ni

expression d’une quelconque xénophobie ; elle est la synthèse parfaite de notre histoire,

l’affirmation d’une manière d’être originale, bref, un concept fédérateur de nos différences.80»

Il cherchait donc à éteindre toute critique naissante. En effet, comme le souligne François

Gaulme, « en théorie, il ne s’agissait pas là de xénophobie naissante, mais bien d’encourager

une nouvelle sensibilité nationale, distincte du sentiment d’appartenance traditionnelle et

devant correspondre à un nouveau palier identitaire, celui de l’Etat-nation, reconnu depuis

1960 par la communauté internationale sous le nom de Côte-d’Ivoire »81. D’ailleurs, Georges

                                                                                                               75 GAULME FRANÇOIS, « L’ « ivoirité », recette de guerre civile », S.E.R.I Études, 2001/3, n° 394, p. 292- 304. 76 Sur les notions d’autochtonie et d’ethno-nationalisme, voir CUTOLO ARMANDO, « Populations, citoyennetés et territoires - Autochtonie et gouvernementalité en Afrique », Politique africaine, décembre 2008, n°112, p. 5-17. 77 OTAYEK RENE, « La démocratie entre mobilisations identitaires et besoin d’Etat : y a t-il une « exception » africaine? », Autrepart, 1999, n°10, p. 5-22. 78 Ibid. 79 Actes du forum Curdiphe du 20 au 23 mars 1996, sous la direction de Saliou Touré, Ethnics (revue de la Curdiphe), Presses universitaires d’Abidjan, 1996, Abidjan. 80 Ibid. 81 GAULME FRANÇOIS, « L’ « ivoirité », recette de guerre civile », op.cit.

  22  

Niangoran-Bouah 82 , membre de la Curdiphe, avait inclus les cinq grands groupes

ethnolinguistiques que l’on trouve en Côte d’Ivoire à ce concept : les Akan, les Malinké et

Bambara, les Dan, les Gur et les Krou. Mais il était difficile de distinguer les groupes

culturels du Nord de la Côte d’Ivoire par rapport aux étrangers, et de ce fait, ils étaient tous

assimilés à des étrangers83 et, comme l’a observé Jean-Pierre Dozo84, si « la conceptualisation

de l’ivoirité par la Curdiphe pouvait sembler inoffensive », elle indiquait néanmoins « que la

Côte d’Ivoire était résolument en train de franchir une étape décisive de son unité nationale,

ce n’était là qu’une définition de surface propre à masquer de très pernicieux ferments de

division »85. Les universitaires de la Curdiphe ont eux même laissé planer une ambiguïté sur

le concept dans ce manifeste, et ils arguent du fait que c’est cette ambiguïté qui l’a fait glisser

vers un concept automatiquement taxé de xénophobe. Mais ce concept à bien mis en place

une nouvelle distinction qui allait devenir réalité : une différenciation entre les « ivoiriens de

souche », c’est-à-dire les personnes ayant leurs deux parents ivoiriens86, et les « citoyens de

Côte d’Ivoire ». Or ce qui les différencie, ce sont bien les critères de nationalité et

d’appartenance à une ethnie autochtone87.

Aucun doute ne peut plus être émis quant à la tentation xénophobe du concept d’ « ivoirité »

lorsqu’est publié le rapport du Conseil économique et social en 1998 dont le nom était déjà

révélateur du contenu : « Immigration en Côte d’Ivoire : le seuil du tolérable est largement

dépassé », qui considérait ouvertement que les étrangers étaient responsables de la crise

économique et sociale ivoirienne, de la rupture de l’équilibre démographique et de la

délinquance 88 . Comme le remarque Christian Bouquet, « Pour ceux qui s’attachaient

désormais à fixer les règles de la « nationalité », nouveau nom donné à l’ivoirité,

l’« étranger » était tout à la fois le Dioula, venu parfois depuis longtemps des autres colonies

                                                                                                               82 Georges Niangoran-Bouah est un universitaire ivoirien spécialiste du langage tambouriné. Il a fait partie de la Curdiphe. Pour plus de précisions sur Georges Niangoran-Bouah, les universitaires ivoiriens et l’ « ivoirité », voir KAREL ARNAUT, « Les « Hommes de terrain » - Georges Niangoran-Bouah et le monde universitaire de l’autochtonie en Côte d’Ivoire », Politique africaine, 2008/4, n°112, p. 18-35. 83 GAULME FRANÇOIS, « L’ « ivoirité », recette de guerre civile », op.cit. 84 JEAN-PIERRE DOZON est un anthropologue français, spécialiste de l’évolution politique de la Côte d’Ivoire. Il est Directeur d’études à l’EHESS au sein du Centre d’études africaines, et Directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement. 85 DOZON JEAN-PIERRE, « La Côte d’Ivoire au péril de l’ivoirité », Afrique contemporaine, 2000, n° 193, p. 13-24. 86 C’est donc le droit du sang qui détermine l’acquisition de la nationalité ivoirienne. 87 L’autochtonie est qualifiée grâce au mythe. Les ethnies autochtones sont distinguées selon leur origine mythique ou non. Les ethnies autochtones à origine mythique comprennent certaines ethnies « sub-terriennes » et « extra-terrestres », et on peut voir citer parmi les ethnies autochtones à origine non mythique plusieurs ethnies des groupes Krou, Dan, Akan et Gur. Pour plus de précisions, se référer à : Actes du forum Curdiphe du 20 au 23 mars 1996, op.cit.; KAREL ARNAUT, « Les « Hommes de terrain » - Georges Niangoran-Bouah et le monde universitaire de l’autochtonie en Côte d’Ivoire », op.cit. 88 Conseil économique et social, Rapport « Immigration en Côte d’Ivoire : le seuil du tolérable est largement dépassé » du 8 octobre 1998, publié dans le quotidien Le Jour, Abidjan, n°1251, 8 avril 1999.

  23  

ou des pays étrangers, ou plus simplement le Dioula originaire du Nord de la Côte d’Ivoire,

portant des patronymes connotés, pratiquant généralement la religion musulmane, et

volontiers expansionniste au point d’être installé sur des terres qui n’étaient pas les

siennes.89»

Le concept d’ivoirité, apparu sous Henry Konan Bédié, a engendré le rejet des étrangers,

exacerbé la xénophobie et impulsé des violences au sein de la société ivoirienne. Mais

l’apparition de l’ivoirité et les conséquences qu’elle a engendrées sont étroitement liées aux

luttes de pouvoir auxquelles se sont prêtés les hommes politiques ivoiriens.

2. Luttes sur la scène politique ivoirienne : opportunisme et enjeux de pouvoir

Depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny, la lutte pour l’exercice de la fonction de chef

de l’Etat à laquelle se sont adonnés les hommes politiques ivoiriens a conduit à une

polarisation extrême de la vie politique, ayant engendré de fortes tensions ethniques autour du

concept d’ivoirité. Nous allons voir dans quelle mesure cette lutte a été continuelle jusqu’à la

dernière crise postélectorale, successivement lorsque Henri Konan-Bédié (a), Robert Gueï (b)

puis Laurent Gbagbo (c) étaient à la tête de l’Etat.

a. La période Bédié : évincer Ouattara quoi qu’il en coûte !

Alors que Félix Houphouët-Boigny avait érigé en principe fondateur du développement

de la nouvelle Côte d’Ivoire indépendante l’accueil et l’intégration des étrangers, et le

principe de laïcité proclamé dans la Constitution90, Henri Konan-Bédié, son successeur, a vite

rompu avec ces principes pour des raisons électoralistes. S’il se voulait, dans le discours,

respectueux des grandes options nationales et sous- régionales qui avaient été celles de Félix

Houphouët-Boigny, la réalité fut toute autre91. N’ayant pas été officiellement désigné par « le

Vieux » comme son successeur et s’étant senti menacé par la prétention d’Alassane Ouattara

au poste de chef de l’Etat92, Henri Konan-Bédié a peu à peu essayé d’évincer celui-ci du jeu

politique au risque de déstabiliser le reste de la Côte d’Ivoire du fait des méthodes employées

à cette fin. La bataille politique a d’abord commencé par la scission, en 1994, du PDCI-RDA

(Parti démocratique de Côte d’Ivoire/Rassemblement démocratique africain), ancien parti

                                                                                                               89 BOUQUET C., Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 214 (Carte 1 La population étrangère en Côte d’Ivoire). 90 Constitution de la République de Côte d’Ivoire, 3 novembre 1960. Elle dispose dans son article 2: « La République de Côte d’Ivoire est une et indivisible, laïque, démocratique et sociale. » 91 GAULME FRANÇOIS, « L’ « ivoirité », recette de guerre civile », S.E.R.I Études, 2001/3, n° 394, p. 292- 304. 92 Ibid.

  24  

unique, en PDCI et RDR (Rassemblement des Républicains de Côte d’Ivoire), avec à leur tête

respectivement Henri Konan-Bédié et Alassane Ouattara. Le 8 décembre 1994, sous la

pression de l’opposition, particulièrement celle du FPI de Laurent Gbagbo, une nouvelle

disposition adoptée par l’Assemblée nationale est venue modifier le code électoral afin de

retirer le droit de vote aux résidents africains non ivoiriens. Bédié, les députés du PDCI et du

FPI mettaient fin à la tradition houphouétiste du droit de vote des étrangers. Cette même loi

durcissait les conditions d’éligibilité du président de la République. Pour être candidat à la

présidence de la République, il fallait désormais « être né de père et de mère eux-mêmes

ivoiriens de naissance, n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne, et résider de façon

continue en Côte d’Ivoire pendant les cinq années précédant la date des élections (sauf en cas

d’affectation dans des organisations internationales) ». Cette disposition écartait Alassane

Ouattara du jeu politique93 pendant qu’une remise en cause complète de sa nationalité

ivoirienne s’installait peu à peu dans l’esprit d’une partie des Ivoiriens. Ensuite, l’idéologie de

l’ivoirité a constitué un moyen efficace pour Bédié de garder Alassane Ouattara éloigné du

pouvoir.

Les tentatives de consolidation du régime par le président Bédié ont été des échecs. S’il a

réussi à écarter Alassane Ouattara de la candidature aux élections, ce dernier voit finalement

le Front Populaire Ivoirien se rallier à ses côtés aux élections de 1995 au sein de l’alliance du

Front Républicain. Le FPI et le RDR avaient appelé au boycott du scrutin pour s’opposer à la

loi électorale qui avait été votée l’année d’avant pour empêcher la candidature de Ouattara.

Cette alliance aura été de courte durée mais elle aura permise d’obtenir 45 % d’abstention aux

élections. Pendant ce temps, l’ancrage de l’ivoirité continuait, mêlé au problème foncier. Il y

avait de plus en plus de tensions dans les campagnes. Les manifestations se faisaient de plus

en plus fréquentes et les arrestations de manifestants du RDR également. À la fin de l’année

1999, un mandat d’arrêt international était également émis contre Alassane Ouattara, accusé

d’avoir falsifié ses documents administratifs.

Jean-Pierre Dozon94 notait déjà dans un article en 2000 que plus les partis politiques

focalisaient sur leur objectif d’éviction d’Alassane Ouattara du jeu politique, plus les

divisions au sein de la société ivoirienne à l’échelle nationale entre les gens du Nord et les

gens du Sud s’accentuaient95. À l’accentuation des divisions Nord/Sud s’ajoutaient des

divisions à l’échelle locale entre chrétiens et musulmans et entre allochtones et autochtones.

                                                                                                               93 BOUQUET C., Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 24. 94 JEAN-PIERRE DOZON est un anthropologue français, spécialiste de l’évolution politique de la Côte d’Ivoire. Il est Directeur d’études à l’EHESS au sein du Centre d’études africaines, et Directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement. 95 DOZON JEAN-PIERRE, « La Côte d’Ivoire entre démocratie, nationalisme et ethnonationalisme », Politique africaine, 2000, n°78, p. 45-62.

  25  

Alassane Ouattara cristallisait à lui seul ces trois caractéristiques : il était considéré comme un

« étranger », donc associé au Nord du pays, et de surcroit de confession musulmane. De plus,

l’idéologie néolibérale et régionaliste du parti d’Alassane Ouattara, le RDR, créait un facteur

de rejet de plus face à une certaine crainte de la mondialisation. Mais à côté de cela, il

suscitait de plus en plus d’adhésion, notamment chez les populations du Nord et les

« étrangers ».

b. Robert Gueï l’opportuniste

Mais le 24 décembre 1999, Henri Konan-Bédié était renversé par une mutinerie et le

Général Robert Gueï prenait la tête du pays, de manière provisoire, selon ses dires de

l’époque, pour « balayer la maison », organiser des élections et mener le peuple ivoirien à la

réconciliation nationale 96 . Un Comité National de salut public était créé avec des

personnalités militaires puis un gouvernement de transition composé de représentants du RDR

et du FPI. Le FPI s’est rapidement retiré du gouvernement provisoire, considérant que le RDR

y avait trop d’importance. Le RDR s’est ensuite retiré en mai 2000, puis un nouveau

gouvernement provisoire était reformé avec, finalement, plus de représentants du FPI. Mais,

contrairement à ce qu’il avait déclaré lors de son discours du Nouvel An- « Le pouvoir ne

m’intéresse pas »97, le Général a vite pris gout du pouvoir. Un projet constitutionnel était

proposé et a été adopté par tous, sans que le RDR n’ai pu reculer face aux changements de

dernière minute qui durcissaient encore le code électoral. Après avoir fait le jeu du RDR

pendant un temps, Robert Gueï prenait finalement le même chemin que son prédécesseur avec

l’ivoirité afin d’écarter Alassane Ouattara, devenu un adversaire au regard de ses nouvelles

ambitions politiques.

Des élections présidentielles étaient organisées en octobre 2000. Après le « complot du cheval

blanc »98, la Cour suprême avait écarté toute possibilité pour Alassane Ouattara de se

présenter aux élections. Seuls cinq candidats étaient retenus, dont Laurent Gbagbo et Robert

Gueï. Le RDR, qui n’a donc pas eu la possibilité de présenter son candidat, appelait au

boycott des élections et était rejoint par le PDCI.

                                                                                                               96 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 39. 97 Ibid. 98 On appelle « complot du cheval blanc » la tentative de coup d’Etat par des hommes armés pour le compte du RDR dans la nuit du 17 au 18 septembre 2000 à la résidence du chef de l’Etat Robert Gueï.

  26  

En octobre 2000, après quelques soubresauts politiques- Robert Gueï refusant d’admettre sa

défaite-, et de violentes manifestations, le « Balayeur était balayé »99. Laurent Gbagbo

devenait président de la République.

c. Les années Gbagbo

Laurent Gbagbo avait une légitimité limitée au pouvoir, puisqu’il avait été élu avec un

fort taux d’abstention. La participation n’avait été que de 37,42 % et Laurent Gbagbo avait été

élu avec 59, 36 % des voies, soit 19 % du corps électoral. De plus, certains électeurs avaient

donné leur voie à Gbagbo par défaut, pour éviter le retour au pouvoir du Général Gueï.

Laurent Gbagbo avait lui même considéré les conditions de son élection comme

« calamiteuses »100. Des violences postélectorales avaient éclaté avec les partisans d’Alassane

Ouattara qui demandaient l’organisation de nouvelles élections. D’autres violences ont éclaté

lorsque Alassane Ouattara était une fois de plus écarté des élections législatives de 2001101.

Laurent Gbagbo décidait ainsi d’organiser un « Forum pour la réconciliation nationale » à

l’automne 2001102. Henri Konan-Bédié et Alassane Ouattara étaient rentrés en Côte d’Ivoire

pour l’occasion. Mais Laurent Gbagbo continuait dans la même lignée que Bédié en

alimentant le doute sur la nationalité d’Alassane Ouattara et cela avait eu pour conséquence

de rendre les débats improductifs. Ce forum de l’échec s’acheva par un acte de 14

recommandations destinées à satisfaire chacun des quatre grands protagonistes (Robert Gueï,

Alassane Ouattara, Henri Konan-Bédié et Laurent Gbagbo) plutôt que de s’atteler à évoquer

les défis profonds qui minaient la société ivoirienne103.

Dans la nuit du 6 au 7 janvier 2002, le complot de la « Mercedes noire »104 présageait de la

rupture de 2002. En effet, le 19 septembre 2002, des violences meurtrières éclataient à

Abidjan et les municipalités de Korhogo et Bouaké, puis le reste du Nord du pays, étaient pris

par des rebelles105. Des affrontements eurent lieu jusqu’à la signature du cessez-le-feu le 17

                                                                                                               99 Expression reprise du titre d’une chanson du célèbre chanteur ivoirien Tiken Jah Fakoly, « Le Balayeur balayé » qui faisait référence à l’éviction du pouvoir du putschiste Robert Gueï, tirée de l’album « Françafrique », Barclay, 2002. 100 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 62-63. 101 HOFNUNG THOMAS, La crise ivoirienne de Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo, La découverte, 2011, Paris, 191 p., p. 57. 102 Ce forum était organisé du 9 octobre au 18 décembre 2001. Il était présidé par l’ancien premier ministre Seydou Diarra, dioula, qui avait de bonnes relations à la fois avec Alassane Ouattara, Henri Konan-Bédié et Robert Gueï. 103 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 91. 104 Le complot dit de la « Mercedes noire » est une tentative de coup d’Etat par des militaires nordistes. On retrouve parmi eux ceux qui seront à l’origine de la rupture de septembre 2002. 105 Robert Gueï et sa femme ont été tués ce jour là et la résidence d’Alassane Ouattara a été attaquée et incendiée par la Brigade anti-émeutes. Après l’assassinat de son ami Boga Doudou, Gbagbo a été pris de colère et d’une volonté de revanche.

  27  

octobre entre le gouvernement ivoirien et les rebelles du Mouvement Patriotique de Côte

d’Ivoire106 (MPCI) qui ne se revendiquaient ni du défunt Robert Gueï, ni d’être derrière

Ouattara. Mais les chefs des rebelles étaient pour beaucoup des amis de la « Cosa Nostra »,

une des milices paramilitaires formées autour de Robert Gueï après son coup d’Etat, et

proches du redoutable sergent-chef Ibrahima Koulibaly, surnommé IB107. Cette date a marqué

le début d’une nouvelle Côte d’Ivoire, coupée en deux par la Ligne de non-franchissement et

avec des parties armées, au nord comme au sud. La France employée à son rôle d’arbitre avait

déployé la fameuse force Licorne. La rencontre de Marcoussis, destinée à trouver un accord

de paix qui satisfasse toutes les parties, avait lieu du 15 au 26 janvier 2003 et avait réussi à

réunir l’ensemble des parties prenantes au conflit : les représentants des mouvements rebelles

désormais regroupés en « Forces nouvelles » (FN), les représentants des partis politique, le

président de la République et Jacques Chirac. Les accords de Marcoussis108 prévoyaient la

mise en place d’un gouvernement de « réconciliation nationale », dirigé par un premier

ministre « de consensus » qui devait rester jusqu’aux prochaines élections présidentielles sans

possibilité de s’y présenter, et composé de représentants de l’ensemble des parties prenantes

représentées à Marcoussis. Cet accord prévoyait également le désarmement des milices mais

surtout un programme précis de réformes à mettre en œuvre autour de la question de la

nationalité, l’identité et la condition des étrangers, afin de mettre fin à l’ivoirité, revenir sur

les conditions d’éligibilité du président de la République et sur l’organisation des élections,

entamer une réforme du régime foncier et d’autres domaines. Cet accord laissait espérer la fin

des années sombres. Mais les mouvements de contestation n’ont pas tardé à éclater face à

l’ingérence de la France, du côté des partisans de Laurent Gbagbo109. De leur côté les rebelles

dirigés par Guillaume Soro continuaient d’organiser la partie nord du pays110. Il ne resta

finalement de la mise en œuvre des accords de Marcoussis que l’amnistie votée pour éviter

des poursuites aux responsables des violences, la mise en place d’un gouvernement de

réconciliation et le relatif respect du cessez-le-feu. Mais le 4 novembre 2004, le Chef de l’Etat

ivoirien donnait l’ordre de bombarder au Nord de la ligne de confiance. Suite à ces

évènements, les accords de Pretoria, issus de la médiation organisée par le sud-africain Thabo

Mbeki, ont réactivé les accords de Marcoussis, sans succès. Les élections présidentielles de

2005 n’ayant pu être organisées, le mandat de Laurent Gbagbo était prorogé d’une année, puis

à nouveau d’une année. A l’issu des Accords de Ouagadougou du 4 mars 2007, Laurent

                                                                                                               106 Le Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire a été crée le 1er octobre 2001 par Tuo Fouzié, un ami de la « Cosa-Nostra ». 107 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 105. 108 Accords de Linas-Marcoussis, 24 janvier 2003, Paris. 109 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op.cit., p. 127. 110 Découpage administratif, nomination de préfets, chaine de télévision, journal officiel.

  28  

Gbagbo et Guillaume Soro, leader des FN, aboutirent à un accord sur la pacification de la

Côte d’Ivoire et Guillaume Soro était nommé Premier ministre par Laurent Gbagbo dès le 29

mars 2007. Le 22 décembre 2008, une feuille de route était adoptée par les Accords de

Ouagadougou IV afin de préparer les élections. Celle-ci posait le préalable de la réunification,

du désarmement, mais également de l’identification des électeurs avant d’aller aux

élections111. Durant ces années, le concept d’ivoirité était toujours brandi dès que possible et

ravivait les tensions. Parallèlement, à mesure que la xénophobie et l’autochtonie

s’imprégnaient dans toutes les sphères de la société ivoirienne, Alassane Ouattara continuait à

agrandir son électorat potentiel avec les populations victimes de l’exclusion et d’une haine

alimentée par le pouvoir en place qui ne parvenait pas à se concentrer sur les problèmes

profonds du pays dans ce climat d’instabilité. Repoussés à six reprises, les élections

présidentielles étaient finalement prévues pour le 31 octobre 2010.

3. La dernière crise postélectorale de 2010-2011

Sous la pression de la communauté internationale et conforté par des sondages qui lui

était favorables, Laurent Gbagbo a annoncé la tenue des élections présidentielles pour le 31

octobre 2010. Malgré l’alliance entre Henri Konan-Bédié et Alassane Ouattara au sein du

Rassemblement des Houphouétistes pour le développement et pour la paix (RHDP) 112, les

sondages prédisaient la victoire de Laurent Gbagbo au premier tour et il y croyait. Mais

Alassane Ouattara, qui était autorisé à se présenter pour la première fois, est parvenu à

mobiliser en masse ses électeurs potentiels afin qu’ils s’inscrivent sur les listes électorales.

Laurent Gbagbo, qui n’avait jamais pu mettre en œuvre son programme de l’an 2000 dans le

contexte dans lequel il a exercé sa fonction présidentielle, conservait les mêmes propositions

qu’en 2000 et n’hésitait pas à rappeler aux populations durant sa campagne qu’il était le seul

candidat ivoirien au service des Ivoiriens, se présentant comme le « fils du pays ».

Le 31 octobre 2010, 83 % des Ivoiriens se rendaient aux urnes, un taux de participation

particulièrement élevé, voire qualifié par certains d’exceptionnel et jamais vu sur le continent

au cours des dernières années113. La Commission électorale indépendante (CEI), qui avait été

dissoute quelques mois plus tôt, annonçait la victoire de Laurent Gbagbo avec 32,08 % des

voix, contre 32, 08 % pour Alassane Ouattara et 25, 24 % pour Bédié. Entre les deux tours,

les candidats tentaient de rallier des voix à leur compte par des alliances. Bédié appelait au

                                                                                                               111 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op. cit., p. 150. 112 L’alliance du RHDP a été scellée en 2005. 113 HOFNUNG THOMAS, La crise ivoirienne de Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo, op.cit., p. 150.

  29  

vote pour Ouattara dans le cadre de l’alliance du RHDP. De son côté, le président rassemblait

ses électeurs dans le cadre de l’alliance de La Majorité Présidentielle (LMP)114. Le second

tour eut lieu le 28 novembre 2010 avec un taux de participation comparable à celui du premier

tour. La victoire de celui que l’on surnommait « ADO solutions »115, avec 54,1 % des voix,

n’était pas encore communiquée par la CEI que les partisans de Laurent Gbagbo bloquaient la

proclamation de la victoire. En effet, suspicieux de fraudes commises dans le nord, Laurent

Gbagbo décidait alors de former un recours en annulation du scrutin près le Conseil

constitutionnel, tandis que l’ONUCI déclarait que le scrutin s’était tenu « globalement dans

un climat démocratique »116. La victoire d’Alassane Ouattara était annoncée le 1er décembre

2010 par le président de la CEI, puis confirmée par le directeur de l’ONUCI. le 2 décembre, le

Conseil constitutionnel invalidait une partie du scrutin (600 000 votes) et déclarait qu’il avait

relevé des irrégularités dans certains bureaux de vote de régions considérées comme étant

favorable à Alassane Ouattara. Ainsi, deux candidats sortaient vainqueurs de cette élection

puisque le Conseil Constitutionnel déclarait que Gbagbo avait remporté l’élection avec 51 %

des suffrages. Le 4 décembre, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara prêtaient serment chacun

de leur côté tandis que Guillaume Soro se rangeait sans surprise du côté de Ouattara. « Ce

soir-là, la Côte d’Ivoire s’endormait avec deux présidents. Un cauchemar devenu réalité » 117.

S’en suivirent quatre mois de violences postélectorales entre « pro-Gbagbo » et « pro-

Ouattara ». Alors qu’Alassane Ouattara était reconnu très vite par l’ensemble des

représentations diplomatiques comme le nouveau président ivoirien, il n’entendait en aucun

cas passer à côté de la place qu’il convoitait depuis vingt ans. Il adoptait alors la « stratégie du

boa ». Cette stratégie visait à étouffer son adversaire par le biais du levier qu’il connaissait le

mieux : l’économie. Mais en même temps, Guillaume Soro, rebelle « repenti », mobilisait tout

de même les « comzones »118. Ouattara parvenait à bloquer les comptes de l’Etat et à faire

adopter des mesures d’embargo et de blocus grâce aux soutiens qu’il avait de l’extérieur.

Gbagbo fut rapidement dans l’impossibilité de rémunérer les fonctionnaires et les militaires

qui le soutenaient. Mais Ouattara savait que, s’il voulait garder le soutien de son électorat et

que le reste de la population ivoirienne ne s’oppose violemment à lui par la suite, il ne pouvait

asphyxier la population encore longtemps avec ses armes économiques. De plus, la population

était terrorisée par les violences et les exécutions sommaires à Abidjan et dans d’autres villes

du pays et cela ne faisait que commencer. En effet, voyant que l’arme économique ne suffirait

                                                                                                               114 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op. cit., p. 127. 115 HOFNUNG THOMAS, La crise ivoirienne de Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo, op.cit., p. 149. 116 Ibid., p. 155. 117 Ibid., p. 157. 118 Surnom donné aux commandants de zone des Forces nouvelles.

  30  

pas à le mener à la victoire, il décidait de passer à l’usage de la force. À partir de janvier

2011, les « commandos invisibles » s’en prenaient aux « pro-Gbagbo » à Abidjan, tandis que

ces derniers ripostaient. L’escalade de la violence se poursuivait dans tout le pays entre pro-

Gbagbo et pro-Ouattara. De nombreux civils ont été victimes de ces affrontements et ont fui.

Les « jeunes patriotes » et autres mercenaires fidèles à Laurent Gbagbo, les rebelles des FN,

les « dozos » et de nombreux jeunes recrutés du côté des forces pro-Ouattara se sont affrontés

entre eux mais ont surtout exécuté sommairement, violenté, violé de nombreuses personnes,

et pillé puis occupé de nombreuses maisons. La résolution 1975 du Conseil de sécurité des

Nations Unies, adoptée à l’unanimité le 30 mars 2011119 permettait à la Force Licorne et à

l’ONUCI de « protéger les civils et détruire les armes lourdes » afin d’aider Alassane

Ouattara à finaliser sa victoire. Voici que le conflit s’internationalisait et la communauté

internationale, mais surtout la France, était bien décidée à aider Alassane Ouattara à prendre

ses fonctions grâce au déploiement de ses forces armées sur place. L’arrestation de Laurent

Gbagbo a finalement eu lieu le 11 avril 2011 dans sa résidence de Cocody et a mis

officiellement un terme à ce que l’on a appelé la « bataille d’Abidjan »120. Son arrestation à

marqué la fin officielle de la crise postélectorale.

Ces dernières violences postélectorales ont fait plus de 3000 morts, et beaucoup plus si l’on

additionne le nombre de victimes depuis le début de la course au pouvoir après la mort de

Félix Houphouët-Boigny. Après vingt années d’instabilité dont quinze de violences, la Côte

d’Ivoire a bien besoin de se réconcilier avec son histoire, les Ivoiriens de se réconcilier entre

eux et les politiciens d’apprendre à dialoguer de manière constructive. Le plus grand défi

d’Alassane Ouattara est bien celui de la réconciliation.

                                                                                                               119 Résolution 1975 sur la situation en Côte d’Ivoire, Conseil de sécurité des Nations Unies, 30 mars 2011, S/RES/1975(2011). 120 HOFNUNG THOMAS, La crise ivoirienne de Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo, op.cit., p. 168.

  31  

Deuxième sous-partie :

La nécessité d’une réconciliation multi-niveaux -

Un processus amorcé

L’étude sociohistorique à laquelle nous nous sommes livrés dans la première sous-

partie nous a permis de mieux comprendre comment était né ce besoin de réconciliation. Il

s’agit maintenant de comprendre à quel niveau cette réconciliation est une nécessité afin de

pouvoir envisager une paix durable en Côte d’Ivoire. Il reste à savoir qui et comment

réconcilier ? La réponse n’est pas simple car cette réconciliation implique plusieurs espaces,

plusieurs acteurs et plusieurs temps. Elle implique deux camps, celui de Ouattara et celui de

Gbagbo, avec des victimes et des responsables. Elle implique l’ensemble de la société

ivoirienne ; Elle implique des autorités étatiques sous plusieurs gouvernements et pour

plusieurs crises avec des acteurs différents. Elle implique des rebelles… La multiplicité des

acteurs ayant une part de responsabilité dans la crise ivoirienne rend les choses très

complexes. La crise ivoirienne ne se limite pas à un agent étatique persécuteur comme étant le

seul responsable de violences et exactions sur les populations. Elle implique plusieurs acteurs

politiques qui se sont alliés et déliés. Elle implique plusieurs camps dans un contexte de

violences politiques et ethniques, et dont l’un est actuellement au pouvoir, grâce à l’aide de la

communauté internationale, qui constitue encore un autre acteur qui doit être impliqué dans le

processus de réconciliation. La réponse à la question qui réconcilier est donc complexe car

elle révèle de multiples espaces et niveaux de réconciliation possibles, qui sont doués de

dynamiques propres et d’autres dynamiques qui sont imbriquées les unes aux autres.

Dans le cadre de cette étude, nous avons tenté de distinguer ces différents espaces de

réconciliation en termes de niveaux. La réconciliation est d’une part nécessaire au niveau des

acteurs politiques (A), et d’autre part nécessaire au niveau de la population (B). Dans le même

temps, nous verrons comment, à chacun de ces niveaux, le gouvernement actuel a amorcé le

processus.

A. La réconciliation nécessaire au niveau des acteurs politiques

Il est nécessaire qu’un dialogue de haut niveau soit rétabli entre les acteurs de la vie

politique ivoirienne (1). Pour répondre à cette nécessité, un dialogue politique a été mis en

place (2).

  32  

1. Le nécessaire rétablissement du dialogue de haut niveau entre les acteurs de la

vie politique ivoirienne

L’apprentissage du dialogue politique non violent entre les différents acteurs de la vie

politique ivoirienne, et surtout entre le gouvernement et l’opposition, est un passage

obligatoire dans le cadre de la réconciliation ivoirienne, pays qui est aussi en pleine transition

démocratique. Il fait partie de l’apprentissage des règles de la démocratie. La plupart des

grands hommes politiques ivoiriens d’aujourd’hui ont démarré leurs carrières politiques sous

le gouvernement du parti unique. Même si la plupart d’entre eux ont eu l’occasion de vivre,

étudier et voyager à l’étranger, ils n’avaient connu en Côte d’Ivoire que les pratiques

politiques du président Félix Houphouët-Boigny et ils ont eu des difficultés à rompre avec

certaines d’entre elles, notamment pour ce qui concerne le dialogue politique avec

l’opposition. L’avènement du multipartisme, la difficile acceptation d’une opposition

politique et les difficultés d’apprentissage de son rôle par l’opposition politique elle-même,

ont été autant de facteurs qui ont contribué à les mener à s’affronter en dehors des règles de la

démocratie pour accéder au pouvoir, sur le terrain de la violence. Comme le relevait en ce

sens l’expert indépendant des Nations unies sur la situation des droits de l’Homme en Côte

d’Ivoire, Doudou Diène, dans son rapport 2013 : « Le dialogue politique constitue la

condition fondamentale du relèvement socio-économique de la Côte d’ivoire. Son enjeu

ultime est de faire du cadre démocratique national le seul terrain crédible du débat politique,

de nature à délégitimer le recours à la violence et à conforter une culture de la paix.121»

L’opposition en Côte d’Ivoire doit trouver sa place dans le dialogue politique et le

gouvernement doit lui laisser cette place ouverte. La volonté politique du gouvernement

actuel doit être claire de ce point de vue, afin d’atténuer les passions qui surviennent à chaque

victoire ou défaite électorale. Comme le relève encore le Rapporteur spécial des Nations

Unies, l’absence de cadre légal sur le fonctionnement des partis politiques et sur leur

financement et un « statut convenu de l’opposition »122 sont des problèmes qui doivent être

considérés afin de ne pas créer de nouvelles tensions entre les partis politiques et en leur sein.

Il évoque l’idée de l’élaboration d’une « Charte démocratique consensuelle » comme étant

pertinente dans ce contexte. L’élaboration d’une telle charte serait un premier pas vers une

nouvelle éthique politique.. Il s’agit donc de construire une nouvelle éthique politique qui

passe, dans un premier temps, par la compréhension des règles de la démocratie multipartite                                                                                                                121 Assemblée générale des Nations Unies, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène, 3 juin 2013, présenté devant le Conseil des Droits de l’Homme (23ème session), A/HRC/23/38, disponible sur : http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/RegularSession/Session23/A-HRC-23-38_fr.pdf 122 Ibid.

  33  

et du jeu des élections, et l’apprentissage du dialogue non violent car, comme le note Richard

Banégas123, « ces longues années de rébellion et de « résistance patriotique » ont provoqué

un bouleversement majeur des modes de faire de la politique (…) par la militarisation des

luttes politiques » et « par la milicianisation de l’Etat et de la société qui fait du contrôle de

la rue la principale variable de l’accès au pouvoir124. » Les hommes politiques ivoiriens

doivent donc réapprendre à faire de la politique et apprendre à dialoguer.

Mais, même si l’âge et l’influence de nombreux politiciens ivoiriens importants sur la scène

politique leur permet encore d’espérer une ascension jusqu’aux plus hauts postes du pouvoir,

c’est surtout à la nouvelle génération de politiciens qu’il est nécessaire de préparer à prendre

le relai et qui doit apprendre les bons usages de la démocratie multipartite et du dialogue

politique, alors qu’ils n’ont souvent connu pour le moment qu’une vie politique ponctuée de

violences. La jeune génération de politiciens qui n’a pas encore de rôle politique déterminant

aujourd’hui jouera un rôle fondamental dans la construction de la Côte d’Ivoire de demain.

Avec 40,4% de sa population âgée de moins de 15 ans125, la Côte d’Ivoire est jeune. Il est

donc urgent de faire en sorte que les pratiques politiques changent. On peut espérer un certain

renouvellement de la classe politique ivoirienne dans quelques années, du moins pour les trois

leaders qui se sont affrontés depuis vingt ans. L’article 35 de la constitution ivoirienne126

prévoit que le candidat à l’élection présidentielle ne doit pas dépasser l’âge de soixante quinze

ans. Ainsi, si Henri Konan-Bédié décidait de se présenter aux prochaines élections

présidentielles, sa candidature devrait être refusée, à moins qu’il puisse obtenir une dérogation

par le Conseil Constitutionnel, de réformer la constitution ou encore d’organiser un

référendum constitutionnel, qui sont des scénario peu envisageables. De plus, il est beaucoup

moins sûr que le PDCI le veuille encore comme candidat. Quant à Alassane Ouattara et

Laurent Gbagbo, s’il était libéré et décidait de représenter le FPI, ils ne pourraient briguer

qu’un dernier mandat : celui de 2015 puisqu’ils dépasseraient tous deux la limite d’âge

imposée par la constitution en 2020.

Pour le moment, ce sont bien les mêmes pratiques politiques qui perdurent et le

rétablissement du dialogue politique se fait attendre, alors qu’un cadre de dialogue entre le

gouvernement et les partis politiques d’opposition a été mis en place.

                                                                                                               123 RICHARD BANEGAS est professeur à Sciences-Po Paris ainsi que directeur de recherche au CERI-CNRS. Il est spécialiste des violences politique en Afrique de l’Ouest et de la « reconstruction post-conflit ». 124 BANEGAS RICHARD, « Reconstruction « post-conflit » - Violence et politique en Côte d’Ivoire », CERI, octobre 2012, consulté le 23 avril 2013, disponible sur : http://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/art_rb.pdf 125 BONIFACE PASCAL (dir.), L’Année stratégique 2013, Armand Colin, 2012, Paris, 533 p., p. 362.

126 Constitution de la République de Côte d’Ivoire du 23 juillet 2000. L’article 35 dispose : « (…) Le candidat à l’élection présidentielle doit être âgée de quarante ans au moins et de soixante quinze ans au plus ».

  34  

2. Un cadre de dialogue politique mis en place

Un cadre de dialogue entre le gouvernement et les différents partis politiques ivoiriens

de l’opposition a été mis en place à la suite de la dernière crise postélectorale. Cette initiative

avait d’abord subi un échec à la fin de l’année 2011 lorsqu’Alassane Ouattara avait souhaité

la relancer. Le moment était critique puisque Laurent Gbagbo venait d’être transféré le 30

novembre 2011 en détention à La Haye.

Plusieurs rencontres ont déjà eu lieu à la demande du gouvernement ou des partis de

l’opposition. Le dialogue mis en place a donc pris la forme d’un dialogue direct. Un

« conclave de relance du dialogue politique » avait d’abord eu lieu à Grand- Bassam les 27 et

28 avril 2012127. Présidé par le Premier Ministre de l’époque Jeannot Kouadio-Ahoussou, il

avait réuni l’ensemble des partis politiques ivoiriens afin de relancer le dialogue avec

l’opposition. Cette rencontre avait permis d’aborder la question du cadre de mise en œuvre du

dialogue, la question de la participation de l’opposition aux processus de réconciliation, la

question des élections et enfin celles de la justice et de la sécurité. Elle a abouti à la création

du Cadre Permanent de Dialogue (CPD) conçu comme une « plate-forme d’échanges, de

réflexions, de propositions et d’actions en vue de l’amélioration des relations et de la

consolidation de la confiance entre le gouvernement et les partis politiques de

l’opposition128». Le document de synthèse issu de cette réunion énonce les missions de ce

CPD, qui sont les suivantes :

« -(d’)identifier les questions devant faire l’objet de concertation ;

-de veiller à la mise en œuvre effective des questions sur lesquelles un consensus est

intervenu;

-(d’)œuvrer au raffermissement des relations de confiance entre le gouvernement et les partis

de l’opposition ;

-(de) faire une revue périodique des avancées qui ont été obtenues sur les différentes

questions ;

-(de) faire l’examen de l’évolution de la situation sociopolitique nationale en vue, au besoin,

d’alerter le gouvernement et les partis de l’opposition sur les situations susceptibles de mettre

à mal la paix et le processus de réconciliation nationale ;

                                                                                                               127 « Conclave de relance du dialogue/voici le communiqué final : Un cadre permanent de dialogue crée, pas d’engagement concret pris, question des prisonniers au cas par cas », @[email protected], 30 avril 2012, consulté le 25 juin 2013, disponible sur : http://news.abidjan.net/h/432502.html. 128 Ibid.

  35  

-(de) faire toutes propositions utiles pour la consolidation de la paix, du processus de

réconciliation, de la liberté et de la démocratie»129.

Ce document de synthèse intègre donc les éléments dont nous avons parlé plus haut, et met en

évidence la volonté des acteurs politiques de se réconcilier et d’établir une paix durable dans

un cadre démocratique. Le CPD s’est concrétisé par une série de rencontres entre le

gouvernement et les parties de l’opposition. Au 15 juin 2013, plus de dix huit rencontres

avaient déjà eu lieu. Mais le FPI n’y a que très peu participé. Il a principalement concerné les

partis de la coalition présidentielle du RHDP et les petits partis de l’opposition, soit issus de

l’ancienne LMP qui avait été formée par Laurent Gbagbo aux dernières élections, soit crées

après les élections présidentielles par des dissidents du FPI. Le bilan de ce dialogue est donc

plutôt négatif car il a permis peu d’avancées. D’abord, il ressort de nombreuses déclarations

de représentants de l’opposition participant à ce CPD que le gouvernement d’Alassane

Ouattara manque de volonté de rétablir le dialogue. Selon la vice-présidente de la plate-forme

Agir pour la Paix et la Nation (APN)130, Danièle Boni Claverie, les revendications des partis

de l’opposition ne sont pas prises en considération par le gouvernement131. Ensuite, l’absence

du FPI, principal parti de l’opposition, fait raisonner le CPD comme une coquille vide,

puisqu’il n’est pas présent pour dialoguer alors que c’est bien lui le principal parti

d’opposition, et celui qui a été au cœur des affrontements de la dernière crise post électorale

avec le RDR. Lors de la réunion de Grand-Bassam en avril 2012, le FPI n’avait envoyé que

des observateurs qui n’avaient participé qu’à la moitié des débats. Ensuite, la rencontre entre

une délégation du FPI et le gouvernement en juillet 2012 n’avait débouché à rien132. La seule

rencontre avec le FPI dans le cadre du CPD aura été celle du 18, 22 et 23 janvier 2013, dont

les conclusions ont été rendues publiques le 31 janvier 2013133. Des commissions de réflexion

ont été mises en place sur des thématiques proposées par le FPI : la question sécuritaire, le jeu

démocratique, l’état de droit et le fonctionnement des institutions et enfin, la réconciliation

nationale. Ces commissions se sont réunies les 25 et 28 janvier 2013. Les conclusions de ces

rencontres ont relevé les points de convergence et les nombreux points encore en négociation

sur les différentes thématiques abordées.

                                                                                                               129 « Conclave de relance du dialogue/voici le communiqué final : Un cadre permanent de dialogue crée, pas d’engagement concret pris, question des prisonniers au cas par cas », @[email protected], op.cit. 130 La plate-forme Agir pour la Paix et la Nation regroupe cinq partis politiques minoritaires des onze partis politiques ivoiriens qui participent au CPD. 131 « Danièle Boni Claverie : « La réconciliation en Côte d’Ivoire n’a pas bougé d’un iota », rfi.fr, op.cit. 132 International Crisis Group, « Côte d’Ivoire : faire baisser la pression », novembre 2012, Rapport Afrique n°193, 26 p. 133 « Rapport de synthèse du groupe de travail gouvernement/FPI », @[email protected], 5 février 2013, consulté le 25 juin 2013, disponible sur : http://news.abidjan.net/h/450814.html

  36  

Alors qu’en juin 2013, le gouvernement ivoirien appelait à l’organisation d’un nouveau round

dans le cadre du CPD, le FPI posait des conditions à la reprise du dialogue direct. Dénonçant

les pratiques du gouvernement vis à vis de l’opposition qui ont continué durant les cinq mois

qui ont suivi le premier round du CPD en janvier 2013, le FPI a considéré que la volonté du

gouvernement d’établir un dialogue politique réel avec l’opposition ne pouvait être sincère et

a donc posé des conditions à sa reprise. Ainsi, le 27 juin 2013, Richard Kodjo, secrétaire

général par intérim et porte-parole du FPI, a déclaré que le gouvernement n’avait pris en

compte aucune des propositions faites par le FPI et n’avait pas non plus mis à exécution les

points de convergence depuis leur dernière rencontre134. Il conditionne donc la reprise du

dialogue à la « mise en œuvre effective des points de convergence », prône la mise en place

d’un « comité de médiation et de suivi pour le dialogue républicain »135, et demandait la

libération de Justin Koua, Secrétaire général des Jeunesses du Front Populaire Ivoirien arrêté

le 7 juin 2013. La libération provisoire de quatorze partisans du FPI et proches de l’ancien

président Laurent Gbagbo, le 5 août 2013- dont Justin Koua, Michel Gbagbo, le fils d’ancien

président, et Pascal Affi N’Guessan, président du FPI- marquait la volonté du gouvernement

d’apaiser les tensions avec le FPI. Cet événement permet d’envisager une reprise du CPD à la

rentrée 2013, même si l’ensemble des conditions posées par le FPI n’ont pas été satisfaites.

En effet, Richard Kodjo avait déclaré après la libération du 5 août que malgré l’absence de

mise en œuvre de l’ensemble des conditions posées, le FPI allait se réunir afin de décider de

la reprise ou non du dialogue, tout en saluant ce « petit pas vers la décrispation »136.

On peut donc espérer un dégel du dialogue politique entre le gouvernement et le principal

parti de l’opposition qui permettrait de faire un pas vers la réconciliation politique. Mais le

rétablissement du dialogue entre les partis politiques n’est pas suffisant. La réconciliation doit

être envisagée à un autre niveau, celui de la population.

B. La réconciliation nécessaire au sein de la population

Selon Sandrine Lefranc, trois méthodes permettent de contribuer à un processus de

réconciliation conçu comme un moyen de parvenir à la paix : les méthodes structurelles, qui

visent la durabilité, par la transformation de « la structure des relations entre les groupes,

notamment par la réduction des inégalités socio- économiques, le développement de liens

                                                                                                               134 « Reprise du dialogue gouvernement-opposition : voici les conditions du FPI », @[email protected], 27 juin 2013, consulté le 30 juin 2013, disponible sur : http://news.abidjan.net/h/464136.html 135 Ibid. 136 « Dr Richard Kodjo, secrétaire général du Fpi : « Nous demandons la libération sans condition de tous les prisonniers politiques », @[email protected], 6 août 2013, consulté le 30 août 2013, disponible sur : http://news.abidjan.net/h/467321.html

  37  

transversaux, la protection des droits de l’homme » ; les méthodes institutionnelles qui visent

le plus court terme et « qui incluent procès, commissions de vérité, action éducative ou

évènements publics (…) ; enfin, les méthodes interpersonnelles, qui cherchent à améliorer les

relations au niveau des « gens ordinaires » ou des représentants intermédiaires, par la

multiplication de psychothérapies collectives, d’ateliers ou de rencontres informelles »137. Le

gouvernement actuel a su mobiliser ces méthodes et a ainsi fait le choix de certains outils de

réconciliation. Il s’agit de voir de quelle manière les méthodes structurelles (1) et

institutionnelles (2) s’inscrivent dans le contexte de réconciliation ivoirien. Les méthodes

interpersonnelles ne seront pas évoquées dans le cadre de cette étude, car nous manquons

d’informations et de données de terrain recueillies au niveau local afin de nourrir cette

réflexion. De plus, elles s’entremêlent d’une certaine manière avec les méthodes structurelles

qui visent à réduire les inégalités socio-économiques et le développement de liens

transversaux au niveau de ces « gens ordinaires » en vue d’améliorer leurs relations.

1. Les méthodes structurelles - Construire l’avenir

Alors que le président Ouattara semble concentrer ses efforts sur le redressement de

l’économie pour parvenir à réconcilier les Ivoiriens (a), il ne faudrait pas pour autant qu’il en

oublie l’impératif de transformation de la représentation de l’identité collective en vue de

renforcer la cohésion sociale (b).

a. Ouattara et l’objectif premier de redressement de l’économie

Pour Alassane Ouattara, la réconciliation semble passer prioritairement par la relance

économique. L’économie reste le domaine de prédilection de l’actuel président, qui a été

l’ancien Premier ministre gestionnaire de Félix Houphouët-Boigny lorsqu’il fallait remettre de

l’ordre dans les comptes de l’Etat sous la houlette du FMI et de la Banque mondiale et de

leurs plans d’ajustement structurel. Il a également été gouverneur de la Banque centrale des

Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et directeur Afrique au FMI. Alassane Ouattara est un

homme qui sait s’attirer la confiance des bailleurs de fonds et des investisseurs pour obtenir

leur soutien financier. En ce sens, il a obtenu des promesses d’investissements de plus de 8,6

milliards de dollars pour la période 2013-2015 lors de la réunion du Groupe consultatif pour

                                                                                                               137 LEFRANC SANDRINE, Politiques du Pardon, PUF, 2002, Paris, 368 p., p. 216-217.

  38  

la Côte d’Ivoire qui s’est tenue en décembre 2012 à Paris138. Il a également obtenu un

allègement de la dette auprès du FMI et de la Banque Mondiale d’un montant de 4 milliards

de dollars139. Des grands travaux ont également été engagés et des infrastructures remises en

route. Il s’agit donc d’une relance économique par le haut140, dans laquelle l’Etat est le

principal acteur grâce au soutien sans failles des institutions financières internationales et de

la France.

Mais la réussite de cette relance économique passe surtout par la relance des investissements

privés qui feront la réussite du plan national de développement pour 2012-2015 qui repose

certes, sur les investissements publics, mais aussi sur les investissements privés141. Or, force

est de constater qu’à l’heure actuelle, les investisseurs n’ont pas encore une grande confiance

étant donné le contexte sécuritaire, les incertitudes du droit foncier et les doutes sur

l’existence d’un système judiciaire juste et équitable. Pour remédier à cela, le gouvernement

ivoirien a tenté de rassurer les investisseurs privés par le lancement d’une campagne « Investir

en Côte d’Ivoire » par le Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire

(CEPICI)142. Un grand forum régional « Invest in Côte d’Ivoire 2014 » sera organisé au début

de l’année 2014. Autre illustration de cette campagne, nous sommes tombés par hasard sur un

supplément spécial édité par le populaire magazine Jeune Afrique titré « Investir- Côte

d’Ivoire 2014 », faisant la promotion de la Côte d’Ivoire afin d’y attirer les investissements et

surtout de rassurer les investisseurs, par des titres surenchéris et très évocateurs tels que « Des

peuples divers mais unis- Une longue tradition de tolérance et de dialogue a forgé une identité

nationale forte », « Un cadre institutionnel rénové- Objectif : l’exercice d’une gouvernance

irréprochable », « refus systématique de l’impunité », ou encore « justice crédible et

impartiale »143, loin donc de la réalité actuelle du pays.

Le résultats d’Alassane Ouattara dans le domaine économique sont donc plutôt bons. Le taux

de croissance économique annoncé par le Ministère de l’économie et des finances était de 9,8

% en 2012 avec la même projection annoncée pour 2013. Mais si Alassane Ouattara considère

que la relance de l’économie permettra aux Ivoiriens de se réconcilier, encore faut-il que la                                                                                                                138 Jeune Afrique, « Côte d’Ivoire : Ouattara emporte 8,6 milliards de dollars », économie.jeuneafrique.com, 4 décembre 2012, consulté le 9 août 2013, disponible sur : http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/14018-cote-divoire--ouattara-emporte-86-milliards-de-dollars.html 139 Communiqué de presse « le FMI et la Banque mondiale annoncent un allègement de plus de 4 milliards de dollars EU de la dette de la Côte d’Ivoire, 26 juin 2012, imf.org, consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://www.imf.org/external/french/np/sec/pr/2012/pr12239f.htm 140 GAULME FRANÇOIS, « Côte d’Ivoire ?: Du redressement à la paix durable », S.E.R.I Études, 2012/6, p. 727-738. 141 FAUJAS ALAIN, « Côte d’Ivoire : la relance, oui mais… », économie.jeuneafrique.com, 22 février 2013, consulté le 1 septembre 2013, disponible sur : http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/15720-cote-divoire-la-relance-oui-mais.html 142 Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire, site web consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://www.cepici.gouv.ci/ 143 Guide « Investir. Côte d’Ivoire 2014 », supplément Jeune Afrique, juillet 2013, n°2741, 74 p.

  39  

redistribution des richesses se fasse et que la corruption dans le secteur public cesse. Or en

2012, Transparency International plaçait la Côte d’Ivoire au 130ème rang sur 176 pays pour ce

qui est du niveau perçu de corruption dans le secteur public144.

De plus, cette approche est insuffisante au regard du contexte ivoirien car, comme nous

l’avons souligné plus haut, c’est une réforme en profondeur de l’économie qui est nécessaire.

Or le gouvernement actuel ne s’est pas encore attaqué aux failles structurelles du modèle de

développement houphouétiste. Ce n’est donc pas une relance mais une transformation

complète de l’économie ivoirienne qui doit être faite. De même, il ne faudrait pas qu’il en

oublie un autre impératif qui devrait se situer au rang de ses priorités. Il s’agit de

transformation de la représentation de l’identité collective.

b. La nécessaire transformation de la représentation de l’identité collective en vue de

renforcer la cohésion sociale

La première étape importante est celle de la déconstruction de l’identité collective fondée

sur l’ethno-nationalisme. Il s’agit concrètement de faire disparaître le concept d’ivoirité et de

déconstruire les conséquences que ce concept a engendré au sein de la société ivoirienne.

Cette lourde tâche relève moins de la « réhabilitation » que de l’ « élaboration d’un récit

historique qui permette à la population ivoirienne dans son ensemble de (…) relativiser ou de

réviser les appréciations que telle ou telle de ses composantes est susceptible de porter sur

telle autre »145. Il s’agit de remettre en route le « vivre-ensemble ». Tout d’abord, le discours

politique doit prôner l’unité nationale et le vivre-ensemble afin de contrecarrer les discours de

division antérieurs. La tâche la plus importante est celle du passage d’une information claire

et sans ambiguïtés aux populations. Il est nécessaire de clarifier les questions qui ont divisé

hier auprès des populations par un travail de communication important. Par exemple, sur la

question foncière et celle de la nationalité, la clarification du droit est une chose, mais elle ne

suffira pas à déconstruire les idées d’hier sans que les populations soient informées de

manière adaptée et sans que cela ne créé de nouvelles tensions.

En outre, la disparition des divisions passe nécessairement par le renforcement de la cohésion

sociale, car cette dernière implique que l’Ivoirien pense Côte d’Ivoire avant tout146. La

                                                                                                               144 Index de perception de la corruption, Transparency International, site web consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://www.transparency.org/ 145 DOZON JEAN-PIERRE, Les clefs de la crise ivoirienne, Karthala, 2011, Paris, 144 p., p. 127. 146Interview de Mariétou Koné pour Jeune Afrique : « Mariétou Koné : « l’Ivoirien doit penser Côte d’Ivoire avant tout » », jeuneafrique.com, 14 juin 2013, consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130614140747/laurent-gbagbo-alassane-ouattara-reconciliation-nationale-cote-d-ivoiremariatou-kone-l-ivoirien-doit-penser-cote-d-ivoire-avant-tout.html

  40  

cohésion sociale vise donc à améliorer les rapports interpersonnels au niveau des « gens

ordinaires »147. En ce sens, un Programme National de Cohésion Sociale (PNCS) a été créé en

2012 dans le cadre de la mise en œuvre du Plan National de Développement pour 2012-2015.

Doté d’un budget de 7 milliards de francs CFA, l’objectif de ce programme est de renforcer la

cohésion sociale afin de garantir la paix durable. Au titre des projets annoncés figurent : des

formations destinées aux leaders traditionnels, des projets de réhabilitation de logements et de

construction de logements sociaux, des projets d’activités génératrices de revenus et de

perfectionnement ou de premier emploi pour les jeunes, des projets d’éducation à la

citoyenneté, ou encore l’aide au retour, à la réinstallation et à la réinsertion des personnes

déplacées et réfugiées148. Lancé officiellement le 10 mai 2013, la responsable du programme

a également entamé une tournée de sensibilisation pour faire connaître ce nouvel instrument

et afin de favoriser le dialogue entre les Ivoiriens en rencontrant les chefs communautaires. Le

programme a prévu pour l’année 2013 la création d’un cadre de concertation nationale afin

d’appuyer les comités locaux de paix, les administrations locales, des actions d’assistance

humanitaire aux personnes en situation de détresse sociale et pour le retour des déplacés, des

actions promouvant les valeurs de la cohésion sociale (l’organisation de compétitions

sportives intercommunautaires, des festivals de musique, des pièces de théâtre…)149. Le but

de ce programme est donc de contribuer à l’instauration d’une « paix durable » par le

renforcement de la cohésion sociale en menant des projets de solidarité et des actions de

développement 150. Mais ce travail sur la cohésion sociale doit venir en complément à la

remise en route du vivre ensemble. Les méthodes institutionnelles de réconciliation nationale

permettent quant à elles de faire le deuil du passé.

2. Les méthodes institutionnelles – Faire le deuil du passé

En Côte d’Ivoire, les méthodes institutionnelles mises en place, qui sont des méthodes à

plus court terme, visent à faire le deuil du passé par des moyens parajudiciaires (a) et

judiciaires (b).

                                                                                                               147 Nous avions fait remarquer au début de ce développement que les méthodes structurelles pouvaient recouper d’une certaine manière les méthodes interpersonnelles de réconciliation. 148Interview de Mariétou Koné pour Jeune Afrique : « Mariétou Koné : « l’Ivoirien doit penser Côte d’Ivoire avant tout » », op. cit. 149 Interview de Mariétou Koné pour Abidjan.net : « Mariétou Koné, coordonnateur du Programme National de Cohésion Sociale », 8 mai 2013, 12 minutes 31, consulté le 5 septembre 2013, disponible sur : http://www.youtube.com/watch?v=JRG38Tqu-aw 150 Interview de Mariétou Koné pour Jeune Afrique : « Mariétou Koné : « l’Ivoirien doit penser Côte d’Ivoire avant tout » », op. cit.

  41  

a. Les moyens parajudiciaires

Tout d’abord, une commission de vérité a été mise en place. Les commissions de vérité ne

sont pas dans une logique punitive et rétributive. Elles sont généralement des organes

parajudiciaires qui placent les victimes au centre de leur action, afin de les réconcilier avec la

société, voire même avec leurs bourreaux151. Ces commissions « en sont venues à incarner

une instance démocratique exemplaire et même un facteur important de démocratisation, en

tant qu’instance de délibération publique sur le passé»152. Mais, comme le souligne le Centre

International pour la Justice Transitionnelle153, si la création d’une commission dans un

contexte de reconstruction post-conflit afin de réconcilier les populations est utile, elle n’est

pas suffisante. Elles peuvent seulement au mieux aider à la création de meilleurs conditions

de réconciliation, notamment en restaurant la dignité des victimes 154.

Mettant en avant l’utilité, voire la nécessité, de la création d’une telle commission, Alassane

Ouattara a créé dans l’urgence la Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation

(CDVR) le 13 mai 2011, après l’avoir annoncée le 1er mai 2011, afin de lancer un signal fort

d’apaisement avant son investiture officielle. Elle est présidée par l’ancien Premier ministre

Charles Konan Banny, réputé pour être un homme de compromis, qui est assisté par trois

vices présidents et sept commissaires centraux. Ces commissaires centraux représentent

chacun une partie de la population ivoirienne selon un découpage géographique : le Nord, le

Sud, l’Ouest, l’Est et le Centre de la Côte d’Ivoire ainsi que la diaspora ivoirienne, alors que

l’un des commissaires représente les résidents africains et non africains du pays155. Tandis que

les trois vices- présidents représentent les trois confessions principales (animistes, chrétiens et

musulmans). La division choisie est assez révélatrice des divisions de la société ivoirienne. Ils

représentent les différentes régions mais aussi les différentes confessions religieuses et les

différentes ethnies qui composent la société ivoirienne. Cette institution parajudiciaire a été

conçue comme une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité juridique et

de l’autonomie financière156. Son mandat est d’œuvrer « à la réconciliation et au renforcement

                                                                                                               151 LEFRANC SANDRINE, « Les commissions de vérité : une alternative au droit ? », Droit et cultures, 2008/2, n°56, p. 129-145. 152 LEFRANC SANDRINE, « Les commissions de vérité : une alternative au droit ? », op.cit. 153 Traduction libre de : International Center for Transitional Justice. 154 Traduction libre de: « Reconciliation should be understood as a long-term social process that cannot be achieved by a truth commission alone, in a short amount of time. At best, commissions can help to create better conditions for reconciliation by encouraging institutional reform and changes in the political culture of a state, and by restoring the dignity of those most affected by violence», in International Center for Transitional Justice, « Truth Seeking- Elements of Creating an effective Truth Commission », 2013, 75 p., consulté le 1er septembre 2013, disponible sur :http://ictj.org/publication/truth-seeking-elements-creating-effective-truth-commission 155 Site web de la CDVR, consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://www.cdvr.ci/ 156 Ordonnance n°2011-167 du 13 juillet 2011 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de la commission dialogue, vérité et réconciliation.

  42  

de la cohésion sociale entre toutes les communautés vivant en Côte d’Ivoire ». Elle a pour

missions de « rechercher la vérité et situer les responsabilités sur les évènements

sociopolitiques nationaux passés et récents », entendre les victimes et obtenir la

reconnaissance des faits par les auteurs des violations incriminées selon une typologie des

violations des droits de l’Homme qu’elle aura elle même élaboré. À la fin de son mandat, elle

doit remettre un rapport assorti de recommandations au Président de la République sur

plusieurs points, tels que les moyens susceptibles de « contribuer à guérir les traumatismes

subis par les victimes », de contribuer à la cohésion sociale et l’unité nationale ou encore

lutter contre l’injustice157. Le mandat décrit par l’ordonnance comporte à ce titre des

imprécisions quant à sa mission réelle et quant aux moyens qui lui sont donnés pour la

remplir. On peut d’abord noter qu’elle n’a pas d’obligation de résultat et que la seule

obligation claire qu’elle a est de remettre, à l’issue de son mandat, un rapport au Président de

la République à qui revient la décision d’en prendre bonne note.

Comme le faisait remarquer Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut des Relations

Internationales et Stratégiques, au moment de la création de cette commission lors d’un

entretien pour Le Monde, « pour rester légitime, la Commission devrait donner d'ici à six mois

ses premières conclusions, en donnant publiquement la liste des crimes qu'elle a recensés158 ».

Or, elle achèvera son premier mandat à la fin du mois de septembre 2013 sans que l’on sache

encore s’il sera renouvelé, alors même que les commissions locales n’ont pas commencé leur

travail d’enquête. Avant tout chargée de préparer les ivoiriens à la réconciliation nationale,

celle ci a mis en place des plates formes de la société civile ainsi que 37 commissions locales

afin, dans un premier temps, de sensibiliser les populations à la réconciliation par le biais de

l’information et l’organisation de rencontres. Ces commissions locales se sont installées dans

les zones ayant connu des troubles, et à Abidjan, notamment dans les communes de Cocody-

Bingerville et de Yopougon159 où de nombreuses personnes des deux camps qui se sont

affrontés avaient trouvé la mort durant la crise. La période de sensibilisation et d’information

du public s’est achevée par un tout autre événement : une période de deuil et de purification.

Elle a par ailleurs été ponctuée d’évènements parallèles adoubés par la Commission. À titre

                                                                                                               157 Ordonnance n°2011-167 du 13 juillet 2011 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de la commission dialogue, vérité et réconciliation. 158 Interview de Philippe Hugon pour LeMonde.fr mené par Charlotte Chabas, « Côte d’Ivoire : « il ne peut y avoir de réconciliation que si les deux parties reconnaissent leurs torts » », 29 septembre 2011, consulté le 15 décembre 2012, disponible sur : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/09/28/cote-d-ivoire-il-ne-peut-y-avoir-reconciliation-que-si-les-deux-parties-reconnaissent-leurs-torts_1578817_3212.html 159Actualité du site web de la CDVR, consulté le 27 janvier 2013, disponible sur : http://www.cdvr.ci/actualites/410-réconciliation-nationale-les-commissions-locales-de-la-cdvr-de-cocody-bingerville,-yopougon-i-et-ii-installées.html

  43  

d’exemple, une « caravane de la paix et de la réconciliation » 160 à l’initiative du

gouvernement, avait regroupé, le temps d’une tournée de deux semaines à travers le pays, des

chanteurs très populaires. Cette caravane menée par Tiken Jah Fakoly et Alpha Blondy,

célèbres chanteurs ivoiriens, avait pour objectif de faire passer un message de paix par la

musique afin que s’arrêtent les conflits et que la réconciliation puisse commencer.

« Attention ! Attention ! A toutes ces divisions ! Réconciliation ! Fils de la Côte d’Ivoire »,

chantait par exemple Tiken Jah Fakoly. La période de sensibilisation terminée, la prochaine

étape pour la CDVR sera celle de la recherche de la vérité par le biais des commissions

locales et des commissions spécialisées, dans le cadre des consultations nationales, qui a été

annoncée en juin 2013161. Alors même que le mandat de la CDVR touche à sa fin, les

auditions des victimes n’ont toujours pas eu lieu.

Parallèlement, un travail d’enquête a été mené par une seconde institution parajudiciaire mise

en place, elle aussi, par le gouvernement Ouattara à la suite du rapport de la Commission

d’enquête internationale162: la Commission nationale d’enquête (CNE). Celle-ci a pour

mission « d’enquêter sur les violations présumées des droits humains et du droit international

humanitaire perpétrées au cours de la crise postélectorale » 163. Mais elle ne dépend pas du

système judiciaire puisqu’elle est une commission administrative. Son rôle n’est donc pas

d’enquêter pour établir les responsabilités pénales individuelles. Cependant, Alassane

Ouattara avait déclaré que les personnes figurant dans le rapport devront faire l’objet d’une

enquête judiciaire. La CNE a rendu son rapport en août 2012, concluant que des crimes

avaient été commis par les deux camps164. La suite logique semble donc être celle de la

justice.

b. Les moyens judiciaires : la justice pénale

Alassane Ouattara a annoncé dès la fin de la crise postélectorale son engagement contre

l’impunité des crimes commis en Côte d’Ivoire durant la crise post- électorale par les deux

                                                                                                               160 GROGA-BADA MALIKA., « Côte d’Ivoire : une caravane de la réconciliation et des polémiques », JeuneAfrique.com, 5 novembre 2012, consulté le 15 décembre 2012, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20121105101043/ 161 Human Rights Watch, « Transformer les discours en réalité- L’heure de réclamer des comptes pour les crimes internationaux graves perpétrés en Côte d’Ivoire », Avril 2013, 82 p. 162 La commission d’enquête internationale a été créée par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies à la demande du gouvernement de Ouattara en mars 2011. 163 Ibid. 164 Ibid.

  44  

camps165. Il a réitéré cet engagement à plusieurs reprises. La traduction de son engagement

s’est faite par l’exercice de poursuites pénales au niveau national et international.

Au niveau national, les conclusions de la CNE doivent, comme Alassane Ouattara l’avait

annoncé, amener les autorités judiciaires à mener des enquêtes sur les personnes suspectées

d’avoir commis des violations des droits de l’Homme durant la crise postélectorale.

Parallèlement à la CNE, une Cellule spéciale d’enquête a été mise en place. Mais cette cellule

spéciale est quant à elle une institution judiciaire. Rattachée au Tribunal de première instance

d’Abidjan, elle est chargée de mener des enquêtes judiciaires sur les évènements de la crise

postélectorale pour trois types d’infractions pénales : les atteintes à la sûreté de l’Etat, les

crimes économiques et les crimes de sang. Comme le souligne encore le rapport de Human

Rights Watch, «des progrès ont été réalisés sur la voie de l’obligation de rendre des

comptes »166. À la date de rédaction du rapport, « plus de 150 individus ont été inculpés de

crimes postélectoraux », tous pro-Gbagbo167.

Au niveau international, les moyens judiciaires utilisés se sont concrétisés par la réaffirmation

de l’acceptation de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI). En effet, les crimes

relevant de la compétence de la CPI commis en Côte d’Ivoire depuis le 19 septembre 2002 lui

avaient déjà été soumis par une déclaration de l’ancien président Laurent Gbagbo en 2003.

Alassane Ouattara n’a fait que confirmer l’acceptation de cette compétence en 2010 pour les

crimes commis depuis mars 2004. Finalement, il a requis que le cadre temporel de

compétence de la cour soit restreint aux crimes commis après le 28 novembre 2010, c’est-à-

dire seulement pour la dernière crise postélectorale. Mais les juges de la CPI ont décidé de ré-

élargir le champ de leur compétence aux crimes commis après le 19 septembre 2002, en se

basant sur la déclaration initiale faite par le président Gbagbo en 2003168. La Côte d’Ivoire a

procédé depuis à la ratification du Statut de Rome. Elle est donc tenue par l’ensemble des

obligations du Statut depuis le 1er mai 2013169. Entre temps, le gouvernement d’Alassane

Ouattara a répondu au mandat d’arrêt international émis à l’encontre du président sortant

Laurent Gbagbo le 23 novembre 2011. Laurent Gbagbo est emprisonné à La Haye pour

quatre chefs de crimes contre l’humanité dont il est accusé d’être le co-auteur indirect depuis

le 29 novembre 2011. L’audience de confirmation des charges s’est terminée le 28 février

                                                                                                               165« Le gouvernement ivoirien promet à la CPI l’absence d’impunité », @[email protected], 30 juin 2011, consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://news.abidjan.net/h/402897.html 166 Human Rights Watch, « Transformer les discours en réalité- L’heure de réclamer des comptes pour les crimes internationaux graves perpétrés en Côte d’Ivoire », op.cit. 167 Ibid. 168 Ibid. 169 CPI, communiqué de presse, «La Côte d’Ivoire ratifie le Statut de Rome », 18 février 2013, consulté le 27 février 2013, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/press%20and%20media/press%20releases/Pages/pr873.aspx

  45  

2013170 et la Chambre préliminaire I, qui devait rendre son verdict au début du mois de juin

2013, a finalement décidé le 3 juin 2013 d’ajourner l’audience de confirmation des charges et

demandé à la procureure gambienne Fatou Bensouda d’apporter des preuves supplémentaires

et de mener de nouvelles enquêtes171. Parallèlement, un mandat d’arrêt international pour

quatre chefs de crimes contre l’humanité a été émis contre l’épouse de l’ancien président,

Simone Gbagbo, auquel le gouvernement ivoirien n’a pas encore répondu, alors que ce

mandat date du 29 février 2012. Elle est actuellement détenue en Côte d’Ivoire.

Si tout un arsenal de moyens a été mis en place par le gouvernement de Ouattara pour

répondre au besoin de justice, il reste encore des progrès à faire à ce niveau. La « Conférence

internationale sur l’impunité et la justice équitable » recommandée par l’Expert indépendant

des Nations Unies sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire qui s’est tenue les

21 et 23 février 2013 a abouti en ce sens à un certain nombre de recommandations adressées

aux acteurs impliqués dans le processus de réconciliation. Le gouvernement dit les avoir pris

en considération172 et il devrait y accorder une attention particulière aux vues des accusations

récurrentes de « justice des vainqueurs » qui constitue une entrave sérieuse à la réconciliation.

Cette question peut être étudiée au titre des limites de la réconciliation ivoirienne.

                                                                                                               170 CPI, communiqué de presse, « Affaire Laurent Gbagbo: Clôture de l’audience de confirmation des charges aujourd’hui », 28 février 2013, consulté le 9 avril 2013, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/press%20and%20media/press%20releases/Pages/pr876.aspx 171 CPI, communiqué de presse « La chambre préliminaire I ajourne l’audience de confirmation des charges et demande au Procureur d’envisager d’apporter des éléments de preuves supplémentaires ou de procéder à de nouvelles enquêtes », 3 juin 2013, consulté le 10 juin 2013, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/press%20and%20media/press%20releases/Pages/pr915.aspx 172 Assemblée générale des Nations Unies, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène, 3 juin 2013, présenté devant le Conseil des Droits de l’Homme (23ème session), A/HRC/23/38.

  46  

DEUXIÈME PARTIE :

LIMITES DE LA RÉCONCILIATION

-

LA RÉCONCILIATION VUE PAR LES PARTISANS DE

LAURENT GBAGBO

  47  

L’observation des enjeux de réconciliation auxquels se trouve confrontée la Côte

d’Ivoire nous a permis d’identifier un problème majeur : celui de la confrontation constante

des grands acteurs de la vie politique ivoirienne depuis plus de vingt ans afin d’accéder au

poste de la présidence de la République, au prix de l’exacerbation des tensions ethno-

nationalistes au sein de la population et jusqu’à l’éclatement de la violence. Ce scénario s’est

répété jusqu’à la dernière crise postélectorale de 2010-2011. Depuis, même si on a pu

observer des efforts de réconciliation, il est impossible de nier que des problèmes profonds

continuent de miner le processus même de réconciliation. Au premier rang de ces difficultés

figure celle de la mise en place d’un dialogue constructif entre le gouvernement de Ouattara et

le « peuple de Gbagbo » 173. La question se pose de savoir quelles sont les raisons des

blocages politiques et des protestations qui persistent dans le camp de Laurent Gbagbo, deux

ans après la fin de la crise. Comme le notait Jean-Pierre Dozon en 2011, la défaite de Laurent

Gbagbo, son arrestation et celle de ses proches n’a pas mis fin aux problèmes de la Côte

d’Ivoire. Elle a surtout fait ressortir d’autres difficultés. En effet, ce peuple qui a soutenu

Laurent Gbagbo pendant ses dix années au pouvoir, voire depuis ses débuts en politique au

sein du FPI dans les années 1980, est toujours bien présent 174. Grands perdants de la dernière

crise, la réconciliation doit se faire avec ce « peuple » et sa participation conditionne

l’efficacité du processus. Or, force est de constater qu’une partie de « peuple » est réticent à

cette réconciliation et continue de s’opposer vigoureusement au gouvernement actuel. Depuis

l’arrestation de Laurent Gbagbo, beaucoup de personnes composant le « peuple de Gbagbo »

manifestent leur soutien inconditionnel à l’ancien président. La question se pose de savoir

pourquoi, car la compréhension du « peuple de Gbagbo » permettra à la Côte d’Ivoire de

mieux se réconcilier. C’est pourquoi, dans le cadre de cette étude, une dizaine d’entretiens a

été menée avec des ressortissants ivoiriens de la diaspora en France qui soutiennent Laurent

Gbagbo et qui sont souvent considérés comme l’aile la plus radicale du parti, afin de mieux

comprendre leur vision de la réconciliation. Ces entretiens ont permis de mettre en évidence

deux types de facteurs de blocage pour le « peuple de Gbagbo », qui doivent être pris en

considération au titre des limites de la réconciliation.

Mais il faut d’abord revenir plus en détails sur la terminologie, afin de souligner les

difficultés attenantes à la délimitation de ceux que l’on a choisi d’appeler ici le « peuple de

Gbagbo ». Qu’entend-on par « peuple de Gbagbo »? Ce qualificatif est apparu comme le plus

approprié à la définition des personnes appartenant au camp de Laurent Gbagbo. Il a été                                                                                                                173 Expression empruntée à DOZON JEAN-PIERRE, in DOZON JEAN-PIERRE, Les clefs de la crise ivoirienne, Karthala, 2011, Paris, 144 p. 174 DOZON JEAN-PIERRE, Les clefs de la crise ivoirienne, op.cit., p. 123.

  48  

préféré au terme « pro-Gbagbo », car ce dernier terme recoupe un périmètre plus restreint de

personnes et est souvent qualifié de réducteur par rapport à la réalité qui est plus complexe.

Cela révèle également les difficultés de définition et de délimitation de ce groupe dont les

frontières ne sont pas claires, du fait de la diversité des modalités de participation politique.

La participation politique, qui peut être définie comme l’« ensemble des activités,

individuelles ou collectives, susceptibles de donner aux gouvernés une influence sur le

fonctionnement du système politique »175, renvoie idéalement à l’exercice d’une citoyenneté

dynamique et réfléchie, mais également à une infime partie qui se mobilise activement pour la

politique. Ainsi, la participation politique est variable d’un individu à l’autre. On peut dresser

la liste des pratiques selon le degré d’implication et de participation de l’individu comme

suit :

- l’inscription sur les listes électorales, soit le degré zéro de la participation politique

- la recherche de l’information politique

- les discussions politiques avec l’entourage

- le vote

- la participation à une manifestation

- l’adhésion à un parti politique

- la participation à des meetings politiques

- la participation financière à une campagne électorale

- la participation active à une campagne électorale.176

Ce panorama des degrés de participation politique nous permet de mieux décomposer le

« peuple de Gbagbo ». Il y a d’abord les simples électeurs qui ont exercé leur droit de vote en

faveur de Laurent Gbagbo, principalement issus de la zone forestière de l’Ouest, du Sud-est et

de la Basse-Côte177, qui ont souvent adhéré à l’idéologie d’autochtonie du fait des problèmes

liés au domaine foncier et à la crise économique qu’ils ont subi de plein fouet. On peut

également trouver au sein de ses électeurs les populations issues du même groupe ethnique

que Laurent Gbagbo, issu de l’ethnie bété qui font partie du groupe krou, et qui sont

considérés comme les premiers occupants du Sud-Ouest178. L’appartenance ethnique reste

pour l’électeur le premier mode d’identification d’un candidat comme étant « son candidat ».

Une partie de ces électeurs s’est mobilisée lors de la campagne électorale de 2010 en

distribuant des tracts, en aidant à l’organisation de meetings, sans pour autant avoir leur carte

du parti. Ils peuvent être considérés comme des sympathisants du parti de l’ancien président.                                                                                                                175 BRAUD PHILIPPE, Sociologie politique (10ème édition), LGDJ, 2011, Paris, 788 p. 176 MEMMI DOMINIQUE, « L’engagement politique », in LECA JEAN et GRAWITZ MADELEINE, Traité de science politique (Tome 3), PUF, 1985, Paris, 713 p., p. 311-325, spéc. p. 328-329. 177 DOZON JEAN-PIERRE, Les clefs de la crise ivoirienne, op. cit., p. 123. 178 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, Armand Colin, 2011, Paris, 336 p., p. 31.

  49  

Il y a ensuite les adhérents au FPI, qui eux, ont leur carte de membre du parti, et qui ont eux

aussi activement participé à la campagne de 2010. Il y a enfin les cadres et responsables du

parti.

Au sein de l’ensemble que constitue le « peuple de Gbagbo », on peut encore distinguer ceux

qui sont sur le territoire et ceux qui sont à l’extérieur. On peut distinguer les déplacés et les

réfugiés du reste de ce « peuple ». Parmi les réfugiés, on peut également distinguer les

personnes proches de Laurent Gbagbo et de son régime, qui ont exercé des fonctions

politiques ou gouvernementales, des réfugiés qui étaient des électeurs, des militants ou

simplement des citoyens originaires d’ethnies assimilées « pro-Gbagbo » et qui ont fui du fait

de la violence généralisée durant la crise. On peut distinguer le FPI de l’intérieur et le FPI de

l’extérieur composé d’ivoiriens de la diaspora. La diaspora ivoirienne du FPI, qui représente

une part importante de ses soutiens, a activement participé à la campagne et s’intéresse à la

politique intérieure du pays. Cette diaspora ivoirienne, en particulier celle de France s’est faite

remarquer depuis la fin de la crise en organisant sans relâche des manifestations, des marches

de protestation à Paris ou à La Haye devant la Cour Pénale internationale, et en s’exprimant

au sein des réseaux sociaux pour dénoncer l’illégalité de l’accession au pouvoir d’Alassane

Ouattara et le complot entre la France et Alassane Ouattara contre Laurent Gbagbo.

En marge du « peuple de Gbagbo », les nombreux soutiens de l’ancien président, qui se sont

manifestés dès le début de la dernière crise et depuis son arrestation parmi les milieux

intellectuels et politiques français, notamment Guy Labertit, ami fidèle de Laurent Gbagbo

depuis son exil en France durant les années 1980, ou encore Jacques Vergès, célèbre avocat

français anticolonialiste, récemment décédé, et Roland Dumas. De même, dans le reste de

l’Afrique, Laurent Gbagbo a trouvé soutien parmi ceux qui dénoncent le néo-colonialisme

occidental sur le continent. Mais l’affiliation politique, le soutien à un régime, à un candidat

ne sont pas des caractères immuables de la personne et peuvent donc varier dans le temps.

Ainsi, en sens inverse, certains ont retiré leur soutien à Laurent Gbagbo…des électeurs déçus

de son comportement postélectoral, des militants rebutés par la faction la plus radicale des

soutiens de l’ancien président et qui a provoqué un blocage politique. Certains de ces

dissidents du FPI se sont détachés du parti pour faire cavalier seul en créant par exemple leur

propre parti politique, à l’instar de l’ancien président par intérim du FPI, Mamadou Koulibaly.

Les entretiens qui ont été menés avec des partisans de Laurent Gbagbo issus de la

diaspora ivoirienne en France ont permis de mettre en évidence deux types de facteurs de

blocage dans le processus de réconciliation pour le « peuple de Gbagbo », qui constituent les

limites de la réconciliation ivoirienne. Ces limites sont d’abord liées à la dénonciation d’une

  50  

« justice des vainqueurs » qui dénote d’un manque de confiance en la justice (sous-partie 1).

Elles sont ensuite des limites contextuelles attestant d’un manque de confiance envers le

gouvernement (sous-partie 2).

   

Sous- partie 1 :

Les limites liées à la « justice des vainqueurs » -

Du manque de confiance en la justice

L’existence d’une « justice des vainqueurs » est bien dénoncée (A) et celle-ci a des

conséquences sur la vie politique du pays (B).

A. De la dénonciation d’une « justice des vainqueurs »

La « justice des vainqueurs » se manifeste par des poursuites exercées uniquement

contre les partisans de Laurent Gbagbo (1) et par la mise en doute de la volonté de rétablir la

vérité (2).

1. Des poursuites uniquement contre les partisans de Laurent Gbagbo

Le camp de l’ancien président dénonce une « justice des vainqueurs » au niveau

national et au niveau international.

a. Au niveau national

Depuis la fin de la crise, seuls les partisans de l’ancien président ont été inquiétés par

la justice, alors que le président prône depuis le début de son mandat son engagement pour la

lutte contre l’impunité des crimes commis par les deux camps179. L’issue de la dernière crise

postélectorale a créé un rapport de vainqueurs à vaincus qui a en effet favorisé l’exercice

d’une « justice des vainqueurs », notamment parce qu’il n’a pas été possible de trouver un

compromis politique qui puisse équilibrer le rapport entre les deux camps. Le camp de

                                                                                                               179 « Le gouvernement ivoirien promet à la CPI l’absence d’impunité », @[email protected], 30 juin 2011, consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://news.abidjan.net/h/402897.html

  51  

l’ancien président dénonce la justice partiale, les arrestations et détentions arbitraires ou

encore les conditions de détention.

La dénonciation d’une « justice des vainqueurs » en Côte d’Ivoire est relayée par de

nombreuses ONG défendant les droits de l’Homme, telles qu’Amnesty International180 et

Human Rights Watch181. De même, l’expert indépendant des Nations Unies sur la situation

des droits d’Homme en Côte d’Ivoire vient conforter ces allégations. Selon lui, « les diverses

arrestations qui ont été effectuées suite à la crise postélectorale continuent de donner

l’impression d’une justice à double vitesse »182. Dans le camp Ouattara, aucun des individus

soupçonnés d’avoir commis des crimes graves durant la crise postélectorale n’ont jusqu’alors

fait l’objet d’arrestations, de sanctions ou de relèvement de leur fonction. Seul le chef milicien

Amadé Ouérémi a fait l’objet d’une arrestation et ce de manière très tardive183, alors que dans

le camp de Laurent Gbagbo, de nombreuses arrestations de partisans avérés ou présumés de

l’ancien président ont eu lieu depuis la fin de la crise, pour des crimes graves commis durant

la crise postélectorale. Par ailleurs, les arrestations se sont multipliées pour des motifs

sécuritaires douteux de tentatives de déstabilisation du gouvernement actuel 184 . Ces

arrestations ont été entachées de nombreuses irrégularités, tout comme les conditions de

détention. Elles ont pour la plupart d’entre elles été menées par les FRCI ou la police militaire

sans mandat légal ou en outrepassant leur mandat, et les maintiennent arbitrairement en

détention, sans qu’aucun droits ne leur soient reconnus et subissant des actes de tortures et des

mauvais traitements. Comme l’a noté l’expert indépendant des Nations Unies, «la tendance

qui consiste à arrêter et à libérer ultérieurement des individus sur l’accusation générique

d’atteinte à la sûreté de l’Etat est de nature à décrédibiliser les autorités»185. Si Alassane

Ouattara a longtemps dit qu’il n’arrivait pas à reprendre le contrôle sur les FRCI et la police

militaire, les autorités judiciaires n’ont quant à elles toujours pas ouvert d’enquêtes suite aux

allégations d’arrestations, de détentions arbitraires et de tortures. De nombreuses arrestations

                                                                                                               180 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise postélectorale », Mars 2013, 86 p. ; Amnesty International, « Côte d’Ivoire. « C’est comme si rien ne s’était passé ici ». Un an après l’attaque du camp de Nahibly, la justice se fait toujours attendre », juillet 2013, 29 p. 181 Human Rights Watch, « Transformer les discours en réalité- L’heure de réclamer des comptes pour les crimes internationaux graves perpétrés en Côte d’Ivoire », Avril 2013, 82 p. 182 Assemblée générale des Nations Unies, « Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène », 3 juin 2013, présenté devant le Conseil des Droits de l’Homme (23ème session), A/HRC/23/38. 183 La presse a relayé l’arrestation du chef milicien Amadé Ouérémi le 18 mai 2013. In « Arrestation d’un chef de milice pro-Ouattara à Duékoué », France24.fr, 19 mai 2013, consulté le 7 septembre 2013, disponible sur : http://www.france24.com/fr/20130519-arrestation-chef-milice-ouest-cote-ivoire-amade-oueremi-gbagbo-ouattara-duekue 184 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise postélectorale », op.cit. 185 Assemblée générale des Nations Unies, « Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène », op. cit.

  52  

ont été justifiées par des motifs politiques et ethniques du fait de leur appartenance ou leur

sympathie pour le parti de Laurent Gbagbo, ou bien du fait de l’appartenance à une ethnie

présumée acquise à Laurent Gbagbo186.

Quant aux partisans de Laurent Gbagbo détenus dans le Nord du pays et qui font l’objet d’une

enquête judiciaire, l’espoir d’avoir un procès équitable et respectueux des droits de la défense

reste mince pour le moment. La quasi-totalité de l’instruction des dossiers se fait à charge et

se trouve marquée par une lenteur qu’Alassane Ouattara ne peut plus justifier, alors que les

personnes sont détenues sans procès depuis plus de deux ans. Au delà de cette lenteur, les

inculpations en elles même font l’objet de sérieux doutes quant à leur impartialité puisqu’il

leur a clairement été reproché lors des auditions d’avoir été fidèles à Laurent Gbagbo jusqu’à

la fin. L’absence d’indépendance et d’impartialité des juges dans les poursuites pour les

crimes commis durant la crise postélectorale pose un réel problème de confiance envers

l’appareil judiciaire. Le doute pèse également sur l’impartialité de la CNE dont le résumé du

rapport, seul document rendu public après que le rapport complet ait été remis au président de

la République le 8 mai 2012, ne cite que brièvement les évènements ayant conduit à des

crimes graves soupçonnés d’être attribués au FRCI et au Dozos, alors qu’il détaille ceux

attribués aux milices pro-Gbagbo187.

b. Au niveau international

Mais c’est surtout l’emprisonnement de Laurent Gbagbo à La Haye et les charges qui

pèsent contre lui à la CPI qui font ressortir un profond sentiment d’injustice chez les militants

qui le soutiennent. Tous considèrent que les charges qui pèsent contre lui ne répondent à

aucune logique juridique et qu’il s’agit d’une décision fondamentalement politique dont les

puissances occidentales sont les premières responsables. Certains considèrent le transfert de

Gbagbo à la CPI comme une « déportation » 188, en comparant ce qui lui arrive au sort qu’ont

connu des héros qui ont résisté à la colonisation de l’Afrique, à l’instar de Samory Touré189. Il

est vrai que l’ajournement de l’audience de confirmation des charges a ouvert de sérieux

doutes sur ce procès puisqu’en deux ans, la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, n’a pas

réussi à réunir les preuves suffisantes afin que les charges soient confirmées. La crédibilité de

la Procureure est largement entachée. L’épisode de la vidéo d’incidents ayant eu lieu au

                                                                                                               186 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit. 187 Ibid. 188 Entretien n°7, annexe n°8 ; Entretien n°8, annexe n°9. 189 Samory Touré (1830-1900), fondateur de l’empire Wassoulou, a résisté à la pénétration de la France en Afrique de l’Ouest puis à la colonisation. Il fut envoyé par le colonisateur français en exil au Gabon.

  53  

Kenya ajoutée par la procureure comme preuve d’un massacre dans le quartier de Yopougon à

Abidjan en 2011 a suscité l’indignation des défenseurs de Laurent Gbagbo190. Ensuite, le fait

que le camp de Ouattara n’ait pas encore été inquiété, alors que de nombreuses personnes sont

également soupçonnées d’avoir commis les mêmes types de crimes que ceux dont est accusé

Laurent Gbagbo, renforce l’idée que l’affaire est politique. Au premier rang des personnes

visées figure Guillaume Soro, ancien chef rebelle des Forces Nouvelles, devenu Premier

ministre sous Gbagbo après les accords de Ouagadougou, puis Premier ministre sous Ouattara

et désormais Président de l’Assemblée nationale ivoirienne, et de nombreux chefs de guerre

tels qu’Ousmane Coulibaly autrement surnommé « Ben Laden ». Au delà des camps Gbagbo

et Ouattara, c’est également la France qui est visée par les partisans de l’ancien président. Le

ressentiment vis-à-vis de la France est fort et pour eux, sa responsabilité devrait également

être engagée pour certains évènements survenus en Côte d’Ivoire, par exemple, l’épisode de

l’Hôtel Ivoire en 2004 et l’attaque du Palais présidentiel en 2011, durant lesquels elle a été en

première ligne191.

Si l’ajournement de l’audience de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo a été

considéré comme une première victoire, le maintien en détention provisoire de Laurent

Gbagbo a encore ajouté au ressentiment de procès politique. Comme le dit Guy Labertit, on

peut analyser ce report comme un moyen de préparer en douceur l’abandon des charges et de

ne pas créer un séisme politique qui vienne raviver les violences par l’émulation qu’elle aurait

provoquée chez les Ivoiriens dans les deux camps192. Le refus de mise en liberté provisoire

peut se justifier de la même façon. La Cour a considéré que le large réseau bien organisé et les

soutiens politiques dont bénéficie Laurent Gbagbo à l’intérieur comme à l’extérieur de la Côte

d’Ivoire laissait courir un risque qu’il s’échappe, qu’il fasse obstruction aux enquêtes ou qu’il

continue à commettre des crimes relevant de la compétence de la Cour. Elle a de plus

considéré que Laurent Gbagbo pouvait avoir accès à un soutien financier de la part de ses

partisans qui pourraient lui permettre de s’échapper193. Au delà des arguments développés par

la Cour, une acceptation de la libération provisoire aurait provoqué quasiment les mêmes

effets qu’un abandon des charges, c’est-à-dire, un séisme politique.

En définitif, le procès de Laurent Gbagbo n’a fait que confirmer l’hostilité naturelle qu’ont les

militants du FPI et autres sympathisants de Laurent Gbagbo vis-à-vis de la CPI, au nom des

                                                                                                               190 Entretien n° 11 avec Guy Labertit, ancien responsable du Parti Socialiste Français et ami de Laurent Gbagbo, annexe n° 12. 191 Entretien n°9, annexe n°10. 192 Entretien n° 11 avec Guy Labertit, ancien responsable du Parti Socialiste Français et ami de Laurent Gbagbo, annexe n° 12 193 CPI, Chambre préliminaire I, Le procureur contre Laurent Gbagbo - Troisième décision sur la révision de la détention de Laurent Gbagbo en vertu de l’article 60(3) du Statut de Rome, 11 juillet 2013, ICC-02/11-01/11.

  54  

valeurs anti néo-colonialistes dont ils se réclament. Ils considèrent la CPI comme l’outil par

excellence de la « justice des blancs » destiné à maintenir leur contrôle sur l’Afrique. De fait,

il est vrai qu’aucun « blanc » n’a jamais été inquiété par la CPI. Même si le bureau du

procureur examine la situation de la Colombie, de l'Afghanistan, de la Géorgie et du

Honduras, aucune affaire n'a été ouverte dans ces pays. Les huit enquêtes en cours ne

concernent que le continent africain, et les cinq détenus de la CPI sont tous des Africains194.

Des critiques peuvent être émises à juste titre contre la CPI, qui devrait ouvrir des enquêtes

sur d’autres continents pour gagner en crédibilité vis-à-vis des Africains. Mais, comme le note

Pascal Airault195, dans l’affaire Gbagbo, la décision des juges de la CPI atteste d’une plus

grande indépendance qu’il n’y paraît, face à une coalition d’intérêts politiques par les grandes

puissances occidentales dont la procureure Fatou Bensouda serait le bras armé, puisqu’ils

n’ont pas confirmé les charges pour le moment, quitte à remuer les critiques vis-à-vis de sa

procureure196.

Les prochaines étapes du « procès Gbagbo » à la CPI seront décisives pour la réconciliation

en Côte d’Ivoire et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, dans l’hypothèse d’une

confirmation des charges qui mènerait alors au procès, on peut aisément s’attendre à ce que

les personnes qui le supportent activement aujourd’hui se mobilisent, tout comme le reste de

« son peuple », discret aujourd’hui, mais qui continue de subir chaque jour les conséquences

de la défaite de leur leader et qui le vivent comme une injustice. Il en sera de même en cas de

condamnation. On peut alors prédire de nouvelles violences qui éloigneraient la Côte d’Ivoire

de la réconciliation. Dans l’hypothèse d’un abandon des charges, comme nous l’avons évoqué

plus haut, l’émulation que cela provoquerait au sein de la population ivoirienne pourrait

également remettre en cause le relatif calme retrouvé, car d’une part, les plus fervents soutiens

de Laurent Gbagbo célèbreraient la victoire tant espérée, mais d’autre part un nouveau

sentiment d’injustice pourrait naître chez les victimes. La question de savoir si la libération et

l’abandon des charges contre Laurent Gbagbo favoriserait le processus de réconciliation a

donc une réponse moins évidente qu’il n’y paraît, même si les entretiens menés avec ses

partisans ont fait ressortir qu’une libération et un abandon des charges favoriserait

l’acceptation du processus de réconciliation proposé par Alassane Ouattara par eux-mêmes et

par l’ensemble du peuple ivoirien. Le destin de la Côte d’Ivoire reste pour eux foncièrement

lié au destin de Laurent Gbagbo, et certains n’envisagent même aucune réconciliation                                                                                                                194 AIRAULT PASCAL, « Côte d’Ivoire-CPI : Gbagbo ou le bénéfice du doute», JeuneAfrique.com, 14 juin 2013, consulté le 16 juin 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2735p010-012.xml0/ 195 Pascal Airault est journaliste à Jeune Afrique et spécialiste de la Côte d’Ivoire. 196 AIRAULT PASCAL, « Côte d’Ivoire-CPI : Gbagbo ou le bénéfice du doute», op. cit.

  55  

possible sans lui197. Le culte de la personnalité de l’ancien président- dénoncé par certains qui

se sont d’ailleurs éloignés du FPI pour cette raison- est toujours très présent chez de

nombreux militants, et notamment chez les plus radicaux, qui n’envisagent aucun avenir à la

Côte d’Ivoire sans Laurent Gbagbo, et a fortiori aucun avenir au FPI198. La question de

l’avenir de Laurent Gbagbo est étroitement liée à celui du FPI. Et pourtant, la majorité des

personnes interviewées, principalement les militants du FPI de longue date, pense que le parti

doit poursuivre son combat sans Gbagbo, et affirme avoir adhéré au FPI pour les valeurs et les

idées que porte le parti. Ils souhaitent continuer à défendre son existence, conformément aux

instructions que Gbagbo avait données aux militants lors de son arrestation. Cela révèle

d’importantes divergences d’opinion et de vision de l’avenir entre la frange la plus radicale

des soutiens de Gbagbo, et le FPI dont la direction semblerait plus encline à aller de l’avant

mais se retrouve bloquée par des éléments plus radicaux.

2. Des doutes émis quant à la volonté de rétablir la vérité

Les doutes émis quant à la volonté du gouvernement de rétablir la vérité sont nés de son

refus de l’amnistie (a) et du manque d’efficacité de la CDVR (b).

a. De la mise en cause du refus d’amnistier

Si Alassane Ouattara n’a eu de cesse de répéter son engagement contre l’impunité en Côte

d’Ivoire, il n’a cependant pas exclu de reparler de la question du vote d’une loi d’amnistie

après que l’ensemble des personnes aient été jugées, donc au stade de l’exécution des peines.

Du côté des partisans de Laurent Gbagbo, la décision d’Alassane Ouattara d’exercer des

poursuites contre les personnes ayant commis des crimes graves durant la crise postélectorale

est largement dénoncée. Mais si la position officielle du FPI est de demander une amnistie

générale, comme l’avait fait Laurent Gbagbo à la suite du coup d’Etat de 2002 et des Accords

de Marcoussis199, les rencontres avec les partisans ont révélé des réponses plus nuancées sur

cette question.

D’abord, il est ressorti des entretiens le débat traditionnel sur l’incompatibilité entre l’objectif

punitif de la justice pénale et l’objectif de vérité. Cette incompatibilité minerait le processus

                                                                                                               197 Entretien n°2, annexe n°3 ; Entretien n°4, annexe n°5. 198 Entretien n°4, annexe n°5; Entretien n°8, annexe n°9. 199 BOUQUET CHRISTIAN, Côte d’Ivoire, Le désespoir de Kourouma, op. cit., p. 131.

  56  

de réconciliation ivoirien200. La recherche de la vérité serait incompatible avec des poursuites

pénales puisque le risque de se voir appliquer une sanction pénale n’inciterait pas à dévoiler la

vérité sur les crimes graves qui ont été commis. La crainte de la sanction empêcherait à la

personne soupçonnée d’avoir commis des crimes et à certains témoins de parler. Dans le

contexte d’une politique de réconciliation, la justice pénale ferait obstruction au

rétablissement de la vérité et serait contradictoire avec l’objectif même de réconciliation.

Plusieurs des personnes interrogées ont évoqué l’exemple de la réconciliation sud-africaine

qui constitue pour eux une réussite dont la Côte d’Ivoire devrait s’inspirer, notamment sur le

choix de l’amnistie201. En effet, la Truth and Reconciliation Commission (TRC) accordait

l’amnistie aux responsables des crimes politiques sous condition de la révélation de la

vérité202.

En réalité, la justice punitive et les commissions de vérité, sont souvent complémentaires dans

le cadre d’une politique de réconciliation. Ce sont des approches combinées qui sont souvent

retenues203, car l’une et l’autre ne se suffisent pas à elle même pour atteindre l’objectif de

réconciliation. La justice participe certes du processus de réconciliation mais elle n’est pas

suffisante. Elle contribue à l’établissement des faits et à l’identification des victimes et des

coupables mais sa seule finalité est de juger afin de rétablir le droit et les normes, alors qu’une

politique de réconciliation nécessite de surcroit de reconnaître les victimes, d’honorer la

mémoire, de travailler sur la non répétition, et enfin, de s’adonner à sa mission première :

réconcilier. Cependant, la justice est le seul moyen qui permette de faire que les crimes

commis ne restent pas impunis. La justice n’est donc pas incompatible avec la recherche de la

vérité. Au contraire, le plus souvent, elle y contribue et n’a pas besoin que l’auteur du crime

reconnaisse ses fautes puisque c’est elle qui se chargera de l’établir. L’établissement de la

faute se confond dès lors avec l’établissement d’une vérité individuelle et contribue à

l’établissement d’une vérité historique. Il ne semble donc y avoir aucune incompatibilité entre

justice et vérité au sens où l’entendent les partisans de Laurent Gbagbo.

Certes, on a pu observer par le passé que les commissions de vérité pouvaient représenter une

forme de justice alternative se substituant aux poursuites204. Par exemple, lors des transitions

vers la paix et la démocratie en Amérique latine dans les années 1980, il est vrai que des                                                                                                                200 Entretien n° 11 avec Guy Labertit, ancien responsable du Parti Socialiste Français et ami de Laurent Gbagbo, annexe n° 12 201 Entretien n°7, annexe n°8. 202 LEFRANC SANDRINE, « Les commissions de vérité : une alternative au droit ? », Droit et cultures, 2008/2,

n°56, p. 129-145 ;  ROSS AMY, LACHARTRE BRIGITTE, « Les politique de vérité ou la vérité sur les politiques –

Amérique Latine et Afrique du Sud : Leçons d’expériences », Politique africaine, 2003/4, n°92, pp. 18-38.  203 HARTMANN FLORENCE, « Juger et pardonner des violences d’Etat : deux pratiques opposées ou complémentaires ? », Revue Internationale et Stratégique, hiver 2012, n° 88, p. 67-80. 204 LEFRANC SANDRINE, « Les commissions de vérité : une alternative au droit ? », op.cit.

  57  

amnisties ont été décidées et que des commissions de vérité se sont substituées aux poursuites

pénales. Mais il s’agissait moins d’un réel choix ou d’une incompatibilité entre poursuites

pénales et recherche de la vérité, que d’un compromis politique. Les compromis politiques

entre les gouvernements dictatoriaux sortants et les gouvernements de transition démocratique

ont la plupart du temps rendu nécessaire l’abandon des poursuites judiciaires contre les

premiers et le vote d’une loi d’amnistie. Les anciens dirigeants étaient souvent encore

protégés par des accords politiques, des clauses constitutionnelles, des ressources

économiques ou par leur légitimité subsistante auprès des populations, faisant planer une

certaine menace sur la stabilité des régimes de transition démocratique205. Une autre raison

peut justifier le choix de l’amnistie par un gouvernement de transition démocratique, qui se

trouve moins dans l’impuissance du nouveau pouvoir que dans l’indisponibilité de la

justice206. Il faut donc là aussi remettre dans leur contexte chaque décision d’amnistier. En

Côte d’ivoire, cette indisponibilité de la justice a été observée juste après la crise et

l’observation est encore valable, même si des progrès ont été notés. Cette indisponibilité de la

justice résulte de l’inadaptation du droit rendant certaines poursuites impossibles, en raison de

l’absence d’incrimination par le droit, ou rendant certaines poursuites peu respectueuses des

droits de l’Homme de par les disfonctionnements structurels de la justice. Elle résulte

également du manque d’indépendance des autorités judiciaires vis-à-vis du nouveau

gouvernement, renforçant l’indignation face à une « justice des vainqueurs ». Les réformes du

système judiciaire sont donc nécessaires pour envisager de poursuivre l’ensemble des

personnes qui ont commis des crimes graves. Or, c’est bien cet argument qui ressort chez les

partisans de Laurent Gbagbo qui plaident en faveur d’une amnistie générale. Dès lors, cette

demande d’amnistie est moins liée à une volonté d’abandon des poursuites qu’au fait que

seuls les partisans de l’ancien président sont poursuivis. En effet, près de la moitié des

personnes interrogées ont clairement exprimé leur rejet de l’impunité207. Ils considèrent que

tout le monde doit être jugé au même titre, si des exactions ont été commises par les deux

camps, afin de rendre justice aux victimes et à leur famille et afin d’éviter la répétition de ces

crimes. La demande d’amnistie générale intervient donc parce qu’actuellement, la justice

ivoirienne révèle des dysfonctionnements et une partialité flagrante.

Quant à l’évocation de l’exemplarité de l’amnistie sud-africaine, cette dernière doit être

remise dans son propre contexte et d’ailleurs, le choix de l’amnistie conditionnelle208 a fait

l’objet de nombreuses critiques. La distinction entre crime « pour motif politique » et crime

                                                                                                               205 Ibid. 206 Ibid. 207 Entretien n°1, annexe n°2 ; Entretien n°4, annexe n°5; Entretien n°6, annexe n°7 ; Entretien n°9, annexe n°10. 208 LEFRANC SANDRINE, Politiques du Pardon, PUF, 2002, Paris, 368 p., p. 57-58.

  58  

« pour motif criminel », rendant les seuls « acte(s) lié(s) à un objectif politique » amnistiables

a des frontières qui sont sujettes à débats209. Cette distinction a été très difficile à appliquer.

De plus, elle n’était pas une amnistie générale comme le demandent les partisans de Laurent

Gbagbo, mais une amnistie au cas par cas. Mais surtout, si l’on peut toujours trouver des

points communs à ces deux situations, il reste que l’Apartheid était un contexte aussi

particulier que celui de la Côte d’Ivoire, et comparables en peu de choses.

Le refus de l’amnistie par le gouvernement Ouattara irait contre la bonne volonté de

réconcilier, et il ferait obstruction au rétablissement de la vérité, alors que la CDVR manque

elle même d’efficacité.

b. De l’inefficacité de la CDVR

De nombreuses critiques ont été émises contre la CDVR par les partisans de Laurent

Gbagbo. Mais ces critiques ne portent pas sur l’existence de cet instrument. En effet,

reprenant l’exemple de la TRC, les partisans de Laurent Gbagbo semblent adhérer à la mise

en place de ce type d’instruments. Le choix de l’exemple de la TRC n’est pas surprenant,

parce qu’elle reste l’une des commissions de vérité les plus connues et notamment en Afrique,

mais aussi parce que son travail a été fortement médiatisé. La tenue des auditions en public a

marqué les esprits. Les témoignages percutants des victimes et l’écoute empathique de la

souffrance, lui ont souvent valu les surnoms de « tribunal des larmes » ou de « Commission

Kleenex ». Le célèbre archevêque Desmond Tutu, président de la TRC ainsi que les autres

chefs religieux présents durant les auditions appelaient à la prière, allumaient des bougies

mémorielles ou encore chantaient des hymnes symboliques. Ils laissaient donc une place

importante au rite et à la dimension religieuse, afin de permettre le deuil et la catharsis210. Or,

de nombreux partisans de Laurent Gbagbo se reconnaissent dans le type de pratiques

employées par la TRC, en ce qui concerne d’abord la place donnée au rite dont on connaît

l’importance au sein de la religion chrétienne et au sein de l’Eglise évangéliste, religion

épousée par l’ancien couple présidentiel, en particulier par Simone Gbagbo et par beaucoup

de ses partisans. De plus, la position dans laquelle choisissent de se situer beaucoup de

partisans de Laurent Gbagbo est celle de victime, que l’on peut rapprocher de celle de

martyre. Les évangélistes n’ont d’ailleurs pas hésité à qualifier le couple présidentiel de

martyres chrétiens après leur arrestation.

                                                                                                               209 SIMPSON GRAEME, « Amnistie et crime en Afrique du Sud après la Commission « Vérité et réconciliation », Cahiers d’études africaines, 2004, n°173-174, p. 99- 126. ; LEFRANC SANDRINE, Politiques du Pardon, op.cit., p. 64-73. 210 LEFRANC SANDRINE, Politiques du Pardon, op.cit., p. 60-64.

  59  

Les critiques faites à la CDVR portent donc surtout sur son fonctionnement et sur le travail

qu’elle a accompli depuis sa création. Les partisans de Laurent Gbagbo ne semblent accorder

aucun crédit ni aucune confiance à cette institution. Ils la qualifient tous sans exception

d’instrument de réconciliation de façade. Guy Labertit, par exemple, a qualifié cette

institution de « CaDaVRe » qui est « morte née »211 ! Premièrement, parce que pour les

partisans de Laurent Gbagbo, l’exercice des poursuites contre des personnes de leur camp est

contradictoire avec l’idée même de réconciliation pour laquelle cette institution a été créée.

On en revient ici à l’idée développée plus haut de l’incompatibilité entre d’un côté, l’exercice

de poursuites pénales et de l’autre côté, le rétablissement de la vérité et la réconciliation,

argument dont nous avons déjà mis en avant les limites. L’action de la CDVR est donc court-

circuitée par l’exercice des poursuites pénales.

Une seconde critique émanait concernant son caractère impartial. Même si cette commission

est une autorité administrative indépendance, sa composition est telle qu’elle ne pourrait

exercer son travail en toute impartialité, puisqu’un seul membre du FPI a été nommé au titre

de commissaire central. Le choix des commissaires centraux a été fait pour qu’il y ait un

représentant de chaque région, donc selon un découpage géographique, préféré au découpage

selon l’affiliation partisane. Le président, Charles Konan Banny, ancien premier ministre, est

membre du PDCI et fait donc partie de la majorité au pouvoir du fait de l’alliance du RHDP.

Le seul commissaire central affilié au FPI est l’universitaire Sery Bailly, représentant de la

région de l’Ouest. Le choix des membres selon un découpage territorial aurait engendré une

composition non équilibrée et en faveur du gouvernement actuel. Mais si un seul des

membres est affilié au FPI, cela signifie-t-il pour autant que les autres membres de la CDVR

sont forcément du côté d’Alassane Ouattara, et quand bien même, cela signifie-t-il que ces

membres manqueraient automatiquement, du fait de leur affiliation politique, à leur devoir

d’impartialité? Nous n’avons que peu de moyens de vérification de l’impartialité des

membres de la commission, puisque son action a été jusqu’à aujourd’hui très limitée.

Une autre critique a été celle de la mise à disposition de moyens financiers insuffisants pour

accomplir sa mission et qui aurait contribué à la lenteur de l’avancée des travaux de la

commission, puisque son mandat s’achèvera en septembre 2013 alors que les auditions des

victimes n’ont pas encore eu lieu. Le gouvernement n’a doté la CDVR que de 2,5 milliards de

francs CFA par an, alors que le nouveau Programme National de Cohésion Sociale (PNCS),

considéré comme l’institution gouvernementale programmant l’extinction en douceur de la

CDVR, a été doté de 7 milliards de francs CFA. S’il est vrai que les retards conséquents des

                                                                                                               211 Entretien n° 11 avec Guy Labertit, ancien responsable du Parti Socialiste Français et ami de Laurent Gbagbo, annexe n° 12

  60  

travaux de la CDVR sont liés à des moyens financiers insuffisants mis à sa disposition, alors

le gouvernement devrait se justifier sur cette décision pour éteindre les rumeurs. Il en est de

même concernant les accusations portées contre lui de vouloir court-circuiter l’action de la

CDVR avec le PNCS. En effet, ce programme, qui a été officiellement lancé en mai 2013, a

des missions qui, de prime abord, semblent se confondre avec celles de la CDVR. Même si la

responsable et coordonnatrice du programme, Mariétou Koné, a déclaré que son programme

ne venait pas remplacer la CDVR mais bien la renforcer et la compléter pour instaurer une

« paix durable » par des projets de solidarité et des actions de développement, elle a dans le

même temps affirmé que son programme était en capacité de reprendre à son compte le travail

de la CDVR si son mandat n’était pas renouvelé212. Dans d’autres interviews, elle déclare que

le PNCS a principalement pour mission de coordonner l’ensemble des actions en faveur de la

cohésion sociale, comprenant également les activités de la CDVR…en définitif rien n’est

clair…Voyant ses apparitions publiques auprès de la population ainsi que les annonces de

partenariats se multiplier alors que la CDVR fait preuve d’une grande discrétion, cela jette

donc un flou sur le rôle de chacun et vient conforter les critiques émises par le FPI concernant

l’absence de volonté du gouvernement de donner les moyens à la CDVR de faire son travail

de vérité et de l’évincer quelques mois avant la fin de son mandat, au profit de cette nouvelle

institution dirigée et coordonnée par le gouvernement. Dans son rapport sur la situation des

droits de l’Homme en Côte d’Ivoire213, l’expert indépendant des Nations Unies a d’ailleurs

recommandé au gouvernement ivoirien de clarifier les mandats respectifs de la CDVR et de

ce programme, et de veiller à la coordination de leurs activités et moyens.

La CDVR manque donc de légitimité à la base et son inefficacité n’a rien fait pour

contrecarrer cette première faiblesse. La volonté de rétablissement de la vérité est mise en

doute au même titre qu’est dénoncée la « justice des vainqueurs », emportant des

conséquences bien visibles sur la vie politique ivoirienne.

B. Des conséquences de la « justice des vainqueurs » sur la vie politique

Dénonçant une « justice des vainqueurs », les partisans de Laurent Gbagbo posent des

conditions à la reprise du dialogue politique et à la participation au processus de réconciliation

(1) et ont jusqu’à présent boycotté les élections (2).

                                                                                                               212 Interview de Mariétou Koné pour Jeune Afrique : « Mariétou Koné : « l’Ivoirien doit penser Côte d’Ivoire avant tout » », jeuneafrique.com, 14 juin 2013, consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130614140747/laurent-gbagbo-alassane-ouattara-reconciliation-nationale-cote-d-ivoiremariatou-kone-l-ivoirien-doit-penser-cote-d-ivoire-avant-tout.html 213 Assemblée générale des Nations Unies, « Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène », op.cit.

  61  

1. Des conditions posées à la reprise du dialogue politique et à la participation au processus de réconciliation

Les partisans de Laurent Gbagbo demandent la libération de l’ensemble des personnes

de leur camp. Ils dénombrent près de 700 partisans 214 de Laurent Gbagbo qui sont

emprisonnés et qu’ils considèrent comme des « prisonniers politiques »215. Leur libération

constitue la condition impérative d’une éventuelle reprise du dialogue et de la participation

active au processus de réconciliation. Mais les entretiens menées depuis Paris ont révélé deux

tendances. Alors que certains n’envisagent de participation à l’effort de réconciliation

nationale qu’à la condition que tous les prisonniers politiques soient libérés, d’autres sont plus

nuancés et demandent un « effort », un pas en avant, de la part du gouvernement, c’est-à-dire

la libération de certains des prisonniers afin d’apaiser le climat de tensions. Un des militants

du FPI interviewé disait en ce sens que la demande de libération des prisonniers politiques

doit être raisonnable et acceptable par le gouvernement216.

La pratique d’une justice des vainqueurs reste l’un des points de crispation principal qui mine

l’avancée du processus de réconciliation. Le gouvernement de Ouattara, qui a été miné par les

critiques à ce sujet, semble avoir fait un pas en avant au cours des derniers mois, puisque la

justice ivoirienne a prononcé la libération provisoire de quatorze proches de l’ancien président

le 5 août dernier217, et non des moindres puisqu’il s’agissait de son fils, Michel Gbagbo, du

président du FPI, Pascal Affi N’Guessan, de plusieurs cadres du FPI, ministres et députés, et

du secrétaire général des Jeunesses du Front Populaire Ivoirien, Justin Koua, dont l’arrestation

avait été l’objet de vives polémiques en juin dernier218. Ainsi, Alassane Ouattara a fait un pas

en avant qui laisse planer l’espoir d’un apaisement des relations avec le FPI et pourrait

                                                                                                               214 KPATINDE FRANCIS, « Le Front populaire ivoirien affirme compter près de 670 partisans détenus en Côte d’Ivoire », rfi.fr, 12 avril 2013, consulté le 29 avril 2013, disponible sur : http://www.rfi.fr/afrique/20130412-cote-ivoire-rapport-fpi-situation-detenus

215 « 704 prisonniers politiques encore détenus dans les geôles du régime Ouattara », Notre voie, ivoirebusiness.net, 9 août 2013, consulté le 10 septembre 2013, disponible sur : http://www.ivoirebusiness.net/?q=articles/malgr%C3%A9-la-lib%C3%A9ration-de-12-pro-gbagbo-704-prisonniers-politiques-encore-d%C3%A9tenus 216 Entretien n°1, annexe n°2. 217 BAUDELAIRE MIEU, « Pascal Affi N’Guessan, président du FPI, et Michel Gbagbo remis en liberté provisoire », jeuneafrique.fr, 5 août 2013, consulté le 5 août 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130805152510/ 218 La liste complète des personnes mises en liberté provisoire le 5 août 2013(source interne du FPI) : Affi N’Guessan Pascal (Président du FPI et directeur de campagne de Laurent Gbagbo) ; Gbagbo Michel (fils de Laurent Gbagbo) ; Lida Kouassi Moïse (Ministre) ; Dacoury-Tabley Phillipe Henri (gouverneur de la BCEAO) ; Djedje Alcide (Ministre des Affaires étrangères) ; Obodji Séka (Directeur général du Centre Régional des Oeuvres Universitaires d’Abidjan) ; Sokouri Bohui Martin (député) ; Bro-Grebe Geneviève (présidente des Femmes patriotes) ; Kuyo Tea Narcisse (Chef de cabinet) ; Douati Alphonse (Secrétaire adjoint du FPI) ; Koua Justin (Secrétaire général des Jeunesses du FPI) ; Sangare Aboudramane (1er vice Président du FPI) ; Djro Nomel ; Konandi Kouakou (Colonel).

  62  

permettre une reprise du dialogue politique. Cela constituerait donc un pas en avant pour la

réconciliation. Mais, si le FPI a déclaré à la suite de ces libérations qu’il s’agissait en effet

d’une avancée, de nombreux partisans de l’ancien président restent encore emprisonnés sans

avoir eu de procès. Rappelons aussi que Simone Gbagbo, la femme de l’ancien président,

sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par la CPI et auquel le gouvernement

ivoirien n’a pas encore donné suite, est toujours en résidence surveillée dans le Nord du pays.

Laurent Gbagbo reste encore emprisonné et sous le coup d’un procès criminel international.

Pour la frange la plus radicale de ses partisans, l’engagement dans un quelconque dialogue est

inenvisageable. De profonds efforts pour remédier aux accusations de mettre en place une

« justice des vainqueurs » n’ayant pas été faits jusqu’aux dernières élections, le FPI a choisi

de boycotter les élections.

2. Le boycott des élections par le FPI

Le FPI a boycotté les trois dernières élections afin de dénoncer cette « justice des

vainqueurs » et en vue d’obtenir la libération de tous leurs partisans. Il a d’abord boycotté les

élections législatives qui se sont déroulées fin 2011, puis les élections locales (communales et

régionales) qui se sont déroulées au mois d’avril 2013. Le choix de cette stratégie politique est

la réponse donnée au refus d’acceptation par le gouvernement des conditions posées par le

FPI, principalement, celle de la libération des partisans de Laurent mais également le

rétablissement de l’Etat de droit et des conditions de sécurité sur le territoire. Il est, selon eux,

le moyen le plus adapté pour contester la politique gouvernementale vis-à-vis des partisans de

Laurent Gbagbo, les injustices et la répression dont ils font l’objet. Le « boycott actif » aurait

d’abord permis au FPI de maintenir l’attention de la communauté internationale sur la

situation de la Côte d’Ivoire afin que celle-ci soit témoin du sort réservé à leurs partisans. Elle

aurait également servi de test de popularité au FPI. Le fort taux d’abstention observé au cours

de ces trois élections serait étroitement lié à l’appel au boycott par le FPI, et prouverait par

conséquent l’absence de légitimité du président actuel. Comme le dit en ce sens Willy Bla219,

président du CRI – Panafricain (Conseil pour la Résistance Ivoirienne et Panafricaine)220, « la

stratégie de boycott a servi de baromètre. Ce boycott actif a permis de montrer que le FPI était

un parti bien implanté car il y a eu un grand pourcentage d’abstention. Elle a donc été

efficiente pour démontrer que le FPI était largement soutenu puisqu’aux dernières élections,

                                                                                                               219 Entretien n°10, annexe n°11. 220 Le CRI – Panafricain est une organisation de la société civile qui se décrit comme un mouvement politique de protestation contre la recolonisation de l’Afrique. Il a pour objectif premier la libération du Président Laurent Gbagbo, son épouse Simone Gbagbo, les membres de sa famille et l’ensemble des prisonniers politiques.

  63  

on a parlé de désert électoral. Ceux qui n’ont pas voté sont acquis pour Laurent Gbagbo. Cela

a été le miroir grossissant de la réalité électorale ». Le taux d’abstention correspondrait donc

aux voix acquises au FPI. Mais cet argument a des limites. En effet, comme l’a relevé

Christian Bouquet dans un interview pour L’Express221 après les élections législatives du 11

décembre 2011, le fort taux d’abstention relevé n’était pas seulement lié à l’appel au boycott

par le FPI mais probablement plus au climat d’insécurité régnant au sein de la population

ivoirienne. En effet, ces élections législatives avaient été organisées seulement quelques mois

après la fin de la crise. Mais le climat s’étant apaisé depuis les élections législatives de fin

2011, les dernières élections locales et régionales organisées en avril 2013 ont permises de

mieux analyser l’impact de l’appel au boycott par le FPI sur le taux d’abstention. Selon

Christian Bouquet, dans un interview pour France 24 en réaction aux résultats des élections

locales222, le boycott par le FPI n’a pas eu beaucoup d’influence, d’autant plus que certains

des membres du FPI s’étaient présentés en tant qu’indépendants. Or, les indépendants sont

arrivés en tête de ces dernières élections locales. De plus, de manière générale en Côte

d’Ivoire, les élections locales attirent moins que les élections nationales. Pour l’expert

indépendant des Nations Unies, le bilan de ces élections est d’ailleurs plutôt positif malgré le

boycott du FPI. En ce sens, il notait que : « La non-participation du FPI, bien que regrettable

sur son principe, signale l’urgence d’un pluralisme démocratique inclusif fondé sur la réalité

et la vitalité de partis politiques démocratiques. Même si un certain nombre s’est réaligné

après les résultats sur des partis traditionnels, la montée en puissance des indépendants au

cours de ces élections peut s’expliquer comme un indicateur de la vitalité démocratique

renaissante de ce pays et d’un processus dynamique de recomposition politique des partis

politiques »223. Dès lors se pose donc la question de l’utilité de cette stratégie ? Certes, elle a

permis de relayer auprès de la communauté internationale la dénonciation de « justice des

vainqueurs » au même titre que l’ont fait les ONG de défense des droits de l’Homme. Peut-

être a-t-elle permis de maintenir une certaine pression sur le gouvernement Ouattara, mais le

FPI y perd plus qu’il n’y gagne. Il y perd la possibilité de représenter le parti leader de

l’opposition au gouvernement. De fait, il l’est déjà. Mais sa place n’a pas été validée par les

                                                                                                               221 BOUQUET CHRISTIAN, « Côte d’Ivoire : « Ouattara devra ramener les pro- Gbagbo dans le jeu politique » », L’Express.fr, 14 décembre 2011, consulté le 25 janvier 2013, disponible sur : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/cote-d-ivoire-ouattara-devra-ramener-les-pro-gbagbo-dans-le-jeu-politique_1061675.html?xtmc=c%F4te_d\'ivoire_r%E9conciliation&xtcr=7 222 BOUQUET CHRISTIAN, « Élections locales : « la population ivoirienne est lasse des crises à répétition » » (interview de C. Bouquet), France 24.com, 24 avril 2013, consulté le 26 juin 2013, disponible sur : http://www.france24.com/fr/20130424-elections-locales-cote-divoire-municipales-regionales-gbagbo-ouattara-violences 223 Assemblée générale des Nations Unies, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène, op.cit.

  64  

urnes, ce qui lui hôte une certaine crédibilité sur la scène politique puisqu’il lui manque une

réelle légitimité démocratique post-crise.

Cette stratégie de boycott ne cacherait-elle pas une autre réalité qui est celle des problèmes

internes auxquels doit faire face le FPI ? Certains des militants interrogés ont en effet évoqué

les difficultés du parti à se réorganiser après la défaite, alors que de nombreux cadres du parti

sont en prison ou en exil, que leurs biens ont été confisqués et que les candidats potentiels

restant ont peur de la répression224. En ce sens, c’est bien l’incapacité qui serait la première

raison du boycott. Ceux-là considèrent que le FPI était dans l’incapacité de présenter

quelqu’un dans ces conditions, dans la mesure où il ne restait au FPI que très peu de candidats

potentiels ayant une chance de remporter des élections. Cela signifie que même s’ils avaient

voulu présenter des candidats aux élections, ils ne pouvaient pas le faire. Ainsi, la stratégie du

boycott peut être vue comme un moyen de ne pas prendre le risque de perdre de poids sur la

scène politique. Le FPI est en effet aujourd’hui considéré par tous comme le principal parti

d’opposition. Face à la coalition du RHDP en déliquescence permanente à en juger les

résultats des dernières élections, il est inenvisageable pour le FPI de participer à des élections

sans que les candidats soient de taille à lui apporter des résultats honorables. Et pourtant,

l’apprentissage des règles de la démocratie multipartite passe bien par là. Il implique

nécessairement la participation aux élections ; élections qui sont l’essence même de la

démocratie représentative et le moyen d’asseoir sa légitimité, même en tant que parti

d’opposition.

Ainsi, le FPI devra finir par accepter de prendre le risque du résultat des urnes. Le prendra-t-il

pour les prochaines élections prévues en 2015 qui ne sont autres que les élections

présidentielles ? La frange la plus radicale semble pour le maintien de la stratégie de boycott

en cas de refus du gouvernement d’accéder aux demandes formulées par le FPI225. Mais

surtout, ils ne voient aucun autre candidat que Laurent Gbagbo lui-même. Pourtant, il paraît

peu probable que le FPI ne présente pas de candidat aux prochaines élections présidentielles,

et s’il le faisait, cela constituerait une grave erreur de stratégie politique. Rester trop

longtemps loin des urnes n’a jamais été bon pour la popularité d’un parti politique. Les

justifications avancées par le camp de Laurent Gbagbo perdent de leur conviction face à un

gouvernement qui, depuis quelques mois, multiplie les mesures visant à renverser les

accusations de pratiquer «une justice des vainqueurs ». Mais les limites de la réconciliation

ivoirienne ne portent pas que sur ce point. Elles sont aussi des limites contextuelles révélant

un manque de confiance généralisé envers le gouvernement.                                                                                                                224 Entretien n°5, annexe n°6; Entretien n°9, annexe n°10. 225 Entretien n°4, annexe n°5 ; Entretien n°6, annexe n°7 ; Entretien n°8, annexe n°9 ; Entretien n°10, annexe n°11.

  65  

Sous-partie 2 :

Les limites contextuelles -

Du manque de confiance généralisé

Les limites contextuelles de la réconciliation ivoirienne sont visibles dans la

dénonciation des problèmes sécuritaires (A) et dans l’observation de risques potentiels de

répétition des crises (B). Elles démontrent, entre autres, un manque de confiance généralisé,

envers l’ensemble des institutions et au sein de la société.

A. De la dénonciation des problèmes sécuritaires

De nombreux problèmes sécuritaires sont dénoncés par les partisans de Laurent

Gbagbo au premier rangs desquels la « chasse » qui est opérée contre les « pro-Gbagbo » (1).

Sont également dénoncés les atermoiements autour de la reprise du contrôle sur les forces

armées (2) et enfin l’impossible retour des déplacés et des réfugiés (3).

1. La « chasse aux pro-Gbagbo »

Au premier rang des problèmes sécuritaires dénoncés : une « chasse aux pro-

Gbagbo ». La plupart des personnes interrogées, qui résident en France depuis de nombreuses

années, y ont construit leur vie et y ont même souvent acquis la nationalité. Ils participent

donc à la vie politique de la Côte d’Ivoire en tant que membres de la diaspora, ne se rendant

en Côte d’Ivoire que pour des courts séjours, au mieux quelques semaines par an. Ils ont tout

de même émis des réserves quant au fait de s’y rendre, du fait des garanties de sécurité

insuffisantes pour les partisans de l’ancien président et pour les personnes issues de certaines

ethnies. Certains ont émis plus que de simples réserves en disant qu’il était pour eux

impossible de s’y rendre. Ils dénoncent une « chasse » ouverte contre les partisans de Laurent

Gbagbo et contre les populations issues d’ethnies assimilées gbagboistes, et demandent des

garanties de sécurité. Force est de constater que les rapports d’ONG vont dans leur sens.

Amnesty International et Human Rights Watch rapportaient ainsi la répression opérée par les

Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) et la police militaire contre les partisans de

Laurent Gbagbo : « Les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, armée nationale) et la

police militaire se sont rendues responsables de nombreuses violations des droits humains en

  66  

arrêtant et détenant des individus en dehors de tout cadre légal sur des bases souvent

ethniques et politiques. Ces exactions ont été rendues possibles par la prolifération de lieux

de détention non reconnus comme tels où des individus soupçonnés de tentative d’atteinte à la

sûreté de l’État ont été détenus au secret, parfois pendant de longues périodes et dans des

conditions inhumaines et dégradantes. Beaucoup ont été torturés et certains ont été remis en

liberté contre le paiement de rançons. (…) Si les arrestations de partisans avérés ou

présumés de Laurent Gbagbo n’ont jamais vraiment cessé depuis l’arrestation de l’ancien

président en avril 2011, elles se sont multipliées suite à la recrudescence des attaques menées

en 2012»226.

Ces vagues de répression seraient intervenues, selon le gouvernement d’Alassane Ouattara, en

représailles à des attaques armées menées sur le territoire, et pour la plupart lancées des pays

frontaliers, notamment du Libéria, par des partisans de Laurent Gbagbo227. Les accusations du

gouvernement actuel concernant les attaques armées ont été confortées par le Groupe

d’experts des Nations Unies sur la Côte d’Ivoire228. Certains partisans de Laurent Gbagbo

sont également accusés par le gouvernement d’avoir tenté d’organiser des coups d’Etat. La

répression a donc été justifiée par le gouvernement au nom de la sécurité. Le FPI a

constamment réfuté ces accusations d’attaques armées et de tentatives de coup d’Etat, et a

renvoyé l’accusation au gouvernement actuel. Les responsabilités dans ces vagues d’attaques

demeurent donc encore sujet à des controverses et la justification de répression au nom de la

sécurité en est d’autant plus affaiblie. Au delà des accusations mutuelles auxquelles se livrent

encore les deux camps, il convient de constater qu’Alassane Ouattara n’a pas encore relevé

tous les défis concernant le rétablissement de la sécurité sur le territoire, puisque ces

arrestations et détentions menées par les FRCI et la police militaire sont la plupart du temps

arbitraires. De plus, elles sont souvent suivies de privation de liberté prolongée en lieu non

officiel, d’actes de torture et mauvais traitement et autres violations des droits de l’homme

(atteinte à la vie, humiliations, agressions physiques et sexuelles…). Pour certaines au moins,

elles semblent avoir été justifiées uniquement en raison de leur sympathie, de leur affiliation

politique ou de leur appartenance ethnique229. Des actions de représailles ont également été

menées sur les populations en général sous la forme d’attaques et d’intimidations,

                                                                                                               226Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », Mars 2013, 86 p. 227 Ibid. 228 Ibid. 229 « Les populations dites « autochtones » (Bétés, Didas ou Guérés notamment) sont maintenant la cible d’attaques de la part des FRCI et des Dozos qui les accusent globalement d’être des partisans de Laurent Gbagbo, voire des miliciens armés impliqués dans les attaques menées contre des objectifs militaires ou stratégiques. » in Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit.

  67  

particulièrement dans la région de l’Ouest où les Dozos, chasseurs ancestraux constitués en

milice qui à longtemps protégé les populations dioulas, ont commis des violations des droits

de l’homme et des homicides contre des partisans de Laurent Gbagbo et contre des civils,

souvent uniquement parce qu’ils étaient présumés appartenir à une ethnie considérée comme

pro-Gbagbo230.

Ces problèmes sécuritaires sont liés, selon les partisans de Laurent Gbagbo, à un manque de

volonté de la part du gouvernement d’employer tous les moyens nécessaires pour reprendre le

contrôle de l’ensemble des forces armées.

2. Les atermoiements de la reprise du contrôle sur les forces armées

Tout d’abord, Alassane Ouattara n’a pas encore établi sa pleine autorité sur la nouvelle

armée nationale ivoirienne, les FRCI. Les FRCI sont encore en quête d’unité et de

légitimité231. Elles ont de fait largement outrepassé les prérogatives de maintien de l’ordre, et

en lieu et place de la police et de la gendarmerie. Composées en grande partie des combattants

du groupe rebelle Forces Nouvelles, soldats et « Comzones » 232 , mais également des

anciennes Forces de Défense et de Sécurité (FDS) de Laurent Gbagbo, ceux-ci n’ont pas

changé leurs vieilles habitudes sous leur nouvelle bannière commune. Ceci pose la question

de leur formation et de leur adaptation à une armée républicaine. De plus, les FRCI doivent

garder les « jeunes recrues » qui ont permis de prendre le dessus sur les forces de Laurent

Gbagbo, notamment lors de la bataille d’Abidjan en 2011, et d’autres qui avaient gonflé les

effectifs des forces de Gbagbo. La composition de ces jeunes recrues est donc très

hétéroclite233. Ces jeunes sont le plus souvent issus de quartiers populaires, se sont constitués

en gbonhi234 et ont ensuite participé aux violences miliciennes235. De nombreux repris de

justice ont également été intégrés aux FRCI, et dont on se souvient les pillages, vols et

braquages à la fin de la crise236. Ainsi, la composition de la nouvelle armée explique les

difficultés internes d’organisation et de hiérarchie, mais elle explique également les difficultés

                                                                                                               230 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit. 231 Ibid. 232 surnom donné aux commandants de zone des Forces Nouvelles. 233 FOFANA MOUSSA, « Des Forces nouvelles aux Forces Républicaines de Côte d’Ivoire », Politique africaine, 2011, n°122, p. 161- 178. 234 Le mot gbonhi signifie bande ou groupe en nouchi, l’argot des rues d’Abidjan. Sur le phénomène des gbonhi et la violence milicienne, voir : BANEGAS RICHARD, « La politique du « gbonhi ». Mobilisations patriotiques, violence milicienne et carrières militantes en Côte d’Ivoire », Genèses, 2010/4, n°81, p. 25-44. 235 BANEGAS RICHARD, « Reconstruction « post-conflit » -Violence et politique en Côte d’Ivoire », CERI, octobre 2012, consulté le 23 avril 2013, disponible sur : http://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/art_rb.pdf 236 FOFANA MOUSSA, « Des Forces nouvelles aux Forces Républicaines de Côte d’Ivoire », op.cit.

  68  

du chef de l’Etat à reprendre le contrôle sur celles-ci. À côté des FRCI, la police militaire, qui

a pour mission de lutter « contre le banditisme, les abus et autres exactions, exercés par tous

individus armés ou en tenue contre les populations sur toute l’étendue du territoire »237, a

quant à elle largement outrepassé cette mission en devenant un nouvel organe de répression.

La lenteur de la mise en œuvre du programme de démobilisation et de réintégration des

anciens combattants dans la société pourrait s’expliquer par le fait qu’Alassane Ouattara

semble ne plus savoir comment leur imposer de nouvelles règles et ne plus savoir quoi leur

proposer sans perdre leur soutien, alors que ceux-ci attendent la reconnaissance de leur rôle

fondamental dans la victoire armée du nouveau président. Le processus de démobilisation et

de d’intégration, qui avait été initialement prévu par les Accords de Marcoussis en 2003 pour

les rebelles enrôlés au sein des Forces Nouvelles238, et qui avait conduit à l’élaboration de

plusieurs programmes239, n’a donc toujours pas atteint ses objectifs240. Enfin, que faire des

mercenaires et des milices restantes qui n’ont pas intégré les forces régulières, telles que les

mercenaires libériens de Laurent Gbagbo ou le Dozos du côté d’Alassane Ouattara, qui pour

ces derniers, cherchent une reconnaissance de l’Etat241 ? L’idée qui a été proposée de leur

offrir des positions comme agents de prison, gardes forestiers et des préfectures, soit des

positions reconnues comme des supplétifs paramilitaires et risque de peu convenir à leurs

ambitions.

Enfin, l’utilisation abusive des armes demeure d’actualité242 et nécessite également un

règlement au plus vite afin de rétablir les conditions de sécurité. Ces armes ont servi depuis

2002 et ont alimenté le conflit ces douze dernières années. Elles ont servi à la perpétration

d’homicides et de nombreux massacres et continuent d’intimider et d’alimenter la peur des

populations locales. Quand elles ne continuent pas à servir les FRCI, les milices ou les

mercenaires, ces armes se retrouvent dans les mains de petits criminels.

L’expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits l’Homme en Côte d’Ivoire

a récemment noté une amélioration globale de la sécurité au cours des derniers mois durant

lesquels seuls des incidents très résiduels ont été rapportés243. Des réformes du secteur de la

sécurité sont en cours avec un programme de démobilisation, désarmement et réinsertion                                                                                                                237 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit. 238 FOFANA MOUSSA, « Des Forces nouvelles aux Forces Républicaines de Côte d’Ivoire », op.cit. 239 Au titre de ces programmes figuraient le Programme national de réinsertion et de réhabilitation communautaire (PNRRC), le Programme de service civique national (PSCN) et le Centre de commandement intégré (CCI). 240 FOFANA MOUSSA, « Des Forces nouvelles aux Forces Républicaines de Côte d’Ivoire », op.cit. 241 BANEGAS RICHARD, « Reconstruction « post-conflit » -Violence et politique en Côte d’Ivoire », op.cit. 242 Amnesty International, «Côte d’Ivoire. Les effets destructeurs de la prolifération des armes et de leur usage incontrôlé», mars 2013, 31 p. 243 Assemblée générale des Nations Unies, « Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène », op.cit.

  69  

(DDR). Mais les partisans de Laurent Gbagbo courent toujours le risque d’arrestations

arbitraires et autres violations des droits de l’Homme et intimidations. Les conditions de

sécurité restent donc très précaires pour une partie du peuple et les réformes institutionnelles

semblent contredire les pratiques auxquelles s’adonnent les forces de sécurité qui sont peu

réprimées par le gouvernement. Or, le rétablissement de la confiance envers les autorités sur

le plan de leur sécurité est une condition préalable à l’engagement de tous dans le processus

de réconciliation, au delà même du FPI et des partisans de Laurent Gbagbo. La CDVR et les

autorités judiciaires ne peuvent efficacement travailler à l’accomplissement de leur mission

sans que les victimes, les témoins ou les auteurs de crimes graves aient confiance en ces

institutions, leur garantissent une protection efficace et les rassurent suffisamment pour qu’ils

décident de parler sans craintes de représailles. Le travail de vérité et de réconciliation passe

par le rétablissement de cette confiance envers l’appareil sécuritaire. Malgré les appels du

président Ouattara visant à rassurer les populations sur les conditions de sécurité, il reste de

nombreux efforts à faire pour rétablir un climat de confiance. Preuve en est, les appels du

président Ouattara invitant les Ivoiriens à rentrer chez eux, semblent d’une relative efficacité

pour cette même raison.

3. L’impossible retour des exilés et des déplacés

La crise postélectorale a généré de nombreux déplacés et réfugiés, dont la plupart font

partie du « peuple de Gbagbo ». Près de deux ans après la crise, on compte toujours un

nombre important de déplacés interne. Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations

Unies (HCR), ils étaient encore 46 000 en janvier 2013244. On compte encore également de

nombreux réfugiés, la plupart originaires de l’Ouest de la Côte d’Ivoire. 58 000 réfugiés

ivoiriens étaient au Libéria en juillet 2013245, et des milliers au Ghana, au Togo246, dans

d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, ou encore au Maghreb et en Europe. La plupart sont des

Ivoiriens qui ont fui leur ville ou leur village du fait des violences généralisées de la dernière

crise postélectorale ou des crises précédentes, d’autres ont participé à ces violences et se sont

enfui lorsque le rapport de force s’est inversé en faveur d’Alassane Ouattara. C’est

                                                                                                               244 Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, « Profil d’opérations 2013, Côte d’Ivoire », dernière consultation le 3 août 2013, disponible sur : http://www.unhcr.fr/pages/4aae621d4cf.html 245Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, « Cette année, le rapatriement des réfugiés ivoiriens depuis le Libéria passe le cap des 10 000 personnes », 30 juillet 2013, dernière consultation le 16 septembre 2013, disponible sur : http://www.unhcr.fr/51f924e9c.html 246 Human Rights Watch, « Bien Loin de la Réconciliation- Répression militaire abusive en réponse aux menaces sécuritaires en Côte d’Ivoire », Novembre 2012, 80 p.

  70  

notamment le cas des Jeunes patriotes miliciens et des proches de Laurent Gbagbo ayant

exercé des fonctions importantes et enfin des militants du FPI.

Le gouvernement de Ouattara a appelé au retour des réfugiés à plusieurs reprises et leur

rapatriement s’est accéléré au cours des derniers mois247. Pour beaucoup de réfugiés, leur

décision de retour a été motivée par l’amélioration des conditions de sécurité248. Mais pour

d’autres, les conditions de sécurité ne sont pas encore assez satisfaisantes et ils continuent de

vivre dans une certaine crainte du retour. La population ivoirienne a été marquée par les

violences qui ont généré un profond trauma, trauma qui a été entretenu voire exacerbé par la

continuation des violences et des attaques depuis la fin de la crise. Le drame du camp de

Nahibly, survenu dans la nuit du 19 au 20 juillet 2012, a démontré qu’au sein même d’un

camp de déplacés supervisé par le HCR, la sécurité des personnes vis-à-vis de l’extérieur

n’était pas assurée. Ce camp, qui accueillait 2500 personnes, a été entièrement détruit par une

attaque menée, selon de nombreuses sources, par des Dozos, des jeunes dioulas de Duékoué

et des FRCI. Des personnes ont été tuées, d’autres arrêtées et torturées, sans que l’ONUCI

n’intervienne et sans qu’aucune responsabilité n’ait pu encore être officiellement établie,

l’enquête policière n’ayant que très peu avancé depuis le drame249.

De plus, il ne suffit pas de garantir la sécurité des personnes. Comme le note un rapport

d’Amnesty International, « les conditions de sécurité dans l’Ouest dissuadent encore de

nombreuses personnes de retourner dans leur village ou sur leurs terres par peur de

représailles ou parce que leurs propriétés ont été occupées. (…) Ce phénomène d’occupation

des terres appartenant à des populations « autochtones » par des populations dioulas

«allogènes » a été confirmé à la délégation d’Amnesty International par plusieurs habitants

de la région de Duékoué»250. La garantie de la sécurité des biens est donc nécessaire pour

envisager le retour des réfugiés. Ceux-ci doivent voir leurs droits sur leurs terres et l’usage de

leurs maisons illégalement occupées rétablis.

La confiance du « peuple de Gbagbo » envers les autorités pour garantir leur sécurité est donc

loin d’être acquise, même si une partie d’entre eux commence à rentrer chez eux. Or, le retour

des réfugiés est en soit nécessaire à l’avancée du processus de réconciliation, dans la mesure

où beaucoup d’entre eux ont été témoins ou victimes de crimes graves ou ont perdu leur

domicile pendant les combats, et dans la mesure où elles représentent une part importante de

                                                                                                               247 D’après le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, entre 2012 et 2013, plus de 16000 réfugiés ont été rapatriés du Libéria. 248 Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, « Cette année, le rapatriement des réfugiés ivoiriens depuis le Libéria passe le cap des 10 000 personnes », op.cit. 249 Amnesty International, « Côte d’Ivoire. « C’est comme si rien ne s’était passé ici ». Un an après l’attaque du camp de Nahibly, la justice se fait toujours attendre », juillet 2013, 29 p. 250 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit.

  71  

la population ivoirienne. Ils détiennent donc une part de la vérité sur les crimes commis

durant la crise qu’ils pourraient bien définitivement garder pour eux si le sentiment de crainte

généralisée ne venait pas à s’amenuiser. Le retour des réfugiés est non seulement nécessaire

pour le travail de vérité mais surtout pour l’apprentissage d’un nouveau vivre ensemble épuré

de paranoïa identitaire. Le rétablissement de la sécurité pour tous les Ivoiriens est une

condition nécessaire à l’avancée du processus de réconciliation, afin d’améliorer le climat de

confiance général nécessaire au retour des réfugiés, au dévoilement de la vérité sur les crimes

commis et à l’effacement de la paranoïa généralisée, paranoïa qui soulève un potentiel de

risque de répétition des crises.

B. Des risques potentiels de répétition des crises

Des risques potentiels de répétition des crises sont déjà visibles du fait des limites

observées au processus de réconciliation. Ils sont liés à la position victimaire (1) et à la

persistance des tensions ethniques (2).

1. Des risques liés à la position victimaire

Comme nous l’avons mis en évidence dans la première partie de cette étude, il est

nécessaire que les acteurs de la vie politique ivoirienne prennent conscience de leurs erreurs et

qu’ils rompent avec leurs pratiques du passé. Il est inquiétant de voir que deux ans après la fin

de la crise, certains militants prétendent encore qu’aucun crime grave passible de poursuites

n’a été commis par le camp de Laurent Gbagbo. Il s’agissait pour ces militants de légitime

défense, et l’ensemble des exactions proviendrait du camp d’Alassane Ouattara. La notion de

légitime défense est utilisée en ce sens que le pouvoir légal de Laurent Gbagbo aurait été

attaqué et que ce dernier n’aurait fait que défendre la république et la démocratie en tant que

chef des armées251. L’argument va de pair avec l’idée selon laquelle Laurent Gbagbo aurait

gagné les élections et qu’il aurait simplement tenté de défendre les institutions républicaines

et démocratiques par l’usage de la force en réponse à un complot monté contre lui par la

France et Alassane Ouattara. C’est donc la légitimité du président actuel qui est remise en

cause, son accession au pouvoir s’étant faite dans l’illégalité252. Cette version des faits a été

défendue pendant longtemps par ses partisans, durant la crise postélectorale et bien après

l’arrestation de Laurent Gbagbo. Elle est encore défendue à l’heure actuelle par les plus                                                                                                                251 Entretien n°2, annexe n°3. 252 Entretien n°2, annexe n°3 ; entretien n°4, annexe n°5 ; entretien n°8, annexe n° 9 ; entretien n°10, annexe n°11.

  72  

radicaux. Laurent Gbagbo aurait été victime d’un complot mené par la France avec la

complicité d’Alassane Ouattara afin d’évincer Laurent Gbagbo du pouvoir. Ouattara serait

donc le président choisi par la France. En conséquence, selon certains, la réconciliation

politique ne doit pas se faire qu’entre les acteurs politiques ivoiriens mais elle doit également

se faire avec la France253 . La dénonciation du néo-colonialisme fait partie des idées

fondatrices du FPI et la popularité de Laurent Gbagbo a été très liée à cette idée. Il incarne

pour eux celui qui a résisté à l’ingérence de la France dans les affaires intérieures de la Côte

d’Ivoire, et à ses prétentions néocoloniales. La France est donc pour eux le troisième acteur de

la réconciliation ivoirienne. La théorie du complot vaut ce qu’elle vaut, mais l’ingérence de la

France dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire est bien une réalité. Pour se réconcilier,

la Côte d’Ivoire devra donc aussi mettre au clair ses relations passées et présentes avec la

France.

Loin des polémiques attenantes à l’interprétation des faits, loin de toute prétention de pouvoir

distinguer le vrai du faux, de savoir si cette défaite est juste ou injuste, ou de vouloir mettre en

cause la responsabilité directe de Laurent Gbagbo ou d’Alassane Ouattara dans les crimes

commis, il est donc clair qu’il n’y a pas une vérité sur les crises ivoiriennes mais bien une

multiplicité de vérités qui révèle leur nature inévitablement subjective. La question n’est plus

de savoir si Laurent Gbagbo a gagné ou non les élections, ni de savoir s’il y a eu ou non

défaite électorale, il est impossible de revenir en arrière et il y a bien eu une défaite dont

l’interprétation des faits ne peut différer : si ce n’est pas une défaite par les urnes, c’est au

moins une défaite politique et une défaite par les armes. La seule solution allant dans le sens

de la réconciliation est l’acceptation de cette défaite, et là est l’erreur stratégique de certains

qui sont focalisés sur l’idée d’un complot contre Gbagbo et continuent de se placer en

position de victime au lieu de s’atteler à construire une opposition politique démocratique

forte de près de la moitié du « peuple » ivoirien derrière elle.

Mais le risque lié à la position victimaire est exacerbé par le fait que le peuple de Ouattara se

place dans la même position. Ainsi, presque tout le monde se considère comme des victimes

et personne n’arrive à faire un pas vers l’autre et cette position ralentie le processus de

réconciliation. D’abord, la peur et le manque de confiance envers les institutions étatiques

viennent justifier des comportements déviants. Ensuite, la position victimaire a conduit les

acteurs de la violence à dénier toute responsabilité, ne serait-ce que morale dans ce qui s’est

passé. Sans vouloir faire preuve de scepticisme, ont peut tout de même douter que l’heure de

la prise de conscience des fautes de chacun ne sonne un jour. Aucune demande de pardon n’a

émané du camp Gbagbo. Le FPI a réaffirmé dans un communiqué du mois de juillet dernier

                                                                                                               253 Entretien n°2, annexe n°3.

  73  

son refus de demander pardon254 en s’insurgeant « contre les propos tenus par le Chef de

l’Etat appelant le Front Populaire Ivoirien à se repentir de la crise postélectorale » et en

rappelant « à la communauté nationale et internationale que le FPI est un parti assurément

responsable des actes qu’il pose; il les assume diligemment chaque fois que de besoin. Il n’a

pas manqué de rappeler que « c’est bel et bien Monsieur Ouattara qui, depuis son intrusion

dans la politique en Côte d’ivoire fin 1989, y a introduit la violence sous toutes ses formes et

le tribalisme nauséeux, sans jamais en assumer l’imputabilité, encore moins, demander

pardon au digne peuple ivoirien extrêmement et continuellement meurtri »255. De même,

aucun sentiment de regret n’a été exprimé par les militants interviewés, si ce n’est une volonté

peu affirmée d’en finir avec l’ivoirité. Ils reconnaissent vaguement les méfaits de l’ivoirité et

préfèrent évoquer l’origine de cette idéologie afin d’en charger la responsabilité sur l’ancien

président Henri Konan-Bédié. De même du côté du camp de Ouattara, il n’y a pas eu de

demande de pardon alors qu’il a lui aussi contribué à la polarisation de la vie politique et à

l’exacerbation des divisions nord/sud, musulmans/chrétiens au même titre que ses concurrents

politique dans sa lutte pour le pouvoir.

Cette absence de demande de pardon, couplée à la revendication du statut de victime par les

deux camps qui se sont affrontés, laisse penser que les acteurs politiques n’ont pas tiré les

leçons des erreurs passées. Or, les expériences de réconciliation dans d’autres pays ont prouvé

que le pardon politique permettait de marquer le point final de la violence. Ce que nous

appelons pardon politique doit être différencié du « vrai » pardon. Tandis que le « vrai »

pardon serait une « décision libre de l’offensé et de l’offenseur, permettant de renouer un

rapport interpersonnel défait par l’offense et supposant une absolue générosité et de la part de

celui qui l’accorde »256, le pardon politique serait un moyen parmi d’autres, telle que la

justice, de marquer la fin d’une violence cyclique et de renouveler les bases d’une relation257.

En découle, l’importante que nous donnons ici à la demande de pardon qui constitue la

première étape du pardon. Le fait qu’elle n’ait pas encore été faite en Côte d’Ivoire, que ce

soit par les nouvelles autorités en place ou par les autres partis politiques, qui ont tous une

part de responsabilité dans le cycle de la violence, montre que le chemin du pardon est encore

long. La position victimaire ressentie par le peuple de Gbagbo comme celui de Ouattara

semble empêcher cette demande de pardon, ce qui complique sérieusement la réconciliation

car pendant ce temps, la catharsis n’est pas faite. Elle complique également l’identification

                                                                                                               254 Communiqué du Comité central du FPI, 15 juillet 2013, rapporté dans nouveaucourrier.net, consulté le 17 septembre 2013, disponible sur : http://nouveaucourrier.net/le-fpi-refuse-de-demander-pardon-apres-linjonction-dalassane-ouattara-communique/ 255 Ibid. 256 LEFRANC SANDRINE, Politiques du Pardon, op.cit., p. 158. 257 Ibid.

  74  

des « vraies » victimes et pose la question de savoir qui elles sont réellement. Dans un même

temps, ce climat de « tous victimes » renforce la polarisation de la vie politique, la peur de

l’autre et accroit d’autant les tensions ethniques.

2. Des risques liés à la persistance des tensions ethniques

Une profonde inquiétude nait de la persistance des tensions ethniques. Certes, comme

nous l’avons déjà évoqué, la déconstruction de l’ethno-nationalisme et la construction d’une

nouvelle identité collective sont des processus qui nécessitent du temps. Mais cela nécessite

surtout une profonde volonté politique. Or, pour le moment on peut douter de la volonté de

mettre fin à l’ivoirité. Le renouveau du débat sur la nationalité et la question foncière après

l’annonce des réformes par le gouvernement, qui a affirmé que l’année 2013 serait l’année du

règlement de ces deux problèmes, a fait ressortir les discours ivoiritaires258. Les réformes ont

été votées le 23 août dernier. Votée à l’unanimité, la réforme sur le domaine foncier n’a pas

apporté de nouvelle solution et a seulement redonné un nouveau délai de dix ans aux

propriétaires terriens pour faire établir leur titre foncier afin de relancer le processus qui avait

été initié en 1998. Quant à la réforme sur la nationalité, à laquelle 24 parlementaires se sont

opposés, elle assouplit largement les conditions d’acquisition de la nationalité ivoirienne259,

alors que le FPI, principal parti de l’opposition et qui a boycotté les dernières élections

législatives, n’a pas pu s’exprimer sur cette question au parlement, où l’alliance au pouvoir

détient la quasi-totalité des sièges du parlement. Les risques de nouvelles vagues de

contestations émanent du « peuple de Gbagbo » lorsque les effets de cette loi se feront sentir

et doivent être pris en considération, car cette loi sur la nationalité aura des effets sur la

revendication de titres fonciers. En effet, si le mot « ivoirité » est désormais banni des

discours, le concept identitaire est toujours bien présent dans les idées lorsque l’on évoque la

question foncière et celle de la nationalité. Le sentiment de trahison semble très présent au

sein du « peuple de Gbagbo ». Sur la question foncière, les militants du FPI dénoncent les

situations de spoliation et d’appropriation des terres depuis l’accession au pouvoir d’Alassane

Ouattara, ce qui a été confirmé par Amnesty International : « Ce nouveau rapport de forces a

dissuadé de nombreuses personnes de retourner dans leur village ou sur leurs terres, par

peur de représailles ou parce que leurs propriétés avaient été occupées par d’autres. Ce

                                                                                                               258Abdel Pitroipa, « « Ivoirité », quand tu nous tiens », jeuneafrique.com, 18 août 2013, consulté le 17 septembre 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2743p036.xml0/henri-konan-bedie-pdci-alassane-dramane-ouattara-rhdpivoirite-quand-tu-nous-tiens.html 259 Dépêche AFP, « Côte d’Ivoire : les lois sur la nationalité et la propriété foncière votées », jeuneafrique.com, 24 août 2012, consulté le 17 septembre 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/DEPAFP20130824095720/

  75  

phénomène d’occupation des terres appartenant à des populations « autochtones » par des

populations dioulas « allogènes » a été confirmé à la délégation d’Amnesty International par

plusieurs habitants de la région de Duékoué.»260

Un entretien mené avec une militante du FPI dont la famille est propriétaire terrien dans

l’Ouest est révélateur du sentiment de trahison qui règne vis-à-vis des allogènes : « Une partie

des ivoiriens se sont sentis trahis. Il n’y avait pas de tensions avec les burkinabés. On ne les

exploitait pas. C’est eux qui venaient volontairement dans les plantations parce qu’ils avaient

besoin de travail et ils étaient payés. Dans la plantation de mon père, Bakary (en parlant

d’un « étranger » venu travaillé pour sa famille) représentait quelqu’un qui s’occupait de

nous, de notre famille et de la maison. On avait de la considération pour lui. Mais

aujourd’hui, on se sent trahi car ils se sont retournés contre nous pour dire qu’on les a

exploité. Pour parler de réconciliation, si Bakary reconnaît qu’il m’a fait du tort, je suis prête

à pardonner la spoliation, les occupations de villages et l’occupation des postes de

l’administration. Mais aujourd’hui Bakary ne reconnaît pas ses torts et moi je n’ai pas

d’arme. Ainsi, je ne peux qu’observer avec tristesse et rancœur ce qui se passe261 ».

Si certains ont exprimé leur volonté de trouver un compromis sur la question foncière pour les

allogènes installés depuis plusieurs décennies sur des terres de « vrais Ivoiriens », les

occupations illégales empêchent la discussion d’avancer262. D’autres cependant restent plus

radicaux et il n’est pas question pour eux d’envisager un compromis. Une des personnes

interviewées déclarait ainsi que : « Ceux qui parlent de réconciliation, ce ne sont pas des

vrais ivoiriens. Ils se prennent pour des ivoiriens mais ils ne le sont pas. Ce sont les gens du

Nord, les dioulas. Sous prétexte qu’ils ont participé à la construction de la Côte d’Ivoire, ils

se prennent de facto pour des ivoiriens. Ce n’est pas de la xénophobie. Quelqu’un qui

souhaite simplement sauvegarder les intérêts de son pays n’est pas un xénophobe263», et que

« le problème de la Côte d’Ivoire est d’avoir accepté une immigration sauvage d’étrangers

qui ont pris des terres et les exploitent sans en avoir le droit. Les gens de l’Ouest sont chassés

de leurs terres et celles-ci sont occupées par des burkinabés264». En réaction à l’annonce du

vote sur la loi concernant la nationalité au parlement, le chef du service politique du quotidien

Notre voie, presse –pro-Gbagbo, disait encore que « Si on leur donne la nationalité, c´est

comme si on les installait de force sur nos terres. Ils ne seront pas ivoiriens dans leur coeur

                                                                                                               260 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit. 261 Entretien n°5, annexe n° 6. 262 Entretien n°1, annexe n° 2 ; entretien n°5, annexe n°6 ; entretien n°6, annexe n°7 ; entretien n°9, annexe n°10. 263 Entretien n°2, annexe n° 3. 264 Ibid.

  76  

ni dans leur esprit »265. Les leçons de l’ivoirité ne semblent pas avoir été tirées et l’ethno-

nationalisme est toujours bien présent. Les discours du côté du « peuple de Gbagbo »

présagent donc de nouveaux problèmes.

De plus, un nouveau concept identitaire a fait son apparition et peut inquiéter quant à une

nouvelle polarisation de la vie politique fondée sur des divisions ethniques. Le concept lancé

par Alassane Ouattara est celui du « rattrapage ethnique », qu’il définit comme un simple

« rattrapage » de la présence des gens du Nord dans l’administration publique266. Le risque du

passage d’un Etat favorisant les baoulés sous Houphouët-Boigny, puis favorisant les bétés et

les guérés sous Gbagbo, à un Etat favorisant les dioulas sous Ouattara est bien présent. Cette

nouvelle discrimination se fait déjà ressentir au sein de la société ivoirienne et a été évoquée

par les partisans de Laurent Gbagbo. Lors de notre entretien, Georges Toualy a évoqué cet

«esprit de revanche » alimenté par le « rattrapage ethnique »267. Il disait ainsi que « dans toute

l’administration, on a viré les personnes appartenant aux ethnies autres que celles liées au

RDR. Ce n’est en aucun cas un geste de réconciliation. Par contre, cela continue à créer des

injustices. Les gens sont déçus mais ils ont peur de réagir. Ils ont été expropriés et trompés

mais il y a des armes. Ils ont peur des armes. Ce que nous demandons, c’est que le

gouvernement révise sa position et soit plus tolérant »268.

Ce « rattrapage ethnique » a été confirmé par plusieurs observateurs extérieurs ainsi que par

des personnes du côté d’Alassane Ouattara. Un rapport d’International Crisis Group rapporte

en ce sens que la « dérive autoritaire » est manifeste dans l’administration, par « la

reproduction de pratiques en vogue sous le précédent régime, notamment des nominations à

caractère ethnique dans l’administration »269. Au delà des nominations dans l’administration,

Amnesty International notait, concernant les opérations menées envers certaines populations

par les FRCI, les Dozos et la police militaire, qu’« il est très inquiétant de voir que les

autorités tolèrent, cautionnent et, dans certains cas, dirigent des attaques ciblées contre des

individus en raison de leurs sympathies politiques présumées ou de leur appartenance

                                                                                                               265 PITROIPA ABDEL, « « Ivoirité », quand tu nous tiens », jeuneafrique.com, 18 août 2013, consulté le 17 septembre 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2743p036.xml0/henri-konan-bedie-pdci-alassane-dramane-ouattara-rhdpivoirite-quand-tu-nous-tiens.html 266 HUGEUX VINCENT, « Côte d’Ivoire : Ouattara veut protéger les minorités », Lexpress.fr, 25 janvier 2012, consulté le 17 septembre 2013, disponible sur : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/cote-d-ivoire-ouattara-veut-proteger-les-minorites_1075076.html 267 Entretien n°9, annexe n°10. 268 Entretien n°12, annexe n°13. 269 International Crisis Group, « Côte d’Ivoire : faire baisser la pression », novembre 2012, Rapport Afrique n°193, 26 p.

  77  

ethnique »270. En effet, il est une chose que le chef de l’Etat et son gouvernement ne

parviennent pas encore à rétablir leur autorité sur les milices et les forces armées qui

continuent à exercer les mêmes dérives que celles de l’ivoirité sur d’autres populations

victimes, souvent les « autochtones », mais il en est une autre que le gouvernement cautionne,

voire encourage de telles pratiques.

Comme le notait récemment Rinaldo Depagne, analyste d’International Crisis Group, « dans

les conditions actuelles, il est (donc) difficile pour les 1,7 million d’électeurs qui ont voté

Gbagbo au premier tour du scrutin présidentiel de 2010 de ne pas se sentir traités comme des

citoyens de seconde zone. L’exclusion, dont ont souffert les partisans de Ouattara sous le

régime Gbagbo, est l’un des facteurs principaux du conflit ivoirien. L’inversion de l’exclusion

produira les mêmes effets. »271 . Cette exclusion est contre-productive à toute tentative de

réconciliation et constitue un nouveau facteur potentiellement déclencheur d’une nouvelle

crise, d’autant plus que les idées des partisans de Laurent Gbagbo semblent rester les mêmes

sur la problématique foncière et celle des étrangers. Ainsi, de l’ « ivoirité » au « rattrapage

ethnique », les risques de répétition des crises sont bien présents.

                                                                                                               270 Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs- La situation des droits humains deux ans après la crise post électorale », op.cit. 271 DEPAGNE RINALDO (INTERNATIONAL CRISIS GROUP), « La Côte d’Ivoire a disparu des radars, pourtant rien n’y est réglé », Rue 89, 16 avril 2013, consulté le 28 avril 2013, disponible sur : http://www.rue89.com/2013/04/16/cote-divoire-a-disparu-radars-pourtant-rien-ny-est-regle-241477

  78  

CONCLUSION

Cette étude cherchait à établir un bilan de la réconciliation ivoirienne, deux ans après

la fin de la crise postélectorale. Une politique de réconciliation a certes été amorcée par le

gouvernement d’Alassane Ouattara mais le chemin de la réconciliation est encore long. Le

président ivoirien peine à tenir les promesses qu’il avait faites à la population ivoirienne ainsi

qu’à la communauté internationale au tout début de son mandat. Tout d’abord, la sécurité

n’est pas encore rétablie au même niveau pour tous les Ivoiriens. Alors que les populations

qui avaient anciennement été exclues – principalement les dioulas – sont désormais

avantagées par le gouvernement au pouvoir, il est difficile pour le « peuple de Gbagbo » de ne

pas se sentir relayé au titre des populations de « seconde zone ». En témoigne la nouvelle

pratique de « rattrapage ethnique » dans l’administration, démontrant que les personnes qui

accèdent au pouvoir n’on pas changé leurs habitudes et continuent de favoriser les ethnies qui

leur sont politiquement favorables. De plus, des abus de la part des forces de sécurité et des

milices non démantelées sont encore dénoncés sans que l’Etat n’arrive (ou ne veuille…)

reprendre le contrôle nécessaire sur eux. Ces abus ne font qu’alimenter la frustration du

« peuple de Gbagbo », et plus largement de l’ensemble de la société ivoirienne, qui est lasse

de toutes ces années de conflits. De nombreux réfugiés refusent encore de rentrer chez eux et

la plupart font partie de ce « peuple de Gbagbo ». À l’opposé, les plus radicaux des partisans

de Laurent Gbagbo refusent le dialogue politique et contestent toujours la légalité de

l’accession au poste de Chef de l’Etat d’Alassane Ouattara, tandis que le FPI est contraint de

suivre le même chemin que ses membres les plus radicaux et a ainsi boycotté toutes les

élections pour dénoncer une « justice des vainqueurs » qui est confirmée. En ce qui concerne

la justice transitionnelle, les poursuites pénales se font toujours attendre pour le camp de

Ouattara alors que les partisans de l’ancien président sous enquêtes judiciaires sont

emprisonnés depuis maintenant deux ans sans que des procès aient encore eu lieu. La lenteur

du travail de réconciliation est également visible au sein de la CDVR dont le mandat est censé

s’achever dans quelques semaines alors que la vérité sur les crimes graves qui ont été commis

est loin d’être établie.

Le pronostic n’est donc pas très optimiste, d’autant plus qu’Alassane Ouattara semble loin de

réussir à établir un dialogue avec le « peuple de Gbagbo ». Le pouvoir d’exclure aurait-il

simplement changé de main ? Le processus de réconciliation est en échec dès lors que les

injustices se poursuivent en changeant de camp, lorsque le groupe qui a été discriminé hier

gouverne le pays aujourd’hui et fait finalement les mêmes erreurs que son prédécesseur.

D’abord, on ne peut se réconcilier avec quelqu’un continue à nous faire du tort. Ensuite, le

  79  

camp des vaincus, qui devient alors la cible de nouvelles discriminations, développe une

nouvelle frustration qui créé les mêmes facteurs de crises. Le climat de revanche des uns et

des autres est bien présent ; revanche des gagnants sur les perdants, et esprit de revanche

grandissant des perdants sur les gagnants.

Les armes ont retenti au détriment de l’intérêt du peuple ivoirien au nom de la lutte pour le

pouvoir. L’élite politique reste encore trop divisée pour encourager la réconciliation à la base

de la société. Les risques de répétition des crises sont bien présents. L’avancée du processus

de réconciliation sera-t-il suffisant pour éviter que de nouvelles violences n’éclatent lors des

élection présidentielles prévues en 2015 ? Alassane Ouattara est présenté comme le président

de la transition démocratique, mais il n’a pas vraiment eu l’occasion de démontrer sa capacité

à gouverner démocratiquement. Un élément fondamental de la démocratie manque encore : la

constitution d’une opposition politique forte. La prochaine élection présidentielle en sera le

meilleur test si t’en est qu’un candidat soit présenté par le FPI. Si Gbagbo n’a pas été un

exemple de démocrate, il reste qu’il s’est considéré comme tel jusqu’au bout et ses partisans

continuent de protéger cette image de « Gbagbo le démocrate ». Quel serait le comportement

d’Alassane Ouattara face une opposition forte de près de la moitié du peuple, alors que la

classe politique, y compris le président actuel, ne semblent pas avoir rompu avec leurs

pratiques et leur volonté de captation partisane du pouvoir ?

Finalement, la clé de la réconciliation n’est peut être pas au niveau du gouvernement et des

principaux leaders politiques, car la volonté de la majorité du peuple ivoirien est bien d’en

finir avec cette spirale de la violence. On voit se multiplier des initiatives locales dans

plusieurs régions, conduites par des responsables religieux, coutumiers, administratifs ou des

ONG272 qui misent sur une réconciliation émanant de la base de la société273 en valorisant

l’éducation à la citoyenneté et à l’autre, et qui favorisent le dialogue sous l’ « arbre à

palabres » et revalorisent les formes traditionnelles de médiation. Les Ivoiriens ne semblent

plus prêts à attendre que leurs responsables politiques s’entendent pour réapprendre le « vivre

ensemble ». De là émane donc un certain optimiste venant relativiser ce premier bilan, et qui

est le signe de la mobilisation grandissante de la société civile ; constat positif de la transition

démocratique en cours. Mais cette élan pour la réconciliation émanant de la base sera - il

                                                                                                               272 International Crisis Group, « Côte d’Ivoire : faire baisser la pression », novembre 2012, Rapport Afrique n°193. 273 LEFRANC SANDRINE, « Former des pacificateurs. Les politiques internationales de réconciliation par le bas », in LEFRANC SANDRINE (dir.), Après le conflit, la réconciliation?, Michel Houdiard Editions, 2006, Paris, 344 p., p. 293- 312.

 

  80  

assez fort pour vaincre la surdétermination de la compétition politicienne ? De plus, ces

initiatives locales ne sont sans doute pas suffisantes, car la réconciliation implique

nécessairement un travail au niveau national, ne serait-ce que pour l’élaboration d’une

mémoire collective. La réconciliation nécessite un travail de mémoire qui se veut

l’articulation des mémoires individuelles et de la mémoire collective afin de reconstruire le

« vivre ensemble » 274. Paul Ricoeur disait, en parlant de l’histoire, qu’ « il est un privilège

qui ne saurait être refusé à l’histoire, celui non seulement d’étendre la mémoire collective au

delà de tout souvenir affectif, mais de corriger, de critiquer, voire de démentir la mémoire

d’une communauté déterminée lorsqu’elle se replie et se referme sur ses souffrances propres

au point de se rendre aveugle et sourde aux souffrances des autres communautés. C’est sur le

chemin de la critique historique que la mémoire rencontre le sens de l’histoire »275. Il est

grand temps que la Côte d’Ivoire travaille sur son histoire.

                                                                                                               274 MARCHAL ROLAND, « Justice internationale et réconciliation nationale – Ambiguïtés et débats », Politique africaine, 2003/4, n°92, pp. 5-17. 275  RICOEUR PAUL, « Reconnaître le souvenir, connaître le passé », Le Monde des Débats, 2000, n°17, p. 25.  

  81  

BIBLIOGRAPHIE :

I. IMPRIMÉS

A. Ouvrages et monographies :

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B. Chapitres d’un ouvrage :

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II. SOURCES DE DROIT

A. Sources de droit national ivoirien :

- Constitution de la République de Côte d’Ivoire du 3 novembre 1960.

- Loi n° 98750 du 23 décembre 1998 sur le domaine rural, Journal officiel du 14 janvier 1999.

  84  

- Ordonnance n°2011-167 du 13 juillet 2011 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de la commission dialogue, vérité et réconciliation.

B. Sources de droit international (instruments conventionnels, droit dérivé) :

Instruments conventionnels :

- Statut de Rome de la Cour pénale internationale, adopté à Rome le 17 juillet 1998, entré en vigueur le 1er juillet 2002, Recueil des Traités des Nations Unies vol. 2187, p. 3.

Droit dérivé des Nations Unies :

- Résolution 1528 sur la situation en Côte d’Ivoire portant création de l’ONUCI, Conseil de sécurité des Nations Unies, 27 février 2004, S/RES/1528(2004). - Résolution 1975 sur la situation en Côte d’Ivoire, Conseil de sécurité des Nations Unies, 30 mars 2011, S/RES/1975(2011).

III. RAPPORTS D’ORGANISATIONS INTERNATIONALES ET D’ONG

A. Rapports des Nations Unies :

- Secrétariat général des Nations Unies, Rapport du Secrétaire général des Nations Unies au Conseil de sécurité sur le Rétablissement de l’Etat de droit et l’administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, 23 août 2004, S/2004/616.

- Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies, Les Instruments de l’État de droit dans les sociétés sortant d’un conflit. Les commissions de vérité », 2006, HR/PUB/06/1.

- Assemblée générale des Nations Unies, Conseil des Droits de l’Homme, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire Doudou Diène, 3 juin 2013, , A/HRC/23/38.  

B. Rapports d’ONG :

International Center for Transitional Justice : « Truth Seeking- Elements of Creating an effective Truth Commission », Mars 2013, 70 p., consulté le 1er septembre 2013, disponible sur : http://ictj.org/publication/truth-seeking-elements-creating-effective-truth-commission

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Human Rights Watch : « Bien Loin de la Réconciliation- Répression militaire abusive en réponse aux menaces sécuritaires en Côte d’Ivoire », Novembre 2012, 80 p., consulté le 30 mai 2013, disponible sur : http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/coted'ivoire1112webwcover_FR.pdf

« Transformer les discours en réalité- L’heure de réclamer des comptes pour les crimes internationaux graves perpétrés en Côte d’Ivoire », Avril 2013, 82 p., consulté le 1er mai 201 », disponible sur : http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/CDI0413fr_ForUpload.pdf

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« Côte d’Ivoire. « C’est comme si rien ne s’était passé ici ». Un an après l’attaque du camp de Nahibly, la justice se fait toujours attendre», Juillet 2013, 29 p., consulté le 20 août 2013, disponible sur : http://www.amnesty.org/fr/library/asset/AFR31/009/2013/fr/aa0962bd-97b4-4850-afba-649e63e3dcff/afr310092013fr.pdf International Crisis Group : « Côte d’Ivoire : faire baisser la pression », novembre 2012, Rapport Afrique n°193, consulté le 22 juin 2013, consulté le 20 août 2013, disponible sur : http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/africa/west-africa/cote-divoire/193-cote-d-ivoire-faire-baisser-la-pression.pdf  

IV. DOCUMENTS ELECTRONIQUES

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http://www.unhcr.org/pages/49e484016.html - International Center for Transitional Justice, consulté le 20 juillet 2013, disponible sur : http://ictj.org/

- Amnesty International, consulté le 20 septembre 2013, disponible sur : http://www.amnesty.fr/

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- Réseau civox.net, consulté le 20 septembre 2013, disponible sur : http://www.civox.net/

B. Articles web :

AIRAULT PASCAL, « Côte d’Ivoire : la réconciliation impossible ? », JeuneAfrique.com, 3 juillet 2012, consulté le 28 novembre 2012, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2685p034-037.xml0/ AIRAULT PASCAL, « Côte d’Ivoire-CPI : Gbagbo ou le bénéfice du doute», JeuneAfrique.com, 14 juin 2013, consulté le 16 juin 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2735p010-012.xml0/ BANEGAS RICHARD, « Reconstruction « post-conflit » -Violence et politique en Côte d’Ivoire », ceri.fr, octobre 2012, consulté le 23 avril 2013, disponible sur : http://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/art_rb.pdf BAUDELAIRE MIEU, « Pascal Affi N’Guessan, président du FPI, et Michel Gbagbo remis en liberté provisoire », Jeuneafrique.fr, 5 août 2013, consulté le 5 août 2013, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130805152510/ BOUQUET CHRISTIAN, « Côte d’Ivoire : « Ouattara devra ramener les pro- Gbagbo dans le jeu politique » », L’Express.fr, 14 décembre 2011, consulté le 25 janvier 2013, disponible sur : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/cote-d-ivoire-ouattara-devra-ramener-les-pro-gbagbo-dans-le-jeu-politique_1061675.html?xtmc=c%F4te_d\'ivoire_r%E9conciliation&xtcr=7

  87  

BOUQUET CHRISTIAN, « Élections locales : « la population ivoirienne est lasse des crises à répétition » » (interview), France 24.com, 24 avril 2013, consulté le 26 juin 2013, disponible sur : http://www.france24.com/fr/20130424-elections-locales-cote-divoire-municipales-regionales-gbagbo-ouattara-violences DEPAGNE RINALDO (INTERNATIONAL CRISIS GROUP), « La Côte d’Ivoire a disparu des radars, pourtant rien n’y est réglé », Rue 89, 16 avril 2013, consulté le 28 avril 2013, disponible sur : http://www.rue89.com/2013/04/16/cote-divoire-a-disparu-radars-pourtant-rien-ny-est-regle-241477 FAUJAS ALAIN, « Côte d’Ivoire : la relance, oui mais… », Economie.jeuneafrique.com, 22 février 2013, consulté le 1 septembre 2013, disponible sur : http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/15720-cote-divoire-la-relance-oui-mais.html GROGA-BADA MALIKA, « Côte d’Ivoire : une caravane de la réconciliation et des polémiques », JeuneAfrique.com, 5 novembre 2012, consulté le 15 décembre 2012, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20121105101043/ HUGEUX VINCENT, « Côte d’Ivoire : Ouattara veut « protéger les minorités » », L’Express.fr, consulté le 25 janvier 2013, disponible sur : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/cote-d-ivoire-ouattara-veut-proteger-les-minorites_1075076.html

ANDRE SILVER KONAN, « Côte d’Ivoire : pro-Gbagbo exilés au Ghana, la revanche dans la peau », JeuneAfrique.fr, 8 mai 2012, consulté le 23 janvier 2012, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2677p028-031.xml0/

C. Documents audiovisuels :

- BENOIT SCHEUER, DOMINIQUE TREMBLOY, Côte d’Ivoire, poudrière identitaire, « Prévention Génocides », 2001, 1 heure 37 minutes, consulté le 20 février, disponible sur : http://www.dailymotion.com/video/xuoxe_cote-d-ivoire-poudriere-identitaire_news?search_algo=2

- Gbagbo face à la CPI- La réconciliation en sursis, France 24, 36 minutes, diffusé le 20 février 2013, consulté le 8 avril 2013, disponible sur : http://www.afrik.com/proces-contre-gbagbo-ou-proces-contre-ouattara-et-contre-la-cpi

- Concert de la paix et de la réconciliation - Caravane de la réconciliation en Côte d’Ivoire, IvoirTV.net, 2 heures 19 minutes, diffusée le 3 novembre 2012, consulté le 15 décembre 2012, disponible sur : http://www.youtube.com/watch?v=-ueP1IEEI08 - Côte d’Ivoire : une réconciliation impossible ? Interview de Salvatore Saguès d’Amnesty International pour affaires-stratégiques.info, IRIS, 1 minute 42 secondes, diffusé le 4 mars 2013, consulté le 6 mars 2013, disponible sur :

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http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article7801

V. PRESSE

AKINDES FRANCIS, «Côte d’Ivoire : Ouattara face à la réconciliation », Alternatives Internationales, Juin 2011, n°51, p. 21. Jeune Afrique, Guide « Investir. Côte d’Ivoire 2014 », supplément Jeune Afrique, juillet 2013, n°2741, 74 p.

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ANNEXES

Table des annexes :

 

Annexe  1  :  Grille  d’entretiens  semi  directifs  …………………………………………………………………..90  

 

Annexe  2  :  Entretien  n°1  ………………………………………………………………………………………………..91  

 

Annexe  3  :  Entretien  n°2  ………………………………………………………………………………………………..94  

 

Annexe  4  :  Entretien  n°3  ………………………………………………………………………………………………..96  

 

Annexe  5  :  Entretien  n°4  …………………………………………………………………………………………………98  

 

Annexe  6  :  Entretien  n°5  ……………………………………………………………………………………………….100  

 

Annexe  7  :  Entretien  n°6  ……………………………………………………………………………………………….102  

 

Annexe  8  :  Entretien  n°7  ……………………………………………………………………………………………….105  

 

Annexe  9  :  Entretien  n°8  ……………………………………………………………………………………………….107  

 

Annexe  10  :  Entretien  n°9  ……………………………………………………………………………………………..108  

 

Annexe  11  :  Entretien  n°10  ……………………………………………………………………………………………110  

 

Annexe  12  :  Entretien  n°  11  avec  Guy  Labertit  ………………………………………………………………112  

 

Annexe  13  :  Entretien  n°  12  avec  un  militant  du  PDCI  ……………………………………………………117  

   

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Annexe  1  :  Grille  d’entretiens  semi  directifs      L’objectif  de  ces  entretiens  qualitatifs  est  de  rechercher  la  variété  des  positions  et  points  de  vue  des  partisans  de  Laurent  Gbagbo  sur  le  thème  de  la  réconciliation  en  Côte  d’Ivoire.  Ces  entretiens  seront  réalisés  autour  de  questions  incontournables  sur  les  différents  aspects  de  la  réconciliation  :    1/  Profil  de  la  personne  interviewée  –  Parcours  politique    àQuel  est  votre  parcours  politique  ?      à  Quelle  est  votre  fonction  politique  au  sein  du  FPI/  au  sein  de  tel  ou  tel  groupe  défendant  Laurent  Gbagbo?  /Quelle  forme  a  pris  votre  engagement  pour  la  défense  de  Laurent  Gbagbo?      àNationalité,  résidence…(Avez  vous  déjà  vécu  en  Côte  d’Ivoire  ?/  Avez  vous  quitté  depuis  longtemps  la  Côte  d’Ivoire  ?)    2/  Question  générale  -­‐  Dialogue  politique      àÊtes-­‐vous  pour  l’ouverture  du  dialogue  avec  le  gouvernement  d’Alassane  Ouattara?    

 3/  Boycott  des  élections  àQue  pensez-­‐vous  de  la  pratique  de  boycott  des  élections  pratiquée  jusqu’alors  par  le  FPI?  

 4/  Entrée  dans  l’opposition  et  participation  aux  prochaines  élections  àConsidérez-­‐vous   que   le   FPI   devrait   entrer   dans   son   rôle   d’opposition  politique   afin   de   préparer   sa   participation   aux   prochaines  élections  présidentielles  de  2015  ?    5/  Question  générale-­‐  Participation  au  processus  de  réconciliation  à  Sous  quelles  conditions  pensez-­‐vous  que  le  FPI  et  l’ensemble  des  partisans  de  Laurent  Gbagbo  devraient  participer  au  processus  de  réconciliation?  

 6/  «  Justice  des  vainqueurs  »  et  Amnistie    àOn  parle  beaucoup  de  «  justice  des  vainqueurs  ».  Qu’en  pensez  vous  ?    à  Quelle  est  votre  position  au  sujet  de  la  détention  des  partisans  de  Laurent  Gbagbo  et  au  sujet  de  l’amnistie  ?    7/  Commission  pour  le  Dialogue,  la  Vérité  et  la  Réconciliation  àQue  pensez  vous  du  travail  de  la  Commission  pour  le  Dialogue,  la  Vérité  et  la  Réconciliation?    àPensez-­‐vous  que  cet  outil  pourrait  être  efficace  afin  de  réconcilier  les  Ivoiriens  ?    à  La  CDVR  est  chargée  d’établir  une  vérité  afin  de  déterminer  les  responsabilités  et  les  préjudices  subis  dans  les  crises  successives  qui  ont  touché  la  Côte  d’Ivoire.  Êtes-­‐vous  pour  la  vérité  sur  les  exactions  et  violations  des  droits  de  l’Homme  ou  pour  l’oubli  ?  

 8/  Sécurité  sur  le  territoire  àPensez-­‐vous  qu’à  l’heure  actuelle,  il  est  possible  de  faire  rentrer  l’ensemble  des  Ivoiriens  qui  ont  fui  en  masse  lors  de  la  dernière  crise,  qu’il  s’agisse  des  Ivoiriens  militants  et  sympathisants  de  Laurent  Gbagbo  aussi  bien  que  des  Ivoiriens  d’origine  ethnique  présumée  pro  Gbagbo?    Oui  ou  Non  àPourquoi  ?  

 9/  Question  foncière/  Question  des  étrangers  àQuelle  est  votre  position  sur  la  question  foncière  ?      àQuelles  est  votre  position  sur  la  question  des  étrangers  et  de  la  nationalité  ?      10/  Avancée  de  la  réconciliation  /  Avenir  du  FPI      à   Que   pensez   vous   des   récents   évènements   à   la   CPI   (report   de   la   décision   concernant   la   confirmation   des   charges   /   demande   de  nouvelles  preuves)  ?    àSi   les  charges  contre  Laurent  Gbagbo  venaient  à  être  confirmées  par  la  CPI   l’année  prochaine,  pensez-­‐  vous  que  cela  va  compliquer  l’avancée  du  processus  de  réconciliation  ?    àLaurent  Gbagbo  est  toujours  enfermé  à  La  Haye  et  ce  au  moins  jusqu’à  ce  que  la  décision  de  confirmation  des  charges  soit  confirmée  l’année  prochaine.  Comment  voyez-­‐vous  l’avenir  du  FPI  sans  son  fondateur?  

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Annexe  2  :  Entretien  n°1    Entretien  avec  Gnazegbo  Liadé,  militant  du  FPI  17  juin  2013    1/  Profil  de  la  personne  interviewée  –  Parcours  politique      J’ai  longtemps  été  un  militant  associatif  pour  les  droits  de  l’enfant,  au  sein  d’une  association  qui  promouvait  des  projets  entre  ici  et  la  Côte  d’Ivoire.  Nous  faisions,  par  exemple,  des  dons  aux  orphelinats  en  Côte  d’Ivoire.    Mais  cela  fait  déjà  13  ou  14  ans  que  je  suis  militant  du  FPI.  J’ai  d’abord  été  secrétaire  de  la  section  Val  de  Marne  à  Vitry  sur  Seine,  pendant  deux  ans.  J’ai  ensuite  été  à  la  représentation  du  FPI  pour  diriger  le  secrétariat  chargé  de  l’implantation  des  sections  du  FPI  dans  toute  la  France.  J’ai  enfin  été  conseiller  politique  de  la  représentante  du  FPI  en  France,  Kuyo  Brigitte  qui  a  été  remplacée  par  une  nouvelle  représentante.    Je  vis  en  France  depuis  très  longtemps.      2/  Question  générale  -­‐  Dialogue  politique        Je   fais   partie   du   système  de   la   CDVR   (Commission  pour   le  Dialogue,   la   Vérité   et   la   Réconciliation).   Je   suis   responsable  délégué   général   Île-­‐de-­‐France   pour   la   plateforme   CDVR   France.   J’ai   nommé   les   délégués   départements   sur   lesquels   je  m’appuie.  Ces  délégués  départementaux  s’appuient  quant  à  eux  sur  des  animateurs  qui  ont  pour  mission  d’aider  à  faire  passer  le  message  de  la  réconciliation  chez  les  ivoiriens  en  France.  Nous  recensons  également  les  ivoiriens  qui  souhaitent  s’insérer  dans  le  processus  de  réconciliation.    Je  suis  donc  pour  l’ouverture  du  dialogue  afin  d’amener  la  paix  et  la  confiance  entre  les  différentes  communautés,  qu’elles  soient  étrangères  ou  non,  et  afin  que  tout  le  monde  cohabite.  J’ai  toujours  milité  en  ce  sens  et  j’ai  demandé  à  la  CDVR  que  le  gouvernement  en  place  en  Côte  d’Ivoire  accepte  de  jouer  le  jeu  de  la  réconciliation  et  qu’il  envoie  des  signaux  forts  en  ce  sens.    

 3/  Boycott  des  élections    Le  boycott  des  élections  n’est  pas  une  erreur.  Chaque  parti  doit  défendre  ses  intérêts.  Le  pouvoir  ne  peut  pas  amener  le  FPI  aux  élections.  Il  faut  que  le  gouvernement  respecte  des  conditions.  Tous  les  candidats  potentiels  sont  emprisonnés  et  tous  les  libérés  sont  surveillés.  On  ne  peut  donc  pas  aller  aux  élections  de  cette  manière.  De  plus,  le  parti  n’a  pas  les  moyens  matériels  et  financiers.  Il  faut  un  signal  fort  du  gouvernement  de  Ouattara,  par  exemple  la  libération  des  partisans  de  Gbagbo.  

 4/  Entrée  dans  l’opposition  et  participation  aux  prochaines  élections    Tout  dépend  de  la  situation  dans  laquelle  se  trouve  le  FPI  lui  même.  On  ne  peut  pas  présenter  n’importe  quel  candidat.  La  démocratie  en  Côte  d’Ivoire  est  fondée  sur  les  groupes  ethniques.  Les  candidats  potentiels  ne  sont  pas  dans  les  conditions  pour  participer  car  leurs  maisons  sont  soient  occupées,  soient  elles  ont  été  brûlées.    Ils  ont  arrêté  les  personnes  susceptibles  d’être  assez  fortes  pour  se  présenter.  De  plus,  70  %  des  électeurs  potentiels  «  pro  Gbagbo  »  sont  hors  de  Côte  d’Ivoire.  Beaucoup  ont  pris  la  fuite  et  pour  ceux  qui  sont  sur  place,  nombre  d’entre  eux  n’ont  plus  de  carte  d’identité  ou  de  carte  d’électeur.  Moi  j’ai  géré  quelques  problèmes  avec  l’ONUCI  sur  place  dans  ma  région.  Ils  m’ont  aidé  avec  la  sous  préfecture  car  beaucoup  de  gens  ont  perdu  leur  papiers  d’identité.  Or,  l’élection  présidentielle  est  dans  deux  ans.  Comment  vont-­‐ils  faire  pour  organiser  des  élections  sans  électeurs.  C’est  très  difficile  pour  le  FPI.  Les  électeurs  «  pro  Ouattara  »  sont  sur  place,  pas  les  «  pro  Gbagbo  ».  Il  faudrait  faire  rentrer  les  gens  en  exil  et  libérer  les  prisonniers  politiques  pour  qu’ils  puissent  participer  aux  élections.  

 5/  Question  générale-­‐  Participation  au  processus  de  réconciliation      Je  ne  pose  pas  de  conditions  à  la  réconciliation.  Si  on  pose  des  préalables,  on  n’ira  pas  à  la  réconciliation.  La  réconciliation  est  une  mission  d’avenir.  On  est  obligés  de  l’accepter.  Je  veux  qu’on  fasse  des  propositions  mais  nous  demandons  aussi  que  des  efforts  soient  faits.  On  ne  peut  pas  demander  à  une  mère  dont  l’enfant  est  en  prison  d’aller  à  la  réconciliation.  Je  ne  demande  pas  la  libération  de  tous  les  prisonniers  politiques,  mais  simplement  un  effort  de  la  part  du  gouvernement.  Si  on  pose  des  conditions  et  des  préalables,  Ouattara  n’acceptera  pas.  Ce  sont  des  propositions  de  sortie  de  crise,  mais  pas  des  préalables.  C’est  mon  travail  d’amener  les  militants  à  la  réconciliation.    

 6/  «  Justice  des  vainqueurs  »  et  Amnistie      Les  gens  parlent  de  justice  des  vainqueurs  parce  qu’il  y  a  eu  des  affrontements  pendant  dix  ans  et  il  y  a  eu  des  morts  de  part   et   d’autre.   Les   deux   camps   étaient   armés   et   désormais   un   seul   belligérant   est   responsable   des   crimes   contre  l’humanité.  Certains  disent  que  Gbagbo  est  le  président  légitime,  et  donc,  qu’il  était  tout  à  fait  normal  qu’il  soit  intervenu  

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pour  protéger   le  pouvoir  politique  en  place.  Hollande  aurait   fait   la  même  chose  pour  défendre   la   France.  Mais   c’est   la  France  elle  même  qui  a  préféré  soutenir   la  rébellion.  Gbagbo  a  été  attaqué  alors  qu’il  était   le  président   légitime.  Aucun  partisan  de  Ouattara  n’est  en  prison.  Je  suis  en  accord  avec  ce  concept  de  «  justice  des  vainqueurs  »  et  la  question  se  pose  aussi  avec  la  CPI  (Cour  Pénale  Internationale)  :  La  CPI  juge-­‐t-­‐elle  le  droit  ou  des  questions  politiques  ?    Par  contre  je  ne  suis  pas  pour  une  amnistie  générale.  Cela  signifierait  reconnaître  les  faits  commis  et  seulement  d’un  côté.  Il  faut  que  tout  le  monde  soit  jugé  au  même  titre.  On  ne  peut  pas  demander  une  amnistie  générale  quand  un  seul  camp  est   emprisonné.   Cela   voudrait   également   dire   abandonner   le   fait   que   l’autre   camp   ait   commis   des   exactions.   Rendre  justice,  cela  veut  dire  que  les  deux  camps  doivent  être  jugés.  Si  les  deux  camps  étaient  emprisonnés,  alors  oui,  dans  ce  cas  je  voudrais  que  justice  soit  rendue  et  qu’ensuite  une  amnistie  soit  décidée.  Pour  le  respect  des  victimes,  il  faut  que  justice  soit  rendue,  car  même  ceux  qui  ne  faisaient  pas  de  politique  ont  été  tués.  Ne  pas  rendre  justice,  cela  signifie  ne  pas  punir.  Or,  il  faut  juger,  punir  et  pardonner  pour  construire  l’avenir.  L’amnistie  générale  voudrait  dire  laisser  la  porte  ouverte  à  de  nouveaux   troubles   et   de   nouvelles   rébellions.   Il   est   très   dangereux   de   faire   une   amnistie   générale.   Ceux   qui   ont   tué  doivent  être  jugés.      7/  Commission  pour  le  Dialogue,  la  Vérité  et  la  Réconciliation    La  CDVR  a  été  mise  en  place  alors  que  nous  n’étions  même  pas  sorti  de   la  crise.  Elle  a  été  mise  en  place  trop  tôt.  À  ce  moment  là,  les  «  pro  Gbagbo  »  étaient  encore  pourchassés.  De  plus,  la  composition  de  la  CDVR  n’est  pas  équilibrée.  Elle  est   composée   seulement   de   personnes   issues   du   Rassemblement   des   Houphouétistes   pour   la   Démocratie   et   la   Paix  (RHDP).   Banny,   son   président,   a   des   ambitions   politiques.   C’est   un   homme  de   la   droite   et   un   politicien.   Sa  mission   se  termine  le  28  septembre  2013  et  il  ne  veut  plus  renouveler  son  mandat  parce  qu’il  estime  que  les  conditions  pour  aller  à  la  réconciliation  ne  sont  pas  réunies  et  que  le  gouvernement  ne  l’aide  pas  pour  lui  faciliter  la  tâche.    Pour  être  crédible,  Ouattara  aurait  dû  nommer  quelqu’un  qui  n’a  pas  d’engagement  ni  d’ambition  politique,  par  exemple,  un  religieux.  La  CDVR  est  politisée.  C’est  pour  cette  raison  qu’il  est  difficile  d’obtenir  des  résultats.    De  plus,  Ouattara  vient  de  créer  le  Programme  National  de  cohésion  sociale  et  il  y  a  nommé  une  femme  du  RDR.  Il  a  fait  cela  pour  mettre  à  mal  la  CDVR  et  Banny.  Comment  voulez  vous  que  le  peuple  soit  en  accord  avec  cette  commission  ?  Ceux  qui  ont  enlevé  Gbagbo  tiennent  les  ficelles  de  la  CDVR  alors  qu’il  aurait  fallu  mettre  quelqu’un  de  l’autre  côté  ou  un  homme  de  compromis.  Les  ivoiriens  préfèreraient  une  personne  qui  soit  du  camp  de  Gbagbo,  pour  calmer  le  jeu.      Si  la  composition  de  la  CDVR  est  d’apparence  équitable,  avec  toutes  les  régions  représentées,  ils  n’ont  pas  choisi  des  gens  influents.  On  ne  peut  pas  parler  de  neutralité.  Du  côté  du  FPI,  il  y  a  seulement  Sery  Bailly  pour  diriger  le  groupe  des  intellectuels.  Mais  il  n’est  pas  de  la  région  de  Gagnoa.  Or,  ceux  qui  ont  été  le  plus  victimes  de  la  crise,  ce  sont  les  gens  de  cette  région  qui  est  la  région  de  Gbagbo.  C’est  un  intellectuel  mais  ce  n’est  pas  un  politique  qui  a  de  l’influence  sur  les  populations.  L’important  c’est  de  trouver  des  personnes  influentes  dans  leur  région  car  l’importance  c’est  le  groupe  ethnique.  Les  gens  veulent  parler  avec  des  gens  du  même  groupe  ethnique.  Les  ivoiriens  ne  parlent  pas  en  terme  d’ivoiriens  tués  mais  en  termes  d’ethnies  tuées,  par  exemple,  les  gens  disent  «  les  bétés  et  les  guérés  ont  été  tués  ».  La  composante  ethnique  complique  la  réconciliation  du  peuple.  

 8/  Sécurité  sur  le  territoire      Le   retour   n’est   possible   que   si   les   conditions   sécuritaires   sont   réunies.   Les   maisons   sont   toujours   occupées   par   les  militaires  de  Ouattara  illégalement.  Le  Ministre  de  la  défense  a  demandé  que  les  maisons  occupées  soient  libérées  par  les  FRCI  et  les  a  menacé  d’intervenir  par  la  force.  Si  le  pouvoir  lui  même  se  pose  des  questions  sur  la  sécurité,  c’est  que  les  conditions  d’un  retour  ne  sont  pas  remplies.    

 9/  Question  foncière/  Question  des  étrangers    La   question   foncière   a   été   l’un   des   facteurs   dynamiques   de   la   crise.   C’est   un   vieux   problème   datant   du   temps   de   la  colonisation.  Mais  avant,  nous   traitions   le  problème  sur   le  plan  africain.  Mon  père  était  planteur.   Les  gens  de   la  Haute  Volta  venaient  travailler  et  ces  gens  demandaient  des  terrains  pour  faire  de  l’agriculture  vivrière  pour  nourrir  leur  famille.  Leurs  employeurs,  les  planteurs  ou  autres,  leurs  mettaient  des  parcelles  à  disposition  mais  ce  n’était  pas  une  vente.  Cela  a  commencé  à  poser  problème  quand  les  enfants  des  planteurs  n’ont  pas  trouvé  de  travail  en  ville  et  ont  décidé  de  revenir  à   la   campagne.   Ils   voulaient   récupérer   les   terres   de   leurs   parents   prêtées   aux   étrangers.   Les   accords   de   Marcoussis  réglaient   cette   question   en   disant   que   tous   ceux   qui   étaient   nés   avant   l’indépendance   de   la   Côte   d’Ivoire   devenaient  automatiquement  ivoiriens  et  cela  réglait  tous  les  problèmes  liés  à  la  terre.  Mais  avant  cela  il  y  a  eu  la  naissance  l’ivoirité  et  Gbagbo  a  continué  sur  la  même  voie.  La  question  des  terres  est  très  douloureuse  pour  les  ivoiriens,  car  pour  eux  c’était  des   prêts,   c’était   humanitaire.  Maintenant,   ils   ont   l’impression   d’avoir   été   piégés.   Humainement,   il   est   normal   que   ce  problème   soit   résolu.   Ceux   qui   ont   des   familles   et   ont   toujours   vécu   en  Côte   d’Ivoire,   on   ne   peut   pas   les   renvoyer   au  Burkina.  On   leur   donne   les   terres   et   on   arrête   le   problème.   Par   contre,   pendant   la   crise,   certaines  plantations  ont   été  occupées   par   des   populations   burkinabaises   lorsque   les   ivoiriens   ont   fui.   Ces   personnes   occupent   et   exploitent  illégalement  ces  terres.  Dans  ces  cas,  il  faut  restituer  les  terres  aux  propriétaires.        

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10/  Avancée  de  la  réconciliation  /  Avenir  du  FPI      La   démocratie   n’est   pas   encore   bien   implantée   en   Afrique.   Si   Gbagbo   est   libéré,   la   réconciliation   ira   de   soit   car   les  éléments  contestataires  de  l’emprisonnement  de  Gbagbo  accepteront  la  réconciliation.  Cela  serait  une  bonne  chose  pour  la  réconciliation.    Mais  il  y  a  vraiment  un  problème.  On  voit,  du  côté  des  victimes  qu’il  y  a  une  association  de  victimes  «  pro  Ouattara  ».  Mais  aujourd’hui,   il  est  impossible  de  créer  une  association  de  victimes  «  pro  Gbagbo  ».  Or,   il  ne  faut  pas  faire  de  différences  entre   les   victimes.   Elles  doivent   toutes  être   traitées   sur   le  même  pied  d’égalité.  Ouattara  doit   se   considérer   comme   le  président   de   la   nation,   et   non   le   président   d’une   ethnie.   Le   président   doit   faire   que   toutes   les   victimes   soient  dédommagées.  Cette  association  est  une  moquerie.    Pour  ce  qui  est  de  la  CPI,  si  la  CPI  n’était  pas  un  tribunal  politique,  on  libèrerait  Gbagbo  au  moins  provisoirement.  On  ne  peut   pas   dire   qu’il   y   a   insuffisance   de   preuves   alors   que   la   procureure   a   pris   tout   son   temps.   Il   y   a   un   manque   de  crédibilité.  La  procureure  va  demander  des  preuves  à  Ouattara  contre  Gbagbo.  Cela  ne  calme  pas  le  jeu.      Enfin,  sur  la  question  concernant  l’avenir  du  FPI,  je  ne  pense  pas  qu’on  doive  focaliser  l’avenir  d’un  parti  politique  sur  un  individu.  Le  problème,  c’est  que  80  %  des  militants  font  un  culte  de  la  personnalité.  Les  gens  qui  viennent  soutenir  Gbagbo  l’aime  parce  qu’il  répond  à  leurs  besoins.  Ils  ne  viennent  pas  pour  les  idées  du  FPI.  Moi,  j’y  suis  pour  les  valeurs  que  porte  ce  parti  et  je  veux  que  le  FPI  continue  d’exister  sans  Gbagbo.  On  doit  continuer  le  combat  là  où  Gbagbo  l’a  laissé.  Mais  la  majorité  des  partisans  pour  le  moment  n’est  pas  pour  faire  de  la  politique.  C’est  une  ignorance  des  règles  du  jeu  politique  et  des  valeurs  de  la  politique.                                                                      

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Annexe  3  :  Entretien  n°2    Entretien  avec  Franck  Kalou,  partisan  de  Laurent  Gbagbo  18  juin  2013      1/  Profil  de  la  personne  interviewée  –  Parcours  politique      Je  ne  suis  pas  un  militant  du  FPI,  ni  un  «  pro  Gbagbo  ».  Je  suis  un  africain  qui  a  évolué  sous  l’influence  française  en  Côte  d’Ivoire  et  je  fais  partie  de  ceux  qui  n’ont  jamais  cru  à  la  liberté  donnée  aux  ivoiriens  par  les  français.  J’ai  fait  mes  études  en  France.  J’y  ai  étudié  le  droit  et  le  commerce  et  j’ai  ensuite  travaillé  pour  Boloré,  dans  la  filière  communication  sportive.    J’ai  développé  une  conscience  politique  avec  les  syndicats  étudiants  et  j’ai  dénoncé  la  politique  de  Boigny.  Je  ne  suis  pas  FPI,  je  suis  un  homme  libre.  Pour  moi,  la  lutte  politique  au  niveau  interne  à  la  Côte  d’Ivoire  est  secondaire.  Il  faut  d’abord  que  l’on  combatte  pour  la  liberté  et  l’indépendance  vis-­‐à-­‐vis  de  la  France.  Bien  sûr,  les  idées  me  rapprochent  des  militants  du  FPI.  Nous  avons  tous  une  chose  en  commun  :  notre  pays.      2/  Question  générale  -­‐  Dialogue  politique        Dans  l’idée,  je  pense  que  le  rétablissement  du  dialogue  politique  avec  le  gouvernement  actuel  est  une  bonne  chose.  Mais  le   problème,   c’est   que   le   gouvernement   ne   veut   pas   aller   à   la   réconciliation.   Il   n’en   a   pas   crée   les   conditions.   De  nombreuses  personnes  de  l’opposition  au  gouvernement  sont  emprisonnées  sans  aucun  motif.  Parfois  même,  ce  sont  des  gens   qui   n’ont   jamais   eu   d’activité   politique.   Ouattara   est   stratégique   et   fait   croire   à   sa   volonté   de   réconciliation   et  d’apaisement   du   climat   social.  Mais,   de   toute  manière,   les   vraies   discussions   doivent   se   faire   avec   la   France.   Puisque  Ouattara  gouverne  sous  l’autorité  de  la  France,  c’est  avec  la  France  qu’il  faut  discuter  

 3/  Boycott  des  élections    Je  pense  que  le  boycott  est  une  bonne  chose.  Mais  de  toute  manière,  Ouattara  sera  réélu  grâce  au  soutien  des  pays  occidentaux.  Au  regard  du  droit,  Ouattara  n’est  pas  légal.  Les  prochaines  élections  pourraient  lui  permettre  d’asseoir  sa  légitimité.  Mais  pour  cela,  il  faudrait  qu’il  gagne  les  élections  en  présence  d’une  réelle  opposition  politique.  Or  ce  n’est  pas  le  cas  à  l’heure  actuelle.  

 4/  Entrée  dans  l’opposition  et  participation  aux  prochaines  élections    On  peut  seulement  parler  d’opposition  politique  lorsqu’il  y  a  un  gouvernement  légal.  Or,  Ouattara  n’est  pas  légitime,  il  n’est  pas  le  président  de  la  Côte  d’Ivoire.  Si  j’avais  été  du  FPI,  je  n’aurai  jamais  décidé  d’engager  les  négociations  avec  le  gouvernement  actuel.  Actuellement,  on  ne  peut  pas  dire  qu’il  y  a  une  opposition  politique  en  Côte  d’Ivoire.  

 5/  Question  générale-­‐  Participation  au  processus  de  réconciliation      C’est  une  question  difficile  qui  n’a  pas  germé  dans  mon  esprit,  car  pour  arriver  à  penser  à  la  réconciliation,  il  faudrait  que  la  bande  d’agresseurs  de  Ouattara  avoue  et  s’excuse  sur  ce  qu’elle  a  fait  depuis  10  ans.  Il  n’y  a  pas  eu  de  tueries  dans  les  deux   camps   au   sens   où   la   plupart   des   gens   l’entendent.   C’est   le   gouvernement   légitime   de  Gbagbo   qui   a   été   agressé  depuis   2002.   On   cherche   à   embastiller   Gbagbo   alors   qu’il   a   simplement   joué   son   rôle   de   premier   défenseur   de   la  République  de  Côte  d’Ivoire,  de   chef  des  armées.   Le   clan  de  Ouattara  a  massacré  des  milliers  de  personnes.  Gbagbo  a  seulement  joué  son  rôle  en  donnant  l’ordre  de  défendre  la  République  et  de  rétablir  la  sécurité  sur  le  territoire  face  à  une  agression  armée.  C’est  pour  cette  seule  raison  qu’il  y  a  eu  des  morts.  Donc  il  n’y  a  pas  eu  d’exactions  des  deux  côtés.  Du  côté  de  Gbagbo,  il  y  a  eu  l’intervention  d’une  armée  légale.  La  vérité  est  étouffée.  Or,  si  la  vérité  n’est  pas  dite,  on  ne  peut  même  pas  envisager  de  parler  de  réconciliation.  Tant  que  l’on  fera  passer  les  victimes  pour  des  bourreaux,  il  n’y  aura  pas  de  réconciliation.  La  condition  de  la  réconciliation  est  donc  pour  moi  l’établissement  de  la  vérité.  De  plus,  ceux  qui  parlent  de  réconciliation,  ce  ne  sont  pas  des  vrais  ivoiriens.  Ils  se  prennent  pour  des  ivoiriens  mais  ils  ne  le  sont  pas.  Ce  sont  les  gens  du  Nord,  les  dioulas.  Sous  prétexte  qu’ils  ont  participé  à  la  construction  de  la  Côte  d’Ivoire,  ils  se  prennent  de  facto  pour  des   ivoiriens.   Ce  n’est   pas  de   la   xénophobie.  Quelqu’un  qui   souhaite   simplement   sauvegarder   les   intérêts  de   son  pays  n’est  pas  un  xénophobe.    Finalement,  ici  encore,  je  pense  que  la  réconciliation  est  d’abord  une  négociation  avec  la  France  directement.  Il  n’y  aura  pas  de  réconciliation  sans  discussion  avec  la  France.    6/  «  Justice  des  vainqueurs  »  et  Amnistie      La   notion  de  «  justice  des   vainqueurs  »   n’est   pas   une  bonne  notion.   Pour  utiliser   cette  notion,   il   faudrait   qu’il   y   ait   un  vaincu.  S’il  y  avait  eu  une  vraie  guerre,  de  toute  façon,  Ouattara  n’aurait  jamais  gagné.  C’est  la  France  qui  a  gagné.  Mais  si  l’on  veut  parler  du  contenu  de  cette  notion  et  de  ce  qu’elle  veut   faire  entendre,  en  effet,  on  peut  parler  de   justice  des  vainqueurs  dans  la  mesure  où  personne  du  camp  de  Ouattara  n’a  été  inquiété  par  la  justice.  Mais  pour  nous,  Ouattara  est  

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une  parenthèse  dans  l’histoire  de  notre  pays.    Quant  à  l’amnistie,   les  gens  qui  sont  actuellement  en  prison  n’auraient  jamais  dû  l’être.  Accepter  le  concept  d’amnistie,  c’est   accepter   que   les   gens   soient   emprisonnés   alors   qu’ils   ne   devraient   pas   l’être,   et   c’est   accepter   la   culpabilité.   Par  contre,  tout  le  monde  a  la  preuve  que  des  crimes  ont  été  commis  par  le  camp  de  Ouattara.        7/  Commission  pour  le  Dialogue,  la  Vérité  et  la  Réconciliation    Cette   commission  est  de   la  poudre  aux  yeux.  Ouattara   s’est   allié  au  PDCI.  Mais   les  gens  du  PDCI  n’ont  pas  de   courage  politique.  Banny  a  accepté   ce   travail   comme  un   tremplin  politique.   Il   est   vu   comme  quelqu’un  qui  n’a  pas  de   courage.  Quand  on  parle  de  réconciliation  à  l’africaine,  il  faut  dire  la  vérité,  sinon  cela  ne  sert  à  rien.  Il  ne  peut  y  avoir  de  réel  oubli  sans  vérité.  Il  faut  reconnaître  l’état  de  victime.  Aujourd’hui,  la  tâche  qui  nous  incombe  est  de  préparer  les  esprits  à  ne  pas  aller  à  une  nouvelle  guerre.   Les   ivoiriens  ont,   comme  tous   les  hommes,   l’esprit  de   revanche.  Si  Ouattara  part,   les  vrais  ivoiriens  vont  réapparaitre.  On  doit  donc  préparer  la  population  à  ne  pas  se  venger.  

 8/  Sécurité  sur  le  territoire    Le  retour  des  exilés  est  possible  mais  il  faut  restituer  les  biens  à  leurs  propriétaires.  Les  maisons  sont  soit  occupées,  soit  elles  ont  été  confisquées  ou  encore  dévastées.  Les  exilés  ont  peur  pour  leur  sécurité.  Il  faut  des  garanties  de  sécurité  pour  envisager  un  retour.  

 9/  Question  foncière/  Question  des  étrangers    Il  n’y  aurait  pas  de  problème  si  le  droit  de  propriété  était  respecté.  Le  problème  de  la  Côte  d’Ivoire  est  d’avoir  accepté  une  immigration  sauvage  d’étrangers  qui  ont  pris  des  terres  et   les  exploitent  sans  en  avoir   le  droit.  Les  gens  de  l’Ouest  sont  chassés   de   leurs   terres   et   celles-­‐ci   sont   occupées   par   des   burkinabés.   La   question   qui   se   pose   est   de   savoir   comment  réparer  les  torts  commis  et  vivre  en  harmonie  avec  les  étrangers.  Le  code  civil  est  la  copie  conforme  du  code  civil  français.  Est  ce  que  le  fait  que  vous  viviez  en  Côte  d’Ivoire  fait  de  vous  un  ivoirien  ?  Il  y  a  des  gens  qui  auraient  pu  devenir  ivoiriens  et  ils  ne  l’ont  pas  demandé.  Et  même  si  l’on  a  la  nationalité  ivoirienne,  on  n’est  pas  forcément  propriétaire.  Si  la  loi  dit  que  tel  étranger  est  propriétaire  d’une  terre,  alors  je  suis  d’accord.  Mais  ce  n’est  pas  parce  qu’on  est  sur  une  terre  depuis  60  ans  qu’on  en  est  propriétaire.  À  l’époque  où  les  burkinabés  venaient  travailler  comme  métayer,  les  ivoiriens  faisaient  des  prêts  de  parcelles  et  non  des  ventes.  C’était  un  geste  coutumier  et  d’hospitalité.  Je  ne  comprends  pas  comment  on  peut  autant  vouloir  faire  accepter  un  principe  qui  n’est  appliqué  nul  par  ailleurs.  Pourquoi   les   ivoiriens  devraient  accepter  de  donner  définitivement  leur  terre  sous  prétexte  qu’ils  l’ont  prêter  il  y  a  60  ans.    10/  Avancée  de  la  réconciliation  /  Avenir  du  FPI      En  ce  qui  concerne  la  CPI,  les  occidentaux  ont  crée  une  institution  seulement  pour  les  africains.  On  va  se  battre  jusqu’à  ce  que   la  CPI   ferme   ses  portes.  Gbagbo  n’est   coupable  de   rien.   Il   était   le   chef  des  armées  et  a   réagi  en   légitime  défense.  Pourquoi   ce   sont   les   rebelles   qui   ont   eu   une   licence   de   tuer   alors   que   Gbagbo   exerçait   lui   son   pouvoir   légitime.   Les  occidentaux  nous  enseigne  des  concepts  qu’ils  sont  incapables  d’appliquer  à  eux  mêmes.      En  ce  qui  concerne  l’avenir  du  FPI,  Gbagbo  en  est  le  fondateur  mais  il  n’est  pas  le  dépositaire  exclusif  des  idées  portées  par  le  FPI.  Si  le  FPI  participe  aux  prochaines  élections  et  que  de  vraies  élections,  libres  et  indépendantes  sont  organisées,  Ouattara  ne  passera  pas.  Le  FPI  n’est  pas  parfait  mais  il  a  un  avenir  car  c’est  le  seul  parti  qui  défend  les  intérêts  de  la  Côte  d’Ivoire.  Tout  le  monde  sait  cela  en  Côte  d’Ivoire.  

                                 

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Annexe  4  :  Entretien  n°3    Entretien  avec  Armand  Kipré,  militant  du  FPI  20  juin  2013    1/  Profil  de  la  personne  interviewée  –  Parcours  politique      Je   suis  avant   tout  un  homme  de   la  diaspora   ivoirienne  et  quelqu’un  d’objectif.   Je   suis  militant  depuis  que   je   suis  étudiant.   J’ai  d’abord  été  un  militant  du  parti   de   gauche  en  France  et   j’ai   apprécié  Gbagbo   car   il   est  quelqu’un  qui   aime   la  démocratie.   Il   a  prouvé  que  grâce  à  la  compétence,  on  pouvait  arriver  aux  plus  hautes  fonctions.  Je  suis  militant  du  FPI  depuis  plus  de  15  ans.  J’ai  été  membre  du  bureau  de   la  représentation  en  France,  mais   je  dois  dire  qu’avoir  une  fonction  à   la  représentation  est  plus  une  histoire  de  copinage.  Il  n’y  avait  pas  de  militantisme  au  sens  propre  du  mot  et  pas  de  travail  scientifique  engagé  qui  y  était  fait.  Il  y  avait   beaucoup   de  marches.   J’étais   d’ailleurs   chargé   d’encadrer   la   sécurité   lors   de   ces  marches   en   France.  Mais   nous   n’avons  jamais  fait  un  travail  qui  puisse,  selon  moi,  faire  avancer  les  choses.    2/  Question  générale  -­‐  Dialogue  politique        La  meilleure   solution   est   d’aller   vers   l’autre   et   de   favoriser   le   dialogue.  Mais   il   y   a   un  préalable  :   que   le   pouvoir   en  place   soit  démocrate  et  laisse  l’opposition  politique  libre.  Aujourd’hui,  le  pouvoir  a  tous  les  moyens  de  contrôle  sur  les  politiciens.      

 3/  Boycott  des  élections    Je   pense   que   c’était   une   bonne   stratégie.   Si   nous   n’avons   pas   une   attitude   ferme,   l’autre   ne   bougera   pas,   et   nous   nous  retrouverons  en  situation  de  suffisance.  La  pratique  du  boycott  a  au  moins  permis  d’alerter  la  communauté  internationale.    Mais  sur  le  plan  stratégique,  ce  n’est  pas  bon  dans  le  temps.  Ouattara  pourrait  utiliser  la  pratique  du  boycott  par  le  FPI  pour  dire  que  le  FPI  est  composé  de  radicaux.  Chez  nous,  le  pardon  est  important.  

 4/  Entrée  dans  l’opposition  et  participation  aux  prochaines  élections    Je  suis  pour  que  le  FPI  présente  un  candidat.  Comme  je  vous  l’ai  dit,  à  long  terme,  il  n’est  pas  bon  de  rester  trop  longtemps  hors  du  jeu  des  élections.  

 5/  Question  générale-­‐  Participation  au  processus  de  réconciliation      Il   faut  deux   individus  pour  dire  ce  sur  quoi  on  est  d’accord  ou  pas  d’accord.  C’est  une  question  de  compromis.   Je  pense  que   le  minimum  est  d’assurer  la  sécurité  des  personnes  et  des  biens  car  les  gens  ont  peur.  En  Afrique,  les  armes  circulent  facilement.  Au  niveau  de  la  population,  s’il  y  a  du  travail  ainsi  qu’une  politique  d’éducation  et  de  santé  qui  fonctionne,  alors  on  pourra  avoir  la  réconciliation.  C’est  grâce  à  cela  que  la  population  pourra  se  mettre  d’accord.  Il  est  nécessaire  de  moins  politiser  la  population.    Je   pense   également   qu’il   faut   libérer   les   prisonniers   politiques.   Si   Gbagbo   n’aimait   pas   la   démocratie,   je   peux   vous   dire   que  Ouattara  ne  serait  pas  au  pouvoir  aujourd’hui.  

 6/  «  Justice  des  vainqueurs  »  et  Amnistie      La  justice  des  vainqueurs  est  une  justice  arbitraire  qui  empêche  les  gens  de  s’exprimer.    Quant  à   l’amnistie,   je   suis  pour.   Il   faut  pardonner  et   favoriser   le  dialogue.  Dans   le   comportement  des   ivoiriens,   il   y   a   toujours  l’idée   de   pardon.   Il   faut   en   quelque   sorte  mener   une  médiation.   Si   la   justice   trouve   une   solution   pour   les   victimes,   on   peut  amnistier  pour  pardonner.  Il  faut  simplement  que  l’on  arrête  de  se  battre.    7/  Commission  pour  le  Dialogue,  la  Vérité  et  la  Réconciliation    On  aurait  du  laisser  cette  institution  aller  jusqu’au  bout,  mais  elle  a  été  politisée  et  contrôlée.  Banny  avait  une  bonne  intention,  notamment  sur  la  question  foncière,  afin  de  réconcilier  les  ivoiriens.  Je  pense  que  le  mandat  de  la  CDVR  ne  va  pas  être  renouvelé.  De  toute  manière,  cela  ne  sert  à  rien  si  les  hommes  politiques  ne  sont  pas  libérés.  Si  la  CDVR  est  remplacée  par  le  plan  de  cohésion  sociale,  alors  n’y  aura  pas  de  vérité  et  de  ce  fait  cette  institution  n’a  pas  le  droit  de  vivre.  

 8/  Sécurité  sur  le  territoire      Si  le  gouvernement  prend  un  engagement  ferme,  alors  pourquoi  pas  ?  Ce  n’est  pas  facile  d’être  exilé.  Les  ivoiriens  seraient  bien  mieux  chez  eux.  Mais  pour  le  moment,  il  n’y  a  que  des  voyous  illettrés  qui  ont  des  armes,  les  ivoiriens  ne  sont  pas  rassurés.    

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9/  Question  foncière/  Question  des  étrangers    On  ne  peut  accepter  ce  qui  se  passe.  Ils  s’approprient  des  terres  arbitrairement.  Personne  au  monde  ne  peut  accepter  cela.  Mais  de  toute  façon,  il  faut  une  loi  qui  oblige  toute  famille  à  scolariser  les  enfants  jusqu’à  16  ans  pour  que  l’on  puisse  se  comprendre.  Le  dialogue  passera  également  par  les  institutions  religieuses    C’est  de  la  faute  des  colons.  La  Côte  d’Ivoire  a  été  balkanisée.  Pourquoi  ont-­‐ils  dit  que  l’homme  ivoirien  était  fainéant  ?  Ma  terre  m’appartient.   C’est   une   solution   juridique   qui   doit   être   trouvée,  mais   on   ne   peut   pas   arracher   la   terre   de   quelqu’un   pour   la  donner  à  un  burkinabé  pour  faire  des  plantations.  C’est  une  humiliation  !  Une  injustice  !  La  seule  solution  est  que  l’Etat  ivoirien  fasse  une  loi.  L’hospitalité  ne  donne  pas  le  droit  de  propriété.  Ce  n’est  pas  parce  que  cela  fait  40  ans  que  tu  es  sur  une  terre  que  tu  en  est  propriétaire.  Ce  n’est  pas  de   la  xénophobie.  Au  Sénégal,  pour  avoir  une   terre,   c’est  beaucoup  plus  difficile.  Pourquoi  veut-­‐on  nous  obliger  à  faire  cela  en  Côte  d’Ivoire  ?  Il  faut  un  homme  fort  pour  mettre  fin  à  ce  système.  

 10/  Avancée  de  la  réconciliation  /  Avenir  du  FPI      Cette  institution  ne  représente  rien  du  tout.  La  CPI  s’est  réveillée  après  2010,  mais  où  sont  les  autres  auteurs  ?  Gbagbo  n’est  pas  le  seul  responsable.  Où  est  la  France  dans  cette  histoire  ?  C’est  une  institution  politique.  C’est  l’affaire  des  occidentaux.    Lorsque  l’on  regarde  ce  qui  se  passe  avec  Gbagbo  à  la  CPI,   je  suis   indigné  par   le  fait  qu’on  laisse  passer  des  vices  de  procédure  comme  ça  devant  un  tribunal  international.    Libérer   Gbagbo   est   de   toute   façon   la   seule   solution   de   la   réconciliation.   L’homme   ivoirien   peut   pardonner,   à   condition   que  Gbagbo  soit  libéré.      Pour  ce  qui  est  de  l’avenir  du  FPI,  je  ne  pense  pas  que  Gbagbo  soit  irremplaçable.  Il  y  a  une  nouvelle  génération  qui  arrive.  

                                                               

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Annexe  5  :  Entretien  n°4    Entretien  avec  Thibeaud  Obou,  partisan  de  Laurent  Gbagbo  et  président  de  l’association  Africains  du  monde  21  juin  2013    1/  Profil  de  la  personne  interviewée  –  Parcours  politique      Je   suis   président   de   l’association   Africains   du  Monde,   qui   a   pour  mission   la   défense   des   intérêts   des   africains   dans   le  monde  entier.   Je  ne   suis  pas  un  militant  du  FPI  mais   je  défends   la   cause  des  africains  et   j’accompagne   le  FPI  afin  que   la  Côte  d’Ivoire  recouvre  sa  souveraineté  dans  le  cadre  d’un  mouvement  de  résistance.  Je  suis  un  acteur  de  la  politique  ivoirienne  sans  être  un  militant  du  FPI.  Mais  nous  nous  inscrivons  dans  la  même  mouvance  d’idées.  J’ai  par  ailleurs  publié  plusieurs  articles  et  lancé  une  pétition  pour  la  fermeture  de  la  CPI.    2/  Question  générale  -­‐  Dialogue  politique        Avant  de  parler  de  réouverture  du  dialogue  politique,  il  faut  déjà  que  le  pays  soit  libéré.  Il  faut  libérer  les  prisonniers  politiques  et  que  l’armée  française  ainsi  que  les  autres  armées  étrangères  présentes  sur   le  territoire  (ONUCI,  forces  spéciales  américaines  et  anglaises)  partent.  Le  pays  est  sous  occupation.  Dans  cette  situation,  il  n’y  a  pas  de  négociation  possible.  Et  dans  le  cas  même  où  on  envisagerait  des  négociations,  celles  ci  doivent  être  menées  avec  la  France  qui  est  le  réel  acteur  qui  gouverne  la  Côte  d’Ivoire  actuellement.    

 3/  Boycott  des  élections    Quand  un  pays  est  occupé,  il  ne  peut  y  avoir  d’élections.  Toutes  les  réactions  adverses  sont  neutralisées.  Le  boycott  n’est  pas  un  choix.  Il  n’y  a  aucune  autre  solution.  Il  n’y  a  pas  de  vie  politique  et  tout  le  monde  est  en  prison.  Il  n’y  a  pas  de  candidat  à  présenter.  

 4/  Entrée  dans  l’opposition  et  participation  aux  prochaines  élections    Le  FPI  peut-­‐il  être  considéré  comme  un  parti  qui  peut  présenter  un  candidat  ?  Non    5/  Question  générale-­‐  Participation  au  processus  de  réconciliation      Il  faut  que  plusieurs  conditions  soient  réunies  :  -­‐libération  de  Gbagbo  -­‐retrait  de  la  France  -­‐les  personnes  qui  ont  commis  des  crimes  doivent  être  jugées      6/  «  Justice  des  vainqueurs  »  et  Amnistie      Ce   n’est   pas   la   «  justice   des   vainqueurs  ».   C’est   la   justice   des   occupants.   La   Côte   d’Ivoire   n’est   plus   un   Etat   de   droit.   Tout   est  politisé.  C’est  aussi  pour  cette  raison  que  l’on  demande  la  fermeture  de  la  CPI.        7/  Commission  pour  le  Dialogue,  la  Vérité  et  la  Réconciliation    C’est  de  la  comédie.  Ces   institutions  ne  sont  pas   légales  car   l’autorité  elle  même  n’est  pas   légale.  On  demande  aux  africains  de  créer   ce   type   d’institutions   et   de   mettre   de   côté   la   notion   de   justice.   En   France,   j’aurai   aimé   qu’on   fasse   une   politique   de  réconciliation  après  Vichy.    Je  suis  pour  la  justice  et  pour  que  les  actes  soient  jugés  car  sinon,  on  entre  dans  un  phénomène  de  répétition.    Mais  je  suis  contre  ces  commissions,  car  c’est  la  justice  qui  doit  faire  son  travail  pour  réparer  et  apaiser.  La  justice  classique  est  faite  pour  harmoniser  et  éviter  que  les  actes  commis  ne  se  répètent.  

 8/  Sécurité  sur  le  territoire      La  meilleure  façon  d’apaiser   la  situation  est  de  faire  rentrer  toutes   les   ivoiriens  sur   le  territoire  et  de   libérer   les  prisonniers.  Ce  sont  les  occupants  qui  sont  responsables  de  la  sécurité.  S’ils  font  preuve  de  bonne  volonté  en  libérant  les  prisonniers  politique,  alors  la  situation  s’apaisera,  et  cela  permettra  également  aux  ivoiriens  de  rentrer  chez  eux.  

 9/  Question  foncière/  Question  des  étrangers  

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 C’est  l’Etat  qui  est  propriétaire  de  la  terre.  Les  personnes  occupants  les  terres  en  ont  la  jouissance  mais  ils  se  croient  propriétaires.  Donc  c’est  un  faux  problème.  Pour  ce  qui  est  des  étrangers,  il  y  a  eu  beaucoup  de  communication  autour  de  ce  problème.  Pendant  longtemps,  tous  les  voisins  de  la  Côte  d’Ivoire  venaient  étudier  et  travailler  sur  le  territoire.  Mais  la  politique  a  fait  remonter  des  problèmes,  ce  qui  a  crée  des  tensions  entre  les  populations.  La  France  a  tout  fait  pour  promouvoir  les  chefs  rebelles  étrangers.  Le  problème  des  étrangers  est  un  faux  problème.  Les  gens  ont  toujours  bien  vécu  ensemble.  Ceci  trouve  sa  source  dans  l’histoire  et  est  visible  dans  le  fait  qu’il  y  ait  des  alliances  entre  les  langues  pour  éviter  les  problèmes.    C’est  donc  avant  tout  un  problème  politique.  On  veut  que  les  ivoiriens  se  détournent  des  problèmes  liés  aux  richesses  et  qu’ils  se  détournent  de  ce  que  fait  la  France  en  Côte  d’Ivoire.  Quand  on  divise  le  peuple,  on  est  plus  tranquille  pour  exploiter  les  richesses.  

   10/  Avancée  de  la  réconciliation  /  Avenir  du  FPI      L’emprisonnement  de  Gbagbo  a  un  effet  certain  sur  le  pays.  Si  Gbagbo  est  libéré,  le  pays  sera  libéré  et  pourra  se  réconcilier.  Par  sa  libération,  on  libèrera  également  les  autres  prisonniers  politiques.  On  souhaite  également  que  les  africains  se  retirent  de  la  CPI.    Mais  dans  le  cas  de  la  confirmation  des  charges,  cela  aura  un  impact  négatif  car  le  pays  ne  pourra  pas  se  retrouver.      Quant  à  l’avenir  du  FPI,  je  pense  qu’il  ne  peut  pas  vivre  sans  son  fondateur.  Le  FPI  ne  peut  se  structurer  sans  Gbagbo.  Il  perdrait  de   la   force.  Mais   comme   toute   organisation,   elle   est   appelée   à   se   régénérer.   Cela   sera   difficile   sans   Gbagbo   car   les  militants  viennent  pour  lui.    Mais  si  le  FPI  présente  un  candidat  aux  prochaines  présidentielles,  cela  signifie  qu’ils  ne  sont  plus  dans  la  résistance  et  qu’ils  souhaitent  collaborer  avec  un  gouvernement  illégal.                                                                

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Annexe  6  :  Entretien  n°5    Entretien  avec  Lynda  Baroan,  militante  du  FPI  24  juin  2013    1/  Profil  de  la  personne  interviewée  –  Parcours  politique      J’ai  commencé  à  m’intéresser  à  la  politique  lorsque  j’étais  au  collège.  J’ai  épousé  les  idées  de  Laurent  Gbagbo  à  cette  époque  et  je  suis  devenue  sympathisante  du  parti.  Ce  qui  m’a  plu  en  premier,  ce  sont  surtout  les  idées,  et  non  spécifiquement  la  personne  de  Laurent  Gbagbo.  Ensuite,  en  2001  je  suis  partie  en  France  et  en  2002  j’ai  commencé  réellement  à  militer  auprès  du  FPI  en  France.  En  2005,  j’étais  chargée  de  la  mobilisation  des  femmes  pour  le  bureau  du  département  du  92.  À  l’heure  actuelle,  j’ai  pris  du  recul  avec  le  parti  d’une  part  pour  des  raisons  personnelles,  et  d’autre  part  à  cause  du  culte  de  la  personnalité  de  Laurent  Gbagbo  que  font  de  nombreux  militants  du  FPI.  Cela  m’a  un  peu  «  cassée  ».  Mais  je  reste  une  militante  des  idées  fondatrices  du  FPI.    2/  Question  générale  -­‐  Dialogue  politique        Laurent  Gbagbo  avait  proposé  en  son  temps  que  le  dialogue  soit  ouvert  avec  l’opposition  de  l’époque  mais  cette  dernière  avait  refusé.  Mais  désormais,  c’est  bien  les  partisans  de  Gbagbo  qui  sont  emprisonnés  et  exilés.  C’est  donc  bien  celui  qui  veut  proposer  le  dialogue  qui  n’est  pas  en  position  de  faiblesse.  Cela  dure  depuis  deux  ans.  Il  faut  que  le  gouvernement  actuel  fasse  un  pas  vers  l’autre.  

 3/  Boycott  des  élections    Si  l’on  était  dans  un  pays  développé,  le  FPI  serait  allé  aux  élections.  Mais  les  militants  et  les  cadres  sont  en  prison.  Dans  cette  situation,  on  ne  peut  pas  aller  aux  élections.  Qui  va  aller  voter  et  qui  va  se  présenter  ?  On  va  aller  voter  pour  qui  ?  De  plus,  matériellement,  il  était  impossible  de  se  préparer  aux  élections  car  les  maisons  sont  occupées.  Enfin,  l’occident  a  déjà  choisi  son  candidat  donc  cela  ne  servait  à  rien  de  participer.  

 4/  Entrée  dans  l’opposition  et  participation  aux  prochaines  élections    Le  FPI   intérimaire   rêve  s’il   a   l’intention  de  présenter  quelqu’un.  Ce  ne  sont  pas   les  africains  qui  décident.   La  Côte  d’Ivoire  doit  disposer   des   trois   pouvoirs   suivants   afin   d’envisager   l’organisation   d’élections  :   l’indépendance   économique,   l’indépendance  diplomatique   et   l’indépendance  militaire.  Or,   à   l’heure   actuelle,   c’est   la   France   qui   doit   donner   son   accord.   L’argent   de   notre  économie  va  dans  les  banques  françaises.    D’un  côté,  politiquement,  c’est  difficile  de  rester  hors  du  jeu  car  cela  tue  le  parti.    Mais  d’un  autre  côté,  le  fait  de  rester  hors  du  jeu  est  une  forme  d’expression  qui  montre  que  lorsque  le  FPI  ne  présente  pas  de  candidat,  il  y  a  un  fort  taux  d’abstention.  

 5/  Question  générale-­‐  Participation  au  processus  de  réconciliation      Il   faut  que  chacun  «  vide  son  sac  ».  Aujourd’hui,  nous  sommes  dans  un  politique  du  vainqueur.  C’est  donc  très  difficile.  Mais   la  réconciliation  est  un  long  processus  qui  ne  se  décide  pas  en  un  jour.    Une  partie  des  ivoiriens  se  sont  sentis  trahis.  Il  n’y  avait  pas  de  tensions  avec  les  burkinabés.  On  ne  les  exploitaient  pas.  C’est  eux  qui  venaient  volontairement  dans  les  plantations  parce  qu’ils  avaient  besoin  de  travail  et  ils  étaient  payés.  Dans  la  plantation  de  mon  père,  Bakari  représentait  quelqu’un  qui  s’occupait  de  nous,  de  notre  famille  et  la  maison.  On  avait  de  la  considération  pour  lui.   Mais   aujourd’hui,   on   se   sent   trahi   car   ils   se   sont   retournés   contre   nous   pour   dire   qu’on   les   a   exploité.   Pour   parler   de  réconciliation,   si   Bakari   reconnaît   qu’il  m’a   fait   du   tort,   je   suis   prête   à   pardonner   la   spoliation,   les   occupations   de   villages   et  l’occupation  des  postes  de  l’administration.  Mais  aujourd’hui  Bakari  ne  reconnaît  pas  ses  torts  et  moi  je  n’ai  pas  d’arme.  Ainsi,  je  ne  peux  qu’observer  avec  tristesse  et  rancœur  ce  qui  se  passe.    ADO  ne  fait  pas  un  seul  pas  vers  les  ivoiriens.    6/  «  Justice  des  vainqueurs  »  et  Amnistie    -­‐-­‐    7/  Commission  pour  le  Dialogue,  la  Vérité  et  la  Réconciliation    Tout   d’abord,   pour   ce   qui   est   de   la   constitution   de   la   CDVR,   Banny,   le   président,   est  membre   du   RHDP   (Rassemblement   des  Houphouétistes  pour  la  Démocratie  et  la  Paix).  Or,  le  président  de  cette  commission  aurait  du  être  quelqu’un  de  la  société  civile  qui   n’est   pas   membre   d’un   parti   politique,   afin   de   rassembler   l’ensemble   des   membres   de   tous   les   partis   politiques   et   des  associations  locales.  Banny  n’est  pas  quelqu’un  de  neutre.    Je  ne  dis  pas  que  les  pro  Gbagbo  n’ont  pas  fait  d’erreurs.  Mais   il   faut  que  chacun  reconnaisse  ses  torts.  On  avait  nos  traditions  

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mais  on  a  tellement  de  complexes  d’infériorité.  On  a  toujours  réglé  nos  problèmes  sous  l’arbre  à  palabres.  Chacun  y  donnait  sa  version  des   faits.  Cela  permettait  d’amorcer   le  dialogue  et  de  mettre  à  nu  certains  problèmes.  Mais   la   justice  qu’on  veut  nous  imposer  n’est  pas  une  justice  qui  est  à  nous.  Il  faut  adapter  notre  culture  au  monde.  Il  faut  que  chacun  s’asseye  et  dise  la  vérité.  Si  de  cette  façon,  cela  ne  marche  pas,  alors  on  pourra  passer  devant  la  justice.    Mais  pendant  que  le  désordre  règne,  l’Afrique  est  pillée.  

 8/  Sécurité  sur  le  territoire      L’insécurité   est   grandissante.   Personne   n’a   confiance.   Je   suis   très   sceptique   quant   à   un   possible   retour.   J’aimerai   que   tout   le  monde  puisse  rentrer  en  Côte  d’Ivoire  car  l’exil  est  difficile.  Les  gens  perdent  leur  dignité.  Mais  est  ce  qu’en  rentrant,  il  n’y  aura  pas  de  piège  ?  Il  faut  une  garantie  de  sécurité.  Personne  n’a  confiance.    9/  Question  foncière/  Question  des  étrangers    Dans  la  culture  de  mon  ethnie,  nous  sommes  terriens.  Nos  frères  du  nord  ne  sont  pas  terriens.  Ce  sont  des  commerçants.  Dans  d’autres  zones  du  sud,  ils  sont  terriens  également.  Si  on  applique  l’adage  de  Boigny,  c’est  trop  facile.  La  terre  n’appartient  pas  à  celui  qui  la  cultive.  Mais  si  les  ivoiriens  n’avaient  pas  vendu  leurs  terres,  il  n’y  aurait  pas  de  problèmes.  Cependant,  pour  les  cas  d’expropriations,   cela  n’est   vraiment  pas  normal.  Cela  ne  peut  pas  marcher  à   long   terme.   La  Côte  d’Ivoire  n’accepte  pas   cette  occupation.  Moi  je  n’irai  pas  au  Burkina  pour  dire  que  c’est  ma  terre  simplement  parce  que  je  l’ai  exploitée.  Eux,  ils  ont  le  droit  de  venir  exploiter  nos  terres.  Les  gens  du  sud  ne  sont  pas  des  fainéants.  On  a  essayé  de  nous  diaboliser.    Chacun  doit  reconnaître  ses  torts.  

 10/  Avancée  de  la  réconciliation  /  Avenir  du  FPI      L’emprisonnement  de  Laurent  Gbagbo  est  une  comédie.  En   justice,  quand   il  n’y  a  pas  assez  de  preuves,  on   libère   la  personne.  Gbagbo  ne  faisait  pas  l’affaire  des  grands  groupes  français  et  des  institutions  internationales.  Il  paye  son  insoumission.      Quant  à  l’avenir  du  FPI,  on  peut  dire  que  nous  avons  idolâtré  Gbagbo  car  il  nous  a  éclairé.  Maintenant,  lui  il  paye.  Mais  c’est  à  nous  de  réfléchir  à  comment  on  pourra  relever  le  défi.  On  ne  va  pas  attendre  sa  libération  pour  se  mobiliser.  Mais  le  FPI  actuel  n’a  pas  d’avenir  avec  Miaka  Oureto.  Ce  sont  les  «  durs  »  du  FPI  qui  feront  l’avenir  du  parti,  Sangaré  Aboudramane  ou  Simone  Gbagbo  par  exemple.  On  aurait  pu  avancer  avec  eux  même  sans  Laurent  Gbagbo.  D’ailleurs,  ce  dernier  nous  avait  bien  dit  «  Si  je  tombe,  emboitez  mon  pas  et  avancez  !  ».  Il  y  a  des  têtes  pensantes  au  FPI.  Mais  elles  sont  actuellement  en  prison.  

                                               

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Annexe  7  :  Entretien  n°6    Entretien  avec  Georges  Dodyau,  militant  du  FPI  24  juin  2013    1/  Profil  de  la  personne  interviewée  –  Parcours  politique      Quand  je  suis  arrivé  en  France,  je  ne  m’intéressais  pas  à  la  politique  ivoirienne.  Mais  en  France,  j’ai  été  séduit  par  les  idées  de  gauche.  J’ai  eu  le  déclic  en  2004  lors  de  l’épisode  de  l’Hôtel  Ivoire.  J’ai  souhaité  m’engager  non  pas  en  tant  que  FPI  mais  en  tant  qu’ivoirien  soucieux  de   l’avenir  de  son  pays.  La  façon  dont   la  France  agit  en  Côte  d’Ivoire  est  choquante.  On  ne  peut  accepter  cela.  On  ne  peut  plus  accepter  la  violence.    J’ai  par  la  suite  soutenu  Laurent  Gbagbo  parce  qu’il  est  le  seul  homme  politique  qui  se  bat  pour  la  Côte  d’Ivoire.  Dans  son  programme,  plusieurs  choses  m’ont  séduites,  et  sa  façon  de  faire  de  la  politique  également.  J’ai  été  attiré  par  ses  idées  sociales.  Dans  nos  pays,  nous  devons  surtout  travailler  sur   la  solidarité  et   les  politiques  sociales.  Des  gens  de  toutes  les  régions  soutiennent  Gbagbo.  Il  a  toujours  utilisé  la  parole  comme  arme.  C’est  pour  cette  raison  que  je  le  soutiens  encore.  Il  n’a  jamais  mis  un  opposant  politique  en  prison.    C’est  ainsi  que  je  me  suis  engagé  au  sein  du  FPI  pour  la  campagne  de  2010.  J’ai  été  responsable  de  campagne  avec  la  représentante  du  FPI  en  France,  Kuyo  Brigitte.    Ensuite,   j’ai   soutenu   la   création   d’un   projet   avec   d’autres   ivoiriens  :   le   CRI-­‐Panafricain.  Mais   j’ai   pris   du   recul   par  rapport  à  ce  dernier  projet.      2/  Question  générale  -­‐  Dialogue  politique        Le   FPI   actuel   n’existe   pas.   Pour   moi,   ce   ne   sont   pas   des   responsables   politiques   car   tous   les   vrais   responsables  politiques  du  FPI  sont  en  prison  ou  en  exil.  La  représentation  du  FPI  n’a  aucune  légitimité  vis  à  vis  du  gouvernement  en  place.  Elle  ne  peut  être  considérée  comme  un  parti  politique  puisque  les  gens  sont  arrêtés.  La  considération  du  FPI  en  tant  que  parti  politique  n’est  pas  respectée  par  le  gouvernement  actuel.    C’est  un  groupe  assurant  l’intérim.  Je  reconnais  bien  sûr  Miaka  Oureto  comme  le  président  intérimaire  du  FPI  car  il  faut  que  le  FPI  vive.  Ainsi,  il  donne  espoir  aux  adhérents.      Mais   le   dialogue   n’a   rien   donné   de   concret.   Les   actions   ne   sont   pas  menées   de  manière   franche.   Les   gens   sont  emprisonnés   sans  motifs   d’accusation   valables.  Mais   si   ces   gens   étaient   dehors,   la   légitimité   du   pouvoir   en   place  serait  largement  fragilisée.  La  réalité  est  simple,  on  le  voit  aujourd’hui,  Ouattara  a  tous  les  pouvoirs,  et  pourtant,  rien  ne  marche  en  Côte  d’Ivoire.      Le  FPI  espère  pouvoir  dialoguer.  Le  dialogue  est  en  effet  la  raison  d’être  du  FPI.  Même  s’il  demande  des  préalables,  il  ne  pouvait  qu’accepter  le  dialogue.    3/  Boycott  des  élections    J’ai  apprécié  la  décision  du  FPI  par  rapport  aux  élections  locales,  car  cela  a  prouvé  que  malgré  le  fait  qu’il  ait  tous  les  pouvoirs,  Ouattara   n’a   pas   la   légitimité.   En  Côte   d’Ivoire,   on   dialogue,   on   ne   prend  pas   les   armes.   La   décision   de  boycott   a   été   bonne   car   cela   a   également   permis   aux   observateurs   étrangers   de   voir   que   ADO   n’avait   pas   la  légitimité  qu’on  lui  prétend,  puisque  le  taux  de  participation  a  été  très  faible.    La  libération  des  prisonniers  politiques  s’impose  pour  que  le  dialogue  formel  puisse  commencer.  Il  faut  dialoguer  une  bonne  fois  pour  toute.    4/  Entrée  dans  l’opposition  et  participation  aux  prochaines  élections    La  logique  voudrait  qu’il  ne  participe  pas  aux  prochaines  élections  présidentielles.  Tout  d’abord,  nous  n’aurions  pas  dû  aller  aux  dernières  élections  présidentielles  car  les  gens  et  les  rebelles  étaient  armés.  Comment  peut-­‐on  aller  aux  élections  si   les  gens  sont  armés  ?  Le  désarmement  est   la  condition  nécessaire  à   l’organisation  d’élections.  Avec   les  armes  qui  circulent,  des  gens  du  PDCI,  du  FPI  et  même  des  gens  du  propre  camp  de  Ouattara  peuvent  être  tués.  Il  faut  désarmer  tout  le  monde,  même  l’ONUCI  et  la  Force  licorne.    Le  temps  que  cela  n’est  pas  fait,  le  FPI  ne  devrait  présenter  personne  aux  élections  présidentielles.    De  toute  manière,  l’attitude  de  Ouattara  se  retournera  contre  lui.  Tout  le  monde,  même  les  gens  de  son  camp,  sont  dans  une  situation  très  difficile  en  Côte  d’Ivoire.    

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5/  Question  générale-­‐  Participation  au  processus  de  réconciliation      Il  faut  libérer  les  prisonniers  politiques  et  faire  rentrer  les  exilés.  Si  Ouattara  aime  tant  la  Côte  d’Ivoire,   il  faut  faire  rentrer  les  exilés.    6/  «  Justice  des  vainqueurs  »  et  Amnistie      Je  ne  suis  pas  contre  le  fait  que  des  gens  soient  reconnus  coupables  et  mis  en  prison.  Mais  il  faut  que  la  justice  soit  équitable.  Or,  pour  le  moment,  un  seul  côté  est  emprisonné.  Cette  situation  ne  permet  pas  d’envisager  de  parler  de  réconciliation.    Je  ne  vois  pas  d’amnistie  possible.  S’il  y  a  eu  des  tueries  du  côté  de  Gbagbo,  alors  les  responsables  doivent  être  jugés  et  emprisonnés.  Mais  l’amnistie  ne  doit  pas  devenir  un  instrument  politique.  Il  faut  que  l’on  sorte  de  cette  pratique  de   l’amnistie.  Tout   le  monde  doit  être   jugé.  Mais  à   l’heure  actuelle,  on  ne  sait  pas  de  quoi   les  personnes  qui  sont  emprisonnées   sont   accusées,   alors   que   cela   fait   2   ans  qu’elles   sont   en  prison.   Comment   va-­‐t-­‐on   faire   lorsque   ces  gens  vont  sortir  de  prison  ?  On  va  leur  accorder  des  réparations  ?  Leurs  vies  ont  été  détruites.      7/  Commission  pour  le  Dialogue,  la  Vérité  et  la  Réconciliation    On  nous  met  en  place  ce  type  d’instruments,  mais  c’est  de  la  mise  en  scène.  Il  y  a  des  actions  à  mener  pour  que  les  individus  se  fréquentent  à  nouveau.  Il  n’y  a  que  de  l’instrumentalisation  politique  depuis  l’arrivée  de  Ouattara  dans  la   vie  politique   ivoirienne.  On  ne  prenait   jamais   le   fusil   avant.  On   réglait   nos  problèmes   grâce   aux   alliances   entre  ethnies.  Si  l’on  regarde  la  situation,  on  se  rend  compte  que  même  Banny  est  découragé.  Il  n’obtiendra  pas  la  vérité  dans  les  conditions  actuelles.  Si  mon  parent  est  en  prison,  comment  je  peux  imaginer  penser  à  la    réconciliation.  Je  ne  peux  pas  accepter  la  réconciliation  telle  qu’elle  est  actuellement  proposée  par  Ouattara.    Mais  si  la  CDVR  avait  été  indépendante  et  non  politisée,  alors  elle  aurait  pu  être  un  instrument  efficace.    Même  le  président  de  la  CDVR  s’en  plaint  tous  les  jours.    On  avait  notre  façon  de  régler  nos  problèmes  et  ce  n’était  pas  de  cette  façon.      8/  Sécurité  sur  le  territoire      Le  retour  des  exilés  est  une  question  de  volonté  politique.  Ils  veulent  retourner  chez  eux  mais  ils  ont  peur.  Dans  les  conditions   actuelles,   il   est   impossible   d’envisager   un   retour.   Qui   n’a   pas   peur   de   mourir  ?   C’est   la   terreur   non  seulement  pour  les  opposants  mais  également  pour  la  population.    9/  Question  foncière/  Question  des  étrangers    Ce  sont  des  sujets  très  délicats.  Je  n’ai  pas  de  position  sur  cette  question.  Mais  la  seule  chose  que  je  peux  dire,  c’est  que   la  question   la  plus   importante  touche  à   l’attachement  qu’a   l’ivoirien  à  sa  terre.  Et  si  on  pose   la  question  à  un  ivoirien  de  savoir  quel  est  son  village  d’origine,  s’il  n’en  a  pas,  ce  n’est  pas  un  vrai  ivoirien.    La   Côte   d’Ivoire   est   devenue   une   sorte   de   laboratoire.   On   oblige   les   gens   à   choisir   la   nationalité   ivoirienne   pour  renforcer  les  listes  électorales.  La  nationalité  est  une  démarche  positive  émanant  de  la  personne.  On  ne  doit  pas  aller  chercher   les   gens   pour   leur   demander   voir   les   obliger   à   acquérir   la   nationalité  !   On   se   sent   réfugiés   dans   notre  propre  pays  désormais.    Mais  de  toute  façon,  le  fond  du  problème,  c’est  la  France.  La  solution,  c’est  qu’un  homme  d’Etat  défende  les  intérêts  de  la  Côte  d’Ivoire  comme  le  fait  la  France  pour  elle  même.    10/  Avancée  de  la  réconciliation  /  Avenir  du  FPI      Les  africains  ont  leur  part  de  responsabilité  sur  le  problème  de  la  CPI.  Mais  je  relativise  mon  propos  dans  la  mesure  où   les  pays  occidentaux   leur  ont  mis   la  pression  pour   ratifier   le   traité.   Il   appartient  aux  africains  de  dire   stop.   Les  africains  veulent  garder  la  France  comme  partenaire  mais  sur  de  nouvelles  bases  plus  équilibrées.    Mais  pour  revenir  à  Gbagbo,  je  pense  que  sa  déportation  à  la  CPI  a  été  salutaire  car  s’il  était  resté  là  bas,  il  serait  soit  mort,  soit  handicapé.  Mais  bien  sur  je  suis  pour  sa  libération.  De  plus,  au  moment  de  son  arrestation,  la  Côte  d’Ivoire  n’avait  pas  ratifié  le  statut  de  la  CPI.  Ouattara  maudit  vraiment  Gbagbo.    La  libération  de  Gbagbo  est  la  condition  de  la  réconciliation.  Ouattara  n’a  aucun  lien  avec  le  peuple.  C’est  pour  cette  raison  que  tout  est  bloqué.  Gbagbo  est  le  seul  qui  est  vraiment  l’enfant  du  peuple.  Il  peut  donner  un  coup  de  fouet  à  la  réconciliation.      

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Enfin,  quant  à  l’avenir  du  FPI  sans  Gbagbo,  ce  qui  compte,  c’est  que  les  gens  comprennent  que  Gbagbo  n’est  de  toute  façon  pas  éternel.  De  plus,  depuis  10  ans,  ce  n’est  plus  lui  qui  dirigeait  le  parti.  Sans  Gbagbo,  le  FPI  peut  évoluer  mais  il  faut  donner  les  pouvoirs  aux  têtes  de  l’opposition.  Une  démocratie  sans  des  têtes  d’opposition  n’est  pas  une  démocratie.  De  plus,  il  en  va  de  la  crédibilité  de  Ouattara.                                                                                              

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Annexe  8  :  Entretien  n°7    Entretien  avec  Anselme  Bony,  militant  du  FPI  25  juin  2013    1/  Profil  de  la  personne  interviewée  –  Parcours  politique      À  l’origine,  je  me  considère  comme  humaniste  et  altruiste  avec  des  valeurs  chrétiennes.  Je  suis  prêt  à  aider  les  gens  en  difficulté.  C’est  pourquoi   j’ai  choisi   le  FPI  pour  son   idéologie,  qui  était  en  adéquation  avec  ma  façon  de  penser.  C’est  un  parti  socialiste  et  progressiste,  qui  veut  par  exemple  instaurer  une  sécurité  sociale  universelle  dans  le  pays.  Aujourd’hui,  la  Côte  d’Ivoire  frise  avec  le  capitalisme  sauvage  et  personne  ne  peut  survivre.    Je  me  suis  engagé  au  FPI  en  1995.  Actuellement  je  suis  conseiller  politique  de  la  représentante  du  FPI  en  France,  ainsi  que  secrétaire  de  section  du  FPI  des  Hauts  de  Seine  II.    2/  Question  générale  -­‐  Dialogue  politique        L’erreur  est  humaine  et  les  gens  peuvent  se  tromper.  Mais  il  faut  simplement  avoir  l’honnêteté  de  reconnaître  que  l’on  s’est  trompé.  Le  RHDP  s’est  trompé.  Au  FPI,  nous  sommes  pour  le  dialogue  politique  mais  à  une  seule  condition  :  on   ne   peut   exclure   les   gens   en   les   mettant   en   prison,   en   violant   les   femmes,   en   les   obligeant   à   l’exil,   en   les  assassinant.  En  Côte  d’Ivoire  on  a  renommé  les  FRCI  (Forces  Républicaines  de  Côte  d’Ivoire)  «  Forces  de  Répression  des  Civils  Ivoiriens  ».    Nous  sommes  pour  des  discussions  avec  le  gouvernement  car  nous  voulons  la  paix.  Cependant,  le  gouvernement  ne  peut  d’un  côté  prôner  la  réconciliation  et  de  l’autre  côté  continuer  les  exactions  et  les  rafles.    3/  Boycott  des  élections    Le  FPI  est  un  parti  ancré  dans  la  démocratie.  Sa  philosophie  est  d’exercer  le  pouvoir  par  les  urnes.  Nous  ne  pouvons  aller  aux  élections  lorsque  nos  camarades  sont  en  exil  ou  emprisonnés.  Le  FPI  ne  peut  cautionner  une  élection  organisée  par  un  seul  parti  politique  chargé  d’instaurer  la  pensée  unique  et  la  mise  en  exil  des  opposants.  Si  le  FPI  participe  aux  élections,  cela  voudrait  dire  qu’il  cautionne  ce  qui  se  passe  actuellement  dans  le  pays.        4/  Entrée  dans  l’opposition  et  participation  aux  prochaines  élections    Si  nous  avons  la  possibilité  de  présenter  un  candidat  pour  les  élections  de  2015,  nous  le  ferons.  Si  tout  le  monde  est  libéré  et  qu’un  Etat  de  droit  est  instauré  et  que  Ouattara  est  dans  une  dynamique  démocratique,  alors  oui,  pourquoi  pas  ?  Il  faut  que  le  FPI  ait  les  moyens  de  présenter  un  candidat.  Pour  le  moment,  nous  ne  savons  pas  si  nous  allons  présenter  un  candidat.          5/  Question  générale-­‐  Participation  au  processus  de  réconciliation      ADO  fait  seulement  preuve  de  démagogie  lorsqu’il  parle  de  réconciliation.    6/  «  Justice  des  vainqueurs  »  et  Amnistie      C’est   une   justice   des   vainqueurs   car   seuls   les   partisans   de   Gbagbo   sont   pourchassés   et   poursuivis.   Tous   les  prisonniers  doivent  être  libérés,  les  avoirs  dégelés,  les  réfugiés  doivent  rentrer  chez  eux.    7/  Commission  pour  le  Dialogue,  la  Vérité  et  la  Réconciliation    Lorsque  la  CDVR  a  été  créée,  nous  avons  applaudi  car  il  est  nécessaire  que  la  vérité  soit  faite  afin  que  les  ivoiriens  se  réconcilient.  Il  est  nécessaire  que  nous  connaissions  les  causes  de  ces  crises  et  que  nous  nous  demandions  pardon.    Mais  le  gouvernement  a  confié  cette  commission  à  Banny  et  cette  commission  est  devenue  une  coquille  vide.  Elle  n’a  pas  les  moyens  de  réalisation  de  sa  mission.    D’ailleurs,  Banny  dit  lui  même  qu’on  ne  peut  demander  la  réconciliation  tout  en  excluant.  Encore  une  fois,  il  s’agit  de  démagogie  de  la  part  de  Ouattara  car  ses  partisans  continuent  d’agresser.    Le   FPI   demande   à   Ouattara   de   s’inspirer   du   modèle   sud   africain.   Mandela,   lui,   avait   une   réelle   volonté   de  réconciliation  et  avait   refusé  d’exclure.  En  Côte  d’Ivoire,   toute  cette  politique  est  contradictoire.  Les  comptes  sont  

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gelés,  les  fonctionnaires  se  font  virés,  les  gens  sont  dans  des  camps  de  réfugiés.    Il  faut  que  l’on  connaisse  la  vérité.    Pour  ce  qui  est  de   l’amnistie,   je  suis  pour   l’amnistie  générale.   Je   rappelle  d’ailleurs  que  Gbagbo  a  amnistié   tout   le  monde  après  la  rébellion  de  2002.  Il  l’a  fait  au  nom  de  l’intérêt  général.  8/  Sécurité  sur  le  territoire      Aujourd’hui,  le  retour  des  exilés  est  inenvisageable  du  fait  de  l’insécurité.  Nous  ne  sommes  pas  dans  un  Etat  de  droit.  Personnellement,   je   sais   que   je   ne   peux   pas   aller   en   Côte   d’Ivoire   car   je   crains   d’être   arrêté,   du   fait   de   mon  engagement  politique  et  de  ma  participation  à  un  débat  sur  France  24.    9/  Question  foncière/  Question  des  étrangers    Il  y  a  beaucoup  d’ethnies  en  Côte  d’Ivoire  et  le  droit  foncier  diffère  selon  les  régions,  tout  en  se  rejoignant.  Chez  nous  les  Akan,  on  ne  peut  pas  vendre  la  terre  de  nos  parents  car  elle  appartient  à  l’ensemble  de  la  famille.  Les  étrangers  qui  sont  venus  de  toutes  les  autres  régions  et  qui  ont  eu  des  terres  ne  peuvent  pas  être  propriétaires  de  ces  terres.  Au  FPI,  nous  pensons  qu’il   faut  couper   la  poire  en  deux.  Un  étranger  qui  exploite   la  terre  qui  ne  lui  appartient  pas  peut   l’exploiter,   mais   il   doit   partager   les   fruits   de   cette   exploitation   avec   le   propriétaire   de   cette   terre.   La   terre  appartient  au  patrimoine  familial.    La  Côte  d’Ivoire  a  toujours  été  un  pays  hospitalier.  On  n’a  pas  de  problèmes.  D’ailleurs  Gbagbo  voulait   instaurer   la  sécurité  sociale  pour  toutes  les  personnes  vivant  en  Côte  d’Ivoire,  y  compris  les  étrangers.  Selon  les  statistiques,  46  %  de  la  population  est  étrangère.  On  a  toujours  bien  traité  les  étrangers  et   ils  avaient  les  même  avantages  que  les  ivoiriens.  Ils  sont  les  bienvenus.  Mais  nous  refusons  qu’ils  portent  atteinte  à  la  vie  des  ivoiriens.      10/  Avancée  de  la  réconciliation  /  Avenir  du  FPI      L’impérialisme  a  toujours  ostracisé  les  nationalistes  africains  qui  refusent  les  dictats  occidentaux.  Souvenez  vous  de  Samory  Touré  en  Guinée  Conakry  qui  a  été  déporté  au  Gabon,  etc.    Laurent  Gbagbo  n’a   jamais   accepté   de   prendre   les   armes   pour   prendre   le   pouvoir.   Son   enfermement   pèse   sur   la  réconciliation  en  Côte  d’Ivoire,  car  en  plus  de  tous  les  facteurs  que  j’ai  évoqué  précédemment,  il  ne  pourra  y  avoir  de  réconciliation   avec   Gbagbo   en   prison.   Il   ne   faut   pas   oublier   que,   même   si   nous   prenons   les   chiffres   qui   ont   été  annoncés,    Gbagbo  a  tout  de  même  réuni  au  moins  46  %  des  suffrages.  Ces  gens   là  penseront  toujours  à   lui.  Pour  être  le  président  de  la  réconciliation,  il  faut  penser  à  tous  les  ivoiriens.  Comme  le  disent  les  présidents  français,  il  faut  être  le  président  de  tous  les  ivoiriens.  Les  ivoiriens  seront  comblés  si  Gbagbo  est  libéré.      Pour  ce  qui  est  de  l’avenir  du  FPI,  le  fait  est  que  Ouattara  n’avait  qu’une  seule  ambition  :  décapiter  le  FPI.  Mais  nous  sommes   un   parti   organisé,   nous   tenons,   nous   nous   sacrifions   en   vue   de   remettre   le   FPI   sur   pied.   Avec   ou   sans  Gbagbo  le  FPI  résistera  toujours.                                        

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 Annexe  9  :  Entretien  n°8    Entretien  avec  Léontine  Topo,  partisante  de  Laurent  Gbagbo  et  présidente  de  l’association  des  Femmes  Patriotes  de  France  25  juin  2013    1/  Profil  de  la  personne  interviewée  –  Parcours  politique      Je  suis   la  présidente  de  l’Association  des  femmes  patriotes  de  France.  J’ai  décidé  de  créer  cette  association  en  France  en  2003,  après  les  évènements  de  la  crise  de  2002  et  notamment  après  les  obsèques  de  Boga  Doudou.  Nous  somme  allés  en  Côte  d’Ivoire  pour  présenter  nos   condoléances  à   la  première  dame,  puis,   voyant   les  défunts,   les  orphelins,   les   femmes  violées  en  2002,   j’ai  décidé  de  monter  cette  association  à  mon  retour  en  France.    Je   ne   suis   pas   une  militante   du   FPI.   Je   n’appartiens   à   aucun   parti.   Ce   que   je   souhaite,   c’est   qu’il   n’y   ait   plus   de   sang   en   Côte  d’Ivoire.   C’est   pour   cette   raison  que   je   suis   dans   la   rue.  Mais   j’ai   épousé   les   idées   de  Gbagbo   lorsqu’il   était   exilé   politique   en  France   dans   les   années   80.   Il   luttait   pour   le  multipartisme.   J’ai   pensé   qu’il   parlait   très   bien   et   qu’il   était   l’homme  qui   pouvait  soutenir  l’avenir  de  notre  pays.    2/  Question  générale  -­‐  Dialogue  politique        Je  n’appartiens  à  aucun  parti  politique.  Je  ne  suis  pas  engagée  sur  cela.  Cela  ne  m’intéresse  pas.  Ce  qui  m’intéresse,  c’est  que  les  femmes  et  les  enfants  sont  maltraités.  Mais,  ce  que  je  peux  dire,  c’est  que  je  ne  reconnais  pas  le  gouvernement  actuel.  

 3/  Boycott  des  élections    Si  le  FPI  allait  aux  élections  alors  que  Gbagbo  est  en  prison  et  que  l’on  tue  encore  des  ivoiriens,  alors  ce  parti  deviendrait  mon  premier  ennemi.  Il  ne  doit  pas  aller  aux  élections  car  les  gens  qui  dirigent  le  pays  à  l’heure  actuelle  sont  venus  au  pouvoir  par  les  armes.  Lors  des  élections  en  2010,  on  était  en  danger  même  à  Paris.  J’étais  responsable  des  urnes  à  Asnières  et  les  gens  sont  venus  pour  casser  les  urnes.  On  a  dû  appeler  la  police  et  nos  votes  n’ont  pas  été  considérés,  ils  ne  sont  même  arrivés  à  Abidjan.  Il  n’y  a  pas  de  négociation  possible  pour  cela.  Le  boycott  est  la  seule  solution.    4/  Entrée  dans  l’opposition  et  participation  aux  prochaines  élections    Les  représentants  actuels  du  FPI  ont  peur  du  peuple.  Il  vaut  mieux  pour  eux  qu’ils  ne  présentent  aucun  candidat.  Ils  savent  qu’ils  ne  peuvent  présenter  personne.  Il  faut  sortir  Gbagbo  de  prison.  On  l’a  élu  pour  qu’il  mette  en  œuvre  son  programme.  Il  n’a  pas  encore  pu  faire  ce  qu’il  avait  prévu  de  mettre  en  œuvre  pour  les  ivoiriens.  

 5/  Question  générale-­‐  Participation  au  processus  de  réconciliation      Si  Gbagbo  sort  de  prison,  si  tous  les  exilés  reviennent  en  Côte  d’Ivoire  et  qu’on  leur  restitue  leur  maison  et  leur  travail,  si  tous  les  prisonniers  sont  libérés  et  que  Gbagbo  reprend  son  fauteuil  et  gouverne,  alors  on  pourra  envisager  de  parler  de  réconciliation.  

 6/  «  Justice  des  vainqueurs  »  et  Amnistie    -­‐-­‐  7/  Commission  pour  le  Dialogue,  la  Vérité  et  la  Réconciliation    L’histoire   de   réconciliation   de   Banny   ne   m’intéresse   pas.   Nous   avons   élu   Gbagbo.   Il   faut   que   la   France   le   reconnaisse   avant  d’envisager  de  parler  de  réconciliation.    Aucune  paix  n’est  possible  en  Côte  d’Ivoire  sans  Gbagbo.  La  Côte  d’Ivoire  restera  divisée.  8/  Sécurité  sur  le  territoire    -­‐-­‐  9/  Question  foncière/  Question  des  étrangers  Il  n’y  a  pas  de  problème  d’ethnies.  Si  Gbagbo  revient,  il  n’y  aura  plus  aucun  problème.  Pendant  ce  temps,  Ouattara  est  en  train  de  régulariser  les  burkinabés.    Quant  à   la  question  foncière,   la  terre  appartient  aux  ivoiriens.  Aujourd’hui,   la  terre  est  arrachée  aux  ivoiriens  et  on  impose  aux  gens  de  laisser  leurs  terres  sinon  on  tue.  10/  Avancée  de  la  réconciliation  /  Avenir  du  FPI    Il  faut  libérer  Gbagbo.  Sans  Gbagbo,  il  n’y  aura  pas  de  réconciliation.    Quant  à  l’avenir  du  FPI,  il  faut  que  Ouattara  laisse  travailler  ce  parti.  Mais  sans  Gbagbo,  le  FPI  n’a  pas  d’avenir.  

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Annexe  10  :  Entretien  n°9    Entretien  avec  Georges  Toualy,  partisan  de  Laurent  Gbagbo  et  universitaire  ivoirien  20  juin  2013    1/  Profil  de  la  personne  interviewée  –  Parcours  politique      Je  ne  suis  pas  un  militant  du  FPI  à  proprement  dit.  Je  n’ai  pas  de  carte  du  parti.  J’ai  surtout  adhéré  aux  propos  progressistes  de  Laurent  Gbagbo  lorsqu’il  était  professeur.  Il  était  un  militant  de  la  souveraineté  et  de  la  démocratie,  bien  avant  la  construction  de  son  projet  politique.  Lorsqu’il  a  consigné  son  projet  dans  un  manifeste  au  cours  des  années  90,  cela  a  consolidé  mon  adhésion  à  son  projet  pour   la  Côte  d’Ivoire.  Mais   je   suis  un  sympathisant  critique  du  FPI.  En  effet,   je  ne  conçois  pas  qu’un  parti  puisse   se  considérer  comme  un  clan,  un  regroupement  d’ethnies.  Je  pense  plutôt  qu’il  faut  penser  un  pays  comme  une  «  communauté  de  citoyens  »   (Dominique  Schnapper).  La  France  a  regroupé  ensemble  des  peuples  qui  n’avaient  pas  de  projet  commun.  Mais  une  histoire  est  tout  de  même  née  entre  eux,  d’où  l’embryon  de  l’Etat  nation  qui  a  commencé  par  le  mouvement  de  libération.  C’est  ma  vision  du  «  vivre  ensemble  ».  C’est  pourquoi  je  soutiens  de  manière  critique  et  distanciée  le  FPI.  Je  ne  suis  pas  non  plus  pour  faire  de  la  politique  un  fonds  de  commerce.    2/  Question  générale  -­‐  Dialogue  politique        Je  ne  crois  pas  à  ce  dialogue  politique  car  il  n’y  a  pas  de  véritable  volonté.  Je  considère  Ouattara  comme  un  homme  de  paille.  Il  est  en  mission  pour  une  grande  puissance,  ou  pour  un  réseau  de  grandes  puissances.  Toutes  ses  idées  concernant  la  réconciliation  ne  constituent  qu’un  gadget  politique.  Lorsque  l’on  souhaite  réconcilier  un  peuple,  il  y  a  des  signes  qui  ne  trompent  pas.  Ouattara  est  venu  pour   faire  du  rattrapage  ethnique.   Il  estime  que   les  gens  du  Nord,   les  voltaïques,  ont   travaillé  dans   les  plantations  et  n’ont  pourtant  pas  été  associés  au  projet  politique  de  la  Côte  d’Ivoire.  Il  a  une  vision  partisane  de  la  république.  Je  pense  qu’il  faut  construire  un  projet  politique  commun  et  non  se  placer  dans  un  esprit  de  revanche.  Ouattara  a  joué  sur  la  dichotomie  nord/  sud,  musulman/   chrétien.   Aujourd’hui,   il   exclut  !   Les   institutions   républicaines   sont   dirigées   par   des   gens   issus   du   concept   de  rattrapage   ethnique.   Plus   de   6000   cadres   politiques   sont   en   exil   et   il   continue   à   les   pourchasser.   Il   n’y   a   donc   pas   de   signe  d’apaisement,  de  symbole  fort  de  concorde  nationale  pour  agréger  le  maximum  de  personnes  autour  d’un  projet.    Je  pense  que   le  rétablissement  du  dialogue  politique  est  une  bonne  chose  dans  son  principe.  Mais  sincèrement,   je  ne  suis  plus  trop   les  déclarations  du  FPI  car   je   trouve  que  Miaka  Oureto  n’est  pas  à   la  hauteur.   Il  y  a  beaucoup  de  contradictions  dans  son  approche  et  je  ne  suis  pas  certain  qu’il  comprenne  ce  que  veut  dire  «  réconciliation  ».  Je  me  demande  également  s’il  n’a  pas  un  peu  peur  de  mettre  un  pied  dans  la  fourmilière.    

 3/  Boycott  des  élections    C  ‘est  une  récurrence  en  Afrique  car  les  règles  du  jeu  sont  changées  en  cours  de  route.  Il  reste  simplement  à  valider  les  choix  faits  en  amont.  On  est  dans  un  système  de  théâtralisation  des  élections.  En  Côte  d’Ivoire,  s’il  n’y  a  pas  de  véritable  réconciliation,  les  élections  ne  pourront  se  passer  normalement.    La  stratégie  employée  jusqu’alors  par  le  FPI  est  justifiée  mais  c’est  la  manière  dont  il  défend  cette  stratégie  qui  me  pose  problème.  Il  est  nécessaire  de  trouver  une  pertinence  au  «  non  ».    

 4/  Entrée  dans  l’opposition  et  participation  aux  prochaines  élections    Qui  se  dégage  aujourd’hui  au  sein  du  FPI  ?  Le  FPI  est  décapité.  Tous  ceux  qui  pouvaient  prétendre  à  un  rôle  majeur  en  politique  sont  obligés  de  se  taire  ou  sont  emprisonnés.  Si  le  FPI  présente  quelqu’un  aux  prochaines  élections,  cela  ne  fera  que  légitimer  le  pouvoir  d’ADO  (Alassane  Dramane  Ouattara).  Les  organisateurs  des  élections  sont  à  la  fois  arbitres,  juges  et  parties.  Ils  sont  sous  la  joute  de  la  puissance  coloniale.    

 5/  Question  générale-­‐  Participation  au  processus  de  réconciliation      Le   premier   préalable   est   qu’ADO   doit   descendre   dans   l’arène.   Le   peuple   a   besoin   d’être   rassuré.   Il   n’a   jamais   parlé   de  réconciliation   en   personne   à   la   population.   Peut   être   parce   qu’il   n’y   croit   pas.   Quand   Frederick   de   Clerk   s’est   adressé   à   la  population,  il  était  avec  Mandela  pour  s’adresser  à  la  population  sud  africaine.  Il  faut  qu’il  fasse  le  tour  de  la  Côte  d’Ivoire  avec  les  leaders  des  différents  partis.   Il  doit  montrer  des  signaux  forts.   Il  aurait   intérêt  à  discuter  avec   les  plus  radicaux  de  chaque  parti  pour  montrer  que  le  discours  est  libre.  Par  exemple,  pour  le  FPI,  il  devrait  plutôt  parler  avec  Laurent  Akoun  qu’avec  Miaka  Oureto.  Du  côté  de   la   société  civile,   il  devrait   s’adresser  à  des  gens  crédibles  qui  ne  sont  pas  en  quête  de  situation  de   rente.  Dans  ces  conditions,  l’ivoirien  ordinaire  se  rendra  compte  de  la  sincérité  de  la  démarche  de  réconciliation.  

 6/  «  Justice  des  vainqueurs  »  et  Amnistie      En  Afrique,   toutes   les   juridictions   sont   corrompues.  C’est   celui   qui   est   avec   le  pouvoir   qui   gagne.   Il   faut   libérer   les  prisonniers  politiques   de   la   dernière   crise   car   le   chefs   d’accusation   sont   fantaisistes.   Cela   constituerait   un   signe   fort   de   la   volonté   de  

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réconciliation.  À  situation  exceptionnelle,  solution  exceptionnelle.  Dans  ce  contexte,   il  est  difficile  de  démontrer  qui  a  fait  quoi.  C’est  pour  cette  raison  qu’il  serait  souhaitable  de  libérer  ces  personnes,  sous  réserve  bien  entendu  d’une  enquête  ultérieure  s’il  y  a  des  raisons  suffisantes  de  croire  qu’il  y  a  réellement  eu  crime.  Je  pense  qu’il  faut  d’abord  l’apaisement,  et  ensuite  la  justice,  car  à  l’heure  actuelle,  il  n’y  a  pas  assez  de  distance  objective  sur  la  situation.  Si  l’on  est  dans  un  schéma  d’action  et  de  rétroaction,  on  ne  peut  avoir  une  réelle  visibilité.  Le  préalable  est  de  permettre  aux  gens  de  s’asseoir.  Il  faut  penser  aux  victimes  et  que  justice  soit  faite.  Mais  cette  justice  doit  être  transparente.  Le  préalable  est  donc  l’apaisement.      7/  Commission  pour  le  Dialogue,  la  Vérité  et  la  Réconciliation    La   CDVR   a   été  mise   en   place   par   la   volonté   de   ADO.   C’est   un   instrument   politique.   Les   commissions  mises   en   place   ont   été  définies   par   lui.   Il   n’   y   a   pas   d’implication   de   la   population.   Il   a   demandé   à   Banny   de   piloter   cette   commission,   mais  malheureusement,  il  voit  en  Banny  un  homme  de  recours.  De  toute  manière,  il  a  crée  une  nouvelle  institution,  une  CDVR  «  bis  ».    Pourtant,  il  est  primordiale  que  la  vérité  soit  faite.  Elle  est  fondatrice  de  la  réconciliation.  Il  est  nécessaire  de  savoir  qui  a  été  le  commanditaire  de  la  rébellion  depuis  2002.  Nous  voulons  savoir  qui  est  la  puissance  étrangère  derrière  tout  cela.      8/  Sécurité  sur  le  territoire      Là  encore,  le  pouvoir  actuel  n’a  jamais  montré  de  bonne  volonté.  Il  y  a  un  danger  pour  les  ivoiriens  de  rentrer  sur  le  territoire  car  le  pouvoir  est  fragile.    

 9/  Question  foncière/  Question  des  étrangers    L’erreur  date  de   l’époque  de  Houphouët-­‐Boigny  avec  son  fameux  principe  «  La  terre  appartient  à  ceux  qui   la  cultive  ».  Mais  ce  principe   n’est   pas   applicable   à   la   Côte   d’Ivoire   car   la   Côte   d’Ivoire   a   toujours   été   peuplée.   Cela   a   crée   des   problèmes   car   de  nombreux  ouvriers   agricoles   sont   arrivés   en  Côte  d’Ivoire   et   ont   eu   la   conviction  qu’ils   pouvaient   occuper  des   terres   et   se   les  approprier   par   des  manipulations   administratives.   La   loi   n’est   pas   claire   sur   la   propriété   foncière.   Les   autochtones   se   sentent  floués  par   les  politiques.   Il   faudrait   revenir   sur  un   texte   clair,   compris  par   tous.   Il   faut   revoir   le   texte  de  Bédié   car  on  ne  peut  superposer  la  vision  occidentale  et  la  vision  africaine  sur  cette  question.  Il  y  a  un  travail  à  faire,  fondé  sur  les  réalités  locales,  et  il  est  nécessaire  trouver  un  compromis  entre  les  différentes  perceptions  des  communautés  traditionnelles  de  Côte  d’Ivoire.      Mais  on  ne  peut  pas   chasser   les  burkinabés  du   territoire.   Ils   sont  présents  depuis  plusieurs  décennies   sur   le   territoire  mais   ils  doivent  faire  une  démarche  positive  pour  entrer  dans  la  république  afin  d’obtenir  la  nationalité  ivoirienne.  Dès  lors,  ils  pourront  prétendre   à   la   propriété   privée.   La   coutume   dit   qu’on   ne   doit   pas   vendre   la   terre   à   un   étranger.   La   terre   doit   rester   aux  autochtones.  Aujourd’hui,  on  dit  aux  burkinabés  d’aller  prendre  toutes  les  terres.  On  ne  peut  pas  faire  cela  uniquement  en  Côte  d’Ivoire.  Si  cet  adage  est  valable,  il  doit  alors  être  applicable  à  toute  l’Afrique  de  l’Ouest.  

 10/  Avancée  de  la  réconciliation  /  Avenir  du  FPI      Le  transfert  de  Gbagbo  ressemble  au  phénomène  de  déportation  des  récalcitrants  au  temps  des  colonies.  Il  n’y  a  pas  de  motif  réel  et  tangible,  sinon  la  France  elle  même  pourrait  être  condamnée  pour  génocide  à  cause  des  événements  de  2002  en  Côte  d’Ivoire.  Les  militaires  français  sont  entrés  en  action.  De  même  en  2004,  lors  de  l’épisode  de  l’Hôtel  Ivoire  et  en  2011  lors  de  l’attaque  du  palais  présidentiel  où   il  y  a  eu  plus  de  2000  morts.  Les  chiffres  n’ont  pas  été  publiés.  Gbagbo  n’a   jamais  autorisé  de  tirer  sur   la  population.  Il  est  injustement  détenu.  Il  a  toujours  fait  de  son  combat  pour  la  république  un  combat  par  les  urnes.    Sa  détention  a  un  impact  sur  la  réconciliation  car  la  majorité  de  la  population  africaine  pense  qu’il  est  injustement  détenu.  C’est  la  raison  pour  laquelle  quelque  chose  doit  être  fait  pour  sa  libération.    Quant  à  l’avenir  du  FPI,  il  me  semble  quelque  peu  chaotique.  Ceux  qui  assurent  l’intérim  ne  sont  pas  à  la  hauteur.  Mais  il  y  a  parmi  les  militants  du  FPI,  des  militants  qui  sont  convaincus.  C’est  cette  base  qui  fera  émerger  un  leader,  car  ceux  qui  sont  actuellement  à  la  direction  du  FPI  sont  corrompus.    Quant  à  Gbagbo,  il  a  montré  aussi  ses  incohérences  et  ses  limites.  S’il  est  libéré,  il  aura  la  gloire  d’être  celui  que  la  CPI  n’a  pas  pu  maintenir  en  prison  et  celui  qui  a  résisté  à  la  France.  Mais  l’histoire  lui  demandera  également  de  rendre  des  comptes  sur  ses  contradictions,  car  tantôt  il  a  voulu  jouer  le  jeu  de  la  France,  tantôt  il  a  voulu  la  rupture.  Face  à  ces  deux  voies,  il  n’a  pas  eu  de  réelle  visibilité.  On  a  pu  dire  aussi  qu’il  a  été  grisé  par  le  pouvoir,  comme  tout  le  monde,  tant  il  a  voulu  que  la  France  le  reconnaisse  comme  le  défenseur  de  la  Françafrique  d’une  certaine  façon.                  

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Annexe  11  :  Entretien  n°10    Entretien   avec   Willy   Bla   et   les   membres   du   Congrès   pour   la   Renaissance   Ivoirienne   et  Panafricaine  (CRI-­‐Panafricain),  partisans  de  Laurent  Gbagbo  Willy  Bla,  président  du  CRI-­‐  Panafricain  Talli  Gaston,  doyen  d’âge  Georges  Honoré  Ya  Obi,  secrétaire  du  CRI  Docteur   Coulibaly,   contrainte   à   l’exil   depuis   la   chute   de   Laurent   Gbagbo,   chargée   des  finances  du  CRI  Joseph  Djidji,  chargé  de  la  communication  du  CRI  Lazare  Adje    28  juin  2013    Le   CRI   –   Panafricain   se   décrit   comme  un  mouvement   politique  de   protestation   contre   la   recolonisation  de  l’Afrique.   Il  a  pour  objectif  premier   la   libération  du  Président  Laurent  Gbagbo,  son  épouse  Simone  Gbagbo,  les  membres  de  sa  famille  et  les  prisonniers  politiques.        -­‐  Pouvez-­‐  vous  décrire  votre  parcours  militant  et  ce  qui  vous  lie  à  Laurent  Gbagbo  ?    Talli  Gaston  :  Je  suis  un  militant  du  FPI  depuis  l’exil  de  Laurent  Gbagbo  dans  les  années  80.  L’engagement  nous  a  été  imposé  par  la  situation.  Les  idées  qu’il  a  présentées  aux  ivoiriens  nous  ont  séduit.  C’est  le  premier  à  avoir  dit  que  la  Côte  d’Ivoire  était  riche.  Il  l’a  démontré  dès  son  arrivée  mais  ses  ambitions  pour  la  Côte  d’Ivoire  ont  été  coupées.  Ils  veulent  prendre  toutes  les  richesses  du  pays.  Aujourd’hui,  je  fais  partie  du  CRI-­‐Panafricain  car  il  faut  lutter  pour  Laurent  Gbagbo  qui  a  gagné  les  élections  et  a  été  brutalisé.    Willy  Bla  :   Je  suis  porte  parole  et  président  du  CRI-­‐  Panafricain.   Je  suis  également  membre  du  FPI  depuis   les  années  90.   Le   FPI   n’était  même  pas  encore   crée  que  nous  distribuions  des   tracts   avec   les   idées  de  Gbagbo.  J’étais  le  directeur  adjoint  de  la  campagne  de  Laurent  Gbagbo  chargé  de  la  société  civile  en  France,  en  2010.      Georges  Honoré  Ya  Obi  :  Je  suis  le  secrétaire  général  du  CRI.  Je  rejoins  les  idées  du  FPI  mais  à  la  base  je  suis  de  l’Union  pour  la  Démocratie  et  la  Paix  en  Côte  d’Ivoire  (UDPCI).      -­‐  Êtes-­‐vous  pour  l’ouverture  du  dialogue  entre  le  gouvernement  d’Alassane  Ouattara  ?    Georges   Honoré   Ya   Obi  :   Quel   dialogue   va-­‐t-­‐il   y   avoir  ?   Ouattara   et   la   France   ont   fait   arrêter   une   grande  majorité  des  ivoiriens  qui  sont  aujourd’hui  dans  les  geôles.  Si  le  parti  au  pouvoir  veut  la  paix,  il  faut  libérer  les  prisonniers.  Le  débat  viendra  ensuite.      Talli   Gaston  :   Après   la   pluie   vient   le   beau   temps.   Le   gouvernement   actuel   a   pris   le   pouvoir   de   façon  malhonnête   grâce   à   l’aide  de   la   communauté   internationale.   C’est   donc   à   eux  de  mettre   la  balle   à   terre.   La  réconciliation  en  elle  même  est  une  bonne  chose.  C’est  une  justice  des  vainqueurs.  Si  le  gouvernement  actuel  était  honnête,  la  réconciliation  pourrait  se  faire.  Le  FPI  a  posé  des  conditions  pour  les  dernières  élections.  Mais  elles  n’ont  pas  été  acceptées  par  le  gouvernement.  C’est  pour  cette  raison  qu’on  a  dû  boycotter.  Il  faudrait  que  les  conditions  posées  soient  respectées.      -­‐  Justement,  vous  êtes  donc  en  accord  avec  la  stratégie  de  boycott  qui  a  été  employée  jusqu’ici  par  le  FPI  ?    Willy  Bla  :  La  stratégie  de  boycott  a  servi  de  baromètre.  Ce  boycott  actif  a  permis  de  montrer  que  le  FPI  était  un   parti   bien   implanté   car   il   y   a   eu   un   grand   pourcentage   d’abstention.   Elle   a   donc   été   efficiente   pour  démontrer  que   le  FPI  était   largement  soutenu  puisqu’aux  dernières  élections,  on  a  parlé  de  désert  électoral.  Ceux  qui  n’ont  pas  voté  sont  acquis  pour  Laurent  Gbagbo.  Il  y  a  eu  moins  de  5  %  de  participation  aux  dernières  élections  municipales.  Cela  a  été  le  miroir  grossissant  de  la  réalité  électorale.  La  démocratie,  c’est  aussi  qui  dit  

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les  élections.  Lorsque  le  Conseil  Constitutionnel  a  déclaré  que  Gbagbo  était  président  et  que  cela  a  été  balayé  par  la  communauté  internationale,  ces  élections  successives  démontrent  quelle  était  la  réalité  du  vote.      -­‐  Que  penseriez-­‐  vous  si  le  FPI  décidait  d’aller  à  la  présidentielle  de  2015  ?    Willy   Bla  :   L’élection   présidentielle   ne   règlera   pas   les   problèmes.   La   situation   n’est   pas   normale   en   Côte  d’Ivoire,  les  gens  continuent  d’être  arrêtés,  les  femmes  violées…Dans  cette  situation  anormale,  on  ne  peut  pas  aller  aux  élections.  Si  Gbagbo  est  toujours  détenu  et  que  c’est  une  stratégie  des  autres  de   laisser  Gbagbo  en  prison  pour  que  le  FPI  aille  aux  élections  sans  lui,  ils  font  fausse  route.  La  base  du  FPI  trahirait  les  militants  en  allant  aux  élections.  C’est  Gbagbo  le  cheval  gagnant.  Si  on  le  libère,  nous  irons  aux  élections  présidentielles.      Quant   à   la   CPI,   Alphonse   Soro   (de   la   famille   de   Guillaume   Soro),   a   organisé   une   marche   des   familles   des  victimes  au  Plateau  (quartier  des  ambassades  à  d’Abidjan)  afin  de  paralyser  Abidjan,  pour  que  la  CPI  aille  dans  le  sens  de  la  confirmation  des  charges.      -­‐  Sous  quelles  conditions  pensez-­‐vous  que  le  FPI  devrait  participer  et  appeler  à  la  participation  du  peuple  ivoirien  à  la  réconciliation  ?    Willy  Bla  :  La  réconciliation  est  une  bonne  chose.  Si  on  prend  l’Afrique  du  Sud,  il  y  a  eu  un  dialogue  entre  les  parties.  Mais   dans   le   cas   de   la   Côte   d’Ivoire,   il   est   impossible   de   dialoguer   dans   la  mesure   où   l’on   continue  d’être  confrontés  à  la  justice  des  vainqueurs.  Il  ne  peut  y  avoir  réconciliation  lorsque  celui  qui  porte  49  %  des  voix  de  l’électorat  est  en  prison.  Cela  rend  la  réconciliation  impossible.      Docteur  Coulibaly  :  Le  minimum  qui  puisse  être  fait  à  l’heure  actuelle  si  l’on  veut  envisager  une  réconciliation  en  Côte  d’Ivoire  est  de  libérer  Gbagbo  ainsi  que  les  prisonniers  politiques.      Lazare  Adje  :  La  réconciliation  viendra  de  manière  naturelle  si  un  seul  acte  est  posé  :  la  libération  de  Gbagbo  et  des  prisonniers   politiques,   et   le   dégel   des   comptes.   Ces   gens   sont   enfermés  parce  qu’ils   ont   simplement   eu  l’ouverture   d’esprit   de   voter   pour   un   homme.   Les   ivoiriens   sont   des   gens   de   fête,   ils   vont   se   réconcilier  naturellement.      Joseph  Djidji  :  Même  l’oncle  de  Ouattara  avait  dit  qu’il  ne  pourrait  y  avoir  réconciliation  si  Gbagbo  restait  en  détention.   Les   partisans   du   RHDP,   lors   de   la   caravane   de   la   réconciliation   où   de   nombreux   chanteurs   ont  tourné  dans   le  pays,  ont  dit  eux  même  qu’il  ne  pourrait  y  avoir   réconciliation  sans   libération  des  prisonniers  politiques  qui  ont  soutenu  Laurent  Gbagbo.      Lazare  Adje  :   La   réconciliation  ne  peut  se   faire  qu’avec  un  natif  du  pays.  Ouattara  n’est  pas  de  Côte  d’Ivoire  donc  ce  qui  sort  de  sa  bouche  ne  sera  pas  pris  en  compte  par  la  population.  Seul  Gbagbo  peut  faire  ce  travail  de  réconciliation.      Joseph  Djidji  :  Ouattara  est  là  depuis  deux  ans  mais  il  n’y  a  pas  eu  de  réelle  avancée.  On  nous  répète  sans  cesse  «  réconciliation  »,   et   on  nous  dit   que   la   réconciliation   viendra   avec   la   croissance.  Mais   c’est   une  parodie.   Le  peuple  majoritaire  de  l’élection  de  2010  attend  la  libération  de  Gbagbo.      Willy  Bla  :  Il  ne  faut  pas  croire  que  la  justice  transitionnelle  va  régler  tous  les  problèmes.  Mais  elle  va  donner  confiance  aux  ivoiriens.  La  CDVR  n’a  pas  de  recette  miracle.  C’est  l’oubli  qui  doit  être  le  but  à  atteindre  à  partir  de   la  mémoire.   Le   temps  engendre   l’oubli.  On  ne  peut  pardonner   sans  oublier.   En  Afrique,  nous  disons  que  «  les  palabres   finissent  mais   la  honte  demeure  ».   Les  palabres   se   terminent  par   la   justice  équitable.  Mais  au  delà,  ce  qui  compte,  c’est  que  la  confiance  revienne  entre  les  ivoiriens.  Désormais,  il  y  a  des  problèmes  entre  les  gens  du  Nord  et  les  gens  du  Sud.  Avant  qu’il  n’y  ait  une  instrumentalisation  politique  par  Ouattara,  les  gens  vivaient  bien  ensemble.  C’est  Ouattara  qui,  dès  les  années  90,  a  utilisé  la  religion  et  l’ethnie  car  il  avait  du  mal  à  justifier  sa  nationalité  ivoirienne.  De  toute  manière,  si  l’on  devait  faire  les  calculs  par  rapport  aux  religions,  ce  sont  les  animistes  qui  seraient  les  plus  nombreux.              

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Annexe  12  :  Entretien  n°  11  avec  Guy  Labertit    Entretien  avec  Guy  Labertit,  ami  proche  de  Laurent  Gbagbo  et  ancien  Délégué  national  pour  l’Afrique  du  Parti  Socialiste  Français  19/06/2013    -­‐  Quel  est  votre  lien  avec  la  Côte  d’Ivoire  et  Laurent  Gbagbo  ?    Je  me   suis   intéressé   à   l’Afrique   dès   l’époque  où   j’étais   étudiant   et   c’est   en   1969   que   j’ai   eu  mes   premières  amitiés   avec   des   étudiants   africains.     Je  me   suis   rendu   en   Afrique   dès   1973,  mais   j’ai   été   lié   aux   questions  relatives  à   la  Côte  d’ivoire  au  moment  où   j’ai   rencontré  Gbagbo,  en  1982,   lorsqu’il  était  en  exil  en  France.  À  partir  de  1984,  je  suis  allé  régulièrement  en  Côte  d’Ivoire  et  j’y  rencontrais,  à  l’époque,  l’opposition  clandestine  à   Boigny.   L’amitié   qui   me   lie   à   Laurent   Gbagbo   est   l’histoire   d’un   long   compagnonnage.   Je   suis   devenu  responsable  du  Parti  Socialiste  en  1991,  au  secrétariat  international.  J’y  occupais  le  poste  de  délégué  national  pour  l’Afrique  de  1993  à  2006.  Mais  quand  j’ai  croisé  Laurent  Gbagbo,  je  n’étais  membre  d‘aucun  parti.  Entre  temps,  Gbagbo  s’est  imposé  à  la  tête  de  l’opposition  et  a  beaucoup  milité  pour  l’avènement  de  la  démocratie.  Le  multipartisme   a   été   reconnu   le   30   avril   1990   et  Gbagbo   a   été   élu   président   aux   élections   du   22   octobre  2000.      -­‐  Que  pensez-­‐vous  de  l’ouverture  du  dialogue  entre  le  FPI  actuel  et  le  gouvernement  d’ADO?      Cela  a  été  un  processus  très  long,  car  faute  de  dialogue  réel,  le  FPI  n’a  pas  participé  aux  élections  législatives  ni  aux   élections  municipales.   Ce   dialogue   est   devenu   effectif   au  mois   de   janvier   2013,   près   de   deux   ans   après  l’accession  au  pouvoir  d’ADO.  Il  y  a  eu  des  discussions  à  la  fin  du  mois  de  janvier  (31  janvier  2013),  qui  ont  été  rendues  publiques  le  4  février.  Ensuite,  cela  s’est  perdu  dans  les  sables  à  cause  du  point  de  divergence  sur  la  commission  électorale.  Le  choix  unilatéral  du  gouvernement  de  la  date  des  élections  municipales  a  marqué  la  suspension  du  dialogue.  Mais    il  semble  que  ce  dialogue  doive  reprendre  à  la  fin  du  mois  de  juin  (le  27  juin).      -­‐  Vous  avez  évoquez  le  boycott  des  élections  précédentes  par  le  FPI,  pensez-­‐vous  que  cela  a  été  une  stratégie  politique  efficace  pour  le  FPI  ?    Il  faut  savoir  que  la  plupart  des  cadres  du  FPI  sont  en  détention.  Le  président  du  FPI  Affi  N’Guessan,  le  premier  vice-­‐président   Aboudramane   Sangaré,   Simone   Gbagbo,   les   secrétaires   généraux   et   de   nombreux   cadres   et  généraux.  On  estime  que  près  de  700  personnes  sont    retenus  pour  des  motifs  politiques  avoués  ou  inavoués.  De  plus,  de  nombreux  cadres  sont  en  exil,  essentiellement  au  Ghana.  Or,  participer  à  des  élections  suppose  que  l’on   ait   des   candidats   et   lorsque   les   principaux   leaders   sont   détenus   ou   en   exil,   il   est   difficile   de   participer  valablement   à   de   tels   scrutins.   D’autre   part,   dans   le   cadre   du   dialogue   politique,   il   y   avait   des   points   de  discussion   sur   la   composition   de   la   commission   électorale   indépendante,   puisque   chacun   sait   que   sa  composition  a  été   imposée  par   les  accords  de  Marcoussis  à  Paris  et  qu’au  fond,  au  sein  de  cette  commission  figurent  des  représentants  de  groupes  rebelles  qui  n’existent  plus.  Deux  tiers  de  ses  membres  sont  pro  RHDP,  et   sont  donc  hostile  au  camp  du  président  Gbagbo.  Cela   constituait  une  curiosité  historique  puisque   la  Côte  d’Ivoire  est  sans  doute  le  seul  pays  où  il  y  a  eu  une  commission  électorale  nationale  qui  échappait  au  pouvoir  en  place,  mais  qui  était  complètement  contrôlée  par  l’opposition  dans  la  proportion  de  deux  tiers/un  tiers.    Ces  arguments   lourds  étaient  assez   lourds  pour  que   le  FPI  ne  participe  pas  à  ces  scrutins.  Bien  sûr,  si   l’on  se  réfère  à  l’ensemble  de  ces  processus  historiques,  il  apparaît  que  les  boycotts  ne  sont  pas  toujours  les  stratégies  les  plus  efficaces.  Mais  dans  ce  cas,  elle  était  totalement  inévitable.      -­‐  Il  me  semble  que  le  FPI  va  présenter  un  candidat  à  la  présidentielle  de  2015.  Cela  constituerait  un  changement  de  stratégie  politique.  Pensez-­‐  vous  qu’il  devrait  présenter  un  candidat  ?    C’est   un   avis   d’observateur   que   je   donnerai   ici.   Vu   de   l’extérieur,   je   suppose   que   la   situation   va   évoluer,  notamment  pour  ce  qui  concerne  la  situation  des  cadres  aujourd’hui  détenus  et  en  exil.  Nous  sommes  en  2013,  il  reste  2  ans  et  je  crois  que  les  autorités  ivoiriennes  ont  bien  conscience  qu’elles  ne  peuvent  se  maintenir  au  pouvoir  en  évinçant  du  champ  politique  la  principale  force  d’opposition  qui  a  géré  le  pays  pendant  plus  de  10  ans.  Il  est  assez  évident  que  les  autorités  ivoiriennes  devront  compter  sur  des  pressions  internationales,  dans  la  mesure  où  les  bailleurs  de  fonds  et  les  puissances  occidentales  qui  ont  soutenu  ADO  et  le  soutiennent  encore  aujourd’hui   ne   pourront   continuer   à   le   faire   éternellement   si   le   gouvernement   ne   fait   pas   preuve   d’un  

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minimum  d’ouverture.  La  situation  va  être  encore  ambiguë  puisqu’après  les  décisions  de  la  CPI  du  3  juin  2013,  les  autorités  ivoiriennes  n’ont  pas  été  satisfaites  de  la  prise  de  position  de  la  CPI,  qui  dit  qu’au  fond,  il  n’y  a  pas  assez   de   preuves   pour   confirmer   les   charges   qui   pèsent   sur   Gbagbo.   Il   y   a   un   nouveau   délai   accordé   au  procureur,   ce   qui   constitue   tout   de  même   une   première.   Une   session   de   rattrapage   est   organisée   pour   un  procureur  qui,  en  2  ans,  n’a  pas  réussi  à  trouver  de  preuves  de  ses  accusations.  C’est  assez  singulier.  Laurent  Gbagbo  est   toujours  détenu  alors  qu’il  est   toujours  présumé   innocent.   Il  est  détenu  de  manière  arbitraire  et  après  cette  décision,  les  autorités  ivoiriennes  ont  arrêté  le  secrétaire  général  des  jeunesses  du  FPI  Koua  Justin.  Cela  démontre  que  le  climat  politique  reste  crispé  et  augure  mal  de  la  reprise  des  négociations  dans  le  cadre  du  dialogue  politique  en  juin  prochain.      -­‐   Il   y   a   de   nombreux   exilés   et   de   nombreux   ivoiriens   hors   du   territoire.   Organiser   des   élections  signifie   également   faire   revenir   l’ensemble   des   ivoiriens   sur   le   territoire,   refaire   des   papiers  d’identité  et  des  cartes  électorales.  Tout  cela  en  2  ans.  Vous  ne  pensez  pas  que  le  timing  est  un  peu  juste  ?    Non  je  pense  qu’il  y  a  les  listes  électorales  de  2010  qui  restent  une  base,  même  s’il  y  a  eu  des  contestations  sur  les  droits  de  citoyenneté  de  certains  qui  ont  certainement  été  un  peu  forcés.  Il  y  a  eu  une  citoyenneté  conquise  par   la   force,  mais   on   ne   va   pas   revenir   éternellement   sur   le   passé.   Il   est   évident   que   l’alternative   politique  passera  par  le  FPI  qui  est  un  grand  parti  qui  ne  peut  se  permettre  d’être  absent  de  toutes  les  joutes  électorales  pendant   aussi   longtemps.   A  mes   yeux,   d’ici   2015,   il   est   évident   que   le   FPI   trouvera   une   solution.   De   toute  façon,  il  sera  partie  prenante  du  scrutin.  Pas  forcément  pour  le  gagner  mais  au  moins  pour  prendre  date.  C’est  un  pouvoir  qui  a  conquis  le  pouvoir  par  les  urnes  et  il  ne  peut  pas  se  permettre  d’ignorer  ce  chemin  longtemps.  Il  ne  pourra  se  situer  en  dehors  d’un  scrutin  aussi  fondamental  qu’est  celui  de  la  présidence  de  la  république  ivoirienne,  dans  la  mesure  on  a  affaire  à  une  constitution  présidentielle.  On  voit  mal  comment  le  FPI  pourrait  rester  en  dehors  de  cela.      -­‐  Si  l’on  regarde  maintenant  le  processus  de  réconciliation,  le  FPI  avance  souvent  des  conditions  de  participation   au   processus   de   réconciliation.   Est   ce   que   vous   pensez   que   ces   conditions   sont  justifiées   et   qu’il   est   nécessaire   de   poser   des   préalables   avant   de   participer   réellement   à   ce  processus  ?    Il   y   a   déjà   eu   des   rencontres,   notamment   en   janvier   2013,   alors  même  que   les   cadres   du   FPI   sont   toujours  détenus,   que   Gbagbo   est   devant   la   justice   internationale   et   qu’il   y   a   toujours   des   formes   de   répression   au  quotidien.  On  ne  peut  donc  plus  parler  de  préalables  puisque  ces  discussions  ont  commencé  et  qu’il  y  a  eu  des  relevés  de  discussions  avec  des  points  d’accord  et  de  désaccord.    L’annonce   de   la   reprise   des   négociations   alors   que   la   situation   reste   politiquement   inchangée   quant   aux  respect  des  Droits  de  l’Homme  et  à  la  bonne  marche  de  la  justice  démontre  une  bonne  volonté  de  la  part  du  FPI.  Mais   je  voudrais  parler  de  quelque  chose  qui  touche  plus  au  processus  de  réconciliation,  au  rapport  à   la  population  et  moins  au  dialogue  politique.  Au  sein  de  la  CDVR,  il  y  a  un  membre  du  FPI,  Sery  Bailly  qui  est  un  intellectuel  de  renom.  Il  a  été  ministre  et  député  du  FPI  et  président  de  la  fondation  Harris  Memel-­‐Fotê,  proche  du  FPI.  Son  engagement  a  été  contesté  par  la  direction  du  FPI,  il  est  donc  aujourd’hui  un  peu  silencieux.  C’est  un  homme  tout  à  fait  proche  de  la  population  puisque  c’est  un  ancien  élu,  mais  si  on  a  choisi  cet  homme  pour  le  placer  à  la  CDVR,  c’était  pour  le  casting  politique  et  pour  donner  du  crédit  à  la  CDVR.  Mais  comme  on  le  verra  certainement   au   cours   des   prochaines   questions,   la   CDVR   est   morte   née   et   elle   finira   son   mandat   en  septembre,  puisque  Banny  a   l’intention  de   laisser  tomber.  Si  ce  n’est  pas   le  cas,   le  président  ADO  a  de  toute  façon  montré  le  peu  d’intérêt  qu’il  portait  à  la  CDVR  puisqu’il  vient  de  créer  une  structure  dont  la  mission  sera  à  peu  près  celle  de  la  CDVR.  Et  si  cette  dernière  n’avait  pu  bénéficier  que  de  2  milliards  de  Francs  CFA  de  fonds  et   s’est   rapidement   trouvée  en  difficultés   financières,   la   nouvelle   structure  du   gouvernement  bénéficie   déjà  d’un  financement  de  7  milliards  de  francs  CFA.    ADO  a  mis  Banny  sur  une  voie  de  garage  afin  de   l’écarter  du  débat  au   sein  du  PDCI  pour   lequel  Banny  avait  des  ambitions,   et   ainsi  maintenir   l’éternel  Bédié  à   la   tête  du  PDCI.  Mais  selon  la  constitution  ivoirienne,  Bédié,  qui  est  né  en  1935,  ne  pourra  pas  se  représenter,  puisque  la  limite  d’âge  est  fixée  à  75  ans.      -­‐  Pensez-­‐vous  que  le  mandat  de  la  CDVR  va  être  prolongé  ou  qu’il  va  véritablement  être  remplacé  par  le  plan  de  cohésion  sociale  ?    Je  ne  sais  pas.  Il  est  évident  que  Banny  ne  continuera  pas  et  je  ne  vois  pas  de  replaçant  susceptible  d’accepter  de  jouer  les  potiches  puisqu’il  y  a  cette  autre  structure  qui  a  été  créée.  A  moins  d’une  complaisance  de  la  part  

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de  telle  ou  telle  personnalité,  je  ne  vois  pas  qui  pourrait  prendre  la  tête  d’une  structure  dont  on  sait  qu’elle  ne  servira  plus  à  rien.      Il  me  semble  que  Banny  a  passé  la  plupart  de  son  temps  à  mettre  des  structures  en  place  dans  les  différentes  régions.  Même  au  niveau  de  la  diaspora  africaine,  ces  commissions  n’ont  été  mises  en  place  qu’en  2013.  Cela  a  pris   2   ans.   Il   va   finir   son   mandat   et   il   va   dire   «     pendant   2   ans,   j’ai   mis   en   place   des   structures   qui   vont  travailler  »  !   Il   n’a   pas   été   doté   de   moyens   suffisants.   Mais   ce   qui   me   semble   être   une   escroquerie  intellectuelle,   c’est   le  parallèle  qui  est   régulièrement   fait  avec   la   commission  de   réconciliation  en  Afrique  du  Sud.  En  Afrique  du  Sud,  les  personnes  interrogées  et  qui  ont  témoigné  ne  risquaient  aucune  sanction  pénale,  ce  qui   n’est   pas   le   cas   en   Côte   d’Ivoire,   puisque  non   seulement   des   personnes   sont   arrêtées   et   emprisonnées,  mais  de  surcroit,  c’est  une  justice  des  vainqueurs  car  il  n’y  a  qu’un  seul  camp  sous  le  feu  de  la  justice.  Dès  lors,  parler   de   vérité   et   de   réconciliation   lorsque   l’on   est   face   à   un   immense  mensonge  de  dire   qu’il   n’y   a   qu’un  camp  qui   a   commis  des  exactions   alors  qu’on  était   dans  une   situation  qui   se   rapprochait   d’une   situation  de  guerre   civile  et  donc  que   les  deux   camps  ont   commis  des  exactions,  on  peut  mettre  en  doute   la   volonté  de  vérité   et   de   réconciliation.   L’appellation   de   cette   CDVR   est   par   essence   une   escroquerie.   Je   l’ai   d’ailleurs  appelée   ironiquement  «  CaDaVRe  »,   car  elle   contient   toutes   les   consonnes  de  ce  mot.  C’était  une   institution  morte  née  dès  l’instant  où  l’on  ne  se  donnait  pas  les  moyens  d’aller  vers  cette  vérité  et  cette  réconciliation,  qui  suppose   que   soient   mis   en   cause   les   deux   camps.   Si   l’on   veut   avoir   l’expression   de   la   vérité,   on   ne   peut  l’obtenir  alors  qu’il  y  a  l’épée  de  Damoclès  des  sanctions  pénales.  Je  ne  suis  pas  pour  l’impunité  mais  je  crois  qu’il  va  falloir  que  l’on  pense  sérieusement,  ce  n’est  pas  de  l’impunité  mais  une  forme  de  justice  du  pardon.  Si  on  veut  que  des  sociétés  retrouvent  de  la  cohésion,  on  ne  retrouve  pas  cette  cohésion  par  la  punition.  Je  me  souviens  même  d’avoir  dit  le  jour  de  l’arrestation  de  Gbagbo  que  la  Côte  d’Ivoire  ne  se  réconcilierait  avec  elle  même   qu’avec   Gbagbo,   et   Gbagbo   libre,   et   je   pense   que   l’histoire   va   me   donner   raison   en   avril   2014.  L’abandon   des   charges   aboutirait   à   ce   que   l’actuel   gouvernement   revoit   les   charges   qui   pèsent   sur   les  principaux  responsables  politiques  qui  sont  à  l’heure  actuelle  emprisonnés.      -­‐  Vous  avez  évoqué  et   fait   le  parallèle  avec   l’Afrique  du  Sud,  privilégieriez-­‐vous  une  solution  à   la  sud  africaine?    Dans  les  discussions,  le  FPI  avait  parlé  d’une  amnistie  générale  préalable  à  cette  justice  du  pardon.  Les  gens  qui  hurlent  à   l’impunité  ont  été  plus  discrets   lorsque  Gbagbo  a  multiplié   les   lois  d’amnistie  pour   faire  entrer   les  rebelles  dans   la  république,  parce  que   le  premier   inculpé  aurait  tout  de  même  dû  être  M.  Guillaume  Soro  et  tous  les  com  zones.  Au  fond  les  rebelles  ce  sont  eux,  et  eux  ont  été  amnistiés  par  le  président  Gbagbo.  Alors  ceux  qui  dénoncent  la  volonté  d’amnistie  du  FPI  ont  la  mémoire  courte.  C’est  plutôt  unique  dans  l’histoire  de  l’Afrique  qu’un  président  accepte  comme  premier  ministre  celui  qui  a    assumé  politiquement   la  rébellion  qui  visait  à  le  renverser.  On  ne  peut  avoir  l’expression  de  la  vérité  s’il  y  a  une  sanction  pénale  forte.    Gbagbo   avait   tenu   à   ce   que   dans   la   constitution   ivoirienne   soit   clairement  mentionné   que   rien   ne   pouvait  contraindre  un  citoyen  ivoirien  à  l’exil  parce  que  lui  même  l’avait  vécu.  On  a  cette  situation  paradoxale  ou  une  grande  partie  des  cadres  sont  aujourd’hui  en  exil.    Cette  réconciliation  me  semble  d’autant  plus  faisable  s’il  y  a  cette  démarche  d’amnistie.    La  Côte  d’Ivoire  est  un  pays  très  mêlé.  Les  unions  se  sont  faites  au  delà  des  ethnies.  C’est  pour  cela  que  j’ai  été  de  ceux  qui  ont  cru  qu’on  ne  pouvait  pas  faire  de  parallèle  entre  le  Rwanda  et  la  Côte  d’Ivoire.  La  Côte  d’Ivoire  n’a  rien  à  voir  avec  le  cas  du  Rwanda.  Je  conteste  l’utilisation  déraisonnable  du  terme  de  génocide  à  tout  va.  On  utilise  souvent  à  tort   ce   terme   donc   cela   me   laisse   optimiste   quant   à   une   éventuelle   réconciliation,   même   si   elle   prendra  beaucoup   de   temps.   Dans   les   grandes   villes,   les   familles   sont  mêlées,   les   origines   sont   très   diversifiées.   Le  mélange  des  ethnies  et  la  cohésion  sociale  étaient  en  cours  en  Côte  d’Ivoire  et  malheureusement  il  y  a  eu  une  régression  par  la  guerre.  La  guerre  a  fait  régresser  la  réflexion.      -­‐  Vous  dites  que   les  populations  sont  assez  mêlées,  mais  on  entend  tout  de  même  à   longueur  de  temps  cette  division  entre  dioulas  et  vrais  ivoiriens,  entre  gens  du  Nord  et  gens  du  Sud.      Il  y  a  des  dioulas  ivoiriens,  là  n’est  pas  de  problème.  L’un  des  objectifs  du  président  Gbagbo  était  de  contribuer  à  forger  la  nation  ivoirienne  car  il  avait  conscience  que  le  Nord  avait  été  délaissé  sous  Boigny.  Le  pouvoir  était  à  l’époque   accaparé   par   les   Baoulés.   Fondamentalement,   Boigny   a   eu   des   propos   très   méprisants   sur   les  populations  du  Nord,  «  les  mangeurs  d’arachide  »  et  tout  cela.  On  ne  le  met  pas  beaucoup  en  valeur.  Gbagbo  est  tout  de  même  à  l’origine  de  l’autoroute  du  Nord,  d’hôpitaux  à  Korogo.  Il  n’avait  pas  pour  but  de  délaisser  les  populations  du  Nord.  Mais   il  a  seulement  eu  18  mois  d’exercice  du  pouvoir  puisqu’à  partir  de  2002,   il  n’y  avait  plus  de  politique  gouvernementale  digne  de  ce  nom.  C’est  donc  ADO  qui  a  un  peu  exacerbé  ce  sentiment  en   disant   que   c’était   parce   qu’il   était   musulman   et   du   Nord.   C’est   quelque   chose   qui   était   contraire   à   la  

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pratique  de  la  Côte  d’Ivoire,  car  quand  le  RDR  a  été  fondé  en  1994  et  qu’il  a  fait  alliance  avec  le  FPI  en  1995,  il  y  avait  des  gens  du  sud.  C’était  un  parti  centre  droit  dans   lequel   il  y  avait  des  appartenances  ethniques  et  des  origines  différenciées.  Mais  sous  l’influence  d’ADO  et  de  la  charte  du  nord,  il  y  a  eu  un  recroquevillement  vers  une  dimension  dioula,  nordiste.  Dans  le  même  temps,  je  trouve  que  le  FPI  voulait  pourtant  forger  une  nation  ivoirienne.  Ensuite,  il    y  a  eu  une  régression  émanant  de  tous  les  partis  politiques  qui  en  ont  été  les  vecteurs.  Mais  cela  est  lié  à  la  guerre.  Durant  la  deuxième  guerre  mondiale,  personne  n’a  dénoncé  toutes  les  exécutions  sommaires,   il   n’y   avait   pas  de  mouvements  des  droits   de   l’Homme.  Nous,   nous   avons   le  droit   de   construire  notre   histoire  mais   les   africains,   eux,   ont   le   droit   de   construire   leur   histoire   telle   qu’on   leur   demande  de   la  construire.      -­‐  Mais  dès,  comment  voyez-­‐vous  le  retour  à  une  certaine  cohésion  sociale  ?      La  Côte  d’Ivoire  n’était  pas  disposée  pour  un  tel  affrontement.  L’affrontement  a  d’abord  été  politique.  Tout  le  monde  reconnaissait   les  mérites  de  Gbagbo  en  tant  qu’opposant.  Mais  quand   il  est  devenu  président,  cela  a  été  la  surprise  car  ce  n’est  pas  lui  que  l’on  attendait.  Il  incarnait  l’opposition  à  l’intouchable  Houphouët  Boigny.  Il  avait  mis  à  bas  par  l’élection  le  système  de  Boigny.  Il  était  ridicule  de  parler  d’ethnie  puisque  Gbagbo  étant  bété.   Il   appartenait   à   une   ethnie   totalement   minoritaire.   Donc,   s’il   s’était   battu   sur   une   base   ethnique,   il  n’aurait   jamais   été   président.   Les   grands   hommes   d’affaires   comme   Boloré,   sont   venus   me   voir   pour   me  demander  qui  était  ce  Gbagbo  pour  savoir  comment  il  fallait   le  prendre.  Le  monde  politique  et  des  affaires  a  été  ému  par  cette  élection,  parce  que  pour  eux,  c’était  ADO  qui  correspondait  à  leurs  critères.  ADO  avait  des  alliances  avec  ceux  qui   font  marcher   le  monde.   Il  avait  été  appelé  en  1991  au  poste  de  premier  ministre  sur  l’insistance  des  bailleurs  de   fonds  parce  que   le  pays  était   insolvable.  C’est  ADO  qui  s’est   fait   l’administrateur  des  remèdes  de  cheval  du  FMI.  Il  faut  relativiser  les  choses,  ADO  a  bcp  joué  sur  la  dimension  ethnique  et  tous  les  acteurs  politiques  ivoiriens  se  sont  polarisés  sur  le  débat  de  l’ivoirité,  lancé  par  Bédié.  Qu’ADO  soit  ivoirien  ou  non,  ce  n’est  pas  cela  l’enjeu.  Mais  les  faits  sont  bien  là.  Jusqu’à  ses  47  ou  49  ans,  il  a  représenté  un  autre  pays  au  sein  des  institutions  financières  telles  que  la  BCAO,  le  FMI  et  la  BM.  Il  était  là  comme  représentant  de  la  Haute  Volta  puis  du  Burkina.   Il  a   fait   sa  mutation  quand   il  est  devenu  gouverneur  de   la  BCAO.  En  effet,   le  gouverneur  de  la  BCAO  était  traditionnellement  ivoirien  et  c’est  à  ce  moment  là  que  nait  le  trouble.  Il  devient  une   sorte   d’ivoirien   puisqu’il   occupe   le   poste   qui   a   toujours   été   occupé   par   un   ivoirien.   Ensuite,   le   FMI   va  insister  pour  qu’il  le  prenne  comme  coordonnateur  de  la  politique  économique  de  Côte  d’Ivoire  en  199O,  puis  premier  ministre  de  1990  à  1993.   Je  ne  veux  pas  rentrer  dans   le  débat  de   l’ivoirité  que   je  trouve  détestable.  Mais  depuis  qu’il  est  président,   il  y  a  eu  une  nouvelle  vague  de  naturalisation  peu  regardante  qui  pourrait   lui  permettre    de  prendre  un  2ème  mandat  grâce  à  ces  nouvelles  listes  électorales.  Il  a  en  effet  annoncé  qu’il  serait  à  nouveau  candidat.  Les  listes  électorales  sont  en  train  de  s’allonger  considérablement  et  comme  on  le  sait,  la  Côte  d’Ivoire   a   toujours   été  un  pays  d’accueil.   Cette   forme  d’accueil   a  d’abord  été   forcée  par   le   colonialiste  français.  Ce  qui  est  devenu  la  Haute  Volta  était  en  partie  la  Côte  d’Ivoire  du  Nord.  Les  flux  migratoires  étaient  organisés  par  les  puissances  coloniales.  Il  y  a  des  villages  de  Côte  d’Ivoire  qui  portent  aujourd’hui  le  même  nom  que  des  villages  du  Burkina  Faso  et   les   familles  sont   liées.  Alors   il  est  vrai  qu’entre  1960  et  1972,  on  n’a  pas  regardé  cela  de  très  près.  Sous  Boigny  en  1972,  il  a  été  décidé  qu’il  fallait  choisir  entre  la  nationalité  voltaïque  ou  ivoirienne.  Les  dirigeants  n’ont  pas  été  clairs  sur  le  sujet  et  on  a  joué  sur  une  immense  ambiguïté  citoyenne.  Évidemment  nous  avons  eu  des  grands  censeurs  pour  nous  parler  de  la  tolérance  houphouétienne  disant  que  tout   le   monde   était   frère.   Mais   lorsque   l’on   voit   en   France   à   quel   point   nous   sommes   sourcilleux   sur   les  naturalisations  et  l’intégration  des  étrangers.  Si  en  France,  nous  avions  20  à  30%  de  la  population  qui  aspirait  à  être  française  du  jour  au  lendemain,  peut  être  que  le  corps  électoral  marquerait  une  certaine  résistance.  Je  me  souviens  d’une  rencontre  entre  Pierre  Maurois  et  Laurent  Gbagbo  en  2000  où  Pierre  Maurois  avait  demandé  à  Laurent  combien  il  y  avait  d’étrangers  en  Côte  d’Ivoire,  et  il  avait  répondu  que  l’estimation  était  d’au  moins  25  %.  Je  me  souviens  qu’il  avait  dit  «  oulala  cela  va  être  difficile  ».  Pour  que  les  gens  apprécient  ce  que  les  ivoiriens  vivent,   il   faut  rappeler  toutes  ces  proportions   là  et  comment   la  cohésion  sociale  française  se  trouve  troublée  avec  une  très  petite  proportion  d’étrangers.  Avec  25  %  d’étrangers,  on  imagine  ce  que  cela  pourrait  être  alors  même  que  les  démocraties  sont  bien  enracinées.      -­‐  Justement,  comment  voyez  vous   le  règlement  de  ces  questions   liées  aux  étrangers  à   l’heure  actuelle,  qui  est  d’ailleurs  liée  à  la  question  foncière  ?    On   ne   peut   ignorer   ces   conflits.   En   France,   on   a   surtout   relayé   les   conflits   fonciers   entre   ivoiriens   et   non  ivoiriens  en  ignorant  que  80  %  des  conflits  fonciers  en  Côte  d’Ivoire  se  trouvent  entre  ivoiriens.  Le  problème  est  donc   plus   profond   que   l’opposition   entre   les   ressortissants   d’un   pays   et   d’un   autre.   Au   sein   même   de   la  communauté  des  citoyens  ivoiriens,  il  y  a  un  problème  profond  concernant  la  propriété  foncière.  Dans  l’ouest,  un   homme   venant   de   l’est   aurait   du   mal   à   devenir   propriétaire.   Traditionnellement,   les   chefs   de   terre  

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accordaient   des   terres.   C’était   une   sorte   d’usufruit   pour   la   vie,   mais   je   ne   suis   pas   un   spécialiste   de   cette  question.   Si   votre   descendance   n’a   pas   eu   de   comportement   social   rédhibitoire,   alors   on   continue   à   vous  accorder  cette  terre.  Le  droit  foncier  tel  qu’il  a  été  voté  en  1998,  a  été  voté  par  tous  les  partis,  et  privilégie  la  possession   traditionnelle   de   la   terre.   C’est   aux   ivoiriens   de   voir   s’ils   veulent   revenir   sur   cette   conception   là.  L’état  du  droit  fait  qu’il  y  a  un  réel  problème,  y  compris  entre  citoyens  ivoiriens,  surtout  dans  les  campagnes.      -­‐  Concernant  le  report  de  la  décision  de  confirmation  des  charges  à  la  CPI,  pensez  vous  que  le  temps  que  Gbagbo  sera  détenu,  cela  posera  problème  pour  l’avancée  de  la  réconciliation  ?    Je  pense  en  effet  que  c’est  un  obstacle  majeur.  Il  y  a  2  façons  de  présenter  la  décision.  Certains  ont  dit  que  la  décision  était  reportée.  Mais  ce  qui  s’est  passé  est  beaucoup  plus  grave.  L’enquête  a  été  ouverte  en  octobre  2011.   Gbagbo   a   été   transféré   en   novembre   2011.   Après   18  mois,   on   a   estimé   que   le   bureau   du   procureur  n’avait  pas  fourni  de  preuves  suffisantes  pour  que   les  charges  soient  confirmées.  Dans  ce  système  de  droit  à  l’anglo-­‐saxonne,   c’est   une   décision   d’autant   plus   grave   que   l’audience   de   confirmation   ou   d’infirmation   des  charges   est   traditionnellement   favorable   au   procureur,   la   défense   ne   disposant   que   d’un   champ   d’action  réduit.  Même  sur  un  standard  de  preuves  souple  à  ce  stade,  on  estime  déjà  qu’il  n’y  a  pas  de  preuves  assez  solides.  C’est  une  certaine  victoire  pour  Gbagbo.  Dès  la  1ère  audience,  le  bureau  du  procureur  avait  déjà  été  en  difficultés.    La   CPI   ne   dit   pas   véritablement   le   droit.   Elle   est   de   toute   façon   liée   au   Conseil   de   sécurité.   Le   Conseil   de  sécurité  a  été  partie  prenante  de  la  mise  à  l’écart  de  Gbagbo.  On  peut  avoir  des  doutes  sur  l’indépendance  de  la  CPI.  Le  fait  qu’à  ce  stade  on  dise  qu’il  n’y  a  pas  assez  de  preuves  est  déjà  une  forme  de  séisme  politique.  Cela  laisse  une  petite  année  pour  se  réorganiser  afin  de  se  préparer  politiquement  dans  l’hypothèse  d’un  abandon  des  charges.  Imaginez  le  souffle  politique  qu’aurait  provoqué  un  abandon  des  charges  dès  le  3  juin  par  rapport  à  la  situation  en  Côte  d’Ivoire.  Cela  démontre  bien  qu’on  fait  de  la  politique  à  la  CPI.  Les  arguments  avancés  par  le   procureur   concernant   la   décision   de   libération   conditionnelle   sont   les   suivants   et   on   peut   douter   de   leur  solidité   juridique.  Selon   la  CPI,  Gbagbo  est  trop  populaire  et  dispose  d’un  réseau  trop   important  qui  peuvent  favoriser  sa  fuite.  Il  n’y  a  donc  pas  assez  de  garanties  de  représentativité.  De  plus,  il  pourrait  entraver  la  justice  notamment   sur   le   travail   d’enquête.   Enfin,   sa   libération   présente   un   trop   gros   risque   de   re   commission  d’exactions  dans  le  pays.  C’est  un  peu  comme  s’il  était  déjà  présumé  coupable.  2   juges  sur  5  avaient  dit  qu’il  fallait  libérer  Gbagbo.    La  CPI  est  en  train  de  jouer  sa  crédibilité.  Les  standards  de  preuve  n’y  sont  pas.  Repensez  aux  vidéos  du  Kenya.  Même  si   Fatou  Bensouda  a  avoué,   cela  est   grave  d’amener  des   fausses  preuves.  Or,   c’est   tout  de  même  du  pénal   qui   se   joue.   La   décision   est   très   politique.   De  mon   point   de   vue,   on   aurait   du   aller   à   l’abandon   des  charges.   Je   ne   dis   pas   qu’il   ne   s’est   rien   passé  mais   cela   ne   doit   pas   être   sur   la   seule   personne   de   Laurent  Gbagbo.  Fatou  Bensouda  était  prête  à  l’accepter  puisqu’elle  a  dit  dès  le  début  de  l’audience,  nous  ne  sommes  pas  là  pour  savoir  qui  a  perdu  et  qui  a  gagné  l’élection.  Pour  le  moment,  ils  ne  sont  pas  remontés  à  2002,  sinon  comment  expliquer  que  Guillaume  Soro  n’ait  pas  été  inquiété.  Ils  n’ont  examiné  que  la  crise  post  électorale,  ce  qui  est  en  soit    un  problème.    -­‐  Comment  voyez  vous  l’avenir  du  FPI  sans  Gbagbo  ?    D’abord  on  ne  peut  pas  savoir  quel  sera   l’avenir  politique  de  Gbagbo.  S’il  y  a  abandon  des  charges,   je  pense  que  Gbagbo  reviendra  en  politique  s’il  a  l’état  physique  de  le  supporter.  Au  regard  de  la  constitution  ivoirienne,  il   le  peut  car   il  n’a  pas  atteint   l’âge  limite.  Mais  dans  tous  les  cas,   je  pense  que  l’alternance  politique  passera  par  le  FPI  quelle  qu’aient  été  ses  forces  et  ses  faiblesses,  ce  parti  a  la  force  historique  d’avoir  incarné  le  parti  de  l’accession   à   la   démocratie.   Et   cela   compte   pour   le   paysan   ivoirien.   Le   FPI   est   profondément   ancré   dans   la  mentalité  du  citoyen   ivoirien.   Je  ne  sais  à  quelle  échelle  de   temps,  mais   le  FPI   reviendra  au  pouvoir  et   je  ne  crois  pas  que  les  mouvements  qui  se  sont  créés  seront  un  jour  les  catalyseurs  politiques  de  tout  un  peuple.  Ce  sera  toujours   la  même  école  de  pensée  qui  subsistera  même  si   le  nom  change.  La  Côte  d’Ivoire  est  vraiment  entrée  dans  la  modernité  politique.      -­‐  Ne  pensez   vous  pas  que   c’est  plus   la  personne  de   Laurent  Gbagbo  que   le   FPI   en   tant  que  parti  véhiculant  une  vision  pour  la  Côte  d’Ivoire,  qui  est  assimilé  à  l’avènement  de  la  démocratie  ?      Gbagbo  n’est  pas  resté  président  du  FPI  lorsqu’il  est  devenu  président,  et  pourtant,  le  FPI  a  continué.  De  même  en  Afrique  du  Sud,  l’ANC  a  continué  de  fonctionner  sans  Mandela.  Alors  bien  sûr,   il  n’y  a  pas  des  Gbagbo  qui  naissent   tous   les  15  ans.  De  même  en  France,   il  n’y  a  pas  un  Mitterrand   tous   les  15  ans.   Je  ne  dis  pas  qu’ils  n’ont   que   des   qualités   mais   en   tout   cas   assez   de   qualités   pour   être   élus   par   leur   peuple.   Gbagbo   pense  également  que  l’avenir  passera  par  le  FPI.    

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Annexe  13  :  Entretien  n°  12  avec  un  militant  du  PDCI    Entretien  avec  Jeannot  Ada,  militant  du  PDCI  04/07/2013    -­‐  Pouvez-­‐vous  me  parler  de  votre  parcours  politique  et  de  l’origine  de  votre  engagement  militant  ?    Je   suis   un  militant   de   la   diaspora   ivoirienne   au   sein   du   RHDP,  mais   surtout   du   Parti   Démocratique   de   Côte  d’Ivoire  (PDCI).  Depuis  la  jeunesse  du  PDCI,  sous  Houphouët  Boigny,  j’ai  toujours  milité.  Mon  engagement  s’est  fait   de   facto.   Le   PDCI   était   le   parti   unique   à   l’époque   où   je   m’y   suis   engagé.   J’en   apprécie   les   valeurs   de  tolérance  et  d’acceptation  des  différences.  Si  aujourd’hui  nous  en  sommes  arrivés   là  en  Côte  d’Ivoire,   c’est  à  cause  des  ethnies  «  extrémistes  »,  comme  par  exemple  les  bétés,  les  attiés  et  les  abés,  ou  encore  les  krou  ou  les  malinkés.  Ces  ethnies  sont  des  éternels  insatisfaits.    Au  sein  du  PDCI,  je  pense  suis  de  ceux  qui  pensent  que  le  temps  de  Bédié  est  révolu  et  qu’il  faut  laisser  la  place  à  la  jeunesse.      -­‐  Que  pensez-­‐vous  de  l’ouverture  d’un  éventuel  dialogue  entre  le  gouvernement  RHDP  et  le  FPI  ?    La  politique  a  horreur  de  la  chaise  vide.  Nous  respectons  le  FPI  qui  a  toute  sa  place  sur  l’échiquier  politique  à  l’heure  actuelle.  Mais  le  FPI  ne  ménage  aucun  effort  pour  aller  à  la  réconciliation,  ni  le  gouvernement  d’ailleurs.  Le   gouvernement   actuel   est   légitime   et   le   FPI   continue   de   contester   cette   légitimité.   De   l’autre   côté,   le  gouvernement  n’écoute  pas  les  revendications  du  FPI  et  ne  fait  aucun  geste  fort.    Ce  qui   est  profondément   importante,   au  delà  des  partis  politiques,   c’est  que   l’on  ne   tient  pas   compte  de   la  majorité   silencieuse,   celle   qui   ne   se   revendique   d’aucun   parti   politique.   Il   n’y   a   pas   eu   un   seul   mot   de  consolation  de  la  part  du  gouvernement  alors  qu’ils  ont  tout  perdu.  Leurs  souffrances  n’ont  pas  réellement  le  moyen  de  s’exprimer.  La  réconciliation  est  un  devoir  car  sans  cela,  il  n’y  aura  ni  paix,  ni  développement.  Tout  le  monde  doit  mettre  de  l’eau  dans  son  vin  car  tout  le  monde  est  responsable  de  ce  qui  se  passe.      -­‐  Qu’avez  vous  pensé  de  la  pratique  du  boycott  des  élections  depuis  la  fin  crise  par  le  FPI  ?    Le  FPI  a  raison  et  tort  à  la  fois.  Il  est  clair  qu’il  ne  faut  pas  participer  pour  le  seul  plaisir  de  participer  si  l’on  est  sûr   de   perdre,   car   le   terrain   n’est   pas   propice   à   une   campagne   dans   un   cadre   où   le   camp   adverse   craint  l’insécurité  et  les  agressions  et  que  les  moyens  financiers  pour  mener  campagne  sont  très  limités.  D’ailleurs,  le  PDCI  s’est  retrouvé  dans  la  même  position  que  le  FPI  sur  ce  point.      Mais  il  a  tort  car  en  pratiquant  le  boycott,  il  contribue  à  renforcer  le  camp  adverse.  Le  FPI  avait  une  occasion  de  prendre  sa  place  et  de  trouver  des  gens  susceptibles  de  représenter  le  FPI  aux  élections.    Mais   je  ne  crois  pas  en   leur  argument   selon   lequel   cela   leur  aurait  permis  d’effectuer  un   test  de  popularité.  Certes,   les  électeurs  du  FPI  ne  sont  pas  partis  voter  mais   ils  ne  sont  pas  nombreux.  C’est  surtout   la  majorité  silencieuse   qui   ne   s’est   pas   exprimée   aux   élections   et   qui   n’a   pas   trouvé   nécessaire   de   participer.   Ce   qui  intéresse   les  gens,  ce  sont   les  postes.  D’ailleurs,   il  y  a  des  membres  du  FPI  qui  se  sont  présentés  de  manière  indépendante.  Le  FPI  a  seulement  eu  peur  de  perdre  des  sièges  en  allant  aux  élections.      -­‐  Et  pour  les  prochaines  élections  présidentielles  en  2015,  pensez  vous  que  le  FPI  devrait  présenter  un  candidat  dans  les  circonstances  actuelles  ?    Tout  parti  aspire  à  conquérir  le  pouvoir.  Le  FPI  doit  présenter  un  candidat.    Le  PDCI  présentera  un  candidat  également.  L’alliance  RHDP  était  une  alliance  de  circonstance.  On  ne  sait  quelle  sera  la  prochaine  alliance.  Le  climat  politique  est  suspicieux  à  l’heure  actuelle.  Les  africains  ne  vivent  que  des  rumeurs   et   cela   crée   des   problèmes.   Le   PDCI   est   le   premier   parti   de   Côte   d’Ivoire   et   c’est   un   parti  démocratique.  Le  FPI  ne  représente  pas  plus  de  15  %.  Il  est  très  minoritaire.  En  Côte  d’Ivoire,  si  le  PDCI  ne  vous  soutient  pas,  vous  ne  gagnez  pas  les  élections.  Le  pouvoir  en  place  dit  qu’il  y  aura  des  élections  en  2015.  Si  le  FPI  se  présente,  de  toute  façon  il  n’aura  aucune  chance  car  il  est  trop  extrémiste.  Il  faut  être  capable  de  revoir  ses  positions,  sinon  on  se  retrouve  disqualifié,  et  en  étant  absent  partout,  on  se  décrédibilise.  Le  FPI  doit  aller  aux  élections  s’il  veut  démontrer  sa   force.  Certes,   il   faut   libérer   les  sympathisants  et  responsables  du  FPI  qui  sont  en  prison,  et   il   faut   faire   revenir   les  exilés.  Mais   il  ne   faut  pas   toujours  se  cacher  derrière  cela.  Si   le  FPI  avait  choisi  de  participer  au  gouvernement,  il  aurait  pu  proposer  la  libération  des  prisonniers.  Il  aurait  eu  plus  de  poids.   Le  gouvernement  a   toujours  proposé  au  FPI  de  participer  au  gouvernement  mais   le   FPI   a   toujours  refusé.  Leur  raison  de  non  participation,  de  non  coopération  est  insuffisante.  C’est  selon  moi,  l’erreur  du  FPI.    

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 -­‐  Quelles  sont,  selon  vous,  les  conditions  d’une  éventuelle  réconciliation  en  Côte  d’Ivoire  ?    La   vraie   réconciliation   est   une   volonté   politique.   Le   gouvernement   doit   faire   un   geste   fort   envers   tous   les  ivoiriens.   Il  n’y  a  pas  que  le  FPI  qui  a  été  touché.  Tout  les  ivoiriens  ont  perdu  quelque  chose,  qu’il  s’agisse  de  membres  de  la  famille  ou  de  biens.  L’Etat  ivoirien  doit  demander  pardon  et  instaurer  un  dialogue  de  tolérance.  Au  sein  du  PDCI,  c’est  ce  que  nous  prônons.  Dans  toute  l’administration,  on  a  viré  les  personnes  appartenant  aux  ethnies  autres  que  celles   liées  au  RDR.  Ce  n’est  en  aucun  cas  un  geste  de  réconciliation.  Par  contre,  cela  continue   à   créer   des   injustices.   Les   gens   sont   déçus   mais   ils   ont   peur   de   réagir.   Ils   ont   été   expropriés   et  trompés  mais   il   y  a  des  armes.   Ils  ont  peur  des  armes.  Ce  que  nous  demandons,   c’est  que   le  gouvernement  révise  sa  position  et  soit  plus  tolérant.      -­‐  Pensez-­‐vous  qu’en  Côte  d’Ivoire  on  peut  parler  de  justice  des  vainqueurs  ?    Oui,  je  pense  qu’il  y  a  une  justice  des  vainqueurs.  Tout  le  monde  doit  être  libéré  et  la  justice  doit  ensuite  faire  son   travail.   Mais   à   l’heure   actuelle,   il   faut   une   libération   conditionnelle   afin   d’apaiser   les   tensions   et   de  favoriser  le  dialogue.  Je  suis  pour  l’amnistie  après  le  jugement.  Il  faut  que  la  justice  contente  les  victimes.      -­‐  Que  pensez-­‐vous  de  la  CDVR  ?    C’est   un   outil   de   réconciliation   qui   s’y   est   mal   pris.   Le   président   Banny   a   dit   qu’il   avait   une   mission   sans  obligation  de  résultat.  Est  ce  que  cela  est  vraiment  utile  ?  Le  gouvernement  attend  un  rapport  mais  n’a  aucune  obligation  derrière.   Le   gouvernement   ne   cède   rien.   Lorsqu’un  ministre   appartenant   au   PDCI   est   nommé,   un  ministre  bis  proche  du  président  Ouattara  est  nommé.  Cela  crée  de   la   frustration.  La  CDVR  n’apportera  rien.  Pourtant,  tout  le  monde  attend  que  des  comptes  soient  rendus.  Le  PDCI  d’ailleurs,  est  également  attendu  pour  rendre  des  comptes  à  la  population.    Mais   cela   a   tout   de   même   permis   de   faire   prendre   conscience   aux   ivoiriens   qu’il   est   nécessaire   de   se  réconcilier.      -­‐   Compte   tenu   des   conditions   de   sécurité   actuelles,   pensez-­‐vous   qu’il   serait   tout   de   même   bien  d’appeler  les  réfugiés  à  rentrer  sur  le  territoire  ?    Le  problème  de  la  sécurité  ne  peut  être  réglé  avec  un  bâton  de  magicien.   Il  y  a  des  gens  qui  sont  réellement  incontrôlables.   Il   faut   reconnaître   qu’ADO   a   rétabli   la   sécurité   dans   les   villes.   C’est   dans   les   villages   que   la  situation  est  préoccupante.  Dans  les  villes,  si  une  personne  est  agressée,  on  sait  qu’aujourd’hui,  il  n’y  aura  pas  d’enquête.    Mais   la  sécurité  100  %  n’existe  pas.  On  ne  peut  pas  tout  avoir  de  suite.  Mais  si   les  vols  aériens  pour  Abidjan  sont   pleins,   c’est   bien   que   la   sécurité   n’est   pas   si  mal.     Ce   n’est   pas   à   cause   de   la   sécurité   que   les   gens   ne  veulent  pas  rentrer.  Mais  la  raison  pour  laquelle  ils  ne  rentrent  pas  nous  échappe.  Pourtant,  le  gouvernement  appelle   les   gens   à   rentrer.   Aujourd’hui,   dans   nos   villages,   tous   les   problèmes   sont   presque   résolus   et   la  circulation  est  libre.    On  a  trop  d’exigences  alors  que  les  problèmes  sont  difficiles  à  résoudre.  Ce  qui  est  certain,  c’est  que  l’insécurité  a  diminué.      -­‐  Quelle  solution  voyez-­‐vous  à  l’une  des  causes  profondes  des  crises  successives  en  Côte  d’Ivoire  :  la  question  foncière  ?    Depuis   1998,   la   terre   a  un  propriétaire.   Cette   loi   a   été   votée  par   tous   afin  de   remettre   en   cause   l’adage  de  Boigny.    ADO  n’est  pas  un  ivoirien.  Il  a  eu  un  passeport  de  service  mais  il  n’a  pas  de  carte  nationale  d’identité.   Il  était  simplement  venu  pour  s’occuper  des  problèmes  économiques  du  pays.    Mais  Gbagbo  n’a  pas  fait  d’efforts  pour  régler  le  problème.  Les  maliens  et  les  burkinabés  n’acceptent  pas  cette  loi  de  1998  et  voudraient  voir  appliquer  la  loi  de  1963.  Mais  désormais,  on  ne  peut  plus  toucher  à  la  loi  de  1998  donc  ADO  est  bloqué.    Moi,   je  pense  que  la  terre  a  un  propriétaire.  Je  suis  pour  une  médiation  qui  puisse  satisfaire  les  deux  parties.  Mais  les  burkinabés  occupent  des  terres  illégalement  et  c’est  à  ceux  là  et  seulement  ceux  là  que  l’on  demande  de   partir.   Mais   pour   ceux   qui   exploitent   la   terre   depuis   très   longtemps,   il   faut   couper   la   poire   en   deux   et  partager.    

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Quant  au  problème  de  la  nationalité,  pour  moi,  tous  les  enfants  qui  sont  nés  en  Côte  d’Ivoire  doivent  avoir  la  nationalité  ivoirienne.  Quelqu’un  qui  est  resté  longtemps  dans  un  pays  en  participant  au  développement  de  ce  pays  doit  se  voir  faciliter  la  tâche  afin  d’obtenir  la  nationalité.      -­‐   Concernant  Gbagbo   et   la   CPI,   quelle   est   votre   opinion   concernant   sa   détention   et   l’impact   que  cela  a  sur  le  processus  de  réconciliation  ?    Le   problème   de   Gbagbo   est   un   casse   tête   chinois.   Si   on   libère   Gbagbo   aujourd’hui,   cela   va   totalement  déstabiliser  le  pays.  Mais  si  on  ne  le  libère  pas,  il  n’y  aura  pas  d’avancée  dans  la  réconciliation.  Il  se  trouve  à  la  CPI   parce   qu’il   n’y   avait   pas   d’autres   choix.   Pour   le   gouvernement   actuel,   c’est   un   débarras   car   il   était   trop  pesant   de   la  maintenir   sur   le   territoire   ivoirien.  Mais   fondamentalement,   sa   place   n’est   pas   à   la   CPI   car   les  charges  sont  insuffisantes.  Légalement,  il  aurait  du  être  libéré.  C’est  un  procès  politique  et  il  faut  s’attendre  à  tout.    Pour  la  réconciliation  en  Côte  d’Ivoire,  le  gouvernement  d’ADO  devrait  faire  en  sorte  qu’il  soit  libéré.  Même  si  Gbagbo   a   fait   des   bêtises,   il   faut   pardonner.   Gbagbo   aurait   dû   accepter   sa   défaite   pour   épargner   le   peuple  ivoirien.   Sans   l’intervention   de   la   France,   il   y   aurait   eu   des  massacres   et   la   seule   solution   était   d’intervenir.  Gbagbo   a   voulu   mettre   les   ivoiriens   les   uns   contre   les   autres.   Il   a   énervé   les   gens,   il   a   crée   un   climat   de  méfiance  et  de  tension.    Enfin,  concernant   l’avenir  de  Gbagbo,   je  pense  qu’il  n’en  a  aucun  en  Côte  d’Ivoire.  Si   le  FPI  veut  vivre,   il   faut  qu’il  se  donne  un  nouveau  chef.  Gbagbo  a  fait  sa  plus  grosse  erreur  en  refusant  la  défaite.  S’il  l’avait  acceptée,  il  en  serait  sorti  grandi  et  aurait  pu  jouer  un  rôle  de  contre  pouvoir  fort.  Il  a  détruit  lui  même  son  propre  avenir  ainsi  que  celui  du  FPI.        

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TABLE DES MATIERES

Remerciements ……………………………………………………………………………i

SOMMAIRE ………………………………………………………………………………...ii

ACRONYMES ……………………………………………………………………………...iii

INTRODUCTION ……………………………………………………………………………1

PREMIÈRE PARTIE: LA RÉCONCILIATION NÉCESSAIRE APPROCHE SOCIOHISTORIQUE ET RECONCILIATION MULTI-NIVEAUX…...8 Première sous-partie : Comprendre les crises ivoiriennes Une approche sociohistorique ……………………………………………...9 A. Les facteurs profonds des crises ivoiriennes………………………………………...9

1. L’ « héritage colonial » en demie teinte et les difficultés d’émancipation vis-à-vis de la France ………………………………………………………………………9

2. Le système néo-patrimonial et la difficile transition vers la démocratie multipartite ………………………………………………………………………11

3. La crise économique ivoirienne et les faiblesses du modèle de développement ..12 4. La fragilité du droit foncier ……………………………………………………...15

B. Montée en puissance de l’ethno-nationalisme et violences politiques……………18

1. La montée en puissance de l’ethno-nationalisme ……………………………….18 a. Un terrain favorable au développement de l’ethno-nationalisme ……………18 b. Un concept identitaire : l’ivoirité ………………………………………………...21

2. Luttes sur la scène politique ivoirienne : opportunisme et enjeux de pouvoir ….23 a. La période Bédié : évincer Ouattara quoi qu’il en coûte ! …………………..23 b. Robert Gueï l’opportuniste ……………………………………………………….25 c. Les années Gbagbo ………………………………………………………………..26

3. La dernière crise postélectorale de 2010-2011 ………………………………….28 Deuxième sous-partie :La nécessité d’une réconciliation multi-niveaux Un processus amorcé ……………………………………………………..31 A. La réconciliation nécessaire au niveau des acteurs politiques …………………..31

1. Le nécessaire rétablissement du dialogue de haut niveau entre les acteurs de la vie politique ivoirienne ……………………………………………………32

2. Un cadre de dialogue politique mis en place ……………………………………34 B. La réconciliation nécessaire au niveau de la population ………………………...36

1. Les méthodes structurelles - Construire l’avenir …………………………………..37 a. Ouattara et l’objectif premier de redressement de l’économie ………………37

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b. La nécessaire transformation de la représentation de l’identité collective en vue de renforcer la cohésion sociale ………………………………………………39

2. Les méthodes institutionnelles – Faire le deuil du passé …………………………..40 a. Les moyens parajudiciaires ……………………………………………………….41 b. Les moyens judiciaires : la justice pénale ……………………………………....43

DEUXIÈME PARTIE : LIMITES DE LA RÉCONCILIATION LA RÉCONCILIATION VUE PAR LES PARTISANS DE LAURENT GBAGBO ….46 Première sous-partie: Les limites liées à la « justice des vainqueurs » Du manque de confiance en la justice …………………………………….50

A. De la dénonciation d’une « justice des vainqueurs » ……………………………....50

1. Des poursuites uniquement contre les partisans de Laurent Gbagbo …………….50 a. Au niveau national …………………………………………………………………...50 b. Au niveau international ……………………………………………………………...52

2. Des doutes émis quant à la volonté de rétablir la vérité …………………………..55 a. De la mise en cause du refus d’amnistier ………………………………………….55 b. De l’inefficacité de la CDVR ………………………………………………………..58

B. Des conséquences de la « justice des vainqueurs » sur la vie politique …………...60

1. Des conditions posées à la reprise du dialogue politique et à la participation au processus de réconciliation……………………………………………………..61

2. Le boycott des élections par le FPI ………………………………………………..62 Deuxième sous-partie : Les limites contextuelles Du manque de confiance généralisé………………………………………..65

A. De la dénonciation des problèmes sécuritaires ……………………………………..65

1. La « chasse aux pro-Gbagbo » ……………………………………………………65 2. Les atermoiements de la reprise du contrôle sur les forces armées ………………67 3. De l’impossible retour des exilés et des déplacés ………………………………...69

B. Des risques potentiels de répétition des crises ………………………………………71

1. Des risques liés à la position victimaire……………………………………………71 2. Des risques liés à la persistance des tensions ethniques…………………………...74

CONCLUSION………………………………………………………………………………78

BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………………………81

ANNEXES…………………………………………………………………………………...89

Table des annexes………………………………………………………………………….89

Annexe  1  :  Grille  d’entretiens  semi  directifs  …………………………………………………………………..90  Annexe  2  :  Entretien  n°1  ………………………………………………………………………………………………..91  Annexe  3  :  Entretien  n°2  ………………………………………………………………………………………………..94  Annexe  4  :  Entretien  n°3  ………………………………………………………………………………………………..96  

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Annexe  5  :  Entretien  n°4  …………………………………………………………………………………………………98  Annexe  6  :  Entretien  n°5  ……………………………………………………………………………………………….100  Annexe  7  :  Entretien  n°6  ……………………………………………………………………………………………….102  Annexe  8  :  Entretien  n°7  ……………………………………………………………………………………………….105  Annexe  9  :  Entretien  n°8  ……………………………………………………………………………………………….107  Annexe  10  :  Entretien  n°9  ……………………………………………………………………………………………..108  Annexe  11  :  Entretien  n°10  ……………………………………………………………………………………………110  Annexe  12  :  Entretien  n°  11  avec  Guy  Labertit  ………………………………………………………………112  Annexe  13  :  Entretien  n°  12  avec  un  militant  du  PDCI  ……………………………………………………117    TABLE DES MATIERES …………………………………………………………………….120