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1 Pour mieux comprendre le propos de la présente étude, le lecteur peut se référer à mon ouvrage antérieur, consultable en ligne : Le signe de Saül. Actualité de l'avertissement de Paul aux chrétiens de ne pas s'enorgueillir en croyant avoir supplanté les Juifs, éditions Tsofim, Liège (Belgique), 2013. Qu’as-tu à regarder [le voile] qui est [sur le cœur] de ton frère? Et celui [qui est sur ton cœur] à toi, tu ne le remarques pas! (Mt 7, 3) 1 Celles et ceux qui sont versés dans le contentieux théologique entre chrétiens et juifs, et dans l’histoire de leurs relations tumultueuses, connaissent, au moins dans ses grandes lignes, le rôle capital qu’a joué le cardinal Augustin Bea dans la clarification de cette difficile problématique, en général, et dans l’élaboration de la Déclaration Nostra Aetate, en particulier. Ce que beaucoup d’entre eux ignorent, par contre, sauf exception, est le jugement suivant, aussi négatif que tranché, que ce prélat a formulé sur le rôle du peuple juif dans le dessein de Salut de Dieu 2 : « [Le peuple juif] n’est plus le peuple de Dieu au sens d’une institution pour le salut de l’humanité […] Sa fonction de préparer le royaume de Dieu a pris fin avec l’avènement du Christ et la fondation de l’Église. » On dira sans doute que c’est là l’opinion d’un théologien privé, savant certes, mais sans la moindre autorité magistérielle. Pourtant, comme nous allons le voir, trois hauts dignitaires catholiques contemporains, dont deux papes, ont exprimé la même conviction théologique, même si ce fut avec nuances et en termes moins tranchés. 1. Mgr Giovanni Roncalli (futur pape Jean XXIII), alors nonce, écrivait en 1943 : « Je confesse que l’idée d’acheminer les juifs en Palestine, justement par l’intermédiaire du Saint-Siège, quasiment pour reconstruire le royaume juif [...] suscite en moi quelque inquiétude. Il est compréhensible que leurs compatriotes et leurs amis politiques s’impliquent. Mais il ne me paraît pas de bon goût que l’exercice simple et élevé de la charité du Saint-Siège offre précisément l’occasion et le signe permettant de reconnaître une sorte de coopération, ne serait-ce qu’initiale et indirecte, à la réalisation du rêve messianique. [...] Ce qui est absolument certain, c’est que la reconstruction du royaume de Juda et d’Israël n’est qu’une utopie. » 3 1 On aura reconnu, sous le pastiche, l’original évangélique: « Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton frère? Et la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas! ». 2 Augustin cardinal Bea, L’Église et le peuple juif, Paris, éd. du Cerf, 1967, p. 91. 3 Ce texte figure dans les Actes et documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale, [A.D.S.S.], Pierre Blet, Robert A. Graham, Angelo Martini, Burkhart Schneider

Sous le voile, la vocation messianique du peuple juif jamais révoquée par Dieu

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Pour mieux comprendre le propos de la présente étude, le lecteur peut se référer à mon ouvrage antérieur, consultable en ligne : Le signe de Saül. Actualité de l'avertissement de Paul aux chrétiens de ne pas s'enorgueillir en croyant avoir supplanté les Juifs, éditions Tsofim, Liège (Belgique), 2013.

Qu’as-tu à regarder [le voile] qui est [sur le cœur] de ton frère? Et celui [qui est sur ton cœur] à toi, tu ne le remarques pas! (Mt 7, 3) 1

Celles et ceux qui sont versés dans le contentieux théologique entre chrétiens et juifs, et dans l’histoire de leurs relations tumultueuses, connaissent, au moins dans ses grandes lignes, le rôle capital qu’a joué le cardinal Augustin Bea dans la clarification de cette difficile problématique, en général, et dans l’élaboration de la Déclaration Nostra Aetate, en particulier. Ce que beaucoup d’entre eux ignorent, par contre, sauf exception, est le jugement suivant, aussi négatif que tranché, que ce prélat a formulé sur le rôle du peuple juif dans le dessein de Salut de Dieu 2:

« [Le peuple juif] n’est plus le peuple de Dieu au sens d’une institution pour le salut de l’humanité […] Sa fonction de préparer le royaume de Dieu a pris fin avec l’avènement du Christ et la fondation de l’Église. »

On dira sans doute que c’est là l’opinion d’un théologien privé, savant certes, mais sans la moindre autorité magistérielle. Pourtant, comme nous allons le voir, trois hauts dignitaires catholiques contemporains, dont deux papes, ont exprimé la même conviction théologique, même si ce fut avec nuances et en termes moins tranchés.

1. Mgr Giovanni Roncalli (futur pape Jean XXIII), alors nonce, écrivait en 1943 :

« Je confesse que l’idée d’acheminer les juifs en Palestine, justement par l’intermédiaire du Saint-Siège, quasiment pour reconstruire le royaume juif [...] suscite en moi quelque inquiétude. Il est compréhensible que leurs compatriotes et leurs amis politiques s’impliquent. Mais il ne me paraît pas de bon goût que l’exercice simple et élevé de la charité du Saint-Siège offre précisément l’occasion et le signe permettant de reconnaître une sorte de coopération, ne serait-ce qu’initiale et indirecte, à la réalisation du rêve messianique. [...] Ce qui est absolument certain, c’est que la reconstruction du royaume de Juda et d’Israël n’est qu’une utopie. » 3

1 On aura reconnu, sous le pastiche, l’original évangélique: « Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton frère? Et la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas! ». 2 Augustin cardinal Bea, L’Église et le peuple juif, Paris, éd. du Cerf, 1967, p. 91. 3 Ce texte figure dans les Actes et documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale, [A.D.S.S.], Pierre Blet, Robert A. Graham, Angelo Martini, Burkhart Schneider

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2. Le pape Jean-Paul II, déclarait en 1998 :

« Ainsi formulée, la question 4 révèle combien ils sont encore conditionnés par les perspectives d’une espérance qui conçoit le royaume de Dieu comme un événement étroitement lié au destin national d’Israël […] Jésus corrige leur impatience, soutenue par le désir d’un royaume aux contours encore trop politiques et terrestres, en les invitant à s’en remettre aux mystérieux desseins de Dieu. “Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés dans sa liberté souveraine.” (Ac 1, 7) […] Il leur confie la tâche de diffusion de l’Évangile, les poussant à sortir de l’étroite perspective limitée à Israël. Il élargit leur horizon, en les envoyant, pour qu’ils y soient ses témoins, “à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre” (Ac 1, 8). » 5

3. Le pape Benoît XVI a remis en vigueur, en 2007, le texte suivant du rituel liturgique de Saint Pie V (1504-1572), qui n’était plus utilisé depuis le Concile pour la prière pour les juifs du Vendredi Saint, mais figurait toujours dans le Missale romanum promulgué par le pape Jean XXIII en 1962 6 :

« Prions aussi pour les Juifs, afin que Dieu notre Seigneur enlève de leur cœur le voile qui les empêche de reconnaître notre Seigneur Jésus-Christ. Prions : Dieu éternel et tout-puissant, vous ne refusez jamais votre miséricorde, même aux Juifs ; entendez les prières que nous offrons pour l’aveuglement de ce peuple, afin qu’il reconnaisse la lumière de votre Vérité,

(éd.), 11 volumes, Cité du Vatican, 1965-1981, XVIII, Paris, 1942-1945, T. 9, n° 324, p. 469 ; il est cité par Giovanni Miccoli, Les dilemmes et les silences de Pie XII. Vatican, Seconde Guerre mondiale et Shoah, Éditions Complexe, Bruxelles, 2005, p. 91. Les italiques sont de moi. 4 Il s’agit de l’interrogation adressée par les Apôtres à Jésus, en Ac 1, 6 : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas remettre la royauté [destinée] à Israël? ». J’ai donné ailleurs la raison de ma traduction, qui diverge notablement de celles qu’on lit dans d’autres bibles francophones ; voir mon article « De quelle apokatastasis parlait Pierre en Ac 3, 21 ? Réponse par la philologie ». 5 Audience générale du 11 mars 1998 texte italien publié par L’Osservatore Romano, du 12 mars 1998, traduit en français dans la Documentation catholique, n° 2179/7, du 5 avril 1998, p. 304. Je me garderai de jeter le discrédit sur Jean-Paul II, qui fut le premier pape depuis Saint Pierre à se rendre dans une synagogue et qui est à l’origine de ce que j’ai appelé la « Formule de Mayence », par laquelle il a parlé des Juifs comme du « peuple de Dieu de l'Ancienne Alliance, jamais révoquée par Dieu » : voir M. R. Macina, « Caducité ou irrévocabilité de la première Alliance dans le Nouveau Testament ? A propos de la "formule de Mayence" ». 6 Voir Summorum Pontificum Motu proprio de Sa Sainteté Benoît XVI. Lettre Apostolique donnée le 7 juillet 2007 sur l’usage de la Liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970. En remettant en vigueur cette version, le Motu Proprio la désigne comme forme « extraordinaire » de cette prière et insiste pour qu’il ne soit mis aucune entrave (épiscopale ou paroissiale) aux fidèles qui désirent l’utiliser dans le culte.

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qui est le Christ, et soit délivré de ses ténèbres. Nous vous le demandons par le même Jésus-Christ […] » 7

Ces trois citations expriment, chacune à leur manière, la double certitude des dirigeants de l’Église catholique, que le peuple juif, si respectables que soient son histoire et sa religion, n’a plus de rôle spécifique dans le dessein de salut de Dieu, et que sa non-confession de la messianité et de la divinité du Christ et son incroyance à son égard, qui durent depuis près de 2000 ans, constituent un aveuglement qui le maintient dans les ténèbres. Tel était l’état d’esprit d’un savant bibliste dominicain qui, trois ans après la clôture du Concile Vatican II, pouvait écrire, sans être désavoué, ces lignes stupéfiantes, dans un ouvrage de référence qui est encore accessible de nos jours 8:

« Israël […] s’est dérobé devant la mission universelle qui était la sienne, pour s’attacher aux privilèges de son passé comme à des prérogatives permanentes. Cette résistance au plan de Dieu s’est maintenue durant les siècles jusqu’à notre temps. […] Sur le plan de l’histoire du salut, le peuple juif comme tel a commis une faute spéciale, correspondant à sa mission spécifique, que le Nouveau Testament enseigne clairement et que la théologie chrétienne ne peut méconnaître. Cette faute peut se comparer, d’une certaine manière, au péché originel : sans engager la responsabilité de chaque descendant, elle le fait hériter de la banqueroute ancestrale. Tout Juif pâtit de la ruine qu’a subie son peuple, lorsqu’il s’est refusé au moment décisif de son histoire. […] les Juifs d’aujourd’hui ne sont pas eux-mêmes coupables du refus opposé par leurs ancêtres au tournant décisif de leur mission ; mais ils héritent de cette faillite qui a compromis leur mission universelle. Ils reçoivent de leurs pères un système religieux qui n’est plus pleinement conforme au plan de Dieu. […] L’Église chrétienne ne peut pas reconnaître en lui une Église également valable selon le dessein de Dieu. Elle ne peut pas accorder au peuple juif d’être encore le peuple élu, car elle a conscience de posséder désormais cette élection. L’Église du Christ se sait le véritable Israël 9 et ne peut reconnaître ce titre à l’Israël infidèle qui n’a pas voulu du Messie Jésus. »

Une des causes historiques majeures de l’hostilité catholique envers toute perspective de rétablissement des juifs dans leurs prérogatives d’antan est une

7 Précisons que la formule « ordinaire » de cette prière, en vigueur aujourd’hui, est expurgée des expressions susceptibles de blesser les juifs : « Prions aussi pour les Juifs, afin que notre Dieu et Seigneur illumine leur cœur pour qu’ils reconnaissent Jésus-Christ, sauveur de tous les hommes […] Dieu Tout-Puissant et éternel, Qui veux que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité [cf. 1ère Épître à Timothée 2, 4], accorde, dans Ta miséricorde, que la plénitude des nations entrant dans Ton Église, tout Israël soit sauvé […] (cf. Rm 11, 25-26) ». Les italiques et les mises en couleur rouge sont de moi. 8 Pierre Benoît, Exégèse et Théologie, vol. III, Cerf, Paris, 1968, p. 420, 438. L’ouvrage figure encore dans des bibliothèques diocésaines (p. ex. celle de Tours), et de séminaires (p. ex. celui de Tournai). J’ai mis en italiques et en rouge les expressions les plus choquantes. 9 Traduction de l’expression latine traditionnelle « Verus Israel », notion-clé de la théologie de la substitution.

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mise en garde contemporaine du Magistère contre la foi très ancienne en l’avènement du Royaume millénaire du Christ sur la terre, qui fut pourtant celle de la quasi-totalité des Pères des trois premiers siècles, notamment Papias d’Hiérapolis (première partie du IIe s.), Justin de Naplouse (IIe s.), Irénée de Lyon (IIe s.), Victorin de Poetovio (fin du IIe s.), Hippolyte de Rome (II-IIIe s.), Tertullien (IIe-IIIe s.), etc.

L’occasion d’une première mise au point officielle – nette, mais néanmoins nuancée – concernant cette croyance, fut la parution, vers la fin des années 1930, de l’ouvrage d’un jésuite chilien du nom de Manuel Diaz Lacunza (1731-1801), intitulé « Venue du Messie en gloire et majesté ». Le 22 avril 1940, Mgr Joseph Caro Martinez, archevêque de Saint Jacques, au Chili, adressait une lettre au Saint-Office pour demander la conduite à tenir face à cette résurgence des doctrines millénaristes dans son pays. Cette instance lui répondit, le 11 juillet 1941, qu’elle approuvait sa réaction, et lui communiqua la décision officielle à ce sujet, prise en séance plénière, le même mois, et dont voici le texte 10:

Ce n’est pas la première fois, ces derniers temps, qu’il a été demandé à cette Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office ce qu’il faut penser du système du millénarisme mitigé, qui enseigne que le Christ Seigneur, avant le jugement final, viendra de façon visible sur cette terre pour régner, la résurrection d’un bon nombre de justes ayant eu lieu ou non. La chose ayant donc été soumise à examen à la réunion plénière de la IVe férie [jeudi], le 19 juillet 1944, les Éminentissimes et Révérendissimes Seigneurs Cardinaux préposés à la garde de la foi et des mœurs, après qu’eut eu lieu le vote des Révérendissimes Consulteurs, ont décrété qu’il fallait répondre que le système du millénarisme mitigé ne peut être enseigné sans danger (tuto doceri non posse). Et la Ve férie suivante [vendredi], le 20 des mêmes mois et année, notre Saint Pontife, le Pape Pie XII, par la divine Providence, dans l’audience habituelle accordée à l’Assesseur du Saint-Office, a approuvé cette réponse des Éminentissimes Pères, l’a confirmée et a ordonné qu’elle devienne de droit public. Donné à Rome, du Palais du Saint-Office, le 21 juillet 1944.

Comme je l’ai écrit ailleurs 11, il faut rappeler que l’avènement en gloire du Royaume sur la terre ne pourra pas se produire tant que que le peuple juif ne se sera pas rassemblé dans sa patrie d’antan, recouvrant son identité et sa

10 Publié dans Estudios, Buenos Aires, de nov. 1941, p. 365, et reproduit intégralement dans Periodica, t. 31, n° 15, d’avril 1942, pp. 166-167. Ce décret a été confirmé par celui des 19-21 juillet 1944, paru dans les Actes du Saint- Siège A.A.S., XXXVI, 1944, p. 212. Le texte est donné en latin et suivi d’un bref commentaire en français, par le Père G. Gilleman, s.j., dans la Nouvelle Revue Théologique de 1945, pp. 239-241. Voir : « Réponse de la Sacrée Congrégation du Saint Office au sujet du millénarisme (Chiliasmo), avec commentaires de Silvius Rosadini ». 11 Je reproduis, ci-après, une extrait du chapitre IV de mon étude sur la non-réception catholique de cette doctrine, Intitulé « Le déni de la Royauté du Christ en gloire sur la terre est la conséquence du déni de la messianité eschatologique du peuple juif », in « Non-réception magistérielle de la croyance au Royaume de Dieu en gloire sur la terre », p. 11-13.

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familiarité avec la langue de ses Pères, et renouant avec son histoire religieuse sur cette terre.

L’Ancien Testament l’annonçait prophétiquement :

Jr 3, 14 : Je vous prendrai, un d’une ville, deux d’une famille, pour vous amener à Sion.

Jr 29, 14 : Je vous rétablirai et vous rassemblerai de toutes les nations et de tous les lieux où je vous ai chassés, oracle de L’Éternel. Je vous ramènerai en ce lieu d’où je vous ai exilés.

Jr 30, 3 : Car voici venir des jours - oracle de L’Éternel - où je restaurerai mon peuple Israël et Juda, dit L’Éternel, je les ferai revenir au pays que j’ai donné à leurs pères et ils en prendront possession.

Jr 31, 15-17 : Ainsi parle L’Éternel: A Rama, une voix se fait entendre, une plainte amère ; c’est Rachel qui pleure ses fils. Elle ne veut pas être consolée pour ses fils, car ils ne sont plus (cf. Mt 2,18). Ainsi parle L’Éternel: Cesse ta plainte, sèche tes yeux! Car il est une compensation pour ta peine - oracle de L’Éternel - ils vont revenir du pays ennemi. Il y a donc espoir pour ton avenir - oracle de L’Éternel - ils vont revenir, tes fils, dans leurs frontières.

Tb 14, 4-5 : « Tout s’accomplira, tout se réalisera, de ce que les prophètes d’Israël, que Dieu a envoyés, ont annoncé contre l’Assyrie et contre Ninive ; rien ne sera retranché de leurs paroles. Tout arrivera en son temps. […] Parce que je sais et je crois, moi, que tout ce que Dieu a dit s’accomplira, cela sera, et il ne tombera pas un mot des prophéties. Nos frères qui habitent le pays d’Israël seront tous recensés et déportés loin de leur belle patrie. Tout le sol d’Israël sera un désert. Et Samarie et Jérusalem seront un désert. Et la Maison de Dieu sera, pour un temps, désolée et brûlée. Puis de nouveau, Dieu en aura pitié, et il les ramènera au pays d’Israël. Ils rebâtiront sa Maison, moins belle que la première, en attendant que les temps soient révolus. Mais alors, tous revenus de leur captivité, ils rebâtiront Jérusalem dans sa magnificence, et en elle la Maison de Dieu sera rebâtie, comme l’ont annoncé les prophètes d’Israël. 12

Il ne faudrait pas croire que ce sont là des perspectives qu’on ne trouve que dans l’Ancien Testament. Au contraire, plusieurs textes néotestamentaires prophétisent clairement la remise à Israël de ses prérogatives messianiques. Témoin cette promesse que fait Jésus à ses apôtres :

« …vous siégerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël » (Mt 19, 28 = Lc 22, 30). 13

C’est également cette remise qu’anticipait la question posée par les apôtres à Jésus, après sa résurrection :

12 Rappelons que le Livre de Tobie est un écrit deutérocanonique, et qu’à ce titre, il ne fait pas partie du Canon juif des Écritures. 13 Sauf glorieuses exceptions, les chrétiens, leurs Pasteurs et leurs théologiens font de ce texte une lecture ‘spirituelle’. Pour eux, il est évident qu’il prophétise une réalité future qui aura lieu, au ciel. L’art chrétien a d’ailleurs popularisé cette conception ‘céleste’.

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« Est-ce maintenant que tu vas remettre la royauté à 14 Israël ? » (Ac 1, 6).

Et cette perspective n’a pas été écartée par leur Maître 15.

Et si la chrétienté avait, elle aussi, à son tour, un voile sur le cœur 16, qui l’empêche de reconnaître la vocation messianique du peuple juif et de discerner les signes des temps que constituent les guerres et les attentats incessants auxquels est en butte cette portion importante du peuple juif qui a fait souche sur le sol de son ancienne patrie, à savoir les Israéliens, à l’état et à la capitale desquels on dénie toute légitimité?

Les perspectives que j’expose dans mon ouvrage cité ci-dessus (note 16) ont probablement choqué plus d’un lecteur chrétien. Pourtant, ne sont-elles pas prophétiquement contenues en germe dans le grave avertissement de Paul que voici ?

Rm 11, 17-22 17 Mais si quelques-unes des branches ont été coupées tandis que toi, sauvageon d’olivier tu as été greffé parmi elles pour bénéficier avec elles de la sève de l’olivier, 18 ne va pas te glorifier aux dépens des branches. Ou si tu veux te glorifier, ce n’est pas toi qui portes la racine, c’est la racine qui te porte. 19 Tu diras : On a coupé des branches, pour que, moi, je fusse greffé. 20 Fort bien. Elles ont été coupées pour leur incrédulité, et c’est la foi qui te fait tenir. Ne t’enorgueillis pas ; crains plutôt. 21 Car si Dieu n’a pas épargné les branches naturelles, prends garde qu’il ne t’épargne pas davantage. 22 Considère donc la bonté et la sévérité de Dieu : sévérité envers ceux qui sont tombés, et envers toi bonté, pourvu que tu demeures en cette bonté ; autrement tu seras retranché toi aussi.

On m’a remontré que ce texte obscur de Paul ne précise pas ce que pourraient bien être les causes de ce « retranchement », et donc qu’il n’y pas lieu de tenter d’éclairer l’obscur par plus obscur encore, comme on dit. Il n’est évidemment pas question de cela dans ma démarche. Il suffit en effet que Paul ait évoqué cette perspective pour que le chrétien qui croit en l’inspiration des Écritures prenne au sérieux cette mise en garde.

14 Le grec parle bien d’une restitution de la royauté à Israël (datif) : apokathistaneis tèn basileian tô(i) Israel. La quasi-totalité des traductions modernes sont insatisfaisantes : BJ (1981) : « Est-ce maintenant le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël ? » - Segond (1967) : « Est-ce maintenant que tu rétabliras le royaume d’Israël ? » - TOB (1988): « Est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? » ; etc. 15 Malheureusement la réponse de Jésus «Il ne vous appartient pas de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa seule autorité» (Ac 1, 8) est généralement comprise en Chrétienté comme un démenti de cette espérance juive. Un simple examen du texte révèle que rien dans ces mots ne justifie une telle perception. En outre, un survol, même succinct, du Nouveau Testament montre clairement que quand Jésus n’est pas d’accord avec ce que pensent et/ou disent ses disciples, il ne se gêne pas pour le leur dire, parfois sans ménagement comme dans le cas où il va jusqu’à appeler « Satan » l’apôtre Pierre, auquel il avait confié, peu de temps auparavant, la responsabilité de son Église (cf. Mt 16, 23). 16 J’ai consacré un livre intitulé Un voile sur leur coeur. Le «non» catholique au Royaume millénaire du Christ sur la terre, à cette éventualité.

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Et si l’invitation de Jésus à « discerner les signes des temps » (cf. Mt 16, 3), s’adressait tout particulièrement à notre génération ? L’un de ces signes, en tout cas, devrait interpeller tout particulièrement les Églises et leurs fidèles. Je veux parler du retour du peuple juif, à propos duquel j’ai évoqué, plus haut, quelques citations bibliques impressionnantes.

En effet, depuis la première implantation juive en Terre d’Israël, qui remonte au 13ème siècle) 17, jusqu’aux Aliyot (ou « montées ») qui ont précédé la création de l’état d’Israël 18, le phénomène - d’autant plus contesté qu’il a été violemment politisé et interprété malignement comme une spoliation des Palestiniens – invite impérieusement à une prise de position chrétienne qui soit, certes, soucieuse des droits humains imprescriptibles, mais aussi attentive au dessein de Dieu, qui ne coïncide certainement pas avec les calculs et les intérêts des hommes (cf. Rm 9, 16).

Tout d’abord, loin d’être, comme l’affirment mensongèrement les ennemis inconditionnels d’Israël, une invasion colonialiste juive, la réappropriation, lente et progressive par les pionniers de leur terre ancestrale a été douloureuse et coûteuse 19. En témoignent les exposés qui émaillent un ouvrage consacré au

regard porté sur les juifs par des pèlerins chrétiens en Terre Sainte 20. Comme

expliqué dans les «Préliminaires», le livre passe en revue « un ensemble de récits de pèlerinage en Terre Sainte de catholiques français et belges, et plus précisément […] la relation que ces pèlerins font de leur "visite au Mur des

Lamentations, un des lieux sacrés du judaïsme" » 21. Ci-après, quelques extraits

significatifs de cette "littérature" particulière.

Un ecclésiastique belge, du nom de Ruelens, écrit, en 1873 :

«Pauvres gens ! Ils vivent au milieu des ruines prédites par leurs prophètes ; ils palpent, pour ainsi parler, l’accomplissement des prophéties ; ils portent les malédictions qu’ils ont appelées sur eux devant le prétoire de Pilate ; depuis dix-huit siècles, ils voient les œuvres du Messie resplendir dans le monde ; et cependant, ils s’obstinent dans un incroyable entêtement. Leurs yeux sont fermés à la lumière apportée par le Christ, lumière plus éblouissante

17 Voir les articles de Wikipédia, sur le « Yichouv », en général, sur l’« Ancien (ou vieux) Yichouv » et sur le « Nouveau Yichouv ». 18 Voir l’article Aliya de Wikipédia. 19 Voir l’ouvrage, de dimensions modestes mais très utile, de Jean-Marie Delmaire, De Jaffa jusqu'en Galilèe: Les premiers pionniers juifs (1882-1904), Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq (Nord), 1999. (Livre Google en ligne). Excellente revue de ce livre, sous le titre « Vieux Yishuv / Nouveau Yishuv », sur le site Zakhor online. 20 Guy Jucquois et Pierre Sauvage, L’invention de l’antisémitisme racial. L’implication des catholiques français et belges (1850-2000), Academia - Bruylant, Louvain-La-Neuve, 2001. Les textes cités ici sont repris du chapitre « La Shoah comme «compensation» de la crucifixion de Jésus. 1. Les juifs vus par les pèlerins catholiques de Jérusalem et leurs chapelains, de la fin du XIXe s. au début du XXe », de mon livre intitulé Le signe de Saül. Actualité de l'avertissement de Paul aux chrétiens de ne pas s'enorgueillir en croyant avoir supplanté les Juifs, p. 41-43. 21 Id., Ibid., p. 7.

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que le soleil en son midi ; leurs cœurs orgueilleux se raidissent contre toutes les tentatives qu’on fait encore journellement pour les ramener dans la vérité. Triste aveuglement ! Obstination plus triste encore ! Déicide des juifs, voilà ta punition ! Oh ! que le Ciel a fidèlement exaucé le terrible souhait des meurtriers de Jésus : « Que son sang retombe sur nos enfants 22.»

Un certain abbé Garnier, professeur au Petit Séminaire de Langres, écrit, en 1882 :

« …ces bonnets à poils, ces longues mèches de cheveux blanc sale frisant ou non, et tombant des deux oreilles sur les épaules, encadrent des faces hideuses qui rappellent les tableaux de l’Ecce Homo où elles hurlent avec fureur le crucifige,

crucifige ! [Crucifiez-le] 23

. »

Loin de toutes les considérations religieuses et politiques, les réflexions qui suivent, consignées entre 1909 et 1914, donnent libre cours à l’antisémitisme grossier de leurs auteurs aux dépens des femmes et des

enfants juifs 24:

« [des bambins malsains] sont déjà coiffés du large feutre noir et plat, avec, dès que possible, les deux papillotes graisseuses qui descendent le long d’une tête absolument rasée, pour obéir à un texte du Deutéronome. Cette race ne change pas. Le culte de la lettre l’opprime comme autrefois. » (Reynes- Monlaur, 1909).

« …n’ont-elles pas raison de se lamenter sur leur abjection comme sur les malheurs inouïs de leurs frères, les hideuses vieilles aux hululements de chouettes ? Leurs aïeules étaient ces filles de Sion, superbes et choyées, belles et magnifiquement parées, auxquelles les prophètes d’Israël avaient prédit un abaissement sans mesure. » (Marguerite-Alice de Wegmann, 1912).

« …les tableaux de nos églises mettent en relief les soldats romains qui exécutent la sentence de Pilate. Seule l’imagination les évoque ici ; ils ont disparu, les juifs sont restés. On rencontre ceux-ci dans les rues, engoncés dans leurs lourds vêtements, offrant parfois le type classique du pharisien soupçonneux au regard fuyant. En Occident, ils sont des épaves que les nations renouvelées n’absorbent point : ici leur mission est de représenter authentiquement des ancêtres déicides. Dans cette ville déchue, ils sont la déchéance même, et cela ne les empêche pas de grouiller et de former un quartier misérable, où le mépris des mahométans les a rejetés. » (Chanoine Hoornaert, dans un ouvrage publié avec l’approbation de l’évêque de Bruges, 1914).

Le sionisme est déjà dans le collimateur de certains pèlerins, comme l’atteste ce texte d’un Parisien, du nom de Robert Morche, qui a fait le voyage de Jérusalem, en 1925 :

« …il y a sûrement, à l’heure actuelle, une invasion juive. Les juifs d’Orient ont trouvé dans les démocraties occidentales un asile sûr et rémunérateur.

22 Id. Ibid., p. 272. Les italiques sont de moi. 23 Id., Ibid., p. 270. Les italiques sont de moi. 24 Id., Ibid., p. 332, 333, 334. Les italiques sont de moi.

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Intelligents, actifs, ambitieux, ils ont envahi peu à peu les carrières les plus lucratives et ont imposé leur collaboration à l’élite […] mais les juifs intégralement et loyalement français mis à part – combien y en a-t-il ? – que sont les autres ? Des indifférents souvent […] des hostiles parfois, et presque toujours des juifs d’abord ! […] et la patrie adoptive est pour eux le cadet de leurs soucis […] Peut-on admettre cette mentalité égoïste et si étroitement nationaliste au sens juif, alors que notre hospitalité, si large, est faite au détriment des intérêts de nos nationaux dont ils concurrencent et prétendent même diriger les affaires ? […] Je ne suis pas antisémite […] mais la finance juive, l’empiètement juif existe[nt] ; contre lui, contre elle surtout, une

digue doit se dresser […] 25

. »

Ces descriptions constituent une cinglante réfutation du narratif des Palestiniens et de leurs supporters, qui fait croire aux naïfs que ce mouvement de retour à Sion était en fait une invasion, par des colons juifs envahisseurs, casqués bottés et richissimes, d’une "Palestine" bucolique, prospère et… pacifique. Elles sont d’autant plus crédibles qu’elles émanent de témoins oculaires : des pèlerins aux motivations exclusivement religieuses.

Pour terminer, je reprends ici le texte de la brève Conclusion d’un mien ouvrage antérieur 26:

On dira sans doute que le ton et les attitudes chrétiennes ont considérablement changé depuis et que le respect et le dialogue ont succédé aux invectives et au mépris. Mais, sur le fond, il n’y a aucune place, dans le corps de la doctrine chrétienne, pour les perspectives que je développe dans mes publications, à savoir, que la restauration nationale du peuple juif et son rassemblement progressif sur le sol de son antique patrie, sous les protestations et les menaces internationales, sont conformes à la prescience et à la volonté divines.

Au risque de scandaliser, je ne puis taire l’inquiétude que me cause le scepticisme de la majeure partie des chrétiens à propos d’une restauration historique de leurs « frères aînés » 27. Mon malaise est d’autant plus grand que les mêmes hauts dignitaires de l’Église, dont certaines attitudes et paroles ont été extrêmement positives envers le peuple juif, surtout après le choc de la Shoah, font preuve, dans leur enseignement, de sentiments qui ressemblent à s’y méprendre à de l’allergie quand il est question des attentes messianiques juives, et a fortiori, quand l’État d’Israël est considéré par certains comme le début du rassemblement eschatologique qu’attendent les croyants juifs, sur la foi des oracles de leurs prophètes. Les propos que j’ai cités plus haut donnent l’impression que ces responsables religieux ont peur de ce qu’ils considèrent comme la résurgence d’un messianisme politique juif. Et leur embarras s’accroît lorsqu’ils constatent la contradiction violente que suscite la présence sur des

25 Id. Ibid., p. 325. Les italiques sont de moi. 26 Voir : « Conclusion : "Un voile sur leur cœur" », dans M. Macina, Un voile sur leur coeur. Le «non» catholique au Royaume millénaire du Christ sur la terre, p. 158-161. 27 Pour mémoire, l’expression est du pape Jean-Paul II, dans son allocution à la Synagogue de Rome, le 13 avril 1986 ; texte en ligne sur le site de l’Église catholique à Paris.

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terres considérées comme exclusivement islamiques, de plus des deux tiers du peuple juif, sous la forme d’une nation que le monde musulman s’efforce d’éradiquer de manière de plus en plus déterminée et violente.

Peut-être la haute hiérarchie catholique pressent-elle qu’il lui faudra un jour, même à son corps défendant, prendre parti dans ce conflit inexpiable, dont les apparences géopolitiques cachent de plus en plus mal la véritable nature: celle d’une guerre entre l’Islam et le peuple juif. Car la théologie chrétienne – surtout celle qui a trait à l’eschatologie – est concernée par les proportions invraisemblables qu’a prises la contestation, que la propagande a rendue mondiale, de ce peuple énigmatique, inassimilable, inclassable, toujours haï et menacé jusque dans son existence même, mais qui marche inexorablement vers un destin dont les nations, en général, et les chrétiennes, en particulier, ne discernent pas le caractère messianique, ou ne parviennent pas à s’en convaincre.

Dès lors, la Chrétienté est confrontée à un dilemme : ou bien tout ceci n’est qu’un conflit territorial et politique régional que la communauté des nations se doit de régler, par la persuasion ou par la contrainte, pour éviter qu’il ne mette le feu à la planète – c’est à peu près la position de la hiérarchie catholique –, ou bien il s’agit de l’émergence d’une des phases ultimes du dessein éternel de Dieu, inattendue mais pourtant perceptible à la lecture des Écritures juives et chrétiennes. A tort ou à raison, je pense que c’est cet arrière-fond, conscient ou non, qui donne aux divers propos, évoqués plus haut, de membres éminents de la hiérarchie catholique, leur tonalité anxieuse, voire apologétique. Et de fait, il s’agirait de rien moins que d’un tournant capital dans l’histoire de l’humanité, telle que Dieu l’a vue de toute éternité, et cela constituerait, pour l’Église, un «aiguillon» – tel celui dont parlait Paul – contre lequel il lui sera « dur de regimber » (Cf. Ac 26, 14).

J’ai exprimé ailleurs ma conviction spirituelle intime que Dieu a rétabli son peuple. Il va de soi qu’elle ne s’impose évidemment pas à l’Église. Ce qui ne m’a pas empêché de tenter d’y sensibiliser, discrètement, au fil des ans, des Pasteurs, des théologiens et des clercs : en vain.

J’ai longtemps excusé par un souci de prudence doctrinale l’attitude négative des autorités ecclésiales et de leurs théologiens à l’égard de l’attente juive de la « remise de la royauté à Israël » (cf. Ac 1, 6), et à l’égard de la dimension eschatologique universelle qu’elle a prise, sous la forme de la croyance en l’avènement d’un royaume terrestre millénaire du Christ, qui fut cautionnée par d’illustres Pères de l’Église des trois premiers siècles. Jusqu’à ce que je comprenne enfin la raison de cette incrédulité incoercible, à savoir, « une manière de penser qui n’est pas celle de Dieu, mais celle des hommes » (cf. Mt 16, 23), et une théologie défectueuse du rôle respectif des juifs et des chrétiens dans le dessein de salut de Dieu.

Persuadée d’être devenue le «nouvel Israël» et encore incapable d’accepter la perspective que puissent être finalement « remis » 28 aux juifs « les dons et l'appel

28 C’est l’un des sens du verbe grec apokathistanai, qui ne signifie pas seulement rétablir, mais aussi établir quelqu’un dans ses droits, ou remettre au bénéficiaire ce qui

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de Dieu [qui] sont irrévocables » (Rm 11, 29), la Chrétienté a du mal à se convaincre que cette forme du rétablissement d’Israël fasse partie du dessein de Dieu, et encore davantage que l’heure en soit venue. Aussi fait-elle instinctivement flèche de tout bois apologétique et exégétique pour se convaincre de l’incongruité de cette perspective.

Progressivement s’est imposée à mon intelligence et à mon âme la conviction que, par un de ces détours inattendus de ce que les Pères appelaient « l’Économie [ou dispensation] divine », le «voile», dont Paul disait aux juifs qu’il est « posé sur leur cœur quand ils lisent Moïse » (cf. 2 Co 3, 15-16), recouvre aujourd’hui le cœur des chrétiens, confronté à l’incarnation géopolitique israélienne du serviteur de l’Éternel, et dont j’ose dire, avec crainte et tremblement mais espérant « avoir, moi aussi, l’esprit de Dieu » (cf. 1 Co 15, 40) :

[…] jusqu’à ce jour, lorsqu’ils lisent l’Écriture], un voile est posé sur leur cœur. C’est quand ils se tourneront vers le Seigneur que ce voile sera enlevé.

Ce n’est qu’en se tournant vers Dieu et sa Parole, de tout leur cœur et de toute leur âme, que les chrétiens verront se déchirer le voile qui obscurcit leur entendement spirituel, et comprendront ce texte du même apôtre Paul :

Rm 11, 25: Je ne veux pas, frères, vous laisser ignorer ce mystère, de peur que vous ne vous complaisiez en votre sagesse: Un aveuglement partiel est advenu à Israël [ou: un aveuglement est advenu en partie à Israël] jusqu’à ce qu’entre la plénitude des nations, et ainsi tout Israël sera sauvé, comme il est écrit : De Sion viendra le Libérateur, il ôtera les impiétés du milieu de Jacob.

Je ne saurais mieux terminer cet essai qu’en invitant les fidèles catholiques et leurs Pasteurs à s’approprier l’exclamation brûlante qui clôt la longue méditation de l’Apôtre sur le dessein divin concernant les juifs et les nations :

Rm 11, 32-36: Dieu a enfermé tous les hommes dans l’incrédulité, de manière à faire à tous miséricorde. Ô abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles ! Qui en effet a jamais connu la pensée du Seigneur ? Qui en fut jamais le conseiller ? Ou bien qui l’a prévenu de ses dons pour devoir être payé de retour ? Car tout est de lui et par lui et pour lui. A lui soit la gloire éternellement! Amen.

© Menahem Macina

21 juillet 2015

lui était destiné. Luc l’a utilisé dans la question que les apôtres posent à Jésus ressuscité et que je traduis ainsi: « est-ce maintenant que tu vas remettre à Israël le royaume [qui lui était destiné]? » (Ac 1, 6). Cf. « De quelle apokatastasis parlait Pierre en Ac 3, 21. Réponse par la philologie (mise à jour) »