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éditions monique mergoilmontagnac
2012
étudier les lieux de culte de Gaule romaine
Actes de la table-ronde de Dijon18 - 19 septembre 2009
sous la direction d’Olivier de Cazanove et Patrice Méniel
Tous droits réservés© 2012
Diffusion, vente par correspondance :
éditions Monique Mergoil12 rue des Moulins
F - 34530 Montagnac
Tél/fax : 04 67 24 14 39e-mail : [email protected]
ISBN : 978-2-35518-029-3ISSN : 1285-6371
Aucune partie de cet ouvrage ne peut être reproduitesous quelque forme que ce soit (photocopie, scanner ou autre)
sans l’autorisation expresse des éditions Monique Mergoil.
Texte : auteursSaisie, illustrations : idem
Rédaction, mise en pages : Magali Cullin (CNRS, UMR 8546 / USR 3133)Couverture : éd. Monique MergoilImpression numérique : Maury SA
Z.I. des Ondes, BP 235 F - 12102 Millau cedex
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Titre courant
Sommaire
IntroductionO. de Cazanove et P. Méniel .................................... 7
Archéozoologie et sanctuaires : quelques développements récentsP. Méniel .............................................................. 10-20
La place des sanctuaires dans l’économie monétaireK. Gruel ............................................................... 21-27
Les offrandes monétaires en Gaule romaine.Quelques réflexions tirées des découvertes d’Oedenburg (Biesheim-Kunheim, Haut-Rhin) et d’Alésia (Alise-Sainte-Reine, Côte-d'Or)L. Popovitch ......................................................... 29-36
Les cultes de la cité des Lingons.L’apport des inscriptionsM.-Th. Raepsaet-Charlier .................................... 37-73
Un siècle d’inventaires des sanctuaires de GauleI. Fauduet, E. Rabeisen, B. Dupéré ..................... 75-83
Faut-il encore fouiller des sanctuaires ?Réflexions à partir du cas de Mirebeau-sur-BèzeM. Joly et Ph. Barral ............................................ 85-94
Le lieu de culte du dieu Apollon Moritasgus à Alésia.Phases chronologiques, parcours de l'eau,distribution des offrandesO. de Cazanove, V. Barrière, F. Creuzenet,H. Dessales, L. Dobrovitch, S. Féret, Y. Leclerc,L. Popovitch, J. Simon, J. Vidal ........................ 95-121
Découvertes inédites réalisées sur le complexe cultuel de La Genetoye à Autun (Saône-et-Loire)Y. Labaune ....................................................... 123-133
Le temple dit «de Janus» à Autun.Recherches sur les élévationsC. Duthu ........................................................... 135-159
Topographie et fonctions religieuses sur l’oppidum de Bibracte et sa périphériePh. Barral, Th. Luginbühl, P. Nouvel ............... 161-179
Premier bilan des recherches sur le sanctuaire desPetits Jardins à Isle-et-Bardais, en forêt domanialede Tronçais (Allier)L. Laüt .............................................................. 181-196
Le sanctuaire de Mercure au sommet du puy de Dôme :le cadre architectural d’un circuit processionnelJ.-L. Paillet, D. Tardy ........................................ 197-207
Du cultuel au profane : essai d'analyse taphonomiqueet spatiale des petits mobiliers du sanctuaire de Corentet de ses abordsM. Demierre, M. Poux ...................................... 209-227
Le complexe religieux des Vaux-de-la-Celle àGenainville (95) : nouvelle proposition de phasagedu sanctuaire d’après les dernières fouillesD. Vermeersch (coll. M. Chupin) ...................... 229-243
Les sanctuaires de la cité des Convènes : un étatde la questionJ.-L. Schenck-David ......................................... 245-260
ConclusionJ. Scheid ............................................................ 261-263
— 6 —
Titre courant
Auteurs
Philippe Barral : Université de Franche-Comté - UMR 6249 laboratoire Chrono-Environnement, Besançon ; [email protected]
Vivien Barrière : UMR 6298 ARTeHIS, Dijon ; [email protected]
Olivier de Cazanove : Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Institut d’art et d’archéologie - UMR 7041 ArScAn ;[email protected]
Fabienne Creuzenet : UMR 6298 ARTeHIS, Dijon ; [email protected]
Matthieu Demierre : Université de Lausanne - Université Lumière Lyon 2 ; [email protected]
Hélène Dessales : ENS - UMR 8546 AOROC, Paris ; [email protected]
Laure Dobrovitch : Service régional de l’archéologie de Bourgogne, Dijon ; [email protected]
Benoît Dupéré : Inrap Centre - Île-de-France ; [email protected]
Carine Duthu : Université de Bourgogne, Dijon ; [email protected]
Isabelle Fauduet : CNRS, USR 3225 Maison de l’archéologie et de l’ethnologie, Nanterre ;[email protected]
Sophie Féret : Service régional de l’archéologie de Bourgogne, Dijon ; [email protected]
Katherine Gruel : CNRS, UMR 8546 AOROC, Paris ; [email protected]
Martine Joly : Université Paris-Sorbonne - Institut d’art et d’archéologie - UMR 8167, Paris ;[email protected]
Yannick Labaune : Service archéologique de la Ville d’Autun - UMR 6298 ARTeHIS, Dijon ; [email protected]
Laure Laüt : Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - UMR 8546 AOROC, Paris ; [email protected]
Yann Leclerc : UMR 5607 Ausonius, Pessac ; [email protected]
Thierry Luginbühl : Université de Lausanne ; [email protected]
Patrice Méniel : CNRS, UMR 6298 ARTeHIS, Dijon ; [email protected]
Pierre Nouvel : Université de Franche-Comté - UMR 6249 laboratoire Chrono-Environnement, Besançon ;[email protected]
Jean-Louis Paillet : CNRS, USR 3135 IRAA
Laurent Popovitch : Université de Bourgogne - UMR 6298 ARTeHIS, Dijon ; [email protected]
Matthieu Poux : Université Lumière Lyon 2 - UMR 5138 MOM, Lyon ; [email protected]
Élisabeth Rabeisen : CNRS, UMR 6298 ARTeHIS, Dijon ; [email protected]
Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier : Université libre de Bruxelles ; [email protected]
John Scheid : Collège de France ; [email protected]
Jean-Luc Schenck-David : Musée archéologique départemental, Saint-Bertrand-de-Comminges ;[email protected]
Jonathan Simon : Service archéologique de la Ville de Chartres ; [email protected]
Dominique Tardy : CNRS, USR 3135 IRAA ; [email protected]
Didier Vermeersch : Université de Cergy-Pontoise ; [email protected]
Jonhattan Vidal : UMR 6298 ARTeHIS, Dijon ; [email protected]
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Les cultes de la cité des Lingons. L’apport des inscriptions
Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier
Dans le cadre des recherches entreprises en Italie et en Gaule sur la géographie des lieux de culte (Scheid 1997 ; 2000 ; Dondin-Payre, Raepsaet-Charlier 2006), un regard porté sur la documentation épigraphique peut se révéler fructueux. Les aléas de la conservation du patrimoine engendrent en effet des frustrations en sens divers, que l’on peut tenter de contrecarrer en croisant les approches : tel sanctuaire est archéologiquement bien reconnu mais n’a livré aucune source écrite qui permette d’en identifier le titulaire ; telle inscription explicite ne peut être mise en relation avec aucun lieu de culte. D’emblée donc il convient de bien circonscrire le but de cette étude : en aucune manière elle ne pourra être considérée comme complètement représentative de la religion des Lingons, non seulement parce que l’immensité de la perte des documents depuis l’époque romaine frappe de caducité tout espoir de cette nature, mais parce que le tableau ici brossé se limitera exclusivement aux sources écrites de nature épigraphique. Seule une approche pluridiscipli-naire englobant l’archéologie des sites et l’histoire des sculptures de pierre et de bronze permettrait de toucher à l’ensemble de la problématique. Quelques exemples donneront un très minime aperçu des possibles apports complémentaires. En fait seule une synthèse globale de l’histoire de la cité, avec les questions du réseau viaire, fluvial, de l’urbanisation, de l’économie, donnerait des résultats probants. Toutefois un bilan critique de la documentation épigraphique peut suggérer des pistes de réflexion qui devront être ultérieurement confrontées aux autres données propres à la cité, en rappelant précisément que toutes les sources ne peuvent être mises sur un pied d’égalité comme on le fait trop souvent : une sculpture, une statuette, hors contexte spécifiquement religieux, peut n’avoir rien d’autre qu’une fonction décorative ; bien des bas-reliefs ornant des monuments profanes n’informent en rien des pratiques cultuelles. Et même dans les sanc-tuaires, la statuaire peut illustrer des dieux invités, et les reliefs des épisodes mythologiques sans relation directe avec la pratique rituelle locale. Par contre le choix des motifs, des attributs, des parèdres peut être instructif d’une forme romaine importée ou locale interprétée du dieu, et un relief peut apporter des éléments de compréhension des rituels. De surcroît se posera souvent le dualisme religion publique/religion privée, sans que nous puissions trancher faute d’indices probants. Le tableau que nous avons dressé apparaîtra sans doute trop étroit, trop restreint par rapport à la réalité possible des cultes : mais il aura le mérite d’être avéré et de ne pas reposer sur des interprétations sédui-santes mais éventuellement abusives.
Autre mise au point brève mais nécessaire : notre point de vue sera strictement historique et se fondera exclusive-ment sur une documentation d’époque romaine destinée à
assurer des sources pour notre connaissance de l’époque romaine. Il n’entre absolument pas dans notre propos de rechercher d’hypothétiques racines et survivances gau-loises 1 mais de mettre en évidence les éléments romains et indigènes repensés dans une pratique communautaire de la religion au sein d’une cité gallo-romaine 2. Dans cet esprit, une correcte intelligence du phénomène d’interpre-tatio Romana constituera une clef de lecture essentielle. Ajoutons que la compréhension de la religion gallo-romaine passe, à notre sens, par une mise en évidence de la transformation des cultes gaulois sous l’effet de la romanisation institutionnelle : ces cultes, communautaires et liés à chaque peuple, ont subi une réélaboration au pas-sage au statut de civitas et cette transformation a évolué pendant quatre siècles au moins. Leur explicitation par les légendes de la mythologie irlandaise me paraît dès lors d’autant plus sujette à caution que non seulement elle postule une permanence non vérifiée (et improbable) mais encore et surtout que ces récits proviennent de régions qui n’ont pas connu l’occupation romaine et où la religion n’a donc pas été soumise à cette césure et cette évolution 3.
1. Les perspectives romantiques de E. Renardet, qui appuie ses remarques sur des roches, des arbres, des grottes et des sources et qui recherche les permanences supposées de la religion gau-loise bien que « l’occupation romaine ait été une parenthèse trop courte pour [la] marquer définitivement », traduisent le reflet d’une démarche à proscrire (Renardet 1973). 2. Voir les remarques méthodologiques fondamentales établies dès le colloque de Saint-Riquier en 1990 par J. Scheid pour les Trévires (Scheid 1991 ; 1995 ; 2006b).3. En fait cette problématique n’est que le reflet appliqué au monde gaulois et gallo-romain d’une opposition entre deux courants de l’histoire des religions antiques (voir l’utile mise au point de Bonnet 2007). L’un, ressortissant à une tendance traditionnelle, s’appuyant sur des schémas de pensée qui ont largement marqué l’histoire de la religion antique, romaine en particulier, tend à retrouver les origines des cultes, les fonde-ments jugés primordiaux. Ce mouvement idéaliste et romantique entend mettre l’accent sur la religion « interne » plutôt que sur les pratiques et les aspects institutionnels considérés comme « externes ». Concrètement, pour le monde gaulois, cela consiste à rechercher « sous » les usages gallo-romains quelle peut être la trace de la (illusoirement unitaire : cf. Wissowa 1917/18) « véri-table » religion celtique qui aurait survécu après la conquête, en fusionnant généralement en un panthéon unique toutes les formes des divinités recensées dans les différentes régions. En outre, le mythe apparaissant comme la clé d’accès privilégiée à l’essence du sacré, ces chercheurs reconstituent une théologie celtique en puisant dans les mythes et récits largement posté-rieurs dont ils supposent le caractère de permanence. D’autres historiens, plus récemment, considèrent que si l’archéologie peut nous informer des rituels gaulois avec une objectivité concrète, les sources gallo-romaines doivent être prises en compte dans leur époque, dans le contexte de l’empire romain, en tant que
Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier
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La cité des Lingons
Les limites et le statut
Comme les avancées de la recherche des dernières années (e.g. Raepsaet-Charlier 1993, p. 82 ; Van Andringa 2002) l’ont montré, c’est le cadre strict de la civitas qui détermine l’étude des cultes gallo-romains, à la fois géographiquement et institutionnellement. D’une part, le territoire autant que le chef-lieu doivent être l’objet d’études attentives étant donné l’existence de lieux sacrés de statut public sur l’ager des cités qu’indiquent préci-sément les juristes (Ulpien, Dig. 1, 8, 9, 1) et le contrôle spécifique que les autorités accordaient aux sanctuaires de confins (Scheid 2010). D’autre part, l’organisation même de chaque cité, qu’elle fût pérégrine, colonie ou municipe, était juridiquement déterminante pour la constitution de ses cultes publics. Or, pour la cité des Lingons, ces deux paramètres posent problème.
Sur le plan des limites de la cité, la documentation disponible n’est pas toujours explicite et les frontières proposées par R. Neiss et J.-J. Thévenard (CAG 52/1, p. 77-89), par Y. Le Bohec (ILLingons, p. 11-17), ou encore par W. Spickermann 4, par exemple, sont diffé-rentes. Celles retenues aujourd’hui dans le projet INCUBO et qui servent de support aux cartes le sont aussi, même si le cadre global de l’évêché de Langres procure une zone de référence. Deux régions en particulier suscitent des doutes : celle de Bourbonne et celle d’Alésia qui, préci-sément, ne font pas partie de cet évêché au Moyen Âge. La communis opinio rattache cependant Bourbonne aux Lingons en qualité de sanctuaire de frontière : on objectera toutefois que la définition de plusieurs dévots en tant que Lingones est un peu inhabituelle si le sanctuaire se trouve dans la cité. Seul le voisinage immédiat des Séquanes, qui fréquentaient sans doute aussi le site, pourrait la justifier. On constatera par contre qu’une mention comparable est utilisée 5 pour exclure Grand de la cité des Lingons. En ce qui concerne les Mandubiens, la question est encore plus difficile. Sur le plan de la simple logique géographique, la région autour d’Alésia semble appartenir au pays lingon. Et les recherches archéologiques concernant l’époque protohistorique (Barral et al. 2002) conduisent égale-ment en ce sens, voire à une indépendance relative des Mandubiens. Mais le territoire appartient au Moyen Âge à l’évêché d’Autun. Plusieurs scénarios ont été envisagés, qui placent la séparation d’avec les Lingons à différentes époques. On a pensé notamment au Bas-Empire, mais aussi au moment de la guerre de 68/70 où les Lingons ont été fortement impliqués : soit dès Vitellius, lorsqu’ils se plaignent d’avoir subi des pertes territoriales et d’avoir
documents pour la connaissance des cultes des civitates. Dans cette perspective nourrie des apports des courants ethnogra-phiques et sociologiques qui font de la religion d’abord une affaire de société, les rites et les pratiques constituent l’essentiel.4. La prise en compte notamment du site des Bolards à Nuits-Saint-Georges modifie fortement le paysage religieux de la cité (Spickermann 2003, p. 402-414). 5. Demarolle 2010, p. 69 (d’après CIL XIII 5942 = ILTG 415).
vu leurs voisins avantagés (Tacite, Hist. 1, 53-54), soit avec Vespasien que l’on soupçonne d’avoir puni la cité à cause de l’épisode de Sabinus (Frézouls 1988, p. 409 ; Reddé 2003, p. 63-64). On met aussi (CAG 21/1, p. 353) ce changement de « suzeraineté » en relation avec le développement urbanistique de la ville à l’époque fla-vienne, quoique ce type d’argument archéologique et matériel pour appuyer une transformation administrative ou politique soit à mon sens discutable et dangereux. Mais ce n’est pas impossible. Enfin, la présence à Alésia d’un magistrat au moins ayant exercé sa carrière dans les deux cités (CIL XIII 2873 ; 2878 ?) complexifie encore la question. Au niveau du statut 6, les Mandubiens semblent bien avoir constitué un pagus dont le siège serait Alésia : le recours à cette solution administrative pour des peuples jugés trop « petits » pour être établis en civitas est attesté ailleurs (Tarpin 2002 ; 2006). Le problème est donc de savoir de quelle cité relevait ce pagus, mais aussi quelles étaient les limites de ce pagus : le sanctuaire des sources de la Seine en fait-il partie ? Nous verrons ce que la docu-mentation religieuse peut apporter au dossier. En tout cas, il semble difficile d’admettre une limite nord-est du pagus à Auberive, vraiment trop proche de Langres, où l’on a pourtant peut-être une mention (ILLingons 271) du mot LING(on-). Si l’interprétation de ce fragment est correcte et s’il s’agit bien d’une inscription monumentale 7, il faudrait alors penser à une mention officielle de la cité en tant que dédicant, mais on peut songer plus simplement à la définition 8 d’un esclave ou affranchi.
L’appartenance provinciale est une autre bouteille à encre (Wightman 1977). La situation en Germanie supé-rieure me semble l’hypothèse la plus vraisemblable et le transfert en Lyonnaise supposé avant 226 en vertu de la mention d’un consularis Germaniae superioris dans la définition d’un soldat (CIL XIII 5621) ne me paraît pas assuré. Plusieurs inscriptions de régions indubitablement situées en Germanie supérieure portent la précision pro-vinciale sans mettre en cause la géographie. Ce n’était ni systématique ni impossible.
En ce qui concerne le statut de la civitas et ses insti-tutions (Raepsaet-Charlier 1999, p. 288-289 et 329-331),
6. Une civitas séparée est très improbable, ne fût-ce que pour des raisons de superficie. L’existence d’un pagus, le mot apparaissant sur deux fragments au moins (CIL XIII 2877b-c add ; 11252), semble beaucoup plus vraisemblable sans, bien entendu, associer au pagus les mentions de magistrats qui figurent sur d’autres morceaux inscrits. Le schéma reconstruit par M. Mangin (Bénard et Mangin 1994, p. 58) est incompa-tible avec le fonctionnement municipal romain. La vie civique locale ne peut être « autonome » tout en étant « subordonnée aux autorités municipales de Langres ». Un pagus peut rece-voir délégation de certains pouvoirs, notamment fiscaux, mais toutes les magistratures mentionnées à Alésia relèvent de la cité, seule entité dotée de pouvoirs de gestion. La position dans la CAG 21/1 est beaucoup plus claire (p. 352-353), même si la notion de « chef-lieu de pagus » ne repose sur aucun élément antique explicite. Sur ces questions on verra Dondin-Payre 1999 ; 2006 ; Reddé 2003 ; Raepsaet-Charlier 2013. 7. Février et Le Bohec 1997, p. 308 n° 14.8. Cf. CIL XIII 5693-5694 ; 5883.
Les cultes de la cité des Lingons. L’apport des inscriptions
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la documentation n’est guère plus claire. Installée en civitas (statut dont témoigne encore Frontin, Str. 4, 3, 14 ; CIL XIII 5661 ; 5682 ; 5488 ; et le testament du Lingon) foederata (Pline, HN 4, 17 ; cf. CIL XIII 5681), la cité reçut d’Othon le statut de colonie romaine (Tacite, Hist. 1, 78, 1 ; cf. 1, 57). Le rang colonial est également mentionné sur des inscriptions (CIL XIII 5685 ; 5693 ; 11572 ; sans doute 5883) mais on pense généralement 9 que ce statut a dû être ramené par les Flaviens au rang de colonie latine par punition. La présence en nombre de pérégrins avérés est difficilement conciliable avec un sta-tut de colonie romaine, à moins d’envisager que certains habitants de la cité aient été dotés du statut d’incolae 10. Il n’est guère possible ici de trancher, mais il n’est pas exclu que l’hypothèse du recul de statut soit davantage le fruit d’idées préconçues que d’une argumentation construite, au même titre que celle qui, il y a peu de temps encore, envisageait purement et simplement que le titre ait été employé « abusivement » (cf. CAG 52/1, p. 78) : cette dernière interprétation n’est évidemment pas compatible avec ce que l’on sait du fonctionnement juridique de l’État romain. Ni la cité elle-même ni le gouverneur de la province n’auraient pu tolérer que des personnages de statut officiel (esclave et affranchi publics notamment) « usurpent » un titre colonial injustifié. Or la question du statut n’est pas anecdotique.
Au moment augustéen de la constitution de la cité, celle-ci a composé son propre panthéon, procédant à des choix parmi ses dieux tutélaires – nous y reviendrons – procédant à des assimilations conduites par les élites locales ; elle a organisé son calendrier des fêtes, institué les prêtrises, défini les rituels et les formulaires, la répar-tition des frais et l’implantation ou la monumentalisation des lieux de culte. Elle a élaboré ainsi son culte public, mettant ainsi en œuvre une pensée réfléchie qui présidait au réaménagement communautaire qu’impliquait la nou-velle forme de gouvernement, la civitas, le tout dans une quasi-autonomie. Le culte impérial devait être requis, ne fût-ce que dans le cadre de l’envoi de délégués à l’autel provincial pour les célébrations annuelles. Le passage au statut de colonie, même honoraire, signifiait la prise en compte d’une lex coloniae, semblable sans doute de fort près à celle que nous avons conservée pour la colonie d’Urso en Espagne (cf. Scheid 1999, p. 388-397). Une nouvelle prise en charge des institutions locales, notam-ment religieuses, s’imposait, car une colonie – latine ou romaine – était gouvernée selon le droit romain. Cela ne signifiait pas pour autant un décalque obligé et simple de la religion de Rome. Les décurions locaux jouissaient toujours d’une relative liberté pour réinstaller les sacer-doces et les cultes, lesquels décurions étaient sans doute les mêmes qu’au temps de la cité. Certaines prescriptions étaient cependant fixées, comme l’exercice du culte de la triade capitoline et la célébration de jeux, ainsi que cer-tains rituels « politiques », comme l’obligation de compter un haruspice parmi les appariteurs des édiles et duumvirs, de contrôler l’utilisation des offrandes en argent aux
9. Cf. Chastagnol 1995, p. 185 ; Wolff 1976, p. 87 n. 122-123.10. Cf. Thomas 1996, p. 30.
temples ou d’imposer aux magistrats des contributions aux frais sacrés. L’organisation des collèges sacerdotaux était aussi précisée ; dès lors il n’est pas exclu – comme on le fait parfois (Van Andringa 1999, p. 435 ; Liertz 1998, p. 213 ; cf. Spickermann 2003, p. 93) – de recon-naître des augures (cf. Drioux 1934, p. 64-65 ; Frézouls 1988, p. 413), voire des pontifes, parmi les prêtres de la cité-colonie.
Le territoire
Dans le territoire que nous envisagerons ici dans son extension maximale hypothétique, deux pagi sont attestés : le pagus Andomus, dont le siège était à Dijon, et le pagus dont le siège était à Alésia et que nous supposerons pagus Mandubiorum. Quant aux agglomérations dites « secon-daires », si elles sont assez nombreuses, leur statut n’est avéré que dans le cas du vicus de Vertault-Vertillum qui, bien entendu, comprend une zone sacrée (Spickermann 2003, p. 74). Leurs catégories de fonctionnement sont sans doute variées, certaines ayant certainement été d’abord des sanctuaires, voire de « grands sanctuaires » publics 11, comme Bourbonne (même si le temple n’est pas connu), Mâlain, Essarois, Dampierre, sans doute Villiers-le-Duc (où seule l’archéologie est explicite : CAG 21/3, p. 406-410). Ajoutons les sanctuaires des grandes sources : Seine et Marne. D’autres relèvent d’une fonction routière, comme Til-Châtel où plusieurs soldats sont attestés, Pontailler, agglomération portuaire sur la Saône, peut-être limite de navigabilité (en tout cas rupture de charge entre route et fleuve ; présence d’une statio), assurément aussi Dijon où des collegia apparaissent (nautes, fabri, lapidari), ce qui témoigne d’une importance économique majeure (Frézouls 1988, p. 179-274). Le cas de Mirebeau (Spickermann 2003, p. 69-71) est particulier car le lieu de culte, suffisamment important pour avoir comporté un théâtre (CIL XIII 5614), est laténien (Guillaumet et Barral 1991) puis augustéen, antérieur donc à l’installa-tion du camp légionnaire et indépendant de cet élément ; on pourrait même imaginer que le caractère particulier du site a « attiré » le choix pour l’implantation militaire.
Les autres sites où des inscriptions religieuses ont été découvertes, même s’ils sont parfois peu connus, indiquent presque toujours un lieu de culte repéré voire fouillé : Brottes, Andelot, Beire, Essey, Arnay, par exemple. Deux temples sont peut-être à mettre en rapport avec une grosse villa : Lux et Selongey. Au total, très peu d’inscriptions ne peuvent être mises en relation avec un site explicite.
11. Il faut éviter l’appellation de sanctuaires « ruraux », qui semble impliquer que les dévots sont des habitants de la cam-pagne, que la fréquentation est locale et limitée et le culte privé. Ce sont simplement des sanctuaires du territoire qui reçoivent au moins pour des fêtes spécifiques les célébrations de l’ensemble de la civitas, effectuées notamment par les magistrats et les prêtres venus de la capitale pour la circonstance (cf. Scheid 2000, p. 23).
Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier
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Les inscriptions et les dévots
Le dossier que nous allons analyser est fort de 143 inscriptions religieuses, sans compter diverses mentions de magistrats et de prêtres qui complètent l’argumenta-tion sans participer directement à l’inventaire des cultes. Comme l’indiquent les cartes, les différentes régions de la cité ne sont pas représentées équitablement : en parti-culier la zone au nord et nord-ouest, proche des Sénons et des Tricasses, est quasiment vierge de toute inscription religieuse. Seule une étude approfondie de la région per-mettrait de donner éventuellement une explication à ce phénomène, qu’il soit le fruit d’un manque de dévelop-pement à l’époque romaine ou celui d’une lacune dans la recherche moderne.
Quelques remarques générales s’imposent au regard de la répartition géographique des dédicaces : d’abord l’importance relative du chef-lieu qui (ne) compte (que) 15 inscriptions (ou plus exactement 17, car il faut inclure le sanctuaire suburbain de Mars dans les lieux de culte de la capitale), soit environ 10 % du total : c’est peu et c’est aussi beaucoup, car la dispersion des inscrip-tions est très forte et le poids de la capitale finalement significatif, quoique inégal en ce qui concerne les divi-nités, nous le verrons. Ensuite, l’importance de Dijon est marquée. Alors que certains aujourd’hui tentent de dis-qualifier Dibio en tant que site urbanisé du Haut-Empire (CAG 21/2, p. 229, 231, 254), le nombre important des inscriptions de tout genre, et de portée religieuse en par-ticulier, l’inscrit au contraire en tant qu’agglomération majeure : la documentation de nature historique ne doit pas être minimisée en fonction des restes de la culture matérielle. Pas moins de 17 dédicaces religieuses y ont été mises au jour, comme à Langres, et certaines inscriptions comportent des informations déterminantes sur l’organi-sation de la civitas ainsi que sur une variété assez large de dieux. Il est évident que l’importance de Dijon est à mettre en relation directe avec sa situation stratégique sur une des voies essentielles du réseau de circulation : l’axe nord-sud, la liaison Arles, Lyon, Langres, Metz, Trèves, Cologne, chemin terrestre parallèle à la jonction Rhône-Saône-Moselle-Rhin. N’oublions pas que les nautes de la Saône y ont laissé un monument (CIL XIII 5489), qui montre clairement par son relief d’attelage que le site routier avait une fonction fluviale ; enfin, Dijon est aussi le carrefour avec la route d’Autun, autrement dit la connexion entre l’axe nord-sud et le centre de la Gaule. L’examen des cartes fait apparaître indubitablement que la route constitue un pôle d’attraction et de diffusion des cultes, y compris dans leur dimension militaire, comme l’indique la station de Til-Châtel.
Dans le même ordre de grandeur se situe Alésia, qui a conservé 16 inscriptions religieuses, plus des attestations de prêtres. Malheureusement beaucoup de textes sont très lacunaires, ce qui limite leur apport. C’est, comme Dijon, un pôle régional dans lequel s’exercent les forces vives de la cité (laquelle ?). Le site du sanctuaire d’Apollon Moritasgus concentre une bonne part des données, de nature publique notamment, mais d’autres dieux sont représentés dans la
ville, comme Cybèle – exceptionnelle dans la région – ou les divinités protectrices du collège des forgerons.
Les sites déterminants de la documentation épi-graphique de nature religieuse se révèlent donc être des villes à vocation administrative, soit capitale comme Langres, soit locale comme Dijon et Alésia, à chacune desquelles on doit rattacher un pagus. On peut d’ailleurs peut-être se demander si les deux autres agglomérations qui ont livré des inscriptions en nombre (Bourbonne et Mâlain) sont uniquement des sanctuaires très fréquentés ou bien si elles avaient aussi une fonction administrative inconnue de nous. Quoiqu’il en soit, ces pagi ne se mani-festent pas en tant qu’acteurs cultuels : ils sont mentionnés à Dijon uniquement en tant que lieu d’installation d’un col-lège ou en tant qu’organe administratif ayant concédé une autorisation ; à Alésia le pagus n’est pas lié directement à un culte, sinon qu’il est mentionné sur le site du sanctuaire. Il existe donc là une différence dans la documentation par rapport à d’autres pagi gallo-romains : en effet, à Trèves ou à Rennes les pagi se manifestent avec leurs numina au chef-lieu de la cité (Scheid 1991, p. 51 ; Bérard 2006, p. 27-28) ; le pagus intervient en tant que bénéficiaire des dédicaces à Bois l’Abbé chez les Ambiens (AE 2006, 836 = 1982, 716 ; 2007, 980) ou à Nizy-le-Comte chez les Rèmes (CIL XIII 2450). Faut-il penser que cette dissem-blance est le signe d’un fonctionnement autre ? Il faut rester fort prudent dans le cadre d’une documentation limitée. Toutefois on notera aussi qu’à l’opposé d’autres civitates des Gaules (Raepsaet-Charlier 2002), voire de la Germanie (Raepsaet-Charlier 2006b), où les vici sont remarquables en tant que lieux et acteurs de la pratique religieuse, Vertault n’est présent ici qu’avec deux inscriptions dont une seule est porteuse d’informations significatives.
Les dévots au statut identifiable 12 sont au nombre de 104, compte non tenu des individus pour la salus desquels sont élevées des dédicaces : 72 hommes (35 pérégrins et 37 citoyens), 23 femmes (10 pérégrines et 13 citoyennes), 6 soldats, 3 esclaves. Cela représente 43 % de pérégrins, ce qui est nettement supérieur à la situation dans l’ensemble de la province de Germanie supérieure où nous avons compté seulement 24 % de pérégrins
12. Rappelons que les dédicants de la très grande majorité des inscriptions gallo-romaines sont des indigènes, étant donné que, l’armée mise à part, le nombre de Romains venus d’Italie ou des autres provinces était extrêmement bas. La distinction entre citoyen romain et pérégrin n’est donc pas une différence ethnique mais une question de statut juridique, les pérégrins étant les habitants libres de l’empire ne disposant pas de la qualification de citoyen romain et se distinguant d’eux par une dénomination simple (nom + filiation), alors que le citoyen dispose d’un nomen gentile (nom de famille héréditaire) et d’un surnom, complété pour les hommes par un prénom. Les uns comme les autres peuvent avoir une nomenclature latine ou indigène (celtique le plus souvent en Gaule) sans que cette qualité linguistique n’ait une influence sur leur statut (voir Raepsaet-Charlier 2009). Les considérations de Leunissen 1985, p. 157, notamment sur le lien qui pourrait exister (voir Raepsaet-Charlier 2006b, p. 373-375) entre le nom indigène du dévot et la nature « indigène » de la divinité, le mènent à des interprétations inexactes de l’interpretatio, qui ne serait que « Färbung ».
Les cultes de la cité des Lingons. L’apport des inscriptions
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(Raepsaet-Charlier 2006a, p. 352-356). On constatera une dispersion de ceux-ci dans le territoire, mais avec un accent remarquable en ce qui concerne Mercure et une place déterminante dans certains sites comme Essarois, Bourbonne, Sequana. Les femmes représentent 22 % des dédicants, un peu plus que pour toute la Germanie supé-rieure (17 %), mais c’est sans doute trop faible pour avoir un sens, quoique les femmes soient (sur?)représentées dans certains sanctuaires (Bourbonne et Sequana). Quant aux soldats, ils sont exclusivement présents à Til-Châtel et Pontailler ; leur absence à Mirebeau est notable. Pour l’onomastique 13, elle révèle un pourcentage fort élevé d’éléments latins dans les nomenclatures (105) – presque le double des éléments celtiques (64) – et aucun élément germanique n’y est avéré (deux éventualités douteuses). La différence entre citoyens et pérégrins n’est pas mar-quée, non plus que celle entre hommes et femmes.
Implication publique, magistratures, prêtrises, évergétisme 14
L’implication publique 15 dans la religion, indubita-blement obligatoire chez les Lingons comme ailleurs, est toutefois fort peu visible dans notre documentation. L’absence d’une bonne connaissance des temples et de l’apparat urbain de Langres doit certainement jouer un rôle dans cette lacune (Spickermann 2003, p. 91-93). Si l’évergétisme religieux des magistrats est percep-tible, c’est, en effet, uniquement en dehors du chef-lieu (Vertault et Alésia), car la lamelle de cuivre de Langres, qui émane d’un édile, peut à peine suggérer un don notable. La dédicace de Villey-sur-Tille aux Numina Augustorum est importante pour notre connaissance du culte impérial car il s’avère, après autopsie, que le cultor est bien un décurion. Un élément officiel doit également avoir eu un sens qui nous échappe pour que la dédicace à Damona sur plaque de bronze à Bourbonne ait nécessité une autorisation des décurions, car rien n’indique de quoi il s’agit ni que les dédicants aient joué un rôle public quelconque. On a pensé à une grande statue (Spickermann 2003, p. 405) élevée sur un site public, ce qui confor-terait l’idée que Bourbonne constituait un sanctuaire public. L’autel de Dijon élevé avec l’autorisation du pagus pourrait simplement avoir été placé sur une place publique. Il serait imprudent de déduire de cette mention que le pagus avait autorité sur le sanctuaire dans lequel les autels avaient été élevés (Spickermann 2003, p. 405). Les trois inscriptions apparentées par le contenu sont très différentes dans la forme, et l’autorisation n’est évoquée que pour un monument. Les deux autres donations (area non définie à Mâlain-Ancey et maceries caementicia à Balesmes) sont le fait de deux pérégrins dont on peut supposer la richesse, sans plus. C’est en dehors de la cité proprement dite que nous rencontrons la seule véritable
13. En ne tenant compte que des éléments suffisamment identifiables.14. Voir tableaux I et II.15. Pour la Germanie dans son ensemble, voir Raepsaet-Charlier 2006b.
action religieuse des Lingones en tant que tels : à savoir ceux qui étaient installés à Ci[bernodurum ?] (nous lais-serons de côté ici l’identification de ce lieu) sur le Rhin et qui y ont honoré Mars Cicolluis. C’est également hors de la civitas que l’on a trouvé la mention d’une dédicace au même dieu Mars, avec offrande évergétique d’une statue de grand prix par un sacerdos Augustorum. Deux options s’offrent à l’exégèse : soit cette plaque de bronze a voyagé, dans le sac d’un fondeur par exemple ; soit la proximité avec une autre découverte toute récente offerte à Mars par un civis Lingon(us) rappelle qu’il existait, à la limite du territoire séquane, à Mutigney/Dammartin, une agglomération secondaire (CAG 39, p. 340-347). Celle-ci comportait un sanctuaire de confins où Séquanes et Lingons ont pu célébrer leurs dévotions et où a été mise au jour autrefois une statue en bronze de Mars. Il n’est donc pas assuré que ce bronze inscrit concerne notre civitas.
Parmi les personnalités lingonnes qui agissaient dans le cadre des cultes publics, il convient de relever les prêtres, qui ne sont que rarement mentionnés dans l’exer-cice de leurs fonctions mais plutôt sur des hommages comportant des cursus honorum (statues). Il faut toute-fois rappeler que les magistrats qui sont définis comme omnibus honoribus functus ont assurément assumé des prêtrises publiques que nous ne pouvons détailler. Les trois personnages nommément connus et ainsi qualifiés sont auteurs d’actes d’évergétisme importants dans des sites du territoire.
Le seul prêtre assurément lingon et nommément connu est Q. Sedulius Si[lanus ?], sacerdos Au[gusti] si la resti-tution de la lacune est correcte 16. Ce notable lingon offre à Langres un arc et des statues, mais rien n’indique un caractère religieux à ce don qui semble plutôt civique. Il est probable que trois anonymes ont occupé le même poste dans la gestion du culte impérial, exprimé par sacerdos Romae et Augusti à Langres 17. Quant à C. Iulius Tutillus, sacerdos Augustorum et évergète à Mutigney, seule sa dévotion envers le Mars Cicolluis spécifique des Lingons le range éventuellement parmi les prêtres lingons, mais il n’est pas exclu qu’il s’agisse d’un sacerdoce séquane. Par ailleurs, l’existence d’un flamen Augusti est mention-née à Alésia 18. Est-il lingon ? éduen ? Témoigne-t-il de l’évolution du statut d’une des cités, selon l’interprétation de William Van Andringa (1999, p. 433) ? Le caractère extrêmement fragmentaire des éléments inscrits, la data-tion précaire et la méconnaissance de la cité concernée rendent toute certitude impossible dans l’état actuel de nos connaissances, mais le flaminat est attesté chez les Éduens (CIL XIII 2585) et non chez les Lingons.
Le reste de nos informations pose également de nom-breux problèmes en raison du caractère lacunaire des textes conservés. Si les Lingons sont bien colonie romaine, la cité comportait des pontifes et des augures (Scheid
16. Van Andringa 1999, p. 446 ; dans ILLingons 357, Y. Le Bohec propose plutôt sacerdos, augur.17. Les deux autres prêtres qui apparaissent dans le pagus des Mandubiens relèvent peut-être de la cité des Éduens.18. Peut-être sur trois inscriptions fragmentaires ? Voir CAG 21/1, p. 367 et 390.
Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier
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1999, p. 396 d’après la loi d’Urso) : peut-être est-il pos-sible de les reconnaître dans certains fragments. Il n’est toutefois pas exclu que parfois les quelques lettres conser-vées renvoient plutôt à des sévirs augustaux (pour Attius Euhodus) ou à des sacerdotes Aug(usti) (quand les lettres incriminées accompagnent une autre magistrature) 19. Cependant, dans le cas des inscriptions de Langres qui mentionnent à la fois le duumvirat et AVG, l’ordre de présentation des fonctions me paraît aller dans le sens de l’augurat car, dans l’énumération du cursus honorum, quelle que soit la province les deux prêtrises (augur ou pontifex) précèdent le plus souvent le duumvirat, sans doute à cause de leur caractère prestigieux, plus presti-gieux que le sacerdoce du culte impérial. Mais aucune activité religieuse ne peut être associée à ces fragments.
En dehors de ces cas, tous litigieux, le sévirat n’est connu que par une seule inscription explicite dont on peut douter du caractère religieux ou funéraire.
Pour en revenir à l’évergétisme, une série de monu-ments peut sans doute attester de donations, sans que l’on puisse aller très loin dans leur interprétation : ainsi le terme liberalitas revient à deux reprises à Alésia ; à Dijon sans doute et à Essarois, la dédicace fragmentaire se trouve sur le fronton d’un édicule, aux sources de la Seine sur une architrave ; à Dijon encore, on notera une offrande à Liber Pater sur la frise d’un monument ; au Mont-Afrique, un probable pérégrin [or]navit ou [do]navit un linteau ou, plus probablement, le monument qui comportait ce linteau. Et bien sûr des vases, patères, statues, stèles et sta-tuettes. Un objet mérite toutefois une attention spéciale : urna cum sortibus à Bourbonne. Cette inscription sur une plaquette de bronze, qui semble malheureusement perdue, annonce en 237 la dédicace au bénéfice des mancipes S(-) Ludnomag(enses) d’une urne destinée aux tirages au sort. Longtemps mal lue et mal interprétée, cette inscription a été récemment corrigée par Michel Aberson (2001) à la lumière d’une tablette comparable mise au jour à Martigny, celle-là complète (AE 2001, 1307). Le nom de la divinité concernée par cette offrande libens merito n’est pas conservé.
Formulaire
Nos recherches sur l’épigraphie des cultes ont montré, de longue date maintenant, à quel point le formulaire des inscriptions était porteur de significations. Plusieurs constatations peuvent être relevées dans ce dossier.
D’abord, et très simplement, la pratique votive était, chez les Lingons et dans l’ensemble du territoire étudié, très répandue ; comme cela a été souligné, cette remarque n’est pas anodine et indique une adoption provinciale du rituel romain (Derks 1998, p. 215-239). Ce rituel est attesté pour toutes les divinités et dans tous les sites, comme cela avait déjà été relevé pour les provinces de Germanie (Scheid 2006a, p. 448) : au total 77 attestations, ce qui est très important car beaucoup d’inscriptions incomplètes ne
19. Van Andringa 1999, p. 446, envisage aussi flamen Aug., mais jusqu’à présent cette prêtrise n’est pas attestée chez les Lingons.
permettent aucune conclusion et certains types d’offrandes ne s’accompagnent pas nécessairement d’un vœu.
Certaines formules qui connaissent ailleurs une cer-taine faveur (Raepsaet-Charlier 2001) sont rarissimes ou absentes du territoire lingon : ainsi ex imperio / ex iussu / ex monitu, dont trois attestations (2 ex iussu avérés ; ex monitu possible à la source de la Seine) sont limitées au pagus mandubien. Les actes d’évergétisme n’étant pas légion, trois inscriptions seulement font état d’un paie-ment de sua pecunia / de suo. Une formule de dédicace assez répandue se rencontre dans plusieurs sanctuaires : pro salute (avec des variantes). Comme on l’a déjà souli-gné (par exemple Scheid 1992, p. 32 ; Derks 2006, p. 251), il n’est pas évident et même improbable, quoi qu’en pen-sent de nombreux chercheurs, qu’il y soit question de la « santé » de la personne : en effet, la formule est rare dans les sanctuaires présentant des fonctions de guérison où des ex-voto anatomiques sont découverts 20. Ainsi il n’y en a aucune à Essarois, une seule à Bourbonne (non sur un ex-voto anatomique), deux aux sources de la Seine (sur des autels). En revanche les exemples de Dijon (patron) et de Langres (empereur) indiquent des actes de loyauté et/ou des circonstances de voyage qui évoquent plutôt la sauvegarde, sans lien avec une quelconque guérison. Et, dans le cas de Xanten, la proximité avec les dédicaces de Rindern et de Mayence (AE 1980, 655-656), également élevées pro salute Neronis et mises en relation avec la conjuration des Pisons, montre clairement une signifi-cation politique. Aussi les dédicaces « pour un enfant » doivent peut-être être comprises comme des actes pieux liés à des circonstances familiales (classes d’âge ; Derks 2006, p. 251-258), dont les modalités locales devraient sans doute être précisées. Par ailleurs, une formule rare se rencontre sans que l’on puisse en percevoir la portée exacte. À Andelot, une dédicace est faite par un par-ticulier ex stipibus : de quelle stips est-il question ? du trésor du temple ? de collectes spécifiques effectuées à des dates ou dans des contextes précis ? par des membres d’une famille, d’une confrérie, d’une institution ? On ne sait. Mais il est peu probable que cette formule n’ait pas quelque implication 21 « publique » (cf. Dondin-Payre et Kaufmann-Heinimann 2009, p. 107-108).
La formule qui réclame surtout notre attention est rela-tive au culte impérial : Augusto sacrum deo/deae ---. Cette formulation est excessivement rare et confinée (Raepsaet-Charlier 1993, p. 55-56). C’est la formule des Sénons et
20. Sur cette problématique, à traiter avec prudence et circons-pection, voir Scheid 1992.21. Comme l’écrit Deniaux 2006, p. 293 : « le fait de réunir une somme d’argent implique une action collective, une cotisation ou une quête motivée par des obligations ; celui qui y procède est nécessairement doté d’une responsabilité, dans un cadre public ou dans celui d’une sodalité. [...] En effet, dans l’épigraphie, on relève que les offrandes résultant d’une collecte sont souvent le fait de personnages publics, éventuellement prêtres officiels ou magistrats » (par exemple CIL XIII 1669 ; 1675 ; 2889 ; 3106 ; 5073 ; 11475 = AE 1996, 1121).
Les cultes de la cité des Lingons. L’apport des inscriptions
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des Éduens exclusivement 22, or elle était courante chez les Mandubiens et aux sources de la Seine. Nous retiendrons donc cet élément pour traiter in fine de la question du terri-toire lingon : en effet la formulation n’est pas attestée avec certitude (elle représente une lecture possible 23 à Dijon et à Lux) dans l’espace assuré de la civitas. L’intérêt de ces remarques et de ces emplois géographiquement limités est encore accru par la constatation du caractère alter-natif des formulations du culte impérial, la dédicace aux numina n’étant pas d’usage là où la formule « éduenne » est appliquée et réciproquement. Or une dédicace aux numina impériaux se trouve en pays lingon indubitable à Villey-sur-Tille, pas très loin de Dijon.
Le culte impérial 24
Culte civique et politique, l’honneur religieux aux empereurs et à leur famille est peu représenté dans la cité des Lingons, et aucune dédicace explicite n’a été découverte dans son chef-lieu 25. Si nous excluons la « formule éduenne » exclusivement (ou presque ?) en usage dans le pagus mandubien, la seule dédicace concer-nant strictement les numina impériaux est celle offerte à Villey-sur-Tille par un citoyen romain dont la qualification de décurion n’est pas anodine. Il est particulièrement dommage que le site de découverte soit à ce point indé-terminé. Les prêtres de ce culte apparaissent faiblement dans la documentation. Il n’est évidemment pas question de mettre en cause l’existence de célébrations. Il faut simplement constater que, hasard des sources ou témoin d’autres pratiques que l’épigraphie, ce manque d’infor-mation limite notre investigation. La cité des Lingons devait envoyer des délégués à l’autel provincial pour les célébrations annuelles du culte de Rome et d’Auguste. Les envoyait-elle à Lyon 26 comme les Séquanes (CIL XIII 1674-1675) ? En tout cas nous n’avons conservé aucune trace de ces délégués, qui ont indubitablement existé : cela doit nous mettre en garde contre la tentation du recours à l’argument ex silentio, qu’il soit explicite ou implicite.
Par contre, un usage répandu dans toute la province dans les dédicaces civiles se retrouve en pays lingon : celui d’associer l’hommage à la domus divina à celui des diverses divinités, voire à n’honorer que la maison divine.
22. Hatt 1988 l’étend aux Lingons sans que la liste des sites le justifie. Les interprétations qu’il en donne, en utilisant de manière anhistorique des inscriptions gallo-romaines à la recherche des Mars « préceltiques », sont fortement sujettes à caution.23. La formulation est au minimum maladroite, ce qui pourrait se comprendre par un caractère inhabituel et exotique.24. Voir tableau II et carte 1.25. On rappellera cependant que Cassiodore affirme que Drusus consacra un templum Caesari chez les Lingons (Chr. II, 135 ad ann. 745), ce qui est généralement corrigé afin de ramener au sanctuaire de Lyon. Sur ce texte, qui mériterait sans doute un réexamen, voir Spickermann 2003, p. 92.26. La question du site provincial de célébration du culte impérial en Germanie supérieure n’est pas résolue : voir Raepsaet-Charlier 1999, p. 311.
Ainsi, par exemple, l’importante consécration évergétique des frères Patricii à Vertault s’adresse à la domus divina seule. La proximité de cet usage ou de cette formulation avec le culte impérial stricto sensu est confirmée dans le cas de cette inscription de Langres offerte à la fois à la domus divina et à l’empereur régnant, en l’occurrence Septime-Sévère, par un magistrat. La nature concrète du don nous échappe, puisque nous n’avons conservé qu’une lame de cuivre qui devait être fixée sur un objet ou un monument, mais l’association des dédicataires confirme l’interprétation des hommages à la maison divine comme des manifestations du culte impérial.
Dans le même ordre d’association, une autre formula-tion des dédicaces qui a soulevé beaucoup d’interrogations et suscité des interprétations contradictoires : le fait d’ac-coler l’épithète Augustus aux noms divins. Il nous semble que l’interprétation 27 de A. D. Nock (1925, p. 91-98) pourrait être satisfaisante, à savoir que cet emploi traduit le désir des dédicants d’attirer la protection du dieu sur l’empereur. Mais une version plus politique de cet usage, à savoir considérer que c’est (seulement ? ou en outre ?) une marque de loyauté envers le gouvernement et un moyen de renforcer la dignité de la divinité, n’est pas à exclure (cf. Latte 1960, p. 324). Avec I. Gradel (2002, p. 104-106, 112-114), on rappellera en effet que les dieux « augustes » existent avant Auguste, que le terme a une valeur religieuse propre et que, donc, plusieurs percep-tions étaient possibles : l’absence d’explicitation pouvait être délibérée pour tenir toutes les portes ouvertes à l’exé-gèse. Par contre, d’autres interprétations me semblent exclues, qui ne sont pas conformes aux mécanismes et aux fondements de la religion romaine, plus particulièrement compris dans le cadre de la religion provinciale. Ainsi les volontés d’établir des distinctions entre indigénat et romanité (Desaye 1981), un peu dans le même sens que celle que l’on veut parfois déduire de la présence du terme deus (voir par exemple Leunissen 1985, p. 156 ; contra Raepsaet-Charlier 1993, p. 16-17), relèvent d’une mauvaise compréhension de l’interpretatio. L’association de l’hommage impérial à la divinité n’est pas spécifique aux dieux de nom et d’origine indigènes, même si le fait même illustre bien l’intégration provinciale. Aussi je ne puis souscrire à l’idée de B. Rémy (1994, p. 56), qui propose que l’emploi de cette épithète résulte d’un souci de contrôle du panthéon celtique traditionnel par le pouvoir romain et d’une tentative d’introduction du culte impérial dans ce panthéon ; cette vision dénote elle aussi une délimitation artificielle et moderne d’un « panthéon celtique » distinct, qui n’apparaît pas dans la documen-tation ; en outre ne serait guère conforme aux usages de la religion romaine dans les territoires conquis un inter-ventionnisme impérial dans des optiques de « contrôle ». Quant à la nécessité qu’il y aurait eu d’« introduire » le culte impérial dans les pratiques religieuses régionales par des actes délibérés et volontaristes extérieurs, elle ne se justifie pas dans la mesure où nous nous trouvons dans un processus polythéiste souple, qui reçoit le culte
27. Adoptée par exemple par Van Andringa 2002, p. 164-165 ou Beard et al. 2006, p. 332-333.
Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier
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43
Villey-s/T.
domus divina
numina aug.
Aignay
MC L
Mutigney
MM MC L
St-Geosmes
Bourg
Balesme
Chalmessin
Selongey
Pouilly
Arnay-le-Duc
Mont-St-Jean
Essarois
0 5 10 20 km
MarsMars CicolluisMars MenobisBellonaLitavis
0 10 km
M B
M MCMC L B
M B
MMCMMBL
Minerve0 5 10 20 km
Jupiter Triade capitoline
Arnay-le-DucArnay-le-Duc
Pouilly
Chalmessin
Selongey
Balesme
Apollon DamonaApollon Borvo SironaApollon MoritasgusApollon Vindonnus(Apollon) Grannus
0 10 km
AABAMAVG
DS
MMCMMBL
AABAMAVG
Apollon DamonaApollon Borvo Sirona
DApollon DamonaDApollon Damona
SApollon Borvo SironaSApollon Borvo Sirona
A
AV
AM
G
D D AB
Magny s/T.
A
A Magny s/T.
A
A
A
D
S
21
Les cultes de la cité des Lingons. L’apport des inscriptions
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impérial comme n’importe quel autre, selon la volonté des autorités légales locales de la religion publique. Le fait que ces évolutions soient établies selon des moda-lités régionales, dans le cadre de la civitas, et non par un « pouvoir romain » abstrait me semble évident à l’examen des pratiques formulaires : telle cité recourt à telle formule, telle autre à une autre. Et le culte impérial, bien que souvent associé dans des formes diverses, n’est pas 28 le culte dominant. Pour en revenir à l’épithète Augustus, il faut reconnaître qu’elle n’a connu aucun succès chez les Lingons, ce qui montre sans doute à suf-fi sance qu’elle n’était pas « obligatoire » et que d’autre solutions existaient que la cité pouvait avoir choisies, ou tout simplement le dévot. Seuls Borvo et Damona, dans un seul cas chaque fois, à Bourbonne (c’est-à-dire dans un sanctuaire de confi ns, éventuellement même séquane) sont ainsi qualifi és dans des dédicaces élevées par des citoyens romains. Avec une implication publique diffi -cile à mesurer pour Damona, puisque l’on ne saisit pas, comme nous l’avons déjà souligné, quel objet (sur lequel devait être fi xée la dédicace de bronze) nécessitait l’auto-risation des décurions pour être établi. Et pour Borvo on peut imaginer un lien avec l’élite dirigeante, car le dévot est peut-être fi gé dans l’étape d’accession à la citoyenneté par le biais du droit latin (par exemple par un fi ls magistrat ou un père), puisque sa fi liation est de forme pérégrine. À Langres, des divinités augustes non identifi ées participent sans doute à une offrande [pro salute imp]eratoris, ce qui donnerait à nouveau une dimension particulière à l’attestation, mais le fragment est trop bref pour autoriser de véritables conclusions. Enfi n l’autel (?) de Til-Châtel relève de pratiques différentes, celles de l’armée, puisque le cultor est un soldat : là aussi le doute est permis sur la lecture de l’inscription fragmentaire : ---]AV[---. Dans ces conditions, les lettres isolées de Mâlain et Langres doivent être plutôt rapportées à un autre mot, qu’il s’agisse de la désignation de l’empereur lui-même ou d’un aug(ustalis), ou encore de n’importe quel fragment de mot ou de nom.
En tout état de cause, on constate chez les Lingons un culte impérial limité dans sa pratique visible, ce qui rejoint les remarques qui ont déjà pu être faites pour l’ensemble des Germanies (Scheid 2006a, p. 447). Nous sommes loin de l’idée reçue de l’omniprésence du culte impérial, en particulier dans les sanctuaires du territoire.
Si l’on se porte enfi n sur le territoire des Mandubiens et les sources de la Seine, on constate que la « formule éduenne » connaît, quant à elle, un succès nettement différent : trois ou quatre dédicaces à Sequana sans doute (car les textes sont parfois curieux ou fragmentaires) comportent cette association de l’empereur, et là dans un contexte tout à fait privé car il s’agit deux fois d’ex-voto anatomiques et une fois d’une femme dédiant pro salute nepotis. À Alésia, le site du sanctuaire d’Apollon Moritasgus a livré trois dédicaces de ce type au dieu titulaire et une plaque de plomb offerte à Cybèle : aucune ne semble présenter d’implication publique ; l’une est même assez originale puisqu’elle émane d’un affranchi se déliant de son vœu d’esclave sur un ex-voto qui semble
28. Voir les critiques de Scheid 2004 ; Van Andringa 1999, p. 438.
anatomique. Dans la même région, à Flavigny, Gissey et Aignay, dans des sites peu identifi és archéologiquement, trois dédicaces respectivement à un dieu au nom perdu, à Rosmerta et au couple Mars Cicolluis et Litavis font usage de la même formule. Assurément cette zone géographique pratique plus largement le culte impérial que le territoire lingon, du moins à notre connaissance, et ce dans une formulation qui est adoptée (aussi ?) par la pratique privée. La personne même de l’empereur (sans doute divinisé) 29 ou peut-être plus exactement la fonction impériale (car l’empereur n’est jamais nommé) est associée aux cultes – indigènes ou non dans leur origine et leur nomencla-ture : est-ce vraiment très différent dans sa conception de l’usage de l’épithète Augustus ? Personnellement j’en doute, et l’interprétation que j’en donnerais rejoindrait celle des dieux augustes, simplement dans un choix formulaire différent 30.
Sans conclure encore, il apparaît donc que le territoire attribué aux Mandubiens révèle une pratique épigraphique religieuse qui présente des différences avec le territoire indubitablement lingon. Le cas d’Aignay est intéressant et nous le réexaminerons à propos de Mars.
Les dieux : dénominations, associations, dévots et géographie des cultes
Mars et ses parèdres 31
« Assimilées à leur équivalent romain, les anciennes divinités des peuples gaulois, ou du moins certaines d’entre elles [dont le dieu Mars], se sont affi rmées comme des grands dieux publics, des dii patrii chargés d’une
29. Van Andringa 1999, p. 438 n. 61, fait remarquer que si Augustus est régulièrement associé aux dieux du territoire éduen, « aucune [inscription] ne nous fait connaître le culte d’Auguste seul ». 30. Le raisonnement de Chr. Mermet (1993, p. 134 ; in Deyts 1998, p. 49-50) à propos des graffi tis de dédicace à l’empe-reur ou à la déesse Roma dans le sanctuaire de Limetus à Châteauneuf est curieux : il les considère comme des « hom-mages offi ciels à l’empereur » témoignant d’une « implantation offi cielle de ce culte », parce que « si les graffi ti émanaient de la volonté individuelle de pèlerins de montrer leur penchant particulier pour le culte impérial, il serait logique de retrouver des mentions d’autres cultes également non implantés offi ciel-lement ». Pourquoi faut-il réfl échir en fonction de la notion d’« offi ciel », alors que précisément la modestie des graffi tis indique l’action de personnes privées ? Uniquement, à mon avis, parce que l’auteur pense en termes de contrainte, sous l’infl uence peut-être du christianisme qui a diffusé une image de la religion romaine « imposée », image biaisée qui ne correspond pas aux témoignages de Cicéron (Flac. 67-69), Pline (Ep. 10, 49-50) ou de la loi d’Urso, pour citer les textes les plus signifi catifs. Il me semble que l’on se trouve là dans un cadre épigraphique fort proche dans sa conception, mais avec une formulation à nouveau différente ou qui apparaît comme telle en raison de la découverte de graffi tis.31. Voir tableau III et carte 2.
Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier
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connotation identitaire » (Van Andringa 2002, p. 141). C’est ainsi que l’on peut introduire la construction des nouveaux panthéons autour de figures centrales, propres à chaque cité. Si Mars est très souvent en Gaule recruté pour cette fonction, il n’est pas la seule divinité dans ce cas : on peut retrouver Hercule (Derks 1998, p. 102-118), par exemple, ou Vulcain (Debatty 2006, p. 170-174). Mars était à Rome le dieu de la guerre, chargé de la protection des personnes ou des choses autour desquelles il montait la garde. Ainsi défini, lorsque Mars était choisi comme dieu principal par une civitas, cela indique que celle-ci recherchait non pas un dieu souverain comme l’aurait été Jupiter, mais un mode d’action qui correspondait à l’image que les élites locales souhaitaient véhiculer. Ceux qui l’élisaient se voyaient donc au début de l’empire davantage comme des guerriers que comme des civils. En même temps, Mars renvoie à un contexte structuré, avec des hommes en armes qui se battent collectivement avec un objectif précis et commun à défendre, « bref à un univers doté d’institutions » (Scheid 2006b, p. 37-43).
En province de Germanie supérieure se dessine une topographie civile de Mars bien spécifique (Raepsaet-Charlier 2006a, carte 7) : Lingons, Séquanes, Helvètes, Mayence. Par contre, on remarque une quasi-absence dans le reste des cités, rive gauche et particulièrement rive droite du Rhin, en milieu civil. Certes, Mars y est honoré par l’armée : dans le cadre de cette vénération-là (qui l’associe à Victoria où à Jupiter et Junon), on se trouve bien clairement dans le contexte des célébrations officielles qui relèvent plutôt de l’État romain. Une autre constatation porte sur les types de lieux de culte. Ceux-ci sont d’abord situés dans les chefs-lieux ou à leurs abords immédiats. Ensuite, on repère chez les Séquanes 32 : Villards-d’Héria et Mandeure ; chez les Helvètes 33 : Nonfoux, Bienne et Riaz 34 notamment ; dans le territoire anciennement trévire de Mayence : Pommern 35 et Ober-Olm 36. À chaque fois, les dédicaces se concentrent dans de « grands sanctuaires » qui ne sont ni des villes ni des chefs-lieux mais des sanctuaires publics de cité, foyers des cultes publics et notamment du ou des cultes principaux. À chaque sanctuaire ou presque, « son » dieu avec son épiclèse. Toutes ces informations se croisent pour indiquer une fonction spéciale, civique, du dieu dans les cités de tradition gallo-romaine propre, celtique.
Mars a été reconnu de longue date comme le dieu poliade 37 des Lingons. Il est donc impératif de lui accorder la première place dans notre investigation. L’inscription de Xanten où des Lingones installés sur le Rhin célèbrent le dieu de leurs origines indique que le dieu Mars installé dans le culte public de la civitas est Mars Cicolluis, dans un processus d’interpretatio Romana : ainsi le grand dieu
32. Cf. Van Andringa 2006b.33. Cf. Van Andringa 2002, p. 272-276.34. Spickermann 2003, p. 109-110.35. Spickermann 2003, p. 79-83.36. Spickermann 2003, p. 83-85.37. Sur les cultes poliades gallo-romains et la place de Mars dans cette fonction, on verra notamment Van Andringa 2002, p. 141-153.
indigène a été assimilé dans la cité gallo-romaine par les autorités locales, en sauvegardant ses qualités ancestrales. C’est une procédure officielle validée institutionnellement et non, comme on le croit parfois, une transformation progressive au fil du temps selon les hasards de l’imagi-nation des dévots (Gschaid, 1994a, p. 159-161 ; 1994b, p. 454). La modification du statut urbain induit assurément une révision des choix, des fêtes et des pratiques, mais toujours de manière officielle. Ce n’est pas le lieu pour entreprendre une analyse approfondie de ce phénomène essentiel à la compréhension de la religion en Gaule romaine, mais il n’est pas inutile de rappeler au passage que ce n’est ni une fusion, ni un syncrétisme, ni un simple habillage : « ces dieux ont changé de nom et d’identité 38 ». En paraphrasant ce que l’on a pu écrire à propos de Mercure dans un autre cas, Mars a pris la place d’un dieu local, mais une fois la naturalisation faite, celui-ci est devenu Mars. Un phénomène parfaitement admis dans le polythéisme gréco-romain et qui, une fois compris des exégètes modernes, met fin (ou devrait mettre fin) une fois pour toutes à de spécieuses divisions des panthéons gallo-romains en dieux « romains » et dieux « indigènes » 39. Mars Cicolluis n’est ni gaulois ni romain ; il est lingon, ce que confirme son usage exclusif par des Lingons 40. Mais, soyons précis, lingon au sens institutionnel et géo-graphique du terme pendant l’époque romaine, à savoir « propre à la civitas/colonia Lingonum ». Ce qui n’exclut pas évidemment la possibilité que soient honorés aussi dans le territoire provincial des dieux strictement romains et propres à la cité de Rome, par des Romains d’Italie, par des fonctionnaires ou des magistrats, par des soldats, mais aussi par des provinciaux qui choisissaient cette dévotion.
L’assimilation de Cicolluis à Mars a dû avoir lieu dès la constitution de la cité augustéenne, puisque c’est ce dieu qui est honoré par les cives Lingonum sur le Rhin sous Néron. Elle a été particulièrement réfléchie et effi-cace : ainsi le dieu ne dispose pas de temple et peut-être n’était même pas honoré dans le chef-lieu 41. Comme on a pu le rappeler à propos de l’exemple du sanctuaire de Lenus Mars à côté de Trèves, le temple de Mars doit être extérieur. Le Champ de Mars est en dehors du pomerium de Rome. Précisément, un grand sanctuaire de Mars et Bellone a été retrouvé immédiatement au sud de Langres, à la limite des communes de Bourg et Saints-Geosmes (CAG 52/1, p. 138-139, 301). Comme les Trévires, les Lingons « n’étaient pas ignorants des institutions et de
38. Van Andringa 2006a, p. 229.39. Recherche qui fonde toute l’étude de Leunissen 1985.40. Jufer et Luginbühl 2001, p. 34.41. Il n’est pas exclu que l’inscription CIL XIII 5669 soit une dédicace à Mars, mais le fragment ne permet aucune conclusion sûre : en tout cas il n’y est certainement pas question de Jupiter (il faut adopter la lecture Drioux 1934, n° 256). Une interpré-tation profane de ce fragment serait sans doute préférable. La présence d’une statue de Mars (CAG 52/2, p. 66) n’est pas non plus un indice, car elle a pu orner n’importe quel monument public, profane ou religieux, et représenter le dieu poliade sans être une statue de culte (lire les réflexions méthodologiques d’Estienne 1997).
Les cultes de la cité des Lingons. L’apport des inscriptions
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la culture romaines : en distinguant le rôle et la figure de Mars par rapport à d’autres dieux du panthéon romain, ils trahissent leur connaissance de la théologie et de la religion romaines. En construisant le temple [de Mars] aux portes de la ville, ils appliquent apparemment la règle religieuse romaine. Ils laissent un indice de la création consciente d’un panthéon et d’une religion [lingons] 42 ». Et, comme les Trévires toujours, qui honoraient un Mars Victor Augustus (CIL XIII 3655), du point de vue strictement romain, en tant que citoyens d’une colonie, les Lingons, qui étaient aussi dotés d’un rang colonial (romain ou latin), honoraient en parallèle Mars et Bellone d’une part, dans le temple suburbain de la capitale, Mars Cicolluis et Litavis, d’autre part, dans le sanctuaire du territoire, Mâlain (CAG 21/2, p. 457-495 ; Spickermann 2003, p. 67-69). L’identité conceptuelle du couple divin dans ses deux dénominations est peut-être révélée par la dédicace au couple « mixte » Cicolluis et Bellone, à Mâlain toujours. La présence aux côtés de Mars d’une figure divine guerrière que Tite-Live (8, 9, 6) mentionnait déjà à propos de P. Decius Mus, ou qui reçut un temple de la part d’Ap. Claudius Caecus en 296 (Tite-Live 10, 19, 17 ; Ovide, Fast. 6, 199-208), renvoie à une religion romaine bien classique, bien comprise des élites locales sans qu’il soit besoin d’un rapprochement avec Cybèle 43. On retrouve le même couple dans la cité voisine, celle des Séquanes, où Mars Auguste et Bellone sont honorés au sanctuaire public du territoire à Villards-d’Héria, dans un site qui paraît témoigner d’une assimilation d’un dieu indigène 44. On sait par ailleurs que Mars Segomo repré-sentait sans doute cette spécificité séquane 45.
Sur le reste du territoire, une seule trace du dieu poliade à Dijon. Les inscriptions d’Aignay et de Mutigney doivent particulièrement attirer notre attention. Celle d’Aignay, à la limite du territoire probable du pagus mandubien, combine les dieux lingons et la formule éduenne ; celle de Mutigney provient sans doute d’un grand sanctuaire de confins où le dédicant, notable lingon, a précisé sa citoyenneté. Ces deux monuments me semblent exactement témoigner de la structuration du territoire par la religion et de la manière dont les peuples gaulois 46, puis les cités gallo-romaines – autant que grecques 47 – le marquent et le dessinent par leurs lieux de culte, surtout lorsqu’il s’agit du grand dieu du culte public de la cité. L’inscription de Dammartin, issue du même sanctuaire de la frontière séquane, associe Mars et Litavis, confirmant ainsi la mainmise lingonne ou couplée séquane/lingonne sur le lieu de culte, mais l’épi-thète de Mars MENOBIS est étonnante et inconnue. Elle
42. Scheid 2006b, p. 43.43. Gschaid 1994a, p. 165-167 ; 1994b, p. 367.44. Cf. Van Andringa 2006b.45. Cf. CIL XIII 1675 et 5340 ; mais il était aussi honoré chez les Éduens (CIL XIII 2846 et AE 1994, 1224 = 2001, 1384) ; je laisse de côté CIL XIII 2532 qui pose la question de l’apparte-nance administrative de cette région « ambarre ». L’inscription de Cimiez CIL V 7868 pose problème : est-ce une forme locale du nom ou une pierre incomplète ?46. Fichtl 1994, p. 24-41 ; 2004, p. 66-69.47. Gillot 2006.
témoigne peut-être d’une interpretatio locale qui deman-derait confirmation. À Alésia, en revanche, on trouve Mars et Bellone sans particularité lingonne.
Il faut encore noter que la dédicace à Mars et Bellone et autres dieux des Saints-Geosmes présente une ori-ginalité qui la rapproche d’Alésia : si les restitutions 48 sont correctes, le dédicant serait un affranchi du célèbre Ti. Claudius Professus Niger, connu à Alésia pour sa carrière de magistrat des deux cités éduenne et lingonne mais aussi par son offrande d’un portique à Apollon Moritasgus, dont nous reparlerons. Un lien semble donc établi entre les deux sanctuaires, entre deux grandes divi-nités, entre un chef-lieu de cité et le siège d’un pagus. Ces données intriquées demandent une explication que nous ne sommes peut-être pas en mesure de fournir.
Enfin, les dédicants 49 de ces inscriptions sont tous des civils, des hommes. Treize personnes au total (compte non tenu des cives de Xanten) : 6 citoyens romains (dont 1 affranchi), 6 pérégrins, 1 possible esclave ; tous ont des dénominations latines majoritaires, seuls quatre éléments en tout sont celtiques.
Triade capitoline 50
Jupiter est le dieu municipal par excellence, géné-ralement très représenté dans les cités gallo-romaines (Van Andringa 2002, p. 190), et le culte de la triade capi-toline est obligatoire dans les colonies. Pourtant, chez les Lingons, nous en trouvons peu d’attestations et aucune que l’on puisse clairement identifier à des pratiques publiques. Les défauts de notre documentation sont ici patents car la triade en tant que telle n’est l’objet d’aucune dédicace conservée, si ce n’est de manière très fragmentaire à Alésia. C’est le relief présentant les trois divinités qui permet d’af-firmer qu’il ne s’agit pas de Jupiter seul. Jupiter seul (IOM) est honoré dans le chef-lieu, mais nous n’avons conservé que des fragments, le dédicant est perdu. L’image de Ganymède qui l’accompagne indique peut-être une forme romaine de sa conception, mais trop d’éléments manquent pour assurer une description et une interprétation significa-tives. Les associations que l’on rencontre ailleurs ne sont pas celles de la triade, ni même Junon (qui ne reçoit aucune dédicace spécifique). À Dijon, on trouve avec Jupiter la domus divina, et trois fois, dans un contexte identique de la sauvegarde du patron, la Fortuna Redux qui devait lui assurer un retour favorable. Les dédicants sont directe-ment liés au bénéficiaire : deux collèges professionnels et un esclave préposé (actor). En outre, le pagus intervient en tant que lieu d’installation ou en tant qu’autorité per-mettant l’installation du monument. L’ensemble est assez curieux et il est particulièrement dommage de n’avoir pas conservé matériellement ces autels. Quant à la dédicace de Pontailler, elle relève d’une autre problématique, celle des cultes militaires, puisque le dévot est un soldat, qui, comme souvent, s’adresse aussi au génie du lieu.
48. Le Bohec et Sapin 1996, p. 61-64.49. Pour le détail des dévots, on se reportera à Raepsaet-Charlier 2006a, p. 352-378.50. Voir tableau IV et carte 3.
Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier
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87
Seine Marne Meuse
Saône
Doubs
Armançon
Arroux
Arnay-le-Duc
Borvo
Damona
Magny L.
Vitrey
Lux
Balesme
Chalmessin
Selongey
Pouilly
Arnay-le-Duc
Mont-St-Jean
Essarois
Arnay-le-Duc
Dampierre
Gissey
Mont-St-Jean
?
0 5 10 20 km
0 5 10 20 km
cours d’eau
principales sources
Beire
0 5 10 20 km
Mercure Maia
Rosmerta
Gissey
Mont-St-Jean
Lux
Balesme
0 5 10 20 km
Matres et Mairae
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Les cultes de la cité des Lingons. L’apport des inscriptions
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Le pagus mandubien pourrait avoir connu encore deux autres dédicaces, mais les textes sont incertains : libera-litatem statuam Iovis n’éclaire pas sur le contexte d’une statue qui pourrait n’être que décorative, même dans un sanctuaire, et le texte d’Arnay est très douteux en ce qui concerne l’identifi cation de la divinité honorée.
Un monument mis au jour à Tonnerre (CAG 89/2, p. 742) montre toutefois que notre perception de Jupiter est très incomplète, à la fois en quantité et en distribution : une colonne à l’anguipède atteste ainsi assurément une dévotion à Jupiter dans une zone de la cité totalement vide d’inscriptions religieuses. Il faudrait approfondir : d’autres de ces colonnes sont conservées dans des sites religieux repérés, comme Bourbonne ou Andelot (Spickermann 2003, p. 411) ; en outre, elles indiquent une forme inter-prétée de Jupiter (Woolf 2001) qui ne se superpose pas toujours à la triade capitoline.
Quant à Minerve, elle connaît un certain succès : 4/5 monuments sur le territoire, en compagnie de la Marne à Balesmes (sans doute ?), à Chalmessin dans un contexte imprécis, et à Selongey, dans ce qui pourrait être une chapelle de villa (CAG 21/3, p. 189-190) ; à Pouilly-en-Auxois ; sur le site du sanctuaire de Mirebeau (CAG 21/2, p. 554-555), dont le titulaire n’est pas connu, c’est un ex-voto anatomique (yeux) qui lui est dédié. L’ensemble paraît relever de la pratique privée (deux statues, deux pérégrins), mais les attestations sont sou-vent fragmentaires. On peut se demander s’il s’agit de la Minerve importée dans la triade ou plutôt d’une déesse locale assimilée (Van Andringa 2002, p. 139).
Apollon 51
Après Mars, c’est sans doute Apollon – en plusieurs assimilations originales – qui apparaît comme un dieu important dans le pays lingon et mandubien. Apollon, dieu de la mise en ordre, des prophéties et dieu-médecin, est tout d’abord honoré en tant que tel, sans interpretatio apparente, au chef-lieu. Une femme seule, porteuse du gentilice Iulia qui en fait (peut-être ? assurément ?) un membre de l’élite ancienne de la cité, fi lle d’un indigène 52 au nom celtique très archaïque, offre ce monument au texte sobre et peu abrégé qui laisse penser à une date haute dans le Ier siècle, donc à l’époque pré-coloniale. Mais cette découverte du XVIIe siècle n’est pas conservée et sa datation reste fragile. C’est la seule mention à Langres, et on peut penser que le dieu était honoré au titre de dieu « romain » ou que le dieu romain faisait la synthèse des assimilations du territoire.
Ce sont deux sanctuaires surtout qui témoignent des Apollons lingons. Essarois, en plein centre de la civitas, constitue un exemple de sanctuaire important (au moins deux temples ; Spickermann 2003, p. 63-65), peut-être public, mais les attestations sont privées et la présence d’ex-voto anatomiques sur le site (CAG 21/2, p. 314-319) suggère la fonction guérisseuse de Vindonnus : un seul d’entre eux pourtant lui est directement adressé. On peut aussi envisager une autre fonction : celle de la protection des enfants au moment du passage des classes d’âge, comme T. Derks l’a proposé (Derks 2006, part. fi g. 6). Dans un cas Vindonnus est associé à des Fontes. Apollon est un dieu romain dont les connivences avec l’eau et la médecine peuvent avoir conduit à une assimilation pen-sée et conforme aux schémas romains. Aucune parèdre n’est connue. Parmi les dévots aux noms surtout latins, on notera la présence de deux femmes de statut pérégrin.
Bourbonne constituait l’autre pôle, mais la dénomi-nation explicitement apollinienne de Borvo est unique. Sur ce site, connu pour ses eaux thermales et ses thermes grandioses (qui contenaient peut-être le temple non spé-cifi quement reconnu), le culte de Borvo et Damona est fermement implanté. Pas moins de 11 inscriptions assurées leur sont adressées, en couple pour la grande majorité. Les dédicants sont civils, hommes et femmes, et les nomen-clatures latines présentent souvent un élément celtique : le nombre de femmes est toutefois nettement plus important que la moyenne habituelle (6) et les citoyens sont plus nombreux que les pérégrins. On notera particulièrement une femme de statut pérégrin sans doute, qui était soit d’origine médiomatrique, soit médecin (Rémy 2010, III, qui remarque que l’abréviation va dans ce sens), à moins qu’elle ne fût citoyenne et que les lettres MED aient fait partie de son surnom : cela paraît cependant peu probable. Un Viennois (Rémy et Kayser 2005, XCVII) doit être
51. Voir tableaux VI et VII ; cartes 4 et 5.52. On peut s’interroger sur le statut de ce père. Il est cité par un nom unique : est-ce son idionyme de pérégrin ou son surnom de citoyen ? Les élites avaient tendance à donner une fi liation plus ou moins développée, qui peut prêter à confusion : sur cette question, voir Dondin-Payre 2001, p. 214-217.
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reconnu également parmi les dévots de l’ensemble ther-mal, mais la divinité qu’il honore est perdue. Ils seraient donc peut-être deux à être venus prendre les eaux loin de leur civitas. Une autre dédicace retient l’attention : inscrite sur une plaquette de bronze elle est offerte par une femme citoyenne accompagnée de son fils. La mention de l’auto-risation des décurions pour le lieu d’installation indique que cet endroit relevait du domaine public : on doit regret-ter de ne savoir avec précision ni où il se situait ni de quel monument ou objet il pouvait s’agir. Borvo et Damona sont les seuls dieux à recevoir l’épithète Augustus et quatre dévots précisent qu’ils sont lingons. Nous devons garder à l’esprit que nous sommes au mieux dans un sanc-tuaire de confins, mais qu’il n’est pas exclu que le site se trouve hors de la cité des Lingons car ces deux caractères sont originaux. En outre, comme Vindonnus d’ailleurs, Borvo et Damona ne sont pas représentés dans le chef-lieu 53. Peut-être était-ce une volonté des autorités locales de préférer dans la capitale la célébration du dieu romain, plus fédérateur que des dieux qui étaient peut-être perçus comme des numina de portions du territoire ?
Apollon en tant que dieu local apparaît aussi dans le sanctuaire monumental d’Alésia : il est là assimilé à Moritasgus, dont le nom est exclusivement réservé à ce site. Il a reçu sept ou huit dédicaces au total. Les dévots sont peu identifiés : un pérégrin assuré, un pérégrin pos-sible et trois citoyens dont deux affranchis. Apollon est une seule fois associé à Damona, ce qui, en quelque sorte, confirme l’identification de Borvo et d’Apollon mais surtout assied la transformation définitive et complète des dieux autrefois indigènes : Moritasgus est devenu Apollon et peut donc assumer la parèdre de Borvo. Revenons à Damona, associée ensuite à un dieu inconnu par ailleurs, Albius, sur le site de Chassenay à Arnay-le-Duc (CAG 21/2, p. 27), dans le territoire mandubien, un possible lieu de culte construit. La dédicace est gravée sur une pièce intéressante, une aiguière en bronze, qui présente la « formule éduenne » de rapprochement avec le culte impérial et qui, en outre, offre la particularité unique dans notre dossier d’avoir été dédiée ex iussu. Peut-être un autre fragment associe-t-il Apollon à une parèdre (Diane ou Sirona ?) sans que l’on puisse en dire davantage. Les cultores d’Alésia que l’on peut identifier sont civils, des hommes, pérégrins ou citoyens sans particularité notoire sinon qu’un affranchi, qui exécute le vœu qu’il a formé quand il était esclave, figure parmi eux, ce qui est relati-vement rare dans la documentation.
Dans ou à la limite du territoire mandubien, à Mont-Saint-Jean (CAG 21/2, p. 583), une dédicace qui demanderait sans doute révision (le dédicant serait un pérégrin au nom étrange) paraît avoir été adressée à Mercure et Apollon, ce qui est une association inhabituelle dans l’empire, sauf en Germanie supérieure (CIL XIII 5366, 5366a, 5374, 5992 ; AE 2005, 1106), en particu-lier chez les Séquanes (ou leurs voisins les Ambarres, CIL XIII 2579), en Germanie inférieure (ILB 139) ou en
53. J’ai les plus grands doutes sur l’identification de Borvo dans un minime fragment de Langres, identification présentée d’ailleurs sans conviction dans ILLingons et absente de l’index.
Belgique (AE 2002, 1023) : ce site sans définition archéo-logique claire semble donc plus apparenté aux régions orientales.
Apollon a peut-être connu encore deux autres dédicaces dans la cité des Lingons, mais ce sont des cas particuliers : à Magny-sur-Tille, une inscription sur un relief peu carac-téristique a été lue Deo Apollini. Actuellement elle est illisible au point que l’on pense qu’elle n’a jamais existé (CAG 21/2, p. 448). Le site a donné plutôt des indices matériels du culte de Mercure, mais l’un n’exclut pas l’autre. À Andelot, au lieu-dit Montéclair (CAG 52/1, p. 98), un petit établissement romain (temple ?) à proxi-mité d’une source a livré une colonne à quatre dieux et un fragment inscrit avec les restes d’une dédicace pro salute fili, dont l’intérêt réside surtout dans la mention de stipes. Drioux (1934, p. 67 n° 211) a proposé de lire une mention d’Apollon, sans doute par rapprochement avec l’idée d’un dieu supposé « guérisseur », mais le fait est très hypothétique.
Parmi les nombreuses statuettes de bronze dont la signification proprement religieuse est souvent douteuse, on retiendra celle du couple identifié comme Apollon et Sirona à Mâlain : leur inscription uniquement nominative n’établit pas une valeur votive et la trouvaille n’a pas été effectuée sur le site propre d’un temple. La présence d’un sanctuaire dans l’agglomération n’exclut nullement que ces statuettes proviennent du laraire d’une maison privée 54 : dans ce cas nous aurions un indice de culte familial, intéressant certes, mais différent de l’identifica-tion des titulaires des temples. Cette remarque devra être reportée à chaque description de statuette.
On complétera à Grand la revue du culte d’Apollon par des dévots lingons : le grand sanctuaire des Leuques, proche de la frontière, a en effet livré une dédicace frag-mentaire à Grannus, dans le texte de laquelle on reconnaît le terme Lingon qui qualifie, à n’en pas douter, le cultor.
Mercure et ses parèdres 55
Protecteur des échanges, des passages, des voyages, du commerce, Mercure (Van Andringa 2002, p. 135-137) est honoré partout dans la province de Germanie supérieure. Une topographie spécifique se dessine pourtant (Raepsaet-Charlier 2006a, carte 10) : la plus grande concentration des dédicaces se rencontre en région rhénane, là où la vie économique est la plus active et la plus florissante. Dans la cité des Lingons, Mercure reçoit des offrandes (19 ins-criptions compte tenu des parèdres) réparties sur une large partie du territoire, en particulier dans le chef-lieu et dans un sanctuaire spécifique, voire deux. À Langres, les trois dédicaces sont différentes : deux fragments d’un monu-ment sans doute plus important mentionnent Mercure seul sans épithète et un cultor, Cocus filius, bien imprécis. Une
54. Cf., pour un exemple concret, le laraire de la villa de Vallon (Agustoni 2009, p. 9-15). Je n’entrerai pas ici dans toutes les distinctions possibles que l’on peut établir entre les différents lieux de culte domestiques où étaient conservées des statuettes : voir e.g. Laforge 2009, p. 80-82.55. Voir tableau V et carte 6.
Les cultes de la cité des Lingons. L’apport des inscriptions
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stèle mise au jour au xviie siècle et partiellement conservée aujourd’hui associe Mercure Moccus et la domus divina. Les dévots sont deux citoyens romains, mère et fils, dotés de noms latinisés mais indigènes dans leurs racines. Un monument sculpté portant la représentation du couple Mercure et Rosmerta bien identifiés a été élevé par un pérégrin au nom celtique, sans doute à la fin du iie siècle. Ainsi plusieurs formes du dieu sont attestées : seul, en couple, interprété, et les dédicants sont des indigènes plus ou moins romanisés. Moccus est une épiclèse celtique unique, la seule portée par Mercure dans notre dossier. Aucune formulation particulière ne peut révéler d’autre donnée rituelle que le vœu.
À Dampierre, un sanctuaire localisé sur la grande chaussée de Langres à Toul et Metz, à proximité d’une station du cursus publicus, lui était consacré, qui a livré plusieurs constructions et des statues : aucune inter-pretatio, et cette fois Maia comme parèdre (une seule fois mentionnée, la seule de tout le dossier, mais on la retrouve sur le Rhin, notamment chez les Némètes et les Triboques). Cinq inscriptions ont été découvertes, qui émanent d’hommes, pérégrins ou citoyens. On relèvera un pérégrin sagarius (au nom illisible) et un citoyen qui semble avoir changé de nom au passage à la citoyenneté, en ce sens qu’il n’aurait pas conservé son idionyme de pérégrin comme surnom : fait unique et peu explicable (C. Antonius retro Segomarus Liberaris). Dans deux cas, le dévot ne semble pas mentionné, la statue du couple Mercure/Maia étant simplement votive et Mercure seul sur un autel.
L’autre sanctuaire est plus petit, avec deux temples (?), éventuellement lié à la grande villa proche, à moins qu’il ne s’agisse d’un site routier (CAG 21/2, p. 437-438 ; Spickermann 2003, p. 177-178) : Lux se trouve en effet sur une route secondaire entre Mirebeau et Til-Châtel, dans une région sous influence militaire. Par ailleurs, un des autels représente un cisium, témoignage explicite des fonctions du dieu ou des préoccupations du dévot, qui est une femme en l’occurrence. Les images sculptées sur les autels votifs n’illustrent pas exclusivement les caractéris-tiques ou les fonctions divines de manière directe. Ainsi à Colijnsplaat, au sanctuaire de Nehalennia, la déesse est souvent dotée d’un navire maritime qui évoque à la fois la traversée de la mer du Nord et le passage dans l’au-delà. Mais l’autel peut aussi recevoir des images des métiers des dévots, comme cette barque fluviale remplie de tonneaux (Stuart et Bogaers 2001, A8). Les quatre dédicants de ces deux autels de Lux sont des pérégrins au nom celtique bien spécifique ; ceci donne à penser à un contexte agricole, ce qui pourrait rappeler que les produits doivent être transportés, commercialisés, et que Mercure convient très bien à ce type de protection. Il faut donc peut-être envisager un lieu de culte routier installé par les propriétaires d’une villa. On s’interrogera au passage sur le toponyme : Lux ne renvoie pas au dieu Lug mais bien à un lucus. Non loin de là, le sanctuaire de La Fenotte à Mirebeau a livré un fragment d’autel inscrit peut-être consacré à Mercure, mais cela reste très incertain. Plus consistants sont les témoignages de Dijon, mais les trois
monuments présentent aussi des incertitudes : l’un, offert par un citoyen aux tria nomina latins (gentilice patro-nymique), est trop incomplet pour donner une idée du contexte (on a songé à un soldat), les deux autres sont peut-être dus à des pérégrins mais les nomenclatures sont partielles.
Mercure est encore assurément honoré en deux endroits : à Mâlain, un petit fragment semble attester ce culte supplémentaire. Le nombre de temples archéologi-quement retrouvés justifie en effet un panthéon assez riche et Mâlain est établi sur la route Dijon/Autun. Le dédicant pourrait être un aug(ustalis). À Vitrey (CAG 70, p. 438), sur la route de Langres à Port-sur-Saône, un bloc de grès appartenant à un autel ou une statue indique une chapelle routière : Saturninus fils de Vegetus l’a dédié à Mercure en exécution de son vœu. Dans le territoire mandubien, Mercure est également présent, bien qu’il n’apparaisse pas actuellement à Alésia sous forme épigraphique : on remarquera qu’il est alors associé à Rosmerta, que nous avions citée à Langres. Ainsi à Magny-Lambert, en limite nord, sur la route d’Alésia (et donc d’Autun) vers le mont Lassois et Troyes, un pérégrin sans doute, fils d’un personnage au nom celtique, honore le couple sur un linteau portant la sculpture des jours de la semaine, dans un site sans contexte archéologique reconnu. À Gissey-le-Vieil, Rosmerta est associée à « Auguste » dans la formule éduenne et reçoit la dédicace votive d’un couple de citoyens, Gnaeus Cominius Candidus et Apronia Avitilla. Cet autel, mentionné au xviiie siècle dans le jardin du château, ne semble pas appartenir à un site particulier (CAG 21/2, p. 389) et pourrait avoir été élevé dans une villa. Mais sa situation sur la route Autun/Alésia n’est pas neutre, d’autant que le site de Mont-Saint-Jean (déjà évoqué pour Apollon puisque les deux divinités sont associées sur ce monument) se trouve immédiatement au sud sur la même route.
Les dévots sont donc très variés, surtout des hommes toutefois, et de statut également variable. En revanche, la carte des situations est sans équivoque : Mercure est bien le dieu des échanges et des passages, qui se rencontre prioritairement sur les routes (Scheid 1991, p. 52 pour les Trévires).
Les sources fluviales 56
Le plateau de Langres et les pays lingon et mandubien sont, géographiquement parlant, des sites exceptionnels : là se divisent les grands versants des bassins de la mer du Nord et de la Méditerranée. Cette crête de partage des eaux est particulièrement riche en sources. Deux grands fleuves au moins, la Marne et la Seine, y sont donc célébrés pour leur source, la Meuse n’ayant pas (encore ?) cet honneur. D’autres rivières, résurgences, sources et geysers ont égale-ment connu des lieux de culte parfois dotés d’inscriptions : Bourbonne, que nous avons citée pour Borvo, Essarois et les Fontes, Essey aux sources de l’Armançon ou le petit temple de la forêt de Corgebin, dont nous reparlerons. À Bourbonne, les autels et offrandes ont été trouvés en
56. Voir tableau VIII et carte 7.
Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier
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abondance dans les thermes monumentaux installés sur la source, à proximité immédiate du site religieux (CAG 52/1, p. 127-138). À Essey, un « fanum » est donné comme situé sur les sources, mais il n’est reconnu que par photo-graphies aériennes (CAG 21/2, p. 319). Des découvertes variées et assez riches indiquent un lieu de culte dont la fonction proprement liée aux eaux demande confirmation. L’existence à cet endroit de la source de l’Armançon, affluent important de l’Yonne (qui nourrit aujourd’hui le canal de Bourgogne), pourrait constituer un indice déter-minant, mais la topographie est encore imprécise.
Quelle que soit la prudence avec laquelle il convient de manier le concept de temple « des eaux » ou de sanctuaire « de source » (Cazanove et Scheid 2003), notions qui ont été galvaudées dès qu’un peu d’eau coule à proximité d’un lieu de culte, il faut reconnaître aussi de véritables installations religieuses dont la source constitue la clef. Les dédicaces religieuses elles-mêmes et/ou l’organisation des monuments à Balesmes et à Saint-Germain-Source-Seine sont explicites. Dans le premier cas, La Marnotte, nous nous trouvons aux sources de la Marne (Matrona), immé-diatement au sud de Langres. Le temple lui-même n’a pas été découvert mais uniquement des thermes. Il n’y a toutefois pas d’hésitation à concevoir, puisque la dédicace à Matrona d’une maceries caementicia circa hoc templum implique bien le caractère sacré du site et que la pierre a été mise au jour sur un canal qui conduisait l’eau de la source dans les bains. C’est un « simple » pérégrin qui offre cette construction de sua pecunia et ex voto suscepto, et ce texte implique une monumentalisation du site. Une dédicace à Minerve a également été découverte sur le site.
Le culte de Sequana était beaucoup plus développé, dans un sanctuaire monumental bien connu articulé sur la source (Spickermann 2003, p. 65-66 ; CAG 21/2, p. 122-139). La présence d’un cursus honorum mention-nant au moins une fonction de sacerdos Augusti invite à considérer que nous avons affaire à un site sacré du culte public, malheureusement impossible à lier claire-ment à une pratique précise. Un ensemble considérable d’ex-voto, anatomiques pour la plupart, en bois (Deyts 1983), en pierre ou en bronze (Deyts 1994), constitue une moisson très intéressante sur le plan artistique et témoigne d’une fréquentation individuelle massive. Un nombre appréciable d’inscriptions (14) nous renseignent sur les pratiques religieuses : 9 au moins nomment la déesse, parfois avec des orthographes maladroites. Le culte semble pratiqué surtout par des personnes privées, modestes, sans doute aussi illettrées (comme semble l’indiquer la grande masse des ex-voto anépigraphes) ; l’association d’« Auguste », fréquente, est parfois même présentée d’une façon peu compréhensible. C’est avec l’actor de Dijon, mais très différemment, le seul cas d’esclave 57 parmi les dévots lingons : Hilariclus a offert un autel, retrouvé à Salmaise mais provenant assurément du site de la source, pro Hilariano filio, information intéressante pour une rare famille servile. Flavia Flavilla (selon la lecture de Deyts 1994, p. 55, 3) a fait de même pro salute nepotis. Sur un ex-voto de bronze représentant
57. À Alésia un autre esclave et un esclave devenu affranchi.
des seins, Sienulla Vectii filia (AE 1969/70, 397a : lecture à reprendre contra ILLingons M8) a offert sa dédicace, et d’autres femmes, plus nombreuses que sur d’autres sites, apparaissent encore : Mariola (le reste de la lecture est problématique), Clementia Montiola (sur un anneau d’or), une [-]ni filia anonyme et une Matta sur une feuille de bronze (yeux). On citera encore deux jambes votives sans nom explicite, ainsi qu’un « buste féminin » dont le texte est fort peu clair et qui pourrait avoir présenté la formule exceptionnelle ex monitu. Le vase de Rufus contenait 120 plaquettes votives et un autre vase rempli de monnaies (CAG 21/2, fig. 241). La relative proximité d’Alésia semble bien indiquer l’appartenance des sources au pagus des Mandubiens, ce que l’usage de la « formule éduenne » confirme.
Malgré le caractère très différent du site et du temple, il peut être intéressant de joindre ici l’examen de la petite chapelle installée sur une résurgence en forme de geyser qui remonte d’un « gouffre », découverte à Brottes dans la forêt de Corgebin (CAG 52/1, p. 143). Ont également été mis au jour des ex-voto anatomiques, des monnaies, une statue féminine, d’autres sculptures et un autel votif dont le dédicant est un pérégrin au nom celtique : Magiaxu(s) Oxtaeoi f. L’offrande s’adresse à une déesse Atesmerta, unique. Ce nom évoque d’autres épiclèses : un Apollon Atesmertis, tout aussi rare, au Mans (AE 1984, 641) ; un Apollon Smerturix (même racine celtique) à Jupille (sur un bassin : AE 2006, 842). Tout cela ramène la réflexion sur Apollon, l’eau et peut-être la fonction médicale.
Autres divinités 58
Les Mères (et Mairae), Epona, Fortuna, Victoriaet les divinités des carrefoursEst-il pertinent de réunir ces cultes de divinités
féminines ? Il existe dans notre documentation des points communs dans leur vénération. Peut-être sont-ils circonstanciels ?
À la différence de la Germanie inférieure où les Mères et Matrones représentent un culte majeur qui a même intégré le culte public de la colonie de Cologne (Scheid 2006a, p. 446-447), les Matres sont particulièrement peu représentées en Germanie supérieure (Raepsaet-Charlier 2001, p. 150-151). Aucune forme comparable au déve-loppement ubien n’est perceptible. En pays lingon en particulier (carte 8), les Matres (Matrae) n’ont aucun nom propre ou qualification géographique connue. Elles sont honorées dans le chef-lieu (notamment pro filia), où l’on envisage qu’une chapelle leur ait été dédiée (CAG 52/1, p. 71-72), et elles semblent aussi avoir bénéficié d’un sanctuaire sur le territoire : le temple de Beire est situé à un carrefour où deux dédicaces doivent être rapprochées (CAG 21/2, p. 60-66). Ianuaria était-elle perçue comme une des « mères » ? Sa statue, si c’est bien elle qui est représentée, tient une syrinx, représentation plutôt rare. Si l’on considère que les Mairae sont une forme de nom celtique pour les mêmes divinités, on en rapprochera leur culte peu diffusé (carte 8) : elles ne sont en effet connues
58. Voir tableau VIII et cartes 8-9.
Les cultes de la cité des Lingons. L’apport des inscriptions
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que dans la seule région de Dijon (est-ce celle du pagus Andomus ?) et à Belley, dans le territoire des supposés Ambarres (CIL XIII 2498). À Dijon et à Til-Châtel (CAG 21/3, p. 217), où les dévots sont des soldats qui leur associent la domus divina – et dans un cas en outre Epona et le génie du lieu, témoignage d’un polythéisme bien connu des militaires, regroupant des dieux romains du panthéon officiel et des divinités locales. Si l’on reste à Til-Châtel, un immunis du gouverneur honore en 226 la domus divina et les divinités qui protègent les carrefours, dévotion également fréquente des soldats qui circulent et assurent la sécurité des routes. Malgré la grande impor-tance des chaussées impériales qui marquent la cité, on notera que ces divinités ne connaissent pas d’autre offrande et que le génie du lieu, qui partage souvent cette fonction chez les beneficiarii, est également très peu représenté : ici avec les Mairae (un librarius) et à Pontailler avec Jupiter (un bf cos) : chaque fois des étapes routières. On pourrait penser que Victoria, officielle parèdre de Mars dans les cadres de l’armée, connaissait aussi des offrandes. Elle n’apparaît pas dans la cité et la seule mention se retrouve à Alésia, avec un dévot esclave sans aucune connotation militaire. La découverte est ancienne, l’autel à quatre faces est perdu et on peut se demander sans doute si le texte réparti en plusieurs élé-ments a été bien compris (cf. CAG 21/1, p. 426). Quant à Fortuna (carte 9), elle aussi caractéristique des Germanies et des dévotions militaires (Raepsaet-Charlier 2001, p. 147), c’est à Dijon qu’on la rencontre. Avec la fonction spécifique de Redux, elle semble bien liée à un contexte particulier, puisque les trois dédicaces sont offertes pro salute itu et reditu du même patron de corporation, ce qui ne la rattache pas au corpus classique de ses offrandes (Kajanto 1988). Mais elle apparaît aussi à Vertault, où elle représente la seule divinité individualisée : incomplet, le texte très maladroitement gravé sur une sorte de chapiteau trouvé dans les thermes mentionne un don (donavit). Et à Mâlain, c’est une fois encore une simple statuette de bronze dénommée.
Hercule Un mot du culte d’Hercule, assez bien représenté dans
la province de Germanie supérieure (Raepsaet-Charlier 2001, p. 147-148) mais surtout honoré par des militaires – notamment dans les carrières de la Brohl –, rarissime en Lyonnaise (CIL XIII 2609). S’il est devenu le « grand dieu » des Bataves, qui ont reconnu chez lui une figure plus adaptée à leur forme de martialité, accomplissant ses exploits en solitaire, dieu civilisateur à la différence de Mars dieu citoyen, il est exceptionnellement rare ici : en effet, une seule dédicace peut lui être attribuée et il s’agit d’un monument perdu à la lecture vraisemblable-ment incorrecte en ce qui concerne le nom du (ou des) dévot(s), possible(s) pérégrin(s). Il y serait associé à la domus divina écrite en toutes lettres dans une formulation inhabituelle qui serait de date haute (Raepsaet-Charlier 1993, p. 9-10). À supposer, bien entendu, que la forme domui divin[ae] ne soit pas le résultat d’une lecture savante d’après une abréviation courante en DD, puisque
le monument n’est connu que par des copies. L’autre monument est plus classique mais son lieu de découverte est inconnu.
Cybèle et les géniesParmi les divinités incontestablement importées avec la
romanité et dont le culte peut être interprété comme indice, voire vecteur, de romanisation (Van Andringa 2002, p. 198-200), les génies, Mithra, Cybèle, Isis. Dans une cité qui présente tous les aspects matériels et institutionnels d’une forte empreinte de Rome, une colonie – quel qu’en soit le statut exact –, ces cultes ne sont pratiquement pas représentés. C’est là assurément la preuve que l’impact militaire y a été particulièrement peu important malgré l’existence temporaire du camp de Mirebeau, malgré des appuis locaux et routiers.
En effet les génies ne sont pas, à proprement parler, honorés. Le genius loci de deux soldats n’est pas repré-sentatif, et le couple de statuettes en bronze Iuno/Genius, à Mâlain, sans dédicace explicite, provenait sans doute d’un laraire privé : il désigne les génies individuels d’une femme et d’un homme mais ne peut constituer le témoi-gnage d’un culte d’une importance quelconque au niveau public, comme aurait pu le faire un monument au genius civitatis (Goffaux 2004, part. p. 171). C’est là une lacune un peu étonnante dans le paysage religieux, quand on sait que c’est une des figures divines les plus typiques de la religion romaine et qu’un génie de cité – double divin de la communauté – est intimement lié au phénomène de poliadisation. Peut-être faudra-t-il revoir la question au départ de l’analyse des monuments figurés.
La Mère des Dieux est mentionnée uniquement sur un petit objet trouvé à Alésia : une tabula ansata de plomb qui a pu tomber d’une poche, quoique la formulation soit typiquement locale puisqu’il s’agit de l’association « éduenne » à Auguste. Les attestations en sont rares en Lyonnaise et, mis à part les tauroboles de Lyon, c’est à Belley à nouveau que l’on trouve deux inscriptions qui impliquent un temple (CIL XIII 2499-2500). Quant à celle de Mesves (CAG 58, p. 189), elle demande une relecture 59 qui la placera très logiquement dans la formulation régio-nale. L’importance des cultes officiels à Cybèle et à Isis dans les provinces de Germanie (Witteyer 2004 ; Boppert 2008 ; AE 2004, 1014-1026 ; 2006, 864 ; 2007, 1047) a été récemment mise en évidence par les sanctuaires de Mayence et d’Aix-la-Chapelle, mais rien de comparable ne semble avoir existé dans la cité des Lingons. Notons cependant un culte de la Mère des dieux très concentré dans la vallée rhénane et les sites militaires ou officiels.
L’on peut dire la même chose de Mithra. La carte de ses attestations dessine une géographie rhénane spécifique de Mithra en Germanie supérieure (Raepsaet-Charlier 2006a, carte 392). Sa place remarquable à Mayence vient d’être
59. CIL XIII 2896 : il ne faut pas imaginer de restitution en tête du texte, ce n’est pas une dédicace aux numina : Aug(usto) sacr(um) / Matri Deum ---. La suite demanderait une inspec-tion, car on serait assez tenté de lire [v]icani d’après les vicani Masavenses de 2895.
Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier
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soulignée par la publication du temple de la Ballplatz 60. Mais dans les cités occidentales, le « dieu invincible » ne semble pas avoir joué un rôle significatif, ce qui les rap-proche une nouvelle fois de la Lyonnaise (Lyon excepté) où le culte semble peu implanté. Il faut toutefois rester prudent car Entrains 61, par exemple, paraît bien avoir connu un mithraeum, de même que Les Bolards. De manière générale, l’absence n’est qu’un indice éventuel-lement provisoire car de nouvelles fouilles pourraient bouleverser nos connaissances. On peut cependant sou-tenir sans trop de risque que ces cultes n’ont pas trouvé place dans le panthéon officiel de la cité 62.
Dieux isolésQu’elles soient d’origine italienne comme Liber Pater
ou de nom indigène, plusieurs divinités font encore partie des cultes des Lingons. Il n’est généralement guère pos-sible de les commenter au-delà de la simple énumération.
Liber Pater, à Dijon, sur un fragment de frise, sans aucune autre information. Toutefois on a pu mettre en relation avec les Liberalia du 17 mars deux dédicaces 63 qui portent la date précise du 18 mars 64, que l’on a pensé « Folgetag » de la fête. Cela pourrait paraître trop romain et trop éloigné de la pratique provinciale, mais les Liberalia sont à Rome le jour officiel de la prise de la toge virile (Derks 2006, p. 254), ce qui nous ramènerait vers les dédicaces pour le « salut » des enfants et donc des fêtes spécifiques des passages d’âge.
Sucellus, à Mâlain-Ancey, attirera davantage notre attention puisqu’il reçoit une rare manifestation d’éver-gétisme, une area à proximité d’un temple, ensemble des Froidesfonds (CAG 21/2, p. 463-465) qui ne fait pas partie du « grand sanctuaire » voisin. Le don est le fait de Resus Torogilli (f.), un pérégrin au nom indigène. Le site a éga-lement livré dans la colonnade du temple un fragment de dédicace presque inintelligible, dont on retiendra surtout
60. Huld-Zetsche 2008. Nous hésitons toutefois à suivre l’auteur dans la datation très haute de l’apparition du culte dans la province et reviendrons ultérieurement sur ce problème (voir déjà Raepsaet-Charlier 1993, p. 71-74).61. Qui a livré notamment des fragments de Mithra tauroctone : CAG 58, p. 141-142 ; cf. CIL XIII 2906 add. (avec formule éduenne).62. Sur cette question, voir Van Andringa 2002, p. 200 ; Spickerman 2003, p. 305-306 ; 2007, p. 138-139.63. CIL XIII 5473 (partiellement restituée) : Jupiter et la domus divina par un particulier ; CIL XIII 5622 : domus divina, Epona, Mairae et genius loci par un soldat.64. Le 18 mars est aussi le dies imperii de Caligula mais les deux inscriptions datent du iiie siècle (249 et 250/1), ce qui rend bien improbable un lien quelconque. La date du 18 mars est éga-lement celle d’une dédicace de Rome et elle est mentionnée sur le calendrier de Théveste (ILAlg I 3041), ce qui montre qu’elle devait avoir une signification (sur ces questions, voir Herz 1975, p. 161-162) autre que locale, comme le pense Spickermann 2003, p. 370, peut-être liée au règne en cours vu la proximité des deux dates consulaires. Dèce est en effet l’auteur d’un édit ren-dant le sacrifice aux dieux obligatoire (Beard et al. 2006, p. 234).
la date précise malheureusement incomplète 65 (AE 1968, 316 = ILLingons 32).
À Alésia il est intéressant de faire état d’un couple de divinités indigènes, Ucuetis et Bergusia, célèbres par la dédicace gauloise CIL XIII 2880, dont le vase en bronze votif avec inscription latine confirme l’identification du « monument » comme schola des forgerons (CAG 21/1, p. 403-409).
Aveta, au Mont-Afrique (très proche des Éduens sinon hors de la cité des Lingons), suscite la curiosité, car cette divinité est connue par ailleurs à Trèves (F 5 et N 1) et peut-être à Avenches (CIL XIII 5074). Le linteau offert par Maurusio lui appartient peut-être aussi.
À Dijon, un masque de bronze a été offert à Videtillus par un citoyen romain du nom de Gell(ius) Bellus (cf. ILLingons M4) plutôt que l’improbable Gellbellus sous lequel il a été publié (AE 1998, 979). Le dieu est un hapax.
Beaucoup plus problématique est l’éventuelle mention d’un dieu Bemiluc ou Bemilugo (?) à Ampilly (CAG 21/2, p. 6-7), connue par le témoignage de Montfaucon.
Également unique est la mention de Nonisus à Essey, un temple aux sources de l’Armançon dont nous avons déjà parlé. Nonisus serait-il le nom antique de la rivière ? Ce n’est en tout cas pas l’étymologie de l’hydronyme actuel.
Il ne reste plus que des fragments : [-]ritus qui a été lu Britus à Dijon, sans raison valable car ce nom divin est un hapax. L’existence 66 de l’anthroponyme Britus comme nom de potier, de l’ethnonyme Brito ou Britto, de l’épiclèse Britouius, par exemple, rendent cette hypothèse linguistiquement possible, sans plus. [-]ucus n’est qu’une hypothèse, car le monument pourrait être funéraire. Un dieu non identifié retiendra enfin notre attention à Vertault, car le site du vicus est tellement pauvre en épigraphie que cette sculpture votive incomplète est intéressante : un homme et une femme représentés sur les faces de l’autel, chacun s’avançant pour faire une libation avec une patère ; au-dessus de la tête de l’homme, deux marteaux, sans doute de tailleur de pierre (CAG 21/3, fig. 443) ; ces dédicants honorent une divinité avec un vase versant de l’eau (une divinité de source ?). Les autres bribes ont déjà fait l’objet d’une mention pour leur formulaire.
Considérations de synthèse
Cette description des pratiques religieuses des Lingons nous laisse largement sur notre faim, j’en conviens. La prise en compte de la seule épigraphie doit assurément nous priver d’éléments importants, issus notamment des images. Une recherche rigoureuse qui associerait stricte-ment – autant que faire se peut – la grande sculpture (les statues et les reliefs) à des temples et des autels archéo-logiquement identifiés, compléterait utilement le propos.
65. PR NON : on songera à compléter avec la mention du mois de septembre, car c’est le premier jour des Ludi Romani (Herz 1975, p. 267-268), mais cette mention est peut-être simplement technique s’il s’agit d’un poids (?).66. Voir Delamarre 2007, p. 49.
Les cultes de la cité des Lingons. L’apport des inscriptions
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On peut espérer qu’elle sera entreprise à la faveur du projet du Nouvel Espérandieu. Il faudra toutefois veiller à sélectionner soigneusement les pièces pertinentes en écartant les décorations des hospitalia ou des portiques ; a contrario, il conviendrait de repérer tous les indices de la pratique rituelle qu’offrent ces monuments. Actuellement l’inclusion sans classement ni tri de toutes les pièces figuratives dans certaines études 67 élargit démesurément le panorama et le panthéon, tous les dieux semblant plus ou moins présents partout. Par ailleurs, l’impossibilité d’attribuer avec certitude des titulaires à de nombreux temples du sanctuaire de Mâlain, par exemple, ou à des sites sacrés évidents mais sans épigraphie comme Sainte-Sabine, Saint-Usage ou Villiers-le-Duc constitue un frein actuellement incontournable à tout travail qui se voudrait exhaustif. La quête des vestiges matériels apporterait aussi des éclaircissements sur la chronologie des cultes, certains sanctuaires remontant à une phase préromaine, d’autres étant au contraire implantés seulement à l’époque flavienne. Les inscriptions ne peuvent généralement pas illustrer ces variations : en effet, la très grande majorité des inscriptions datent des iie et iiie siècles, procurant une image plus globale qu’évolutive 68. En outre, c’est la recherche archéologique qui pourrait (pourra) élucider les rituels, que ce soit par l’analyse des dépôts et des ossements ou par l’examen sans œillères des représen-tations figurées. La présence d’une statue de vache ou de taureau dans un lieu de culte n’est pas plus indicative d’une « persistance » de pratiques gauloises que de sacri-fices au rituel romain bien explicite 69 quand le dorsualis de la victime est figuré, comme à Vertault (Deyts 1998, n° 65b), dans un vicus avéré. Une autre sculpture, choisie hors de la civitas pour son exemplarité, permet d’entre-voir d’utiles développements (Van Andringa 2006a) : aux Bolards, une stèle présente une triade (Deyts 1998, p. 90 n° 49) qui a été interprétée comme une déesse-mère accompagnée d’une « Cybèle bisexuée » (Berger 1986) et d’un dieu tricéphale, ou encore comme deux « Matrone + Mädchen » (Spickermann 2003, p. 407-408) accompa-gnées de Cernunnos. Comme S. Deyts l’a bien compris, le personnage central n’est nullement un androgyne ni une matrone mais l’image tourelée du Genius local, sans doute le génie des habitants, de l’agglomération, non pas une divinité indigène mais l’expression religieuse du domaine urbain : à partir de ce moment, on se trouve dans un contexte très romanisé puisque ceux qui vénèrent le genius trahissent par là même leur familiarité avec la religion romaine. Il faut donc approfondir l’analyse : la « déesse-mère » est en fait une Fortuna dotée de la corne d’abondance et de la patère selon un modèle très clas-sique. Dès lors s’impose une lecture qui replace la scène dans l’agglomération civique – laquelle peut parfaitement intégrer un dieu indigène, le dieu tricéphale – et non une
67. Spickermann 2003, p. 402-414 ; également Gschaid 1994b pour les Séquanes.68. Les (rares) datations avancées par Spickermann 2003, p. 221-222, sont souvent fragiles : dès lors sa chronologie rela-tive est difficile à soutenir.69. Siebert 1999, p. 139-143 ; Scheid 1995, p. 230.
interprétation reposant sur l’intime conviction de la per-manence du fonds gaulois. La prise en compte des données d’un sanctuaire, l’architecture, le plan des installations, le type de site naturel, la topographie et les routes, le décor, les offrandes, les dédicaces, les sacrifices, doit être com-plète. C’est alors et alors seulement que l’on peut parvenir à une interprétation scientifique d’un dossier religieux 70.
La question essentielle à laquelle nous aurions voulu répondre est celle de la définition du culte public de la cité. Or, si l’on peut décrire les dieux qui ont reçu un hommage épigraphique conservé dans la cité des Lingons, il est beaucoup plus difficile de délimiter ceux qui ont reçu cet hommage par la cité.
Je laisse par principe de côté le culte impérial, dont le caractère public ne peut faire de doute même si certaines de ses attestations relèvent de la pratique privée. Mis à part Mars (Cicolluis), que l’on peut conserver comme dieu poliade – et sa parèdre Bellone-Litavis –, Jupiter et la triade – ex officio –, quelles divinités faisaient partie du panthéon officiel de la cité ? Il est très difficile d’être affir-matif. On peut songer que des sanctuaires aussi importants que ceux de Bourbonne, sans doute aussi de Dampierre et d’Essarois, représentaient des lieux sacrés publics de la civitas/colonia, comme évidemment Mâlain en tant que site de Cicolluis. À Bourbonne, une autorisation des décurions va dans ce sens, ailleurs les indices strictement explicites font défaut. Dès lors Apollon (Vindonnus et Borvo), Mercure et leurs parèdres devraient être comptés. Pour les dieux honorés de manière plus ou moins isolée, je n’oserais me prononcer, même si dans le chef-lieu il est sans doute difficile de penser à des chapelles privées. Cela renverrait alors à Hercule et aux Mères, mais il faut rester prudent. Dans le culte public célébré au chef-lieu, il se pourrait que les divinités aient été honorées en tant que dieux « romains » sans épiclèse locale. Ainsi, nous avons remarqué que Mars n’est pas Cicolluis au sanctuaire suburbain. Si Mercure est Moccus et accompagné de Rosmerta, Apollon et Hercule n’ont pas d’épithète. Est-ce le hasard des découvertes ? Ce point ne doit jamais quitter notre esprit. Mais si cela devait avoir un sens, oserais-je proposer que ce soit le signe d’une colonie « romaine », malgré la présence de pérégrins dans le territoire 71 ? Les probables augures iraient dans le même sens.
D’autres points importants ont été abordés : l’inter-pretatio et ses mécanismes, particulièrement bien illustrés par les doubles couples Mars Cicolluis-Bellone ou Apollon-Damona. Également la correcte perception des formulaires : une topographie aussi stricte ne peut correspondre à une fantaisie des dévots. Les formulaires, surtout lorsqu’ils évoquent la figure impériale, sont définis par la cité, officiellement, comme les rituels auxquels ils s’apparentent davantage sans doute que nous ne l’imagi-nons. Ensuite – et dans la même perspective d’un « ordre religieux » défini de manière globale –, les éléments
70. Voir par exemple le cas de l’Altbachtal à Trèves (Scheid 1995). 71. Cf. Eck 2008, p. 249-251 pour Cologne et Xanten ; Chastagnol 1995, p. 131-141 pour d’autres cas, notamment en Narbonnaise.
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constitutifs du territoire, pagus et vicus, n’interviennent pas dans la documentation comme acteurs décisifs de la religion. La situation est à cet égard très différente de ce qui se rencontre ailleurs en Gaule : peut-être est-ce lié, une fois encore, à la pauvreté de notre documentation ? Mais l’unicité du vicus connu pose problème et, dès lors que les vici ne semblent pas une forme répandue d’administration des agglomérations, il est évidement impossible d’écrire ici, comme on peut le faire pour les Trévires : « sur le ter-ritoire, l’initiative religieuse appartient aux vici » (Scheid 1991, p. 52 ; cf. Raepsaet-Charlier 2002). De même, on ne peut retrouver dans le chef-lieu, comme dans d’autres 72, des traces des numina pagi avec possibilité de dénommer précisément le pagus et son dieu, ou d’en repérer les pra-tiques au sein de la capitale. Rien n’exclut que certains sanctuaires du territoire soient à mettre en rapport locale-ment avec des pagi (Apollon Vindonnus à Essarois, par exemple), mais cela demeure une hypothèse actuellement invérifiable 73. À qui appartenait donc l’initiative religieuse sur le territoire au niveau local ? Était-ce la cité en tant que telle qui déléguait ses instructions, étaient-ce des vici dont nous ignorons le statut, étaient-ce des pagi ? Peut-être en ces matières d’organisation et d’administration du terri-toire était-ce la cité (magistrats et décurions) qui décidait des instances et des modalités ?
J’ai délibérément écarté de la réflexion le site d’Alésia et les cultes du pays mandubien 74 : les sites de Mâlain et d’Aignay marquent si nettement la frontière du pagus avec un culte majeur, celui de Mars Cicolluis – comme il en va aussi avec le sanctuaire de confins de Mutigney/Dammartin pour Litavis et un autre Mars –, qu’il m’appa-raît que ces trois sites délimitent le territoire lingon. On sait combien cette problématique de la définition des territoires des cités par les marqueurs religieux a conduit à des résultats intéressants ces dernières années. On sait moins que les gromatici signalent dans leurs manuels illustrés que les limites des territoires sont souvent dessi-nées avec des autels, des bois sacrés, des sites religieux (Scheid 2010, fig. 2), ce qui conforte les reconstructions modernes en ce domaine. Au demeurant, les originalités que nous avons pu mettre en évidence et les rapproche-ments forts avec le pays éduen poussent à considérer que le pagus a dû faire partie de la cité des Éduens. Rappelons les différences de formulaire. Rappelons aussi la déno-mination distincte des prêtrises : à Alésia des flamines, à Langres des sacerdotes. Ce n’est pas nécessairement lié à une évolution de la terminologie et à une antériorité des attestations de Langres : la colonie des Lingons a pu, comme Cologne (Van Andringa 1999, p. 428), conserver des sacerdotes.
Quand a-t-on rattaché les Mandubiens aux Éduens ? Immédiatement à l’époque d’Auguste ou plus tard ? Il ne me semble pas possible de trancher, car des liens
72. Cf. Bérard 2006 ; Scheid 2006b.73. Les articulations que suppose Deyts 2004 entre les rôles des vici et pagi pour une série de sanctuaires de Gaule centrale relèvent de l’hypothèse faute d’une documentation suffisante à propos de ces institutions largement méconnues.74. Cf. en détail Raepsaet-Charlier 2013.
importants et solides liaient aussi Alésia à Langres : l’existence de doubles cursus et la présence de Professus dans les deux sites pourraient constituer des indices d’un changement qui serait resté dans la mémoire. Ce dernier point, s’il est prégnant, est peut-être en opposition avec Cicolluis qui dessine son territoire : si Mâlain trace la fron-tière, alors cette frontière est originelle et augustéenne. Comme quoi cette problématique est tout sauf simple…
Une remarque générale encore, à propos des lieux de culte du territoire : le nombre d’ex-voto anatomiques mis au jour chez les Lingons et les Mandubiens est considérable. Quels que soient les doutes légitimes que leur interprétation suscite, il semble indéniable qu’une partie d’entre eux au moins témoigne d’une dévotion privée destinée à obtenir des protections corporelles et des guérisons. On remarquera certains dieux, certains lieux : Apollon à Essarois et Alésia, Sequana aux Sources, Atesmerta à Brottes, [?B]ritus à Dijon et une divinité inconnue à Villiers. Ni Mercure ni Mars, par exemple, ne semblent en obtenir, ce qui doit avoir une signification quant aux fonctions divines attendues et reconnues. Mais l’enquête limitée aux inscriptions ne fournit pas toutes les clefs en matière d’offrandes.
On envisagera les deux sanctuaires des grandes sources séparément : la Seine relève des Mandubiens et la Marne des Lingons. Dans les deux cas, les sanctuaires doivent être publics, comme la présence d’un cursus honorum incomplet au sanctuaire de Sequana donne à penser que les autorités de la cité (des Éduens ?) étaient impliquées. Mais la fréquentation était également de nature privée.
Si l’on en revient à la question du sanctuaire de Bourbonne, un autre recours aux agrimensores se révèle plein d’enseignements. Frontin (De controversiis 2, p. 56-57 Lachmann) expose d’abord que la notion de sanc-tuaire de confins est une réalité antique et non simplement une construction de l’esprit moderne. Ensuite, que des querelles aigües pouvaient opposer les cités à propos de ces lieux sacrés et que les gouverneurs de province inter-venaient. Le cas africain de la controverse entre Thysdrus et Hadrumète à propos d’un sanctuaire de Minerve, illus-tré d’une vignette (Scheid 2010, fig. 3) qui montre de visu que le lieu de culte se trouvait entre les cités, à la frontière des cités, est particulièrement éclairant sur les problèmes de territoire entre cités. La mention des origines géogra-phiques des dévots, en quelque sorte des « nationalités » des dévots, a peut-être pour source ces disputes : le terri-toire de Bourbonne était peut-être revendiqué par les deux ou trois civitates. Les Lingons ont-ils ainsi voulu affirmer leur propriété ? Ou, au contraire, l’ont-ils mentionnée parce qu’ils étaient à l’étranger ? La question me semble devoir rester ouverte, en imaginant même que la propriété territoriale a éventuellement changé au fil des siècles ou qu’elle était partagée.
L’examen des cartes des différents cultes présente des variantes que nous avons relevées individuellement. Une constante est cependant à souligner : l’importance déci-sive de la grande voie nord-sud, qui attire tous les dieux. La fonction essentielle de Langres comme carrefour rou-tier et son implication dans l’axe Rhône-Rhin s’affichent
Les cultes de la cité des Lingons. L’apport des inscriptions
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dans cette géographie de la civitas. Dijon aussi se détache, dans une situation qui dépasse de loin son éventuel statut. Quant aux grands fleuves, il n’est certainement pas anodin qu’ils aient reçu ici des cultes significatifs spécifiques, eux qui déterminent physiquement un basculement nord-sud relayé par les routes.
Au total donc, plusieurs des conclusions qu’avaient apportées les recherches sur les Germanies (Spickermann 2003 ; 2009 ; Raepsaet-Charlier 2006a) se trouvent confortées ici, dans l’examen détaillé d’une cité. D’abord au niveau régional, l’opposition qui se dégage entre les cités rhénanes, tardives, de la Germanie supérieure et les cités de conquête césarienne : dans ces dernières, une identité reconnaissable, une entrée des dieux locaux
dans les panthéons, une importance nette de Mars à côté de Jupiter (celui-ci ne recevant toutefois pas de grand temple en dehors du chef-lieu), peu d’implantation des cultes d’importation, y compris les génies (Raepsaet-Charlier 2006a, p. 395-396). Au niveau général (Scheid 2006a, p. 448), une faible attestation du culte impérial, une pratique votive omniprésente, mais surtout une emprise de la cité sur son territoire et l’implication des sanctuaires dans la définition du territoire : soit un paysage religieux fort ressemblant (mis à part les conso-nances de certains noms de dévots et de dieux) à celui de l’Italie, ou même de l’empire, autrement dit « un témoi-gnage massif sur la romanité institutionnelle, religieuse et culturelle de la cité ».
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— 60 —
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Wolff 1976 : H. Wolff, Kriterien für latinische und römische Städten in Gallien und Germanien und die « Verfassung » der gallischen Stammesgemeinden, BJ 176 (1976), p. 45-121.
Woolf 2001 : G. Woolf, Representation as cult : the case of the Jupiter columns. In : Spickermann 2001, p. 117-134.
NB : Dans les tableaux qui suivent, les numéros d’inscription sans référence précise renvoient au CIL XIII, suivi de l’équivalent en ILLingons.
Les cultes de la cité des Lingons. L’apport des inscriptions
— 61 —
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— 62 —
Ajouter statues et sculptures de : 5641, AE 2000, 1060 ; 5668 ; 11562 = 11574 ; M1 ; 5619 ; 5660 ; 11249 ; M2 ; 11263 ; AE 1997, 1180 = 614.
On peut peut-être ajouter :
Mâlain * dans un temple 30 Mercure ? AVG(ustalis ?)AVG(ur ?)
Langres 5692 = 361 ? IIIIIIvir
Sources Seine * 2870 = 284 Sequana ? magistrat et prêtre impliqué dans le sanctuaire
Les cultes de la cité des Lingons. L’apport des inscriptions
— 63 —
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Les cultes de la cité des Lingons. L’apport des inscriptions
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