615

des cités gauloises : le cas du haut bassin de

la Meurthe chez les Leuques

Gérard GRAU (Association Archéo Vosges), Rose BIGONI (Communauté

d’Agglomération de Metz-Métropole), Matthieu MICHLER (Inrap Grand-

Est Sud, Bertrand TRIBOULOT (DRAC / SRA Ile-de-France)

Historique des sources en “Déodatie”

des Vosges puis plus tard en 1875 à Saint-Dié-des-Vosges la Société Philomatique Vosgienne, à l’origine d’un Bulletin.une synthèse plus modeste, mais tout aussi intéressante, sur le Ban d’Étival (Maulini

dernier étudiera également les sites de l’âge du Bronze du département dans un travail

années pour La Bure) ont livré beaucoup de mobilier et ont permis de se faire une

organise en partenariat avec le musée plusieurs stages de reconditionnement du mobilier provenant de ce site, permettant ainsi à des étudiants majoritairement de l’Est de la France d’étudier ces artefacts (mobilier en bronze, monnaies gauloises,

du site des carrières de meules des Fossottes à La Salle a permis de dater plus

récemment, plusieurs thèses ont également englobé cette zone géographique pour la période gauloise (Féliu 2008, thématique de l’occupation du territoire et Bonaventure

(Matthieu Michler)

616

Topographie, réseaux, échanges, organisation spatiale : une

BG

ligne de crête vosgienne, nettement plus élevée en cet endroit qu’au nord du massif, forme avec la plaine du Rhin une frontière naturelle bien caractérisée, à laquelle

former des limites, mais sans problèmes majeurs de franchissement L’accès de cette enclave à la plaine lorraine est assuré par une brèche creusée

col de Steige, et non seulement en raison de l’avantage de sa faible altitude relative (554

(acte de fondation de l’abbaye de Senones au VIe

rhénane supérieure, dont il sera question plus loin, ne peuvent raisonnablement se

e

Fig. 1 : Le haut bassin de la Meurthe et les principaux sites archéologiques.Voirie antique : 1. Voie du sel vers la vallée de la Seille et Metz. 2. Chemin d’accès celtique vers le site du Donon. 3. Voie de Langres. 4. “Strata salinatorum” : prolongement de la voie de Langres et de la voie du sel vers la plaine rhénane par le col de Saales. 5. “Voids de Parupt”, bretelle de la voie de Langres ; voies présumées romaines vers les cols de Sainte-Marie et du Bonhomme (Cartographie M. Michler - G. Grau).

617

plusieurs fondateurs de communautés monastiques, notamment saint Déodat, qui a légué son nom, d’une part à la ville de Saint-Dié-des-Vosges, mais également à

e e

e

L’achèvement de ce processus sera

Toutefois, le processus de ce regroupement territorial sera long et marqué tout au long de la période laténienne, voire gallo-romaine, par des phénomènes contraires,

Les prémisses de l’“ouverture” vers l’ouest

Les meules en rhyolithe de La Salle

Les différentes sortes de meules produites à La Salle, au centre de notre enclave, à partir d’une roche parfaitement typée (une catégorie de rhyolithe) présentent pour les

de diffusion de ces objets selon la période (Lagadec 2008) qui s’étend de la transition

ont permis d’émettre des hypothèses bien étayées sur l’évolution de la situation concurrentielle de cette production face à des produits similaires, notamment

rhyolithe de La Salle qui a été constatée peut effectivement être mise en relation avec le

guère pendant toute la durée de leur production, et ce en dépit de cette évolution très

Fig. 2 : Vue partielle du haut bassin de la Meurthe en direction du nord-ouest.

618

l’écrasante majorité de la production a été constamment écoulée vers le nord-ouest, en direction du plateau lorrain, ce qui permet de supposer des relations commerciales

Leuques

mais il est désormais acquis que les centres de circulation de ce monnayage se situent

une zone monétaire incluant d’une part l’oppidum de Boviolles, chef-lieu présumé des

Moyenvic, … Il est tentant de faire un rapprochement entre la zone de diffusion principale du potin

et monétaires à l’ouest des Vosges, notamment durant la période laténienne, est indéniable, cette situation est contrebalancée par des phénomènes contraires qu’il

Une “ouverture vers l’ouest” relative

la contrainte que représente la barrière vosgienne et les facilités offertes par le réseau

l’administration romaine, le haut bassin de la Meurthe a été caractérisé par des

Une organisation du territoire originale. Oppida

et structures spatiales

Les caractéristiques particulières de l’organisation territoriale du haut bassin de la Meurthe ont été mises en lumière entre autres par la méthode des polygones de

des civitates

619

leuque et rattachés au polygone centré autour du Fossé des Pandours (Fichtl 2004,

oppida laténiens concernés sont d’une

Dié [est] apparemment déconnecté des phénomènes [d’organisation du territoire] à

de Thiessen, il ne faut pas pour autant éliminer, en ce qui concerne l’enclave de la haute Meurthe, l’hypothèse d’un statut de pagus, de type gaulois, mais également gallo-

réputées anciennes et surtout très bien placées pourraient matérialiser, en incluant notamment le repère séculaire que constitue le Donon, les contours de ce pagus

La voirie antique

Le réseau routier antique du haut bassin de la Meurthe se prête admirablement

dans ce domaine, la situation peut sembler aussi très confuse de prime abord (Féliu e

de bois, daté de l’époque augustéenne, franchissant la Meurthe à Étival (au pied de l’oppidum

l’association Archéo Vosges de mobilier gallo-romain (Grau 2010), l’emplacement de ce pont, mais aussi sa datation et ses caractéristiques permettent de mettre à jour la représentation traditionnelle de la trame viaire antique et, parfois, d’en éclairer la

oppidum de Danobriga

620

ce tracé se prolonge par la bien nommée Strata Salinatorum

Saales et de Steige, a permis d’établir pendant la période gauloise des liens étroits avec

elle optimisait grandement l’accès à la plaine rhénane, une préoccupation vitale

de constater que l’organisation administrative romaine n’a aucunement produit de

relations routières privilégiées avec les territoires lingons (Langres), médiomatriques (Metz) et la plaine du Rhin, au détriment des centres du pouvoir politique leuque sensé se trouver à l’ouest (Nasium,

Particularisme numismatique à l’est

période de circulation principale admise pour cette monnaie, apparue à La Tène D1,

leuques (SST 32 et SST 33) ont circulé à partir du IIe

pour une partie seulement du faciès

premières monnaies romaines, assez proches chronologiquement, pourraient avoir

Une romanisation contrastée

Les données épigraphiques recueillies à l’ouest du territoire leuque, datées du Ier

inscriptions de Nasium

Le notable Bratulos fait graver dans la pierre sa contribution à la construction d’un

621

Julius, attestant Aulus

Tiberius Scarcellus indique également la présence d’un notable gaulois ayant obtenu

communauté de Nasium

huit stèles funéraires découvertes, datées plutôt du IIe

celles de NasiumCaranta Contessos ,

mais c’est surtout l’absence de tria nomina

recherché, ou accordé, et son prestige passait encore après celui du nom de famille

En restant dans le domaine de l’épigraphie, la découverte à La Bure d’un haut de stèle portant l’inscription Dianis

indigène et original de syncrétisme sui generis.

“Intrusions” diverses

DM / CARANT / AII CONT / IIDDI FILI / AII

622

géographique, car le haut bassin de la Meurthe, par son relief, constitue une enclave

Le “trésor” de Robache

dépositaires rendent vraisemblable un lien avec les troubles dans la région du Rhin

Pour être plus complet à propos de la stèle de Caranta mentionnée plus haut, il

sur le même espace géologique, caractérisé par l’omniprésence du grès vosgien

Vosges du nord un mode de vie et un fonds culturel communs, qui se retrouveraient

Main au nord, mais surtout la zone du Rhin moyen et supérieur, et ce malgré la

dolia

trouvés ailleurs en Lorraine se situent le long de la vallée de la Meurthe et paraissent

La céramique laisse entrevoir une parenté culturelle et économique de part et d’autre

623

Destructions et militaria tardo-républicains

oppidum de la Pierre d’Appel qui retient particulièrement l’attention, à la fois par sa datation

rapport avec la construction vers la même époque du pont d’Étival situé en contrebas

(Gérard Grau)

Analyse de la circulation monétaire celtique dans

la partie orientale du territoire des Leuques

- le site de la Pierre d’Appel, occupé de La Tène moyenne à l’époque gallo-

- le site de Robache a livré, en 1844, un trésor estimé à 2 500 - 3 000 monnaies

Répartition du monnayage attribué aux Leuques

1 ex.

2-10 ex.

11-99 ex.

> 100 ex.

Meuse

Moselle

Meurthe

Rhin

La Bure

Boviolles

Fossé des PandoursMoyenvic

0 50 km

aire de circulation

du monnayage attribué

aux Leuques

aire de circulation

du potin «à la grosse tête»

Bronze MATVGIINOS

Statères et quarts de statères

Potin «à la grosse tête»

Médiomatriques

Leuques

Lingons

SéquanesRauraques

Fig. 4 : Carte de répartition du monnayage attribué aux Leuques et du potin « à la grosse tête » (d’après Féliu 2008 ; Féliu 2012, complété).

624

de bronzes frappés et de quinaires en argent1 e

er

que leur diffusion couvre essentiellement l’ouest du territoire leuque ( ), avec une concentration autour du site de l’oppidum de Boviolles, et qu’ils sont absents de la

Le site de La Bure : analyse des faciès

marqué par la prédominance du potin au sanglier (SST 186), représentant plus de oppidum de

est clair que son aire de circulation dépasse les limites de celui-ci, recouvrant celui

de ratés de fabrication sur l’oppidum du Fossé des Pandours, ce potin pourrait être considéré comme une émission commune des Leuques et des Médiomatriques (Féliu

Les nombreuses variantes liées au motif se trouvant entre les pattes du sanglier-enseigne ont permis de dresser une typologie divisée en quatorze classes (Scheers

boucles) sont les plus représentées, avec un quart des potins au sanglier chacune

avec d’autres gisements, on observe qu’il n’y a aucune similitude avec un autre site

Par ailleurs, des similitudes ont été mises en évidence entre le site de La Bure et l’oppidum

la répartition des provenances avec 75% de monnaies locales et 25% d’étrangères,

la frange nord de la zone de circulation (oppidum de Boviolles, est

totalement absent de l’est du territoire supposé de ce peuple, c’est-à-dire le haut

en fait d’étroites similitudes avec des sites médiomatriques comme l’oppidum du fossé

(Rose Bigoni)

625

Le rempart de Housseras

butte de moyenne montagne face à la plaine de la Vôge vers l’ouest, sur le premier

hectares, est délimitée par un rempart rectiligne d’environ 350 m de long, précédé

par une tempête ayant déraciné une série d’arbres notamment à l’emplacement du

Une tranchée ouverte à l’emplacement du rempart frontal a mis en évidence un

masse de moellons effondrés devant le rempart permettrait de restituer une élévation

au type Preist fouille partielle réalisée à l’emplacement de l’entrée a révélé une entrée rentrante,

ou Rödgen, implantés en Allemagne lors de la tentative de conquête de la Germanie

devinons très clairement que la construction est complète jusqu’à la porte située en partie centrale du barrage de l’éperon, pour très rapidement passer à un talus simple

d’un quelconque rempart de contour alors qu’il est physiquement accessible de tous

des oppida

secondaires puisque le site est parfaitement accessible sur les parties latérales de l’oppiduml’utilisation de dalles posées de chant composant le parement du rempart, comme

oppida

626

de rempart est généralement accompagné d’une enceinte de contour sur des sites

sites de hauteur, tant dans l’ouest de la Gaule que dans la Gaule de l’Est mais aussi

position géographique, illustre les limites convoitées d’un territoire dont le massif des Vosges constitue un enjeu économique, stratégique et sans doute politique dès la conquête des Gaules (

(Bertrand Triboulot)

Conclusion

Le haut bassin de la Meurthe fait partie de ces territoires pour lesquels les sources

que les données ainsi obtenues par la recherche de terrain ou par le croisement

son organisation territoriale originale, ou les énigmatiques modalités de son ancrage

frontières entre les peuples gaulois jusqu’à la réorganisation romaine, de la question

0 200 km

N

0 200 km

N

Housseras

0 200 km

N

Rempart à poteaux verticaux

Rempart à poutrage horizontal

Limite du domaine des oppida

Fig. 5 : Répartition des deux grand types architecturaux des remparts celtiques : les remparts à poutrage horizontal en Gaule et ceux à poteaux frontaux en Europe centrale (d’après Fichtl 2012, p. 25, complétée par B. Triboulot).

627

628

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Hors série n° 3 de Mémoire des Vosges, Société

Le “camp celtique” de la Bure

630