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1 La nature de la langue et du discours comme repère des pratiques de médiation Giovanni Agresti, Université de Teramo Colloque international Une approche linguistique de la médiation : quelles retombées ? Université de Padoue, 9 décembre 2014 «La réflexion linguistique et son impact pratique» 0. Objectif et plan de l'article Dans cette communication nous proposons une réflexion de théorie linguistique et son application à la médiation, prise en tant que processus de «communication éthique» (Guillaume-Hofnung 2014: 18), dans le contexte de la difficile intégration scolaire d'étudiants étrangers ou d'origine étrangère. Après des considérations très générales sur la nature médiale et relationnelle de la langue et du discours, nous essaierons de voir comment et dans quel sens cette nature double peut fournir un repère, si ce n'est un modèle vertueux, à des pratiques de terrain. 1. Nature médiale et relationnelle de la langue et du discours Aborder la théorie et la pratique de la médiation d'après une approche de linguistique revient d'abord et surtout, à notre sens, à mettre en exergue le fait que la langue et le discours sont intrinsèquement et respectivement outil et acte de médiation. 1.1 La langue, outil de médiation La langue est intrinsèquement un outil de médiation. Le mot n'étant pas la chose, nous pouvons substantiellement accepter l'idée traditionnelle que la langue permet de filtrer ou découper le réel en l'organisant en un nombre fini d'unités discrètes/interfaces communément appelées «mots», dès lors recevables et maniables par notre intellect. Ces mots sont en réalité des unités complexes [à dynamique inerte: ce sont les «signes» chez Saussure (1922); à dynamique évolutive: ce sont les «praxèmes» chez Lafont (1976, 1978, 2007) etc.] et n'ont de valeur qu'en contexte (à quelque cas particuliers près). Ils sont organisés en lexiques, permettent d'atteindre une définition plus ou moins haute, précise, du réel dans ses dimensions concrète et abstraite, physique et psychique, référentielle ou herméneutique. Le travail sur la terminologie permet de peaufiner, mettre à jour, standardiser ce filtre, aussi bien au niveau du système (c'est par exemple la mission des commissions de terminologie) qu'au niveau des performances individuelles.

La nature de la langue et du discours comme repères des pratiques de médiation

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La nature de la langue et du discours comme repère des pratiques de médiation

Giovanni Agresti, Université de Teramo

Colloque international Une approche linguistique de la médiation : quelles retombées ? Université de Padoue, 9 décembre 2014

«La réflexion linguistique et son impact pratique»

0. Objectif et plan de l'article

Dans cette communication nous proposons une réflexion de théorie linguistique et son application à la médiation, prise en tant que processus de «communication éthique» (Guillaume-Hofnung 2014: 18), dans le contexte de la difficile intégration scolaire d'étudiants étrangers ou d'origine étrangère. Après des considérations très générales sur la nature médiale et relationnelle de la langue et du discours, nous essaierons de voir comment et dans quel sens cette nature double peut fournir un repère, si ce n'est un modèle vertueux, à des pratiques de terrain.

1. Nature médiale et relationnelle de la langue et du discours

Aborder la théorie et la pratique de la médiation d'après une approche de linguistique revient d'abord et surtout, à notre sens, à mettre en exergue le fait que la langue et le discours sont intrinsèquement et respectivement outil et acte de médiation.

1.1 La langue, outil de médiation

La langue est intrinsèquement un outil de médiation. Le mot n'étant pas la chose, nous pouvons substantiellement accepter l'idée traditionnelle que la langue permet de filtrer ou découper le réel en l'organisant en un nombre fini d'unités discrètes/interfaces communément appelées «mots», dès lors recevables et maniables par notre intellect. Ces mots sont en réalité des unités complexes [à dynamique inerte: ce sont les «signes» chez Saussure (1922); à dynamique évolutive: ce sont les «praxèmes» chez Lafont (1976, 1978, 2007) etc.] et n'ont de valeur qu'en contexte (à quelque cas particuliers près). Ils sont organisés en lexiques, permettent d'atteindre une définition plus ou moins haute, précise, du réel dans ses dimensions concrète et abstraite, physique et psychique, référentielle ou herméneutique. Le travail sur la terminologie permet de peaufiner, mettre à jour, standardiser ce filtre, aussi bien au niveau du système (c'est par exemple la mission des commissions de terminologie) qu'au niveau des performances individuelles.

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1.2 Le discours, acte de médiation

Le discours est intrinsèquement un acte de médiation en ce que, en plus de transmettre un message linguistiquement codé d'après des circuits plus ou moins complexes1, il réalise, dé-réalise ou modifie des configurations relationnelles, car il n'y a pas de discours en dehors de la dimension et donc de l'interaction sociale – en présence, en absence et même en latence (Agresti 2008, 2014). Ces configurations sociales, dont les matrices reviennent en gros, en français par exemple, aux formes des pronoms personnels, de non-personne, indéfini et impersonnel, subissent le conditionnement constant de facteurs divers (contexte d'énonciation, compétence linguistique, épi- et paralinguistique et statut social des interactants, proxémies, etc.)2. Ailleurs, nous avons représenté ces configurations relationnelles comme des «champs de force» (Agresti 2005) qui, sous la surface discursive, décideraient finalement de l'accord ou du désaccord des interactants, de leur reconnaissance réciproque sur la base (liste non exhaustive):

- d'éléments communs partagés ne serait-ce que temporairement dans un spécifique régime discursif (partage de traits, comme par exemple "collègues de travail", "spécialistes d'une même discipline", "statut d'étrangers" etc.) ou de manière permanente (liens de parenté) (#nous# inclusif ou exclusif);

Graphe n. 1 - La configuration relationnelle #nous#. Source: Agresti 2005: 76

- de la hiérarchie ou asymétrie des statuts en jeu (#vous# est en soi agressif car il écrase l'identité des #tu#n);

Graphe n. 2 - La configuration relationnelle #vous#. Source: Agresti 2005: 77

1 De Saussure à Jakobson à Soutet à Orecchioni, c'est la présence au monde du sujet et sa complexité psychologique qui s'imposent de manière progressive. Néanmoins, ces modèles d'interaction demeurent binaires et semblent exclure, de fait, la présence tierce du sujet médiateur. C'est pour cette raison que l'étude de la médiation peut mettre à jour les modèles de l'interaction.

2 Ce constat nous empêche de considérer l'acte de médiation comme un acte uniquement linguistique, remarque

banale mais finalement très féconde comme nous le montrerons plus loin.

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- de l'exclusion d'un sujet ou groupe tiers (#il# lorsqu'il est pronom de non-personne signifie l'exclusion d'un actant du scénario de l'interaction);

Graphe n. 3 - La configuration relationnelle #il/elle#. Source: Agresti 2005: 76

- de l'inscription de l'opinion individuelle dans l'opinion publique (#on# déresponsabilise ou généralise les positions subjectives) etc.

Graphe n. 4 - La configuration relationnelle #on#. Source: Agresti 2005: 77

Le discours est traversé et structuré, orienté par ces configurations relationnelles qui ont l'air de constituer le fond de l'interaction, par la distance qu'elles créent, par leur capacité d'«absorber tactiquement l'autre» (Lafont 2005) etc. et en général par leur impact sur les interactants. Dans cette perspective, nous pourrions nous pousser jusqu'à synthétiser la mission des médiateurs (et de la médiation prise en tant qu'«acte favorisant l'émergence de solutions communes») comme des facilitateurs de la configuration relationnelle #nous#, soit la configuration de la reconnaissance réciproque et de l'adhésion à une position ou cible commune. #Nous# est la configuration de la convergence.

La langue possède donc intrinsèquement une nature médiale ainsi que, une fois actualisée en discours, une nature relationnelle. Elle permet d'organiser la connaissance – et donc aussi la connaissance de l'Autre, prélude à sa reconnaissance – et de la dynamiser par la mise en circulation de celle-ci sous forme de discours et d'échange discursif. De toute évidence, nature médiale de la langue et nature relationnelle du discours doivent être connues et maîtrisées par le médiateur en amont de la connaissance et maîtrise de compétences linguistiques ou relationnelles particulières. Par l'illustration d'un terrain qui a réussi nous essaierons plus loin de montrer ce que cela peut effectivement représenter.

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2. Médiation, interaction, énaction

Notre hypothèse de départ est que la double nature de la langue / discours peut fournir un modèle profond et vertueux aux pratiques de médiation: du reste, de même que la langue, le médiateur doit reconnaître l'interlocuteur A et organiser le propos de celui-ci tout en réalisant, reconduisant ou modifiant, ajustant une configuration relationnelle avec l'interlocuteur B. Langue, discours et médiateur fonctionnent donc sur les principes de la reconnaissance et de la restitution. Voyons tout ce la de plus près.

2.1 La médiation comme traduction des interprétations du réel

Comme annoncé en 1.1, la langue découpe le réel parce qu'elle trie et nomme les éléments qui le composent, bref parce qu'elle permet de les reconnaître ou, plus exactement, parce qu'elle permet d'en reconnaître une partie3. Nous pouvons observer un char sans pratiquer aucun découpage interne à cet objet ou alors en le découpant (in)consciemment en plusieurs composantes (le crochet d'attelage, la caisse, les roues par exemple) qui à leur tour peuvent être découpées en champs sémiques. Prenons l'exemple suivant (tiré de Agresti 2012: 380):

Tableau n. 1 - Structure sémique du char

3 Cette reconnaissance partielle est parfois motivée, parfois arbitraire. La notion saussurienne d'«arbitraire du signe» est en fait une notion très complexe qui demeure controversée tant que l'on considère aussi bien le signifiant que le signifié de manière monolithique. Au contraire, aussi bien l'un que l'autre peuvent être appréhendés en tant qu'organisations complexes dont il est possible de cerner les éléments constitutifs, la hiérarchie desquels, dans la perception du sujet, détermine le degré de motivation par une correspondance plus ou moins cohérente avec le squelette bi- et triconsonantique du praxème d'après la théorie des schèmes indoeuropéens (Agresti 2012).

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Il y a lieu de penser que les sélections économiques de traits et champs sémiques opérées spontanément par le sujet observateur permettent à celui-ci de reconnaître et éventuellement nommer tel objet et d'en construire la signification (forme, couleur, fonction, emplacement spatial, dynamiques etc.) qui n'est plus, dès lors, cristallisée, transcendante, à caractère définitoire, mais plutôt à géométrie variable, infléchie justement par la particulière interaction liant le sujet à l'objet. La langue et le travail sont constitutifs l'une de l'autre et notre perception / nomination des objets du monde varie suivant l'emploi que nous faisons de ces mêmes objets. Vraisemblablement, un paysan verra plus facilement dans un char d'abord un outil de travail, pour transporter des matériaux ou des fruits de la terre, éventuellement dépendant d'une traction animale ou mécanique, alors que le citadin y verra plutôt un objet pittoresque d'antan, esthétiquement autonome. Par cette remarque, nous ne sommes pas loin du paradigme de l'énaction (Maturana et Varela 1980). D'évidence, ces différences convoquent une compétence interculturelle: savoir ce que verra, d'un objet ou d'un geste définis, tel ou tel membre de telle ou telle communauté culturelle. Voir à peu près la même chose, c'est déjà se comprendre. Ne pas voir la même chose, c'est déjà se méprendre. Pour qu'il y ait compréhension réciproque, le médiateur se fait traducteur des interprétations du réel ou de l'imaginaire des interactants dont il prend en charge la parole.

Cette sélection de traits peut donc s'appliquer non seulement aux objets de la culture matérielle mais probablement à n'importe quelle entrée du dictionnaire (aux parapraxèmes près, sans doute). Avec, cependant, quelques différences. Lorsque nous avons affaire à des objets de la culture matérielle, ou plus en général à des objets concrets, la sélection des traits est lourdement (quoique non exclusivement) conditionnée par la composante visuelle; mais lorsque nous avons affaire à des objets abstraits, bref à des concepts, à des notions etc., cette sélection semble être moins évidente et bien plus floue. Ici, nous tâchons de l'appliquer aux interactants, bref aux individus, et aux communautés auxquelles ils appartiennent. Qui plus est, lorsque les interactants relèvent de communautés linguistiques et culturelles différentes (c'est le cas qui nous intéresse ici) l'interaction nécessite plus qu'ailleurs d'une médiation car, en amont et en aval de la différence linguistique stricto sensu, le niveau linguistico-culturel n'est pas forcément le même. Que l'on songe, par exemple, sous l'homogénéité des formes, à l'impossible équivalence des concepts italien et français de «minoranza linguistica» (qui est courant dans la culture linguistique italienne) et de «minorité linguistique» (dont l'application aux communautés linguistiques minoritaires est encore aujourd'hui tabou dans la culture et l'idéologie linguistiques françaises).

2.2 La médiation comme prise en compte de l'interaction

La médiation se doit de prendre en compte des éléments divers, linguistiques et extralinguistiques, ayant trait à l'interaction et constitutifs les uns des autres:

a) la nature et le but de l'interaction. S'agit-il d'une interaction ponctuelle ou s'agit-il d'une interaction prolongée dans le temps et étendue dans l'espace? Dans le premier cas, nous avons affaire le plus souvent à une situation n'impliquant généralement que deux individus dont il est souvent question de ménager les propos par l'émergence d'une solution commune; dans le second cas nous avons plutôt affaire à l'interaction de deux communautés, comme par exemple des communautés impliquées dans un processus d'intégration;

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b) les acteurs de l'interaction. Sujets ou communautés, qui sont les interactants? Comment le premier est perçu par les secondes, et vice-cersa? Est-ce qu'ils se reconnaissent? Est-ce qu'ils partagent une même culture mais, par exemple, maîtrisent de manière inégale une même langue? Est-ce qu'ils présentent d'importantes dissymétries (classes d'âge, niveaux de scolarisation, etc.)? Comment ils se représentent l'un l'autre?

c) L'espace de l'interaction. Quel est le cadre topologique et social où se déroule l'interaction? Est-ce que les acteurs de l'interaction partagent un même espace (maison, établissement, rue, quartier, ville, village, région)? Est-ce que l'interaction se déroule aussi bien en présence qu'en absence et/ou en latence?

3. Notre terrain: les étudiants d'origine étrangère de l'IC de Montorio al Vomano (Teramo, Italie)

Pour vérifier maintenant l'impact pratique de notre démarche théorique, en raison de l'espace limité qui nous est accordé nous nous bornerons à illustrer une expérience de terrain qui vient de se terminer et qui a tiré profit des considérations formulées dans les paragraphes précédents, permettant en même temps de les éclairer davantage. Cette expérience de médiation est à inscrire dans un questionnement plus général concernant la Linguistique du développement social (désormais: LDS), que nous avons ailleurs défini comme l'ensemble cohérent des méthodes et des démarches permettant d'améliorer la qualité de la vie au sein des communautés par le traitement de leur patrimoine mémoriel, narratif, linguistique (Agresti 2014 et En préparation).

L'expérience de médiation que nous allons présenter nous a vu travailler en médiateur dans le cadre suivant:

Lieu et durée de l'interaction Istituto comprensivo de Montorio al Vomano-Crognaleto (TE), du printemps jusqu'à l'automne 2014, sur une durée de 16 heures de travail en présentiel

Nature et but de l'interaction Cycle de rencontres avec des groupes d'enseignants et d'étudiants de collège d'origine mixte (italienne et étrangère, notamment kosovare) finalisées à une meilleure intégration de ces derniers dans le tissu scolaire et plus largement dans le tissu socio-culturel local

Acteurs de l'interaction Médiateurs de l'Association LEM-Italia4, enseignants et étudiants de l'IC Montorio (nous avons travaillé surtout avec deux classes de collège, et tout particulièrement avec 34 filles et garçons d'origines diverses), leurs familles

Espace de l'interaction En présence – la classe outillée avec des TIC et d'autres instruments, les étudiants réunis d'après différentes topologies relationnelles, deux enseignants de support, deux médiateurs de l'Association LEM-Italia, l'interaction écrite synchronique en langue italienne et en langue albanaise kosovare

En absence – les lieux de la ville de Montorio fréquentés par les étudiants, les familles des étudiants et les pays / villages d'origine des étudiants d'origine étrangère, l'interaction écrite a-synchronique en langue italienne et en langue kosovare

En latence – les représentations des langues et des identités en jeu: langue italienne, langue kosovare, dialecte de Montorio, langue maternelle

4 www.associazionelemitalia.org

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Ci-dessous figure le calendrier des activités. Quelques-unes recouvrent plusieurs cases parce qu'elles prévoyaient la réalisation de tâches en dehors des rencontres du projet.

9 avril

15h30-17h30

11 avril

16h30-18h30

15 mai

14h00-17h00

21 mai

14h00-17h00

29 mai

15h30-17h30

27 octobre

14h00-16h00

18 nov.

15h30-17h30

1. Séminaire: formation méthode

MAC pour enseignants

2. Séminaire: formation méthode

MAC pour enseignants

3. 1ère rencontre avec les étudiants

(groupes LEM-Italia et

Bambun)

4. 2ème rencontre avec les étudiants

(groupe LEM-Italia)

5. 3ème rencontre avec les étudiants

(groupe LEM-Italia)

6. 4ème rencontre avec les étudiants (groupe

LEM-Italia)

7. Clôture du projet et

conférence de

restitution des résultats

Tableau n. 2 - Le calendrier des activités

4. Entre théorie linguistique et terrain de médiation. Quelques observations

Ayant pris le recul nécessaire par rapport à cette expérience de médiation, il nous est à présent possible de formuler quelques observations essentielles touchant aussi bien la théorie que la pratique de terrain.

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4.1 Le cadre d'existence de la/des communauté(s) comme topologie relationnelle

Revenons d'abord sur le concept de médiation en tant que «processus de communication éthique», finalisé au rapprochement des pôles de l'interaction (trois?), à une meilleure compréhension réciproque ainsi qu'à une intégration plus positive et réussite. Lorsque ces pôles sont constitués par des groupes relevant de communautés linguistico-culturelles différentes, encore que pas tout à fait distinctes, comme dans le cas de figure qui est le nôtre, il est indispensable au préalable de cerner tous les éléments partagés par les uns et les autres et bâtir, à compter de ces éléments communs, une passerelle de communication et un espace de rencontre.

4.1.1 L'espace de la ville

Ainsi, la ville de Montorio n'est pas qu'une toile de fond de la vie quotidienne de nos étudiants: elle est la topologie des lieux de vie de ces jeunes gens, lieux qui, comme le montre le tableau n. 1, sont peu partagés par le groupe des étudiants kosovars (K) et celui des étudiants "italiens" (M), à quelques exceptions près.

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0 2 4 6 8 10 12 14

Il campo da calcio

Il fiume

La chiesa dei Cappuccini

Il Conad

La piazza

La biblioteca (in piazza)

Il Mulino

Mamma Dora

I bar

I piatti tradizionali montoriesi

Lu Mascarone

La chiesa di San Rocco

La piazza con le trote

Il mare

Il cinema

Via degli Orti

La campagna

Largo Rosciano

Le Poste

Negozio cinese "La Grande Muraglia"

Agenzia delle scommesse

I servizi

Le chiese

K

M

Tableau n. 3 - La distribution des espaces de la ville de Montorio, pour la communauté kosovare et pour la communauté italienne

Cette dissymétrie implique d'une part un manque d'occasions de partage et d'interaction en dehors du cadre scolaire, et d'autre part une différente appréhension de la ville par les deux groupes. Il y a là une première correspondance entre la théorie linguistique et le travail de terrain: de même que le char de notre exemple est perçu et représenté différemment par deux types de sujet différents (le paysan et le citadin), la ville de Montorio est perçue, vécue et représentée de manière très réductrice, notamment par les étudiants kosovars. L'analyse topologique des lieux fréquentés montre qu'il n'y a pratiquement que le fleuve Vomano et le terrain de foot qui sont fréquentés de manière quelque part comparable par les deux groupes, même si le terrain de foot exclue fatalement la plupart des étudiantes. L'action de médiation peut donc d'une part viser à élargir la connaissance et la fréquentation des lieux, des repères de la ville chez les deux groupes et de l'autre profiter des espaces déjà partagés comme autant de cadres privilégiés de l'échange et de l'émersion du #nous#.

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4.1.2 L'espace de la classe

La dissymétrie de la topologie du quotidien de nos groupes d'étudiants se reflète dans les dynamiques d'interaction en présence, comme nous avons pu l'observer au cours de nos pratiques de classe. La distribution spontanée des élèves dans l'espace clos de celle-ci reflète des configurations relationnelles on ne peut plus parlantes: les Kosovars se rassemblent, et généralement au fond de la classe, se séparant ou à tout le moins se marginalisant par là de tous les autres et se coupant de la parole de l'enseignant ou du médiateur le cas échéant.

Tableau n. 4 - La distribution spontanée des étudiants dans la salle de cours lors de la première rencontre

Ils constituent ainsi un #nous# exclusif, souvent replié et rejetant les stimuli provenant de l'extérieur tantôt par des réactions amusées, tantôt par le détournement du regard, tantôt par la sortie de la salle de cours, tantôt par le recours au code switching qui fait de leur langue maternelle un véritable outil de connivence et d'exclusion. À partir de ce diagnostic, nous avons opéré des ruptures plus ou moins douces: a) au niveau de la topologie relationnelle de classe, nous avons disposé les élèves en demi-cercle, soit tous à égale distance de nous-même et tous, par là, "à la lumière du jour":

Tableau n. 5 - La distribution des étudiants dans la salle de cours lors de la deuxième rencontre (première configuration)

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b) nous avons ensuite mélangé les groupes, et observé les dynamiques topologiques que cette proposition – accueillie avec quelques résistances parfois marquées aussi bien de la part des étudiants kosovars que des étudiants italiens – a déclenché.

Tableau n. 6 - La distribution des étudiants dans la salle de cours lors de la deuxième rencontre (deuxième configuration)

Nous avons tout particulièrement remarqué l'instabilité de Romeo G., qui a plus d'une fois changé d'emplacement comme pour vérifier à tour de rôle son identité5; c) nous avons travaillé sur la prise de parole autonome, ayant chargé chaque étudiant, à tour de rôle, de la tâche de se lever debout et de se présenter à la classe, aux enseignants et à nous-même, par l'énonciation de son prénom, de son nom et de son répertoire linguistique. Nous avons donc posé une configuration en #je# pour émousser la configuration en #nous# exclusif, en même temps que nous avons essayé d'élargir cette dernière à l'ensemble de la classe.

4.2 La médiation de l'imaginaire, ou l'interaction en latence: les représentations de langue et d'identité

L'accès à une configuration relationnelle plus inclusive, c'est-à-dire en #nous# inclusif, était entravée par une méconnaissance réciproque: nous nous sommes vite aperçu que les étudiants "italiens" ne savaient pas grand-chose de leurs collègues d'origine étrangère: ni leur langue, ni leurs biographies, ni leur malaise linguistique, ni leurs villages d'origine, ni leur mère patrie. Nous avons donc encouragé la production orale de récits de vie, à partir de la notion d'identité multiple et des jugements de valeur sur les langues présentes dans les répertoires de tous les étudiants de la classe. Nous avons essayé par là, d'une part d'inscrire chaque étudiant dans un maillage familial et social et de l'autre de collecter une série d'images sur les langues-cultures en jeu. Ce collectage nous a permis de construire, sans l'entremise de l'idéologie du chercheur, quatre questionnaires portant sur les représentations sociales des langues italienne, albanaise-kosovare, maternelle, montorièse, et ce

5 Cet élève représente un cas assez intéressant: il se déclare plus «albanais» qu'«italien», pourtant sa maîtrise de la langue italienne est bien supérieure par rapport à l'albanaise et il ne se rend en Albanie qu'au cours de l'été, lorsqu'il rejoint ses grands-parents dans le village dont sa famille est originaire. Au cours du séminaire que nous avons dirigé, son évidente quête d'identité semblait le pousser à s'inscrire tantôt dans le #nous# des étudiants kosovars albanophones, tantôt au sein de la communauté des élèves "italiens".

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d'après la méthode de l'analyse combinée (ou MAC: Maurer 2013), que nous avons administrés, de manière anonyme, aux deux classes en présentiel.

Pour éclaircir et résumer cette démarche, il nous échoit de rappeler que cette méthode se déploie à travers cinq phases:

a) la pré-enquête, ou collectage des idées individuelles portant sur la langue et sur l'identité (kosovare, maternelle, montorièse, italienne) à compter des ateliers de classe;

b) la construction de quatre questionnaires à partir de ce réservoir d'images et de représentations (voir plus loin);

c) l'administration de ces questionnaires au cours d'une rencontre ultérieure;

d) l'élaboration des résultats de l'enquête et la génération automatique des graphes et, enfin,

e) leur commentaire.

Dans le tableau suivant nous précisons le corpus de ces enquêtes.

Questionnaire Corpus total

[utilisables]

Garçons

[utilisables]

Filles

[utilisables]

Sans indications quant au sexe

Langue kosovare 24 [13] 16 [9] 8 [4] 0

Langue italienne 34 [32] 21 [20] 12 [12] 1

Langue maternelle 34 [34] 21 [21] 12 [12] 1

Montorièse 34 [34] 20 [20] 12 [12] 2

Tableau n. 7 - La distribution des étudiants dans la salle de cours lors de la deuxième rencontre (deuxième

configuration)

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Tableau n. 8 - Questionnaire MAC sur la langue kosovare

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Tableau n. 9 - Questionnaire MAC sur la langue maternelle

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Tableau n. 10 - Questionnaire MAC sur la langue italienne

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Tableau n. 11 - Questionnaire MAC sur la langue montorièse

Cette action avait un double but: a) par le renseignement des questionnaires, nous avons créé les conditions pour que chaque étudiant expérimente un moment de réflexivité, car la métaréflexion sur la langue (la langue de l'autre mais surtout sa propre langue) est généralement une occasion rare. Qui plus est, la double contrainte posée par la méthode MAC a imposé à chaque étudiant la tâche de hiérarchiser le degré d'adhésion/non-adhésion à chaque item, sans possibilité de renseigner de manière aléatoire les questionnaires. Par ailleurs, justement en raison des contraintes de posées par

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cette méthode6 b) ces questionnaires nous ont permis d'obtenir des résultats assez conséquents en termes de connaissance de l'imaginaire sociolinguistique de nos étudiants.

Or, on sait que les représentations des langues reflètent plus ou moins fidèlement les représentations socio-culturelles voire ethniques, bref ce que l'échantillon enquêté s'imagine de sa propre communauté linguistique et de celle d'autrui. Voilà que le tri, la sélection de traits se déplace de l'observation visuelle sujet-objet matériel à l'émergence d'images internes concernant ces particuliers objets immatériels que sont les langues-cultures. L'analyse des représentations linguistiques nous a permis de sonder la dimension des images culturelles habitant nos étudiants. Par des comparaisons successives, nous avons pu apprécier et mettre en évidence d'autres dissymétries entre les deux groupes sur lesquelles il est bien possible de travailler, car une langue-culture est aussi et toujours un patrimoine culturel et relationnel partageable.

En aval de l'administration des questionnaires, nous avons inséré les résultats dans une feuille de calcul Excel et téléchargé celle-ci dans le logiciel en ligne créé exprès pour l'analyse MAC par Nicolas Serra dell'IUT di Béziers7. Les graphes résultant de cette élaboration doivent être lus d'après deux paramètres:

– le positionnement des cercles le long de l'axe horizontal: à gauche se rassemblent les items rejetés, alors qu'à droite se concentrent ceux qui ont suscité un plus haut degré d'adhésion auprès de l'échantillon enquêté. Le positionnement central assemble les items «neutres», c'est-à-dire ces affirmations pour lesquelles l'échantillon n'a pas formulé d'adhésion ni de rejet spéciaux;

– la taille des cercles: elle est proportionnelle au consensus, soit au degré d'homogénéité des réponses fournies par notre échantillon.

En revanche, l'axe vertical n'est guère porteur d'informations, les cercles se distribuent de manière aléatoire uniquement dans le but de ne pas se suporposer et enrayer, par là, la compréhension du graphe.

Venons-en maintenant à l'analyse des résultats de nos enquêtes. Pour des raisons d'espace, nous nous bornerons à quelques remarques essentielles.

4.2.1 Les représentations sociales de la langue kosovare

Le premier graphe montre les représentations sociales de la langue kosovare circulant uniquement au sein de la population d'origine kosovare et albanaise:

6 Cette méthode permet d'apprécier la fiabilité des résultats à compter d'échantillons même très modestes (à partir de 10 répondants). 7 http://linguiste.iutbeziers.fr/index.php

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Graphe n. 1 - Les représentations sociales du kosovar

Un premier aperçu nous montre une polarisation assez poussée des représentations ainsi qu'une taille diverse mais généralement modeste des cercles, ce qui suggère une appréciable diversité – dis-homogénéité – des réponses. L'item ayant obtenu le score d'adhésion le plus important est l'item n. 4, «parlare il kosovaro in Kosovo mi fa sentire felice» («parler le kosovar au Kosovo me rend heureux»), suivi de près de l'item n. 7, «il kosovaro è una delle lingue più importanti da conoscere, perché è la lingua del paese in cui sono nato» («la langue kosovare est l'une des langues les plus importantes à connaître parce que c'est la langue du pays où je suis né»), alors que l'item le plus rejeté est le n. 8, «il kosovaro è più un dialetto che una lingua» («le kosovar est moins une langue qu'un dialecte»), suivi par le n. 3, «il kosovaro si parla per non farsi capire da chi non lo parla» («on parle le kosovar pour ne pas se faire comprendre»). Au milieu du graphe, avec un degré de consensus exceptionnellement faible, figure l'item n. 2, «il kosovaro non ha la grammatica» («le kosovar n'a pas de grammaire»), ce qui laisse deviner une moyenne entre des réponses opposées, entre pleine adhésion et plein rejet.

Ce dernier item correspond à une idée reçue extrêmement répandue au sein des communautés linguistiques minoritaires, locales ou régionales, majoritairement orales et souvent qualifiées de «dialectales». Pourtant, comme nous venons de le voir, le kosovar n'est pas perçu en tant que dialecte. La distance séparant les items 2 et 8 est sans doute déterminée par le rejet du terme «dialetto» qui, dans ce contexte, est marqué et revient vraisemblablement au concept de "langue inférieure" et est par là rejeté, en accord avec le sentiment de fierté et de loyauté émergeant des items n.4 et n.7. Ces derniers nous permettent par ailleurs de mesurer l'intime connexion entre langue, sujet et pays d'origine.

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4.2.2 Les représentations sociales de la langue maternelle

Un second carottage porte sur une comparaison entre les résultats de l'enquête sur la langue kosovare, uniquement réservée aux étudiants albanophones (Graphe 2), et ceux de l'enquête sur la «langue maternelle», tous étudiants confondus (Graphe 3).

Graphes n. 2 et 3 - Les représentations sociales du kosovar (haut) et de la langue maternelle (bas)

Évidemment, les deux graphes ne sont pas tout à fait comparables, ayant été générés par deux questionnaires différents. Néanmoins, quelques comparaisons nous paraissent légitimes et intéressantes. Par quelques lignes droites nous avons mis en évidence quelques ressemblances et quelques différences entre les deux graphes: à remarquer d'abord une polarisation moins poussée dans le graphe d'en bas; ensuite, si dans le graphe 3 l'item n. 2 («la lingua materna è la lingua della famiglia» – «la langue de la famille est la langue maternelle») obtient le score d'adhésion maximum (+ 1,25), dans le graphe 2 l'idée que le kosovar est la «lingua madre» («langue maternelle») est plutôt rejetée (même s'il faut admettre que la formulation de l'item 10 peut interférer: «il kosovaro è

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la lingua madre, l'italiano è la lingua padre» – «le kosovar est la langue maternelle, l'italien est la langue paternelle»). Ce qui frappe davantage est, dans le graphe 3, le rejet de l'item 5 («la lingua materna è la lingua da trasmettere alle nuove generazioni» – «la langue maternelle est la langue à transmettre aux nouvelles générations») qui cohabite assez curieusement avec la franche adhésion à l'item 7 («la lingua materna è da difendere sempre e comunque» – «la langue maternelle est à défendre toujours et sans réserve») et qui est encore plus éloigné de l'item 7 du graphe 2 («il kosovaro è una delle lingue più importanti da conoscere, perché è la lingua del paese in cui sono nato» – «le kosovar est l'une des langues les plus importantes à connaître, car c'est la langue du pays où je suis né»): ces contradictions apparentes suggèrent l'image d'une langue à laquelle le sujet est sans aucun doute lié, que le sujet veut défendre, mais moins d'une manière concrète (la transmission intergénérationnelle) que par des déclarations de principe.

4.2.3 Les représentations sociales de la langue italienne

Graphes n. 4 et 5 - Les représentations sociales de la langue italienne chez les étudiants kosovars (haut) et locaux (bas)

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Dans ces deux graphes nous comparons les représentations de la langue italienne pour chacun des deux groupes: les étudiants kosovars (en haut) et les étudiants locaux (en bas). Les représentations des premiers sont plutôt groupées au milieu (entre -0,75 et +0,75 environ), alors que les réponses des locaux sont plus polarisées. Parmi les différences à notre sens particulièrement significatives, nous observons que pour les élèves kosovars l'italien est langue du passé (item 8) plus que pour les élèves locaux (qui rejettent assez nettement cette représentation), de même que pour les premiers la langue italienne est «poco europea» («peu européenne», +0,65) alors que pour les seconds le score d'adhésion à cet item est bien plus modeste (+0,15). Enfin, le rejet de la part des étudiants kosovars de l'item 7 («l'italiano dovrebbe essere l'unica lingua per comunicare con tutti, in Italia» – «l'italien devrait être la seule langue pour communiquer avec tout le monde, en Italie), qui est timidement reçu par les étudiants locaux.

4.2.3 Les représentations sociales de la langue locale (dialecte de Montorio)

Graphes n. 6 et 7 - Les représentations sociales de la langue locale (montorièse) chez les étudiants kosovars (haut) et locaux (bas)

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Dans ces deux derniers graphes nous comparons les représentations de la langue montorièse circulant au sein des deux groupes, les étudiants kosovars (en haut) et les étudiants de Montorio (en bas). Parmi les différences les plus intéressantes, l'une retient tout particulièrement notre attention: la différence des scores d'adhésion par rapport à l'item 4 («il montoriese è la lingua soltanto del popolo» – «le montorièse n'est que la langue du peuple»). Alors que l'échantillon des étudiants locaux adhère assez largement (+0,85), l'échantillon des Kosovars rejette cet item (-1,15), sans doute à cause du fait que, pour eux, la variante linguistique locale est bien la langue du paysage linguistique environnant, qui leur est du moins partiellement inaccessible. Néanmoins, la forte adhésion à l'item 5 («il montoriese lo parlano soprattutto i vecchi» – «le montorièse est parlé surtout par les gens âgés») de la part des étudiants kosovars semble contredire au moins en partie cette remarque. Pour conclure, nous soulignerons la variation des scores d'adhésion par rapport à l'item 2 («il montoriese è la lingua ideale per scherzare con gli amici» – «le montorièse est la langue idéale pour rigoler avec les amis») (diff.: 0,75), ce qui s'explique aisément par la différente compétence linguistique des deux groupes. Cela dit, ce résultat suggère qu'une meilleure connaissance de la langue locale pourrait aider très concrètement les élèves d'origine étrangère à mieux interagir avec leurs copains "italiens".

5. Conclusion et ouverture: la médiation par la communauté

Essayons de parvenir maintenant à une conclusion suffisamment satisfaisante. L'essentiel de notre travail de terrain a porté sur le décloisonnement des groupes étanches, qui ont été amenés à réfléchir sur l'identité propre et autrui, et d'abord au répertoire linguistique individuel et collectif. Notre action de médiation s'est profondément inspirée du régime de l'interaction tel que nous l'avons esquissé dans la première partie de cette contribution: un échange circulaire en présence, absence ou latence où la vraie, efficace compréhension mutuelle n'est possible qu'à partir du partage non seulement d'une «langue de service» (Wismann et Judet de la Combe 2004) mais également, et plus en profondeur, des traits des objets (concrets ou abstraits) dont il est question dans le discours. Pour ce faire, nous avons travaillé sur la dimension topologique et narrative, chaque narration se situant forcément dans un cadre spatial et temporel et représentant un acte de partage non seulement de contenus référentiels ou anecdotiques mais également émotionnel, pour que chaque membre du groupe se situe consciemment dans le contexte général, un espace qui va du micro (la classe) au macro (la ville de Montorio) jusqu'à l'ailleurs, le là-bas, le Kosovo ou l'Albanie, parfois vécu, parfois fantasmé, parfois imaginé ou rapporté. La quête de l'identité et la mise en discours de cette quête est une aventure langagière considérable, où tout mot, toute hésitation, tout ratage etc. est porteur de sens. Surtout, cette aventure est celle de chacun de nous, ce qui fait que la quête de l'autre devient, sans même en avoir l'air, notre quête à nous. Voilà ce qui peut établir un lien de communication fécond et édifiant entre les soi-disant "groupes" de la classe.

Après ces moments de réflexivité, où chaque élève, au lieu de se cacher ou s'enliser dans le giron de la connivence et de la caricature a commencé à prendre le goût du récit autobiographique au milieu de ses pairs, nous avons estimé avoir créé les conditions pour une collaboration plus ouverte et constructive (Lévy, Kramsch, Zarate 2008). Pour améliorer ultérieurement la connaissance réciproque et faciliter le dialogue entre les différents membres de la classe (y compris les enseignants), nous avons proposé aux étudiants la rédaction d'un Vocabulaire spontané plurilingue: un outil visant la valorisation des patrimoines identitaires et linguistiques de chaque étudiant, kosovar ou italien, et finalisé à une publication de type universitaire susceptible même d'une

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présentation officielle au cours d'une manifestation académique de relief. Cette proposition a été acceptée avec enthousiasme et, malgré la difficulté à faire travailler nos étudiants en absence (c'est-à-dire à la maison), nous pouvons être assez satisfait du travail mené à bien jusqu'à présent, sachant que celui-ci sera prochainement prolongé par un nouveau financement. L'intérêt de cette démarche est à notre sens multiple: a) elle représente un plus de motivation pour nos étudiants; b) elle permet de réaliser un outil de reconnaissance (ou connaissance réciproque) à destination des étudiants eux-mêmes; c) elle représente un geste d'ouverture et de mise à disposition d'un répertoire d'images et de mots/phrases à destination des copains, qui est déjà une forme de médiation; d) elle représente un progrès en termes d'empowerment, en ce qu'elle constitue un moment de travail réalisé non seulement pour mais également par la communauté enquêtée; e) par le régime évolutif et collaboratif, ce Vocabulaire représente finalement une co-construction, en même temps qu'une constitution du groupe-classe en un #nous inclusif#. Les images qui suivent donnent l'idée de cette démarche.

Maintenant, c'est à nous et aux étudiants de poursuivre cette aventure dans un nouveau cycle de rencontres et de mesurer de manière encore plus conséquente les impacts de cette démarche où la théorie linguistique – et notamment la théorie de l'interaction – a fourni le modèle des actions de médiations dans ce contexte particulier.

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Références

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Agresti, G. (2008). « Analyser le discours écrit : les configurations relationnelles en français contemporain », in Jacques DURAND - Benoît HABERT - Bernard LAKS (éds.), Actes du Premier Congrès Mondial de Linguistique Française (CMLF-08), CNRS et ILF (La Cité Internationale Universitaire de Paris, 9-12 juillet 2008) (edizione su CD-ROM e sul sito www.linguistiquefrancaise.org), pp. 1287-1300.

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