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DIDACTIQUE La didactique de la langue maternelle Jean-Paul BRQNCKART et Jean-Louis CH1SS Introduction Dans la plupart des systèmes scolaires des nations occidentales - et sans doute largement au-delà-, l'enseignement de la langue maternelle est confronté à un ensemble de difficultés qui engendrent régulièrement des diagnostics de crise, ou d'état endémique d'inadaptation et d'échec de ce type de formation. Un premier ordre ue difficultés a trait au faible niveau de maîtrise de la langue atteint par une pan non négligeable des élèves en fin de scolarité obligatoire, avec pour conséquence une persistance de l'illettrisme, voire de l'analphabétisme. D'autres difficultés sont lices aux rapports existant entre la langue maternelle (qui est en fait la langue nationale, ou une des langues nationales, érigée en langue d'enseignement) et les pratiques verbales effectives des é'.èves ; elles découlent notamment du fait que la stratification sociale génère des pratiques langagières qui s'écartent plus ou moins de la norme dominante régissant le fonctionnement de la langue nationale, ou encore des problèmes que pose l'intégration linguistique et culturelle de populations scolaires, toujours plus nombreuses, issues de l'immigration. Ces difficultés ne constituent qu'une partie des obstacles que doivent surmonter les formateurs et les enseignants pour parvenir à l'efficacité souhaitée par les décideurs politiques et la société tout entière. Parfois, comme dans le contexte francophone, le sentiment de crise de l'enseignement de la langue se double d'une appréhension concernant le devenir même de cette langue ; celle-ci y est conçue comme un patrimoine menacé par les effets conjugués de l'anglomanie, d'un relâchement généralisé du code employé à l'oral et à l'écrit, de l'éclatement de la prétendue unicité du français en toutes sortes d'idiomes communautaires, techniques ou professionnels, assimilés à des jargons ou à des langues de bois. Même si les diagnostics peuvent varier sur la situation actuelle, et en particulier sur la réalité d'une détérioration du niveau de l'expression orale et des compétences en lecture et en écriture, on peut considérer que, depuis les années I960, toutes les réformes envisagées ou réalisées ont visé à fournir des réponses à ce sentiment d'insatisfaction diffus, qui incite au changement mais entretient aussi parfois la nostalgie d'un âge d'or révolu de l'enseignement. C'est dans ce cadre qu'il faut situer l'émergence et l'édification progressive d'une didactique de la langue maternelle, à partir de la critique des approches antérieures qu'ont été la psychopédagogie et la linguistique appliquée. Tout en s'inscrivant dans la démarche générale des didactiques des disciplines scolaires, la didactique de la langue maternelle présente de nombreuses et importantes caractéristiques spécifiques en

DIDACTIQUE La didactique de la langue maternelle

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DIDACTIQUELa didactique de la langue maternelle

Jean-Paul BRQNCKART et Jean-Louis CH1SS

Introduction

Dans la plupart des systèmes scolaires des nations occidentales - et sans doutelargement au-delà-, l'enseignement de la langue maternelle est confronté à unensemble de difficultés qui engendrent régulièrement des diagnostics de crise, oud'état endémique d'inadaptation et d'échec de ce type de formation. Un premier ordreue difficultés a trait au faible niveau de maîtrise de la langue atteint par une pan nonnégligeable des élèves en fin de scolarité obligatoire, avec pour conséquence unepersistance de l'illettrisme, voire de l'analphabétisme. D'autres difficultés sont licesaux rapports existant entre la langue maternelle (qui est en fait la langue nationale, ouune des langues nationales, érigée en langue d'enseignement) et les pratiques verbaleseffectives des é'.èves ; elles découlent notamment du fait que la stratification socialegénère des pratiques langagières qui s'écartent plus ou moins de la norme dominanterégissant le fonctionnement de la langue nationale, ou encore des problèmes que posel'intégration linguistique et culturelle de populations scolaires, toujours plusnombreuses, issues de l'immigration. Ces difficultés ne constituent qu'une partie desobstacles que doivent surmonter les formateurs et les enseignants pour parvenir àl'efficacité souhaitée par les décideurs politiques et la société tout entière.

Parfois, comme dans le contexte francophone, le sentiment de crise de l'enseignementde la langue se double d'une appréhension concernant le devenir même de cettelangue ; celle-ci y est conçue comme un patrimoine menacé par les effets conjuguésde l'anglomanie, d'un relâchement généralisé du code employé à l'oral et à l'écrit, del'éclatement de la prétendue unicité du français en toutes sortes d'idiomescommunautaires, techniques ou professionnels, assimilés à des jargons ou à des

langues de bois.

Même si les diagnostics peuvent varier sur la situation actuelle, et en particulier sur laréalité d'une détérioration du niveau de l'expression orale et des compétences enlecture et en écriture, on peut considérer que, depuis les années I960, toutes lesréformes envisagées ou réalisées ont visé à fournir des réponses à ce sentimentd'insatisfaction diffus, qui incite au changement mais entretient aussi parfois lanostalgie d'un âge d'or révolu de l'enseignement.

C'est dans ce cadre qu'il faut situer l'émergence et l'édification progressive d'unedidactique de la langue maternelle, à partir de la critique des approches antérieuresqu'ont été la psychopédagogie et la linguistique appliquée. Tout en s'inscrivant dans ladémarche générale des didactiques des disciplines scolaires, la didactique de la languematernelle présente de nombreuses et importantes caractéristiques spécifiques en

raison de ses origines conceptuelles et historiques ainsi que de la nature complexe deson champ d'application (la langue, les textes et discours, la relation iangage-cuiiure,

etc.).

/ - Langue, école et société : l'exemple du français

L'espace où s'inscrivent les problématiques de l'enseignement el de l'apprentissage dufrançais est à l'évidence double : histoire de la langue française et sociologie despratiques linguistiques et culturelles en France, d'une part ; histoire de l'écolefrançaise el de la discipline scolaire « français », d'autre part.

11 faut d'abord garder en mémoire que la constitution du français comme languenationale, son « institution », comme i'ccrn R. Baiibar, a été un processus long,marqué par plusieurs étapes décisives que symbolisent les dates suivantes : 1539. éditde Villers-Cotterêts, qui prescrit que tous les actes notariés et de justice soientdésormais rédigés en langue maternelle, c'est-à-dire en français, langue du roi ; 163-1.création de l'Académie, qui témoigne de la volonlé affirmée de faire prévaloir cellelangue sut" le lefntoire politique de là France , 1794, jappui i de l'abbé Grégoire à laConvention « sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliserl'usage de la iangue française ».

En dépit de ces prescriptions et de ces projets, le français n'est devenu une languecommune que très progressivement ; il est demeuré une langue étrangère pour lamajorité des habitants de l'Hexagone jusqu'au XVIIIe siècle, et il a fallu en réalité<-i++iif\i le* ï-it-^j.»'* I ï 1 r>-o+i *-*»^ /•* S3. l/^tr" t* <-> /H i /-» o 1 £ï c f» I fi T-i *n / - î ï i N [ \ n i i^^\^ t^r&r^+i /-w* f\t^\ £i *•> j"t 1 *-itl-LL^-JUVll^ Itt pi V^IllLil^a.tlV/11 *av Ik/IO 1 Cl*J.H-/CtIWO Ct I Cl 1111 U L4 ^VX^i. , «. V WV/ i Ct V/l V^tll J \Jli \1^ I \-~^\J i \,

publique, laïque, gratuite et obligatoire, pour qu'il soit doté d'une existence stable etgénéralisée. Pendant cette longue période de latence, en l'absence d'une véritablematérialisation dans les pratiques langagières orales, le français national est restésurtout une langue d'État et une langue d'école. Les déclarations posant l'universalitéde cette langue, si elles ont constitué un leitmotiv idéologique et politique trèspuissant, ont en même temps servi à masquer la situation linguistique effective de laFrance.

Par ailleurs, en matière de programmes et de méthodes d'enseignement, les projetspédagogiques issus de la Révolution française, bien qu'ils aient affiché des objectifsmodernistes, se sont en réalité inscrits dans la continuité plutôt que dans la rupture.Ces projets ont repris, tout d'abord, les deux piliers méthodologiques del'enseignement des langues en vigueur dans les collèges de l'Ancien Régime : unegrammaire ayant pour fonction de proposer une analyse des énoncés latins, et uneprocédure d'apprentissage du style et de la noirne fondée sur les « bons auteurs ». Ilsont préconisé, en outre, de réserver la grammaire et les bons auteurs aux élèves desniveaux supérieurs, et de proposer une version simplifiée d'analyse du français (unegrammaire élémentaire) pour les écoles du peuple, instaurant de la sorte deuxsystèmes scolaires séparés : celui du secondaire et de ses écoles préparatoires,

donnant accès aux fonctions sociales-, dominantes, et celui de l'école élémentaire,chargé de fournir une instrumentation de base (lire et écrire en français) aux classesdominées. L'unification des deux réseaux et la création d'un tronc commun au coursdu XXe siècle n'ont pas fondamentalement modifié cet état de choses. Mais laprolongation de la scolarité obligatoire et la démocratisation-massification del'enseignemenrqui s'en est suivi ont répercuté sur le premier cycle du secondaire lesdifficultés rencontrées à l'école primaire, et notamment ceîles liées à l'hétérogénéitédes finalités de l'enseignement de la langue maternelle. L'instauration du collègeunique dans ies années 1970, comme les difficultés actuelles de gestion del'hétérogénéité des élèves ont reposé la question des objectifs et des modalités del'enseignement de la langue, de la culture et de la littérature ; elles ont ouvert unenouvelle « crise du français ». et en conséquence la recherche de démarches quiseraient susceptibles de la résoudre.

Dans l'enseignement secondaire, la discipline « français » avait conquis uneindépendance relative à partir des années 1900, en abandonnant le colinguismefranco-latin, en se dégageant progressivement des humanités et en inventant sespropres exercices, comme l'explication de textes ou la dissertation. Dansl'enseignement primaire, le privilège accordé à l'orthographe avait profondémentmarqué, durant tout le xixe siècle, le développement d'une grammaire scolaire qui, àtravers l'inculcaiion de règles, assurait une fonction de standardisation linguistique etde normalisation sociale. Malgré toute une série de remises en cause partielles dès ledébut du xxfi siècle, avec des réformateurs comme Ferdinand Brunot ou, plus tard,Charles Bally, le dispositif ancien de l'enseignement du français s'est maintenujusqu'aux années 1950 environ. C'est à partir de là qu'il a été contesté par deux sériesde démarches portant sur les conditions d'enseignement-apprentissage et surl'adéquation des contenus.

//- Psychovédasosie et linguistique appliquée : vers la didactique de lalangue maternelle

C'est le courant de la psychopédagogie qui a tenté de placer, selon une formulationplus actuelle, l'élève au centre des apprentissages. Dès les années 1930, sousl'influence de la psychologie du développement, les démarches d'enseignement de lalangue ont fait l'objet d'une réorientation, visant à modifier des fonctionnementspédagogiques jugés rigides et stéréotypés : il s'agissait d'accorder plus de place àl'activité langagière spontanée de l'enfant, à ses goûts et à ses motivations, d'éveillerson intérêt intellectuel par des exercices moins contraignants et mécaniques(abandonner les exercices de mémorisation des règles de grammaire, de copie destextes ou de lecture silencieuse). Mais c'est à partir de la fin des années 1960, avec lapublication du plan Rouchette (1971) et des travaux de la commission PierreEmmanuel (1968) en France, du rapport de la Hessische Rahmenrichtlinien Deutsch(1972) en Allemagne, du rapport Bullock (1975) en Grande-Bretagne, qu'on voit semettre en place de véritables projets de rénovation, axés, sur le plan des objectifs, sur

la dialectique entre libération de la parole et structuration de la langue, et impliquant,sur le plan méthodologique, le passage d'une approche déductive à une approcheinductive.

Ces nouvelles finalités et cette nouvelle orientation méthodologique assignées àl'enseignement du français ont inéluctablement entraîné une remise en question de laprésentation et de la conceptualisation des contenus mêmes de cet enseignement. Ilsont suscité aussi la recherche de nouvelles références théoriques qui légitimeraientcette transformation des contenus. Cette démarche s'est effectuée dans deuxdirections. Pour expliciter et mettre en évidence la dimension expressive du langage,il a été fan appel aux courants linguistiques centrés sur la communication, et enparticulier au schéma de Jakobson, décrivant et organisant les différentes fonctions dulangage. Sur ie pian de la structuration, ou de l'analyse explicite de la langue, lagrammaire en usage (communément qualifiée de traditionnelle) offrait le spectacled'une confusion entre logique et langage et entre écrit et oral, d'une hypertrophie de lamorphologie aux dépens de la syntaxe, d'une inflation des fonctions et d'un flou descatégories, d'un privilège accordé au corpus littéraire. Et sa méthode d'enseignement,alliant énoncé de règles rigides eî abus des exceptions, systématique d'apparence etgoût du détail, ordonnait un apprentissage de type scolastique incompatible avec lesnouveaux principes méthodologiques, une nouvelle grammaire scolaire de référence adonc été élaborée, qui s'est inspirée pour une part des modèles et méthodes del'analyse structurale, pour une autre part des propositions théoriques etméthodologiques de la grammaire générative et transformationnelle.

L'ensemble de ces mouvements ont conduit à la mise en place de réformes plus oumoins radicales, dont celle engagée en Suisse romande (et dont les principesfondateurs ont été énoncés dans Maîtrise du français, 1979) constitue sans doute latentative la plus complète et la plus cohérente. Si certains aspects de ces réformestémoignaient d'une pédagogisation hâtive de certains concepts, caractéristique de ladémarche de « linguistique appliquée ». l'adoption des techniques de descriptionlinguistique a néanmoins conduit à la mise en place d'un enseignement permettant auxélèves de construire une connaissance plus rationnelle des caractéristiques de leurlangue et de promouvoir des améliorations sensibles des conditions d'appropriation de

ces connaissances dans ie cadre de ia classe.

Cependant, après quelques années d'euphorie, les limites de l'emprunt aux disciplinesscientifiques sont apparues. Contrairement aux autres didactiques des disciplinesscolaires, qui semblaient disposer de référents théoriques plus stabilisés, la didactiquedu français a puisé dans des modèles linguistiques diversifiés et dont îa formalisationet la complexité rendaient difficile une application directe : la sélection de certainesprocédures (ia description en arbres des énoncés, par exemple) a eu tendance, enl'absence d'une transposition didactique suffisamment maîtrisée, à engendrer desprocessus de réification. De plus, de nombreux enseignants se sont sentis démunis etdésemparés face aux nouvelles démarches et aux terminologies qu'elles impliquaient.

Certains ont conclu de cette expérience que si elle avait sans nul doute introduit unenouvelle grammaire, eue n'avait pas suffisamment suscité une nouvelle manièred'enseigner la grammaire. Il est surtout apparu que l'apport de connaissancesnouvelles dans la structuration grammaticale, lexicale, voire orthographique de lalangue ne se traduisait pas en termes de transfert dans les compétences d'expressionorale, de lecture et d'écriture des élèves. Se reposait donc la question de l'écart entredes desciipUons scientifiquement fondées cî la maîtrise pratique de la langue et destextes. À partir de là, le sentiment - et sans doute la réalité - de l'échec scolairepersistant en français devait amener à une reconfiguration du champ de sonenseignement-apprentissage en une didactique prenant en compte les interactionsentre les trois pôles du triangle, les contextes linguistiques et éducatifs, la spécificitéA& i'^Ki£>t ionmi«^ ii_M-.rn£rpp D'où i double frïn"vc7Tîerï! /^'s*DDrofonclïccerrïefï^ ciesS \̂ J V l̂ fj V 1. .4.11*^ Mita I v v j . . £ _

sous-disciplines du français et de conceptualisation d'ensemble de la discipline.

/// - Diversité et spécificité de la didactÏQue de la langue maternelle

Si l'une des premières tâches d'une didactique est de construire des contenus et desdémarches pour renseignement-apprentissage d'une discipline scolaire, il est évidentque la multiplicité des objectifs poursuivis dans le domaine de la langue maternellerend cette tâche particulièrement ardue. Dans le contexte francophone, l'enseignementde la discipline n'a cessé de s'éienure aux domaines les plus variés, jusqu'à faire del'enseignant de français, le « spécialiste de tout » (de la langue, avec ses composantesque sont la grammaire, le lexique ou l'orthographe, mais aussi de l'expression orale etécrite, de la lecture et de la littérature, et, encore aujourd'hui, des discours dans leurdiversité, voire de l'image, sans compter les dimensions culturelles inhérentes àl'examen des textes). C'est dire que la question des priorités fait débat sur le terraininstitutionnel et dans l'énoncé des programmes, mais configure aussi d'une certainernanièie les directions empruntées par la recherche.

De fait, chaque sous-discipline de la didactique de la langue maternelle requiert unelucidité particulière pour délimiter ses objets et prévoir leurs modes de traitement : lanécessité d'un enseignement de l'oral doit surmonter le flou conceptuel de la notionelle-même et amener entre autres une réflexion sur la didactisation difficile destravaux portant sur la langue parlée : l'approche du vocabulaire conduit à examiner lesliaisons lexique-grammaire, lexique-textualité, lexique-culture, et apparaît comme unexemple révélateur des problèmes du décloisonnernent hitra-disciplinaire , rapprochede la grammaire peut, moins que jamais, faire l'économie d'une réflexion sur lemodèle de langue à enseigner (l'interrogation sur la pluralité des normes est-elle unedimension fondamentale de l'activité grammaticale ?), sur la relation entre formes etsens, sur l'articulation grammaire de phrase/grammaire de texte et, plus généralement,sur la multiplicité des niveaux d'analyse de la langue ; la lecture et l'écriture posent laquestion de leurs supports, c'est-à-dire d'une diversification de plus en plus étenduedes textes et discours qui appelle une réflexion cîassificaîoire, typologique, à la foisindispensable et dont il faut mesurer les limites ; une didactique de la littérature, de

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plus en plus consistante, travaille à réconcilier les approches systémiques et formellesdes œuvres avec leurs dimensions culturelles et subjectives.

C'est en fonction de ces diverses directions que de nouveaux référants théoriques ontété convoqués,ces dernières années : la vogue communicative impliquait l'ouverturevers la sémiologie et les problématiques interactionnistes ; le « dépassement » de laphrase vers le texte et le discours mobilisait les théories de renonciation, lapragmatique, l'analyse des discours, la grammaire textuelle ; la préoccupation del'illettrisme et des difficultés d'entrée dans la culture de l'écrit réclamait l'appel auxchamps sociologique et ethnologique... On pourrait multiplier les exemples de cettepluralité de références au champ scientifique, sans doute génératrice d'un effetd'éclatement. D'autant que, dans cette didactique, plus qu'ailleurs sans doute, larelation aux pratiques sociales de référence (par exemple, la compétence du lecteurexpert, celle du scriptem polyvalent, ou les figures toujours présentes de l'orateur oude l'écrivain) ne peut être sous-estimée.

C'est pourquoi la recherche d'un paradigme disciplinaire organisateur et globalisantconstitue l'axe même du travail en didactique de la langue maternelle et donne lieu àdes propositions divergentes, voire incompatibles. Il suffit, à cet égard, de comparer àdix ans de distance les deux volumes de la collection « Que sais-je ? » intitulésidentiquement La Didactique du français, fl n'en reste pas moins que se repose sanscesse la question centrale de l'articulation entre l'appropriation des savoir-fairelangagiers (parler-iire-écrire) et des savoirs linguistiques.

La dimension métalinguistique et réflexive, inévitable et nécessaire dansl'enseignement de la langue maternelle, accompagne l'apprentissage des pratiqueslangagières orales et écrites dans un dosage permanent et délicat entre codification ethabitus. On voit bien, par exemple, dans un domaine particulièrement exploré cesdernières années, que l'acquisition d'une capacité rédactionnelle par les élèvesmobilise toute une série de connaissances portant à la fois sur le processus (l'acted'écrire) et sur le produit (le texte), une intégration progressive et coûteuse desfonctionnements de la langue écrite et des rhétoriques textuelles et discursives, unefamiliarisation avec des normes sociales. La construction de modèles d'une telleactivité empruntant à des sources théoriques multiples (psychologie cognitive,linguistique textuelle, histoire des « arts d'écrire », etc.) fournit sans doute desrégulateurs, mais sans pour autant résoudre toutes les difficultés qui tiennent auxtrajets personnels des élèves, pour lesquels ces apprentissages sont toujours endevenir. C'est alors la nature même de ces savoir-faire qui conduit la didactique de lalangue maternelle à privilégier aujourd'hui des optiques ascendantes qui, partant del'identification des problèmes rencontrés, conduit à impliquer des savoirs et des artsde faire dans l'élaboration des réponses didactiques. Même si elle ne peut éviter de seconfronter aux vicissitudes des mécanismes de transposition, cette didactique metaussi particulièrement en jeu l'« effet en retour » des préoccupations pédagogiques etsociales sur les disciplines de référence. C'est parce que les objets dont elle traite

alimentent des débats permanents dans-la société (réforme de l'orthographe, place dulivre et des médias, relation entre lecture-écriture et informatique, rôle du patrimoinelittéraire) qu'elle occupe une place très spécifique au sein de la didactique desdisciplines scolaires. Pour construire son armature conceptuelle, clic se doit dediscuter les notions qui circulent dans son domaine : par exemple, pauvreté oucomplexité linguistiques, naturalité ou artificialité des situations de communication.Pour délimiter son domaine, il lui faut se situer face à des champs connexes, celui del'acquisition des langues et des interactions verbales, et ce d'autant plus que la languematernelle constitue un médium pour l'appropriation des autres matières scolaires (parexemple, des autres langues naturelles), et pour la transmission de la culture scolaire.

Le caractère transversal et multiforme de cette didactique ne l'empêche pas departager les problèmes cruciaux des autres didactiques que sont ia construction desprogressions, la révision des métalangages et des terminologies, l'invention desexercices et des activités. Elle se trouve impliquée dans la démarche générale derenouvellement méthodologique, de construction interactive des apprentissages, derecherche d'équilibre entre les préoccupations réflexives et interventionnistes.

Bibliozravhie

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Office romand des éditions et du matériel scolaires. Nathan. Paris. 1979• A. Boissinot dir, Perspectives actuelles de l'enseignement du français,

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Document proposé par Youcef Atrouz, 2011+