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Giovanni Agresti Au cœur de l’Europe. La langue occitane en tant que langue-carrefour des langues romanes: historique et perspectives d’une idée 1 L’occitan, langue-carrefour? En 1961, à l’occasion d’un colloque portant sur la langue et littérature d’oc, le célèbre philologue Gerhard Rohlfs proposait, au sujet de l’occitan, l’image du « carrefour des langues romanes » (Rohlfs, 1964). Reprise entre temps par d’autres spécialistes de renom (Lafont, 1991 : 1), l’Europe des régions et des contrepoids aux processus de mondialisation ultralibérale aidant, cette idée resurgit puissamment un demi-siècle plus tard, comme le témoignent quelques manifestations et publications considérables récentes. Or, cette résurgence, qui ne peut que s’enraciner dans un terreau de recherche philologique, s’inscrit dans un paysage différent: elle investit aujourd’hui le cadre pédagogique et vise à modifier la donne du « marché linguistique » (Bourdieu : 1982) en essayant de reconduire la langue- culture d’oc, de la périphérie où elle est reléguée, au carrefour, c’est-à-dire au cœur de l’Europe occidentale 1 . Une telle évolution de la visée de la recherche, en phase d’ailleurs avec une instance plus générale se manifestant à divers endroits de notre Continent 2 , motive le présent retour sur cette idée de « carrefour roman » que serait l’occitan. La présente étude n’a nullement la prétention d’être systématique : loin de ça, elle se borne i) tout d’abord, à évoquer quelques « précurseurs » de cette trouvaille, à savoir quelques personnages qui crurent, d’une manière plus ou moins intuitive ou scientifique, nécessaire d’attribuer à l’occitan un statut bien plus large et important que celui de simple « dialecte », voire « patois », français (paragraphe 2) ; ii) ensuite, à considérer certains phénomènes linguistiques qui, a) d’un côté, contribuent, si besoin était, à étoffer la thèse originelle, et b) de l’autre posent de nouveaux problèmes – certes difficiles à cerner mais, ce nous semble, très féconds (paragraphe 3). 1 Trois initiatives ont tout particulièrement attiré notre attention: « La langue d’Oc dans le projet d’apprentissage simultané des langues romanes », Colloque AELOC, Port-de-Bouc le 27 juin 2006 ; côté manuels pédagogiques, on signalera la méthode Òc-ben!, à l’ambition pan-occitane (Salles-Lousteau 2005), dont le programme est clairement exprimé par l’image d’ouverture de l’arbre des langues romanes ; enfin, le Ministère de l’Éducation nationale et le Rectorat de Bordeaux ont lancé une campagne publicitaire qui mise sur cette idée de langue-carrefour : « Un passeport pour les langues romanes. À l’école, au collège, au lycée, l’occitan d’aujourd’hui ! ». 2 On rappellera au moins la méthode Eurocom Rom des professeurs Klein et Stegmann et leurs équipes, les projets Galatea et Galanet visant l’intercompréhension entre locuteurs de langues latines, les recherches menées sur le plan historique, sociolinguistique et culturel par l’Association Eurolinguistique, dont le foyer originel est l’université de Manheim.

Au cœur de l’Europe. La langue occitane en tant que langue-carrefour des langues romanes : historique et perspectives d’une idée

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Giovanni Agresti

Au cœur de l’Europe. La langue occitane en tant que langue-carrefour des langues romanes: historique et perspectives d’une idée

1 L’occitan, langue-carrefour?

En 1961, à l’occasion d’un colloque portant sur la langue et littérature d’oc, le célèbre philologue Gerhard Rohlfs proposait, au sujet de l’occitan, l’image du « carrefour des langues romanes » (Rohlfs, 1964). Reprise entre temps par d’autres spécialistes de renom (Lafont, 1991 : 1), l’Europe des régions et des contrepoids aux processus de mondialisation ultralibérale aidant, cette idée resurgit puissamment un demi-siècle plus tard, comme le témoignent quelques manifestations et publications considérables récentes. Or, cette résurgence, qui ne peut que s’enraciner dans un terreau de recherche philologique, s’inscrit dans un paysage différent: elle investit aujourd’hui le cadre pédagogique et vise à modifier la donne du « marché linguistique » (Bourdieu : 1982) en essayant de reconduire la langue-culture d’oc, de la périphérie où elle est reléguée, au carrefour, c’est-à-dire au cœur de l’Europe occidentale1.

Une telle évolution de la visée de la recherche, en phase d’ailleurs avec une instance plus générale se manifestant à divers endroits de notre Continent2, motive le présent retour sur cette idée de « carrefour roman » que serait l’occitan. La présente étude n’a nullement la prétention d’être systématique : loin de ça, elle se borne

i) tout d’abord, à évoquer quelques « précurseurs » de cette trouvaille, à savoir

quelques personnages qui crurent, d’une manière plus ou moins intuitive ou scientifique, nécessaire d’attribuer à l’occitan un statut bien plus large et important que celui de simple « dialecte », voire « patois », français (paragraphe 2) ;

ii) ensuite, à considérer certains phénomènes linguistiques qui, a) d’un côté, contribuent, si besoin était, à étoffer la thèse originelle, et b) de l’autre posent de nouveaux problèmes – certes difficiles à cerner mais, ce nous semble, très féconds (paragraphe 3).

1 Trois initiatives ont tout particulièrement attiré notre attention: « La langue d’Oc dans le projet

d’apprentissage simultané des langues romanes », Colloque AELOC, Port-de-Bouc le 27 juin 2006 ; côté manuels pédagogiques, on signalera la méthode Òc-ben!, à l’ambition pan-occitane (Salles-Lousteau 2005), dont le programme est clairement exprimé par l’image d’ouverture de l’arbre des langues romanes ; enfin, le Ministère de l’Éducation nationale et le Rectorat de Bordeaux ont lancé une campagne publicitaire qui mise sur cette idée de langue-carrefour : « Un passeport pour les langues romanes. À l’école, au collège, au lycée, l’occitan d’aujourd’hui ! ».

2 On rappellera au moins la méthode Eurocom Rom des professeurs Klein et Stegmann et leurs équipes, les projets Galatea et Galanet visant l’intercompréhension entre locuteurs de langues latines, les recherches menées sur le plan historique, sociolinguistique et culturel par l’Association Eurolinguistique, dont le foyer originel est l’université de Manheim.

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2 Historique d’une idée

Dans le cadre des études romanes (et bien avant la constitution d’une philologie romane reconnue, scientifique) la langue d’oc a toujours suscité un intérêt majeur. Il se peut que son statut de langue « vaincue par l’histoire » y soit pour quelque chose. À l’ombre du puissant État-nation français, dès l’affadissement du trobar par suite de conquêtes à la fois militaires, politiques et idéologiques, un vaste domaine allophone provincial aux lettres de noblesse aussi imposantes qu’enfouies s’offrait (et s’offre toujours) à l’intellectuel en visite – parfois pour son plus vif étonnement. Quelques personnages célèbres nous ont légué ce sens de surprise au contact d’une langue inattendue à plusieurs égards. C’est, en remontant le temps jusqu’à ce XVIIème siècle qui salua la pleine institutionnalisation de la langue française, le cas de Racine (1639-1699) et La Fontaine (1621-1695). Ces deux auteurs de référence, au cours de leurs voyages dans le Midi constatèrent avec stupeur jusqu’à quel point le parler de ces lieux était éloigné du français, alors qu’il présentait à leurs oreilles des ressemblances assez frappantes avec les langues italienne et espagnole. La citation qui suit est tirée d’une lettre que le premier écrivit au second à l’occasion de son voyage à Uzès en 1661 :

J’avais commencé dès Lyon à ne plus guère entendre le langage du pays, et à n’être plus intelligible moi-même. Ce malheur s’accrut à Valence, et Dieu voulut qu’ayant demandé à une servante un pot de chambre, elle mit un réchaud sous mon lit. Vous pouvez imaginer les suites de cette maudite aventure, et ce qui peut arriver à un homme endormi qui se sert d’un réchaud dans ses nécessités de nuit. [Duché, 1985 : 107].

Le témoignage de La Fontaine, depuis un voyage dans le Limousin, s’il a une teneur différente, n’en est pas moins parlant :

Comme Bellac n’est éloigné de Limoges que d’une petite journée, nous eûmes tout le loisir de nous égarer, de quoi nous nous acquittâmes fort bien et en gens qui ne connaissaient ni la langue, ni le pays. [Orieux, 1976 : 243]

Pour ce qui est du XVIIIème siècle on peut par contre alléguer le témoignage d’un polyglotte francophile à la curiosité universelle, Thomas Jefferson (1746-1826), le troisième président des Etats-Unis. Le 29 mars 1787, depuis Aix-en-Provence, il envoie à son secrétaire William Short une lettre à la fois singulière et lucide :

Another circumstance contrary to my expectation is the change of language. I had thought the Provençale only a dialect of the French; on the contrary the French may rather be considered as a dialect of the Provençale. [...] This language, in different shades occupies all the country South of the Loire. Formerly it took precedence of the French under the name of la langue Romans.3

3 « Une dernière circonstance contraire à ce à quoi je m’attendais est le changement de langue.

Je croyais que le provençal n’était qu’un dialecte du français; au contraire, c’est le français qui peut être considéré un dialecte du provençal. [...] cette langue, sous différentes formes, occupe toute la zone au sud de la Loire. Dans le passé elle a précédé le français sous le nom de langue romane » (Ravier : 1978).

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Au début du XIXème siècle enfin, un grand explorateur du passé linguistico-littéraire de la civilisation occitane, le provençal François Raynouard (1761-1836), marque avec ses travaux majeurs la naissance de la philologie romane en tant que véritable discipline scientifique. On peut lire, dans l’introduction du célèbre Lexique Roman :

J’avoue qu’en formant le projet de faire connaître la langue et la poésie des troubadours, j’étais loin de penser que cette entreprise serait aussi longue et aussi importante qu’elle l’est devenue depuis. [...] je crus servir la science, en présentant, dans un tableau exact et presque entièrement neuf, les rapports des langues de l’Europe latine avec celle dont je publiais la grammaire et les principaux documents poétiques. [...] En comparant la langue des troubadours avec les autres langues néo-latines, je reconnus bientôt non seulement les rapports des mots de ces diverses langues entre eux, mais encore l’identité primitive de la plupart de ces mots; dès lors mon plan de la partie lexicographique dut s’agrandir, et [...] je jugeai indispensable d’embrasser la langue romane dans tout son ensemble et de démontrer la sorte d’identité qui avait présidé à la lexicographie de chacune des langues de l’Europe latine, soit entre elles, soit avec la langue des troubadours, la romane provençale. [Raynouard, 1838 : IX-XI]

Raynouard représente bien son Siècle qui s’interroge sur le passé de l’homme en général (voire sur celui des espèces) et sur l’origine des langues en particulier – et, par là, sur la nature profonde du langage. En effet, un des lecteurs (et admirateurs) de Raynouard est August Wilhelm von Schlegel (1767-1845). Dans ses Observations sur la langue et la littérature provençales ce dernier tient à souligner (le caractère italique est nôtre)

la critique lumineuse, la méthode vraiment philosophique qu’il [Raynouard] apporte dans toutes ses recherches. Il n’avance rien sans avoir les preuves à la main, il remonte toujours aux sources, et il les connaît toutes. [Schlegel, 1818 : 151]

Philologues romans et intellectuels romantiques souvent ne font qu’un. On peut se plaire à imaginer l’enthousiasme de l’époque, où peu à peu des règles, des correspondances, des lois linguistiques se dessinaient sous la diversité des langues nationales. Le XIXème est le siècle où, en quête d’origines, les intellectuels commencent à assumer cette richesse et, pour ce faire, à se doter d’outils rigoureux à même de « guider dans ce labyrinthe » (Schlegel, 1818 : 153). Les travaux de Raynouard fonctionnent alors en véritable carte du territoire-langue d’oc devenu, après lui, plus accessible. Et devenu, déjà, une sorte de carrefour, de passage obligatoire pour tout philologue.

D’ailleurs, cette vague d’intérêt où l’investigation scientifique se double de la quête artistique a son objet de culte, réactivateur qui plus est de mémoire pour les intellectuels méridionaux : le troubadour et son est-éthique qui, à partir du XIIème siècle, avait rayonné sur l’Europe. Raynouard est bien connu dans le « théâtre troubadour », et plus en général la « mode troubadour », dès la fin du XVIIIème siècle, déferle sur l’Europe – notamment entre France et Allemagne, grâce à des auteurs comme Pierre-Jean de Béranger, Mme de Staël et Chateaubriand. L’opéra de Verdi Il Trovatore (1853), finalement conçu à Paris, à son tour inspiré de la tragédie El Trovador de Antonio Garcia Gutiérrez, s’inscrit dans cette vague. Cependant, dans la galerie de noms considérables qui sur le personnage du troubadour jetèrent leur dévolu, il en est un qui frappe d’une manière tout à fait spéciale, Antoine Fabre d’Olivet (1767-1825). Là encore il s’agit d’un méridional, donc d’un occitan : cette singulière figure de chercheur et artiste polyvalent, aujourd’hui encore peu connue, a l’air d’incarner cette pulsion à la fois herméneutique et esthétique, à laquelle il ajoute une

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tension qui a du mystique. Défini par quelques chercheurs l’« Ossian de l’Occitanie » pour avoir publié en 1804 Le Troubadour, poésies occitaniques du XIIIème siècle (un faux rapidement démasqué par Raynouard), ce qui nous intéresse le plus ici de ce génie bizarre, de cet « homme de curiosité universelle » (André 1986 : 47) qui finit par devenir même le fondateur d’une secte maçonnique, est surtout La Langue d’Oc rétablie (D’Olivet 1989 [1820]). Il s’agit d’un ouvrage monumental (dont les manuscrits n’ont été imprimés que de nos jours) qui s’inscrit dans la même ligne de recherche lexicographique qui, en un arc temporel d’environ soixante-dix ans, aura conduit (avec des résultats et des résonances bien différents) au Dictionnaire de la langue d’oc ancienne et moderne d’Honnorat (1846-47) et naturellement au célèbre Tresor dóu Felibrige de Mistral (1886). Ce travail – qui, comme l’a écrit Robert Lafont, « contient sa part de délire » (Lafont-Anatole 1970 : 519) – fait la paire avec le plus connu La langue hébraïque restituée (D’Olivet 1815), et ce n’est certainement pas un hasard :

Je pris [...] la résolution de procéder au rétablissement de la grammaire de la langue d’Oc, comme j’avais procédé à la restauration de celle de la langue hébraïque, et d’élever ainsi un nouveau jalon dans la carrière des philologues, pour les conduire au but si désiré de la connaissance de l’origine de la Parole. [D’Olivet, 1989 [1820] : XLV)].

Hébreu et occitan, deux langues certes éloignées historiquement ainsi que formellement, ont été choisis par d’Olivet sous une même impulsion herméneutique. D’ailleurs, toutes différences gardées, si le premier représente, dans sa forme contemporaine, par la réussite de son rétablissement social au cours du XXème siècle, un des exemples les mieux réussis de volontarisme linguistique et de création lexicale, le deuxième est depuis quelques lustres engagé dans un chemin semblable, à la fois de récupération d’héritage et d’ingénierie linguistique (Rapin : 1991). Mais, au-delà de ces avatars contemporains, ce qui compte le plus pour nous c’est que pour le chercheur du XIXème siècle le carrefour linguistique est finalement, de près ou de loin, « l’origine de la Parole », à savoir le point de fuite où convergent le temps ainsi que l’espace. Cela dit, l’occitan joue tout de même un rôle de relief dans cette diaspora linguistique.

Frédéric Mistral (1830-1914) est un colosse qui permet, par étendue biographique et surtout par l’influence qu’il exerça en son temps et bien après sa mort, de joindre le XIXème au XXème siècle. Lui aussi incarne cette double attitude : à la fois chercheur et chantre de la langue de ses environs, le provençal de Maillane, entre Arles et Avignon. Une preuve à notre sens très parlante de la confusion, le plus souvent heureuse, que le climat intellectuel de l’époque entretenait entre recherche philologique (science) et visée esthétique (art) nous est fournie par le décernement à Mistral, par l’Académie de Stockholm, du Prix Nobel de Littérature en 1904 : non pas en l’honneur du poème mondialement reconnu qu’est Mirèio, mais grâce au chef d’œuvre lexicographique qu’est Lou Tresor dóu Felibrige (Mistral 1878-1886). Le Félibrige, fondé en 1854 par Mistral, Roumanille, Aubanel et quatre autres personnages (Brunet, Giera, Mathieu, Tavan), est en fait la première vraie renaissance organisée de la langue du pays: si la littérature occitane n’avait jamais cessé d’exister, un peu sur toute l’étendue du territoire occitan (Lafont et Anatole 1970 ; Garavini 1970 ; Rouquette 19803 ; AA.VV. 1997), ce n’est qu’au milieu du XIXème siècle qu’elle se donne un programme d’envergure – ainsi qu’une graphie, dite « mistralienne ».

La révolution félibréenne, si elle en est bien une, n’est pourtant pas encore tout à fait une révolution pan-occitane. Son centre se trouve en Provence, et sa périphérie aussi. Pour citer

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le titre d’un célèbre ouvrage d’Étiemble, le mythe-Mistral vire vite au « trou noir ». La nouvelle renaissance est celle qui naît en 1945, à savoir l’IEO (Institut d’Estudis Occitans) : parrainée par des intellectuels de haute envolée, dont Tristan Tzara, Simone Weil, Louis Aragon etc., cette éclosion est d’autant plus réaliste et à visée internationale qu’elle se produit à la Libération, après les horreurs d’une Guerre mondiale pendant laquelle le Midi joua le rôle de poche européenne de refuge et de résistance. Déjà l’élection du désignant « occitan » – toujours controversé et pourtant reçu déjà depuis plus d’un demi-siècle au niveau des institutions (Agresti, 2006 : 89-91, 111-116) –, embrassant la complexité linguistique foncière du domaine d’oc, articulée sur cinq ou six variétés régionales majeures, si elle est perçue négativement (« approche néo-jacobine ») par quelques tenants de parlers locaux, elle est néanmoins un signe fort de cette volonté diffuse de concilier unité et différence. Or, ce programme, ainsi que le drapeau occitan lui-même [la croix qui bien représente historiquement l’unité de l’étendue d’oc pour avoir été les armoiries de Raimon IV de Saint-Gilles (fin XIème siècle), à la fois marquis de Provence, comte de Toulouse et duc de Narbonne (La Farge, 2000 : 75-109)], ont bel et bien le statut du « carrefour ».

Ce principe de l’unité par-dessus la différence, fécond en symboles, est tout à fait en phase avec l’esprit de l’Union Européenne et plus en général avec le concept, à la mode, de « glocal » – mot-valise et sorte d’oxymoron où le global et le local s’harmoniseraient mutuellement. Mais, si l’image peut nous séduire d’un point de vue abstrait, théorique, il nous faut maintenant revenir sur la science pour voir dans quel sens et jusqu’à quel point il est possible de doubler l’image du carrefour idéologique par celle du carrefour linguistique. C’est ce que nous allons tâcher de voir dans le paragraphe qui suit.

3 Perspectives d’une idée

Revenons donc à l’article de Rohlfs, et notamment à son début :

Aujourd’hui aucun savant n’est plus disposé à accepter la théorie, par laquelle, aux débuts de la philologie romane, François Raynouard (poussé par son patriotisme provençal) a voulu donner au provençal une place privilégiée dans la formation des langues romanes, théorie qui identifiait le provençal à une ancienne langue commune romane, espèce de koiné vulgaire, dont se seraient détachées, comme d’une branche mère, dans une époque postérieure, les autres langues romanes : français, italien, espagnol, portugais.

Abstraction faite de l’erreur anachronique, reste toujours la position singulière, dans laquelle le provençal se trouve en face des autres langues romanes. Cette langue qui dans son évolution phonétique occupe une place intermédiaire entre le français et les autres langues romanes voisines, peut très bien être conçue comme une sorte de trait d’union entre le français et l’espagnol, entre le français et l’italien, et même entre l’espagnol et l’italien.

Cette position clé du provençal, sans aucun doute, peut contribuer, dans nombre de problèmes, à éclairer des points obscurs dans l’évolution des langues romanes. C’est ce que nous essayerons à démontrer par quelques exemples. [Rohlfs 1964 : 95] Les huit exemples faits par Rohlfs concernent, dans l’ordre: 1) « un fait de phonétique

comparée », à savoir l’évolution du groupe intérieur -ct- du latin nocte dans les différentes langues romanes; 2) l’évolution du groupe -nd- > -n- commun au domaine catalan et

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gascon; 3) « l’origine du verbe qui à l’infinitif se présente sous l’apparence du français aller, provençal et catalan anar, italien et castillan andar » ; 4) « un problème d’onomasiologie », à savoir les formes romanes dénommant la rate ; 5) « un très étrange enchevêtrement entre un ancien mot latin et un mot germanique », à savoir conucula et rukka (quenouille) et la forme occitane, à un premier abord surprenante, filouso / filosa; 6) « un problème de morphologie romane », à savoir les différentes façons d’exprimer l’article partitif dans les langues romanes ; 7) « un problème de syntaxe comparée », concernant l’expression du complément d’objet direct, « selon qu’il s’agit d’une personne ou d’une chose sur laquelle passe l’action du sujet » ; 8) « un problème qui regarde la question du substrat prélatin », et notamment la variation entre le groupe -rd- et la géminée -rr-.

Bien sûr on pourrait étoffer cette liste par d’autres exemples autant sinon davantage significatifs ou pertinents. Pour ce faire, nous nous pencherons sur une description systématique de la langue – qui se doit de prendre en compte ses caractères spécifiques par rapport aux autres langues romanes – une des plus récentes étant celle proposée par Jean Sibille (Sibille 2004 : 173-190). Finalement, Sibille ne fait que reprendre la liste des 19 traits jadis proposée par Jules Ronjat (Ronjat 1930-1941), liste dont nous ferons l’économie ici, tout en l’étoffant d’un vingtième trait, à savoir le traitement des consonnes latines /p, t, k/, en position intervocalique: elles se sonorisent en occitan alors qu’elles se maintiennent sourdes en italien et disparaissent ou se transforment en profondeur en français. Cette évolution progressive, de la conservation de la surdité à la disparition via la sonorisation et la spirantisation, peut bien représenter une preuve ultérieure du statut de langue-carrefour de l’occitan, tant d’un point de vue synchronique que d’un point de vue diachronique (Fig. 1).

Fig. 1 : Le traitement des consonnes latines [p], [t], [k] en position intervocalique évolution

phonétique latin

classique italien portugais occitan espagnol français*

[p]>[b]> >[B]>[v]

săpere

[sa»pere] /sapere/

[så»b e r ] /saber/

[sa »be] /saber/

[sa»B e r ] /saber/

[sa»vwa{] /savoir/

[t]>[d]> >[D] >[-]

rŏta(m)

[»r wç t a ] /ruota/

[»{çdå] /roda/

[»r ç d o ] /ròda/

[»rr weDa] /rueda/

[ { u ] /roue/

[k]>[g]> >[F]>[-]

amīca(m)

[a»mika] /amica/

[å»migå] /amiga/

[a »m i g o ] /amiga/

[a»miFa] /amiga/

[a»mi] /amie/

*Mais cf. la phase /rode/ de l’ancien français

Au point de vue de l’accentuation, les traits 8 (« Présence fréquente de paroxytons ») et 10 (« Absence de proparoxytons ») de la liste de Ronjat peuvent bien, si on les embrasse d’un même regard, fonctionner en un seul trait-carrefour, soit à mi-chemin entre l’oxytonie française et les formes proparoxytoniques issues du latin (Fig. 2).

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Fig. 2 : L’accentuation de l’occitan

latin italien espagnol portugais occitan* français

lăcrima(m)

[»lakrima] /lacrima/

[»laFrima] /lágrima/

[»lag r imå] / lágrima/

[ la»g r e m o ] /lagrema/

[la{m(´)] /larme/

*Mais cf. la phase /làgrema/ en ancien occian et les formes proparoxytoniques du niçois

contemporain

Mais c’est le trait 18 qui a retenu le plus notre attention, et que nous nous proposons d’investiguer dans les pages qui suivent. Selon Ronjat l’occitan serait caractérisé par une « Plus grande motivation du lexique qu’en français (il y a moins d’homonymes, donc on a moins besoin du contexte pour comprendre le sens des mots) » (Sibille 2004 : 175). Or, les expressions «plus grand(e)» et «moins besoin» sont floues et, faute d’analyse de très grand corpus, peu scientifiques. Quant à la «motivation du lexique», elle non plus n’est pas facilement saisissable avec exactitude, car on ne doit la confondre ni, en synchronie, avec la richesse lexicale (fonctionnelle à une correspondance adéquate entre le désignant et ce qu’il désigne), ni, en diachronie, avec l’ancienneté du lexique, témoignée par un haut degré de conservation des étymons dans la langue courante.

Le problème de la motivation lexicale nous paraît pourtant fondamental dans le cadre d’une recherche d’identité linguistique, la saisie lexicale étant à notre sens bien autrement parlante, pour ce qui est de la restitution d’un univers socio-culturel, qu’un déplacement d’accent ou qu’une lénition consonantique. Nous l’avons donc abordé, conscient de son envergure et de sa complexité, avec moins l’intention de parvenir à des résultats solides et assurés que de suggérer, peut-être, un chemin d’analyse fécond pouvant, entre autres choses, éclairer l’image du carrefour linguistique d’une lumière nouvelle.

Au préalable, des problèmes incontournables se posent qui concernent la manière de se pencher sur le vocabulaire de l’occitan. Questions de méthode : 1) quel état de langue va-t-on étudier ? ; 2) comment appréhender l’océan du lexique occitan ? À la première question on répondra : l’occitan contemporain, tel qu’il est normalisé dans les ouvrages lexicographiques de référence, en comparaison avec les autres langues romanes occidentales prises également dans leurs formes contemporaines – l’accent mis sur notre époque découlant de ce changement de visée que nous avons évoqué au début de notre article. Dans ce souci d’analyse d’une, de plusieurs langue(s) vivantes effectivement utilisées nous avons cru utile d’user de dictionnaires à la fois de référence et grand public, comme par exemple Le Grand Robert de la langue française ou le Diccionario de uso del español de María Moliner, ou encore le Zingarelli pour l’italien. En ce qui concerne l’occitan, nous nous sommes borné au languedocien, et nous nous sommes servi de deux dictionnaires (Alibert : 1965 et Rapin : 1991)4. Il est par contre infiniment plus difficile de répondre d’une manière satisfaisante à la deuxième question, tout lexique de n’importe quelle langue étant extrêmement riche et bigarré, aux frontières floues par surcroît, au point

4 Pour les entrées dans d’autres langues ou dialectes romans nous avons évidemment indiqué

chaque fois la source.

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qu’il est impensable de parvenir à un système à partir d’un nombre forcément limité d’exemples, encore fussent-ils organisés d’après un paradigme scientifique [par exemple, les principes cognitifs établissant, par chaînes de sélections, ce que serait la langue fondamentale (Galisson : 1970)]. Nous avons donc entamé un long, lent processus d’analyse, qui est loin d’être achevé, dont nous nous bornons ici à illustrer un échantillon, à savoir une entrée prise tout à fait au hasard du dictionnaire. Loin de toute généralisation, cet exemple pourrait cependant indiquer une approche digne d’intérêt. Il s’agit de l’analyse du lexème primitif latin armĭlla(m) et des avatars de son évolution dans les principales langues romanes occidentales. Dans un premier tableau (Fig. 3) nous reproduisons, d’après un critère à la fois taxinomique et comparatif, les formes actuelles issues de ce lexème ainsi que leurs acceptions. Trois observations majeures s’imposent :

a) L’occitan présente de loin le nombre le plus important d’acceptions (15),

alors que le français n’en présente que deux – qui plus est, très spécialisées ;

b) L’occitan, ainsi que l’espagnol et le portugais, présente deux formes dérivées ;

c) Il existe essentiellement deux classes d’acceptions, toutes langues confondues : des acceptions hautes (à savoir, relevant de domaines prestigieux) et des acceptions basses (relevant d’objets purement instrumentaux) ; l’occitan ne présente que les secondes, le français ne présente que les premières. L’italien ne présente qu’une acception du second groupe, mais d’une manière désuète.

Ces observations, qui configurent des fonctionnements linguistiques asymétriques, demandent à être éclaircies. C’est ce que nous tâchons de faire à travers un deuxième tableau (Fig. 4) où, en remontant l’évolution du lexème analysé, nous proposons une explication de ces différences au niveau des langues et parlers romans. Ce tableau, généré par un axe sémantique (en ordonnée) et un axe temporel (en abscisse), repose également sur deux principes majeurs : la Loi de répartition et la théorie des schèmes indoeuropéens. Si la première est bien connue, depuis Michel Bréal (1897), la seconde l’est sans doute moins, et il nous échoit d’y revenir. Nous le ferons d’après l’approche praxématique proposée, à partir de la moitié des années 70, par Robert Lafont (1978, 2000, 2001, 2004). Chez Lafont « dégager le programme » d’un mot signifie revenir à ses constituants premiers, doués de puissances à signifier – ce qui, dans le présent cas, nous oblige à remonter ultérieurement dans l’histoire du mot, jusqu’aux racines de l’indoeuropéen. Or, les constituants de ces racines sont autant d’éléments consonantiques, que Lafont (2004 : 42-44) distribue en :

1. schématiseur d’ensemble. Il s’agit de la première clôture consonantique, « donnant

le programme global et désignant donc le niveau articulatoire somatique concerné » ;

2. modéliseur radical. Il s’agit de la deuxième clôture consonantique, « prenant l’acte plutôt du côté de son achèvement et résultat » ;

3. modéliseur annexe. Il s’agit d’un troisième élément consonantique « qui a statut de suffixe ou d’élargissement ».

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L’ensemble de ces constituants est appelé « schème ». Ainsi, si l’on arrive à cerner le schème d’un mot on arrive en même temps à dégager son ou ses programme(s), et par là à ramener à une même source une série de dérivations ou transformations – bref, une série d’actualisations langagières, à savoir des mots, dont la parenté profonde pourrait autrement nous échapper. En ce qui concerne armĭlla(m) le schème sous-jacent serait H2.R ou H2.R+M, issu de la comparaison d’un certain nombre de langues indoeuropéennes (Fig. 5). Chez Lafont, H2.R évoquerait le concept d’« articulation », riche en élargissements : « armu-, “épaule”, arma, “armes défensives”, artu-, “articulation”, arte-, “habileté manuelle”, sollerte, “habile” » (Lafont 2001 : 45). Une preuve à la fois de la richesse et de la cohérence du programme de sens de ce schème nous est fournie, ce nous semble, par le grec ancien (Fig. 6) : sous la variété des entrées on reconnaît aisément une unité conceptuelle véhiculée par le préfixe aJrm- (idées, fonctions ou images d’« articulation », de « jonction », de « correspondance », de « clôture », d’« accord », mais aussi de « direction », d’« ordre », « conduite » et par là d’« instrumentalité », tout instrument supposant un usager compétent et un usage convenable, etc.). Le schème originel, la charpente consonantique, aurait donc engendré un nombre variable de mots, développant de manière différente et diverse son programme de sens. Or, l’hypothèse envisagée en Fig. 4 est que :

a) ce programme (et donc le schème consonantique qui le véhicule), loin de

s’affadir inéluctablement, de déchoir en entropie, serait en fait toujours sous-jacent – sorte de permanence pouvant cycliquement, lorsque des conditions favorables le permettent, refaire surface ;

b) l’essaimage praxémique que l’on observe en occitan serait la conséquence d’une progressive banalisation/généralisation du mot : pour ainsi dire, une perte de précision du sens, une sorte de dé-culturalisation du praxème, rendrait possible une multiplication de sens, fondée sur la récupération ou réactivation, pour ainsi dire, du programme originel, abstrait, et donc fécond. Ou, du moins, sur la récupération des caractères intrinsèques de l’objet (ou champs sémiques et leurs constituants), dans le présent cas un anneau en métal < …< un cercle fonctionnel à X <…< une anse, une courbe, une volute5.

5 Si un mot désigne un objet, il est nécessaire de rappeler que n’importe quel objet est en réalité

un ensemble de champs sémiques (Cerisola 1983 : 221-223), à savoir de constituants, dont : a) #forme, aspect# ; b) #matière# ; c) #position dans l’espace# ; d) #virtualités dynamiques# ; e) #fonctions – raccord avec l’instance pratique de l’usager#. Nous avons observé qu’il est possible par là de revenir sur le concept de «motivation», puisque les processus sélectifs que le sujet opère à l’égard de n’importe quel objet, en privilégiant tel ou tel champ sémique au détriment des autres, ne sont pas tout à fait arbitraires (Agresti : 2007). Cela peut à notre sens justifier la diaspora des acceptions (« essaimage praxémique », v. Fig. 4), chaque champ sémique de l’objet concerné pouvant spécialiser l’objet lui-même : ainsi, les acceptions des mots armèla et armèl sont gouvernées en premier lieu par le champ sémique #forme, aspects#, d’où leur essaimage, une forme simple telle le cercle pouvant recouvrir, moyennant une simple transformation métonymique, une quantité innombrable d’objets ; en deuxième lieu, par le champ #fonctions – raccord avec l’instance pratique de l’usager#, ce qui revient à dire que l’emploi est inscrit dans la forme : c’est cela le concept de programme, pris du côté de l’objet désigné.

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Une preuve de cette hypothèse, certes délicate, nous est peut-être fournie par d’autres

langues et dialectes romans. En Trentin armèla est le « collier du chien », alors que dans l’Ossola, en Piémont, c’est plutôt une « anse » (Cortelazzo et Marcato 2000 : ad vocem) ; l’idée de clôture, dans le sens de « cœur d’un objet », est par contre présente dans armèla = « pépin de courge »; « noyau de pêche », à savoir littéralement « petite âme », d’après une image assez répandue dans nombre de dialectes italiens. Celui, par exemple, des environs de Crémone, où àarma, -elìna = « arme », « pépin ou noyau d’un fruit » (Oneda, 1976 : ad vocem), acceptions que l’on retrouve, à quelques différences près, dans d’autres dialectes septentrionaux : Bergame, Brescia (Romano : 1998), Mantoue, Plaisance, Bologne jusqu’à la Ligurie (Taglietti, 1994 : ad vocem) (d’ailleurs en occitan arma = « arme » ainsi qu’« âme »). L’idée de jonction, voire de symétrie, on la retrouve dans le toscan armèno (Cortona), à savoir l’« invito a pranzo, reciproco, tra parenti e amici, il lunedì, il martedì di Pasqua o nell’Ottavi, alcuni anche a Capodanno » (Sante Felici : 1985). Il s’agit là d’un substantif déverbal, depuis armenè, à savoir « rester, reconduire, ramener ; inviter au déjeuner, métathèse de rimenà » (Cortelazzo et Marcato, 2000 : ad vocem), et « revenir », « retourner », « rentrer » d’une manière diffuse dans les dialectes de notre région, les Abruzzes. À Viadana (MN) armlain = « petit pépin », « petit noyau », armèla = « noyau de fruit », alors qu’armätar = « remettre, replanter ». Par-delà le substrat italique /ar/ (Giammarco, 1985 : ad vocem), la métathèse /ri/(/re/)>/ar/(<H2.R?), attestée à plusieurs endroits du domaine roman, serait-elle conditionnée, guidée en quelque sorte par le schème sous-jacent? En effet, l’idée de répétition, véhiculée par le préfixe ri-/re-, n’est-elle au fond qu’une idée de cycle, d’aller-retour (montée/descente)? Or, le modéliseur radical R, qui marque, on l’a vu, la description d’un parcours d’acte avant d’atteindre sa cible ainsi que l’achèvement et le résultat de cet acte, correspond tout à fait à cette idée de clôture d’un cycle. Cela permettrait, de plus, de relier le champ sémique #cercle#, contenu dans le signe cycle, dont d’ailleurs il partage l’étymologie, aux outils traditionnels du labour : si dans le parler picard d’Irchonwelz (Ath) armèle, terme relevant de l’agriculture, est la « pièce du char qui relie la flèche à l’arrière-train » et armon est l’« assemblage de deux pièces de bois en forme de fourche, faisant partie du châssis du char » (Vindal, 1995 : ad vocem) dans le parler de Carsoli (Abruzzes) arméro (< armerjus < arma) = « soc » (Giammarco, 1985 : ad vocem).

4 Résumé

Le problème de la motivation est, on ne le sait que trop, épineux et se prête à de nombreuses lectures idéologiques. Faute d’une analyse plus détaillée et plus étendue, il est difficile de conclure à la pertinence du trait signalé par Ronjat, à savoir, la « plus grande motivation » du lexique occitan par rapport au français. L’idée d’une latence schémique, resurgissant plus facilement dans les langues régionales que dans les langues officielles, pour ainsi dire alourdies par couches de culturalisations successives et appauvries par le « bon usage » nous paraît cependant digne d’être développée. D’ailleurs, la déchéance du motivé en arbitraire n’est pas nécessairement irréversible. Elle est plutôt cyclique, comme

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Testo digitato
III I

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l’a bien montré Claude Hagège (1985 : II, 5). Dans cette perspective les langues régionales, et l’occitan d’abord, auraient beaucoup à nous apprendre. Finalement, l’image du carrefour évoque non seulement une donne historique mais également le dynamisme de la circulation, et la présence de routes encore en état, utilisables : l’indispensable prolongement de la recherche, mais d’abord la pleine reconnaissance juridique des langues de France, pourra peut-être saluer un jour une manière originale de les parcourir, aujourd’hui.

Appendice

Fig. 3 : La saisie lexicale : évolution du mot armĭlla(m)

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Fig. 4 : Évolution du mot armĭlla(m) : du latin classique aux parlers romans

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Fig. 5 : Armĭlla(m) < ărmus : le schème indoeuropéen sous-jacent

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Fig. 6 : Du schème indoeuropéen à l’essaimage praxémique (en grec)

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