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JUDAÏSME, CHRISTIANISME, ISLAM. LES EXIGENCES DE PURETÉ Les religions révélées prônent toutes trois un idéal de pureté mais selon diverses modalités. Avant de revenir sur ces affinités et ces contrastes, plusieurs remarques et clarifications préliminaires sont nécessaires. Dans les textes sacrés, les notions de pur et d’impur apparaissent avec une fréquence remarquable, indice, tout comme le vocabulaire servant à les désigner, d’une commune origine sémite. Tôhar (en hébreu) et tâhir (en arabe), qui signifient tous les deux « pur », partagent la même origine étymologique. Cet intérêt porté tout spécialement par le judaïsme et l’islam à ces notions s’exprime encore à travers les degrés d’impureté que l’on distingue minutieusement dans ces deux religions. La législation rabbinique distingue impuretés primaires et secondaires, tandis qu’en islam aux impuretés majeures (causées par le coït, l’émission de sperme, le flux menstruel et les lochies de l’accouchée) s’opposent des impuretés mineures, dont la liste varie selon les écoles théologiques (celles-ci peuvent être dues au contact avec les matières fécales et l’urine, au sommeil, au fou rire pendant la prière, etc.). Rappelons également que, parmi les six Ordres composant la Mishnah, l’un, intitulé Taharot comprenant douze traités, concerne exclusivement les lois de pureté. Les rapprochements que l’on peut faire entre le judaïsme et l’islam amènent à postuler un fond sémitique commun. Ainsi l’interdit de la consommation du porc remonte à l’époque pré-israélite et était répandu chez tous les Sémites sauf chez les Babyloniens. Sur cette base commune, les traditions se sont différenciées sur quelques points de doctrine. Les positions du judaïsme et de l’islam 1

Judaïsme, christianisme, islam. Les exigences de pureté

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JUDAÏSME, CHRISTIANISME, ISLAM. LES EXIGENCES DEPURETÉ

Les religions révélées prônent toutes trois un idéalde pureté mais selon diverses modalités. Avant derevenir sur ces affinités et ces contrastes,plusieurs remarques et clarifications préliminairessont nécessaires.Dans les textes sacrés, les notions de pur et d’impurapparaissent avec une fréquence remarquable, indice,tout comme le vocabulaire servant à les désigner,d’une commune origine sémite. Tôhar (en hébreu) et tâhir(en arabe), qui signifient tous les deux « pur »,partagent la même origine étymologique. Cet intérêtporté tout spécialement par le judaïsme et l’islam àces notions s’exprime encore à travers les degrésd’impureté que l’on distingue minutieusement dans cesdeux religions. La législation rabbinique distingueimpuretés primaires et secondaires, tandis qu’enislam aux impuretés majeures (causées par le coït,l’émission de sperme, le flux menstruel et leslochies de l’accouchée) s’opposent des impuretésmineures, dont la liste varie selon les écolesthéologiques (celles-ci peuvent être dues au contactavec les matières fécales et l’urine, au sommeil, aufou rire pendant la prière, etc.). Rappelonségalement que, parmi les six Ordres composant laMishnah, l’un, intitulé Taharot comprenant douzetraités, concerne exclusivement les lois de pureté.Les rapprochements que l’on peut faire entre lejudaïsme et l’islam amènent à postuler un fondsémitique commun. Ainsi l’interdit de la consommationdu porc remonte à l’époque pré-israélite et étaitrépandu chez tous les Sémites sauf chez lesBabyloniens. Sur cette base commune, les traditionsse sont différenciées sur quelques points dedoctrine. Les positions du judaïsme et de l’islam

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divergent ainsi sur le statut du chien ; les juifs,tout comme les Sémites en général, ne considèrent pasle chien comme impur mais en proscrivent l’usagesacrificiel qui passe pour une « abomination » ; àl’opposé les musulmans le jugent impur (nâjis) entoutes circonstances. C’est le cas inverse pour ledromadaire ; alors qu’il est considéré comme impurpar les Israélites, rien ne s’oppose à saconsommation et à son utilisation comme victimesacrificielle chez les musulmans (sauf chez leshanbalites qui en proscrivent la manducation). Mieuxvaut donc postuler une origine sémitique commune auxinterdits prônés par le judaïsme et l’islam, plutôtqu’un héritage direct du judaïsme dans l’islam. Il ya sans doute eu des emprunts d’une tradition àl’autre (le Coran fait plusieurs fois référence auxinterdits des juifs (par exemple dans les souratesIII, 93, IV, 160, VI, 146, XVI, 114-119) mais mieuxvaut reconnaître seulement une « influence juivesecondaire » (J. Henninger) qui a contribué à unecertaine fragmentation des règles selon les courantsde l’islam. Ainsi chiisme et sunnisme s’opposent surle statut (illicite ou licite) de la faune aquatique(des coquillages, des poissons sans écailles…), lepremier courant reprenant à son compte lesprescriptions du Lévitique. Quelles que soient cesnuances, ou ces divergences, judaïsme et islam,partageant un grand nombre de prescriptions etd’interdits communs, présentent un air de famille ets’opposent en bloc au christianisme qui a aboli cettedistinction formelle entre le pur et l’impur et lui aattribué une autre signification (nous y revenons ci-dessous), si bien que, pour souligner cettecontinuité entre judaïsme et islam, on devrait parlerde tradition judéo-musulmane plutôt que de traditionjudéo-chrétienne, comme on le fait habituellement.

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Dans cette tradition judéo-musulmane, la pureté n’estpas une fin en soi, une valeur positive en elle-même,mais une condition, un état nécessaires pour accéderau lieu de culte, au sacré et pour accomplir desactes rituels (prière, sacrifice, jeûne, pèlerinage).« Parler d’un mélange confus du sacré et de l’impurest un complet non-sens », écrit justement MaryDouglas. La pureté est la condition d’accès ausacré, qui se gagne en respectant des interdits(alimentaires, sexuels, corporels) et grâce à desablutions qui ne sauraient être confondues avec despratiques d’hygiène corporelle. Le judaïsme a donnéune ampleur particulière à ce ritualisme : sur les613 préceptes devant guider la vie du fidèle, 365sont, selon le Talmud, des interdits, dont latransgression remet en cause le statut de kacher(conforme, pur) et exige réparation sacrificielle etexpiation.Autre clarification préalable nécessaire : pas plusque le code de la pureté ne se confond avec celui del’hygiène, pas plus il ne se superpose à celui de lamorale, telle que celle-ci est présentée dans lahalakha du judaïsme, la shari’a de l’islam ou le droitcanon des catholiques… Dans le judaïsme, lamoralisation de la pureté est un phénomène tardif quis’affirme dans des moments de crispation, par exempleaprès la destruction du second Temple de Jérusalem(70 ap. J.-C.). On en vient alors à confondreimpureté cultuelle et impureté morale et à chercher,par exemple, les causes morales de la lèpre, maladiedésignant plusieurs types d’affections visibles (nousy reviendrons) et considérée comme impure. Lechristianisme va aller plus loin dans cetteidentification entre l’impureté et le péché, mais eninversant la perspective. L’impureté n’y est plusconçue, en effet, comme la conséquence d’une

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contamination (par un aliment, un fluide, uncadavre…) mais comme émanant de l’homme. « Il n’y arien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre impuren pénétrant en lui, mais ce qui sort de l’homme,voilà ce qui rend l’homme impur », affirme Jésus dansl’évangile de Marc (7, 15). Sans doute, dans lejudaïsme comme en islam, impureté morale et impuretérituelle peuvent se chevaucher (en cas, par exemple,de relations sexuelles illicites - impureté morale -avec une femme en période menstruelle -impuretérituelle -) mais on doit soigneusement distinguer lesdeux ordres : une femme peut faire le bien en périoded’indisposition.Dans l’Ancien Testament et dans le Coran, la puretése gagne donc en respectant des interdits(alimentaires, sexuels, corporels) et en pratiquantdes rituels de purification. Le christianisme a abolile cycle souillure – réparation contractuelle etsacrificielle que détaille l’Ancien Testament. Il asubstitué aux interdits, aux rites contractuels etsacrificiels de purification le sacrifice du Fils deDieu s’offrant comme victime expiatrice, non pas desimpuretés rituelles, mais des péchés; c’est, écritNietzsche dans sa Généalogie de la morale (1971 rééd. : p.521) « le coup de génie du christianisme ; Dieu sesacrifiant lui-même pour payer la dette de l’homme,Dieu se faisant payer lui-même par lui-même, Dieucomme seul capable de racheter l’homme de ce dontl’homme lui-même est devenu incapable de se racheter– le créancier se sacrifiant pour son débiteur, paramour (est-ce croyable ?), par amour de sondébiteur ». Notons enfin, dans ces considérations préliminaires,qu’il y a dans l’idée de pureté celle de séparation,d’absence de mélange, de grand partage entre ceux quisuivent les prescriptions et ceux s’en écartent ou

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les ignorent. Sur cette idée de séparation, les troisreligions affichent des conceptions opposées. Pour lejudaïsme, la pureté est un attribut communautaire,fruit de l’alliance entre Dieu et le peuple d’Israël,apanage que rappellent plusieurs fragments del’Ancien Testament. Voici, par exemple, ce que nousrelate le Livre d’Ezéchiel (44, 9-23) : « Ainsi parlele Seigneur Dieu: Aucun étranger, incirconcis de cœuret incirconcis de chair, n’entrera dans monsanctuaire ; aucun étranger qui demeure au milieu desfils d’Israël. Quant aux prêtres (…) ils ne prendrontpas pour femme une veuve ni une femme répudiée maisune vierge de la race d’Israël ; ils pourront épouserla veuve d’un prêtre. Ils enseigneront à mon(souligné par moi) peuple la distinction du sacré etdu profane et ils lui feront connaître la distinctiondu pur et de l’impur ». Le Livre de Néhémie (13, 27-30) est encore plus explicite sur l’impureté d’uneunion avec une étrangère : « Et pour vous aussi,doit-on apprendre que vous commettez cette faute sigrave d’être infidèles à notre Dieu, en épousant desfemmes étrangères ? (…) Souviens-toi d’eux, mon Dieu,parce qu’ils ont souillé le sacerdoce et l’allianceavec le sacerdoce (Néhémie désigne ainsi les règlesconcernant la pureté et la fidélité des prêtres) etles lévites. Je les purifiai de tout étranger »,poursuit Néhémie. C’est sans doute Le Livre desJubilés (22, 16) qui exprime avec le plus de nettetécette exigence de séparation, condition de lapureté : « Sépare-toi d’entre les nations et ne mangepas avec elles. N’agis pas à la manière de leursœuvres (…) car leurs œuvres sont impures et uneabomination et une impureté ». Cette exigence depureté, commune à tout un peuple, est cependant plusou moins accusée selon la proximité des uns et desautres par rapport au sacré : elle est plus forte

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pour le prêtre que pour le commun des fidèles. Lechristianisme, religion universelle comme le seraplus tard l’islam, a rompu avec toute formed’ethnicisme qui ferait de la pureté un attribut liéà l’origine : « Là, il n’y a plus Grec et Juif,circoncis et incirconcis, barbare, Scythe, esclave,homme libre mais Christ : il est tout et en tous »(Épître aux Colossiens, 3,11). Prenant le contrepieddu Lévitique et du Deutéronome, le Christ a aboli ladistinction rituelle entre le pur et l’impur, et, dumême coup, celle entre les Juifs et les autres ; ildéclare ainsi à ses disciples que « tous les alimentssont purs » (Marc, 7, 19). Cette rupture majeure estencore avérée par la vision de Pierre à Joppé (Actesdes apôtres, 10, 10-16) : « Mais la faim le prit etil voulut manger. On lui préparait le repas quand uneextase le surprit. Il contemple le ciel ouvert : ilen descendait un objet indéfinissable, une sorte detoile immense, qui, par quatre points, venait seposer sur la terre. Et, à l'intérieur, il y avaittous les animaux quadrupèdes et ceux qui rampent surla terre, et ceux qui volent dans le ciel. Une voixs'adressa à lui : ‘Allez, Pierre! Tue et mange’ ». Àla pureté rituelle le christianisme a donc substituécelle des cœurs. Mais, si l’on suit A. Loisy, « Jésusa annoncé le royaume et c’est l’Église qui estvenue », avec son cortège d’interditsprophylactiques, moins fourni cependant que dans lejudaïsme et l’islam. Certains avancent que cemouvement fut inauguré par Saint Paul qui déclaraitdans la seconde Épître aux Corinthiens : « Ne touchezà rien d’impur… Purifions-nous nous-mêmes de toutesouillure de la chair et de l’esprit » - ( 6, 17, 7,1). Religion, à vocation universelle elle aussi,l’islam fait de la pureté rituelle la condition et lesigne de l’adhésion à la communauté des croyants mais

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pas un attribut ethnique. Est-ce en raison de cettevocation universelle et de la diversité des contextesque l’islam apparaît plus tolérant que le judaïsme encas d’inobservance motivée des interdits et attribueune grande importance à l’intention (al-niyya) qui doitêtre consubstantielle au rite (la volonté de sepurifier doit accompagner l’ablution, par exemple)pour que celui-ci soit valable ? Si les trois grandes religions révélées valorisent lapureté, c’est donc selon une acception et avec uneintensité et un arrière-plan mythologique et socialbien différents. Quelles que soient ces inflexions,des rites et des temps sont prévus pour se purifier :prières, pénitence (sacrifice, jeûne, confession dansle christianisme), périodes de repentir (Yom Kippour,Carême, Ramadan). Les pèlerinages sont aussi destemps privilégiés de purification.Sur quels traits et comportements portent plusexactement ces exigences de pureté, quelles en sontles raisons et quels moyens mettent en œuvre lesfidèles pour se laver de leurs souillures ?Si l’on considère l’ensemble des interdits et desrecommandations stipulés par le judaïsme et parl’islam, on s’aperçoit que ceux-ci invitent à unevigilance particulière aux risques de pollution del’intérieur par l’extérieur, à ce pointd’articulation entre la nature et la culture qu’estl’enveloppe corporelle, aux zones de contact entre lededans et le dehors, à tout ce qui peut porteratteinte à l’intégrité de l’individu ou de l’espèce,aux moments critiques des passages qui scandent lavie. L’impureté rôde en effet aux limites, auxfrontières et est à son aise dans l’anomalie. Lapréservation de la pureté implique d’exercer unevigilance particulière sur les orifices corporels,sur les substances qui s’en écoulent, sur la

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nourriture et de ne pas avoir de contact avec un mortou un « païen ». Les « moments de crise de la viehumaine » (M. Douglas) – la puberté, les relationssexuelles, la naissance des enfants, la mort -,chacun marqué par des fluides corporels, comportentaussi des risques de pollution. Contrairement aucorps intègre et conforme aux normes (celui de lavierge, du circoncis) qui est symbole de pureté, lecorps difforme et dégradé, dont l’affection estvisible (celui du lépreux par exemple), ou qui necorrespond pas aux normes de son espèce (celui ducochon, par exemple, voir infra) est considéré commeimpur. Cette attention portée aux frontièresmatérielles et classificatoires peut donner à penser,comme le soutient M. Douglas, que les interditsvisaient métaphoriquement à défendre, dans l’ancienIsraël, un corps politique menacé. Pour celle-ci,« certaines pollutions servent d’analogies pourexprimer une idée générale de l’ordre social »  etles frontières d’un territoire menacé « serefléteraient bien dans leur souci pour l’intégrité,l’unité et la pureté du corps physique ».Examinons maintenant les principales sourcesd’impureté qui doivent faire l’objet d’une vigilanceparticulière.

Les sécrétions corporelles

Dans le judaïsme, comme dans l’islam, les sécrétionscorporelles, non seulement les matières fécales,l’urine, le sperme mais aussi le sang, sont réputéesimpures. Le statut du sang, qu’il s’agisse de saconsommation ou de son écoulement du corps humain,est ainsi un puissant démarcateur entre lestraditions judéo-musulmanes et la traditionchrétienne. Dans cette dernière le sang, versé par le

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Christ pour la rémission des péchés, est considérécomme pur et valorisé. Le miracle de Cana, latransformation, lors de la Cène, du vin en sang,l'absorption rituelle de ce sang lors del'eucharistie... témoignent de ce statut singulier.Et parallèlement, on consomme une viande qui n’estpas vidée de son sang, comme, au contraire,l’enjoignent les prescriptions d’une nourriture kacheret halâl. Dans le judaïsme et dans l’islam le sang estconçu comme la substance prohibée par excellence quel'on doit expulser à tout prix et qu'il estimpensable d'ingérer (la simple évocation d’un boudinsanguinolent peut susciter des haut-le-cœur). Cetinterdit de la consommation du sang - considéré,surtout dans le judaïsme, comme le siège de la vie -est aussi respecté par plusieurs églises chrétiennes(chaldéenne, grecque, éthiopienne, adventiste duseptième jour…) qui font leurs les prescriptions etles menaces du Lévitique (17, 10) : « Si un homme,faisant partie de la maison d’Israël ou des émigrésvenus s’y installer, consomme du sang, je meretournerai contre celui-là qui aura consommé lesang, pour le retrancher du sein de son peuple ». Si,dans le judaïsme, le sang sacrificiel est destiné àDieu, en islam seule l'intention de l'offrande luiest adressée, le sang ne pouvant être que lanourriture impie des génies maléfiques (les junûn). Cetabou de l’écoulement sanguin n’affecte pas seulementles pratiques alimentaires et sacrificielles(rappelons que dans l’ancien Israël les sacrificesdevaient être effectués à l’extérieur et non àl’intérieur du « saint des saints »). Ainsi dans lejudaïsme comme dans l’islam les femmes menstruéessont réputées impures. « Quand une femme est atteinted’un écoulement, que du sang s’écoule de ses organes,elle est pour sept jours dans son indisposition, et

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quiconque la touche est impur jusqu’au soir »(Lévitique, 15, 19). Tout contact doit être évitéavec cette femme impure (niddah), avec les objets quecelle-ci a touchés et les relations sexuelles sontprohibées jusqu’au soir du 14ème jour, après que lafemme se sera complètement immergée dans le bainrituel (mikvé) pris dans un bassin qui doit contenir762 litres d’une eau naturelle renouvelée. Dans letexte biblique, la transgression de cet interditsexuel est une rupture de l’alliance : « Quand unhomme couche avec une femme qui a ses règles, etqu’il découvre sa nudité, puisqu’il a mis à nu lasource du sang qu’elle perd, et qu’elle même adécouvert cette source, ils seront tous les deuxretranchés du sein de leur peuple » (Lévitique, 18,20). Sur ce plan, l’islam ne se différencie pas dujudaïsme comme l’atteste le verset 222 de la sourateII (« La Génisse ») : (Les croyants) t’interrogentsur la menstruation. Réponds (- leur) : ‘C’est unmal. Tenez-vous à l’écart des femmes durant lamenstruation et ne vous approchez point d’elles avantqu’elles ne soient pures’ ». Au demeurant, les femmesne peuvent pas prier, entrer dans une mosquée,toucher le Coran ni participer au pèlerinage à LaMecque pendant leur période menstruelle ; de nosjours on leur prescrit de prendre une pilulecontraceptive pour éviter d’avoir leurs règles enterre sainte. La même impureté et le même interditpèsent sur le sang qui s’écoule de la femme qui vientd’accoucher. Selon que l’enfant est un garçon ou unefille, le temps de l’impureté dure, d’après l’AncienTestament, une semaine ou deux, celui de lapurification du sang 33 ou 66 jours (Lévitique, 12,1-5). Au terme de cette période une cérémonieconsacre la réintégration de la mère dans la vieconjugale, sociale et religieuse. Ainsi c’est

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quarante jours après avoir accouché de son fils quela Vierge Marie se présente au Temple de Jérusalempour y être purifiée (Luc, 2, 22). Bien qu’elle nesoit pas prescrite dans le Nouveau Testament, lapratique des relevailles s’est maintenue dans lesÉglises chrétiennes. Chez les orthodoxes, c’estseulement quarante jours après son accouchement quela mère est autorisée à communier. Chez lescatholiques, cette pratique des relevailles s’estestompée depuis le début du XXème siècle. Lesfolkloristes rapportent que cette cérémonie sedéroulait le jour où la mère sortait pour la premièrefois de sa maison pour se montrer en public dans larue ; elle se rendait, en vêtement spécial, àl’église ; le prêtre lui donnait alors la bénédictionqui levait l’impureté. C’est seulement après ce ritequ’elle pouvait de nouveau assister à la messe,communier et que son mari pouvait avoir accès à elle.Sur ce plan, l’islam ne se différencie pas desautres traditions : la femme en couches estconsidérée impure jusqu’à la résorption de seslochies, fixée à quarante jours. De même que lors deses règles, pendant cette quarantaine, la femme nepeut ni prier, ni toucher le Coran, ni jeûner, nientrer dans une mosquée, ni avoir des relationssexuelles avec son mari. Comme dans le judaïsme, desablutions rituelles consacrent le retour à la puretéet la fin d’une période de fragilité (où la jeunemère peut être attaquée par un monstre femelle selonles traditions du monde turco-iranien). Parallèlement, dans le judaïsme comme dans l’islam,l’écoulement de sperme est une source de pollutionpour l’homme qui nécessite ablution et purification.« Quand un homme est atteint d’un écoulement dans sesorganes, cet écoulement le rend impur », lit-on dansle Lévitique (15, 2) et cette impureté est

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contagieuse : « Celui qui touche le corps de l’hommeatteint d’écoulement doit laver ses vêtements, selaver à l’eau et il est impur jusqu’au soir »(Lévitique, 15, 7). L’aversion pour ces matières impures, la peur de lapollution par des corps étrangers expliquent letraitement particulier qui est réservé aux poils enislam. Alors que le christianisme a prôné le respectde la nature créée par Dieu, les poils ayant, enoutre, pour vertu, de cacher les « partieshonteuses », l’épilation corporelle est la norme,pour les deux sexes, dans les sociétés islamiques,les poils qui retiennent les sécrétions (le sang, lesperme, l’urine, les matières fécales) étantconsidérés comme impurs. La fitrah, la bonne et sainenature, implique de s’épiler les aisselles, de seraser les poils des parties intimes mais aussi, pourles hommes, de se tailler les moustaches pour quecelles-ci ne pénètrent pas dans la bouche et n’yintroduisent des impuretés. « Nulle prière, nul jeûnene saurait, sinon, être valable aux yeux de Dieu »,commente un exégète. En Iran, des femmes rapportentque la prière est illicite si les poils pubiensdépassent la taille d’un grain d’orge.

Les relations sexuelles

Ces exigences de pureté s’appliquent aussi auxrelations sexuelles qui ne sont acceptables, pour desraisons morales plutôt que rituelles, qu’entre unhomme et une femme et dans le cadre du mariage.L’Ancien et le Nouveau Testament condamnent lazoophilie et l’homosexualité en termes virulents :« Quand un homme a des relations avec une bête , ilsera mis à mort et vous tuerez la bête ». « Tu necoucheras pas avec un homme comme on couche avec une

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femme ; ce serait une abomination » entraînant lamise à mort. Dans l’Épître aux Romains (1:26-31),Saint Paul renchérit sur la condamnation de cette« passion infâme » qu’est l’homosexualité : « et demême les hommes, abandonnant l'usage naturel de lafemme, se sont enflammés dans leurs désirs les unspour les autres, commettant homme avec homme deschoses infâmes, et recevant en eux-mêmes le salaireque méritait leur égarement ». Le Coran condamneaussi fermement l’homosexualité, en évoquant, àplusieurs reprises, les paroles de Loth au peuple deSodome : « En vérité, par concupiscence vouscommettez l’acte de chair avec des hommes et non avecdes femmes. Vraiment, vous êtes un peuple impie. Laseule réponse de son peuple fut :’Expulsez la famillede Loth de votre cité ! Ce sont des gens quiaffectent la pureté’ » (Sourate VII, 81-82). La seuleunion charnelle admise dans les trois religions estcelle entre un homme et une femme mariés, lesrapports prénuptiaux et extra-conjugaux étantconsidérés comme de graves péchés. La pureté estsymbolisée par la virginité de la jeune épouse,condition requise pour le mariage selon les normesdes confessions abrahamiques. Le Deutéronome (22, 13-28) indique à quel sort s’expose une jeune fille quine serait pas vierge (betoula) au mariage : « S’ils’avère que la jeune femme n’ait pas été trouvéevierge, on l’amènera à la porte de la maison de sonpère ; les homme de sa ville la lapideront, et ellemourra, car elle a commis une infamie ». Même sortpour la jeune fille vierge et pour l’homme, autre queson fiancé, qui aurait couché avec elle : « Vous lesamènerez tous les deux à la porte de cette ville,vous les lapiderez et ils mourront ». Lechristianisme a aussi fait de la virginité un de sessymboles majeurs. Marie, mère de Jésus, « se trouva

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enceinte par le fait de l’Esprit Saint » (Mathieu, 1,18). À cette pureté du corps se superpose celle del’âme, exempte du péché originel, selon le dogme del’Immaculée Conception, arrêté en 1854 par le papePie IX dans sa bulle Ineffabilis Deus. Soulignant l’étatde pureté de Marie, catholiques et orthodoxes luiattribuent une « virginité perpétuelle », y comprisdonc pendant son union avec Joseph, contrairement auxprotestants qui arguent des mentions des frères etsœurs du Christ dans les Évangiles (par exemple dansMathieu, 13, 55 et dans Marc, 6, 3). Le débat portealors sur l’extension sémantique du mot « frère ».L’islam reconnaît aussi la virginité de Marie, mèredu prophète Jésus, et non de Dieu, comme en attestele verset 47 de la sourate III : « ‘Seigneur !’,répondit (Marie), comment aurais-je un enfant alorsque nul mortel ne m’a touchée ? – ‘Ainsi’, répondit-il ». À travers la figure de Marie se conjuguent deuxvaleurs féminines exacerbées dans le mondeméditerranéen : la virginité et la maternité.Contrairement à l’islam qui valorise la sexualitédans le mariage, le catholicisme prône la chastetéentre époux, l’union ayant pour fin la procréation,le renoncement à la pureté n’étant honorable que s’ilaboutit au don de la vie. Le statut de la sexualitédes clercs a fait l’objet de prises de positionopposées dans les différents courants religieux. Seulpoint commun, le monachisme, qu’il soit répandu oumarginal, implique célibat et abstinence. Si lejudaïsme et l’islam recommandent le mariage desclercs séculiers, le catholicisme, contrairementcependant à l’orthodoxie et au protestantisme, leproscrit. C’est là le fruit d’une longue évolution.Dès les premiers siècles, les prêtres sont exhortés àla chasteté. Ainsi dès le Vème siècle on prescritque les femmes des prêtres doivent être vierges et le

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rester après leur mariage. Elles ne doivent paspartager la chambre de leur mari, et encore moinsleur lit. Tombée en obsolescence du VIème au XIèmesiècles, la règle du célibat des prêtres estdéfinitivement imposée au XIIème siècle. Les exégètescontemporains, le pape Benoît XVI par exemple, voientdans le célibat « une conformation particulière austyle de vie du Christ lui-même (…) qui a vécu samission jusqu’au Sacrifice de la croix dans l’état devirginité ». À vrai dire, cet idéal de chasteté,comme moyen d’échapper aux souillures du monde etd’approcher la pureté céleste, a parcouru toutel’histoire du christianisme.

L’enveloppe corporelle

Dans l’Ancien Testament et dans la tradition juive,la pureté requiert que l’enveloppe corporelle soitintègre, nette et dépourvue de toute affectioncutanée. La lèpre - terme générique pour désignerdans la Bible toute une série de maladies de peaumais aussi les taches de moisissure sur les vêtementsou de salpêtre sur les murs – est considérée commeimpure (Lévitique, 13, 14) et celui qui en estatteint est mis à l’isolement ; une fois guéri, ilsera purifié au terme de sacrifices d’animaux(Lévitique, 14). Le geste du Christ qui purifie lelépreux encore malade en le touchant (Mathieu, 8 1-4,Marc, 1 40-45, Luc, 5, 12-16) rompt avec ce tabou et,une fois de plus, avec la distinction du pur et del’impur corporels. Si l’impureté des maladies depeau occupe une place importante dans le Lévitique,le Coran n’en traite pas sinon, en V, 110, pourrappeler la guérison du lépreux par Jésus.En revanche, judaïsme et islam convergent unenouvelle fois pour faire de la circoncision une

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condition de la pureté. C’est, dans la Genèse (17,10-11), le signe, par excellence, de l’alliance deDieu et de son peuple. Voici ce que dit le Seigneur àAbraham : « Tous vos mâles seront circoncis. Vousaurez la chair de votre prépuce circoncise, ce quideviendra le signe de l’alliance entre moi et vous ».Le texte précise que la circoncision doit êtreeffectuée le huitième jour après la naissance. Mêmesi le Coran n’en fait pas mention, l’islam prescritla circoncision, comme en attestent plusieurs hadith-s (par exemple, « Débarrassez-vous des cheveux longsdes païens et soyez circoncis ») mais l’âge où estpratiqué le rituel (aujourd’hui, le plus souvent, dèsla naissance à l’hôpital) a varié sensiblement selonles écoles juridiques et les traditions régionales.Il est cependant déconseillé aux musulmans deprocéder à la circoncision le huitième jour de la viede l’enfant, pour se démarquer des juifs. On peuts’interroger sur le sens de cette pratique, quiapparaît en rupture avec l’idéal d’intégritécorporelle en vigueur dans le judaïsme enparticulier. S’agit-il, comme le suggère le discoursmédical, d’une pratique hygiénique ? D’une prise dedistance par rapport au monde animal ? De brider lesappétits charnels, comme le postulent certainssavants musulmans? S’agit-il, comme le revendiquentle judaïsme et l’islam, d’une marque distinctive dupeuple d’Israël par rapport à ses voisins, dans lepremier cas, de la communauté des croyants, dans lesecond ? Mais une autre hypothèse, suivant les pointsde vue de M. Douglas et de C. Lévi-Strauss, rend sansdoute mieux compte de la signification de cettepratique qui n’est pas propre au judaïsme et àl’islam. Pour M. Douglas, l’impureté est uneanomalie, le fait que quelque chose n’est pas à saplace, source de confusion. Selon Lévi-Strauss, le

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prépuce, tout comme à l’opposé le clitoris, neseraient pas à leur place, l’un étant un élément moudans un organe masculin dur, l’autre un élément durdans un organe féminin mou. La circoncision, commel’excision, auraient pour but de réparer ces« ratés » de la création, de rendre conformes lesindividus à leur classe sexuelle. Le christianisme,dans ce domaine aussi, rompt avec la loi mosaïque.L’obligation de la circoncision fit même l’objet del’Assemblée de Jérusalem en 48 ou 49 ap. J.-C. (Actes des apôtres, 15): les « païens » devaient-ilsse faire circoncire quand ils se convertissaient ? Laréponse ne fit pas l’unanimité mais celle de l’apôtrePaul fut négative (Romains, 2, 28-29) : « En effet,ce n’est pas (…) la marque visible dans la chair quifait la circoncision, mais c’est ce qui est caché (…)et la circoncision est celle du cœur, celle quirelève de l’Esprit et non de la lettre ». Ainsis’affirment tout à la fois la rupture avec leritualisme et la volonté d’universalisme duchristianisme. La circoncision fut même proscrite parles autorités chrétiennes pendant les premierssiècles de la nouvelle ère pour bannir touteréférence au judaïsme, mais, signe de l’enracinementculturel – et pas seulement religieux – de lapratique, elle est toujours généralisée et prescritepour les fidèles des Églises coptes d’Égypte etd’Éthiopie.

Le toucher

La distinction du pur et de l’impur entraîne laphobie de la contamination par un contact, direct ouindirect. « Celui qui touche un mort – n’importequelle dépouille mortelle – est impur pour septjours », dit le Seigneur à Moïse et Aaron (Nombres,

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19, 11). C’est, dans la tradition juive, le plus hautdegré d’impureté. À la pollution du cadavre s’ajoutecelle de l’étranger qui, par son contact, peut rendreimpur le fidèle mais aussi la terre et surtout leTemple, s‘il venait à les fouler. Le Coran ne faitpas mention de la pollution par le cadavre humainmais considère aussi le corps à l’instar de lamosquée comme des forteresses assiégées qu’il fautdéfendre à tout prix contre les risques de pollution.« La souillure, fuis-la » « Ô vous qui croyez! lesInfidèles ne sont qu’impureté. Qu’ils n’approchentdonc point de la Mosquée Sacrée » (sourates LXXIV, 5et IX, 28). Pour éviter la contamination du pur parl’impur, les fidèles ont coutume de spécialiserchacune des mains, l’une, la droite, pour lanourriture (pure), l’autre, la gauche, pourl’ablution des sécrétions impures. L’impureté peutaussi se transmettre en touchant le corps humide d’uninfidèle, l’humidité favorisant la transmission.Ainsi, traditionnellement dans certaines régionsd’Iran, et sans doute ailleurs dans le mondemusulman, il fallait éviter de toucher un infidèlepar temps de pluie et de boire dans le même verre quelui, si celui-ci n’avait pas été lavé et séché septfois. Mais la pollution peut aussi être indirecte ettransmise par des denrées touchées par un étranger.Ainsi, dans le judaïsme (règle de bishul-nokhri), commeen islam dans plusieurs écoles juridiques, laconsommation d'aliments qui ont été en contact avecdes mains impures est prohibée. Dans les traditionsles plus rigoristes du judaïsme des aliments, mêmekacher, préparés par un non-juif ne peuvent êtreconsommés ; un vin fabriqué et manipulé par un« Gentil » ne peut être bu. En islam, si le prophètea permis aux fidèles de manger la nourriture,composée de mets licites, préparée par les « gens du

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Livre » (ahl-al kitab), des juristes limitent fortementcette tolérance, déconseillant, par exemple, demanger un animal abattu rituellement par un kitabi non-musulman. Ces interdits s'appliquent également auxustensiles, qui ont pu être souillés par des alimentsou des mains impurs, et parfois aux convives (onrecommande, dans plusieurs traditions, de ne paspartager un repas avec un kâfir, un mécréant). Mais lavigueur de ces interdits varie selon les contextes etles produits. En islam maghrébin, les fidèlestouchent et consomment sans problème des produitsachetés chez des non musulmans (tels des fruits etdes légumes). De même, ils peuvent manger sanscrainte, après avoir cependant prononcé la formulebismillah, ce qui leur est proposé dans un restauranttenu par un mécréant, à l’exception de la viande quidoit faire l’objet d’une vigilance spéciale (voir ci-dessous).

Dans sa volonté d’universalisme, le christianismea rejeté cette phobie du contact, comme le déclarePierre dans les Actes des apôtres (10, 28) : « Commevous le savez, c’est un crime pour un Juif qued’avoir des relations suivies ou même quelque contactavec un étranger. Mais, à moi, Dieu vient de me fairecomprendre qu’il ne fallait déclarer immonde ou impuraucun homme ». Mais c’est encore plus dans le domainealimentaire que s’affiche le contraste entre lestraditions judéo-musulmane et chrétienne.

L’alimentation

Le judaïsme et l’islam distinguent nourrituresexcellentes et immondes ou à tenir en« abomination », tandis que le christianisme, avons-nous dit, a aboli les interdits alimentaires.Procédant du même fond sémitique, les prohibitions dujudaïsme et de l’islam sont, dans l’ensemble,

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similaires ; elles proscrivent la consommation dusang et du porc (Lévitique, 11,7, 17,12, Coran,sourate VI, 145) mais alors que le judaïsme autorisesous certaines conditions les boissons fermentées,l’islam les interdit : « Ô vous qui croyez ! lesboissons fermentées (…) sont seulement une souillure(procédant) de l’œuvre du démon. Évitez-la ! »(sourate 5, 90). On peut donc parler de « séparatismealimentaire » (M. Rodinson) entre les trois religionsrévélées. Alcool (prohibé par l’islam) et porc(prohibé par le judaïsme et l’islam) demeurent labase du triangle de différenciation entre juifs,musulmans et chrétiens. Et le statut du sang dans lestrois traditions (voir supra) contribue à renforcerces contrastes. Mais ces grandes divisions nesuffisent pas à rendre compte des oppositions enmatière de pureté alimentaire. Pour les juifs,l’abattage rituel ne suffit pas pour rendre licite laconsommation d’une viande. Encore faut-il que lecorps de la bête soit intact et que la viande soitdébarrassée de la totalité de son sang ; pour cefaire, on trempe la viande dans l’eau froide puis onl’enrobe de gros sel et on la rince trois fois. Laconsommation de certaines graisses et du nerfsciatique (qui évoque la blessure de Jacob lors deson combat avec l’ange, Genèse, 32, 33) est aussiprohibée. Rien ne s’oppose, selon la plupart desécoles juridiques musulmanes, à la consommation parles fidèles de viande kacher (un proverbe répandu dansle monde islamique recommande aux fidèlesde « coucher dans le lit des chrétiens - réputés pourleur propreté - mais de manger la nourriture desjuifs »), mais il n’est pas licite pour un juif deconsommer de la viande halâl. Le christianisme ne formed’ailleurs pas un bloc compact dans son rejet desinterdits. Des églises, tels les Adventistes du

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septième jour, respectent les prescriptions duLévitique. Les premiers chrétiens, en particulier lesjuifs convertis, eurent du mal à se plier à la levéedes interdits bibliques auxquels ils étaientaccoutumés. Les Actes des apôtres (15, 28-29) enrecommandent même le maintien pour éviter les« obstacles » à la conversion. C’est la même positionqu’adopta l’Église pendant les premiers siècles, touten recommandant cependant, lors de conciles, de sedémarquer de certains interdits du Lévitique, commece fut le cas au IIIème siècle, lors du Conciled'Antioche : « Les Chrétiens n'imiteront pas lesJuifs au sujet de l'abstinence de certainesnourritures mais mangeront même du porc car lasynagogue des Juifs exècre le porc ». Mais, comme l’anoté J.-L. Flandrin, l’Église a maintenu pendantpresque dix siècles l’interdit du Lévitique de mangerdes viandes non saignées, comme le rappellent lesynode de Gangres au IVème siècle, le deuxièmeconcile d’Orléans en 533. « Selon le concileQuinisexte en 692, manger du sang vaut à un clercd’être déposé et à un laïc d’être excommunié (…) EnOccident cette prescription semble être tombée endésuétude par la suite (…) L’interdit est cependantmaintenu en Orient dans certaines Églises jusqu’à nosjours».

Parmi les quatre interdits communs au judaïsme età l’islam : le sang (siège de la vie), le cadavreanimal (qui n’a pas été abattu par un homme et n’adonc pas été « culturalisé »), ce qui n’a pas étéconsacré à Dieu, et le porc, c’est sans doute ledernier qui a suscité le plus d’interrogations etd’interprétations. Pour certains, tel M. Harris,tenant du matérialisme culturel, les interditsseraient les résultats de choix rationnels etutilitaires. Le porc aurait été ainsi prohibé parce

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que son élevage présentait plus d’inconvénients qued’avantages. D’autres avancent des raisons médicalesou hygiéniques pour expliquer cet interdit (c’estainsi d’ailleurs que le justifient la plupart desfidèles) : le porc peut transmettre à l'homme unemaladie grave, la trichinose. Mais ni la Bible ni leCoran ne font allusion à cette maladie que l’on neconnaît que depuis le XIXème siècle. Lesinterprétations les plus convaincantes sont cellesfournies par les chercheurs (tels M. Douglas et J.Soler) qui ont analysé les mécanismes logiques declassification du pur et de l’impur, des animauxmangeables et immangeables dans la Bible. Sontconsidérés comme purs les animaux dotés d'organes delocomotion correspondant au milieu où ils vivent :ceux qui sont sur terre doivent marcher sur quatrepattes, ceux qui habitent les milieux aquatiquesdoivent se déplacer en nageant et être pourvus denageoires et d'écailles; ceux qui vivent dans lesairs doivent voler avec des ailes. Tout hybride, toutanimal présentant une anomalie par rapport à cescritères doit être tenu en abomination et proscrit del'alimentation ; il y a là un refus du mixte, duconfus, qui caractérise l’Ancien Testament et qui setraduit, entre autres, par une condamnation del’ « inceste » culinaire (« Tu ne feras pas cuire unchevreau dans le lait de sa mère ») ; tirant lesconséquences de cette incompatibilité, les rabbinsont fixé à six heures la durée qui doit séparer laconsommation de viande et celle d’un aliment lacté.Autre exigence liée à cette incompatibilité chez lesplus ritualistes : effectuer deux vaissellesdifférentes, ou utiliser deux lave-vaisselledifférents pour les produits carnés et les produitslactés. Trois autres distinctions contribuent à cettedéfinition du pur et de l’impur : parmi les animaux

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terriens à quatre pattes, sont exclus de laconsommation les carnivores et les charognards maisaussi ceux qui n'ont pas « le pied onglé et l'onglefendu » et ne ruminent pas. D'où la proscription dulapin qui n'a pas l'ongle fendu et... du porc « qui ale pied onglé et l'ongle fendu mais ne rumine pas ».On ajoutera, pour expliquer ce tabou du porc, que laconsommation de cet animal, omnivore comme l’homme,peut faire planer le spectre de l’anthropophagie. Onnotera par ailleurs, une nouvelle fois, que toutesles traditions ne se conforment pas au schémabiblique : les chiites proscrivent les poissons sansécaille, mais pas les sunnites ; les musulmans dansleur ensemble ne jugent pas illicite la consommationdu lapin… Ce différentialisme joue aussi au sein d’unmême courant religieux : chez les chiites, lesduodécimains (qui reconnaissent douze imams)condamnent la consommation du lièvre, tandis que lesismaéliens ou septimains (qui ne reconnaissent quesept imams) la tolèrent. Il existe, à vrai dire, uneéchelle de dangers et des interdits plus durs qued’autres (dans le judaïsme comme en islam, le porcoccupe le sommet de cette échelle des tabous) surlesquels aucun compromis n’est possible. Lajurisprudence musulmane (figh) détaille, avec un luxede nuances, les divers degrés d'obligation, derecommandation, d'interdiction, distinguant, parexemple, les produits strictement interdits (harâm),répréhensibles (munkar), déconseillés mais tolérés(makrûh), etc.Aux interdits permanents s’ajoutent des interditstemporaires ou occasionnels, également présents dansles trois religions révélées. Ainsi pendant lespériodes de jeûne (Yom Kippour, Carême, Ramadan).Pendant le Carême, les chrétiens ne doivent(devaient) consommer que des aliments maigres mais ce

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jeûne connaît des formes et implique des interditsbien différents selon les différents courantsreligieux. Par exemple, chez les orthodoxes, viande,poisson, produits laitiers, vin et huile sontproscrits pendant le Grand Carême (qui débute unlundi sept semaines avant Pâques et n’inclut pas lasemaine sainte) ; on recommande de ne prendre pendantcette période qu’un seul repas par jour. Mais il y ades exceptions : les samedis et les dimanches (joursdu sabbat et du Seigneur), les fidèles peuventprendre les deux principaux repas quotidiens etconsommer de l’huile et du vin (à l’exclusion de laviande, du poisson et des produits laitiers). Si ladate de l’Annonciation (le 25 mars) coïncide avec leGrand Carême, on est autorisé à manger, le jour de lacélébration de cette fête, en outre du poisson. Cettepériode de jeûne est précédée d’un mois de pré-carêmependant lequel les fidèles rompent progressivementavec leurs habitudes alimentaires : alors que lapremière semaine du pré-carême est appelée la semainede la viande (on peut en consommer même le mercrediet le vendredi, ce qui est ordinairement proscrit),l’avant-dernier dimanche est appelé dimanche del’abstinence de la viande ; alors que, pendant latroisième semaine, les laitages et les œufs sontautorisés y compris les jours maigres (c’est lasemaine des laitages ou de la tyrophagie), ils sontinterdits à partir du dernier dimanche du pré-carême(Dimanche du Pardon ou encore dernier jour deslaitages). Les attitudes par rapport au jeûne peuventêtre tranchées au sein d’une même religion. Ainsi lesCamisards protestants cévenols mangeaient de laviande rouge le vendredi, jour maigre pour lescatholiques auxquels ils s’opposaient pourstigmatiser leur ritualisme. Mais c’est encore dansun même courant religieux que les interprétations

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peuvent varier en matière de jeûne : il y eut, parexemple, de nombreuses controverses, dans l’Égliseromaine sur le statut, gras ou maigre, de l’œuf. Ces interdits temporaires peuvent s’accompagner ounon d’autres obligations (renoncement au travailprofane, aux ablutions non-rituelles, abstinencesexuelle…). Ils peuvent, par ailleurs, concerner descommémorations d’événements tragiques (dans lejudaïsme, la destruction du premier et du secondtemple de Jérusalem, le meurtre de Guédalia, derniergouverneur de Judée à la suite de l’exil des juifs enBabylonie…) ou des occasions rituelles spécifiques :les chrétiens doivent ainsi observer le jeûneeucharistique avant la communion (naguère la veille àpartir de minuit, une durée d’une heureaujourd’hui) ; quant aux fidèles musulmans ils nedoivent pas manger d'ail, de poireau ni d'oignonavant de se rendre à la mosquée; en période desacralisation, lors du pèlerinage à La Mecque, ilsdoivent s'abstenir de consommer du gibier de terreferme. À la rigueur de la Loi s’oppose cependant lasouplesse des usages. Des dispenses sont accordées àceux qui ne peuvent observer les interdits pour debonnes raisons : « Dieu est absoluteur etmiséricordieux », dit le Coran, pour ceux quitransgresseraient les interdits en cas de forcemajeure ou sous la contrainte (sourate VI, 145); desdérogations à l'obligation de jeûner pendant leramadan sont également octroyées, pour des raisons desanté notamment. C’était le même cas chez leschrétiens pour le Carême. Des interdits portant surdes nourritures au statut ambigu peuvent être levésdans des contextes particuliers ; ainsi en 1983, unfatvâ de l’âyatollâh Khomeyni déclara halâl laconsommation de l'esturgeon (poisson sans écaille) et

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du caviar, jusque là prohibés conformément à ladoctrine chiite. Plusieurs séminaires, avis,consultations précédèrent la promulgation de ce fatvâ.Les experts (ingénieurs des pêcheries, hautesautorités religieuses) avaient d'abord dénoncél'utilisation impérialiste faite dans le passé de cetinterdit : les Russes l'avaient avancé à leuravantage, privant ainsi « les musulmans et lesIraniens » d'un aliment « riche en protéines ». Lecollège des experts avait, ensuite et surtout,examiné sous toutes leurs coutures les quatrevariétés d'esturgeon et discerné sur des parties deleur corps quelques écailles losangiques, enparticulier sur le lobe supérieur de leur nageoirecaudale asymétrique. Mais ces revirementsclassificatoires sont rares et n’affectent, le plussouvent, que les parties faibles du système du pur etde l’impur.

Châtiments et purifications

L’obsession « anxiogène » (A. Bouhdiba) de la puretédans la tradition judéo-musulmane entraîne lechâtiment des transgressions les plus graves et unemultitude de précautions et d’actes rituels pour seprotéger ou se débarrasser des impuretés ambiantes.Quand la transgression conjugue impureté rituelle etimpureté morale, et risque de polluer la communauté,ainsi dans le cas de l’adultère, des solutionsextrêmes sont recommandées. Ainsi la lapidation descoupables dans le but « d’ôter le mal d’Israël »(Deutéronome 22, 22-23). Le Coran ne prescrit pasdans un tel cas la lapidation (nulle trace dans lestextes du prétendu verset de la lapidation - ilaurait été abrogé -, même si la plupart des clercsconsidèrent ce châtiment comme coranique) mais laflagellation de cent coups de fouet devant un groupe

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de croyants (sourate XXIV, 2). Des hadith-s enrevanche préconisent explicitement la lapidation.Ici aussi la position du christianisme, à ses débutsau moins, paraît originale ; Jésus prône le pardon etla contrition plutôt que le châtiment : « Que celuid’entre vous qui n’a jamais péché lui jette lapremière pierre », déclare-t-il devant les Pharisiensqui lui ont amené une femme adultère à qui il dit :« Désormais ne pèche plus » (Jean, 8, 7-11). Pour accomplir sa prière, un jeûne, un pèlerinage etquelques autres actes rituels, comme toucher leCoran, la purification est nécessaire. C’est uneobligation partagée par le judaïsme et l’islam. Lesablutions, et donc l’eau, sont les moyens de cettepurification : « Lave tes mains et tes pieds avant det’approcher de l’autel et, si tu offres un sacrifice,lave à nouveau tes mains et tes pieds », lit-on dansle Livre de l’Exode (30, 19-21). La valeur de lapurification par l’eau vive est telle que lesEsséniens y recouraient tous les matins, nous ditFlavius Josèphe dans sa Guerre des Juifs. Sous l’influencede la Kabbale, les Hassidim ont adopté la mêmecoutume et prennent un bain rituel avant la prière dumatin. Plus généralement aujourd’hui, les hommes vonts’immerger dans le mikvé avant le jeûne de Yom Kippourafin de se présenter devant Dieu en état de puretérituelle. Et l’on a évoqué plus haut le rôlepurificateur du bain rituel pour les femmes au sortirde leur période menstruelle ; celles-ci doivent s’yprésenter dépourvues de tout ce qui pourrait faireobstacle au contact entre l’eau et la peau (vernis àongles, tatouage, etc.) ; elles doivent s’immergertrois fois complètement et cette purification doitêtre effectuée sous le contrôle d’une autre femme,souvent l’épouse du rabbin, qui doit en certifier laconformité. Les ablutions sont également fermement

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recommandées dans le Coran (sourate V, 6) « Ô vousqui croyez ! quand vous vous disposez à la Prière,lavez-vous les mains jusqu’aux coudes ! passez-vousla main sur la tête et des pieds jusqu’auxchevilles ». Le Coran prévoit aussi les cas où l’eaumanque : « Recourez » alors « à du bon sable(tayammum) et passez-vous en sur le visage et sur lesmains ! Allah ne veut vous imposer nulle gêne mais Ilveut vous purifier » (sourate V, 6). Ces ritespurificatoires sont effectués de la main droite ;c’est au demeurant cette main que le chrétien plongedans le bénitier pour se signer.Les gestes accomplis pour se purifier varient selonles impuretés - majeures ou mineures - dont on doitse débarrasser. Le Lévitique prescrit des sacrificesd’animaux « quand un individu, sans s’en rendrecompte, touche n’importe quoi d’impur - cadavred’animal sauvage, cadavre de bête domestique impure,cadavre de bestiole impure -, (…) quand « il toucheune impureté humaine » (5, 2-3), quand une femme aaccouché et « attend la purification de son sang »(12, 5), quand elle a des écoulements sanguins endehors de ses périodes menstruelles (15, 29), quandun homme « est atteint d’un écoulement dans sesorganes » (15, 2) ou encore au terme de la guérisond’un lépreux (14, 25). La purification par l’eausuffit après les relations sexuelles (15, 18) et lebain rituel, on l’a dit, lave la femme de sesimpuretés à la fin de ses règles. L’islam distingueaussi deux grands degrés d’impuretés justiciables derites purificatoires plus ou moins élaborés. Lesimpuretés majeures (janâba), c’est-à-dire le coït,l’émission de sperme, le flux menstruel et leslochies de l’accouchée, requièrent des ablutionsmajeures (ghusl). Le fidèle doit, après la formulationde l’intention, se laver successivement les mains,

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les parties intimes (avec la main gauche), de nouveaules mains puis se rincer la bouche et les narines, sepasser de l’eau sur le visage, sur les avant-bras,sur la tête et les oreilles, sur les pieds, enfin surtout le corps. Chaque opération doit être répétéetrois fois, en commençant par les membres du côtédroit. On récite à la fin la profession de foi.Les impuretés mineures, liées aux excrétions par laverge et par l’anus, au sommeil, aux gestes déplacésinvolontaires… nécessitent une purification mineure(wudhû) dont le déroulement est similaire à celui dughusl, mais sans le lavage du corps dans son entier.Quel qu’en soit le déroulement, ces ritespurificatoires doivent faire disparaître les tracesvisibles et olfactives de l’impureté (sang, sperme…).Si ces purifications sont nécessaires avantd’accomplir des rites (prière, pèlerinage), elles lesont d’autant plus lors de la mort ; dans le judaïsmecomme dans l’islam, le défunt doit être débarrassé detoute impureté avant de se présenter devant letribunal céleste. En islam, celui qui est mort enmartyr est dispensé de cet ultime purification. LeCoran (sourate LXXXII, 13-14) précise les deux voiesréservées aux défunts: « En vérité les Purs serontdans un délice, Alors qu’en vérité les libertinsseront dans une fournaise » ? Cette dernière citationrappelle que les impuretés rituelles ne sont pas lesseuls critères qui décident du chemin que suivrontles morts. Les péchés, les impuretés morales, encoreplus que les rituelles, pèsent dans la décisionfinale. Ce sont ces impuretés morales, ces péchés quisont exclusivement pris en compte dans lechristianisme qui accorde, à travers la confession(personnelle ou collective), une importanceparticulière à la pénitence.

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Peut-on dégager au-delà des textes sacrés - ouparfois en les suivant - les fonctions latentes dudogme de la pureté et les incidences de cesconceptions sur les relations avec les autres ?Les purifications scandent les moments critiques quiponctuent la vie (l’accouchement, la mort…) et lespetits dérangements physiologiques du quotidien (lesexcrétions diverses). Elles restaurent l’ordre aprèsces dérangements qui rappellent la proximité entrel’homme et l’animal et « culturalisent » ainsi ceuxqui les respectent. La distinction du pur et del’impur, le partage des mêmes tabous, l’observancedes rites qui en découlent jouent, par ailleurs, unrôle important dans l’affirmation d’une appartenanceet d’une conscience communautaires. Chaque groupereligieux se reconnaît à travers un code qui ledifférencie des autres. Intériorisé dès l’enfance, lerespect des règles et des interdits pèse sur leshabitudes et les répulsions, y compris dans lessituations de migration (où, au contraire, lafidélité aux origines s’accentue souvent) ou quandl’individu abdique la foi de ses parents. Ainsil’interdit du porc demeure vivace chez la plupart desmusulmans quel que soit le contexte. Le code du puret de l’impur, dans ses variations, de même au resteque son abolition, tracent ainsi des frontières entrecommunautés religieuses. Sans doute les pratiques desfidèles sont-elles plus souples que les dogmes –souvent intransigeants – des textes (même si ceux-ciprévoient çà et là des dispenses) mais un faitdemeure : le respect des mêmes interdits (permanentset temporaires) est un puissant démarcateurcommunautaire. Beaucoup de sociétés ont utilisé lesystème du pur et de l’impur pour établir etjustifier une hiérarchie entre groupes ; ainsi enest-il de l’organisation des castes en Inde. Sans

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doute dans les sociétés où dominent les religionsrévélées le degré de pureté peut être fonction dustatut sacré de l’individu ; ainsi selon la loibiblique des symboles d’un haut degré de pureté(certains aliments, des viandes sacrificielles…)peuvent être réservés au prêtre. Sans doute aussidans le judaïsme actuel le respect, plus ou moinsscrupuleux, de la kashrut trace des barrièresintracommunautaires. Mais là n’est pas l’essentiel etla voie méditerranéenne n’est pas la voiebrahmanique. Dans les religions révélées le systèmedu pur et de l’impur sert à la différenciationintercommunautaire plutôt qu’à une différenciationintra-communautaire. On voit ce que peut comporter engerme - et parfois de façon plus déclarée - cesystème de différenciation : le refus de l’Autre, uneconception concentrique de l’espace (d’un centre purvers des marges impures), voire la violencetotalitaire pour débarrasser un pays, une société, lemonde, l’humanité de ses impuretés.

(Christian Bromberger)

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