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Entretiens Grand entretien avec Unsuk Chin, compositrice. par Stefan Drees, le 04/11/15 Le 27 novembre 2015, l’Ensemble intercontemporain se joindra aux célébrations de l’Année France-Corée 2015-2016 en dressant un portrait musical haut en couleurs de la compositrice coréenne Unsuk Chin. L’occasion d’un grand entretien avec l’une des personnalités les plus éminentes de la scène musicale actuelle. Unsuk, vous êtes née en Corée du Sud et vous avez étudié la composition de 1981 à 1984 à l’Université nationale de Séoul, puis, à partir de 1982, avec Sukhi Kang. Vous êtes ensuite venue en Allemagne pour étudier avec György Ligeti entre 1985 et 1988. Qu’est-ce qui vous y a poussée ? Sukhi Kang était un excellent professeur, qui avait beaucoup à enseigner sur le côté pratique de la musique. C’était aussi un véritable puits de science et il nous faisait découvrir la musique contemporaine européenne, alors complètement inconnue en Corée, grâce à des partitions, des enregistrements et à ses propres exemples. Avant lui, mes connaissances en histoire de la musique ne dépassaient pas Stravinsky. Nous n’avions aucune occasion d’entendre de la musique plus récente en Corée, mais Sukhi Kang m’a permis de découvrir des compositeurs comme Webern, Boulez et Ligeti, et cela a été pour moi un choc et une fascination. Il était nécessaire que je parte pour l’Europe car je n’avais aucun avenir comme compositrice en Corée du Sud et je n’aurais pas pu m’y perfectionner – il n’existe en effet aucune infrastructure dans le domaine de la musique contemporaine. J’ai choisi György Ligeti, tout simplement parce sa musique était celle qui me Accents online | Grand entretien avec Unsuk Chin, compositrice. http://www.ensembleinter.com/accents-online/?p=8420 1 von 6 12.11.15 09:22

Grand entretien avec Unsuk Chin, compositrice

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Entretiens

Grand entretien avec Unsuk Chin,compositrice.par Stefan Drees, le 04/11/15

Le 27 novembre 2015, l’Ensemble intercontemporain se joindra aux célébrations de l’AnnéeFrance-Corée 2015-2016 en dressant un portrait musical haut en couleurs de la compositrice coréenneUnsuk Chin. L’occasion d’un grand entretien avec l’une des personnalités les plus éminentes de la scènemusicale actuelle.

Unsuk, vous êtes née en Corée du Sud et vous avez étudié la composition de 1981 à 1984 àl’Université nationale de Séoul, puis, à partir de 1982, avec Sukhi Kang. Vous êtes ensuitevenue en Allemagne pour étudier avec György Ligeti entre 1985 et 1988. Qu’est-ce qui vousy a poussée ?

Sukhi Kang était un excellent professeur, qui avait beaucoup à enseigner sur le côté pratique de lamusique. C’était aussi un véritable puits de science et il nous faisait découvrir la musique contemporaineeuropéenne, alors complètement inconnue en Corée, grâce à des partitions, des enregistrements et à sespropres exemples. Avant lui, mes connaissances en histoire de la musique ne dépassaient pas Stravinsky.Nous n’avions aucune occasion d’entendre de la musique plus récente en Corée, mais Sukhi Kang m’apermis de découvrir des compositeurs comme Webern, Boulez et Ligeti, et cela a été pour moi un choc etune fascination.

Il était nécessaire que je parte pour l’Europe car je n’avais aucun avenir comme compositrice en Corée duSud et je n’aurais pas pu m’y perfectionner – il n’existe en effet aucune infrastructure dans le domaine dela musique contemporaine. J’ai choisi György Ligeti, tout simplement parce sa musique était celle qui me

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parlait le plus.

Quelle est la différence entre les œuvres de votre période coréenne, dont vous avez décidéqu’elles ne devaient plus être jouées, et celles qui sont nées en Europe ?

Mes pièces de la période coréenne étaient toutes écrites dans le style postsériel. Submergée par toutes cesimpressions inédites et par le choc de cette musique nouvelle, je m’efforçais d’imiter tous les exemplesétrangers et j’ai rapidement eu du succès dans les concours internationaux, avec des propositionsd’éditeurs et différentes commandes. Tout cela m’apparaissait comme un rêve, mais malgré ces succèsapparents, je doutais de moi et trouvais mes compositions loin de ce que j’aurais aimé écrire. Je n’ai doncpas voulu poursuivre dans cette voie stylistique et j’ai tout remis en question. La rupture stylistique s’estachevée avec mon œuvre Les Troyennes, que j’ai composée en 1986 et qui est la première œuvre de moique j’accepte encore aujourd’hui ; bien qu’elle me semble un peu « étrangère ». Il est vrai qu’après LesTroyennes, je n’ai rien composé durant trois ans, notamment à cause du choc culturel que j’ai ressenti enarrivant en Europe. Cette période coïncidait également avec le début de mes études avec Ligeti.

Vous insistez souvent sur le fait que vous n’avez pas le sentiment d’être une compositricecoréenne, d’autant moins que vous vivez en Allemagne. Pourtant, vous vous engagezbeaucoup pour la musique contemporaine dans votre pays natal. Pourquoi cela ?

La Corée fait partie de mon identité et de mon histoire, mais c’est une partie qui se mêle évidemment à detrès nombreuses autres identités et expériences, d’autant que je vis en Europe depuis trente ans. Pendantdeux décennies, j’ai eu assez peu de contacts avec la Corée, mais en 2005, Myung-Whun Chung, le chefd’orchestre désigné pour l’Orchestre Philharmonique de Séoul, m’a demandé si j’aimerais devenircompositrice en résidence de l’orchestre. J’ai tout de suite accepté, d’une part parce que je vénère ce chefet musicien exceptionnel, et d’autre part, parce que c’était une occasion magnifique. L’orchestre étaitdevenu une fondation en 2005 et il avait été presque complètement reconstitué. En peu de temps, et sousla direction de Chung, cette institution médiocre qui fonctionnait tout juste s’était transformée en unmagnifique instrument dont les tournées internationales et les enregistrements étaient de grands succès.Créer, avec ce nouvel orchestre, un programme de musique contemporaine tel qu’il n’en existait pasencore en Corée, était une aventure passionnante, et l’est encore aujourd’hui.

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Sur les trente dernières années, comment est-ce que vous décririez la différenced’évolution de la musique entre la Corée du Sud et l’Europe ? Quelle est la place de lamusique contemporaine dans les concerts en Corée du Sud ? Existe-t-il, comme enAllemagne ou en France par exemple, des ensembles spécialisés qui se consacrent auxnouvelles œuvres ?

La difficulté de la Corée, c’est que les institutions y fonctionnent rarement très bien et qu’il y a peu decontinuité dans ce qui est entrepris. Depuis Isang Yun (1917-1995), il existe certes de vrais compositeurscontemporains, mais leur musique n’est pas jouée. Il y a eu pourtant des festivals qui nous ont donnéespoir. Par exemple, Sukhi Kang a organisé les premières représentations en Corée des œuvres deMessiaen et de Cage. Mais la musique vivante manque cruellement de stabilité en Corée. Les universitéspossèdent évidemment leurs propres ensembles, mais leurs prestations sont plutôt ponctuelles. Le retarda été en partie rattrapé avec le Festival international de musique de Tongyeong, créé en 2002 dans la villenatale d’Isang Yun, et la formation de l’Ensemble du Festival. On a pu y entendre, entre autres, pour lapremière fois en Corée, des opéras d’Alban Berg. Quand on m’a proposé de créer la série de musiquecontemporaine de l’Orchestre philharmonique de Séoul, j’ai vite compris que le répertoire était trèslacunaire, même pour l’époque classique moderne : apparemment, on n’avait jamais joué les grandesœuvres de Webern, de Stravinsky, et peut-être même jamais les Jeux de Debussy, sans parler des œuvresde compositeurs plus tardifs ! C’est pour cela que les programmes des concerts en Corée sont toujourspleins de premières et que tout est nouveau pour le public, que ce soit Dutilleux, Boulez ou ChristopheBertrand. C’est une situation étrange, d’autant qu’il y a beaucoup de musiciens coréens formidables quifont une carrière internationale. Certains des meilleurs interprètes de ma musique sont d’ailleurs coréens,comme le chef Myung-Whun Chung, le pianiste Sunwook Kim ou la soprano Yeree Suh. Il existe unénorme potentiel en Corée, et c’est pour cette raison que ce pays détient selon moi l’une des clés pour seconstruire un avenir dans la musique classique. Cela dit, la rigidité du système éducatif est problématiquecar elle laisse peu de place à la créativité, tout comme le système hiérarchique modelé sur les principesconfucéens.

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L’Ensemble intercontemporain associe deux de vos œuvres à celles de deux compositeurscoréens : Donghoon Shin et Sun-Young Pagh (photo ci-dessus). Comment décririez-vousleur musique ?

Sun-Young Pagh, aujourd’hui installée à Paris, a étudié en Allemagne et en France et s’est beaucoupintéressée à la musique électronique ; on peut entendre dans sa musique toutes ces influences qu’elle atransformées en un langage personnel, très fin et subtilement conçu. Donghoon Shin aime quant à luisortir des sentiers battus pour sans cesse innover : son Concerto pour violon est très lyrique et a un trèsbeau son, tandis que Pop-Up (un hommage à Led Zeppelin) est plus rugueux et iconoclaste. Ses œuvrestirent une inspiration féconde de multiples sources comme Borges, le cinéma moderne, etc. Ces deuxcompositeurs nous confirment qu’il se passe vraiment quelque chose avec la jeune génération.

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Au programme de ce concert figurent, entre autres, votre Double concerto de 2002 et lapièce pour ensemble Graffiti, créée en 2013 ; deux œuvres dont la création est séparée parplus de dix ans. Comment a évolué votre travail de composition au fil de cette décennie ?

Il m’est difficile de répondre à cette question car chaque œuvre est un nouveau défi et l’approche adoptéepour une pièce n’est valable que pour celle-ci. Mais mon Double concerto, comme la pièce pour orchestreRocaná que j’ai composée à la même époque, est une musique très abstraite, tandis que Graffiti est plutôt« impure », très gestuelle (comme mes œuvres pour ensemble de la même époque Cosmigimmicks– Pantomime musicale et Gougalōn – Scènes d’un théâtre de rue), bien qu’il ne s’agisse pas à proprementparler de musique à programme.

Abordez-vous aujourd’hui les nouveaux projets d’une autre façon, ou bien votre manièrede travailler est-elle restée la même au fil des années ?

Cela non plus, je ne peux pas le dire, car la manière de travailler est variable d’une composition à l’autre.C’est même, à vrai dire, paradoxal : je me suis « cassé les dents » pendant des mois sur une courte étudepour piano, mais je peux tout aussi bien avancer très vite sur une grande œuvre pour orchestre. C’estquelque chose que l’on ne peut pas planifier ni prévoir.

Le plus difficile, quand on compose, c’est de trouver une forme pour l’œuvre. Cela peut durer trèslongtemps et c’est un processus qui se joue d’abord et surtout dans la tête – même si, évidemment, onébauche aussi sur le papier. Quand l’écriture commence enfin, le plus grand obstacle est déjà, et de loin,surmonté.

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Photos-illustrations (de haut en bas) : © Kim Moon Jung / © Klaus Rudoph / U.Chin, page de la partitionde la Sonate pour violoncelle DR / DR / U.Chin, page de la partition du Double concerto pour piano etpercussion DR /

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