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Roland Viader et Christine Rendu (dir.) PReSSeS UNIVeRSITAIReS dU MIRAIL Les rotations culturales et l’appropriation du sol dans l’Europe médiévale et moderne Cultures temporaires et féodalité

G. Beltrametti, R. Cevasco, D. Moreno, Stagno A. M., Cultures temporaires entre longue durée et chronologie fine : traces des pratiques dans les sols, la végétation et les textes

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Roland Viader et Christine Rendu (dir.)

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Les rotations culturales et l’appropriation du sol

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Cultures temporaires et féodalitéLes rotations culturales et l’appropriation du sol dans l’Europe médiévale et moderne

L’alternance des cultures et des friches est une façon ancienne de gérerl’exploitation des terres, qui fut décriée par les Modernes mais très appréciéedes sociétés que l’on disait traditionnelles. Dans les campagnes de l’Europemédiévale et moderne, une grande partie des terres était ainsi cultivée unou deux ans avant d’être laissée en pâturages ou en broussailles pendantdeux, trois ou cinq ans, dix ou vingt parfois.Les recherches rassemblées dans ce volume permettent de mesurerl’importance et la variété de ces pratiques de cultures temporaires, d’enpréciser les chronologies et d’en redessiner les géographies. Partout, en effet,sur les landes britanniques comme dans les forêts nordiques, dans les maquisitaliens comme sur les monts galiciens, le succès de ces cycles culturauxinterroge les logiques historiographiques. Loin d’apparaître comme destechniques archaïques, extensives et peu efficaces, les cultures temporairess’y révèlent comme des adaptations complexes et parfois très récentes, quiexigeaient un lourd investissement en travail mais offraient en contrepartiedes rendements spectaculaires. Elles dévoilent un monde longtemps ignoré,où les défrichements ne sont plus le geste fondateur d’une conquêtedéfinitive des terroirs, mais des pratiques courantes et répétitives oùs’actualisait en permanence, à travers la distribution des usages de la terre,une grammaire élémentaire de l’appropriation du sol.

Collection dirigéepar Sandrine LAVAUD et Roland VIADER

PReSSeS UNIVeRSITAIReS dU MIRAILUNIVeRSITÉ ToULoUSe - JeAN-JAURÈ[email protected]://w3.pum.univ-tlse2.fr

Prix : 23 €

ISBN : 978-2-8107-0340-1Code SodIS : F407414

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Trente-quatrièmesJournées d’Histoire de Flaran

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Cultures temporaires et féodalité

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les Cultures temporaires, entre longue durée et Chronologie fine

(montagne ligure, italie)

Giulia Beltrametti, Roberta Cevasco, Diego Moreno, Anna Maria Stagno 1

Dans la première moitié des années 1950 déjà, et en particulier dans les écrits destinés à sa trilogie inédite sur les Communautés rurales de l’Italie antique, Emilio Sereni soulignait la grande importance des cultu-res temporaires dans les agricultures préhistoriques, protohistoriques, antiques et médiévales. Réunis en 1981 dans un ouvrage posthume sous le titre de Terra nuova e buoi rossi, ces textes affirmaient la centralité des pratiques liées au feu : dans un dicton en dialecte méridional, en effet, les buoi rossi (les bœufs rouges) désignaient métaphoriquement les feux des écobuages et des essartages. En s’appuyant sur sa prodigieuse érudition, l’auteur y montrait la richesse des sources sur le sujet et nous donne à réfléchir aujourd’hui encore sur sa signification historique.

1. Issu d’un travail collectif, cet essai de synthèse est attribuable à D. Moreno pour l’in-troduction et la conclusion, R. Cevasco pour la première partie, A.-M. Stagno pour la deuxième, et G. Beltrametti pour la troisième.

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Quelques années plus tard, dans son Histoire du paysage agraire italien 2, Emilio Sereni choisissait pourtant de négliger la variété, la complexité et même le rôle des cultures temporaires au profit d’une référence récur-rente à un système unique de pratiques, dites de debbio – un nom dont le choix, à lui seul, est révélateur d’une adhésion à la terminologie agrono-mique officielle, fortement uniformisatrice. Le debbio finit ainsi par appa-raître comme une pratique omniprésente et immobile, observable depuis les origines de l’agriculture italienne jusque dans les techniques en usage dans les petites propriétés montagnardes d’Époque contemporaine. Le Sereni historien du paysage agraire excluait ainsi les cultures temporai-res de sa reconstruction, ou mieux, les faisait apparaître dans des phases historiques de régression, de « désintégration » des formes régulières du paysage rural italien. Et cela non par l’effet d’un choix d’échelle ou d’une décision éditoriale. Non : si les cultures temporaires étaient délibérément exclues, c’était pour leur manque de « stabilité et de cohérence systé-matique 3 » ; pour leur incapacité structurale, dirions-nous aujourd’hui, à entrer dans la classification dualiste paysage agraire/paysage naturel qu’élaboraient alors les géographes.

De façon plus générale, on saisit donc pourquoi l’archéologie du paysage, qui en Italie est toujours dominée par les travaux de géographie culturelle, ne saurait saisir les traces des cultures temporaires. Ne donnant pas lieu à des « formes du paysage », ni à des objets géographiques stables, celles-ci sont, en effet, invisibles à une interprétation du paysage agraire fondée sur la perception, et difficiles à enregistrer dans une pros-pection archéologique de surface. Les traces des cultures temporaires se situent donc ailleurs : dans les textes, dans la structure écologique actuelle de la couverture végétale (la « mémoire verte ») et dans les sols qui furent mobilisés par des pratiques locales.

L’inventaire de ces traces, sur les montagnes ligures au moins, est loin d’être épuisé. Nous voudrions néanmoins suggérer dans les pages qui suivent la richesse des éléments que peuvent fournir la mobilisation de ces traces dispersées et le renversement méthodologique que suppose leur analyse.

L’un des objectifs centraux des recherches multidisciplinaires menées par le Laboratoire d’histoire et d’archéologie environnementale de l’université de Gênes (L.a.s.a.) sur les transformations historiques des systèmes agro-sylvo-pastoraux des montagnes de Ligurie est, en effet, l’« identification » des pratiques locales de production et d’activation des

2. E. Sereni, Storia del paesaggio agrario italiano, Rome, 1961. 3. Ibid., p. 30.

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ressources 4. Cette identification des pratiques abordées à partir de leur « héritage environnemental » actuel suppose une confrontation avec des données paléoenvironnementales utilisées à l’échelle locale et avec une périodisation historique particulièrement fine. La méthode consiste alors à interroger ces données (palynologie, anthracologie, etc.), en explicitant leur production en tant que sources historiques, à s’ouvrir aux espaces hors site et à reconnaître le statut d’artefact historique à la structure actuelle de la couverture végétale herbacée, arbustive et arborée. Il est bien évident qu’il ne s’agit plus dès lors de faire émerger de théoriques « impacts humains » ou « perturbations » sur « des équilibres environne-mentaux » tout aussi théoriques. L’enjeu devient l’identification histori-que et environnementale des pratiques locales de production et de leurs effets d’activation sur l’écologie des ressources.

Dans les travaux conduits sur la période post-médiévale dans les montagnes du nord-ouest de l’Italie, la géographie historique joue un rôle particulier, bien distinct de l’apport des archéologues, des écologues et des micro-historiens. C’est elle, en effet, qui trace à partir des sources de terrain les pistes de recherche menant aux sources documentaires. Elle s’inscrit en cela dans la lignée des expériences d’écologie historique d’ins-piration britannique 5. Un tel questionnement mutuel sur les sources n’est possible qu’à condition d’opter pour une échelle d’observation locale et pour une chronologie fine. Ce que l’on attend de ce dispositif est une interrogation des caractéristiques géographiques actuelles du site, qui puisse suggérer aussi bien des relations parfois encore inexplorées, que des modèles de dynamiques sociales et environnementales plus comple-xes que ce que le géographe et l’historien étaient susceptibles d’envisager a priori. C’est dans cet esprit-là que nous voudrions, à partir d’exemples empruntés aux bassins versants de Trebbia-Aveto, interroger succes-sivement les traces végétales, archéologiques et textuelles des cultures temporaires.

4. Pour une synthèse récente des travaux du L.a.s.a., R. Cevasco (éd.), La Natura della Montagna. Scritti in ricordo di Giuseppina Poggi, vol. 1 (1), Sestri Levante, 2013. Une liste des thèses de doctorat et des activités du L.a.s.a. se trouve également sur le site : www.storia.dafist.unige.it/lasa.

5. Ces aspects sont développés dans D. Moreno, Dal documento al terreno. Storia e archeo-logia dei sistemi agro-silvo-pastorali, Bologna, 1990, ainsi que dans D. Moreno, « L’altro lato della via Balbi. Ricerche di terreno in Liguria (1990-2010) », R. Cevasco (éd.), La natura della Montagna…, p. 32-42. Voir aussi l’article de O. Raggio, « Storia e ecologia storica : due o tre cose che mi piacerebbe sapere », ibid., p. 26-31.

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Carte 1 : Apennin ligure, vallées de Trebbia, d’Aveto et de Sturla.

Localisation des sites mentionnés dans le texte : 1. Ventarola, 2. Selvetta, 3. Lago della Nava, 4. Lungaie, 5. Moglia di Casanova, 6. Pian Brogione, 7. Moglie di Ertola, 8. Lago di Rezzo, 9. Perlezzi, 10 Santo Stefano, 11. Caprile, 12. Tertogni.

Les cuLtures temporaires dans Les observations d’écoLogie historique

Malgré l’impact des travaux de François Sigaut 6, l’identification histo-rique des pratiques locales de culture temporaire reste un programme qui, par certains aspects, est encore largement inachevé. On donnera dans les lignes qui suivent trois exemples de la manière dont est conduit l’in-

6. L’ouvrage essentiel est ici, bien évidemment, F. Sigaut, L’agriculture et le feu : rôle et place du feu dans les techniques de préparation du champ de l’ancienne agriculture euro-péenne, Paris, 1975. Il constitue un jalon important pour l’ensemble du travail conduit dans les montagnes méditerranéennes, notamment l’Apennin et les Pyrénées.

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ventaire de ces pratiques, à partir d’une lecture associant à l’observation de la structure actuelle de la végétation l’apport des informations palé-obotaniques issues des sources sédimentaires. La zone que l’on étudie correspond aux hautes vallées de Trebbia et d’Aveto, à l’est de l’Apennin génois. Elle prolonge la principale voie de circulation et de transhumance entre les régions de Gênes et de Plaisance. Les sites se trouvent à des alti-tudes comprises entre 1 100 et 1 300 m et, sur le versant du Val de Trebbia, se situent dans les terres collectives dont l’ancienne paroisse de Casanova jouissait en commun avec d’autres villages 7. C’est là que l’étude récente des espaces hors-sites a révélé de nouvelles traces d’épisodes médiévaux et post-médiévaux de cultures temporaires en altitude, associées à l’utili-sation du feu contrôlé 8.

Ces traces apparaissent grâce à la confrontation des sources textuel-les avec les sources sédimentaires et les observations de terrain, qui resti-tuent la micro-distribution des peuplements végétaux actuels et passés. L’exercice est presque toujours lié à l’indentification d’une anomalie, floristique ou végétale, microtoponymique, archéologique, textuelle, ou cartographique. Les cas inventoriés concernent les formations à hêtres, châtaigniers, aulnes et chênes 9. Au-delà de la présence de céréales dans la documentation pollinique et d’autres indicateurs relatifs aux plantes arborées et arbustives, les enquêtes s’accordent à suggérer, parmi les plantes herbacées indicatrices de pratiques de cultures temporaires, deux espèces en particulier, qui sont toutes deux à la fois favorisées par le feu contrôlé et aujourd’hui en régression 10. Ce sont Rumex acetosella (commune dans les « incultes arides » et comme mauvaise herbe des céréales d’hiver) et Antennaria dioica (appelée en France pied de chat). Leur persistance relictuelle dans certains sites est susceptible d’être liée à leur activation par des pratiques qui, comme le pâturage ovin et bovin ou la

7. Ces villages faisaient partie des Fiefs impériaux, qui étaient des enclaves féodales dépendant de l’Empire. Disséminées dans tout l’Apennin, elles ont survécu jusqu’à la fin du xviiie siècle.

8. La bibliographie sur l’essartage (ou ronco) dans l’Apennin ligure oriental est vaste. On peut se rapporter, pour des contributions relatives à ce secteur, à D. Moreno, Dal documento al terreno… ; R. Cevasco, Memoria verde. Nuovi spazi per la geografia, Reggio Emilia, 2007 ; O. Raggio, « Immagini e verità. Pratiche sociali, fatti giuridici e tecniche cartografiche », Quaderni storici 36, 2001, p. 843-865, ainsi qu’à R. Balzaretti, Dark Age Liguria. Regional Identity and Local Power, c. 400-1020, Bloomsbury, 2013.

9. Les limites de cet article ne permettent pas d’aborder les formations à chêne et hêtre, qui sont elles aussi documentées.

10. La reconnaissance de ces deux espèces dérive d’une observation comparée des sites de l’Apennin, et d’enquêtes sur l’histoire des pratiques menées dans différentes montagnes européennes (voir par ex. pour le pied de chat R. Larrere et M. De La Soudière, Cueillir la montagne. Plantes, fleurs, champignons en Gévaudan, Auvergne et Limousin, Lyon, 1985).

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fauche, se maintinrent après la disparition des feux contrôlés liés aux ensemencements, en général au début du xxe siècle. Le tableau 1 présente quelques-unes des principales espèces indicatrices de cultures temporai-res dans ce secteur de l’Apennin.

semer sous les aulnes

La première de ces anomalies révélatrices correspond à la présence, la distribution, la structure et la composition des peuplements d’aulne blanc (Alnus incana). Cette anomalie a suscité la constitution, à l’échelle locale, d’un faisceau documentaire qui couvrait initialement la période allant du présent jusqu’au xviiie siècle, et que l’acquisition de nouvelles sources sédimentaires étend maintenant jusqu’au xie siècle. Elle a conduit à la reconstitution d’un système de cultures temporaires de céréales dans les parcelles à aulne blanc. Les sites sont documentés dans les sources juridictionnelles du xviiie siècle comme des terres ou des biens forestri ou selvatici, des termes désignant l’outfield par opposition aux biens domestici correspondant à l’infield 11. Ces terres, qui pour l’essentiel furent privatisées au début du xixe siècle, conservent des souches d’aulne (vivantes et fossiles), des merisiers, des spécimens d’aubépine (Crataegus monogyna) 12, des épierrements et des micro-charbons dans les sols : toute une série « d’objets géographiques » suggérant une relation avec les peuplements historiques concernés par le fonctionnement du système de « l’alnoculture 13 ».

11. Cette distinction domestico/selvatico, qui ne recouvre pas l’opposition cultivé/inculte, constitue une des principales classifications pratiques de l’espace de cette région. Voir à ce sujet D. Moreno, Dal documento al terreno… ; R. Cevasco et G. Poggi, « L’alpe, l’arbre et le lait. Pour une valorisation environnementale et culturelle des produits de terroir de la montagne ligure (Italie) », Sud-Ouest Européen, n° 7, 2000, p. 37-42, et R. Cevasco et V. Tigrino, « Lo spazio geografico concreto : una discussione tra storia politico-sociale ed ecologia storica », Quaderni Storici, n° 1, 2008, p. 207-242.

12. Les Consegne dei Boschi e Selve (Archivio di Stato di Genova, Prefettura Sarda, Pandetta 23 Boschi e Foreste, pacco 207) citent l’utilisation de l’aubépine et d’autres épineux pour protéger les cultures temporaires du pâturage (voir S. Bertolotto, R. Cevasco, « Fonti osservazionali e fonti testuali : le « Consegne dei Boschi » e il sistema dell’ « Alnocoltura » nell’Appennino Ligure Orientale (1822) », Quaderni Storici, 2000, n° 1, p. 87-108). Nombre d’enclos de ce type sont documentés dans les reconnaissances de la vallée d’Aveto.

13. Pour une reconstruction de ce système cultural, voir aussi D. Moreno et G. Poggi, « Identification des pratiques agro-sylvo-pastorales et des savoirs naturalistes locaux : mise à contribution de l’écologie historique des sites », A. Rousselle (éd.), Monde rural et histoire des sciences en Méditerranée. Du bon sens à la logique, Perpignan, 1998, p. 151-164 ; ainsi que, plus récemment : R. Cevasco et D. Moreno, « Microanalisi geo-storica o geografia culturale della copertura vegetale ? Sull’ eredità ambientale dei

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Tel qu’il est reconstitué pour l’Aveto des xviiie et xixe siècles, le système prévoyait l’émondage des arbres selon des rotations brèves, la combustion contrôlée des branches par la réalisation de fourneaux (fornaci), l’épandage des cendres pour « engraisser le terrain », l’ensemen-cement des céréales dans les cépées d’aulne blanc pendant deux, trois, quatre ans (avoine, seigle, méteil – mistura), la récolte, puis le pâturage, jusqu’à ce que la croissance des aulnes soit suffisante pour permettre la reprise du cycle. Que ce système ait trouvé son habitat idéal dans l’aul-naie (« principalement là où se trouvent les aulnes », rapportaient certains plaignants du Mandement de Sant Stefano d’Aveto dans les années 1820), tient à une spécificité dont le document ne parle pas explicitement : le système mettait à profit les propriétés fertilisantes de l’aulne, qui contient une bactérie fixatrice de l’azote dans les nodules de ses racines.

Face à ces différents témoignages, la question se posait donc de savoir si la baisse de la quantité de pollens d’aulne enregistrée dans les diagrammes de la zone Trebbia-Aveto à partir du Moyen Âge – voire du haut Moyen Âge –, pouvait être interprétée comme l’effet d’une exploi-tation en taillis à cycles très courts dans un contexte d’alnoculture, plutôt que comme une destruction massive des peuplements d’aulne dans le cadre de la mise en place de pâturages et de cultures permanentes de céréales (seigle, blé) 14. Les analyses palynologiques ont confirmé l’hy-pothèse de l’alnoculture pour la période post-médiévale dans différents sites 15. Dans le diagramme palynologique du site des Moglie di Ertola, le déclin de l’aulne après l’an 1000, et sa concomitance avec une explosion des Poaceae, une augmentation des micro-charbons et l’apparition des céréales, permettent d’étendre au Moyen Âge la pratique de l’alnoculture

« paesaggi culturali », Trame dello spazio, Quaderni di geografia storica e quantitativa, n° 3, Firenze, 2007 ; R. Cevasco, « The environmental heritage of a past cultural landscape : the alderwoods (Alnus incana Moench) in the upper Aveto Valley (NW Apennines) », M. Armiero et M. Hall (éd.), Nature and History in Modern Italy, « Ecology and History », Ohio University Press., 2010, p. 126-141.

14. R. Cevasco, Memoria verde… ; A.-M. Stagno, « Geografia degli insediamenti e risorse ambientali : un percorso tra fonti archeologiche e documentarie (Ventarola, Rezzoaglio GE) », G. Macchi Janica (dir.), Atti del convegno « Geografie del Popolamento. Casi di studio, metodi e teorie (Grosseto 2008) », Siena, 2009, p. 301-310 ; http://www.archeogr.unisi.it/asiaa/index.php ?id=essays&sez=essays.

15. C. Molinari et C. Montanari, « Historical slash-and-burn shifting cultivation in Eastern Ligurian Apennines (NW Italy) : archaeo-palynological evidence », Vegetation History, 2013, soumis. Il est intéressant de noter également que la courbe de Crataegus du site de Selvetta confirme le rôle de l’aubépine comme espèce indicatrice de ce système multiple, aux xviie et xviiie siècles (C. Molinari, Ricerche palinologiche per l’identificazione di sistemi agro- silvo-pastorali storici. PhD Thesis, Università di Genova, 2010.

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dans cette vallée 16. Plus que les origines du système, de telles données peuvent éclairer d’éventuelles voies de diffusion et la circulation des pratiques et des savoirs environnementaux. On observera, à cet égard, que le cycle documenté en montagne trouve une correspondance dans un second système agro-forestier, où l’aulne noir (Alnus glutinosa) est complanté sur terrasse avec le châtaignier. Ce système paraît répandu sur les côtes de la Ligurie à partir du milieu du xviiie siècle 17.

de la culture temporaire à la culture permanente (du seigle au maïs)

C’est une autre anomalie, observée dans les terres collectives de Casanova, à 1 100 m d’altitude, qui constitue ici notre point de départ. Il s’agit de terres dont jouissaient en commun les communautés rurales de Casanova et de plusieurs villages voisins, dont Fontanigorda. Elles se situaient dans une zone qui avait appartenu aux fiefs impériaux des Malaspina (des xie-xiie siècles au xvie siècle), puis des Doria (de la fin du xvie siècle à la fin de l’Ancien Régime), avant d’être intégrée dans le Mandement d’Ottone à l’époque du royaume de Sardaigne. L’anomalie en question réside dans l’utilisation des terres, telle qu’elle est enregistrée dans le secteur de la Moglia di Casanova, sur la carte topographique de 1852 dite Grande Carte des États Sardes de Terre ferme : des champs perma-nents sont indiqués autour de la tourbière qui a, par ailleurs, livré une séquence palynologique enregistrant des traces de céréales sans inter-ruption depuis l’âge du Bronze, puis de maïs et de seigle dans l’ultime phase documentée 18. Mais si les traces d’avoine et de seigle présentes dans le diagramme avant 1800 sont interprétables comme le témoignage d’ensemencements temporaires dans le contexte de cycles d’écobuages

16. M.-A. Guido, B.-I. Menozzi, C. Bellini, S. Placereani, C. Montanari, « A palynological contribution to the environmental archaeology of a Mediterranean mountain wetland (North West Apennines, Italy) », The Holocene, 2013, 23, p. 1517-1527 ; R. Cevasco et D. Moreno, « Microanalisi geo-storica o geografia culturale… ». Il semble donc démontré que le cycle de l’alnoculture induit une production moindre de pollens d’aulne qui s’explique par le retour rapide de l’émondage (tous les trois à six ans). Les deux premières années au moins, l’aulne ne fleurit pas et la production de graines n’intervient pas avant six à quinze ans. Nous devons ces remarques sur la phénologie de l’aulne à Dagfinn Moe. Sur la maturation des graines, voir P.A. Tallantire, « The palaeohistory of grey alder (Alnus incana (L.) Moench) and black alder (A. glutinosa (L.) Gaertn.) in Fennoscandia », New Phytol, 73, 1974, p. 529-546.

17. C.Vaccarezza, Paesaggi rurali tra storia delle risorse e morfologia sociale, thèse de doctorat, Università degli Studi di Genova, 2011.

18. G.-M.Cruise, « Environmental change and human impact in the upper mountain zone of the Ligurian Apennines : the last 5 000 years », Rivista di Studi Liguri, LVII, 1-4, 1991, p. 175-194.

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(pratiqués dans un pâturage arboré de sapin jusqu’au xvie siècle) 19, c’est en revanche à un épisode de colonisation par des ensemencements permanents, corrélé à l’adoption du maïs dans le système local de production (fin xviiie siècle), que paraît correspondre la situation fixée par la cartographie du milieu du xixe siècle 20. En 1926, pourtant, une autre cartographie, réalisée dans le contexte d’un conflit entre les usagers, classe cette zone comme « inculte stérile » (voir infra). En documentant l’installation d’un système de canalisation pour l’irrigation des banquet-tes de terre situées à l’aval de la tourbière, ce sont finalement les pros-pections archéologiques qui permettent d’avancer l’hypothèse d’un bref passage à la culture permanente 21. On voit dans cet exemple tout l’intérêt d’une reconstruction spatiale à micro-échelle : partant des lieux, elle s’est enrichie ici d’une approche quantitative du comportement des pollens de maïs qui a apporté à l’analyse des arguments décisifs 22.

À plus basse altitude, le diagramme pollinique du site de Lago di Rezzo, dans le Val d’Aveto voisin, montre une transformation à la fois similaire et différente. Couvrant le Moyen Âge et l’époque post-médié-vale, il enregistre les effets sur les ressources de l’économie seigneuriale tardive du secteur 23. Le maïs n’y apparaît aussi que dans les années 1850, mais ensemble avec le sainfoin (Onobrychis viciifolia) dont l’adoption, dans la vallée, signe le passage à l’amélioration des prés et pâtures, désormais traités en cultures permanentes. Le changement, qui se fait au détriment

19. Il est intéressant aussi de suivre la courbe de Alnus dans le diagramme inédit de Nick Branch. Il paraît contrôlé, au Moyen Âge, sans doute en raison de l’adoption du système de l’alnoculture (voir R. Cevasco, C. Molinari, A.-M. Stagno, E. Zonza, The Moglia di Casanova site : new fieldwork evidences of historical land-use, Atti del Seminario Internazionale Wetlands as archives of the cultural landscapes : from research to manage-ment/Le zone umide : archivi del paesaggio culturale tra ricerca e gestione, Genoa, 2009 [poster], http://www.dismec.unige.it/zum/atti.html.

20. R. Cevasco, « Dall’uso del suolo alle pratiche locali : cartografia topografica storica e pianificazione », E. Dai Prà (éd.), La cartografia storica oggi : da bene patrimoniale a strumento progettuale ai fini pianificatori, numero monografico del Semestrale di Studi e Ricerche di Geografia, Università La Sapienza, Roma, fascicolo 2, luglio-dicembre 2010, p. 105-120.

21. a.-m. Stagno, Archeologia rurale : spazi e risorse. Approcci teorici e casi di studio, thèse de doctorat, Università degli Studi di Genova, 2009, p. 225-246.

22. 95 % des pollens de maïs se déposent à moins de 10 m de la source d’émission, et 99 % à moins de 30 m (N. Jarosz, Étude de la dispersion atmosphérique du pollen de maïs, Thèse, Institut National de la Recherche Agronomique Paris-Grignon, 2004). Ces données confirment le caractère local de la culture du maïs autour de 1850, même si on ne peut exclure un éventuel transport des pollens par les ovins lors de leurs parcours : la plante poussait au voisinage immédiat de la tourbière, probablement sur les terrasses relevées à l’aval.

23. B.-I. Menozzi, R. Cevasco, C. Montanari, Dinamiche dell’uso del suolo in una valle dell’Appennino ligure sulla base di palinomorfi pollinici e non pollinici, poster presentato al 104e Congresso della Società Botanica Italiana, Campobasso, 16-19 settembre 2009.

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des cultures temporaires en usage dans les terres sous couvert de chênes, confirme, ici aussi, l’introduction du maïs dans la culture permanente 24.

Culture basse sous les châtaigniers ?

La dernière anomalie révélatrice concerne le site de Pian Brogione. Dominant la Moglia di Casanova, il est à la limite altitudinale supérieure de fructification du châtaigner (1 150 m). Une analyse géographique à micro-échelle du diagramme pollinique 25 y montre une relative disconti-nuité dans les usages du sol à partir du xie siècle 26. Le versant et le replat ont connu successivement un pré-bois de hêtre au xiie siècle, un épisode d’expansion médiévale du châtaignier au xiiie, un pré-bois de sapin aux xive-xvie 27, une expansion post-médiévale des châtaigniers aux xviie-xviiie, puis leur abandon au siècle suivant 28. Celui-ci est contemporain d’une expansion des prés, qui est suivie au xxe siècle par le développe-ment de la bruyère, puis, à partir des années 1970, par un processus de reboisement consécutif à l’abandon du pâturage.

C’est du début du xviie siècle que datent les traces de culture basse sous châtaigniers. Le pourcentage de micro-charbons montre qu’elles sont associées à l’usage du feu contrôlé. Mais elles concernent alors des légumi-neuses : le pic de Castanea y est, en effet, contemporain d’une faible mais intéressante trace pollinique relative aux Fabaceae, famille qui comprend, outre les plus connues des plantes fourragères (genres Lotus, Trifolium, Medicago, Lupinus), des légumes (la fève, le pois, la lentille), ainsi que des espèces annuelles comme la gesse cultivée (Lathyrus sativus L.). Bien que les mentions textuelles soient rares, cette gesse est une plante herbacée bien connue dans ce secteur montagneux jusqu’au milieu du xixe siècle.

24. R. Cevasco, « Dai cerri da foglia alle lupinelle : tracce dalle sequenze medievali e post-medievali del Lago di Rezzo (Val d’Aveto, Rezzoaglio-GE) », R. Cevasco (éd.), La Natura della Montagna…, p. 453-465.

25. N. Branch, M.-A. Guido, B.-I. Menozzi, S. Placereani, C. Montanari, « Prime analisi polliniche per il sito “Moggia di Pian Brogione” (Casanova di Rovegno, Ge) », Archeologia Postmedievale, 6, 2002, p. 125-131.

26. R. Cevasco, « Dall’uso del suolo… », p. 113. 27. Probablement avec des épisodes de culture temporaire entre les sapins comme le

montre par ailleurs l’étude des charbons et de la stratigraphie des sols au Haut Moyen Âge (640-770 ap. J.-C.) sur le site voisin de Pian delle Gròppere (1 250 m). Voir M.-A. Guido, B.-I. Menozzi, C.Montanari, S. Scipioni, « Il sito “Mogge di Ertola” come potenziale fonte per la storia ambientale del crinale Trebbia/Aveto », Archeologia Postmedievale, 6, 2002, p. 117-124 ; R. Balzaretti, Dark Age Liguria…

28. Des traces de l’implantation de ces châtaigniers sont encore visibles dans des relevés de terrain réalisés en 1827 à l’échelle 1 : 9 450 pour la Grande carte des États Sardes (1852). Voir à ce sujet R. Cevasco, « Dall’uso del suolo… ».

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Elle y figure parmi les cultures temporaires. Elle correspond, dans le Val de Vara, au méteil de l’Inchiesta de l’Instituto Nazionale de 1798-1799 29. C’est donc un autre système de culture temporaire encore, que révèle cette anomalie. Mais à la différence de ce que montraient les écobuages antérieurs, il concerne cette fois une pratique de culture temporaire avec ensemencement de légumineuses et sans émondage des arbres.

cuLtures temporaires, terres communes et archéoLogie

Les enquêtes d’archéologie rurale et d’écologie historique, réalisées par le L.a.s.a. sur ce secteur de l’Apennin ligure, ont par ailleurs permis de caractériser une série d’indicateurs archéologiques liés aux pratiques culturales (tableau 2) 30. On observera que certains de ces indicateurs se réfèrent à la pratique agricole en général, apparemment sans permettre de distinction entre agricultures temporaire et permanente. C’est que la trace, en soi, n’est guère signifiante : elle ne peut être séparée, dans son interprétation fonctionnelle et dans sa mise en relation avec une pratique locale, du contexte dans lequel elle a été découverte. Ce sont les associa-tions avec les autres traces qui permettent de l’interpréter 31.

C’est dans cette optique qu’il a paru opportun d’interroger spécia-lement l’usage des terres communes – usage envisagé comme un angle d’analyse et non comme un lien nécessaire, puisque dans la montagne ligure, la culture temporaire peut être pratiquée quel que soit le mode d’accès à la terre. Cela posait d’abord le problème de l’interprétation des données que soulève la question du degré de lisibilité – ou de visibilité – archéologique des cultures temporaires. Et cela débouchait ensuite sur la question de savoir si, et dans quels cas, l’identification de ces traces peut mettre en évidence la présence de terres collectives 32. On n’en donnera ici que trois exemples.

Premier cas, celui des paroisses de Casanova et Fontanigorda qui ont servi de « zone atelier » pour une approche de l’exercice effectif des

29. D. Moreno, Dal documento…, p. 264.30. Pour une description de ces indicateurs, voir A.-M. Stagno, Archeologia rurale…,

p. 70-87.31. J. A. Quirós Castillo, « ¿El fin de la arqueología ? la arqueología a inicios del siglo

xxi », J. A. Quirós Castillo (dir.), La materialidad de la historia. La arqueología en los inicios del siglo xxi, Bilbao, 2013, p. 9-34.

32. Une première discussion de ces thèmes a été abordée dans la communication de G. Beltrametti, A.-M. Stagno, « Gestion communautaire des ressources et droits communs entre Alpes et Apennins (xvie-xxe siècles) », présentée à la 2e école d’été d’histoire rurale de Flaran, Archéologie des campagnes et histoire rurale Moyen Âge-Temps Modernes (Abbaye de Flaran, Gers), 20-22 juin 2013.

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droits collectifs dans les bassins versants de Trebbia-Aveto 33. Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, toutes deux faisaient partie des fiefs impériaux de la famille Doria. En 1926, la réactivation d’un conflit séculaire sur la jouissance commune de certaines ressources entraîna l’intervention d’un juge spécial récemment institué, le Commissaire aux Usages Civiques 34, et la réalisation d’un relevé qui montre, à l’intérieur des terres communes en litige, la présence de nombreuses parcelles classées comme propriétés privées 35. Le relevé, en revanche, ne faisait apparaître aucune diffé-rence relative à l’utilisation du sol entre ces terres privées et les terres collectives.

Il est intéressant de noter, toutefois, que la partie sud du plan, où se situent les parcelles privées, se caractérise par la présence de zones humides. Celles-ci étaient utilisées comme prairies humides (irriguées) pour la production de fourrage 36 et comme points d’abreuvement pour le bétail dépaissant ; leurs eaux pouvaient également servir à irriguer les sites environnants, de culture temporaire sans doute 37. On pourrait en déduire que les terres privées, issues d’usurpations, se situaient là où se trouvent des traces d’agriculture temporaire et de prairies humides. Mais l’interprétation n’est pas si simple. Si l’hypothèse semble correcte pour la zone des Lungaie, elle ne l’est pas pour celle de Moglia di Casanova. Comme on l’a vu, en effet, cette dernière zone, qui conserve la trace paly-nologique d’une pratique de cultures temporaires semblant remonter au plein Moyen Âge, fut convertie en espace de cultures permanentes à la fin du xviiie siècle lors de l’adoption du maïs dans les cycles culturaux. En 1926, pourtant, elle était enregistrée comme terre commune.

Au-delà des transformations du concept même de propriété qui marquent le xixe siècle, surtout pour ce qui touche à l’exercice des droits collectifs, il faut signaler les usurpations de terres communes commises par des individus ou des groupes familiaux, un phénomène bien connu

33. Projet sous la responsabilité scientifique de R. Cevasco, A.-M. Stagno et V. Tigrino. Voir V. Tigrino, G. Beltrametti, A.M. Stagno, M. Rocca, « Terre collettive e insedia-menti in alta val Trebbia (Appennino Ligure) : la definizione della località tra Sette e Novecento », Archivio Scialoja Bolla. Annali di studio sulla Proprietà Collettiva, 2013, p. 105-156, pour les premiers résultats de la recherche.

34. Ibid.35. La subdivision des parcelles du relevé correspond à la subdivision du cadastre

actuel ; elle est basée, comme le géomètre l’explique, sur une précédente planimétrie cadastrale.

36. R. Cevasco, « Archeologia dei versanti montani : l’uso di fonti multiple nella ricerca geografica », E. Dai Prà (dir.), Atti del Convegno Internazionale Di monti e di acque. Le rughe e i flussi della Terra. Paesaggi, cartografie e modi del discorso geostorico, dicembre 2010, Trento, sous presse.

37. R. Cevasco, Memoria verde…, p. 74-94.

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et fréquent 38. Ces usurpations ont souvent conduit à l’appropriation de parcelles, mais il arrive bien souvent aussi qu’elles n’aient laissé aucune trace dans le cadastre. De sorte que, s’il n’est pas douteux que les proprié-tés privées situées à l’intérieur des terres communes en 1926 étaient bel et bien considérées comme telles, il est fort possible aussi que la zone de la Moglia di Casanova, où aucune parcelle de propriété privée n’était relevée en 1926, ait connu antérieurement des usurpations et des privatisations 39. Ce sont de tels cas de figure qui rendent particulièrement nécessaire une définition chronologique précise des traces archéologiques 40.

C’est vrai également de notre deuxième exemple, celui du hameau de Ventarola sur l’autre versant de la ligne de crête, dans le Val d’Aveto. C’est dans le cadre d’une enquête visant à saisir les relations entre trans-formations des constructions rurales et transformations des systèmes de gestion des ressources agro-sylvo-pastorales entre la fin du xve siècle et la deuxième moitié du xxe, que l’on a rassemblé la documentation textuelle sur les usages du sol aux environs du hameau et consulté les descriptions des ressources forestières contenues dans les Consegne dei boschi rédigés par l’administration forestière en 1821-1822 pour tous les districts du Royaume de Sardaigne 41. Le système agricole de Ventarola y apparaît fondamentalement articulé sur la division entre beni domestici, terres arables et jardins soumis à culture permanente et soustraits aux usages collectifs, et terre salvatiche, sujettes à usages multiples, parmi lesquels

38. O. Raggio, « Forme e pratiche di appropriazione delle risorse. Casi di usurpazione delle comunaglie in Liguria », Quaderni storici, 79, 1, 1992, p. 135-169. Pour des études de cas dans les Pyrénées, voir É. Bille, M. Conesa, R. Viader, « L’appropriation des espaces communautaires dans l’est des Pyrénées médiévales et modernes : enquête sur les Cortals », P. Charbonnier, P. Couturier, A. Follain et P. Fournier (dir.), Les espa-ces collectifs dans les campagnes, xie-xxie siècle, Clermont-Ferrand, 2007, p. 177-192.

39. Le cas de la Moglia di Casanova, ancienne occupation ou usurpation délaissée avant 1900, se répète pour d’autres sites du plan de 1926.

40. Les résultats des fouilles archéologiques menées sur les sites pastoraux et les terrasses de montagne incitent à penser qu’il est possible d’avancer dans la datation de ce type de traces. Voir en particulier : R. Harfouche, « Retenir et cultiver le sol sur la longue durée : les terrasses de culture et la place du bétail dans la montagne méditerra-néenne », Anthropozoologica, 40-1, 2005, p. 45-80 ; C. Rendu, La montagne d’Enveig. Une estive pyrénéenne dans la longue durée, Canet, 2003 ; M. Le Couédic, Les pratiques pasto-rales d’altitude dans une perspective ethnoarchéologique. Cabanes, troupeaux et territoires pastoraux pyrénéens de la préhistoire à nos jours. Thèse, Tours, 2010, http://www.theses.fr/2010TOUR2011. Voir aussi D. Garcia, Estudi de les pràctiques socials ramaderes d’alta muntanya pirinenca a través de les restes arquitectòniques, màster, Universitat Autonoma de Barcelona, www.recercat.net/handle/2072/198991.

41. A.-M. Stagno, « Geografia degli insediamenti… » ; D. Moreno, C. Montanari, A.-M. Stagno, C. Molinari, « A plea for a (New) environmental archaeology : the use of the geographical historical microanalytical approach in mountain areas of NW Italy », S. Tzortzis et X. Delestre (dir.), Archéologie de la montagne européenne, Condé Sur Noireau, 2010, p. 75-83. Cf. note 11, sur les Consegne dei boschi.

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la culture temporaire associée aux cycles de l’alnoculture, qu’il s’agisse d’ouvrir un champ (campeggiare) ou d’essarter (roncare). À Ventarola, cette division reprenait exactement la division en terreni domestici et terreni forestri utilisée au siècle précédent par l’administration féodale 42, en 1726, notamment, pour résoudre les questions liées à la réglementation des ronchi, des cultures temporaires conduites à feu couvert.

En 1821, cependant, les terre salvatiche de Ventarola étaient composées tout aussi bien de terrains privés que de communaux de parentèle ou de village, ou de terres indivises entre plusieurs villages voisins ou plusieurs parentèles. Comme pour le site de la Moglia di Casanova, on ne trouve pas, dans cette documentation, de différence dans les usages du sol entre terres privées et terres communes. À ce stade, il paraît juste de dire que si nous avons les outils (écologie historique, archéologie) et les indicateurs (comme la présence de cultures temporaires documentée par les sources textuelles), pour distinguer les terre domestiche et les terre salvatiche, nous ne les avons pas pour identifier les terres communes, entendues comme des espaces où s’exercent les droits collectifs d’un groupe, à l’exclusion des autres segments de la société locale.

Un troisième cas, relativement éloigné des sites étudiés sur les versants de Trebbia-Aveto, vient encore compliquer l’image des relations entre droits collectifs et espaces de l’occupation temporaire. Il concerne la haute vallée de Sturla, possession de la République de Gênes à l’Époque moderne. Au xviiie siècle, un procès sur des droits d’accès à l’eau entraîna un litige sur d’amples espaces de terres communes et détenues indivises depuis au moins 1562 par les villages de deux paroisses relevant de diocè-ses différents. Sans entrer dans les fondements de toute la controverse 43, on notera que l’attribution des droits sur les terres aux différents villages s’effectua sur la base des propriétés privées possédées à l’intérieur des terres communes – bâtiments pastoraux, cabanes encore en usage ou non –, et surtout sur la base de la présence de « pièces de terre des parti-

42. La vérification en a été rendue possible par un filtrage cartographique de cette zone, qui a permis de construire une série de cartogrammes entre 1820 et 1999. Les topony-mes des terres salvatiche cités dans les Consegne di Boschi et des terrains forestri de la carte de 1720 ont été reportés sur la cartographie actuelle et comparés. Voir note 41 et R. Cevasco, D. Moreno, A.-M. Stagno, « Géographie historique et archéologie envi-ronnementale des bâtiments ruraux : quelques notes de terrain sur l’habitat animal dans un site des Apennins ligures (nord-ouest de l’Italie) du xviie au xxe siècle », J.-R. Trochet (dir.), Maisons paysannes en Europe occidentale xve-xxie siècles, Paris, 2008, p. 71-80.

43. Voir à ce sujet a.-m. stagno, Gli spazi locali dell’archeologia rurale. Risorse ambientali e insediamenti nell’Appennino ligure tra xv e xx secolo, Alessandria, sous presse ; A.-M. Stagno et V. Tigrino, « Beni comuni, proprietà privata e istituzioni : un caso di studio dell’Appennino ligure (xviii-xx secolo) », Archivio Scialoja Bolla. Annali di studio sulla Proprietà Collettiva, 2012, p. 261-302.

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culiers ». Ces pièces de terre, probablement issues d’usurpations à partir desquelles était reconstruite l’histoire des transmissions foncières entre 1562 et 1752, devenaient ainsi les instruments de légitimation des droits d’un segment de la communauté locale sur les terres environnantes. C’est pour cette raison que les parcelles furent cartographiées en 1752 dans un « style géométrique », dont l’extrême précision visait à rendre caduque la controverse. La précision ne réside pas tant dans le dessin cartographique, qui ne correspond pas à nos critères (la carte n’est pas géoréférençable), mais dans le très riche index de 93 articles, qui permet de replacer sur la cartographie actuelle, et donc sur le terrain, les objets représentés 44.

La reconnaissance archéologique et écologique conduite sur cette zone a permis de localiser ces « pièces de terre » utilisées et revendiquées comme propriétés privées entre 1562 et 1752. Leur usage, comme prés et peut-être comme terres ensemencées au xviiie siècle, était lié à l’utilisation saisonnière des sites d’alpage (les casoni – les cabanes). Ces « pièces de terre » sont aujourd’hui identifiables grâce à la présence de traces attri-buables à ces anciens usages du sol (espèces indicatrices, alignements de pierre, aménagement de prés irrigués, aubépines à port d’arbre signalant d’anciennes limites). Aujourd’hui, cependant, ces parcelles privées, iden-tifiées par l’enquête archéologique et, pour certaines d’entre elles, par la mémoire orale, ne sont plus signalées sur les supports cartographiques : le cadastre actuel ne relève pas la présence de propriétés privées et enregis-tre à nouveau toute cette zone comme bien des hameaux ; la cartographie technique régionale d’échelle détaillée n’enregistre, quant à elle, aucune trace du passé agricole de ces terrains de montagne.

On voit ainsi, à partir de ces quelques exemples, comment la ques-tion des cultures temporaires se lie inextricablement à une autre série de problèmes, relatifs, d’une part, à l’exercice effectif des droits d’accès et de possession des terres (sans surprise, le ronco est la pratique de possession par excellence dans toute la documentation d’Époque moderne sur ce secteur de la montagne ligure), et d’autre part à leur forme d’occupation, plus ou moins temporaire et discontinue, à l’intérieur des terres commu-nes. C’est dire l’importance, pour l’archéologue, d’atteindre, dans l’iden-tification chronologique des traces et dans leur caractérisation, un degré de finesse qui permette de comparer les continuités et les discontinuités observables sur le terrain et dans les documents.

44. L’échelle graphique de la carte est exprimée par l’auteur comme « échelle de quatre cents cannes de 12 palmes l’une » (la palme de Gênes correspond à 24,8 cm environ). La localisation s’est faite dans un Système d’Information Géographique.

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Les sources textueLLes : visibiLité et invisibiLité des cuLtures temporaires

Du point de vue des témoignages écrits, les cultures temporaires sont aussi un objet historique fuyant. Dans certaines sources, en particulier les sources économico-agronomiques de l’administration centrale, elles sont tout bonnement invisibles, principalement en raison du caractère marginal de leur production. Dans d’autres, toujours administratives, elles peuvent apparaître à titre d’informations secondaires dans des écrits consacrés à d’autres objets (par exemple aux bois). Elles deviennent au contraire bien visibles quand elles sont investies d’une forte connotation juridique, comme, par exemple, lorsqu’elles servent des pratiques d’usur-pation 45. Dans tous les cas, leur observation, pour prendre un terme qui ne soit pas purement descriptif, s’insère dans une analyse plus large du contexte et des actions sociales qui leur sont liés.

Pour la région des Apennins qui nous intéresse, un rapport statis-tique du début du xixe siècle peut servir à introduire la question des sources textuelles sur les cultures temporaires 46. En 1814, soit dans un moment crucial de changement institutionnel, le Royaume de Sardaigne, qui était entré en possession de la plupart de ces territoires, fit rédiger un rapport sur la région. Le Tableau général de l’arrondissement de Bobbio (dont le Mandement d’Ottone, dans la haute vallée de Trebbia), comprenait une description géographique générale ainsi que des observations sur les routes, le climat, l’esprit public, les manufactures, l’instruction et le commerce. La majeure partie du rapport est cependant consacrée à l’agriculture, terme qui comprend, outre les produits de la terre, l’apiculture, l’élevage, les bois, la chasse et la pêche. Un tableau – qu’il convient d’interpréter correctement – livre les surfaces occupées par les différentes cultures dans l’arrondisse-ment, exprimées en perches milanaises (une perche = environ 655 m²) ; les chiffres sont relatifs au mandement d’Ottone.

Terres cultivées, champs, vignes, prés

Châtaigniers Pâturages et friches Bois et forêts Total mesuré

275 280 41 923 564 098 152 887 1 034 185

45. Cf. O. Raggio, « Forme e pratiche… », p. 135.46. Archivio di Stato di Torino, sez. Corte, Paesi in genere, Province, Bobbio, m. 44, Fasc.

10 « Quadro del circondario di Bobbio », 1814.

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Les terres sont déclarées « divisées entre les habitants » et en grande partie sujettes à « cens et à loyers emphytéotiques ». Rares sont les habi-tants qui ne possèdent rien, précise le rapport. Mais le détail des produc-tions est rarement complet. Dans le tableau général de 1814, par exemple, les terres communes (les comunaglie de certaines parties de la Ligurie) échappent complètement à l’inventaire : elles peuvent être comprises dans les catégories « bois et forêts », aussi bien que dans celles de « pâturages et friches ». D’autres sources sont donc nécessaires pour identifier les formes d’accès aux ressources et les droits et les modalités de jouissance qui leur sont associés. Il en va de même pour la pratique des cultures temporaires, qui échappent, elles aussi, au recensement, dans des sources de ce type. Un tel fait confirme leur nature ambiguë, et l’impossibilité qu’il y a à les saisir à partir des catégories agronomico-administratives selon lesquelles le territoire est interprété à la fin de l’Ancien Régime.

Le tableau de 1814 nous livre pourtant d’intéressantes informations sur « la façon commune » (c’est-à-dire traditionnelle) de cultiver la terre, dont on sait par d’autres sources que dans cette région, jusqu’au milieu du xixe siècle au moins, elle est presque toujours labourée à la houe, rare-ment à l’araire 47. Le « tableau général » rapporte que

« les terres des bas-fonds fertiles se cultivent et se sèment tous les ans, c’est-à-dire une année en grain, une autre en maïs et la troisième en fève ou en céréale de printemps, et l’on suit toujours cette rotation. Les terres plus pauvres sont semées une année et l’autre non, et celles situées aux sommets des montagnes sont laissées au repos deux années, voire trois 48 ».

Il s’agit évidemment des cultures « visibles », permanentes, qui constituent un peu plus de 20 % de la surface mesurée du territoire (même si le rapport entre les surfaces de bois, de pâturage et de culture laisse quelques doutes quant à la superficie des bois, beaucoup plus vastes d’après d’autres sources). Viennent ensuite dans le « tableau » des informations sur les engrais, utilisés seulement sur les terres ensemencées et les chènevières, dans les terres proches de l’habitat, et pour la « culture des prés ». Celle-ci est dite « fort négligée », au point que leur « exten-sion est très réduite. On en connaît deux espèces, les prés de montagne,

47. Une des sources les plus riches pour l’identification des pratiques montagnardes locales à la fin du xviiie siècle est : l’Inchiesta dell’Instituto Nazionale de 1798, consul-table (en copie) à l’Archivio di Stato di Genova, Repubblica ligure, pacco 610. Voir C. Costantini, « Comunità e territorio in Liguria : l’Inchiesta dell’Instituto Nazionale », Miscellanea storica ligure, V, n° 2, 1985, p. 291-363 ; D. Moreno, Dal documento…, p. 210 et suiv. Voir aussi note 29.

48. « Le terre di fondo ferace si coltivano e si seminano tutti gli anni, cioè un anno a grano, un altro a meliga ed un altro a fave, o marsaschi e si prosegue sempre l’istessa alternativa. Le terre deboli sono seminate un anno si e l’altro no, quelle poi situate sulle sommità dei monti si lasciano in riposo due anni e anche tre ».

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abandonnés à la nature, et les prés domestiques, voisins des bâtiments d’habitation et dont les propriétaires n’ont aucun soin. Dans les premiers, on fait une seule récolte et assez modeste ; dans les autres on fait deux récoltes, voire trois, lorsqu’ils sont irrigables ». Enfin, la « culture des bois » est négligée « parce qu’ils sont impossibles à commercialiser ; dans nombre de sites alpestres, on laisse mourir les arbres de vieillesse à cause des difficultés de transport, et nombre de bois servent au pâturage des chèvres et autre bétail ».

C’est en enquêtant plus spécifiquement sur les bois qu’apparaissent les cultures temporaires. Elles ont l’intérêt, non seulement de remettre en cause les oppositions cultivé/inculte, espace ouvert/fermé, et surtout privé/collectif, mais aussi de stimuler l’interprétation des types de prati-ques liés à ces lieux précis que révèle la lecture des traces sur le terrain. Ici encore, les Consegne dei boschi, malgré leur conservation partielle, constituent la source écrite la plus riche pour saisir les types de cultu-res temporaires, leurs modalités et leurs usages. Ces consegne sont des reconnaissances que les propriétaires des bois furent tenus de faire de leurs possessions, à la suite d’un édit royal du Royaume de Sardaigne (1821-1822) 49. On dispose, pour le Mandement de Santo Stefano d’Aveto, limitrophe de celui d’Ottone, d’une première série de reconnaissances qui rassemble 285 déclarants sur 650. Effectuée au printemps 1822, elle fournit, grâce à la finesse des indications micro-toponymiques, des résul-tats déjà significatifs et approfondis, comme le montrent les paragraphes précédemment consacrés à l’analyse des sources de terrain. Les bois qui y sont décrits sont en majorité de hêtres, d’aulnes et de chênes. Si le bois est rarement déclaré servir au cuocimento di una fornace, soit à la « cuisson en fourneaux [d’écobuage] » ou au charbonnage, la plupart des déclarations (qui, rappelons-le, sont toutes le fait de particuliers, souvent organisés en familles, et quelquefois de paroisses), parlent de récolte du bois de feu pour l’usage domestique et de l’utilisation des bois comme pâturage.

Ces déclarations précisent aussi parfois que « ces bois ne sont pas de ceux qui sont concernés par les Constitutions royales », précisément parce qu’ils ne servent qu’au pâturage du bétail, à la production d’engrais et de feuillée, et à l’alimentation des feux domestiques, et qu’ils sont « entiè-rement composés d’arbres, ou plutôt de buissons d’arbres, qui ne font pas de bois d’œuvre mais poussent au ras du sol et y restent ; aussi les déclare-t-on uniquement pour obéir aux ordres supérieurs et pour aucune autre raison ». Ces bois sont souvent dits confiner aux « terre domestiche » et « clore les terre domestiche », « clore les biens domestici » ou « clore les terres ensemencées ». Une reconnaissance en particulier – celle des frères

49. Voir note 11.

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Rossi, de Santo Stefano, médecins et avocats que leurs facultés littéraires autorisent à un long exposé – offre une description plus détaillée des pratiques associées au bois :

« On estime que dans le Mandement de Santo Stefano, il n’existe pas, et on ne connaît pas, de bois qui se puissent dire en taillis, c’est-à-dire […] qui soient concernés par les Lettres Patentes, car les propriétaires font des coupes qui ne sont jamais régulières et totales comme il est accoutumé dans les bois-taillis. Dans tous les territoires forestiers, que les arbres soient des noisetiers, des chênes, des hêtres aussi bien que des châtaigniers, on mène quotidienne-ment le bétail au pâturage à la bonne saison, y compris les chèvres, ce qui ne se pratique pas dans les bois-taillis. On a coutume, dans ces mêmes territoires, de faire des essartages, principalement dans les bois d’aulnes, en faisant avec les branches que l’on a taillées des feux de fourneaux pour engraisser le terrain ; et sur le site ainsi taillé et essarté, on sème deux, trois, et parfois quatre ans. Puis au cours des quelques années qui suivent, le site essarté et semé retourne à son état premier, avec une faculté particulière pour les bois d’aulnes 50. »

On voit donc apparaître ici les cultures par essartage, avec une explication assez précise des pratiques et des rythmes culturaux qui leurs sont associés, et l’indication de leur relation avec les aulnes. C’est grâce à une analyse de la totalité des déclarations du Mandement de Santo Stefano d’Aveto, que l’on a pu identifier le cycle de l’alnoculture, tel que décrit précédemment. Dans le val de Trebbia voisin, les terres essartées et ensemencées reviennent avec une plus grande fréquence encore dans les reconnaissances des bois 51. Les frères Barbieri, du hameau des Tertogni, dans la commune de Montebruno, décrivent ainsi les usages de leur forêt :

« Forêt ou bois taillis peuplés de genévriers et de quelques hêtres, taillés tous les deux ou quatre ans, ou tous les six ou huit ans, ou tous les dix ans selon le besoin, et dans la plupart des cépées de hêtres tous les quarante ans ; ils servent pour le pâturage, pour prélever le bois nécessaire à faire les enclos, pour soutenir les plants de pois, et pour d’autres travaux des champs, et pour semer le seigle, et pour fournir le bois de feu, et pour faire des réserves de feuilles pour le bétail 52. »

50. « Si stima che nel mandamento di S. Stefano non esistono né si conoscono boschi che dir si possono cedui, cioè quelli […] contemplati nelle Regie Patenti, giacché i proprietari facendo dei tagli non sono mai regolari e totali come si costuma nelle selve cedue. In tutti li territori silvestri si alberati d’one nocciuole che di cerri e faggi, come pure di castagne si conducono quotidianamente in buona stagione i bestiami al pascolo, comprese le capre, [ ?] che non si fa nei boschi cedui. Si sogliono nei territori medesimi fare de ronchi segnatamente ove sono le one, facendo colla legna che si taglia de fornaci fuochi per ingrassare il terreno e nel sito tagliato e roncato si semina per due tre e talvolta quattro anni. Indi nel corso di qualche anni successivi il sito roncato e seminato ritorna nel primiero suo essere massimamente ove sono le one. »

51. Archivio di Stato di Genova, Prefettura sarda, pacco 210. Voir aussi note 11.52. « Foresta, o bosco ceduo popolato di ginepro e di pochi faggi, tagliato chi da due anni, chi da

quattro, chi da sei o da otto, dieci anni secondo il bisogno, e nella quantità di zeppi [ceppi] di faggio quaranta”, che serve per il pascolo, per prelevare la legna necessaria per fare le chiu-

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Une autre reconnaissance énumère deux bois : « Un bois taillis appelé Ronchetto, peuplé d’aulnes, de quelques frênes et de fougère, qui est fauchée autour de sept ou huit ans ; le bois parvient à maturité à dix ans pour l’essartage et l’ensemencement du seigle. » Les frères Garbarino, du village de Caprile di Montebruno déclarent, quant à eux, que la forêt taillis qu’ils possèdent se trouve sur un terrain de mauvaise qualité, et qu’étant « déserte, elle n’est pas susceptible d’essartage, ni de pâturage pour le gros bétail, ni d’aucun autre usage », mais qu’elle est seulement taillée pour faire des clôtures ou d’autres travaux, ou pour du bois de feu.

Si, dans le territoire de Montebruno, les références au type de culture (le seigle) et à sa scansion temporelle (dix ans) sont ainsi particulièrement fréquentes, une information aussi précise et homogène constitue un cas plutôt rare. Mais il est clair que, s’agissant de précisions accessoires, nous pouvons être assez sûrs de l’exactitude de ces renseignements. Les décla-rants auront peut-être, pour d’évidentes raisons fiscales, usé de quelque précaution pour minorer la productivité des bois en leur possession, il n’en demeure pas moins que la pratique de l’essartage rentre ici dans le cadre d’usages productifs de type domestique ou coutumier, sans qu’interfèrent des revendications de caractère juridictionnel. Tout autre-ment doivent être interprétés, en revanche, les essartages et les cultures temporaires qui leur sont associées, lorsqu’ils sont pratiqués sur des terres communes objets de litiges 53.

La question la plus intéressante que soulève ici la recherche concerne la relation entre les cultures temporaires conduites dans les terres privées et celles pratiquées dans les terres collectives. S’il est vrai, comme l’affirme l’anthropologie économique, que la terre peut être interprétée comme la dimension spatiale de la structure sociale 54, l’exercice des cultures tempo-raires dans des contextes de possession très différents devrait pouvoir dire quelque chose de l’organisation sociale et de la production des droits. Alors même que les cultures temporaires, sous l’Ancien Régime, sont abondamment documentées comme une pratique courante à l’intérieur des terres communes, presque toutes les usurpations – conflictuelles – effectuées par la technique de l’essartage correspondent à des extensions de propriétés privées limitrophes des communaux : cette faculté de dila-tation de la propriété particulière au sein de terres communes qui sont, pour leur part, caractérisées par des limites sociales et juridiques flui-des – elles sont en permanence révisées, renégociées, redéfinies – remet

dende (recinzioni), per carazzare i piselli, per altri lavori di campagna, per seminare la segale, e per l’asportazione della legna per il fuoco, e per la conservazione della foglia per i bestiame. »

53. O. Raggio, « Forme e pratiche di appropriazione delle risorse… ».54. Ibid., p. 135.

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en question le modèle même de la séparation entre privé et collectif. Si l’on essartait les communaux pour les occuper et si l’ensemencement des céréales était considéré comme un acte de possession temporaire, n’était-ce pas aussi le sens premier de ces pratiques lorsqu’on les exerçait sur les terres privées ?

Même si elles constituent un phénomène marginal, ces usurpations ont l’avantage de mettre au jour une qualité particulière de ces formes usuelles d’utilisation des terres boisées : orientées vers une production de subsistance, mouvantes dans l’espace (les aires essartées changent continuellement) et dilatées dans le temps (selon des rotations à base de dix années, le temps de régénération des bois), elles pouvaient s’exercer aussi bien sur les terres privées que sur les terres collectives, mais avec des conséquences juridiques bien différentes (elles « communalisaient » les premières, tandis qu’elles privatisaient les secondes).

Objet hybride, ou limite, les cultures temporaires sont toujours à lire à l’intérieur de leur contexte social de référence. Elles sont certes dotées d’une structure lâche et ambiguë, difficiles à imaginer dans leurs mouve-ments, dépourvues de géométrie spatiale, mais elles sont inscrites, en revanche, dans une géométrie sociale et juridique précise. Observées à micro-échelle et selon une chronologie fine, elles se révèlent posséder une incidence incontestable sur les modalités sociales d’accès aux ressources, sur leur gestion, sur leur allocation, sur la création de droits à leur égard et, pour finir, sur les formes mêmes du peuplement rural.

** *

L’utilisation du brûlage à feu couvert, au moins dans certains cycles d’essartage (ronco) et d’alnoculture, n’a guère à voir avec les pratiques d’abattis-brûlis (slash and burn) ou de « culture itinérante ». Elle concerne des cycles d’utilisation des sols forestiers et pastoraux à des fins agrai-res : des cycles et des pratiques pour lesquels nous pouvons définir une chronologie historique, des directions précises, des discontinuités, et reconnaître des processus volontaires (en faisant par-là référence à des stratégies et des savoirs identifiables à l’échelle locale), et même involon-taires (effets des activations des ressources sur leur structure écologique). En travaillant à une haute précision chronologique et selon une logique régressive, il est possible de replacer ces processus au sein des systèmes de droits (ancrés topographiquement) qui les ont déterminés, en tenant compte de l’articulation des formes de propriété (privée, collective) et en intensifiant la recherche sur le contexte topographique et social des

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actions/des pratiques qui ont produit les traces que nous étudions. La disposition spatiale de nos sites semble témoigner de ce que les logiques des ensemencements temporaires ne sont pas dictées par une géométrie euclidienne, mais correspondent à une logique hiérarchique des systèmes de classification des ressources locales. Elles rendent donc douteuses les reconstructions théoriques des modèles d’occupation du sol de type site catchment analysis (modélisation du terroir fondé sur une distance au centre habité) : le critère de proximité des cultures temporaires est contredit par ces exemples qui tous, se réfèrent à des sites d’altitude élevée, localisés à une distance d’une à deux heures au moins des habitats permanents, et dans des sols difficiles. À l’échelle du site, ce « modèle géométrique » ne se vérifie pas en montagne méditerranéenne, au moins dans cette portion de l’Apennin. La distribution spatiale des cultures temporaires suit ainsi les mêmes règles que les classifications locales des ressources environne-mentales en usage à la fin de l’Ancien Régime : elles non plus ne s’inscri-vent pas dans une logique géométrique binaire (domestique/sauvage), mais dans une logique hiérarchique, inclusive 55. Ces paysages de culture temporaire restent, aujourd’hui encore, invisibles aux historiens du paysage rural : aucun d’entre eux, qui ont pourtant laissé un riche héri-tage environnemental, n’a été inclus en 2010 dans le premier Inventaire des paysages ruraux historiques, pour le territoire italien 56. On continue à mettre l’accent sur les formes du paysage plutôt que sur leur contenu (environnemental et écologique) qui, pourtant, enregistre aussi les traces qui nous intéressent. Celles-ci constituent des témoignages vivants qui persistent aujourd’hui encore et contribuent, même de manière invisible, à la biodiversité des sites.

55. D. Moreno, Dal documento al terreno…, p. 210 et tableau 33.56. M. Agnoletti (dir.), Paesaggi rurali storici. Per un catalogo nazionale, Laterza Bari, 2010.

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Roland Viader et Christine Rendu (dir.)

PReSSeS UNIVeRSITAIReS dU MIRAIL

Les rotations culturales et l’appropriation du sol

dans l’Europe médiévale et moderne

Cultu

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XXXIV

Cultures temporaires et féodalitéLes rotations culturales et l’appropriation du sol dans l’Europe médiévale et moderne

L’alternance des cultures et des friches est une façon ancienne de gérerl’exploitation des terres, qui fut décriée par les Modernes mais très appréciéedes sociétés que l’on disait traditionnelles. Dans les campagnes de l’Europemédiévale et moderne, une grande partie des terres était ainsi cultivée unou deux ans avant d’être laissée en pâturages ou en broussailles pendantdeux, trois ou cinq ans, dix ou vingt parfois.Les recherches rassemblées dans ce volume permettent de mesurerl’importance et la variété de ces pratiques de cultures temporaires, d’enpréciser les chronologies et d’en redessiner les géographies. Partout, en effet,sur les landes britanniques comme dans les forêts nordiques, dans les maquisitaliens comme sur les monts galiciens, le succès de ces cycles culturauxinterroge les logiques historiographiques. Loin d’apparaître comme destechniques archaïques, extensives et peu efficaces, les cultures temporairess’y révèlent comme des adaptations complexes et parfois très récentes, quiexigeaient un lourd investissement en travail mais offraient en contrepartiedes rendements spectaculaires. Elles dévoilent un monde longtemps ignoré,où les défrichements ne sont plus le geste fondateur d’une conquêtedéfinitive des terroirs, mais des pratiques courantes et répétitives oùs’actualisait en permanence, à travers la distribution des usages de la terre,une grammaire élémentaire de l’appropriation du sol.

Collection dirigéepar Sandrine LAVAUD et Roland VIADER

PReSSeS UNIVeRSITAIReS dU MIRAILUNIVeRSITÉ ToULoUSe - JeAN-JAURÈ[email protected]://w3.pum.univ-tlse2.fr

Prix : 23 €

ISBN : 978-2-8107-0340-1Code SodIS : F407414

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Trente-quatrièmesJournées d’Histoire de Flaran

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Cultures temporaires et féodalité

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