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AD MEMORIAM : CEREMONIES POST-FUNERAIRES ET HOMMAGES AUX DEFUNTS CHEZ LES AZTEQUES Publié dans La quête du serpent à plumes. Arts et religions de l’Amérique précolombienne. Hommage à Michel Graulich, N.Ragot, S.Peperstraete & G.Olivier (Coords.), Editions de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris, 2011 pp.157-173. Nathalie RAGOT La crémation ou l'enterrement du corps du défunt constituait l'acte paroxystique du rituel funéraire mais non la fin. Suivaient diverses cérémonies respectant un calendrier régulier s’étalant sur plusieurs années. C’est à l’étude de ces pratiques et des relations que les vivants entretenaient avec la mémoire des défunts qu’est consacré cet article. Nous verrons comment se déroulaient les cérémonies post-funéraires tant sur le plan individuel que collectif en étudiant les rituels réalisés par les familiers des défunts et la place accordée aux disparus dans les fêtes. Nous nous intéresserons ensuite aux relations qui continuaient à exister entre vivants et défunts en examinant les manifestations de culte aux ancêtres et les cas de « divinisation » de certains défunts. Je reprends ici un thème que j’avais abordé rapidement dans ma thèse. Michel Graulich, qui a eu la bienveillance de diriger mes recherches, avait souligné que les divers aspects des relations entre les vivants et les morts mériteraient d’être approfondis. Cet hommage qui lui est rendu me paraît le lieu adéquat pour tenir enfin compte de sa remarque.

Ad-Memoriam : cérémonies post-funéraire et hommages aux défunts chez les Aztèques

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AD MEMORIAM :

CEREMONIES POST-FUNERAIRES ET HOMMAGES AUX DEFUNTS CHEZ LES

AZTEQUES

Publié dans La quête du serpent à plumes. Arts et religions de l’Amérique

précolombienne. Hommage à Michel Graulich, N.Ragot, S.Peperstraete & G.Olivier

(Coords.), Editions de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris, 2011 pp.157-173.

Nathalie RAGOT

La crémation ou l'enterrement du corps du défunt constituait l'acte paroxystique

du rituel funéraire mais non la fin. Suivaient diverses cérémonies respectant un calendrier

régulier s’étalant sur plusieurs années. C’est à l’étude de ces pratiques et des relations que

les vivants entretenaient avec la mémoire des défunts qu’est consacré cet article. Nous

verrons comment se déroulaient les cérémonies post-funéraires tant sur le plan individuel

que collectif en étudiant les rituels réalisés par les familiers des défunts et la place

accordée aux disparus dans les fêtes. Nous nous intéresserons ensuite aux relations qui

continuaient à exister entre vivants et défunts en examinant les manifestations de culte

aux ancêtres et les cas de « divinisation » de certains défunts.

Je reprends ici un thème que j’avais abordé rapidement dans ma thèse. Michel

Graulich, qui a eu la bienveillance de diriger mes recherches, avait souligné que les

divers aspects des relations entre les vivants et les morts mériteraient d’être approfondis.

Cet hommage qui lui est rendu me paraît le lieu adéquat pour tenir enfin compte de sa

remarque.

I. Déroulement des cérémonies post-funéraires

1. Quatre années de cérémonie individuelles

L’ensemble des cérémonies post-funéraires suivait un calendrier précis qui

s’étalait sur quatre années, ce qui correspond au temps nécessaire au défunt pour

rejoindre son au-delà. La finalité de ces cérémonies était d’aider le mort à quitter la terre

puis de soutenir ses pas durant le long et pénible voyage semé d’embûches qu’il

entreprenait sur les chemins de l’inframonde pour atteindre son ultime demeure 1. Une

partie du matériel déposé avec le défunt au cours de son rituel funéraire devait d’ailleurs

lui servir à affronter ces épreuves. Par l’intermédiaire des cérémonies post-funéraires, les

vivants continuaient à l’aider pendant quatre années ponctuées de moments clefs 2.

Le premier rituel avait lieu tout de suite après l'incinération. Une fois refroidis, les

cendres et les restes osseux étaient réunis avec la pierre cœur qui avait été placée dans la

bouche du cadavre et les mèches de cheveux coupées dans l’enfance et à la fin de la vie.

Le tout était déposé dans une boîte en pierre pour les seigneurs, ou dans un simple

récipient en céramique (olla) pour les plus humbles. Selon les informateurs de Sahagún,

l’urne cinéraire et son précieux contenu était enterrée dans une des pièces de la maison

(ou du patio, ou dans le temple du quartier ou calpulli en fonction de la qualité du défunt)

                                                                                                               1 B. de SAHAGUN, Florentine Codex. General History of the things of New Spain, C. E. DIBBLE - A. J. O. ANDERSON (éds. et trad.), Santa Fe, New Mexico, The School of American Research / University of Utah, 1950-1981, III, p. 41-46 ; B. de SAHAGUN, Primeros Memoriales, T. SULLIVAN et al. (éd. et trad.), Norman, University of Oklahoma Press, 1997, p. 177-178 ; B. de SAHAGUN, Historia general de las cosas de Nueva España, J. GARCIA QUINTANA – A. LOPEZ AUSTIN (éds.), Mexico, Cien de México / CONACULTA, 2000, I, p. 327-330 ; J. de TORQUEMADA, Monarquía Indiana, Mexico, Porrúa, 1986, II, p. 82, 522, 527 ; T. BENAVENTE ou MOTOLINIA, Memoriales o Libro de las cosas de la Nueva España y de los naturales de ella, E. O'GORMAN (éd.), Mexico, Universidad Nacional Autónoma de México / Instituto de Investigacines Históricas, 1971, p. 305 ; G. de MENDIETA, Historia eclesiástica indiana, Mexico, Porrúa, 1993, p. 183-184 ; B. de LAS CASAS, Apologética Historia Sumaria, E. O’GORMAN (éd.), Mexico, Instituto de Investigaciones Históricas, 1967, II, p. 463 ; Religión, costumbres e historia de los antiguos mexicanos, libro explicativo del llamado Códice Vaticano A, F. ANDERS – M. JANSEN – L. REYES GARCIA (éds), Mexico, Graz, Fondo de Cultura Económica / Akademische Druck und Verlagsanstalt, 1996, pl. 2r-v ; N. RAGOT, Les au-delàs aztèques, Oxford, BAR International Series 881, 2000, p. 85-98. 2 Quand le disparu était un seigneur, une dizaine ou une quinzaine d’esclaves étaient mis à mort le quatrième jour parce que : « … Ils disaient que durant ce temps de quatre jours, l’âme allait en chemin et avait besoin d’aide, et avec ceux qu’ils tuaient ils pensaient, les aveugles, lui envoyer une grande aide » dans T. MOTOLINIA, Memoriales, op. cit., p. 306. Aussi B. de LAS CASAS, Apologética, op. cit., II, p. 464 ; J. de TORQUEMADA, Monarquía, op. cit., T 2, p. 522 ; J. de MENDIETA, Historia, op. cit., p. 163 ; Codex Telleriano-Remensis. Ritual, Divination, and History in a Pictorial Aztec Manucript, E. QUIÑONES QUEBER (éd.), Austin, University of Texas Press, 1995, fol. 2r.

tout de suite après l’incinération 3. Selon d’autres sources, dans le cas d’un seigneur, une

effigie en bois à son image était composée et placée sur cette boîte. Cette cérémonie avait

pour nom quitonaltia, « donner du tonalli » 4 et devait « animer » l’image du défunt.

Selon López Austin, cette effigie avait pour fonction d’attirer à elle les différents

fragments de tonalli, localisés dans les cheveux et les ongles dispersés au cours de la vie,

afin de les réunir dans le réceptacle funéraire 5. Nous y reviendrons.

Durant les quatre jours qui suivaient les funérailles, des offrandes de nourriture,

de fleurs et d’encens étaient déposées sur le lieu d’enterrement du receptacle cinéraire.

Pour les seigneurs, les offrandes se faisaient sur le lieu de la crémation et / ou devant la

boîte contenant les restes du défunt et s’y ajoutaient des victimes humaines 6. Ces

hommages duraient les quatre jours qui suivaient la crémation parce que c’était le temps

nécessaire au teyolía pour quitter la terre et commencer son voyage dans l’inframonde,

moment important où le défunt devait avoir particulièrement besoin de l’aide de ses

proches 7. Ces offrandes se répétaient les 20ème, 40ème, 60ème et 80ème jour. Pour les

seigneurs, de nouvelles effigies à leur image étaient brûlées et des victimes humaines

immolées 8.

                                                                                                               3 B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., p. 330 ; B. de SAHAGUN, Florentine Codex, op. cit., III, p. 45. 4 T. MOTOLINIA, Memoriales, op. cit., p. 305-306 ; P. JOHANSSON, Ritos mortuarios nahuas precolombinos, Mexico, Secretaria de Cultura Estado de Puebla, 1998, p. 176 ; B. de LAS CASAS, Apologética, op. cit., II, p. 463 ; G. de MENDIETA, Historia, op. cit., p. 163 ; J. de TORQUEMADA, Monarquía, op. cit., II, p. 522 ; El Códice Tudela y el grupo Magliabechiano : la tradición medieval europea de copia de códices en América, J. J. BATALLA ROSADO (éd.), Madrid, Colección Thesaurus Americae, 2002, fol. 58r. 5 Les trois entités animiques hébergées dans le corps étaient le teyolía, le tonalli et le ihíyotl. À la mort de l’individu, chacune d’entre elles avait un destin différent : le teyolía, hébergé dans le cœur, allait rejoindre l’au-delà. Le tonalli, logé dans les cheveux et les ongles, restait en partie sur la terre après la mort. Enfin, le ihíyotl, moteur des passions, se dispersait sur la superficie de la terre et pouvait se transformer en êtres fantomatiques ou en maladies (yohualehécatl ou « vent nocturne »). A. LOPEZ AUSTIN, Cuerpo humano e ideología. Las concepciones de los antiguos Nahuas, Mexico, Universida Nacional Autónoma de México / Insituto de Investigaciones Antropológicas, 1984, I, p. 217-219, 253, 357-361, 364-365, 368. 6 B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., I, p. 329-330 ; Ibid., Florentine Codex, op. cit., III, p. 45 ; T. MOTOLINIA, Memoriales, op. cit., p. 305-306 ; Códice Yahuitlan, W. JIMENEZ MORENO – MATEOS HIGUERA (éds.), Mexico, Instituto Nacional de Antropología e Historia, 1940, p. 41. 7 Pour le teyolia du défunt qui abandonne le monde des vivants 4 jours après les funérailles voir : G. de MENDIETA, Historia, op. cit., p. 97 ; J. de TORQUEMADA, Monarquía, op. cit., II, p. 82 ; B. de SAHAGUN, Florentine Codex, op. cit., II, p. 150 ; A. LOPEZ AUSTIN, Cuerpo humano, op. cit., I, p. 364-365 ; N. RAGOT, Les au-delàs, op. cit., p. 81. 8 T. MOTOLINIA, Memoriales, op. cit., p. 305-306 ; B. de SAHAGUN, Primeros Memoriales, op. cit., p. 179.

Le 80ème jour 9 revêtait un caractère spécial, on disait que c’était comme cabo del

año, « fin de l'année » et marquait donc la fin d’un cycle. Ce jour-là, une nouvelle statue

représentant le seigneur défunt était brûlée et le sang et les cœurs de victimes humaines

allaient rougir le brasier où se consumait la statue mais c’était les dernières. Pour les gens

du commun, on brûlait les vêtements qu’ils avaient laissés sur terre. Nous le verrons, ce

80ème jour était important car il correspondait à la fin des prescriptions de « deuil » et des

rituels de séparation avec le mort. Après cette date, les hommages au défunt (offrandes de

nourriture, fleurs, vin d’agave, encens, petits animaux, cailles, papillons et lapins)

n’avaient plus lieu qu’une fois par an, le jour anniversaire de la mort 10.

À la date du quatrième anniversaire du décès une fête était donnée, on y dansait,

buvait et pleurait « … en se rappelant ce mort et d’autres défunts » 11. Ainsi s’achevaient

les rites post-funéraires. Si les offrandes cessaient au bout de quatre années c’est parce

que le mort, arrivé au terme de son voyage dans l’inframonde, n’avait plus besoin de

l’aide qu’elles lui apportaient. D’ailleurs, selon les informateurs de Sahagún, tous les

présents qui lui avaient été offerts pendant les quatre ans, le défunt les remettait à

Mictlantecuhtli quand il arrivait en sa présence 12.

Pour les guerriers incinérés, les choses se déroulaient suivant un schéma

comparable. 80 jours après la crémation du paquet funéraire représentant le guerrier et

l’enterrement des cendres, les veuves faisaient des offrandes de nourriture à l’endroit de

                                                                                                               9 Ce chiffre de 80, soit 4 x 20, correspond à 4 mois du calendrier rituel. On retrouve le chiffre 4 en association avec les rituels funéraires à plusieurs reprises (le teyolía quitte la terre au bout de 4 jours ; il y a 4 années de voyage dans l’inframonde avant d’arriver à l’au-delà). 10 D. DURAN, Historia de las Indias de Nueva España e islas de la Tierra Firme, A. M. GARIBAY (éd.), Mexico, Porrúa, 1984, II, p. 300 ; B. de SAHAGUN, Florentine Codex, op. cit., III, p. 44 ; B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., I, p. 329-330 ; H. ALVARADO TEZOZOMOC, Crónica Mexicana. Códice Ramírez, M. OROZCO Y BERRA (éd.), 1987, p. 436, 456 ; T. MOTOLINIA, Memoriales, op. cit., p. 305-306 ; B. de LAS CASAS, Apologética, op. cit., II, p. 464 ; J. de TORQUEMADA, Monarquía, op. cit., II, p. 523 ; G. de MENDIETA, Historia, op. cit., p. 163 ; B. de SAHAGUN, Primeros Memoriales, op. cit., p. 179. 11 T. MOTOLINIA, Memoriales, op. cit., p. 306 ; B. de LAS CASAS, Apologética, op. cit., II, p. 464 ; J. de TORQUEMADA, Monarquía, op. cit., II, p. 523 ; G. de MENDIETA, Historia, op. cit., p. 163 ; B. de SAHAGUN, Florentine Codex, op. cit., III, p. 44. 12 B. de SAHAGUN, Florentine Codex, op. cit., III, p. 43.

l’incinération. Les couvertures et les vêtements du défunt étaient brûlés. La même

cérémonie d’offrande se renouvelait 80 jours plus tard 13.

Il faut souligner le singulier silence des sources concernant les hommages rendus

aux défunts enterrés. Quel que soit le mode de traitement des corps, enterrement ou

crémation, tous les défunts devaient faire le voyage dans l’inframonde 14. Par conséquent,

tous devaient pareillement bénéficier des offrandes post-funéraires, même si les textes

n’ont pas gardé la trace de ces pratiques pour les défunts inhumés.

Dans tous les cas, après quatre années se terminaient les cérémonies funéraires,

mais les liens avec les défunts n’étaient pas pour autant définitivement rompus. Des

hommages leur étaient régulièrement rendus à l’occasion des fêtes du calendrier rituel.

2. Hommages communautaires aux défunts

Sept fêtes, sur les 18 que compte le calendrier solaire, mentionent des rites en

l’honneur des défunts. Deux des noms de ces fêtes, ou vingtaines, y font d’ailleurs

directement référence : miccailhuitontli, « petite fête des morts » et huey miccaihuitl,

« grande fête des morts ». Toutes les catégories de défunts étaient honorées dans les fêtes

comme le montre le tableau suivant :

Fêtes Catégorie de défunt honorée

Miccaihuitl Tous les défunts

Huey miccaihuitl Tous les défunts

Toxcatl Guerriers ; Ancêtres

Tepeihuitl Tlaloques

                                                                                                               13 D. DURAN, Historia, op. cit., II, p. 155 ; The Codex Magliabechiano and the Lost Prototype of the Magliabechiano Group, E. HILL BOONE (éd.), Berkeley, London, University of California Press, 1983, fol. 71v, 72r ; Códice Tudela, op. cit., fol. 55r. 14 N. RAGOT, Les au-delàs aztèques, op. cit., p. 88-89.

Quecholli Guerriers

Titil Tous les défunts ; Cihuateteo

Izcalli Tous les défunts

3ème, 8ème, 12ème fête mobile Cihuateteo

Miccailhuitontli, « petite fête des morts », ou tlaxochimaco, « offrande de

fleurs ». D’après Durán et Tovar c’était la fête des enfants innocents morts mais, comme

l’a souligné Miche Graulich, le diminutif indique seulement que la fête est mineure par

rapport à la suivante 15. Un des principaux rites consistait à aller chercher un grand tronc

d’arbre, appelé xocotl, et à le ramener rituellement en ville. Hormis le nom de la fête, il y

a peu de mention d’hommages rendus aux défunts. Le Codex Telleriano Remensis

mentionne des rituels de dépôt d’offrandes de nourriture et boisson sur les sépultures des

défunts 16. Selon Sahagún, la population allait chercher des fleurs et en ornait la statue de

Huitzilopochtli ; on fleurissait peut-être aussi les tombes des défunts 17. Selon les

Costumbres, le jour de la petite fête des défunts, « … ils tuaient tous les captifs et les

esclaves qu’ils avaient et chacun sacrifiait son esclave au dieu ou démon qu’il tenait en

dévotion ». Michel Graulich l’interprète comme une possible référence à des sacrifices en

l’honneur des défunts illustres « divinisés » mais par ailleurs on sait que les sacrifices

humains en l’honneur des défunts cessaient au bout de 4 années 18.

En huey miccaihuitl, « Grande fête des morts » ou xocotl huetzi « le fruit tombe »,

dernière fête de l’année, le rite principal consistait à ériger dans la cour du Grand Temple

                                                                                                               15 M. GRAULICH, Mythes et rituels du Mexique ancien préhispanique, Académie Royale de Belgique, Mémoires de la Classe de Lettres, Collection in-8°-2e série, T.LXVII- Fascicule 3, Bruxelles, Palais des Académies, 1987, p. 381. 16 Codex Telleriano-Remensis, op. cit., fol. 2r°, p. 254. 17 B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., T I, p. 221-222 ; M. GRAULICH, Mythes et rituels, op. cit., p. 381. 18 « Costumbres, Fiestas, Enterramientos y Diversas Formas de Proceder de Los Indios de Nueva España », F. GOMEZ DE OROZCO (éd.), Tlalocan II-1 (1945), p. 45 ; M. GRAULICH, Mythes et rituels, op. cit., p. 384 ; supra.

le tronc qu’on était allé chercher dans la fête précédente. Au sommet était fixée une

effigie en pâte de tzoalli appelée xocotl, ainsi que de longues cordes. Selon Sahagún,

cette effigie représentait un homme vêtu d’ornement de papier et portant les attributs d'un

guerrier mais elle pouvait, selon d’autres sources, prendre l'aspect d'un faisceau d'armes,

d'un oiseau en pâte multicolore, d'un paquet funéraire orné de boules de duvet, d'un

masque d'Otontecuhtli (señor de los Otomis, dieu du Feu, des seigneurs et des guerriers

morts) ou encore être une victime humaine. Après une danse, des jeunes gens se

précipitaient pour grimper le long du tronc et le premier arrivé à son sommet jetait

l’effigie à terre après s’être emparé des ornements ; il était ensuite traité comme un

guerrier qui a fait un prisonnier. Dans son analyse des fêtes des vingtaines, Michel

Graulich a démontré que pendant ces deux dernières fêtes de la saison sèche que sont

miccaihuitl et huey miccaihuitl, on célèbrait les morts qui descendaient sur et dans la terre

afin de la féconder et l’effigie, clairement associée à un guerrier, était projetée au sol dans

un acte de fécondation de la terre 19. Tous les défunts étaient invités à participer, comme

le révèle le commentaire du folio 2v du Codex Telleriano Remensis : pendant 3 jours on

jeûnait en l’honneur des morts et le jour de la fête tandis que les prêtres sacrifiaient « …

chacun dans sa maison montait sur le toit et, tournés vers le Nord, ils faisaient des

grandes oraisons aux morts de leurs lignée et à grand cris il disaient : Venez vite car nous

vous attendons » 20.

Toxcatl, « Chose sèche », était une fête en l’honneur de Tezcatlipoca et

Huitzilopochtli. Selon le manuscrit des Costumbres et le Codex Tudela on rendait

hommage aux défunts en divers endroits. Dans le temple de Huitzilopochtli, au pied de la

statue du dieu, on déposait pour les défunts des présents de nourritures, des pièces de

tissu et des vêtements comme l’indique le lieu de dépôt. Ces offrandes ne concernaient

certainement que les défunts qui allaient rejoindre l’au-delà du Soleil, c’est-à-dire les

guerriers et les sacrifiés. Dans les maisons, chacun faisait une fête et offrait aux

                                                                                                               19 M. GRAULICH, Mythes et rituels, op. cit., p. 385-390, 390. 20 Codex Telleriano-Remensis, op. cit., fol. 2v, p. 254 ; aussi Relación Geográficas del siglo XVI : Antequera, R. ACUNA (éd.), Mexico, Universida Nacional Autónoma de México / Insituto de Investigaciones Antropológicas, 1984, III, p. 200 ; J. de TORQUEMADA, Monarquía, op. cit., II, p. 298.

« images » de ses « pères et ancêtres » défunts de l’encens et des papiers couverts du sang

d’auto-sacrifice 21.

Tepeihuitl, « Fête des Montagnes », ou huey pachtli, était la première des grandes

fêtes dédiées aux eaux et à Tlaloc et on y fêtait les Tlaloques, ces petits aides de Tlaloc

qui versaient l’eau des pluies. On commémorait également les défunts morts d’une

maladie aquatique ou d’une façon en rapport l’eau, lequel mode de trépas les conduisait

au Tlalocan où ils devenaient des Tlaloques. Dans ce dessein, on confectionait des petites

montagnes en pâte d’amarante qu’on appelait ecatotonti et qui représentaient les

Tlaloques et les défunts. Au lever du jour, on les déposait sur des oratoires en roseaux et

on leur offrait divers plats de nourritures et de l’encens. Les participants « chantaient et

buvaient du pulque en l’honneur de ces dieux et de leurs défunts » 22. Cette cérémonie

était appelée calonōhuac, terme qui peut être traduit par « on est couché, on reste dans les

maisons 23 ».

En quecholli, « Spatule rose », Mixcoatl était à l’honneur et avec lui on

commémorait les guerriers défunts. Le cinquième jour de la fête leur était dédié. Des

flèches miniatures étaient fabriquées. Sur chaque tombe étaient déposées 4 flèches et 4

torches nouées ensemble et accompagnées de deux tamales sucrés. Au bout d’une

journée ces offrandes étaient brûlées et les cendres enterrées dans les sépultures des

défunts pour qu’elles leur parviennent. Un autre rituel, toujours en l’honneur des

guerriers morts, consistait à prendre une tige de maïs qu’on ornait de bandes de papier et

au pied duquel on déposait les bannières, les boucliers, les capes et les pagnes du défunt

attachés par un fil rouge. À l’extrémité de la tige de maïs, on accrochait un petit colibri et

une parure de 400 plumes de héron 24. Les plumes de héron sont typiques du guerrier, de

                                                                                                               21 « Costumbres, Fiestas », op. cit., p. 42 ; Códice Tudela, op. cit., fol. 15r, p. 409. 22 B. DE SAHAGUN, Historia, op. cit., I, p. 239-240 ; Ibid., Florentine Codex, op. cit., II, p. 131 ; J. DE TORQUEMADA, Monarquía, op. cit., II, p. 279. 23 A. WIMMER, Dictionnaire de la langue nahuatl classique, consultable sur internet à l’adresse www.sup-infor.com, entrée « calonōhuac ». 24 B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., I, p. 243 ; Ibid., Florentine Codex…, op. cit., II, p. 135-136.

même que le colibri qui est la forme aviaire qu’il endosse dans l’au-delà. Il est intéressant

de souligner cette assimilation du guerrier défunt à la tige de maïs, car de son vivant il est

assimilé à un épis. En effet, comme l’a démontré Michel Graulich, « à l’époque aztèque

faire la guerre signifiait moissonner pour les dieux et, lorsque les paysans faisaient la

récolte du maïs, ils attaquaient rituellement les épis de maïs comme si c’étaient des

ennemis » 25.

Selon les gloses du Codex Magliabechiano à l’occasion de la vingtaine de tititl,

dédiée à Cihuacoatl, on « célébrait la fête des défunts ». Des effigies à base de torche

d’ocote étaient fabriquées et parées à l’image des défunts. On leur offrait des présents de

nourritures et tous les participants mangeaient et buvaient avant d’incendier les

représentations des défunts. Cette cérémonie s’appelait « quixehuilotia, ce qui veut dire

qu’ils mettaient leur figure ou souvenir » 26. Le texte précise que tous les défunts étaient

commémorés en tititl même si l’illustration qui accompagne le texte représente

manifestement une statue funéraire de guerrier (peinture stellaire de Mixcoatl, ornement

de nez des guerriers défunts, chien bleu autour du cou, boules de duvet dans les cheveux).

La description insiste sur la façon d’habiller l’effigie si elle représente une femme. Cette

fête était d’ailleurs principalement consacrée à Cihuacoatl-Illamatecuhtli et aux femmes

guerrières. Les Primeros Memoriales précisent que lors de la danse qui suivait le sacrifice

d’Illamatecuhti, les prêtres étaient déguisés en « femmes divines », c’est-à-dire en

tzitzimime. Comme l’a analysé Michel Graulich, on honorait certainement là

particulièrement les femmes guerrières, comme on avait honoré les guerriers défunts dans

la fête parallèle de quecholli 27.

Les femmes mortes en couches, les Cihuatetao, étaient également honorées lors

des 3ème, 8ème et 12ème fêtes mobiles correspondant aux jours ce mazatl, « 1 cerf », ce

quiáhuitl, « 1 pluie », ce ozomotli, « 1 singe ». Ces jours-là, ainsi que les jours ce calli,

« 1 maison » et ce quauhtli, « 1 aigle », la venue des Cihuateteo était particulièrement

                                                                                                               25 M. GRAULICH, Le sacrifice humain chez les Aztèques, Paris, Fayard, 2005, p. 327. 26 Codex Magliabechiano, op. cit., fol. 44v, 45r, p. 199, aussi folio 71v-72r. 27 M. GRAULICH, Mythes et rituels, op. cit., p. 375 ; B. de SAHAGUN, Primeros Memoriales, op. cit., p. 66.

redoutée car elles trainaient de terribles maladies dans leur sillage et leur rencontre

pouvait être fatal. À ces dates les autels dédiés aux Cihuateteo, situés aux croisées des

chemins, étaient décorés de papiers et l’on y déposait diverses offrandes : pains en forme

de papillons, d’éclairs, des tamales, etc. 28 dans le but d’apaiser leur courroux.

Le dixième jour de la vingtaine izcalli, après avoir offert des tamales au feu, on en

déposait un sur les sépultures de tous les défunts 29.

3. Manifestations de deuil et prohibitions rituelles

À la mort d’un individu, ses proches pleuraient, criaient, on entonnait des chants

funèbres pendant et après les funérailles. Il existait également des manifestations de deuil

collectives au moment du décès d’un seigneur qui incluaient pleurs, cris et jeûne. Pour le

défunt roi de Tezcoco, Nezahualpilli, « les pleurs et le jeûne de ses femmes et de ses fils

et de tous ses parents durèrent quatre-vingts jours » 30. Au Michoacan, la mort du

calzoncin était suivie d’un deuil général pendant lequel il était interdit de moudre du

maïs, allumer du feu et faire des marchés. Les gens devaient être triste pendant 5 jours

dans leurs maisons 31.

Des détails supplémentaires sur ces prohibitions comportementales sont

mentionnés à propos des guerriers défunts. Durant 80 jours après la crémation, les veuves

et les parents des guerriers morts au combat ne devaient plus se laver ni le visage, ni les

cheveux, ni leurs vêtements ; ils devaient également suivre un jeûne partiel en ne

mangeant qu’une seule fois par jour. Passé ce temps, les prêtres cuauhuehuetque se

rendaient dans les maisons des défunts afin de « … recueillir toutes les larmes,

                                                                                                               28 B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., I, p. 79, 170-173, 356, 371, 392, 400, 408-409 ; B. de SAHAGUN, Florentine Codex, op. cit., I, p. 79, II, p. 36-38, IV, p. 10, 41, 81, 93, 107. 29 B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., I, p. 267 ; Ibid., Florentine Codex, op. cit., II, p. 167. 30 D. DURAN, Historia, op. cit., II, p. 474, aussi 154-155, 289-290. De même, à la mort de Axayacatl, tlatoani de Tenochtitlan, les parents du défunt et tout le peuple jeûnèrent 80 jours durant (Ibid., p. 300). Selon les Primeros Memoriales, à la mort d’un roi, les rites d’abstinence en son honneur duraient 20 jours (1997, p.179). 31 Relación de Michoacán, F. MIRANDA (éd.), México, Secretaría de Educación Pública, 1988, p. 293-294.

gémissements et sanglots et les ramener au temple ». Ensuite, c’était les achcacauhtin qui

allaient auprès des endeuillés et leur grattaient délicatement le visage pour ôter la saleté

dont il était couvert. Cette crasse était recueillie sur des papiers lesquels étaient

solennellement jeter au pied d’une montagne appelée Yahualiuhcan, « lieu rond ».

Ensuite, les veuves se rendaient au temple faire des offrandes de papiers et de copal, « ...

avec quoi elles étaient libres de tout deuil et de toute tristesse » 32. La fin de ces

restrictions comportementales marquait leur retour à une vie normale dans la société. À

cette contrainte de se salir, d’amonceler la saleté sur soi, il faut ajouter que durant le rituel

funéraire des guerriers, des chanteurs revêtus de manteaux très sales et tachés, le front

ceint de bandeaux crasseux, chantaient « ... des chants de deuil et de la saleté que le deuil

et les larmes entraînent avec eux. […] On appelait ces chants tzocuicatl, ce qui veut dire

“chant sale” o “de porqueria” » 33. Selon Doris Heyden, la crasse jouait alors le rôle

« d’une métaphore visuelle du deuil » 34. Tous ces éléments renvoient à des rituels de

mise à l’écart de la société, du moins visuelle, des parents du défunt suivi de cérémonie

de purification et de réintégration dans la communauté. Mais ces pratiques se doublent

d’un aspect pénitentiel. À l’appui de cette hypothèse, je mentionnerai des comportements

similaires adoptés par les familiers des marchands ou des guerriers partis en expédition.

Quand le marchand s’en allait au loin (il était d’ailleurs pour cela considéré comme un

guerrier) ses parents, sa femme ou ses fils ne se lavaient plus ni la tête, ni le visage que

tous les 80 jours, « … laissant ainsi entendre qu’ils faisaient pénitence pour leur fils ou

pour leur mari, ou pour leur père qui était absent » 35. De la même façon, quand les

guerriers partaient en campagne, leurs femmes ne se baignaient plus la figure et se

levaient la nuit pour balayer 36. Patrick Johansson suggère que ces pratiques de deuil

réalisées hors contexte funéraire, pourraient avoir pour finalité de protéger le guerrier de

                                                                                                               32 D. DURAN, Historia, op. cit., II, p.155, « llamaban a esta cerimonia las reliquias de las lagrimas », aussi p. 289-290 ; H. ALVARADO TEZOZOMOC, Crónica Mexicana, op. cit., p. 428. 33 D. DURAN, Historia…, op. cit., II, p. 288-289. 34 D. HEYDEN, « El mito de la muerte de los guerreros : ¿ que pasa con sus viudas ? », dans B. DAHLGREN (éd.), Historia de la Religión en Mesoamérica y areas afines, II coloquio, Mexico, Universidad Nacional Autónoma de México, 1990, p. 117. 35 B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., I, p. 386. 36 D. DURAN, Historia, op. cit., II, p. 164 ; J. B. POMAR, « Relación de Texcoco », dans Relación geográficas del siglo XVI : México, vol. III, R. ACUNA (éd.), Mexico, Universida Nacional Autónoma de México / Insituto de Investigaciones Antropológicas,1986, p. 68-69.

la mort 37. Mais, on retrouve des pratiques comparables dans le cadre des sacrifices

humains. Par exemple, durant la fête de tlacaxipehualiztli où le maître du captif sacrifié et

ses parents ne se lavaient pas la tête jusqu’à la fin de la fête « … faisant ainsi pénitence

pour leur captif défunt » 38.

Il est manifeste que les prohibitions rituelles imposées aux proches d’un défunt

devaient jouer un rôle de catalyseur social de la douleur mais elles affichent également un

aspect manifestement pénitenciel dont il faut tenir compte. Néanmoins il est difficile de

savoir avec certitude la raison et la fonction de ces pénitences. Avaient-elles un caractère

purificateur pour ceux qui avaient approché le défunt ? Ou bien la pénitence pouvait-elle

d’une façon ou d’une autre « profiter » au défunt ? En renforcant ses pas sur le chemin de

l’inframonde par exemple ?

Pour terminer, il faut souligner que cette date de 80 jours correspond à celle du

cabo del año, un des moments importants des cérémonies post-funéraires, comme nous

l’avons signalé précédemment. L’importance accordée à ce quatre-vingtième jour

pourrait résider justement dans le fait qu’il marquait la fin des rituels de prohibitions

imposés aux proches des défunts. Il pourrait aussi être un indice que les familiers de tous

les défunts, pas seulement les guerriers, devaient être soumis à ces restrictions.

II. Relations avec les défunts

1. Des autels domestiques

Les offrandes aux défunts étaient réalisées au lieu d’inhumation du récipient

funéraire, le plus souvent dans une pièce ou dans la cour de la maison ou dans le temple

du calpulli. Cette coutume d’enterrer les cendres du défunt dans le sol de l’habitation

traduit une volonté de garder ses ancêtres près de soi et renvoit à la notion de lignage.

                                                                                                               37 P. JOHANSSON, Ritos mortuarios nahuas precolombinos, Mexico, Secretaria de Cultura, Gobierno del Estado de Puebla, 1998, p. 172. 38 B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., I, p. 187.

Il existait certainement des autels domestiques ou des oratoires dressés en

l’honneur des disparus. Il n’y a pas de témoignage archéologique de ces structures et

c’est seulement à partir des textes que l’on peut identifier leur existence et imaginer leur

aspect. Ainsi, pendant la fête de tepehuitl, pour honorer les défunts du Tlalocan, on faisait

des images en forme de montagnes que l’on posait sur des oratoires en roseaux dressés

pour l’occasion 39. Il devait également y avoir dans les maisons des « autels » installés en

permanence et entretenus quotidiennement. Lors des funérailles d’un seigneur, pour

l’accompagner dans l’au-delà, on immolait un serviteur « … qui le servait comme un

chapelain, mettant de la lumière et de l’encens sur les autels et les braseros que le

seigneur avait dans sa maison » 40. Sur ces autels domestiques devait être placé un

élément symbolisant le défunt auquel on rendait régulièrement hommage. Motolinía

mentionne à propos des seigneurs qu’après le cabo del año, « … chaque année ils

rendaient hommage devant la boîte, et alors ils sacrifiaient des cailles ou des lapins, des

oiseaux et des papillons et ils mettaient devant la boîte et l’image beaucoup d’encens et

des offrandes de nourritures » 41. À quelle boîte et à quelle image fait-il référence ?

Certainement pas au receptacle contenant les cendres du défunt, sa pierre-cœur et ses

mèches de cheveux puisque celui-ci était inhumé comme le rapportent d’autres textes et

comme en témoignent les excavations de matériel funéraire du Templo Mayor 42. Par

contre, on se rappelle qu’on faisait une image du défunt lors de la cérémonie dite de

quitonaltia et c’est donc certainement cela qui servait de support à tous les hommages

qu’on lui rendait 43. Pour le monde maya, Landa atteste d’une pratique comparable mais

plus élaborée où l’image du mort est une statue qui contient des éléments physiques du

défunt :

                                                                                                               39 B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., I, p. 239-240 ; Ibid., Florentine Codex, op. cit., II, p. 131-132 ; J. de TORQUEMADA, Monarquía, op. cit., II, p. 279. 40 J. de TORQUEMADA, Monarquía, op. cit., II, p. 521. 41 T. MOTOLINIA, Memoriales, op. cit., p. 305-306. 42 B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., p. 330 ; Ibid., Florentine Codex, op. cit., III, p. 45 ; L. LOPEZ LUJAN, Las ofrendas del Templo Mayor de Tenochtitlan, Mexico, Instituto Nacional de Antropología e Historia, 1993 ; X. CHAVEZ BALDERAS, Rituales funerarios en el Templo Mayor de Tenochtitlan, Mexico, Instituto Nacional de Antropología e Historia, 2007. Motolinía ne mentionne pas de mise en terre de la boîte qui contenaient les mèches de cheveux, la pierre coeur et les résidus de la cremation, Memoriales, op.cit., p. 330. 43 T. MOTOLINIA, Memoriales, op. cit., p. 305-306 ; B. de LAS CASAS, Apologética, op. cit., II, p. 463 ; G. de MENDIETA, Historia, op. cit., p. 163 ; J. de TORQUEMADA, Monarquía, op. cit., II, p. 522 ; El Códice Tudela, op. cit., fol. 58r, p. 421.

… Ils mettaient les cendres dans des statues creuses, faites de terre, quand [les

défunts] étaient des grands seigneurs. Les autres gens importants faisaient à leurs parents

des statues de bois, auxquelles ils laissaient l’occiput creux, et ils brûlaient une partie du

corps et mettaient les cendres dedans et bouchaient ; et ensuite ils arrachaient le cuir de

l’occiput et ils le collaient là, et enterraient les restes comme de coutume ; ils gardaient

ces statues avec grande révérance entre leurs idoles 44.

Les « images » des défunts devaient être nombreuses puisque représentant les

ancêtres disparus, et regroupées dans une pièce de la maison. C’est du moins ce que l’on

peut imaginer à partir des données transcrites par Durán à propos des offrandes réalisées

par les femmes des guerriers partis en expédition :

… Dans cette pièce elle sortaient les ossements des prisonniers que leur mari

avait capturé à la guerre et elles les enveloppaient dans des papiers et les accrochaient

aux poutres, et ensuite elle prenaient un brasero et faisaient de la lumière et elles

mettaient de l’encens et elles posaient le brasero sous les os longs et devant toutes les

autres petites idoles qu’ils avaient, qui étaient inombrables et elles les encensaient 45.

La pratique d’honorer des « images » de ses défunts semble avoir perduré avec la

colonisation. Dans les procès d’inquisition, un certain Don Juan est accusé d’avoir, à la

mort de sa soeur, fait une statue à son image à laquelle il rendait régulièrement hommage

avec des offrandes de nourriture, chocolat, fleurs et vin 46.

Les rares indications que fournissent les sources sur le « culte aux ancêtres »

concernent les seigneurs et, par conséquent, il est difficile de savoir si cette pratique

concernait toutes les couches sociale de la population ou seulement les ancêtres

« illustres », c’est-à-dire les nobles et seigneurs.

                                                                                                               44 D. de LANDA, Relación de las cosas de Yucatán, Á. M. GARIBAY K. (éd.), Mexico, Porrúa, 1986, p. 59-60. 45 D. DURAN, Historia, op. cit., II, p. 164-165. Voir aussi J. de TORQUEMADA, Monarquía, op. cit., II, p. 298 ; Códice Tudela, op. cit., fol. 15r, p. 409. 46 Processos de Indios idólatras y hechiceros, L. GONZALES OBREGON (éd.), Mexico, Secretaría de Relaciones Exteriores, Publicaciones del Archivo General de la Nación vol. 3, 1912, p. 202.

2. « Divinisation » de certains défunts

Après avoir présenté comment les défunts étaient honorés dans le cadre

communautaire et privé, nous voudrions nous intéresser aux liens que les vivants

entretenaient avec certains disparus que leur fonction sur terre ou leur façon de mourir

dotait d’un statut particulier : les seigneurs, les Tlaloques, les Cihuateteo et les sacrifiés.

a. Les seigneurs

Le cadavre du tlatoani de Tenochtitlan était habillé successivement des parures de

Huitzilopochtli (ou Tlazolteotl), Tlaloc, Yohuallahuan (aspect de Xipe) et Quetzalcoatl 47.

Le fait de revêtir le corps du roi d’un vêtement caractéristique d’une ou de plusieurs

divinités soulève la question de sa possible déification dans l’au-delà. Interrogation

renforcée par le fait que les rois et les seigneurs étaient de leur vivant des personnes

extraordinaires puisque les représentants des divinités, leurs « ixiptla » ; ils étaient « mis

à leur place », « ils étaient leurs dossiers, leurs flûtes ». Considéré comme l’oreille et la

voix de la divinité sur terre le tlatoani ne pouvait pas être régardé dans les yeux, seuls

d’autres rois avaient ce privilège 48. Certaines informations fournies par les chroniques

vont dans le sens d’une déification post-mortem des seigneurs et des rois :

… Ils couvrirent tout le corps de bitume divin. Ainsi le roi Ahuitzotl resta consacré dieu

et canonisé au nombre des dieux 49.

... Ils l’appelèrent Teotihuacan parce que c'était le lieu d'enterrement des seigneurs. [...]

Le défunt était ainsi appelé à sa mort : si c’était un homme on lui donnait le nom divin de

Cuecuextzin ; si c’était une femme, on l’appelait Chamotzin. […] Les vieillards disaient :

                                                                                                               47 H. ALVARADO TEZOZOMOC, Crónica Mexicana, op. cit., p. 455 ; D. DURAN, Historia, op. cit., II, p. 298 ; M. GRAULICH, Mythes et rituels, op.cit., p. 262. 48 B. de SAHAGUN, Florentine Codex, op. cit., VI, p. 41-55 ; B. de LAS CASAS, Apologética, op. cit., II, p. 378 ; A. LOPEZ AUSTIN, Cuerpo humano, op. cit., vol.1, p. 459 ; M. GRAULICH, « La royauté sacrée chez les Aztèques de Mexico », Revista Española de Antropología Americana 28 (1998), p. 99-117, 102-103. 49 D. DURAN, Historia, op. cit., II, p. 394.

« celui qui est mort est devenu dieu ». Quand ils disaient « il est devenu dieu », cela veut

dire qu’il était mort 50.

… Ils commencèrent à faire des statues aux hommes importants qui mouraient […], ils

leur faisaient des statues en mémoire de leurs hauts faits ; et après ils les adoraient

comme dieux 51.

… Ce mois là [hueymiccailhuitl] ils donnaient le nom de dieu à leurs rois défunts, et à

toutes ces personnes insignes qui étaient mortes vaillamment dans les guerres où aux

mains de leurs ennemis, et on leur faisait des statues (hacian sus idolos) et on les

mettaient avec leurs dieux en disant qu’ils s’en étaient allés au lieu de leurs délices et de

leurs récréations en compagnie des autres dieux 52.

Dans le Michoacan : … aquellos señores que guardaron de la ceniza, que es los primeros

que fueron señores, que decía es esta gente que los hombres hicieron los dioses de ceniza 53.

Ces références peuvent effectivement être interprétées comme des témoignages

évidents de la déification post-mortem du roi, voire des grands seigneurs . Néanmoins,

comme le souligne Brundage, si la croyance en la déification du roi existait vraiment il ne

pouvait s’agir que d’un dieu sans juridiction et sans pouvoir 54. En dépit des honneurs

funéraires dont on entourait les rois disparus, il n’existe pas de traces d’un culte officiel à

leur sujet. Le défunt roi était un mort particulier puisque ixiptla de la divinité de son

vivant et, comme tout mort méritant, il réussissait à vaincre la mort pour renaître dans

l’au-delà du soleil. Il passait ainsi du côté des dieux et devenait certainement une divinité

mineure à leur côté assumant peut-être la fonction de porteur du ciel 55. Ajoutons que le

défunt roi gardait certainement dans l’autre monde un statut spécial correspondant à son

rang terrestre. Le riche trousseau funéraire et les accompagnants mis à mort pour

l’accompagner dans l’au-delà devaient lui permettre de recréer son train de vie dans                                                                                                                50 B. de SAHAGUN, Florentine Codex, op. cit., X, p. 192 ; A. LOPEZ AUSTIN, Les paradis de brume. Mythes et pensée religieuse des anciens Mexicains, Paris, IHEAL, Maisonneuve & Larose, 1998, p. 273. 51 D. MUÑOZ CAMARGO, Historia de Tlaxcala, L. REYES GARCIA (éd.), Mexico, Universidad Autónoma de Tlaxcala, 1998, p. 155. 52 J. de TORQUEMADA, Monarquía, op. cit., II, p. 298. 53 J. de ALCALA, La Relación de Michoacán, F. MIRANDA (éd.), Mexico, SEP / Cien de México, 1988, fol. 26v, p.262. 54 B. C. BRUNDAGE, The Jade Steps. A Ritual Life of the Aztecs, Salt Lake City, University of Utah Press, 1985, p. 197-198. 55 M. GRAULICH, Mythes et rituels, op. cit., p. 261-262.

l’autre monde 56. Les rois et seigneurs défunts étaient honorés en tant qu’ancêtres mais

rien ne laisse supposer qu’un culte s’organisait autour de leur mémoire avec statues à leur

image, temple et sacerdotes dévolus à leur service. À ce propos, il est significatif que les

fouilles du Templo Mayor n’aient pas mis à jour de sculptures représentant un tlatoani

mexica ou du matériel traduisant une quelconque forme de culte aux défunts dirigeants.

Certaines sources mentionnent des formes de culte aux ossements de chefs

défunts, voir de communication avec eux au travers de reliques. Cependant, il s’agit des

cas de figures semi-historiques, d’hombre-dios, devenus les ancêtres de la tribu et

divinisés (Mixcoatl, Camaxtli, Quetzalcoatl, Huitzilopochtli) ou encore des figures

importantes des récits de pérégrination 57. Par exemple, après la mort de Huitzil, le chef

des Mexicas, on fit de ses ossements un paquet sacré, tlaquimilolli, par l’intermédiaire

duquel les pérégrinants pouvaient communiquer avec la divinité 58. Dans le monde maya,

ce sont les têtes des seigneurs Cocom auxquelles on réservait un traitement particulier.

Après l’avoir cuite et dépouillée de ses chair, la tête était coupée en deux et on ne gardait

que la face, l’arrière de la tête étant reconstitué avec du caoutchouc. Ces têtes

retravaillées étaient placées à côté des statues des ancêtres et des dieux et honorées les

jours de fêtes 59. À notre connaissance, les dépouilles des tlatoque historiques de

Tenochtitlan ne faisaient pas l’objet d’un culte.

b. Tlaloques et Cihuateteo

                                                                                                               56 N. RAGOT, Les au-delàs aztèques, op. cit., p. 68-70. 57 A. LOPEZ AUSTIN, Hombre dios, religión y política en el mundo náhuatl, Mexico, Universidad Autónoma de México / Instituto de Investigaciones Históricas, 1989, p. 105-127. 58 C. DEL CASTILLO, Fragmentos de la obra général sobre historia de los Mexicanos, F. del PASO Y TRONCOSO (éd.), Florence, 1908, p. 92. Voir aussi : A. TELLO, Libro segundo de la Cronica miscelànea en que se trata de la conquista espiritual y temporal de la santa provincia de Xalisco, Guadalajara, Imprenta de la Republica Literia, 1891, p. 30 ; A. DE HERRERA, Historia general de los hechos de los castellanos en las islas y tierra firme del mar oceano, Decada Tercera, Madrid, 1726, p. 101. Il faut souligner la différence entre les bultos mortuarios, qui sont les paquets funéraires réalisés autour des corps des défunts, et les tlaquimilolli, qui sont les paquets sacrés faits à partir des restes matériels des divinités et auquels on rendait un culte à l’intérieur des temples. Voir G. OLIVIER, « Les paquets sacrés ou la mémoire cachée des Indiens du Mexique Central (XVè-XVIè siècles) », Journal de la Société des Américanistes 81 (1995), p. 116. 59 D. de LANDA, Relación de las cosas de Yucatán, op. cit., p. 59-60 ; A. LOPEZ AUSTIN, Hombre dios, op. cit., p. 140.

D’autres défunts peuvent être considérés comme des divinités mineures dotées

d’une certaine influence sur la vie quotidienne des hommes et auxquelles était rendu un

véritable culte.

Nous avons déjà mentionné que les élus de Tlaloc, c’est-à-dire tous ceux qui

mouraient d’une façon ou d’une maladie en rapport avec l’eau (noyade, foudroiement,

goutte, lèpre etc…), devenaient des Tlaloques (cf. supra). Par conséquent, ils

bénéficiaient du culte rendu à ces divinités dont les sources décrivent divers aspects lors

des fêtes de tepeihuitl (supra.), atlcahualo, atemoztli ou etzalcualiztli 60.

Autre catégorie de défunts qui acquérait un statut particulier dans l’au-delà : les

femmes mortes en premières couches. Assimilées à des guerrières mortes au champ

d’honneur de l’accouchement, leur trépas leur valait le titre de Cihuateteo, « Femmes

divines ». Elles rejoignaient l’au-delà Cihuatlampa où elles accompagnaient le soleil du

midi au soir. La nuit, elles descendaient sur terre et leur venue était particulièrement

redoutée à certaines dates car elles amenaient avec elles d’horribles maladies et

s’attaquaient aux humains. Ces jours-là, nous l’avons vu, leurs autels étaient

particulièrement décorés 61 et on peut vraiment parler d’un culte aux Cihuateteo. Celui-ci

est également attesté par les remarquables sculptures en pierres les représentants 62. À

deux pâtés de maisons du Grand Temple de Mexico-Tenochtitlan, près du croisement des

actuelles avenues du 16 Septiembre et Isabel la Catolica, en 1907, furent mise au jour

quatre sculptures de Cihuateteo qui pourraient bien indiquer l’emplacement d’un temple

dédié à leur culte 63.

                                                                                                               60 B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., 1, p. 176-178, 199-209, 239-241, 254-255. 61 cf. supra. B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., 1, p. 79, 170-173, 356, 371, 392, 400, 408-409 ; B. de SAHAGUN, Florentine Codex, op. cit., I, p.19, II, p. 36-38, IV, p. 10, 41, 81, 93, 107 ; E. SELER, Collected Works in Mesoamerican Linguistics and Archaeology, J. E. S THOMPSON – F. B. RICHARDSON (éds.), Lancaster, California, Labyrinthos, 1996, vol. 3, p. 154. 62 Voir Dioses del México antiguo, Mexico, Antiguo Colegio de San Idelfonso / Instituto Nacional de Anthropología e Historia, 1996, cat. 210, 211 ; Aztecs, Londres, Royal Academy of Art, 2002, cat. 143, 144, 145. 63 S. MATEOS HIGUERA, « Herencia arqueologica de México-Tenochtitlan. Catálogo », dans E. MATOS MOCTEZUMA (Coord.), Trabajos arqueológicos en el centro de la ciudad de México (Antología), Mexico, Secretaría de Educación Pública / Instituto Nacional de Antropología e Historia, 1970, p. 226-227 ; H. B.

c. Les guerriers morts au combat et les sacrifiés

Le glorieux trépas des guerriers tombés au champ d’honneur ou sous le couteau

du sacrificateur leur donnait accès à la Maison du Soleil, au-delà privilégié, et ils

entraient ainsi dans le monde des dieux, sans pour autant faire l’objet d’un culte.

Cependant, il est intéressant de souligner que tant la communauté que le sacrifiant, c’est-

à-dire le « propriétaire » du sacrifié, continuait à entretenir un rapport particulier avec ces

défunts par l’intermédiaire du malteotl et du tzompantli.

Le sacrifiant établissait un lien unique avec la victime sacrificielle qui se

prolongeait après la mise à mort. Lors de la fête de xocotl huetzi, la veille du sacrifice, on

coupait une mèche de cheveux à la future victime. Le sacrifiant gardait précieusement

cette relique capillaire dans une boîte en roseau appelé tzonpetlacalli, « coffre des

cheveux ». Il « … l’accrochait aux poutres de sa maison, en un endroit public pour qu’on

sache qu’il avait capturé à la guerre : tout le temps de sa vie il le laissait accroché » 64.

Les propriétaires des sacrifiés mis à mort lors de la fête de tlacaxipehualiztli gardaient

l’os long de la jambe. Le fémur était alors enveloppé dans de multiples papiers et mantas,

formant ainsi une sorte de « paquet sacré », orné d’un masque et suspendu dans une pièce

de la maison aux côtés des images des ancêtres 65. On l’appelait malteotl, « dieu captif » 66 et on l’honorait régulièrement par des fumigations ou des offrandes alimentaires 67. Les

os des captifs pouvaient également participer à des cérémonies. La Relation de

Michoacan mentionne « la fête de hunisperaquaro, quand on veillait avec les ossements

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         NICHOLSON – E. QUIÑONES KEBER, Art of Aztec Mexico. Treasures of Tenochtitlan, Washington, 1983, p. 68. 64 B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., I, p. 225 ; Ibid., Florentine Codex, op. cit., II, p. 114. La pratique est aussi mentionnée pour les fêtes de toxcatl et tlacaxipehualiztli : Códice Tudela, op. cit., fol. 20r, p. 408, 412 ; « Costumbres, Fiestas », op. cit., p. 43, 47 ; J. B. POMAR, « Relación de Texcoco », op. cit., p, 63. 65 D. DURAN, Historia, op. cit., II, p. 164-165. 66 De maltia, « faire prisonnier quelqu’un » et teotl, « dieu », R. SIMEON, Diccionario de la lengua náhuatl o mexicana, México, Siglo XXI, 1994, p. 252, 490 ; B. de SAHAGUN, Florentine Codex, op. cit., II, p. 60, illustration n°12. 67 « Costumbres, Fiestas », op. cit., p. 47 ; El Conquistador Anonymo, Relación de algunas cosas de la nueva españa, y de la gran ciudad de Temestitán México, J. GARCIA ICAZBALGETA (éd.), Mexico, Colección de Documentos para la Historia de México, 1858, p. 386 ; J. B. POMAR, « Relación de Texcoco », op. cit., p. 63 ; B. de SAHAGUN, Florentine Codex, op. cit., II, p. 60 ; Ibid., Historia, op. cit., I, p. 186-187. Voir l’illustration 12 du livre II du Codex de Florence.

des captifs dans les maisons des prêtres. […] Et le sacrificateur entrera pour raconter

l’histoire des ossements et tous commenceront à chanter » 68.

En plus de signaler à tous la vaillance de son propriétaire 69, le paquet malteotl

semble également avoir possédé la vertu de le protéger dans ses expéditions militaires de

son vivant et de l’aider dans l’au-delà après son trépas. Selon Durán, quand un guerrier

était au loin sa femme cessait de se laver visage et cheveux en signe de deuil et de

tristesse et balayait la nuit en signe de pénitence. Elle faisait des offrandes et encensait les

malteotl de son époux tout en priant « le seigneur de tout ce qui existe, du ciel, de la terre,

de l’air, du soleil, de l’eau, de la nuit et du jour » d’épargner la vie de son époux 70.

À sa mort, le propriétaire du malteotl ou des dépouilles de sacrifiés (cheveux,

papier, vêtements) voulait être brûlé ou enterré avec, enmenant ainsi avec lui les preuves

de sa vaillance terrestre 71. Ces reliques devaient apporter de l’aide durant son voyage

dans l’inframonde dont un des obstacles était le passage du vent d’obsidienne,

itzehecayan, où le vent coupe comme des couteaux. Les dépouilles des captifs que le

défunt avait pris le protégeaient pour ne pas qu’il souffre 72.

Un autre usage intéressant d’une partie du corps du sacrifié est celui réservé à sa

tête exposée sur le tzompantli. Le tzompantli était une plateforme en pierre sur laquelle

s’élèvait une structure en bois composée de madriers disposés verticalement et réunis

entre eux par des perches horizontales. Sur ces perches des têtes ou des crânes étaient

enfilés transversalement par les tempes 73. Le tzompantli apparaît comme un instrument

                                                                                                               68 J. ALCALA, Relación de Michoacán, J.M.G. Le Clezio (éd.), Paris, Gallimard,1984, p. 198. 69 Le corps du sacrifié était mangé « … salvo los huesos, que se les quedaba por trofeo y señal de su esfuerzo y valentía, poniendolos en su casa, en parte donde los que entrasen los pudiesen ver » (J. B. POMAR, « Relación de Texcoco », op. cit., p. 63). Aussi B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., I, p. 225. 70 D. DURAN, Historia, op. cit., II, p. 164-165. 71 « Costumbres, Fiestas », op. cit., p. 43 ; Códice Tudela, op. cit., fol. 15r, p. 408-409 ; B. de SAHAGUN, Florentine Codex, op. cit., II, p. 49, 114 : Ibid., Historia, op. cit., I, p. 327-328. 72 B. de SAHAGUN, Historia, op. cit., p. 327-328. 73 A. de TAPIA, Relación, J. GARCIA ICAZBALGETA (éd.), México, Colección de Documentos para la Historia de México, 1866, II, p. 583 ; B. DIAZ DEL CASTILLO, Historia verdadera de la conquista de la Nueva España, J. RAMIREZ CABANAS (éd.), Mexico, Porrúa, 1977, I, p. 182-183 ; E. GALDEMAR, « Le Tzompantli. Lieu où les têtes chevelus coupées sont alignées », Mémoire de DEA, Université Paris I, 1988,

de prestige pour les guerriers aztèques, le prolongement de la mort glorieuse sur le champ

de bataille 74.

Dans une grotte à Ixtapantongo, état de Mexico, une peinture rupestre de l’époque

Post-classique représente une femme décapitée à côté d’un arbre d’où pendent des crânes

et des bannières. C’est une des représentations les plus anciennes d’un tzompantli 75.

Cette image de l’arbre à crânes rappelle un épisode du Popol Vuh. Hun et Vucub Junajpu,

père et oncle des futurs jumeaux, sont convoqués au Xibalba pour affronter les puissances

de l’inframonde sur le terrain de jeu de balle. Ils tombent dans les pièges tendus par les

seigneurs du Xibalba et sont mis à mort. La tête de Hun Junajpu est coupée et accrochée à

la fourche d’un arbre, lequel se met immédiatement à donner des fruits semblables à des

callebasses. Inquiets de la fertilité soudaine de cet arbre, les seigneurs de Xibalba en

interdisent l’accès mais Xquic, la fille de l’un d’entre eux, s’en approche quand même.

La tête /fruit de Junajpu lui crache dans la main et la met enceinte 76. Le tzompantli est

comme un arbre à crânes et les têtes accrochées à ses branches sont comme des fruits 77.

L’os est comparé au noyau du fruit, il est future semence 78. Les têtes des captifs /

guerriers sacrifiés sont accrochées sur le tzompantli, comme les fruit d’un arbre, pour

signifier leur future renaissance. Comme l’a proposé Guilhem Olivier, c’est peut-être

avec une signification similaire que le malteotl était suspendu dans le patio des maisons

des guerriers 79.

Il est bien démontré que pour les Aztèques la mort n’était pas l’anéantissement de

tout mais le début d’un processus de renaissance. L’aspect fécondant de la mort, si nette

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         p. 12 ; N. RAGOT, « Les Tzompantli de Tenochtitlan », dans J. CONTEL (éd.), Mémoire d'ici et d'ailleurs. Hommage à Ernest T. Hamy (1842-1908), sous presse. 74 Códice Vaticanus A, op. cit., pl. 57r, p. 265 ; T. MOTOLINIA, Memoriales, op. cit., p. 74. 75 A. VILLAGRA CALETI, « Mural Painting in Central Mexico » dans R. WAUCHOPE – G. R. WILLEY (éds.), Handbook of Middle American Indians, Austin, University of Texas Press, 1971, vol. 10 (1), p. 135-156, fig. 27. D’autres exemples d’arbres à crânes apparaissent dans les codex (Codex Borgia, pl. 19, 45, 49, 50, 51, 52). 76 Popol Vuh, El libro del albor de la vida y las glorias de dioses y reyes, D. TEDLOCK (éd.), Mexico, Diana, 1993, p. 102-106. 77 M. GRAULICH, Le sacrifice humain, op. cit., p 265-267, 321. 78 M. GRAULICH, Mythes et rituels, op. cit., p. 113. 79 G. OLIVIER, « Le cerf et le roi : modèle sacrificiel et rite d’intronisation dans l’ancien Mexique », Journal de la Société des Américanistes 94-1 (2008), p. 200.

dans les mythes, apparaît également dans les rapports avec les défunts. On faisait appel à

eux en huey miccahuitl pour féconder la terre et assurer la continuation du monde, les

ossements des guerriers défunts étaient suspendus comme des fruits dans le possible

espoir de leur « renouvellement ».