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PROTECTION DES DONNEacuteES PERSONNELLES
CONCILIATION AVEC DrsquoAUTRES DROITS
FONDAMENTAUX
Par Nelson Rodrigues
I PARCOURS HISTORIQUE ET CADRE NORMATIF 1 Origine et eacutevolution 2 Encadrement de la probleacutematique II CONCILIATION AVEC
DrsquoAUTRES DROITS FONDAMENTAUX 1 Liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation 11 Signification et contours
jurisprudentiels 12 Problegravemes poseacutes par la Directive 9546CE 13 Conciliation avec la protection des donneacutees personnelles
131 Liberteacute drsquoexpression 132 Accegraves agrave lrsquoinformation 2 Droit de proprieacuteteacute 21 Protection nationale et internationale
22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles 221 Description de la probleacutematique
222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion 223 Validiteacute de lrsquointrusion 23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive
9546CE 24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement 3 Liberteacute drsquoentreprise 31 Contexte 32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement 322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute 323 Dispositions additionnelles contenues
dans le Regraveglement 33 Jurisprudence de la CeDH III CONCLUSIONS 1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CEDH 2 Sur
les contributions du Regraveglement
____________________________
Reacutesumeacute Le preacutesent article a pour objectif drsquoillustrer la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees
personnelles et drsquoautres droits fondamentaux Lrsquoanalyse est centreacutee sur les dispositions de la Directive 9546CE
la jurisprudence de la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne et de la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme
ainsi que les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement (UE) 2016679
Mots-clefs protection des donneacutees personnelles liberteacute drsquoexpression accegraves agrave lrsquoinformation droit de proprieacuteteacute
liberteacute drsquoentreprise Directive 9546CE Regraveglement (UE) 2016679
Abstract The aim of this article is to illustrate the conciliation between the right to data protection and other
fundamental rights The provisions of Directive 9546EC the case law of the European Court of Justice and the
European Court of Human Rights as well as the new arrangements introduced by Regulation (EU) 2016679
constitute the main sources of this work
Keywords protection of personal data freedom of expression and information right to property freedom to
conduct a business Directive 9546EC Regulation (EU) 2016679
I PARCOURS HISTORIQUE ET CADRE NORMATIF
1 Origine et eacutevolution
Tant lrsquoorigine que lrsquoeacutevolution du droit fondamental agrave la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel ne sont pas pacifiques1 Alors que certains signalent la deuxiegraveme moitieacute des anneacutees
1 Pour une vue drsquoensemble sur la protection des donneacutees en Europe voir le Manuel de droit europeacuteen en matiegravere
de protection des donneacutees (2014) eacutelaboreacute par lrsquoAgence des Droits Fondamentaux de lrsquoUnion Europeacuteenne et le
Conseil de lrsquoEurope en association avec le greffe de la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme
2
soixante-dix comme lrsquoeacutetape fondatrice drsquoautres situent lrsquoembryon de cette discipline le 31
janvier 1968 avec la Recommandation 509 du Conseil de lrsquoEurope2
Indeacutependamment de lrsquoanneacutee de deacutebut les premiers pas du droit agrave la protection des donneacutees
personnelles se trouvent eacutetroitement lieacutes aux notions drsquointimiteacute ou de vie priveacutee De nombreux
exemples deacutemontrent ce lien
- la Privacy Act adopteacutee aux Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique en 1974 exprime la deacutependance
entre les deux figures3thinsp
- dans le continent europeacuteen la protection des donneacutees personnelles se cristallise agrave travers
la Convention 108 du Conseil de lrsquoEurope4 et lrsquoart 8 de la Convention Europeacuteenne des
Droits de lrsquoHomme (CEDH)5thinsp
- en ce qui concerne lrsquoUnion Europeacuteenne une importante partie de ses Eacutetats membres6
ne consacre pas au niveau constitutionnel un droit fondamental agrave la protection des
donneacutees personnelles sinon que sa reconnaissance se produit de maniegravere geacuteneacuterale agrave
partir du droit agrave lrsquointimiteacute ou agrave la vie priveacutee
Lrsquoabsence drsquoautonomie qui caracteacuterise le droit agrave la protection des donneacutees personnelles
nrsquoeacutequivaut pas agrave un manque drsquoaction de la part des Eacutetats Elle reflegravete entre autres choses le
stade de leur deacuteveloppement technique et eacuteconomique Agrave lrsquoeacutepoque de reacutedaction des premiegraveres
Constitutions europeacuteennes post-Seconde Guerre mondiale la protection des donneacutees
personnelles nrsquoy trouve pas de mateacuterialisation en raison de la faible importance attacheacutee agrave
lrsquoinformatique Ce panorama srsquoeacutetend aux deacutecennies suivantes malgreacute la de plus en plus visible
prise de conscience au sein des Eacutetats et des institutions europeacuteennes en ce qui concerne les
dangers lieacutes aux avanceacutees technologiques7
2 Recommandation 509 (1968) laquothinspDroits de lrsquohomme et reacutealisations scientifiques et technologiques modernesthinspraquo qui
met en eacutevidence les dangers que supposent pour la vie priveacutee les derniegraveres reacutealisations scientifiques et
technologiques 3 Adopteacutee le 31 deacutecembre 1974 la Privacy Act a pour objectif la sauvegarde de la vie priveacutee des individus face agrave
lrsquousage frauduleux de fichiers feacutedeacuteraux La relation entre vie priveacutee et donneacutees personnelles est explicitement
reconnue par le Congregraves eacutetats-unien qui dans lrsquoexposeacute de motifs de la loi constate que la vie priveacutee des individus
est directement affecteacutee par la collecte maintenance utilisation et diffusion drsquoinformations personnelles par les
agences feacutedeacuterales 4 Convention pour la protection des personnes agrave lrsquoeacutegard du traitement automatiseacute des donneacutees agrave caractegravere
personnel en vigueur depuis le 1 octobre 1985 5 Lrsquoarticle 8 de la CEDH assure le respect de la vie priveacutee et familiale Cette preacutevision leacutegale a eacuteteacute utiliseacutee par la
Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (affaires Amann c Suisse Rotaru c Roumanie et S et Marper c
Royaume-Uni entre autres) pour inclure dans son champ drsquoapplication la tutelle des donneacutees agrave caractegravere
personnel 6 Dans une grande partie des textes constitutionnels europeacuteens la protection des donneacutees personnelles nrsquoest qursquoun
reflet du droit agrave la vie priveacutee Crsquoest le cas entre autres de la France (ougrave le droit agrave la vie priveacutee trouve sa raison
drsquoecirctre dans lrsquoart 4 de la Deacuteclaration des Droits de lrsquoHomme et du Citoyen de 1789 bien que son expression litteacuterale
figure agrave lrsquoart 9 du Code Civil) la Belgique (art 22 de la Constitution belge de 1831) lrsquoEspagne (art 18 de la
Constitution espagnole de 1978) et le Luxembourg (art 113 de la Constitution luxembourgeoise) Par contre la
Constitution grecque de 1975 deacutedie son art 9 A agrave la protection des donneacutees personnelles et attribue agrave une autoriteacute
indeacutependante la garantie de son efficaciteacute La Constitution portugaise de 1976 va un peu plus loin en preacutevoyant agrave
son art 35 le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et en eacutetablissant une seacuterie de principes constitutionnels
qui doivent ecirctre respecteacutes par les pouvoirs publics lorsqursquoune mesure dans ce domaine est envisageacutee 7 Crsquoest agrave partir des anneacutees soixante-dix que les Eacutetats de lrsquoEurope occidentale commencent agrave dicter leurs premiegraveres
lois sur la protection des donneacutees personnelles lrsquoAllemagne en 1977 avec la Bundesdatenschutzgesetz la
France en 1978 avec la Loi ndeg 8-17 relative agrave lrsquoinformatique aux fichiers et aux liberteacutes ou lrsquoAutriche aussi en
1978 avec la Datenschutzgesetz entre autres Parallegravelement en 1981 est adopteacutee au sein du Conseil de lrsquoEurope
3
Ce nrsquoest qursquoagrave partir de la fin des anneacutees quatre-vingt-dixdeacutebut du XXIe siegravecle que la protection
des donneacutees personnelles commence agrave se disjoindre de la vie priveacutee drsquoabord avec lrsquoadoption
de la Directive 9546CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative agrave
la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel
et agrave la libre circulation de ces donneacutees (ci-apregraves laquothinspla Directivethinspraquo)thinsp ensuite avec la proclamation
en 2000 de la Charte des Droits Fondamentaux de lrsquoUnion Europeacuteenne (CDFUE) dont lrsquoarticle
8 confirme lrsquoindeacutependance de ce droitthinsp finalement avec le Traiteacute de Lisbonne qui consacre la
protection des donneacutees explicitement8 et qui dote la CDFUE de force juridique contraignante9
Lrsquoeacutepoque ougrave ces mesures sont adopteacutees nrsquoa rien drsquoanodin lrsquoutilisation drsquoInternet se geacuteneacuteralise
de plus en plus tandis que les grandes entreprises qui domineront la sphegravere numeacuterique dans les
anneacutees qui suivent font leur apparition sur la toile
Durant les derniegraveres anneacutees les institutions europeacuteennes ont rendu publique leur intention de
renouveler lrsquoencadrement leacutegal de la protection des donneacutees avec lrsquoapprobation drsquoun regraveglement
geacuteneacuteral qui abrogerait la Directive Adopteacute par le Parlement Europeacuteen le 14 avril dernier
conformeacutement agrave lrsquoart 2947a) du Traiteacute de Fonctionnement de lrsquoUnion Europeacuteenne le nouveau
Regraveglement (UE) 2016679 du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif agrave la
protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel
et agrave la libre circulation de ces donneacutees et abrogeant la Directive 9546CE (Regraveglement geacuteneacuteral
sur la protection des donneacutees)10 (ci-apregraves laquothinsple Regraveglementthinspraquo)11 a pour objectif de mettre agrave jour
les normes relatives agrave la protection des donneacutees et drsquoaccorder agrave lrsquoespace europeacuteen une plus
grande seacutecuriteacute juridique12 tout en preacuteservant les garanties des individus Toutefois son
application effective est diffeacutereacutee jusqursquoen mai 2018 (art 99)
2 Encadrement de la probleacutematique
La probleacutematique qui oppose le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel agrave lrsquoexercice
drsquoautres droits fondamentaux nrsquoest pas eacutetrangegravere agrave la Directive Le leacutegislateur europeacuteen a su
la Convention pour la protection des personnes agrave lrsquoeacutegard du traitement automatiseacute des donneacutees agrave caractegravere
personnel texte qui sera repris comme source drsquoinspiration pour reacutediger la Directive 9546CE 8 Article 161 du Traiteacute sur le Fonctionnement de lrsquoUnion Europeacuteenne qui octroie agrave lrsquoUnion Europeacuteenne une base
de compeacutetence exclusive en la matiegravere 9 Article 61 du Traiteacute sur lrsquoUnion Europeacuteenne 10 JO L 119 du 4 avril 2016 pp 1-88 11 Pour une vision critique sur les nouveauteacutes apporteacutees par le projet de Regraveglement voir FALQUE-PIERROTIN
Isabelle Quelle protection europeacuteenne pour les donneacutees personnelles Fondation Robert Schuman 2012 Drsquoun
point de vue eacuteconomique voir CAUCHOIS Remi laquothinspLa protection des donneacutees personnelles en Europe et la
compeacutetitiviteacute des entreprises europeacuteennesthinspraquo en Quelle protection des donneacutees personnelles en Europe (Dir
Ceacuteline Castets-Renard) Larcier 2015 pp 157-164 12 La fragmentation juridique provoqueacutee par la transposition de la Directive constitue selon la Commission
Europeacuteenne lrsquoune des raisons qui motivent un nouvel encadrement pour la protection des donneacutees Cependant
cette affirmation se heurte au contenu des dispositions du Regraveglement Trois aspects doivent ecirctre signaleacutes
lrsquoutilisation de concepts juridiques indeacutetermineacutes qui rend lrsquoapplication du regraveglement extrecircmement probleacutematique
(crsquoest le cas notamment de la notion de suivi du comportement preacutesente agrave lrsquoart 32b) du Regraveglement relatif agrave son
champ drsquoapplication territorial)thinsp les multiples deacuteleacutegations reacutealiseacutees agrave la Commission et aux Eacutetats membres afin de
preacuteciser certaines dispositions qui intensifiera la complexiteacute leacutegale de cette matiegraverethinsp la porteacutee limiteacutee du
Regraveglement qui nrsquoaffecte pas drsquoautres actes leacutegislatifs europeacuteens dans le domaine de la protection des donneacutees
(dont la Directive 200258CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement
des donneacutees agrave caractegravere personnel et la protection de la vie priveacutee dans le secteur des communications
eacutelectroniques)
4
dans ce sens identifier des situations conflictuelles et offrir des remegravedes relativement
efficaces13
Parmi les dispositions de la Directive qui manifestent la tension entre le droit agrave la protection
des donneacutees personnelles et drsquoautres droits fondamentaux la premiegravere qui meacuterite reacuteflexion est
lrsquoart 7f) Cette preacutevision reproduite dans lrsquoart 61f) du Regraveglement autorise le traitement de
donneacutees personnelles si la satisfaction drsquoun inteacuterecirct leacutegitime du responsable le rend neacutecessaire
et agrave condition que les droits et les inteacuterecircts du titulaire des donneacutees ne preacutevalent pas Comme la
jurisprudence de la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne (CJUE) nous le montrera un peu
plus tard les droits fondamentaux sont susceptibles drsquoecirctre inseacutereacutes dans le concept drsquointeacuterecirct
leacutegitime du responsable
Agrave lrsquoart 7f) srsquoajoute lrsquoart 8 de la Directive (art 9 du Regraveglement) qui apregraves avoir eacutetabli une
interdiction geacuteneacuterale concernant le traitement de certaines cateacutegories de donneacutees preacutevoit des
exceptions relatives notamment agrave la sauvegarde drsquoun inteacuterecirct vital du titulaire des donneacutees14 (art
82c) repris dans lrsquoart 92c) du Regraveglement) Cependant crsquoest lrsquoart 9 de la Directive (art 85
du Regraveglement) qui de la maniegravere la plus nette reflegravete cette dispute en obligeant les Eacutetats
membres agrave preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de
concilier le droit agrave la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression15 La
dimension de la probleacutematique nrsquoest toutefois pas circonscrite aux seules dispositions de la
Directive drsquoautres droits fondamentaux non expresseacutement viseacutes par celle-ci sont susceptibles
drsquoentrer en conflit avec le droit agrave la protection des donneacutees personnelles ce qui rend neacutecessaire
une analyse plus approfondie de la matiegravere
La conciliation entre droits fondamentaux impose des restrictions devant en toute hypothegravese
satisfaire certaines conditions drsquoordre geacuteneacuteral contenues dans la CEDH et dans lrsquoart 521 de la
CDFUE16 Les exigences qui doivent ecirctre observeacutees sont au nombre de trois la preacutesence drsquoune
raison leacutegitimant les restrictions une preacutevision leacutegale expresse ainsi qursquoun jugement de
proportionnaliteacute entre la mesure adopteacutee et lrsquoobjectif poursuivi qui devra en tout cas respecter
le contenu essentiel du droit limiteacute Soulignons que de telles exigences sont requises non
seulement lorsqursquoun droit fondamental subit une restriction neacutecessaire pour preacuteserver le droit agrave
la protection des donneacutees personnelles mais aussi lorsque la situation est inverseacutee
13 Comme lrsquoa deacutejagrave exprimeacute la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne le leacutegislateur europeacuteen srsquoest efforceacute de
concilier les dispositions de la Directive avec drsquoautres droits fondamentaux susceptibles drsquoecirctre affecteacutes par son
application (affaire C-10101 laquothinspBodil Lindqvistthinspraquo sectsect 84 et 90) 14 Lrsquoart 82c) de la Directive ne constitue pas la seule base juridique qui leacutegitime le traitement de donneacutees afin de
sauvegarder un inteacuterecirct vital de son titulaire Comme lrsquoa deacutejagrave eacutevoqueacute la CJUE la protection de la vie et de lrsquointeacutegriteacute
physique peut excuser sous la base de lrsquoart 7f) de la Directive des opeacuterations de traitement de donneacutees
appartenant agrave des tiers (affaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo sect 34)
Signalons en tout cas que cet obiter dicta est dans une certaine mesure conditionneacute par les faits du cas drsquoespegravece 15 Il srsquoagit selon la CJUE drsquoune veacuteritable obligation juridique (affaire C-47312 laquothinspInstitut professionnel des agents
immobiliers c Geoffrey Englebert et autresthinspraquo sect 33) vision qui srsquoaccommode agrave la doctrine de la Cour Europeacuteenne
des Droits de lrsquoHomme dans la mesure ougrave elle impose aux Eacutetats signataires de la CEDH lrsquoadoption drsquoun cadre
juridique approprieacute agrave lrsquoexercice des droits y reconnus (voir entre autres lrsquoarrecirct de la Cour Europeacuteenne des Droits
de lrsquoHomme du 26 mars 1986 dans lrsquoaffaire X et Y c Pays-Bas sect 23) 16 Rappelons que selon lrsquoart 523 de la CDFUE le sens et la porteacutee des droits contenus dans son texte seront les
mecircmes que ceux confeacutereacutes par la CEDH sans que cela ne puisse empecirccher le droit de lrsquoUE drsquoaccorder une
protection plus eacutetendue
5
Dans les pages qui suivent nous analyserons lrsquoapplication des critegraveres de conciliation effectueacutee
par la CJUE et la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CeDH)17 Notre exposeacute se centrera
sur le conflit entre le droit agrave la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel et trois autres droits
fondamentaux la liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation le droit de proprieacuteteacute et la
liberteacute drsquoentreprise
II CONCILIATION AVEC DrsquoAUTRES DROITS FONDAMENTAUX
1 Liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation
11 Signification et contours jurisprudentiels
La liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constitue lrsquoune des manifestations les plus
embleacutematiques drsquoun Eacutetat de Droit Consacreacutee agrave lrsquoart 10 de la CEDH et agrave lrsquoart 11 de la CDFUE
elle repreacutesente une liberteacute individuelle fondamentale ainsi qursquoun meacutecanisme indispensable pour
controcircler lrsquoaction des autoriteacutes publiques Le rocircle joueacute par cette liberteacute est tel que les restrictions
eacutetablies par le leacutegislateur arrivent mecircme agrave ecirctre examineacutees avec une preacutesomption
drsquoinconstitutionnaliteacute18
En ce qui concerne la liberteacute drsquoexpression la CeDH lui octroie une protection speacutecialement
large en incluant une vaste eacutetendue drsquoeacutemanations sur la base des valeurs de pluraliteacute de
toleacuterance et drsquoouverture drsquoesprit sans lesquelles une socieacuteteacute ne pourrait ecirctre consideacutereacutee comme
deacutemocratique19 Son exercice beacuteneacuteficie en outre drsquoune tutelle plus accentueacutee dans le domaine
politique20 Le fait que lrsquoobjectif poursuivi par celui qui lrsquoexerce soit de nature lucrative21 ou
qursquoInternet soit le moyen de diffusion utiliseacute22 nrsquoobstrue pas lrsquoapplication de la CEDH Par
ailleurs la CeDH a imposeacute aux Eacutetats lrsquoobligation de se doter drsquoun cadre leacutegislatif offrant des
garanties suffisantes tout en respectant lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse et le devoir
drsquoinvoquer un besoin impeacuterieux pour eacutetablir des restrictions jugeacutees neacutecessaires23
La liberteacute drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation a agrave son tour subi une eacutevolution jurisprudentielle
significative De lrsquoabsence de lrsquoobligation de faciliter la diffusion de lrsquoinformation de la part de
lrsquoEacutetat24 nous sommes passeacutes agrave un veacuteritable droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation25 La liberteacute drsquoaccegraves
concerne le contenu de lrsquoinformation ainsi que les moyens de transmission dont Internet
17 Nous utiliserons les abreacuteviations CeDH et CEDH pour distinguer la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme
(CeDH) de la Convention Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CEDH) 18 Telle est la position assumeacutee par la Cour Suprecircme des Eacutetats-Unis de lrsquoAmeacuterique (arrecirct du 30 juin 1976 dans
lrsquoaffaire Nebraska Press Assn v Stuart sect V entre autres) Pour une vision geacuteneacuterale sur la liberteacute drsquoexpression
aux Eacutetats-Unis voir MUHLMANN DECAUX amp ZOLLER La liberteacute drsquoexpression Dalloz 2016 pp 179-224 19 Arrecirct de la CeDH du 16 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Aleksey Ovchinnikov c Russie (sect 39) Lrsquoideacutee est reprise
par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27499 laquothinspBernard Connolly c Commissionthinspraquo (sect 39) 20 Arrecirct de la CeDH du 7 feacutevrier 2012 dans lrsquoaffaire Axel Springer AG c Allemagne (sect 90) 21 Arrecirct de la CeDH du 10 janvier 2013 dans lrsquoaffaire Ashby Donald et autres c France (sect 34) 22 Arrecirct de la CeDH du 16 juin 2015 dans lrsquoaffaire Delfi AS c Estonie (sect 110) 23 Arrecirct de la CeDH du 5 mai 2011 dans lrsquoaffaire Comiteacute de reacutedaction de Pravoye Delo et Shtekel c Ukraine (sectsect
47-68) De la mecircme faccedilon srsquoest prononceacutee la CJUE (entre autres affaire C-7102 laquothinspHerbert Karner Industrie-
Auktionen GmbH c Troostwijk GmbHthinspraquo sect 50) 24 Arrecirct de la CeDH du 19 octobre 2005 dans lrsquoaffaire Roche c Royaume-Uni (sect 172) 25 Arrecirct de la CeDH du 28 novembre 2013 dans lrsquoaffaire Oumlsterreichische Vereinigung zur Erhaltung Staumlrkung
und Schaffung c Autriche (sect 41)
6
assume une position centrale26 Cependant des restrictions sont admissibles si une raison
drsquointeacuterecirct public les rend indispensables27
12 Problegravemes poseacutes par la Directive 9546CE
Comme nous lrsquoavons deacutejagrave mentionneacute la Directive preacutevoit dans son article 9 lrsquoobligation de la
part des Eacutetats membres drsquointroduire des exceptions agrave certaines de ses normes de maniegravere agrave
concilier la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Cette obligation
pose neacuteanmoins quelques problegravemes de coordination et de nature interpreacutetative
Les difficulteacutes interpreacutetatives reacutesultent du fait que les exceptions doivent reacutepondre agrave des fins de
journalisme28 ou drsquoexpression artistique ou litteacuteraire Cependant les notions de journalisme et
drsquoexpression artistique ou litteacuteraire ne sont pas deacutefinies par la Directive bien que la CJUE ait
deacutejagrave exprimeacute la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation large29 Ce critegravere reste toutefois impreacutecis et
donne aux Eacutetats membres une marge drsquoappreacuteciation non neacutegligeable30
Outre son interpreacutetation la Directive laisse aux Eacutetats membres la possibiliteacute drsquoeacutetablir des
exceptions agrave condition drsquoecirctre neacutecessaires pour concilier la protection des donneacutees avec la liberteacute
drsquoexpression Cela a pour conseacutequence la fragmentation de lrsquoespace juridique europeacuteen car
chaque Eacutetat deacutetient le pouvoir drsquoeacutetablir les exceptions qursquoil considegravere comme opportunes Le
Regraveglement aborde cette probleacutematique dans son art 851 en obligeant les Eacutetats membres agrave
preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de concilier la
protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Les concepts de journalisme
et drsquoexpression artistique et litteacuteraire sont repris par le Regraveglement auxquels srsquoajoute celui
drsquoexpression universitaire mais sans qursquoaucune deacutefinition qui permette de les preacuteciser ne soit
offerte En outre le nouveau texte europeacuteen impose aux Eacutetats membres lrsquoobligation de notifier
agrave la Commission les dispositions normatives adopteacutees en vertu de lrsquoart 851 (art 853) ce qui
aidera agrave mieux coordonner les regravegles nationales au fur et agrave mesure qursquoelles seront adopteacutees
13 Conciliation avec la protection des donneacutees personnelles
131 Liberteacute drsquoexpression
La conciliation entre la liberteacute drsquoexpression et la protection des donneacutees personnelles implique
le besoin drsquoeacuteriger certaines restrictions Ces restrictions doivent en tout cas respecter les
conditions imposeacutees par les arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE Par contre si les
limitations affectent la liberteacute drsquoexpression nous devrons faire appel agrave lrsquoart 102 de la CEDH
ainsi qursquoagrave la CDFUE
En ce qui concerne la CJUE lrsquoeacutetablissement de restrictions agrave la protection des donneacutees au profit
de la liberteacute drsquoexpression a eacuteteacute examineacute de maniegravere partielle dans lrsquoaffaire C-7307
26 La fonction remplie par Internet est essentielle pour une socieacuteteacute deacutemocratique car selon la CeDH il srsquoagit drsquoun
moyen qui contribue grandement agrave la preacuteservation et agrave lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoactualiteacute et des informations (arrecirct du 10
mars 2009 dans lrsquoaffaire Times Newspapers Ltd c Royaume-Uni sect 45) 27 Arrecirct de la CeDH du 27 novembre 2007 dans lrsquoaffaire Timpul Info-Magazin et Anghel c Moldova (sect 31) 28 Sur le concept de journalisme voir VAN ENIS Quentin La liberteacute de la presse agrave lrsquoegravere numeacuterique Larcier
2015 pp 569 sqq 29 Affaire C-7307 laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo sect 56 30 Lrsquoagence britannique de protection des donneacutees (ICO) a reacutealiseacute un important effort de clarification du concept
de journalisme agrave travers son guide laquothinspData protection and journalism a guide for the mediaraquo
7
laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo Bien que les
conditions pour beacuteneacuteficier de la liberteacute drsquoexpression soient interpreacuteteacutees drsquoune maniegravere similaire
agrave celle de la CeDH31 la CJUE estime que le fait drsquoappreacutecier si une exception a eacuteteacute formuleacutee
dans les limites du strict neacutecessaire relegraveve de la compeacutetence des Eacutetats membres sans qursquoaucune
mention aux arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE ne soit effectueacutee Par ailleurs la CJUE
juge que la seule divulgation au public drsquoinformations drsquoopinions ou drsquoideacutees constitue un motif
suffisant pour qursquoune activiteacute beacuteneacuteficie du titre de journalisme sans analyser si la publication
remplit une mission drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui puisse justifier des restrictions au droit agrave la protection
des donneacutees personnelles
Contrairement agrave la CJUE la CeDH a deacuteveloppeacute une ample jurisprudence sous lrsquoangle de lrsquoart
8 de la CEDH Lrsquoabsence drsquoune preacutevision speacutecifique sur la protection des donneacutees personnelles
ne repreacutesente pas un obstacle pour la CeDH qui offre une protection effective fondeacutee sur le
droit agrave la vie priveacutee
Le raisonnement de la CeDH srsquoinaugure avec la constatation drsquoune ingeacuterence dans la vie priveacutee
Cette constatation se produit drsquoune faccedilon assez geacuteneacutereuse et rappelle la souplesse qui caracteacuterise
la notion de traitement de donneacutees consacreacutee agrave lrsquoart 2b) de la Directive32
Ensuite la CeDH examine si lrsquoingeacuterence est admissible agrave la lumiegravere de lrsquoart 82 de la CEDH
Le premier pas consiste agrave deacuteterminer si lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse a eacuteteacute remplie
par le leacutegislateur tant du point de vue formel que mateacuteriel33 Une fois que cela a eacuteteacute constateacute
la CeDH analyse si lrsquoingeacuterence est neacutecessaire agrave la protection de la liberteacute drsquoexpression et
conforme au principe de proportionnaliteacute Pour y parvenir la CeDH srsquoappuie sur une seacuterie de
critegraveres deacuteveloppeacutes par sa propre jurisprudence lrsquoeacuteleacutement central de son jugement eacutetant le fait
que lrsquoinformation divulgueacutee soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible drsquoouvrir un deacutebat inteacuterecirct
geacuteneacuteral34 La liste des critegraveres appliqueacutes par la CeDH nrsquoest en aucun cas exhaustive sinon
indicative et en eacutetroite deacutependance des circonstances concregravetes de chaque cas Cela explique
qursquoaux lignes exposeacutees dans lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne35 se soient ajouteacutees drsquoautres
31 En effet la CJUE rappelle que la liberteacute drsquoexpression srsquoapplique non seulement aux entreprises de meacutedia mais
eacutegalement agrave toute personne exerccedilant une activiteacute de journalisme (sect 58) qursquoune fin lucrative nrsquoexclut a priori pas
sa compatibiliteacute avec ladite liberteacute (sect 59) et que le support utiliseacute pour srsquoexprimer ne constitue pas un critegravere
deacuteterminant pour appreacutecier srsquoil srsquoagit drsquoune activiteacute journalistique (sect 60) 32 Les situations qui selon la CeDH constituent une ingeacuterence dans la vie priveacutee se caracteacuterisent par le fait drsquoecirctre
agrave diverses occasions subsumables dans le concept de traitement de donneacutees personnelles preacutevu agrave lrsquoart 2b) de la
Directive Ainsi la CeDH a consideacutereacute que la surveillance par GPS et le traitement des donneacutees obtenues par ce
moyen constituaient une ingeacuterence dans la vie priveacutee (arrecirct du 2 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Uzun c Allemagne)
Cette affirmation est reprise pour les eacutechantillons vocaux (arrecirct du 25 septembre 2001 dans lrsquoaffaire PG et JH
c Royaume-Uni) la surveillance videacuteo (arrecirct du 17 octobre 2003 dans lrsquoaffaire Perry c Royaume-Uni) les
traitements agrave des fins journalistiques (arrecirct du 9 octobre 2012 dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie) ou les eacutevaluations
administratives (arrecirct du 29 juillet 2014 dans lrsquoaffaire LH c Lettonie) 33 Pour que lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse soit remplie la CeDH impose deux conditions que
lrsquoinstrument utiliseacute revecircte un caractegravere normatif (eacuteleacutement formel) et que les conseacutequences deacutecoulant de son
application soient suffisamment preacutevisibles (eacuteleacutement mateacuteriel) bien que lrsquousage de concepts juridiques
indeacutetermineacutes soit admissible (arrecirct du 6 avril 2010 dans lrsquoaffaire Flinkkilauml et autres c Finlande sectsect 63-65) 34 Qursquoune publication soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible de promouvoir un deacutebat drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral deacutepend des
circonstances entourant chaque cas Neacuteanmoins la CeDH a deacutejagrave reconnu lrsquoexistence drsquoun inteacuterecirct geacuteneacuteral lorsque
la publication portait sur des affaires politiques peacutenales ou mecircme sportives et artistiques (affaire Axel Springer
AG c Allemagne sect 90) 35 Lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne (7 feacutevrier 2012) expose les critegraveres geacuteneacuteralement citeacutes par la CeDH pour
concilier la vie priveacutee avec la liberteacute drsquoexpression (sectsect 109-113) lrsquoouverture drsquoun deacutebat public le rocircle joueacute par un
8
telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la
bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37
Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec
lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites
lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire
impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de
qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de
diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication
affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la
CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat
drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu
132 Accegraves agrave lrsquoinformation
Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres
signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees
opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct
public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43
La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit
deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la
structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la
limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe
de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par
la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees
Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de
lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct
geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave
travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute
individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi
que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la
divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8
de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute
jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei
GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees
appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la
requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une
finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour
objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3
septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave
lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars
2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres
9
Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions
reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment
contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45
La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112
laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja
Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence
du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part
des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent
beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie
entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et
14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave
leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en
raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant
agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees
agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur
lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition
Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des
donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis
pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de
44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et
Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par
lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute
avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du
Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du
Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes
C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm
et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de
vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur
la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession
des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du
Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si
le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001
relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les
institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement
ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de
la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des
moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir
BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol
82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit
agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du
droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir
Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the
implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia
Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport
adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The
Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)
10
censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner
davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable
face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de
savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des
donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave
lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute
drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute
de maniegravere expresse
2 Droit de proprieacuteteacute
21 Protection nationale et internationale
Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute
constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des
principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52
En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans
les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international
dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17
de la CDFUE
Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une
attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce
domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55
22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles
221 Description de la probleacutematique
Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle
Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour
permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement
50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions
drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les
affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier
voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge
de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario
Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection
renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee
attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est
soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte
espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est
lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de
proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la
Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects
du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement
Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle
11
elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres
droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56
Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux
P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de
fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de
contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de
maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant
lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les
tiers qui les conservent
Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux
questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la
confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui
la permettent
222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion
Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des
fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la
protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la
confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler
des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour
sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute
intellectuelle58
Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au
respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les
Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des
tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive
affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions
leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette
clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea
c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la
communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE
souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave
56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER
Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property
Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute
intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder
la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et
la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques
comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54
12
que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le
contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par
conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge
ex nihilo
La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun
certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs
qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de
vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme
temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8
de la CDFUE
Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes
offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par
accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction
Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour
assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa
compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de
maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65
223 Validiteacute de lrsquointrusion
Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de
proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des
donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions
eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale
expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66
61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c
Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden
ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de
Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la
confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la
fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette
approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source
valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national
srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque
cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette
solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE
ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect
20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en
une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres
(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit
deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute
proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats
membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est
eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE
13
La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete
lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire
Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats
membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents
droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation
srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures
adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c
Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une
disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de
contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un
juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle
Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence
drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter
lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients
occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de
proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68
Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et
conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent
garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir
toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives
Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs
compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten
en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un
fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications
eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas
lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en
plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69
23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE
Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de
protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70
habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation
67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche
dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune
disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour
refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait
pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait
par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40
et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55
14
drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent
pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71
Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en
fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir
compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la
CDFUE72
La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun
examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad
pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que
le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave
travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement
consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73
24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement
Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons
signaleacutees sont reacuteduites mais significatives
En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement
semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la
Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat
membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont
neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles
restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute
deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le
Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative
adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du
traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation
Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision
en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant
3 Liberteacute drsquoentreprise
31 Contexte
La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute
drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des
restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave
71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime
poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par
le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir
drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1
du Protocole)
15
lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant
lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques
Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi
de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas
exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75
Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit
fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76
Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et
jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave
compleacuteter notre analyse
32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement
Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune
opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations
preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre
susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee
(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la
reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo
(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du
deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes
attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a
75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce
par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave
ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)
Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de
donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et
C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c
Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de
diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi
(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les
preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors
de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le
cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations
de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences
que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre
la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees
sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles
Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de
reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les
obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est
autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
17
de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
2
soixante-dix comme lrsquoeacutetape fondatrice drsquoautres situent lrsquoembryon de cette discipline le 31
janvier 1968 avec la Recommandation 509 du Conseil de lrsquoEurope2
Indeacutependamment de lrsquoanneacutee de deacutebut les premiers pas du droit agrave la protection des donneacutees
personnelles se trouvent eacutetroitement lieacutes aux notions drsquointimiteacute ou de vie priveacutee De nombreux
exemples deacutemontrent ce lien
- la Privacy Act adopteacutee aux Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique en 1974 exprime la deacutependance
entre les deux figures3thinsp
- dans le continent europeacuteen la protection des donneacutees personnelles se cristallise agrave travers
la Convention 108 du Conseil de lrsquoEurope4 et lrsquoart 8 de la Convention Europeacuteenne des
Droits de lrsquoHomme (CEDH)5thinsp
- en ce qui concerne lrsquoUnion Europeacuteenne une importante partie de ses Eacutetats membres6
ne consacre pas au niveau constitutionnel un droit fondamental agrave la protection des
donneacutees personnelles sinon que sa reconnaissance se produit de maniegravere geacuteneacuterale agrave
partir du droit agrave lrsquointimiteacute ou agrave la vie priveacutee
Lrsquoabsence drsquoautonomie qui caracteacuterise le droit agrave la protection des donneacutees personnelles
nrsquoeacutequivaut pas agrave un manque drsquoaction de la part des Eacutetats Elle reflegravete entre autres choses le
stade de leur deacuteveloppement technique et eacuteconomique Agrave lrsquoeacutepoque de reacutedaction des premiegraveres
Constitutions europeacuteennes post-Seconde Guerre mondiale la protection des donneacutees
personnelles nrsquoy trouve pas de mateacuterialisation en raison de la faible importance attacheacutee agrave
lrsquoinformatique Ce panorama srsquoeacutetend aux deacutecennies suivantes malgreacute la de plus en plus visible
prise de conscience au sein des Eacutetats et des institutions europeacuteennes en ce qui concerne les
dangers lieacutes aux avanceacutees technologiques7
2 Recommandation 509 (1968) laquothinspDroits de lrsquohomme et reacutealisations scientifiques et technologiques modernesthinspraquo qui
met en eacutevidence les dangers que supposent pour la vie priveacutee les derniegraveres reacutealisations scientifiques et
technologiques 3 Adopteacutee le 31 deacutecembre 1974 la Privacy Act a pour objectif la sauvegarde de la vie priveacutee des individus face agrave
lrsquousage frauduleux de fichiers feacutedeacuteraux La relation entre vie priveacutee et donneacutees personnelles est explicitement
reconnue par le Congregraves eacutetats-unien qui dans lrsquoexposeacute de motifs de la loi constate que la vie priveacutee des individus
est directement affecteacutee par la collecte maintenance utilisation et diffusion drsquoinformations personnelles par les
agences feacutedeacuterales 4 Convention pour la protection des personnes agrave lrsquoeacutegard du traitement automatiseacute des donneacutees agrave caractegravere
personnel en vigueur depuis le 1 octobre 1985 5 Lrsquoarticle 8 de la CEDH assure le respect de la vie priveacutee et familiale Cette preacutevision leacutegale a eacuteteacute utiliseacutee par la
Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (affaires Amann c Suisse Rotaru c Roumanie et S et Marper c
Royaume-Uni entre autres) pour inclure dans son champ drsquoapplication la tutelle des donneacutees agrave caractegravere
personnel 6 Dans une grande partie des textes constitutionnels europeacuteens la protection des donneacutees personnelles nrsquoest qursquoun
reflet du droit agrave la vie priveacutee Crsquoest le cas entre autres de la France (ougrave le droit agrave la vie priveacutee trouve sa raison
drsquoecirctre dans lrsquoart 4 de la Deacuteclaration des Droits de lrsquoHomme et du Citoyen de 1789 bien que son expression litteacuterale
figure agrave lrsquoart 9 du Code Civil) la Belgique (art 22 de la Constitution belge de 1831) lrsquoEspagne (art 18 de la
Constitution espagnole de 1978) et le Luxembourg (art 113 de la Constitution luxembourgeoise) Par contre la
Constitution grecque de 1975 deacutedie son art 9 A agrave la protection des donneacutees personnelles et attribue agrave une autoriteacute
indeacutependante la garantie de son efficaciteacute La Constitution portugaise de 1976 va un peu plus loin en preacutevoyant agrave
son art 35 le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et en eacutetablissant une seacuterie de principes constitutionnels
qui doivent ecirctre respecteacutes par les pouvoirs publics lorsqursquoune mesure dans ce domaine est envisageacutee 7 Crsquoest agrave partir des anneacutees soixante-dix que les Eacutetats de lrsquoEurope occidentale commencent agrave dicter leurs premiegraveres
lois sur la protection des donneacutees personnelles lrsquoAllemagne en 1977 avec la Bundesdatenschutzgesetz la
France en 1978 avec la Loi ndeg 8-17 relative agrave lrsquoinformatique aux fichiers et aux liberteacutes ou lrsquoAutriche aussi en
1978 avec la Datenschutzgesetz entre autres Parallegravelement en 1981 est adopteacutee au sein du Conseil de lrsquoEurope
3
Ce nrsquoest qursquoagrave partir de la fin des anneacutees quatre-vingt-dixdeacutebut du XXIe siegravecle que la protection
des donneacutees personnelles commence agrave se disjoindre de la vie priveacutee drsquoabord avec lrsquoadoption
de la Directive 9546CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative agrave
la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel
et agrave la libre circulation de ces donneacutees (ci-apregraves laquothinspla Directivethinspraquo)thinsp ensuite avec la proclamation
en 2000 de la Charte des Droits Fondamentaux de lrsquoUnion Europeacuteenne (CDFUE) dont lrsquoarticle
8 confirme lrsquoindeacutependance de ce droitthinsp finalement avec le Traiteacute de Lisbonne qui consacre la
protection des donneacutees explicitement8 et qui dote la CDFUE de force juridique contraignante9
Lrsquoeacutepoque ougrave ces mesures sont adopteacutees nrsquoa rien drsquoanodin lrsquoutilisation drsquoInternet se geacuteneacuteralise
de plus en plus tandis que les grandes entreprises qui domineront la sphegravere numeacuterique dans les
anneacutees qui suivent font leur apparition sur la toile
Durant les derniegraveres anneacutees les institutions europeacuteennes ont rendu publique leur intention de
renouveler lrsquoencadrement leacutegal de la protection des donneacutees avec lrsquoapprobation drsquoun regraveglement
geacuteneacuteral qui abrogerait la Directive Adopteacute par le Parlement Europeacuteen le 14 avril dernier
conformeacutement agrave lrsquoart 2947a) du Traiteacute de Fonctionnement de lrsquoUnion Europeacuteenne le nouveau
Regraveglement (UE) 2016679 du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif agrave la
protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel
et agrave la libre circulation de ces donneacutees et abrogeant la Directive 9546CE (Regraveglement geacuteneacuteral
sur la protection des donneacutees)10 (ci-apregraves laquothinsple Regraveglementthinspraquo)11 a pour objectif de mettre agrave jour
les normes relatives agrave la protection des donneacutees et drsquoaccorder agrave lrsquoespace europeacuteen une plus
grande seacutecuriteacute juridique12 tout en preacuteservant les garanties des individus Toutefois son
application effective est diffeacutereacutee jusqursquoen mai 2018 (art 99)
2 Encadrement de la probleacutematique
La probleacutematique qui oppose le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel agrave lrsquoexercice
drsquoautres droits fondamentaux nrsquoest pas eacutetrangegravere agrave la Directive Le leacutegislateur europeacuteen a su
la Convention pour la protection des personnes agrave lrsquoeacutegard du traitement automatiseacute des donneacutees agrave caractegravere
personnel texte qui sera repris comme source drsquoinspiration pour reacutediger la Directive 9546CE 8 Article 161 du Traiteacute sur le Fonctionnement de lrsquoUnion Europeacuteenne qui octroie agrave lrsquoUnion Europeacuteenne une base
de compeacutetence exclusive en la matiegravere 9 Article 61 du Traiteacute sur lrsquoUnion Europeacuteenne 10 JO L 119 du 4 avril 2016 pp 1-88 11 Pour une vision critique sur les nouveauteacutes apporteacutees par le projet de Regraveglement voir FALQUE-PIERROTIN
Isabelle Quelle protection europeacuteenne pour les donneacutees personnelles Fondation Robert Schuman 2012 Drsquoun
point de vue eacuteconomique voir CAUCHOIS Remi laquothinspLa protection des donneacutees personnelles en Europe et la
compeacutetitiviteacute des entreprises europeacuteennesthinspraquo en Quelle protection des donneacutees personnelles en Europe (Dir
Ceacuteline Castets-Renard) Larcier 2015 pp 157-164 12 La fragmentation juridique provoqueacutee par la transposition de la Directive constitue selon la Commission
Europeacuteenne lrsquoune des raisons qui motivent un nouvel encadrement pour la protection des donneacutees Cependant
cette affirmation se heurte au contenu des dispositions du Regraveglement Trois aspects doivent ecirctre signaleacutes
lrsquoutilisation de concepts juridiques indeacutetermineacutes qui rend lrsquoapplication du regraveglement extrecircmement probleacutematique
(crsquoest le cas notamment de la notion de suivi du comportement preacutesente agrave lrsquoart 32b) du Regraveglement relatif agrave son
champ drsquoapplication territorial)thinsp les multiples deacuteleacutegations reacutealiseacutees agrave la Commission et aux Eacutetats membres afin de
preacuteciser certaines dispositions qui intensifiera la complexiteacute leacutegale de cette matiegraverethinsp la porteacutee limiteacutee du
Regraveglement qui nrsquoaffecte pas drsquoautres actes leacutegislatifs europeacuteens dans le domaine de la protection des donneacutees
(dont la Directive 200258CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement
des donneacutees agrave caractegravere personnel et la protection de la vie priveacutee dans le secteur des communications
eacutelectroniques)
4
dans ce sens identifier des situations conflictuelles et offrir des remegravedes relativement
efficaces13
Parmi les dispositions de la Directive qui manifestent la tension entre le droit agrave la protection
des donneacutees personnelles et drsquoautres droits fondamentaux la premiegravere qui meacuterite reacuteflexion est
lrsquoart 7f) Cette preacutevision reproduite dans lrsquoart 61f) du Regraveglement autorise le traitement de
donneacutees personnelles si la satisfaction drsquoun inteacuterecirct leacutegitime du responsable le rend neacutecessaire
et agrave condition que les droits et les inteacuterecircts du titulaire des donneacutees ne preacutevalent pas Comme la
jurisprudence de la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne (CJUE) nous le montrera un peu
plus tard les droits fondamentaux sont susceptibles drsquoecirctre inseacutereacutes dans le concept drsquointeacuterecirct
leacutegitime du responsable
Agrave lrsquoart 7f) srsquoajoute lrsquoart 8 de la Directive (art 9 du Regraveglement) qui apregraves avoir eacutetabli une
interdiction geacuteneacuterale concernant le traitement de certaines cateacutegories de donneacutees preacutevoit des
exceptions relatives notamment agrave la sauvegarde drsquoun inteacuterecirct vital du titulaire des donneacutees14 (art
82c) repris dans lrsquoart 92c) du Regraveglement) Cependant crsquoest lrsquoart 9 de la Directive (art 85
du Regraveglement) qui de la maniegravere la plus nette reflegravete cette dispute en obligeant les Eacutetats
membres agrave preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de
concilier le droit agrave la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression15 La
dimension de la probleacutematique nrsquoest toutefois pas circonscrite aux seules dispositions de la
Directive drsquoautres droits fondamentaux non expresseacutement viseacutes par celle-ci sont susceptibles
drsquoentrer en conflit avec le droit agrave la protection des donneacutees personnelles ce qui rend neacutecessaire
une analyse plus approfondie de la matiegravere
La conciliation entre droits fondamentaux impose des restrictions devant en toute hypothegravese
satisfaire certaines conditions drsquoordre geacuteneacuteral contenues dans la CEDH et dans lrsquoart 521 de la
CDFUE16 Les exigences qui doivent ecirctre observeacutees sont au nombre de trois la preacutesence drsquoune
raison leacutegitimant les restrictions une preacutevision leacutegale expresse ainsi qursquoun jugement de
proportionnaliteacute entre la mesure adopteacutee et lrsquoobjectif poursuivi qui devra en tout cas respecter
le contenu essentiel du droit limiteacute Soulignons que de telles exigences sont requises non
seulement lorsqursquoun droit fondamental subit une restriction neacutecessaire pour preacuteserver le droit agrave
la protection des donneacutees personnelles mais aussi lorsque la situation est inverseacutee
13 Comme lrsquoa deacutejagrave exprimeacute la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne le leacutegislateur europeacuteen srsquoest efforceacute de
concilier les dispositions de la Directive avec drsquoautres droits fondamentaux susceptibles drsquoecirctre affecteacutes par son
application (affaire C-10101 laquothinspBodil Lindqvistthinspraquo sectsect 84 et 90) 14 Lrsquoart 82c) de la Directive ne constitue pas la seule base juridique qui leacutegitime le traitement de donneacutees afin de
sauvegarder un inteacuterecirct vital de son titulaire Comme lrsquoa deacutejagrave eacutevoqueacute la CJUE la protection de la vie et de lrsquointeacutegriteacute
physique peut excuser sous la base de lrsquoart 7f) de la Directive des opeacuterations de traitement de donneacutees
appartenant agrave des tiers (affaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo sect 34)
Signalons en tout cas que cet obiter dicta est dans une certaine mesure conditionneacute par les faits du cas drsquoespegravece 15 Il srsquoagit selon la CJUE drsquoune veacuteritable obligation juridique (affaire C-47312 laquothinspInstitut professionnel des agents
immobiliers c Geoffrey Englebert et autresthinspraquo sect 33) vision qui srsquoaccommode agrave la doctrine de la Cour Europeacuteenne
des Droits de lrsquoHomme dans la mesure ougrave elle impose aux Eacutetats signataires de la CEDH lrsquoadoption drsquoun cadre
juridique approprieacute agrave lrsquoexercice des droits y reconnus (voir entre autres lrsquoarrecirct de la Cour Europeacuteenne des Droits
de lrsquoHomme du 26 mars 1986 dans lrsquoaffaire X et Y c Pays-Bas sect 23) 16 Rappelons que selon lrsquoart 523 de la CDFUE le sens et la porteacutee des droits contenus dans son texte seront les
mecircmes que ceux confeacutereacutes par la CEDH sans que cela ne puisse empecirccher le droit de lrsquoUE drsquoaccorder une
protection plus eacutetendue
5
Dans les pages qui suivent nous analyserons lrsquoapplication des critegraveres de conciliation effectueacutee
par la CJUE et la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CeDH)17 Notre exposeacute se centrera
sur le conflit entre le droit agrave la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel et trois autres droits
fondamentaux la liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation le droit de proprieacuteteacute et la
liberteacute drsquoentreprise
II CONCILIATION AVEC DrsquoAUTRES DROITS FONDAMENTAUX
1 Liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation
11 Signification et contours jurisprudentiels
La liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constitue lrsquoune des manifestations les plus
embleacutematiques drsquoun Eacutetat de Droit Consacreacutee agrave lrsquoart 10 de la CEDH et agrave lrsquoart 11 de la CDFUE
elle repreacutesente une liberteacute individuelle fondamentale ainsi qursquoun meacutecanisme indispensable pour
controcircler lrsquoaction des autoriteacutes publiques Le rocircle joueacute par cette liberteacute est tel que les restrictions
eacutetablies par le leacutegislateur arrivent mecircme agrave ecirctre examineacutees avec une preacutesomption
drsquoinconstitutionnaliteacute18
En ce qui concerne la liberteacute drsquoexpression la CeDH lui octroie une protection speacutecialement
large en incluant une vaste eacutetendue drsquoeacutemanations sur la base des valeurs de pluraliteacute de
toleacuterance et drsquoouverture drsquoesprit sans lesquelles une socieacuteteacute ne pourrait ecirctre consideacutereacutee comme
deacutemocratique19 Son exercice beacuteneacuteficie en outre drsquoune tutelle plus accentueacutee dans le domaine
politique20 Le fait que lrsquoobjectif poursuivi par celui qui lrsquoexerce soit de nature lucrative21 ou
qursquoInternet soit le moyen de diffusion utiliseacute22 nrsquoobstrue pas lrsquoapplication de la CEDH Par
ailleurs la CeDH a imposeacute aux Eacutetats lrsquoobligation de se doter drsquoun cadre leacutegislatif offrant des
garanties suffisantes tout en respectant lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse et le devoir
drsquoinvoquer un besoin impeacuterieux pour eacutetablir des restrictions jugeacutees neacutecessaires23
La liberteacute drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation a agrave son tour subi une eacutevolution jurisprudentielle
significative De lrsquoabsence de lrsquoobligation de faciliter la diffusion de lrsquoinformation de la part de
lrsquoEacutetat24 nous sommes passeacutes agrave un veacuteritable droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation25 La liberteacute drsquoaccegraves
concerne le contenu de lrsquoinformation ainsi que les moyens de transmission dont Internet
17 Nous utiliserons les abreacuteviations CeDH et CEDH pour distinguer la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme
(CeDH) de la Convention Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CEDH) 18 Telle est la position assumeacutee par la Cour Suprecircme des Eacutetats-Unis de lrsquoAmeacuterique (arrecirct du 30 juin 1976 dans
lrsquoaffaire Nebraska Press Assn v Stuart sect V entre autres) Pour une vision geacuteneacuterale sur la liberteacute drsquoexpression
aux Eacutetats-Unis voir MUHLMANN DECAUX amp ZOLLER La liberteacute drsquoexpression Dalloz 2016 pp 179-224 19 Arrecirct de la CeDH du 16 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Aleksey Ovchinnikov c Russie (sect 39) Lrsquoideacutee est reprise
par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27499 laquothinspBernard Connolly c Commissionthinspraquo (sect 39) 20 Arrecirct de la CeDH du 7 feacutevrier 2012 dans lrsquoaffaire Axel Springer AG c Allemagne (sect 90) 21 Arrecirct de la CeDH du 10 janvier 2013 dans lrsquoaffaire Ashby Donald et autres c France (sect 34) 22 Arrecirct de la CeDH du 16 juin 2015 dans lrsquoaffaire Delfi AS c Estonie (sect 110) 23 Arrecirct de la CeDH du 5 mai 2011 dans lrsquoaffaire Comiteacute de reacutedaction de Pravoye Delo et Shtekel c Ukraine (sectsect
47-68) De la mecircme faccedilon srsquoest prononceacutee la CJUE (entre autres affaire C-7102 laquothinspHerbert Karner Industrie-
Auktionen GmbH c Troostwijk GmbHthinspraquo sect 50) 24 Arrecirct de la CeDH du 19 octobre 2005 dans lrsquoaffaire Roche c Royaume-Uni (sect 172) 25 Arrecirct de la CeDH du 28 novembre 2013 dans lrsquoaffaire Oumlsterreichische Vereinigung zur Erhaltung Staumlrkung
und Schaffung c Autriche (sect 41)
6
assume une position centrale26 Cependant des restrictions sont admissibles si une raison
drsquointeacuterecirct public les rend indispensables27
12 Problegravemes poseacutes par la Directive 9546CE
Comme nous lrsquoavons deacutejagrave mentionneacute la Directive preacutevoit dans son article 9 lrsquoobligation de la
part des Eacutetats membres drsquointroduire des exceptions agrave certaines de ses normes de maniegravere agrave
concilier la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Cette obligation
pose neacuteanmoins quelques problegravemes de coordination et de nature interpreacutetative
Les difficulteacutes interpreacutetatives reacutesultent du fait que les exceptions doivent reacutepondre agrave des fins de
journalisme28 ou drsquoexpression artistique ou litteacuteraire Cependant les notions de journalisme et
drsquoexpression artistique ou litteacuteraire ne sont pas deacutefinies par la Directive bien que la CJUE ait
deacutejagrave exprimeacute la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation large29 Ce critegravere reste toutefois impreacutecis et
donne aux Eacutetats membres une marge drsquoappreacuteciation non neacutegligeable30
Outre son interpreacutetation la Directive laisse aux Eacutetats membres la possibiliteacute drsquoeacutetablir des
exceptions agrave condition drsquoecirctre neacutecessaires pour concilier la protection des donneacutees avec la liberteacute
drsquoexpression Cela a pour conseacutequence la fragmentation de lrsquoespace juridique europeacuteen car
chaque Eacutetat deacutetient le pouvoir drsquoeacutetablir les exceptions qursquoil considegravere comme opportunes Le
Regraveglement aborde cette probleacutematique dans son art 851 en obligeant les Eacutetats membres agrave
preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de concilier la
protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Les concepts de journalisme
et drsquoexpression artistique et litteacuteraire sont repris par le Regraveglement auxquels srsquoajoute celui
drsquoexpression universitaire mais sans qursquoaucune deacutefinition qui permette de les preacuteciser ne soit
offerte En outre le nouveau texte europeacuteen impose aux Eacutetats membres lrsquoobligation de notifier
agrave la Commission les dispositions normatives adopteacutees en vertu de lrsquoart 851 (art 853) ce qui
aidera agrave mieux coordonner les regravegles nationales au fur et agrave mesure qursquoelles seront adopteacutees
13 Conciliation avec la protection des donneacutees personnelles
131 Liberteacute drsquoexpression
La conciliation entre la liberteacute drsquoexpression et la protection des donneacutees personnelles implique
le besoin drsquoeacuteriger certaines restrictions Ces restrictions doivent en tout cas respecter les
conditions imposeacutees par les arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE Par contre si les
limitations affectent la liberteacute drsquoexpression nous devrons faire appel agrave lrsquoart 102 de la CEDH
ainsi qursquoagrave la CDFUE
En ce qui concerne la CJUE lrsquoeacutetablissement de restrictions agrave la protection des donneacutees au profit
de la liberteacute drsquoexpression a eacuteteacute examineacute de maniegravere partielle dans lrsquoaffaire C-7307
26 La fonction remplie par Internet est essentielle pour une socieacuteteacute deacutemocratique car selon la CeDH il srsquoagit drsquoun
moyen qui contribue grandement agrave la preacuteservation et agrave lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoactualiteacute et des informations (arrecirct du 10
mars 2009 dans lrsquoaffaire Times Newspapers Ltd c Royaume-Uni sect 45) 27 Arrecirct de la CeDH du 27 novembre 2007 dans lrsquoaffaire Timpul Info-Magazin et Anghel c Moldova (sect 31) 28 Sur le concept de journalisme voir VAN ENIS Quentin La liberteacute de la presse agrave lrsquoegravere numeacuterique Larcier
2015 pp 569 sqq 29 Affaire C-7307 laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo sect 56 30 Lrsquoagence britannique de protection des donneacutees (ICO) a reacutealiseacute un important effort de clarification du concept
de journalisme agrave travers son guide laquothinspData protection and journalism a guide for the mediaraquo
7
laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo Bien que les
conditions pour beacuteneacuteficier de la liberteacute drsquoexpression soient interpreacuteteacutees drsquoune maniegravere similaire
agrave celle de la CeDH31 la CJUE estime que le fait drsquoappreacutecier si une exception a eacuteteacute formuleacutee
dans les limites du strict neacutecessaire relegraveve de la compeacutetence des Eacutetats membres sans qursquoaucune
mention aux arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE ne soit effectueacutee Par ailleurs la CJUE
juge que la seule divulgation au public drsquoinformations drsquoopinions ou drsquoideacutees constitue un motif
suffisant pour qursquoune activiteacute beacuteneacuteficie du titre de journalisme sans analyser si la publication
remplit une mission drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui puisse justifier des restrictions au droit agrave la protection
des donneacutees personnelles
Contrairement agrave la CJUE la CeDH a deacuteveloppeacute une ample jurisprudence sous lrsquoangle de lrsquoart
8 de la CEDH Lrsquoabsence drsquoune preacutevision speacutecifique sur la protection des donneacutees personnelles
ne repreacutesente pas un obstacle pour la CeDH qui offre une protection effective fondeacutee sur le
droit agrave la vie priveacutee
Le raisonnement de la CeDH srsquoinaugure avec la constatation drsquoune ingeacuterence dans la vie priveacutee
Cette constatation se produit drsquoune faccedilon assez geacuteneacutereuse et rappelle la souplesse qui caracteacuterise
la notion de traitement de donneacutees consacreacutee agrave lrsquoart 2b) de la Directive32
Ensuite la CeDH examine si lrsquoingeacuterence est admissible agrave la lumiegravere de lrsquoart 82 de la CEDH
Le premier pas consiste agrave deacuteterminer si lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse a eacuteteacute remplie
par le leacutegislateur tant du point de vue formel que mateacuteriel33 Une fois que cela a eacuteteacute constateacute
la CeDH analyse si lrsquoingeacuterence est neacutecessaire agrave la protection de la liberteacute drsquoexpression et
conforme au principe de proportionnaliteacute Pour y parvenir la CeDH srsquoappuie sur une seacuterie de
critegraveres deacuteveloppeacutes par sa propre jurisprudence lrsquoeacuteleacutement central de son jugement eacutetant le fait
que lrsquoinformation divulgueacutee soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible drsquoouvrir un deacutebat inteacuterecirct
geacuteneacuteral34 La liste des critegraveres appliqueacutes par la CeDH nrsquoest en aucun cas exhaustive sinon
indicative et en eacutetroite deacutependance des circonstances concregravetes de chaque cas Cela explique
qursquoaux lignes exposeacutees dans lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne35 se soient ajouteacutees drsquoautres
31 En effet la CJUE rappelle que la liberteacute drsquoexpression srsquoapplique non seulement aux entreprises de meacutedia mais
eacutegalement agrave toute personne exerccedilant une activiteacute de journalisme (sect 58) qursquoune fin lucrative nrsquoexclut a priori pas
sa compatibiliteacute avec ladite liberteacute (sect 59) et que le support utiliseacute pour srsquoexprimer ne constitue pas un critegravere
deacuteterminant pour appreacutecier srsquoil srsquoagit drsquoune activiteacute journalistique (sect 60) 32 Les situations qui selon la CeDH constituent une ingeacuterence dans la vie priveacutee se caracteacuterisent par le fait drsquoecirctre
agrave diverses occasions subsumables dans le concept de traitement de donneacutees personnelles preacutevu agrave lrsquoart 2b) de la
Directive Ainsi la CeDH a consideacutereacute que la surveillance par GPS et le traitement des donneacutees obtenues par ce
moyen constituaient une ingeacuterence dans la vie priveacutee (arrecirct du 2 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Uzun c Allemagne)
Cette affirmation est reprise pour les eacutechantillons vocaux (arrecirct du 25 septembre 2001 dans lrsquoaffaire PG et JH
c Royaume-Uni) la surveillance videacuteo (arrecirct du 17 octobre 2003 dans lrsquoaffaire Perry c Royaume-Uni) les
traitements agrave des fins journalistiques (arrecirct du 9 octobre 2012 dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie) ou les eacutevaluations
administratives (arrecirct du 29 juillet 2014 dans lrsquoaffaire LH c Lettonie) 33 Pour que lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse soit remplie la CeDH impose deux conditions que
lrsquoinstrument utiliseacute revecircte un caractegravere normatif (eacuteleacutement formel) et que les conseacutequences deacutecoulant de son
application soient suffisamment preacutevisibles (eacuteleacutement mateacuteriel) bien que lrsquousage de concepts juridiques
indeacutetermineacutes soit admissible (arrecirct du 6 avril 2010 dans lrsquoaffaire Flinkkilauml et autres c Finlande sectsect 63-65) 34 Qursquoune publication soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible de promouvoir un deacutebat drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral deacutepend des
circonstances entourant chaque cas Neacuteanmoins la CeDH a deacutejagrave reconnu lrsquoexistence drsquoun inteacuterecirct geacuteneacuteral lorsque
la publication portait sur des affaires politiques peacutenales ou mecircme sportives et artistiques (affaire Axel Springer
AG c Allemagne sect 90) 35 Lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne (7 feacutevrier 2012) expose les critegraveres geacuteneacuteralement citeacutes par la CeDH pour
concilier la vie priveacutee avec la liberteacute drsquoexpression (sectsect 109-113) lrsquoouverture drsquoun deacutebat public le rocircle joueacute par un
8
telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la
bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37
Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec
lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites
lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire
impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de
qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de
diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication
affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la
CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat
drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu
132 Accegraves agrave lrsquoinformation
Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres
signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees
opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct
public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43
La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit
deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la
structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la
limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe
de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par
la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees
Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de
lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct
geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave
travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute
individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi
que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la
divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8
de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute
jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei
GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees
appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la
requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une
finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour
objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3
septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave
lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars
2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres
9
Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions
reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment
contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45
La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112
laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja
Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence
du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part
des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent
beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie
entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et
14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave
leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en
raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant
agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees
agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur
lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition
Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des
donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis
pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de
44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et
Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par
lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute
avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du
Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du
Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes
C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm
et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de
vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur
la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession
des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du
Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si
le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001
relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les
institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement
ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de
la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des
moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir
BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol
82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit
agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du
droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir
Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the
implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia
Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport
adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The
Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)
10
censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner
davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable
face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de
savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des
donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave
lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute
drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute
de maniegravere expresse
2 Droit de proprieacuteteacute
21 Protection nationale et internationale
Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute
constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des
principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52
En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans
les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international
dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17
de la CDFUE
Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une
attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce
domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55
22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles
221 Description de la probleacutematique
Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle
Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour
permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement
50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions
drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les
affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier
voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge
de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario
Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection
renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee
attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est
soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte
espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est
lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de
proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la
Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects
du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement
Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle
11
elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres
droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56
Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux
P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de
fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de
contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de
maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant
lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les
tiers qui les conservent
Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux
questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la
confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui
la permettent
222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion
Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des
fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la
protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la
confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler
des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour
sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute
intellectuelle58
Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au
respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les
Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des
tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive
affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions
leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette
clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea
c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la
communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE
souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave
56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER
Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property
Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute
intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder
la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et
la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques
comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54
12
que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le
contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par
conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge
ex nihilo
La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun
certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs
qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de
vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme
temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8
de la CDFUE
Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes
offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par
accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction
Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour
assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa
compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de
maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65
223 Validiteacute de lrsquointrusion
Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de
proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des
donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions
eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale
expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66
61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c
Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden
ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de
Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la
confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la
fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette
approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source
valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national
srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque
cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette
solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE
ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect
20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en
une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres
(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit
deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute
proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats
membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est
eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE
13
La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete
lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire
Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats
membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents
droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation
srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures
adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c
Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une
disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de
contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un
juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle
Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence
drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter
lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients
occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de
proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68
Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et
conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent
garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir
toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives
Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs
compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten
en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un
fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications
eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas
lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en
plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69
23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE
Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de
protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70
habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation
67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche
dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune
disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour
refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait
pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait
par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40
et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55
14
drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent
pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71
Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en
fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir
compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la
CDFUE72
La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun
examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad
pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que
le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave
travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement
consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73
24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement
Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons
signaleacutees sont reacuteduites mais significatives
En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement
semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la
Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat
membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont
neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles
restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute
deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le
Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative
adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du
traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation
Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision
en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant
3 Liberteacute drsquoentreprise
31 Contexte
La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute
drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des
restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave
71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime
poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par
le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir
drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1
du Protocole)
15
lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant
lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques
Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi
de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas
exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75
Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit
fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76
Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et
jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave
compleacuteter notre analyse
32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement
Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune
opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations
preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre
susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee
(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la
reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo
(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du
deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes
attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a
75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce
par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave
ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)
Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de
donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et
C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c
Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de
diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi
(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les
preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors
de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le
cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations
de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences
que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre
la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees
sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles
Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de
reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les
obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est
autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
17
de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
3
Ce nrsquoest qursquoagrave partir de la fin des anneacutees quatre-vingt-dixdeacutebut du XXIe siegravecle que la protection
des donneacutees personnelles commence agrave se disjoindre de la vie priveacutee drsquoabord avec lrsquoadoption
de la Directive 9546CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative agrave
la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel
et agrave la libre circulation de ces donneacutees (ci-apregraves laquothinspla Directivethinspraquo)thinsp ensuite avec la proclamation
en 2000 de la Charte des Droits Fondamentaux de lrsquoUnion Europeacuteenne (CDFUE) dont lrsquoarticle
8 confirme lrsquoindeacutependance de ce droitthinsp finalement avec le Traiteacute de Lisbonne qui consacre la
protection des donneacutees explicitement8 et qui dote la CDFUE de force juridique contraignante9
Lrsquoeacutepoque ougrave ces mesures sont adopteacutees nrsquoa rien drsquoanodin lrsquoutilisation drsquoInternet se geacuteneacuteralise
de plus en plus tandis que les grandes entreprises qui domineront la sphegravere numeacuterique dans les
anneacutees qui suivent font leur apparition sur la toile
Durant les derniegraveres anneacutees les institutions europeacuteennes ont rendu publique leur intention de
renouveler lrsquoencadrement leacutegal de la protection des donneacutees avec lrsquoapprobation drsquoun regraveglement
geacuteneacuteral qui abrogerait la Directive Adopteacute par le Parlement Europeacuteen le 14 avril dernier
conformeacutement agrave lrsquoart 2947a) du Traiteacute de Fonctionnement de lrsquoUnion Europeacuteenne le nouveau
Regraveglement (UE) 2016679 du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif agrave la
protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel
et agrave la libre circulation de ces donneacutees et abrogeant la Directive 9546CE (Regraveglement geacuteneacuteral
sur la protection des donneacutees)10 (ci-apregraves laquothinsple Regraveglementthinspraquo)11 a pour objectif de mettre agrave jour
les normes relatives agrave la protection des donneacutees et drsquoaccorder agrave lrsquoespace europeacuteen une plus
grande seacutecuriteacute juridique12 tout en preacuteservant les garanties des individus Toutefois son
application effective est diffeacutereacutee jusqursquoen mai 2018 (art 99)
2 Encadrement de la probleacutematique
La probleacutematique qui oppose le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel agrave lrsquoexercice
drsquoautres droits fondamentaux nrsquoest pas eacutetrangegravere agrave la Directive Le leacutegislateur europeacuteen a su
la Convention pour la protection des personnes agrave lrsquoeacutegard du traitement automatiseacute des donneacutees agrave caractegravere
personnel texte qui sera repris comme source drsquoinspiration pour reacutediger la Directive 9546CE 8 Article 161 du Traiteacute sur le Fonctionnement de lrsquoUnion Europeacuteenne qui octroie agrave lrsquoUnion Europeacuteenne une base
de compeacutetence exclusive en la matiegravere 9 Article 61 du Traiteacute sur lrsquoUnion Europeacuteenne 10 JO L 119 du 4 avril 2016 pp 1-88 11 Pour une vision critique sur les nouveauteacutes apporteacutees par le projet de Regraveglement voir FALQUE-PIERROTIN
Isabelle Quelle protection europeacuteenne pour les donneacutees personnelles Fondation Robert Schuman 2012 Drsquoun
point de vue eacuteconomique voir CAUCHOIS Remi laquothinspLa protection des donneacutees personnelles en Europe et la
compeacutetitiviteacute des entreprises europeacuteennesthinspraquo en Quelle protection des donneacutees personnelles en Europe (Dir
Ceacuteline Castets-Renard) Larcier 2015 pp 157-164 12 La fragmentation juridique provoqueacutee par la transposition de la Directive constitue selon la Commission
Europeacuteenne lrsquoune des raisons qui motivent un nouvel encadrement pour la protection des donneacutees Cependant
cette affirmation se heurte au contenu des dispositions du Regraveglement Trois aspects doivent ecirctre signaleacutes
lrsquoutilisation de concepts juridiques indeacutetermineacutes qui rend lrsquoapplication du regraveglement extrecircmement probleacutematique
(crsquoest le cas notamment de la notion de suivi du comportement preacutesente agrave lrsquoart 32b) du Regraveglement relatif agrave son
champ drsquoapplication territorial)thinsp les multiples deacuteleacutegations reacutealiseacutees agrave la Commission et aux Eacutetats membres afin de
preacuteciser certaines dispositions qui intensifiera la complexiteacute leacutegale de cette matiegraverethinsp la porteacutee limiteacutee du
Regraveglement qui nrsquoaffecte pas drsquoautres actes leacutegislatifs europeacuteens dans le domaine de la protection des donneacutees
(dont la Directive 200258CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement
des donneacutees agrave caractegravere personnel et la protection de la vie priveacutee dans le secteur des communications
eacutelectroniques)
4
dans ce sens identifier des situations conflictuelles et offrir des remegravedes relativement
efficaces13
Parmi les dispositions de la Directive qui manifestent la tension entre le droit agrave la protection
des donneacutees personnelles et drsquoautres droits fondamentaux la premiegravere qui meacuterite reacuteflexion est
lrsquoart 7f) Cette preacutevision reproduite dans lrsquoart 61f) du Regraveglement autorise le traitement de
donneacutees personnelles si la satisfaction drsquoun inteacuterecirct leacutegitime du responsable le rend neacutecessaire
et agrave condition que les droits et les inteacuterecircts du titulaire des donneacutees ne preacutevalent pas Comme la
jurisprudence de la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne (CJUE) nous le montrera un peu
plus tard les droits fondamentaux sont susceptibles drsquoecirctre inseacutereacutes dans le concept drsquointeacuterecirct
leacutegitime du responsable
Agrave lrsquoart 7f) srsquoajoute lrsquoart 8 de la Directive (art 9 du Regraveglement) qui apregraves avoir eacutetabli une
interdiction geacuteneacuterale concernant le traitement de certaines cateacutegories de donneacutees preacutevoit des
exceptions relatives notamment agrave la sauvegarde drsquoun inteacuterecirct vital du titulaire des donneacutees14 (art
82c) repris dans lrsquoart 92c) du Regraveglement) Cependant crsquoest lrsquoart 9 de la Directive (art 85
du Regraveglement) qui de la maniegravere la plus nette reflegravete cette dispute en obligeant les Eacutetats
membres agrave preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de
concilier le droit agrave la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression15 La
dimension de la probleacutematique nrsquoest toutefois pas circonscrite aux seules dispositions de la
Directive drsquoautres droits fondamentaux non expresseacutement viseacutes par celle-ci sont susceptibles
drsquoentrer en conflit avec le droit agrave la protection des donneacutees personnelles ce qui rend neacutecessaire
une analyse plus approfondie de la matiegravere
La conciliation entre droits fondamentaux impose des restrictions devant en toute hypothegravese
satisfaire certaines conditions drsquoordre geacuteneacuteral contenues dans la CEDH et dans lrsquoart 521 de la
CDFUE16 Les exigences qui doivent ecirctre observeacutees sont au nombre de trois la preacutesence drsquoune
raison leacutegitimant les restrictions une preacutevision leacutegale expresse ainsi qursquoun jugement de
proportionnaliteacute entre la mesure adopteacutee et lrsquoobjectif poursuivi qui devra en tout cas respecter
le contenu essentiel du droit limiteacute Soulignons que de telles exigences sont requises non
seulement lorsqursquoun droit fondamental subit une restriction neacutecessaire pour preacuteserver le droit agrave
la protection des donneacutees personnelles mais aussi lorsque la situation est inverseacutee
13 Comme lrsquoa deacutejagrave exprimeacute la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne le leacutegislateur europeacuteen srsquoest efforceacute de
concilier les dispositions de la Directive avec drsquoautres droits fondamentaux susceptibles drsquoecirctre affecteacutes par son
application (affaire C-10101 laquothinspBodil Lindqvistthinspraquo sectsect 84 et 90) 14 Lrsquoart 82c) de la Directive ne constitue pas la seule base juridique qui leacutegitime le traitement de donneacutees afin de
sauvegarder un inteacuterecirct vital de son titulaire Comme lrsquoa deacutejagrave eacutevoqueacute la CJUE la protection de la vie et de lrsquointeacutegriteacute
physique peut excuser sous la base de lrsquoart 7f) de la Directive des opeacuterations de traitement de donneacutees
appartenant agrave des tiers (affaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo sect 34)
Signalons en tout cas que cet obiter dicta est dans une certaine mesure conditionneacute par les faits du cas drsquoespegravece 15 Il srsquoagit selon la CJUE drsquoune veacuteritable obligation juridique (affaire C-47312 laquothinspInstitut professionnel des agents
immobiliers c Geoffrey Englebert et autresthinspraquo sect 33) vision qui srsquoaccommode agrave la doctrine de la Cour Europeacuteenne
des Droits de lrsquoHomme dans la mesure ougrave elle impose aux Eacutetats signataires de la CEDH lrsquoadoption drsquoun cadre
juridique approprieacute agrave lrsquoexercice des droits y reconnus (voir entre autres lrsquoarrecirct de la Cour Europeacuteenne des Droits
de lrsquoHomme du 26 mars 1986 dans lrsquoaffaire X et Y c Pays-Bas sect 23) 16 Rappelons que selon lrsquoart 523 de la CDFUE le sens et la porteacutee des droits contenus dans son texte seront les
mecircmes que ceux confeacutereacutes par la CEDH sans que cela ne puisse empecirccher le droit de lrsquoUE drsquoaccorder une
protection plus eacutetendue
5
Dans les pages qui suivent nous analyserons lrsquoapplication des critegraveres de conciliation effectueacutee
par la CJUE et la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CeDH)17 Notre exposeacute se centrera
sur le conflit entre le droit agrave la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel et trois autres droits
fondamentaux la liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation le droit de proprieacuteteacute et la
liberteacute drsquoentreprise
II CONCILIATION AVEC DrsquoAUTRES DROITS FONDAMENTAUX
1 Liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation
11 Signification et contours jurisprudentiels
La liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constitue lrsquoune des manifestations les plus
embleacutematiques drsquoun Eacutetat de Droit Consacreacutee agrave lrsquoart 10 de la CEDH et agrave lrsquoart 11 de la CDFUE
elle repreacutesente une liberteacute individuelle fondamentale ainsi qursquoun meacutecanisme indispensable pour
controcircler lrsquoaction des autoriteacutes publiques Le rocircle joueacute par cette liberteacute est tel que les restrictions
eacutetablies par le leacutegislateur arrivent mecircme agrave ecirctre examineacutees avec une preacutesomption
drsquoinconstitutionnaliteacute18
En ce qui concerne la liberteacute drsquoexpression la CeDH lui octroie une protection speacutecialement
large en incluant une vaste eacutetendue drsquoeacutemanations sur la base des valeurs de pluraliteacute de
toleacuterance et drsquoouverture drsquoesprit sans lesquelles une socieacuteteacute ne pourrait ecirctre consideacutereacutee comme
deacutemocratique19 Son exercice beacuteneacuteficie en outre drsquoune tutelle plus accentueacutee dans le domaine
politique20 Le fait que lrsquoobjectif poursuivi par celui qui lrsquoexerce soit de nature lucrative21 ou
qursquoInternet soit le moyen de diffusion utiliseacute22 nrsquoobstrue pas lrsquoapplication de la CEDH Par
ailleurs la CeDH a imposeacute aux Eacutetats lrsquoobligation de se doter drsquoun cadre leacutegislatif offrant des
garanties suffisantes tout en respectant lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse et le devoir
drsquoinvoquer un besoin impeacuterieux pour eacutetablir des restrictions jugeacutees neacutecessaires23
La liberteacute drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation a agrave son tour subi une eacutevolution jurisprudentielle
significative De lrsquoabsence de lrsquoobligation de faciliter la diffusion de lrsquoinformation de la part de
lrsquoEacutetat24 nous sommes passeacutes agrave un veacuteritable droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation25 La liberteacute drsquoaccegraves
concerne le contenu de lrsquoinformation ainsi que les moyens de transmission dont Internet
17 Nous utiliserons les abreacuteviations CeDH et CEDH pour distinguer la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme
(CeDH) de la Convention Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CEDH) 18 Telle est la position assumeacutee par la Cour Suprecircme des Eacutetats-Unis de lrsquoAmeacuterique (arrecirct du 30 juin 1976 dans
lrsquoaffaire Nebraska Press Assn v Stuart sect V entre autres) Pour une vision geacuteneacuterale sur la liberteacute drsquoexpression
aux Eacutetats-Unis voir MUHLMANN DECAUX amp ZOLLER La liberteacute drsquoexpression Dalloz 2016 pp 179-224 19 Arrecirct de la CeDH du 16 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Aleksey Ovchinnikov c Russie (sect 39) Lrsquoideacutee est reprise
par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27499 laquothinspBernard Connolly c Commissionthinspraquo (sect 39) 20 Arrecirct de la CeDH du 7 feacutevrier 2012 dans lrsquoaffaire Axel Springer AG c Allemagne (sect 90) 21 Arrecirct de la CeDH du 10 janvier 2013 dans lrsquoaffaire Ashby Donald et autres c France (sect 34) 22 Arrecirct de la CeDH du 16 juin 2015 dans lrsquoaffaire Delfi AS c Estonie (sect 110) 23 Arrecirct de la CeDH du 5 mai 2011 dans lrsquoaffaire Comiteacute de reacutedaction de Pravoye Delo et Shtekel c Ukraine (sectsect
47-68) De la mecircme faccedilon srsquoest prononceacutee la CJUE (entre autres affaire C-7102 laquothinspHerbert Karner Industrie-
Auktionen GmbH c Troostwijk GmbHthinspraquo sect 50) 24 Arrecirct de la CeDH du 19 octobre 2005 dans lrsquoaffaire Roche c Royaume-Uni (sect 172) 25 Arrecirct de la CeDH du 28 novembre 2013 dans lrsquoaffaire Oumlsterreichische Vereinigung zur Erhaltung Staumlrkung
und Schaffung c Autriche (sect 41)
6
assume une position centrale26 Cependant des restrictions sont admissibles si une raison
drsquointeacuterecirct public les rend indispensables27
12 Problegravemes poseacutes par la Directive 9546CE
Comme nous lrsquoavons deacutejagrave mentionneacute la Directive preacutevoit dans son article 9 lrsquoobligation de la
part des Eacutetats membres drsquointroduire des exceptions agrave certaines de ses normes de maniegravere agrave
concilier la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Cette obligation
pose neacuteanmoins quelques problegravemes de coordination et de nature interpreacutetative
Les difficulteacutes interpreacutetatives reacutesultent du fait que les exceptions doivent reacutepondre agrave des fins de
journalisme28 ou drsquoexpression artistique ou litteacuteraire Cependant les notions de journalisme et
drsquoexpression artistique ou litteacuteraire ne sont pas deacutefinies par la Directive bien que la CJUE ait
deacutejagrave exprimeacute la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation large29 Ce critegravere reste toutefois impreacutecis et
donne aux Eacutetats membres une marge drsquoappreacuteciation non neacutegligeable30
Outre son interpreacutetation la Directive laisse aux Eacutetats membres la possibiliteacute drsquoeacutetablir des
exceptions agrave condition drsquoecirctre neacutecessaires pour concilier la protection des donneacutees avec la liberteacute
drsquoexpression Cela a pour conseacutequence la fragmentation de lrsquoespace juridique europeacuteen car
chaque Eacutetat deacutetient le pouvoir drsquoeacutetablir les exceptions qursquoil considegravere comme opportunes Le
Regraveglement aborde cette probleacutematique dans son art 851 en obligeant les Eacutetats membres agrave
preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de concilier la
protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Les concepts de journalisme
et drsquoexpression artistique et litteacuteraire sont repris par le Regraveglement auxquels srsquoajoute celui
drsquoexpression universitaire mais sans qursquoaucune deacutefinition qui permette de les preacuteciser ne soit
offerte En outre le nouveau texte europeacuteen impose aux Eacutetats membres lrsquoobligation de notifier
agrave la Commission les dispositions normatives adopteacutees en vertu de lrsquoart 851 (art 853) ce qui
aidera agrave mieux coordonner les regravegles nationales au fur et agrave mesure qursquoelles seront adopteacutees
13 Conciliation avec la protection des donneacutees personnelles
131 Liberteacute drsquoexpression
La conciliation entre la liberteacute drsquoexpression et la protection des donneacutees personnelles implique
le besoin drsquoeacuteriger certaines restrictions Ces restrictions doivent en tout cas respecter les
conditions imposeacutees par les arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE Par contre si les
limitations affectent la liberteacute drsquoexpression nous devrons faire appel agrave lrsquoart 102 de la CEDH
ainsi qursquoagrave la CDFUE
En ce qui concerne la CJUE lrsquoeacutetablissement de restrictions agrave la protection des donneacutees au profit
de la liberteacute drsquoexpression a eacuteteacute examineacute de maniegravere partielle dans lrsquoaffaire C-7307
26 La fonction remplie par Internet est essentielle pour une socieacuteteacute deacutemocratique car selon la CeDH il srsquoagit drsquoun
moyen qui contribue grandement agrave la preacuteservation et agrave lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoactualiteacute et des informations (arrecirct du 10
mars 2009 dans lrsquoaffaire Times Newspapers Ltd c Royaume-Uni sect 45) 27 Arrecirct de la CeDH du 27 novembre 2007 dans lrsquoaffaire Timpul Info-Magazin et Anghel c Moldova (sect 31) 28 Sur le concept de journalisme voir VAN ENIS Quentin La liberteacute de la presse agrave lrsquoegravere numeacuterique Larcier
2015 pp 569 sqq 29 Affaire C-7307 laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo sect 56 30 Lrsquoagence britannique de protection des donneacutees (ICO) a reacutealiseacute un important effort de clarification du concept
de journalisme agrave travers son guide laquothinspData protection and journalism a guide for the mediaraquo
7
laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo Bien que les
conditions pour beacuteneacuteficier de la liberteacute drsquoexpression soient interpreacuteteacutees drsquoune maniegravere similaire
agrave celle de la CeDH31 la CJUE estime que le fait drsquoappreacutecier si une exception a eacuteteacute formuleacutee
dans les limites du strict neacutecessaire relegraveve de la compeacutetence des Eacutetats membres sans qursquoaucune
mention aux arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE ne soit effectueacutee Par ailleurs la CJUE
juge que la seule divulgation au public drsquoinformations drsquoopinions ou drsquoideacutees constitue un motif
suffisant pour qursquoune activiteacute beacuteneacuteficie du titre de journalisme sans analyser si la publication
remplit une mission drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui puisse justifier des restrictions au droit agrave la protection
des donneacutees personnelles
Contrairement agrave la CJUE la CeDH a deacuteveloppeacute une ample jurisprudence sous lrsquoangle de lrsquoart
8 de la CEDH Lrsquoabsence drsquoune preacutevision speacutecifique sur la protection des donneacutees personnelles
ne repreacutesente pas un obstacle pour la CeDH qui offre une protection effective fondeacutee sur le
droit agrave la vie priveacutee
Le raisonnement de la CeDH srsquoinaugure avec la constatation drsquoune ingeacuterence dans la vie priveacutee
Cette constatation se produit drsquoune faccedilon assez geacuteneacutereuse et rappelle la souplesse qui caracteacuterise
la notion de traitement de donneacutees consacreacutee agrave lrsquoart 2b) de la Directive32
Ensuite la CeDH examine si lrsquoingeacuterence est admissible agrave la lumiegravere de lrsquoart 82 de la CEDH
Le premier pas consiste agrave deacuteterminer si lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse a eacuteteacute remplie
par le leacutegislateur tant du point de vue formel que mateacuteriel33 Une fois que cela a eacuteteacute constateacute
la CeDH analyse si lrsquoingeacuterence est neacutecessaire agrave la protection de la liberteacute drsquoexpression et
conforme au principe de proportionnaliteacute Pour y parvenir la CeDH srsquoappuie sur une seacuterie de
critegraveres deacuteveloppeacutes par sa propre jurisprudence lrsquoeacuteleacutement central de son jugement eacutetant le fait
que lrsquoinformation divulgueacutee soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible drsquoouvrir un deacutebat inteacuterecirct
geacuteneacuteral34 La liste des critegraveres appliqueacutes par la CeDH nrsquoest en aucun cas exhaustive sinon
indicative et en eacutetroite deacutependance des circonstances concregravetes de chaque cas Cela explique
qursquoaux lignes exposeacutees dans lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne35 se soient ajouteacutees drsquoautres
31 En effet la CJUE rappelle que la liberteacute drsquoexpression srsquoapplique non seulement aux entreprises de meacutedia mais
eacutegalement agrave toute personne exerccedilant une activiteacute de journalisme (sect 58) qursquoune fin lucrative nrsquoexclut a priori pas
sa compatibiliteacute avec ladite liberteacute (sect 59) et que le support utiliseacute pour srsquoexprimer ne constitue pas un critegravere
deacuteterminant pour appreacutecier srsquoil srsquoagit drsquoune activiteacute journalistique (sect 60) 32 Les situations qui selon la CeDH constituent une ingeacuterence dans la vie priveacutee se caracteacuterisent par le fait drsquoecirctre
agrave diverses occasions subsumables dans le concept de traitement de donneacutees personnelles preacutevu agrave lrsquoart 2b) de la
Directive Ainsi la CeDH a consideacutereacute que la surveillance par GPS et le traitement des donneacutees obtenues par ce
moyen constituaient une ingeacuterence dans la vie priveacutee (arrecirct du 2 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Uzun c Allemagne)
Cette affirmation est reprise pour les eacutechantillons vocaux (arrecirct du 25 septembre 2001 dans lrsquoaffaire PG et JH
c Royaume-Uni) la surveillance videacuteo (arrecirct du 17 octobre 2003 dans lrsquoaffaire Perry c Royaume-Uni) les
traitements agrave des fins journalistiques (arrecirct du 9 octobre 2012 dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie) ou les eacutevaluations
administratives (arrecirct du 29 juillet 2014 dans lrsquoaffaire LH c Lettonie) 33 Pour que lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse soit remplie la CeDH impose deux conditions que
lrsquoinstrument utiliseacute revecircte un caractegravere normatif (eacuteleacutement formel) et que les conseacutequences deacutecoulant de son
application soient suffisamment preacutevisibles (eacuteleacutement mateacuteriel) bien que lrsquousage de concepts juridiques
indeacutetermineacutes soit admissible (arrecirct du 6 avril 2010 dans lrsquoaffaire Flinkkilauml et autres c Finlande sectsect 63-65) 34 Qursquoune publication soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible de promouvoir un deacutebat drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral deacutepend des
circonstances entourant chaque cas Neacuteanmoins la CeDH a deacutejagrave reconnu lrsquoexistence drsquoun inteacuterecirct geacuteneacuteral lorsque
la publication portait sur des affaires politiques peacutenales ou mecircme sportives et artistiques (affaire Axel Springer
AG c Allemagne sect 90) 35 Lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne (7 feacutevrier 2012) expose les critegraveres geacuteneacuteralement citeacutes par la CeDH pour
concilier la vie priveacutee avec la liberteacute drsquoexpression (sectsect 109-113) lrsquoouverture drsquoun deacutebat public le rocircle joueacute par un
8
telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la
bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37
Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec
lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites
lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire
impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de
qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de
diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication
affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la
CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat
drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu
132 Accegraves agrave lrsquoinformation
Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres
signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees
opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct
public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43
La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit
deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la
structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la
limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe
de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par
la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees
Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de
lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct
geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave
travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute
individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi
que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la
divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8
de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute
jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei
GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees
appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la
requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une
finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour
objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3
septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave
lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars
2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres
9
Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions
reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment
contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45
La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112
laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja
Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence
du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part
des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent
beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie
entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et
14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave
leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en
raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant
agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees
agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur
lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition
Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des
donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis
pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de
44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et
Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par
lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute
avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du
Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du
Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes
C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm
et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de
vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur
la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession
des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du
Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si
le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001
relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les
institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement
ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de
la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des
moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir
BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol
82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit
agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du
droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir
Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the
implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia
Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport
adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The
Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)
10
censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner
davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable
face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de
savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des
donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave
lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute
drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute
de maniegravere expresse
2 Droit de proprieacuteteacute
21 Protection nationale et internationale
Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute
constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des
principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52
En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans
les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international
dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17
de la CDFUE
Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une
attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce
domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55
22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles
221 Description de la probleacutematique
Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle
Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour
permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement
50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions
drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les
affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier
voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge
de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario
Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection
renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee
attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est
soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte
espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est
lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de
proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la
Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects
du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement
Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle
11
elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres
droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56
Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux
P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de
fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de
contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de
maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant
lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les
tiers qui les conservent
Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux
questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la
confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui
la permettent
222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion
Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des
fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la
protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la
confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler
des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour
sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute
intellectuelle58
Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au
respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les
Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des
tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive
affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions
leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette
clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea
c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la
communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE
souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave
56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER
Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property
Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute
intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder
la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et
la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques
comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54
12
que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le
contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par
conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge
ex nihilo
La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun
certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs
qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de
vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme
temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8
de la CDFUE
Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes
offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par
accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction
Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour
assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa
compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de
maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65
223 Validiteacute de lrsquointrusion
Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de
proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des
donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions
eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale
expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66
61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c
Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden
ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de
Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la
confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la
fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette
approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source
valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national
srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque
cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette
solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE
ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect
20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en
une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres
(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit
deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute
proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats
membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est
eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE
13
La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete
lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire
Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats
membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents
droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation
srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures
adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c
Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une
disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de
contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un
juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle
Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence
drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter
lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients
occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de
proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68
Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et
conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent
garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir
toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives
Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs
compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten
en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un
fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications
eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas
lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en
plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69
23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE
Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de
protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70
habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation
67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche
dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune
disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour
refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait
pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait
par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40
et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55
14
drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent
pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71
Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en
fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir
compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la
CDFUE72
La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun
examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad
pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que
le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave
travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement
consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73
24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement
Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons
signaleacutees sont reacuteduites mais significatives
En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement
semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la
Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat
membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont
neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles
restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute
deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le
Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative
adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du
traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation
Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision
en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant
3 Liberteacute drsquoentreprise
31 Contexte
La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute
drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des
restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave
71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime
poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par
le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir
drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1
du Protocole)
15
lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant
lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques
Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi
de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas
exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75
Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit
fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76
Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et
jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave
compleacuteter notre analyse
32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement
Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune
opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations
preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre
susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee
(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la
reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo
(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du
deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes
attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a
75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce
par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave
ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)
Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de
donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et
C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c
Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de
diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi
(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les
preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors
de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le
cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations
de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences
que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre
la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees
sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles
Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de
reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les
obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est
autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
17
de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
4
dans ce sens identifier des situations conflictuelles et offrir des remegravedes relativement
efficaces13
Parmi les dispositions de la Directive qui manifestent la tension entre le droit agrave la protection
des donneacutees personnelles et drsquoautres droits fondamentaux la premiegravere qui meacuterite reacuteflexion est
lrsquoart 7f) Cette preacutevision reproduite dans lrsquoart 61f) du Regraveglement autorise le traitement de
donneacutees personnelles si la satisfaction drsquoun inteacuterecirct leacutegitime du responsable le rend neacutecessaire
et agrave condition que les droits et les inteacuterecircts du titulaire des donneacutees ne preacutevalent pas Comme la
jurisprudence de la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne (CJUE) nous le montrera un peu
plus tard les droits fondamentaux sont susceptibles drsquoecirctre inseacutereacutes dans le concept drsquointeacuterecirct
leacutegitime du responsable
Agrave lrsquoart 7f) srsquoajoute lrsquoart 8 de la Directive (art 9 du Regraveglement) qui apregraves avoir eacutetabli une
interdiction geacuteneacuterale concernant le traitement de certaines cateacutegories de donneacutees preacutevoit des
exceptions relatives notamment agrave la sauvegarde drsquoun inteacuterecirct vital du titulaire des donneacutees14 (art
82c) repris dans lrsquoart 92c) du Regraveglement) Cependant crsquoest lrsquoart 9 de la Directive (art 85
du Regraveglement) qui de la maniegravere la plus nette reflegravete cette dispute en obligeant les Eacutetats
membres agrave preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de
concilier le droit agrave la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression15 La
dimension de la probleacutematique nrsquoest toutefois pas circonscrite aux seules dispositions de la
Directive drsquoautres droits fondamentaux non expresseacutement viseacutes par celle-ci sont susceptibles
drsquoentrer en conflit avec le droit agrave la protection des donneacutees personnelles ce qui rend neacutecessaire
une analyse plus approfondie de la matiegravere
La conciliation entre droits fondamentaux impose des restrictions devant en toute hypothegravese
satisfaire certaines conditions drsquoordre geacuteneacuteral contenues dans la CEDH et dans lrsquoart 521 de la
CDFUE16 Les exigences qui doivent ecirctre observeacutees sont au nombre de trois la preacutesence drsquoune
raison leacutegitimant les restrictions une preacutevision leacutegale expresse ainsi qursquoun jugement de
proportionnaliteacute entre la mesure adopteacutee et lrsquoobjectif poursuivi qui devra en tout cas respecter
le contenu essentiel du droit limiteacute Soulignons que de telles exigences sont requises non
seulement lorsqursquoun droit fondamental subit une restriction neacutecessaire pour preacuteserver le droit agrave
la protection des donneacutees personnelles mais aussi lorsque la situation est inverseacutee
13 Comme lrsquoa deacutejagrave exprimeacute la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne le leacutegislateur europeacuteen srsquoest efforceacute de
concilier les dispositions de la Directive avec drsquoautres droits fondamentaux susceptibles drsquoecirctre affecteacutes par son
application (affaire C-10101 laquothinspBodil Lindqvistthinspraquo sectsect 84 et 90) 14 Lrsquoart 82c) de la Directive ne constitue pas la seule base juridique qui leacutegitime le traitement de donneacutees afin de
sauvegarder un inteacuterecirct vital de son titulaire Comme lrsquoa deacutejagrave eacutevoqueacute la CJUE la protection de la vie et de lrsquointeacutegriteacute
physique peut excuser sous la base de lrsquoart 7f) de la Directive des opeacuterations de traitement de donneacutees
appartenant agrave des tiers (affaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo sect 34)
Signalons en tout cas que cet obiter dicta est dans une certaine mesure conditionneacute par les faits du cas drsquoespegravece 15 Il srsquoagit selon la CJUE drsquoune veacuteritable obligation juridique (affaire C-47312 laquothinspInstitut professionnel des agents
immobiliers c Geoffrey Englebert et autresthinspraquo sect 33) vision qui srsquoaccommode agrave la doctrine de la Cour Europeacuteenne
des Droits de lrsquoHomme dans la mesure ougrave elle impose aux Eacutetats signataires de la CEDH lrsquoadoption drsquoun cadre
juridique approprieacute agrave lrsquoexercice des droits y reconnus (voir entre autres lrsquoarrecirct de la Cour Europeacuteenne des Droits
de lrsquoHomme du 26 mars 1986 dans lrsquoaffaire X et Y c Pays-Bas sect 23) 16 Rappelons que selon lrsquoart 523 de la CDFUE le sens et la porteacutee des droits contenus dans son texte seront les
mecircmes que ceux confeacutereacutes par la CEDH sans que cela ne puisse empecirccher le droit de lrsquoUE drsquoaccorder une
protection plus eacutetendue
5
Dans les pages qui suivent nous analyserons lrsquoapplication des critegraveres de conciliation effectueacutee
par la CJUE et la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CeDH)17 Notre exposeacute se centrera
sur le conflit entre le droit agrave la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel et trois autres droits
fondamentaux la liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation le droit de proprieacuteteacute et la
liberteacute drsquoentreprise
II CONCILIATION AVEC DrsquoAUTRES DROITS FONDAMENTAUX
1 Liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation
11 Signification et contours jurisprudentiels
La liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constitue lrsquoune des manifestations les plus
embleacutematiques drsquoun Eacutetat de Droit Consacreacutee agrave lrsquoart 10 de la CEDH et agrave lrsquoart 11 de la CDFUE
elle repreacutesente une liberteacute individuelle fondamentale ainsi qursquoun meacutecanisme indispensable pour
controcircler lrsquoaction des autoriteacutes publiques Le rocircle joueacute par cette liberteacute est tel que les restrictions
eacutetablies par le leacutegislateur arrivent mecircme agrave ecirctre examineacutees avec une preacutesomption
drsquoinconstitutionnaliteacute18
En ce qui concerne la liberteacute drsquoexpression la CeDH lui octroie une protection speacutecialement
large en incluant une vaste eacutetendue drsquoeacutemanations sur la base des valeurs de pluraliteacute de
toleacuterance et drsquoouverture drsquoesprit sans lesquelles une socieacuteteacute ne pourrait ecirctre consideacutereacutee comme
deacutemocratique19 Son exercice beacuteneacuteficie en outre drsquoune tutelle plus accentueacutee dans le domaine
politique20 Le fait que lrsquoobjectif poursuivi par celui qui lrsquoexerce soit de nature lucrative21 ou
qursquoInternet soit le moyen de diffusion utiliseacute22 nrsquoobstrue pas lrsquoapplication de la CEDH Par
ailleurs la CeDH a imposeacute aux Eacutetats lrsquoobligation de se doter drsquoun cadre leacutegislatif offrant des
garanties suffisantes tout en respectant lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse et le devoir
drsquoinvoquer un besoin impeacuterieux pour eacutetablir des restrictions jugeacutees neacutecessaires23
La liberteacute drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation a agrave son tour subi une eacutevolution jurisprudentielle
significative De lrsquoabsence de lrsquoobligation de faciliter la diffusion de lrsquoinformation de la part de
lrsquoEacutetat24 nous sommes passeacutes agrave un veacuteritable droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation25 La liberteacute drsquoaccegraves
concerne le contenu de lrsquoinformation ainsi que les moyens de transmission dont Internet
17 Nous utiliserons les abreacuteviations CeDH et CEDH pour distinguer la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme
(CeDH) de la Convention Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CEDH) 18 Telle est la position assumeacutee par la Cour Suprecircme des Eacutetats-Unis de lrsquoAmeacuterique (arrecirct du 30 juin 1976 dans
lrsquoaffaire Nebraska Press Assn v Stuart sect V entre autres) Pour une vision geacuteneacuterale sur la liberteacute drsquoexpression
aux Eacutetats-Unis voir MUHLMANN DECAUX amp ZOLLER La liberteacute drsquoexpression Dalloz 2016 pp 179-224 19 Arrecirct de la CeDH du 16 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Aleksey Ovchinnikov c Russie (sect 39) Lrsquoideacutee est reprise
par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27499 laquothinspBernard Connolly c Commissionthinspraquo (sect 39) 20 Arrecirct de la CeDH du 7 feacutevrier 2012 dans lrsquoaffaire Axel Springer AG c Allemagne (sect 90) 21 Arrecirct de la CeDH du 10 janvier 2013 dans lrsquoaffaire Ashby Donald et autres c France (sect 34) 22 Arrecirct de la CeDH du 16 juin 2015 dans lrsquoaffaire Delfi AS c Estonie (sect 110) 23 Arrecirct de la CeDH du 5 mai 2011 dans lrsquoaffaire Comiteacute de reacutedaction de Pravoye Delo et Shtekel c Ukraine (sectsect
47-68) De la mecircme faccedilon srsquoest prononceacutee la CJUE (entre autres affaire C-7102 laquothinspHerbert Karner Industrie-
Auktionen GmbH c Troostwijk GmbHthinspraquo sect 50) 24 Arrecirct de la CeDH du 19 octobre 2005 dans lrsquoaffaire Roche c Royaume-Uni (sect 172) 25 Arrecirct de la CeDH du 28 novembre 2013 dans lrsquoaffaire Oumlsterreichische Vereinigung zur Erhaltung Staumlrkung
und Schaffung c Autriche (sect 41)
6
assume une position centrale26 Cependant des restrictions sont admissibles si une raison
drsquointeacuterecirct public les rend indispensables27
12 Problegravemes poseacutes par la Directive 9546CE
Comme nous lrsquoavons deacutejagrave mentionneacute la Directive preacutevoit dans son article 9 lrsquoobligation de la
part des Eacutetats membres drsquointroduire des exceptions agrave certaines de ses normes de maniegravere agrave
concilier la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Cette obligation
pose neacuteanmoins quelques problegravemes de coordination et de nature interpreacutetative
Les difficulteacutes interpreacutetatives reacutesultent du fait que les exceptions doivent reacutepondre agrave des fins de
journalisme28 ou drsquoexpression artistique ou litteacuteraire Cependant les notions de journalisme et
drsquoexpression artistique ou litteacuteraire ne sont pas deacutefinies par la Directive bien que la CJUE ait
deacutejagrave exprimeacute la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation large29 Ce critegravere reste toutefois impreacutecis et
donne aux Eacutetats membres une marge drsquoappreacuteciation non neacutegligeable30
Outre son interpreacutetation la Directive laisse aux Eacutetats membres la possibiliteacute drsquoeacutetablir des
exceptions agrave condition drsquoecirctre neacutecessaires pour concilier la protection des donneacutees avec la liberteacute
drsquoexpression Cela a pour conseacutequence la fragmentation de lrsquoespace juridique europeacuteen car
chaque Eacutetat deacutetient le pouvoir drsquoeacutetablir les exceptions qursquoil considegravere comme opportunes Le
Regraveglement aborde cette probleacutematique dans son art 851 en obligeant les Eacutetats membres agrave
preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de concilier la
protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Les concepts de journalisme
et drsquoexpression artistique et litteacuteraire sont repris par le Regraveglement auxquels srsquoajoute celui
drsquoexpression universitaire mais sans qursquoaucune deacutefinition qui permette de les preacuteciser ne soit
offerte En outre le nouveau texte europeacuteen impose aux Eacutetats membres lrsquoobligation de notifier
agrave la Commission les dispositions normatives adopteacutees en vertu de lrsquoart 851 (art 853) ce qui
aidera agrave mieux coordonner les regravegles nationales au fur et agrave mesure qursquoelles seront adopteacutees
13 Conciliation avec la protection des donneacutees personnelles
131 Liberteacute drsquoexpression
La conciliation entre la liberteacute drsquoexpression et la protection des donneacutees personnelles implique
le besoin drsquoeacuteriger certaines restrictions Ces restrictions doivent en tout cas respecter les
conditions imposeacutees par les arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE Par contre si les
limitations affectent la liberteacute drsquoexpression nous devrons faire appel agrave lrsquoart 102 de la CEDH
ainsi qursquoagrave la CDFUE
En ce qui concerne la CJUE lrsquoeacutetablissement de restrictions agrave la protection des donneacutees au profit
de la liberteacute drsquoexpression a eacuteteacute examineacute de maniegravere partielle dans lrsquoaffaire C-7307
26 La fonction remplie par Internet est essentielle pour une socieacuteteacute deacutemocratique car selon la CeDH il srsquoagit drsquoun
moyen qui contribue grandement agrave la preacuteservation et agrave lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoactualiteacute et des informations (arrecirct du 10
mars 2009 dans lrsquoaffaire Times Newspapers Ltd c Royaume-Uni sect 45) 27 Arrecirct de la CeDH du 27 novembre 2007 dans lrsquoaffaire Timpul Info-Magazin et Anghel c Moldova (sect 31) 28 Sur le concept de journalisme voir VAN ENIS Quentin La liberteacute de la presse agrave lrsquoegravere numeacuterique Larcier
2015 pp 569 sqq 29 Affaire C-7307 laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo sect 56 30 Lrsquoagence britannique de protection des donneacutees (ICO) a reacutealiseacute un important effort de clarification du concept
de journalisme agrave travers son guide laquothinspData protection and journalism a guide for the mediaraquo
7
laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo Bien que les
conditions pour beacuteneacuteficier de la liberteacute drsquoexpression soient interpreacuteteacutees drsquoune maniegravere similaire
agrave celle de la CeDH31 la CJUE estime que le fait drsquoappreacutecier si une exception a eacuteteacute formuleacutee
dans les limites du strict neacutecessaire relegraveve de la compeacutetence des Eacutetats membres sans qursquoaucune
mention aux arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE ne soit effectueacutee Par ailleurs la CJUE
juge que la seule divulgation au public drsquoinformations drsquoopinions ou drsquoideacutees constitue un motif
suffisant pour qursquoune activiteacute beacuteneacuteficie du titre de journalisme sans analyser si la publication
remplit une mission drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui puisse justifier des restrictions au droit agrave la protection
des donneacutees personnelles
Contrairement agrave la CJUE la CeDH a deacuteveloppeacute une ample jurisprudence sous lrsquoangle de lrsquoart
8 de la CEDH Lrsquoabsence drsquoune preacutevision speacutecifique sur la protection des donneacutees personnelles
ne repreacutesente pas un obstacle pour la CeDH qui offre une protection effective fondeacutee sur le
droit agrave la vie priveacutee
Le raisonnement de la CeDH srsquoinaugure avec la constatation drsquoune ingeacuterence dans la vie priveacutee
Cette constatation se produit drsquoune faccedilon assez geacuteneacutereuse et rappelle la souplesse qui caracteacuterise
la notion de traitement de donneacutees consacreacutee agrave lrsquoart 2b) de la Directive32
Ensuite la CeDH examine si lrsquoingeacuterence est admissible agrave la lumiegravere de lrsquoart 82 de la CEDH
Le premier pas consiste agrave deacuteterminer si lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse a eacuteteacute remplie
par le leacutegislateur tant du point de vue formel que mateacuteriel33 Une fois que cela a eacuteteacute constateacute
la CeDH analyse si lrsquoingeacuterence est neacutecessaire agrave la protection de la liberteacute drsquoexpression et
conforme au principe de proportionnaliteacute Pour y parvenir la CeDH srsquoappuie sur une seacuterie de
critegraveres deacuteveloppeacutes par sa propre jurisprudence lrsquoeacuteleacutement central de son jugement eacutetant le fait
que lrsquoinformation divulgueacutee soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible drsquoouvrir un deacutebat inteacuterecirct
geacuteneacuteral34 La liste des critegraveres appliqueacutes par la CeDH nrsquoest en aucun cas exhaustive sinon
indicative et en eacutetroite deacutependance des circonstances concregravetes de chaque cas Cela explique
qursquoaux lignes exposeacutees dans lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne35 se soient ajouteacutees drsquoautres
31 En effet la CJUE rappelle que la liberteacute drsquoexpression srsquoapplique non seulement aux entreprises de meacutedia mais
eacutegalement agrave toute personne exerccedilant une activiteacute de journalisme (sect 58) qursquoune fin lucrative nrsquoexclut a priori pas
sa compatibiliteacute avec ladite liberteacute (sect 59) et que le support utiliseacute pour srsquoexprimer ne constitue pas un critegravere
deacuteterminant pour appreacutecier srsquoil srsquoagit drsquoune activiteacute journalistique (sect 60) 32 Les situations qui selon la CeDH constituent une ingeacuterence dans la vie priveacutee se caracteacuterisent par le fait drsquoecirctre
agrave diverses occasions subsumables dans le concept de traitement de donneacutees personnelles preacutevu agrave lrsquoart 2b) de la
Directive Ainsi la CeDH a consideacutereacute que la surveillance par GPS et le traitement des donneacutees obtenues par ce
moyen constituaient une ingeacuterence dans la vie priveacutee (arrecirct du 2 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Uzun c Allemagne)
Cette affirmation est reprise pour les eacutechantillons vocaux (arrecirct du 25 septembre 2001 dans lrsquoaffaire PG et JH
c Royaume-Uni) la surveillance videacuteo (arrecirct du 17 octobre 2003 dans lrsquoaffaire Perry c Royaume-Uni) les
traitements agrave des fins journalistiques (arrecirct du 9 octobre 2012 dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie) ou les eacutevaluations
administratives (arrecirct du 29 juillet 2014 dans lrsquoaffaire LH c Lettonie) 33 Pour que lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse soit remplie la CeDH impose deux conditions que
lrsquoinstrument utiliseacute revecircte un caractegravere normatif (eacuteleacutement formel) et que les conseacutequences deacutecoulant de son
application soient suffisamment preacutevisibles (eacuteleacutement mateacuteriel) bien que lrsquousage de concepts juridiques
indeacutetermineacutes soit admissible (arrecirct du 6 avril 2010 dans lrsquoaffaire Flinkkilauml et autres c Finlande sectsect 63-65) 34 Qursquoune publication soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible de promouvoir un deacutebat drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral deacutepend des
circonstances entourant chaque cas Neacuteanmoins la CeDH a deacutejagrave reconnu lrsquoexistence drsquoun inteacuterecirct geacuteneacuteral lorsque
la publication portait sur des affaires politiques peacutenales ou mecircme sportives et artistiques (affaire Axel Springer
AG c Allemagne sect 90) 35 Lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne (7 feacutevrier 2012) expose les critegraveres geacuteneacuteralement citeacutes par la CeDH pour
concilier la vie priveacutee avec la liberteacute drsquoexpression (sectsect 109-113) lrsquoouverture drsquoun deacutebat public le rocircle joueacute par un
8
telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la
bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37
Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec
lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites
lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire
impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de
qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de
diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication
affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la
CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat
drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu
132 Accegraves agrave lrsquoinformation
Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres
signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees
opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct
public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43
La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit
deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la
structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la
limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe
de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par
la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees
Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de
lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct
geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave
travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute
individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi
que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la
divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8
de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute
jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei
GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees
appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la
requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une
finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour
objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3
septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave
lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars
2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres
9
Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions
reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment
contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45
La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112
laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja
Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence
du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part
des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent
beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie
entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et
14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave
leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en
raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant
agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees
agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur
lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition
Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des
donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis
pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de
44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et
Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par
lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute
avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du
Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du
Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes
C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm
et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de
vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur
la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession
des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du
Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si
le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001
relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les
institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement
ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de
la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des
moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir
BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol
82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit
agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du
droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir
Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the
implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia
Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport
adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The
Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)
10
censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner
davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable
face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de
savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des
donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave
lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute
drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute
de maniegravere expresse
2 Droit de proprieacuteteacute
21 Protection nationale et internationale
Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute
constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des
principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52
En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans
les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international
dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17
de la CDFUE
Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une
attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce
domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55
22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles
221 Description de la probleacutematique
Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle
Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour
permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement
50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions
drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les
affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier
voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge
de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario
Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection
renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee
attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est
soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte
espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est
lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de
proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la
Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects
du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement
Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle
11
elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres
droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56
Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux
P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de
fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de
contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de
maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant
lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les
tiers qui les conservent
Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux
questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la
confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui
la permettent
222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion
Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des
fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la
protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la
confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler
des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour
sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute
intellectuelle58
Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au
respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les
Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des
tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive
affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions
leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette
clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea
c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la
communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE
souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave
56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER
Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property
Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute
intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder
la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et
la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques
comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54
12
que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le
contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par
conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge
ex nihilo
La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun
certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs
qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de
vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme
temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8
de la CDFUE
Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes
offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par
accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction
Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour
assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa
compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de
maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65
223 Validiteacute de lrsquointrusion
Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de
proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des
donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions
eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale
expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66
61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c
Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden
ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de
Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la
confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la
fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette
approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source
valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national
srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque
cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette
solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE
ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect
20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en
une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres
(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit
deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute
proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats
membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est
eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE
13
La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete
lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire
Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats
membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents
droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation
srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures
adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c
Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une
disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de
contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un
juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle
Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence
drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter
lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients
occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de
proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68
Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et
conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent
garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir
toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives
Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs
compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten
en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un
fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications
eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas
lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en
plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69
23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE
Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de
protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70
habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation
67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche
dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune
disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour
refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait
pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait
par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40
et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55
14
drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent
pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71
Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en
fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir
compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la
CDFUE72
La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun
examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad
pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que
le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave
travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement
consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73
24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement
Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons
signaleacutees sont reacuteduites mais significatives
En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement
semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la
Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat
membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont
neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles
restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute
deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le
Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative
adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du
traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation
Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision
en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant
3 Liberteacute drsquoentreprise
31 Contexte
La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute
drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des
restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave
71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime
poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par
le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir
drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1
du Protocole)
15
lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant
lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques
Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi
de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas
exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75
Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit
fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76
Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et
jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave
compleacuteter notre analyse
32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement
Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune
opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations
preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre
susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee
(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la
reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo
(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du
deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes
attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a
75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce
par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave
ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)
Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de
donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et
C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c
Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de
diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi
(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les
preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors
de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le
cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations
de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences
que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre
la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees
sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles
Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de
reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les
obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est
autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
17
de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
5
Dans les pages qui suivent nous analyserons lrsquoapplication des critegraveres de conciliation effectueacutee
par la CJUE et la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CeDH)17 Notre exposeacute se centrera
sur le conflit entre le droit agrave la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel et trois autres droits
fondamentaux la liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation le droit de proprieacuteteacute et la
liberteacute drsquoentreprise
II CONCILIATION AVEC DrsquoAUTRES DROITS FONDAMENTAUX
1 Liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation
11 Signification et contours jurisprudentiels
La liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constitue lrsquoune des manifestations les plus
embleacutematiques drsquoun Eacutetat de Droit Consacreacutee agrave lrsquoart 10 de la CEDH et agrave lrsquoart 11 de la CDFUE
elle repreacutesente une liberteacute individuelle fondamentale ainsi qursquoun meacutecanisme indispensable pour
controcircler lrsquoaction des autoriteacutes publiques Le rocircle joueacute par cette liberteacute est tel que les restrictions
eacutetablies par le leacutegislateur arrivent mecircme agrave ecirctre examineacutees avec une preacutesomption
drsquoinconstitutionnaliteacute18
En ce qui concerne la liberteacute drsquoexpression la CeDH lui octroie une protection speacutecialement
large en incluant une vaste eacutetendue drsquoeacutemanations sur la base des valeurs de pluraliteacute de
toleacuterance et drsquoouverture drsquoesprit sans lesquelles une socieacuteteacute ne pourrait ecirctre consideacutereacutee comme
deacutemocratique19 Son exercice beacuteneacuteficie en outre drsquoune tutelle plus accentueacutee dans le domaine
politique20 Le fait que lrsquoobjectif poursuivi par celui qui lrsquoexerce soit de nature lucrative21 ou
qursquoInternet soit le moyen de diffusion utiliseacute22 nrsquoobstrue pas lrsquoapplication de la CEDH Par
ailleurs la CeDH a imposeacute aux Eacutetats lrsquoobligation de se doter drsquoun cadre leacutegislatif offrant des
garanties suffisantes tout en respectant lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse et le devoir
drsquoinvoquer un besoin impeacuterieux pour eacutetablir des restrictions jugeacutees neacutecessaires23
La liberteacute drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation a agrave son tour subi une eacutevolution jurisprudentielle
significative De lrsquoabsence de lrsquoobligation de faciliter la diffusion de lrsquoinformation de la part de
lrsquoEacutetat24 nous sommes passeacutes agrave un veacuteritable droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation25 La liberteacute drsquoaccegraves
concerne le contenu de lrsquoinformation ainsi que les moyens de transmission dont Internet
17 Nous utiliserons les abreacuteviations CeDH et CEDH pour distinguer la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme
(CeDH) de la Convention Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CEDH) 18 Telle est la position assumeacutee par la Cour Suprecircme des Eacutetats-Unis de lrsquoAmeacuterique (arrecirct du 30 juin 1976 dans
lrsquoaffaire Nebraska Press Assn v Stuart sect V entre autres) Pour une vision geacuteneacuterale sur la liberteacute drsquoexpression
aux Eacutetats-Unis voir MUHLMANN DECAUX amp ZOLLER La liberteacute drsquoexpression Dalloz 2016 pp 179-224 19 Arrecirct de la CeDH du 16 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Aleksey Ovchinnikov c Russie (sect 39) Lrsquoideacutee est reprise
par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27499 laquothinspBernard Connolly c Commissionthinspraquo (sect 39) 20 Arrecirct de la CeDH du 7 feacutevrier 2012 dans lrsquoaffaire Axel Springer AG c Allemagne (sect 90) 21 Arrecirct de la CeDH du 10 janvier 2013 dans lrsquoaffaire Ashby Donald et autres c France (sect 34) 22 Arrecirct de la CeDH du 16 juin 2015 dans lrsquoaffaire Delfi AS c Estonie (sect 110) 23 Arrecirct de la CeDH du 5 mai 2011 dans lrsquoaffaire Comiteacute de reacutedaction de Pravoye Delo et Shtekel c Ukraine (sectsect
47-68) De la mecircme faccedilon srsquoest prononceacutee la CJUE (entre autres affaire C-7102 laquothinspHerbert Karner Industrie-
Auktionen GmbH c Troostwijk GmbHthinspraquo sect 50) 24 Arrecirct de la CeDH du 19 octobre 2005 dans lrsquoaffaire Roche c Royaume-Uni (sect 172) 25 Arrecirct de la CeDH du 28 novembre 2013 dans lrsquoaffaire Oumlsterreichische Vereinigung zur Erhaltung Staumlrkung
und Schaffung c Autriche (sect 41)
6
assume une position centrale26 Cependant des restrictions sont admissibles si une raison
drsquointeacuterecirct public les rend indispensables27
12 Problegravemes poseacutes par la Directive 9546CE
Comme nous lrsquoavons deacutejagrave mentionneacute la Directive preacutevoit dans son article 9 lrsquoobligation de la
part des Eacutetats membres drsquointroduire des exceptions agrave certaines de ses normes de maniegravere agrave
concilier la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Cette obligation
pose neacuteanmoins quelques problegravemes de coordination et de nature interpreacutetative
Les difficulteacutes interpreacutetatives reacutesultent du fait que les exceptions doivent reacutepondre agrave des fins de
journalisme28 ou drsquoexpression artistique ou litteacuteraire Cependant les notions de journalisme et
drsquoexpression artistique ou litteacuteraire ne sont pas deacutefinies par la Directive bien que la CJUE ait
deacutejagrave exprimeacute la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation large29 Ce critegravere reste toutefois impreacutecis et
donne aux Eacutetats membres une marge drsquoappreacuteciation non neacutegligeable30
Outre son interpreacutetation la Directive laisse aux Eacutetats membres la possibiliteacute drsquoeacutetablir des
exceptions agrave condition drsquoecirctre neacutecessaires pour concilier la protection des donneacutees avec la liberteacute
drsquoexpression Cela a pour conseacutequence la fragmentation de lrsquoespace juridique europeacuteen car
chaque Eacutetat deacutetient le pouvoir drsquoeacutetablir les exceptions qursquoil considegravere comme opportunes Le
Regraveglement aborde cette probleacutematique dans son art 851 en obligeant les Eacutetats membres agrave
preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de concilier la
protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Les concepts de journalisme
et drsquoexpression artistique et litteacuteraire sont repris par le Regraveglement auxquels srsquoajoute celui
drsquoexpression universitaire mais sans qursquoaucune deacutefinition qui permette de les preacuteciser ne soit
offerte En outre le nouveau texte europeacuteen impose aux Eacutetats membres lrsquoobligation de notifier
agrave la Commission les dispositions normatives adopteacutees en vertu de lrsquoart 851 (art 853) ce qui
aidera agrave mieux coordonner les regravegles nationales au fur et agrave mesure qursquoelles seront adopteacutees
13 Conciliation avec la protection des donneacutees personnelles
131 Liberteacute drsquoexpression
La conciliation entre la liberteacute drsquoexpression et la protection des donneacutees personnelles implique
le besoin drsquoeacuteriger certaines restrictions Ces restrictions doivent en tout cas respecter les
conditions imposeacutees par les arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE Par contre si les
limitations affectent la liberteacute drsquoexpression nous devrons faire appel agrave lrsquoart 102 de la CEDH
ainsi qursquoagrave la CDFUE
En ce qui concerne la CJUE lrsquoeacutetablissement de restrictions agrave la protection des donneacutees au profit
de la liberteacute drsquoexpression a eacuteteacute examineacute de maniegravere partielle dans lrsquoaffaire C-7307
26 La fonction remplie par Internet est essentielle pour une socieacuteteacute deacutemocratique car selon la CeDH il srsquoagit drsquoun
moyen qui contribue grandement agrave la preacuteservation et agrave lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoactualiteacute et des informations (arrecirct du 10
mars 2009 dans lrsquoaffaire Times Newspapers Ltd c Royaume-Uni sect 45) 27 Arrecirct de la CeDH du 27 novembre 2007 dans lrsquoaffaire Timpul Info-Magazin et Anghel c Moldova (sect 31) 28 Sur le concept de journalisme voir VAN ENIS Quentin La liberteacute de la presse agrave lrsquoegravere numeacuterique Larcier
2015 pp 569 sqq 29 Affaire C-7307 laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo sect 56 30 Lrsquoagence britannique de protection des donneacutees (ICO) a reacutealiseacute un important effort de clarification du concept
de journalisme agrave travers son guide laquothinspData protection and journalism a guide for the mediaraquo
7
laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo Bien que les
conditions pour beacuteneacuteficier de la liberteacute drsquoexpression soient interpreacuteteacutees drsquoune maniegravere similaire
agrave celle de la CeDH31 la CJUE estime que le fait drsquoappreacutecier si une exception a eacuteteacute formuleacutee
dans les limites du strict neacutecessaire relegraveve de la compeacutetence des Eacutetats membres sans qursquoaucune
mention aux arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE ne soit effectueacutee Par ailleurs la CJUE
juge que la seule divulgation au public drsquoinformations drsquoopinions ou drsquoideacutees constitue un motif
suffisant pour qursquoune activiteacute beacuteneacuteficie du titre de journalisme sans analyser si la publication
remplit une mission drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui puisse justifier des restrictions au droit agrave la protection
des donneacutees personnelles
Contrairement agrave la CJUE la CeDH a deacuteveloppeacute une ample jurisprudence sous lrsquoangle de lrsquoart
8 de la CEDH Lrsquoabsence drsquoune preacutevision speacutecifique sur la protection des donneacutees personnelles
ne repreacutesente pas un obstacle pour la CeDH qui offre une protection effective fondeacutee sur le
droit agrave la vie priveacutee
Le raisonnement de la CeDH srsquoinaugure avec la constatation drsquoune ingeacuterence dans la vie priveacutee
Cette constatation se produit drsquoune faccedilon assez geacuteneacutereuse et rappelle la souplesse qui caracteacuterise
la notion de traitement de donneacutees consacreacutee agrave lrsquoart 2b) de la Directive32
Ensuite la CeDH examine si lrsquoingeacuterence est admissible agrave la lumiegravere de lrsquoart 82 de la CEDH
Le premier pas consiste agrave deacuteterminer si lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse a eacuteteacute remplie
par le leacutegislateur tant du point de vue formel que mateacuteriel33 Une fois que cela a eacuteteacute constateacute
la CeDH analyse si lrsquoingeacuterence est neacutecessaire agrave la protection de la liberteacute drsquoexpression et
conforme au principe de proportionnaliteacute Pour y parvenir la CeDH srsquoappuie sur une seacuterie de
critegraveres deacuteveloppeacutes par sa propre jurisprudence lrsquoeacuteleacutement central de son jugement eacutetant le fait
que lrsquoinformation divulgueacutee soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible drsquoouvrir un deacutebat inteacuterecirct
geacuteneacuteral34 La liste des critegraveres appliqueacutes par la CeDH nrsquoest en aucun cas exhaustive sinon
indicative et en eacutetroite deacutependance des circonstances concregravetes de chaque cas Cela explique
qursquoaux lignes exposeacutees dans lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne35 se soient ajouteacutees drsquoautres
31 En effet la CJUE rappelle que la liberteacute drsquoexpression srsquoapplique non seulement aux entreprises de meacutedia mais
eacutegalement agrave toute personne exerccedilant une activiteacute de journalisme (sect 58) qursquoune fin lucrative nrsquoexclut a priori pas
sa compatibiliteacute avec ladite liberteacute (sect 59) et que le support utiliseacute pour srsquoexprimer ne constitue pas un critegravere
deacuteterminant pour appreacutecier srsquoil srsquoagit drsquoune activiteacute journalistique (sect 60) 32 Les situations qui selon la CeDH constituent une ingeacuterence dans la vie priveacutee se caracteacuterisent par le fait drsquoecirctre
agrave diverses occasions subsumables dans le concept de traitement de donneacutees personnelles preacutevu agrave lrsquoart 2b) de la
Directive Ainsi la CeDH a consideacutereacute que la surveillance par GPS et le traitement des donneacutees obtenues par ce
moyen constituaient une ingeacuterence dans la vie priveacutee (arrecirct du 2 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Uzun c Allemagne)
Cette affirmation est reprise pour les eacutechantillons vocaux (arrecirct du 25 septembre 2001 dans lrsquoaffaire PG et JH
c Royaume-Uni) la surveillance videacuteo (arrecirct du 17 octobre 2003 dans lrsquoaffaire Perry c Royaume-Uni) les
traitements agrave des fins journalistiques (arrecirct du 9 octobre 2012 dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie) ou les eacutevaluations
administratives (arrecirct du 29 juillet 2014 dans lrsquoaffaire LH c Lettonie) 33 Pour que lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse soit remplie la CeDH impose deux conditions que
lrsquoinstrument utiliseacute revecircte un caractegravere normatif (eacuteleacutement formel) et que les conseacutequences deacutecoulant de son
application soient suffisamment preacutevisibles (eacuteleacutement mateacuteriel) bien que lrsquousage de concepts juridiques
indeacutetermineacutes soit admissible (arrecirct du 6 avril 2010 dans lrsquoaffaire Flinkkilauml et autres c Finlande sectsect 63-65) 34 Qursquoune publication soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible de promouvoir un deacutebat drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral deacutepend des
circonstances entourant chaque cas Neacuteanmoins la CeDH a deacutejagrave reconnu lrsquoexistence drsquoun inteacuterecirct geacuteneacuteral lorsque
la publication portait sur des affaires politiques peacutenales ou mecircme sportives et artistiques (affaire Axel Springer
AG c Allemagne sect 90) 35 Lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne (7 feacutevrier 2012) expose les critegraveres geacuteneacuteralement citeacutes par la CeDH pour
concilier la vie priveacutee avec la liberteacute drsquoexpression (sectsect 109-113) lrsquoouverture drsquoun deacutebat public le rocircle joueacute par un
8
telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la
bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37
Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec
lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites
lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire
impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de
qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de
diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication
affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la
CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat
drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu
132 Accegraves agrave lrsquoinformation
Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres
signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees
opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct
public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43
La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit
deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la
structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la
limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe
de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par
la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees
Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de
lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct
geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave
travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute
individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi
que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la
divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8
de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute
jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei
GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees
appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la
requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une
finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour
objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3
septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave
lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars
2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres
9
Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions
reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment
contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45
La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112
laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja
Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence
du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part
des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent
beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie
entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et
14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave
leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en
raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant
agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees
agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur
lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition
Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des
donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis
pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de
44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et
Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par
lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute
avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du
Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du
Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes
C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm
et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de
vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur
la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession
des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du
Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si
le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001
relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les
institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement
ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de
la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des
moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir
BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol
82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit
agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du
droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir
Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the
implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia
Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport
adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The
Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)
10
censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner
davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable
face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de
savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des
donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave
lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute
drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute
de maniegravere expresse
2 Droit de proprieacuteteacute
21 Protection nationale et internationale
Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute
constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des
principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52
En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans
les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international
dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17
de la CDFUE
Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une
attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce
domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55
22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles
221 Description de la probleacutematique
Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle
Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour
permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement
50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions
drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les
affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier
voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge
de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario
Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection
renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee
attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est
soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte
espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est
lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de
proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la
Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects
du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement
Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle
11
elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres
droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56
Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux
P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de
fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de
contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de
maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant
lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les
tiers qui les conservent
Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux
questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la
confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui
la permettent
222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion
Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des
fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la
protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la
confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler
des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour
sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute
intellectuelle58
Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au
respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les
Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des
tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive
affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions
leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette
clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea
c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la
communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE
souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave
56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER
Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property
Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute
intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder
la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et
la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques
comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54
12
que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le
contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par
conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge
ex nihilo
La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun
certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs
qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de
vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme
temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8
de la CDFUE
Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes
offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par
accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction
Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour
assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa
compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de
maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65
223 Validiteacute de lrsquointrusion
Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de
proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des
donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions
eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale
expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66
61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c
Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden
ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de
Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la
confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la
fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette
approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source
valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national
srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque
cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette
solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE
ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect
20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en
une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres
(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit
deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute
proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats
membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est
eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE
13
La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete
lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire
Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats
membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents
droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation
srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures
adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c
Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une
disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de
contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un
juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle
Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence
drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter
lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients
occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de
proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68
Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et
conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent
garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir
toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives
Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs
compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten
en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un
fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications
eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas
lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en
plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69
23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE
Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de
protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70
habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation
67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche
dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune
disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour
refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait
pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait
par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40
et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55
14
drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent
pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71
Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en
fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir
compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la
CDFUE72
La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun
examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad
pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que
le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave
travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement
consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73
24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement
Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons
signaleacutees sont reacuteduites mais significatives
En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement
semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la
Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat
membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont
neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles
restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute
deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le
Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative
adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du
traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation
Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision
en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant
3 Liberteacute drsquoentreprise
31 Contexte
La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute
drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des
restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave
71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime
poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par
le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir
drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1
du Protocole)
15
lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant
lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques
Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi
de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas
exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75
Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit
fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76
Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et
jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave
compleacuteter notre analyse
32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement
Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune
opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations
preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre
susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee
(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la
reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo
(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du
deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes
attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a
75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce
par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave
ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)
Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de
donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et
C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c
Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de
diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi
(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les
preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors
de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le
cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations
de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences
que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre
la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees
sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles
Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de
reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les
obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est
autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
17
de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
6
assume une position centrale26 Cependant des restrictions sont admissibles si une raison
drsquointeacuterecirct public les rend indispensables27
12 Problegravemes poseacutes par la Directive 9546CE
Comme nous lrsquoavons deacutejagrave mentionneacute la Directive preacutevoit dans son article 9 lrsquoobligation de la
part des Eacutetats membres drsquointroduire des exceptions agrave certaines de ses normes de maniegravere agrave
concilier la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Cette obligation
pose neacuteanmoins quelques problegravemes de coordination et de nature interpreacutetative
Les difficulteacutes interpreacutetatives reacutesultent du fait que les exceptions doivent reacutepondre agrave des fins de
journalisme28 ou drsquoexpression artistique ou litteacuteraire Cependant les notions de journalisme et
drsquoexpression artistique ou litteacuteraire ne sont pas deacutefinies par la Directive bien que la CJUE ait
deacutejagrave exprimeacute la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation large29 Ce critegravere reste toutefois impreacutecis et
donne aux Eacutetats membres une marge drsquoappreacuteciation non neacutegligeable30
Outre son interpreacutetation la Directive laisse aux Eacutetats membres la possibiliteacute drsquoeacutetablir des
exceptions agrave condition drsquoecirctre neacutecessaires pour concilier la protection des donneacutees avec la liberteacute
drsquoexpression Cela a pour conseacutequence la fragmentation de lrsquoespace juridique europeacuteen car
chaque Eacutetat deacutetient le pouvoir drsquoeacutetablir les exceptions qursquoil considegravere comme opportunes Le
Regraveglement aborde cette probleacutematique dans son art 851 en obligeant les Eacutetats membres agrave
preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de concilier la
protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Les concepts de journalisme
et drsquoexpression artistique et litteacuteraire sont repris par le Regraveglement auxquels srsquoajoute celui
drsquoexpression universitaire mais sans qursquoaucune deacutefinition qui permette de les preacuteciser ne soit
offerte En outre le nouveau texte europeacuteen impose aux Eacutetats membres lrsquoobligation de notifier
agrave la Commission les dispositions normatives adopteacutees en vertu de lrsquoart 851 (art 853) ce qui
aidera agrave mieux coordonner les regravegles nationales au fur et agrave mesure qursquoelles seront adopteacutees
13 Conciliation avec la protection des donneacutees personnelles
131 Liberteacute drsquoexpression
La conciliation entre la liberteacute drsquoexpression et la protection des donneacutees personnelles implique
le besoin drsquoeacuteriger certaines restrictions Ces restrictions doivent en tout cas respecter les
conditions imposeacutees par les arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE Par contre si les
limitations affectent la liberteacute drsquoexpression nous devrons faire appel agrave lrsquoart 102 de la CEDH
ainsi qursquoagrave la CDFUE
En ce qui concerne la CJUE lrsquoeacutetablissement de restrictions agrave la protection des donneacutees au profit
de la liberteacute drsquoexpression a eacuteteacute examineacute de maniegravere partielle dans lrsquoaffaire C-7307
26 La fonction remplie par Internet est essentielle pour une socieacuteteacute deacutemocratique car selon la CeDH il srsquoagit drsquoun
moyen qui contribue grandement agrave la preacuteservation et agrave lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoactualiteacute et des informations (arrecirct du 10
mars 2009 dans lrsquoaffaire Times Newspapers Ltd c Royaume-Uni sect 45) 27 Arrecirct de la CeDH du 27 novembre 2007 dans lrsquoaffaire Timpul Info-Magazin et Anghel c Moldova (sect 31) 28 Sur le concept de journalisme voir VAN ENIS Quentin La liberteacute de la presse agrave lrsquoegravere numeacuterique Larcier
2015 pp 569 sqq 29 Affaire C-7307 laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo sect 56 30 Lrsquoagence britannique de protection des donneacutees (ICO) a reacutealiseacute un important effort de clarification du concept
de journalisme agrave travers son guide laquothinspData protection and journalism a guide for the mediaraquo
7
laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo Bien que les
conditions pour beacuteneacuteficier de la liberteacute drsquoexpression soient interpreacuteteacutees drsquoune maniegravere similaire
agrave celle de la CeDH31 la CJUE estime que le fait drsquoappreacutecier si une exception a eacuteteacute formuleacutee
dans les limites du strict neacutecessaire relegraveve de la compeacutetence des Eacutetats membres sans qursquoaucune
mention aux arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE ne soit effectueacutee Par ailleurs la CJUE
juge que la seule divulgation au public drsquoinformations drsquoopinions ou drsquoideacutees constitue un motif
suffisant pour qursquoune activiteacute beacuteneacuteficie du titre de journalisme sans analyser si la publication
remplit une mission drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui puisse justifier des restrictions au droit agrave la protection
des donneacutees personnelles
Contrairement agrave la CJUE la CeDH a deacuteveloppeacute une ample jurisprudence sous lrsquoangle de lrsquoart
8 de la CEDH Lrsquoabsence drsquoune preacutevision speacutecifique sur la protection des donneacutees personnelles
ne repreacutesente pas un obstacle pour la CeDH qui offre une protection effective fondeacutee sur le
droit agrave la vie priveacutee
Le raisonnement de la CeDH srsquoinaugure avec la constatation drsquoune ingeacuterence dans la vie priveacutee
Cette constatation se produit drsquoune faccedilon assez geacuteneacutereuse et rappelle la souplesse qui caracteacuterise
la notion de traitement de donneacutees consacreacutee agrave lrsquoart 2b) de la Directive32
Ensuite la CeDH examine si lrsquoingeacuterence est admissible agrave la lumiegravere de lrsquoart 82 de la CEDH
Le premier pas consiste agrave deacuteterminer si lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse a eacuteteacute remplie
par le leacutegislateur tant du point de vue formel que mateacuteriel33 Une fois que cela a eacuteteacute constateacute
la CeDH analyse si lrsquoingeacuterence est neacutecessaire agrave la protection de la liberteacute drsquoexpression et
conforme au principe de proportionnaliteacute Pour y parvenir la CeDH srsquoappuie sur une seacuterie de
critegraveres deacuteveloppeacutes par sa propre jurisprudence lrsquoeacuteleacutement central de son jugement eacutetant le fait
que lrsquoinformation divulgueacutee soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible drsquoouvrir un deacutebat inteacuterecirct
geacuteneacuteral34 La liste des critegraveres appliqueacutes par la CeDH nrsquoest en aucun cas exhaustive sinon
indicative et en eacutetroite deacutependance des circonstances concregravetes de chaque cas Cela explique
qursquoaux lignes exposeacutees dans lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne35 se soient ajouteacutees drsquoautres
31 En effet la CJUE rappelle que la liberteacute drsquoexpression srsquoapplique non seulement aux entreprises de meacutedia mais
eacutegalement agrave toute personne exerccedilant une activiteacute de journalisme (sect 58) qursquoune fin lucrative nrsquoexclut a priori pas
sa compatibiliteacute avec ladite liberteacute (sect 59) et que le support utiliseacute pour srsquoexprimer ne constitue pas un critegravere
deacuteterminant pour appreacutecier srsquoil srsquoagit drsquoune activiteacute journalistique (sect 60) 32 Les situations qui selon la CeDH constituent une ingeacuterence dans la vie priveacutee se caracteacuterisent par le fait drsquoecirctre
agrave diverses occasions subsumables dans le concept de traitement de donneacutees personnelles preacutevu agrave lrsquoart 2b) de la
Directive Ainsi la CeDH a consideacutereacute que la surveillance par GPS et le traitement des donneacutees obtenues par ce
moyen constituaient une ingeacuterence dans la vie priveacutee (arrecirct du 2 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Uzun c Allemagne)
Cette affirmation est reprise pour les eacutechantillons vocaux (arrecirct du 25 septembre 2001 dans lrsquoaffaire PG et JH
c Royaume-Uni) la surveillance videacuteo (arrecirct du 17 octobre 2003 dans lrsquoaffaire Perry c Royaume-Uni) les
traitements agrave des fins journalistiques (arrecirct du 9 octobre 2012 dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie) ou les eacutevaluations
administratives (arrecirct du 29 juillet 2014 dans lrsquoaffaire LH c Lettonie) 33 Pour que lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse soit remplie la CeDH impose deux conditions que
lrsquoinstrument utiliseacute revecircte un caractegravere normatif (eacuteleacutement formel) et que les conseacutequences deacutecoulant de son
application soient suffisamment preacutevisibles (eacuteleacutement mateacuteriel) bien que lrsquousage de concepts juridiques
indeacutetermineacutes soit admissible (arrecirct du 6 avril 2010 dans lrsquoaffaire Flinkkilauml et autres c Finlande sectsect 63-65) 34 Qursquoune publication soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible de promouvoir un deacutebat drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral deacutepend des
circonstances entourant chaque cas Neacuteanmoins la CeDH a deacutejagrave reconnu lrsquoexistence drsquoun inteacuterecirct geacuteneacuteral lorsque
la publication portait sur des affaires politiques peacutenales ou mecircme sportives et artistiques (affaire Axel Springer
AG c Allemagne sect 90) 35 Lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne (7 feacutevrier 2012) expose les critegraveres geacuteneacuteralement citeacutes par la CeDH pour
concilier la vie priveacutee avec la liberteacute drsquoexpression (sectsect 109-113) lrsquoouverture drsquoun deacutebat public le rocircle joueacute par un
8
telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la
bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37
Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec
lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites
lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire
impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de
qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de
diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication
affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la
CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat
drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu
132 Accegraves agrave lrsquoinformation
Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres
signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees
opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct
public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43
La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit
deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la
structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la
limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe
de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par
la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees
Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de
lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct
geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave
travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute
individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi
que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la
divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8
de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute
jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei
GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees
appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la
requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une
finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour
objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3
septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave
lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars
2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres
9
Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions
reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment
contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45
La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112
laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja
Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence
du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part
des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent
beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie
entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et
14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave
leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en
raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant
agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees
agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur
lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition
Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des
donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis
pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de
44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et
Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par
lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute
avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du
Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du
Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes
C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm
et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de
vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur
la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession
des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du
Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si
le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001
relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les
institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement
ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de
la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des
moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir
BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol
82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit
agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du
droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir
Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the
implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia
Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport
adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The
Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)
10
censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner
davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable
face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de
savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des
donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave
lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute
drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute
de maniegravere expresse
2 Droit de proprieacuteteacute
21 Protection nationale et internationale
Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute
constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des
principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52
En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans
les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international
dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17
de la CDFUE
Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une
attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce
domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55
22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles
221 Description de la probleacutematique
Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle
Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour
permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement
50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions
drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les
affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier
voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge
de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario
Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection
renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee
attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est
soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte
espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est
lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de
proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la
Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects
du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement
Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle
11
elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres
droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56
Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux
P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de
fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de
contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de
maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant
lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les
tiers qui les conservent
Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux
questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la
confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui
la permettent
222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion
Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des
fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la
protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la
confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler
des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour
sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute
intellectuelle58
Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au
respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les
Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des
tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive
affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions
leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette
clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea
c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la
communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE
souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave
56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER
Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property
Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute
intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder
la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et
la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques
comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54
12
que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le
contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par
conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge
ex nihilo
La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun
certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs
qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de
vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme
temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8
de la CDFUE
Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes
offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par
accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction
Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour
assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa
compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de
maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65
223 Validiteacute de lrsquointrusion
Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de
proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des
donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions
eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale
expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66
61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c
Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden
ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de
Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la
confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la
fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette
approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source
valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national
srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque
cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette
solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE
ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect
20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en
une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres
(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit
deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute
proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats
membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est
eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE
13
La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete
lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire
Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats
membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents
droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation
srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures
adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c
Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une
disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de
contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un
juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle
Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence
drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter
lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients
occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de
proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68
Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et
conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent
garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir
toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives
Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs
compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten
en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un
fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications
eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas
lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en
plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69
23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE
Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de
protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70
habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation
67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche
dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune
disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour
refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait
pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait
par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40
et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55
14
drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent
pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71
Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en
fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir
compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la
CDFUE72
La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun
examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad
pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que
le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave
travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement
consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73
24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement
Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons
signaleacutees sont reacuteduites mais significatives
En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement
semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la
Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat
membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont
neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles
restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute
deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le
Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative
adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du
traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation
Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision
en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant
3 Liberteacute drsquoentreprise
31 Contexte
La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute
drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des
restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave
71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime
poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par
le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir
drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1
du Protocole)
15
lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant
lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques
Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi
de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas
exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75
Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit
fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76
Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et
jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave
compleacuteter notre analyse
32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement
Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune
opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations
preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre
susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee
(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la
reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo
(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du
deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes
attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a
75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce
par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave
ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)
Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de
donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et
C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c
Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de
diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi
(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les
preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors
de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le
cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations
de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences
que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre
la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees
sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles
Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de
reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les
obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est
autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
17
de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
7
laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo Bien que les
conditions pour beacuteneacuteficier de la liberteacute drsquoexpression soient interpreacuteteacutees drsquoune maniegravere similaire
agrave celle de la CeDH31 la CJUE estime que le fait drsquoappreacutecier si une exception a eacuteteacute formuleacutee
dans les limites du strict neacutecessaire relegraveve de la compeacutetence des Eacutetats membres sans qursquoaucune
mention aux arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE ne soit effectueacutee Par ailleurs la CJUE
juge que la seule divulgation au public drsquoinformations drsquoopinions ou drsquoideacutees constitue un motif
suffisant pour qursquoune activiteacute beacuteneacuteficie du titre de journalisme sans analyser si la publication
remplit une mission drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui puisse justifier des restrictions au droit agrave la protection
des donneacutees personnelles
Contrairement agrave la CJUE la CeDH a deacuteveloppeacute une ample jurisprudence sous lrsquoangle de lrsquoart
8 de la CEDH Lrsquoabsence drsquoune preacutevision speacutecifique sur la protection des donneacutees personnelles
ne repreacutesente pas un obstacle pour la CeDH qui offre une protection effective fondeacutee sur le
droit agrave la vie priveacutee
Le raisonnement de la CeDH srsquoinaugure avec la constatation drsquoune ingeacuterence dans la vie priveacutee
Cette constatation se produit drsquoune faccedilon assez geacuteneacutereuse et rappelle la souplesse qui caracteacuterise
la notion de traitement de donneacutees consacreacutee agrave lrsquoart 2b) de la Directive32
Ensuite la CeDH examine si lrsquoingeacuterence est admissible agrave la lumiegravere de lrsquoart 82 de la CEDH
Le premier pas consiste agrave deacuteterminer si lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse a eacuteteacute remplie
par le leacutegislateur tant du point de vue formel que mateacuteriel33 Une fois que cela a eacuteteacute constateacute
la CeDH analyse si lrsquoingeacuterence est neacutecessaire agrave la protection de la liberteacute drsquoexpression et
conforme au principe de proportionnaliteacute Pour y parvenir la CeDH srsquoappuie sur une seacuterie de
critegraveres deacuteveloppeacutes par sa propre jurisprudence lrsquoeacuteleacutement central de son jugement eacutetant le fait
que lrsquoinformation divulgueacutee soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible drsquoouvrir un deacutebat inteacuterecirct
geacuteneacuteral34 La liste des critegraveres appliqueacutes par la CeDH nrsquoest en aucun cas exhaustive sinon
indicative et en eacutetroite deacutependance des circonstances concregravetes de chaque cas Cela explique
qursquoaux lignes exposeacutees dans lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne35 se soient ajouteacutees drsquoautres
31 En effet la CJUE rappelle que la liberteacute drsquoexpression srsquoapplique non seulement aux entreprises de meacutedia mais
eacutegalement agrave toute personne exerccedilant une activiteacute de journalisme (sect 58) qursquoune fin lucrative nrsquoexclut a priori pas
sa compatibiliteacute avec ladite liberteacute (sect 59) et que le support utiliseacute pour srsquoexprimer ne constitue pas un critegravere
deacuteterminant pour appreacutecier srsquoil srsquoagit drsquoune activiteacute journalistique (sect 60) 32 Les situations qui selon la CeDH constituent une ingeacuterence dans la vie priveacutee se caracteacuterisent par le fait drsquoecirctre
agrave diverses occasions subsumables dans le concept de traitement de donneacutees personnelles preacutevu agrave lrsquoart 2b) de la
Directive Ainsi la CeDH a consideacutereacute que la surveillance par GPS et le traitement des donneacutees obtenues par ce
moyen constituaient une ingeacuterence dans la vie priveacutee (arrecirct du 2 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Uzun c Allemagne)
Cette affirmation est reprise pour les eacutechantillons vocaux (arrecirct du 25 septembre 2001 dans lrsquoaffaire PG et JH
c Royaume-Uni) la surveillance videacuteo (arrecirct du 17 octobre 2003 dans lrsquoaffaire Perry c Royaume-Uni) les
traitements agrave des fins journalistiques (arrecirct du 9 octobre 2012 dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie) ou les eacutevaluations
administratives (arrecirct du 29 juillet 2014 dans lrsquoaffaire LH c Lettonie) 33 Pour que lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse soit remplie la CeDH impose deux conditions que
lrsquoinstrument utiliseacute revecircte un caractegravere normatif (eacuteleacutement formel) et que les conseacutequences deacutecoulant de son
application soient suffisamment preacutevisibles (eacuteleacutement mateacuteriel) bien que lrsquousage de concepts juridiques
indeacutetermineacutes soit admissible (arrecirct du 6 avril 2010 dans lrsquoaffaire Flinkkilauml et autres c Finlande sectsect 63-65) 34 Qursquoune publication soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible de promouvoir un deacutebat drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral deacutepend des
circonstances entourant chaque cas Neacuteanmoins la CeDH a deacutejagrave reconnu lrsquoexistence drsquoun inteacuterecirct geacuteneacuteral lorsque
la publication portait sur des affaires politiques peacutenales ou mecircme sportives et artistiques (affaire Axel Springer
AG c Allemagne sect 90) 35 Lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne (7 feacutevrier 2012) expose les critegraveres geacuteneacuteralement citeacutes par la CeDH pour
concilier la vie priveacutee avec la liberteacute drsquoexpression (sectsect 109-113) lrsquoouverture drsquoun deacutebat public le rocircle joueacute par un
8
telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la
bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37
Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec
lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites
lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire
impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de
qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de
diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication
affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la
CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat
drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu
132 Accegraves agrave lrsquoinformation
Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres
signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees
opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct
public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43
La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit
deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la
structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la
limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe
de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par
la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees
Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de
lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct
geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave
travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute
individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi
que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la
divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8
de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute
jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei
GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees
appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la
requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une
finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour
objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3
septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave
lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars
2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres
9
Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions
reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment
contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45
La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112
laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja
Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence
du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part
des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent
beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie
entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et
14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave
leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en
raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant
agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees
agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur
lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition
Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des
donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis
pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de
44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et
Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par
lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute
avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du
Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du
Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes
C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm
et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de
vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur
la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession
des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du
Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si
le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001
relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les
institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement
ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de
la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des
moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir
BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol
82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit
agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du
droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir
Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the
implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia
Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport
adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The
Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)
10
censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner
davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable
face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de
savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des
donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave
lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute
drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute
de maniegravere expresse
2 Droit de proprieacuteteacute
21 Protection nationale et internationale
Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute
constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des
principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52
En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans
les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international
dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17
de la CDFUE
Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une
attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce
domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55
22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles
221 Description de la probleacutematique
Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle
Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour
permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement
50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions
drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les
affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier
voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge
de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario
Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection
renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee
attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est
soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte
espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est
lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de
proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la
Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects
du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement
Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle
11
elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres
droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56
Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux
P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de
fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de
contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de
maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant
lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les
tiers qui les conservent
Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux
questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la
confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui
la permettent
222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion
Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des
fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la
protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la
confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler
des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour
sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute
intellectuelle58
Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au
respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les
Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des
tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive
affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions
leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette
clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea
c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la
communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE
souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave
56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER
Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property
Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute
intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder
la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et
la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques
comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54
12
que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le
contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par
conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge
ex nihilo
La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun
certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs
qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de
vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme
temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8
de la CDFUE
Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes
offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par
accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction
Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour
assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa
compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de
maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65
223 Validiteacute de lrsquointrusion
Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de
proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des
donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions
eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale
expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66
61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c
Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden
ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de
Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la
confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la
fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette
approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source
valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national
srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque
cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette
solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE
ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect
20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en
une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres
(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit
deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute
proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats
membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est
eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE
13
La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete
lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire
Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats
membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents
droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation
srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures
adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c
Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une
disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de
contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un
juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle
Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence
drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter
lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients
occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de
proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68
Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et
conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent
garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir
toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives
Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs
compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten
en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un
fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications
eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas
lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en
plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69
23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE
Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de
protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70
habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation
67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche
dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune
disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour
refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait
pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait
par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40
et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55
14
drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent
pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71
Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en
fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir
compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la
CDFUE72
La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun
examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad
pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que
le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave
travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement
consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73
24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement
Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons
signaleacutees sont reacuteduites mais significatives
En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement
semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la
Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat
membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont
neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles
restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute
deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le
Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative
adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du
traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation
Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision
en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant
3 Liberteacute drsquoentreprise
31 Contexte
La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute
drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des
restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave
71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime
poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par
le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir
drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1
du Protocole)
15
lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant
lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques
Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi
de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas
exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75
Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit
fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76
Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et
jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave
compleacuteter notre analyse
32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement
Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune
opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations
preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre
susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee
(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la
reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo
(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du
deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes
attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a
75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce
par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave
ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)
Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de
donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et
C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c
Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de
diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi
(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les
preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors
de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le
cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations
de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences
que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre
la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees
sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles
Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de
reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les
obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est
autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
17
de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
8
telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la
bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37
Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec
lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites
lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire
impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de
qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de
diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication
affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la
CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat
drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu
132 Accegraves agrave lrsquoinformation
Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres
signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees
opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct
public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43
La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit
deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la
structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la
limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe
de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par
la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees
Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de
lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct
geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave
travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute
individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi
que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la
divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8
de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute
jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei
GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees
appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la
requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une
finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour
objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3
septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave
lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars
2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres
9
Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions
reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment
contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45
La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112
laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja
Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence
du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part
des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent
beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie
entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et
14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave
leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en
raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant
agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees
agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur
lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition
Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des
donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis
pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de
44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et
Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par
lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute
avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du
Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du
Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes
C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm
et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de
vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur
la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession
des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du
Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si
le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001
relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les
institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement
ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de
la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des
moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir
BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol
82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit
agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du
droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir
Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the
implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia
Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport
adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The
Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)
10
censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner
davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable
face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de
savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des
donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave
lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute
drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute
de maniegravere expresse
2 Droit de proprieacuteteacute
21 Protection nationale et internationale
Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute
constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des
principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52
En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans
les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international
dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17
de la CDFUE
Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une
attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce
domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55
22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles
221 Description de la probleacutematique
Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle
Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour
permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement
50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions
drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les
affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier
voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge
de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario
Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection
renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee
attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est
soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte
espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est
lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de
proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la
Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects
du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement
Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle
11
elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres
droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56
Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux
P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de
fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de
contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de
maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant
lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les
tiers qui les conservent
Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux
questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la
confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui
la permettent
222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion
Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des
fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la
protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la
confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler
des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour
sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute
intellectuelle58
Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au
respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les
Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des
tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive
affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions
leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette
clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea
c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la
communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE
souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave
56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER
Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property
Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute
intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder
la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et
la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques
comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54
12
que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le
contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par
conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge
ex nihilo
La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun
certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs
qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de
vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme
temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8
de la CDFUE
Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes
offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par
accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction
Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour
assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa
compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de
maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65
223 Validiteacute de lrsquointrusion
Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de
proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des
donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions
eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale
expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66
61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c
Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden
ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de
Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la
confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la
fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette
approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source
valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national
srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque
cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette
solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE
ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect
20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en
une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres
(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit
deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute
proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats
membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est
eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE
13
La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete
lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire
Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats
membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents
droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation
srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures
adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c
Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une
disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de
contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un
juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle
Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence
drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter
lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients
occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de
proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68
Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et
conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent
garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir
toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives
Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs
compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten
en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un
fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications
eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas
lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en
plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69
23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE
Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de
protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70
habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation
67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche
dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune
disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour
refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait
pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait
par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40
et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55
14
drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent
pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71
Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en
fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir
compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la
CDFUE72
La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun
examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad
pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que
le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave
travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement
consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73
24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement
Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons
signaleacutees sont reacuteduites mais significatives
En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement
semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la
Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat
membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont
neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles
restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute
deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le
Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative
adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du
traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation
Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision
en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant
3 Liberteacute drsquoentreprise
31 Contexte
La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute
drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des
restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave
71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime
poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par
le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir
drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1
du Protocole)
15
lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant
lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques
Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi
de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas
exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75
Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit
fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76
Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et
jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave
compleacuteter notre analyse
32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement
Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune
opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations
preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre
susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee
(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la
reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo
(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du
deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes
attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a
75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce
par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave
ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)
Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de
donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et
C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c
Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de
diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi
(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les
preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors
de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le
cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations
de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences
que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre
la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees
sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles
Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de
reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les
obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est
autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
17
de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
9
Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions
reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment
contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45
La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112
laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja
Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence
du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part
des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent
beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie
entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et
14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave
leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en
raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant
agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees
agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur
lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition
Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des
donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis
pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de
44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et
Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par
lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute
avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du
Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du
Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes
C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm
et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de
vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur
la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession
des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du
Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si
le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001
relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les
institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement
ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de
la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des
moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir
BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol
82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit
agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du
droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir
Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the
implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia
Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport
adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The
Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)
10
censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner
davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable
face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de
savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des
donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave
lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute
drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute
de maniegravere expresse
2 Droit de proprieacuteteacute
21 Protection nationale et internationale
Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute
constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des
principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52
En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans
les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international
dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17
de la CDFUE
Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une
attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce
domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55
22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles
221 Description de la probleacutematique
Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle
Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour
permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement
50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions
drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les
affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier
voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge
de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario
Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection
renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee
attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est
soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte
espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est
lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de
proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la
Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects
du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement
Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle
11
elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres
droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56
Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux
P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de
fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de
contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de
maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant
lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les
tiers qui les conservent
Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux
questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la
confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui
la permettent
222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion
Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des
fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la
protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la
confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler
des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour
sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute
intellectuelle58
Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au
respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les
Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des
tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive
affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions
leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette
clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea
c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la
communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE
souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave
56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER
Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property
Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute
intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder
la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et
la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques
comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54
12
que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le
contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par
conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge
ex nihilo
La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun
certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs
qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de
vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme
temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8
de la CDFUE
Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes
offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par
accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction
Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour
assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa
compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de
maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65
223 Validiteacute de lrsquointrusion
Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de
proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des
donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions
eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale
expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66
61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c
Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden
ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de
Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la
confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la
fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette
approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source
valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national
srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque
cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette
solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE
ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect
20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en
une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres
(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit
deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute
proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats
membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est
eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE
13
La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete
lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire
Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats
membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents
droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation
srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures
adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c
Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une
disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de
contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un
juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle
Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence
drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter
lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients
occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de
proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68
Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et
conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent
garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir
toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives
Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs
compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten
en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un
fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications
eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas
lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en
plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69
23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE
Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de
protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70
habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation
67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche
dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune
disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour
refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait
pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait
par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40
et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55
14
drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent
pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71
Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en
fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir
compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la
CDFUE72
La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun
examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad
pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que
le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave
travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement
consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73
24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement
Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons
signaleacutees sont reacuteduites mais significatives
En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement
semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la
Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat
membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont
neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles
restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute
deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le
Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative
adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du
traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation
Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision
en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant
3 Liberteacute drsquoentreprise
31 Contexte
La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute
drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des
restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave
71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime
poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par
le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir
drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1
du Protocole)
15
lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant
lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques
Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi
de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas
exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75
Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit
fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76
Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et
jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave
compleacuteter notre analyse
32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement
Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune
opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations
preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre
susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee
(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la
reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo
(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du
deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes
attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a
75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce
par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave
ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)
Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de
donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et
C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c
Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de
diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi
(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les
preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors
de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le
cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations
de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences
que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre
la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees
sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles
Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de
reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les
obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est
autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
17
de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
10
censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner
davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable
face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de
savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des
donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave
lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute
drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute
de maniegravere expresse
2 Droit de proprieacuteteacute
21 Protection nationale et internationale
Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute
constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des
principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52
En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans
les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international
dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17
de la CDFUE
Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une
attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce
domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55
22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles
221 Description de la probleacutematique
Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle
Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour
permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement
50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions
drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les
affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier
voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge
de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario
Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection
renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee
attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est
soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte
espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est
lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de
proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la
Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects
du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement
Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle
11
elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres
droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56
Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux
P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de
fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de
contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de
maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant
lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les
tiers qui les conservent
Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux
questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la
confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui
la permettent
222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion
Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des
fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la
protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la
confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler
des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour
sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute
intellectuelle58
Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au
respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les
Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des
tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive
affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions
leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette
clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea
c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la
communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE
souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave
56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER
Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property
Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute
intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder
la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et
la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques
comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54
12
que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le
contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par
conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge
ex nihilo
La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun
certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs
qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de
vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme
temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8
de la CDFUE
Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes
offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par
accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction
Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour
assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa
compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de
maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65
223 Validiteacute de lrsquointrusion
Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de
proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des
donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions
eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale
expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66
61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c
Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden
ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de
Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la
confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la
fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette
approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source
valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national
srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque
cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette
solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE
ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect
20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en
une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres
(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit
deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute
proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats
membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est
eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE
13
La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete
lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire
Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats
membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents
droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation
srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures
adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c
Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une
disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de
contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un
juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle
Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence
drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter
lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients
occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de
proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68
Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et
conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent
garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir
toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives
Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs
compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten
en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un
fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications
eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas
lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en
plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69
23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE
Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de
protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70
habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation
67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche
dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune
disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour
refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait
pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait
par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40
et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55
14
drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent
pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71
Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en
fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir
compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la
CDFUE72
La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun
examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad
pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que
le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave
travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement
consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73
24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement
Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons
signaleacutees sont reacuteduites mais significatives
En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement
semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la
Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat
membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont
neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles
restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute
deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le
Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative
adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du
traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation
Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision
en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant
3 Liberteacute drsquoentreprise
31 Contexte
La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute
drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des
restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave
71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime
poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par
le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir
drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1
du Protocole)
15
lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant
lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques
Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi
de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas
exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75
Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit
fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76
Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et
jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave
compleacuteter notre analyse
32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement
Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune
opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations
preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre
susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee
(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la
reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo
(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du
deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes
attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a
75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce
par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave
ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)
Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de
donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et
C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c
Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de
diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi
(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les
preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors
de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le
cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations
de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences
que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre
la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees
sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles
Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de
reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les
obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est
autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
17
de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
11
elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres
droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56
Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux
P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de
fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de
contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de
maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant
lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les
tiers qui les conservent
Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux
questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la
confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui
la permettent
222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion
Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des
fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la
protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la
confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler
des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour
sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute
intellectuelle58
Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au
respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les
Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de
proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des
tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive
affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions
leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette
clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea
c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la
communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE
souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave
56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER
Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property
Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute
intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder
la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et
la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques
comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54
12
que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le
contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par
conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge
ex nihilo
La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun
certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs
qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de
vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme
temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8
de la CDFUE
Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes
offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par
accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction
Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour
assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa
compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de
maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65
223 Validiteacute de lrsquointrusion
Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de
proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des
donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions
eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale
expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66
61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c
Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden
ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de
Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la
confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la
fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette
approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source
valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national
srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque
cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette
solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE
ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect
20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en
une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres
(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit
deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute
proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats
membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est
eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE
13
La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete
lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire
Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats
membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents
droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation
srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures
adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c
Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une
disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de
contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un
juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle
Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence
drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter
lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients
occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de
proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68
Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et
conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent
garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir
toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives
Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs
compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten
en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un
fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications
eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas
lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en
plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69
23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE
Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de
protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70
habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation
67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche
dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune
disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour
refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait
pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait
par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40
et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55
14
drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent
pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71
Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en
fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir
compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la
CDFUE72
La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun
examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad
pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que
le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave
travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement
consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73
24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement
Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons
signaleacutees sont reacuteduites mais significatives
En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement
semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la
Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat
membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont
neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles
restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute
deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le
Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative
adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du
traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation
Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision
en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant
3 Liberteacute drsquoentreprise
31 Contexte
La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute
drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des
restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave
71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime
poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par
le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir
drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1
du Protocole)
15
lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant
lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques
Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi
de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas
exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75
Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit
fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76
Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et
jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave
compleacuteter notre analyse
32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement
Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune
opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations
preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre
susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee
(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la
reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo
(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du
deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes
attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a
75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce
par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave
ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)
Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de
donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et
C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c
Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de
diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi
(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les
preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors
de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le
cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations
de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences
que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre
la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees
sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles
Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de
reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les
obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est
autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
17
de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
12
que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le
contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par
conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge
ex nihilo
La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun
certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs
qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de
vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme
temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8
de la CDFUE
Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes
offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par
accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction
Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour
assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa
compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de
maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65
223 Validiteacute de lrsquointrusion
Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de
proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des
donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions
eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale
expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66
61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c
Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden
ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de
Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la
confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la
fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette
approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source
valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national
srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque
cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette
solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE
ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect
20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en
une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres
(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit
deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute
proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats
membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est
eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE
13
La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete
lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire
Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats
membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents
droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation
srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures
adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c
Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une
disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de
contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un
juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle
Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence
drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter
lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients
occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de
proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68
Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et
conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent
garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir
toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives
Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs
compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten
en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un
fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications
eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas
lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en
plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69
23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE
Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de
protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70
habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation
67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche
dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune
disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour
refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait
pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait
par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40
et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55
14
drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent
pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71
Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en
fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir
compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la
CDFUE72
La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun
examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad
pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que
le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave
travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement
consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73
24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement
Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons
signaleacutees sont reacuteduites mais significatives
En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement
semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la
Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat
membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont
neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles
restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute
deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le
Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative
adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du
traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation
Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision
en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant
3 Liberteacute drsquoentreprise
31 Contexte
La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute
drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des
restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave
71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime
poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par
le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir
drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1
du Protocole)
15
lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant
lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques
Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi
de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas
exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75
Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit
fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76
Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et
jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave
compleacuteter notre analyse
32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement
Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune
opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations
preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre
susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee
(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la
reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo
(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du
deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes
attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a
75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce
par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave
ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)
Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de
donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et
C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c
Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de
diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi
(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les
preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors
de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le
cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations
de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences
que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre
la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees
sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles
Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de
reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les
obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est
autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
17
de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
13
La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete
lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire
Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats
membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents
droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation
srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures
adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c
Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une
disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de
contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un
juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle
Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence
drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter
lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients
occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de
proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68
Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et
conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent
garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir
toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives
Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs
compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten
en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un
fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications
eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas
lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en
plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69
23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE
Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de
protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70
habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation
67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche
dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune
disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour
refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait
pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait
par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40
et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55
14
drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent
pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71
Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en
fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir
compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la
CDFUE72
La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun
examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad
pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que
le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave
travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement
consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73
24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement
Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons
signaleacutees sont reacuteduites mais significatives
En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement
semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la
Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat
membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont
neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles
restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute
deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le
Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative
adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du
traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation
Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision
en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant
3 Liberteacute drsquoentreprise
31 Contexte
La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute
drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des
restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave
71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime
poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par
le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir
drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1
du Protocole)
15
lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant
lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques
Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi
de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas
exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75
Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit
fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76
Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et
jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave
compleacuteter notre analyse
32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement
Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune
opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations
preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre
susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee
(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la
reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo
(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du
deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes
attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a
75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce
par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave
ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)
Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de
donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et
C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c
Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de
diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi
(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les
preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors
de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le
cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations
de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences
que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre
la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees
sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles
Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de
reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les
obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est
autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
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de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
14
drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent
pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71
Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en
fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir
compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la
CDFUE72
La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun
examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad
pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que
le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave
travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement
consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73
24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement
Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons
signaleacutees sont reacuteduites mais significatives
En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement
semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la
Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat
membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont
neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles
restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute
deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le
Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative
adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du
traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation
Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision
en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant
3 Liberteacute drsquoentreprise
31 Contexte
La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute
drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des
restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave
71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime
poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par
le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de
Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir
drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1
du Protocole)
15
lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant
lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques
Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi
de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas
exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75
Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit
fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76
Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et
jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave
compleacuteter notre analyse
32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement
Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune
opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations
preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre
susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee
(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la
reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo
(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du
deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes
attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a
75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce
par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave
ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)
Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de
donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et
C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c
Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de
diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi
(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les
preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors
de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le
cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations
de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences
que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre
la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees
sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles
Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de
reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les
obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est
autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
17
de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
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concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
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Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
15
lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant
lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques
Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi
de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas
exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75
Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit
fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76
Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et
jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave
compleacuteter notre analyse
32 Leacutegaliteacute du traitement
321 Leacutegitimation du traitement
Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune
opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations
preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre
susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee
(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la
reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo
(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du
deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes
attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a
75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce
par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere
personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave
ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)
Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de
donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et
C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c
Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees
de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de
diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi
(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les
preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors
de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le
cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations
de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences
que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre
la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees
sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles
Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de
reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les
obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est
autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
17
de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
16
orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au
deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78
Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans
son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque
le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement
drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee
sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible
aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec
lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose
lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au
traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)
322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute
Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres
obligations imposeacutees par la Directive
Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10
de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines
informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du
traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du
contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement
reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre
par le responsable du traitement
Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe
de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte
observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de
traitement
323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement
Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats
membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les
limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en
matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont
la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations
78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13
deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse
prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la
politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition
des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81
du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des
travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete
sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur
questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue
jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des
17
de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
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concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
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de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les
limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des
personnes concerneacutees (art 882)
33 Jurisprudence de la CeDH
Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la
consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH
Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le
lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en
raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la
possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans
cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure
indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH
Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH
nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82
Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu
examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit
agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment
en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper
sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si
cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les
messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que
lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit
courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer
lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi
acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant
les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette
situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion
dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la
protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84
La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne
en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que
lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres
eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que
lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui
donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-
10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)
Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
19
Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
18
concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de
lrsquoemployeur
III CONCLUSIONS
1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH
Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave
la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits
fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations
drsquoordre geacuteneacuteral
En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE
que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers
lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables
divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees
personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus
eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement
jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que
ceux de la CJUE
La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit
de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus
invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les
droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que
la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence
du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour
objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part
la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui
empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere
Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives
aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au
pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus
eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La
jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures
preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente
2 Sur les contributions du Regraveglement
Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce
qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute
drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de
conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des
exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute
Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et
europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees
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Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
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Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables
bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la
cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques
en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux
Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte
europeacuteen
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