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1 PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES : CONCILIATION AVEC D’AUTRES DROITS FONDAMENTAUX Par Nelson Rodrigues I PARCOURS HISTORIQUE ET CADRE NORMATIF 1. Origine et évolution 2. Encadrement de la problématique II CONCILIATION AVEC D’AUTRES DROITS FONDAMENTAUX 1. Liberté d’expression et d’accès à l’information 1.1. Signification et contours jurisprudentiels 1.2. Problèmes posés par la Directive 95/46/CE 1.3. Conciliation avec la protection des données personnelles 1.3.1. Liberté d’expression 1.3.2. Accès à l’information 2. Droit de propriété 2.1. Protection nationale et internationale 2.2. Propriété intellectuelle, réseaux P2P et protection des données personnelles 2.2.1. Description de la problématique 2.2.2. Base juridique légitimant l’intrusion 2.2.3. Validité de l’intrusion 2.3. Protection à travers l’art. 7/f) de la Directive 95/46/CE 2.4. Nouveautés apportées par le Règlement 3. Liberté d’entreprise 3.1. Contexte 3.2. Légalité du traitement 3.2.1. Légitimation du traitement 3.2.2. Devoir d’information et principe de qualité 3.2.3. Dispositions additionnelles contenues dans le Règlement 3.3. Jurisprudence de la CeDH III CONCLUSIONS 1. Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CEDH 2. Sur les contributions du Règlement ____________________________ Résumé : Le présent article a pour objectif d’illustrer la conciliation entre le droit à la protection des données personnelles et d’autres droits fondamentaux. L’analyse est centrée sur les dispositions de la Directive 95/46/CE, la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme ainsi que les nouveautés introduites par le Règlement (UE) 2016/679. Mots-clefs : protection des données personnelles, liberté d’expression, accès à l’information, droit de propriété, liberté d’entreprise, Directive 95/46/CE, Règlement (UE) 2016/679 Abstract: The aim of this article is to illustrate the conciliation between the right to data protection and other fundamental rights. The provisions of Directive 95/46/EC, the case law of the European Court of Justice and the European Court of Human Rights as well as the new arrangements introduced by Regulation (EU) 2016/679 constitute the main sources of this work. Keywords: protection of personal data, freedom of expression and information, right to property, freedom to conduct a business, Directive 95/46/EC, Regulation (EU) 2016/679 I PARCOURS HISTORIQUE ET CADRE NORMATIF 1. Origine et évolution Tant l’origine que l’évolution du droit fondamental à la protection des données à caractère personnel ne sont pas pacifiques 1 . Alors que certains signalent la deuxième moitié des années 1 Pour une vue d’ensemble sur la protection des données en Europe, voir le Manuel de droit européen en matière de protection des données (2014), élaboré par l’Agence des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne et le Conseil de l’Europe, en association avec le greffe de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

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Page 1: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

1

PROTECTION DES DONNEacuteES PERSONNELLES

CONCILIATION AVEC DrsquoAUTRES DROITS

FONDAMENTAUX

Par Nelson Rodrigues

I PARCOURS HISTORIQUE ET CADRE NORMATIF 1 Origine et eacutevolution 2 Encadrement de la probleacutematique II CONCILIATION AVEC

DrsquoAUTRES DROITS FONDAMENTAUX 1 Liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation 11 Signification et contours

jurisprudentiels 12 Problegravemes poseacutes par la Directive 9546CE 13 Conciliation avec la protection des donneacutees personnelles

131 Liberteacute drsquoexpression 132 Accegraves agrave lrsquoinformation 2 Droit de proprieacuteteacute 21 Protection nationale et internationale

22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles 221 Description de la probleacutematique

222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion 223 Validiteacute de lrsquointrusion 23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive

9546CE 24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement 3 Liberteacute drsquoentreprise 31 Contexte 32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement 322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute 323 Dispositions additionnelles contenues

dans le Regraveglement 33 Jurisprudence de la CeDH III CONCLUSIONS 1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CEDH 2 Sur

les contributions du Regraveglement

____________________________

Reacutesumeacute Le preacutesent article a pour objectif drsquoillustrer la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees

personnelles et drsquoautres droits fondamentaux Lrsquoanalyse est centreacutee sur les dispositions de la Directive 9546CE

la jurisprudence de la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne et de la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme

ainsi que les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement (UE) 2016679

Mots-clefs protection des donneacutees personnelles liberteacute drsquoexpression accegraves agrave lrsquoinformation droit de proprieacuteteacute

liberteacute drsquoentreprise Directive 9546CE Regraveglement (UE) 2016679

Abstract The aim of this article is to illustrate the conciliation between the right to data protection and other

fundamental rights The provisions of Directive 9546EC the case law of the European Court of Justice and the

European Court of Human Rights as well as the new arrangements introduced by Regulation (EU) 2016679

constitute the main sources of this work

Keywords protection of personal data freedom of expression and information right to property freedom to

conduct a business Directive 9546EC Regulation (EU) 2016679

I PARCOURS HISTORIQUE ET CADRE NORMATIF

1 Origine et eacutevolution

Tant lrsquoorigine que lrsquoeacutevolution du droit fondamental agrave la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel ne sont pas pacifiques1 Alors que certains signalent la deuxiegraveme moitieacute des anneacutees

1 Pour une vue drsquoensemble sur la protection des donneacutees en Europe voir le Manuel de droit europeacuteen en matiegravere

de protection des donneacutees (2014) eacutelaboreacute par lrsquoAgence des Droits Fondamentaux de lrsquoUnion Europeacuteenne et le

Conseil de lrsquoEurope en association avec le greffe de la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme

2

soixante-dix comme lrsquoeacutetape fondatrice drsquoautres situent lrsquoembryon de cette discipline le 31

janvier 1968 avec la Recommandation 509 du Conseil de lrsquoEurope2

Indeacutependamment de lrsquoanneacutee de deacutebut les premiers pas du droit agrave la protection des donneacutees

personnelles se trouvent eacutetroitement lieacutes aux notions drsquointimiteacute ou de vie priveacutee De nombreux

exemples deacutemontrent ce lien

- la Privacy Act adopteacutee aux Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique en 1974 exprime la deacutependance

entre les deux figures3thinsp

- dans le continent europeacuteen la protection des donneacutees personnelles se cristallise agrave travers

la Convention 108 du Conseil de lrsquoEurope4 et lrsquoart 8 de la Convention Europeacuteenne des

Droits de lrsquoHomme (CEDH)5thinsp

- en ce qui concerne lrsquoUnion Europeacuteenne une importante partie de ses Eacutetats membres6

ne consacre pas au niveau constitutionnel un droit fondamental agrave la protection des

donneacutees personnelles sinon que sa reconnaissance se produit de maniegravere geacuteneacuterale agrave

partir du droit agrave lrsquointimiteacute ou agrave la vie priveacutee

Lrsquoabsence drsquoautonomie qui caracteacuterise le droit agrave la protection des donneacutees personnelles

nrsquoeacutequivaut pas agrave un manque drsquoaction de la part des Eacutetats Elle reflegravete entre autres choses le

stade de leur deacuteveloppement technique et eacuteconomique Agrave lrsquoeacutepoque de reacutedaction des premiegraveres

Constitutions europeacuteennes post-Seconde Guerre mondiale la protection des donneacutees

personnelles nrsquoy trouve pas de mateacuterialisation en raison de la faible importance attacheacutee agrave

lrsquoinformatique Ce panorama srsquoeacutetend aux deacutecennies suivantes malgreacute la de plus en plus visible

prise de conscience au sein des Eacutetats et des institutions europeacuteennes en ce qui concerne les

dangers lieacutes aux avanceacutees technologiques7

2 Recommandation 509 (1968) laquothinspDroits de lrsquohomme et reacutealisations scientifiques et technologiques modernesthinspraquo qui

met en eacutevidence les dangers que supposent pour la vie priveacutee les derniegraveres reacutealisations scientifiques et

technologiques 3 Adopteacutee le 31 deacutecembre 1974 la Privacy Act a pour objectif la sauvegarde de la vie priveacutee des individus face agrave

lrsquousage frauduleux de fichiers feacutedeacuteraux La relation entre vie priveacutee et donneacutees personnelles est explicitement

reconnue par le Congregraves eacutetats-unien qui dans lrsquoexposeacute de motifs de la loi constate que la vie priveacutee des individus

est directement affecteacutee par la collecte maintenance utilisation et diffusion drsquoinformations personnelles par les

agences feacutedeacuterales 4 Convention pour la protection des personnes agrave lrsquoeacutegard du traitement automatiseacute des donneacutees agrave caractegravere

personnel en vigueur depuis le 1 octobre 1985 5 Lrsquoarticle 8 de la CEDH assure le respect de la vie priveacutee et familiale Cette preacutevision leacutegale a eacuteteacute utiliseacutee par la

Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (affaires Amann c Suisse Rotaru c Roumanie et S et Marper c

Royaume-Uni entre autres) pour inclure dans son champ drsquoapplication la tutelle des donneacutees agrave caractegravere

personnel 6 Dans une grande partie des textes constitutionnels europeacuteens la protection des donneacutees personnelles nrsquoest qursquoun

reflet du droit agrave la vie priveacutee Crsquoest le cas entre autres de la France (ougrave le droit agrave la vie priveacutee trouve sa raison

drsquoecirctre dans lrsquoart 4 de la Deacuteclaration des Droits de lrsquoHomme et du Citoyen de 1789 bien que son expression litteacuterale

figure agrave lrsquoart 9 du Code Civil) la Belgique (art 22 de la Constitution belge de 1831) lrsquoEspagne (art 18 de la

Constitution espagnole de 1978) et le Luxembourg (art 113 de la Constitution luxembourgeoise) Par contre la

Constitution grecque de 1975 deacutedie son art 9 A agrave la protection des donneacutees personnelles et attribue agrave une autoriteacute

indeacutependante la garantie de son efficaciteacute La Constitution portugaise de 1976 va un peu plus loin en preacutevoyant agrave

son art 35 le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et en eacutetablissant une seacuterie de principes constitutionnels

qui doivent ecirctre respecteacutes par les pouvoirs publics lorsqursquoune mesure dans ce domaine est envisageacutee 7 Crsquoest agrave partir des anneacutees soixante-dix que les Eacutetats de lrsquoEurope occidentale commencent agrave dicter leurs premiegraveres

lois sur la protection des donneacutees personnelles lrsquoAllemagne en 1977 avec la Bundesdatenschutzgesetz la

France en 1978 avec la Loi ndeg 8-17 relative agrave lrsquoinformatique aux fichiers et aux liberteacutes ou lrsquoAutriche aussi en

1978 avec la Datenschutzgesetz entre autres Parallegravelement en 1981 est adopteacutee au sein du Conseil de lrsquoEurope

3

Ce nrsquoest qursquoagrave partir de la fin des anneacutees quatre-vingt-dixdeacutebut du XXIe siegravecle que la protection

des donneacutees personnelles commence agrave se disjoindre de la vie priveacutee drsquoabord avec lrsquoadoption

de la Directive 9546CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative agrave

la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel

et agrave la libre circulation de ces donneacutees (ci-apregraves laquothinspla Directivethinspraquo)thinsp ensuite avec la proclamation

en 2000 de la Charte des Droits Fondamentaux de lrsquoUnion Europeacuteenne (CDFUE) dont lrsquoarticle

8 confirme lrsquoindeacutependance de ce droitthinsp finalement avec le Traiteacute de Lisbonne qui consacre la

protection des donneacutees explicitement8 et qui dote la CDFUE de force juridique contraignante9

Lrsquoeacutepoque ougrave ces mesures sont adopteacutees nrsquoa rien drsquoanodin lrsquoutilisation drsquoInternet se geacuteneacuteralise

de plus en plus tandis que les grandes entreprises qui domineront la sphegravere numeacuterique dans les

anneacutees qui suivent font leur apparition sur la toile

Durant les derniegraveres anneacutees les institutions europeacuteennes ont rendu publique leur intention de

renouveler lrsquoencadrement leacutegal de la protection des donneacutees avec lrsquoapprobation drsquoun regraveglement

geacuteneacuteral qui abrogerait la Directive Adopteacute par le Parlement Europeacuteen le 14 avril dernier

conformeacutement agrave lrsquoart 2947a) du Traiteacute de Fonctionnement de lrsquoUnion Europeacuteenne le nouveau

Regraveglement (UE) 2016679 du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif agrave la

protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel

et agrave la libre circulation de ces donneacutees et abrogeant la Directive 9546CE (Regraveglement geacuteneacuteral

sur la protection des donneacutees)10 (ci-apregraves laquothinsple Regraveglementthinspraquo)11 a pour objectif de mettre agrave jour

les normes relatives agrave la protection des donneacutees et drsquoaccorder agrave lrsquoespace europeacuteen une plus

grande seacutecuriteacute juridique12 tout en preacuteservant les garanties des individus Toutefois son

application effective est diffeacutereacutee jusqursquoen mai 2018 (art 99)

2 Encadrement de la probleacutematique

La probleacutematique qui oppose le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel agrave lrsquoexercice

drsquoautres droits fondamentaux nrsquoest pas eacutetrangegravere agrave la Directive Le leacutegislateur europeacuteen a su

la Convention pour la protection des personnes agrave lrsquoeacutegard du traitement automatiseacute des donneacutees agrave caractegravere

personnel texte qui sera repris comme source drsquoinspiration pour reacutediger la Directive 9546CE 8 Article 161 du Traiteacute sur le Fonctionnement de lrsquoUnion Europeacuteenne qui octroie agrave lrsquoUnion Europeacuteenne une base

de compeacutetence exclusive en la matiegravere 9 Article 61 du Traiteacute sur lrsquoUnion Europeacuteenne 10 JO L 119 du 4 avril 2016 pp 1-88 11 Pour une vision critique sur les nouveauteacutes apporteacutees par le projet de Regraveglement voir FALQUE-PIERROTIN

Isabelle Quelle protection europeacuteenne pour les donneacutees personnelles Fondation Robert Schuman 2012 Drsquoun

point de vue eacuteconomique voir CAUCHOIS Remi laquothinspLa protection des donneacutees personnelles en Europe et la

compeacutetitiviteacute des entreprises europeacuteennesthinspraquo en Quelle protection des donneacutees personnelles en Europe (Dir

Ceacuteline Castets-Renard) Larcier 2015 pp 157-164 12 La fragmentation juridique provoqueacutee par la transposition de la Directive constitue selon la Commission

Europeacuteenne lrsquoune des raisons qui motivent un nouvel encadrement pour la protection des donneacutees Cependant

cette affirmation se heurte au contenu des dispositions du Regraveglement Trois aspects doivent ecirctre signaleacutes

lrsquoutilisation de concepts juridiques indeacutetermineacutes qui rend lrsquoapplication du regraveglement extrecircmement probleacutematique

(crsquoest le cas notamment de la notion de suivi du comportement preacutesente agrave lrsquoart 32b) du Regraveglement relatif agrave son

champ drsquoapplication territorial)thinsp les multiples deacuteleacutegations reacutealiseacutees agrave la Commission et aux Eacutetats membres afin de

preacuteciser certaines dispositions qui intensifiera la complexiteacute leacutegale de cette matiegraverethinsp la porteacutee limiteacutee du

Regraveglement qui nrsquoaffecte pas drsquoautres actes leacutegislatifs europeacuteens dans le domaine de la protection des donneacutees

(dont la Directive 200258CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement

des donneacutees agrave caractegravere personnel et la protection de la vie priveacutee dans le secteur des communications

eacutelectroniques)

4

dans ce sens identifier des situations conflictuelles et offrir des remegravedes relativement

efficaces13

Parmi les dispositions de la Directive qui manifestent la tension entre le droit agrave la protection

des donneacutees personnelles et drsquoautres droits fondamentaux la premiegravere qui meacuterite reacuteflexion est

lrsquoart 7f) Cette preacutevision reproduite dans lrsquoart 61f) du Regraveglement autorise le traitement de

donneacutees personnelles si la satisfaction drsquoun inteacuterecirct leacutegitime du responsable le rend neacutecessaire

et agrave condition que les droits et les inteacuterecircts du titulaire des donneacutees ne preacutevalent pas Comme la

jurisprudence de la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne (CJUE) nous le montrera un peu

plus tard les droits fondamentaux sont susceptibles drsquoecirctre inseacutereacutes dans le concept drsquointeacuterecirct

leacutegitime du responsable

Agrave lrsquoart 7f) srsquoajoute lrsquoart 8 de la Directive (art 9 du Regraveglement) qui apregraves avoir eacutetabli une

interdiction geacuteneacuterale concernant le traitement de certaines cateacutegories de donneacutees preacutevoit des

exceptions relatives notamment agrave la sauvegarde drsquoun inteacuterecirct vital du titulaire des donneacutees14 (art

82c) repris dans lrsquoart 92c) du Regraveglement) Cependant crsquoest lrsquoart 9 de la Directive (art 85

du Regraveglement) qui de la maniegravere la plus nette reflegravete cette dispute en obligeant les Eacutetats

membres agrave preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de

concilier le droit agrave la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression15 La

dimension de la probleacutematique nrsquoest toutefois pas circonscrite aux seules dispositions de la

Directive drsquoautres droits fondamentaux non expresseacutement viseacutes par celle-ci sont susceptibles

drsquoentrer en conflit avec le droit agrave la protection des donneacutees personnelles ce qui rend neacutecessaire

une analyse plus approfondie de la matiegravere

La conciliation entre droits fondamentaux impose des restrictions devant en toute hypothegravese

satisfaire certaines conditions drsquoordre geacuteneacuteral contenues dans la CEDH et dans lrsquoart 521 de la

CDFUE16 Les exigences qui doivent ecirctre observeacutees sont au nombre de trois la preacutesence drsquoune

raison leacutegitimant les restrictions une preacutevision leacutegale expresse ainsi qursquoun jugement de

proportionnaliteacute entre la mesure adopteacutee et lrsquoobjectif poursuivi qui devra en tout cas respecter

le contenu essentiel du droit limiteacute Soulignons que de telles exigences sont requises non

seulement lorsqursquoun droit fondamental subit une restriction neacutecessaire pour preacuteserver le droit agrave

la protection des donneacutees personnelles mais aussi lorsque la situation est inverseacutee

13 Comme lrsquoa deacutejagrave exprimeacute la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne le leacutegislateur europeacuteen srsquoest efforceacute de

concilier les dispositions de la Directive avec drsquoautres droits fondamentaux susceptibles drsquoecirctre affecteacutes par son

application (affaire C-10101 laquothinspBodil Lindqvistthinspraquo sectsect 84 et 90) 14 Lrsquoart 82c) de la Directive ne constitue pas la seule base juridique qui leacutegitime le traitement de donneacutees afin de

sauvegarder un inteacuterecirct vital de son titulaire Comme lrsquoa deacutejagrave eacutevoqueacute la CJUE la protection de la vie et de lrsquointeacutegriteacute

physique peut excuser sous la base de lrsquoart 7f) de la Directive des opeacuterations de traitement de donneacutees

appartenant agrave des tiers (affaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo sect 34)

Signalons en tout cas que cet obiter dicta est dans une certaine mesure conditionneacute par les faits du cas drsquoespegravece 15 Il srsquoagit selon la CJUE drsquoune veacuteritable obligation juridique (affaire C-47312 laquothinspInstitut professionnel des agents

immobiliers c Geoffrey Englebert et autresthinspraquo sect 33) vision qui srsquoaccommode agrave la doctrine de la Cour Europeacuteenne

des Droits de lrsquoHomme dans la mesure ougrave elle impose aux Eacutetats signataires de la CEDH lrsquoadoption drsquoun cadre

juridique approprieacute agrave lrsquoexercice des droits y reconnus (voir entre autres lrsquoarrecirct de la Cour Europeacuteenne des Droits

de lrsquoHomme du 26 mars 1986 dans lrsquoaffaire X et Y c Pays-Bas sect 23) 16 Rappelons que selon lrsquoart 523 de la CDFUE le sens et la porteacutee des droits contenus dans son texte seront les

mecircmes que ceux confeacutereacutes par la CEDH sans que cela ne puisse empecirccher le droit de lrsquoUE drsquoaccorder une

protection plus eacutetendue

5

Dans les pages qui suivent nous analyserons lrsquoapplication des critegraveres de conciliation effectueacutee

par la CJUE et la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CeDH)17 Notre exposeacute se centrera

sur le conflit entre le droit agrave la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel et trois autres droits

fondamentaux la liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation le droit de proprieacuteteacute et la

liberteacute drsquoentreprise

II CONCILIATION AVEC DrsquoAUTRES DROITS FONDAMENTAUX

1 Liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation

11 Signification et contours jurisprudentiels

La liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constitue lrsquoune des manifestations les plus

embleacutematiques drsquoun Eacutetat de Droit Consacreacutee agrave lrsquoart 10 de la CEDH et agrave lrsquoart 11 de la CDFUE

elle repreacutesente une liberteacute individuelle fondamentale ainsi qursquoun meacutecanisme indispensable pour

controcircler lrsquoaction des autoriteacutes publiques Le rocircle joueacute par cette liberteacute est tel que les restrictions

eacutetablies par le leacutegislateur arrivent mecircme agrave ecirctre examineacutees avec une preacutesomption

drsquoinconstitutionnaliteacute18

En ce qui concerne la liberteacute drsquoexpression la CeDH lui octroie une protection speacutecialement

large en incluant une vaste eacutetendue drsquoeacutemanations sur la base des valeurs de pluraliteacute de

toleacuterance et drsquoouverture drsquoesprit sans lesquelles une socieacuteteacute ne pourrait ecirctre consideacutereacutee comme

deacutemocratique19 Son exercice beacuteneacuteficie en outre drsquoune tutelle plus accentueacutee dans le domaine

politique20 Le fait que lrsquoobjectif poursuivi par celui qui lrsquoexerce soit de nature lucrative21 ou

qursquoInternet soit le moyen de diffusion utiliseacute22 nrsquoobstrue pas lrsquoapplication de la CEDH Par

ailleurs la CeDH a imposeacute aux Eacutetats lrsquoobligation de se doter drsquoun cadre leacutegislatif offrant des

garanties suffisantes tout en respectant lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse et le devoir

drsquoinvoquer un besoin impeacuterieux pour eacutetablir des restrictions jugeacutees neacutecessaires23

La liberteacute drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation a agrave son tour subi une eacutevolution jurisprudentielle

significative De lrsquoabsence de lrsquoobligation de faciliter la diffusion de lrsquoinformation de la part de

lrsquoEacutetat24 nous sommes passeacutes agrave un veacuteritable droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation25 La liberteacute drsquoaccegraves

concerne le contenu de lrsquoinformation ainsi que les moyens de transmission dont Internet

17 Nous utiliserons les abreacuteviations CeDH et CEDH pour distinguer la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme

(CeDH) de la Convention Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CEDH) 18 Telle est la position assumeacutee par la Cour Suprecircme des Eacutetats-Unis de lrsquoAmeacuterique (arrecirct du 30 juin 1976 dans

lrsquoaffaire Nebraska Press Assn v Stuart sect V entre autres) Pour une vision geacuteneacuterale sur la liberteacute drsquoexpression

aux Eacutetats-Unis voir MUHLMANN DECAUX amp ZOLLER La liberteacute drsquoexpression Dalloz 2016 pp 179-224 19 Arrecirct de la CeDH du 16 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Aleksey Ovchinnikov c Russie (sect 39) Lrsquoideacutee est reprise

par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27499 laquothinspBernard Connolly c Commissionthinspraquo (sect 39) 20 Arrecirct de la CeDH du 7 feacutevrier 2012 dans lrsquoaffaire Axel Springer AG c Allemagne (sect 90) 21 Arrecirct de la CeDH du 10 janvier 2013 dans lrsquoaffaire Ashby Donald et autres c France (sect 34) 22 Arrecirct de la CeDH du 16 juin 2015 dans lrsquoaffaire Delfi AS c Estonie (sect 110) 23 Arrecirct de la CeDH du 5 mai 2011 dans lrsquoaffaire Comiteacute de reacutedaction de Pravoye Delo et Shtekel c Ukraine (sectsect

47-68) De la mecircme faccedilon srsquoest prononceacutee la CJUE (entre autres affaire C-7102 laquothinspHerbert Karner Industrie-

Auktionen GmbH c Troostwijk GmbHthinspraquo sect 50) 24 Arrecirct de la CeDH du 19 octobre 2005 dans lrsquoaffaire Roche c Royaume-Uni (sect 172) 25 Arrecirct de la CeDH du 28 novembre 2013 dans lrsquoaffaire Oumlsterreichische Vereinigung zur Erhaltung Staumlrkung

und Schaffung c Autriche (sect 41)

6

assume une position centrale26 Cependant des restrictions sont admissibles si une raison

drsquointeacuterecirct public les rend indispensables27

12 Problegravemes poseacutes par la Directive 9546CE

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave mentionneacute la Directive preacutevoit dans son article 9 lrsquoobligation de la

part des Eacutetats membres drsquointroduire des exceptions agrave certaines de ses normes de maniegravere agrave

concilier la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Cette obligation

pose neacuteanmoins quelques problegravemes de coordination et de nature interpreacutetative

Les difficulteacutes interpreacutetatives reacutesultent du fait que les exceptions doivent reacutepondre agrave des fins de

journalisme28 ou drsquoexpression artistique ou litteacuteraire Cependant les notions de journalisme et

drsquoexpression artistique ou litteacuteraire ne sont pas deacutefinies par la Directive bien que la CJUE ait

deacutejagrave exprimeacute la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation large29 Ce critegravere reste toutefois impreacutecis et

donne aux Eacutetats membres une marge drsquoappreacuteciation non neacutegligeable30

Outre son interpreacutetation la Directive laisse aux Eacutetats membres la possibiliteacute drsquoeacutetablir des

exceptions agrave condition drsquoecirctre neacutecessaires pour concilier la protection des donneacutees avec la liberteacute

drsquoexpression Cela a pour conseacutequence la fragmentation de lrsquoespace juridique europeacuteen car

chaque Eacutetat deacutetient le pouvoir drsquoeacutetablir les exceptions qursquoil considegravere comme opportunes Le

Regraveglement aborde cette probleacutematique dans son art 851 en obligeant les Eacutetats membres agrave

preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de concilier la

protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Les concepts de journalisme

et drsquoexpression artistique et litteacuteraire sont repris par le Regraveglement auxquels srsquoajoute celui

drsquoexpression universitaire mais sans qursquoaucune deacutefinition qui permette de les preacuteciser ne soit

offerte En outre le nouveau texte europeacuteen impose aux Eacutetats membres lrsquoobligation de notifier

agrave la Commission les dispositions normatives adopteacutees en vertu de lrsquoart 851 (art 853) ce qui

aidera agrave mieux coordonner les regravegles nationales au fur et agrave mesure qursquoelles seront adopteacutees

13 Conciliation avec la protection des donneacutees personnelles

131 Liberteacute drsquoexpression

La conciliation entre la liberteacute drsquoexpression et la protection des donneacutees personnelles implique

le besoin drsquoeacuteriger certaines restrictions Ces restrictions doivent en tout cas respecter les

conditions imposeacutees par les arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE Par contre si les

limitations affectent la liberteacute drsquoexpression nous devrons faire appel agrave lrsquoart 102 de la CEDH

ainsi qursquoagrave la CDFUE

En ce qui concerne la CJUE lrsquoeacutetablissement de restrictions agrave la protection des donneacutees au profit

de la liberteacute drsquoexpression a eacuteteacute examineacute de maniegravere partielle dans lrsquoaffaire C-7307

26 La fonction remplie par Internet est essentielle pour une socieacuteteacute deacutemocratique car selon la CeDH il srsquoagit drsquoun

moyen qui contribue grandement agrave la preacuteservation et agrave lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoactualiteacute et des informations (arrecirct du 10

mars 2009 dans lrsquoaffaire Times Newspapers Ltd c Royaume-Uni sect 45) 27 Arrecirct de la CeDH du 27 novembre 2007 dans lrsquoaffaire Timpul Info-Magazin et Anghel c Moldova (sect 31) 28 Sur le concept de journalisme voir VAN ENIS Quentin La liberteacute de la presse agrave lrsquoegravere numeacuterique Larcier

2015 pp 569 sqq 29 Affaire C-7307 laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo sect 56 30 Lrsquoagence britannique de protection des donneacutees (ICO) a reacutealiseacute un important effort de clarification du concept

de journalisme agrave travers son guide laquothinspData protection and journalism a guide for the mediaraquo

7

laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo Bien que les

conditions pour beacuteneacuteficier de la liberteacute drsquoexpression soient interpreacuteteacutees drsquoune maniegravere similaire

agrave celle de la CeDH31 la CJUE estime que le fait drsquoappreacutecier si une exception a eacuteteacute formuleacutee

dans les limites du strict neacutecessaire relegraveve de la compeacutetence des Eacutetats membres sans qursquoaucune

mention aux arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE ne soit effectueacutee Par ailleurs la CJUE

juge que la seule divulgation au public drsquoinformations drsquoopinions ou drsquoideacutees constitue un motif

suffisant pour qursquoune activiteacute beacuteneacuteficie du titre de journalisme sans analyser si la publication

remplit une mission drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui puisse justifier des restrictions au droit agrave la protection

des donneacutees personnelles

Contrairement agrave la CJUE la CeDH a deacuteveloppeacute une ample jurisprudence sous lrsquoangle de lrsquoart

8 de la CEDH Lrsquoabsence drsquoune preacutevision speacutecifique sur la protection des donneacutees personnelles

ne repreacutesente pas un obstacle pour la CeDH qui offre une protection effective fondeacutee sur le

droit agrave la vie priveacutee

Le raisonnement de la CeDH srsquoinaugure avec la constatation drsquoune ingeacuterence dans la vie priveacutee

Cette constatation se produit drsquoune faccedilon assez geacuteneacutereuse et rappelle la souplesse qui caracteacuterise

la notion de traitement de donneacutees consacreacutee agrave lrsquoart 2b) de la Directive32

Ensuite la CeDH examine si lrsquoingeacuterence est admissible agrave la lumiegravere de lrsquoart 82 de la CEDH

Le premier pas consiste agrave deacuteterminer si lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse a eacuteteacute remplie

par le leacutegislateur tant du point de vue formel que mateacuteriel33 Une fois que cela a eacuteteacute constateacute

la CeDH analyse si lrsquoingeacuterence est neacutecessaire agrave la protection de la liberteacute drsquoexpression et

conforme au principe de proportionnaliteacute Pour y parvenir la CeDH srsquoappuie sur une seacuterie de

critegraveres deacuteveloppeacutes par sa propre jurisprudence lrsquoeacuteleacutement central de son jugement eacutetant le fait

que lrsquoinformation divulgueacutee soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible drsquoouvrir un deacutebat inteacuterecirct

geacuteneacuteral34 La liste des critegraveres appliqueacutes par la CeDH nrsquoest en aucun cas exhaustive sinon

indicative et en eacutetroite deacutependance des circonstances concregravetes de chaque cas Cela explique

qursquoaux lignes exposeacutees dans lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne35 se soient ajouteacutees drsquoautres

31 En effet la CJUE rappelle que la liberteacute drsquoexpression srsquoapplique non seulement aux entreprises de meacutedia mais

eacutegalement agrave toute personne exerccedilant une activiteacute de journalisme (sect 58) qursquoune fin lucrative nrsquoexclut a priori pas

sa compatibiliteacute avec ladite liberteacute (sect 59) et que le support utiliseacute pour srsquoexprimer ne constitue pas un critegravere

deacuteterminant pour appreacutecier srsquoil srsquoagit drsquoune activiteacute journalistique (sect 60) 32 Les situations qui selon la CeDH constituent une ingeacuterence dans la vie priveacutee se caracteacuterisent par le fait drsquoecirctre

agrave diverses occasions subsumables dans le concept de traitement de donneacutees personnelles preacutevu agrave lrsquoart 2b) de la

Directive Ainsi la CeDH a consideacutereacute que la surveillance par GPS et le traitement des donneacutees obtenues par ce

moyen constituaient une ingeacuterence dans la vie priveacutee (arrecirct du 2 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Uzun c Allemagne)

Cette affirmation est reprise pour les eacutechantillons vocaux (arrecirct du 25 septembre 2001 dans lrsquoaffaire PG et JH

c Royaume-Uni) la surveillance videacuteo (arrecirct du 17 octobre 2003 dans lrsquoaffaire Perry c Royaume-Uni) les

traitements agrave des fins journalistiques (arrecirct du 9 octobre 2012 dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie) ou les eacutevaluations

administratives (arrecirct du 29 juillet 2014 dans lrsquoaffaire LH c Lettonie) 33 Pour que lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse soit remplie la CeDH impose deux conditions que

lrsquoinstrument utiliseacute revecircte un caractegravere normatif (eacuteleacutement formel) et que les conseacutequences deacutecoulant de son

application soient suffisamment preacutevisibles (eacuteleacutement mateacuteriel) bien que lrsquousage de concepts juridiques

indeacutetermineacutes soit admissible (arrecirct du 6 avril 2010 dans lrsquoaffaire Flinkkilauml et autres c Finlande sectsect 63-65) 34 Qursquoune publication soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible de promouvoir un deacutebat drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral deacutepend des

circonstances entourant chaque cas Neacuteanmoins la CeDH a deacutejagrave reconnu lrsquoexistence drsquoun inteacuterecirct geacuteneacuteral lorsque

la publication portait sur des affaires politiques peacutenales ou mecircme sportives et artistiques (affaire Axel Springer

AG c Allemagne sect 90) 35 Lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne (7 feacutevrier 2012) expose les critegraveres geacuteneacuteralement citeacutes par la CeDH pour

concilier la vie priveacutee avec la liberteacute drsquoexpression (sectsect 109-113) lrsquoouverture drsquoun deacutebat public le rocircle joueacute par un

8

telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la

bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37

Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec

lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites

lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire

impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de

qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de

diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication

affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la

CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat

drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu

132 Accegraves agrave lrsquoinformation

Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres

signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees

opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct

public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43

La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit

deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la

structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la

limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe

de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par

la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees

Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de

lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct

geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave

travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute

individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi

que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la

divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8

de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute

jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei

GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees

appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la

requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une

finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour

objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3

septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave

lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars

2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres

9

Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions

reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment

contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45

La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112

laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja

Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence

du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part

des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent

beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie

entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et

14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave

leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en

raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant

agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees

agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur

lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition

Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des

donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis

pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de

44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et

Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par

lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute

avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du

Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du

Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes

C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm

et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de

vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur

la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession

des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du

Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si

le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001

relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les

institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement

ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de

la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des

moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir

BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol

82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit

agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du

droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir

Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the

implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia

Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport

adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The

Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)

10

censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner

davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable

face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de

savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des

donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave

lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute

drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute

de maniegravere expresse

2 Droit de proprieacuteteacute

21 Protection nationale et internationale

Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute

constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des

principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52

En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans

les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international

dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17

de la CDFUE

Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une

attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce

domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55

22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles

221 Description de la probleacutematique

Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle

Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour

permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement

50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions

drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les

affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier

voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge

de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario

Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection

renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee

attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est

soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte

espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est

lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de

proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la

Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects

du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement

Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle

11

elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres

droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56

Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux

P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de

fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de

contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de

maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant

lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les

tiers qui les conservent

Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux

questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la

confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui

la permettent

222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion

Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des

fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la

protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la

confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler

des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour

sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute

intellectuelle58

Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au

respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les

Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des

tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive

affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions

leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette

clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea

c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la

communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE

souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave

56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER

Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property

Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute

intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder

la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et

la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques

comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54

12

que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le

contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par

conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge

ex nihilo

La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun

certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs

qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de

vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme

temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8

de la CDFUE

Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes

offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par

accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction

Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour

assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa

compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de

maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65

223 Validiteacute de lrsquointrusion

Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de

proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des

donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions

eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale

expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66

61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c

Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden

ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de

Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la

confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la

fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette

approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source

valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national

srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque

cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette

solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE

ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect

20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en

une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres

(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit

deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute

proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats

membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est

eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE

13

La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete

lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire

Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats

membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents

droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation

srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures

adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c

Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une

disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de

contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un

juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle

Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence

drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter

lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients

occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de

proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68

Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et

conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent

garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir

toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives

Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs

compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten

en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un

fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications

eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas

lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en

plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69

23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE

Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de

protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70

habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation

67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche

dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune

disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour

refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait

pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait

par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40

et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55

14

drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent

pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71

Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en

fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir

compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la

CDFUE72

La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun

examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad

pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que

le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave

travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement

consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73

24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement

Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons

signaleacutees sont reacuteduites mais significatives

En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement

semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la

Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat

membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont

neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles

restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute

deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le

Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative

adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du

traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation

Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision

en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant

3 Liberteacute drsquoentreprise

31 Contexte

La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute

drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des

restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave

71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime

poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par

le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir

drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1

du Protocole)

15

lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant

lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques

Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi

de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas

exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75

Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit

fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76

Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et

jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave

compleacuteter notre analyse

32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement

Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune

opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations

preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre

susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee

(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la

reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo

(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du

deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes

attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a

75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce

par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave

ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)

Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de

donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et

C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c

Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de

diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi

(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les

preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors

de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le

cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations

de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences

que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre

la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees

sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles

Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de

reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les

obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est

autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 2: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

2

soixante-dix comme lrsquoeacutetape fondatrice drsquoautres situent lrsquoembryon de cette discipline le 31

janvier 1968 avec la Recommandation 509 du Conseil de lrsquoEurope2

Indeacutependamment de lrsquoanneacutee de deacutebut les premiers pas du droit agrave la protection des donneacutees

personnelles se trouvent eacutetroitement lieacutes aux notions drsquointimiteacute ou de vie priveacutee De nombreux

exemples deacutemontrent ce lien

- la Privacy Act adopteacutee aux Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique en 1974 exprime la deacutependance

entre les deux figures3thinsp

- dans le continent europeacuteen la protection des donneacutees personnelles se cristallise agrave travers

la Convention 108 du Conseil de lrsquoEurope4 et lrsquoart 8 de la Convention Europeacuteenne des

Droits de lrsquoHomme (CEDH)5thinsp

- en ce qui concerne lrsquoUnion Europeacuteenne une importante partie de ses Eacutetats membres6

ne consacre pas au niveau constitutionnel un droit fondamental agrave la protection des

donneacutees personnelles sinon que sa reconnaissance se produit de maniegravere geacuteneacuterale agrave

partir du droit agrave lrsquointimiteacute ou agrave la vie priveacutee

Lrsquoabsence drsquoautonomie qui caracteacuterise le droit agrave la protection des donneacutees personnelles

nrsquoeacutequivaut pas agrave un manque drsquoaction de la part des Eacutetats Elle reflegravete entre autres choses le

stade de leur deacuteveloppement technique et eacuteconomique Agrave lrsquoeacutepoque de reacutedaction des premiegraveres

Constitutions europeacuteennes post-Seconde Guerre mondiale la protection des donneacutees

personnelles nrsquoy trouve pas de mateacuterialisation en raison de la faible importance attacheacutee agrave

lrsquoinformatique Ce panorama srsquoeacutetend aux deacutecennies suivantes malgreacute la de plus en plus visible

prise de conscience au sein des Eacutetats et des institutions europeacuteennes en ce qui concerne les

dangers lieacutes aux avanceacutees technologiques7

2 Recommandation 509 (1968) laquothinspDroits de lrsquohomme et reacutealisations scientifiques et technologiques modernesthinspraquo qui

met en eacutevidence les dangers que supposent pour la vie priveacutee les derniegraveres reacutealisations scientifiques et

technologiques 3 Adopteacutee le 31 deacutecembre 1974 la Privacy Act a pour objectif la sauvegarde de la vie priveacutee des individus face agrave

lrsquousage frauduleux de fichiers feacutedeacuteraux La relation entre vie priveacutee et donneacutees personnelles est explicitement

reconnue par le Congregraves eacutetats-unien qui dans lrsquoexposeacute de motifs de la loi constate que la vie priveacutee des individus

est directement affecteacutee par la collecte maintenance utilisation et diffusion drsquoinformations personnelles par les

agences feacutedeacuterales 4 Convention pour la protection des personnes agrave lrsquoeacutegard du traitement automatiseacute des donneacutees agrave caractegravere

personnel en vigueur depuis le 1 octobre 1985 5 Lrsquoarticle 8 de la CEDH assure le respect de la vie priveacutee et familiale Cette preacutevision leacutegale a eacuteteacute utiliseacutee par la

Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (affaires Amann c Suisse Rotaru c Roumanie et S et Marper c

Royaume-Uni entre autres) pour inclure dans son champ drsquoapplication la tutelle des donneacutees agrave caractegravere

personnel 6 Dans une grande partie des textes constitutionnels europeacuteens la protection des donneacutees personnelles nrsquoest qursquoun

reflet du droit agrave la vie priveacutee Crsquoest le cas entre autres de la France (ougrave le droit agrave la vie priveacutee trouve sa raison

drsquoecirctre dans lrsquoart 4 de la Deacuteclaration des Droits de lrsquoHomme et du Citoyen de 1789 bien que son expression litteacuterale

figure agrave lrsquoart 9 du Code Civil) la Belgique (art 22 de la Constitution belge de 1831) lrsquoEspagne (art 18 de la

Constitution espagnole de 1978) et le Luxembourg (art 113 de la Constitution luxembourgeoise) Par contre la

Constitution grecque de 1975 deacutedie son art 9 A agrave la protection des donneacutees personnelles et attribue agrave une autoriteacute

indeacutependante la garantie de son efficaciteacute La Constitution portugaise de 1976 va un peu plus loin en preacutevoyant agrave

son art 35 le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et en eacutetablissant une seacuterie de principes constitutionnels

qui doivent ecirctre respecteacutes par les pouvoirs publics lorsqursquoune mesure dans ce domaine est envisageacutee 7 Crsquoest agrave partir des anneacutees soixante-dix que les Eacutetats de lrsquoEurope occidentale commencent agrave dicter leurs premiegraveres

lois sur la protection des donneacutees personnelles lrsquoAllemagne en 1977 avec la Bundesdatenschutzgesetz la

France en 1978 avec la Loi ndeg 8-17 relative agrave lrsquoinformatique aux fichiers et aux liberteacutes ou lrsquoAutriche aussi en

1978 avec la Datenschutzgesetz entre autres Parallegravelement en 1981 est adopteacutee au sein du Conseil de lrsquoEurope

3

Ce nrsquoest qursquoagrave partir de la fin des anneacutees quatre-vingt-dixdeacutebut du XXIe siegravecle que la protection

des donneacutees personnelles commence agrave se disjoindre de la vie priveacutee drsquoabord avec lrsquoadoption

de la Directive 9546CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative agrave

la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel

et agrave la libre circulation de ces donneacutees (ci-apregraves laquothinspla Directivethinspraquo)thinsp ensuite avec la proclamation

en 2000 de la Charte des Droits Fondamentaux de lrsquoUnion Europeacuteenne (CDFUE) dont lrsquoarticle

8 confirme lrsquoindeacutependance de ce droitthinsp finalement avec le Traiteacute de Lisbonne qui consacre la

protection des donneacutees explicitement8 et qui dote la CDFUE de force juridique contraignante9

Lrsquoeacutepoque ougrave ces mesures sont adopteacutees nrsquoa rien drsquoanodin lrsquoutilisation drsquoInternet se geacuteneacuteralise

de plus en plus tandis que les grandes entreprises qui domineront la sphegravere numeacuterique dans les

anneacutees qui suivent font leur apparition sur la toile

Durant les derniegraveres anneacutees les institutions europeacuteennes ont rendu publique leur intention de

renouveler lrsquoencadrement leacutegal de la protection des donneacutees avec lrsquoapprobation drsquoun regraveglement

geacuteneacuteral qui abrogerait la Directive Adopteacute par le Parlement Europeacuteen le 14 avril dernier

conformeacutement agrave lrsquoart 2947a) du Traiteacute de Fonctionnement de lrsquoUnion Europeacuteenne le nouveau

Regraveglement (UE) 2016679 du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif agrave la

protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel

et agrave la libre circulation de ces donneacutees et abrogeant la Directive 9546CE (Regraveglement geacuteneacuteral

sur la protection des donneacutees)10 (ci-apregraves laquothinsple Regraveglementthinspraquo)11 a pour objectif de mettre agrave jour

les normes relatives agrave la protection des donneacutees et drsquoaccorder agrave lrsquoespace europeacuteen une plus

grande seacutecuriteacute juridique12 tout en preacuteservant les garanties des individus Toutefois son

application effective est diffeacutereacutee jusqursquoen mai 2018 (art 99)

2 Encadrement de la probleacutematique

La probleacutematique qui oppose le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel agrave lrsquoexercice

drsquoautres droits fondamentaux nrsquoest pas eacutetrangegravere agrave la Directive Le leacutegislateur europeacuteen a su

la Convention pour la protection des personnes agrave lrsquoeacutegard du traitement automatiseacute des donneacutees agrave caractegravere

personnel texte qui sera repris comme source drsquoinspiration pour reacutediger la Directive 9546CE 8 Article 161 du Traiteacute sur le Fonctionnement de lrsquoUnion Europeacuteenne qui octroie agrave lrsquoUnion Europeacuteenne une base

de compeacutetence exclusive en la matiegravere 9 Article 61 du Traiteacute sur lrsquoUnion Europeacuteenne 10 JO L 119 du 4 avril 2016 pp 1-88 11 Pour une vision critique sur les nouveauteacutes apporteacutees par le projet de Regraveglement voir FALQUE-PIERROTIN

Isabelle Quelle protection europeacuteenne pour les donneacutees personnelles Fondation Robert Schuman 2012 Drsquoun

point de vue eacuteconomique voir CAUCHOIS Remi laquothinspLa protection des donneacutees personnelles en Europe et la

compeacutetitiviteacute des entreprises europeacuteennesthinspraquo en Quelle protection des donneacutees personnelles en Europe (Dir

Ceacuteline Castets-Renard) Larcier 2015 pp 157-164 12 La fragmentation juridique provoqueacutee par la transposition de la Directive constitue selon la Commission

Europeacuteenne lrsquoune des raisons qui motivent un nouvel encadrement pour la protection des donneacutees Cependant

cette affirmation se heurte au contenu des dispositions du Regraveglement Trois aspects doivent ecirctre signaleacutes

lrsquoutilisation de concepts juridiques indeacutetermineacutes qui rend lrsquoapplication du regraveglement extrecircmement probleacutematique

(crsquoest le cas notamment de la notion de suivi du comportement preacutesente agrave lrsquoart 32b) du Regraveglement relatif agrave son

champ drsquoapplication territorial)thinsp les multiples deacuteleacutegations reacutealiseacutees agrave la Commission et aux Eacutetats membres afin de

preacuteciser certaines dispositions qui intensifiera la complexiteacute leacutegale de cette matiegraverethinsp la porteacutee limiteacutee du

Regraveglement qui nrsquoaffecte pas drsquoautres actes leacutegislatifs europeacuteens dans le domaine de la protection des donneacutees

(dont la Directive 200258CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement

des donneacutees agrave caractegravere personnel et la protection de la vie priveacutee dans le secteur des communications

eacutelectroniques)

4

dans ce sens identifier des situations conflictuelles et offrir des remegravedes relativement

efficaces13

Parmi les dispositions de la Directive qui manifestent la tension entre le droit agrave la protection

des donneacutees personnelles et drsquoautres droits fondamentaux la premiegravere qui meacuterite reacuteflexion est

lrsquoart 7f) Cette preacutevision reproduite dans lrsquoart 61f) du Regraveglement autorise le traitement de

donneacutees personnelles si la satisfaction drsquoun inteacuterecirct leacutegitime du responsable le rend neacutecessaire

et agrave condition que les droits et les inteacuterecircts du titulaire des donneacutees ne preacutevalent pas Comme la

jurisprudence de la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne (CJUE) nous le montrera un peu

plus tard les droits fondamentaux sont susceptibles drsquoecirctre inseacutereacutes dans le concept drsquointeacuterecirct

leacutegitime du responsable

Agrave lrsquoart 7f) srsquoajoute lrsquoart 8 de la Directive (art 9 du Regraveglement) qui apregraves avoir eacutetabli une

interdiction geacuteneacuterale concernant le traitement de certaines cateacutegories de donneacutees preacutevoit des

exceptions relatives notamment agrave la sauvegarde drsquoun inteacuterecirct vital du titulaire des donneacutees14 (art

82c) repris dans lrsquoart 92c) du Regraveglement) Cependant crsquoest lrsquoart 9 de la Directive (art 85

du Regraveglement) qui de la maniegravere la plus nette reflegravete cette dispute en obligeant les Eacutetats

membres agrave preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de

concilier le droit agrave la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression15 La

dimension de la probleacutematique nrsquoest toutefois pas circonscrite aux seules dispositions de la

Directive drsquoautres droits fondamentaux non expresseacutement viseacutes par celle-ci sont susceptibles

drsquoentrer en conflit avec le droit agrave la protection des donneacutees personnelles ce qui rend neacutecessaire

une analyse plus approfondie de la matiegravere

La conciliation entre droits fondamentaux impose des restrictions devant en toute hypothegravese

satisfaire certaines conditions drsquoordre geacuteneacuteral contenues dans la CEDH et dans lrsquoart 521 de la

CDFUE16 Les exigences qui doivent ecirctre observeacutees sont au nombre de trois la preacutesence drsquoune

raison leacutegitimant les restrictions une preacutevision leacutegale expresse ainsi qursquoun jugement de

proportionnaliteacute entre la mesure adopteacutee et lrsquoobjectif poursuivi qui devra en tout cas respecter

le contenu essentiel du droit limiteacute Soulignons que de telles exigences sont requises non

seulement lorsqursquoun droit fondamental subit une restriction neacutecessaire pour preacuteserver le droit agrave

la protection des donneacutees personnelles mais aussi lorsque la situation est inverseacutee

13 Comme lrsquoa deacutejagrave exprimeacute la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne le leacutegislateur europeacuteen srsquoest efforceacute de

concilier les dispositions de la Directive avec drsquoautres droits fondamentaux susceptibles drsquoecirctre affecteacutes par son

application (affaire C-10101 laquothinspBodil Lindqvistthinspraquo sectsect 84 et 90) 14 Lrsquoart 82c) de la Directive ne constitue pas la seule base juridique qui leacutegitime le traitement de donneacutees afin de

sauvegarder un inteacuterecirct vital de son titulaire Comme lrsquoa deacutejagrave eacutevoqueacute la CJUE la protection de la vie et de lrsquointeacutegriteacute

physique peut excuser sous la base de lrsquoart 7f) de la Directive des opeacuterations de traitement de donneacutees

appartenant agrave des tiers (affaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo sect 34)

Signalons en tout cas que cet obiter dicta est dans une certaine mesure conditionneacute par les faits du cas drsquoespegravece 15 Il srsquoagit selon la CJUE drsquoune veacuteritable obligation juridique (affaire C-47312 laquothinspInstitut professionnel des agents

immobiliers c Geoffrey Englebert et autresthinspraquo sect 33) vision qui srsquoaccommode agrave la doctrine de la Cour Europeacuteenne

des Droits de lrsquoHomme dans la mesure ougrave elle impose aux Eacutetats signataires de la CEDH lrsquoadoption drsquoun cadre

juridique approprieacute agrave lrsquoexercice des droits y reconnus (voir entre autres lrsquoarrecirct de la Cour Europeacuteenne des Droits

de lrsquoHomme du 26 mars 1986 dans lrsquoaffaire X et Y c Pays-Bas sect 23) 16 Rappelons que selon lrsquoart 523 de la CDFUE le sens et la porteacutee des droits contenus dans son texte seront les

mecircmes que ceux confeacutereacutes par la CEDH sans que cela ne puisse empecirccher le droit de lrsquoUE drsquoaccorder une

protection plus eacutetendue

5

Dans les pages qui suivent nous analyserons lrsquoapplication des critegraveres de conciliation effectueacutee

par la CJUE et la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CeDH)17 Notre exposeacute se centrera

sur le conflit entre le droit agrave la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel et trois autres droits

fondamentaux la liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation le droit de proprieacuteteacute et la

liberteacute drsquoentreprise

II CONCILIATION AVEC DrsquoAUTRES DROITS FONDAMENTAUX

1 Liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation

11 Signification et contours jurisprudentiels

La liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constitue lrsquoune des manifestations les plus

embleacutematiques drsquoun Eacutetat de Droit Consacreacutee agrave lrsquoart 10 de la CEDH et agrave lrsquoart 11 de la CDFUE

elle repreacutesente une liberteacute individuelle fondamentale ainsi qursquoun meacutecanisme indispensable pour

controcircler lrsquoaction des autoriteacutes publiques Le rocircle joueacute par cette liberteacute est tel que les restrictions

eacutetablies par le leacutegislateur arrivent mecircme agrave ecirctre examineacutees avec une preacutesomption

drsquoinconstitutionnaliteacute18

En ce qui concerne la liberteacute drsquoexpression la CeDH lui octroie une protection speacutecialement

large en incluant une vaste eacutetendue drsquoeacutemanations sur la base des valeurs de pluraliteacute de

toleacuterance et drsquoouverture drsquoesprit sans lesquelles une socieacuteteacute ne pourrait ecirctre consideacutereacutee comme

deacutemocratique19 Son exercice beacuteneacuteficie en outre drsquoune tutelle plus accentueacutee dans le domaine

politique20 Le fait que lrsquoobjectif poursuivi par celui qui lrsquoexerce soit de nature lucrative21 ou

qursquoInternet soit le moyen de diffusion utiliseacute22 nrsquoobstrue pas lrsquoapplication de la CEDH Par

ailleurs la CeDH a imposeacute aux Eacutetats lrsquoobligation de se doter drsquoun cadre leacutegislatif offrant des

garanties suffisantes tout en respectant lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse et le devoir

drsquoinvoquer un besoin impeacuterieux pour eacutetablir des restrictions jugeacutees neacutecessaires23

La liberteacute drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation a agrave son tour subi une eacutevolution jurisprudentielle

significative De lrsquoabsence de lrsquoobligation de faciliter la diffusion de lrsquoinformation de la part de

lrsquoEacutetat24 nous sommes passeacutes agrave un veacuteritable droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation25 La liberteacute drsquoaccegraves

concerne le contenu de lrsquoinformation ainsi que les moyens de transmission dont Internet

17 Nous utiliserons les abreacuteviations CeDH et CEDH pour distinguer la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme

(CeDH) de la Convention Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CEDH) 18 Telle est la position assumeacutee par la Cour Suprecircme des Eacutetats-Unis de lrsquoAmeacuterique (arrecirct du 30 juin 1976 dans

lrsquoaffaire Nebraska Press Assn v Stuart sect V entre autres) Pour une vision geacuteneacuterale sur la liberteacute drsquoexpression

aux Eacutetats-Unis voir MUHLMANN DECAUX amp ZOLLER La liberteacute drsquoexpression Dalloz 2016 pp 179-224 19 Arrecirct de la CeDH du 16 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Aleksey Ovchinnikov c Russie (sect 39) Lrsquoideacutee est reprise

par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27499 laquothinspBernard Connolly c Commissionthinspraquo (sect 39) 20 Arrecirct de la CeDH du 7 feacutevrier 2012 dans lrsquoaffaire Axel Springer AG c Allemagne (sect 90) 21 Arrecirct de la CeDH du 10 janvier 2013 dans lrsquoaffaire Ashby Donald et autres c France (sect 34) 22 Arrecirct de la CeDH du 16 juin 2015 dans lrsquoaffaire Delfi AS c Estonie (sect 110) 23 Arrecirct de la CeDH du 5 mai 2011 dans lrsquoaffaire Comiteacute de reacutedaction de Pravoye Delo et Shtekel c Ukraine (sectsect

47-68) De la mecircme faccedilon srsquoest prononceacutee la CJUE (entre autres affaire C-7102 laquothinspHerbert Karner Industrie-

Auktionen GmbH c Troostwijk GmbHthinspraquo sect 50) 24 Arrecirct de la CeDH du 19 octobre 2005 dans lrsquoaffaire Roche c Royaume-Uni (sect 172) 25 Arrecirct de la CeDH du 28 novembre 2013 dans lrsquoaffaire Oumlsterreichische Vereinigung zur Erhaltung Staumlrkung

und Schaffung c Autriche (sect 41)

6

assume une position centrale26 Cependant des restrictions sont admissibles si une raison

drsquointeacuterecirct public les rend indispensables27

12 Problegravemes poseacutes par la Directive 9546CE

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave mentionneacute la Directive preacutevoit dans son article 9 lrsquoobligation de la

part des Eacutetats membres drsquointroduire des exceptions agrave certaines de ses normes de maniegravere agrave

concilier la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Cette obligation

pose neacuteanmoins quelques problegravemes de coordination et de nature interpreacutetative

Les difficulteacutes interpreacutetatives reacutesultent du fait que les exceptions doivent reacutepondre agrave des fins de

journalisme28 ou drsquoexpression artistique ou litteacuteraire Cependant les notions de journalisme et

drsquoexpression artistique ou litteacuteraire ne sont pas deacutefinies par la Directive bien que la CJUE ait

deacutejagrave exprimeacute la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation large29 Ce critegravere reste toutefois impreacutecis et

donne aux Eacutetats membres une marge drsquoappreacuteciation non neacutegligeable30

Outre son interpreacutetation la Directive laisse aux Eacutetats membres la possibiliteacute drsquoeacutetablir des

exceptions agrave condition drsquoecirctre neacutecessaires pour concilier la protection des donneacutees avec la liberteacute

drsquoexpression Cela a pour conseacutequence la fragmentation de lrsquoespace juridique europeacuteen car

chaque Eacutetat deacutetient le pouvoir drsquoeacutetablir les exceptions qursquoil considegravere comme opportunes Le

Regraveglement aborde cette probleacutematique dans son art 851 en obligeant les Eacutetats membres agrave

preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de concilier la

protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Les concepts de journalisme

et drsquoexpression artistique et litteacuteraire sont repris par le Regraveglement auxquels srsquoajoute celui

drsquoexpression universitaire mais sans qursquoaucune deacutefinition qui permette de les preacuteciser ne soit

offerte En outre le nouveau texte europeacuteen impose aux Eacutetats membres lrsquoobligation de notifier

agrave la Commission les dispositions normatives adopteacutees en vertu de lrsquoart 851 (art 853) ce qui

aidera agrave mieux coordonner les regravegles nationales au fur et agrave mesure qursquoelles seront adopteacutees

13 Conciliation avec la protection des donneacutees personnelles

131 Liberteacute drsquoexpression

La conciliation entre la liberteacute drsquoexpression et la protection des donneacutees personnelles implique

le besoin drsquoeacuteriger certaines restrictions Ces restrictions doivent en tout cas respecter les

conditions imposeacutees par les arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE Par contre si les

limitations affectent la liberteacute drsquoexpression nous devrons faire appel agrave lrsquoart 102 de la CEDH

ainsi qursquoagrave la CDFUE

En ce qui concerne la CJUE lrsquoeacutetablissement de restrictions agrave la protection des donneacutees au profit

de la liberteacute drsquoexpression a eacuteteacute examineacute de maniegravere partielle dans lrsquoaffaire C-7307

26 La fonction remplie par Internet est essentielle pour une socieacuteteacute deacutemocratique car selon la CeDH il srsquoagit drsquoun

moyen qui contribue grandement agrave la preacuteservation et agrave lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoactualiteacute et des informations (arrecirct du 10

mars 2009 dans lrsquoaffaire Times Newspapers Ltd c Royaume-Uni sect 45) 27 Arrecirct de la CeDH du 27 novembre 2007 dans lrsquoaffaire Timpul Info-Magazin et Anghel c Moldova (sect 31) 28 Sur le concept de journalisme voir VAN ENIS Quentin La liberteacute de la presse agrave lrsquoegravere numeacuterique Larcier

2015 pp 569 sqq 29 Affaire C-7307 laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo sect 56 30 Lrsquoagence britannique de protection des donneacutees (ICO) a reacutealiseacute un important effort de clarification du concept

de journalisme agrave travers son guide laquothinspData protection and journalism a guide for the mediaraquo

7

laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo Bien que les

conditions pour beacuteneacuteficier de la liberteacute drsquoexpression soient interpreacuteteacutees drsquoune maniegravere similaire

agrave celle de la CeDH31 la CJUE estime que le fait drsquoappreacutecier si une exception a eacuteteacute formuleacutee

dans les limites du strict neacutecessaire relegraveve de la compeacutetence des Eacutetats membres sans qursquoaucune

mention aux arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE ne soit effectueacutee Par ailleurs la CJUE

juge que la seule divulgation au public drsquoinformations drsquoopinions ou drsquoideacutees constitue un motif

suffisant pour qursquoune activiteacute beacuteneacuteficie du titre de journalisme sans analyser si la publication

remplit une mission drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui puisse justifier des restrictions au droit agrave la protection

des donneacutees personnelles

Contrairement agrave la CJUE la CeDH a deacuteveloppeacute une ample jurisprudence sous lrsquoangle de lrsquoart

8 de la CEDH Lrsquoabsence drsquoune preacutevision speacutecifique sur la protection des donneacutees personnelles

ne repreacutesente pas un obstacle pour la CeDH qui offre une protection effective fondeacutee sur le

droit agrave la vie priveacutee

Le raisonnement de la CeDH srsquoinaugure avec la constatation drsquoune ingeacuterence dans la vie priveacutee

Cette constatation se produit drsquoune faccedilon assez geacuteneacutereuse et rappelle la souplesse qui caracteacuterise

la notion de traitement de donneacutees consacreacutee agrave lrsquoart 2b) de la Directive32

Ensuite la CeDH examine si lrsquoingeacuterence est admissible agrave la lumiegravere de lrsquoart 82 de la CEDH

Le premier pas consiste agrave deacuteterminer si lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse a eacuteteacute remplie

par le leacutegislateur tant du point de vue formel que mateacuteriel33 Une fois que cela a eacuteteacute constateacute

la CeDH analyse si lrsquoingeacuterence est neacutecessaire agrave la protection de la liberteacute drsquoexpression et

conforme au principe de proportionnaliteacute Pour y parvenir la CeDH srsquoappuie sur une seacuterie de

critegraveres deacuteveloppeacutes par sa propre jurisprudence lrsquoeacuteleacutement central de son jugement eacutetant le fait

que lrsquoinformation divulgueacutee soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible drsquoouvrir un deacutebat inteacuterecirct

geacuteneacuteral34 La liste des critegraveres appliqueacutes par la CeDH nrsquoest en aucun cas exhaustive sinon

indicative et en eacutetroite deacutependance des circonstances concregravetes de chaque cas Cela explique

qursquoaux lignes exposeacutees dans lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne35 se soient ajouteacutees drsquoautres

31 En effet la CJUE rappelle que la liberteacute drsquoexpression srsquoapplique non seulement aux entreprises de meacutedia mais

eacutegalement agrave toute personne exerccedilant une activiteacute de journalisme (sect 58) qursquoune fin lucrative nrsquoexclut a priori pas

sa compatibiliteacute avec ladite liberteacute (sect 59) et que le support utiliseacute pour srsquoexprimer ne constitue pas un critegravere

deacuteterminant pour appreacutecier srsquoil srsquoagit drsquoune activiteacute journalistique (sect 60) 32 Les situations qui selon la CeDH constituent une ingeacuterence dans la vie priveacutee se caracteacuterisent par le fait drsquoecirctre

agrave diverses occasions subsumables dans le concept de traitement de donneacutees personnelles preacutevu agrave lrsquoart 2b) de la

Directive Ainsi la CeDH a consideacutereacute que la surveillance par GPS et le traitement des donneacutees obtenues par ce

moyen constituaient une ingeacuterence dans la vie priveacutee (arrecirct du 2 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Uzun c Allemagne)

Cette affirmation est reprise pour les eacutechantillons vocaux (arrecirct du 25 septembre 2001 dans lrsquoaffaire PG et JH

c Royaume-Uni) la surveillance videacuteo (arrecirct du 17 octobre 2003 dans lrsquoaffaire Perry c Royaume-Uni) les

traitements agrave des fins journalistiques (arrecirct du 9 octobre 2012 dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie) ou les eacutevaluations

administratives (arrecirct du 29 juillet 2014 dans lrsquoaffaire LH c Lettonie) 33 Pour que lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse soit remplie la CeDH impose deux conditions que

lrsquoinstrument utiliseacute revecircte un caractegravere normatif (eacuteleacutement formel) et que les conseacutequences deacutecoulant de son

application soient suffisamment preacutevisibles (eacuteleacutement mateacuteriel) bien que lrsquousage de concepts juridiques

indeacutetermineacutes soit admissible (arrecirct du 6 avril 2010 dans lrsquoaffaire Flinkkilauml et autres c Finlande sectsect 63-65) 34 Qursquoune publication soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible de promouvoir un deacutebat drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral deacutepend des

circonstances entourant chaque cas Neacuteanmoins la CeDH a deacutejagrave reconnu lrsquoexistence drsquoun inteacuterecirct geacuteneacuteral lorsque

la publication portait sur des affaires politiques peacutenales ou mecircme sportives et artistiques (affaire Axel Springer

AG c Allemagne sect 90) 35 Lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne (7 feacutevrier 2012) expose les critegraveres geacuteneacuteralement citeacutes par la CeDH pour

concilier la vie priveacutee avec la liberteacute drsquoexpression (sectsect 109-113) lrsquoouverture drsquoun deacutebat public le rocircle joueacute par un

8

telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la

bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37

Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec

lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites

lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire

impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de

qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de

diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication

affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la

CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat

drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu

132 Accegraves agrave lrsquoinformation

Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres

signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees

opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct

public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43

La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit

deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la

structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la

limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe

de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par

la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees

Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de

lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct

geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave

travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute

individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi

que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la

divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8

de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute

jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei

GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees

appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la

requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une

finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour

objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3

septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave

lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars

2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres

9

Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions

reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment

contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45

La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112

laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja

Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence

du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part

des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent

beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie

entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et

14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave

leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en

raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant

agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees

agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur

lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition

Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des

donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis

pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de

44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et

Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par

lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute

avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du

Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du

Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes

C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm

et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de

vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur

la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession

des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du

Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si

le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001

relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les

institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement

ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de

la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des

moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir

BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol

82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit

agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du

droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir

Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the

implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia

Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport

adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The

Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)

10

censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner

davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable

face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de

savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des

donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave

lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute

drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute

de maniegravere expresse

2 Droit de proprieacuteteacute

21 Protection nationale et internationale

Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute

constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des

principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52

En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans

les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international

dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17

de la CDFUE

Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une

attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce

domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55

22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles

221 Description de la probleacutematique

Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle

Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour

permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement

50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions

drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les

affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier

voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge

de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario

Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection

renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee

attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est

soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte

espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est

lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de

proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la

Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects

du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement

Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle

11

elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres

droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56

Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux

P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de

fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de

contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de

maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant

lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les

tiers qui les conservent

Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux

questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la

confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui

la permettent

222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion

Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des

fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la

protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la

confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler

des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour

sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute

intellectuelle58

Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au

respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les

Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des

tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive

affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions

leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette

clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea

c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la

communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE

souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave

56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER

Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property

Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute

intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder

la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et

la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques

comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54

12

que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le

contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par

conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge

ex nihilo

La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun

certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs

qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de

vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme

temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8

de la CDFUE

Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes

offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par

accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction

Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour

assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa

compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de

maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65

223 Validiteacute de lrsquointrusion

Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de

proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des

donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions

eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale

expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66

61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c

Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden

ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de

Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la

confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la

fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette

approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source

valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national

srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque

cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette

solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE

ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect

20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en

une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres

(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit

deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute

proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats

membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est

eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE

13

La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete

lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire

Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats

membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents

droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation

srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures

adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c

Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une

disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de

contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un

juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle

Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence

drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter

lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients

occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de

proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68

Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et

conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent

garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir

toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives

Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs

compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten

en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un

fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications

eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas

lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en

plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69

23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE

Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de

protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70

habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation

67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche

dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune

disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour

refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait

pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait

par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40

et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55

14

drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent

pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71

Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en

fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir

compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la

CDFUE72

La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun

examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad

pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que

le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave

travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement

consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73

24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement

Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons

signaleacutees sont reacuteduites mais significatives

En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement

semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la

Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat

membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont

neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles

restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute

deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le

Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative

adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du

traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation

Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision

en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant

3 Liberteacute drsquoentreprise

31 Contexte

La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute

drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des

restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave

71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime

poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par

le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir

drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1

du Protocole)

15

lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant

lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques

Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi

de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas

exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75

Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit

fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76

Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et

jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave

compleacuteter notre analyse

32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement

Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune

opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations

preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre

susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee

(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la

reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo

(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du

deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes

attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a

75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce

par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave

ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)

Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de

donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et

C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c

Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de

diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi

(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les

preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors

de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le

cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations

de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences

que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre

la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees

sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles

Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de

reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les

obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est

autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 3: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

3

Ce nrsquoest qursquoagrave partir de la fin des anneacutees quatre-vingt-dixdeacutebut du XXIe siegravecle que la protection

des donneacutees personnelles commence agrave se disjoindre de la vie priveacutee drsquoabord avec lrsquoadoption

de la Directive 9546CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative agrave

la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel

et agrave la libre circulation de ces donneacutees (ci-apregraves laquothinspla Directivethinspraquo)thinsp ensuite avec la proclamation

en 2000 de la Charte des Droits Fondamentaux de lrsquoUnion Europeacuteenne (CDFUE) dont lrsquoarticle

8 confirme lrsquoindeacutependance de ce droitthinsp finalement avec le Traiteacute de Lisbonne qui consacre la

protection des donneacutees explicitement8 et qui dote la CDFUE de force juridique contraignante9

Lrsquoeacutepoque ougrave ces mesures sont adopteacutees nrsquoa rien drsquoanodin lrsquoutilisation drsquoInternet se geacuteneacuteralise

de plus en plus tandis que les grandes entreprises qui domineront la sphegravere numeacuterique dans les

anneacutees qui suivent font leur apparition sur la toile

Durant les derniegraveres anneacutees les institutions europeacuteennes ont rendu publique leur intention de

renouveler lrsquoencadrement leacutegal de la protection des donneacutees avec lrsquoapprobation drsquoun regraveglement

geacuteneacuteral qui abrogerait la Directive Adopteacute par le Parlement Europeacuteen le 14 avril dernier

conformeacutement agrave lrsquoart 2947a) du Traiteacute de Fonctionnement de lrsquoUnion Europeacuteenne le nouveau

Regraveglement (UE) 2016679 du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif agrave la

protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel

et agrave la libre circulation de ces donneacutees et abrogeant la Directive 9546CE (Regraveglement geacuteneacuteral

sur la protection des donneacutees)10 (ci-apregraves laquothinsple Regraveglementthinspraquo)11 a pour objectif de mettre agrave jour

les normes relatives agrave la protection des donneacutees et drsquoaccorder agrave lrsquoespace europeacuteen une plus

grande seacutecuriteacute juridique12 tout en preacuteservant les garanties des individus Toutefois son

application effective est diffeacutereacutee jusqursquoen mai 2018 (art 99)

2 Encadrement de la probleacutematique

La probleacutematique qui oppose le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel agrave lrsquoexercice

drsquoautres droits fondamentaux nrsquoest pas eacutetrangegravere agrave la Directive Le leacutegislateur europeacuteen a su

la Convention pour la protection des personnes agrave lrsquoeacutegard du traitement automatiseacute des donneacutees agrave caractegravere

personnel texte qui sera repris comme source drsquoinspiration pour reacutediger la Directive 9546CE 8 Article 161 du Traiteacute sur le Fonctionnement de lrsquoUnion Europeacuteenne qui octroie agrave lrsquoUnion Europeacuteenne une base

de compeacutetence exclusive en la matiegravere 9 Article 61 du Traiteacute sur lrsquoUnion Europeacuteenne 10 JO L 119 du 4 avril 2016 pp 1-88 11 Pour une vision critique sur les nouveauteacutes apporteacutees par le projet de Regraveglement voir FALQUE-PIERROTIN

Isabelle Quelle protection europeacuteenne pour les donneacutees personnelles Fondation Robert Schuman 2012 Drsquoun

point de vue eacuteconomique voir CAUCHOIS Remi laquothinspLa protection des donneacutees personnelles en Europe et la

compeacutetitiviteacute des entreprises europeacuteennesthinspraquo en Quelle protection des donneacutees personnelles en Europe (Dir

Ceacuteline Castets-Renard) Larcier 2015 pp 157-164 12 La fragmentation juridique provoqueacutee par la transposition de la Directive constitue selon la Commission

Europeacuteenne lrsquoune des raisons qui motivent un nouvel encadrement pour la protection des donneacutees Cependant

cette affirmation se heurte au contenu des dispositions du Regraveglement Trois aspects doivent ecirctre signaleacutes

lrsquoutilisation de concepts juridiques indeacutetermineacutes qui rend lrsquoapplication du regraveglement extrecircmement probleacutematique

(crsquoest le cas notamment de la notion de suivi du comportement preacutesente agrave lrsquoart 32b) du Regraveglement relatif agrave son

champ drsquoapplication territorial)thinsp les multiples deacuteleacutegations reacutealiseacutees agrave la Commission et aux Eacutetats membres afin de

preacuteciser certaines dispositions qui intensifiera la complexiteacute leacutegale de cette matiegraverethinsp la porteacutee limiteacutee du

Regraveglement qui nrsquoaffecte pas drsquoautres actes leacutegislatifs europeacuteens dans le domaine de la protection des donneacutees

(dont la Directive 200258CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement

des donneacutees agrave caractegravere personnel et la protection de la vie priveacutee dans le secteur des communications

eacutelectroniques)

4

dans ce sens identifier des situations conflictuelles et offrir des remegravedes relativement

efficaces13

Parmi les dispositions de la Directive qui manifestent la tension entre le droit agrave la protection

des donneacutees personnelles et drsquoautres droits fondamentaux la premiegravere qui meacuterite reacuteflexion est

lrsquoart 7f) Cette preacutevision reproduite dans lrsquoart 61f) du Regraveglement autorise le traitement de

donneacutees personnelles si la satisfaction drsquoun inteacuterecirct leacutegitime du responsable le rend neacutecessaire

et agrave condition que les droits et les inteacuterecircts du titulaire des donneacutees ne preacutevalent pas Comme la

jurisprudence de la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne (CJUE) nous le montrera un peu

plus tard les droits fondamentaux sont susceptibles drsquoecirctre inseacutereacutes dans le concept drsquointeacuterecirct

leacutegitime du responsable

Agrave lrsquoart 7f) srsquoajoute lrsquoart 8 de la Directive (art 9 du Regraveglement) qui apregraves avoir eacutetabli une

interdiction geacuteneacuterale concernant le traitement de certaines cateacutegories de donneacutees preacutevoit des

exceptions relatives notamment agrave la sauvegarde drsquoun inteacuterecirct vital du titulaire des donneacutees14 (art

82c) repris dans lrsquoart 92c) du Regraveglement) Cependant crsquoest lrsquoart 9 de la Directive (art 85

du Regraveglement) qui de la maniegravere la plus nette reflegravete cette dispute en obligeant les Eacutetats

membres agrave preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de

concilier le droit agrave la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression15 La

dimension de la probleacutematique nrsquoest toutefois pas circonscrite aux seules dispositions de la

Directive drsquoautres droits fondamentaux non expresseacutement viseacutes par celle-ci sont susceptibles

drsquoentrer en conflit avec le droit agrave la protection des donneacutees personnelles ce qui rend neacutecessaire

une analyse plus approfondie de la matiegravere

La conciliation entre droits fondamentaux impose des restrictions devant en toute hypothegravese

satisfaire certaines conditions drsquoordre geacuteneacuteral contenues dans la CEDH et dans lrsquoart 521 de la

CDFUE16 Les exigences qui doivent ecirctre observeacutees sont au nombre de trois la preacutesence drsquoune

raison leacutegitimant les restrictions une preacutevision leacutegale expresse ainsi qursquoun jugement de

proportionnaliteacute entre la mesure adopteacutee et lrsquoobjectif poursuivi qui devra en tout cas respecter

le contenu essentiel du droit limiteacute Soulignons que de telles exigences sont requises non

seulement lorsqursquoun droit fondamental subit une restriction neacutecessaire pour preacuteserver le droit agrave

la protection des donneacutees personnelles mais aussi lorsque la situation est inverseacutee

13 Comme lrsquoa deacutejagrave exprimeacute la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne le leacutegislateur europeacuteen srsquoest efforceacute de

concilier les dispositions de la Directive avec drsquoautres droits fondamentaux susceptibles drsquoecirctre affecteacutes par son

application (affaire C-10101 laquothinspBodil Lindqvistthinspraquo sectsect 84 et 90) 14 Lrsquoart 82c) de la Directive ne constitue pas la seule base juridique qui leacutegitime le traitement de donneacutees afin de

sauvegarder un inteacuterecirct vital de son titulaire Comme lrsquoa deacutejagrave eacutevoqueacute la CJUE la protection de la vie et de lrsquointeacutegriteacute

physique peut excuser sous la base de lrsquoart 7f) de la Directive des opeacuterations de traitement de donneacutees

appartenant agrave des tiers (affaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo sect 34)

Signalons en tout cas que cet obiter dicta est dans une certaine mesure conditionneacute par les faits du cas drsquoespegravece 15 Il srsquoagit selon la CJUE drsquoune veacuteritable obligation juridique (affaire C-47312 laquothinspInstitut professionnel des agents

immobiliers c Geoffrey Englebert et autresthinspraquo sect 33) vision qui srsquoaccommode agrave la doctrine de la Cour Europeacuteenne

des Droits de lrsquoHomme dans la mesure ougrave elle impose aux Eacutetats signataires de la CEDH lrsquoadoption drsquoun cadre

juridique approprieacute agrave lrsquoexercice des droits y reconnus (voir entre autres lrsquoarrecirct de la Cour Europeacuteenne des Droits

de lrsquoHomme du 26 mars 1986 dans lrsquoaffaire X et Y c Pays-Bas sect 23) 16 Rappelons que selon lrsquoart 523 de la CDFUE le sens et la porteacutee des droits contenus dans son texte seront les

mecircmes que ceux confeacutereacutes par la CEDH sans que cela ne puisse empecirccher le droit de lrsquoUE drsquoaccorder une

protection plus eacutetendue

5

Dans les pages qui suivent nous analyserons lrsquoapplication des critegraveres de conciliation effectueacutee

par la CJUE et la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CeDH)17 Notre exposeacute se centrera

sur le conflit entre le droit agrave la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel et trois autres droits

fondamentaux la liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation le droit de proprieacuteteacute et la

liberteacute drsquoentreprise

II CONCILIATION AVEC DrsquoAUTRES DROITS FONDAMENTAUX

1 Liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation

11 Signification et contours jurisprudentiels

La liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constitue lrsquoune des manifestations les plus

embleacutematiques drsquoun Eacutetat de Droit Consacreacutee agrave lrsquoart 10 de la CEDH et agrave lrsquoart 11 de la CDFUE

elle repreacutesente une liberteacute individuelle fondamentale ainsi qursquoun meacutecanisme indispensable pour

controcircler lrsquoaction des autoriteacutes publiques Le rocircle joueacute par cette liberteacute est tel que les restrictions

eacutetablies par le leacutegislateur arrivent mecircme agrave ecirctre examineacutees avec une preacutesomption

drsquoinconstitutionnaliteacute18

En ce qui concerne la liberteacute drsquoexpression la CeDH lui octroie une protection speacutecialement

large en incluant une vaste eacutetendue drsquoeacutemanations sur la base des valeurs de pluraliteacute de

toleacuterance et drsquoouverture drsquoesprit sans lesquelles une socieacuteteacute ne pourrait ecirctre consideacutereacutee comme

deacutemocratique19 Son exercice beacuteneacuteficie en outre drsquoune tutelle plus accentueacutee dans le domaine

politique20 Le fait que lrsquoobjectif poursuivi par celui qui lrsquoexerce soit de nature lucrative21 ou

qursquoInternet soit le moyen de diffusion utiliseacute22 nrsquoobstrue pas lrsquoapplication de la CEDH Par

ailleurs la CeDH a imposeacute aux Eacutetats lrsquoobligation de se doter drsquoun cadre leacutegislatif offrant des

garanties suffisantes tout en respectant lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse et le devoir

drsquoinvoquer un besoin impeacuterieux pour eacutetablir des restrictions jugeacutees neacutecessaires23

La liberteacute drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation a agrave son tour subi une eacutevolution jurisprudentielle

significative De lrsquoabsence de lrsquoobligation de faciliter la diffusion de lrsquoinformation de la part de

lrsquoEacutetat24 nous sommes passeacutes agrave un veacuteritable droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation25 La liberteacute drsquoaccegraves

concerne le contenu de lrsquoinformation ainsi que les moyens de transmission dont Internet

17 Nous utiliserons les abreacuteviations CeDH et CEDH pour distinguer la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme

(CeDH) de la Convention Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CEDH) 18 Telle est la position assumeacutee par la Cour Suprecircme des Eacutetats-Unis de lrsquoAmeacuterique (arrecirct du 30 juin 1976 dans

lrsquoaffaire Nebraska Press Assn v Stuart sect V entre autres) Pour une vision geacuteneacuterale sur la liberteacute drsquoexpression

aux Eacutetats-Unis voir MUHLMANN DECAUX amp ZOLLER La liberteacute drsquoexpression Dalloz 2016 pp 179-224 19 Arrecirct de la CeDH du 16 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Aleksey Ovchinnikov c Russie (sect 39) Lrsquoideacutee est reprise

par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27499 laquothinspBernard Connolly c Commissionthinspraquo (sect 39) 20 Arrecirct de la CeDH du 7 feacutevrier 2012 dans lrsquoaffaire Axel Springer AG c Allemagne (sect 90) 21 Arrecirct de la CeDH du 10 janvier 2013 dans lrsquoaffaire Ashby Donald et autres c France (sect 34) 22 Arrecirct de la CeDH du 16 juin 2015 dans lrsquoaffaire Delfi AS c Estonie (sect 110) 23 Arrecirct de la CeDH du 5 mai 2011 dans lrsquoaffaire Comiteacute de reacutedaction de Pravoye Delo et Shtekel c Ukraine (sectsect

47-68) De la mecircme faccedilon srsquoest prononceacutee la CJUE (entre autres affaire C-7102 laquothinspHerbert Karner Industrie-

Auktionen GmbH c Troostwijk GmbHthinspraquo sect 50) 24 Arrecirct de la CeDH du 19 octobre 2005 dans lrsquoaffaire Roche c Royaume-Uni (sect 172) 25 Arrecirct de la CeDH du 28 novembre 2013 dans lrsquoaffaire Oumlsterreichische Vereinigung zur Erhaltung Staumlrkung

und Schaffung c Autriche (sect 41)

6

assume une position centrale26 Cependant des restrictions sont admissibles si une raison

drsquointeacuterecirct public les rend indispensables27

12 Problegravemes poseacutes par la Directive 9546CE

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave mentionneacute la Directive preacutevoit dans son article 9 lrsquoobligation de la

part des Eacutetats membres drsquointroduire des exceptions agrave certaines de ses normes de maniegravere agrave

concilier la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Cette obligation

pose neacuteanmoins quelques problegravemes de coordination et de nature interpreacutetative

Les difficulteacutes interpreacutetatives reacutesultent du fait que les exceptions doivent reacutepondre agrave des fins de

journalisme28 ou drsquoexpression artistique ou litteacuteraire Cependant les notions de journalisme et

drsquoexpression artistique ou litteacuteraire ne sont pas deacutefinies par la Directive bien que la CJUE ait

deacutejagrave exprimeacute la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation large29 Ce critegravere reste toutefois impreacutecis et

donne aux Eacutetats membres une marge drsquoappreacuteciation non neacutegligeable30

Outre son interpreacutetation la Directive laisse aux Eacutetats membres la possibiliteacute drsquoeacutetablir des

exceptions agrave condition drsquoecirctre neacutecessaires pour concilier la protection des donneacutees avec la liberteacute

drsquoexpression Cela a pour conseacutequence la fragmentation de lrsquoespace juridique europeacuteen car

chaque Eacutetat deacutetient le pouvoir drsquoeacutetablir les exceptions qursquoil considegravere comme opportunes Le

Regraveglement aborde cette probleacutematique dans son art 851 en obligeant les Eacutetats membres agrave

preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de concilier la

protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Les concepts de journalisme

et drsquoexpression artistique et litteacuteraire sont repris par le Regraveglement auxquels srsquoajoute celui

drsquoexpression universitaire mais sans qursquoaucune deacutefinition qui permette de les preacuteciser ne soit

offerte En outre le nouveau texte europeacuteen impose aux Eacutetats membres lrsquoobligation de notifier

agrave la Commission les dispositions normatives adopteacutees en vertu de lrsquoart 851 (art 853) ce qui

aidera agrave mieux coordonner les regravegles nationales au fur et agrave mesure qursquoelles seront adopteacutees

13 Conciliation avec la protection des donneacutees personnelles

131 Liberteacute drsquoexpression

La conciliation entre la liberteacute drsquoexpression et la protection des donneacutees personnelles implique

le besoin drsquoeacuteriger certaines restrictions Ces restrictions doivent en tout cas respecter les

conditions imposeacutees par les arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE Par contre si les

limitations affectent la liberteacute drsquoexpression nous devrons faire appel agrave lrsquoart 102 de la CEDH

ainsi qursquoagrave la CDFUE

En ce qui concerne la CJUE lrsquoeacutetablissement de restrictions agrave la protection des donneacutees au profit

de la liberteacute drsquoexpression a eacuteteacute examineacute de maniegravere partielle dans lrsquoaffaire C-7307

26 La fonction remplie par Internet est essentielle pour une socieacuteteacute deacutemocratique car selon la CeDH il srsquoagit drsquoun

moyen qui contribue grandement agrave la preacuteservation et agrave lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoactualiteacute et des informations (arrecirct du 10

mars 2009 dans lrsquoaffaire Times Newspapers Ltd c Royaume-Uni sect 45) 27 Arrecirct de la CeDH du 27 novembre 2007 dans lrsquoaffaire Timpul Info-Magazin et Anghel c Moldova (sect 31) 28 Sur le concept de journalisme voir VAN ENIS Quentin La liberteacute de la presse agrave lrsquoegravere numeacuterique Larcier

2015 pp 569 sqq 29 Affaire C-7307 laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo sect 56 30 Lrsquoagence britannique de protection des donneacutees (ICO) a reacutealiseacute un important effort de clarification du concept

de journalisme agrave travers son guide laquothinspData protection and journalism a guide for the mediaraquo

7

laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo Bien que les

conditions pour beacuteneacuteficier de la liberteacute drsquoexpression soient interpreacuteteacutees drsquoune maniegravere similaire

agrave celle de la CeDH31 la CJUE estime que le fait drsquoappreacutecier si une exception a eacuteteacute formuleacutee

dans les limites du strict neacutecessaire relegraveve de la compeacutetence des Eacutetats membres sans qursquoaucune

mention aux arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE ne soit effectueacutee Par ailleurs la CJUE

juge que la seule divulgation au public drsquoinformations drsquoopinions ou drsquoideacutees constitue un motif

suffisant pour qursquoune activiteacute beacuteneacuteficie du titre de journalisme sans analyser si la publication

remplit une mission drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui puisse justifier des restrictions au droit agrave la protection

des donneacutees personnelles

Contrairement agrave la CJUE la CeDH a deacuteveloppeacute une ample jurisprudence sous lrsquoangle de lrsquoart

8 de la CEDH Lrsquoabsence drsquoune preacutevision speacutecifique sur la protection des donneacutees personnelles

ne repreacutesente pas un obstacle pour la CeDH qui offre une protection effective fondeacutee sur le

droit agrave la vie priveacutee

Le raisonnement de la CeDH srsquoinaugure avec la constatation drsquoune ingeacuterence dans la vie priveacutee

Cette constatation se produit drsquoune faccedilon assez geacuteneacutereuse et rappelle la souplesse qui caracteacuterise

la notion de traitement de donneacutees consacreacutee agrave lrsquoart 2b) de la Directive32

Ensuite la CeDH examine si lrsquoingeacuterence est admissible agrave la lumiegravere de lrsquoart 82 de la CEDH

Le premier pas consiste agrave deacuteterminer si lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse a eacuteteacute remplie

par le leacutegislateur tant du point de vue formel que mateacuteriel33 Une fois que cela a eacuteteacute constateacute

la CeDH analyse si lrsquoingeacuterence est neacutecessaire agrave la protection de la liberteacute drsquoexpression et

conforme au principe de proportionnaliteacute Pour y parvenir la CeDH srsquoappuie sur une seacuterie de

critegraveres deacuteveloppeacutes par sa propre jurisprudence lrsquoeacuteleacutement central de son jugement eacutetant le fait

que lrsquoinformation divulgueacutee soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible drsquoouvrir un deacutebat inteacuterecirct

geacuteneacuteral34 La liste des critegraveres appliqueacutes par la CeDH nrsquoest en aucun cas exhaustive sinon

indicative et en eacutetroite deacutependance des circonstances concregravetes de chaque cas Cela explique

qursquoaux lignes exposeacutees dans lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne35 se soient ajouteacutees drsquoautres

31 En effet la CJUE rappelle que la liberteacute drsquoexpression srsquoapplique non seulement aux entreprises de meacutedia mais

eacutegalement agrave toute personne exerccedilant une activiteacute de journalisme (sect 58) qursquoune fin lucrative nrsquoexclut a priori pas

sa compatibiliteacute avec ladite liberteacute (sect 59) et que le support utiliseacute pour srsquoexprimer ne constitue pas un critegravere

deacuteterminant pour appreacutecier srsquoil srsquoagit drsquoune activiteacute journalistique (sect 60) 32 Les situations qui selon la CeDH constituent une ingeacuterence dans la vie priveacutee se caracteacuterisent par le fait drsquoecirctre

agrave diverses occasions subsumables dans le concept de traitement de donneacutees personnelles preacutevu agrave lrsquoart 2b) de la

Directive Ainsi la CeDH a consideacutereacute que la surveillance par GPS et le traitement des donneacutees obtenues par ce

moyen constituaient une ingeacuterence dans la vie priveacutee (arrecirct du 2 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Uzun c Allemagne)

Cette affirmation est reprise pour les eacutechantillons vocaux (arrecirct du 25 septembre 2001 dans lrsquoaffaire PG et JH

c Royaume-Uni) la surveillance videacuteo (arrecirct du 17 octobre 2003 dans lrsquoaffaire Perry c Royaume-Uni) les

traitements agrave des fins journalistiques (arrecirct du 9 octobre 2012 dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie) ou les eacutevaluations

administratives (arrecirct du 29 juillet 2014 dans lrsquoaffaire LH c Lettonie) 33 Pour que lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse soit remplie la CeDH impose deux conditions que

lrsquoinstrument utiliseacute revecircte un caractegravere normatif (eacuteleacutement formel) et que les conseacutequences deacutecoulant de son

application soient suffisamment preacutevisibles (eacuteleacutement mateacuteriel) bien que lrsquousage de concepts juridiques

indeacutetermineacutes soit admissible (arrecirct du 6 avril 2010 dans lrsquoaffaire Flinkkilauml et autres c Finlande sectsect 63-65) 34 Qursquoune publication soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible de promouvoir un deacutebat drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral deacutepend des

circonstances entourant chaque cas Neacuteanmoins la CeDH a deacutejagrave reconnu lrsquoexistence drsquoun inteacuterecirct geacuteneacuteral lorsque

la publication portait sur des affaires politiques peacutenales ou mecircme sportives et artistiques (affaire Axel Springer

AG c Allemagne sect 90) 35 Lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne (7 feacutevrier 2012) expose les critegraveres geacuteneacuteralement citeacutes par la CeDH pour

concilier la vie priveacutee avec la liberteacute drsquoexpression (sectsect 109-113) lrsquoouverture drsquoun deacutebat public le rocircle joueacute par un

8

telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la

bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37

Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec

lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites

lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire

impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de

qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de

diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication

affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la

CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat

drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu

132 Accegraves agrave lrsquoinformation

Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres

signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees

opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct

public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43

La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit

deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la

structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la

limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe

de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par

la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees

Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de

lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct

geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave

travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute

individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi

que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la

divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8

de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute

jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei

GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees

appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la

requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une

finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour

objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3

septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave

lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars

2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres

9

Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions

reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment

contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45

La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112

laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja

Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence

du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part

des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent

beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie

entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et

14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave

leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en

raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant

agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees

agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur

lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition

Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des

donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis

pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de

44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et

Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par

lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute

avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du

Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du

Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes

C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm

et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de

vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur

la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession

des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du

Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si

le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001

relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les

institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement

ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de

la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des

moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir

BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol

82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit

agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du

droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir

Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the

implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia

Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport

adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The

Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)

10

censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner

davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable

face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de

savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des

donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave

lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute

drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute

de maniegravere expresse

2 Droit de proprieacuteteacute

21 Protection nationale et internationale

Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute

constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des

principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52

En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans

les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international

dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17

de la CDFUE

Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une

attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce

domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55

22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles

221 Description de la probleacutematique

Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle

Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour

permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement

50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions

drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les

affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier

voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge

de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario

Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection

renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee

attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est

soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte

espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est

lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de

proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la

Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects

du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement

Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle

11

elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres

droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56

Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux

P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de

fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de

contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de

maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant

lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les

tiers qui les conservent

Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux

questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la

confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui

la permettent

222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion

Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des

fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la

protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la

confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler

des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour

sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute

intellectuelle58

Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au

respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les

Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des

tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive

affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions

leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette

clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea

c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la

communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE

souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave

56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER

Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property

Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute

intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder

la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et

la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques

comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54

12

que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le

contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par

conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge

ex nihilo

La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun

certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs

qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de

vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme

temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8

de la CDFUE

Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes

offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par

accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction

Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour

assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa

compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de

maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65

223 Validiteacute de lrsquointrusion

Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de

proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des

donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions

eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale

expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66

61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c

Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden

ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de

Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la

confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la

fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette

approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source

valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national

srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque

cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette

solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE

ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect

20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en

une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres

(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit

deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute

proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats

membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est

eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE

13

La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete

lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire

Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats

membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents

droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation

srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures

adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c

Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une

disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de

contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un

juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle

Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence

drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter

lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients

occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de

proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68

Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et

conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent

garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir

toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives

Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs

compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten

en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un

fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications

eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas

lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en

plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69

23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE

Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de

protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70

habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation

67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche

dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune

disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour

refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait

pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait

par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40

et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55

14

drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent

pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71

Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en

fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir

compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la

CDFUE72

La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun

examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad

pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que

le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave

travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement

consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73

24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement

Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons

signaleacutees sont reacuteduites mais significatives

En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement

semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la

Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat

membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont

neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles

restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute

deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le

Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative

adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du

traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation

Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision

en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant

3 Liberteacute drsquoentreprise

31 Contexte

La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute

drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des

restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave

71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime

poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par

le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir

drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1

du Protocole)

15

lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant

lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques

Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi

de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas

exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75

Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit

fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76

Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et

jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave

compleacuteter notre analyse

32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement

Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune

opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations

preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre

susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee

(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la

reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo

(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du

deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes

attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a

75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce

par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave

ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)

Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de

donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et

C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c

Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de

diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi

(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les

preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors

de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le

cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations

de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences

que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre

la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees

sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles

Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de

reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les

obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est

autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 4: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

4

dans ce sens identifier des situations conflictuelles et offrir des remegravedes relativement

efficaces13

Parmi les dispositions de la Directive qui manifestent la tension entre le droit agrave la protection

des donneacutees personnelles et drsquoautres droits fondamentaux la premiegravere qui meacuterite reacuteflexion est

lrsquoart 7f) Cette preacutevision reproduite dans lrsquoart 61f) du Regraveglement autorise le traitement de

donneacutees personnelles si la satisfaction drsquoun inteacuterecirct leacutegitime du responsable le rend neacutecessaire

et agrave condition que les droits et les inteacuterecircts du titulaire des donneacutees ne preacutevalent pas Comme la

jurisprudence de la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne (CJUE) nous le montrera un peu

plus tard les droits fondamentaux sont susceptibles drsquoecirctre inseacutereacutes dans le concept drsquointeacuterecirct

leacutegitime du responsable

Agrave lrsquoart 7f) srsquoajoute lrsquoart 8 de la Directive (art 9 du Regraveglement) qui apregraves avoir eacutetabli une

interdiction geacuteneacuterale concernant le traitement de certaines cateacutegories de donneacutees preacutevoit des

exceptions relatives notamment agrave la sauvegarde drsquoun inteacuterecirct vital du titulaire des donneacutees14 (art

82c) repris dans lrsquoart 92c) du Regraveglement) Cependant crsquoest lrsquoart 9 de la Directive (art 85

du Regraveglement) qui de la maniegravere la plus nette reflegravete cette dispute en obligeant les Eacutetats

membres agrave preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de

concilier le droit agrave la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression15 La

dimension de la probleacutematique nrsquoest toutefois pas circonscrite aux seules dispositions de la

Directive drsquoautres droits fondamentaux non expresseacutement viseacutes par celle-ci sont susceptibles

drsquoentrer en conflit avec le droit agrave la protection des donneacutees personnelles ce qui rend neacutecessaire

une analyse plus approfondie de la matiegravere

La conciliation entre droits fondamentaux impose des restrictions devant en toute hypothegravese

satisfaire certaines conditions drsquoordre geacuteneacuteral contenues dans la CEDH et dans lrsquoart 521 de la

CDFUE16 Les exigences qui doivent ecirctre observeacutees sont au nombre de trois la preacutesence drsquoune

raison leacutegitimant les restrictions une preacutevision leacutegale expresse ainsi qursquoun jugement de

proportionnaliteacute entre la mesure adopteacutee et lrsquoobjectif poursuivi qui devra en tout cas respecter

le contenu essentiel du droit limiteacute Soulignons que de telles exigences sont requises non

seulement lorsqursquoun droit fondamental subit une restriction neacutecessaire pour preacuteserver le droit agrave

la protection des donneacutees personnelles mais aussi lorsque la situation est inverseacutee

13 Comme lrsquoa deacutejagrave exprimeacute la Cour de Justice de lrsquoUnion Europeacuteenne le leacutegislateur europeacuteen srsquoest efforceacute de

concilier les dispositions de la Directive avec drsquoautres droits fondamentaux susceptibles drsquoecirctre affecteacutes par son

application (affaire C-10101 laquothinspBodil Lindqvistthinspraquo sectsect 84 et 90) 14 Lrsquoart 82c) de la Directive ne constitue pas la seule base juridique qui leacutegitime le traitement de donneacutees afin de

sauvegarder un inteacuterecirct vital de son titulaire Comme lrsquoa deacutejagrave eacutevoqueacute la CJUE la protection de la vie et de lrsquointeacutegriteacute

physique peut excuser sous la base de lrsquoart 7f) de la Directive des opeacuterations de traitement de donneacutees

appartenant agrave des tiers (affaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo sect 34)

Signalons en tout cas que cet obiter dicta est dans une certaine mesure conditionneacute par les faits du cas drsquoespegravece 15 Il srsquoagit selon la CJUE drsquoune veacuteritable obligation juridique (affaire C-47312 laquothinspInstitut professionnel des agents

immobiliers c Geoffrey Englebert et autresthinspraquo sect 33) vision qui srsquoaccommode agrave la doctrine de la Cour Europeacuteenne

des Droits de lrsquoHomme dans la mesure ougrave elle impose aux Eacutetats signataires de la CEDH lrsquoadoption drsquoun cadre

juridique approprieacute agrave lrsquoexercice des droits y reconnus (voir entre autres lrsquoarrecirct de la Cour Europeacuteenne des Droits

de lrsquoHomme du 26 mars 1986 dans lrsquoaffaire X et Y c Pays-Bas sect 23) 16 Rappelons que selon lrsquoart 523 de la CDFUE le sens et la porteacutee des droits contenus dans son texte seront les

mecircmes que ceux confeacutereacutes par la CEDH sans que cela ne puisse empecirccher le droit de lrsquoUE drsquoaccorder une

protection plus eacutetendue

5

Dans les pages qui suivent nous analyserons lrsquoapplication des critegraveres de conciliation effectueacutee

par la CJUE et la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CeDH)17 Notre exposeacute se centrera

sur le conflit entre le droit agrave la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel et trois autres droits

fondamentaux la liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation le droit de proprieacuteteacute et la

liberteacute drsquoentreprise

II CONCILIATION AVEC DrsquoAUTRES DROITS FONDAMENTAUX

1 Liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation

11 Signification et contours jurisprudentiels

La liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constitue lrsquoune des manifestations les plus

embleacutematiques drsquoun Eacutetat de Droit Consacreacutee agrave lrsquoart 10 de la CEDH et agrave lrsquoart 11 de la CDFUE

elle repreacutesente une liberteacute individuelle fondamentale ainsi qursquoun meacutecanisme indispensable pour

controcircler lrsquoaction des autoriteacutes publiques Le rocircle joueacute par cette liberteacute est tel que les restrictions

eacutetablies par le leacutegislateur arrivent mecircme agrave ecirctre examineacutees avec une preacutesomption

drsquoinconstitutionnaliteacute18

En ce qui concerne la liberteacute drsquoexpression la CeDH lui octroie une protection speacutecialement

large en incluant une vaste eacutetendue drsquoeacutemanations sur la base des valeurs de pluraliteacute de

toleacuterance et drsquoouverture drsquoesprit sans lesquelles une socieacuteteacute ne pourrait ecirctre consideacutereacutee comme

deacutemocratique19 Son exercice beacuteneacuteficie en outre drsquoune tutelle plus accentueacutee dans le domaine

politique20 Le fait que lrsquoobjectif poursuivi par celui qui lrsquoexerce soit de nature lucrative21 ou

qursquoInternet soit le moyen de diffusion utiliseacute22 nrsquoobstrue pas lrsquoapplication de la CEDH Par

ailleurs la CeDH a imposeacute aux Eacutetats lrsquoobligation de se doter drsquoun cadre leacutegislatif offrant des

garanties suffisantes tout en respectant lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse et le devoir

drsquoinvoquer un besoin impeacuterieux pour eacutetablir des restrictions jugeacutees neacutecessaires23

La liberteacute drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation a agrave son tour subi une eacutevolution jurisprudentielle

significative De lrsquoabsence de lrsquoobligation de faciliter la diffusion de lrsquoinformation de la part de

lrsquoEacutetat24 nous sommes passeacutes agrave un veacuteritable droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation25 La liberteacute drsquoaccegraves

concerne le contenu de lrsquoinformation ainsi que les moyens de transmission dont Internet

17 Nous utiliserons les abreacuteviations CeDH et CEDH pour distinguer la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme

(CeDH) de la Convention Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CEDH) 18 Telle est la position assumeacutee par la Cour Suprecircme des Eacutetats-Unis de lrsquoAmeacuterique (arrecirct du 30 juin 1976 dans

lrsquoaffaire Nebraska Press Assn v Stuart sect V entre autres) Pour une vision geacuteneacuterale sur la liberteacute drsquoexpression

aux Eacutetats-Unis voir MUHLMANN DECAUX amp ZOLLER La liberteacute drsquoexpression Dalloz 2016 pp 179-224 19 Arrecirct de la CeDH du 16 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Aleksey Ovchinnikov c Russie (sect 39) Lrsquoideacutee est reprise

par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27499 laquothinspBernard Connolly c Commissionthinspraquo (sect 39) 20 Arrecirct de la CeDH du 7 feacutevrier 2012 dans lrsquoaffaire Axel Springer AG c Allemagne (sect 90) 21 Arrecirct de la CeDH du 10 janvier 2013 dans lrsquoaffaire Ashby Donald et autres c France (sect 34) 22 Arrecirct de la CeDH du 16 juin 2015 dans lrsquoaffaire Delfi AS c Estonie (sect 110) 23 Arrecirct de la CeDH du 5 mai 2011 dans lrsquoaffaire Comiteacute de reacutedaction de Pravoye Delo et Shtekel c Ukraine (sectsect

47-68) De la mecircme faccedilon srsquoest prononceacutee la CJUE (entre autres affaire C-7102 laquothinspHerbert Karner Industrie-

Auktionen GmbH c Troostwijk GmbHthinspraquo sect 50) 24 Arrecirct de la CeDH du 19 octobre 2005 dans lrsquoaffaire Roche c Royaume-Uni (sect 172) 25 Arrecirct de la CeDH du 28 novembre 2013 dans lrsquoaffaire Oumlsterreichische Vereinigung zur Erhaltung Staumlrkung

und Schaffung c Autriche (sect 41)

6

assume une position centrale26 Cependant des restrictions sont admissibles si une raison

drsquointeacuterecirct public les rend indispensables27

12 Problegravemes poseacutes par la Directive 9546CE

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave mentionneacute la Directive preacutevoit dans son article 9 lrsquoobligation de la

part des Eacutetats membres drsquointroduire des exceptions agrave certaines de ses normes de maniegravere agrave

concilier la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Cette obligation

pose neacuteanmoins quelques problegravemes de coordination et de nature interpreacutetative

Les difficulteacutes interpreacutetatives reacutesultent du fait que les exceptions doivent reacutepondre agrave des fins de

journalisme28 ou drsquoexpression artistique ou litteacuteraire Cependant les notions de journalisme et

drsquoexpression artistique ou litteacuteraire ne sont pas deacutefinies par la Directive bien que la CJUE ait

deacutejagrave exprimeacute la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation large29 Ce critegravere reste toutefois impreacutecis et

donne aux Eacutetats membres une marge drsquoappreacuteciation non neacutegligeable30

Outre son interpreacutetation la Directive laisse aux Eacutetats membres la possibiliteacute drsquoeacutetablir des

exceptions agrave condition drsquoecirctre neacutecessaires pour concilier la protection des donneacutees avec la liberteacute

drsquoexpression Cela a pour conseacutequence la fragmentation de lrsquoespace juridique europeacuteen car

chaque Eacutetat deacutetient le pouvoir drsquoeacutetablir les exceptions qursquoil considegravere comme opportunes Le

Regraveglement aborde cette probleacutematique dans son art 851 en obligeant les Eacutetats membres agrave

preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de concilier la

protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Les concepts de journalisme

et drsquoexpression artistique et litteacuteraire sont repris par le Regraveglement auxquels srsquoajoute celui

drsquoexpression universitaire mais sans qursquoaucune deacutefinition qui permette de les preacuteciser ne soit

offerte En outre le nouveau texte europeacuteen impose aux Eacutetats membres lrsquoobligation de notifier

agrave la Commission les dispositions normatives adopteacutees en vertu de lrsquoart 851 (art 853) ce qui

aidera agrave mieux coordonner les regravegles nationales au fur et agrave mesure qursquoelles seront adopteacutees

13 Conciliation avec la protection des donneacutees personnelles

131 Liberteacute drsquoexpression

La conciliation entre la liberteacute drsquoexpression et la protection des donneacutees personnelles implique

le besoin drsquoeacuteriger certaines restrictions Ces restrictions doivent en tout cas respecter les

conditions imposeacutees par les arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE Par contre si les

limitations affectent la liberteacute drsquoexpression nous devrons faire appel agrave lrsquoart 102 de la CEDH

ainsi qursquoagrave la CDFUE

En ce qui concerne la CJUE lrsquoeacutetablissement de restrictions agrave la protection des donneacutees au profit

de la liberteacute drsquoexpression a eacuteteacute examineacute de maniegravere partielle dans lrsquoaffaire C-7307

26 La fonction remplie par Internet est essentielle pour une socieacuteteacute deacutemocratique car selon la CeDH il srsquoagit drsquoun

moyen qui contribue grandement agrave la preacuteservation et agrave lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoactualiteacute et des informations (arrecirct du 10

mars 2009 dans lrsquoaffaire Times Newspapers Ltd c Royaume-Uni sect 45) 27 Arrecirct de la CeDH du 27 novembre 2007 dans lrsquoaffaire Timpul Info-Magazin et Anghel c Moldova (sect 31) 28 Sur le concept de journalisme voir VAN ENIS Quentin La liberteacute de la presse agrave lrsquoegravere numeacuterique Larcier

2015 pp 569 sqq 29 Affaire C-7307 laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo sect 56 30 Lrsquoagence britannique de protection des donneacutees (ICO) a reacutealiseacute un important effort de clarification du concept

de journalisme agrave travers son guide laquothinspData protection and journalism a guide for the mediaraquo

7

laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo Bien que les

conditions pour beacuteneacuteficier de la liberteacute drsquoexpression soient interpreacuteteacutees drsquoune maniegravere similaire

agrave celle de la CeDH31 la CJUE estime que le fait drsquoappreacutecier si une exception a eacuteteacute formuleacutee

dans les limites du strict neacutecessaire relegraveve de la compeacutetence des Eacutetats membres sans qursquoaucune

mention aux arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE ne soit effectueacutee Par ailleurs la CJUE

juge que la seule divulgation au public drsquoinformations drsquoopinions ou drsquoideacutees constitue un motif

suffisant pour qursquoune activiteacute beacuteneacuteficie du titre de journalisme sans analyser si la publication

remplit une mission drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui puisse justifier des restrictions au droit agrave la protection

des donneacutees personnelles

Contrairement agrave la CJUE la CeDH a deacuteveloppeacute une ample jurisprudence sous lrsquoangle de lrsquoart

8 de la CEDH Lrsquoabsence drsquoune preacutevision speacutecifique sur la protection des donneacutees personnelles

ne repreacutesente pas un obstacle pour la CeDH qui offre une protection effective fondeacutee sur le

droit agrave la vie priveacutee

Le raisonnement de la CeDH srsquoinaugure avec la constatation drsquoune ingeacuterence dans la vie priveacutee

Cette constatation se produit drsquoune faccedilon assez geacuteneacutereuse et rappelle la souplesse qui caracteacuterise

la notion de traitement de donneacutees consacreacutee agrave lrsquoart 2b) de la Directive32

Ensuite la CeDH examine si lrsquoingeacuterence est admissible agrave la lumiegravere de lrsquoart 82 de la CEDH

Le premier pas consiste agrave deacuteterminer si lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse a eacuteteacute remplie

par le leacutegislateur tant du point de vue formel que mateacuteriel33 Une fois que cela a eacuteteacute constateacute

la CeDH analyse si lrsquoingeacuterence est neacutecessaire agrave la protection de la liberteacute drsquoexpression et

conforme au principe de proportionnaliteacute Pour y parvenir la CeDH srsquoappuie sur une seacuterie de

critegraveres deacuteveloppeacutes par sa propre jurisprudence lrsquoeacuteleacutement central de son jugement eacutetant le fait

que lrsquoinformation divulgueacutee soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible drsquoouvrir un deacutebat inteacuterecirct

geacuteneacuteral34 La liste des critegraveres appliqueacutes par la CeDH nrsquoest en aucun cas exhaustive sinon

indicative et en eacutetroite deacutependance des circonstances concregravetes de chaque cas Cela explique

qursquoaux lignes exposeacutees dans lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne35 se soient ajouteacutees drsquoautres

31 En effet la CJUE rappelle que la liberteacute drsquoexpression srsquoapplique non seulement aux entreprises de meacutedia mais

eacutegalement agrave toute personne exerccedilant une activiteacute de journalisme (sect 58) qursquoune fin lucrative nrsquoexclut a priori pas

sa compatibiliteacute avec ladite liberteacute (sect 59) et que le support utiliseacute pour srsquoexprimer ne constitue pas un critegravere

deacuteterminant pour appreacutecier srsquoil srsquoagit drsquoune activiteacute journalistique (sect 60) 32 Les situations qui selon la CeDH constituent une ingeacuterence dans la vie priveacutee se caracteacuterisent par le fait drsquoecirctre

agrave diverses occasions subsumables dans le concept de traitement de donneacutees personnelles preacutevu agrave lrsquoart 2b) de la

Directive Ainsi la CeDH a consideacutereacute que la surveillance par GPS et le traitement des donneacutees obtenues par ce

moyen constituaient une ingeacuterence dans la vie priveacutee (arrecirct du 2 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Uzun c Allemagne)

Cette affirmation est reprise pour les eacutechantillons vocaux (arrecirct du 25 septembre 2001 dans lrsquoaffaire PG et JH

c Royaume-Uni) la surveillance videacuteo (arrecirct du 17 octobre 2003 dans lrsquoaffaire Perry c Royaume-Uni) les

traitements agrave des fins journalistiques (arrecirct du 9 octobre 2012 dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie) ou les eacutevaluations

administratives (arrecirct du 29 juillet 2014 dans lrsquoaffaire LH c Lettonie) 33 Pour que lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse soit remplie la CeDH impose deux conditions que

lrsquoinstrument utiliseacute revecircte un caractegravere normatif (eacuteleacutement formel) et que les conseacutequences deacutecoulant de son

application soient suffisamment preacutevisibles (eacuteleacutement mateacuteriel) bien que lrsquousage de concepts juridiques

indeacutetermineacutes soit admissible (arrecirct du 6 avril 2010 dans lrsquoaffaire Flinkkilauml et autres c Finlande sectsect 63-65) 34 Qursquoune publication soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible de promouvoir un deacutebat drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral deacutepend des

circonstances entourant chaque cas Neacuteanmoins la CeDH a deacutejagrave reconnu lrsquoexistence drsquoun inteacuterecirct geacuteneacuteral lorsque

la publication portait sur des affaires politiques peacutenales ou mecircme sportives et artistiques (affaire Axel Springer

AG c Allemagne sect 90) 35 Lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne (7 feacutevrier 2012) expose les critegraveres geacuteneacuteralement citeacutes par la CeDH pour

concilier la vie priveacutee avec la liberteacute drsquoexpression (sectsect 109-113) lrsquoouverture drsquoun deacutebat public le rocircle joueacute par un

8

telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la

bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37

Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec

lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites

lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire

impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de

qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de

diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication

affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la

CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat

drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu

132 Accegraves agrave lrsquoinformation

Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres

signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees

opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct

public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43

La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit

deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la

structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la

limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe

de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par

la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees

Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de

lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct

geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave

travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute

individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi

que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la

divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8

de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute

jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei

GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees

appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la

requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une

finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour

objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3

septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave

lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars

2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres

9

Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions

reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment

contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45

La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112

laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja

Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence

du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part

des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent

beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie

entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et

14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave

leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en

raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant

agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees

agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur

lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition

Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des

donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis

pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de

44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et

Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par

lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute

avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du

Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du

Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes

C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm

et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de

vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur

la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession

des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du

Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si

le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001

relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les

institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement

ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de

la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des

moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir

BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol

82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit

agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du

droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir

Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the

implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia

Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport

adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The

Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)

10

censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner

davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable

face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de

savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des

donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave

lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute

drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute

de maniegravere expresse

2 Droit de proprieacuteteacute

21 Protection nationale et internationale

Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute

constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des

principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52

En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans

les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international

dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17

de la CDFUE

Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une

attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce

domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55

22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles

221 Description de la probleacutematique

Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle

Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour

permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement

50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions

drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les

affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier

voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge

de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario

Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection

renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee

attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est

soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte

espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est

lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de

proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la

Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects

du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement

Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle

11

elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres

droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56

Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux

P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de

fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de

contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de

maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant

lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les

tiers qui les conservent

Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux

questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la

confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui

la permettent

222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion

Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des

fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la

protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la

confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler

des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour

sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute

intellectuelle58

Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au

respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les

Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des

tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive

affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions

leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette

clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea

c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la

communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE

souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave

56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER

Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property

Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute

intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder

la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et

la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques

comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54

12

que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le

contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par

conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge

ex nihilo

La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun

certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs

qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de

vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme

temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8

de la CDFUE

Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes

offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par

accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction

Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour

assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa

compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de

maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65

223 Validiteacute de lrsquointrusion

Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de

proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des

donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions

eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale

expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66

61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c

Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden

ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de

Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la

confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la

fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette

approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source

valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national

srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque

cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette

solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE

ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect

20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en

une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres

(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit

deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute

proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats

membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est

eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE

13

La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete

lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire

Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats

membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents

droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation

srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures

adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c

Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une

disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de

contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un

juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle

Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence

drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter

lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients

occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de

proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68

Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et

conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent

garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir

toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives

Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs

compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten

en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un

fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications

eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas

lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en

plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69

23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE

Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de

protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70

habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation

67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche

dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune

disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour

refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait

pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait

par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40

et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55

14

drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent

pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71

Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en

fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir

compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la

CDFUE72

La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun

examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad

pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que

le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave

travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement

consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73

24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement

Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons

signaleacutees sont reacuteduites mais significatives

En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement

semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la

Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat

membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont

neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles

restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute

deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le

Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative

adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du

traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation

Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision

en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant

3 Liberteacute drsquoentreprise

31 Contexte

La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute

drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des

restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave

71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime

poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par

le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir

drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1

du Protocole)

15

lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant

lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques

Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi

de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas

exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75

Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit

fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76

Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et

jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave

compleacuteter notre analyse

32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement

Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune

opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations

preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre

susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee

(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la

reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo

(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du

deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes

attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a

75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce

par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave

ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)

Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de

donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et

C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c

Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de

diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi

(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les

preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors

de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le

cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations

de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences

que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre

la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees

sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles

Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de

reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les

obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est

autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 5: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

5

Dans les pages qui suivent nous analyserons lrsquoapplication des critegraveres de conciliation effectueacutee

par la CJUE et la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CeDH)17 Notre exposeacute se centrera

sur le conflit entre le droit agrave la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel et trois autres droits

fondamentaux la liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation le droit de proprieacuteteacute et la

liberteacute drsquoentreprise

II CONCILIATION AVEC DrsquoAUTRES DROITS FONDAMENTAUX

1 Liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation

11 Signification et contours jurisprudentiels

La liberteacute drsquoexpression et drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constitue lrsquoune des manifestations les plus

embleacutematiques drsquoun Eacutetat de Droit Consacreacutee agrave lrsquoart 10 de la CEDH et agrave lrsquoart 11 de la CDFUE

elle repreacutesente une liberteacute individuelle fondamentale ainsi qursquoun meacutecanisme indispensable pour

controcircler lrsquoaction des autoriteacutes publiques Le rocircle joueacute par cette liberteacute est tel que les restrictions

eacutetablies par le leacutegislateur arrivent mecircme agrave ecirctre examineacutees avec une preacutesomption

drsquoinconstitutionnaliteacute18

En ce qui concerne la liberteacute drsquoexpression la CeDH lui octroie une protection speacutecialement

large en incluant une vaste eacutetendue drsquoeacutemanations sur la base des valeurs de pluraliteacute de

toleacuterance et drsquoouverture drsquoesprit sans lesquelles une socieacuteteacute ne pourrait ecirctre consideacutereacutee comme

deacutemocratique19 Son exercice beacuteneacuteficie en outre drsquoune tutelle plus accentueacutee dans le domaine

politique20 Le fait que lrsquoobjectif poursuivi par celui qui lrsquoexerce soit de nature lucrative21 ou

qursquoInternet soit le moyen de diffusion utiliseacute22 nrsquoobstrue pas lrsquoapplication de la CEDH Par

ailleurs la CeDH a imposeacute aux Eacutetats lrsquoobligation de se doter drsquoun cadre leacutegislatif offrant des

garanties suffisantes tout en respectant lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse et le devoir

drsquoinvoquer un besoin impeacuterieux pour eacutetablir des restrictions jugeacutees neacutecessaires23

La liberteacute drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation a agrave son tour subi une eacutevolution jurisprudentielle

significative De lrsquoabsence de lrsquoobligation de faciliter la diffusion de lrsquoinformation de la part de

lrsquoEacutetat24 nous sommes passeacutes agrave un veacuteritable droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation25 La liberteacute drsquoaccegraves

concerne le contenu de lrsquoinformation ainsi que les moyens de transmission dont Internet

17 Nous utiliserons les abreacuteviations CeDH et CEDH pour distinguer la Cour Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme

(CeDH) de la Convention Europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme (CEDH) 18 Telle est la position assumeacutee par la Cour Suprecircme des Eacutetats-Unis de lrsquoAmeacuterique (arrecirct du 30 juin 1976 dans

lrsquoaffaire Nebraska Press Assn v Stuart sect V entre autres) Pour une vision geacuteneacuterale sur la liberteacute drsquoexpression

aux Eacutetats-Unis voir MUHLMANN DECAUX amp ZOLLER La liberteacute drsquoexpression Dalloz 2016 pp 179-224 19 Arrecirct de la CeDH du 16 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Aleksey Ovchinnikov c Russie (sect 39) Lrsquoideacutee est reprise

par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27499 laquothinspBernard Connolly c Commissionthinspraquo (sect 39) 20 Arrecirct de la CeDH du 7 feacutevrier 2012 dans lrsquoaffaire Axel Springer AG c Allemagne (sect 90) 21 Arrecirct de la CeDH du 10 janvier 2013 dans lrsquoaffaire Ashby Donald et autres c France (sect 34) 22 Arrecirct de la CeDH du 16 juin 2015 dans lrsquoaffaire Delfi AS c Estonie (sect 110) 23 Arrecirct de la CeDH du 5 mai 2011 dans lrsquoaffaire Comiteacute de reacutedaction de Pravoye Delo et Shtekel c Ukraine (sectsect

47-68) De la mecircme faccedilon srsquoest prononceacutee la CJUE (entre autres affaire C-7102 laquothinspHerbert Karner Industrie-

Auktionen GmbH c Troostwijk GmbHthinspraquo sect 50) 24 Arrecirct de la CeDH du 19 octobre 2005 dans lrsquoaffaire Roche c Royaume-Uni (sect 172) 25 Arrecirct de la CeDH du 28 novembre 2013 dans lrsquoaffaire Oumlsterreichische Vereinigung zur Erhaltung Staumlrkung

und Schaffung c Autriche (sect 41)

6

assume une position centrale26 Cependant des restrictions sont admissibles si une raison

drsquointeacuterecirct public les rend indispensables27

12 Problegravemes poseacutes par la Directive 9546CE

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave mentionneacute la Directive preacutevoit dans son article 9 lrsquoobligation de la

part des Eacutetats membres drsquointroduire des exceptions agrave certaines de ses normes de maniegravere agrave

concilier la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Cette obligation

pose neacuteanmoins quelques problegravemes de coordination et de nature interpreacutetative

Les difficulteacutes interpreacutetatives reacutesultent du fait que les exceptions doivent reacutepondre agrave des fins de

journalisme28 ou drsquoexpression artistique ou litteacuteraire Cependant les notions de journalisme et

drsquoexpression artistique ou litteacuteraire ne sont pas deacutefinies par la Directive bien que la CJUE ait

deacutejagrave exprimeacute la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation large29 Ce critegravere reste toutefois impreacutecis et

donne aux Eacutetats membres une marge drsquoappreacuteciation non neacutegligeable30

Outre son interpreacutetation la Directive laisse aux Eacutetats membres la possibiliteacute drsquoeacutetablir des

exceptions agrave condition drsquoecirctre neacutecessaires pour concilier la protection des donneacutees avec la liberteacute

drsquoexpression Cela a pour conseacutequence la fragmentation de lrsquoespace juridique europeacuteen car

chaque Eacutetat deacutetient le pouvoir drsquoeacutetablir les exceptions qursquoil considegravere comme opportunes Le

Regraveglement aborde cette probleacutematique dans son art 851 en obligeant les Eacutetats membres agrave

preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de concilier la

protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Les concepts de journalisme

et drsquoexpression artistique et litteacuteraire sont repris par le Regraveglement auxquels srsquoajoute celui

drsquoexpression universitaire mais sans qursquoaucune deacutefinition qui permette de les preacuteciser ne soit

offerte En outre le nouveau texte europeacuteen impose aux Eacutetats membres lrsquoobligation de notifier

agrave la Commission les dispositions normatives adopteacutees en vertu de lrsquoart 851 (art 853) ce qui

aidera agrave mieux coordonner les regravegles nationales au fur et agrave mesure qursquoelles seront adopteacutees

13 Conciliation avec la protection des donneacutees personnelles

131 Liberteacute drsquoexpression

La conciliation entre la liberteacute drsquoexpression et la protection des donneacutees personnelles implique

le besoin drsquoeacuteriger certaines restrictions Ces restrictions doivent en tout cas respecter les

conditions imposeacutees par les arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE Par contre si les

limitations affectent la liberteacute drsquoexpression nous devrons faire appel agrave lrsquoart 102 de la CEDH

ainsi qursquoagrave la CDFUE

En ce qui concerne la CJUE lrsquoeacutetablissement de restrictions agrave la protection des donneacutees au profit

de la liberteacute drsquoexpression a eacuteteacute examineacute de maniegravere partielle dans lrsquoaffaire C-7307

26 La fonction remplie par Internet est essentielle pour une socieacuteteacute deacutemocratique car selon la CeDH il srsquoagit drsquoun

moyen qui contribue grandement agrave la preacuteservation et agrave lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoactualiteacute et des informations (arrecirct du 10

mars 2009 dans lrsquoaffaire Times Newspapers Ltd c Royaume-Uni sect 45) 27 Arrecirct de la CeDH du 27 novembre 2007 dans lrsquoaffaire Timpul Info-Magazin et Anghel c Moldova (sect 31) 28 Sur le concept de journalisme voir VAN ENIS Quentin La liberteacute de la presse agrave lrsquoegravere numeacuterique Larcier

2015 pp 569 sqq 29 Affaire C-7307 laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo sect 56 30 Lrsquoagence britannique de protection des donneacutees (ICO) a reacutealiseacute un important effort de clarification du concept

de journalisme agrave travers son guide laquothinspData protection and journalism a guide for the mediaraquo

7

laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo Bien que les

conditions pour beacuteneacuteficier de la liberteacute drsquoexpression soient interpreacuteteacutees drsquoune maniegravere similaire

agrave celle de la CeDH31 la CJUE estime que le fait drsquoappreacutecier si une exception a eacuteteacute formuleacutee

dans les limites du strict neacutecessaire relegraveve de la compeacutetence des Eacutetats membres sans qursquoaucune

mention aux arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE ne soit effectueacutee Par ailleurs la CJUE

juge que la seule divulgation au public drsquoinformations drsquoopinions ou drsquoideacutees constitue un motif

suffisant pour qursquoune activiteacute beacuteneacuteficie du titre de journalisme sans analyser si la publication

remplit une mission drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui puisse justifier des restrictions au droit agrave la protection

des donneacutees personnelles

Contrairement agrave la CJUE la CeDH a deacuteveloppeacute une ample jurisprudence sous lrsquoangle de lrsquoart

8 de la CEDH Lrsquoabsence drsquoune preacutevision speacutecifique sur la protection des donneacutees personnelles

ne repreacutesente pas un obstacle pour la CeDH qui offre une protection effective fondeacutee sur le

droit agrave la vie priveacutee

Le raisonnement de la CeDH srsquoinaugure avec la constatation drsquoune ingeacuterence dans la vie priveacutee

Cette constatation se produit drsquoune faccedilon assez geacuteneacutereuse et rappelle la souplesse qui caracteacuterise

la notion de traitement de donneacutees consacreacutee agrave lrsquoart 2b) de la Directive32

Ensuite la CeDH examine si lrsquoingeacuterence est admissible agrave la lumiegravere de lrsquoart 82 de la CEDH

Le premier pas consiste agrave deacuteterminer si lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse a eacuteteacute remplie

par le leacutegislateur tant du point de vue formel que mateacuteriel33 Une fois que cela a eacuteteacute constateacute

la CeDH analyse si lrsquoingeacuterence est neacutecessaire agrave la protection de la liberteacute drsquoexpression et

conforme au principe de proportionnaliteacute Pour y parvenir la CeDH srsquoappuie sur une seacuterie de

critegraveres deacuteveloppeacutes par sa propre jurisprudence lrsquoeacuteleacutement central de son jugement eacutetant le fait

que lrsquoinformation divulgueacutee soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible drsquoouvrir un deacutebat inteacuterecirct

geacuteneacuteral34 La liste des critegraveres appliqueacutes par la CeDH nrsquoest en aucun cas exhaustive sinon

indicative et en eacutetroite deacutependance des circonstances concregravetes de chaque cas Cela explique

qursquoaux lignes exposeacutees dans lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne35 se soient ajouteacutees drsquoautres

31 En effet la CJUE rappelle que la liberteacute drsquoexpression srsquoapplique non seulement aux entreprises de meacutedia mais

eacutegalement agrave toute personne exerccedilant une activiteacute de journalisme (sect 58) qursquoune fin lucrative nrsquoexclut a priori pas

sa compatibiliteacute avec ladite liberteacute (sect 59) et que le support utiliseacute pour srsquoexprimer ne constitue pas un critegravere

deacuteterminant pour appreacutecier srsquoil srsquoagit drsquoune activiteacute journalistique (sect 60) 32 Les situations qui selon la CeDH constituent une ingeacuterence dans la vie priveacutee se caracteacuterisent par le fait drsquoecirctre

agrave diverses occasions subsumables dans le concept de traitement de donneacutees personnelles preacutevu agrave lrsquoart 2b) de la

Directive Ainsi la CeDH a consideacutereacute que la surveillance par GPS et le traitement des donneacutees obtenues par ce

moyen constituaient une ingeacuterence dans la vie priveacutee (arrecirct du 2 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Uzun c Allemagne)

Cette affirmation est reprise pour les eacutechantillons vocaux (arrecirct du 25 septembre 2001 dans lrsquoaffaire PG et JH

c Royaume-Uni) la surveillance videacuteo (arrecirct du 17 octobre 2003 dans lrsquoaffaire Perry c Royaume-Uni) les

traitements agrave des fins journalistiques (arrecirct du 9 octobre 2012 dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie) ou les eacutevaluations

administratives (arrecirct du 29 juillet 2014 dans lrsquoaffaire LH c Lettonie) 33 Pour que lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse soit remplie la CeDH impose deux conditions que

lrsquoinstrument utiliseacute revecircte un caractegravere normatif (eacuteleacutement formel) et que les conseacutequences deacutecoulant de son

application soient suffisamment preacutevisibles (eacuteleacutement mateacuteriel) bien que lrsquousage de concepts juridiques

indeacutetermineacutes soit admissible (arrecirct du 6 avril 2010 dans lrsquoaffaire Flinkkilauml et autres c Finlande sectsect 63-65) 34 Qursquoune publication soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible de promouvoir un deacutebat drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral deacutepend des

circonstances entourant chaque cas Neacuteanmoins la CeDH a deacutejagrave reconnu lrsquoexistence drsquoun inteacuterecirct geacuteneacuteral lorsque

la publication portait sur des affaires politiques peacutenales ou mecircme sportives et artistiques (affaire Axel Springer

AG c Allemagne sect 90) 35 Lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne (7 feacutevrier 2012) expose les critegraveres geacuteneacuteralement citeacutes par la CeDH pour

concilier la vie priveacutee avec la liberteacute drsquoexpression (sectsect 109-113) lrsquoouverture drsquoun deacutebat public le rocircle joueacute par un

8

telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la

bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37

Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec

lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites

lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire

impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de

qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de

diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication

affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la

CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat

drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu

132 Accegraves agrave lrsquoinformation

Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres

signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees

opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct

public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43

La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit

deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la

structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la

limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe

de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par

la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees

Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de

lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct

geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave

travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute

individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi

que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la

divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8

de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute

jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei

GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees

appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la

requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une

finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour

objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3

septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave

lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars

2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres

9

Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions

reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment

contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45

La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112

laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja

Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence

du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part

des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent

beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie

entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et

14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave

leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en

raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant

agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees

agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur

lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition

Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des

donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis

pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de

44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et

Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par

lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute

avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du

Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du

Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes

C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm

et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de

vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur

la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession

des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du

Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si

le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001

relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les

institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement

ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de

la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des

moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir

BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol

82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit

agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du

droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir

Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the

implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia

Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport

adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The

Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)

10

censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner

davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable

face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de

savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des

donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave

lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute

drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute

de maniegravere expresse

2 Droit de proprieacuteteacute

21 Protection nationale et internationale

Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute

constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des

principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52

En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans

les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international

dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17

de la CDFUE

Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une

attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce

domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55

22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles

221 Description de la probleacutematique

Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle

Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour

permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement

50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions

drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les

affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier

voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge

de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario

Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection

renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee

attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est

soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte

espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est

lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de

proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la

Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects

du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement

Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle

11

elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres

droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56

Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux

P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de

fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de

contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de

maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant

lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les

tiers qui les conservent

Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux

questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la

confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui

la permettent

222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion

Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des

fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la

protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la

confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler

des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour

sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute

intellectuelle58

Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au

respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les

Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des

tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive

affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions

leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette

clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea

c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la

communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE

souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave

56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER

Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property

Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute

intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder

la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et

la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques

comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54

12

que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le

contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par

conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge

ex nihilo

La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun

certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs

qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de

vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme

temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8

de la CDFUE

Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes

offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par

accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction

Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour

assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa

compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de

maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65

223 Validiteacute de lrsquointrusion

Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de

proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des

donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions

eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale

expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66

61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c

Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden

ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de

Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la

confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la

fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette

approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source

valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national

srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque

cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette

solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE

ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect

20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en

une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres

(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit

deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute

proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats

membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est

eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE

13

La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete

lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire

Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats

membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents

droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation

srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures

adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c

Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une

disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de

contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un

juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle

Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence

drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter

lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients

occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de

proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68

Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et

conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent

garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir

toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives

Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs

compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten

en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un

fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications

eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas

lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en

plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69

23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE

Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de

protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70

habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation

67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche

dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune

disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour

refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait

pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait

par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40

et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55

14

drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent

pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71

Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en

fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir

compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la

CDFUE72

La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun

examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad

pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que

le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave

travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement

consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73

24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement

Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons

signaleacutees sont reacuteduites mais significatives

En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement

semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la

Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat

membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont

neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles

restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute

deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le

Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative

adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du

traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation

Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision

en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant

3 Liberteacute drsquoentreprise

31 Contexte

La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute

drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des

restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave

71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime

poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par

le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir

drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1

du Protocole)

15

lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant

lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques

Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi

de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas

exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75

Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit

fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76

Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et

jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave

compleacuteter notre analyse

32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement

Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune

opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations

preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre

susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee

(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la

reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo

(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du

deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes

attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a

75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce

par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave

ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)

Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de

donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et

C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c

Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de

diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi

(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les

preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors

de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le

cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations

de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences

que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre

la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees

sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles

Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de

reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les

obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est

autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 6: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

6

assume une position centrale26 Cependant des restrictions sont admissibles si une raison

drsquointeacuterecirct public les rend indispensables27

12 Problegravemes poseacutes par la Directive 9546CE

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave mentionneacute la Directive preacutevoit dans son article 9 lrsquoobligation de la

part des Eacutetats membres drsquointroduire des exceptions agrave certaines de ses normes de maniegravere agrave

concilier la protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Cette obligation

pose neacuteanmoins quelques problegravemes de coordination et de nature interpreacutetative

Les difficulteacutes interpreacutetatives reacutesultent du fait que les exceptions doivent reacutepondre agrave des fins de

journalisme28 ou drsquoexpression artistique ou litteacuteraire Cependant les notions de journalisme et

drsquoexpression artistique ou litteacuteraire ne sont pas deacutefinies par la Directive bien que la CJUE ait

deacutejagrave exprimeacute la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation large29 Ce critegravere reste toutefois impreacutecis et

donne aux Eacutetats membres une marge drsquoappreacuteciation non neacutegligeable30

Outre son interpreacutetation la Directive laisse aux Eacutetats membres la possibiliteacute drsquoeacutetablir des

exceptions agrave condition drsquoecirctre neacutecessaires pour concilier la protection des donneacutees avec la liberteacute

drsquoexpression Cela a pour conseacutequence la fragmentation de lrsquoespace juridique europeacuteen car

chaque Eacutetat deacutetient le pouvoir drsquoeacutetablir les exceptions qursquoil considegravere comme opportunes Le

Regraveglement aborde cette probleacutematique dans son art 851 en obligeant les Eacutetats membres agrave

preacutevoir des exemptions et des deacuterogations agrave certaines de ses dispositions afin de concilier la

protection des donneacutees personnelles avec la liberteacute drsquoexpression Les concepts de journalisme

et drsquoexpression artistique et litteacuteraire sont repris par le Regraveglement auxquels srsquoajoute celui

drsquoexpression universitaire mais sans qursquoaucune deacutefinition qui permette de les preacuteciser ne soit

offerte En outre le nouveau texte europeacuteen impose aux Eacutetats membres lrsquoobligation de notifier

agrave la Commission les dispositions normatives adopteacutees en vertu de lrsquoart 851 (art 853) ce qui

aidera agrave mieux coordonner les regravegles nationales au fur et agrave mesure qursquoelles seront adopteacutees

13 Conciliation avec la protection des donneacutees personnelles

131 Liberteacute drsquoexpression

La conciliation entre la liberteacute drsquoexpression et la protection des donneacutees personnelles implique

le besoin drsquoeacuteriger certaines restrictions Ces restrictions doivent en tout cas respecter les

conditions imposeacutees par les arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE Par contre si les

limitations affectent la liberteacute drsquoexpression nous devrons faire appel agrave lrsquoart 102 de la CEDH

ainsi qursquoagrave la CDFUE

En ce qui concerne la CJUE lrsquoeacutetablissement de restrictions agrave la protection des donneacutees au profit

de la liberteacute drsquoexpression a eacuteteacute examineacute de maniegravere partielle dans lrsquoaffaire C-7307

26 La fonction remplie par Internet est essentielle pour une socieacuteteacute deacutemocratique car selon la CeDH il srsquoagit drsquoun

moyen qui contribue grandement agrave la preacuteservation et agrave lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoactualiteacute et des informations (arrecirct du 10

mars 2009 dans lrsquoaffaire Times Newspapers Ltd c Royaume-Uni sect 45) 27 Arrecirct de la CeDH du 27 novembre 2007 dans lrsquoaffaire Timpul Info-Magazin et Anghel c Moldova (sect 31) 28 Sur le concept de journalisme voir VAN ENIS Quentin La liberteacute de la presse agrave lrsquoegravere numeacuterique Larcier

2015 pp 569 sqq 29 Affaire C-7307 laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo sect 56 30 Lrsquoagence britannique de protection des donneacutees (ICO) a reacutealiseacute un important effort de clarification du concept

de journalisme agrave travers son guide laquothinspData protection and journalism a guide for the mediaraquo

7

laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo Bien que les

conditions pour beacuteneacuteficier de la liberteacute drsquoexpression soient interpreacuteteacutees drsquoune maniegravere similaire

agrave celle de la CeDH31 la CJUE estime que le fait drsquoappreacutecier si une exception a eacuteteacute formuleacutee

dans les limites du strict neacutecessaire relegraveve de la compeacutetence des Eacutetats membres sans qursquoaucune

mention aux arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE ne soit effectueacutee Par ailleurs la CJUE

juge que la seule divulgation au public drsquoinformations drsquoopinions ou drsquoideacutees constitue un motif

suffisant pour qursquoune activiteacute beacuteneacuteficie du titre de journalisme sans analyser si la publication

remplit une mission drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui puisse justifier des restrictions au droit agrave la protection

des donneacutees personnelles

Contrairement agrave la CJUE la CeDH a deacuteveloppeacute une ample jurisprudence sous lrsquoangle de lrsquoart

8 de la CEDH Lrsquoabsence drsquoune preacutevision speacutecifique sur la protection des donneacutees personnelles

ne repreacutesente pas un obstacle pour la CeDH qui offre une protection effective fondeacutee sur le

droit agrave la vie priveacutee

Le raisonnement de la CeDH srsquoinaugure avec la constatation drsquoune ingeacuterence dans la vie priveacutee

Cette constatation se produit drsquoune faccedilon assez geacuteneacutereuse et rappelle la souplesse qui caracteacuterise

la notion de traitement de donneacutees consacreacutee agrave lrsquoart 2b) de la Directive32

Ensuite la CeDH examine si lrsquoingeacuterence est admissible agrave la lumiegravere de lrsquoart 82 de la CEDH

Le premier pas consiste agrave deacuteterminer si lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse a eacuteteacute remplie

par le leacutegislateur tant du point de vue formel que mateacuteriel33 Une fois que cela a eacuteteacute constateacute

la CeDH analyse si lrsquoingeacuterence est neacutecessaire agrave la protection de la liberteacute drsquoexpression et

conforme au principe de proportionnaliteacute Pour y parvenir la CeDH srsquoappuie sur une seacuterie de

critegraveres deacuteveloppeacutes par sa propre jurisprudence lrsquoeacuteleacutement central de son jugement eacutetant le fait

que lrsquoinformation divulgueacutee soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible drsquoouvrir un deacutebat inteacuterecirct

geacuteneacuteral34 La liste des critegraveres appliqueacutes par la CeDH nrsquoest en aucun cas exhaustive sinon

indicative et en eacutetroite deacutependance des circonstances concregravetes de chaque cas Cela explique

qursquoaux lignes exposeacutees dans lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne35 se soient ajouteacutees drsquoautres

31 En effet la CJUE rappelle que la liberteacute drsquoexpression srsquoapplique non seulement aux entreprises de meacutedia mais

eacutegalement agrave toute personne exerccedilant une activiteacute de journalisme (sect 58) qursquoune fin lucrative nrsquoexclut a priori pas

sa compatibiliteacute avec ladite liberteacute (sect 59) et que le support utiliseacute pour srsquoexprimer ne constitue pas un critegravere

deacuteterminant pour appreacutecier srsquoil srsquoagit drsquoune activiteacute journalistique (sect 60) 32 Les situations qui selon la CeDH constituent une ingeacuterence dans la vie priveacutee se caracteacuterisent par le fait drsquoecirctre

agrave diverses occasions subsumables dans le concept de traitement de donneacutees personnelles preacutevu agrave lrsquoart 2b) de la

Directive Ainsi la CeDH a consideacutereacute que la surveillance par GPS et le traitement des donneacutees obtenues par ce

moyen constituaient une ingeacuterence dans la vie priveacutee (arrecirct du 2 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Uzun c Allemagne)

Cette affirmation est reprise pour les eacutechantillons vocaux (arrecirct du 25 septembre 2001 dans lrsquoaffaire PG et JH

c Royaume-Uni) la surveillance videacuteo (arrecirct du 17 octobre 2003 dans lrsquoaffaire Perry c Royaume-Uni) les

traitements agrave des fins journalistiques (arrecirct du 9 octobre 2012 dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie) ou les eacutevaluations

administratives (arrecirct du 29 juillet 2014 dans lrsquoaffaire LH c Lettonie) 33 Pour que lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse soit remplie la CeDH impose deux conditions que

lrsquoinstrument utiliseacute revecircte un caractegravere normatif (eacuteleacutement formel) et que les conseacutequences deacutecoulant de son

application soient suffisamment preacutevisibles (eacuteleacutement mateacuteriel) bien que lrsquousage de concepts juridiques

indeacutetermineacutes soit admissible (arrecirct du 6 avril 2010 dans lrsquoaffaire Flinkkilauml et autres c Finlande sectsect 63-65) 34 Qursquoune publication soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible de promouvoir un deacutebat drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral deacutepend des

circonstances entourant chaque cas Neacuteanmoins la CeDH a deacutejagrave reconnu lrsquoexistence drsquoun inteacuterecirct geacuteneacuteral lorsque

la publication portait sur des affaires politiques peacutenales ou mecircme sportives et artistiques (affaire Axel Springer

AG c Allemagne sect 90) 35 Lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne (7 feacutevrier 2012) expose les critegraveres geacuteneacuteralement citeacutes par la CeDH pour

concilier la vie priveacutee avec la liberteacute drsquoexpression (sectsect 109-113) lrsquoouverture drsquoun deacutebat public le rocircle joueacute par un

8

telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la

bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37

Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec

lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites

lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire

impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de

qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de

diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication

affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la

CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat

drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu

132 Accegraves agrave lrsquoinformation

Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres

signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees

opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct

public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43

La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit

deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la

structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la

limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe

de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par

la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees

Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de

lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct

geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave

travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute

individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi

que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la

divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8

de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute

jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei

GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees

appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la

requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une

finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour

objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3

septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave

lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars

2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres

9

Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions

reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment

contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45

La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112

laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja

Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence

du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part

des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent

beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie

entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et

14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave

leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en

raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant

agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees

agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur

lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition

Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des

donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis

pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de

44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et

Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par

lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute

avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du

Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du

Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes

C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm

et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de

vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur

la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession

des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du

Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si

le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001

relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les

institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement

ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de

la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des

moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir

BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol

82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit

agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du

droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir

Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the

implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia

Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport

adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The

Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)

10

censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner

davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable

face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de

savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des

donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave

lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute

drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute

de maniegravere expresse

2 Droit de proprieacuteteacute

21 Protection nationale et internationale

Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute

constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des

principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52

En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans

les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international

dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17

de la CDFUE

Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une

attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce

domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55

22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles

221 Description de la probleacutematique

Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle

Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour

permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement

50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions

drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les

affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier

voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge

de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario

Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection

renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee

attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est

soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte

espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est

lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de

proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la

Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects

du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement

Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle

11

elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres

droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56

Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux

P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de

fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de

contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de

maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant

lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les

tiers qui les conservent

Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux

questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la

confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui

la permettent

222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion

Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des

fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la

protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la

confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler

des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour

sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute

intellectuelle58

Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au

respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les

Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des

tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive

affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions

leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette

clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea

c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la

communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE

souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave

56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER

Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property

Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute

intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder

la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et

la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques

comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54

12

que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le

contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par

conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge

ex nihilo

La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun

certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs

qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de

vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme

temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8

de la CDFUE

Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes

offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par

accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction

Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour

assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa

compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de

maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65

223 Validiteacute de lrsquointrusion

Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de

proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des

donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions

eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale

expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66

61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c

Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden

ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de

Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la

confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la

fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette

approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source

valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national

srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque

cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette

solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE

ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect

20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en

une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres

(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit

deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute

proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats

membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est

eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE

13

La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete

lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire

Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats

membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents

droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation

srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures

adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c

Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une

disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de

contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un

juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle

Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence

drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter

lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients

occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de

proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68

Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et

conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent

garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir

toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives

Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs

compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten

en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un

fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications

eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas

lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en

plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69

23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE

Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de

protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70

habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation

67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche

dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune

disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour

refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait

pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait

par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40

et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55

14

drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent

pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71

Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en

fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir

compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la

CDFUE72

La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun

examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad

pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que

le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave

travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement

consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73

24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement

Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons

signaleacutees sont reacuteduites mais significatives

En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement

semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la

Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat

membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont

neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles

restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute

deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le

Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative

adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du

traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation

Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision

en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant

3 Liberteacute drsquoentreprise

31 Contexte

La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute

drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des

restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave

71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime

poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par

le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir

drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1

du Protocole)

15

lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant

lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques

Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi

de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas

exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75

Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit

fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76

Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et

jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave

compleacuteter notre analyse

32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement

Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune

opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations

preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre

susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee

(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la

reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo

(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du

deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes

attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a

75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce

par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave

ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)

Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de

donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et

C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c

Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de

diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi

(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les

preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors

de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le

cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations

de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences

que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre

la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees

sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles

Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de

reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les

obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est

autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 7: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

7

laquothinspTietosuojavaltuutettu c Satakunnan Markkinapoumlrssi Oy et Satamedia Oythinspraquo Bien que les

conditions pour beacuteneacuteficier de la liberteacute drsquoexpression soient interpreacuteteacutees drsquoune maniegravere similaire

agrave celle de la CeDH31 la CJUE estime que le fait drsquoappreacutecier si une exception a eacuteteacute formuleacutee

dans les limites du strict neacutecessaire relegraveve de la compeacutetence des Eacutetats membres sans qursquoaucune

mention aux arts 82 de la CEDH et 521 de la CDFUE ne soit effectueacutee Par ailleurs la CJUE

juge que la seule divulgation au public drsquoinformations drsquoopinions ou drsquoideacutees constitue un motif

suffisant pour qursquoune activiteacute beacuteneacuteficie du titre de journalisme sans analyser si la publication

remplit une mission drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui puisse justifier des restrictions au droit agrave la protection

des donneacutees personnelles

Contrairement agrave la CJUE la CeDH a deacuteveloppeacute une ample jurisprudence sous lrsquoangle de lrsquoart

8 de la CEDH Lrsquoabsence drsquoune preacutevision speacutecifique sur la protection des donneacutees personnelles

ne repreacutesente pas un obstacle pour la CeDH qui offre une protection effective fondeacutee sur le

droit agrave la vie priveacutee

Le raisonnement de la CeDH srsquoinaugure avec la constatation drsquoune ingeacuterence dans la vie priveacutee

Cette constatation se produit drsquoune faccedilon assez geacuteneacutereuse et rappelle la souplesse qui caracteacuterise

la notion de traitement de donneacutees consacreacutee agrave lrsquoart 2b) de la Directive32

Ensuite la CeDH examine si lrsquoingeacuterence est admissible agrave la lumiegravere de lrsquoart 82 de la CEDH

Le premier pas consiste agrave deacuteterminer si lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse a eacuteteacute remplie

par le leacutegislateur tant du point de vue formel que mateacuteriel33 Une fois que cela a eacuteteacute constateacute

la CeDH analyse si lrsquoingeacuterence est neacutecessaire agrave la protection de la liberteacute drsquoexpression et

conforme au principe de proportionnaliteacute Pour y parvenir la CeDH srsquoappuie sur une seacuterie de

critegraveres deacuteveloppeacutes par sa propre jurisprudence lrsquoeacuteleacutement central de son jugement eacutetant le fait

que lrsquoinformation divulgueacutee soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible drsquoouvrir un deacutebat inteacuterecirct

geacuteneacuteral34 La liste des critegraveres appliqueacutes par la CeDH nrsquoest en aucun cas exhaustive sinon

indicative et en eacutetroite deacutependance des circonstances concregravetes de chaque cas Cela explique

qursquoaux lignes exposeacutees dans lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne35 se soient ajouteacutees drsquoautres

31 En effet la CJUE rappelle que la liberteacute drsquoexpression srsquoapplique non seulement aux entreprises de meacutedia mais

eacutegalement agrave toute personne exerccedilant une activiteacute de journalisme (sect 58) qursquoune fin lucrative nrsquoexclut a priori pas

sa compatibiliteacute avec ladite liberteacute (sect 59) et que le support utiliseacute pour srsquoexprimer ne constitue pas un critegravere

deacuteterminant pour appreacutecier srsquoil srsquoagit drsquoune activiteacute journalistique (sect 60) 32 Les situations qui selon la CeDH constituent une ingeacuterence dans la vie priveacutee se caracteacuterisent par le fait drsquoecirctre

agrave diverses occasions subsumables dans le concept de traitement de donneacutees personnelles preacutevu agrave lrsquoart 2b) de la

Directive Ainsi la CeDH a consideacutereacute que la surveillance par GPS et le traitement des donneacutees obtenues par ce

moyen constituaient une ingeacuterence dans la vie priveacutee (arrecirct du 2 deacutecembre 2010 dans lrsquoaffaire Uzun c Allemagne)

Cette affirmation est reprise pour les eacutechantillons vocaux (arrecirct du 25 septembre 2001 dans lrsquoaffaire PG et JH

c Royaume-Uni) la surveillance videacuteo (arrecirct du 17 octobre 2003 dans lrsquoaffaire Perry c Royaume-Uni) les

traitements agrave des fins journalistiques (arrecirct du 9 octobre 2012 dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie) ou les eacutevaluations

administratives (arrecirct du 29 juillet 2014 dans lrsquoaffaire LH c Lettonie) 33 Pour que lrsquoexigence drsquoune preacutevision leacutegale expresse soit remplie la CeDH impose deux conditions que

lrsquoinstrument utiliseacute revecircte un caractegravere normatif (eacuteleacutement formel) et que les conseacutequences deacutecoulant de son

application soient suffisamment preacutevisibles (eacuteleacutement mateacuteriel) bien que lrsquousage de concepts juridiques

indeacutetermineacutes soit admissible (arrecirct du 6 avril 2010 dans lrsquoaffaire Flinkkilauml et autres c Finlande sectsect 63-65) 34 Qursquoune publication soit drsquointeacuterecirct public ou susceptible de promouvoir un deacutebat drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral deacutepend des

circonstances entourant chaque cas Neacuteanmoins la CeDH a deacutejagrave reconnu lrsquoexistence drsquoun inteacuterecirct geacuteneacuteral lorsque

la publication portait sur des affaires politiques peacutenales ou mecircme sportives et artistiques (affaire Axel Springer

AG c Allemagne sect 90) 35 Lrsquoarrecirct von Hannover c Allemagne (7 feacutevrier 2012) expose les critegraveres geacuteneacuteralement citeacutes par la CeDH pour

concilier la vie priveacutee avec la liberteacute drsquoexpression (sectsect 109-113) lrsquoouverture drsquoun deacutebat public le rocircle joueacute par un

8

telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la

bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37

Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec

lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites

lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire

impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de

qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de

diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication

affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la

CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat

drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu

132 Accegraves agrave lrsquoinformation

Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres

signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees

opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct

public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43

La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit

deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la

structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la

limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe

de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par

la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees

Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de

lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct

geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave

travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute

individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi

que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la

divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8

de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute

jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei

GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees

appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la

requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une

finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour

objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3

septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave

lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars

2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres

9

Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions

reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment

contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45

La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112

laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja

Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence

du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part

des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent

beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie

entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et

14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave

leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en

raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant

agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees

agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur

lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition

Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des

donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis

pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de

44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et

Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par

lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute

avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du

Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du

Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes

C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm

et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de

vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur

la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession

des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du

Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si

le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001

relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les

institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement

ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de

la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des

moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir

BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol

82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit

agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du

droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir

Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the

implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia

Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport

adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The

Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)

10

censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner

davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable

face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de

savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des

donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave

lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute

drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute

de maniegravere expresse

2 Droit de proprieacuteteacute

21 Protection nationale et internationale

Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute

constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des

principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52

En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans

les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international

dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17

de la CDFUE

Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une

attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce

domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55

22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles

221 Description de la probleacutematique

Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle

Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour

permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement

50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions

drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les

affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier

voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge

de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario

Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection

renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee

attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est

soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte

espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est

lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de

proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la

Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects

du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement

Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle

11

elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres

droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56

Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux

P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de

fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de

contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de

maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant

lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les

tiers qui les conservent

Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux

questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la

confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui

la permettent

222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion

Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des

fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la

protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la

confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler

des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour

sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute

intellectuelle58

Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au

respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les

Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des

tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive

affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions

leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette

clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea

c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la

communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE

souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave

56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER

Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property

Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute

intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder

la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et

la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques

comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54

12

que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le

contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par

conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge

ex nihilo

La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun

certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs

qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de

vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme

temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8

de la CDFUE

Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes

offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par

accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction

Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour

assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa

compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de

maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65

223 Validiteacute de lrsquointrusion

Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de

proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des

donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions

eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale

expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66

61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c

Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden

ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de

Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la

confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la

fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette

approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source

valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national

srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque

cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette

solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE

ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect

20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en

une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres

(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit

deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute

proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats

membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est

eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE

13

La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete

lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire

Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats

membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents

droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation

srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures

adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c

Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une

disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de

contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un

juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle

Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence

drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter

lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients

occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de

proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68

Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et

conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent

garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir

toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives

Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs

compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten

en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un

fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications

eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas

lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en

plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69

23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE

Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de

protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70

habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation

67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche

dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune

disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour

refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait

pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait

par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40

et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55

14

drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent

pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71

Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en

fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir

compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la

CDFUE72

La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun

examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad

pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que

le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave

travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement

consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73

24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement

Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons

signaleacutees sont reacuteduites mais significatives

En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement

semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la

Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat

membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont

neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles

restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute

deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le

Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative

adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du

traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation

Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision

en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant

3 Liberteacute drsquoentreprise

31 Contexte

La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute

drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des

restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave

71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime

poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par

le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir

drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1

du Protocole)

15

lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant

lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques

Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi

de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas

exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75

Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit

fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76

Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et

jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave

compleacuteter notre analyse

32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement

Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune

opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations

preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre

susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee

(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la

reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo

(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du

deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes

attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a

75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce

par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave

ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)

Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de

donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et

C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c

Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de

diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi

(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les

preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors

de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le

cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations

de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences

que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre

la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees

sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles

Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de

reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les

obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est

autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 8: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

8

telles que la seacuteveacuteriteacute de la sanction imposeacutee agrave lrsquoeacutediteur drsquoun quotidien36 ou lrsquoobjectiviteacute et la

bonne foi dans la preacutesentation de lrsquoinformation37

Notons que les solutions dispenseacutees par la CeDH se caracteacuterisent par son alignement avec

lrsquoesprit de la Directive et du Regraveglement Ainsi la liberteacute drsquoexpression rencontre des limites

lorsque lrsquoingeacuterence a pour objet des donneacutees relatives agrave la santeacute38 ou agrave une proceacutedure judiciaire

impliquant un mineur39 La CeDH a eacutegalement appliqueacute de maniegravere minutieuse le principe de

qualiteacute des donneacutees pour restreindre les traitements avec une finaliteacute journalistique ou de

diffusion publique aux donneacutees strictement neacutecessaires40 Par contre lorsque la publication

affecte des individus appartenant agrave la sphegravere politique la protection accordeacutee par lrsquoart 8 de la

CEDH cegravede face agrave la liberteacute drsquoexpression41 Le besoin que lrsquoinformation srsquoinsegravere dans un deacutebat

drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral est toutefois maintenu

132 Accegraves agrave lrsquoinformation

Les deacutecisions de la CeDH portant sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation reprennent les critegraveres

signaleacutes supra Agrave cet eacutegard les limitations imposeacutees pour proteacuteger les mineurs sont jugeacutees

opportunes42 tandis que celles touchant des affaires relatives agrave la scegravene politique ou drsquointeacuterecirct

public ne sont pas qualifieacutees de la mecircme faccedilon43

La CJUE srsquoest eacutegalement prononceacutee sur la validiteacute de certaines restrictions imposeacutees par le droit

deacuteriveacute de lrsquoUE agrave la protection des donneacutees personnelles Les deacutecisions de la CJUE suivent la

structure de raisonnement de la CeDH drsquoabord en deacuteterminant si le but poursuivi par la

limitation est leacutegitime et a eacuteteacute preacutevu par la loithinsp ensuite en examinant si lrsquoapplication du principe

de proportionnaliteacute eacutetait adeacutequate Ajoutons que tant la CDFUE que la CEDH sont utiliseacutees par

la CJUE comme canon de leacutegaliteacute des dispositions questionneacutees

Selon les lignes traceacutees par la CJUE les objectifs de transparence et de controcircle public de

lrsquoactiviteacute administrative agrave travers lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation constituent des raisons drsquointeacuterecirct

geacuteneacuteral pour limiter le droit agrave la protection des donneacutees Cependant la balance srsquoeacutequilibre agrave

travers la minutie et la rigueur qui singularisent lrsquoapplication du principe de proportionnaliteacute

individu dans la sphegravere publique sa conduite preacutealable le contenu forme et conseacutequences de la publication ainsi

que les circonstances dans lesquelles les donneacutees personnelles ont eacuteteacute traiteacutees 36 Affaire Axel Springer AG c Allemagne sect 95 37 Arrecirct du 12 octobre 2010 dans lrsquoaffaire Saaristo et autres c Finlande (sect 65) 38 Dans les affaires Armonienė c Lituanie et Biriuk c Lituanie (25 novembre 2008) la CeDH a estimeacute que la

divulgation de lrsquoeacutetat de santeacute des requeacuterants (qui eacutetaient seacuteropositifs) nrsquoavait pas respecteacute les exigences de lrsquoart 8

de la CEDH (cfr avec les arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) 39 La publication de donneacutees relatives agrave la vie priveacutee drsquoun mineur dans le contexte drsquoune proceacutedure judiciaire a eacuteteacute

jugeacutee contraire agrave lrsquoart 8 de la CEDH (arrecirct du 19 juin 2012 dans lrsquoaffaire Kurier Zeitungsverlag und Druckerei

GmbH c Autriche) Le Regraveglement nrsquoest pas eacutetranger agrave la probleacutematique concernant le traitement de donneacutees

appartenant agrave des mineurs et lrsquoaborde dans plusieurs de ses articles (cf arts 61f) 8 121 et 571b) du Regraveglement) 40 Dans lrsquoaffaire Alkaya c Turquie la CeDH a consideacutereacute que la publication de lrsquoadresse domiciliaire de la

requeacuterante par un quotidien national eacutetait excessive mecircme si lrsquoarticle dans lequel srsquoinseacuterait lrsquoinformation avait une

finaliteacute journalistique Parallegravelement la CeDH a appreacutecieacute le caractegravere excessif drsquoune diffusion qui avait eu pour

objet des donneacutees personnelles relatives agrave une activiteacute de chauffeur dateacutee de lrsquoeacutepoque sovieacutetique (arrecirct du 3

septembre 2015 dans lrsquoaffaire Sotildero c Estonie) 41 Affaires Saaristo et autres c Finlande et Flinkkilauml et autres c Finlande entre autres 42 Selon la CeDH lrsquoart 61 de la CEDH autorise des mesures nationales qui ont pour effet de limiter lrsquoaccegraves agrave

lrsquoinformation de la part des journalistes (deacutecision drsquoirrecevabiliteacute laquothinspAxel Springer AG c Allemagnethinspraquo du 13 mars

2012) 43 Arrecirct du 14 avril 2009 dans lrsquoaffaire Taacutersasaacuteg a Szabadsaacutegjogokeacutert c Hongrie entre autres

9

Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions

reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment

contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45

La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112

laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja

Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence

du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part

des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent

beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie

entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et

14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave

leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en

raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant

agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees

agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur

lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition

Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des

donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis

pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de

44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et

Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par

lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute

avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du

Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du

Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes

C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm

et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de

vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur

la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession

des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du

Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si

le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001

relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les

institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement

ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de

la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des

moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir

BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol

82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit

agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du

droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir

Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the

implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia

Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport

adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The

Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)

10

censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner

davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable

face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de

savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des

donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave

lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute

drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute

de maniegravere expresse

2 Droit de proprieacuteteacute

21 Protection nationale et internationale

Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute

constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des

principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52

En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans

les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international

dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17

de la CDFUE

Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une

attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce

domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55

22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles

221 Description de la probleacutematique

Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle

Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour

permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement

50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions

drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les

affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier

voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge

de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario

Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection

renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee

attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est

soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte

espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est

lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de

proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la

Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects

du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement

Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle

11

elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres

droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56

Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux

P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de

fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de

contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de

maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant

lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les

tiers qui les conservent

Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux

questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la

confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui

la permettent

222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion

Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des

fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la

protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la

confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler

des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour

sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute

intellectuelle58

Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au

respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les

Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des

tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive

affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions

leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette

clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea

c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la

communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE

souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave

56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER

Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property

Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute

intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder

la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et

la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques

comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54

12

que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le

contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par

conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge

ex nihilo

La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun

certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs

qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de

vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme

temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8

de la CDFUE

Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes

offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par

accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction

Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour

assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa

compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de

maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65

223 Validiteacute de lrsquointrusion

Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de

proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des

donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions

eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale

expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66

61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c

Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden

ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de

Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la

confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la

fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette

approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source

valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national

srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque

cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette

solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE

ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect

20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en

une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres

(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit

deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute

proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats

membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est

eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE

13

La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete

lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire

Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats

membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents

droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation

srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures

adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c

Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une

disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de

contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un

juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle

Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence

drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter

lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients

occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de

proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68

Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et

conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent

garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir

toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives

Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs

compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten

en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un

fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications

eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas

lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en

plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69

23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE

Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de

protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70

habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation

67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche

dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune

disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour

refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait

pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait

par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40

et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55

14

drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent

pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71

Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en

fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir

compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la

CDFUE72

La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun

examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad

pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que

le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave

travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement

consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73

24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement

Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons

signaleacutees sont reacuteduites mais significatives

En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement

semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la

Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat

membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont

neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles

restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute

deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le

Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative

adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du

traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation

Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision

en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant

3 Liberteacute drsquoentreprise

31 Contexte

La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute

drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des

restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave

71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime

poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par

le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir

drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1

du Protocole)

15

lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant

lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques

Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi

de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas

exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75

Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit

fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76

Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et

jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave

compleacuteter notre analyse

32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement

Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune

opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations

preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre

susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee

(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la

reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo

(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du

deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes

attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a

75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce

par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave

ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)

Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de

donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et

C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c

Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de

diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi

(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les

preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors

de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le

cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations

de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences

que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre

la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees

sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles

Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de

reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les

obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est

autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 9: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

9

Cette preacutecision analytique conduirait la CJUE agrave deacuteclarer lrsquoilleacutegaliteacute de certaines dispositions

reacuteputeacutees excessives44 ou agrave concilier des instruments de droit deacuteriveacute apparemment

contradictoires afin drsquoobtenir le respect de lrsquoart 8 de la CEDH45

La doctrine de la CJUE a fait lrsquoobjet drsquoimportants deacuteveloppements dans lrsquoaffaire C-13112

laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario Costeja

Gonzaacutelezthinspraquo Lrsquoarrecirct extrecircmement controverseacute affirme comme principe geacuteneacuteral la preacutevalence

du droit agrave la protection des donneacutees personnelles sur le droit drsquoaccegraves agrave lrsquoinformation de la part

des internautes (sect 81)46 tout en rejetant la possibiliteacute que les moteurs de recherche puissent

beacuteneacuteficier de lrsquoart 9 de la Directive (sect 85)47 Agrave la volonteacute drsquoeacutetablir une relation de hieacuterarchie

entre droits fondamentaux srsquoajoute un droit agrave lrsquooubli numeacuterique qui fondeacute sur les arts 12b) et

14a) de la Directive rend possibles la suppression des donneacutees personnelles ou lrsquoopposition agrave

leur traitement lorsque celui-ci srsquoeffectue drsquoune maniegravere contraire agrave la Directive (notamment en

raison de leur caractegravere incomplet ou inexact) ou des raisons preacutepondeacuterantes et leacutegitimes tenant

agrave la situation particuliegravere du titulaire des donneacutees le justifie48 Compte tenu des difficulteacutes lieacutees

agrave la conciliation entre les inteacuterecircts confronteacutes il nrsquoest pas surprenant que plusieurs guides sur

lrsquoapplication du droit agrave lrsquooubli49 aient fait leur apparition

Le droit agrave lrsquooubli soulegraveve drsquoimportantes incertitudes Le fait de favoriser la protection des

donneacutees personnelles au deacutetriment de lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation uni agrave lrsquoabsence de critegraveres preacutecis

pour concilier les deux droits ont conduit certains agrave qualifier la deacutecision de la CJUE de

44 Dans son arrecirct du 9 novembre 2010 (affaires jointes C-9209 et C-9309 laquothinspVolker und Markus Schecke GbR et

Hartmut Eifert c Hessenthinspraquo) la CJUE a deacuteclareacute que la publication de certaines donneacutees personnelles viseacutees par

lrsquoart 44 bis du Regraveglement ndeg 12902005 et le Regraveglement ndeg 2592008 ne gardait pas un rapport de proportionnaliteacute

avec lrsquoobjectif poursuivi (transparence et controcircle public de lrsquoattribution drsquoaides provenant du FEAGA et du

Feader) comme lrsquoexigeait lrsquoart 521 de la CDFUE Cette deacutecision entraicircne lrsquoannulation de lrsquoart 44 bis du

Regraveglement ndeg 12902005 et du Regraveglement ndeg 2592008 Par contre dans son arrecirct du 20 mai 2003 (affaires jointes

C-46500 C-13801 et C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspChrista Neukomm

et Joseph Lauermann c Oumlsterreichischer Rundfunkthinspraquo) la CJUE analyse une probleacutematique similaire du point de

vue de la CEDH mais confie aux autoriteacutes judiciaires nationales le jugement de proportionnaliteacute et la deacutecision sur

la leacutegaliteacute ou lrsquoilleacutegaliteacute de la mesure discuteacutee 45 Dans son arrecirct du 29 juin 2010 (affaire C-2808 P) la CJUE a conclu que lrsquoaccegraves aux documents en possession

des institutions europeacuteennes (reacutegi par le Regraveglement ndeg 10492001 relatif agrave lrsquoaccegraves du public aux documents du

Parlement Europeacuteen du Conseil et de la Commission) et contenant des donneacutees personnelles nrsquoest possible que si

le destinataire deacutemontre la neacutecessiteacute de les obtenir (condition preacutevue par lrsquoart 8b) du Regraveglement ndeg 452001

relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel par les

institutions et organes communautaires et agrave la libre circulation de ces donneacutees) mecircme si lrsquoart 61 du Regraveglement

ndeg 10492011 ne preacutevoit pas lrsquoobligation de justifier la demande drsquoaccegraves 46 Cette approche se heurte agrave la position de la CeDH qui considegravere que les droits contenus dans les arts 8 et 10 de

la CEDH meacuteritent comme regravegle geacuteneacuterale le mecircme respect (affaire von Hannover c Allemagne sect 106) 47 Cette opinion contraste avec lrsquoavis des Cours eacutetats-uniennes qui reconnaissent la liberteacute drsquoexpression des

moteurs de recherche sous la base du Premier Amendement Pour plus drsquoinformations sur cette question voir

BRACHA Oren The Folklore of Informationalism The Case of Search Engine Speech Fordham Law Review vol

82 iss 4 2014 pp 1629-1687 48 Pour une analyse approfondie concernant le droit agrave lrsquooubli voir DE TERWANGNE Ceacutecile laquothinspDroit agrave lrsquooubli droit

agrave lrsquoeffacement ou droit au deacutereacutefeacuterencementthinsp Quand le leacutegislateur et le juge europeacuteens dessinent les contours du

droit agrave lrsquooubli numeacuteriquethinspraquo en Enjeux europeacuteens et mondiaux de la protection des donneacutees personnelles (Dir

Alain Grosjean) Larcier 2015 pp 245-275 49 Deux guides sont de mention obligatoire les lignes directrices du Groupe laquothinspArticle 29raquo (Guidelines on the

implementation of the Court of Justice of the European Union judgement on laquoGoogle Spain and Inc v Agencia

Espantildeola de Proteccioacuten de Datos (AEPD) and Mario Costeja Gonzaacutelezraquo C-13112 mises agrave jour par un rapport

adopteacute le 16 deacutecembre 2015) et le guide eacutelaboreacute par un comiteacute consultatif reacuteuni sur demande de Google (The

Advisory Council to Google on the Right to be Forgotten)

10

censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner

davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable

face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de

savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des

donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave

lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute

drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute

de maniegravere expresse

2 Droit de proprieacuteteacute

21 Protection nationale et internationale

Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute

constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des

principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52

En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans

les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international

dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17

de la CDFUE

Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une

attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce

domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55

22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles

221 Description de la probleacutematique

Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle

Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour

permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement

50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions

drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les

affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier

voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge

de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario

Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection

renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee

attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est

soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte

espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est

lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de

proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la

Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects

du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement

Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle

11

elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres

droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56

Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux

P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de

fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de

contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de

maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant

lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les

tiers qui les conservent

Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux

questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la

confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui

la permettent

222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion

Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des

fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la

protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la

confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler

des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour

sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute

intellectuelle58

Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au

respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les

Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des

tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive

affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions

leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette

clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea

c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la

communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE

souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave

56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER

Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property

Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute

intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder

la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et

la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques

comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54

12

que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le

contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par

conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge

ex nihilo

La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun

certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs

qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de

vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme

temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8

de la CDFUE

Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes

offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par

accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction

Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour

assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa

compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de

maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65

223 Validiteacute de lrsquointrusion

Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de

proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des

donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions

eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale

expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66

61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c

Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden

ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de

Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la

confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la

fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette

approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source

valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national

srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque

cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette

solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE

ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect

20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en

une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres

(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit

deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute

proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats

membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est

eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE

13

La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete

lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire

Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats

membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents

droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation

srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures

adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c

Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une

disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de

contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un

juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle

Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence

drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter

lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients

occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de

proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68

Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et

conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent

garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir

toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives

Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs

compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten

en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un

fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications

eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas

lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en

plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69

23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE

Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de

protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70

habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation

67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche

dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune

disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour

refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait

pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait

par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40

et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55

14

drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent

pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71

Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en

fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir

compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la

CDFUE72

La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun

examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad

pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que

le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave

travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement

consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73

24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement

Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons

signaleacutees sont reacuteduites mais significatives

En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement

semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la

Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat

membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont

neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles

restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute

deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le

Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative

adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du

traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation

Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision

en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant

3 Liberteacute drsquoentreprise

31 Contexte

La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute

drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des

restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave

71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime

poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par

le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir

drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1

du Protocole)

15

lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant

lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques

Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi

de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas

exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75

Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit

fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76

Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et

jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave

compleacuteter notre analyse

32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement

Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune

opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations

preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre

susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee

(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la

reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo

(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du

deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes

attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a

75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce

par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave

ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)

Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de

donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et

C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c

Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de

diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi

(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les

preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors

de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le

cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations

de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences

que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre

la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees

sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles

Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de

reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les

obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est

autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 10: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

10

censure50 Malgreacute les dangers particuliers engendreacutes par Internet la CJUE aurait pu soigner

davantage lrsquoexpression de sa deacutecision Par ailleurs que le droit agrave lrsquooubli ne soit pas applicable

face aux proprieacutetaires de sites web en raison de leur liberteacute drsquoexpression51 pose la question de

savoir si leur droit ne devrait pas dans certaines situations reculer en faveur du titulaire des

donneacutees Le Regraveglement offre dans son art 17 la premiegravere reacuteglementation formelle du droit agrave

lrsquooubli au niveau europeacuteen et signale comme exception lrsquoexercice du droit agrave la liberteacute

drsquoexpression (art 173a)) Cependant aucun critegravere pour faciliter la conciliation nrsquoest eacutenonceacute

de maniegravere expresse

2 Droit de proprieacuteteacute

21 Protection nationale et internationale

Proclameacute par lrsquoart 17 de la Deacuteclaration Universelle des Droits de lrsquoHomme le droit de proprieacuteteacute

constitue une manifestation primaire de la liberteacute individuelle faisant partie inteacutegrante des

principes geacuteneacuteraux du droit de lrsquoUE tel que souligneacute par la CJUE52

En tant que droit fondamental la proprieacuteteacute profite drsquoune protection speacutecialement intense dans

les ordres juridiques nationaux53 Cette protection se traduit eacutegalement au niveau international

dans lrsquoart 1 du Protocole Additionnel ndeg 1 agrave la CEDH (laquothinsple Protocolethinspraquo) ainsi que dans lrsquoart 17

de la CDFUE

Outre la proprieacuteteacute corporelle tant le Protocole54 que lrsquoart 172 de la CDFUE confegraverent une

attention particuliegravere agrave la proprieacuteteacute intellectuelle Le droit deacuteriveacute de lrsquoUE occupe dans ce

domaine une position de poids avec toute une seacuterie drsquoinstruments normatifs55

22 Proprieacuteteacute intellectuelle reacuteseaux P2P et protection des donneacutees personnelles

221 Description de la probleacutematique

Lrsquoenvironnement numeacuterique entraicircne de nouvelles menaces pour la proprieacuteteacute intellectuelle

Lrsquoeacutevolution constante de lrsquoindustrie technologique implique le besoin drsquoune mise agrave jour

permanente des normes reacuteglant les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute intellectuelle Parallegravelement

50 La deacutecision de la CJUE srsquooppose aux preacutecautions prises par la CeDH en ce qui concerne les peacutetitions

drsquoeffacement de donneacutees conserveacutees par une autoriteacute publique Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les

affaires S et Marper c Royaume-Uni (4 deacutecembre 2008) et Brunet c France (18 septembre 2014) Sur le premier

voir eacutegalement BELLANOVA Rocco amp DE HERT Paul laquothinspLe cas S et Marper et les donneacutees personnelles lrsquohorloge

de la stigmatisation stoppeacutee par un arrecirct europeacuteenthinspraquo en Culture amp Conflits vol 76 2009 pp 101-114 51 Affaire C-13112 laquothinspGoogle Spain SL et Google inc c Agencia Espantildeola de Proteccioacuten de Datos et Mario

Costeja Gonzaacutelezthinspraquo sect 85 52 Arrecirct de la CJUE du 13 deacutecembre 1979 dans lrsquoaffaire C-4479 laquothinspHauer c Rheinland-Pfalzthinspraquo (sectsect 13-16) 53 En plus du controcircle de constitutionnaliteacute ex ante et ex post le droit de proprieacuteteacute est susceptible drsquoune protection

renforceacutee agrave travers le recours drsquoamparo Cependant cette possibiliteacute deacutepend fondamentalement de la porteacutee

attribueacutee agrave ce recours Ainsi tandis qursquoen Espagne le droit de proprieacuteteacute (art 33 de la Constitution espagnole) est

soustrait du recours drsquoamparo car celui-ci est reacuteserveacute aux droits compris entre les arts 14 et 30 de la Charte

espagnole (art 1611b) en relation avec lrsquoart 532 de la Constitution espagnole) en Allemagne la situation est

lrsquoinverse (art 9314b) en relation agrave lrsquoart 14 de la Constitution allemande) 54 Malgreacute le silence de lrsquoart 1 du Protocole la CeDH a deacutejagrave confirmeacute son application par rapport aux droits de

proprieacuteteacute intellectuelle (arrecirct du 11 janvier 2007 dans lrsquoaffaire Anheuser-Busch inc c Portugal sect 72) 55 En ce qui concerne la proprieacuteteacute intellectuelle stricto sensu au moins deux textes doivent ecirctre signaleacutes la

Directive 200129CE du Parlement Europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2001 sur lharmonisation de certains aspects

du droit drsquoauteur et des droits voisins dans la socieacuteteacute de lrsquoinformation et la Directive 200448CE du Parlement

Europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle

11

elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres

droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56

Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux

P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de

fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de

contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de

maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant

lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les

tiers qui les conservent

Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux

questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la

confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui

la permettent

222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion

Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des

fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la

protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la

confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler

des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour

sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute

intellectuelle58

Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au

respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les

Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des

tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive

affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions

leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette

clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea

c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la

communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE

souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave

56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER

Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property

Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute

intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder

la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et

la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques

comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54

12

que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le

contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par

conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge

ex nihilo

La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun

certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs

qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de

vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme

temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8

de la CDFUE

Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes

offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par

accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction

Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour

assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa

compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de

maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65

223 Validiteacute de lrsquointrusion

Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de

proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des

donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions

eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale

expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66

61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c

Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden

ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de

Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la

confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la

fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette

approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source

valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national

srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque

cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette

solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE

ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect

20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en

une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres

(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit

deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute

proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats

membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est

eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE

13

La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete

lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire

Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats

membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents

droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation

srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures

adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c

Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une

disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de

contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un

juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle

Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence

drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter

lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients

occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de

proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68

Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et

conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent

garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir

toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives

Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs

compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten

en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un

fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications

eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas

lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en

plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69

23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE

Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de

protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70

habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation

67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche

dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune

disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour

refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait

pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait

par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40

et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55

14

drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent

pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71

Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en

fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir

compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la

CDFUE72

La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun

examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad

pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que

le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave

travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement

consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73

24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement

Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons

signaleacutees sont reacuteduites mais significatives

En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement

semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la

Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat

membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont

neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles

restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute

deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le

Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative

adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du

traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation

Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision

en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant

3 Liberteacute drsquoentreprise

31 Contexte

La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute

drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des

restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave

71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime

poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par

le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir

drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1

du Protocole)

15

lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant

lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques

Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi

de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas

exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75

Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit

fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76

Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et

jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave

compleacuteter notre analyse

32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement

Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune

opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations

preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre

susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee

(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la

reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo

(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du

deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes

attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a

75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce

par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave

ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)

Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de

donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et

C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c

Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de

diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi

(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les

preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors

de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le

cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations

de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences

que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre

la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees

sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles

Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de

reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les

obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est

autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 11: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

11

elle donne lieu agrave des situations juridiques ineacutedites qui imposent la concordance avec drsquoautres

droits fondamentaux tels que la protection des donneacutees personnelles56

Parmi les innovations supposant un danger pour les droits de proprieacuteteacute intellectuelle les reacuteseaux

P2P (peer-to-peer) occupent une place de premier plan Ceux-ci permettent le partage de

fichiers entre ordinateurs augmentant ainsi les risques attacheacutes agrave la circulation illicite de

contenus proteacutegeacutes par un droit de proprieacuteteacute intellectuelle57 Afin de combattre ces pratiques de

maniegravere efficace lrsquoidentification des contrefacteurs devient indispensable Cependant

lrsquoacquisition de ce genre de donneacutees srsquooppose agrave lrsquoobligation de confidentialiteacute pesant sur les

tiers qui les conservent

Lrsquoobtention de donneacutees permettant lrsquoidentification drsquoeacuteventuels contrefacteurs a souleveacute deux

questions fondamentales celle concernant la base juridique leacutegitimant la rupture de la

confidentialiteacute et celle portant sur les conditions qui doivent ecirctre respecteacutees par les normes qui

la permettent

222 Base juridique leacutegitimant lrsquointrusion

Lrsquoidentification de ceux qui agrave travers lrsquoutilisation de reacuteseaux P2P portent atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle requiert la communication de donneacutees personnelles de la part des

fournisseurs drsquoaccegraves agrave Internet Toutefois lrsquoart 51 de la Directive 200258CE relative agrave la

protection des donneacutees dans le secteur des communications eacutelectroniques impose la

confidentialiteacute des donneacutees qursquoils deacutetiennent Les Eacutetats membres peuvent malgreacute tout formuler

des exceptions (art 151 de la Directive 200258CE) lorsqursquoelles sont neacutecessaires pour

sauvegarder certains inteacuterecircts parmi lesquels ne figure pas la protection civile de la proprieacuteteacute

intellectuelle58

Le remegravede agrave cette lacune juridique semble ecirctre agrave lrsquoart 8 de la Directive 200448CE relative au

respect des droits de proprieacuteteacute intellectuelle Son paragraphe 1 preacutevoit lrsquoobligation pour les

Eacutetats membres de garantir dans le cadre drsquoune action relative agrave une atteinte agrave un droit de

proprieacuteteacute intellectuelle que les autoriteacutes judiciaires puissent ordonner au contrevenant ou agrave des

tiers la communication de certaines informations Neacuteanmoins lrsquoart 83e) de la mecircme directive

affirme que ses paragraphes 1 et 2 srsquoappliqueront sans preacutejudice drsquoautres dispositions

leacutegislatives et reacuteglementaires reacutegissant le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel Cette

clause serait employeacutee par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea

c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo pour exclure de lrsquoart 81 de la Directive 200448CE la

communication drsquoinformations contenant des donneacutees personnelles59 Par contre la CJUE

souligne dans la mecircme affaire60 que lrsquoart 151 de la Directive 200258CE ne srsquooppose pas agrave

56 Pour une vision geacuteneacuterale sur la relation entre droits fondamentaux et proprieacuteteacute intellectuelle voir HELFER

Laurence R Human Rights and Intellectual Property Conflict or Coexistence Minnesota Intellectual Property

Review vol 5 ndeg 1 2003 pp 47-61 57 Toutefois la seule existence ou utilisation drsquoapplications P2P ne suppose pas per se une violation de la proprieacuteteacute

intellectuelle mecircme si ce genre drsquoapplications est parfois employeacute agrave des fins illeacutegales 58 Selon lrsquoart 151 de la Directive 200258CE la confidentialiteacute des donneacutees peut ecirctre limiteacutee afin de sauvegarder

la seacutecuriteacute nationale la deacutefense et la seacutecuriteacute publique ou pour assurer la preacutevention la recherche la deacutetection et

la poursuite drsquoinfractions peacutenales ou drsquoutilisations non autoriseacutees de systegravemes de communications eacutelectroniques

comme le preacutevoit lrsquoart 131 de la Directive 9546CE 59 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 58 60 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 53 et 54

12

que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le

contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par

conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge

ex nihilo

La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun

certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs

qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de

vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme

temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8

de la CDFUE

Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes

offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par

accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction

Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour

assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa

compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de

maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65

223 Validiteacute de lrsquointrusion

Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de

proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des

donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions

eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale

expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66

61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c

Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden

ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de

Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la

confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la

fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette

approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source

valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national

srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque

cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette

solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE

ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect

20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en

une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres

(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit

deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute

proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats

membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est

eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE

13

La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete

lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire

Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats

membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents

droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation

srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures

adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c

Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une

disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de

contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un

juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle

Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence

drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter

lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients

occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de

proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68

Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et

conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent

garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir

toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives

Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs

compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten

en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un

fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications

eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas

lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en

plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69

23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE

Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de

protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70

habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation

67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche

dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune

disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour

refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait

pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait

par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40

et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55

14

drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent

pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71

Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en

fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir

compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la

CDFUE72

La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun

examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad

pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que

le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave

travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement

consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73

24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement

Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons

signaleacutees sont reacuteduites mais significatives

En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement

semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la

Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat

membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont

neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles

restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute

deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le

Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative

adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du

traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation

Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision

en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant

3 Liberteacute drsquoentreprise

31 Contexte

La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute

drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des

restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave

71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime

poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par

le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir

drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1

du Protocole)

15

lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant

lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques

Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi

de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas

exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75

Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit

fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76

Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et

jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave

compleacuteter notre analyse

32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement

Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune

opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations

preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre

susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee

(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la

reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo

(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du

deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes

attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a

75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce

par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave

ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)

Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de

donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et

C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c

Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de

diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi

(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les

preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors

de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le

cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations

de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences

que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre

la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees

sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles

Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de

reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les

obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est

autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 12: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

12

que les Eacutetats membres preacutevoient lrsquoobligation de divulguer des donneacutees personnelles dans le

contexte drsquoune proceacutedure civile pour la deacutefense de la proprieacuteteacute intellectuelle Il apparaicirct par

conseacutequent qursquoune telle faculteacute ne deacutecoule pas du droit de lrsquoUE sinon que son exercice eacutemerge

ex nihilo

La probleacutematique que nous venons de deacutecrire nrsquoest pas nouvelle61 Elle affleure lorsqursquoun

certain fait (dans ce cas le transfert drsquoinformation) est susceptible drsquoincarner plusieurs

qualifications juridiques En effet lrsquoart 8 de la Directive 200448CE constitue drsquoun point de

vue proceacutedural un moyen drsquoidentifier le responsable de la leacutesion mais implique en mecircme

temps un traitement de donneacutees personnelles62 et une restriction aux arts 7 de la CEDH et 8

de la CDFUE

Drsquoautre part la solution apporteacutee par la CJUE semble ne pas avoir exploreacute toutes les possibiliteacutes

offertes par le droit de lrsquoUE63 Lrsquoambiguiumlteacute qui caracteacuterise les regravegles europeacuteennes finit par

accroicirctre le sentiment drsquoinsatisfaction

Finalement le fait que la communication de donneacutees personnelles ne soit pas obligatoire pour

assurer la protection de la proprieacuteteacute intellectuelle a eacuteteacute questionneacute du point de vue de sa

compatibiliteacute avec lrsquoart 17 de la CDFUE64 La CJUE a malgreacute tout eacuteviteacute de reacutepondre de

maniegravere expresse sur ce point en raison des possibles conseacutequences65

223 Validiteacute de lrsquointrusion

Les traitements de donneacutees ayant pour objectif lrsquoidentification drsquoun infracteur de droits de

proprieacuteteacute intellectuelle constituent une restriction au droit fondamental agrave la protection des

donneacutees personnelles Une telle restriction ne peut ecirctre admissible que si les conditions

eacutenumeacutereacutees aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH sont satisfaites preacutevision leacutegale

expresse preacutesence drsquoun objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionnaliteacute de la mesure66

61 Voir la note ndeg 45 62 Cette qualification a eacuteteacute assumeacutee par la CJUE dans les affaires C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c

Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 45) et C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden

ABthinspraquo (sect 52) 63 Lrsquoart 131g) de la Directive 9546CE citeacute par la CJUE dans lrsquoaffaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de

Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo (sect 53) constitue une premiegravere option pour leacutegitimer une restriction agrave la

confidentialiteacute des donneacutees imposeacutee par la Directive 200258CE La porteacutee geacuteneacuterale de la premiegravere unie agrave la

fonction de compleacutementariteacute et preacutecision de la deuxiegraveme (art 12 de la Directive 200258CE) favorise cette

approche Une deuxiegraveme option obligerait agrave consideacuterer lrsquoart 8 de la Directive 200448CE comme une source

valable pour que la communication de donneacutees puisse ecirctre reacutealiseacutee Son articulation dans lrsquoordre juridique national

srsquoaccommoderait agrave lrsquoart 7c) de la Directive 9546CE qui habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque

cela est neacutecessaire au respect drsquoune obligation leacutegale agrave laquelle le responsable du traitement est soumis Cette

solution srsquoajusterait eacutegalement agrave la logique des arts 82 de la Directive 200448CE et 8 de la Directive 200129CE

ainsi qursquoagrave la pratique des Eacutetats membres (confronter dans ce sens lrsquoart 8 de la Directive 200448CE avec les sectsect

20-23 et 54-57 de lrsquoaffaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo) 64 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sectsect 61-70 65 Hormis une possible illeacutegaliteacute par omission transformer la faculteacute de lrsquoart 151 de la Directive 200258CE en

une obligation supposerait une intrusion dans des domaines jugeacutes extrecircmement sensibles pour les Eacutetats membres

(seacutecuriteacute nationale deacutefensehellip) Cependant ne pas le faire blesserait lrsquoesprit de lrsquoart 8 de la Directive 200129CE 66 Le principe de proportionnaliteacute preacutesent aux arts 521 de la CDFUE et 82 de la CEDH a eacuteteacute repris par le droit

deacuteriveacute notamment par lrsquoart 151 de la Directive 200258CE celui-ci imposant les principes de neacutecessiteacute

proportionnaliteacute et adeacutequation dans le contexte drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique des mesures adopteacutees par les Eacutetats

membres (formulation similaire agrave celle employeacutee par la CEDH) La neacutecessiteacute en tant que condition de validiteacute est

eacutegalement mentionneacutee par lrsquoart 131 de la Directive 9546CE

13

La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete

lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire

Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats

membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents

droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation

srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures

adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c

Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une

disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de

contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un

juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle

Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence

drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter

lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients

occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de

proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68

Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et

conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent

garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir

toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives

Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs

compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten

en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un

fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications

eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas

lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en

plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69

23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE

Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de

protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70

habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation

67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche

dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune

disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour

refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait

pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait

par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40

et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55

14

drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent

pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71

Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en

fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir

compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la

CDFUE72

La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun

examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad

pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que

le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave

travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement

consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73

24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement

Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons

signaleacutees sont reacuteduites mais significatives

En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement

semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la

Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat

membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont

neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles

restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute

deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le

Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative

adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du

traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation

Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision

en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant

3 Liberteacute drsquoentreprise

31 Contexte

La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute

drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des

restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave

71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime

poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par

le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir

drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1

du Protocole)

15

lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant

lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques

Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi

de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas

exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75

Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit

fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76

Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et

jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave

compleacuteter notre analyse

32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement

Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune

opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations

preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre

susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee

(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la

reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo

(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du

deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes

attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a

75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce

par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave

ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)

Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de

donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et

C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c

Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de

diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi

(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les

preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors

de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le

cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations

de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences

que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre

la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees

sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles

Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de

reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les

obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est

autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 13: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

13

La CJUE a deacutejagrave eu lrsquooccasion drsquoanalyser drsquoune perspective tant abstraite que concregravete

lrsquoapplication des critegraveres preacutevus dans les dispositions susmentionneacutees Ainsi dans lrsquoaffaire

Productores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAU la CJUE a exhorteacute les Eacutetats

membres agrave assurer agrave travers leurs mesures leacutegislatives un juste eacutequilibre entre les diffeacuterents

droits fondamentaux proteacutegeacutes par lrsquoordre juridique communautaire Cette recommandation

srsquoeacutetend aux autoriteacutes et juridictions nationales chargeacutees drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer les mesures

adopteacutees par les Eacutetats membres67 Par contre dans lrsquoaffaire Bonnier Audio AB et autres c

Perfect Communication Sweden AB la CJUE a pu exercer un controcircle de leacutegaliteacute sur une

disposition qui permettait la communication de lrsquoidentiteacute drsquoune personne soupccedilonneacutee de

contrefaccedilon Selon la CJUE la disposition reacuteunissait les conditions suffisantes pour garantir un

juste eacutequilibre entre le droit agrave la protection des donneacutees et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle

Dans ce sens la CJUE a jugeacute que les conditions imposeacutees par la norme en question (preacutesence

drsquoindices reacuteels de contrefaccedilon le fait que lrsquoinformation demandeacutee soit susceptible de faciliter

lrsquoenquecircte et que les raisons motivant lrsquoingeacuterence soient drsquoun inteacuterecirct supeacuterieur aux inconveacutenients

occasionneacutes agrave son destinataire) respectaient les exigences reacutesultant du principe de

proportionnaliteacute et parvenaient agrave un juste eacutequilibre entre les inteacuterecircts opposeacutes68

Pour conclure nous signalerons une derniegravere preacutecision en matiegravere de mesures provisoires et

conservatoires Selon lrsquoart 91a) de la Directive 200448CE les Eacutetats membres doivent

garantir que les autoriteacutes judiciaires puissent rendre des ordonnances de reacutefeacutereacute visant agrave preacutevenir

toute atteinte imminente agrave un droit de proprieacuteteacute intellectuelle ou agrave empecirccher des reacutecidives

Cependant dans les affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs

compositeurs et eacutediteurs SCRLthinspraquo et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten

en Uitgevers CVBA c Netlog NVthinspraquo la CJUE a consideacutereacute qursquoune injonction obligeant un

fournisseur drsquoaccegraves agrave Internet agrave une supervision illimiteacutee de la totaliteacute des communications

eacutelectroniques afin de preacutevenir des infractions agrave la proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait pas

lrsquoeacutequilibre entre le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et la protection des donneacutees personnelles en

plus drsquoecirctre contraire agrave lrsquoart 151 de la Directive 200031CE sur le commerce eacutelectronique69

23 Protection agrave travers lrsquoart 7f) de la Directive 9546CE

Agrave la diffeacuterence de la proprieacuteteacute intellectuelle la proprieacuteteacute corporelle trouve un moyen de

protection sui generis dans lrsquoart 7f) de la Directive Cette disposition doteacutee drsquoeffet direct70

habilite le traitement de donneacutees personnelles lorsque celui-ci est neacutecessaire agrave la reacutealisation

67 Affaire C-27506 laquothinspProductores de Muacutesica de Espantildea c Telefoacutenica de Espantildea SAUthinspraquo sect 68 68 Affaire C-46110 laquothinspBonnier Audio AB et autres c Perfect Communication Sweden ABthinspraquo sectsect 58-60 En revanche

dans lrsquoaffaire C-58013 laquothinspCoty Germany GmbH c Stadtsparkasse Magdeburgthinspraquo la CJUE a estimeacute qursquoune

disposition nationale autorisant de maniegravere illimiteacutee un eacutetablissement bancaire agrave exciper du secret bancaire pour

refuser de fournir le nom et lrsquoadresse drsquoun infracteur preacutesumeacute de droits de proprieacuteteacute intellectuelle ne garantissait

pas un juste eacutequilibre entre la protection des donneacutees personnelles et le droit de proprieacuteteacute intellectuelle et devait

par conseacutequent ecirctre deacuteclareacutee contraire au droit de lrsquoUE (sectsect 36-41) 69 Affaires C-7010 laquothinspScarlet Extended SA c Socieacuteteacute belge des auteurs compositeurs et eacutediteurs SCRLtthinspraquo (sectsect 40

et 53) et C-36010 laquothinspBelgische Vereniging van Auteurs Componisten en Uitgevers CVBAthinspraquo (sectsect 38 et 51) 70 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 55

14

drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent

pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71

Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en

fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir

compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la

CDFUE72

La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun

examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad

pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que

le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave

travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement

consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73

24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement

Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons

signaleacutees sont reacuteduites mais significatives

En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement

semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la

Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat

membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont

neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles

restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute

deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le

Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative

adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du

traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation

Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision

en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant

3 Liberteacute drsquoentreprise

31 Contexte

La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute

drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des

restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave

71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime

poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par

le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir

drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1

du Protocole)

15

lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant

lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques

Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi

de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas

exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75

Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit

fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76

Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et

jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave

compleacuteter notre analyse

32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement

Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune

opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations

preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre

susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee

(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la

reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo

(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du

deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes

attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a

75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce

par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave

ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)

Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de

donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et

C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c

Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de

diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi

(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les

preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors

de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le

cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations

de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences

que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre

la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees

sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles

Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de

reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les

obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est

autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 14: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

14

drsquoun inteacuterecirct leacutegitime poursuivi par le responsable du traitement agrave condition que ne preacutevalent

pas lrsquointeacuterecirct ou les droits fondamentaux du titulaire des donneacutees71

Selon la CJUE lrsquoart 7f) de la Directive impose la pondeacuteration des droits et inteacuterecircts opposeacutes en

fonction des circonstances consideacutereacutees in concreto Cette pondeacuteration devra en tout cas tenir

compte de lrsquoimportance des droits de la personne concerneacutee reacutesultant des arts 7 et 8 de la

CDFUE72

La protection du droit de proprieacuteteacute ex art 7f) de la Directive nrsquoa pas encore fait lrsquoobjet drsquoun

examen approfondi par la CJUE Toutefois dans lrsquoaffaire C-21213 laquothinspFrantišek Ryneš c Uacuteřad

pro ochranu osobniacutech uacutedajůthinspraquo la CJUE laisse la porte ouverte agrave cette voie en consideacuterant que

le traitement de donneacutees relatives agrave des tiers (dans le cas drsquoespegravece lrsquoenregistrement drsquoimages agrave

travers un systegraveme de surveillance videacuteo) srsquoavegravere justifieacute lorsque la finaliteacute du traitement

consiste agrave proteacuteger les biens du responsable73

24 Nouveauteacutes apporteacutees par le Regraveglement

Les nouveauteacutes introduites par le Regraveglement agrave lrsquoeacutegard des probleacutematiques que nous avons

signaleacutees sont reacuteduites mais significatives

En ce qui concerne lrsquoidentification de contrefacteurs faisant usage de reacuteseaux P2P le Regraveglement

semble fournir une nouvelle solution agrave travers son art 23 (homologue de lrsquoart 13 de la

Directive) Cette disposition permet que le droit de lrsquoUnion Europeacuteenne ou le droit drsquoun Eacutetat

membre eacutetablissent des restrictions agrave certaines preacutevisions du Regraveglement lorsque celles-ci sont

neacutecessaires pour garantir lrsquoexeacutecution de demandes de droit civil (art 231j)) De telles

restrictions doivent constituer une mesure neacutecessaire et proportionneacutee dans une socieacuteteacute

deacutemocratique ainsi que respecter lrsquoessence des liberteacutes et des droits fondamentaux En outre le

Regraveglement ajoute dans son art 232 une seacuterie de dispositions que toute mesure leacutegislative

adopteacutee conformeacutement agrave lrsquoart 231 doit contenir parmi lesquelles se trouvent la finaliteacute du

traitement les cateacutegories de donneacutees traiteacutees ou la dureacutee de leur conservation

Drsquoautre part lrsquoart 61f) du Regraveglement (art 7f) de la Directive) ajoute une nouvelle preacutecision

en exigeant une preacutecaution additionnelle lorsque les donneacutees traiteacutees appartiennent agrave un enfant

3 Liberteacute drsquoentreprise

31 Contexte

La liberteacute drsquoentreprise (art 16 de la CDFUE74) comprend drsquoun point de vue classique la faculteacute

drsquoexercer une activiteacute eacuteconomique ainsi que lrsquointerdiction de la part de lrsquoEacutetat drsquoimposer des

restrictions portant atteinte agrave son contenu essentiel Son eacutetendue se traduit eacutegalement agrave

71 Pour une vision plus eacutetendue sur lrsquoart 7f) de la Directive voir lrsquoAvis 062014 sur la notion drsquointeacuterecirct leacutegitime

poursuivi par le responsable du traitement des donneacutees au sens de lrsquoarticle 7 de la Directive 9546CE eacutelaboreacute par

le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo 72 Affaires jointes C-46810 et C-46910 laquothinspAsociacioacuten Nacional de Establecimientos Financieros y Federacioacuten de

Comercio Electroacutenico y Marketing Directo c Administracioacuten del Estadothinspraquo sect 40 73 Affaire C-21213 laquoFrantišek Ryneš c Uacuteřad pro ochranu osobniacutech uacutedajůraquo sect 34 74 Le silence de la CEDH par rapport agrave la liberteacute drsquoentreprise nrsquoempecircche pas que son existence soit deacuteduite agrave partir

drsquoautres droits fondamentaux comme la liberteacute drsquoassociation (art 11 de la CEDH) ou le droit de proprieacuteteacute (art 1

du Protocole)

15

lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant

lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques

Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi

de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas

exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75

Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit

fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76

Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et

jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave

compleacuteter notre analyse

32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement

Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune

opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations

preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre

susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee

(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la

reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo

(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du

deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes

attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a

75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce

par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave

ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)

Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de

donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et

C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c

Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de

diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi

(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les

preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors

de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le

cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations

de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences

que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre

la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees

sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles

Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de

reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les

obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est

autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 15: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

15

lrsquointeacuterieur de la propre entreprise le pouvoir drsquoorganisation et de direction de lrsquoemployeur eacutetant

lrsquoune de ses manifestations les plus embleacutematiques

Lrsquousage geacuteneacuteraliseacute drsquoappareils eacutelectroniques sur le lieu de travail a rendu neacutecessaire lrsquoemploi

de nouvelles mesures de controcircle sur les employeacutes Cette surveillance nrsquoest toutefois pas

exempte de difficulteacutes dans la mesure ougrave elle entraicircne le traitement de donneacutees personnelles75

Par conseacutequent la conciliation entre le pouvoir de direction de lrsquoemployeur et le droit

fondamental agrave la protection des donneacutees relatives aux travailleurs srsquoimpose76

Les prochaines lignes serviront agrave illustrer cette conciliation du point de vue normatif et

jurisprudentiel Les contributions du Regraveglement seront eacutegalement reprises de maniegravere agrave

compleacuteter notre analyse

32 Leacutegaliteacute du traitement

321 Leacutegitimation du traitement

Lrsquoemployeur souhaitant traiter des donneacutees relatives agrave ses employeacutes dans le cadre drsquoune

opeacuteration de cybersurveillance doit srsquoassurer que le traitement reacuteponde agrave lrsquoune des situations

preacutevues agrave lrsquoart 7 de la Directive (art 6 du Regraveglement)77 Parmi celles qui semblent ecirctre

susceptibles de leacutegitimer le traitement se trouvent le consentement de la personne concerneacutee

(art 7a)) lrsquoexeacutecution drsquoun contrat auquel la personne concerneacutee est partie (art 7b)) ou la

reacutealisation drsquoun lrsquointeacuterecirct leacutegitime du responsable (art 7f)) Le Groupe de Travail laquothinspArticle 29thinspraquo

(ci-apregraves laquothinsple Groupethinspraquo) a manifesteacute des reacuteticences agrave lrsquoeacutegard du consentement compte tenu du

deacutefaut drsquoeacutequilibre qui caracteacuterise de maniegravere geacuteneacuterale la relation de travail et des difficulteacutes

attacheacutees agrave lrsquoobtention drsquoun consentement pleinement libre de la part de lrsquoemployeacute Cela a

75 Les enjeux associeacutes agrave la protection des donneacutees personnelles des travailleurs ont eacuteteacute exposeacutes de maniegravere preacutecoce

par le Conseil de lrsquoEurope agrave travers sa Recommandation ndeg R (89) 2 sur la protection des donneacutees agrave caractegravere

personnel utiliseacutees agrave des fins drsquoemploi (1989) LrsquoOrganisation Internationale du Travail a eacutegalement contribueacute agrave

ce sujet avec son Recueil de directives pratiques sur la protection des donneacutees personnelles des travailleurs (1997)

Parallegravelement la CJUE srsquoest prononceacutee agrave plusieurs reprises sur lrsquoapplication de la Directive aux traitements de

donneacutees relatives agrave des travailleurs Voir dans ce sens les arrecircts dans les affaires jointes C-46500 C-13801 et

C-13901 laquothinspRechnungshof c Oumlsterreichischer Rundfunk et autresthinspraquo et laquothinspNeukomm et Lauermann c

Oumlsterreichischer Rundfunkraquo C-34212 laquoWorten ndash Equipamentos para o Lar SA c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo et C-68313 laquoPharmacontinente ndash Sauacutede e Higiene SA et autres c Autoridade para as Condiccedilotildees

de Trabalhoraquo 76 Les autoriteacutes nationales en matiegravere de protection des donneacutees ont abordeacute cette probleacutematique au moyen de

diffeacuterents rapports Crsquoest le cas notamment de lrsquoICO (Angleterre) avec son Code de pratiques en matiegravere drsquoemploi

(The employment practices code) la CPVP (Belgique) avec ses Recommandations visant agrave concilier les

preacuterogatives de lrsquoemployeur avec la protection des donneacutees agrave caractegravere personnel des travailleurs ou de tiers lors

de lrsquoutilisation de la surveillance et du controcircle des outils informatiques de communication eacutelectronique dans le

cadre de la relation de travail ou lrsquoAEPD (Espagne) avec son Guide sur la protection des donneacutees dans les relations

de travail (Guiacutea La proteccioacuten de datos en las relaciones laborales) 77 Le fondement leacutegitimant lrsquointrusion de lrsquoemployeur revecirct une importance cruciale compte tenu des incidences

que celle-lagrave entraicircne en matiegravere criminelle notamment en ce qui concerne le secret des communications En outre

la surveillance des communications eacutelectroniques de lrsquoemployeacute peut occasionner des traitements de donneacutees

sensibles (dans le sens des arts 8 de la Directive et 9 du Regraveglement) ce qui impose des preacutecautions additionnelles

Signalons en tout cas que tant la Directive (art 82b)) que le Regraveglement (art 92b)) preacutevoient la possibiliteacute de

reacutealiser des opeacuterations de traitement de donneacutees sensibles lorsque le traitement est neacutecessaire pour respecter les

obligations et les droits du responsable du traitement en matiegravere de droit du travail et dans la mesure ougrave il est

autoriseacute par le droit de lrsquoUE ou le droit national

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 16: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

16

orienteacute le Groupe vers les situations preacutevues aux lettres b) et f) de lrsquoart 7 de la Directive au

deacutetriment du consentement consideacutereacute comme une mesure de dernier ressort78

Les inquieacutetudes manifesteacutees par le Groupe ont eacuteteacute prises en compte par le Regraveglement qui dans

son art 7 preacutevoit certaines garanties afin drsquoassurer la validiteacute du consentement Ainsi lorsque

le consentement est donneacute dans le cadre drsquoune deacuteclaration eacutecrite qui concerne eacutegalement

drsquoautres questions le Regraveglement oblige agrave ce que la demande de consentement soit preacutesenteacutee

sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions de maniegravere compreacutehensible

aiseacutement accessible et formuleacutee en des termes clairs et simples (art 72) En outre et avec

lrsquoobjectif de deacuteterminer si le consentement a eacuteteacute donneacute librement le Regraveglement impose

lrsquoobligation de veacuterifier si lrsquoexeacutecution drsquoun contrat est subordonneacutee au consentement au

traitement de donneacutees qui nrsquoest pas neacutecessaire agrave son exeacutecution (art 74)

322 Devoir drsquoinformation et principe de qualiteacute

Indeacutependamment du motif leacutegitimant le traitement lrsquoemployeur devra remplir drsquoautres

obligations imposeacutees par la Directive

Le devoir drsquoinformation preacutesente dans cette mesure une importance capitale Preacutevu agrave lrsquoart 10

de la Directive il impose au responsable du traitement lrsquoobligation de communiquer certaines

informations au titulaire des donneacutees telles que lrsquoidentiteacute du responsable ou la finaliteacute du

traitement79 Cette communication reacutesulte en outre indispensable pour garantir le respect du

contenu essentiel du droit fondamental agrave la protection des donneacutees personnelles Le Regraveglement

reprend cette obligation dans son art 13 amplifiant le catalogue drsquoinformations agrave transmettre

par le responsable du traitement

Outre le devoir drsquoinformation lrsquoemployeur est tenu de respecter scrupuleusement le principe

de qualiteacute (arts 6 de la Directive et 5 du Regraveglement) Cela comporte entre autres une stricte

observation des principes de finaliteacute neacutecessiteacute et proportionnaliteacute agrave lrsquoeacutegard des opeacuterations de

traitement

323 Dispositions additionnelles contenues dans le Regraveglement

Contrairement agrave la Directive le Regraveglement inclut une preacutevision (art 88) permettant aux Eacutetats

membres drsquoadopter par voie leacutegislative ou au moyen de conventions collectives et dans les

limites marqueacutees par ses dispositions un reacutegime speacutecifique pour le traitement de donneacutees en

matiegravere drsquoemploi Ainsi le Regraveglement srsquoaligne avec la pratique de certains Eacutetats membres (dont

la Belgique80) consistant agrave eacutetablir un reacutegime juridique particulier en ce qui concerne les relations

78 Avis 82001 sur le traitement de donneacutees agrave caractegravere personnel dans le contexte professionnel (adopteacute le 13

deacutecembre) pp 31-33 79 Lrsquoinformation contenue dans lrsquoart 10 de la Directive devrait ecirctre communiqueacutee de sorte que lrsquoemployeur puisse

prouver lrsquoexeacutecution de cette obligation Son inclusion dans le contrat de travail ou la reacutefeacuterence par celui-ci agrave la

politique interne de lrsquoentreprise en matiegravere de cybersurveillance (agrave condition que celle-ci soit mise agrave disposition

des employeacutes sans aucune restriction) suffirait en principe pour lrsquoattester 80 En Belgique la cybersurveillance sur le lieu de travail est reacutegleacutee par la Convention Collective de Travail ndeg 81

du 26 avril 2002 conclue au sein du Conseil national du Travail relative agrave la protection de la vie priveacutee des

travailleurs agrave lrsquoeacutegard du controcircle des donneacutees de communication eacutelectroniques en reacuteseau Pour une vision complegravete

sur la protection des donneacutees des travailleurs en Belgique voir OMRANI Feyrouze laquothinspLa vie priveacutee du travailleur

questions choisies regard critiquethinspraquo en Droits de la personnaliteacute Anthemis 2013 pp 99-148 Drsquoun point de vue

jurisprudentiel voir LEONARD Thierry amp ROSIER Karen laquothinspLa jurisprudence Antigoon face agrave la protection des

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

19

Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 17: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

17

de travail Les dispositions approuveacutees par les Eacutetats membres devront en tout cas respecter les

limites imposeacutees par la digniteacute humaine et les inteacuterecircts leacutegitimes et les droits fondamentaux des

personnes concerneacutees (art 882)

33 Jurisprudence de la CeDH

Lrsquoabsence de jurisprudence eacutemanant de la CJUE en matiegravere de cybersurveillance srsquooppose agrave la

consolidation de certaines lignes profileacutees par la CeDH

Les deacutecisions de la CeDH reposent sur une consideacuteration preacuteliminaire drsquoordre fondamental le

lieu de travail nrsquoest a priori pas exclu de la protection garantie par lrsquoart 8 de la CEDH en

raison drsquoune expectative drsquointimiteacute creacuteeacutee par le propre employeur notamment lorsque la

possibiliteacute de cybersurveillance nrsquoa pas eacuteteacute communiqueacutee agrave lrsquoemployeacute81 La CeDH estime dans

cette mesure que le devoir drsquoinformation de la part de lrsquoemployeur constitue une mesure

indispensable pour assurer le respect de lrsquoart 8 de la CEDH

Toutefois dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni la CeDH a reconnu que lrsquoart 8 de la CEDH

nrsquointerdisait pas que lrsquoemployeur adopte des mesures de cybersurveillance lorsque cela srsquoavegravere

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique agrave la poursuite drsquoun but leacutegitime82

Par contre ce nrsquoest qursquoagrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie83 que la CeDH a pu

examiner si les critegraveres employeacutes par les autoriteacutes judiciaires nationales pour concilier le droit

agrave la vie priveacutee avec le pouvoir de cybersurveillance de lrsquoemployeur avaient pris suffisamment

en compte les exigences imposeacutees par lrsquoart 8 de la CEDH Cependant au lieu de deacutevelopper

sa jurisprudence la CeDH se contente de reproduire lrsquoavis des autoriteacutes nationales mecircme si

cela soulegraveve drsquoimportantes controverses Ainsi la conviction de la part de lrsquoemployeur que les

messages de courrier eacutelectronique posseacutedaient un contenu purement professionnel ou le fait que

lrsquoemployeacute nrsquoait pas eacuteteacute en mesure de signaler une raison valable pour justifier lrsquousage dudit

courrier agrave des fins priveacutees constituent selon la CeDH des arguments valides pour leacutegitimer

lrsquointrusion de lrsquoemployeur La CeDH semble neacuteanmoins oublier que lrsquoemployeur avait aussi

acceacutedeacute au courrier eacutelectronique priveacute de lrsquoemployeacute ou que le devoir drsquoinformation concernant

les activiteacutes de cybersurveillance nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoune preuve concluante Cette

situation est mise en eacutevidence par le juge Pinto de Albuquerque qui dans son opinion

dissidente rappelle que les employeacutes nrsquoabandonnent pas leur droit agrave la vie priveacutee et agrave la

protection des donneacutees chaque jour agrave la porte de leur employeur84

La deacutecision dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie deacutemontre que la jurisprudence europeacuteenne

en matiegravere de cybersurveillance est loin drsquoecirctre consolideacutee Soulignons en tout cas que

lrsquoeacutevolution jurisprudentielle aux niveaux national et europeacuteen devra srsquoajuster aux paramegravetres

eacutetablis par la nouvelle reacuteglementation sur la protection des donneacutees personnelles Il se peut que

lrsquoart 82 du Regraveglement anime les Eacutetats membres en vue de trouver des solutions leacutegislatives qui

donneacutees salvatrice ou dangereusethinspthinspraquo en Revue du Droit des Technologies de lrsquoInformation vol 36 2009 pp 5-

10 81 Voir dans ce sens les arrecircts de la CeDH dans les affaires Niemietz c Allemagne (16 deacutecembre 1992 sect 29)

Halford c Royaume-Uni (25 juin 1997 sect 45) et Peev c Bulgarie (26 juillet 2007 sect 39) 82 Arrecirct de la CeDH du 3 avril 2007 dans lrsquoaffaire Copland c Royaume-Uni sect 48 83 Arrecirct de la CeDH du 12 janvier 2016 dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie 84 Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans lrsquoaffaire Bărbulescu c Roumanie sect 22

18

concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

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Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

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concilient de maniegravere plus incisive lrsquoart 8 de la CEDH avec le pouvoir de direction de

lrsquoemployeur

III CONCLUSIONS

1 Sur la jurisprudence de la CJUE et de la CeDH

Les lignes qui preacutecegravedent nous ont fourni une image des diffeacuterentes probleacutematiques associeacutees agrave

la conciliation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et drsquoautres droits

fondamentaux Il est donc temps drsquoexposer sous forme de conclusion quelques observations

drsquoordre geacuteneacuteral

En ce qui concerne la relation entre protection des donneacutees et liberteacute drsquoexpression tant la CJUE

que la CeDH confegraverent une protection efficace au premier droit fondamental agrave travers

lrsquoapplication rigoureuse du principe de proportionnaliteacute Cependant drsquoappreacuteciables

divergences eacutecartent leurs positions tandis que la CJUE priorise la protection des donneacutees

personnelles face agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation la CeDH pondegravere drsquoune maniegravere beaucoup plus

eacutequilibreacutee les deux droits Cette pondeacuteration est agrave son tour le fruit drsquoun long deacuteveloppement

jurisprudentiel reacutealiseacute par la CeDH dont les arrecircts se reacutevegravelent techniquement plus eacutelaboreacutes que

ceux de la CJUE

La situation que nous venons de deacutecrire contraste avec la conciliation effectueacutee entre le droit

de proprieacuteteacute et le droit agrave la protection des donneacutees La supeacuterioriteacute du deuxiegraveme nrsquoest plus

invoqueacutee par la CJUE qui semble preacutefeacuterer une formule baseacutee sur un juste eacutequilibre entre les

droits confronteacutes et une stricte application du principe de proportionnaliteacute Toutefois le fait que

la CJUE ne se soit pas prononceacutee sur la compatibiliteacute entre lrsquoart 17 de la CDFUE et lrsquoabsence

du devoir de communiquer des donneacutees personnelles dans le cadre drsquoune proceacutedure ayant pour

objet lrsquoinfraction de droits de proprieacuteteacute intellectuelle affaiblit sa position initiale Drsquoautre part

la jurisprudence de la CJUE manque de maturiteacute agrave lrsquoeacutegard de la proprieacuteteacute classique ce qui

empecircche un examen plus exhaustif de la matiegravere

Finalement la jurisprudence de la CeDH dans le domaine de la protection des donneacutees relatives

aux travailleurs se caracteacuterise par son inconsistance temporelle Du protectionnisme face au

pouvoir de surveillance de lrsquoemployeur nous sommes passeacutes agrave une marge de manœuvre plus

eacutetendue et moins respectueuse avec les principes deacutecoulant de la Directive et du Regraveglement La

jurisprudence de la CeDH est en tout cas loin drsquoecirctre consolideacutee et susceptible de futures

preacutecisions qui aideront agrave tracer une ligne de raisonnement plus coheacuterente

2 Sur les contributions du Regraveglement

Outre les nombreux ajustements techniques le Regraveglement apporte certaines nouveauteacutes en ce

qui concerne la relation entre le droit agrave la protection des donneacutees personnelles et la liberteacute

drsquoexpression lrsquoencadrement du droit agrave lrsquooubli eacutetant la plus embleacutematique Les critegraveres de

conciliation restent toutefois dans les mains des Eacutetats membres qui devront eacutetablir des

exceptions aux normes du Regraveglement de sorte qursquoun eacutequilibre entre les deux droits soit trouveacute

Compte tenu de cette circonstance nous pouvons affirmer que la jurisprudence nationale et

europeacuteenne exercera un rocircle essentiel dans les prochaines anneacutees

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Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen

Page 19: PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES...- dans le continent européen, la protection des données personnelles se cristallise à travers la Convention 108 du Conseil de l’Europe4

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Relativement au droit de proprieacuteteacute le Regraveglement offre quelques nouveauteacutes non neacutegligeables

bien que plus modestes vu le deacuteveloppement de la jurisprudence de la CJUE Quant agrave la

cybersurveillance le Regraveglement permet que les Eacutetats membres eacutelaborent des regravegles speacutecifiques

en la matiegravere tout en imposant comme limites la digniteacute humaine et les droits fondamentaux

Les preacutecisions concernant le consentement couronnent les grandes lignes eacutetablies par le texte

europeacuteen